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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 63

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 7 juillet 1998
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Jean Le Garrec, président : Monsieur le ministre, nous avons deux points importants inscrits à l'ordre du jour de cette audition, que je vous propose d’aborder successivement dans cet ordre :

1. La réforme de l’enseignement dans les lycées ;

2. Le Plan social étudiant.

Mais je voudrais d'abord faire simplement une remarque liminaire. Monsieur le ministre, vous avez indiqué lors de votre audition au Sénat qu'on ne peut pas se satisfaire, bien entendu, d'une seule audition pour faire le tour des problèmes de l'Education nationale. Même si on aura l'occasion d'en parler aussi lors du débat budgétaire, est-ce qu'il ne serait pas nécessaire et utile d'avoir un débat plus général devant l'Assemblée nationale, qui traiterait de l'ensemble des problèmes de l'Education nationale en allant, bien entendu, du primaire au supérieur ?

C'est un sujet lourd, important, difficile, préoccupant. Vous faites beaucoup de réformes. Je crois que globaliser l'ensemble du discours serait tout à fait utile.

M. Claude Allègre : Monsieur le président, comment ne serais-je pas d'accord pour avoir un débat sur l'éducation au Parlement ? En ce qui me concerne, chaque fois que vous m'avez demandé si j'étais prêt à avoir un débat dans l'hémicycle, j’ai donné mon accord. Je serais ravi d'avoir un débat au Parlement. Simplement, tout le monde m'explique qu'il n'y a pas de place dans l’ordre du jour au Parlement. Donc, Monsieur le président, je dirai au Premier ministre que je le souhaite, comme je lui avais dit que je le souhaitais.

M. Jean Le Garrec, président : Nous dirons au Premier ministre que nous le souhaitons aussi. Peut-être que les souhaits se rencontreront. Maintenant, nous abordons la réforme de l’enseignement dans les lycées.

1. L'enseignement dans les lycées

M. Claude Allègre : Je voudrais répondre à quelques interrogations préalables. D’abord, pourquoi le lycée ? Parce que, le lycée, c'est le carrefour. C'est la fin de l'enseignement obligatoire à 16 ans, et c'est le moment où on s'oriente soit vers la vie active, soit vers l'enseignement supérieur. C'est lui qui détermine très largement ce qui va suivre par la suite.

Je vais vous donner une information que vous n'avez peut-être pas et qui est extraordinairement inquiétante pour notre pays : depuis deux ans, le nombre de bacheliers qui se destinent aux filières scientifiques a décru de 20 % l'année dernière et de 22 % cette année, que ce soient les filières d'ingénieurs, les filières d'universités, les classes préparatoires aux grandes écoles, tout confondu.

Je donne un deuxième chiffre : d'après l'inspection générale, près de 60 % des élèves qui sortent du lycée n'ont jamais fait un exposé oral devant une classe. Et, troisième indication : 85 % des mentions au-dessus de la mention assez bien sont données à des enfants qui sont aidés, soit qu'ils soient eux-mêmes fils d'enseignants, soit qu'ils prennent des leçons particulières.

Donc, nous avons là un certain nombre d'indices qui nous montrent qu'il y a réellement un besoin de rénovation. Et, quand on parle de programmes - je suis très ferme sur ce point -, l'enseignement se réforme par le haut. Parce que, s'il se réforme par le bas, c'est l'empilement, c'est ce qu'on a fait depuis trop longtemps.

Cela étant, nous n'avons pas été inactifs sur les collèges. Demain matin, Ségolène Royal parlera cette fois, non pas du contenu des collèges, mais de l'organisation des collèges, à la suite du rapport qui a été fait par le groupe animé par François Dubet. Et nous parlerons ensemble du problème de l'école et de l’aménagement des rythmes scolaires vendredi.

La méthode sur le lycée a été, je pense, une méthode exemplaire et unique. Nous avons confié à Philippe Meirieu et à son équipe le soin de faire cette consultation, qui a consisté à interroger les lycéens, non pas sur le contenu des programmes, mais sur la manière dont ils les recevaient et dont ils étaient enseignés, et sur les enseignants. Ceci a représenté le dépouillement de 2,5 millions de questionnaires par 50 000 personnes. Ces questionnaires restent d’ailleurs une référence assez intéressante pour d'autres travaux et sont à la disposition de qui les veut. Ils ont été suivis de colloques académiques, puis d'un colloque national. Et, à partir de là, un certain nombre de principes ont été dégagés, en coopération, bien sûr, avec Monsieur Meirieu, mais c’est moi qui prends la responsabilité des onze principes de référence destinés à servir de base à l’organisation et au contenu des études.

Je vais vous proposer d’examiner ces onze principes. Comme vous allez le voir, ce ne sont pas des principes généraux, contrairement à ce qui a été dit, mais des principes extraordinairement contraignants dans leur généralité.

Premier principe : le lycée est, dans le parcours scolaire, le cycle de la diversification.

L’engagement principal est qu’aucune sortie du système scolaire ne doit se faire sans une qualification attestée. Or, aujourd'hui, il sort de ce système scolaire 50 000 enfants sans rien, ni diplôme, ni qualification.

Deuxième principe : le lycée doit être le lieu d'apprentissage de la citoyenneté républicaine.

Dans l'enseignement qui doit être donné au lycée, il faut apprendre à travailler en équipe et à travailler individuellement, deux méthodes qui ne sont pas en opposition mais complémentaires. Le lycée doit être également le lieu d'apprentissage d'un débat argumenté. Je vous renvoie à ce que je vous ai dit, au début, au sujet des exposés. Et il y a le problème, évidemment, de faire l'apprentissage de la démocratie. Ce qui veut dire un respect mutuel entre élèves, entre élèves et maîtres ; naturellement, du maître par rapport à l'élève et de l'élève par rapport au maître.

L'autre point très important - et c'est une grande nouveauté -, c'est de dire que tous les élèves, quelle que soit leur filière, ont droit d'accès aux formes culturelles et patrimoniales de l'enseignement. C'est-à-dire que ce n'est pas parce qu'on est dans l'enseignement technique ou dans l'enseignement professionnel qu'on n'a pas d'enseignement artistique, d'enseignement de philosophie ou d'enseignement de français et de littérature. C’est un engagement extrêmement fort : tous les lycéens bénéficient d'un enseignement d'éducation civique, social, juridique, politique. Tous les lycéens bénéficient de l'accès à la culture scientifique et technique.

Troisième principe : éducation et formation doivent être présentes dans l’enseignement donné au lycée dans des proportions qui varient en fonction du type d’établissement.

Dans les trois voies distinctes - la voie générale, la voie technologique et la voie professionnelle -, avec naturellement un poids qui n'est pas le même, il doit y avoir des éléments d'éducation générale et de formation. Ce n'est parce qu'on est dans une filière générale qu'il ne faut pas apprendre à se servir d'un ordinateur, qu'il ne faut pas savoir écrire une lettre ou faire un rapport, comme c'est malheureusement le cas. Et tous doivent être, naturellement, initiés aux nouvelles technologies.

Quatrième principe : l’orientation devra être progressive, réversible et fondée sur des critères positifs.

L’orientation ne doit pas être un couperet, elle doit se faire sur trois ans progressivement et elle doit se faire par un dialogue entre les parents, les élèves, et, naturellement, les enseignants. Je ne vous cache pas que ce quatrième principe est sûrement très difficile à mettre en oeuvre. Mes prédécesseurs s'y sont essayé sous des formes diverses, avec des résultats très difficiles. Et je ne prétends pas que nous réussirons à résoudre ce difficile problème d'orientation d’un claquement des doigts. Mais il est absolument indispensable que cela soit réaffirmé.

Cinquième principe : les horaires d’enseignement excessifs et les programmes surchargés concourent à la déstructuration de la formation intellectuelle et aggravent la discrimination sociale.

Conformément aux travaux de la commission Meirieu, nous proposons que les horaires d'enseignement en classe ne puissent dépasser vingt-six heures dans la voie générale, trente heures dans les voies technologiques et que - j'insiste sur le fait que ce n’est pas une réduction du temps de présence au lycée -, le temps ainsi dégagé permette d’effectuer des travaux en petits groupes, par exemple dans l’éducation des langues. Car il est bien évident que, avec une réduction des horaires et un nombre d’enseignants constant, on va pouvoir mettre en place des petits groupes et aider les élèves.

Sixième principe : les enseignements littéraires et de sciences humaines devront s’appuyer sur la culture de base qui constitue le fondement de notre héritage européen.

Naturellement ce n'est pas dans ce cadre qu'on va fixer le contenu des enseignements littéraires, scientifiques et autres. Mais nous avons voulu marquer quelques orientations. J’insisterai sur deux d’entre elles :

- Dans les enseignements littéraires et des sciences humaines, la maîtrise de la langue française est l'exercice privilégié de l'enseignement. Mais, à la dissertation classique, nous souhaitons ajouter jusqu'en première - ce qui n'existe pas - la pratique de rédactions, c'est-à-dire d'œuvres d'imagination et non pas, simplement, de dissertation.

- Dans les programmes d'histoire, nous souhaitons que l'optique et la vision européennes soient systématiquement explorées et qu'on sorte d’une vision purement hexagonale de l’enseignement de l’histoire.

Septième principe : l'enseignement des sciences sera conçu autant sous son aspect culturel et historique que son son aspect opératoire.

Comme vous vous en doutez, je suis très attaché à ce principe, notamment parce que je vois l'échec actuel de l'enseignement scientifique par le manque d'orientation des élèves. Il y a une nécessité - Georges Charpak, Pierre-Gilles de Gennes l'ont dit à plusieurs occasions - d'équilibrer l'apprentissage de l'observation et de l'abstraction ; la méthode expérimentale et pas seulement le rôle des mathématiques. Même si le rôle des mathématiques doit être tout à fait éminent, il ne doit pas être unique. Enfin, le contenu culturel des sciences doit être développé, alors qu'il ne l'est pas. Il n'est pas possible d'avoir une population coupée en deux, entre des scientifiques et des non-scientifiques : ceux ayant la chance d'avoir fait des sciences et les autres y étant devenu allergiques.

Huitième principe : l’enseignement des langues étrangères devient dans notre monde moderne un élément essentiel de la formation des futurs citoyens.

Nous ne sommes pas bons dans les langues étrangères ; toutes les évaluations internationales montrent que nous sommes en retard ; il faut faire davantage appel aux exercices oraux et aux locuteurs natifs.

Neuvième principe : le rôle de l’enseignant est de délivrer son enseignement, de permettre à tous les élèves l’accès au savoir, mais il est aussi d’aider l’élève à maîtriser ces apprentissages.

Nous réaffirmons que, dans le cadre des programmes nationaux, l’enseignant a une grande liberté pour adapter les enseignements en fonction des élèves. Nous insistons aussi sur l’idée plus que jamais fondamentale - en particulier dans les quartiers difficiles, mais partout -, de la nécessité d’avoir une équipe d’enseignants, travaillant comme telle, se coordonnant, et non pas une juxtaposition d’enseignants.

