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Texte du projet de loi - n° 3096
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES
ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
AUTORISATIONS BUDGÉTAIRES POUR 2016 –
CRÉDITS ET DÉCOUVERTS
Il est ouvert aux ministres, pour 2016, au titre du budget général, des autorisations d’engagement et des crédits de paiement s’élevant respectivement aux montants de 413 628 902 589 € et de 406 326 970 277 €, conformément à la répartition par mission donnée à l’état B annexé à la présente loi.
ÉTAT B
(Article 24 du projet de loi)
Répartition, par mission et programme, des crédits du budget général
BUDGET GÉNÉRAL
(en euros) |
||||
Mission/Programme |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement | ||
Justice |
8 264 413 347 |
7 973 097 126 | ||
Justice judiciaire |
3 119 730 703 |
3 086 665 869 | ||
dont titre 2 |
2 176 659 244 |
2 176 659 244 | ||
Administration pénitentiaire |
3 599 201 762 |
3 408 613 832 | ||
dont titre 2 |
2 184 828 295 |
2 184 828 295 | ||
Protection judiciaire de la jeunesse |
800 892 031 |
795 620 128 | ||
dont titre 2 |
473 592 693 |
473 592 693 | ||
Accès au droit et à la justice |
366 363 044 |
366 978 794 | ||
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
374 743 444 |
310 773 780 | ||
dont titre 2 |
137 184 096 |
137 184 096 | ||
Conseil supérieur de la magistrature |
3 482 363 |
4 444 723 | ||
dont titre 2 |
2 629 003 |
2 629 003 |
Compte rendu de la commission élargie du mercredi 21 octobre 2015
(Application de l’article 120 du Règlement)
Justice
La réunion de la commission élargie commence à vingt et une heures cinq sous la présidence de M. Pierre-Alain Muet, vice-président de la Commission des finances, et de M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois.
M. Pierre-Alain Muet, président. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, je suis heureux de vous accueillir, avec M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Nous sommes réunis en commission élargie afin de vous entendre sur les crédits du projet de loi de finances pour 2016 consacrés à la mission « Justice ».
Je vous rappelle les règles de nos commissions élargies.
Lors de sa réunion du 7 juillet dernier, la Conférence des présidents a reconduit à l’identique les modalités d’organisation de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances.
Nous donnerons d’abord la parole aux rapporteurs des commissions, qui interviendront pour une durée de cinq minutes. Après la réponse de Mme la ministre, s’exprimeront ensuite, pour deux minutes chacun, les porte-parole des groupes, ainsi que tous les députés qui le souhaitent.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je remercie les rapporteurs pour avis de la Commission des lois, qui ont beaucoup travaillé.
Nous avons souhaité changer les responsabilités par rapport à l’année précédente. Ainsi, Elisabeth Pochon interviendra sur l’accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes, sujet dont on sait qu’il tient à cœur à la garde des sceaux. Guillaume Larrivé, quant à lui, nous éclairera sur l’administration pénitentiaire. Ce sera vrai en tout cas pour ceux qui n’ont pas lu Le Figaro, car ceux qui l’ont lu connaissent déjà la teneur du rapport de notre collègue – il y a là une sorte de jurisprudence si l’on se réfère à ce qui s’est déjà produit l’an dernier. Enfin, Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis pour la justice administrative et judiciaire, et Colette Capdevielle, rapporteure pour avis pour la protection judiciaire de la jeunesse, nous feront part de leurs observations.
Tous les quatre interviendront sur les thématiques qu’ils ont choisies. Depuis quelques années, nous avons souhaité, en effet, que les rapporteurs pour avis ne fassent pas le travail, remarquable, déjà mené par le rapporteur de la Commission des finances, Étienne Blanc. Nous nous intéressons donc à l’usage des sommes dont il va vérifier l’honnêteté, la sincérité et la limpidité, comme il le fait tous les ans, de façon à avoir un regard à la fois sur le contenu et le contenant. C’est un travail complémentaire entre les commissions des finances et des lois.
M. Marc Dolez. Je souhaite faire un rappel au règlement, fondé sur l’article 41, qui définit les modalités d’organisation de nos travaux en commission – et je prie Mme la garde des sceaux de m’excuser car ce débat ne la concerne pas.
Monsieur le président, vous venez d’indiquer que les orateurs des groupes ne disposeraient cette année que de deux minutes de temps de parole et que cette décision résultait de la Conférence des présidents.
J’ai précisément interrogé le président Bartolone lors de la dernière Conférence des présidents, qui m’a indiqué qu’en réalité, la responsabilité de l’organisation des débats était du ressort des présidents de commission, lesquels avaient toute latitude pour organiser ces débats dans les meilleures conditions possible. Ainsi, l’an dernier, les orateurs des groupes ont disposé de cinq minutes.
Nous allons examiner ce soir un budget de 8 milliards d’euros, ce qui fait, si je compte bien, 15 secondes par milliard ! Cela prête à sourire, mais c’est toute la question de l’utilité du Parlement et de ses commissions qui est ainsi posée. La ministre pourra s’exprimer le temps qu’elle voudra, mais les parlementaires sont bâillonnés. Par conséquent, je me demande s’il convient encore de réunir des commissions élargies. Autant nous demander d’envoyer la position de nos groupes respectifs par carte postale ou par tweet !
Sauf si vous reveniez sur votre décision, monsieur le président, je serai amené, ainsi que mon groupe, pour cette commission élargie et pour toutes celles qui vont suivre, à en tirer les conséquences. En accordant deux minutes au lieu de cinq à chacun des six groupes, monsieur le président, vous escomptiez faire une économie de dix-huit minutes. J’ai une bonne nouvelle pour vous : ce soir, vous allez faire une économie de vingt minutes, car, dans de telles conditions, je renonce à mon temps de parole. Les choses intéressantes que j’avais à dire à Mme la garde des sceaux et aux différents membres du Gouvernement, je les dirai mercredi prochain dans l’hémicycle.
M. Pierre-Alain Muet, président. Monsieur le député, je comprends parfaitement votre remarque. Cela étant, nous avions déjà le même dispositif l’an dernier. On peut effectivement penser que le temps de parole de cinq minutes attribué autrefois aux orateurs des groupes était meilleur, mais nous sommes obligés d’appliquer des décisions qui s’imposent à toutes les commissions élargies. Ce sujet méritera d’être évoqué à nouveau pour le prochain budget, dans le cadre de la Conférence des présidents.
M. Marc Dolez. Je me permets de rappeler que le président Bartolone a indiqué que les présidents de commission avaient toute latitude pour organiser au mieux les travaux de leur commission. Je comprends, monsieur le président, que vous vous référiez à ce qui a été décidé par la Commission des finances : il n’en reste pas moins que le problème de fond est posé et que la situation est pour nous tout à fait inacceptable.
M. François Rochebloine. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je fais totalement miens les propos de notre collègue Dolez. Je ne doute pas, monsieur le président, que vous puissiez porter au moins à quatre minutes ce temps de parole. Faute de quoi, mieux vaudrait supprimer les commissions élargies. Nous irions ainsi directement en séance publique où, je le rappelle, nous n’avons déjà plus que cinq minutes par groupe. On réduit sans cesse notre temps de parole. Cela fait bientôt vingt-huit ans que je suis dans cette maison, mais je n’avais encore jamais vu cela !
M. Guy Geoffroy. J’adhère aux propos qui viennent d’être tenus. Monsieur le président, vous dites que vous porterez cette parole là où ce sera tranché. L’an passé, j’avais déjà soulevé le problème et l’on m’avait répondu la même chose. Je souhaite que la parole portée cette année soit plus efficace que l’an passé…
M. Pierre-Alain Muet, président. Compte tenu des interventions qui viennent d’avoir lieu et du temps que représente le passage de deux à cinq minutes, nous pouvons, avec le président Urvoas, considérer que les orateurs des groupes prendront le temps qui leur permettra de s’exprimer, en restant le plus possible dans les normes.
M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour les crédits relatifs à la justice. La réalité de la situation de la justice en France, c’est qu’elle ne peut continuer à fonctionner avec le budget qui lui est dédié. C’est une observation qui relève du rapporteur spécial, mais aussi de la Cour des comptes. Ensemble, nous mettons en évidence, depuis 2012, l’absence de soutenabilité du budget de la justice. La soutenabilité des finances publiques, c’est la capacité d’un État à rester solvable, c’est-à-dire à conserver des marges de manœuvre budgétaires suffisantes pour honorer ses engagements.
Or le manque de moyens est flagrant, pratiquement dans tous les secteurs, et en particulier dans quatre domaines : la masse salariale, les frais de justice et les moyens de fonctionnement, les dépenses d’investissement et les dépenses d’aide juridictionnelle.
C’est peut-être ce qui explique la dégradation des indicateurs : les délais de jugement des procédures civiles augmentent – ceux des procédures pénales ne sont malheureusement pas connus –, la sécurité dans les établissements pénitentiaires diminue, les délais de prise en charge des mineurs délinquants ne sont pas satisfaisants et le taux de mesures en attente d’exécution augmente.
Au regard de ces observations générales, madame la garde des sceaux, je voudrais vous poser quatre questions.
La première porte sur la masse salariale, qui est insuffisamment calibrée.
Le plafond d’emplois n’est pas saturé, et pourtant, la dépense constatée de rémunérations d’activité a toujours consommé pratiquement tous les crédits ouverts. Le coût unitaire de chaque emploi a toujours été supérieur aux prévisions de la loi de finances initiale, en 2013 et 2014. On ne vous reproche pas de ne pas saturer les plafonds d’emplois, mais de ne pas inscrire des crédits de personnel en rapport avec les créations d’emplois affichées. La masse salariale prévue par le projet de loi de finances est manifestement sous-calibrée au regard des emplois annoncés, ce qui ne l’empêche pas de croître sous l’effet mécanique du glissement vieillesse technicité (GVT). Aujourd’hui, que valent les annonces de créations d’emplois au regard de ces constatations ?
Ma deuxième question porte sur le sacrifice des investissements.
Contrairement aux affirmations du Gouvernement, la réalité de la situation des investissements au ministère de la justice, particulièrement des investissements immobiliers, n’est pas qu’ils sont poursuivis, mais qu’ils sont sacrifiés au fonctionnement courant.
Sur les trois années 2012, 2013 et 2014, les montants des dotations de titre 5 – dépenses d’investissement – ouvertes en loi de finances initiale et qui n’ont pas été consommées, ont atteint la somme très importante de 892 millions d’euros pour les autorisations d’engagement et de 358 millions pour les crédits de paiement.
La Cour des comptes le dit clairement : « Les annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates. La Cour estime que le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d’investissement sans compromettre à terme la mise en œuvre de ses missions. »
Comment pouvez-vous expliquer cette situation ? Comment entendez-vous donner les moyens de préserver les investissements du ministère de la justice à hauteur des engagements que vous avez pris ?
Ma troisième question concerne l’aide juridictionnelle, dont je constate qu’elle est financée par des expédients.
Au 1er janvier 2014, vous avez supprimé la contribution pour l’aide juridique, estimant qu’il s’agissait d’une taxe qui allait restreindre les droits des justiciables à saisir une juridiction. Or depuis, vous n’avez cessé d’augmenter les taxes : revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique, augmentation des droits fixes de procédure et de la taxe forfaitaire prévue sur les actes effectués par les huissiers de justice, augmentation du droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel, qui passe de 150 à 225 euros.
Comment pouvez-vous, aujourd’hui, expliquer cette situation ? Ne considérez-vous pas que ces taxes spéciales affectées à l’aide juridictionnelle constituent un obstacle à la possibilité de saisir une juridiction, en tout cas un frein ?
Ma quatrième question porte sur les crédits dédiés aux dépenses de santé des détenus.
Lors d’une précédente législature, j’avais commis un rapport sur ce sujet. Pour avoir visité quelques établissements pénitentiaires, je puis vous dire que c’est un véritable sujet d’inquiétude chez les agents de la pénitentiaire et au niveau de la direction des établissements.
Les crédits proposés ne sont pas à la hauteur des engagements et des attentes. En 2016, vous avez prévu 126,6 millions pour les dépenses de santé des détenus, dont 33,4 millions à la charge des services déconcentrés et 93,2 millions versés à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) pour le paiement des cotisations sociales des détenus.
Cependant, selon la réponse au questionnaire budgétaire, la prévision de dépenses pour 2015 s’établit à 37 millions, pour 31,8 millions d’euros ouverts en loi de finances initiale pour 2015. Il en sera évidemment de même pour 2016.
Comment pourrez-vous remédier à cette nouvelle dégradation budgétaire des dépenses de santé des détenus, à l’heure où les problèmes de psychiatrie, de psychologie et d’addiction méritent une intervention très lourde dans ce domaine au sein des établissements pénitentiaires ?
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire. Je voudrais en quelque sorte être un porte-parole ce soir, après ce que j’ai vu au cours de ces dernières semaines sur le terrain, dans les prisons, s’agissant de la situation des personnels de l’administration pénitentiaire. J’ai rencontré des personnels de grande valeur, très solides, des équipes de direction courageuses et très motivées, mais aussi des agents exprimant un vrai malaise quant aux missions qui leur sont assignées et aux difficultés de leur exercice. Il est important qu’au-delà des chiffres, le Gouvernement entende ce malaise et dirige l’administration pénitentiaire pour mobiliser pleinement les personnels qui y travaillent.
Sur le fond, j’ai souhaité concentrer cet avis budgétaire sur la question de l’adaptation de l’administration pénitentiaire à la menace terroriste, voire, pour reprendre les termes employés par le chef du Gouvernement, à la guerre contre le terrorisme islamiste radical dans laquelle notre pays est engagé.
Dans ce rapport, je fais une vingtaine de propositions aussi opérationnelles que possible. Je souhaite, ce soir, concentrer mon propos sur deux d’entre elles, pour que nous ayons, madame la garde des sceaux, un véritable échange.
Mon premier sujet de préoccupation porte sur le regroupement ou non, et selon quelles modalités, des détenus terroristes identifiés par l’administration pénitentiaire comme étant les plus dangereux.
Le Gouvernement a engagé un programme qui consiste à identifier, puis à répartir ces détenus dans cinq lieux de détention. Le cinquième, celui de Lille-Annœullin, a vocation, à compter de janvier prochain, à accueillir vingt-huit détenus identifiés comme étant les plus dangereux, au terme d’un processus d’évaluation pensé en amont.
Alors que je me suis rendu sur place, j’ai compris que ce qui était engagé était lourd de nouvelles menaces. Je voudrais que vous en preniez, les uns et les autres, pleinement conscience.
Ces vingt-huit détenus seront regroupés dans deux unités de quatorze détenus, unités étanches l’une par rapport à l’autre et par rapport au reste de la prison, ce qui est une bonne chose. Mais au sein de chacune de ces unités, les communications seront possibles, notamment au moment des promenades ou des activités sportives.
La conviction que j’ai acquise au fil des auditions, et notamment lors d’échanges avec des patrons de services de police impliqués dans ce domaine, c’est que vous êtes en train, si vous ne changez pas l’architecture de ce projet, de créer les conditions de la renaissance de cellules de combat dans cette unité de Lille-Annœullin. L’intérêt général commanderait d’envisager une autre solution consistant à isoler du reste du monde pénitentiaire, mais aussi les uns par rapport aux autres, ces détenus identifiés par vous comme étant les plus dangereux.
En ce qui concerne ma seconde proposition, il me semble nécessaire, madame la garde des sceaux, que vous engagiez avec nous une réflexion sur la durée des peines, c’est-à-dire le quantum prononcé, mais aussi les modalités de réduction ou d’aménagement, s’agissant de détenus condamnés pour des actes de terrorisme. La société a le droit de se protéger contre ces individus qui veulent la détruire, ce qui suppose de trouver les moyens juridiques d’une mise à l’écart durable, voire perpétuelle, de certains d’entre eux au sein de l’administration pénitentiaire. Certains magistrats, et notamment le président du tribunal de grande instance de Paris lui-même, ont engagé publiquement une réflexion à ce sujet. L’Assemblée nationale doit, elle aussi, se saisir de cette question. Si nous voulons mieux protéger les Français dans la durée, nous devons, j’en suis convaincu, modifier, ajuster le quantum et les modalités d’aménagement des peines en matière de terrorisme.
Mme Elisabeth Pochon, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes. Je me félicite de cette nouvelle augmentation du budget de la justice, qui traduit la place essentielle accordée à celle-ci par le Président de la République et le Gouvernement. J’ai décidé de consacrer mon avis à la réforme de l’aide juridictionnelle, qui fait l’objet de l’article 15 du projet de loi de finances adopté jeudi dernier. C’est un sujet d’une actualité certaine.
Nous sommes tous attachés à l’aide juridictionnelle (AJ) parce qu’elle est le vecteur d’une politique de solidarité qui permet l’accès des plus démunis au service public de la justice. Aujourd’hui, sa réforme est indispensable, car elle est dans une situation critique, malgré les efforts budgétaires importants réalisés par le Gouvernement depuis trois ans – 318 millions d’euros en 2013, 373 millions d’euros en 2014, 379 millions d’euros en 2015, ressources extrabudgétaires incluses.
Le système d’AJ est confronté à plusieurs difficultés majeures. Beaucoup de justiciables aux revenus modestes en sont exclus, le plafond d’admission pour l’AJ totale étant inférieur au seuil de pauvreté. Les besoins de financement sont croissants, avec l’augmentation du nombre de demandes – même si elles semblent se stabiliser ces dernières années – et l’extension progressive des champs d’intervention de l’avocat – lors de la garde à vue, des auditions libres etc. La rétribution des avocats est insuffisante, avec une unité de valeur qui n’a pas été revalorisée depuis 2007. La réforme proposée n’est pas au rabais : 50 millions d’euros supplémentaires y seront dédiés en année pleine, sur un budget total qui sera cette année de 405 millions d’euros.
Cette réforme fait suite à de nombreux rapports, dont le dernier, celui de notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, a inspiré certaines mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2015.
Enfin, cette réforme a fait l’objet de temps de concertation avec les professions concernées. Elle repose sur plusieurs axes : le relèvement du plafond de ressources de 941 à 1 000 euros ; la revalorisation de l’UV de référence à 24,20 euros hors taxes ; la refonte du barème utilisé pour calculer la rétribution des avocats ; la suppression de la modulation géographique de l’UV ; la compensation intégrale des effets négatifs que pourrait produire cette suppression pour certains barreaux par le biais d’une contractualisation locale, qui permettra de mieux prendre en compte les spécificités locales de chaque barreau ; l’introduction d’une rétribution des avocats et des médiateurs en matière de médiation ; la poursuite de la diversification des sources de financement de l’AJ.
Le relèvement du plafond d’admission, le développement de la contractualisation et l’extension de l’AJ à la médiation sont des avancées indéniables.
Sur d’autres points, après avoir auditionné les principaux acteurs concernés – l’Union nationale des CARPA (UNCA), le Conseil national de l’aide juridique (CNAJ), le Conseil national des barreaux (CNB), le Syndicat des avocats de France (SAF), les rapporteurs des quatre groupes de travail que vous aviez mis en place en décembre –, j’ai cinq interrogations ou suggestions sur lesquelles j’aimerais connaître votre position, madame la garde des sceaux.
Est-il envisageable, si le budget le permet, de relever le plafond de ressources afin de permettre un accès au droit encore plus adapté aux revenus modestes des justiciables ?
Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la refonte du barème de rémunération des avocats et nous dire si vous avez prévu de revoir à la hausse ce barème qui avait chuté ? Pensez-vous pouvoir augmenter à nouveau des missions liées au droit de la famille et au droit social ?
