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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 5 novembre 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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– Examen de la proposition de résolution de M. Thierry Mariani visant à créer une commission d’enquête chargée d’étudier la fiabilité des études statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie, et de faire des propositions dans ce domaine - n° 999 (M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur).

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– Examen des propositions de résolution de M. Claude Goasguen, visant à créer une commission d’enquête sur la Mutuelle nationale des étudiants de France (n° 1059) et de M. André Angot, tendant à la création d’une commission d’enquête sur la gestion de la Mutuelle nationale des étudiants de France et ses filiales (n° 1100) (M. Alfred Recours, rapporteur).

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean-Paul Bacquet, la proposition de résolution de M. Thierry Mariani visant à créer une commission d’enquête chargée d’étudier la fiabilité des études statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie, et de faire des propositions dans ce domaine (n° 999).

M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur, a rappelé que, selon M. Thierry Mariani, la création d’une commission d’enquête chargée d’étudier la fiabilité des études statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) est justifiée par l’imprécision des données qui servent de base au Parlement pour la fixation de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) dans la loi de financement de la sécurité sociale et par le caractère aléatoire des statistiques à partir desquelles sont déterminés les éventuels reversements des médecins dans le cadre de la régulation des dépenses de santé.

La recevabilité de cette proposition de résolution doit s’apprécier au regard des dispositions conjointes de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l’Assemblée nationale.

La première condition de recevabilité est relative à la définition précise, soit des faits qui donnent lieu à enquête, soit des services publics ou des entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion. La proposition de résolution visant à étudier les moyens mis en oeuvre par un service public pour produire certaines informations statistiques, on peut considérer que cette condition est remplie.

La seconde condition, plus substantielle, concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l’Assemblée nationale d’enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre en date du 29 juillet 1998, le Garde des Sceaux a fait connaître qu’à ce jour aucune procédure judiciaire n’était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution, ces faits étant par ailleurs peu susceptibles de caractériser une infraction pénale. Il est donc possible de considérer cette proposition de résolution comme parfaitement recevable.

L’opportunité de créer une commission d’enquête sur les statistiques de la CNAM n’est, en revanche, pas avérée.

Il est certes indéniable que les données statistiques produites par la CNAM souffrent d’un manque certain de crédibilité aux yeux des professionnels de santé. Ceux-ci s’interrogent, notamment par l’intermédiaire de leurs organisations syndicales, sur le partage des informations de santé et la fiabilité de leur traitement par les organismes d’assurance maladie et mettent en doute la validité des données, au premier chef celles relatives à leur activité. En effet, les mécanismes conventionnels de régulation financière reposent sur des objectifs de dépenses dont le respect ne peut être apprécié que dans un cadre statistique fiable. Du fait même que les objectifs sont opposables aux médecins, ceux-ci réclament d’être associés au traitement des informations les concernant. Sur le plan plus général de l’évaluation des pratiques professionnelles et de l’organisation du système de santé, il faut également disposer d’informations bien établies pour choisir les stratégies les plus appropriées.

L’information de base, essentiellement fondée sur la nature des actes et leur mode de remboursement, a été étendue pour prendre en compte le statut du prescripteur afin d’assurer le suivi des objectifs quantifiés. L’accroissement des informations collectées lors de la liquidation s’est accompagné d’un certain nombre d’incertitudes dans la qualité de cette collecte, nécessitant divers redressements statistiques qui distendent les liens entre les informations de base et les agrégats. L’amélioration en cours de l’information comptable recueillie au moment de la liquidation, notamment grâce au développement de l’informatisation du système de santé avec une véritable boucle de retour d’informations vers les praticiens, devrait permettre à terme d’atténuer l’importance des traitements statistiques.

Ces traitements sont actuellement assurés dans le cadre de systèmes nationaux interrégimes (SNIR) de comptabilisation des dépenses d'assurance maladie. Ceux-ci reposent encore aujourd'hui sur de simples accords conventionnels entre régimes. Aucune règle n'oblige l'ensemble des régimes à transmettre les données nécessaires à la CNAM qui gère ces systèmes. Leurs lacunes ont notamment été relevées par la Cour des comptes dans ses rapports annuels au Parlement sur la sécurité sociale en 1997 et en 1998.