Dixième principe : le baccalauréat constitue l’examen final du lycée, mais il est aussi l’examen d’entrée à l’université, dont il constitue le premier diplôme.

C'est un diplôme national, garantissant l'égalité républicaine. A ce sujet, si on veut laisser aux enseignants une liberté de création, une liberté de diversifier cet enseignement, il faut en même temps qu'à certains moments, il y ait des contrôles nationaux ; parce que, sinon, il n'y a plus d'égalité républicaine. Par conséquent, l'initiative des enseignants est compatible avec un baccalauréat national. Je n'ai aucune intention de supprimer le baccalauréat national. Cette année, j'ai même fait en sorte que les sujets soient uniques à l'échelle nationale.

Onzième principe : deux voies technologiques et professionnelles caractérisent la formation technique en France.

Tout le monde est maintenant d'accord pour faire en sorte que ces enseignements techniques et professionnels aillent vers l'alternance. C'est déjà le cas dans un certain nombre d'endroits, mais il faut généraliser cette pratique. Je dis bien : « l’alternance » et non « l’apprentissage ». Et, sur ce point, je voudrais réaffirmer encore une fois un sujet une idée qui me tient particulièrement à cœur, qui est que l'éducation nationale doit être son propre recours, c’est-à-dire qu'elle doit mettre en place les dispositions et les dispositifs pour que les échecs qui se produisent en son sein puissent être réparés en son sein. C'est essentiel, en particulier pour l'enseignement technologique et professionnel.

Je dirai, pour terminer, que les lycées professionnels sont probablement, compte tenu des conditions dans lesquelles ils ont travaillé, une des plus grandes réussites de l'enseignement français. Alors qu'on a fait une contre-sélection en envoyant des gens dans ces lycées professionnels, ils remplissent leurs fonctions merveilleusement par rapport à l'emploi, merveilleusement par rapport aux petites et moyennes entreprises. Et, dans la loi que je vous présenterai au mois de novembre sur l'innovation et la recherche, vous verrez que je donne un rôle dans la recherche, pour aider les PME, aux lycées professionnels.

Je voudrais dire aussi que ces lycées professionnels se sont développés grâce à des efforts remarquables des régions, qui les ont aidés, souvent dans des conditions difficiles. Il faut savoir que la majorité des élèves des lycées est dans les lycées professionnels. Quand on parle du lycée, tout le monde pense au lycée général, alors que cela ne représente pas la grande masse des lycéens. Je regrette aussi qu'il y ait des places dans les lycées professionnels et qu'elles ne soient pas remplies en raison des préjugés, alors que les débouchés sont quasiment assurés.

M. Jean Le Garrec, président : Avant de donner la parole à ceux qui veulent vous interroger, Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser quelques questions très rapides :

- Pouvez-vous préciser le contenu du programme d’éducation civique ?

- En tenant compte de l’horaire des enseignants, comment organiser des actions individualisées pour les élèves les plus en difficulté ?

- Vous n’avez pas fait référence à la filière économique et sociale. Est-elle remise en question ?

- Quel doit être le rôle des régions, qui peut aller beaucoup plus loin que le simple effort en direction des bâtiments ?

M. Yves Durand : Monsieur le ministre, je me félicite que vous ayez placé le problème de l'organisation de l'enseignement dans les lycées au niveau où vous le placez. Notamment, ici, cet après-midi, c'est-à-dire en en faisant une affaire nationale, en vous exprimant devant les parlementaires, et non pas uniquement une affaire entre, j'allais dire, « consommateurs » de l'enseignement - le mot n'est pas bon, mais c'est le premier qui me vient à l'esprit -, c'est-à-dire qui soit uniquement une discussion avec les enseignants eux-mêmes, voire les parents d'élèves ou les élèves. Car, derrière l’organisation des lycées, il y a, au fond, toute la mission que nous donnons à l’enseignement.

Il y a deux points qui nous apparaissent très positifs dans le texte que vous présentez. C'est, d'une part, cette notion de culture commune, extrêmement importante dans ce cadre de la mission de l'enseignement. A savoir que chaque élève, à la sortie du lycée, ait une sorte de socle, à la fois culturel, économique et politique, quelle que soit sa filière. C'est un élément essentiel qui nous fera certainement passer de la notion de massification de l'enseignement à celle de démocratisation de l'enseignement. Et puis, ensuite, c'est de voir dans chaque enseignant autre chose que le transmetteur de savoir, de voir que c'est également celui qui accompagne les élèves. Nous savons très bien que, non seulement dans les quartiers défavorisés, mais partout, l'enseignant a également, et peut-être surtout, ce rôle-là.

Je voudrais maintenant vous poser deux questions.

Première question : le lycée n'est pas un maillon isolé dans le système de formation. Et, par conséquent - vous y avez répondu allusivement tout à l'heure dans votre introduction -, il y a également, notamment dans le second cycle, le problème du collège. Nous n'aurons pas une véritable efficacité du système de formation dans le second degré si, également, nous n'avons pas la même réflexion, ou une réflexion du même type, sur le collège.

Deuxième question : la rénovation de notre enseignement secondaire passe évidemment par un certain nombre de moyens, qui ne sont d'ailleurs pas forcément des moyens financiers et budgétaires, qui sont des moyens, je dirai, intellectuels, voire psychologiques par rapport à l'attitude des maîtres, à l'attitude des enseignants, et qui relèvent de la persuasion et donc de la formation des maîtres. Il y a peut-être aussi une réflexion à mener sur des points aussi précis que l’architecture et la structure des bâtiments, de façon à donner le meilleur de ce qu'il y a dans vos propositions en ce qui concerne les deux points de fond que je rappelais en introduction : à la fois la culture commune et l'accompagnement individuel de l'élève.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Une remarque préliminaire d'abord : une énième réforme dans les lycées, on demande à voir...

Premier point : la consultation. Vous avez parlé de 2,5 millions de réponses. Vous avez mis des moyens très importants. Permettez-moi quand même d'être sceptique quand je vois le type de questions qui ont été posées aux enfants : ce sont des questions extrêmement fermées. Je pense qu'on peut leur faire dire, pour un certain nombre d'entre elles, ce que l'on veut. C'est une remarque générale.

Deuxième point : « lycée carrefour », avez-vous dit. C'est un point important. Pour vous, c'est la fin de l'enseignement obligatoire, si je reprends bien vos propos, qui débouche ensuite soit sur la vie active, soit sur l'enseignement supérieur. Cela veut-il dire que c'est un passage obligé, que tout le monde doit passer par le lycée et qu’il n’y a pas de possibilité d’orientation avant le lycée ? Qui oriente vers l'enseignement supérieur ? Vous dites : le bac, c'est à la fois l'examen final et l'examen d'entrée. Permettez-moi d'être sceptique, encore une fois. Car je souhaiterais, pour ma part, qu'il y ait un véritable examen d'entrée pour aller dans les universités et pour éviter à de trop nombreux jeunes de perdre leur temps en université pendant deux ans et de sortir ensuite sans aucun diplôme. C'est un problème de considération, c'est un problème de justice vis-à-vis de ces gens.

Je serais heureuse que vous puissiez préciser vos projets. Personnellement, je suis tout à fait favorable à une réduction des emplois du temps et des programmes dans les lycées qui sont encore trop chargés. Je souhaiterais personnellement qu’on aille vers des apprentissages plus fondamentaux pour laisser justement aux enfants le temps de réfléchir et, peut-être, d’apprendre à travailler. Enfin, je prolonge la question de Monsieur Le Garrec : j'aimerais que vous nous donniez des précisions sur l'enseignement économique et social. Car nous avons tous reçu des courriers des professeurs qui sont très inquiets à ce sujet ; vous auriez tenu des propos qui les ont beaucoup inquiétés.

Dernier point : vous avez parlé d'une orientation progressive et réversible en trois ans au niveau du lycée. L'idée est peut-être intéressante, mais, pour en être sûre, je souhaiterais que vous la développiez.

M. Jean-Pierre Baeumler : Je voudrais d'abord souligner l'effort de concertation sans précédent qui a précédé l'élaboration de cette réforme. On a compris qu'on ne pouvait pas réformer le système éducatif par le haut, d'une façon autoritaire. Nous souhaiterions simplement que cette concertation ne s'arrête pas à ce stade et se poursuive lorsqu'il s'agira d’engager, de façon concrète, ces différentes réformes, avec l'ensemble des partenaires, les organisations syndicales, les parents d'élèves, les élèves, mais aussi le Parlement lui-même et, naturellement, les régions.

Deuxième remarque : ces propositions s'inscrivent dans le cadre d'une politique de réformes engagée depuis maintenant un an ; je voudrais que ces réformes soient poursuivies, en prenant en compte en partie aussi le collège, que leur mise en oeuvre soit planifiée, organisée et que les moyens financiers soient dégagés pour les mettre en œuvre. Ce serait peut-être l'occasion de dire un mot du budget 1999. Aurez-vous en partie, dans le budget 1999, les moyens de mettre en oeuvre ces politiques ?

Troisième remarque : il y a là une série d'orientations concrètes - les langues, les technologies nouvelles -, mais aussi des objectifs plus généraux, que je salue : la démocratisation, la lutte contre la sélection sociale, l'égalité des chances et l'affirmation du caractère « éducatif » de notre système éducatif. Nous aimerions avoir quelques précisions là-dessus. Je note en particulier que le Conseil de la vie lycéenne a disparu ; je le regrette un peu.

J’en viens à mes questions :

- L’allégement des programmes est souhaité, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

- Comment sera organisé le service des enseignants quand il y aura répartition entre un travail d’enseignement plus classique et un travail de groupe pour un suivi individualisé ?

- Les trois voies normales sont maintenues, mais comment améliorer concrètement les échanges, les passerelles entre les trois filières, les trois types d'établissements ?

- Et enfin, comment assurer la promotion de la culture scientifique, et, en particulier, des disciplines scientifiques qui, aujourd'hui, sont souvent détournées de leur vocation pour sélectionner les meilleurs élèves ?

M. Bruno Bourg-Broc : Monsieur le ministre, une remarque en préambule : on vous voit trop peu souvent, mais ce n'est pas de votre fait. Je veux dire simplement que je partage totalement l’avis que vous avez exprimé en début d'audition : le débat qui nous concerne est suffisamment important pour qu'on en parle au Parlement davantage qu'on ne le fait. La Représentation nationale - c’était déjà vrai avec vos prédécesseurs - ne décide pratiquement plus rien en matière d'Education nationale. Comment faire autrement, même si les propositions que vous nous faites sont, la plupart du temps, d'ordre réglementaire ? Je soutiens donc la demande du président Jean Le Garrec d’un débat en séance publique.