L’UV de référence, qui n’a pas été augmentée depuis 2007, ne pourrait-elle pas être alignée sur la plus haute, c’est-à-dire 25,90 euros, plutôt que sur la moyenne, afin de n’engendrer aucun effet de baisse ?
Afin de développer la mise en œuvre du principe de subsidiarité de l’AJ par rapport à la protection juridique, ne faudrait-il pas une concertation avec les assurances afin que l’information des assurés sur leurs garanties soit renforcée ? Il faudrait, par exemple, qu’une attestation soit délivrée de façon systématique ou qu’il existe un socle de garanties minimales, incluant la prise en charge d’un avocat librement choisi.
S’agissant du prélèvement sur les fonds des Caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), qui est au cœur de l’actualité, je m’interroge sur la légitimité d’un financement pesant uniquement sur la profession d’avocat, alors que le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice créé dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques permet de faire contribuer d’autres professions juridiques. L’alimentation dudit fonds est-elle prévue dans le projet de loi de finances ?
Madame la ministre, je souhaite que vous puissiez reprendre le long chemin sur lequel vous vous êtes engagée pour moderniser la justice en apportant un nouveau souffle à l’aide juridictionnelle.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la justice administrative et judiciaire. Je voudrais tout d’abord souligner à mon tour que le budget de la justice franchit pour la première fois cette année un seuil symbolique, celui des 8 milliards d’euros, avec une augmentation de 1,3 % par rapport à 2015.
Dans le contexte de redressement de nos finances publiques, cette nouvelle hausse démontre la volonté du Gouvernement et de notre majorité de combler le retard de notre pays en matière de budget de la justice. La France reste en effet, chacun le sait, mal classée – trente-septième sur quarante-cinq États – par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) au regard du critère du budget de la justice rapporté à la population du pays – 61,20 euros par habitant et par an – et du PIB par habitant. Il y a encore beaucoup à faire, comme j’ai pu m’en rendre compte lors de mes auditions. C’est pour cela que je salue aujourd’hui, une fois de plus, l’augmentation de notre budget.
J’ai consacré mon avis, cette année, à la répartition territoriale des moyens de la justice. La justice doit être forte et proche des citoyens. L’égal accès de tous à la justice est un impératif démocratique, et ce, sur tout le territoire national.
Cette égalité d’accès et cette proximité ont été mises à mal par la réforme de la carte judiciaire engagée en 2007 par Mme Dati et achevée en janvier 2011. Menée dans la précipitation et sans concertation, elle a abouti à la suppression de 341 juridictions et réduit de près de 30 % le nombre de juridictions en France. Elle a créé de véritables déserts judiciaires, des zones dans lesquelles, sur plus de 100 kilomètres, un territoire est privé de toute implantation judiciaire, comme en Bretagne intérieure ou en Auvergne, et dans bien d’autres endroits.
Cette réforme a également entraîné un effet d’éviction en matière de demande de justice, l’éloignement de la juridiction conduisant certains justiciables à renoncer à saisir le juge pour de petits litiges, qui sont de grands dols pour eux.
Sur le plan financier, la réforme de la carte judiciaire a souvent entraîné des surcoûts immobiliers, avec l’abandon de sites antérieurement mis gracieusement à disposition par les collectivités territoriales au profit de sites loués, dont les loyers sont croissants. C’est en outre une réforme inaboutie, qui n’a pas concerné les cours d’appel, dont les ressorts rappellent pour certains ceux des parlements de l’Ancien Régime… Bref, une réforme qui a mis à mal la justice et la confiance que l’on pouvait avoir en elle.
Les correctifs que vous avez apportés, madame la garde des sceaux, à partir des conclusions de la mission que vous aviez confiée à M. Serge Daël, en réimplantant des TGI dans les villes de Saint-Gaudens, Saumur et Tulle, et en créant des chambres détachées à Dôle, Guingamp, Marmande et Millau, étaient indispensables.
Il faut aller au-delà et poursuivre le rapprochement de la justice des citoyens, dans le cadre de la justice du XXIe siècle.
Le renforcement de la politique d’accès au droit, avec la réforme de la composition et de la gouvernance des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD), prévue par l’article 1er du projet de loi J21, est une excellente mesure. Il faudra qu’elle s’accompagne de moyens suffisants pour que chaque Maison de la justice et du droit (MJD) se voie, notamment, affecter un greffier. Pouvez-vous nous confirmer que telle est bien votre intention ?
La création du Service d’accueil unique du justiciable (SAUJ), prévue par l’article 2 du projet de loi J21, sera aussi une avancée remarquable, qui simplifiera considérablement l’accès des Français à la justice. Cependant, elle ne sera effective que si les systèmes informatiques sur lesquels elle se fonde, Cassiopée en matière pénale et Portalis en matière civile, sont déployés et opérationnels sur tout le territoire. Pourriez-vous nous donner des éléments sur le calendrier de déploiement de Portalis et son articulation avec celui de la mise en place des SAUJ ?
Je regrette que la piste constituée par les audiences foraines, prévues par l’article R. 124-2 du code de l’organisation judiciaire, ne soit pas davantage explorée. Je sais que ces audiences représentent une contrainte importante pour les magistrats et les greffiers, déjà surchargés, mais elles sont très utiles pour maintenir une présence judiciaire dans les villes où une juridiction a été supprimée. Ce n’est plus le justiciable qui se déplace, mais la justice qui vient à lui. Ne pourrait-on envisager de pérenniser et conforter ces audiences foraines, en leur conférant un statut législatif ?
Au-delà de l’implantation territoriale des juridictions, je me suis également penché sur la répartition des effectifs de magistrats et de personnels des greffes, entre les juridictions. Votre administration m’a récemment transmis les chiffres, qui sont évidemment à manier avec précaution, car les données quantitatives ne sont pas toujours suffisantes pour effectuer des comparaisons rigoureuses entre les juridictions. Ces limites étant posées, j’ai cependant relevé des disparités territoriales, sur lesquelles je m’interroge.
Pour ne prendre que quelques exemples, j’ai du mal à comprendre que le ratio, dit « d’efficience », rapportant le nombre d’affaires traitées par juge d’instruction puisse varier de 8 à Mende, à 128 à Soissons, soit un rapport de 1 à 16 ! Ou encore que le nombre d’affaires traitées par un juge des enfants varie de 226 au TGI de Créteil à 3 600 au TGI d’Auch, soit un rapport de 1 à 16. Ou encore que celui des affaires traitées par un juge de l’application des peines soit de 358 à Paris et de 7 767 au TGI de Rodez, soit un rapport de 1 à 21. Il nous faut donc comprendre ces disparités.
Il reste encore beaucoup à faire pour restaurer l’égalité de tous devant le service public de la justice et rapprocher la justice des Français. Je me réjouis, madame la garde des sceaux, que vous ayez décidé, avec l’énergie qui vous caractérise, de vous atteler à cette tâche indispensable dans le cadre du projet de loi pour la justice du XXIe siècle, que notre assemblée examinera dans quelques mois.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » bénéficie d’un accroissement de ses crédits de paiement de 2,3 % et s’élève à près de 796 millions d’euros. Quant au plafond des autorisations d’emplois, il augmente de 196 emplois. Sur les trois dernières années, 293 emplois auront ainsi été créés.
Je tiens à souligner ces chiffres, car la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est un service public qui revient de très loin. En effet, entre 2007 et 2012, ses crédits avaient baissé de 4 % et la PJJ avait perdu, en ce qui concerne son plafond d’autorisations d’emplois, pas moins de 632 emplois, ce qui représentait une diminution de 7 % du plafond. On avait pu craindre, à l’époque, une remise en cause de la pérennité même de cette institution.
Le défi de la protection et de l’éducation des mineurs délinquants n’a pourtant jamais été aussi urgent. Ces jeunes, qui cumulent des ruptures familiales, des addictions, parfois de très graves problèmes psychiatriques, doivent être pris en charge le plus en amont possible. Plus cette prise en charge intervient tôt, plus nous avons de chances de remettre ces jeunes sur des parcours d’insertion, de respect de la loi et des autres, et de respect d’eux-mêmes.
Lorsqu’au contraire, la prise en charge intervient tard, il est beaucoup plus difficile d’aider et d’accompagner ces mineurs à s’en sortir, et les coûts à moyen et long terme, sont très lourds, bien plus élevés pour la société, que ce soit en termes d’atteintes aux biens ou aux personnes, d’incarcération ou d’aides sociales.
Il faut donc se féliciter que le Gouvernement n’ait pas choisi, comme sous la précédente législature, de sacrifier la protection judiciaire de la jeunesse à une application aveugle et à très courte vue, de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP), si abrupte en ce domaine.
Les efforts consentis, malgré les contraintes imposées par le contexte budgétaire, en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse traduisent de manière concrète et ferme la volonté du Gouvernement de redonner du sens au contrat social qui nous unit, et dont tant de mineurs sont exclus ou s’excluent eux-mêmes en commettant des infractions. Ils confirment la priorité que le Président de la République, le Gouvernement et notre majorité ont choisi de donner, dès le début de ce quinquennat, à la justice et à la jeunesse. Je donnerai donc un avis favorable aux crédits de ce programme.
J’en viens à la présentation du thème que j’ai choisi de traiter prioritairement cette année, celui de la prise en charge des mineurs en milieu ouvert.
La majorité des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse fait l’objet non pas d’une mesure d’incarcération ou de placement, mais d’un suivi en milieu ouvert, exécutée à partir du lieu de vie du jeune, sur prescription de l’autorité judiciaire. Le suivi en milieu ouvert représente ainsi 53 % de l’activité de la protection judiciaire de la jeunesse et 56 % de ses éducateurs travaillent dans ce secteur.
La réussite de la prise en charge d’un mineur qui n’est pas encore ancré durablement dans la délinquance dépend notamment de la rapidité, de la cohérence globale du parcours de protection du jeune, de l’adaptation et de la souplesse des moyens mis en œuvre.
Or j’ai pu mesurer, lors des diverses auditions au j’ai menées, comme lors de mon déplacement à l’unité éducative de milieu ouvert de l’Est parisien, à quel point les moyens dont dispose la protection judiciaire de la jeunesse sont encore tendus. En milieu ouvert, un éducateur s’occupe en moyenne de vingt-cinq jeunes ; les psychologues, accaparés par les mesures d’investigation, ont trop peu de temps pour suivre les mineurs qui en ont besoin ; les psychiatres sont en nombre très insuffisant, alors que de nombreux jeunes souffrent de troubles du comportement et de la personnalité ; enfin, les moyens matériels, tels que les véhicules ou les ordinateurs, ne sont pas encore à la hauteur des besoins réels.
Cela m’amène, madame la garde des sceaux, à ma première question : pouvez-vous confirmer l’intention du Gouvernement de poursuivre, l’année prochaine, le redressement du budget et des moyens humains et matériels de la protection judiciaire de la jeunesse, que vous avez entamé depuis trois ans ?
J’ai également visité, en compagnie du président de l’association « Sauvegarde de l’enfance à l’adulte du Pays basque », le centre éducatif fermé (CEF) d’Hendaye. J’ai pu échanger là-bas avec des éducateurs et certains jeunes. Il me semble que certains de ces centres ont montré leurs limites, lorsqu’on songe notamment à leur prix de journée élevé et au grand nombre d’éducateurs qui sont mobilisés pour un nombre restreint de jeunes. Ces éducateurs font un travail rude, souvent mal connu. Nous devons leur rendre hommage, eu égard à la difficulté de leur tâche.
Ne pourrait-on pas, madame la ministre, réorienter vers le milieu ouvert une partie des moyens aujourd’hui dévolus aux centres éducatifs fermés ?
Par ailleurs, des efforts ont été faits pour garantir plus de cohérence dans le parcours des mineurs pris en charge. Dans cet esprit, une note d’orientation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du 30 septembre 2014, saluée par l’ensemble des professionnels, a défini le milieu ouvert comme étant le socle de l’intervention éducative. C’est au milieu ouvert qu’il appartient de coordonner les autres modalités d’intervention lorsque les circonstances exigent qu’elles soient mises en œuvre.
Toutefois, il reste incontestablement des marges de progrès dans ce domaine. Trop souvent, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse méconnaissent les autres dispositifs de protection ou négligent de rencontrer les enseignants et les chefs d’établissement, ou encore ne viennent pas consulter les dossiers d’assistance éducative au greffe du juge des enfants. J’ai également pu constater qu’ils cessaient parfois de suivre les jeunes qui faisaient l’objet d’un placement en centre éducatif fermé.
Au-delà du manque d’effectifs, que comptez-vous mettre en œuvre, madame la ministre, pour que l’on puisse progresser dans le sens d’une plus grande culture partenariale et d’un décloisonnement entre les différents dispositifs ? Quel jugement portez-vous sur l’idée de confier un mandat global aux services de la protection judiciaire de la jeunesse ? Sans aller jusqu’au mandat global, comment pourrait-on accroître le rôle de pilotage des services de milieu ouvert de la protection judiciaire de la jeunesse ?
Comme je l’ai indiqué, le facteur temps est fondamental pour la réussite du suivi d’un mineur. Le délai total de prise en charge par un service éducatif était de trente et un jours en 2014. Il est parfois, pour certaines mesures et dans certains endroits, beaucoup plus long. On observe alors des phénomènes de files d’attente.
Quelles mesures pourrait-on prendre, madame la garde des sceaux, pour faire diminuer le délai moyen de prise en charge en milieu ouvert, notamment pour la mise en œuvre des libertés surveillées préjudicielles, des réparations, des sanctions éducatives et des stages ?
J’en viens à un phénomène que l’on commence à observer chez certains jeunes pris en charge, celui d’une forme de radicalisation. Cette problématique n’est pas ignorée du Gouvernement puisque le plan de lutte contre le terrorisme annoncé le 21 janvier 2015 comporte un volet relatif à la PJJ. Il prévoit notamment la création de 169 emplois : dix coordonnateurs, cinquante-neuf référents laïcité et citoyenneté affectés en direction territoriale, quatre-vingt-deux psychologues et dix-huit éducateurs.
S’agissant de la soixantaine de référents laïcité et citoyenneté, je m’interroge sur la pertinence de leur affectation en direction territoriale. De mon point de vue, l’urgence porte sur la prise en charge directe sur le terrain des jeunes en voie de radicalisation. Madame la ministre, quelles actions pourraient être envisagées ?
Je conclurai mon propos en vous demandant dans quelle mesure le présent budget de la protection judiciaire de la jeunesse préfigure une prochaine réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, réforme très attendue et à laquelle je vous sais très attachée.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs les rapporteurs, vos propos éclairent le budget pour 2016 de la mission « Justice » qui laisse apparaître, en filigrane, des dispositions qui s’appliqueront sur le triennal. La diversité et la profusion de vos questions expliquent peut-être qu’un temps de parole illimité soit accordé au Gouvernement pour y répondre, cher Marc Dolez…
M. Marc Dolez. Je ne conteste pas ce point !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je ne fais cette remarque qu’afin de vous demander de me pardonner d’avance si je ne réponds pas sur tous les points abordés.
Le budget de la justice pour 2016 est en augmentation. Malgré les contraintes qui s’exercent sur les finances publiques, il franchit la barre symbolique des 8 milliards d’euros. Il s’agit donc toujours d’un budget prioritaire comme cela est réaffirmé par le Président de la République et par le Premier ministre.
Depuis le début de la législature, le ministère de la justice crée en moyenne cinq cents emplois par an. En 2014, l’administration pénitentiaire a même bénéficié de 534 emplois supplémentaires et, depuis le début de l’année 2015, de nouvelles capacités de créations ont été prévues dans le cadre du plan antiterroriste – nous disposons ainsi de 950 emplois supplémentaires. Nous créons cette année 1 024 emplois, et nous en créerons 2 947 sur le triennal alors que nous en avions prévu 1 834.
Ce budget trouve sa cohérence autour de l’efficacité des politiques publiques que nous mettons en place.
Une réforme de la justice civile est en cours. C’est le premier axe fort de ce budget. Mme la rapporteure pour avis pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire a évoqué le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle. Avec le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société, il vous sera soumis après que le Sénat l’aura examiné au début du mois de novembre prochain. Cette réforme de la justice civile a été pensée dans un cadre global, comme un écosystème : une série de dispositions réglementaires et opérationnelles rendent efficaces les mesures législatives. La réforme doit permettre de rapprocher cette justice des citoyens – je rappelle que la justice civile représente 70 % de l’activité de l’institution judiciaire. Le service d’accueil unique du justiciable permettra à tout justiciable d’accéder à la justice à partir de n’importe quel site judiciaire proche de son domicile. Nous avons souhaité corriger les principaux défauts de la carte judiciaire en réimplantant des tribunaux de grande instance (TGI), en créant des chambres détachées, et en ouvrant des maisons de la justice et du droit où nous affectons des greffiers. Plus d’une vingtaine y ont déjà été affectés, et vingt et un postes y seront encore créés. Une nouvelle organisation du travail a également été expérimentée grâce notamment au rôle joué par le greffier assistant de magistrat ; elle sera généralisée.
Les décisions prises dans cet écosystème ont des traductions budgétaires. La plus grande accessibilité de la justice passe par exemple par sa modernisation : les nouvelles technologies doivent permettre la dématérialisation. Madame la rapporteure pour avis, vous m’interrogiez sur le calendrier de déploiement du système informatique Portalis. Il sera développé sur cinq ans, et sa première version sera disponible dès la fin de cette année. Nous avons aussi expérimenté l’équipement du ministère public en téléphones portables, en tablettes et en ordinateurs portables, instruments fort utiles pour satisfaire les obligations de permanence et de mobilité des magistrats. Cette évolution a des conséquences budgétaires d’autant plus lourdes qu’il faut s’assurer du niveau de sécurité très élevé de ces outils. Nous mettons également en place des standards téléphoniques « autocom » qui permettent d’optimiser le traitement des appels téléphoniques et de gérer en temps réel la relation entre enquêteurs et magistrats.
La deuxième grande orientation de ce budget concerne l’aide juridictionnelle dont il faut évoquer les crédits mais aussi la nécessaire réforme. Le budget de l’aide juridictionnelle n’a cessé d’augmenter passant de 275 millions d’euros en 2010, à 405 millions. Ce budget comprend la compensation de la suppression de la contribution pour l’aide juridique (CPAJ), taxe anciennement perçue sous la forme d’un droit de timbre de 35 euros, à hauteur de 60 millions d’euros par an. Monsieur le rapporteur spécial, cette taxe constituait bien une entrave pour l’accès à la justice : nous avons constaté, dans certains ressorts, que sa mise en place, en 2011, avait provoqué un recul de 10 % du recours à la justice. Vous vous demandiez si les taxes que nous avons créées n’étaient pas, elles aussi, de nature à entraver le recours au juge. Ce n’est pas le cas : la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique ne conditionne pas directement l’accès à la justice. À terme, nous devrons d’ailleurs être capables de mobiliser ces contrats. Vous évoquez aussi le droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel ; il est effectivement passé de 150 à 225 euros l’année dernière. Cette taxe a été créée lors de la précédente législature afin d’abonder le fonds d’indemnisation de la profession d’avoué (FIDA), profession qui a été supprimée. Elle contribue également à l’aide juridictionnelle. Son augmentation était nécessaire car son rapport avait probablement été surestimé : nous avons besoin tous les ans d’environ 20 millions d’euros pour combler l’insuffisance de ses recettes. Cette augmentation aura cependant une durée limitée puisque l’indemnisation en cours sera achevée en 2023. Ces évolutions permettent de diversifier les ressources de l’aide juridictionnelle. Au-delà de l’augmentation des crédits, cette diversification constitue un impératif de la réforme à entreprendre.
