ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 33

Mercredi 2 mai 2001

(Séance de 14 heures 30)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Christophe Darasse, directeur de l'action sociale du département des Yvelines, et de Mme Laurence Stricanne, inspecteur de l'aide sociale à l'enfance chargée du service de l'accès aux origines, de l'adoption et des pupilles

- Audition de Mmes Françoise Laurent, présidente, Maïté Albagly, secrétaire générale, et Valérie Boblet, membre de la Confédération du Mouvement Français pour le Planning familial

- Audition de Mme Simone Chalon, présidente de l'association "La famille adoptive française"

- Audition de Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu M. Christophe Darasse, directeur de l'action sociale du département des Yvelines, et Mme Laurence Stricanne, inspecteur de l'aide sociale à l'enfance chargée du service de l'accès aux origines, de l'adoption et des pupilles.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Christophe Darasse, directeur de l'action sociale du département des Yvelines, et Mme Laurence Stricanne, inspecteur de l'aide sociale à l'enfance, chargée du service de l'accès aux origines, de l'adoption et des pupilles. La Délégation aux droits des femmes mène actuellement une série d'auditions sur le projet de loi de Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles. Nous avons déjà entendu les enfants nés sous X et les "mères de l'ombre", qui ont évoqué les difficultés des enfants pour accéder à leur dossier et la difficulté des mères à lever ultérieurement le secret de leur identité.

Sous votre responsabilité, votre service a mis en place un dispositif spécifique d'accompagnement pour la recherche des origines, dont nous aimerions connaître le fonctionnement. Nous souhaiterions également approfondir avec vous les difficultés auxquelles se heurtent les enfants qui recherchent leurs origines, les raisons de ces difficultés et les mesures susceptibles d'y remédier, ainsi que, de la même façon, les difficultés spécifiques aux mères qui désirent lever le secret.

M. Christophe Darasse : Je vais vous décrire l'organisation des services du département des Yvelines et aborder notamment les deux points en question : l'accouchement sous le secret et les problèmes posés par l'accès aux origines personnelles.

Nous avons constitué, dans les Yvelines, une petite équipe composée de deux professionnelles - une assistante sociale et une éducatrice - afin de travailler autour de l'accouchement sous le secret. Cette équipe intervient dans le cadre d'une délégation du président du conseil général et travaille en lien avec un psychologue vacataire, un cadre technique socio-éducatif et l'inspecteur des adoptions.

Cette équipe travaille de la manière suivante. Elle rencontre, lorsque cela est possible, les femmes avant l'accouchement, ce qui leur permet de mieux préparer l'entretien qui a lieu peu de temps après la naissance de l'enfant.

Le plus souvent, ce sont des assistantes sociales des hôpitaux ou des services de la protection maternelle et infantile qui orientent vers elles les femmes souhaitant obtenir des renseignements préalables sur cette démarche. Lorsqu'elles rencontrent ces femmes à la maternité, elles leur précisent qu'elles ont le droit de choisir les prénoms de l'enfant, ce qui est souvent le cas, et de laisser des éléments non identifiants ou identifiants qui seront conservés au dossier sous pli confidentiel.

Par ailleurs, les professionnelles de cette équipe communiquent leurs coordonnées à ces femmes qui accouchent, après leur avoir bien mentionné les délais et les conditions de rétractation et leur avoir précisé qu'elles restaient à leur disposition pour tout soutien éventuel.

Sur le plan quantitatif, dans le département des Yvelines, en 1999, huit enfants sont nés sous le secret et, en l'an 2000, vingt. Dans les années qui précèdent 1999, la moyenne des enfants nés sous le secret dans le département des Yvelines se situait généralement autour de quinze à vingt enfants.

Les problèmes liés à l'accouchement sous le secret que nous avons relevés sont les suivants :

- l'urgence : lorsque la mission s'exerce, elle doit l'être dans un délai très court. Nous avons pu constater que nombre de femmes partaient très rapidement après l'accouchement, à savoir trois à quatre heures après ; il y a donc nécessité de travailler en lien avec les maternités et d'impulser des formations communes pour sensibiliser les professionnels et améliorer l'accueil de ces femmes.

Dans les Yvelines, un réseau associant l'ensemble des maternités publiques et privées a été mis en place. Le 6 février 2001, s'est effectué un échange sur la conduite à tenir en cas d'accouchement sous le secret.

- les mineures : l'ensemble des professionnels semble se trouver en difficulté quand la situation d'une mineure se présente. De fait, les dispositions de l'article L. 226-6 du code de l'action sociale et des familles précisent qu'une pièce d'identité n'est pas exigée, mais la pratique de certaines maternités fait que souvent l'identité est recueillie "temporairement", le temps de l'accouchement, pour le cas où la femme décéderait. Cette angoisse est très forte quand une mineure accouche et que sa famille n'est pas informée de la situation.

Le cas des mineures illustre parfaitement la contradiction qui existe actuellement sur la notion de secret, écrite dans la loi, mais qui est souvent détournée pour des motifs autres que ceux de l'intérêt de l'enfant.

- le point de vue des pères : l'accouchement sous le secret peut constituer, dans certains cas, un abus de pouvoir, source d'inégalité entre l'homme et la femme. Des femmes peuvent en effet, en toute légalité et contre l'avis du géniteur, accoucher sous le secret d'un enfant qui aurait pu bénéficier d'une filiation et d'une prise en charge de la part de son père biologique.

- l'interdiction de recherche en maternité : dans la même optique, se pose le principe de l'égalité entre l'homme et la femme. En effet, les recherches en paternité sont admises, même post mortem, alors que les recherches en maternité ne sont pas autorisées.

- la contradiction entre le respect de la confidentialité et l'anonymat : actuellement, rien n'interdit à une femme accouchant sous le secret de laisser son identité dans le dossier de l'enfant. C'est le cas dans certains dossiers détenus par le département des Yvelines. Très souvent d'ailleurs, une lettre à l'intention de l'enfant accompagne l'identité.

De plus, l'expérience des professionnelles intervenant pour cette mission, dans les Yvelines, a pu mettre en évidence que, dans les situations où le recueil de l'identité n'est pas effectué dans les premiers jours qui suivent l'accouchement, la femme ne transmet pas ultérieurement son identité, malgré des promesses sûrement sincères.

Cette remarque rejoint le débat actuel mis en évidence dans le projet de loi de Mme Ségolène Royal. Des modalités de recueil de l'identité seraient uniquement incitatives, puisque la femme serait seulement "invitée" à consigner son identité sous pli fermé, d'où le problème prévisible des enveloppes vides et des dossiers inéluctablement vides.

Un recueil systématique de l'identité, inscrit dans la loi, clarifierait cette question. La confidentialité de l'identité de la femme serait préservée au niveau de l'état-civil, des tiers et de l'hôpital, mais elle serait conservée dans le dossier de l'enfant et à son intention. Cette nouvelle disposition, eu égard à la pratique des Yvelines, semblerait préférable si effectivement elle est proposée dans le cadre d'entretiens particulièrement préparés et respectueux et de la mère et de l'enfant. D'où la nécessité de prévoir des formations extrêmement pointues pour tous les professionnels intervenant dans ce domaine.

La question du délai de conservation de l'identité, avant sa divulgation à l'enfant ou à ses représentants légaux, est fondamentale. A cet égard, l'action du Conseil national d'accès aux origines personnelles, en lien avec les départements, présenterait un intérêt certain de par les médiations psychologiques qu'il pourrait proposer.

De plus, la notion de dépositaire du secret est à considérer. En effet, le projet de loi a précisé que l'identité serait conservée, sous pli fermé, par le Conseil national d'accès aux origines personnelles. L'opportunité que le correspondant local du Conseil soit également destinataire du pli, mais sans être forcément habilité à le communiquer, semble une donnée à prendre en compte. Cela permettrait de garantir la perte éventuelle du pli au cours de sa transmission au Conseil et, de façon symbolique, la désacralisation de la notion de secret revenant exclusivement à un organisme d'Etat. Nous avons déjà, à l'heure actuelle, une mission de proximité qui permet d'éviter cette "sacralisation" du sujet.

Par ailleurs, vous avez interrogé le département des Yvelines sur un second point, à savoir les problèmes posés par l'accès aux origines personnelles. S'agissant des modalités actuelles de consultation dans le département des Yvelines, l'usager, après un premier contact téléphonique avec le service, est invité à rédiger un courrier dans lequel il indique, le plus précisément possible, son nom d'origine, s'il en a connaissance, et la date éventuelle du prononcé de son jugement d'adoption.

Dès réception de la demande, un courrier d'attente est adressé par le service qui effectue des recherches minutieuses, en lien avec la classothèque du département et les archives départementales. Le dossier est alors transmis au service "adoption-pupilles-accès aux origines" où il est entièrement reclassé par ordre thématique et chronologique.

Une note de synthèse est ensuite rédigée et les points juridiques étudiés par le service, si nécessaire en liaison avec la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), sollicitée pour avis. En application stricte du droit des usagers, une consultation très large des pièces contenues dans leur dossier est la règle, le dossier médical étant quant à lui transmis systématiquement par l'intermédiaire d'un médecin.

Une centaine de consultations de dossiers est organisée en moyenne, chaque année, dans les Yvelines. Il convient de rappeler que le département des Yvelines a la charge de la Seine-et-Oise, grand département initial, ce qui renforce probablement nos obligations à ce titre. Ces entretiens s'avèrent souvent délicats car ils se situent à un moment particulier dans la vie de l'usager. La culture du secret ayant beaucoup évolué au cours de ces dernières années, la consultation des anciens dossiers suscite de multiples difficultés. Nous en avons relevé au moins deux.

- Le secret abusif :

Il peut aisément trouver une réponse quand il apparaît qu'un secret abusif a été décidé par l'autorité administrative de tutelle de l'époque et qu'il ne repose pas sur une demande expresse des parents biologiques. Dans ce cas, des levées du secret sont effectuées.

- La formulation et les levées possibles du secret :

La formulation du secret, expressément sollicitée par les parents biologiques, génère également problème quand elle se fonde sur une énonciation portant à controverse, comme celle du secret du lieu de naissance.

Les actions de médiation s'avèrent indispensables, dans certains cas, pour préparer les parents biologiques à une éventuelle rencontre avec leur enfant, parfois très en souffrance. A ce propos, il est important de relever la nette évolution de la société qui, auparavant, contraignait les jeunes femmes célibataires (pour des raisons de morale ou de culture très ancrées) à se séparer contre leur gré de leur enfant et surtout d'accoucher sous le secret.

A ce titre, des levées de secret de leur part devraient, par des actions de sensibilisation et d'information de la part du Conseil national d'accès aux origines familiales, être facilitées. Le département des Yvelines commence à recevoir des courriers de femmes ayant accouché sous le secret, à l'intention de leur enfant.

Aujourd'hui, certaines études démontrent que les femmes qui accouchent sous le secret ne le font plus pour les mêmes raisons qu'il y a cinquante ans. Les situations sont plus complexes et concernent peut-être davantage de problématiques sur le plan psychologique.

En ce qui concerne les propositions du projet de loi, nous considérons que ce projet contient une disposition très importante qui devrait permettre une avancée pour le respect du droit aux origines. En effet, des demandes de secret, limitées par la "loi Mattei" à des enfants de moins d'un an, ne seront plus autorisées, dès lors que l'on aura considéré le caractère indéfectible pour un enfant de sa filiation juridiquement établie à l'égard de ses parents.

Pour les demandes de secret précédemment formulées par les parents, on peut imaginer, dans certains cas, des recherches effectuées par le biais du Conseil national d'accès aux origines personnelles pour s'assurer du maintien ou non du secret, si l'enfant souhaite une rencontre. Une autre solution serait de fixer un délai au-delà duquel le secret serait automatiquement levé. Cette hypothèse, peut-être trop avant-gardiste, a été défendue par l'Association nationale des directeurs de l'action sociale et de la santé (ANDASS).