Je voudrais ajouter à ceci quelques questions précises :

- Peut-on s'interroger valablement sur la durée des horaires d'enseignement sans, au préalable, se pencher sur le contenu des enseignements ? Ce sont deux démarches qui doivent se suivre, me semble-t-il.

- L'apprentissage de la citoyenneté, la multiplication des langues vivantes, les nouvelles technologies, les sciences sociales et politiques, l'éducation civique et juridique, l'aspect culturel des sciences, l'approche multidisciplinaire de certains sujets - comme l'environnement, par exemple -, tous ces enseignements nouveaux doivent s'accompagner d'une diminution du nombre total des heures de cours. Alors, concrètement, comment allez-vous concilier cette diminution et, parallèlement, l'augmentation du nombre des matières, tout en maintenant les enseignements traditionnels ?

- Quelle est, selon vous, la nouvelle répartition du plan de travail des enseignants entre l’aide au travail individuel et les heures de cours ? Je sais qu'une négociation est en cours, mais quel est votre point de vue sur cette répartition ?

- Qu’entendez-vous par : « culture de base qui constitue le fondement de notre héritage européen » ? Qui va définir cette culture de base, selon quelles modalités et quelles références ? On peut faire la même remarque sur le programme des sciences sociales et politiques : quelles références, qui les définit et comment ?

- Dernière question : vous avez souligné l'importance de l'orientation. Je crois que cette orientation est effectivement très importante. Jusqu'à présent, l'orientation vers l'enseignement professionnel et l'enseignement technologique était souvent faite par l'échec. Quelles mesures concrètes envisagez-vous pour que cette orientation se fasse à la fois le plus tôt possible, tout en maintenant le principe de passerelles tout au long de la scolarité, et pour que les moyens réels d'orientation, d'information soient donnés au niveau des collèges comme des lycées ?

M. Guy Hermier : Ma question est quasiment une question préalable et je pourrais m’y limiter. Nous souhaitons, pour notre part, que sur un sujet aussi important il n'y ait aucune mesure réglementaire de prise sans que soient engagées les concertations nécessaires avec tous les partenaires du système éducatif, des parents d'élèves aux syndicats d'enseignants. Et que, deuxièmement, il y ait au Parlement, comme vous l'avez souhaité, Monsieur le président, un débat sur cette question.

En effet, nous sommes un peu étonnés, sur le fond, que l'on commence par la réforme de l’enseignement dans les lycées. Il y a dans les lycées des problèmes majeurs, personne n'en disconvient. Mais, à l'évidence, c'est quand même au collège que les problèmes principaux se posent. C'est notamment là que se nouent les situations de ségrégation sociale et d'échec scolaire. Donc, nous allons faire des efforts communs pour que ce débat vienne le plus tôt possible à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de manière à avoir une vue d'ensemble des objectifs du ministère. Car je vois mal qu'on puisse réformer l'enseignement dans les lycées sans prendre d'abord le coeur du problème, qui nous semble être dans les collèges.

Deuxièmement, je ne suis pas satisfait de l'enchaînement des étapes. Vous avez fait une consultation, très bien. Il y a eu un rapport : nous n'en avons ni la synthèse chiffrée, ni la synthèse académique. Nous n'avons pas la synthèse des journées thématiques et des journées disciplinaires. Nous avons eu sur cette base un rapport Meirieu qui, sur certains sujets - par exemple, sur la culture commune -, dit des choses que je ne retrouve pas dans les synthèses académiques que j'ai pu lire, donc, qui édicte un certain nombre de principes qui lui sont propres.

Vous nous avez donné la semaine dernière - vous venez de les commenter - onze principes qui doivent servir de base à l’organisation et au contenu des études. Je les trouve suffisamment généraux - et, pour certains, je les voterai sans aucun problème - pour permettre la mise en œuvre de toutes les mesures du rapport Meirieu que l'on veut et suffisamment précis sur la question des horaires et des contenus. Mais je rejoins la question qui a été posée sur le fait de savoir comment on peut réduire les horaires sans s'être interrogé sur les contenus de l'enseignement que l'on donne et ce qui en découle du point de vue des charges des enseignants.

Donc, Monsieur le ministre, nous ne saurions nous satisfaire d'une audition en commission des affaires culturelles, familiales et sociales au mois de juillet qui aurait pour but de clore la consultation du Parlement. Je souhaite donc que vous preniez l'engagement de négociations et d'un débat en séance publique sur une question aussi décisive.

M. Jean Le Garrec, président : Je me propose d’écrire au Premier ministre le souhait de la commission que soit organisé en séance un débat qui ne peut être totalement confondu avec le débat budgétaire. Je m'engage à le faire dans les jours à venir, en soulignant l'intérêt que nous apportons à un débat d'ensemble sur les politiques de l’Education nationale.

M. Claude Goasguen : Monsieur le président, je me joins tout à fait à votre proposition, car elle me paraît tout à fait salutaire.

Je ne suis pas du tout d'accord avec ce qui a été dit précédemment, je trouve que la méthode employée est une méthode intéressante, car c'est probablement, dans le secteur de l'Education nationale, une manière de faire avancer les choses, même si elle provoque un certain nombre de grincements de dents. J'ai noté dans les journaux, d'ores et déjà, l'appel à la grève - ce que je regrette, puisque la concertation ne semble pas faite - d'un certain nombre de syndicats d'enseignants. Je crois que, si le débat est ouvert, il faut l'ouvrir dans le meilleur esprit possible.

La méthode du questionnaire et du rapport, même si elle est contestable, sur un certain nombre d’aspects, comme l'a dit Madame Boisseau tout à l'heure, est susceptible de faire avancer les choses. Je ne doute pas, Monsieur le ministre, que vous ayez, d'après vos déclarations successives, la volonté de faire évoluer un système qui, effectivement, a besoin d'évoluer.

En revanche, je serai un peu plus critique sur les aspects d'évaluation. Mais je pense que vous allez nous donner des indications, notamment sur un point très précis, où nous avons absolument besoin d'évaluation. Non pas d'évaluation en termes financiers - je pense que la loi de finances y pourvoira - mais d'évaluation sur l'application d'un certain nombre de décisions, que je trouve d'ailleurs intéressantes : celle de la diminution des heures et celle de l'institution du tutorat. C'est une institution lourde, et aussi bien les syndicats d'enseignants que de parents d'élèves et les parlementaires ont noté que cette institution allait provoquer un certain nombre de changements forts, mais qui vont être longs à étudier et à mettre en œuvre. Je voudrais simplement savoir si vous aviez déjà demandé à vos services les premières évaluations des conséquences, considérables pour la vie des lycées, de ce type de mesures qui, je le répète, méritent d'être étudiées en profondeur.

J’en viens à des questions plus ponctuelles :

- Vous avez dit : « pas de sortie du système sans qualification attestée ». La question que nous nous posons évidemment tous est : on connaît l'attestation baccalauréat, mais quelle est l'autre attestation en question ?

- La deuxième question précise porte sur la citoyenneté. J'avais noté, au cours de l'année, une déclaration - là encore intéressante - que vous aviez faite concernant l'enseignement en première d'une matière nouvelle. Cet enseignement a disparu, semble-t-il. Vous n'en parlez plus, vous le remplacez par la citoyenneté, ce qui est une idée intéressante. Mais, là encore, je rejoins ce qu'a dit Monsieur Bruno Bourg-Broc :  qui va organiser ce type d'enseignement et, plus généralement d'ailleurs, les enseignements de type sciences humaines, culturelles ou de citoyenneté ; à qui allez-vous confier cette mission ? Je vous rappelle que le Parlement est tout à fait intéressé par une participation à l’élaboration de ce qui est quand même un élément fort de la future citoyenneté de ce pays.

- Je voudrais être un peu plus critique sur votre approche du lycée professionnel. Je dois dire que je ne partage pas, avec un certain nombre de mes collègues, la vision que vous avez des lycées professionnels. Mais, sans doute, je ne les connais pas tous. C'est vrai que les régions ont fait beaucoup. Mais il ne semble pas - en tout cas, d'après les enseignants et les parents d'élèves, et souvent les élèves -, que le lycée professionnel ait un enseignement conforme à ce que devrait être l'enseignement dans ces lycées.

Je voudrais attirer votre attention sur l'importance que nous devons attacher, tous ensemble, à cette filière injustement délaissée. Je partage votre sentiment sur l'excès d'attention que nous avons donné au modèle allemand. Je pense que c'est au modèle allemand auquel vous faisiez référence tout à l’heure en ce qui concerne l’alternance. Je n’ai pas très bien compris comment vous alliez intégrer l’alternance sans l’apprentissage. Les centres de formation d’apprentis (CFA.) qui existent dans un certain nombre de lycées fonctionnent plus ou moins bien, mais rapportent quand même la taxe d’apprentissage d’une manière certainement très positive pour les lycées professionnels.

- Enfin, la grande question, c’est l’absence dans le rapport Meirieu - d’ailleurs je ne vous l’impute pas - de l’insertion professionnelle. On parle beaucoup de l'orientation, mais ce n’est pas le même métier. Je suis frappé par le fait que, dans nos études secondaires et supérieures - d'ailleurs, je reprendrai pratiquement mot pour mot la même intervention tout à l'heure sur le Plan social étudiant -, nous n'ayons pas de référence à l'insertion professionnelle à partir de la quatrième.

Je regrette vraiment que notre Education nationale soit dépourvue de gens formés à l'insertion professionnelle, non pas pour placer les gens, mais pour leur indiquer la thématique générale du travail, que beaucoup d’élèves ne connaissent pas. Je suis très frappé, comme vous, de voir à quel point celui qui est diplômé se trouve dans la difficulté, non de trouver un travail, mais, souvent, de savoir comment il doit faire pour trouver un travail, tant ce monde du travail est inconnu.

M. Jean Le Garrec, président : Monsieur le ministre, je vous propose de répondre à cette première série de questions.

M. Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie : Je vais d'abord revenir sur la méthode, compte tenu de ce que j’ai entendu ici ou là, et notamment dans l'intervention de Monsieur Hermier. Nous avons eu d'abord un questionnaire, confié à une équipe d'enseignants - pas du tout au ministère -: une équipe d'enseignants indépendante a fait un questionnaire, a organisé des débats, des débats à l'échelle académique, des débats nationaux.

Les syndicats se sont exprimés. Certains avaient même proposé de faire un colloque concurrent qu'ils n'ont pas pu tenir, si j'ai bien compris. Ils se sont exprimés dans les débats académiques et dans les débats nationaux, et c'est normal. Les syndicats d'étudiants se sont exprimés, les parents d'élèves se sont exprimés. L'ensemble des documents est à la disposition de tout le monde. Les régions m’ont également demandé de s’exprimer. Je leur ai envoyé les documents. Pour l’instant, je n’ai rien reçu. En revanche, j’ai reçu des contributions d’un certain nombre de confédérations syndicales, du patronat et de personnalités scientifiques - dont des prix Nobel français.