La lutte contre le terrorisme constitue la troisième grande orientation de ce budget. Dès novembre 2012, j’ai signé une circulaire concernant les détenus particulièrement surveillés. Elle a été actualisée en novembre 2013 grâce à de nouvelles informations. Nous avons en effet renforcé le renseignement pénitentiaire qui ne comptait que soixante-dix agents lorsque nous sommes arrivés aux affaires. Il compte aujourd’hui 159 personnels, pour la plupart des officiers qualifiés, et, demain, ils seront 185.
Monsieur Guillaume Larrivé, les personnes très radicalisées ne sont pas détenues dans l’aile dédiée de Fresnes, et nous n’avons pas opéré un rassemblement de celles qui se situent à un niveau intermédiaire de radicalisation. Concernant ces dernières, nous avons plutôt expérimenté une « double séparation » qui correspond à ce que vous souhaitez – dans l’univers pénitentiaire, l’isolement a un autre sens. Les personnes très radicalisées sont en revanche à l’isolement, et elles font l’objet de contrôles fréquents et de transferts. Pour leur part, les condamnés ou les prévenus pour des faits liés à des actes de terrorisme, c'est-à-dire ceux qui se situent à un niveau intermédiaire de radicalisation, sont doublement séparés. Ils sont séparés du reste la population carcérale dans une aile dédiée – ce qui a permis de faire immédiatement baisser la tension dans l’établissement pénitentiaire –, et séparés entre eux. Les personnels concernés suivent des programmes de formation spécifiques. Cette expérimentation est particulièrement suivie : nous envisageons de la dupliquer pour les jeunes, le milieu ouvert, les courtes peines et les longues peines.
L’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) a remporté l’appel d’offres que nous avions lancé en juin 2014 pour intervenir dans deux établissements. Le renseignement pénitentiaire nous a permis de constater que les personnes radicalisées développent désormais des stratégies de dissimulation alors que les signes ostentatoires de radicalisation permettaient jusqu’à ce jour de les identifier. Les méthodes évoluent également : nous sommes passés de manifestations bruyantes s’adressant aux foules à des interventions discrètes auprès de petits groupes de deux ou trois détenus. Nous devons aussi veiller à repérer les personnes exposées à cet endoctrinement. L’AFVT effectue pour nous un travail de détection des « signaux faibles ». Nous procédons à la modernisation du guide méthodologique conçu à l’échelle européenne en 2008 et enrichi en 2010. Il ne recensait que trois critères afin d’identifier la radicalisation : la vie quotidienne et le comportement social, la pratique religieuse, et le rapport à l’autorité. La recherche de détection des signaux faibles montre que ces critères ne sont plus pertinents. Nous produisons actuellement des indicateurs et des matériaux de connaissance et de prise en charge qui seront aussi utiles à tous nos partenaires européens. Nous avons aussi lancé un programme de « désendoctrinement » qui concerne aujourd’hui trente détenus. Il fait intervenir des repentis et il est conduit par l’AFVT. Nous l’évaluons en même temps qu’il se met en place.
Nous envisageons de dupliquer dans trois autres établissements la double séparation dans une aile dédiée qui est expérimentée à Fresnes.
Nous travaillons aussi à la prévention de la radicalisation pour assécher le terreau dans lequel le phénomène se nourrit : nous imposons une formation dans tous les quartiers arrivant, nous avons mis au point avec l’éducation nationale un programme spécifique destiné aux mineurs incarcérés, et nous formons surtout les personnels de surveillance, de probation et d’insertion, ainsi que les aumôniers. Nous avons recruté trente aumôniers en 2013, le même nombre en 2014, soixante cette année, et nous en recruterons encore trente l’année prochaine. Le budget consacré à l’aumônerie musulmane a doublé, et nous finalisons actuellement le décret relatif à la formation universitaire des aumôniers. Un accord avec l’Algérie prévoit que tous les imams algériens arrivant en France doivent suivre une formation universitaire laïque. Nous discutons afin de signer un accord équivalent avec la Turquie et Maroc.
Le plan de lutte antiterroriste se traduit par 300 millions d’euros supplémentaires sur trois ans, dont 102 millions dès cette année, et par 950 emplois supplémentaires pour le renseignement pénitentiaire, pour la surveillance ou encore pour des métiers nouveaux. Dans le domaine du renseignement pénitentiaire, nous créons une cellule pluridisciplinaire afin de mieux connaître le phénomène de radicalisation ainsi qu’une cellule de veille permanente sur les réseaux sociaux. Des informaticiens-analystes et des interprètes-traducteurs ont été recrutés. Nous installons aussi dans les établissements des brouilleurs de haute technologie et des détecteurs de téléphones portables.
Mme la rapporteure pour les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse a dit l’essentiel sur le sujet. La mise en place d’une mission nationale de veille et d’information nous a permis de détecter deux cents jeunes en cours de radicalisation ou qui y sont exposés en raison de leur entourage.
Dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, nous avons structuré nos rapports avec l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) au sein de laquelle siège un directeur des services pénitentiaires. J’ai signé avec M. le ministre de l’intérieur des circulaires conjointes organisant nos services déconcentrés afin d’harmoniser leur travail. Un protocole a été signé avec l’UCLAT.
La mise en œuvre de la réforme pénale constitue le quatrième grand axe de ce budget. Cette réforme permet d’accroître et de mieux garantir les droits des victimes. Elle s’accompagne des moyens et des ressources humaines nécessaires à l’application de dispositifs comme la contrainte pénale ou la libération sous contrainte. Cela nous amène à créer un millier d’emplois au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), ce qui induit une augmentation de 25 % des personnels de ce corps – 700 postes sont déjà créés, et 510 agents sont en place. Le budget de ce service augmente de 9 % cette année ; il aura augmenté de 21 % depuis 2013. Nous avons créé vingt-sept postes de juge de l’application des peines, et nous avons mis en place une étude qui a permis d’élaborer des outils de prise en charge dont disposent les agents d’insertion et de probation.
Monsieur Étienne Blanc, les délais de prise en charge des mineurs sont trop longs ; c’est insupportable. Ils sont actuellement de vingt mois en moyenne, ce qui est interminable pour les victimes. Nous travaillons à une réforme de l’ordonnance de 1945 qui permettrait d’appliquer, à environ 30 % des affaires, le principe de la césure afin qu’une première audience tenue assez rapidement – dix jours à trois mois de délai – permette à la victime de faire valoir son préjudice. Dans un délai maximal de six mois, le juge prononcera ensuite des mesures éducatives ou coercitives qu’il pourra ajuster. L’attente ne sera donc plus que de neuf mois au maximum alors qu’elle est aujourd’hui de vingt mois en moyenne. Il est en tout cas nécessaire de mettre de la cohérence dans la prise en charge des mineurs : les trente-sept réformes déjà adoptées ont introduit des modifications dans les procédures et dans la nature des sanctions qui ne sont pas toutes connues par les juges.
Madame Le Dain, vous souhaitez conférer un statut législatif aux audiences foraines. Je crois que nous avons besoin d’un peu de souplesse. Nous n’avons pas prévu de figer leur organisation dans la loi, mais elles sont inscrites dans le code de l’organisation judiciaire.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
M. Sébastien Pietrasanta. Madame la ministre, cette année, vous nous présentez à nouveau un budget en hausse. Cette augmentation de 1,3 % de vos crédits leur permet de dépasser le seuil des 8 milliards d’euros, chiffre qui à lui seul symbolise la promesse tenue par le Gouvernement de considérer les missions de la justice comme prioritaires.
En 2012, vous avez reçu en héritage des services obsolètes et un budget sinistré ; depuis, et nous devons vous en remercier, vous consacrez toute votre énergie et votre pugnacité à accomplir votre mission.
Madame la garde des sceaux, les procès en sorcellerie qui vous sont faits sont injustes et intellectuellement médiocres.
Sur la question du terrorisme et de la radicalisation, vous prenez toute votre part dans l’effort gouvernemental. L’administration pénitentiaire bénéficie de moyens supplémentaires. Qui peut voir du laxisme là ou vous augmentez considérablement les moyens de la justice dans la lutte contre le terrorisme ? De même, contrairement à ce qu’affirment certains à droite, vous ouvrez plus de places de prison que vous n’en fermez, en général pour vétusté. Deux plans triennaux financés permettent de créer près de 10 000 places supplémentaires, le total passant de 57 300 à 67 000 places. Où donc est le laxisme ?
On vous doit également une rénovation immobilière de qualité sans précédent, qui a su éviter autant que possible les constructions en partenariat public-privé (PPP) si onéreuses. Rien que pour l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, vous consacrez plus de 53 millions d’euros à la construction et à la livraison de palais de justice. J’observe que la plupart de ces constructions se situent dans des villes moyennes. C’est une manière de rétablir un maillage territorial mis à mal par le fameux « plan Dati ».
L’accès au droit et à la justice finance la possibilité pour toute personne de connaître ses droits et de les faire valoir. Ces deux libertés fondamentales complémentaires sont particulièrement sensibles aujourd’hui. L’aide juridictionnelle absorbe l’essentiel des crédits de cette mission comme l’a souligné Mme Élisabeth Pochon. Permettez-moi simplement de dire mon étonnement sur ce sujet. L’État reste le premier contributeur de la politique de solidarité nationale qu’est l’aide juridictionnelle. Pour autant la participation très minoritaire des professions est attendue. Ce sujet mérite un dialogue urgent.
Dans une période difficile, chacun doit raison garder. Soyons précis et factuels ! J’invite mes collègues à refuser cette démagogie, cette logique de bouc émissaire. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen y sera particulièrement vigilant. Il approuve avec raison le budget de la mission « Justice » tel qu’il nous est proposé
M. Guy Geoffroy. M. Pietrasanta vient de nous inviter à raison garder ; cela vaut également pour ceux qui évoquent une augmentation de ce budget. Restons modestes ! Hors pensions, l’augmentation en question n’est que de 0,2 % et, l’an prochain, d’après les prévisions, le budget, sera en diminution. Il n’y a tout de même pas de quoi être euphorique.
Je me contenterai ce soir d’évoquer la contrainte pénale, dispositif applicable depuis le 1er octobre 2014. Jusqu’en 2017, cette peine concerne seulement les auteurs d’infractions et de délits passibles de moins de cinq ans de prison. Au-delà de cette date, elle s’appliquera à tous les délits.
Avec quelque malice et gourmandise, permettez-moi de rappeler que l’étude d’impact annexé au projet de loi créant le dispositif, étude produite par votre ministère, madame la garde des sceaux, tablait sur 8 000 à 20 000 contraintes pénales prononcées par an. Force est de constater que nous en sommes très loin : un an après l’entrée en vigueur du dispositif, 950 mesures de contraintes pénales ont été prises. Je note que 37 tribunaux, parmi lesquels ceux de Perpignan ou Lyon, qui ne sont pas des petites villes, n’en ont prononcé aucune. Quant au TGI de Paris, il en a prononcé six en tout et pour tout. La contrainte pénale peine à s’imposer. Quelle est votre sentiment à ce sujet, madame la ministre ?
Avant cette réunion, j’ai relu le compte rendu de nos débats dans l’hémicycle sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines qui a créé la contrainte pénale et qui a supprimé les peines planchers. Au sujet de ces dernières, vous disiez à l’époque que si les juges ne les appliquaient pas, c’est qu’il s’agissait de mauvaises dispositions. Tenez-vous le même raisonnement s’agissant de la contrainte pénale ? (Sourires.)
Vous ne pouvez pas prétendre que nous ne vous avions pas prévenue. Les juges vous disent qu’ils ont du mal à identifier les mesures de contraintes à prescrire. Tout est à inventer : les obligations, le suivi personnalisé… Quant aux conseillers d’insertion, ils sont censés faire du « sur-mesure », mais ils n’y arrivent pas. Les juges qui le savent parfaitement se désintéressent de ce dispositif qui, selon vous, devait révolutionner le champ pénal en matière délictuel.
La personnalisation des mesures ou l’évaluation, tout cela prend du temps, et la charge de travail est énorme. Je crois que nous n’avons pas les moyens d’un tel suivi. Les magistrats craignent d’ailleurs que ce dispositif ne soit pas à la hauteur, et ils préfèrent ne pas prononcer de contrainte pénale. Que comptez-vous faire pour que la contrainte pénale, ce joyau que vous avez offert à la République, soit à la hauteur des ambitions que vous aviez pour elle ?
M. François Rochebloine. Avec 6,4 milliards d’euros de crédits demandés, vous nous présentez un budget, certes stable, mais loin de nous satisfaire, sachant qu’il faut poursuivre la mise en œuvre de la loi du 15 août 2014, dite réforme pénale. Je ne m’attarderai pas, par manque de temps, sur la gestion du dossier de l’aide juridictionnelle. En revanche, je m’interroge : pensez-vous que l’effort indéniable de la création de deux cents emplois supplémentaires pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation soit suffisant ?
Alors que l’exécution des peines doit demeurer une priorité, nous nous posons des questions sur les moyens accordés à l’administration pénitentiaire, alors que l’on ouvre 2 298 places sur la période 2015-2017, dont 216 en 2016
À titre d’exemple, je peux citer la maison d’arrêt de Saint-Étienne, pour laquelle on relève actuellement quatorze vacances de postes, soit un peu plus de 12 % de l’effectif théorique total de l’organigramme de référence. Des renforts en personnels de surveillance sont-ils prévus ? Les sorties de promotions d’école en novembre 2015 et début 2016 le permettront. Cette situation s’explique principalement par des mutations en direction d’établissements neufs. Nul n’ignore le contexte budgétaire mais, madame la ministre, il est indispensable de ne pas laisser dériver une situation aussi préoccupante qui renforce la démobilisation des personnels déjà confrontés à la surpopulation carcérale chronique, à l’accroissement des violences, et à des contraintes découlant du plan Vigipirate. Le recours aux heures supplémentaires s’accroît aussi dans des organigrammes structurellement sous-dotés depuis plus de dix ans, qui en sont restés aux trente-neuf heures.
Un mot sur la réhabilitation des établissements. J’observe avec satisfaction que la programmation triennale a prévu plusieurs opérations indispensables tant nos maisons d’arrêts et nos centres pénitentiaires sont vétustes et dégradés. Vous me permettrez de revenir une nouvelle fois sur la maison d’arrêt de Saint-Étienne. Ouverte en 1968, elle doit être reconstruite. Je me réjouis de cette bonne décision, madame la ministre, et je ne peux faire moins que vous en remercier. Serait-il possible de connaître le calendrier détaillé de cette opération. Peut-on espérer qu’elle soit réalisée à horizon 2019-2020 ? Pourriez-vous également nous préciser si le lieu d’implantation est définitivement arrêté parmi ceux déjà proposés localement ?
Enfin, je tiens à vous rappeler mes démarches insistantes en faveur de l’association d’enseignement à distance Auxilia. Faute de moyens suffisants, ses dirigeants vont devoir procéder très prochainement à des licenciements, comme je vous l’ai indiqué par courrier. Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que cette association répond à un réel besoin. Il y a urgence. L’an dernier, je vous ai déjà posé une question à ce sujet, et vous deviez recevoir les représentants de l’association. J’ai saisi le conseil régional pour qu’il puisse apporter un éventuel concours à cette association.
M. Sergio Coronado. Il faut toujours se réjouir des bonnes nouvelles, surtout en période de disette budgétaire. À l’instar de mes collègues, je ferai donc preuve d’un très grand optimisme, un optimisme en grande partie justifié. Depuis 2012, la majorité a accompagné de manière presqu’unanime les efforts consentis par le Gouvernement en faveur du budget de la justice. Il a augmenté les moyens du ministère de la justice et engagé des réformes structurelles comme la réforme pénale et le projet de réforme de la justice du XXIe siècle.
Pour 2016, avec 8,04 milliards d'euros, la hausse du budget de la justice sera d'1,3 % par rapport à 2015. Il s’agit plus que d’un budget sanctuarisé : nous atteignons 80 280 emplois, près de 3 000 créations jusqu'en 2017, dont 1 024 en 2016. Il faut se réjouir aussi de l’apport de fonds destinés à la lutte contre le terrorisme. Plus de la moitié du budget est absorbée par l'administration pénitentiaire. En douze ans, son poids n’a fait que s’accroître : sa part dans le budget du ministère de la justice est passée de 29 % à 44 %. Pourtant, on ne peut pas dire que tout aille bien : vétusté des locaux, situations en marge de la loi faute de crédits – rappelons la présence illégale de murets dans les parloirs à Fresnes, à propos desquels j’avais saisi la garde des sceaux et le président de la commission des lois –, report contestable de l’encellulement individuel, taux d’occupation des maisons d’arrêt atteignant 135 %. À cet égard, madame la ministre, il serait intéressant que vous nous indiquiez le nombre de cellules et leur ventilation en fonction de leurs tailles et du nombre de places.
Vous avez décidé de mettre un accent particulier sur l'aide juridictionnelle. Il est vrai que réformer le système pour qu'il puisse continuer à jouer son rôle est devenu une nécessité.
L'accès à la justice des plus démunis demeure fondamental et je sais combien vous êtes sensible à cette question. En 2014, après deux ans de gel, les plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle ont été revalorisés de 0,8 %. Depuis le 1er janvier dernier, les personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 937 euros peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle totale. Toutefois, ce plafond ne permet toujours pas à une partie de la population d'être correctement défendue, malgré l'existence de l'aide juridictionnelle partielle.
Votre réforme de l'aide juridictionnelle permettra à près de 100 000 justiciables supplémentaires de bénéficier de l'aide juridictionnelle, grâce à la hausse du plafond de ressources établi désormais à 1 000 euros pour être couverts à 100 %. C'est louable mais il reste à trouver le mode de financement nécessaire à la réforme, question qui suscite, comme nous avons pu le constater ces derniers jours, de fortes oppositions dans l'avocature.
À la suite de la rencontre que vous avez organisée aujourd'hui, nous avons appris par voie de presse que le prélèvement sur les intérêts de fonds placés dans des caisses gérées par les avocats serait abandonné. Il est même question qu’un amendement supprimant ce dispositif soit déposé au Sénat. Qu'en est-il réellement ? Où trouvera-t-on les 15 millions qui devaient être prélevés sur les CARPA ?
Il pouvait apparaître discutable de faire peser le poids du financement de l'aide juridictionnelle sur les épaules des avocats, déjà peu nombreux à s’y consacrer, 7 % d'entre eux réalisant 57 % des missions qui lui sont liées. Les barèmes fixés ne permettent nullement de prendre en considération le temps passé sur une affaire. Une intervention d'avocat en correctionnel est indemnisée 180 euros, quelle que soit la complexité du dossier. Il faut être très motivé, voire militant pour accepter de fournir cette aide.
De plus, comme l'a relevé la mission de modernisation de l'action publique (MAP) dans son rapport de novembre 2013 sur l'évaluation de la gestion de l'aide juridictionnelle, plus de la moitié des dossiers de demande d'aide juridictionnelle déposés par les justiciables sont incomplets. Selon le syndicat des greffiers de France, cette proportion atteint 80 % au bureau d'aide juridictionnelle de Versailles. Les informations complémentaires que vous voudrez bien nous fournir à ce sujet, madame la ministre, nous serons d’une très grande utilité.