Le SNIR des professionnels de santé est l’outil statistique utilisé par la CNAM pour mesurer l’activité et les prescriptions des praticiens exerçant à titre libéral. Il utilise la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) pour rassembler l’ensemble des informations collectées par les différents régimes d’assurance maladie adhérents et ainsi connaître le volume et le montant des prestations. Parmi les nombreuses utilisations des informations collectées, il faut notamment citer les relevés individuels d’activité et de prescription (RIAP).

Le SNIR des professionnels de santé n’inclut cependant pas tous les régimes ni les mutuelles servant les prestations de base. La CNAM n’a pas la possibilité de contrôler la qualité des données fournies par les différents régimes. L’identification des praticiens n’est pas toujours assurée car la qualité des fichiers de référence demeure inégale. Les prescriptions de cures thermales ne sont toujours pas suivies dans ce cadre. En outre, la fiabilité des informations recueillies est obérée par le fait que les nomenclatures utilisées par les professionnels de santé et par les caisses ne sont pas identiques, ce qui constitue une source potentielle d’erreurs dans les transpositions nécessaires à la centralisation des données. Enfin, les contrôles nécessaires à la ventilation des dépenses ne sont pas effectués au moment de la liquidation mais seulement lors de l’archivage des données et selon des règles différentes suivant les caisses.

Le SNIR des établissements de santé couvre quant à lui le champ des établissements publics et privés, sanitaires et médico-sociaux. Il a pour vocation de regrouper par établissement l’ensemble des flux financiers liés aux dépenses hospitalières prises en charge par l’assurance maladie. Il n’est cependant pas alimenté par l’ensemble des régimes d’assurance maladie et ne concerne pas tous les hôpitaux non soumis à dotation globale.

Afin d’améliorer le contrôle du Parlement sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale et de rétablir la confiance entre les professionnels de santé et les caisses d’assurance maladie, il est indispensable de pouvoir garantir la fiabilité des chiffres produits par l'assurance maladie dans le domaine des soins de ville. La perspective du développement du codage des pathologies et l’informatisation du système de santé, au travers du réseau santé-social (RSS), de la carte Sésam-Vitale et de la carte des professionnels de santé (CPS), renforcent encore l’importance de la qualité du traitement des informations recueillies. Le Gouvernement s’est résolument engagé dans cette voie.

Tout d’abord, le règlement conventionnel minimal, pris par arrêté interministériel du 10 juillet 1998 en l’absence de convention médicale, a prévu que les caisses d’assurance maladie doivent procéder à l’information des médecins sur les dépenses médicales, tant au niveau national qu’au niveau local, au bénéfice des organisations syndicales représentatives, des unions régionales de médecins exerçant à titre libéral (URML), ainsi qu’à tout professionnel de santé qui en fait la demande. Par ailleurs, les caisses sont tenues d’envoyer à chaque médecin un relevé individuel d’activité et de prescription (RIAP), non plus chaque semestre mais chaque trimestre.

Comme l’a souligné le rapport de la mission de concertation sur la médecine de ville remis le 15 juin 1998 au Gouvernement par M. François Stasse, la politique de maîtrise médicalisée des dépenses de santé implique une relation de confiance entre les médecins, l’Etat et l’assurance maladie. Cette relation de confiance ne peut se développer que s’il y a accord sur le partage et la fiabilité de l’information médicalisée. Il faut lever le doute qui pèse encore sur la chaîne informationnelle, du fait que les caisses d’assurance maladie exercent à la fois des fonctions de recueil et de traitement des données et d’évaluation des pratiques. A cette fin, le retour d’information vers les professionnels de santé doit être amélioré. Il leur permettra notamment de développer des pratiques d’auto-évaluation.

Pour rétablir la confiance au sein du système d’information en santé, le rapport Stasse précité envisage trois solutions possibles pour en retenir une. L’éclatement à la source des données informatiques médicales, d’une part vers les caisses d’assurance maladie et d’autre part vers les unions régionales des médecins libéraux (URML), ne règle pas le problème initial de la fiabilité de l’information. La création d’une Agence nationale de l’information de santé, tant pour les informations relatives à la médecine de ville que celles relatives au secteur hospitalier, semble encore prématurée au vu de son ampleur. L’institution d’une tierce partie de confiance entre les professionnels de santé et l’assurance maladie, chargée d’expertiser le travail de production statistique des caisses et de veiller à un retour effectif d’information vers les professionnels de santé, semble être la solution la plus efficace susceptible d’être mise en place rapidement et sans surcoût.