A partir de tout cela, j'ai défini des principes, pour que ces principes soient discutés au Parlement. Ces principes sont nécessairement ouverts. Je vais vous en donner la meilleure preuve : tout à l'heure, Monsieur Goasguen a dit : « l'insertion professionnelle n'y est pas » ; je lui dis : « oui, c'est une erreur qu'il faut corriger ».

Monsieur Hermier, pour que ces principes soient traduits par des textes - vous noterez que, bien que ces mesures soient d’ordre réglementaire, j’ai bien volontiers accepté de venir en discuter au Parlement -, je vais naturellement rencontrer les organisations syndicales, les parents d’élèves, etc. et discuter avec eux selon les formes habituelles. La preuve en est, je reçois vendredi matin, à 9 heures, les syndicats auxquels vous faites allusion, c’est-à-dire après ma rencontre avec les commissions parlementaires, parce que je veux écouter d’abord la représentation nationale. Je suis le ministre de la République, je ne suis pas le ministre d’une catégorie socioprofessionnelle. Je tiens à le dire. Quant aux débats en séance publique au Parlement, j’y suis prêt, tous les jours, à toute heure du jour ou de la nuit, n’importe quand dans l’année.

Permettez-moi, maintenant, de vous répondre sur les différents points qui ont été soulevés.

- La filière économique et sociale n'est en rien menacée. C'est une auto-intoxication dont je n'arrive pas à comprendre la source, si ce n'est une déclaration, paraît-il, qui a été faite par un responsable administratif au cours d'une discussion privée. J’ai déjà démenti douze fois cette rumeur et je peux la démentir encore douze fois si c’est nécessaire

- Les régions : je suis pleinement d'accord pour que les régions aient un rôle à jouer et qu’on ne leur demande pas seulement de payer.

- L'instruction civique en première : je n'ai pas abandonné du tout ce projet, mais initialement, il avait été dit que cette instruction civique serait donnée par des professeurs de philosophie et il s'est avéré très rapidement qu'il y avait d'autres candidats. Donc, finalement, il a été décidé que cet enseignement serait donné par des professeurs ou de philosophie ou d'histoire ou d’autres disciplines et de mettre en place expérimentalement, l’an prochain, cet enseignement sans le réglementer. J’associerai bien volontiers le Parlement à la définition de cet enseignement.

- Sur l’articulation entre le collège et le lycée, j’estime que, quand on parle de contenus d’enseignement, il faut aller du haut vers le bas. Donc, l’architecture de l’enseignement dans le collège pourra se faire une fois que l’architecture de l’enseignement du lycée sera faite. Le véritable problème, tient à ce qu’on n’a toujours pas tiré la conséquence de la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans et qu’on a continué à considérer séparément écoles et collèges, alors que c’est un tout au sens des programmes, puisque tout le monde fait l’ensemble du cycle.

Mais je vais vous dire pourquoi aussi je n'ai pas commencé pour le collège : mon prédécesseur venait de faire une réforme de l’enseignement dans les collèges. Madame Boisseau disait : « une énième réforme... ». Cela n'aurait pas été sérieux d'arriver, sans même avoir évalué cette réforme, sans voir ce qu'elle donnait, et de commencer par dire : « on la supprime et on en fait une autre ». C'était de l'idéologie pure, et ce n'est pas mon style. La réforme qui a été faite par François Bayrou, je l'ai laissée se mettre en place, je l'évalue. Si on doit la modifier un peu, on la modifiera.

Par contre, l'organisation du collège demandait un débat. C’est pourquoi, demain matin, Ségolène Royal parlera notamment du problème dominant qui est celui de la compétition entre collèges et de la fabrication de collèges d'excellence par migration des élèves. Le collège est devenu un marché de la compétition. Et je ne parle même pas de Paris où c'est un vrai marché : on s'échange les élèves, les enseignants, on s'échange tout.

- Je n'ai pas repris les mots : « culture commune », mais seulement une partie de l’esprit de cette notion. Plutôt que de parler de « culture commune », ce qui fait un peu minimum vital, je préfère dire qu’il doit y avoir une base d’un certain nombre de savoirs culturels.

- Sur les lycées professionnels, j’ai une différence d'appréciation avec Monsieur Goasguen. Je crois que cela dépend d'abord des régions. J'ai encore le souvenir, cette année, de la visite d'un lycée professionnel à Saint-Etienne, avec des machines-outils absolument extraordinaires et des élèves passionnés devant ces machines-outils. Mais c'est vrai que j'ai visité aussi des lycées professionnels qui étaient moins bien équipés, où le climat n’était pas aussi bon. Je crois que l'orientation négative vers les lycées professionnels est complètement hors du temps. Aujourd’hui, une secrétaire tape sur un clavier, un ingénieur tape sur un clavier et un tourneur tape sur un clavier. Tout le monde fait de l’informatique. Nous sommes tous dans le même monde. Cela n’a plus de sens de dire de quelqu’un qu’il est doué manuellement. Je voudrais qu’on s’oriente vers le lycée professionnel de manière positive.

Je faisais allusion tout à l'heure à la loi sur la recherche. Quand on saura que les lycées professionnels ont une vocation d'aider la recherche dans les PME-PMI, cela donnera une valorisation positive au lycée professionnel. Et, quand je dis : « orientation réversible », je veux dire qu'à partir du moment où on fait de la culture générale dans les lycées professionnels aussi, et où on fait un peu de formation dans les lycées généraux, les passages peuvent se faire davantage.

Je n'ai pas de solution miracle, mais je pourrais vous citer des expériences très intéressantes dans des établissements où dès la classe de seconde, les parents d'élèves de la classe viennent faire des exposés aux élèves pour raconter leur métier. Et puis, petit à petit, s'organisent des visites et les élèves commencent à s'orienter, parce que, en réalité, ils disent : « je veux être ceci ou cela »,mais ils n'ont pas la moindre idée de ce que c’est que de métier.

- Pour les conseils de la vie lycéenne, je vous dis tout de suite, Monsieur Baeumler, ils vont être mis en place dès la rentrée d’octobre, pour favoriser la vie citoyenne à l’intérieur des lycées.

- La réduction des horaires est possible : vingt-six heures, c’est l’horaire du primaire, c’est l’horaire que je souhaite au lycée, et c’est encore plus que l’horaire de l’université. Pourquoi y aurait-il un pic horaire au lycée ? Il faut apprendre aux élèves à travailler personnellement et ne pas les gaver par des cours. Nous avons fait des simulations. Nous savons que nous pouvons le faire.

Quant au problème des disciplines et des programmes, je suis bien placé pour vous dire que c'est un fatras. Les programmes peuvent être allégés, élagués, pour revenir à l'essentiel. Je voudrais vous dire quelle est ma conviction profonde : je crois que dans un monde où les découvertes augmentent sans arrêt, nous ne pouvons pas passer notre temps à empiler les connaissances. La base de l'école, c'est de revenir sur les fondamentaux et de connaître les fondamentaux très bien.

Je suis contre l'enseignement extensif, je suis pour l'enseignement intensif. Des programmes moins gros, mais mieux sus, mieux contrôlés et mieux compris. Et ainsi, on lutte contre la ségrégation sociale, parce que, dans des programmes qui sont des fouillis, seuls les élèves qui sont aidés peuvent se frayer un chemin dans cette jungle et pour dire : « cela, c'est important ; cela, on peut le laisser tomber ». Je crois que c'est à nous de faire ce travail. Cela ne veut pas dire abaisser le niveau de l’enseignement, cela veut dire l’élever.

- Les horaires des enseignants sont à discuter d’abord avec les organisations syndicales ; ce point ne figure donc pas dans le texte qui vous a été remis. Je rappelle simplement que, dans les règlements internes de l’Education nationale, une heure d’enseignement est équivalente à deux heures d’activité hors enseignement. Si les enseignants veulent s’organiser et faire dix-sept heures de cours et deux heures de soutien, ou seize heures de cours et quatre heures de soutien, ils restent tout à fait dans les règles habituelles Il y a des disciplines où il faut faire plus d’aide ; il y a d’autres disciplines dans lesquelles il y a peut-être besoin de moins d’aide. Tout cela sera discuté dans le cadre des discussions paritaires, avec les organisations syndicales représentatives, dans les cadres normaux.

M. Jean Le Garrec, président : Nous prenons maintenant une deuxième série de questions, de la manière la plus concise possible.

M. Roland Carraz : Monsieur le ministre, je voudrais vous dire que vos orientations sont bonnes, d’abord parce que ce sont des orientations républicaines - vous êtes un républicain -, ensuite parce qu’elles sont pratiques. Il faut que vos principes puissent être clairement énoncés et parfaitement connus. Je les approuve globalement sans énumérer les raisons qui m’amènent à les approuver. Je voudrais simplement faire quelques observations.

- En ce qui concerne l’apprentissage de la citoyenneté républicaine, vous nous aviez dit il y a un an que c'étaient les professeurs de philosophie qui devaient faire cela ; je vous ai entendu tout à l'heure, avec satisfaction, dire que votre pensée avait évolué ; je pense qu'il faudra, très rapidement, clarifier les choses.

- Sur la citoyenneté lycéenne, je pense qu'il ne faut pas confondre les choses. Le lycée est le lieu de l'éducation à la citoyenneté, ce n'est pas le lieu de l'exercice de la citoyenneté. Il faut éviter toutes les ambiguïtés et il ne saurait y avoir d'égalité citoyenne entre le professeur et son élève.

- En ce qui concerne l'orientation, il faut que le dernier mot reste aux professionnels, c'est-à-dire aux enseignants.

- Je suis pour l'allégement des horaires des élèves, je suis pour l'allégement des horaires du professeur devant sa classe. Par contre, plutôt que de raisonner en termes de plafonds d'horaires, je préférerais que vous puissiez raisonner, pour les élèves, en termes de planchers. En d'autres termes, n'interdisez pas aux élèves qui souhaiteraient faire davantage d'heures que les autres en français, en histoire ou en maths, d'aller aussi loin que leurs capacités le leur permettent. Cela ne choque personne en sport ou en matière culturelle. Je pense que, dans les lycées, il faut également en offrir la possibilité.

- Pour ce qui concerne la voie professionnelle, bien évidemment, je vous approuve doublement d'encourager et de soutenir les lycées professionnels, qui sont une voie d'excellence à part entière et qui font la preuve, depuis dix ans, qu'on peut faire de la bonne alternance sans nécessairement tomber dans les travers de l'apprentissage.

- Enfin, permettez-moi d'ajouter une douzième proposition, Monsieur le ministre. Elle est, de mon point de vue, nécessaire : elle concerne la restauration de la confiance et de la discipline dans nos établissements.

M. Jean-Luc Préel : Il y a un principe avec nous sommes sans doute tous d'accord : l’objet de l’enseignement est de former chaque jeune et de l'aider à développer ses potentialités en lui permettant de trouver sa place dans la société, compte tenu des possibilités d’emploi. Monsieur le ministre, vous avez présenté onze principes qui sont très intéressants. Je les trouve peut-être un peu ronflants, mais c'est mon esprit un peu critique. Je voudrais vous poser quelques questions à leur sujet.