Enfin, un rapport d'inspection a révélé que près de 50 000 personnes travaillaient au noir pour l’État, dont 40 500 pour le ministère de la justice : interprètes, experts judiciaires, médiateurs, médecins experts, qui travaillent exclusivement sur réquisition des autorités de police ou des autorités judiciaires. Considérées comme des prestataires, elles n'ont ni bulletin de salaire ni protection sociale et ne sont pas assujetties à la TVA. La Chancellerie a annoncé que la situation, qui dure depuis plus de quinze ans, sera régularisée lors de l'examen du PLF 2017. Savez-vous quelles seront les mesures prévues et les coûts qui en découleront pour l'État ?
M. Marc Dolez. Ma première question porte sur l’aide juridictionnelle. On ne peut qu’accueillir avec satisfaction, madame la ministre, votre décision de renoncer à une participation financière des avocats car l’État ne doit pas se défausser sur les principaux acteurs de l’aide juridictionnelle. Pour autant, le problème de fond n’est pas réglé dans la mesure où les modalités de rétribution restent à préciser. Elles feront l’objet d’un décret en Conseil d’État. Une note de la Chancellerie publiée en septembre laisse craindre une révision à la baisse de la rétribution de certaines missions : ce serait le cas pour la garde à vue, les procédures de divorce et certaines procédures prud’homales. Selon le barème annexé à la note, le montant de la rétribution d’un avocat assistant un gardé à vue pendant les premières vingt-quatre heures serait réduit de 300 euros à 180 euros et un référé serait payé 145 euros au lieu de 345 euros actuellement. Pourriez-vous nous donner des précisions sur les nouveaux barèmes en cours d’élaboration et vous engager à ce qu’il n’y ait aucune diminution de rétribution ? Cet enjeu est essentiel car, si pour certaines missions, l’avocat devait travailler à perte, il est clair que l’augmentation du seuil d’admission à l’aide juridictionnelle – mesure que nous ne pouvons qu’approuver – ne serait que théorique.
Ma deuxième question concerne le décret d’application des réformes de la justice prud’homale induites par la loi Macron. Le Conseil supérieur de la prud’homie s’est réuni la semaine dernière et a formulé plusieurs remarques sur le projet de décret. Pensez-vous les prendre en compte pour apporter des modifications éventuelles ? En particulier, allez-vous restreindre les contraintes concernant la saisine du Conseil des prud’hommes par requête, ce qui pourrait signifier la fin de la saisine simplifiée avec les conséquences que cela implique pour l’accès à la justice des publics les plus fragilisés ? Pouvez-vous, en outre, confirmer que ces nouvelles formalités de saisine n’auront plus à être accomplies sous peine de nullité ? Concernant la procédure d’appel, pouvez-vous préciser les obligations qui pèseront sur les défenseurs syndicaux ? Seront-ils soumis au même formalisme que les avocats ?
Ma troisième question sera consacrée la réforme de l’ordonnance de 1945. Comme l’an passé, vous vous engagez à la présenter devant Parlement en 2016, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Pouvez-vous nous préciser selon quel calendrier ? La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs figurera-t-elle bien dans la réforme ? Je dois dire que les déclarations du Premier ministre la semaine dernière m’ont laissé perplexe à ce sujet.
Le travail au noir au ministère de la justice a été évoqué par Sergio Coronado. Je fais miennes les questions qu’il a posées.
Pour finir, je souhaiterais vous interroger, madame la ministre, sur les agents non titulaires de la protection judiciaire de la jeunesse. Beaucoup d’entre eux sont encore dans une situation de précarité : on évalue à 1 300 équivalents temps pleins travaillés le nombre de personnes dans cette situation, soit 16 % des personnels en activité. Au regard de la mission spécifique de ces agents, il me paraît impératif de trouver des solutions. Que pensez-vous notamment de la proposition de requalifier les contrats ?
J’aurais encore des questions, mais je ne voudrais pas abuser de la générosité des présidents qui ont bien voulu accorder cinq minutes de temps de parole aux orateurs de chaque groupe.
M. Philippe Goujon. Madame la garde des sceaux, sous l’effet de votre politique, le nombre de détenus dans les prisons ne cesse de diminuer : entre avril 2014 et avril 2015, il y a ainsi eu 2 000 détenus de moins. La baisse concerne aussi les condamnés à des peines en milieu ouvert et les aménagements de peine – 5,2 % de moins en un an. À l’inverse, les chiffres de la délinquance sont en hausse, en dehors des vols avec violence. Quelle analyse portez-vous sur ces chiffres ?
Pour ce qui concerne les mineurs délinquants, nous souhaitons, contrairement à Mme la rapporteure pour avis, une multiplication des centres éducatifs fermés, dans le droit fil des engagements de campagne du Président de la République. Où en est le projet d’implantation de centres éducatifs fermés en Île-de-France dont la presse s’était fait l’écho ? Que pensez-vous de la recommandation des professionnels qui souhaitent porter à douze mois minimum au lieu de six mois renouvelables la durée de placement dans de tels établissements ?
Par ailleurs, j’aimerais savoir si vous allez procéder à l’abrogation de la rétention de sûreté.
S’agissant du transférement de détenus, il importe de rappeler que l’administration pénitentiaire ne dispose pas de suffisamment d’agents habilités pour assurer cette mission, d’autant que, depuis février 2015, ils doivent convoyer les détenus à l’extérieur de leur ressort territorial. Au surmenage des personnels s’ajoute un allongement des délais de transfert de détenus qui fait peser un risque d’annulation des procédures, comme l’a souligné la Conférence nationale des procureurs généraux. Quelles mesures comptez-vous prendre pour lutter contre cette pénurie de personnel ?
En ce qui concerne les permissions de sortir, quelles propositions envisagez-vous pour améliorer le dispositif qui a connu de nombreuses défaillances ces derniers temps ?
M. Pascal Popelin. Madame la ministre, vous me permettrez de m'éloigner quelque peu du cœur des crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2016 pour évoquer une question qui pourrait avoir des conséquences intéressantes sur les crédits ultérieurs de la mission « Sécurités » dont je suis le rapporteur pour avis au titre de la commission des lois.
L'empilement des textes de procédure pénale, conjugué à la montée en puissance du droit européen, a complexifié la tâche de ceux qui sont chargés d'appliquer chaque jour le code de procédure pénale, au premier rang desquels les forces de police et de gendarmerie. Ces lourdeurs sont pointées de longue date et je sais que vous travaillez à des pistes de réflexion depuis plusieurs mois sur ces questions, en lien avec M. le ministre de l'intérieur.
La semaine dernière, le Premier ministre a fait en votre présence des annonces importantes en matière de simplification de ces procédures, par voie législative et réglementaire. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce qui est envisagé par le Gouvernement afin de simplifier la gestion de la garde à vue par les officiers de police judiciaire ainsi que le formalisme procédural – je pense à la question des réquisitions –, de faciliter l'accès à certaines données utiles à l'enquête, de fluidifier les relations entre les parquets et les services enquêteurs, d’alléger la tâche des enquêteurs – je pense aux procédures de notification ? Pouvez-vous également nous éclairer sur le calendrier envisagé par le Gouvernement pour la mise en œuvre de ces évolutions très attendues ?
M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Madame la ministre, je souhaiterais appeler votre attention sur le financement des conseils départementaux d'accès au droit (CDAD). Depuis la loi du 10 juillet 1991, leur mise en place progressive sur l'ensemble du territoire s'est accompagnée d'une amélioration croissante du service rendu aux justiciables en matière d'accès au droit. J'en veux pour preuve la création d'antennes de médiation dans certains quartiers, la diffusion de brochures d'information, la mise en place de numéros verts et d’actions de sensibilisation au droit et à la citoyenneté en direction des jeunes .
L'État, à travers le ministère de la justice, assure l'hébergement des CDAD au sein des TGI du chef-lieu du département et contribue à leur financement aux côtés des collectivités territoriales, notamment par le biais de subventions de votre ministère. Toutefois sa part reste souvent en deçà des besoins liés à la création de tels groupements d'intérêt public – formule juridique retenue par la loi de 1991.
En 2015, la Lozère est le dernier département français à avoir entrepris de se doter d'un CDAD. L'ensemble du territoire sera donc intégralement couvert en 2016.
Pouvez-vous me préciser, madame la ministre, quelles orientations budgétaires sont prévues pour financer ce type de structure ?
M. Dominique Raimbourg. Ma question est simple : où en est-on de la construction de places de prison ? En 2012, madame la ministre, vous avez hérité d’une situation très difficile : entre 2002 et 2012, le nombre de détenus est passé de 48 000 à 68 000, soit un taux d’incarcération qui a évolué de 75 pour cent mille habitants à 100 pour cent mille habitants. Pour gérer la surpopulation, on avait recours à un mécanisme mauvais mais efficace : les décrets de grâce. Il a été supprimé sans être remplacé et nous nous retrouvons aujourd’hui confrontés à une difficile situation de surpopulation.
Combien de places de prison allez-vous créer ? Comment régler la question de la surpopulation carcérale sans céder à ce fantasme, cette chimère des 80 000 places, tout à la fois infaisable, infondée et inutile ?
M. Olivier Audibert Troin. Ma question porte, madame la ministre, sur le programme 107, particulièrement sur les opérations menées par l’Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) pour la déconstruction du centre pénitentiaire de Draguignan.
Je voudrais tout d’abord saluer l’écoute dont vous et les membres de votre cabinet avez su faire preuve en 2013 dans le dossier de reconstruction du centre pénitentiaire. Rappelons que le 15 juin 2010, alors que des inondations touchaient le département du Var, le personnel pénitentiaire a évité une épouvantable catastrophe humaine au centre de Draguignan, situé en zone inondable, en sauvant de la noyade des dizaines de détenus. Je veux ici encore rendre hommage à son courage.
Le problème de la déconstruction de cette ancienne maison d’arrêt demeure. Toutes les études hydrologiques ont montré l’effet aggravant de cette emprise bâtie pour l’écoulement des eaux et leur retour dans le lit de la rivière en cas de crue. L’examen des crédits de la mission « Justice » consacrés aux investissements immobiliers m’inquiète : aucune ligne budgétaire n’est prévue pour ces travaux de démolition, les crédits étant, fort légitimement, concentrés sur l’indispensable construction de nouveaux établissements. Pour des raisons de salubrité et de sécurité publiques, il est urgent de voir réalisé en lieu et place de l’ancien bâtiment un bassin de rétention afin de lutter efficacement contre les inondations qui frappent régulièrement nos régions.
Pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions sur le calendrier des travaux de déconstruction de l’ancien centre pénitentiaire de Draguignan ?
Mme Cécile Untermaier. L’aide juridictionnelle repose sur une politique de solidarité nationale qui garantit l’accès à la justice pour les plus pauvres. Je tiens à rappeler ici que des avocats se donnent sans compter pour la faire vivre.
L’État est le principal contributeur de l’aide juridictionnelle, comme aime à la souligner Jean-Yves Le Bouillonnec qui lui a consacré un rapport qui nous a beaucoup éclairés. Nous nous réjouissons de l’augmentation sensible de ses crédits intervenue depuis 2012.
Conscients de la nécessité de les augmenter encore, nous avons créé par amendement à la loi pour la croissance et l’activité un fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice destiné entre autres à contribuer au financement de l’aide juridictionnelle. Le Conseil constitutionnel a considéré que la possibilité offerte au Gouvernement de modifier par arrêté ministériel le niveau d’assiette ou de taux de la taxe visant à l’alimenter était contraire à la Constitution au titre de l’incompétence négative. Il a été convenu de travailler aux modifications nécessaires dans le cadre du projet de loi de finances. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions au sujet de l’échéancier que vous envisagez pour la création de ce fonds interprofessionnel, initialement prévue pour le 1er janvier 2016 ?
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Alors que l'ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs fête ses soixante-dix ans cette année, je souhaite vous interroger sur le programme budgétaire « Protection judiciaire de la jeunesse ». Il devrait être le dernier à être placé sous le régime législatif et réglementaire actuel puisque vous préparez un projet de loi réformant la justice des mineurs. Avant de rentrer dans le vif de ma question, je tiens à saluer l'action de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et de ses agents. Madame la ministre, vous le rappeliez lors d'un séminaire des cadres de la PJJ à la fin du mois de septembre : en 2014, sur les 136 091 jeunes qu’elle a pris en charge, plus de 50 % n'auront affaire qu'une fois à la justice pénale ; un tiers reviendra devant la justice pénale au moins une fois ; 10 % s'installeront dans un parcours chaotique de délinquance. C'est ce dernier public qui nous pose le plus grand défi.
Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons tous, vous réaffirmez notre engagement pour la justice des mineurs avec la création de 60 emplois supplémentaires et une augmentation de 18 millions d'euros des crédits de paiement par rapport à la LFI 2015. Ces moyens supplémentaires doivent permettre d'améliorer les résultats obtenus, notamment en matière de prévention de la récidive ou de la réitération ou bien encore en matière de réinsertion. Sur ce dernier point, je veux saluer l'objectif que fixe l'indicateur n° 1 : un taux de 80 % d'inscription dans un dispositif d'insertion sociale et professionnelle ou de formation pour les jeunes pris en charge.
Alors que les partenaires associatifs de votre ministère prennent en charge une part substantielle de l'action publique en matière de protection de la jeunesse avec 1 079 établissements, vous avez également renforcé les liens avec ces acteurs depuis le début de l'année grâce à la mise en place, le 30 janvier, d'une charte d'engagements réciproques signée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et les fédérations associatives.
Madame la ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale ce que vous attendez de cette nouvelle contractualisation ? Quels en sont les objectifs ? Comment les partenaires associatifs peuvent-ils contribuer à l’amélioration des résultats ? Quelle est la répartition entre le secteur public et le secteur associatif des jeunes pris en charge ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je prends note, madame la ministre, de l’augmentation du budget de la médiation, notamment des crédits dédiés à la médiation familiale et aux lieux de rencontre. Puis-je vous demander de nous donner des précisions sur la mise en œuvre de cette politique ?
L’ordonnance de 1945 avait pour objectif de prendre en charge les jeunes en danger. Le recentrage de la protection judiciaire de la jeunesse sur la seule prise en charge des mineurs au pénal a eu d’importantes conséquences : les jeunes délinquants perdent à leur majorité la protection qui leur était assurée en tant que mineurs. Que comptez-vous faire pour leur permettre d’en conserver le bénéfice ?
Enfin, tout en n’ignorant pas la dangerosité d’une utilisation malveillante d’internet, il faut convenir qu’il est parfois indispensable de maîtriser cet outil moderne dans un processus de réinsertion. Pouvez-vous nous dire si des expérimentations en ce domaine peuvent être envisagées ?
M. Sébastien Pietrasanta. Je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur la question des transfèrements et des extractions judiciaires.
La réunion interministérielle du 30 septembre 2010 a acté la prise en charge par l'administration pénitentiaire de l'intégralité des missions de transfèrement et d'extraction judiciaire jusqu’alors dévolues aux forces de l'ordre. Ce transfert devait s'effectuer progressivement, région par région, entre 2011 et 2013. Pour cela, le gouvernement de l'époque – et je crois savoir que M. Larrivé avait joué un rôle important en tant que conseiller – a décidé de transférer au ministère de la justice 800 ETP, en provenance de la gendarmerie, pour 65 %, et de la police, pour 35 %.
Or les besoins ont été largement sous-évalués. Un gel du transfert a été opéré en 2013 et une nouvelle réunion interministérielle a acté le transfert de 1 200 ETP. Aujourd'hui, le processus est relancé et huit régions ainsi que trois départements d'Île-de-France sont pris en charge par le ministère de la justice. Au 1er novembre, le Nord-Pas-de-Calais et l'Aquitaine passeront également sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire.
En 2014, ce sont près de 25 000 extractions judiciaires qui ont été réalisées par l'administration pénitentiaire.
Je souhaite, madame la garde des sceaux, appeler votre attention sur les nombreuses difficultés qui m'ont été signalées.
On constate une augmentation de ce que l'on appelle « l'impossibilité de faire », c'est-à-dire l'impossibilité d'assurer les extractions judiciaires pour l'administration pénitentiaire, qui les reporte alors sur les forces de l'ordre. Les impossibilités de faire représentent 9 % au 1er septembre 2015 et atteignent 30 % dans une région sous tension comme la Champagne Ardenne. Cela crée évidemment des tensions avec les forces de l'ordre, police et gendarmerie.
Ce système doit sans conteste être amélioré. On ne saurait récupérer des ETP tout en faisant assurer une partie de la mission par les forces de l'ordre.
Il apparaît urgent de mieux organiser le système de l'administration pénitentiaire. Dans cette perspective, la question de la polyvalence du personnel apparaît primordiale. De même, il serait salutaire d'augmenter les entretiens avec les magistrats par visio-conférence pour faire baisser le nombre d'extractions judiciaires. Chacun doit, ici, faire un effort indispensable.
Madame la ministre, le système des transférements n'est pas satisfaisant. Comment mieux adapter l'organisation de l'administration pénitentiaire pour qu'elle assure pleinement sa mission ? Comment inciter les magistrats à utiliser la visio-conférence ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Merci pour vos propos sur l’institution judiciaire. Nous sommes en situation de la moderniser pour la faire entrer de plain-pied dans le XXIe siècle. Les demandes d’introduction de tablettes et de téléphones portables révèlent son état. Grâce à une modification introduite par le Parlement l’année dernière, le code de procédure pénale rend désormais possible la communication par voie électronique entre les tribunaux et les justiciables alors qu’auparavant obligation était faite de procéder par courrier, en particulier par l’envoi de lettres recommandées, ce qui coûtait d’autant plus cher que 80 % d’entre elles n’étaient pas réclamées.
Plusieurs questions ont porté sur la création de nouvelles places de prison. Rappelons que nous disposons de deux programmes immobiliers entièrement financés : un programme visant 6 500 nouvelles places, exécuté à hauteur de 3 600 places ; un autre visant 3 200 places.
Vos remarques sur la rénovation immobilière renvoient à la mise en œuvre de la politique de présence sur le territoire et d’efficacité que nous avons instaurée.
J’en viens à l’aide juridictionnelle, objet de plusieurs questions. Cela fait une quinzaine années que tous les rapports s’accordent à dire que le système est à bout de souffle. Le dernier rapport en date est celui de Jean-Yves Le Bouillonnec que je remercie pour le temps qu’il y a consacré, l’énergie qu’il a déployée et le courage qu’il a eu de formuler des préconisations opérationnelles, ce qui le distingue de rapports précédents, qui se limitaient à des constats et des recommandations générales.
Nous aurions pu, à l’instar des gardes des sceaux précédents, ne rien toucher au dispositif de l’aide juridictionnelle : ne pas augmenter ses crédits, ne pas nous soucier de la taxe de 35 euros qui entravait l’accès à la justice, nous contentant de quelques gestes. Nous avons choisi d’augmenter les crédits qui lui sont consacrés, de supprimer l’entrave à la justice que constituait le timbre de 35 euros, et nous souhaitons réformer le dispositif afin d’éviter son effondrement, qui est une perspective vraisemblable.
La meilleure façon de mesurer ce risque est de considérer la concentration des avocats qui s’y consacrent : 7 % d’entre eux assurent 57 % de l’activité rémunérée au titre de l’aide juridictionnelle ; 16 % en assurent 84 %. Cette concentration comporte un risque de précarisation de la profession. Nous ne pouvons être indifférents à la paupérisation croissante d’une profession libérale qui intervient au pénal et au civil auprès de citoyens vulnérables et à faibles revenus. En outre, cette concentration n’est pas conforme de la loi de 1991 qui a énoncé des principes en matière de répartition de l’aide juridictionnelle au sein de la profession d’avocat.