J'ai préparé ce propos liminaire conjointement avec Mme Laurence Stricanne, qui travaille depuis plus de huit ans dans ce département. Elle a suivi l'organisation de ce service et a également participé à quelques commissions de travail autour des projets de loi, notamment la "loi Mattei".

Mme Danielle Bousquet : Ma première question portera sur les raisons qui vous ont conduit à ces modifications de pratiques. Pouvez-nous expliquer ensuite concrètement comment les choses se passent et comment intervient la petite équipe de professionnelles que vous avez mentionnée et qui rencontre les jeunes femmes ?

Vous avez indiqué que le dossier médical était envoyé systématiquement à la personne qui souhaitait avoir accès à ses origines. Qu'en est-il du reste du dossier ? Comment traitez-vous matériellement la demande d'une femme qui souhaite retrouver la trace d'un enfant dont elle a accouché sous X, un certain nombre d'années auparavant ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez souligné plusieurs éléments qui vous posent problème, notamment le fait que vous travaillez dans l'urgence, puisque ces femmes partent parfois trois ou quatre heures après l'accouchement. Comment s'organise concrètement le partenariat entre les services d'aide sociale à l'enfance des hôpitaux et votre service qui ne compte que deux professionnelles ?

Vous avez souligné que les pères pouvaient se retrouver exclus en raison du pouvoir abusif des mères. Avez-vous eu à traiter de demandes venant des pères ? Vous mettez en parallèle la difficulté pour les pères de pouvoir faire jouer l'accès à la connaissance des origines et l'interdiction de la recherche de maternité. Il me semble que ce projet de loi organise bien la distinction entre la connaissance biologique des origines et la filiation sociale. Je m'interroge plutôt sur le fait de savoir s'il ne manque pas, pour les pères, le pendant de ce que nous reconnaissons actuellement pour les mères, c'est-à-dire une déconnexion complète de la connaissance des origines et de la filiation sociale.

J'ai été très surprise de votre réticence sur la disposition du projet de loi qui ne fait qu'inciter les femmes à donner leur identité. J'ai cru comprendre que vous étiez plutôt enclin à supprimer la procédure de l'accouchement sous X, notamment lorsque vous mentionnez une levée du secret automatique à l'âge de 18 ans. Pourriez-vous expliciter ce point ?

M. Christophe Darasse : On constate une évolution de la prise en charge de l'accès aux origines et du secret, qui est menée de manière de plus en plus professionnelle. Auparavant, il n'y avait pas nécessairement de personnes formées ou une attitude définie à l'avance sur cette mission des conseils généraux.

L'organisation, conçue au sein du conseil général des Yvelines, a pu l'être grâce à la taille de ce conseil général, qui lui a permis d'organiser le recours à deux professionnelles. Toutefois, cette cellule est adossée à un service de l'aide sociale à l'enfance consacré entièrement à l'adoption et à un inspecteur, qui n'est chargé d'aucune autre tâche que celle de l'adoption.

Nous avons pu rassembler, entre les mains d'une seule personne associée à un service, un ensemble de travaux et de tâches qui permettent à la fois d'unifier l'intervention et de lui donner une plus grande force. Au niveau du conseil général, le partenariat avec l'ensemble des acteurs du département a été enclenché au travers d'un outil appelé le contrat social. Ce contrat social, que nous avons co-signé avec le préfet, a ouvert ce partenariat à vingt-sept grands organismes et associations. Une culture du partenariat a ainsi pu être engagée, de manière assez ouverte, sur l'ensemble des missions sociales et médico-sociales.

Enfin, autant nous constatons une rotation régulière des effectifs travaillant dans les domaines du service social ou de l'éducation, autant nous constatons une grande fidélité des personnels qui travaillent dans le domaine de l'adoption. Ces personnes y restent en général suffisamment longtemps pour acquérir une bonne pratique.

Ce sont les quelques éléments que je souhaitais ajouter sur les pratiques et la façon dont elles se sont modifiées. En fait, il n'y avait pas de pratiques ponctuelles, mais un ensemble de situations pour lesquelles des solutions ont pu progressivement être élaborées.

Mme Laurence Stricanne : Si l'intérêt des départements sur ces questions s'est accentué, c'est également dû à une meilleure connaissance du droit d'accès, qui a fait l'objet d'une médiatisation. De ce fait, de plus en plus de personnes demandent l'accès à leur dossier, en application des lois de 1978, de 1979 et d'avril 2000.

La prise en compte de ce droit par les parents adoptifs a également permis, dans le département des Yvelines, la consultation de dossiers par des enfants mineurs ou, au préalable, par les parents adoptifs du dossier de leur enfant, afin d'être plus à même de répondre à leurs questions.

S'agissant des modalités de consultation, on constate une évolution car, pour les dossiers plus anciens, la base de nos recherches est le nom d'origine. En fait, les personnes d'une quarantaine d'années n'ont pas connaissance de leur nom d'origine et du jugement d'adoption dont sont détenteurs leurs parents adoptifs. On suppose qu'il n'y a pas suffisamment de possibilités pour qu'ils aient accès directement à cette information, ce qui complique nos recherches.

Nous procédons à des recherches très minutieuses pour obtenir le dossier que nous reclassons, afin d'en faciliter l'accès à l'usager. Nous prévoyons une consultation très large dans la mesure où, par exemple, il peut y avoir des secrets que l'on qualifie d'abusifs, c'est-à-dire que le lieu de naissance de la personne a été changé sans demande expresse des parents biologiques. Le premier acte est donc nul, car il y en a eu un deuxième et qu'il y a eu adoption.

Comme nous ne sommes pas autorisés à transmettre ce document, l'usager peut le consulter sur place et recopier les mentions d'état civil sur ses parents biologiques, pour éventuellement engager des recherches. Lui sont également communiqués les documents judiciaires contenus dans le dossier et qui peuvent apporter des éléments significatifs dans le cas d'un jugement de déchéance.

L'usager peut consulter son dossier en plusieurs temps. Il n'est pas rare que sa démarche soit ponctuée d'un ou deux entretiens dans une période de temps qui lui convient. Le second entretien peut lui être proposé immédiatement, sinon on lui indique notre disponibilité s'il souhaite revenir pour accéder à son histoire.

En fait, aucun élément de secret n'est caché à l'usager. Quand il y a eu secret abusif, il a accès à tous les éléments qui lui ont été cachés. On peut voir des personnes âgées qui prennent ainsi connaissance de leur lieu de naissance. A la place de leur commune de naissance, était indiquée la mention AP (Assistance publique), car elles ne connaissaient pas leur lieu de naissance. En fait, à l'examen du dossier, cette mention ne reposait sur aucune demande des parents biologiques. Parfois même, ces dossiers contiennent des courriers des parents biologiques demandant des nouvelles de leur enfant qu'on plaçait le plus loin possible d'eux. C'était alors la politique des services. A l'époque, selon les spécialistes de l'enfance, il était préférable de dire à ces enfants que leurs parents biologiques étaient décédés, voire leur cacher qu'ils étaient adoptés.

Je reçois trois ou quatre fois par an des courriers de personnes d'une cinquantaine d'années qui découvrent qu'elles ont été adoptées. Elles s'en aperçoivent lorsqu'à un moment donné, elles ont besoin d'une copie intégrale d'un acte de naissance ou en raison de démarches faisant suite au décès des parents adoptifs.

En ce qui concerne le dossier médical, l'usager a accès à son dossier qui comprend souvent le carnet de santé et d'autres éléments très importants. Ces éléments médicaux sont souvent demandés par les usagers qui envisagent d'être parents ou suite à la consultation du dossier.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela signifie que vous êtes en contact avec les personnes qui viennent consulter, sans pour autant savoir ce qu'il adviendra après la consultation. Si l'usager souhaite entrer en contact avec sa mère biologique, êtes-vous sollicitée pour faire une médiation ?

Mme Laurence Stricanne : L'accès au dossier médical se fait par l'intermédiaire de notre médecin aux actions de santé. Ce médecin, qui fait aussi partie de la commission d'agrément d'adoption, sert de référent, pour notre service adoption, avec le médecin de l'usager.

S'agissant de la consultation de dossiers, nous recevons environ 380 demandes, tous types confondus, dont 120 à 150 demandes de consultation de dossier. Toutes ces demandes ne concernent pas des personnes qui ont été adoptées, mais aussi des personnes admises par décision administrative ou judiciaire dans les services de l'aide sociale à l'enfance.

Il peut arriver que certaines personnes nous demandent d'entrer en contact avec leurs parents biologiques, mais ce type de demande provient plus particulièrement de mineurs. Dans ce cas de figure, nous avons eu la demande d'une jeune fille, pupille de l'Etat, qui n'avait pas été adoptée et qui avait été remise par sa mère biologique à sa naissance. Cette jeune fille était très en souffrance et avait une quête très importante à ce sujet. Nous étions encore en contact avec la mère, qui avait d'autres enfants. Au niveau du service, par le biais de notre psychologue qui accompagne les usagers dans la consultation de leur dossier, nous avons organisé, sur une durée d'un an et demi, plusieurs entretiens entre la mère biologique et la jeune fille qui vivait en province. Nous avons attendu que la jeune fille soit prête pour enfin rencontrer, dans nos locaux, sa mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comment le service est-il entré en contact avec la mère biologique ?

Mme Laurence Stricanne : En fait, l'assistante sociale était en relation avec cette maman pour d'autres questions et, à l'issue d'un entretien, elle lui a fait part de cette demande et lui a proposé de venir nous rencontrer pour que nous lui communiquions tous les éléments pour parvenir à cette rencontre.

Mme Danielle Bousquet : Il existait donc un contact habituel avec l'assistance sociale sur d'autres questions ?

Mme Laurence Stricanne : Tout à fait. Nous avons eu aussi le cas d'un jeune qui était dans un établissement pour handicapés. La mère nous avait écrit pour nous demander à reprendre contact avec l'enfant qui lui avait été enlevé à la naissance car, dans cette affaire, les démarches avaient été effectuées par le père. En faisant part de cette demande au tuteur de ce jeune, nous avons réussi à le localiser plus facilement. En partant de la dernière adresse de son établissement d'accueil, nous avons pu obtenir les deux suivantes.

Nous avons aussi beaucoup de demandes qui concernent les frères et s_urs, car certaines fratries ont été adoptées séparément. Des personnes viennent consulter les dossiers et demandent à entrer en contact avec leurs frères et s_urs. Dans un tel cas, nous avions demandé à une jeune fille de rédiger un courrier que nous avons transmis, dans un autre département, où sa s_ur avait été adoptée. Dans ce courrier, nous demandions de vérifier si celle-ci étaient venue consulter son dossier et, dans cette éventualité, de la recontacter, car il contenait un élément nouveau. En effet, quand une personne est déjà venue consulter son dossier et que nous recevons un nouvel élément, nous reprenons toujours contact avec elle pour l'en avertir.

Dans un autre cas, il y a plusieurs années, un père biologique s'était manifesté. Comme le jeune homme était venu consulter son dossier, nous lui avons écrit pour l'informer que nous avions des éléments nouveaux dans son dossier et que nous étions à sa disposition pour un entretien et les lui communiquer. Nous préférons communiquer tout élément nouveau dans le cadre d'un entretien plutôt que d'envoyer un courrier qui peut être reçu brutalement.

C'est dans la même optique que nous procédons à des transferts de dossiers. Quand un de nos usagers habite à l'autre bout de la France et que le département des Yvelines est détenteur de son dossier, nous contactons notre homologue du département du lieu de domicile de cet usager pour lui proposer de faire transférer son dossier, avec l'accord de l'usager. Nous effectuons par an environ une quarantaine de transferts de dossiers, ce qui donne l'occasion d'échanger avec les autres départements.

A cet égard, nous ressentons, au niveau du service, une évolution dans les départements et une réflexion globale, puisque ces transferts donnent lieu à un échange de pratiques ou de positions. C'est ce qui est arrivé récemment avec un département de l'Est. En préparant le dossier, j'ai constaté qu'il y avait eu deux actes de naissance, sans trouver aucun document qui étaye cette demande d'acte. Le département m'a alors fait part de sa position, à savoir que pour eux, l'usager avait accès à l'ensemble du dossier puisqu'il n'y avait pas secret.