- Quelle est la place de l'apprentissage et du compagnonnage ? L'orientation vers les métiers manuels doit-elle ne se faire que par l'échec - ce que l'on voit souvent aujourd'hui - ? Chacun d'entre nous voit très bien qu'on manque aujourd'hui de menuisiers, de plâtriers, d'ébénistes, etc., alors que nous connaissons une pléthore en socio-psychologie, par exemple... Comment, dans votre système, entre-t-on dans un CFA ?

- Le bac sera un passeport et il restera, avez-vous dit, un passeport. Cependant, comment permettre l'orientation ? Je prendrai un exemple qui est, je le reconnais volontiers, caricatural : celui des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS). Ne doit-on pas, malgré tout, demander aux candidats un minimum de compétences : savoir nager, courir, sauter, etc. ? Est-ce anormal ? Dans certains endroits avait été mise en place une présélection, qui a été remise en cause. Que comptez-vous faire à ce sujet ?

- Je n'ai pas compris quelle place vous donnez à la santé, à la prévention et à l'éducation à la santé. Quelle est la place du personnel infirmiers et des médecins dans vos projets ?

M. Gérard Terrier : J'ai noté avec satisfaction votre déclaration sur les sciences économiques et sociales. Je sais que le message a été brouillé par le rapport Meirieu, par certaines déclarations et aussi par le nombre de postes inscrits au concours, qui est en nette diminution dans cette filière. Pourquoi ne pas recevoir les professeurs de sciences économiques et sociales pour leur expliquer ? Ils se plaignent auprès de nous de ne pas être reçus par votre cabinet.

M. Claude Allègre : Ils ont été reçus dix-sept fois. Je peux vous communiquer les dates.

M. Michel Herbillon : Nous restons un peu sur notre faim quant à l'illustration concrète de votre deuxième principe. Ces très beaux mots de « citoyenneté républicaine », de « civisme », doivent être quand même un peu illustrés concrètement. Je sais bien que le document qui nous a été remis est l'énoncé d'un certain nombre de principes de base de référence. Mais vous nous aviez dit que vous nous donneriez quelques illustrations concrètes de ces principes. Surtout que, si je pouvais faire un addendum à ce deuxième principe, je mentionnerais les devoirs des lycéens et pas seulement leurs droits sur lesquels vous insistez. Je pense que, quand on est citoyen, on a également un certain nombre de devoirs.

Deuxième question : vous avez mis très justement l'accent sur l'acquisition des fondamentaux. Je crois que vous avez recueilli un assentiment assez large de la commission sur ce point. Je voudrais vous demander d'être un peu plus explicite en ce qui concerne les mesures qu'on peut prendre vis-à-vis des jeunes qui ont des difficultés scolaires, y compris au lycée, sur l'acquisition de ces fondamentaux. Que peut-on faire pour les aider concrètement ? Comme vous l'avez dit tout à l'heure, c'est une façon de lutter contre l'exclusion. Il y a un certain nombre d'élèves en seconde, en première, qui sont extrêmement défaillants sur l'acquisition de ces matières fondamentales, qui aurait dû se faire bien avant.

Enfin, où en est-on des mesures concrètes visant à réduire, sinon à éradiquer complètement, la violence à l'intérieur et autour des lycées ?

M. Alfred Recours : Votre huitième objectif, Monsieur le ministre, est de parler deux langues étrangères à la sortie du lycée. Le mot important, c’est « parler » par rapport à « écrire » et à « lire », ce qui implique de suivre un certain type d’enseignement. Encore faudrait-il qu'on soit sûr qu'avec ce type d'enseignement, les élèves sachent déjà lire et écrire une langue vivante au moment du baccalauréat, ce qui n’est pas évident. Même pour surfer sur le Net et utiliser une technologie nouvelle, il faut aussi savoir lire et écrire un minimum.

En outre, l'apprentissage d'une langue vivante commence bien avant le lycée. Pour atteindre l'objectif de parler une ou deux langues à la sortie du lycée, il faut avoir commencé en sixième, voire à l’école primaire, avec, précisément, des méthodes permettant l'apprentissage oral des langues. C'est dit depuis des années et des années, mais ce n'est pas toujours facile dans la réalité. Et, donc, le collège est aussi concerné. Pour conclure, je dirais qu’il serait déjà bien que l'ensemble des élèves parle et écrive des choses simples dans une langue vivante, quelle qu'elle soit, à la sortie du lycée.

M. Pierre Albertini : J’ai un peu le sentiment à vous entendre, Monsieur le ministre, et après avoir entendu d'ailleurs des discussions précédentes ces dernières années, qu'on passait assez largement son temps à enfoncer des portes ouvertes. On discute des principes fondamentaux, de l'équilibre entre les disciplines essentielles et les savoir-faire techniques, mais ce qui me préoccupe, c'est le mode d'emploi. C'est-à-dire comment, concrètement, on parvient à améliorer - ce mot est à utiliser avec un peu de précaution - la performance de notre système éducatif.

Ma question est très simple : c'est celle de l'évaluation de la performance de l’Education nationale. Est-ce qu'on ne pourrait pas mettre en place un système inspiré, par exemple, de ce qui se fait sur l'enseignement supérieur ? Je crois qu'il est très dommageable que l’Education nationale s'évalue elle-même. Il faut avoir un système qui lui soit en grande partie extérieur et qui permette d'évaluer au fur et à mesure les établissements qui fonctionnent bien et les disciplines sur lesquelles des efforts doivent être apportés en termes de méthode, d'horaires ou de contenu.

Mme Odette Trupin : Je voudrais dire à Monsieur le ministre que je me félicite vraiment très fortement du fait qu'il réaffirme, comme troisième principe de la réforme, l'existence de l'égale dignité des trois voies : la voie générale, la voie technologique et la voie professionnelle. Mais, pour savoir par expérience que nous avons eu de très grosses difficultés par le passé, je crois que la dignité ne se décrète pas, elle s'acquiert. Or, le prestige de l'homme en blanc existe toujours très fortement dans les mentalités.

Vous avez affirmé le prestige des lycées professionnels, leurs mérites. Et je m'en réjouis, car je partage complètement cette appréciation. Je voudrais savoir comment vous revaloriserez certaines filières professionnelles, actuellement en partie obsolètes - je pense à l'habillement, au tertiaire et à un certain nombre de métiers, je vais même dire dans le sanitaire et social - qui débouchent sur le néant, ou pratiquement - de façon à redonner l'espoir aux élèves et à redonner le succès et la dignité attendus à ces sections, donc à éviter l'orientation par l'échec.

Ma deuxième question concerne les notions fondamentales que vous avez évoquées, Monsieur le ministre, et les moyens pédagogiques que vous entendez mettre en œuvre pour lutter contre les difficultés des enfants qui, à mon sens, se situent dès l'école primaire, je vais même dire dès la sortie de l'école maternelle - notamment en lecture - et pour dépister un fléau dont l’Education nationale, malheureusement, ne tient guère compte, qui est la dyslexie.

M. Claude Allègre : D'abord, je voudrais répondre sur le problème de l’absence de qualification. Tout à l'heure, vous disiez : il y a beaucoup de sociologues, il faudrait qu'il y ait davantage de pâtissiers. Je prends cette phrase simplement de manière emblématique. Je ne suis pas sûr qu'un mauvais sociologue fasse un bon pâtissier. L'un des grands problèmes de l'enseignement professionnalisé - c'est vrai au niveau des lycées professionnels, des BTS et des IUT -, est celui de l'adéquation des besoins de l'économie et des filières. Nous avons besoin d'un système de pilotage, qu’il est extrêmement difficile de mettre en place. Je cite toujours l’exemple du lycée professionnel de Niort qui, il y a cinq ans, continuait à former des photograveurs alors qu’on savait que la photogravure allait disparaître.

Quand je dis : « sans qualification attestée », cela veut dire qu'il va falloir que l’Education nationale se penche, si elle veut être son propre recours, sur ces 50 000 élèves qui sortent sans rien et qu'elle fasse des stages, probablement d'été, de filières spéciales pour leur donner une qualification lorsqu'ils sortent. Et je préfère cela au slogan « 80 % au baccalauréat », parce que 80 % au baccalauréat, c’est bien de le constater, mais cela ne se décrète pas. Je crois que nous pouvons nous en donner les moyens, parce que, ce que l’Education nationale ne faisait pas, les militaires le faisaient. L’armée, avec des militaires qui n’étaient pas bardés de diplômes, prenait des gens qui ne savaient pas lire et, en cinq mois, avec des méthodes qu’on refusait à l’Education nationale, leur apprenait à lire. Cela, nous devons le faire.

En ce qui concerne la citoyenneté, je crois qu’elle s’apprend aussi dans le travail scolaire. Ainsi, on va mettre comme une obligation que chacun, à la fin du lycée, devra avoir réalisé un certain nombre de choses en équipe. Etre noté en équipe, faire quelque chose en équipe, c'est apprendre, et apprendre la vie. Actuellement, ce n'est pas fait. On fait l'apologie du travail individuel, mais on ne fait pas l'apologie du travail en équipe. Or, chacun de nous travaille en équipe, la vie est un travail en équipe.

Les devoirs des citoyens, je les ai énumérés : sens de l'effort, probité intellectuelle, recherche de la vérité, respect d'autrui, responsabilité, bannissement de la violence. Ce sont des notions qui doivent être enseignées aujourd'hui dans les lycées.

M. Guy Hermier : Esprit critique...

M. Roland Carraz : Hiérarchie et respect des maîtres...

M. Claude Allègre: Il faut que vous ayez présents à l’esprit trois chiffres. L'âge de passage du bac général est de 18 ans ½ en moyenne. C'est au-dessus de la majorité. L'âge du bac technologique, c'est 20 ans ½. Et, l'âge du bac professionnel, c'est 21 ans. Autrement dit, nous avons affaire à des adultes, qui sont des citoyens, qui votent, qui vous ont élus. Par conséquent, on apprend la citoyenneté, mais j'espère qu'on la pratique aussi. Il est vrai que le rapport de maître à élève doit inclure le respect pour les connaissances du maître et pour ce qu'il représente ; mais le maître doit aussi, à son tour, s'exprimer en respectant la personne de l’élève. Le lycée doit être un exemple de démocratie, dans tous les sens.

M. Michel Herbillon : Vous êtes d'accord, Monsieur le ministre, pour rajouter la notion de devoirs ?

M. Claude Allègre : Absolument.

Si vous le permettez, je ne vais pas parler aujourd’hui du problème des langues étrangères, dont effectivement l’apprentissage doit commencer à l’école primaire et qu’il faut donc envisager dans sa globalité.