Nous ne voulons pas adopter l’attitude qui consisterait à dire : « Après moi, le déluge ». Nous ne voulons pas laisser au gouvernement de gauche qui nous succédera un système qui se serait effondré.
Nous voulons réformer le dispositif de l’aide juridictionnelle. Comment procéder ? La loi de 1991 pose le principe de la participation de la profession et de la répartition de la mission de l’aide juridictionnelle. La profession intervient par le traitement des dossiers et le transfert que nous opérons d’une partie du budget de l’aide juridictionnelle au Conseil national des barreaux. Vous avez permis l’année dernière l’inscription dans la loi d’un cadre juridique permettant la conventionnalisation ou la contractualisation avec des barreaux. Le barreau de Lyon, demandeur en la matière, fait des expérimentations en la matière.
Si 16 % des avocats assurent l’essentiel des missions de l’aide juridictionnelle, qu’en est-il des 84 % restants ? C’est tout l’enjeu de la loi de 1991.
S’agissant du financement, nous avons proposé pour cette année un budget de 405 millions d’euros. Les groupes de travail sont en discussion depuis trois ans et leurs travaux ont connu une accélération cette année. Mais il y a un moment où il faudra tirer un trait : ou bien l’on constatera que les choses sont assez avancées pour enclencher la réforme ; ou bien l’on prendra acte du fait que la réforme est impossible à mettre en place et chacun assumera ses responsabilités.
Quoi qu’en disent certains, ceux qui considèrent que c’est un casus belli d’envisager une contribution de la profession, une telle option avait été proposée, comme en témoignent les comptes rendus de réunions. Il s’agissait d’opérer un prélèvement pendant une période transitoire – de 5 millions d’euros en 2016 et de 10 millions d’euros en 2017 – sur les produits financiers perçus sur les fonds des clients qui transitent par les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, les CARPA.
Il y a quelques semaines, dans le cadre des discussions avec mon cabinet et l’administration, la profession a fait une autre proposition : les représentants des avocats ont indiqué qu’ils préféraient contribuer à la modernisation de la justice, en participant à la dématérialisation prévue dans le cadre du projet de loi de réforme de la justice civile, dite « J21 - justice du XXIe siècle ». Sauf qu’à quarante-huit heures du débat budgétaire, la profession a choisi de rompre la discussion. Si elle l’avait fait il y a un mois, nous aurions pu renouer le dialogue dans l’intervalle. À ce stade, soumis à une contrainte de calendrier, nous n’avions d’autre choix que de reprendre sa proposition antérieure et de l’inscrire dans le PLF.
S’il ne s’agit pas de stigmatiser les avocats qui ne font pas d’aide juridictionnelle, nous pouvons néanmoins nous interroger sur la forme que peut prendre leur contribution au système. Certains gros cabinets sont spécialisés dans la fiducie, les montages internationaux, les transactions immobilières ou le conseil fiscal. Il serait assez absurde de leur imposer de faire de l’aide juridictionnelle puisque cela ne fait pas partie de leurs métiers. En revanche, ils appartiennent à la profession. Depuis deux ans, quelques gros cabinets nous ont d’ailleurs fait savoir qu’ils trouvaient normal de contribuer au système, alors que d’autres nous ont opposé un refus de principe.
Monsieur le député Dolez, vous m’interrogez sur cette note concernant le barème de rémunération des avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle. En fait, il s’agit d’un document interne au groupe de travail, que d’aucuns ont instrumentalisé, et non pas d’une note de la chancellerie que j’aurais validée. Le ministère a apporté son soutien logistique au groupe de travail : salle de réunion, assistance des conseillers de l’administration, etc. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une note de la chancellerie.
Nous avons commencé à travailler à partir des observations des représentants des avocats qui soulignent les aberrations du barème : certains actes, qui ne réclament pas une technicité particulière, bénéficient d’une rétribution correcte sinon confortable ; d’autres sont moins bien payés alors qu’ils demandent beaucoup de travail. Les barreaux sont les mieux placés pour apprécier ce qu’une intervention dans le cadre de l’aide juridictionnelle représente comme travail et comme contraintes, car les situations sont très disparates sur le territoire. Nous avons décidé de revaloriser l’unité de valeur socle, et proposé d’y ajouter un complément contractualisé pour tenir compte de certaines technicités juridiques et particularités territoriales : en zone rurale, un avocat peut ainsi être amené à parcourir un grand nombre de kilomètres.
Ce midi, j’ai rencontré les représentants du CNB, du barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers. Ils ont proposé d’en revenir à la dernière proposition qu’ils avaient formulée pendant le groupe de travail, à savoir leur participation à la dématérialisation dans le cadre de la future réforme judiciaire. En contrepartie, ils ont demandé que l’on renonce à ce prélèvement sur les produits financiers des CARPA. Nous sommes donc tombés d’accord. On me dit que la profession a confirmé cet accord dans une première déclaration, puis a nuancé sa position dans un communiqué ultérieur. Pour l’instant, je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance moi-même de ces réactions.
Nous verrons bien ce qu’il advient, mais je le répète : il s’agit de savoir si nous voulons respecter ou abroger la loi de 1991 qui prévoit la participation de la profession d’avocat à l’aide juridictionnelle. Nous sommes dans la maison où l’on fabrique la loi et où on la respecte. Si nous n’abrogeons pas la loi, nous devons créer les conditions pour que l’aide juridictionnelle soit prise en charge par l’État mais gérée avec le discernement de la profession. Sinon, il faut fonctionnariser des avocats qui seraient exclusivement chargés de l’aide juridictionnelle. Pour ma part, en tant que garde des sceaux, je ne prendrai pas une telle option qui bouleverserait l’identité de la profession, même si les avocats eux-mêmes me le demandaient. Quoi qu’il en soit, si nous ne parvenons pas à faire cette réforme absolument indispensable, le dispositif de l’aide juridictionnelle s’effondrera avant que nos cheveux aient tous blanchi.
Pardonnez-moi d’avoir été longue et peut-être inutilement précise, mais je connais votre attachement à ces questions, vos relations avec les barreaux de vos circonscriptions. Je sais que vous vous préoccupez de la solidité d’un système créé pour que les justiciables modestes aient accès au droit et à la justice, ce qui est tout de même l’alpha et l’oméga, le début et la fin de l’histoire. L’État met les moyens nécessaires pour couvrir l’effet du relèvement du plafond de ressources pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et de la revalorisation de l’unité de valeur payée aux avocats. Mais nous restons dans le cadre de la loi de 1991.
Venons-en au fonds de péréquation interprofessionnel, créé dans le cadre de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, sur initiative parlementaire, même si le Gouvernement a repris à son compte l’amendement, du fait de l’application de l’article 40 de la Constitution. Il était prévu que ce fonds soit opérationnel en 2018, une incertitude étant liée à la censure introduite par le Conseil constitutionnel. Il semble que l’on puisse travailler plus vite et que ce fonds puisse être disponible dès 2017, voire au deuxième semestre de 2016. Cela relativise tout ce tollé actuel au sujet de ce prélèvement de 5 millions d’euros pour l’année 2016 – qui pourrait d’ailleurs se réduire à 2,5 millions d’euros – alors que l’État consacre 400 millions d’euros à l’aide juridictionnelle. Je n’en tire pas d’enseignement ni de conclusion.
Monsieur le député Guy Geoffroy, vous m’avez interrogée sur la contrainte pénale, disant qu’elle n’était quasiment pas prononcée par les tribunaux. Je ne peux que vous inciter à la patience. Pour ma part, j’ai parlé de redonner du sens à la peine, pas de révolutionner le champ pénal. Nous en reparlerons dans dix ans – vous serez encore très frais, moi beaucoup moins – mais souvenez-vous que le travail d’intérêt général (TIG) avait suscité le même scepticisme. Trente ans plus tard, personne ne pense que le TIG n'a pas sa place dans le paysage des sanctions pénales. Nous voulons que les peines soient efficaces, et la contrainte pénale a fait ses preuves dans les pays – démocratiques, sérieux, raisonnables – qui la pratiquent parfois depuis une vingtaine d’années.
Cette réforme pénale a été pensée comme un écosystème et dotée de moyens. Elle a été élaborée à partir d’une conférence de consensus, de consultations sérieuses et des débats parlementaires. En tant que garde des sceaux et ancienne parlementaire, j’ai la faiblesse de croire que ces travaux ont été de très grande qualité : le texte avait été beaucoup travaillé en amont et il a été encore amélioré lors de nos débats. La contrainte pénale vise à prévenir la récidive qui, rappelons-le en essayant de prendre un peu de hauteur, a triplé entre 2001 et 2011. Nous voulons empêcher que de nouveaux actes de délinquance ne créent de nouvelles victimes.
Au passage, je signale que nous avons doublé le budget de l’aide aux victimes, qui avait baissé au cours des trois dernières années de l’ancien quinquennat, en le portant de 10 à 20 millions d’euros. Nous avons aussi instauré un suivi individualisé et une prise en charge pluridisciplinaire des victimes, tout en conduisant des politiques ciblées à l’égard de certaines catégories d’entre elles : nous avons ainsi généralisé le téléphone grand danger pour les femmes victimes de violences au sein du couple ou de viols, et créé un réseau de référents afin d’améliorer la prise en charge des victimes du terrorisme. Notre politique à l’égard des victimes est très volontariste. Dans la réforme pénale, nous avons accru leurs droits et leurs garanties. Notre souci est de mieux les protéger et de les accompagner vers la résilience, le service qualitatif le plus important que l’État puisse leur assurer. Au-delà de la prise en charge matérielle et pécuniaire, nous devons créer les conditions pour que les victimes avancent vers la résilience.
Revenons à la contrainte pénale, une peine qui a été prononcée un millier de fois depuis son entrée en vigueur, il y a un an. L’étude d’impact avait surestimé son utilisation, mais cela signifie aussi que nous avons redonné au magistrat une liberté d’appréciation qu’il avait perdue avec l’instauration des peines planchers. Nous affichons notre confiance vis-à-vis des magistrats, tout en convenant avec vous que nous devons nous interroger quand aucune contrainte pénale n’est prononcée dans un ressort. D’ailleurs, cette question s’adresse d’abord à vous, les législateurs. Dans une démocratie, lorsque le Parlement a adopté une loi après en avoir débattu…
M. Philippe Goujon. La majorité l’a adopté !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Sans doute, mais l’opposition a fait mieux encore : en déférant le texte devant le Conseil constitutionnel, elle a permis qu’il soit validé par cette institution. Par voie de conséquence, personne n’a à craindre une question prioritaire de constitutionnalité. Par un acte que je me dispense de qualifier, vous avez renforcé la solidité de ce texte de loi.
M. François Rochebloine. C’est bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Absolument ! Je vous en remercie, monsieur Rochebloine ! Aucun magistrat n’a à craindre une fragilité de ce texte de loi. Quand je dis que vous avez raison de poser la question en voyant qu’aucune contrainte pénale n’est prononcée…
M. Guy Geoffroy. Et vous avez tort de ne pas me répondre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vais vous apporter une réponse.
M. Guy Geoffroy. Vous m’avez dit que je devais attendre dix ans !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Non, je n’ai pas dit cela ! Je vous ai dit que, dans une dizaine d’années – le débat se sera apaisé bien avant d’ailleurs –, tout le monde conviendra que nous avons donné du sens à la peine et que, par conséquent, nous avons lutté de manière efficace contre la récidive. Voilà le pari que je prends et que je peux faire enregistrer chez le notaire, si vous le voulez.
Dans un ressort, il est statistiquement impossible que personne ne présente un profil adapté à la contrainte pénale, pour lequel cette peine serait la plus efficace. Avec les outils que nous avons mis en place, les recrutements de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) que nous avons effectués, la contrainte pénale est la peine la plus adaptée à certains profils qui ont besoin d’un suivi serré. Auparavant, les magistrats n’avaient d’autre choix que de prononcer une courte peine de prison pour des personnes présentant une addiction à l’alcool avec les comportements associés, par exemple, ou pour certains délits qui provoquent une rupture de la socialisation. Or, dans ces cas, la contrainte pénale est une réponse plus adaptée que la courte peine de prison. Il faudra qu’on m’explique pourquoi, dans un ressort entier, personne ne présente un tel profil.
Monsieur le député Rochebloine, je sais que la reconstruction de la maison d’arrêt de Saint-Étienne vous préoccupe profondément. Le préfet est chargé de trouver un terrain, et je pense qu’il vous tient régulièrement informé de ses démarches.
M. François Rochebloine. Le préfet m’informe de cette recherche et des autorisations d’engagements.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Les autorisations d’engagements seront données en 2017.
M. François Rochebloine. Nous pourrons inaugurer le bâtiment en 2020 ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Il sera terminé depuis longtemps !
M. Guy Geoffroy. Vous aurez votre réponse avant moi, cher collègue…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Les vacances de postes dans les prisons vous préoccupent. Comme je l’ai indiqué, 534 postes vont s’ajouter à ceux qu’il était prévu de créer en 2014. Compte tenu de vos interpellations régulières sur les vacances de postes, je ne résiste pas à l’envie de vous fournir quelques détails, quitte à faire des réponses déraisonnablement longues.
Si j’ai obtenu ces postes supplémentaires en juin 2014, c’est parce que j’ai été en mesure de démontrer que, durant trois ans, vous n’avez pas créé les postes inscrits en lois de finances. La formation des nouveaux surveillants a commencé en septembre 2014, et ils vont arriver au fur et à mesure dans les établissements.
Le passage aux 35 heures a engendré trop d’heures supplémentaires, ce qui se répercute sur l’absentéisme. Le taux de vacance de postes se situe en moyenne entre 3 % et 5 % mais il peut monter jusqu’à 8 % dans certains établissements. C’est beaucoup parce que la charge de travail se reporte sur les effectifs en place dont le métier n’est déjà pas simple.
Monsieur Dolez, vous m’avez interrogée sur la réforme de la justice des mineurs…
M. François Rochebloine. Qu’en est-il de l’association Auxilia, madame la garde des sceaux ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous avions reçu ses représentants et il était question qu’ils voient le conseil régional et l’Association des régions de France (ARF).
M. François Rochebloine. Deux postes ont été supprimés sur les cinq alors que cette association joue un rôle indispensable !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Ils sont en contact avec la direction de l’administration pénitentiaire, monsieur le député.
Pour en revenir à votre question, monsieur Dolez, l’abrogation des tribunaux correctionnels pour mineurs est prévue dans le projet de réforme de l’ordonnance de 1945. Cette suppression répond à la fois à un engagement du Président de la République et à une demande de tous les chefs de juridiction. Ces tribunaux correctionnels, créés pour juger les récidivistes âgés de seize à dix-huit ans, visaient à rapprocher la justice de mineurs de celle des majeurs. En fait, ils n’ont jugé que 1 % des affaires et dans des délais plus longs que ceux des tribunaux pour enfants. En outre, leurs décisions sont en moyenne d’une sévérité égale ou inférieure à celles des tribunaux pour enfants. Tout le monde peut deviner le type d’adjectif que je serais tentée d’accoler à cette opération.
S’agissant des collaborateurs occasionnels du service public, 40 000 d’entre eux relèvent, en effet, du ministère de la justice. Cette situation, qui dure depuis 1999, n’a jamais été traitée. Nous l’avons prise en charge depuis deux ans. Marisol Touraine et moi-même avons confié une mission à l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui nous a déjà permis de savoir combien de personnes étaient concernées. Jusqu’à présent, nul ne le savait. D’une part, il n’y avait pas de centralisation des statistiques. D’autre part, le statut de ces personnes n’avait pas été clairement défini : certaines ont un lien de subordination avec le ministère, d’autres effectuent des prestations de service assujetties à la TVA. Même les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) n’avaient pas les chiffres. Nous avons déjà provisionné 23 millions d’euros de façon à payer les cotisations sociales qui sont dues, ce qui correspond à environ 40 % du total. Nous sommes donc en train de régler ce dossier.
Monsieur Popelin, vous m’avez interrogé sur la réforme de la procédure pénale, un travail que nous avons engagé depuis plusieurs mois avec le ministère de l’intérieur. La transposition de directives européennes a rendu notre procédure pénale compliquée. Il y a deux ans, j’ai décidé que nous allions reprendre la main afin de redonner de la cohérence à la procédure pénale. En mars 2014, j’ai installé une mission d’une douzaine de personnes, présidée par Bruno Cotte, qui va réfléchir au droit des peines et à la procédure pénale. J’ai aussi confié à une mission à Jacques Beaume, ancien procureur général près la cour d’appel de Lyon, et à Jean-Louis Nadal, procureur général honoraire près la Cour de cassation. Le groupe de travail dispose d’une partie de ces matériaux puisque la mission Cotte est en train de nous remettre son rapport définitif. À partir de là, nous avons déterminé les mesures nécessaires.
Nous allons faciliter le travail des enquêteurs qui ont été soumis à un empilement de contraintes. Au terme de la réforme, ils ne seront plus obligés d’établir un procès-verbal pour chaque acte procédural, mais ils pourront regrouper tous ces actes dans un procès-verbal unique. Nous allons simplifier d’autres formalités administratives et chronophages telles que l’obligation de demander à chaque fois au procureur l’autorisation d’accéder à des informations. Les procureurs pourront établir des listes de formalités permanentes, et les enquêteurs pourront accéder très rapidement à des fichiers afin d’obtenir des compléments d’information sans avoir à solliciter l’autorisation du parquet. Nous allons créer une plateforme qui permettra aux enquêteurs de disposer immédiatement de l’information disponible sur les avocats, les médecins et les interprètes de permanence. Nous allons permettre à la police scientifique et technique d’effectuer les scellés immédiatement puisqu’elle est sur le terrain et qu’elle effectue les relevés.
Les dispositions réglementaires vont être effectives très vite, dans les semaines à venir. Quant aux dispositions législatives, plus lourdes, elles devraient être finalisées et transmises au Conseil d’État dans le courant du premier trimestre 2016.
Dans le cadre du projet de loi sur la justice au XXIe siècle, nous allons réformer les Conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) dont nous allons mailler le territoire. Nous réformons leur composition mais aussi leur gestion : le procureur sera impliqué davantage, sans pour autant devenir commissaire du Gouvernement. Puisque vous allez examiner ce texte très prochainement, je vous propose de vous donner tous les détails à cette occasion.
Monsieur Dominique Raimbourg, vous connaissez encore mieux que moi le problème de la population carcérale.
Dans les projets de loi J21, nous reviendrons aussi sur la médiation : c’est le titre II du projet de loi organique. Nous harmonisons cette profession libérale qui est exercée de manière très disparate sur le territoire. Nous allons harmoniser à la fois la qualification, la formation, les règles déontologiques, le code disciplinaire, etc. Nous introduisons aussi la conciliation obligatoire. Nous avons prévu d’améliorer l’indemnisation – assez misérable – des conciliateurs qui travaillent gracieusement mais bénéficient de remboursements de frais divers, notamment de transports. Nous remercions les collectivités qui mettent leurs locaux et leur logistique à la disposition de ces conciliateurs.
Le sujet des jeunes majeurs est très important. Nous pouvons prendre en charge les jeunes majeurs, notamment lorsqu’ils ont fait l’objet d’une mesure judiciaire, afin d’éviter que ne s’abatte sur eux le couperet des dix-huit ans. Cependant, depuis la réforme de 2007, les conseils généraux développent des programmes à destination de ces jeunes. Dans un souci de gestion efficace des deniers publics, nous devons travailler davantage en coopération avec les conseils généraux.