Il est rare que les départements nous fassent barrage lorsque nous les contactons. Ils sont plutôt enclins à une transmission de documents qui, parfois, lorsqu'ils contiennent des documents d'état civil ou juridictionnels, peuvent poser des problèmes juridiques. C'est pourquoi nous permettons la consultation des documents, mais uniquement la copie de documents administratifs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lors d'une simple consultation du dossier, celui-ci contient parfois des éléments qui peuvent être identifiants. Quelle est alors la procédure suivie ? L'enfant contacte-t-il directement la mère, ce qui signifie qu'il n'y a pas de médiation, alors qu'elle nous parait être un élément clé dans le processus ? Les dossiers concernant les autres formes d'accouchement que celui sous X sont accessibles par les usagers et aucune médiation n'est prévue ou mise en place. Quels en sont les effets ?

Mme Laurence Stricanne : S'agissant des entretiens, l'usager y assiste parfois accompagné de son épouse ou, pour les jeunes majeurs, d'un des parents adoptifs qui les soutiennent dans ces recherches individuelles. Un certain nombre d'autres usagers passent par l'intermédiaire d'associations qui peuvent les avoir soutenus, voire encouragés à consulter leur dossier.

M. Christophe Darasse : Il y a une mise à disposition systématique des services. Même s'il n'y a pas de médiation, qui pourrait être un passage obligé dans ce processus, cette mise à disposition est conduite de telle manière que la personne qui veut accéder à ses origines se sente accueillie, soutenue et aidée. C'est l'objectif que nous recherchons, chaque fois que nous sommes confrontés à une telle situation.

Les usagers peuvent agir de manière autonome et avec leurs propres moyens d'action, mais ils savent que systématiquement ils trouveront, grâce aux professionnels de ce service, l'aide et le soutien nécessaires, y compris dans une démarche ultérieure d'accompagnement psychologique, due à la difficulté de recevoir cette information ou de la travailler.

Par ailleurs, même si nous n'avons pas de réponses quantitatives sur ce point, il me semble que cette recherche de données concerne plus la connaissance de ses origines qu'une éventuelle rencontre avec la mère de naissance.

Mme Laurence Stricanne : En 1994, nous avons participé, conjointement avec d'autres départements, à une enquête menée par M. Pierre Verdier, ayant pour objet d'obtenir des renseignements sur les usagers qui venaient consulter leur dossier et sur les suites données.

Je me suis replongée dans ce questionnaires ces derniers jours. L'une des questions était "qu'envisage de faire l'usager après avoir eu les éléments ?". Curieusement, mais peut-être n'est-ce pas significatif, j'ai souvent vu apparaître la réponse "rien pour le moment". Le simple fait de savoir est peut-être un élément important.

S'agissant des femmes qui lèvent le secret, nous avons été amenés à recevoir soit des courriers, soit des jeunes femmes qui souhaitaient parler de la naissance de l'enfant. Très souvent, cette demande a lieu des années après la naissance.

Nous avons eu le cas récent d'une jeune femme dont la fille vient d'être majeure. Cette mère était passée par une association qui nous transmettait ses coordonnées en indiquant qu'au moment de l'accouchement, elle n'avait pas eu la possibilité d'être écoutée. Au lieu de simplement classer dans son dossier les coordonnées transmises par l'association, nous avons écrit à cette mère en lui indiquant que l'association nous avait transmis ses coordonnées, mais qu'elles seraient classées dans le dossier de sa fille biologique, car nous avions des éléments suffisamment précis (prénom et date de naissance de l'enfant, lieu de l'accouchement, origine de la mère) pour faire la concordance. En même temps que nous avons classé ces coordonnées, nous avons indiqué à cette mère qu'elle pouvait nous contacter par courrier si elle le souhaitait. Cette femme nous a récemment adressé un courrier à l'intention de sa fille qui n'est pas venue consulter son dossier. Elle a joint une photo et écrit une lettre dans laquelle elle remercie la famille adoptive d'avoir pu prendre en charge sa fille.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Allez-vous prévenir la jeune fille ?

Mme Laurence Stricanne : Non. Cela n'est pas prévu dans les textes. Il est évident que, par rapport aux éléments que la jeune fille a pu obtenir de ses parents adoptifs, elle doit penser que son dossier est vide. A une époque, la politique des services était de dire aux parents adoptifs qu'il n'y avait rien dans le dossier, même s'il contenait des éléments.

Nous avons eu le cas d'un jeune homme qui croyait que son dossier était vide, alors qu'il contenait un grand nombre d'éléments. Il est venu le consulter avec son père adoptif. Lorsque je l'ai croisé plus tard dans le couloir, il était rayonnant, sans pour autant savoir la suite qu'il donnerait à cette consultation.

Le soutien des parents adoptifs est très important. Ils sont de plus en plus sensibilisés à ce problème. Lorsque nous organisons, au niveau du service, le premier contact entre les parents adoptifs et l'enfant adopté, je les reçois en deux temps avec l'assistante sociale. C'est elle qui les a suivis tout au long de la procédure d'agrément d'adoption et après l'agrément. Elle reste en contact avec eux pour leur proposer éventuellement un accompagnement social ou psychologique. Il n'est pas rare que les parents adoptifs, à l'issue du deuxième entretien, lorsqu'ils vont aller chercher l'enfant, abordent le sujet de l'accès au dossier. Ils me demandent s'ils peuvent le consulter et les éléments qu'il contient.

Il y a une information, très méconnue, que je donne systématiquement aux parents adoptifs, à savoir que les enfants mineurs ont accès à leur dossier, en spécifiant bien aux parents adoptifs et aux enfants que d'autres éléments peuvent être versés au dossier dans le futur. Cette information est donnée, mais elle est perçue différemment.

Nous avons pu constater, sur une période de huit ou dix ans, une évolution par rapport au prénom. Les mères qui accouchent sous le secret choisissent très souvent un prénom pour l'enfant. Dans la plupart des cas, les parents adoptifs le gardent, que ce soit en premier ou en deuxième prénom.

Des albums de photos, qui sont compilés de la maternité à la pouponnière, sont remis aux parents adoptifs. Ces derniers peuvent recevoir également des petits vêtements laissés par la mère biologique. Dans certains cas, nous avons connaissance que la mère biologique s'est occupée de l'enfant à la maternité. Ce sont des éléments qui sont retransmis aux parents adoptifs. Le fait d'avoir connaissance de ces éléments nous permet aussi de proposer, à la décision du tuteur et du conseil de famille, la famille qui pourra le mieux prendre en compte l'enfant avec son histoire. Nous faisons en sorte que tous ces éléments puissent être pris en compte et respectés par les parents adoptifs, dans l'intérêt de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quand l'équipe des deux professionnelles - l'assistante sociale et l'éducatrice - rencontrent la femme qui va accoucher sous X, lui remettent-elles un document d'information lui indiquant qu'elle peut lever le secret à tous moments ? A-t-elle trace de cet entretien et sous quelle forme ?

Ma seconde question s'adresse à M. Christophe Darasse. Est-ce parce qu'il vous semble tellement important que le contact soit fait au plus près que vous proposez qu'un correspondant départemental du Conseil national d'accès aux origines effectue des démarches sur le terrain ?

Mme Laurence Stricanne : En ce qui concerne les documents qui peuvent être remis à la mère lors de l'entretien, il peut y avoir des modèles de lettres de rétractation. Mais le plus souvent, même si l'accouchement se passe rarement à un moment facile de la vie des femmes, les professionnelles de l'équipe "remise d'enfants" donnent leurs cordonnées précises pour être contactées par les femmes qui accouchent sous le secret, dans le cas où celles-ci souhaiteraient laisser des éléments supplémentaires. A cette occasion, le problème de l'identité est abordé.

Dans les anciennes situations concernant des femmes accouchant sous le secret, cela se faisait la nuit, dans l'urgence. Parfois la jeune femme était d'origine étrangère, acculée à cette décision contre son gré. Une mère est venue, un jour, me voir car elle souhaitait laisser des éléments dans le dossier de l'enfant, mais elle avait oublié le jour précis de la naissance, car on ne lui avait remis aucun document. En collectant différents renseignements, nous avons fait des recherches au niveau de tous les dossiers des enfants qui étaient nés durant la même période, afin de faire le rapprochement avec les quelques éléments en notre possession. Mais la corrélation entre la mère biologique et l'enfant né sous X par manque d'éléments pose un réel souci.

Les femmes qui accouchent sous le secret ont maintenant généralement un ou plusieurs entretiens avec ces professionnelles. Ainsi quand les mères reviennent sur leur décision, il est plus facile pour ces professionnelles de les contacter, car elles les ont physiquement rencontrées.

M. Christophe Darasse : S'agissant du correspondant départemental, la décentralisation nous a permis de constater que l'observation des demandes et l'analyse de la réponse faite n'étaient pas simplement liées à des problèmes juridiques ou de constitution de dossier, mais aussi à des situations globales. La situation de ces usagers, dans un département donné, peut être confrontée à des obstacles ou des difficultés en matière de transport, de suivi, d'échange avec un hôpital, un service social ou un ensemble de services publics.

L'échange, qui a été opéré entre les services centraux et les services déconcentrés sur un département, permet une plus grande activité des services, qui rencontrent plus de femmes, dans de meilleures conditions, et qui s'ouvrent non pas seulement à ceux qui viennent faire la demande, mais à ceux qui sont rencontrés régulièrement dans des sites sur place.

Je voudrais insister sur cet aspect d'accessibilité en termes de visualisation, de connaissance, avec le côté ordinaire d'un service social ou d'action sociale d'un département. Lorsque l'usager se rend dans un tel service, il s'y échange, à l'occasion, différents éléments, qui font la qualité d'un service. C'est pourquoi les services sociaux des départements ont pu faire des progrès lorsqu'il y avait cette proximité de territoire.

Plus globalement, cela renvoie au travail des services des PMI et des services sociaux des maternités, qui sont nos principaux relais. Ces services ont la possibilité de rencontrer les femmes susceptibles d'accoucher dans ces services. Ensuite, nous avons des réseaux partenariaux qui sont bien au fait de nos missions. Chaque fois qu'une telle situation est connue ou observée quelque part, elle est immédiatement répercutée dans le réseau PMI.

Enfin, les services sociaux peuvent aussi avoir connaissance de situations de détresse, ce qui nous permet d'anticiper des demandes probables d'accouchement sous X. C'est pourquoi nous sommes souvent, au regard du petit nombre d'accouchements sous X, en situation de connaître ces femmes et de les relayer par les services sociaux ordinaires. Pour autant, cela ne permet pas toujours de prévenir ces situations.

S'agissant de la place des pères biologiques, je ne pense pas qu'il faille dire qu'il y a un "sous-regard" vis-à-vis des pères. Le premier regard d'un service social de l'aide à l'enfance porte sur l'intérêt de l'enfant. Ce qui fonde la détresse ou la souffrance de l'enfant, c'est de n'avoir pas grand-chose ou grand monde à qui se raccrocher. Par conséquent, l'ensemble des dispositifs sociaux des départements sont sensibilisés à cette détresse que les enfants peuvent avoir de rarement connaître leur père, pour une bonne partie, voire ni leur père ni leur mère lorsqu'ils sont dans une situation d'adoption. C'est une des raisons pour lesquelles nous souhaiterions que ce regard au père puisse émerger au travers de ce projet et qu'il puisse se faire connaître.

Pour citer des cas pratiques, nous avons celui d'un père qui avait connaissance d'un accouchement à venir, mais n'avait pratiquement aucune possibilité de se faire connaître auprès de services.

