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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 21 novembre 2001
(Séance de 8 heures 45)

Présidence de M. Robert Gaïa, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001


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La Commission a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001.

Le Ministre de la Défense a d'abord rappelé que, le 6 juillet dernier, le Gouvernement avait considéré que le moment était venu pour DCN d'accéder au statut de société nationale. Il a alors souligné que le processus qui conduisait à ce statut comportait d'importantes transformations internes et une modification des textes législatifs et réglementaires.

Précisant que l'objectif était que DCN puisse exercer ses activités sous forme de société dès le 1er janvier 2003, M. Alain Richard a indiqué que le projet de loi de finances rectificative avait paru constituer un bon point d'appui pour la réforme, eu égard à son incidence sur les finances de l'Etat.

Le Ministre de la Défense a ensuite apporté des précisions sur l'article 36 du projet de loi relatif à la transformation de DCN en entreprise nationale. Il a d'abord exposé que l'ensemble des activités de DCN serait transféré à la nouvelle société, à l'exception de quelques-unes qui seraient maintenues au sein du ministère de la Défense en raison de leur nature. Il a ajouté qu'il était clairement prévu que cette société aurait pour actionnaire unique l'Etat et qu'elle serait une entreprise nationale. Il a précisé que le nouveau statut de DCN aurait pour avantage de lui permettre de nouer les alliances industrielles nécessaires à son développement.

Le Ministre a également souligné que l'article 36 du projet de loi disposait expressément qu'un contrat d'entreprise pluriannuel serait passé entre la société et l'Etat afin de fixer des engagements réciproques concourant à la bonne gestion de l'entreprise. Il a ajouté que l'objectif était de permettre un retour à l'équilibre financier de DCN, précisant que, si la structure des comptes de cette entreprise était aujourd'hui celle d'une société, elle ferait apparaître un déficit. Il a précisé que le contrat d'entreprise devrait indiquer l'année où cet équilibre financier serait atteint et prévoir, avant cette échéance, un soutien de l'Etat. Il a indiqué que le contrat d'entreprise devrait aussi définir les projets pour lesquels l'Etat demandera à DCN d'être son fournisseur en lui garantissant de ce fait un niveau de chiffre d'affaires assurant dans de bonnes conditions le démarrage de sa nouvelle gestion.

Abordant le statut des personnels, le Ministre a ensuite indiqué qu'il serait maintenu à titre individuel. En conséquence, les personnels de DCN conserveront au sein de la société nouvelle leur statut actuel, par exemple d'ouvrier d'Etat pour 12 000 d'entre eux ou de fonctionnaire pour environ 2 400. Le Ministre a ajouté que le projet de loi prévoyait que les ouvriers d'Etat pourraient garder leur statut actuel jusqu'au terme de leur carrière et précisé qu'aucune disposition ne mentionnait les fonctionnaires et les personnels à statut militaire puisque des mécanismes statutaires existaient déjà : les fonctionnaires civils et les militaires bénéficiant en effet de régimes de détachement pour cinq ans, renouvelables, au sein des entreprises publiques, ces mécanismes s'appliqueront également à DCN. Le Ministre a rappelé qu'en revanche, les personnels nouvellement recrutés après la transformation de DCN en entreprise nationale seraient régis selon les règles du droit privé, leurs conditions d'emploi étant fixées par un accord d'entreprise, dans le cadre d'une convention collective qui, compte tenu de l'activité de la société, sera sans doute celle des industries métallurgiques. Il a ajouté que les ouvriers d'Etat et les personnels sous statut militaire ou les fonctionnaires civils pourraient demander, à leur convenance, de passer sous un régime privé.

Après avoir insisté sur la large concertation à laquelle avait donné lieu le projet de réforme de DCN, le Ministre s'est déclaré convaincu que la nécessité de l'évolution de cette entreprise était désormais admise par la majeure partie de ses personnels.