Le rapport Stasse préconise donc la création d’une commission nationale des statistiques de santé, jouant à la fois le rôle de comité scientifique et déontologique, qui gérerait les demandes d’accès aux informations et serait habilitée à organiser des audits sur la qualité des informations transmises, le pertinence des règles de gestion statistique, le degré de précision des agrégats et le respect des règles éthiques relatives au secret médical. Le caractère neutre de cette institution doit être garanti par sa composition, paritaire entre les professionnels de santé et l’assurance maladie et comprenant des personnalités indépendantes choisies pour leurs compétences dans le domaine de la conception et de l’utilisation des outils statistiques.

Conformément au souhait exprimé par tous les syndicats de médecins libéraux, le Gouvernement a décidé de suivre cette proposition. La solution la plus immédiatement opérationnelle consiste en effet à confier aux seules caisses d’assurance maladie la gestion du système de traitement et d’enrichissement des données médicales et de mettre en place une instance externe de contrôle des données ainsi produites. C’est pourquoi l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 crée un système national d’information interrégimes de l’assurance maladie et un Conseil pour la transparence des statistiques de l’assurance maladie.

Le système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (SNIIRAM) sera chargé à la fois de contribuer à la connaissance des dépenses de l'ensemble des régimes d'assurance maladie et d’assurer la transmission en retour aux prestataires de soins d'informations pertinentes relatives à leur activité, leurs recettes et leurs prescriptions. Il concernera tant les professionnels de santé que les établissements de santé. Il s’agit en fait de rendre obligatoire de par la loi les SNIR des professionnels et des établissements, tout en les fusionnant.

Le SNIIRAM sera mis en place par tous les organismes gérant un régime de base d'assurance maladie. Les modalités de gestion et de recueil des informations du SNIIRAM seront définies conjointement par un protocole passé entre les trois principaux régimes d'assurance maladie au moins (CNAM, MSA et CANAM) et approuvé par un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale.

Le Conseil pour la transparence des statistiques de l'assurance maladie sera quant à lui placé auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale et aura pour objectif de garantir la qualité du recueil et du traitement des données relatives aux dépenses d'assurance maladie. Il sera composé de deux parlementaires (le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale ou son représentant et le président de la commission des affaires sociales du Sénat ou son représentant), du secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale, de représentants des caisses nationales d'assurance maladie, de représentants des professionnels de santé et de personnalités qualifiées dans les domaines de l'information de santé ou des statistiques, afin de garantir sa capacité d’expertise scientifique.

Il faut préciser que la compétence du nouveau conseil devrait être limitée aux seuls soins de ville et ne pas comprendre le secteur hospitalier, à la différence du SNIIRAM, car les données hospitalières sont déjà connues grâce au système de la dotation globale et car le problème de manque de confiance sur l’information se pose essentiellement pour la médecine ambulatoire.

Le nouveau conseil sera chargé de veiller à la qualité du recueil et du traitement des informations statistiques produites par l'assurance maladie relatives aux soins de ville. A cet effet, il adressera des avis aux organismes d'assurance maladie pour améliorer la qualité des informations statistiques qu’elles ont produites dans le domaine des soins de ville et définir la nature et les destinataires des productions statistiques utiles à la connaissance des pratiques de soins ambulatoires. Il remettra également chaque année un rapport aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, qui sera joint en annexe b du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Les organismes d'assurance maladie seront tenus de communiquer au Conseil pour la transparence des statistiques de l'assurance maladie la description précise des traitements des informations statistiques relatives aux soins de ville qu'ils mettent en oeuvre, ainsi que les informations statistiques qu'ils produisent dans le domaine des soins de ville. Cette obligation de transmission des méthodes statistiques utilisées permettra ainsi au nouveau conseil de réaliser de véritables audits scientifiques, garantissant la fiabilité des méthodes utilisées par la CNAM.