Mme Laurence Stricanne : En ce qui concerne les informations sur les pères, qui nous sont toujours transmises par la femme qui accouche sous le secret, il existe certaines situations où elles ne sont pas en mesure de savoir qui est le père. Elles donnent aussi des informations erronées. J'ai eu la situation d'un jeune père qui avait fait le tour de l'ensemble des services, cinq ans après la naissance de l'enfant. Il m'a relaté qu'il avait été informé de la grossesse de son amie et qu'elle lui avait dit que l'enfant était décédé. Puis l'ayant revu, elle lui a appris que l'enfant avait été remis pour adoption. A l'époque de la naissance de l'enfant, il vivait chez ses parents et n'aurait pas pu s'en charger. Par ailleurs, il évoquait son impossibilité à devenir père avec sa nouvelle compagne. Selon les investigations médicales que le couple avait faites, le problème venait de lui. En fait, il lui semblait que tant qu'il n'aurait pas vu cet enfant, il ne pouvait envisager d'être père à nouveau. Il est allé au tribunal. Cette situation avait beaucoup remué notre service.

Nous avons aussi eu le cas d'un contentieux juridique d'un père qui voulait faire une reconnaissance prénatale. J'ai été contactée par ce père qui voulait obtenir la date et le lieu de l'accouchement de la jeune femme, et le prénom sous lequel serait déclaré l'enfant. Ce père trouvait la situation injuste, car il était prêt à s'occuper de l'enfant.

Mme Véronique Neiertz : La faible proportion d'enfants nés sous X (de quinze à vingt par an) dans le département des Yvelines explique pourquoi votre service est aussi humain. Avec aussi peu de cas par an, il est plus facile de chercher à améliorer la façon dont sont traités les protagonistes, que ce soit le père, la mère ou l'enfant. Pour ma part, je suis élue de Seine-Saint-Denis, département dans lequel les choses ne se posent pas du tout de la même façon.

J'ai cru comprendre, Monsieur Darasse, que vous étiez favorable à un accès automatique aux origines à partir de 18 ans. Pourriez-vous en expliquer les raisons, car un accès automatique aux origines à l'âge de 18 ans conduit d'office à la suppression de l'accouchement sous X.

M. Christophe Darasse : Dire que l'accès automatique aux origines à l'âge de 18 ans revient d'office à une suppression de l'accouchement sous X, ce serait faire fi de cette durée de dix-huit ans.

Le fait que je suis en faveur de cette levée du secret est lié à la situation des enfants qui nous sont confiés. Aujourd'hui, nous avons à rechercher les moyens de combler les souffrances de ces enfants qui ne trouvent rien ou qui n'ont pas su trouver les réponses qu'ils attendaient. Peut-être aussi est-ce lié au fait d'une évolution de notre société - c'est-à-dire de l'action publique - qui hier allait jusqu'à modifier un dossier, lui donner un autre contour, faisant en sorte que l'on ne puisse plus retrouver l'identité.

Ce dossier est vraisemblablement plus sociologique que de convictions personnelles. Il était indispensable de permettre ces accouchements sous X afin d'éviter des infanticides. De plus, la République a préféré se voir confier l'essentiel de l'existence de ces enfants pour peut-être ensuite mieux s'assurer qu'ils puissent continuer à faire de la "chair à canon".

Une des associations, que nous continuons d'entretenir, est l'association d'entraide des pupilles et anciens pupilles. Dans le département des Yvelines, cette association a failli disparaître du jour au lendemain, faute de jeunes en situation de pupille. Parallèlement, de plus en plus de jeunes, issus de l'aide sociale à l'enfance, qui ne sont peut-être pas confrontés à ces problématiques autour de la méconnaissance de la mère mais souvent de leur père, forment la plupart de ces situations de souffrance.

Il me semble que l'évolution à la fois des éléments de société et les aides que l'on peut apporter à ces femmes, peut conduire à réserver ce secret à des cas tout à fait exceptionnels. Peut-être ce caractère exceptionnel pourrait-il progressivement disparaître si nous offrons des aides telles que plus aucune femme ne se retrouve à devoir accoucher sous X.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les accouchements sous X représentent environ sept cents naissances par an alors que, dans les années cinquante ou soixante, ils étaient environ dix mille. Il y a eu, grâce notamment à la loi sur l'IVG et au développement de la contraception, une chute très importante du nombre d'accouchements sous X.

Même s'il existe des situations de déni de grossesse ou de jeunes femmes qui viennent de Belgique ou du Maroc pour accoucher sous X en France, nous avons quasiment atteint un seuil. Toutefois, ce n'est pas pour autant que nous vous suivrons sur la levée automatique de l'identité de la femme. Je suis relativement satisfaite que le projet de loi incite la femme à laisser ses coordonnées plutôt que de lui en faire une obligation. Le texte, tel qu'il nous est présenté, nous semble être un texte d'équilibre entre les droits des uns et des autres.

Mme Véronique Neiertz : Nous travaillons actuellement sur un sujet très grave, à la fois éthique et philosophique, et qui touche aux libertés et aux droits de chacun. Plusieurs d'entre nous font partie de la Délégation aux droits des femmes. Pour ma part, je représente la commission des lois, donc le point de vue juridique et d'équilibre des droits.

Par conséquent, M. Darasse, lorsque je vous entends dire que le premier regard doit être celui de l'intérêt de l'enfant, et même si notre siècle a développé cette valeur de l'enfant-roi, je ne peux aller dans le sens de privilégier un droit par rapport à un autre. Je pense notamment aux droits de la femme-enfant qui est souvent le cas des mères qui accouchent sous X. Cette femme-enfant a autant de droits que l'enfant qu'elle va mettre au monde. L'équilibre des droits est donc absolument nécessaire dans la recherche d'une nouvelle législation.

Par ailleurs, s'agissant de l'intérêt de l'enfant, lorsque vous évoquez les droits du père, c'est-à-dire son intérêt vis-à-vis de l'enfant en tant que géniteur, on peut se demander s'il a eu un tel intérêt pour la jeune fille qu'il a mise enceinte. Il conviendrait peut-être qu'à une époque où les médias rapportent les "tournantes" qui ont lieu dans nos banlieues, on s'interroge sur la vision que l'on donne à nos jeunes gens des droits des femmes.

Je ne suis ni l'auteur ni le défenseur acharné de l'accouchement sous X, mais, dans mon département, c'est la seule solution qui s'offre à des femmes d'origine étrangère enceintes, qui risquent la mort ou la mise à la rue, si elles révèlent leur grossesse. Souvent elles n'ont pas accès à l'information sur la contraception ou l'IVG. De plus, elles sont considérées comme des mineures jusqu'à leur mort, par les hommes de la famille.

Il me semble qu'il faut faire très attention lorsque l'on dit que le premier regard à porter sur le sujet doit être celui de l'intérêt de l'enfant. Le père comme la mère ont aussi été des enfants, ils sont à prendre en considération et à égalité. Si la femme qui accouche sous X a déjà eu plusieurs enfants et qu'elle n'en veut plus, elle est d'autant plus consciente de sa responsabilité et de la souffrance qu'elle va provoquer.

Si on attachait autant d'importance dans l'organisation de nos sociétés à l'information sur la sexualité et aux échecs possibles de la sexualité, peut-être y aurait-il moins d'enfants dans une situation que vous avez raison de juger épouvantable.

Enfin, vous avez indiqué que les femmes qui accouchent sous X quittent l'hôpital trois ou quatre heures après l'accouchement. Comment cela est-il possible ?

Mme Laurence Stricanne : Nous avons eu deux cas récemment de jeunes femmes qui ont accouché dans la nuit. Elles ne sont restées que trois ou quatre heures, non pas du fait de l'établissement, mais de leur propre choix, ce qui montre bien leur état de détresse.

Mme Véronique Neiertz : Certains hôpitaux ont mis en place une réflexion sur la façon d'accueillir et de parler à ces bébés nés sous X. On peut demander à la mère si elle veut voir l'enfant, lui parler, lui expliquer elle-même ce qu'elle fait. Si elle ne le souhaite pas, une médiation est généralement faite par le pédopsychiatre ou la sage-femme, mais jamais on ne laisse le bébé abandonné. Quand la jeune femme part au bout de quatre heures, ce pauvre enfant court à la catastrophe.

M. Christophe Darasse : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Les services d'accès aux origines et d'adoption s'inscrivent dans les services de l'aide sociale à l'enfance. C'est de ces services que relève le premier regard, à l'égard de l'enfant ou de la jeune femme, et non pas du service du conseil général ou, d'une manière globale, de la société.

Néanmoins il est certain qu'il y a une orientation naturelle de ce service de l'aide sociale à l'enfance à poser d'abord un regard sur l'enfant. C'est pourquoi je le mettais en avant, sans pour autant être sûr que ce soit le meilleur regard que l'on puisse avoir.

Mme Véronique Neiertz : C'est pourquoi votre partenariat avec les PMI est si important, car elles s'occupent de la femme.

M. Christophe Darasse : Je souhaiterai aborder un deuxième élément quant à l'équilibre entre l'intérêt de l'enfant et de la mère, voire d'une enfant-mère. Nous avons, à l'heure actuelle, dans tous les départements, des centres maternels ou des sections de centre maternel à l'intérieur des établissements.

Les centres maternels, dans le cadre de leurs missions, rencontrent beaucoup de difficultés à organiser un accueil spécifique des mineures enceintes. Par ailleurs, ils ont toutes les peines du monde à ne pas confondre la mission d'accueil de ces mineures, qui est la défense de leur intérêt et leur protection, et d'"oublier" qu'un enfant serait susceptible d'être confié à cette jeune fille mineure et de lui conseiller d'accoucher sous X.

Ces centres maternels et nos services sont confrontés matériellement à ce travail totalement contradictoire et écartelant entre l'intérêt de la jeune femme et celui de l'enfant. Nous sommes là dans le cadre des équipes et des liens très étroits qui peuvent exister entre un inspecteur de l'aide sociale à l'enfance, une équipe de type centre maternel, voire une maternité.

C'est d'ailleurs la situation que l'on retrouve dans le département des Yvelines. Nous avons un lien très étroit avec la maternité voisine, ce qui permet éventuellement de jouer une carte sensible et multi-approches auprès de la jeune femme.

Nous sommes confrontés physiquement et matériellement à cette contradiction, qui n'est pas portée de manière légère. Même si le département des Yvelines compte peu d'accouchements sous X, rares sont les départements où se justifie la construction d'un service. Mais fondamentalement, il est indispensable que chaque département - comme je l'ai vu en Corrèze, où je travaillais avant d'être dans les Yvelines - dispose d'une organisation tout à fait spécifique autour de l'adoption, avec une personne chargée des formations faites aux professionnels et aux assistants sociaux, avec un psychologue dévolu à cette question et des liens particuliers entre les différents intervenants.

Il me semble que l'ensemble des départements a pris conscience de ce problème. Dans mon introduction, j'évoquais une professionnalisation des services de l'adoption dans les conseils généraux. Il faut engager ces conseils généraux à trouver les outils et les ressources pour leur permettre de répondre de façon professionnelle à cette question, non seulement avec du recul, mais avec des formations et une interdisciplinarité obligée.

Sur le droit du père, il y a une marge entre la révélation de la grossesse et le fait de laisser la possibilité de connaître pour l'enfant à 18 ans le nom de sa mère. Les services sociaux sont véritablement dans l'obligation - et il faut que ce soit organisé comme tel - de pouvoir recevoir ces femmes dans la plus grande discrétion, avec tout le secret nécessaire pour la protéger, de leur permettre éventuellement d'accoucher sous la forme qui leur semble la plus adéquate selon leur situation, et puis de faire en sorte que le retour dans son milieu puisse se faire sans qu'il y ait maltraitance ou situation difficile complémentaire. C'est là que nous avons non seulement des moyens financiers, mais aussi des prises en charge qui normalement devraient éviter qu'il y ait ces révélations dont vous parliez et qui peuvent être mortelles.

Il me semble que cela fait partie des missions du conseil général qui sont à hauts risques, mais nous assumons nombre de missions sur lesquelles nous avons de hauts risques. Ce sont les missions du service social, de la promotion de la santé, de l'inspection de l'enfance. Ces services, aujourd'hui engagés dans ces missions, peuvent aussi suivre et améliorer l'accueil de ces femmes, majeures ou mineures. Aujourd'hui déjà, les conditions de l'accueil des jeunes femmes mineures sont très en dessous de ce qui devrait être fait, parce que c'est à la fois un problème très limité et qui demande des ressources tout à fait importantes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez mentionné tout à l'heure que beaucoup de familles adoptives comme d'enfants adoptés pensaient que leurs dossiers étaient vides. Pourquoi, et cela malgré la loi de 1996 ?