Sur l'évaluation, je suis d'accord avec Monsieur Pierre Albertini. Nous sommes d’ailleurs en train de travailler sur l’idée de faire une agence d’évaluation qui soit extérieure à l’Education nationale et qui regroupe l’ensemble des évaluations, non pas pour évaluer les enseignants individuellement, mais pour évaluer les établissements. On avait fait un premier pas quand on avait institué le service de statistiques. Maintenant, on en a fait une mission et on a l’intention que cela soit une agence indépendante.

Je considère que la représentation nationale pourrait très bien passer des commandes à cette agence nationale, en payant. Des instances extérieures pourraient demander des statistiques sur les lycées, sur les écoles.

M. Bruno Bourg-Broc : Ce sera l'équivalent du Comité national d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNE) pour l'enseignement secondaire et l'enseignement primaire ?

M. Claude Allègre : Oui, absolument.

M. Bruno Bourg-Broc : Vous les voyez fonctionner de la même façon ?

M. Claude Allègre : J’ai demandé au CNE de faire ce que fait le monde entier : de classer les départements universitaires en A, B, C et D et non pas de partir dans les nuances de la sémantique avec lesquelles vous finissez par voir, à la quatrième sous-phrase, que c'est moins bon qu’il n’y paraît. Cela ne fait pas plaisir quand on est classé en D. Mais l'expérience prouve que, quand on est classé en D, trois ans après, on est classé en B, parce qu'on a été tellement vexé qu'on a fait quelque chose. Donc, je pense qu'il faudra arriver à cela.

Donc, le CNE n'est pas un exemple. Je souhaite une vraie évaluation. L'évaluation ne peut pas être autre chose qu'une vérité, et une vérité parfois dure. Mais c'est parce qu'elle est dure, précisément, qu'elle permet d'avancer.

M. Jean Le Garrec, président : Monsieur le ministre, nous sommes arrivés au terme de notre premier débat. Il y a eu beaucoup de questions et beaucoup de réponses. Vous avez eu un souci de précision tout à fait remarqué et remarquable. Cela nous donne encore plus envie de poursuivre le débat.

M. Guy Hermier : Donc, on considère que cela ne vaut pas consultation du Parlement ?

M. Jean Le Garrec, président : Nous avons été très clairs là-dessus à l'ouverture de la réunion : une audition par la commission ne peut être confondue avec un débat en séance publique.

M. Claude Allègre : Le problème n'est pas de faire passer quelque chose à la sauvette, au détriment de qui que ce soit, mais d’améliorer le système d’enseignement. Et, s’il a besoin d’être amélioré, c’est sans doute qu’un certain nombre de méthodes qui ont été employées dans le passé n’étaient pas les bonnes.

Au cours de cette audition, j’ai noté des suggestions, des approbations, des critiques, dont je tiendrai compte. Sur les sujets de nature réglementaire, je n’ai pas besoin de vote du Parlement. Si je viens devant le Parlement, c’est que j’ai envie que mes propositions soient discutées le plus largement possible et enrichies, je ne parle pas d’approbation.

M. Guy Hermier : Pour ce qui nous concerne, nous continuons de souhaiter d'avoir un débat sur le fond.

M. Jean Le Garrec, président : Il n'a été question ni de chèque en blanc, ni d'approbation. Il y a eu un débat devant la commission qui a été très ouvert, qui a été au fond, avec beaucoup de questions. Je vais écrire au Premier ministre que nous souhaitons une prolongation de ce débat devant l'Assemblée nationale en séance publique.

Monsieur le ministre, nous passons maintenant au deuxième sujet inscrit à l'ordre du jour, à savoir le Plan social étudiant.

2. Plan social étudiant

M. Claude Allègre : Le Plan social étudiant, qu'a promulgué Lionel Jospin quand il était ministre de l'Education nationale - je suis obligé de vous le rappeler, parce que c'est une référence - a conduit à construire 20 000 logements étudiants et 30 000 places de restaurants universitaires. Il a relevé le taux des bourses de 28 %. Il a augmenté le nombre de boursiers de 40 %, en les faisant passer de 15 à 20 %. Et l'argent mis dans l'augmentation des bourses a été de 2,1 milliards en quatre ans.

Je suis obligé de le dire sans polémique : ensuite, il y a eu beaucoup de débats, on a promis des allocations, etc., mais le nombre de boursiers, qui était de 20 %, est passé en quatre ans à 21 %. Nous, nous proposons de faire passer le nombre de boursiers de 20 à 30 % et d’augmenter les taux d’encore 15 %.

Il y avait un débat préalable. Ce débat, vous savez qu'il est posé par les organisations syndicales étudiantes depuis pratiquement l'après-guerre. C'est l'allocation d'études pour tous, sans s'occuper des revenus des parents. Et puis, il y a la tradition à laquelle nous, socialistes, nous sommes attachés, qui est de tenir compte des revenus des parents et de faire en sorte que les enfants de familles modestes soient plus aidés que les enfants de familles riches. Bien sûr, les deux thèses ont des partisans, les deux ont des arguments à faire valoir. Et c'est vrai que l'autonomie étudiante, le fait de dire : « à 20 ans : on est autonome », c'est un argument très fort.

Mais, admettons que l'on parle de l'allocation d'études pour tous et qu'on adopte ce principe. Il conduit à une dérive budgétaire très importante et implique la suppression des parts fiscales des enfants. Est-ce que cela aurait été compris ? Je n'en suis pas très sûr. Ou bien, on applique un système à la hollandaise : c'est-à-dire allocation d'études, mais pour un nombre fixé d'étudiants, donc, une sélection à l'entrée de l'université. En Hollande, tous les ans, le Parlement vote le nombre d'étudiants en votant l'allocation d'études. Je ne crois pas que cela soit demandé, y compris par les associations étudiantes.

S’il n'y a pas de sélection, l’allocation est pour tous. Mais, dans une période de chômage important des jeunes, se poserait alors un problème dramatique sur le plan social : on donnerait une allocation à tous les étudiants, sans discrimination, alors que certains jeunes au chômage ne recevraient rien. On donnerait de l'argent à ceux qui vont devenir des futurs dirigeants et, ceux qui sont dans une situation difficile n’auraient rien. Par conséquent, en discutant avec les organisations syndicales étudiantes, nous sommes tombés d'accord sur l'idée qu'il fallait garder comme base de l'aide des allocations d'études en tenant compte des ressources des parents, mais en faisant en même temps une évolution vers un peu plus d'autonomie dans un certain nombre de cas. Et c'est ce que nous vous présentons aujourd'hui.

Je ne vais pas vous dévoiler le budget, parce que je n'en ai pas le droit, mais je vais tout de même vous donner un ordre de grandeur. Entre l'effort fait pour le logement étudiant et l'effort fait pour l'augmentation de l'aide aux étudiants, l’augmentation sera de l’ordre de 1,5 milliard pendant quatre ans, tous les ans, ce qui est considérable. En effet, dans le plan U3M, dont vous pouvez imaginer le volume puisqu'il aura, en gros, le même qu’« Université 2000 », un quart des investissements seront faits en faveur des étudiants, soit pour le logement, soit pour les équipements étudiants. Et puis, vous le verrez lors de la présentation du budget, l’aide pour les bourses est la priorité n° 1 de l'ensemble du budget de l’Education nationale.

Je vais maintenant vous exposer les trois objectifs de ce Plan social étudiant.

Premier objectif : offrir des allocations d’études élargies et plus efficaces.

Il s’agit donc de distribuer plus d’allocations d’études, mais aussi de mettre en place un dispositif plus simple et plus cohérent. Actuellement, lorsqu’un étudiant est collé à un examen, il perd sa bourse pour un an et demi. Même s’il est reçu, le temps qu’il refasse les démarches, il ne la retouche pas. Cette réglementation sera modifiée et simplifiée. Un dossier d’allocation d’études sera constitué dans chaque établissement. Pour relancer la promotion sociale républicaine, j’ai décidé le rétablissement de l’ancien concours des bourses pour tous les enfants de familles modestes qui ont mention « très bien » au bac ; l’Etat les prendra en charge intégralement pour leurs études supérieures. Cela fait 400 par an : cette année nous en ferons 200, et nous proposerons l’an prochain de faire les 200 autres.

Deuxième objectif : promouvoir l’autonomie étudiante.

Nous avons décidé de confier la présidence du CNOUS et des CROUS aux étudiants, étant entendu qu’il y aura un contrôle de gestion et que le directeur chargé de la gestion sera un administrateur.

Dans tous les grands pays industrialisés - Allemagne, Grande-Bretagne, notamment -, toute la vie étudiante est administrée par les étudiants eux-mêmes. Nous voulons que le sport universitaire, la culture - sur laquelle nous faisons de grands efforts - ou la vie associative, soient entre les mains des étudiants.

Nous voulons aussi que les universités s'intéressent au statut social de leurs étudiants. Actuellement, elles ne s'y intéressent pas. Donc nous avons, en accord avec la Conférence des présidents d'universités, fait en sorte qu'il y ait une commission de la vie étudiante sur chaque site universitaire et qu'il y ait, dans le cadre des contrats U3M avec les régions, une véritable appréhension collective des problèmes de la vie étudiante.

Troisième objectif : améliorer les conditions de la vie étudiante.

Sur le logement, nous ferons encore un effort considérable. Il ne faut pas oublier que dans certaines villes universitaires, il y a un excédent de logements étudiants. On constate de grandes inégalités selon les régions et les très grandes villes sont très en retard dans ce domaine - Paris notamment. L’accès au logement sera également facilité en mutualisant les mesures de prêts.

Nous avons prévu une série de mesures pour les transports. Pour la région parisienne, avec le ministre des transports et le conseil régional d'Ile-de-France, nous avons décidé de mettre sur pied la carte orange étudiante. Mais nous aurons une négociation dans toutes les villes universitaires - dans certaines les maires ont déjà instauré la gratuité des transports - et l'Etat veillera à l’égalité républicaine, les régions pauvres ne devant pas être défavorisées.

Enfin, un effort sera fait pour les étudiants étrangers.

Voilà le Plan social étudiant. C'est un pas considérable qui est fait sur le plan financier. Actuellement, pour les bourses, le budget est d’à peu près 6,5 milliards de francs. L’idée est de faire de nouveau un effort de 2,5 milliards en quatre ans.

M. Jean Le Garrec, président : Je voudrais vous poser trois questions brèves :

- Pour l'attribution des bourses d'étudiants, en tenant compte des ressources des familles, il y a un problème que vous connaissez bien : c'est la courbe en U où les familles à revenus moyens sont les moins bien traitées. Cela va-t-il changer ?

- Pourquoi avoir choisi l’ENA pour les bourses spéciales ?

- Les régions qui ont déjà fait un effort sur les transports, par exemple la région Nord-Pas-de-Calais avec la carte « campus », seront-elles néanmoins aidées ?