Le Gouvernement a donc proposé des moyens permanents pour rétablir la confiance dans la fiabilité des informations de l’assurance maladie. Ceux-ci se mettront en place dans le courant de l’année 1999 et on peut raisonnablement envisager de pouvoir mieux apprécier la situation à l’occasion du débat sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

Enfin, il faut considérer qu’en terme de procédure parlementaire une commission d’enquête ne serait pas l’instance la plus appropriée pour étudier la fiabilité des statistiques de la CNAM. Elle ne disposerait au plus que de six mois pour effectuer ses travaux, alors que le Parlement est amené à se prononcer chaque année, dans le cadre de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale, sur le système de santé et l’assurance maladie. Il y a donc un suivi à réaliser, que ne permet pas le recours à une commission d’enquête. Il revient aux commissions chargées des affaires sociales de chaque assemblée d’effectuer ce suivi, qui relève pleinement de leurs attributions. Il faut rappeler notamment que les rapporteurs de la loi de financement de la sécurité sociale suivent et contrôlent, sur pièces et sur place, son application et peuvent se faire communiquer tout document ou renseignement d’ordre administratif et financier de nature à faciliter leur mission.

Le rapporteur a en conséquence conclu au rejet de la proposition de résolution.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution n° 999.

*

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a ensuite examiné, sur le rapport de M. Alfred Recours, les propositions de résolution de M. Claude Goasguen, visant à créer une commission d’enquête sur la Mutuelle nationale des étudiants de France (n° 1059) et de M. André Angot, tendant à la création d’une commission d’enquête sur la gestion de la Mutuelle nationale des étudiants de France et ses filiales (n° 1100).

M. Alfred Recours, rapporteur, a rappelé que, selon les auteurs des deux propositions de résolution, la création d’une commission d’enquête sur la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF) est justifiée par divers dysfonctionnements dans la gestion de cette mutuelle et de ses filiales commerciales dont la presse s’est faite l’écho depuis le mois d’avril dernier. Ils font valoir que cette mutuelle, qui demeure la première mutuelle étudiante et la seule mutuelle nationale, exerce une mission de service public et que le Parlement doit donc être pleinement informé de la gestion de cette structure, à laquelle près de 820 000 étudiants sont affiliés.

L’examen de la recevabilité de la demande de création de commission d’enquête nécessite le rappel préalable de quelques faits.

Les auteurs des propositions de résolution observent que différentes autorités de contrôle se sont saisies du dossier de la MNEF, à commencer par la Cour des comptes. Dans le cadre de son rapport annuel au Parlement sur la sécurité sociale de septembre 1998, la Cour des comptes a en effet choisi d’examiner la gestion des assurances sociales des étudiants.

Au vu des contrôles réalisés par les comités départementaux d’examen des comptes des organismes de sécurité sociale dans les sections locales mutualistes, la Cour a été amenée à porter une appréciation globalement favorable sur la qualité du service rendu par les mutuelles aux étudiants, tant en ce qui concerne la qualité de la liquidation des prestations que pour les délais de remboursement ou les faibles taux d’erreur observés. La Cour a toutefois constaté une coordination imparfaite entre les sections locales des mutuelles, les caisses primaires d’assurance maladie, les URSSAF et les établissements d’enseignement supérieur qui effectuent conjointement les opérations d’affiliation, d’immatriculation, de recouvrement des cotisations et de liquidation des prestations. Cela se traduit par une complication excessive et un manque de transparence des procédures.

S’agissant des relations entre les mutuelles et la CNAM, la Cour des comptes a constaté que les remises de gestion, versées par le régime général pour financer les frais induits par le service des prestations obligatoires aux étudiants par les sections locales, ne correspondaient pas toujours au coût réel du service rendu, avec d’ailleurs de fortes disparités selon les mutuelles. En ce qui concerne la gestion des mutuelles étudiantes proprement dites, la Cour a noté qu’elles ont développé, souvent avec le soutien des pouvoirs publics, un certain nombre de filiales commerciales spécialisées dans l’offre diversifiée de services correspondants à des besoins nouveaux des étudiants (logement, stages, assurances, agences de voyages, magazines,...), mais aussi parfois sans rapport direct avec le monde étudiant (impression, informatique ou communication).