Mme Laurence Stricanne : Ce sont plutôt des dossiers qui datent d'avant la loi de 1996. Depuis plusieurs années, on communique au moment du placement en vue d'adoption de l'enfant, des éléments de son histoire, alors qu'avant, cela ne se faisait pas. Ma remarque concernait plutôt les dossiers d'il y a trente ou quarante ans.

Actuellement, nous avons des parents adoptifs qui viennent consulter le dossier de l'enfant, après le jugement d'adoption plénière. Ils formulent des demandes très précises dans ce cas ou ils accompagnent l'enfant. La plus jeune que nous avons reçue avait huit ans. Ses parents étaient parfaitement informés de cette possibilité. C'est une information que je donne dans le cadre général de l'entretien.

Mme Véronique Neiertz : Au fond, vous donnez systématiquement cette information au cours d'un entretien, voire d'une rencontre qui porte sur un autre sujet, afin ne pas traumatiser la personne.

Mme Laurence Stricanne : Cela nous paraît parfois trop brutal de passer par l'administratif, même s'il faut néanmoins replacer les choses dans le cadre de la loi.

Mme Véronique Neiertz : Si la personne demande à vous voir et qu'elle ne vient pas, que se passe-t-il ?

Mme Laurence Stricanne : C'est rarement le cas. On prévient les personnes par lettre ou par téléphone qu'il y a des éléments nouveaux. Par téléphone, nous ne parlons qu'à la personne concernée. Puis nous confirmons toujours par lettre recommandée et accusé de réception.

Si nous n'arrivons pas à joindre la personne par téléphone, nous l'informons automatiquement par lettre recommandée et accusé de réception adressée à la personne concernée, afin de préserver l'anonymat.

Mme Danielle Bousquet : Que pensez-vous de l'obligation de laisser des éléments médicaux comme le carnet de santé dans les dossiers ?

Mme Laurence Stricanne : Nous avons le carnet de santé original de tous les enfants, avec occultation des mentions de la mère biologique quand il y a secret. Tous les éléments médicaux sont recopiés intégralement par le médecin, sauf la première page du carnet de santé où les prénoms sont marqués au crayon, car l'enfant va être adopté et garder ou non son prénom, selon un certain ordre.

Mme Danielle Bousquet : Ma question portait sur les antécédents possibles en termes de santé des parents.

Mme Laurence Stricanne : Ces éléments ne sont pas notés dans le carnet de santé, mais quand nous avons connaissance d'antécédents sur le plan médical, nous avons systématiquement un entretien avec les parents adoptifs et le médecin du conseil de famille. Au préalable, nous recevons les parents, parfois même dans le cadre du placement d'enfants ayant des particularités sur le plan médical, afin que les parents adoptifs disposent de tous les éléments qui leur seront transmis ensuite via leur médecin. Cela permettra de prendre en charge des enfants qui ont besoin de soins spécifiques ou des enfants porteurs de maladie particulière.

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La Délégation a ensuite entendu Mmes Françoise Laurent, présidente, Maïté Albagly, secrétaire générale, et Valérie Boblet, membre de la Confédération du Mouvement Français pour le Planning Familial.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir de vous accueillir pour nous exposer votre expérience de terrain et nous livrer votre réflexion sur l'accouchement sous X qui, je le souligne, n'est nullement remis en cause dans le projet de loi de Mme Ségolène Royal.

Dans un propos liminaire, vous pourriez nous exposer les raisons qui, selon vous, poussent une femme à accoucher sous X, les principales pressions auxquelles elle est soumise, ainsi que vos réflexions sur le fait que certaines mères sont peut être poussées à accoucher sous X alors qu'elles pourraient accoucher sous le secret, sur la place des pères et la mise en place d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.

Mme Valérie Boblet : Mon expérience d'accueil et d'accompagnement de femmes, dans le cadre d'une demande d'interruption volontaire de grossesse, m'a permis de rencontrer des femmes qui arrivaient dans des délais dépassés, pour la France comme pour l'étranger. Leur situation nous a obligés à réfléchir à leur proposer d'autres solutions, sachant qu'elles exprimaient très fortement le fait qu'elles ne voulaient pas garder l'enfant. Elles se sentaient encombrées de cette grossesse, l'exprimant parfois dans des termes crus, et ne voulaient absolument pas assumer la venue de cet enfant.

Notre premier travail est de dire à ces femmes qu'elles ont le droit de ne pas être mère, mais qu'elles doivent prendre en compte le fait qu'elles ont dépassé les délais possibles d'une IVG, et que, par conséquent, elles doivent aller jusqu'à l'accouchement. Notre priorité est l'enfant à venir, tout en leur permettant de conserver ce droit à ne pas être mère.

C'est souvent au Planning qu'elles prennent conscience du dépassement, parfois important, des délais. Ces femmes étaient éventuellement suivies, pour un retard de règles important, par un médecin, à qui elles avaient affirmé qu'elles n'avaient eu aucun rapport sexuel, voire étaient convaincues d'avoir un kyste à l'ovaire. Puis elles ont fait un test de grossesse qui s'est révélé positif et elles ont découvert alors qu'elles étaient enceintes de sept mois.

Avant cette révélation de la grossesse que le corps ignore, elle ne se voit pas. Puis, après leur venue au Planning et à partir du moment où la grossesse est révélée, le corps change. C'est alors qu'il va leur falloir accepter cet "envahissement" et envisager les différentes solutions, dont l'accouchement dans l'anonymat. Ce processus de réflexion va nécessiter plusieurs rencontres.

Peut-on considérer que l'on pousse à l'accouchement sous X ? En Seine-Saint-Denis, nous avons monté un groupe de travail, il y a neuf ans, auquel participent uniquement des professionnels de terrain de l'hôpital Delafontaine, du centre d'information des droits des femmes, d'une structure de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi qu'une conseillère conjugale. Ce groupe de travail a été constitué, car nous estimions qu'en tant que professionnels, nous étions peu formés sur cette question de l'accouchement sous X.

Malgré ce manque d'information, je n'ai jamais rencontré, dans ma pratique de terrain, de professionnels qui auraient poussé ces femmes à accoucher sous X.

S'agissant du profil de ces femmes, selon mon expérience du Planning en Seine-Saint-Denis, mais qui semble recouper l'expérience d'autres professionnels, ces femmes sont la plupart du temps majeures - j'ai dû rencontrer une mineure de 17 ans -, avec une fourchette d'âge allant de 20 à 45 ans. Ces femmes peuvent déjà avoir des enfants ou ne pas en avoir, être en couple ou seule. Leurs compagnons peuvent les avoir quittées sans savoir qu'elles étaient enceintes ou parce qu'elles l'étaient. Mais, j'ai rencontré des couples en demande d'accouchement sous X, le conjoint accompagnant la future mère.

Il n'existe pas un profil type d'une pauvre jeune fille mineure subissant les pressions de sa famille qui considère qu'on ne peut être enceinte sans être mariée. De tels témoignages sont ceux de femmes d'une autre époque, d'il y a trente ou quarante ans.

S'agissant des pressions que ces femmes peuvent subir, il y a la part du conscient, qui s'exprime dans leur discours, et le fond du problème dont nous n'avons pas forcément connaissance. Nous ne sommes pas, dans le cadre du Planning, des psychothérapeutes ou des psychanalystes.

Nous avons le cas de quelques femmes maghrébines qui nous disent que l'arrivée d'un enfant, avant le mariage, est impossible ou pour d'autres, que leur grossesse est le fruit d'une rencontre de vacances. J'ai rencontré des femmes divorcées, mères de trois ou quatre enfants, se trouvant enceintes d'un cinquième enfant sans qu'elles le sachent. Dans de telles situations, elles ne veulent pas le garder, parce que leurs autres enfants sont déjà de jeunes adultes et qu'elles ne veulent plus être mères. Certaines de ces femmes ont fait l'objet d'agressions sexuelles, de viols ou d'inceste ; mais les grossesses qui aboutissent à un accouchement sous X sont très rarement issues de ce type de situation. Il est vrai que l'on ne connaît pas l'histoire de toutes ces femmes, mais cela ne semble pas en être le point commun. Le seul point commun est le refus de cette grossesse qu'elles n'avaient même pas envisagé avant d'en arriver à sept mois de grossesse.

Il y a également des femmes qui arrivent à l'hôpital sans avoir eu aucun suivi avant leur accouchement et que nous ne rencontrons pas. Elles arrivent le matin à l'hôpital et en ressortent l'après-midi, après avoir accouché le jour même.

En ce qui concerne la place des pères, selon notre expérience, ceux-ci sont très majoritairement absents, s'étant eux-mêmes complètement écartés ou ayant été écartés par les femmes. Certaines ne veulent pas informer leur compagnon de leur grossesse, car elles ont déjà choisi que cette grossesse n'était pas possible pour elles.

Mme Danielle Gaudry : Je travaille dans le Val-de-Marne. Nous n'avons pas de groupe de travail comme en Seine-Saint-Denis, mais nous rencontrons aussi des femmes qui vont accoucher sous X.

Dans ma pratique de gynécologue, j'ai eu l'occasion de rencontrer des femmes qui ont eu un accouchement sous X. Elles en parlent, mais seulement une fois qu'elles ont reconstruit leur vie. Après un accouchement sous X, il y a une période de temps importante, que l'on peut qualifier de travail de deuil, durant laquelle elles reconstruisent leur vie. Elles trouvent un compagnon, ont d'autres enfants et organisent une vie familiale.

C'est à l'occasion de nouvelles grossesses qu'elles indiquent, sous le secret médical, car cela fait partie de leur histoire médicale, qu'elles ont déjà accouché, mais sous X. C'est alors que nous reparlons de cet accouchement, qui n'est pas toujours exprimé avec une très grande culpabilité. Cet accouchement fait partie de leur histoire, mais elles ont reconstruit une autre vie avec l'impossibilité de parler de cette première grossesse et de cet enfant, avec leur compagnon et au sein de leur cellule familiale.

Au niveau du dossier médical, nous sommes obligés de noter que la mère n'est pas une primipare. Dans le même temps, tout en restant attentifs au respect du secret médical vis-à-vis de l'équipe qui pratiquera cet accouchement, nous devons faire en sorte que cet enfant soit accueilli par sa mère. C'est un équilibre important à prendre en compte car, ces femmes, mêmes si elles ne représentent qu'un petit nombre de cas par an, se sont reconstruit une vie qu'il faut respecter.

Nous parlons beaucoup de l'accompagnement des femmes ayant accouché sous X et des lieux de paroles dont elles peuvent disposer. Il faut leur donner une telle possibilité, sachant qu'elles ne reviendront pas systématiquement voir, lors de leurs futures grossesses, la personne qui les a accompagnées lors de l'accouchement sous X. Il nous semble important que le projet de loi prenne en compte cette histoire.

Mme Valérie Boblet : Nous avons rencontré régulièrement, parfois une fois par semaine, un certain nombre de femmes jusqu'à leur accouchement. Elles exprimaient une forte volonté, non seulement que cela ne se sache pas, au niveau de l'entourage direct, mais aussi que cela ne soit pas inscrit dans leur histoire officielle ; d'où leur demande d'anonymat.

Puis, après l'accouchement, jusqu'à l'expiration du délai de rétractation, leur discours change totalement. Certaines ont des desiderata pour cet enfant, tout en maintenant un désir fort de non-maternité et de non-inscription de cet accouchement dans leur histoire. Elles veulent être sûres qu'il sera bien dans la famille où il sera placé. Par exemple, une mère musulmane préférera que son enfant porte un prénom arabe ou qu'il ne soit pas placé dans une famille juive. Elles espèrent qu'ils recevront une bonne éducation et feront des études.

