N° 2333
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 avril 2000.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête sur les conditions de sécurité sanitaire liées aux différentes "pratiques non réglementées de modifications corporelles" (piercing, tatouage, scarification, implants divers de corps étrangers).

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Bernard ACCOYER,
Député.

Santé.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
On constate aujourd'hui un engouement croissant, en particulier chez les jeunes, pour certaines pratiques portant sur des modifications corporelles : piercing, tatouage, scarification, implants divers de corps étrangers.
Tatouages et piercing sont devenus un véritable phénomène de société d'ores et déjà analysés par des journalistes et sociologues (Véronique Zbinden "Piercing : Rites ethniques, pratique moderne" 1997).
A l'origine signes de rébellion, tatouages et piercing sont aujourd'hui domptés par le système commercial et médiatique, au point de se voir récupérés par la haute couture de Jean-Paul Gaultier à Viviane Westwood ou adoptés par la petite-fille de la reine Elisabeth II d'Angleterre.
Lors d'une enquête Médiamétrie réalisée en novembre 1998 auprès d'un échantillon de 600 jeunes Français de 11 à 15 ans, plus d'un tiers des jeunes interrogés ont répondu envisager se faire, un jour, tatouer ou "piercer". Parmi ces réponses positives, 50 % des jeunes filles de 13-15 ans déclarent y songer fortement.
Face à des phénomènes de société de ce type, il ne s'agit pas d'imposer des interdits. Il importe néanmoins que les usagers soient convenablement informés quant aux conséquences de ces pratiques et, dans la mesure du possible, qu'ils soient protégés contre les complications et les dérives possibles.
En effet, ces pratiques comportent parfois des actes qui sont loin d'être anodins du point de vue sanitaire. On peut même se demander si ces actes ne s'apparentent à une forme d'exercice illégal de la médecine, dans la mesure où ils se traduisent par l'incision ou la perforation de la barrière naturelle cutanée ou muqueuse.
Dans ce même ordre d'idée, se pose aussi la question de la responsabilité pénale de ces personnes, en particulier lors d'éventuelles interventions apportant des modifications corporelles quelquefois proches de la mutilation.
Il faut savoir en effet qu'aucune formation n'est exigée pour pouvoir se livrer à ces pratiques de modifications corporelles sur autrui.
Aucune règle n'est précisément édictée en matière d'hygiène ou sur les conditions de mise en _uvre de ces pratiques, à commencer par la stérilisation et l'aseptie. De sorte qu'en pratique, il arrive que la stérilisation des outils et objets s'avère aléatoire. Cette absence de règles et de contrôle ne peut que favoriser un statu quo peu satisfaisant. Il y a là un risque sanitaire qui pourrait être majeur.
Ce simple aperçu de phénomènes en pleine expansion illustre combien les risques potentiels sont réels et exigent de la part des pouvoirs publics une prise en compte, une information, voire un encadrement réglementaire.
Or, rien de tel n'existe pour l'instant, à l'exception près d'une recommandation de l'Établissement français du sang excluant du don du sang les personnes ayant effectué un piercing ou un tatouage dans les six mois. Cette directive confirme bien que le ministère de la Santé considère qu'il s'agit de "pratiques à risques", au sens sanitaire du terme.
Les possibles complications locales ou régionales liées à ces pratiques sont multiples, en particulier de fréquentes infections microbiennes. Selon une récente enquête réalisée en Grande-Bretagne, où comme en France il n'existe aucune réglementation, 95 % des médecins de famille ont ainsi eu à traiter des complications de piercing (40 % au nombril, 12 % pour le nez, 5 % pour les seins).
Il faut citer également les problèmes rencontrés en médecine d'urgence pour retirer ces objets. Une étude publiée par le Journal of Accident and Emergency Medicine révèle que 6 seulement des 28 médecins spécialistes des urgences interrogés savent ouvrir les trois plus populaires "bijoux" qui percent, selon les goûts, la langue, le nez, le nombril, voire le tissu érectile du pénis, du clitoris ou encore les mamelons.
Les complications générales peuvent être redoutables avec un risque réel de transmission d'infections bactériennes (pouvant aller jusqu'à la septicémie) ou d'infections virales (hépatites, SIDA).
La réalité de ce type de risques est confirmée par l'observation des données sur la santé de la population carcérale où émergent précocement les problèmes de santé publique.
Une récente étude publiée par l'Institut de veille sanitaire (Usage de drogues, sexualité, transmission du virus VIH, hépatites B et C et réduction des risques en prison à travers le monde) atteste de l'existence de risques liés au tatouage et au piercing. Cet Institut signale en effet que plusieurs "études ont clairement établi la possibilité de transmission du VHC et du VHB par le tatouage ou le piercing, en se documentant très sérieusement sur des cas de contaminations liés à ces pratiques." (Hepatitis C virus transmitted by tattouing needle, The Lancet, 1991, Vol 338, 460; An outbreak of hepatitis B from tattouing, Limentani. A and al, The Lancet, 1979, Vol 2, 86-88; Hep B from tattouing, Harrisson MA, The Lancet, 1980, Vol 2, 649.; Ear piercing and hepatitis : non sterile instrument for ear piercing and the subsequent onset of viral hepatitis, Johnson C and al, JAMA, 1974, Vol 227, 1165.)
Interrogée par voie de question écrite publiée au Journal officiel (n° 36336, p. 6004), le secrétaire d'Etat à la Santé avait répondu le 29 novembre 1999 :
" Un groupe d'experts scientifiques du Conseil supérieur d'hygiène publique de France a été saisi l'été dernier et procède actuellement à une évaluation du risque infectieux lié à la pratique du piercing et du tatouage afin d'émettre éventuellement des recommandations pour renforcer la sécurité sanitaire dans ce domaine.
" Les conclusions des experts sont attendues d'ici à la fin de l'année 1999 et permettront d'apprécier la nécessité ou non de réglementer au-delà des dispositions du code de la consommation (art. 221-1 et suivants) qui font obligation à tout professionnel de ne pas porter atteinte à la santé des personnes.
" C'est au vu de ces conclusions que l'opportunité de mener une campagne d'information spécifique en direction des personnes et en particulier des jeunes adeptes de ces pratiques sera examinée. "
A ce jour, aucune nouvelle information, pourtant annoncée, n'a été diffusée par le gouvernement et ses services.
Dans ces conditions, s'agissant d'un véritable problème de santé publique qui ne peut rester plus longtemps sans évaluation ni recommandations, en l'absence d'initiative gouvernementale, il importe que le législateur initie un nécessaire travail d'évaluation et d'expertise.
A cette fin, il est proposé de créer une commission d'enquête sur les conditions de sécurité sanitaire liées aux différentes "pratiques non réglementées de modifications corporelles" (piercing, tatouage, scarification, implants divers de corps étrangers).

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du règlement de l'Assemblée nationale, il est créé une commission d'enquête sur les conditions de sécurité sanitaire liées aux différentes techniques de modifications corporelles (piercing, tatouage, scarification et autres implants de corps étrangers).


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