M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis, s'est félicité que la réforme de DCN puisse être conduite dans le respect des échéances indispensables à la transformation de ce service industriel dans de bonnes conditions, tout en soulignant que l'unité de l'entreprise était sauvegardée. Il a ensuite insisté sur l'importance du contrat d'entreprise appelé à régir les relations entre l'Etat et la nouvelle DCN, en souhaitant que tout soit mis en _uvre afin d'éviter ce qu'il a appelé une « giatisation » de la société après sa création. A cet égard, il a fait valoir que la situation de DCN était très différente de celle qu'avait connue Giat-Industries lors de sa transformation en société commerciale et jugé que les efforts accomplis par DCN pour sa réorganisation ainsi que ses perspectives de marché permettaient d'envisager son avenir avec confiance.

M. Jean-Yves Le Drian a cependant souligné que postérieurement à l'entrée en vigueur de la réforme, DCN continuerait à supporter temporairement certains handicaps de compétitivité, ne serait-ce qu'en conséquence de ses nouvelles obligations fiscales. Il a estimé qu'il était donc nécessaire que le contrat d'entreprise lui confère une garantie de chiffre d'affaires et que sa capitalisation soit suffisamment élevée, dès sa transformation en entreprise nationale, afin d'éviter le risque de besoins récurrents en fonds propres. Puis, abordant la situation des personnels de DCN, il a regretté qu'ils s'interrogent toujours sur leur situation dans le cadre de la réforme, en constatant d'ailleurs que la succession des différents projets de texte qu'ils avaient pu connaître avait suscité chez eux une certaine suspicion, d'ailleurs explicable au regard de la culture particulière à l'entreprise.

Enfin, M. Jean-Yves Le Drian, évoquant la situation des techniciens supérieurs d'études et de fabrication (TSEF), a souligné qu'ils occupaient une place déterminante au sein de l'encadrement intermédiaire de DCN mais qu'il leur paraissait difficile de se situer dans le nouveau dispositif hiérarchique.

M. Pierre Lellouche a jugé que la réforme de DCN représentait une innovation majeure et qu'elle traduisait une prise de conscience des surcoûts particuliers aux industries étatiques. Il a ensuite interrogé le Ministre sur cinq points : l'état du déficit actuel de l'entreprise, la date à laquelle elle pourrait retrouver un point d'équilibre, les coûts à supporter par l'Etat pour la mise en _uvre de la réforme, la situation des personnels, qui lui a semblé s'apparenter à ce qui avait été accompli en 1996 à l'occasion de la transformation de France Télécom en société commerciale et les leçons à tirer de l'expérience de Giat-Industries.

M. Pierre Lellouche a alors demandé que toutes les dispositions soient prises pour que la gestion de la nouvelle société issue de la transformation de DCN ne conduise pas à une répétition des échecs de Giat-Industries.

Après avoir indiqué qu'il partageait les observations de M. Jean-Yves Le Drian, M. Jean-Noël Kerdraon a regretté, au sein de DCN, un déficit d'information sur différents aspects de la réforme. Il a estimé que la persistance des interrogations des personnels témoignait de leur crainte que la transformation de leur entreprise aboutisse à une situation analogue à celle de Giat-Industries, alors même que DCN se trouve dans une situation tout à fait distincte, notamment pour ce qui concerne son plan de charges. Après s'être félicité que la réforme n'entraîne ni démantèlement, ni « vente par appartement » de DCN, il a jugé que des ajustements de périmètres entre ce qui relèverait de la nouvelle société et ce qui resterait à l'Etat étaient concevables mais qu'ils devraient se faire en fonction de choix clairs.

S'agissant des effectifs, M. Jean-Noël Kerdraon a considéré que le texte du projet de loi appelait encore des précisions, en particulier pour prévoir que les ouvriers d'Etat pourraient devenir salariés de la nouvelle DCN non seulement sur proposition de l'entreprise mais également sur leur propre demande. Il a ensuite souligné que les TSEF constituaient un corps de fonctionnaires dont le rôle d'encadrement lui a semblé être insuffisamment pris en compte par le processus de réforme. Il a enfin mis l'accent sur l'importance décisive du contrat d'entreprise pour le succès de la réforme, jugeant qu'il devait faire l'objet de discussions approfondies afin de lever le plus grand nombre possible d'incertitudes.