Nous avons pu constater, depuis quelques années, que les femmes voulant accoucher sous X venaient vers nous, alors que nous n'avions pas vraiment eu une réflexion et une formation sur la façon de les accompagner. Mais il existe peu d'autres structures. Nous avons découvert récemment une structure unique en France, l'association "Illythie". Cette structure d'accueil et d'hébergement de femmes, en demande d'accouchement sous X ou en difficulté par rapport à l'arrivée d'un enfant, localisée à Meudon, dépend du conseil général des Hauts-de-Seine.

Cette structure héberge, quel que soit le moment de la grossesse et jusqu'à trois semaines après l'accouchement, des femmes qui s'interrogent sur l'arrivée de cet enfant, plutôt dans la perspective de ne pas le garder. Elle compte une équipe étoffée, comportant des assistantes sociales, des éducateurs, des psychanalystes et des psychologues, qui vont permettre à ces femmes de prendre le temps de vivre cette grossesse et non pas de la dénier. Elle a l'avantage de pouvoir permettre à ces femmes d'être hébergées et de parler de leur choix. Ce type de structure manque cruellement en France.

Plusieurs autres départements ont mis en place au moins une structure d'accueil, sinon d'hébergement. Or, on s'aperçoit que l'hébergement est essentiel pour certaines femmes, car cela leur permet de s'éloigner de leur milieu familial, social et professionnel. Je suis même stupéfiée par l'imagination de certaines jeunes filles, notamment maghrébines, relativement surveillées à la maison, qui trouvent des prétextes (tels que des stages) pour s'éloigner de leur famille pendant deux mois.

Il est dommage que le projet de loi de Mme Ségolène Royal n'insiste pas davantage sur cet aspect de l'accompagnement. La "loi Mattei" de 1996 avait tenté de transférer cette responsabilité à l'aide sociale à l'enfance (ASE) dans chaque département. Cela a été plus ou moins - plutôt moins que plus - mis en pratique. Par ailleurs, il n'y a pas eu de décret d'application, ce qui rend les choses plus difficiles à mettre à place. Néanmoins certains départements l'ont fait, et on constate que cela fonctionne bien. De plus, une structure, telle que l'"Illythie", n'a aucun parti pris sur l'accouchement sous X. Son but est d'accompagner au mieux les femmes qui font ce choix.

S'agissant du Conseil national d'accès aux origines, il me semble que c'est une bonne idée de créer un lieu clairement identifié qui se préoccupe de la formation des professionnels. Toutefois, comme chaque professionnel ne rencontrera que deux ou trois fois un tel cas dans sa carrière, il est difficile de former spécifiquement les professionnels à cette situation. Par ailleurs, dans chaque département, il existe déjà une structure "repérée" qui travaille dans ce domaine et vers laquelle on orientera plus facilement les femmes.

Ces lieux repérés, comme certaines maternités privées, ne seront confrontés à un cas d'accouchement sous X qu'une fois tous les quatre ou cinq ans. C'est pourquoi il est difficile de former des professionnels à cette pratique, qui reste très limitée, mais pour autant il convient de disposer d'une structure et d'un support écrit expliquant très précisément les procédures aux professionnels. C'est la raison pour laquelle nous avons édité une plaquette sur ce sujet, en direction des professionnels, intitulée "L'accouchement secret, dit sous X".

L'avantage du Conseil national d'accès aux origines est qu'il permet à une femme d'être informée qu'à tous moments elle peut lever le secret de son identité. Certes, c'était déjà le cas auparavant, mais sans que cela se sache. Le mérite de la loi de 1996 est d'avoir clarifié les pratiques, et que des pratiques un peu folles n'aient plus cours ou soient attaquables si elles ont cours. Cette loi a eu le mérite de tenter d'uniformiser, dans le bon sens, des pratiques diverses. Cet aspect est d'ailleurs maintenu dans le projet de loi de Mme Ségolène Royal.

En revanche, nous comprenons mal la raison pour laquelle ce projet de loi prévoit une "invitation" faite à ces femmes de consigner leur identité dans une enveloppe scellée qui sera conservée. Nous nous interrogeons sur cette double sécurité.

Certes, c'est une invitation et non pas une obligation, mais nous estimons que cette demande à l'égard des mères fait qu'à moyen terme l'accouchement sous X disparaîtra, ce qui nous paraît extrêmement dommageable. Il faut prendre en compte cette réalité que des femmes ne veulent ou ne peuvent garder leur enfant. Le contexte a évolué depuis ces témoignages très douloureux de femmes qui avaient été poussées à accoucher sous X, il y a trente ou quarante ans. De plus, la loi est plus claire sur leur accompagnement.

Par cette incitation à laisser son identité, on se retrouve dans la même situation que celle dont se plaignent certains enfants nés sous X. En effet, lorsqu'ils sont à la recherche de leurs origines et vont dans les services d'adoption de l'ASE d'un département, les fonctionnaires leur répondent qu'ils ont bien l'identité de leur mère, mais que, comme elle a accouché sous X, ils ne peuvent pas la leur donner. Quant aux services du Conseil national d'accès aux origines, ils auront bien l'identité de la mère qu'ils iront rechercher dans le respect de sa vie privée. Il y a une vraie réflexion à mener sur ce que signifie le respect de la vie privée, parce que ces services vont appeler ces femmes chez elles, leur envoyer un courrier qui sera peut-être ouvert par un autre membre de sa famille. Et que diront les services à l'enfant si la mère refuse catégoriquement de lever le secret de son identité ? Nous nous retrouverons dans la situation actuelle, à savoir des enfants confrontés au fait que l'administration connaît l'identité de sa mère, mais ne peut la lui communiquer, d'où le risque de provoquer des problèmes graves chez l'enfant.

Pour l'enfant, se pose aussi la question de l'enveloppe qui peut ne contenir aucune identité. Les mères qui reviennent sur le secret de leur identité le font rapidement après l'accouchement, souvent dans un délai de deux mois. C'est pourquoi le raccourcissement du délai de trois mois à deux mois ne nous a pas choquées outre mesure. Quant aux femmes qui reviennent donner leur identité dans leur dossier, j'ai moins d'expérience sur cet aspect de la question.

Mme Danielle Gaudry : Il nous semble important de fixer une limite dans le temps à cette recherche des parents par les enfants et à la nécessité pour la mère de réitérer son refus de révéler son identité. A cet égard, la femme doit avoir la certitude qu'un jour elle ne pourra plus être interrogée sur cet accouchement. Cet aspect d'une limitation dans le temps, qui n'est pas spécifiée dans le projet de loi, nous semble un élément important, tant dans l'intérêt de la femme que de celui de l'enfant, afin qu'il puisse se construire sur ce refus.

Mme Françoise Laurent : Un autre aspect, qui nous semble poser problème, c'est que pour rappeler à la mère qu'elle peut lever le secret de son identité, il faut pouvoir la joindre personnellement en vue d'un entretien préalable. A cet égard, le législateur doit se garder de la pression de ceux qui veulent faire avancer les droits de l'enfant en refusant de voir qu'à certains moments ils sont antagonistes de ceux d'autres individus.

Nous avons soulevé cette question s'agissant des procréations médicalement assistées. Nous estimons qu'il faudrait disposer de lieux d'information et d'accueil destinés aux femmes et aux couples, qu'ils soient intéressés par cette méthode ou en cours de traitement. Ces lieux permettraient aux femmes, à tous moments de leur vie, de trouver une écoute les respectant complètement.

Chaque département devrait disposer d'un lieu identifié, où toute femme pourrait s'exprimer, être écoutée et accompagnée. Il est certain que les institutions et les services sociaux accompagnent ces femmes pendant leur grossesse et l'accouchement sous X, mais cela concerne un laps de temps très court de leur vie. Cet accompagnement se fait sans une réelle prise en charge des problèmes ayant poussé ces femmes vers ce type d'accouchement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il me semble que vous remettez en cause l'article L-146-4 du projet de loi selon lequel : "(...) Sauf s'il en dispose déjà, le Conseil sollicite la déclaration expresse de levée du secret par le père ou la mère de naissance."

Mme Véronique Neiertz : Dans l'article 2 du projet de loi est utilisé le vocable "inviter". Je considère donc, pour ma part, qu'il ne s'agit pas d'une obligation. La mère peut également fournir un faux nom.

Mme Valérie Boblet : Nous avons l'impression que cette "invitation" aurait pour objectif de faire disparaître à terme l'accouchement sous X, ce qui permettrait de mettre fin au secret des familles et de s'ouvrir à la transparence. Nous devons rester vigilantes, car personne ne peut être sûr que son père est bien son père ou sa mère sa mère. Qui peut prétendre connaître toute la vérité sur sa naissance ?

Mme Véronique Neiertz : Un amendement à cet article, selon lequel la femme serait invitée à consigner son identité sous pli fermé, mais qu'elle pourrait aussi le refuser, si elle le souhaite, serait-il de nature à apaiser vos inquiétudes ?

Mme Valérie Boblet : La femme saurait de façon claire qu'elle a le droit de refuser de donner son identité. Ce texte d'ailleurs devrait lui être lu.

Mme Véronique Neiertz : Il est vrai que l'on peut supposer que cela pourrait conduire à terme à la disparition de l'accouchement sous X, mais ce n'est pas le postulat de base de cette Délégation. Nous sommes pour le maintien de l'accouchement sous X.

Force est de constater qu'il existe une forte pression allant dans le sens de la recherche des origines. On ne peut pas non plus dénier que les mentalités ont beaucoup évolué par rapport à il y a vingt ou trente ans. Nous devons donc accompagner cette évolution, sans pour autant privilégier les droits de l'enfant sur les droits de la mère. Il faut essayer de garder un équilibre. Je trouve que le texte de Mme Ségolène Royal est relativement subtil, car il essaie d'aller dans le sens de cet équilibre préservé, tout en gardant la possibilité d'être amendé et conforté.

En revanche, je suis moins tranchée que vous quant aux conséquences dramatiques que pourrait entraîner, après un certain nombre d'années, une seconde interrogation de la mère ayant accouché sous X à donner son identité, lorsqu'on lui fait connaître que son enfant veut renouer avec elle. Je n'accorde pas la même importance que vous sur le fait de fermer, une fois pour toutes, la boîte de Pandore. Il me semble que l'on doit arriver à faire accepter à ces femmes cette part de leur vie et leur donner le courage de dire non une seconde fois. C'est ce que prévoit le texte.

On peut supposer que devoir refuser une seconde fois va déchirer la mère, encore qu'on n'en soit pas sûr. Elle s'est peut-être bâti une autre vie. Mais cette seconde possibilité offre une nouvelle chance à la mère et à l'enfant de renouer. Personne ne peut préjuger de la réponse.

Mme Danielle Gaudry : Nous avons toujours souligné la contradiction qui existe entre la recherche poussée de la biologie et les discours sur la parentalité. Nous voyons également une contradiction entre ce projet de loi et celui sur la bioéthique, quant à l'anonymat du don des donneurs de gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes). C'est une de nos interrogations par rapport aux lois françaises. Si on accepte l'anonymat des donneurs de gamètes, chose que nous trouvons tout à fait positive, cet anonymat doit être étendu à d'autres situations exceptionnelles.

Mme Françoise Laurent : C'est vrai que cela donne une nouvelle chance à une femme, qui s'est reconstruit une vie, de pouvoir renouer avec son enfant. Mais cette révélation ne doit pas se faire par l'envoi d'un enquêteur, suite à la demande de l'enfant de vouloir connaître sa mère. Ce n'est pas ainsi que la femme en viendra à se dire qu'elle a eu tort et qu'elle va lever le secret. Cette décision de levée le secret sur son identité revient entièrement à la mère, décision qu'elle prendra peut-être en passant par des lieux d'écoute identifiés, où les femmes pourraient s'exprimer et être informées sur leurs droits en ce domaine.

Par ailleurs, au regard de la force des lobbies des droits de l'enfant, nous sommes réticentes sur les dispositions du texte de Mme Ségolène Royal sur le Conseil national d'accès aux origines. En effet, celui-ci sera soumis à la pression de ces lobbies et non pas à la pression de ceux qui souhaitent un équilibre entre les droits de l'enfant et ceux de la femme.