Sur des aspects de la gestion des mutuelles étudiantes qui ne sont pas présentés dans son rapport adressé au Parlement, la Cour a découvert, à l’occasion de ses contrôles, des faits de nature à motiver la saisine de la justice pénale. Conformément à l’article 51 du décret n° 85-199 du 11 février 1985 relatif à la Cour des comptes, elle en a informé le procureur général près la Cour des comptes. Celui-ci a adressé, le 31 juillet 1998, une communication sur ces faits au Garde des sceaux et aux ministres intéressés.

Par lettre en date du 2 septembre 1998 adressée à M. le Président de l’Assemblée nationale, le Garde des sceaux a indiqué avoir transmis le 4 août 1998 au procureur général près la cour d’appel de Paris les éléments recueillis par le procureur général près la Cour des comptes. Sur la base de ces constatations, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a décidé d’ouvrir, le 9 septembre 1998, une information judiciaire contre X des chefs de faux, usage de faux, abus de confiance, recel et conservation illégale d’intérêts sur une partie des faits dénoncés par la Cour des comptes, et d’ordonner sur une autre partie de ces faits une enquête préliminaire.

L’existence de ces procédures judiciaires nécessite de mener un examen approfondi de la recevabilité des deux propositions de résolution au regard des dispositions conjointes du troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui interdisent à l’Assemblée nationale d’enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

Dans sa lettre précitée, le Garde des sceaux laisse à l’Assemblée nationale le soin d’apprécier si ces procédures ne sont pas de nature à faire obstacle à la création de la commission d’enquête. Cette formule classique est employée par le Garde des sceaux chaque fois qu’il y a des poursuites judiciaires touchant à l’objet de la commission d’enquête. Il ne se prononce de manière catégorique qu’en l’absence totale de poursuites.

Il appartient donc à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis à l’Assemblée nationale elle-même, de déterminer si ces procédures judiciaires sont de nature à empêcher la constitution d’une commission d’enquête parlementaire.

Pour éclairer la décision de la commission, il faut rappeler qu’il a été admis, dès 1971, que l’existence de poursuites judiciaires n’était pas à elle seule une cause d’irrecevabilité d’une demande de constitution de commission d’enquête, mais qu’il s’agit d’un élément important à prendre en compte pour limiter les pouvoirs d’investigation de ladite commission, dans la mesure de l’étendue des faits dont est saisie, pour sa part, l’autorité judiciaire. L’Assemblée nationale a ainsi déjà décidé à plusieurs reprises de constituer une commission d’enquête malgré l’existence de poursuites judiciaires, dès lors que ces faits étaient écartés de son champ d’investigation. On peut citer la commission d’enquête sur les activités du service d’action civique en 1982, celle qui s’est penchée sur le financement des campagnes électorales et des partis politiques en 1991 ou la commission d’enquête sur le Crédit lyonnais en 1994.

Il ressort de ces précédents que, si la capacité d’enquête de l’Assemblée nationale peut être limitée, elle n’est pas anéantie, à condition que le champ d’investigation de la commission soit défini de manière large et souple. Centrer l’enquête sur la seule MNEF serait prendre le risque de rencontrer constamment l’obstacle résultant du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et, en fin de compte, de mener la commission d’enquête à une impasse.

En revanche, dans l’état actuel des procédures, il apparaît qu’une commission aurait une grande latitude pour enquêter sur le régime étudiant de sécurité sociale, à la lumière des constatations et des observations de la Cour des comptes qui, en conclusion de son étude, note que le régime étudiant est à la croisée des chemins.

Il est en effet important que le Parlement se prononce sur l’état actuel et l’avenir du régime de sécurité sociale des étudiants qui concerne 1,3 million de personnes et s’est ouvert à la concurrence dans les années 1970, avec l’apparition de dix mutuelles régionales en plus de la MNEF. Les organismes mutualistes qui gèrent actuellement le régime étudiant de sécurité sociale sont également concernés par l’harmonisation européenne du droit des mutuelles, qui implique la transposition par la France de deux directives communautaires sur la libre prestation de services dans le domaine de l’assurance.