M. René Galy-Dejean a estimé que si l'histoire devait retenir un fait marquant dans l'action du Ministre de la Défense, au cours des dernières années, il s'agirait sans doute de la réforme de DCN. Il a souhaité que la mise en _uvre de cette réforme soit couronnée de succès, considérant qu'elle pourrait même alors être comparée aux mesures prises par Colbert en faveur de la Marine il y a plusieurs siècles.

M. René Galy-Dejean s'est toutefois étonné que le Gouvernement ne se donne pas tous les atouts pour réussir en offrant à l'entreprise des perspectives d'avenir qui pourraient amener les ouvriers d'Etat à se déclarer spontanément volontaires pour passer sous le régime de la convention collective. Il a à ce propos demandé au Ministre pourquoi il ne faisait pas un geste fort en matière d'investissement en passant par exemple une importante commande de bâtiments neufs à DCN et indiqué qu'une telle décision rencontrerait l'approbation du groupe RPR.

M. Guy-Michel Chauveau a salué l'initiative prise par le Gouvernement pour réformer DCN en se félicitant de la concertation à laquelle elle a donné lieu. Il s'est également étonné que des membres de la Commission qui affichaient généralement les opinions économiques les plus libérales demandent à l'Etat d'assurer le plan de charges d'une entreprise.

M. Jean-Claude Viollet s'est félicité du maintien de l'unité de l'entreprise et de l'intégration de l'ensemble de ses établissements dans le processus de réforme. Il a interrogé le Ministre sur le montant et la nature du capital qui sera accordé à la nouvelle société puis a demandé quelles commandes de constructions neuves et de marchés de maintien en condition opérationnelle seraient inscrites au contrat d'entreprise et si ce dernier prendrait en compte l'actif et le passif de DCN, y compris pour les opérations en cours. Après avoir demandé quelle serait l'incidence de la réforme sur le produit de la taxe professionnelle payée sur les différents sites, il a souhaité des précisions sur le déroulement de la période transitoire précédant l'entrée en activité de la nouvelle société au 1er janvier 2003. Enfin, il a proposé que l'option pour le régime de la convention collective soit ouverte à tous les agents et ne soit pas conditionnée par l'accord préalable de la société.

M. Robert Gaïa, Président, a relevé que DCN souffrait d'un déficit d'encadrement dans le secteur des achats, des ressources humaines ainsi que dans les domaines commerciaux et juridiques. Par ailleurs, il a rappelé que le récent rapport d'information de la Commission sur l'entretien de la flotte avait mis en lumière des sous-effectifs pour certaines spécialités comme celles des soudeurs ou des diésélistes et a demandé, en conséquence, à quelle date DCN pourrait reprendre une politique d'embauche.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense, a apporté les éléments de réponse suivants :

- le contrat d'entreprise comportera des engagements de la part de l'Etat. Ainsi, l'entreprise sera capitalisée à un niveau suffisant ; certains investissements seront agréés par l'Etat mais financés par l'entreprise. L'Etat s'engagera à aider l'entreprise à atteindre l'équilibre avant le terme de la période de cinq ans couverte par le contrat. Il s'agit donc d'une garantie de soutien sur une période de transition à l'issue de laquelle l'entreprise devra être compétitive sur un marché désormais très concurrentiel à l'échelle européenne ;

- les commandes en cours de réalisation pour la Marine seront transférées à la nouvelle société. Pour ce qui concerne l'exportation, la garantie de l'Etat sera modulée en fonction des risques caractérisant les différents contrats. Le programme des frégates multimissions devant être défini au moment de la mise au point du contrat d'entreprise, il pourra y être intégré si l'offre de DCN ne se compare pas défavorablement à d'autres propositions industrielles. Le contrat d'entreprise n'interdira donc pas des appels à la concurrence européenne ;