J'ai la quasi-certitude que ce Conseil national d'accès aux origines, même avec la nomination de professionnels, de chercheurs, d'experts, de personnalités ayant le sens des nuances, n'ira pas dans le sens d'un respect des droits. A terme, ce Conseil national d'accès aux origines, dont la loi doit définir le rôle, laissera un certain nombre de ces professionnels entamer des démarches qui feront pression sur la mère.

Vous dites vous-même qu'à une époque, dans certaines maternités, on faisait pression sur les femmes pour qu'elles accouchent sous X, ce qui est sans doute maintenant beaucoup moins fréquent.

C'est un aveu de faiblesse de notre société de ne pas pouvoir affirmer que la loi a pour effet de défendre un équilibre entre les droits de l'enfant et ceux de la femme.

Mme Véronique Neiertz : Dire à la femme qu'elle peut revenir à tous moments sur la levée du secret de son identité la rassure psychologiquement.

Mme Françoise Laurent : Mais c'est déjà le cas. Pourquoi ne pas faire en sorte que ces femmes, qui sont passées au travers de drames, lèvent le secret de leur identité lorsqu'elles se sentent prêtes à le faire, ce qui ne signifie pas qu'elles vont rechercher l'enfant ?

Il faut que la loi indique clairement que la femme, lorsqu'elle est "invitée" à donner, au moment de l'accouchement, son identité sous pli scellé qui sera gardé secret, n'est pas obligée de mettre son nom dans l'enveloppe. Ensuite, quand l'enfant demandera aux services compétents à connaître l'identité de sa mère, il faudra bien insister sur le fait que certaines femmes auront donné leur identité, mais que d'autres ont souhaité garder un anonymat complet.

Par ailleurs, le Conseil national d'accès aux origines devrait défendre cette démarche et non pas considérer que les femmes ont accouché sous X sous une quelconque pression familiale. En effet, un certain nombre de personnes qui ont contribué à la rédaction du projet nous ont dit que les femmes qui accouchent sous X étaient des jeunes filles mineures de la bourgeoisie et qu'une fois hors de la pression de la famille, c'est-à-dire dix ans après, elles seraient tout à fait prêtes à lever le secret de leur identité. Je crois que beaucoup se racontent des histoires.

Si nous voulons qu'il y ait respect de l'équilibre entre les droits de l'enfant et ceux de la mère, il faut être extrêmement précis dans la terminologie et ne pas utiliser des termes tels que celui d'"invitée".

M. Patrick Delnatte : Il faut maintenir l'accouchement sous X, car le secret du nom ainsi que d'autres éléments non identifiants permettent de régler un certain nombre de problèmes et d'apporter un apaisement à ces femmes. Leur accompagnement est aussi très important.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un élément intéressant du texte me semble être que le Conseil national d'accès aux origines permettra une certaine uniformisation des pratiques, qui, comme on peut s'en rendre compte, est loin d'être parfaite.

Mme Véronique Neiertz : Même si ce Conseil présente effectivement des avantages, nous devons préciser la manière dont le législateur souhaite qu'il soit constitué et composé. Sinon, il sera constitué d'une majorité de lobbies des droits de l'enfant et de l'accès forcé aux origines, ce qui conduira à une programmation de la disparition de l'accouchement sous X.

Cette composition doit remplir un double principe absolu : la parité homme-femme et la parité des droits, c'est-à-dire ceux qui défendent l'accouchement sous X et ceux qui défendent le droit de l'accès aux origines.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A l'heure actuelle, il est prévu que le Conseil national comprenne des membres de la juridiction administrative, des magistrats de l'ordre judiciaire, des représentants des ministres et des collectivités territoriales, ainsi que des personnalités qualifiées. La présence des associations en tant que telles n'est pas prévue.

Mme Véronique Neiertz : Nous devons travailler sur la composition du Conseil afin que les droits des uns ne l'emportent pas sur les droits des autres. Il est certain qu'une telle instance doit comprendre non seulement des administrations, mais aussi des professionnels qualifiés représentant chacune des parties.

Mme Valérie Boblet : Il faut aussi tenir compte du caractère peu fréquent de l'accouchement sous X, qui ne concerne environ que sept cents femmes par an. C'est donc une situation exceptionnelle.

Mme Françoise Laurent : L'accouchement sous X fait partie du droit des femmes à décider des suites à donner à leur grossesse et de leur procréation en général. Il est plus facile pour un homme de maintenir le secret qu'une femme. La société doit donc organiser la capacité des femmes à décider, même dans les cas les plus graves.

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La Délégation a ensuite entendu Mme Simone Chalon, présidente de l'association "La famille adoptive française".

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous vous accueillons aujourd'hui dans le cadre du projet de loi de Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles. Vous êtes favorable au maintien de l'accouchement sous X qui, en tant que tel, n'est pas remis en cause par ce projet. Le texte prévoit seulement une procédure permettant d'avoir accès à l'identité de la mère, si celle-ci a formulé son accord. Pouvez-vous nous parler de votre expérience, notamment de l'accueil de ces femmes ? Quelles sont les motivations qui les amènent à accoucher sous X ? Subissent-elles des pressions ? Pourraient-elles faire appel à un autre type d'accouchement ? Dans quelle proportion les mères sont-elles venues vous demander la levée du secret de leur identité ? Etes-vous amenée à donner des renseignements aux enfants sur leur mère et aux mères sur leur enfant ? Quelle est votre position sur l'accès à la connaissance des origines, tel qu'il est organisé par le projet de loi ? Auriez-vous des suggestions à faire par rapport à ce projet de loi ?

Mme Simone Chalon : Je vous parlerai en tant que directrice d'un organisme autorisé pour l'adoption, fonction que j'exerce depuis vingt-cinq ans, d'où ma connaissance du problème. Je vois et revois les mères qui nous confient leur enfant, les enfants adoptés et les parents qui adoptent.

Les dispositions de la "loi Mattei" me paraissent tout à fait appropriées et, dans notre association, sont parfaitement respectées. Je reçois des jeunes femmes de tous milieux sociaux, qui prennent librement leur décision. Elles savent parfaitement qu'elles ont deux mois pour changer d'avis si elles le désirent, qu'elles peuvent même, pendant ces deux mois, si elles en expriment le souhait, voir leur enfant. Si les choses sont faites dans le respect de la mère, de l'enfant et de la famille adoptante, il ne devrait pas y avoir de problèmes.

J'ai reçu deux lettres dont je souhaite vous lire quelques extraits. La première, en date du 16 avril 2001, est celle d'une jeune femme. Voici le dernier paragraphe de son courrier : "Je vous remercie de me donner des nouvelles de Soraya et ce depuis seize ans."

La seconde lettre, en date du 22 mars 2001, m'a été adressée par une jeune fille adoptée : "Je soussignée ---- interdis à toute personne de donner quelque renseignement que ce soit à mon sujet à ma famille biologique. Si, par hasard, mon père ou ma mère biologique ou un frère ou une s_ur désirait me retrouver, ou avoir le moindre petit renseignement à mon sujet, je m'y oppose formellement, et cela pour n'importe quel motif. J'ai une famille formidable que j'adore. J'estime que des gens qui abandonnent leur enfant pour X raisons quand ça les arrangeait bien, n'ont aucun droit pour X raisons de savoir quoi que ce soit. Ils doivent vivre avec la peine, le regret, le remords si c'est à vie, et surtout dans le doute. Merci de ne donner aucun renseignement à mon sujet, car cela pourrait nuire à mon équilibre et à celui de mes proches. La seule chose que vous pouvez leur dire, rien du tout."

Notre organisme existe depuis 1946. Au départ, il s'agissait de faire adopter les enfants de père allemand nés en France et, en collaboration avec l'Assistance publique et la Croix-Rouge, faire adopter les enfants de Français nés en Allemagne. Ces enfants étaient placés dans des orphelinats français en Allemagne, sous la responsabilité du commandement de l'époque.

Aujourd'hui, dans la recherche de leurs origines, certains enfants ont retrouvé leur famille allemande, car la mère, lorsqu'elle déposait l'enfant à l'orphelinat, donnait le nom. Nous en sommes aujourd'hui à cinq mille adoptions d'enfants nés en France et à l'étranger. Je reçois environ cinquante demandes de renseignement de jeunes qui viennent consulter leur dossier. Les années passées, je n'en recevais aucune. Les gens qui viennent me voir, dont certains ont une quarantaine d'années, commencent seulement à s'interroger sur leurs origines. C'est devenu un phénomène de mode.

Je suis favorable au maintien de l'accouchement sous X, même s'il n'est pas remis en cause, en tant que tel, dans le projet de loi. J'ai d'ailleurs indiqué au Conseil supérieur de l'adoption que supprimer cet accouchement serait s'exposer à trouver plus d'enfants dans nos poubelles. En Allemagne, où n'existe pas l'accouchement sous X, viennent d'être installées, dans les hôpitaux, des "boîtes à bébés" où des mères peuvent déposer l'enfant qu'elles ne souhaitent pas garder. A Hambourg, où ces "boîtes" sont installées depuis un an, on n'a plus trouvé d'enfants dans la rue depuis cette date, alors que, l'année précédente, on en avait trouvé sept, dont deux décédés. Cela démontre bien leur utilité. La Hollande et le Danemark s'apprêtent à faire la même chose. De plus, la Hollande et la Belgique demandent l'introduction de l'accouchement sous X, pour ne plus trouver d'enfants abandonnés dans la rue.

J'ai demandé à Mme Ségolène Royal qu'une étude soit effectuée notamment auprès de la brigade des mineurs, afin d'établir le nombre d'enfants abandonnés, trouvés chaque mois dans nos départements. En effet, dans certains, on en retrouve jusqu'à quatre.

Je rencontre souvent des femmes qui ont de grosses difficultés. Quand je leur pose la question, quand elles arrivent enceintes de huit mois, sans parfois même s'en être rendu compte, ce qu'elles auraient fait, la dernière m'a répondu qu'elle l'aurait posé sur le trottoir et aurait regardé si quelqu'un le ramassait. Quand je lui parle de l'aide sociale à l'enfance, elle me répond qu'elle en sort. Elle préférerait qu'un passant ramasse son bébé sur le trottoir et qu'il soit ainsi pris en charge, plutôt qu'il ne reste dix-huit ans dans une institution.

Je vais maintenant vous présenter les documents que nous faisons remplir à une femme qui nous confie son bébé. Nous avons une psychologue et une assistante sociale qui assurent l'accueil des parents, le suivi des enfants, et qui rencontrent la mère si celle-ci le désire. Pour ma part, je rencontre personnellement toutes ces femmes, car elles ont besoin de se confier à une personne plus âgée, qui fait figure de mère et de grand-mère à leurs yeux. Je les emmène déjeuner, nous discutons, et je prends tous les documents que je peux transmettre à l'enfant.

A chaque mère qui nous confie son bébé, je lis le passage suivant : "Je sais que je peux à tous moments remettre à "La famille adoptive française" une lettre contenant mon identité. Cette lettre sera jointe au dossier de l'enfant et pourra lui être remise s'il le demande." Elles remplissent le document dont un double va au dossier et dont elles gardent une copie. Quand elles me demandent des nouvelles de l'enfant, je peux leur en donner car je demande également aux parents adoptifs de me donner régulièrement des nouvelles.

Au cours de la longue existence de notre organisme, les choses ne se sont pas toujours déroulées ainsi. Quand une femme, qui a confié un enfant il y a quarante ans, nous demande des nouvelles de l'enfant, je ne peux pas toujours lui en donner. C'est pourquoi chaque année, nous organisons une fête à laquelle viennent assister des enfants "anciens" adoptés.

A toute femme qui vient et qui nous confie son enfant, je lui explique qu'elle peut accoucher anonymement, sans donner son nom, mais je prends néanmoins des renseignements sur la mère pour les transmettre à l'enfant, tels que sa morphologie, son origine, son activité dans la vie, ses goûts. De plus, je demande des renseignements sur le père, même s'il est certain que, dans une telle situation, le père ne s'intéresse pas à l'enfant, sinon souvent la mère l'aurait gardé.