M. Philippe Vuilque : D'abord, Monsieur le ministre, il semble qu'on ne puisse que se féliciter de ce Plan social étudiant, qui était attendu depuis l'annonce faite par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, de la manière dont il a été élaboré et de son contenu. Ce plan a fait l'objet d'une large concertation avec l'ensemble des acteurs du monde étudiant - vous l'avez rappelé -. Et il tranche évidemment avec l'inaction précédente puisque, depuis quatre ans, aucune mesure significative - vous l'avez également rappelé - n'avait été prise en matière d'aide sociale et de vie de l'étudiant.

Ce plan va, nous semble-t-il, grandement améliorer la situation des étudiants et, surtout, renforcer l'égalité des chances. Egalité d'accès à l'université, mais égalité sociale surtout. Je rappellerai un chiffre : aujourd'hui, un enfant d'ouvrier a sept fois moins de chances d'accéder à l'université qu'un enfant de cadre. Il est bon de renforcer l'autonomie des étudiants, ce qui est une de leurs revendications. Mais il faut que cette autonomie profite à tous, et pas seulement aux étudiants issus de familles aisées.

Une des mesures essentielles de votre plan nous paraît être la réaffirmation de la logique du système de bourses fondé sur des critères sociaux, parce que l’octroi d'une allocation étudiante demandée par certains ne nous paraît pas compatible avec la situation sociale et économique des jeunes dans notre pays. L'augmentation des bourses d'enseignement supérieur va évidemment dans le bon sens, mais nécessite quand même, je crois, une meilleure répartition.

Nous notons avec satisfaction votre souhait d'arriver à un nombre plus important d'étudiants boursiers. Vous citiez le nombre de 20 % aujourd'hui, 30 % peut-être demain. Mais il faut bien reconnaître quand même qu'aujourd'hui, le système de répartition des bourses est un système inégalitaire, qui favorise proportionnellement plus les étudiants issus de familles aisées que les étudiants issus de familles moyennes. Je prendrai un exemple : un étudiant issu d'une famille déclarant un  million de francs de revenu est plus aidé que celui d'une famille dont le revenu est proche du SMIC et deux fois plus qu'une famille déclarant 140 000 francs de revenus annuels. Il faut corriger cette situation. A défaut d'une réforme fiscale du quotient familial, qui est effectivement très compliquée à mettre en place, mais qui est un chantier qu'il faudra rouvrir, vous avez l'intention d'augmenter très sensiblement les taux.

Vous nous parlez d'augmentations importantes. Dans quelle mesure ce système de bourses sera-t-il modifié pour être légèrement plus égalitaire qu'il ne l'est actuellement ? Notamment, avez-vous l'intention d'avoir un échelon supplémentaire par rapport à ce qui existe aujourd'hui ? J'insisterai également sur le souhait des étudiants d'avoir un meilleur fonctionnement du système de versements. Vous savez qu'aujourd'hui, l'une des revendications étudiantes est d'aller vers la mensualisation - c'est important pour la vie quotidienne des étudiants - et de prévoir un dispositif - je crois que c'est dans votre proposition - d'année-joker pour les étudiants redoublants, qui se voient aujourd'hui, malheureusement, pénalisés.

En ce qui concerne les bourses spéciales, qu’entendez-vous par familles modestes et où s’arrête le plafond ? Ne croyez-vous pas que réserver ces bourses aux études menant à l’ENA et à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) n’est pas trop restrictif ?

La création d’un dossier d'allocations d'études est un progrès indéniable, qui va permettre aux étudiants de savoir exactement ce à quoi ils ont droit et, surtout, d'avoir une meilleure perception de l'ensemble des aides.

En ce qui concerne le logement, j'ai entendu avec satisfaction qu'une partie des financements du plan U3M sera consacrée au logement social étudiant. Je crois qu'il y en a bien besoin, notamment dans la banlieue parisienne en ce moment. Pouvez-vous également nous donner quelques précisions sur le système de cautionnement mutualisé d’accès au bail ?

Il y a dans votre plan un oubli, mais je ne pense pas que cela soit un oubli : vous ne parlez pas de l’allocation de logement social (ALS). C'est effectivement un sujet difficile, parce qu'il a des implications budgétaires importantes. Mais il faudra dans l'avenir, je pense, Monsieur le ministre, avoir un débat sur ce sujet pour avoir un meilleur ciblage de cette allocation.

Pour conclure, je pense que le plan que vous nous présentez va dans le bon sens. Il faudrait cependant ajouter une réflexion sur l’aide à l’insertion professionnelle de sortie d’études.

M. Bruno Bourg-Broc : Votre réforme n’aura d’intérêt - même si elle est globalement un peu décevante - que si elle est accompagnée des moyens budgétaires nécessaires.

Je voudrais demander à mon tour pourquoi les bourses spéciales seront réservées aux jeunes se destinant à la magistrature et à la haute administration. Pourquoi, aussi, les notes obtenues au baccalauréat sont l'essentiel des critères de ces bourses ? Peut-on imaginer d'autres critères ?

Je voudrais aussi vous demander quelle place vous voulez, en fait, réserver - c'est le fond du débat - à l'étudiant dans la société. Est-il un enfant toujours à la charge de ses parents ? Est-il un futur salarié ? A-t-il droit à un statut propre différent de celui d’un salarié ou d’un enfant à la pleine charge de ses parents ?

Pourquoi ne pas avoir globalisé les aides étudiantes actuelles, comprenant notamment les allocations d’études et l’ALS, une partie du quotient familial, pour permettre la mise en place d'une véritable autonomie étudiante, sans confondre cette démarche avec l'allocation unique pour tous ?

Envisagez-vous la création d'un plan d'épargne-études susceptible d'être ouvert plusieurs années avant l'arrivée potentielle de l'enfant à l'université, lui donnant droit, par exemple, à des prêts étudiants bonifiés garantis par l'Etat ?

Vous ne prévoyez pas, apparemment, de réforme de l’ALS, ce qui paraît contradictoire avec la volonté que vous affirmez de mieux cibler les aides. Envisagez-vous, dans une étape ultérieure, de réformer l’ALS ?

M. Roland Carraz : Il appartient à l’Etat, quoi qu'il arrive, d'assurer le socle de l'égalité républicaine. Je pense que c'est également le socle de votre politique et je m'en réjouis.

Première observation : avez-vous étudié la notion de revenu minimum étudiant ? Il y a la notion traditionnelle d'aides diversifiées, fondée sur des bourses ; il y a ensuite le concept d'allocation unique pour tous. On aurait pu réfléchir également à la notion de revenu minimum étudiant.

Deuxièmement, je vous fais une proposition, Monsieur le ministre : pourquoi ne rétablissez-vous pas les Instituts de préparation à l'enseignement secondaire (IPES) ? Nous sommes des milliers dans ce pays à devoir beaucoup - et, pour certains, tout - à ces instituts qui ont été créés à la fin des années 50 par un grand républicain, un de vos prédécesseurs, qui s'appelait Billet.

Je voudrais également vous demander d’étudier les possibilités, dans le calcul des bourses, de majorer le critère éloignement, donc le critère transport, qui me semble particulièrement important.

Quatrièmement, je suis intéressé par la notion de plan d'épargne étudiant et par celle d'emprunt bonifié. Il y a eu jadis des réflexions là-dessus, est-ce que vous les avez reprises ?

Enfin, je voudrais connaître votre position sur l’ALS, qui ne peut rester en l’état.

M. Pierre Albertini : L'ensemble de l'aide aux étudiants se situe entre 25 et 27 milliards de francs par an aujourd’hui. Indépendamment des améliorations que vous apportez, notamment sur le système d'extension des bourses, en nombre et en taux, je suis convaincu qu'on peut déjà mieux gérer l'enveloppe existante, en faisant profiter d'abord les classes moyennes d'un certain nombre de concours financiers, en matière de logement notamment. Je regrette personnellement aussi que l’attribution de l’ALS ne soit pas soumise à des critères plus restrictifs. On ne peut pas laisser les effets pervers de l’ALS qui sont bien identifiés se développer, dans la mesure où l’ALS représente à peu près 5 milliards de francs par an à la charge de l’Etat.

Ma première question porte sur le logement. Vous avez parlé de constructions nouvelles. Mais il y a un autre dossier, qui me paraît encore beaucoup plus préoccupant : c'est la réhabilitation des cités universitaires anciennes. Je parle des logements construits dans les années cinquante, au début des années soixante, qui sont - pour certains d'entre eux - tombés en déshérence et qu'il faut réhabiliter. Vous savez que le CNOUS n'a pas, ou très peu, de moyens financiers. Qui va concourir à cet effort de réhabilitation, qui est essentiel si on ne veut pas introduire de facteurs de distorsion entre les étudiants ?

Deuxièmement, vous avez parlé de l'animation des campus, de la nécessité de procurer des conditions de vie améliorées aux étudiants. Je crois que cela passe par une implication des villes, c’est-à-dire des sites d'accueil. Etant président de l’Association des villes universitaires, j’estime que c’est le maire et ses élus qui sont le plus en contact avec les étudiants. Si on veut améliorer le logement, les transports, l’accès aux équipements, etc.., c’est bien par les villes sites d’accueil des universités qu’il faut passer. Il y a un maillon qui manque aujourd’hui dans le dispositif. On parle beaucoup des régions, on parle peu des villes qui se trouvent en fin de chaîne.

M. Patrick Leroy : Au-delà des aspects qui vont dans le bon sens - l'augmentation des bourses d'étudiants, la construction de logements, etc. -, je voudrais faire quelques remarques sur ce Plan social étudiant.

Les familles aisées sont toujours avantagées avec le système de déduction fiscale des pensions alimentaires et le calcul de l’impôt sur le revenu. L'allocation de logement social est attribuée sans distinction de ressources. Il y a, de plus, risque d'augmenter la disparité entre collectivités locales, notamment en matière de transports. Mais j'ai bien entendu ce que vous disiez concernant l'égalité républicaine. Il y a également le coût des prestations sociales et des participations demandées par le CNOUS et les CROUS, qui est en augmentation.

Après ces remarques, je voudrais revenir à la question de fond : quels sont les moyens financiers prévus ? Selon la réponse concrète, on pourra juger s’il y a véritablement la volonté du Gouvernement d’aller vers un réel statut social de l’étudiant.

M. Claude Allègre, minstre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie : Sans polémiquer, je voudrais faire une remarque préliminaire. Pourquoi croyez-vous que mon prédécesseur, François Bayrou, n’a pas fait ce qu’il avait annoncé ? Est-ce que vous pensez que c’est parce qu’il n’avait pas l’intention de le faire, qu’il était antisocial, que ses annonces étaient seulement destinées à amuser la galerie ? Non, en réalité je crois que c’est parce qu'il s'est attaqué, précisément, à cette fameuse courbe en U du quotient familial et à l’ALS. Et il a pensé qu'on pouvait arranger les choses assez facilement avec le ministère des finances. Moi aussi, je l'ai cru pendant quatre mois. Mais la différence, c'est que j'ai compris rapidement que cette approche ne déboucherait pas et j'ai choisi de faire autre chose.