Mille excuses à tous d’avoir été trop longue et à certains d’avoir oublié une partie de leurs questions. Je vais passer en revue les questions auxquelles je n’ai pas répondu et je vous ferai parvenir une réponse avant les débats en séance publique.
M. Olivier Audibert Troin. Qu’en est-il du centre pénitentiaire de Draguignan ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. J’ai bien entendu votre question et pris note du problème. Je vous propose une séance de travail, monsieur le député, ce sera plus raisonnable et plus constructif.
M. Pierre-Alain Muet, président. Merci, madame la ministre, pour la précision et l’exhaustivité de vos réponses.
La discussion et le vote en séance publique auront lieu le mercredi 28 octobre.
La réunion de la commission élargie s’achève à vingt-trois heures trente-cinq.
TITRE IER
AUTORISATIONS BUDGÉTAIRES POUR 2016 –
CRÉDITS ET DÉCOUVERTS
I. – CRÉDITS DES MISSIONS
Il est ouvert aux ministres, pour 2016, au titre du budget général, des autorisations d’engagement et des crédits de paiement s’élevant respectivement aux montants de 413 628 902 589 € et de 406 326 970 277 €, conformément à la répartition par mission donnée à l’état B annexé à la présente loi.
ÉTAT B
(Article 24 du projet de loi)
Répartition, par mission et programme, des crédits du budget général
BUDGET GÉNÉRAL
(en euros) |
||||
Mission/Programme |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement | ||
Aide publique au développement |
2 066 540 941 |
2 620 671 457 | ||
Aide économique et financière au développement |
409 175 000 |
987 978 969 | ||
Solidarité à l'égard des pays en développement |
1 657 365 941 |
1 632 692 488 | ||
Dont titre 2 |
195 521 699 |
195 521 699 |
Amendement n° 2 rectifié présenté par le Gouvernement.
Modifier ainsi les autorisations d'engagement et les crédits de paiement :
(en euros) | ||
Programmes |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
0 |
0 |
Solidarité à l'égard des pays en développement |
50 000 000 |
0 |
Dont titre 2 |
0 |
0 |
TOTAUX |
50 000 000 |
0 |
SOLDE |
50 000 000 |
Amendement n° 40 présenté par M. Gaymard, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères et M. Dufau.
Modifier ainsi les autorisations d'engagement et les crédits de paiement :
(en euros) | ||
Programmes |
+ |
- |
Solidarité à l'égard des pays en développement |
50 000 000 |
0 |
Dont titre 2 |
0 |
0 |
Aide économique et financière au développement |
0 |
50 000 000 |
TOTAUX |
50 000 000 |
50 000 000 |
SOLDE |
0 |
Amendement n° 111 présenté par M. Tetart, M. Straumann, M. Gosselin, M. Marlin et M. Vitel.
Modifier ainsi les autorisations d'engagement et les crédits de paiement :
(en euros) | ||
Programmes |
+ |
- |
Solidarité à l'égard des pays en développement |
50 000 000 |
0 |
Dont titre 2 |
0 |
0 |
Aide économique et financière au développement |
0 |
50 000 000 |
TOTAUX |
50 000 000 |
50 000 000 |
SOLDE |
0 |
Aide publique au développement
Au II de l’article 64 de la loi de finances rectificative pour 1991 (n° 91-1323 du 30 décembre 1991), le montant : « 2 850 millions d’euros » est remplacé par le montant : « 3 850 millions d’euros ».
Amendement n° 67 présenté par M. Tetart, M. Chevrollier, M. Sermier, M. Fromion et M. Vannson.
Après l'article 48, insérer l'article suivant :
La section VI du chapitre premier du titre III de la première partie du livre premier du code général des impôts est complétée par un article 520 B ainsi rédigé :
« Art. 520 B. – I. – Il est institué une contribution additionnelle à la taxe spéciale prévue à l’article 1 609 vicies sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah destinées à l’alimentation humaine, en l’état ou après incorporation dans tous produits.
« II. – Le taux de la taxe additionnelle est fixé à 200 € la tonne. Ce tarif est relevé portant actualisation des taux de la taxe sur les huiles perçue au profit du régime de protection sociale des non-salariés agricoles chaque 1er janvier, à compter du 1er janvier 2016, dans une proportion égale au taux de croissance de l’indice des prix à la consommation hors tabac de l’avant-dernière année. Les montants obtenus sont arrondis, s’il y a lieu, à la dizaine d’euro supérieure.
« III. – 1. La contribution est due à raison des huiles mentionnées au I ou des produits alimentaires les incorporant par leurs fabricants établis en France, leurs importateurs et les personnes qui en réalisent en France des acquisitions intracommunautaires, sur toutes les quantités livrées ou incorporées à titre onéreux ou gratuit.
« 2. Sont également redevables de la contribution les personnes qui, dans le cadre de leur activité commerciale, incorporent, pour les produits destinés à l’alimentation de leurs clients, les huiles mentionnées au I.
« IV. – Pour les produits alimentaires, la taxation est effectuée selon la quantité entrant dans leur composition.
« V. – Les expéditions vers un autre État membre de l’Union européenne ou un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ainsi que les exportations vers un pays tiers sont exonérées de la contribution lorsqu’elles sont réalisées directement par les personnes mentionnées au 1 du III.
« Les personnes qui acquièrent auprès d’un redevable de la contribution, qui reçoivent en provenance d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou qui importent en provenance de pays tiers des huiles mentionnées au I ou des produits alimentaires incorporant ces huiles qu’elles destinent à une livraison vers un autre État membre de l’Union européenne ou un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou à une exportation vers un pays tiers acquièrent, reçoivent ou importent ces huiles ou les produits alimentaires incorporant ces huiles en franchise de la contribution.
« Pour bénéficier du deuxième alinéa du présent V, les intéressés doivent adresser au fournisseur, lorsqu’il est situé en France, et, dans tous les cas, au service des douanes dont ils dépendent une attestation certifiant que les huiles ou les produits alimentaires incorporant ces huiles sont destinés à faire l’objet d’une livraison ou d’une exportation mentionnées au même alinéa. Cette attestation comporte l’engagement d’acquitter la contribution au cas où l’huile ou le produit alimentaire ne recevrait pas la destination qui a motivé la franchise. Une copie de l’attestation est conservée à l’appui de la comptabilité des intéressés.
« VI. – La contribution mentionnée au I est acquittée auprès de l’administration des douanes. Elle est recouvrée et contrôlée selon les règles, sanctions, garanties et privilèges applicables au droit spécifique mentionné à l’article 520 A. Le droit de reprise de l’administration s’exerce dans les mêmes délais. »
« VII. – Le produit de la contribution régie par le présent article est affecté à l’Agence française du développement ».
Amendement n° 66 présenté par M. Tetart, M. Chevrollier, M. Sermier, M. Fromion et M. Vannson.
Après l'article 48, insérer l'article suivant :
I. – L’article 1613 ter du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa du II, le montant : « 7,50 € » est remplacé par le montant : « 8,50 € ».
2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« VII. – Le produit de la contribution régie par le présent article est affecté à hauteur de 10 % à l’Agence française de développement ».
II. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Compte rendu de la commission élargie du lundi 19 octobre 2015
(Application de l’article 120 du Règlement)
Aide publique au développement
La réunion de la commission élargie commence à vingt et une heures sous la présidence de M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, et de Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères.
M. le président Gilles Carrez. Madame la secrétaire d’État au développement et à la francophonie, nous sommes heureux de vous accueillir pour la première réunion d’une longue série. La mission « Aide au développement » est en effet la première à être examinée.
Nous aurons vingt-six réunions en commission élargie d’ici au 5 novembre prochain, au cours desquelles nous étudierons les crédits de trente et une missions budgétaires et 120 programmes, sans compter les budgets annexes et les comptes spéciaux.
Pour l’organisation de la discussion, la conférence des présidents a reconduit les règles adoptées l’an dernier : les rapporteurs des commissions sont les premiers à s’exprimer, pour une durée maximale de cinq minutes chacun ; puis le ministre présent intervient aussi longtemps qu’il le souhaite, en s’efforçant de répondre aux observations des rapporteurs ; enfin, chacun d’entre nous, en commençant par les représentants des groupes, peut intervenir pour une durée de deux minutes. La durée des interventions est limitée pour permettre à chacun de s’exprimer, sachant que ce n’est pas parce que les crédits sont examinés en commission élargie qu’ils ne le seront pas à nouveau en séance publique.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je suis très heureuse que la session budgétaire commence par l’examen de la mission « Aide au développement ». Cela marque sans doute l’intérêt particulier du Gouvernement pour ces crédits. De son côté, la commission des affaires étrangères y accorde toute son attention, surtout cette année, en raison de trois événements politiques très importants : le sommet d’Addis-Abeba sur le financement du développement, qui s’est tenu en juillet ; l’adoption des nouveaux objectifs de développement durable par l’Assemblée générale des Nations unies, qui a eu lieu au mois de septembre ; la prochaine conférence de Paris sur le climat. Ces trois événements ont redéfini assez largement les objectifs de l’aide au développement pour le XXIe siècle, en y intégrant des problématiques qui n’étaient pas habituelles, telles que le climat et l’égalité entre hommes et femmes.
Voici plusieurs années que nous inquiétons de l’évolution du budget consacré à l’aide au développement. Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2016, les crédits qui y sont consacrés sont en diminution de 177 millions d’euros, soit moins 6,4 % par rapport à l’année 2015. Cela m’a amenée, avec plusieurs de nos collègues, à demander au Gouvernement que soient revus certains arbitrages.
Le Gouvernement a répondu à nos attentes en déposant deux amendements : le premier, qui a été adopté vendredi, a porté le plafond des recettes de la taxe sur les transactions financières (TTF) consacrées à l’aide au développement de 140 à 260 millions d’euros, au lieu des 160 qui étaient prévus par le projet de loi de finances ; le second permettra de consacrer 50 millions supplémentaires, au titre du programme 209, à l’aide aux réfugiés à travers l’augmentation de la contribution française au budget du Haut-commissariat aux réfugiés et du Programme alimentaire mondial.
Ensemble, ces deux amendements contribuent à stabiliser le budget de l’aide au développement. Celui-ci devait subir une baisse de 170 millions, hors dépenses de personnels, en partie compensée par les recettes du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), évaluées à 20 millions d’euros. En ajoutant à ces 20 millions les 150 millions apportés par les deux amendements, on obtient bien la compensation de la diminution de 170 millions initialement prévue. Nous espérons que ces amendements du Gouvernement laissent présager, après cette stabilisation, la reprise de l’augmentation de l’aide au développement sur une trajectoire plus favorable que celle des dernières années, conformément aux engagements pris par le Président de la République, que je rappelle brièvement : augmentation de 4 milliards d’euros des sommes consacrées à l’aide au développement d’ici à 2020 ; adossement de l’Agence française de développement (AFD) à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui devrait donner à l’AFD les moyens de cette promesse.
Madame la secrétaire d’État, vous vous êtes beaucoup battue dans le même sens que nous, et vous allez pouvoir nous éclairer davantage sur ces points.
M. le président Gilles Carrez. Madame la présidente, vos vœux sont exaucés puisqu’il y a à peine une heure, en séance publique, a été adopté, contre l’avis du Gouvernement, un amendement visant à affecter à l’aide au développement une part plus importante de la taxe sur les transactions financières. Je ne sais pas s’il fera l’objet d’une seconde délibération, mais ce n’est pas impossible. Pour être fixés, il nous faudra attendre que la séance reprenne.
M. Jean-François Mancel, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, pourrons-nous bénéficier d’une suspension de séance pour aller voter cet amendement ? Il permettrait d’affecter à l’aide au développement 225 millions d’euros supplémentaires, soit une somme très supérieure à celle que le Gouvernement propose.
M. le président Gilles Carrez. Rien ne vous interdit de vous rendre dans l’hémicycle pour voter. Mais je ne sais pas du tout à quelle heure ce vote interviendra.
M. Jean-François Mancel, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Depuis maintenant trois ans, en tant que rapporteur spécial, je tire la sonnette d’alarme devant l’effondrement de l’aide publique au développement. Heureusement, je ne suis pas seul à le faire ; je suis soutenu par des députés de gauche comme de droite. Je rappelle qu’au niveau mondial, la part consacrée à l’aide publique au développement devrait atteindre 0,7 % du revenu national brut (RNB). Or nous étions à 0,46 % en 2011 et nous sommes tombés à 0,36 % en 2014. La mission « Aide publique au développement » a baissé de 14,6 % en 2015 par rapport à 2011, et elle aurait encore dû baisser de 6 % cette année si le Gouvernement n’avait déposé deux amendements, l’un en première lecture, l’autre en seconde lecture, qui sera examiné tout à l’heure.
Par ailleurs, les économies qui ont été imposées ont été plus fortes pour l’aide publique au développement que pour d’autres missions. C’est une injustice notoire au détriment de l’APD, dont la part dans le budget de l’État a beaucoup baissé au cours des quatre dernières années, passant de 0,90 % à 0,68 %.
À l’étranger, les Anglais caracolent en tête, au-delà des 0,7 % du RNB. Les Allemands viennent de nous dépasser en passant à 0,41 %. Et les Italiens, malgré leurs difficultés, sont en train de remonter fortement le niveau de leur aide publique au développement.
Il était vraiment temps de réagir ! Nous le demandions depuis des années, et je regrette que nous ne nous réveillions que maintenant, et encore insuffisamment. C’est la raison, pour laquelle, madame la secrétaire d’État, je souhaite vous poser une première série de questions à propos des engagements pris par le Président de la République de 20 milliards d’euros supplémentaires pour l’Afrique, annoncés en novembre 2013, et de 4 milliards d’euros supplémentaires pour l’aide publique au développement d’ici à 2020.
Quelle est, dans ces sommes, la part d’apport net à l’aide publique au développement ? N’est-ce pas l’addition successive de crédits qui étaient prévus depuis longtemps ? S’agit-il de prêts, de dons ou de subventions ? Enfin, quand verrons-nous apparaître les moyens nouveaux sur lesquels s’est engagé le Président de la République ? Ces questions concernent l’ensemble de la mission et, par voie de conséquence, l’évolution de l’aide publique au développement dans les prochaines années.
Ensuite, nous croyons savoir que la France ne tiendra pas ses engagements à l’égard de GAVI Alliance, qui procède à l’achat groupé de médicaments. L’accord qui avait été signé en 2011 avec l’Alliance portait sur 100 millions d’euros. Or, d’après nos informations, il manquerait aujourd’hui 27,5 millions d’euros qui risqueraient de ne pas être versés, comme prévu, le 31 décembre le prochain. Cela voudrait dire que la France ferait défaut, et que ce serait le premier pays à se mettre dans une telle situation. Qu’en est-il ?
Par la même occasion, pouvez-vous nous dire ce qu’il en est du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (FMLSTP) ? On peut nourrir quelques inquiétudes du fait des confusions qui peuvent exister entre versements, contributions, engagements et crédits de paiement. Il y a, notamment chez les organisations non gouvernementales (ONG), beaucoup d’inquiétudes à ce propos.
Ensuite, comment allez-vous faire pour que les pays les plus pauvres, et notamment les pays africains généralement francophones, puissent bénéficier d’une part plus importante du soutien de l’aide publique française ? Actuellement, celle-ci n’est pas suffisante.
Enfin, peut-on espérer moins d’opacité dans l’aide publique au développement, de façon à pouvoir mieux suivre l’évolution des crédits qui lui sont affectés ? Par exemple, on nous dit que l’année dernière 20 millions supplémentaires ont été transférés au Fonds de solidarité pour le développement. Or nous ne sommes pas parvenus à retracer le chemin suivi par ces 20 millions.
M. Hervé Gaymard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Notre politique d’aide au développement est paradoxale, voire schizophrénique. D’un côté, la France entend s’imposer comme le principal promoteur d’une politique d’aide au développement novatrice, inclusive et stratégique. Novatrice, parce que depuis dix ans, sous l’impulsion de Jacques Chirac, nous nous sommes faits les promoteurs, avec d’autres, de taxes innovantes, qui devaient être additionnelles et ne pas se substituer aux crédits budgétaires – cela n’a pas toujours été le cas, quels qu’aient été d’ailleurs les gouvernements. Inclusive, parce qu’elle entend répondre à de nouveaux objectifs, à savoir la lutte contre le réchauffement climatique et l’égalité entre hommes et femmes. Stratégique, parce que certaines remises en ordre ont eu lieu ces dernières années, avec la création de l’agence Expertise France et les annonces d’adossement de l’Agence française de développement à la Caisse des dépôts et consignations. Voilà pour l’ambition.
Mais de l’autre côté, la dure réalité, c’est l’attrition des moyens affectés à l’aide publique au développement, que tout le monde déplore sur tous les bancs de l’Assemblée nationale. Et ce n’est pas pour rien que l’amendement dont nous parlions tout à l’heure a été adopté contre l’avis du Gouvernement.
Ce constat étant établi, j’ai quelques questions à poser à Mme la secrétaire d’État.
Quelle est la feuille de route de l’aide publique au développement française, si l’on veut atteindre l’objectif de 0,7 % du RNB ?
Dans l’hypothèse où cette trajectoire serait rétablie, dans quelle mesure le Gouvernement entend-il orienter l’aide au développement vers les pays les moins avancés, conformément aux priorités définies par le sommet du G7 de juin 2015, ainsi que plus récemment à Addis-Abeba ?
La part des dons-projets est-elle appelée à augmenter dans l’avenir ? La part des financements sous forme de dons est ridicule pour un grand État comme le nôtre. Elle doit représenter l’équivalent d’une fois et demie le budget d’investissement du conseil départemental que j’ai l’honneur de présider.
Nous devons encore à GAVI, l’Alliance du vaccin, 22 millions d’euros que nous devrions lui verser d’ici à la fin de cette année. Or il semble que ce ne sera pas le cas, et que nous serons déclarés en défaut de paiement. Pour un grand pays comme le nôtre, c’est tout à fait fâcheux, surtout quand on connaît l’excellent travail de GAVI pour la vaccination dans les pays en développement.
Je terminerai sur l’adossement de l’AFD à la CDC. Nous savons que l’AFD a un problème de fonds propres, notamment en raison des règles prudentielles qui s’appliquent à une banque – puisque tel est son statut. D’ailleurs, il y a deux ans, le Gouvernement a dû mettre, de mémoire, 200 millions supplémentaires de capitaux propres pour accroître l’effet de levier de l’AFD. L’idée d’un adossement de l’AFD à la Caisse des dépôts et consignations est donc considérée avec faveur par les observateurs. Mais nous savons bien que le diable se niche dans les détails. Une mission de préfiguration a été confiée à Rémy Riou, qui connaît parfaitement ces questions. De votre côté, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous en dire davantage ?
Quel est le calendrier prévu ? En quoi l’adossement à la CDC permettra à l’AFD d’intervenir davantage ? Autrement dit, envisage-t-on de modifier le statut bancaire de l’AFD ? Est-ce que la singularité et l’autonomie de l’AFD seront préservées au sein de ce nouveau grand ensemble ? Cette maison a une excellente réputation. Il ne faudrait pas qu’elle soit dissoute dans la grande Caisse des dépôts et consignations, même si elle exerce ses activités sous le contrôle de la foi publique et du Parlement.