- la différence fondamentale entre DCN et Giat-Industries est l'absence de risque d'effondrement de l'activité sur le marché de la construction navale militaire qui, au contraire, s'inscrit dans une tendance de croissance ;

- il est envisageable de reconnaître aux personnels le droit d'opter pour le régime de salarié de la nouvelle société sans avoir besoin de l'accord de DCN. Cette disposition n'a toutefois pas à être inscrite dans le projet de loi étant donné qu'elle relève du domaine réglementaire ;

- les techniciens supérieurs d'études et de fabrication (TSEF) sont des fonctionnaires auxquels sont appliquées les règles du détachement. Les ingénieurs et cadres technico-commerciaux (ICT) qui sont actuellement des personnels contractuels, passeront sous un régime de convention collective et bénéficieront d'un droit individuel de retour dans des services de l'Etat dans un délai de 5 ans après la période de gestion de 2 ans ;

- l'embauche de personnels nouveaux doit commencer rapidement, dès 2002. Des cadres qualifiés devront être recrutés au tout début de l'année prochaine ;

- le nombre des départs en retraite prévu est important. Il pourrait même l'être davantage avec l'entrée en vigueur des dispositions relatives à l'exposition à l'amiante qui permettront à certains agents de partir dès 50 ans. Par conséquent, DCN devrait connaître un renouvellement significatif de ses personnels dans les années à venir ;

- la concertation a privilégié le canal des organisations syndicales. Il est aussi nécessaire que l'encadrement contribue à la bonne marche du processus de concertation ;

- l'assujettissement de l'ensemble des opérations de DCN à la TVA rendra les prestations de l'entreprise plus coûteuses pour le ministère de la Défense. Dans ses relations avec d'autres clients que l'Etat, DCN est déjà soumise au même régime que ses concurrents ;

- le changement de statut ne devrait pas avoir en première analyse de conséquences défavorables pour les collectivités locales en matière de taxe professionnelle, le produit de cet impôt devant être proche des montants actuels voire dans certains cas supérieur.

A la demande de M. Robert Gaïa, Président, le Ministre de la Défense a ensuite présenté les principaux mouvements de crédits résultant, pour le budget militaire, du projet de loi de finances rectificative.

S'agissant des annulations de crédits, il a précisé que leur total net était de 1,8 milliard de francs, ce qui constituait le montant le plus faible de la législature.

Il a ensuite fait observer que la mesure la plus importante était l'inscription de 23,7 milliards de francs d'autorisations de programme destinés à l'avion militaire de transport A 400 M. Il a précisé que ce montant permettait de disposer d'une dotation globale de 43,7 milliards de francs, suffisante pour passer une commande de 50 appareils.

Il a ajouté que, sur les neuf pays concernés, sept d'entre eux étaient prêts à s'engager dans la réalisation du programme. Précisant que la signature de l'Italie ne paraissait pas acquise, il a souligné qu'elle n'était pas déterminante puisque ce pays n'envisageait qu'un achat de 16 appareils. Il a, en revanche, souligné la volonté politique affirmée par l'Allemagne de passer une commande de 73 appareils, qui garantissait la viabilité du programme. Il a ajouté qu'il importait que cette volonté se concrétise sans retard eu égard au risque qu'un allongement des délais ferait courir au programme.

M. Pierre Lellouche a vivement regretté les annulations de crédits d'équipement qui résultaient du projet de loi, estimant qu'elles aggraveraient des lacunes capacitaires criantes, d'ailleurs évoquées par les chefs d'état-major à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2002. Il a ajouté que l'insuffisance des crédits d'équipement ne touchait pas seulement les programmes en cours mais qu'elle empêchait aussi de répondre aux besoins apparus après le 11 septembre en matière de défense du territoire qu'il s'agisse, par exemple, des réserves ou de la protection contre d'éventuelles attaques biologiques. Il a ensuite exprimé ses préoccupations devant l'attitude de l'Allemagne à l'égard du programme A 400 M, en soulignant les réticences exprimées par plusieurs responsables politiques extérieurs à la Commission de la Défense du Bundestag.


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