Serait recevable, opportune et utile la création d’une commission d’enquête qui envisagerait dans sa globalité le problème du régime étudiant de sécurité sociale. Une telle définition du champ de l’enquête ne soulève pas de difficultés au regard de la seconde condition de recevabilité posée par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée et par l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui est relative à la définition précise, soit des faits déterminés qui donnent lieu à enquête, soit des services publics ou des entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion. Le régime étudiant de sécurité sociale dans son ensemble constitue en effet un service public.

Le rapporteur a donc demandé en conclusion à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de proposer à l’Assemblée nationale la création d’une commission d’enquête sur le régime étudiant de sécurité sociale, ce qui - a-t-il souligné - inclut bien entendu la MNEF et ses filiales.

Après l’exposé du rapporteur, M. Claude Goasguen a considéré que la proposition du rapporteur d’enquêter sur l’ensemble du régime étudiant de sécurité sociale, à partir de remarques faites par la Cour des comptes sur des dysfonctionnements de ce régime, dénature l’objet des propositions de résolution initiales qui visaient explicitement la MNEF et ses filiales.

L’article 140 du Règlement, qui définit le champ des commissions d’enquête, retient en effet une alternative : celles-ci portent soit sur des faits précis, soit sur la gestion d’un service public ou d’une entreprise nationale. Pour ce qui est des faits, si ceux-ci existent clairement en ce qui concerne la MNEF, ce n’est pas le cas pour l’ensemble du régime étudiant de sécurité sociale et notamment pour les autres mutuelles étudiantes qui ne sont pas en cause. La proposition du rapporteur, qui vise astucieusement à globaliser le problème, met en fait en cause des organismes qui n’ont rien à se reprocher. Cet amalgame est regrettable. Si l’on s’attache par ailleurs au deuxième critère retenu par l’article 140 du Règlement, la proposition de résolution du rapporteur n’est pas recevable car on ne peut pas considérer que les mutuelles et la sécurité sociale étudiantes sont des services publics.

Plutôt que de se borner à réaliser une étude en complément du rapport de la Cour des comptes, il faut revenir au texte des deux propositions initiales et se concentrer sur le problème de la MNEF, qui est un problème délictueux. Il est clair qu’il existe une réticence politique à traiter du dossier de la MNEF. Le parquet de Paris avance avec une lenteur inacceptable et le Garde des sceaux ne lui a toujours pas donné d’instructions comme elle en a, pour le moment encore, le pouvoir et le devoir. De même, on doit se demander pourquoi un administrateur provisoire n’a toujours pas été nommé.

La proposition du rapporteur qui vise à « noyer le poisson » est donc inacceptable.

M. Jean-Paul Bacquet, tout en déclarant partager l’indignation du précédent orateur sur l’existence d’actes délictueux qui portent préjudice au monde étudiant et au système de protection sociale en général, a estimé nécessaire d’aller au-delà de ces faits et de s’interroger sur la capacité de gestion par les étudiants d’un système de sécurité sociale mutualiste, qui constitue par ailleurs indubitablement un service public.

M. Maxime Gremetz a fait part de ses interrogations au vu des conclusions du rapporteur. L’élargissement du champ d’investigation de la commission d’enquête risque de jeter la suspicion sur les autres mutuelles étudiantes alors que l’on ne dispose d’aucune certitude sur le dysfonctionnement de tout le système. Au nom de la nécessaire transparence politique, il faut enquêter sur des agissements douteux mais, compte tenu des textes, il convient de déterminer au préalable s’il est juridiquement possible ou non de créer une commission d’enquête sur la seule MNEF.

Le président Jean Le Garrec a estimé que la création d’une commission d’enquête en général ne doit pas avoir pour conséquence de jeter a priori la suspicion sur les organismes étudiés. S’agissant du déroulement de l’enquête préliminaire, on ne dispose officiellement d’aucune information sur son état d’avancement.

M. Claude Goasguen a indiqué qu’une enquête préliminaire, qui n’est pas un acte de justice, a été lancée par le parquet de Paris sur une filiale de la MNEF. Par ailleurs, l’existence de poursuites judiciaires n’est pas un obstacle à la création d’une commission d’enquête mais elle impose seulement une limitation de son champ d’investigation.