Mme Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie. Mesdames, messieurs les députés, vous allez voter le budget 2016 alors que la période est ponctuée de grands rendez-vous internationaux dont chacun contribue à écrire une nouvelle page de l’histoire de notre monde, qui sera, en 2030, nous l’espérons, un monde « zéro carbone » et « zéro pauvreté ». Au sommet d’Addis-Abeba, l’Europe, et donc la France, s’est engagée à consacrer à l’aide au développement 0,7 % de son RNB avant 2030 – et 0,2 % pour les pays les moins avancés (PMA). À New York, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté l’agenda post-2015, avec dix-sept objectifs de développement durable qui incluent, bien sûr, les questions climatiques. Lors de la Conférence sur le climat qui s’est tenue à Lima, il y a quelques semaines, nous avons avancé sur le financement « climat » de l’après-2020. Et puis, nous sommes à la veille du sommet de Paris, « Climat 2015 », qui devrait aboutir à un accord à la fois ambitieux et contraignant, nous replaçant sur la trajectoire des deux degrés. Je vous rappelle que tous les pays se sont engagés à apporter leur contribution, non seulement à la lutte contre le dérèglement climatique, mais également à la solidarité. Ce sera l’heure de vérité : les pays industrialisés devront montrer qu’ils peuvent être au rendez-vous des 100 milliards d’euros promis à partir de 2020 lors du sommet de Copenhague.
Tel est le contexte dans lequel nous avons mené les discussions budgétaires. Elles ont été difficiles, aboutissant d’abord à la baisse des crédits de la mission. Mais vous avez été nombreux à vous mobiliser – surtout vous, madame la présidente – avec une grande énergie, ce dont je vous remercie. Nous avons fini par être entendus, et aujourd’hui, après les annonces faites par le Président de la République, le budget de la mission est stabilisé.
Ces annonces, ce sont 4 milliards d’euros supplémentaires pour les États étrangers en 2020, avec une montée en puissance progressive, comme vous le souhaitiez ; le renforcement du volet « climat » avec 2 milliards, ce qui portera le financement annuel de la France en faveur du climat de 3 à 5 milliards d’ici à 2020. En outre, le volet « dons » sera complété de façon conséquente, à hauteur de 370 millions d’euros d’ici à 2020, avec une première partie cette année. Enfin, on répondra par le développement à la crise des réfugiés.
Il y avait là un enjeu de crédibilité, et nous sommes à ce rendez-vous à travers plusieurs amendements, que je ne rappelle pas. On peut aujourd’hui s’en satisfaire.
Je vois, dans ce budget 2016, deux messages forts.
Le premier est que la baisse est stoppée. Ce n’est peut-être pas suffisant, mais nous n’avions pas connu cela depuis un certain temps. Souvenez-vous qu’en 2010, l’aide publique a plafonné à 0,5 % et que depuis, elle était en baisse régulière – plus de 500 millions d’euros sur cinq ans. Aujourd’hui, les crédits de l’aide publique au développement – programmes 209, 110 et FSD – sont stabilisés.
La trajectoire vers l’objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’aide au développement est à nouveau d’actualité. Nous n’en sommes qu’à la première étape, mais il faut s’en satisfaire – nous avions dit que nous reprendrions cette trajectoire à partir du moment où la France connaîtrait un début de croissance.
Une action particulière pour les plus vulnérables est engagée, sous forme de dons : 150 millions d’euros supplémentaires cette année, à la fois sur la question climatique et sur la question des réfugiés.
Le deuxième message de ce budget est qu’il prend en compte les crises et leur évolution : pour réagir à l’urgence, 50 millions supplémentaires seront consacrés à la question des migrants, notamment aux réfugiés ; pour construire le monde de demain, on anticipe la mise en place des décisions climatiques dont la plupart font partie des objectifs de développement durable.
Pour ce faire, nous disposons de trois outils principaux. D’abord, la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, qui devient opérationnelle, et dont les grands objectifs étaient l’efficacité, la transparence, l’évaluation et le suivi. Nous sommes au rendez-vous. Ensuite, le rapprochement entre l’AFD et la CDC, qui nous dotera d’un outil fort, plus adapté à tous les publics. Doté d’une expertise à la fois dans les secteurs sociaux et en matière d’infrastructures, cet outil sera davantage performant dans ses réponses à chacun de ses partenaires, que ce soit le Gouvernement, les collectivités, les ONG ou les entreprises. Enfin, conformément au souhait des parlementaires, l’agence Expertise France, a été installée le 1er janvier 2015 et a déjà pris toute sa place. J’ajoute qu’il est question de transférer l’intégralité des actions de gouvernance, projets et expertise, à l’Agence française de développement et à Expertise France.
Ce budget est donc adapté. Entre les missions et les financements innovants, il est aujourd’hui stabilisé. Le programme 209 perd 83 millions, soit 5,3 %, compte tenu de la baisse de 133 millions et de l’apport de 50 millions supplémentaires pour les réfugiés par voie d’amendement. Le programme 110 perd 39 millions d’euros, soit 3,8 %, mais grâce au premier amendement qui a été voté, la participation de la TTF s’établira à 120 millions de plus qu’en 2015.
Cette stabilisation est en grande partie permise par les financements innovants, notamment la TTF. Voulue par François Hollande, cette taxe, qui a été mise en place en 2012, a rapporté, la première année de son application, 60 millions d’euros. Pour 2016, le Gouvernement a décidé d’augmenter de 30 %, par voie d’amendement, la part des recettes allouée à ce budget, soit 260 millions. Grâce à cette stabilisation, nous pouvons financer deux grandes priorités : la lutte contre le réchauffement climatique, à hauteur de 100 millions d’euros, et l’aide aux réfugiés, à hauteur de 50 millions.
Certains changements dans le monde ont provoqué des modifications dans les différents programmes. Ainsi, la fin de l’épidémie d’Ebola devrait nous permettre d’économiser 40 millions, la fin de l’engagement en Afghanistan 5 millions et le Contrat de désendettement et de développement (C2D) concernant le Cameroun, qui fait l’objet d’une discussion entre le président Biya et Laurent Fabius, 34 millions.
Nous nous adaptons également aux évolutions géopolitiques et institutionnelles. La France participera, en particulier, à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, dont elle est membre fondateur depuis le 2 avril dernier – le projet de loi de ratification sera prochainement déposé au Parlement. Il était important que nous nous y impliquions, non seulement parce que nous avons fait en sorte que le caractère durable du développement soit inscrit dans les statuts de la banque, mais aussi parce qu’il faut accompagner nos partenaires chinois dans une participation plus active dans le cadre des enceintes multilatérales.
Nous œuvrons également en faveur d’une plus grande efficacité en encourageant la meilleure utilisation possible des fonds publics. Nous le devons aux Français, et c’est une règle que je me suis fixée lorsque j’ai pris mes fonctions. Ainsi, la restructuration de la gouvernance et de l’expertise technique permet d’économiser 6 millions. La rationalisation des dépenses de nos opérateurs, notamment dans le domaine de la francophonie, nous a permis de diminuer de 4 % les montants alloués à la francophonie. Enfin, nous respectons la recommandation de la Cour des comptes concernant le FMLSTP, puisque 20 millions d’euros sont versés via la Banque de France pour éviter une bulle de trésorerie non efficiente, c’est le moins que l’on puisse dire, qui n’est pas acceptable dans le contexte budgétaire actuel.
Par ailleurs, nous assumons certains choix, comme la réduction de 10 millions d’euros du financement Muskoka, avec la fin de l’engagement multilatéral du G8, sans pour autant qu’il s’agisse de se désengager de la thématique santé maternelle et infantile, qui reste centrale dans nos politiques et l’action de l’Agence française de développement, ou l’effort concernant le Fonds asiatique de développement, qui se traduit par une réduction de moitié des autorisations d’engagement prévues.
Les engagements ont été tenus, notamment en ce qui concerne le maintien de l’aide projet et le renforcement de l’aide bilatérale. Cela correspond au souhait que vous avez exprimé l’an passé en transférant 20 millions du programme 110 vers le programme 209. Nous veillerons également à ce que les fonds « migration » et « climat » répondent aux besoins et permettent de mener des actions concrètes, notamment en nous aidant, lors de la négociation de la COP21, à emmener l’ensemble de nos partenaires vers l’accord ambitieux que nous appelons de nos vœux. L’aide aux réfugiés financera des actions concrètes, à travers le HCR ou les agences des Nations unies, notamment le programme alimentaire, qui sont des vecteurs efficaces et utiles.
L’allocation des fonds climatiques n’est pas encore arrêtée. Sur le plan géographique, elle devra cibler les plus vulnérables. Sur le plan thématique, elle devra permettre des actions d’adaptation : protection des forêts, lutte contre la dégradation des sols, développement des énergies renouvelables. Sur le plan tactique, nous devons mobiliser et encourager des actions concrètes de nos partenaires – dernièrement, j’ai travaillé avec l’Allemagne et la Suède. S’agissant des instruments, une part des actions climat sera portée en bilatéral, mais aussi en multilatéral. C’est une question, là encore, de levier et de force de frappe.
Dans un monde où les crises se multiplient, nous devons nous adapter aux évolutions et soutenir les fonds d’urgence. Les crédits alloués aux ONG humanitaires augmentent donc de 1 million d’euros ; les crédits de l’aide alimentaire et de sortie de crise sont stables. Quant à l’aide aux réfugiés, elle augmente de 50 millions d’euros.
Par ailleurs, nous soutenons les acteurs du développement conformément à l’esprit de la conférence d’Addis-Abeba. En ce qui concerne les ONG, une augmentation de 8 millions d’euros porte l’engagement total à 79 millions. Les crédits alloués à la coopération décentralisée restent stables, avec 9,2 millions d’euros, de même que ceux alloués au volontariat. Je précise que celui-ci fait l’objet d’une évaluation dont nous devrions connaître les résultats au mois de décembre. Le volontariat doit, en effet, être réformé, afin d’être plus lisible, ouvert à davantage de jeunes et mieux reconnu.
J’en viens maintenant à vos questions, messieurs les rapporteurs. Tout d’abord, la France est un acteur-clé de la santé mondiale depuis de nombreuses années ; elle y consacre 1 milliard d’euros d’engagements en 2014, soit 12 % de son aide publique au développement ; c’est une hausse par rapport à 2013.
En ce qui concerne le Fonds mondial, vous savez que la Cour des comptes a critiqué le mode de versement de la contribution – espèces, d’une part, bons du Trésor déposés à la Banque de France, d’autre part –, en raison du niveau élevé de la trésorerie actuellement logée à la Banque de France. Ce système a créé une bulle de plusieurs centaines de millions d’euros de trésorerie, que nous allons progressivement apurer. Mais la France – le Président de la République l’a confirmé aux ONG, il y a quelques semaines – est le deuxième contributeur au FMLSTP et elle versera, en 2016, sa contribution annuelle, qui s’élève à 360 millions d’euros.
La France est également le quatrième contributeur souverain à GAVI ; elle est engagée à hauteur de 1,7 milliard d’euros au titre de l’IFFIm (International finance facility for immunisation). Elle a annoncé, lors de la conférence de reconstitution des ressources pour la période 2016-2020, au mois de janvier dernier, une contribution additionnelle de 150 millions d’euros via l’IFFIm. En outre, nous mettons en œuvre une initiative pilote avec la Fondation Bill and Melinda Gates, en accordant, par l’intermédiaire de l’AFD, un prêt concessionnel de 100 millions d’euros qui sera remboursé par la fondation. Nous traduisons ainsi dans les faits notre engagement en faveur des coalitions d’acteurs. Nous consentons un effort budgétaire conséquent pour la période 2016-2020, avec un décaissement de 365 millions d’euros. Pour 2015, il nous reste à verser à GAVI 22 millions, qui ne sont pas budgétés ; nous ferons tout notre possible pour que ce soit fait avant le 31 décembre prochain. À ce jour, la France a versé, au titre de la période 2011-2015, 348 millions sur 370 millions, soit 94 % de son engagement total. Notre pays reste donc très engagé dans le domaine de la santé. GAVI a, du reste, exprimé sa satisfaction pour la façon dont nous avons contribué à la reconstitution de ses ressources pour la période 2016-2020.
Vous m’avez interrogée sur l’amendement que vous avez adopté l’an dernier afin de transférer 20 millions d’euros du programme 110 « Aide économique et financière au développement » vers le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement ». Le montant effectif du transfert, en intégrant le rabot final au titre des universités, est de 17 millions d’euros – 15,5 millions une fois la réserve déduite. L’objectif était de financer des projets bilatéraux. Ces projets concernent la santé et le climat : 8 millions d’euros ont été alloués au Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), 2 millions d’euros au Centre de crise et de soutien et 5,6 millions à l’Initiative santé solidarité Sahel (I3S).
Par ailleurs, l’engagement, pris en décembre 2013 par le Président Hollande lors du sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, de consacrer 20 milliards d’euros au cours des cinq prochaines années au développement de l’Afrique, est mis en œuvre par le groupe AFD-Proparco. Une recapitalisation de l’Agence a été engagée en 2014, qui lui permet notamment de renforcer son activité sur le continent africain. Les réalisations et prévisions d’engagement présentées pour la période 2014-2016 sont en ligne par rapport aux objectifs concernant l’Afrique. Le montant des engagements du groupe AFD en faveur de l’Afrique s’élève à 3,7 milliards en 2014 et à 3,8 milliards d’euros en 2015. L’objectif de l’AFD est de porter l’activité totale en Afrique à 11,5 milliards d’euros pour la période 2014-2016, dont 9,2 milliards d’autorisations de financement en Afrique subsaharienne et 2,3 milliards en Afrique du Nord. Pour les années suivantes, les résultats dépendent en partie de la situation politique et économique des différents pays. Il m’est donc difficile de vous préciser, à ce stade, l’APD nette, compte tenu du travail statistique nécessaire.
M. Gaymard m’a interrogée sur la trajectoire de l’aide publique au développement. Celle-ci, comme cela a été réaffirmé à Addis-Abeba, doit atteindre 0,7 % du RNB à l’horizon 2030. L’APD nette de la France représentait, en 2014, 0,37 % de son RNB, contre 0,45 % en 2012 et 0,41 % en 2013. Cette diminution s’explique essentiellement par une baisse des crédits des programmes 209 et 110 de la mission « Aide publique au développement », mais aussi par une moindre contribution des annulations de dettes de l’aide publique française, ce dont on ne peut que se féliciter. La trajectoire repart à la hausse puisque 4 milliards supplémentaires ont été annoncés d’ici à 2020, dont 2 milliards pour le climat, sous la forme de dons et de prêts, le montant des dons devant être abondé de 370 millions d’euros d’ici à 2020.
Je rappelle qu’en 2014, la France a gagné une place dans le classement mondial des contributeurs de l’aide publique au développement en volume, puisqu’elle occupe le quatrième rang, derrière l’Allemagne, les États-Unis et le Royaume-Uni. Cela est peut-être peu satisfaisant, mais c’est une marche supplémentaire.
L’adossement de l’AFD à la Caisse des dépôts et consignations était une nécessité pour nous permettre de répondre aux besoins et de respecter les engagements que nous avons pris à Addis-Abeba et à Lima ainsi qu’à ceux que nous prendrons à Paris dans les jours qui viennent. Le statut de cet adossement est en cours de discussion. Je ne peux pas vous apporter à ce sujet une réponse plus précise que celles que vous a faites Rémy Rioux lors de ses rencontres avec les parlementaires. Mais ces rencontres se poursuivront – il était également présent il y a quelques jours au Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) –, car je tiens à ce que cette opération se fasse dans la plus grande transparence et à ce que chacun puisse donner son avis à chaque étape. Selon le calendrier fixé par le Président de la République dans la lettre de mission qu’il a adressée à Rémy Rioux, celui-ci devrait remettre un rapport avant la fin de l’année 2015. Quant à la mise en œuvre effective du rapprochement, elle devrait intervenir dans le courant de l’année 2016, en fonction du processus législatif et réglementaire – la question se pose encore de savoir si une modification législative sera nécessaire. Quoi qu’il en soit, il serait heureux que la création de cet outil coïncide avec le bicentenaire de la Caisse des dépôts et consignations.
Encore une fois, toutes les parties prenantes au projet doivent être engagées dans la discussion. Cet outil devra être efficace, performant, à la hauteur de nos attentes et de celles de nos partenaires, qu’il s’agisse de pays amis, des collectivités territoriales, des entreprises ou des ONG. Il doit s’inscrire dans une perspective multi-acteurs car, ainsi que cela a été dit à Addis-Abeba, nous passons d’une logique d’aide publique au développement à une logique de financement du développement. Si l’APD reste un élément primordial, elle sera insuffisante et devra, pour être performante, être associée aux acteurs privés. Tel est le rôle de cet outil qui doit être celui de tous les acteurs qui consacrent leur énergie au service du grand défi que nous devons relever pour construire un monde zéro carbone et zéro pauvreté.
M. Jean-Pierre Dufau. L’objectif de consacrer 0,7 % du RNB à l’aide publique au développement, dont je rappelle qu’il figure dans la loi relative à la politique de développement et de solidarité internationale que nous avons votée il y a maintenant deux ans, demeure. Les engagements pris dans le cadre de cette loi portent à la fois sur le montant des crédits et sur leur affectation.
Le Groupe Socialiste, républicain et citoyen note avec satisfaction que la baisse du budget de l’ADP est enfin stabilisée ; nous en prenons acte et nous en remercions le Gouvernement. Mais cette stabilisation ne marque pas pour autant un nouveau départ. Or nous souhaiterions que le budget pour 2016 comprenne un signe supplémentaire, une petite amorce. Je défendrai donc un amendement visant, non pas à augmenter les dépenses budgétaires, mais à modifier l’affectation de certains crédits, comme nous l’avions fait l’an dernier, en proposant de réduire de 50 millions les bonifications de prêts du programme 110 au profit des dons et projets du programme 209, dont le Président de la République lui-même a souligné l’importance.
Pour ce qui est de ma question, est-il possible d’amorcer, dès le PLF 2016, un début de relance en vue de rétablir la trajectoire de 2020 ? Nous vous avons, du reste, interrogée à ce sujet, madame la secrétaire d’État, notamment sur l’échelonnement annuel, car je ne suis pas certain que nous connaissions tous les échelons. La priorité, je le rappelle, doit être accordée aux pays les moins avancés (PMA), comme cela est prévu dans la loi de 2014. Enfin, cette dernière doit faire l’objet d’un rapport d’évaluation en 2016, et j’aimerais bien que l’on puisse constater à cette occasion, non pas la fin d’une baisse, mais un réamorçage de la pompe.
M. Jean-Marie Tetart. À l’instar d’Hervé Gaymard, le groupe Les Républicains juge la situation paradoxale. Il est en effet paradoxal qu’après les annonces d’Addis-Abeba en faveur des financements innovants et de leur affectation en additionnel à l’aide au développement et celles de New York concernant les objectifs de 2020 et 2030, le Gouvernement ait pu proposer un budget traduisant une telle régression. Quelle mauvaise manière faite au Président de la république ! Certes, il s’est aperçu de son erreur, et il a souhaité la corriger en déposant un amendement. Mais celui-ci ne fait que rétablir le seuil de 2015. Or nous avons des dettes, qu’il nous faudra bien honorer, envers GAVI, le Fonds mondial, Initiative Sahel… Et si nous ôtons l’ensemble de ces dettes, l’aide au développement n’est même pas au niveau qui était le sien en 2015.
