N° 2767
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 novembre 2000.
PROPOSITION DE LOI
tendant à inscrire dans la loi le principe de la gratuité
des
formules de chèques.
(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée

par MM. Georges SARRE, Jacques DESALLANGRE, Pierre CARASSUS, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Jean-Pierre MICHEL, Gérard SAUMADE et Michel SUCHOD,

Députés.

Banques et établissements financiers.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La généralisation de l'euro à l'horizon 2002 comme moyen de paiement courant encourage banques et établissements financiers à préparer des offres commerciales impliquant la fin du chèque gratuit. La presse a dévoilé dans le courant de cette année des projets d'offres liant notamment la fin de la gratuité traditionnelle des chèques à la perspective de rémunération des comptes courants. Cette situation appelle trois remarques.
1) Le projet des banques de facturer les chèques pénaliserait les Français qui sont de gros utilisateurs de ce moyen de paiement et porterait en premier lieu sur les ménages aux revenus modestes.
Les citoyens français comptent parmi les plus gros utilisateurs du chèque comme moyen de paiement de la vie de tous les jours, ou pour de plus gros achats. Le récent rapport du Conseil national du crédit et du titre (CNCT), même s'il constate en 1998 un certain fléchissement de son utilisation par les Français, relève qu'ils ont émis cette année-là 3,9 milliards de chèques. Ce même rapport cite une étude européenne récente qui indique une moyenne de 82 chèques émis par habitant et par an dans notre pays, contre 50 au Royaume-Uni et 9 seulement en Allemagne.
Par conséquent, il apparaît que l'instauration du chèque payant aura pour effet de ponctionner principalement la trésorerie des ménages aux revenus modestes ou moyens. Ce projet, s'il est assorti de la mise à disposition de chèques gratuits à partir d'un certain montant de dépôt à vue, aura pour effet de segmenter la clientèle des banques de façon encore plus tranchée entre «bons clients» et clients de deuxième classe.
2) Le lien établi par les banques entre rémunération des comptes et chèque payant est contestable.
La deuxième observation concerne la perspective de la rémunération des comptes, que les banques présentent comme la compensation du chèque payant pour le consommateur.
D'une part, il faut remarquer que la pratique actuelle exclut la rémunération des comptes courants. Or, le seul lien qui peut être établi entre facturation des chèques et rémunération des comptes relève de la stratégie commerciale des banques. Celles-ci sont tentées de répercuter via le chèque payant leurs coûts liés à la prévisible généralisation de la rémunération des comptes dans le contexte du passage à l'euro.
Le vrai problème est par conséquent de nature politique : il s'agit d'équilibrer la répartition de ces coûts de façon juste entre clients aux moyens modestes et clients plus aisés. La facturation des chèques n'est donc en aucun cas la seule solution. Rien ne serait pire que d'accepter la rémunération des comptes comme alibi de la facturation des chèques.
D'autre part, la rémunération des dépôts, si elle n'est pas une idée à rejeter en soi, se fera évidemment au détriment des ménages aux moyens limités et à la trésorerie tendue, qui n'auront pas la possibilité de faire rémunérer leurs faibles dépôts. Ces ménages seront donc doublement perdants : ils paieront leurs chèques dont ils sont de gros consommateurs et ne recevront que des sommes dérisoires du fait de la rémunération de leurs comptes.
3) L'harmonisation européenne joue contre le consommateur.
Enfin, la facturation des chèques et la rémunération des comptes sont présentées comme des conséquences inéluctables de l'harmonisation européenne. Il est pourtant primordial de s'interroger sur le caractère soi-disant inévitable de cette harmonisation, quand on s'en rapporte aux effets directs sur le consommateur. La rhétorique des textes européens, qu'il s'agisse de politique de concurrence, ou d'autres formes de « régulation », invoque systématiquement l'intérêt du consommateur. La pratique montre dans ce cas d'espèce qu'il en va tout à fait différemment. Comment ne pas voir que la facturation des chèques pénalise particulièrement le consommateur français, qui utilise davantage le chèque que ses voisins ? Cette harmonisation est en fait un alignement des pratiques commerciales des banques vers le bas, dans le sens le plus défavorable aux ménages aux revenus modestes et moyens de notre pays.
C'est le rôle du législateur que de prendre des initiatives conformément au droit qui lui est reconnu par la Constitution au titre de l'initiative des lois que le Parlement partage avec le pouvoir exécutif. Il apparaît qu'une initiative conforme aux intérêts du consommateur français de services financiers est utile dans le domaine de la gratuité des chèques. La gratuité est étendue au traitement des chèques par les établissements financiers.
Les vertus supposées de l'« harmonisation européenne » cèdent le pas devant l'intérêt général porté par les représentants du peuple. C'est pourquoi je propose d'inscrire dans la loi le principe de la gratuité des chèques pour le titulaire d'un compte courant bancaire ou postal ou du Trésor public, et les modalités de son utilisation.
Conclusion
Il est proposé d'inscrire le principe de la gratuité du chèque dans la loi de 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit modifiée par la loi de 1998 de lutte contre les exclusions. Il s'agit de renforcer le caractère concret et effectif du droit au compte, dans la mesure où l'exclusion commence souvent par la perte des moyens de paiement autres que les espèces. M. le ministre de l'économie et des finances a clairement manifesté le mercredi 4 octobre 2000 devant la représentation nationale son opposition de principe à la facturation des chèques par les établissements bancaires, ce qui rejoint l'objet de la présente proposition. Il reste à traduire ces déclarations en actes.
Pour satisfaire cet objectif, le dispositif de la présente proposition de loi comprend un article unique : inscription dans la loi du principe de la gratuité de la mise à disposition des formules de chèques, dans le cadre d'un compte-chèques bancaire, postal, ou du Trésor public. Il est précisé par le même dispositif que la délivrance des formules de chèques est de droit pour le titulaire du compte. Par ailleurs, il a paru utile de préciser que cette gratuité s'entendait sans restriction du nombre de formules de chèques. Cette gratuité est également garantie pour le traitement des chèques par les établissements financiers.
C'est pourquoi nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à vous associer à la proposition de loi dont les termes suivent.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

Le premier alinéa de l'article 58 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, modifiée par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998, est complété par les phrases suivantes :
« La délivrance par l'établissement de crédit, les services financiers de La Poste ou du Trésor public des formules de chèques au titulaire du compte courant est de droit sauf en cas d'interdiction bancaire. Cette délivrance est gratuite, et sans limitation de quantité. Le traitement des chèques par l'établissement de crédit, les services financiers de La Poste ou du Trésor public est gratuit pour le titulaire du compte. »
2767 - Proposition de loi de M. Georges Sarre tendant à inscrire dans la loi le principe de la gratuité
des formules de chèques (commission des finances)


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