M. Alfred Recours, rapporteur, a rappelé les termes du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui appartient au système constitutionnel et que ne font que reprendre les articles 140 et 141 du Règlement, selon lesquels les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, et selon lesquels également il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

En l’espèce, des poursuites sont en cours puisque le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a décidé d’ouvrir, le 9 septembre 1998, une information judiciaire contre X des chefs de faux, usage de faux, abus de confiance, recel et conservation illégale d’intérêts. Le déclenchement de cette procédure n’était pas connu des auteurs de la proposition de résolution n° 1059 qui l’ont déposée le 9 juillet 1998. Il n’est donc pas possible de créer n’importe quelle commission d’enquête, sans délimiter précisément son champ d’investigation et sans exclure des faits qui sont déterminés mais qui font l’objet de poursuites judiciaires. Il faut donc s’appuyer sur la deuxième possibilité offerte par l’ordonnance de 1958, c’est-à-dire d’étudier la gestion d’un service public, en considérant - comme l’a d’ailleurs déjà fait le Conseil d’Etat - que la sécurité sociale est un service public.

Créer une commission d’enquête pour pallier la lenteur de la justice serait précisément aller à l’encontre de l’ordonnance de 1958 et du principe de séparation des pouvoirs, puisque le Parlement serait ainsi amené à s’immiscer dans le fonctionnement de la justice. Si l’on souhaite vraiment la création d’une commission d’enquête, il faut se garder de lui assigner comme mission l’examen de faits sur lesquels, justement, elle ne pourra mener d’enquête.

Par ailleurs, c’est la commission d’enquête elle-même qui déterminera son programme de travail. Il appartiendra donc à ses membres, et notamment à son président et à son rapporteur, de mener leurs investigations en allant au plus près des faits, en frôlant sans la franchir la « ligne jaune » que constitue le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire.

M. Claude Goasguen a jugé que le dernier argument du rapporteur n’était pas son intérêt, mais que ses conclusions constituaient néanmoins un véritable « tour de passe-passe » puisqu’elles conduisent à exclure la MNEF du champ d’investigation de la commission d’enquête. La majorité doit donc faire la preuve de sa volonté de faire toute la lumière sur les faits précis concernant la MNEF, en permettant à l’opposition d’accéder à la fonction de président ou de rapporteur de la commission d’enquête, comme ce fut le cas pour la commission d’enquête sur le financement des campagnes électorales et des partis politiques en 1991.

M. Maxime Gremetz s’est déclaré convaincu par la démonstration du rapporteur et favorable à ce que l’opposition soit étroitement associée à la conduite de la commission d’enquête.

M. Alfred Recours, rapporteur, a nié que, par l’adoption du texte qu’il propose, la MNEF serait exclue du champ d’investigation de la commission d’enquête. La Cour des comptes a constaté, dans son rapport au Parlement sur la sécurité sociale de 1998, que cette mutuelle a développé, souvent avec le soutien des pouvoirs publics, un certain nombre de filiales commerciales spécialisées dans l’offre diversifiée de services correspondants à des besoins nouveaux des étudiants, mais aussi parfois sans rapport direct avec le monde étudiant. Les aspects non judiciaires de la gestion des filiales des mutuelles étudiantes pourront donc être examinés par la commission d’enquête.

Comme l’indique le II de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les rapporteurs des commissions d’enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis et ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service. Toutefois, ils doivent respecter le principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs.

M. Bruno Bourg-Broc a indiqué qu’il s’abstiendrait sur le vote des conclusions présentées par le rapporteur, car elles ne correspondent pas à l’objet initial des propositions de résolution et il a souhaité que la majorité s’engage formellement à ce qu’un député de l’opposition puisse occuper la fonction de président ou de rapporteur de la commission d’enquête.

Le président Jean Le Garrec a pris acte de la demande formulée par MM. Claude Goasguen et Bruno Bourg-Broc, mais il a observé que la répartition des postes au sein de la commission d’enquête ne pouvait évidemment pas se faire dans le cadre du débat, en commission ou en séance publique, sur la proposition de résolution.

La commission a adopté la proposition de résolution dans le texte proposé par le rapporteur, tendant à la création d’une commission d’enquête de trente membres sur le régime étudiant de sécurité sociale.


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