Si l’amendement qui doit être examiné dans les minutes qui viennent en séance publique était adopté, nous lancerions une dynamique ; ce serait un signe positif, qui permettrait d’espérer que l’objectif de 0,7 % puisse être atteint avant 2030. Je forme le vœu que l’on puisse prendre, ici, au moins l’engagement de rétablir l’aide publique au développement à son niveau de 2012. À quoi bon, en effet, se fixer des objectifs à l’horizon 2030 si nous ne sommes pas capables de maintenir ce budget le temps d’une législature ?
Par ailleurs, je constate que la baisse des crédits relatifs à la santé est particulièrement drastique. Aussi conviendrait-il d’affecter un éventuel bonus après paiement des dettes aux différents programmes consacrés à la santé, dont les crédits ont été réduits de 87 millions dans le budget initial. Si l’amendement est adopté ce soir, il faudra, du reste, discuter de l’attribution des crédits transférés.
Enfin, le Fonds social de développement est un objet non identifié dont la gouvernance est un peu obscure. Je souhaiterais que le Parlement, qui lui alloue des fonds, puisse discuter de son fonctionnement comme il le fait pour l’AFD.
M. Bertrand Pancher. Je dois me précipiter d’aller voter en séance publique : ces manœuvres sont choquantes ! On profite de l’examen du budget de l’aide publique au développement en commission élargie pour pilonner un amendement en séance publique…
M. le président Gilles Carrez. Je vous arrête tout de suite, monsieur Pancher. Comme je l’ai dit en préambule, nous devons examiner une trentaine de missions. Des réunions se tiennent donc matin, midi et soir ; il est inévitable que certaines d’entre elles aient lieu en même temps que la séance publique. Cette organisation a été décidée en conférence des présidents ; je me dois de la respecter. Mais, encore une fois, ne voyez aucune relation préméditée entre une éventuelle seconde délibération et l’examen de la mission « Aide publique au développement » ce soir, en commission élargie.
M. Bertrand Pancher. Le groupe UDI juge la situation budgétaire grotesque. Le Président de la République a pris un engagement très fort lors de la conférence sur le financement du développement qui s’est tenue à Addis-Abeba, et nous y avons cru. Après une baisse drastique de 700 millions d’euros des crédits alloués à la mission « Aide publique au développement » entre 2012 et 2016 – mission qui représente 0,36 % du RNB au lieu des 0,7 % prévus par l’ONU et revendiqués par le Président de la République –, nous avons cru que le budget de la coopération allait reprendre un cours normal. Or, malgré les efforts du Gouvernement pour augmenter, par amendement, le budget d’environ 100 millions d’euros, le compte n’y est pas.
Nous sommes donc tous en droit de nous demander comment nous allons bien pouvoir arriver aux 4 milliards d’euros supplémentaires promis par le Président de la République. S’agit-il vraiment de 4 milliards d’euros, du reste, et en quoi consistent-ils ? Il semblerait qu’il s’agisse, non pas d’aides directes, mais en grande partie de prêts. Ce n’est pas ce que nous attendons ! Il en est de même pour le Fonds vert, dont tout le monde s’aperçoit, notamment nos amis africains, que la dotation nette équivaut pratiquement au montant du financement de l’organisation de la COP21. Où sont les espèces sonnantes et trébuchantes ? Je souhaiterais donc que vous nous précisiez, madame la secrétaire d’État, en quoi consistent ces 4 milliards et quel est le calendrier pour y parvenir dans les cinq années qui viennent.
M. Gérard Charasse. Après plusieurs années de baisse, le Gouvernement stabilise, en 2016, le budget de l’aide au développement qui, depuis 2012, a progressivement fondu de 700 millions d’euros, si bien que notre pays s’éloignait de l’objectif international de consacrer 0,7 % de son revenu national brut au développement. Cette diète générale, à laquelle d’autres dépenses publiques n’ont pas échappé, était, certes, justifiée par le contexte budgétaire contraint actuel. Le groupe RRDP avait réussi, lors de l’examen du dernier PLF, à faire gagner à ce budget 10 millions de crédits supplémentaires, non sans difficulté puisque nous avions frisé la seconde délibération ; mais il en fallait encore davantage.
Pour pallier cette baisse chronique, le Gouvernement a pris une bonne décision, en portant le plafond de la taxe sur les transactions financières affectées au Fonds de solidarité pour le développement à 260 millions d’euros en 2016, contre les 140 millions initialement prévus, et en augmentant de 50 millions les crédits de la mission. Ces 170 millions d’euros supplémentaires viendront compenser à due concurrence la baisse initialement prévue, ce dont nous nous félicitons. Sans ces mesures, ce budget aurait subi une nouvelle fois une baisse de l’ordre de 6 % par rapport à 2015. Ce relèvement reflète l’engagement pris par le Président de la République devant l’ONU, en septembre dernier, d’augmenter les financements en faveur du développement de 4 milliards d’euros en 2020, consacrés pour moitié à la lutte contre le réchauffement climatique.
La France s’engagera ainsi, avec d’autres États, à combattre la pauvreté, à lutter contre le changement climatique et à aider les populations les plus vulnérables.
Dans cette perspective, la décision salutaire de rapprocher la Caisse des dépôts et l’Agence française de développement permettra d’augmenter les volumes d’engagement, d’autant que celle-ci a vu sa capacité d’engagement s’accroître considérablement ces dix dernières années, pour atteindre 8,5 milliards d’euros en 2016. Ce rapprochement devrait également nous permettre d’avoir une véritable agence de financement, à l’instar de l’Allemagne et de l’Italie, mieux dotée et équipée, et liée aux collectivités locales et aux entreprises, comme le fait Bpifrance.
C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste votera les crédits de l’aide publique au développement pour 2016.
Mme Françoise Imbert. Dans quelques semaines se tiendra à Paris la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) ; on connaît l’implication, la mobilisation et la volonté de notre pays de faire de cette conférence un succès. Nous savons tous combien négatif peut être l’impact du dérèglement du climat : multiplication des catastrophes naturelles, accentuation de la sécheresse, avec pour conséquence de mauvaises récoltes elles-mêmes responsables de malnutrition et de famine, et la progression de maladies qui accroissent l’extrême pauvreté dans de nombreux pays.
Membre de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, je souhaite insister sur la situation des femmes. Alors que celles-ci constituent le premier moteur du développement, elles paient, avec leurs enfants, un lourd tribut au dérèglement climatique. Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, a lancé un appel intitulé « Soutenir les femmes face au dérèglement climatique : pourquoi nous nous engageons », que je vous invite à relayer. Dans le budget de la mission « Aide publique au développement » pour l’année 2016, nous devons déployer un engagement fort et significatif en faveur des femmes. Il s’agit de montrer la solidarité de la France envers les pays les plus vulnérables, mais aussi envers les personnes les plus fragiles. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter des précisions sur notre implication dans des projets concrets concernant les femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes dans ces pays ?
M. Gwenegan Bui. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, la France est l’un des grands pays donateurs en matière de développement, même si les crédits affectés à cette politique publique ont diminué depuis la crise de 2008, et surtout depuis 2010. L’aide publique au développement ne représente pas seulement un supplément d’âme ou de la charité, mais bien un élément fondamental de la politique étrangère française. Dans la zone sahélienne, on ne peut pas se contenter d’une action sécuritaire ou militaire, même si celle-ci s’avère nécessaire ; l’APD doit intervenir pour rééquilibrer, redévelopper et aider ces territoires en grande crise.
Notre APD repose largement sur des prêts, et l’on constate que de plus en plus d’États africains rencontrent des difficultés dans le processus d’emprunt et ont besoin de dons. Or, année après année et majorité après majorité, la part des dons diminue par rapport à celle des prêts dans notre APD. Nous ne mésestimons pas les efforts engagés par le Gouvernement pour rééquilibrer cette situation, mais nous considérons que la relation entre la France et les pays en voie de développement (PVD) ne peut pas se résumer à l’action de Proparco. Or, il y a quelques mois, lors de son audition devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Mme Anne Paugam, directrice générale de l’AFD, avait expliqué en termes crus que l’Agence était « à l’os » et n’avait plus de ressources pour effectuer de nouveaux dons. Notre collègue Jean-Pierre Dufau présentera donc un amendement visant à augmenter le montant des dons inscrits dans ce PLF de 50 millions d’euros, non pas en augmentant le montant global des crédits mais en les rééquilibrant, pour se conformer à la contrainte budgétaire imposée.
Chaque année, les membres de la commission des affaires étrangères rappellent la nécessité de redynamiser notre politique de dons. Quelle est, sur cette question, la position du Gouvernement cette année ?
M. Bernard Lesterlin. Nous voterons, bien entendu, en faveur de l’accroissement des moyens consacrés à l’aide au développement, dont il faut considérer non seulement l’aspect financier mais aussi l’aspect humain. Le Président de la République a rappelé son attachement à la dimension internationale de l’engagement citoyen en France. De nombreux pays s’inscrivent dans cette démarche, qu’il convient d’accompagner en leur apportant l’ingénierie nécessaire.
Madame la secrétaire d’État, dans quelle proportion pourriez-vous augmenter les crédits dévolus au volontariat international en administration (VIA) et au volontariat de solidarité internationale (VSI) ?
Mme Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie. Monsieur Charasse, l’augmentation de 4 milliards d’euros de l’APD jusqu’en 2020 s’accompagnera d’une revitalisation des dons afin de donner une perspective à cette politique ; je regrette que l’on oublie également trop souvent les 370 millions d’euros, d’ici à 2020, de notre enveloppe consacrée aux dons.
Monsieur Dufau, je partage l’idée selon laquelle il y a lieu de consentir davantage d’efforts pour relever les défis qui sont devant nous. C’est pour cela que le Président de la République a annoncé un accroissement de nos prêts de 4 milliards d’euros et de nos dons de 370 millions pour les cinq prochaines années. Ces montants résultent d’arbitrages qui ont donné lieu à de vives luttes, mais ce ne sont pas uniquement les pressions extérieures qui ont conduit le Gouvernement à arrêter cette décision. Le choix financier pour le climat était opéré depuis quelque temps, mais il ne pouvait être annoncé qu’à New York afin de créer une dynamique pour la COP21 ; néanmoins, il est vrai que les prises de position de différents acteurs ont pesé pour renforcer la part consacrée aux dons.
Le programme 110 « Aide économique et financière au développement » contient la partie budgétaire proprement dite, mais également les bonifications des prêts des années précédentes, que l’on doit absolument honorer. Le chiffre de 2016 ne représente donc pas de nouveaux prêts, mais des anciens prêts bonifiés. Les auteurs de l’amendement qui vise ce programme doivent donc prendre en compte cette situation, car 95 % ont déjà été engagés : la marge de manœuvre s’avère donc limitée ! Grâce à l’aide budgétaire, nous pouvons, en revanche, consentir des dons, et l’aide liée de la Réserve pays émergents (RPE) et du Fonds d’études et d’aide au secteur privé (FASEP) nous permet de soutenir des projets. Je souhaite également parvenir à allouer 0,2 % du revenu national à l’aide publique au développement des pays les moins avancés, mais ce budget reste contraint, et nous devons nous montrer prudents et responsables dans notre action. Le Gouvernement a choisi de diminuer à la fois les dépenses publiques et les impôts, si bien qu’un arbitrage interministériel en faveur d’un programme se fait au détriment d’un autre.
À New York, le Président de la République a annoncé que 4 milliards d’euros seront consacrés par la France au développement, dont 2 milliards dédiés au climat. Cette hausse englobera des prêts et des dons, notamment en direction des PMA qui constituent la cible principale de notre action et la destination privilégiée de nos dons et de nos prêts bonifiés, comme nous nous y sommes engagés à la conférence d’Addis-Abeba. Les PMA sont les plus frappés par le dérèglement climatique et doivent relever un ensemble de défis impressionnants comme le terrorisme, la guerre et la démographie.
Afin d’asseoir notre crédibilité, l’accroissement de notre aide au développement se déploiera dès 2016, à hauteur de 150 millions d’euros, ce qui permettra sinon d’augmenter le budget, du moins de le stabiliser. Il s’agit d’une première étape, qui a nécessité de longs plaidoyers et un engagement de ce gouvernement annoncé par le Président de la République.
La mise en place, notamment de la partie prêts, devra être revue en détail, puisque le rapprochement entre la Caisse des dépôts et consignations à l’AFD permet de bénéficier d’un levier plus important. D’autres priorités pourront être définies dans le courant de l’année, dans le cadre de la loi de 2014.
Nous disposons d’une palette variée d’outils de financement du développement – subventions, dons, contrats de désendettement et de développement (C2D), aides budgétaires globales, financements aux ONG, prêts aux conditionnalités différenciées selon les pays –, que nous devons utiliser en totalité. Je constate sur le terrain que les pays du Sud privilégient de plus en plus les prêts, assortis de fortes bonifications, afin de se responsabiliser ; ils souhaitent également être accompagnés, recevoir des transferts de compétences et des soutiens en expertise, mais également accueillir nos entreprises, bien plus que percevoir des dons. C’est une réponse globale qu’il convient d’apporter aux enjeux du développement.
En 2014, 83 % de notre APD était constituée de dons et 17 % de prêts. Nous concentrons la moitié de nos subventions sur les seize pays pauvres prioritaires (PPP), comme le dispose la loi de 2014.
Madame Imbert, la France s’est beaucoup battue sur la question du genre ; d’ailleurs, nous avons ardemment défendu le maintien de l’objectif consacré au genre et à l’égalité entre hommes et femmes, alors que certains voulaient le supprimer de la liste des dix-sept objectifs de développement durable. Les politiques de genre se trouvent au cœur des priorités de notre action diplomatique et financière, puisque 350 millions d’euros par an sont consacrés à l’égalité entre les femmes et les hommes, soit 35 % de notre APD en 2014. Il s’agit là d’un domaine essentiel, car ce sont les femmes et les enfants les plus touchés par le dérèglement climatique et par les catastrophes naturelles. Voilà pourquoi le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, a annoncé, lors de la troisième conférence mondiale des Nations unies sur la réduction des risques de catastrophe tenue à Sendai en mars dernier, le déploiement d’un projet d’alerte précoce des populations en cas de catastrophe naturelle. L’idée c’est que, d’ici à 2020, chaque personne puisse être informée de l’arrivée d’une catastrophe et du lieu où se protéger. De nombreux enfants et femmes sont morts aux Philippines, car cette population vulnérable s’était réfugiée là où la catastrophe a le plus frappé. Il importe aussi de disposer d’une information météorologique, dont plusieurs pays africains sont privés. Là encore, ce sont les femmes les plus touchées par les phénomènes naturels ; la désertification a un impact sur leur travail de la terre et les oblige à parcourir de plus longues distances pour trouver de l’eau.
Nous travaillons à la montée en puissance des services civiques, réformons le VSI et conduisons une réflexion sur le VIA et sur le volontariat international en entreprise (VIE). À partir de l’an prochain, nous souhaitons amorcer une trajectoire débouchant sur une augmentation de 30 % de notre volontariat. Nous réfléchissons également sur la durée et sur les besoins financiers correspondants.
La France participera à hauteur de 1 milliard de dollars à l’alimentation du Fonds vert pour le climat, l’ensemble des contributions devant représenter 10 milliards de dollars. La France assurera notamment 489 millions d’euros de dons et 285 millions de prêts.
M. Michel Destot. Tout ne dépend pas du niveau budgétaire de l’engagement de l’État, et l’utilisation des moyens affectés s’avère cruciale. Hervé Gaymard a souligné que l’AFD était essentiellement une banque, mais elle est également un opérateur de solidarité internationale dans lequel les capacités d’expertise et d’accompagnement dépassent celles du seul financement. Et l’adossement de l’AFD à la CDC à lui seul ne suffit pas, même s’il représente effectivement un gain en termes de solidité financière.
On ne met pas assez en valeur ce qui se fait sur le terrain. Avec Jean-Marie Tetart, nous nous sommes rendus à Kinshasa en République démocratique du Congo, où nous avons rencontré des équipes formidables : heureusement qu’elles sont là, car tout ne se décrète pas à Paris. L’État n’est pas le seul décideur en matière de gouvernance, et les collectivités locales, les entreprises, les ONG et les associations doivent jouer un rôle plus important et mieux articulé qu’il ne l’a été jusqu’à présent.
On peut intervenir dans tous les champs – économique, social, éducatif et de la santé – qui intéressent les pays sous-développés et les plus pauvres, mais comme nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes, n’aurions-nous pas intérêt à définir des priorités ? Celle de l’urbanisation, par exemple, car ce phénomène mondial et irréversible affecte sévèrement les pays les plus pauvres. C’est, en outre, dans les villes que 80 % des gaz à effet de serre (GES) sont émis.
Mme Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie. La meilleure articulation des actions des acteurs que vous invoquez est précisément le but du rapprochement de la CDC et de l’AFD ; l’Agence travaille davantage avec les ONG et les gouvernements, quand la CDC jouit d’une importante expérience en matière d’accompagnement des collectivités locales. Ces dernières pourront se rapprocher de groupements d’ONG et d’entreprises afin d’intervenir, si elles le souhaitent, de façon plus globale et cohérente dans les pays du Sud. Il convient également de favoriser le développement des relations entre les pays du Sud.
Monsieur Destot, vous réclamez une action assise sur des priorités, mais cela correspond exactement à ce que nous faisons. Nous mettons ainsi cette année l’accent sur le climat et les réfugiés, alors que nous nous étions concentrés sur la lutte contre l’épidémie d’Ebola l’année dernière. Face aux migrations économiques, nous devons apporter une réponse de long terme qui provienne des pays d’origine.
Dans le domaine du climat, nous avons défini des priorités qui concernent les systèmes d’alerte, les énergies renouvelables et les villes durables dans lesquelles nous nous focalisons sur les transports. En outre, les parlementaires, lors de l’adoption de la loi de 2014, avaient rappelé les priorités géographiques et sectorielles de l’action de notre pays, et c’est dans ce cadre que nous arrêtons des choix. Nous devons insister sur l’adaptation, question qui ne touche pas que le climat, mais également la lutte contre la pauvreté. Nos objectifs dans ces deux domaines, couplés à ceux du développement durable, convergeront en 2016, ce qui renforcera notre efficacité.
Nous travaillons actuellement à la préparation du sommet sur la migration, qui se tiendra en novembre prochain à La Valette. Nous ne pourrons pas nous contenter d’une réponse sécuritaire, et nous proposerons, avec l’Allemagne et la Suède, des initiatives en direction de la jeunesse. En outre, le Fonds pour le Sahel sera abondé de 1,8 milliard d’euros, et nous préciserons ses interventions. L’ensemble des actions européennes de soutien devront, en tout état de cause, être cohérentes avec nos opérations bilatérales.
M. le président Gilles Carrez. Nous vous remercions, madame la ministre.
La réunion de la commission élargie s’achève à vingt-deux heures vingt.
Il est ouvert aux ministres, pour 2016 au titre des comptes d’affectation spéciale et des comptes de concours financiers, des autorisations d’engagement et des crédits de paiement s’élevant respectivement aux montants de 183 527 164 908 € et de 183 234 443 457 €, conformément à la répartition par compte donnée à l’état D annexé à la présente loi.
(Article 26 du projet de loi)
Répartition, par mission et programme,
des crédits des comptes d’affectation spéciale
et des comptes de concours financiers
II. – COMPTES DE CONCOURS FINANCIERS
(en euros) | ||
Mission/Programme |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Prêts à des États étrangers |
1 464 707 502 |
1 093 207 502 |
Prêts à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France |
330 000 000 |
300 000 000 |
Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France |
734 707 502 |
734 707 502 |
Prêts à l'Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers |
400 000 000 |
58 500 000 |
Prêts aux États membres de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro |
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