Le problème de la courbe en U est très compliqué parce que le système fiscal, pour des raisons pratiques, fonctionne par seuils. Les gens sont classés dans des catégories et le ministère des finances ne souhaite avoir à gérer qu’un nombre relativement restreint de catégories. Ce qui fait que, lorsqu’on veut corriger cette courbe en U, on a des effets pervers épouvantables.

Je vais vous en décrire un tout de suite, simplement. On peut penser qu’il est facile de demander à chaque étudiant : « êtes-vous chez vos parents ou à votre compte ? Si vous êtes à votre compte, vous touchez l'allocation et on retire votre part à vos parents ; et, si vous êtes chez vos parents, on laisse la part et vous n'avez pas l'allocation ». Cela paraît d'une simplicité biblique, sauf qu'un simple calcul arithmétique vous montre que, dans ce cas-là, l'allocation est intermédiaire entre les parts des familles riches et les parts des familles pauvres. Et donc, vous allez avoir à l'évidence un biais : les enfants de familles riches ne vont pas prendre l'allocation et vont rester sur la part de leurs parents ; et ceux des familles pauvres vont prendre l'allocation. L’allocation va aller immédiatement vers les familles pauvres, avec un système qui consistera à pomper le quotient familial des familles pauvres. Il n’est donc pas très facile de trouver un dispositif équitable.

Le problème de l’ALS est différent. L’ALS reste le symbole de l’autonomie étudiante, car ne dépendant pas des revenus des parents. Et par conséquent, l’ensemble des associations étudiantes - de droite ou de gauche - sont pour le maintien de l’ALS. Donc, je vous le dis franchement, je crois qu'on peut retoucher l’ALS, mais je pense qu'il est plus important de retoucher la courbe en U, qui est quand même plus injuste que l’ALS. Mais, en attendant, ce que nous faisons est un progrès considérable dans le cadre actuel. Et je pense qu'il fallait le faire, parce que les enfants de familles modestes n'attendent pas.

Je réponds maintenant aux questions spécifiques.

- Le Sénat m'a posé la même question : pourquoi réserver les bourses républicaines, la première année, à l’ENA et à la magistrature ; puis aux grandes écoles et à la médecine ? Je comprends votre réticence, mais, pour moi, il y a un symbole : c'est l'accès des enfants de familles modestes aux fonctions régaliennes de l'Etat. L’ENA, la magistrature, la médecine, les grandes écoles, ce sont les symboles de cet accès. Nous avons eu des fils de petits instituteurs qui sont devenus Présidents de la République ; je dis qu'aujourd'hui, cela serait très difficile et que nous devons rétablir l'élitisme républicain.

- Sur l’année-joker, je suis d’accord.

- La mensualisation des bourses est effective dans toutes les académies de France depuis la rentrée, sauf dix académies qui ont préféré maintenir un seul paiement global du premier trimestre entre octobre et décembre pour apporter une garantie à l’étudiant. L’important est de garantir à l’étudiant un début de paiement de sa bourse le plus tôt possible.

- Nous avons prévu de mettre en place une échelle supplémentaire en haut pour les plus pauvres et en bas pour les classes moyennes. Ce sont des bourses à taux zéro, qui dispensent des inscriptions.

- Je précise ce que signifie la caution mutuelle pour le logement étudiant. De nombreux étudiants qui souhaitent se loger dans le privé se voient demander par les propriétaires des cautions importantes, que même leurs parents ne peuvent payer. A la demande des organisations étudiantes, nous avons donc décidé de mettre à l'étude un projet de caution mutuelle pour résoudre ce problème, c'est-à-dire pour aider à servir de caution.

- Monsieur Bourg-Broc, vous avez posé une question très importante, qui est celle de la place de l'étudiant dans la société. Je vais vous répondre très franchement. Je viens d'étudier le nouveau système anglais, qui serait difficile à mettre en place en l’état dans notre pays, et qui est pourtant un système qui a beaucoup d'avantages. Il y a une banque, qui est une banque de l’Education nationale anglaise, qui donne les bourses aux étudiants. Les étudiants de familles modestes ne remboursent pas et les autres rembourseront en fonction des emplois qu'ils obtiendront. Je suis extrêmement choqué que, en France, des gens qui accèdent aujourd'hui à des emplois extraordinairement bien rémunérés, qui ont parfois fait des études dans des écoles d’Etat, ne reversent pas des sommes importantes, alors que cela se fait dans tous les pays du monde. Il ne me paraît pas très sain que l’ensemble de la collectivité nationale - et finalement tous les contribuables - paie l’accession sociale de quelques-uns.

La place de l'étudiant dans la société est variable. Certains sont encore des enfants - il y en a qui le resteront toute leur vie -. D'autres sont des adultes et sont complètement autonomes. D'autres enfin se considèrent comme des presque salariés parce qu'ils travaillent à temps partiel. La notion d’étudiant est donc très variée, ce qui explique notre difficulté collective pour mettre en place un système satisfaisant d’aide aux étudiants.

Je fais aussi partie de ceux qui déplorent que le système des pions dans l'enseignement secondaire se soit, petit à petit, effrité. L’Education nationale a pris l’habitude de ne pas utiliser les élèves-professeurs pour une partie de cette charge. Imaginons les hôpitaux sans les internes remplacés par des médecins à plein temps, des professionnels appointés : comment cela fonctionnerait ? Voilà un autre élément du débat.

- La globalisation des aides est en route, comme le montre la mise en place d’un dossier d’allocations d’études dans chaque établissement où vit l’étudiant. Elle sera également favorisée par la participation des étudiants dans les CROUS et le CNOUS.

- Je suis favorable au plan d’épargne-études. Vous savez que j’en ai fait un il y a quelques années. Malheureusement, il n'a pas eu un grand succès ; les étudiants français n'aiment pas emprunter, c'est un problème culturel. Je suis prêt à recommencer s'il le faut et il y a beaucoup de gens qui sont prêts à nous aider, la Caisse des dépôts et consignations notamment.

- Monsieur Albertini, je crois que la notion de ville universitaire s’impose complètement, vous avez raison. Il faut que, dans la discussion des contrats U3M, les villes universitaires soient impliquées.

Mme Hélène Mignon : En ce qui concerne le logement social, il faudrait penser aux élèves des BTS dans les villes satellites des grandes villes, parce qu'ils ont, eux aussi, besoin d'être logés.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Quels sont les critères d’attribution des allocations d’études ? Vous avez parlé des 400 enfants d’ouvriers - je schématise - qui ont le bac avec mention « très bien » et auront droit à une bourse automatiquement. Mais, est-ce que, pour les autres, il y aura aussi des critères intellectuels ? Est-ce que les allocations d'études seront versées dès la première année de faculté, sans qu'il y ait eu une sanction à travers l’examen ? Si oui, est-ce qu'il ne risque pas d’y avoir des débordements et des déviations ? Un certain nombre de jeunes risquent, pour bénéficier d’une allocation d'études et pour échapper au chômage, de s’inscrire momentanément dans les universités et de perdre un temps précieux.

M. Jean-Pierre Foucher : Les étudiants handicapés bénéficient de l'allocation d’adulte handicapé (AAH) à l’âge de 20 ans. Ils n'ont rien à partir de 18 ans. Ne serait-il pas judicieux de créer une allocation d’étudiant handicapé à partir de 18 ans et de la rendre cumulable avec des petits boulots, puisque vous savez que l’AAH diminue de façon importante dès qu’un handicapé a un emploi ?

M. Claude Goasguen : Vous avez envisagé dans votre plan qu'on valide des modules artistiques. C'est très bien, mais je me demande pourquoi vous n'avez pas fait la même chose pour le sport, comme cela se fait dans un certain nombre d'universités étrangères, même si les universitaires sont réticents à l’égard de cette idée.

Ma deuxième remarque porte sur les bourses spéciales pour la préparation de l’ENA. Je regrette que vous ayez ainsi conforté un système qui n’aboutit pas du tout à une élite républicaine, mais à mettre en place un système technocratique, dont nous sommes en train de payer les conséquences assez gravement. Je n’ai pas les mêmes réserves à l’égard de l’ENM.

M. Claude Allègre : - Je suis d’accord sur la nécessité de se préoccuper du logement des élèves de BTS.

- Les critères d’attribution des allocations d’études seront les critères actuels, qui sont ceux de la tradition, à la fois critère social et de réussite universitaire. Pour la première année de faculté, le critère est le bac et la réussite, ensuite, aux examens, avec la possibilité de redoubler une fois.

- En ce qui concerne les handicapés, je reconnais qu’il y a un problème sur lequel nous devons travailler.

- Je suis d’accord sur la création de modules sportifs.

- En ce qui concerne les bourses destinées à préparer l’ENA, il est frappant de vois que les gens qui ont mention « très bien » au bac, qui sont de familles d’origine moyenne - ou, naturellement, riche - font tous une carrière brillante. Ceux de familles modeste, on en perd la moitié. Quand on fait des enquêtes ponctuelles, on s’aperçoit que c’est pour des raisons sociales. L’ENA est une école assez démocratique quand on prend l’ensemble des élèves. Mais, quand on prend les grands corps de l’ENA, c’est excessivement auto-reproductif. Si on pouvait injecter un peu plus de gens de familles modestes, cela pourrait modifier un peu les choses. Ou alors, il faut que l’Assemblée nationale vote la suppression de l’ENA, mais c’est un autre problème.

J’ai choisi les grandes écoles scientifiques, la médecine, la magistrature et l’ENA parce que ce sont des symboles. Compte tenu des remarques qui m’ont été faites ici et au Sénat, je vais voir s’il ne convient pas d’assouplir ce système, avec une définition moins précise.

Mme Yvette Benayoun-Nakache : Je suis pour le sport à l’université, mais il faudrait surtout envisager les infrastructures qui permettent la pratique du sport : terrains, vestiaires, etc. Malheureusement, nos universités en manquent cruellement.

M. Claude Allègre : Vous avez parfaitement raison. Le plan U3M prévoit ce type d’équipements, mais il faut savoir aussi que, dans certains endroits, ils existent et ne sont pas utilisés. Il y a un problème d’équipement, mais il y a également un problème d’encadrement et d’état d’esprit universitaire.

M. Jean Le Garrec, président : Monsieur le ministre, au nom de la commission, je voudrais vous remercier sincèrement et très chaleureusement pour la qualité du débat que nous avons eu, avec le souhait - je m’exprimerai au nom de la commission auprès du Premier ministre - que ce débat puisse se poursuivre en séance publique.

M. Claude Allègre : A mon tour, Monsieur le président, je voudrais vous dire que, contrairement à ce qui a pu être dit, je ne venais pas ici pour chercher une aprobation. Je venais ici pour que mes projets soient discutés par la représentation nationale et pour écouter ce qui a été dit. Toutes les remarques qui ont été faites sont extrêmement précieuses pour moi. Donc, je vous remercie de ce débat, qui, pour moi, a été très riche.


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