M. François-René Aubry : Je m'exprime ici en tant que père adoptif. J'ai trois enfants adoptés, qui viennent de trois continents différents ; un est issu d'un accouchement sous X, un autre est né à l'étranger et un troisième a été abandonné par procès-verbal.

Il me semble que l'accouchement sous X est certainement une réponse appropriée pour un certain nombre de femmes qui connaissent de grandes difficultés, au plan personnel et social. C'est par égard pour ces femmes qu'il faut maintenir cet accouchement sous X, qui représente une porte de sortie qui peut leur permettre de résoudre un certain nombre de problèmes.

Par ailleurs, en tant que père adoptif, je crois vraiment représenter la tendance actuelle de la majorité des parents adoptifs. Nous faisons en sorte que nos enfants éprouvent du respect à l'égard de leur mère d'origine. Nous l'évoquons, elle fait partie de notre vie quotidienne, dès lors que l'enfant est totalement persuadé que sa vraie famille est sa famille adoptive. Quand l'enfant est rassuré sur ce point, nous pouvons facilement aborder le problème de ses origines, de sa mère d'origine et parfois du père d'origine, sur lequel il y a souvent peu de renseignements.

C'est dans cet esprit que l'on peut dire que le projet de loi actuel correspond tout à fait à cette attente, à la fois le maintien de l'accouchement sous X et cette possibilité d'aller vers le parent d'origine. Mais les enfants sont finalement, me semble-t-il, plus préoccupés par la pérennité de leur statut d'enfant adopté, par le fait qu'ils sont confortés d'être l'enfant de leurs parents adoptifs, plus que par leurs origines. Si la question des origines se pose, elle se posera peut-être plus tard, avec des acuités très différentes d'un enfant à un autre.

Certes il faut rester attentif aux phénomènes de mode, mais tout en respectant cette démarche des enfants qui consistent à aller vers leurs parents d'origine ou, tout du moins, vers une connaissance des raisons de l'abandon et de la personnalité de leurs parents de naissance. La question que se pose souvent l'enfant est de savoir à qui il ressemble, peut-être plus que de savoir qui sont ses parents. Il y a là une recherche de sa propre identité, sans pour autant vouloir aller très loin dans la connaissance des parents.

Quant au contact avec la mère de naissance, c'est une démarche difficile pour l'enfant dans laquelle il sera accompagné par ses parents adoptifs. Il me semble que c'est sur ce plan-là que la loi doit rester extrêmement attentive et bien définir les choses. L'enfant doit bénéficier du meilleur répondant et accompagnement possible à ce moment difficile de sa vie, car il sera souvent encore adolescent et en train de construire sa personnalité.

Il est vrai que lorsque des parents ont eu la chance d'adopter l'enfant par le biais d'une association telle que "La famille adoptive française", ils restent en contact avec cette association, l'enfant en connaît les responsables et peut assister aux activités comme la fête des anciens adoptés. L'enfant pourra plus facilement aller vers Mme Simone Chalon et lui demander des renseignements, éventuellement lui dire qu'il souhaite rencontrer sa mère d'origine, même si le nombre d'enfants qui font cette demande est restreint.

Or, le problème est qu'actuellement les enfants nés sous X et accueillis par une association représentent moins de 5 % de cette population. Tous les autres passent par des DDASS, certaines très organisées pour répondre à ce type de demandes, d'autres moins. La création d'un organisme centralisateur, qui vérifie la façon dont les choses se passent, me paraît opportune, sans pour autant qu'il se charge de ce travail important d'accompagnement qui consiste à accueillir les enfants et les mères.

Cet organisme peut, en revanche, aider ceux qui seront délégués pour effectuer ce travail d'accompagnement. Toutefois, une trop grande centralisation me paraît poser des problèmes matériels difficiles, comme pour les archives. Par ailleurs, il serait peut-être regrettable de se priver des possibilités d'accompagnement de quelques associations qui ont fait ce travail et pour lequel elles sont bien formées.

Ces _uvres d'adoption se sont tout autant adressé à ces mères en difficulté qu'aux enfants. Leur vocation était à la fois de donner aux enfants des familles adoptives, mais aussi d'accompagner et de rassurer la mère dans son choix, et de lui garantir la dignité pour son enfant.

Ces _uvres pourraient continuer leur travail en collaboration étroite avec cet organisme national, qui aurait un rôle de contrôle plus qu'un rôle direct, car la décentralisation, dans ce domaine, me paraît être nécessaire.

Mme Simone Chalon : Nous avons discuté de ce projet de loi au Conseil supérieur de l'adoption. Je conviens que l'enfant et la mère puissent se retrouver, mais pas de n'importe quelle manière, car il y a une façon d'expliquer les choses aux enfants. Si ces enfants se retrouvent face à un fonctionnaire et lui posent des questions sur leur mère, le fonctionnaire ne pourra pas répondre.

Pour ma part, je reçois des enfants mineurs qui viennent accompagnés de leurs parents. A l'association, nous connaissons toutes les mères. Comme nous avons noté toutes les informations les concernant, nous pouvons les donner à l'enfant lorsqu'il nous interroge. Mais cela ne sera pas possible dans le cas d'une centralisation trop importante. Il faut faire confiance aux personnes qui ont rencontré les parents biologiques, l'enfant, puis les parents adoptifs, qui ont fait le choix d'une famille en fonction des parents qui nous ont confié l'enfant. Il faut laisser à l'organisme le soin de faire des médiations.

Mme Véronique Neiertz : La problématique que vous posez sur la manière de faire la médiation nous paraît aussi essentielle. L'administration n'a pas toujours les moyens de la faire comme cela serait souhaitable, ni même la formation adéquate.

Nous nous sommes interrogés sur le bien-fondé de la création d'un Conseil national. L'avantage est qu'il peut permettre d'harmoniser des pratiques, avec éventuellement un correspondant départemental, et donner une sorte d'officialité et de sérieux à la façon d'aborder le problème. Toutefois notre inquiétude concerne plutôt la composition de ce Conseil, qui comprend essentiellement des fonctionnaires et des magistrats.

Mme Simone Chalon : En tout premier lieu, ces fonctionnaires doivent être formés. En effet, certains comptes rendus, qui nous sont envoyés par les fonctionnaires chargés d'octroyer les agréments, afin que nous retenions des demandes d'adoption, nous semblent scandaleux. Par exemple, nous avons reçu un agrément donné à un couple auquel on avait déjà retiré trois enfants qui ne voulaient plus voir leur mère depuis qu'elle était remariée.

Il n'est pas souhaitable que des fonctionnaires non formés soient chargés de la rencontre entre les parents et les enfants. Ce n'est pas dans l'intérêt des enfants. Il y a quelques années, quand on a annoncé à une femme, venue au service de l'aide sociale à l'enfance pour voir son dossier, que son père était son grand-père, elle est allée se jeter dans la Seine.

Mme Véronique Neiertz : L'ASE est tout naturellement désignée pour être formée de fonctionnaires qualifiés, sauf que certains le sont et d'autre pas. S'il leur faut suivre une formation spéciale, qui peut la leur donner ?

Mme Simone Chalon : Je ne sais pas. Je sais qu'une personne au Centre d'orientation psychologique et sociale (COPES) fait des formations très valables. Mais il suffit d'avoir un psychologue et une assistante sociale avec du bon sens qui n'iront pas lancer brutalement une information à la figure d'un enfant. Il faut lui dire la vérité, mais avec bon sens.

Le mois dernier, j'ai reçu un enfant que ses parents sentaient inquiet et qui voulait avoir des renseignements sur sa mère. Lorsque j'ai rencontré l'enfant, je lui ai dit comment était sa mère et qu'elle m'avait demandé, quand elle me l'avait confié, de lui donner une famille pour qu'il travaille bien à l'école, qu'il ne soit pas sans situation comme elle, et qu'il ait des notes brillantes à l'école. Le père m'a téléphoné peu de temps après pour me dire que l'enfant avait très bien redémarré à l'école.

M. Patrick Delnatte : Les pratiques ont évolué, et la décentralisation est venue compliquer les choses. Avant, une seule personne interlocutrice au niveau des DDASS, remplissait le rôle que vous remplissez en tant qu'association. Maintenant la pratique dans les départements multiplie les interlocuteurs. On ne retrouve pas cette unité de l'interlocuteur unique qui donnait l'agrément, confiait l'enfant et qui parfois ensuite demandait des nouvelles. La décentralisation, dans ce domaine, a créé, par cette diversité des pratiques, des situations qui ne sont pas toujours satisfaisantes.

Par ailleurs, ce qui est intéressant dans votre expérience, c'est que vous demandez aux parents adoptifs de s'engager à donner des nouvelles, ce qui n'est pas demandé par les DDASS ou l'ASE. Une bonne application de la nouvelle loi suppose, me semble-t-il, que maintenant on demande aux parents adoptifs de donner des éléments d'information sur l'enfant.

Mme Simone Chalon : Cela tranquillise la femme qui nous a confié l'enfant et qui demandera des nouvelles. Quand on n'a rien à lui dire, c'est là qu'elle commence à s'inquiéter.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le point de vue de "La famille adoptive française" n'est pas celui de l'ensemble des associations. Les mentalités ont encore besoin d'évoluer.

Mme Danielle Bousquet : Quelle appréciation portez-vous sur le fait que des enfants adoptés puissent avoir connaissance qu'il existe quelque part des informations concernant l'identité de leur mère, qui peut ne pas leur être révélées ? Je me situe dans l'optique de la nouvelle loi, qui ne fait pas obligation à la mère de donner son identité, mais qui l'y incite fortement. Cela supposerait que les femmes déposent leur identité sous pli confidentiel cacheté et que les enfants sachent que l'information existe sans y avoir accès.

Mme Simone Chalon : Je suis contre cette incitation car, de toute façon, elle peut mettre une feuille blanche dans l'enveloppe. Si les femmes que je rencontre veulent mettre leur nom, elles le notent sur le document. Elles ne reconnaissent pas forcément l'enfant, mais elles donnent leur nom. Elles savent que le nom sera communiqué à l'enfant, comme il est communiqué aux parents. Toutefois, il est fort possible que si elles savent qu'on exige d'elles qu'elles donnent leur nom, on trouvera davantage d'enfants abandonnés dans la rue.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La femme qui va vous confier un enfant remplit-elle obligatoirement un document ?

Mme Simone Chalon : Oui. Il y a un exemplaire pour moi et un pour elle. Je leur donne également mon nom et mon numéro de téléphone et je leur demande de me téléphoner lorsqu'elles souhaitent avoir des nouvelles.

Lorsqu'une mère nous confie son enfant, j'envoie au service de l'aide sociale à l'enfance de Paris un petit résumé indiquant que cette jeune femme, mère de quatre enfants, ne peut assumer la venue d'un cinquième et qu'elle nous l'a donc confié en vue d'adoption. Par conséquent, si l'enfant se rend uniquement au service de l'aide sociale à l'enfance, pour rechercher son dossier, l'ASE lui indiquera qu'il a été adopté par "La famille adoptive française" et lui donnera les informations que nous avons transmises.

Ensuite, quand l'enfant vient nous voir, nous pouvons lui montrer le document rempli par la mère, parfois une lettre et une photo. Je demande maintenant aux mères de donner une photo que je mets dans le dossier. Ainsi quand l'enfant reçoit la photo et la lettre de sa mère, en général il arrête ses recherches. En fait, la plupart des enfants sont surtout désireux de voir le visage de leur mère de naissance.

M. Patrick Delnatte : Avez-vous des femmes d'origine maghrébine ?

Mme Simone Chalon : Oui, et certaines donnent leur nom en entier. La situation des femmes d'origine maghrébine est particulièrement dramatique. Je vous cite des cas précis. Certaines ont parfois été mariées avec un homme de 65 ans, sans qu'il soit encore venu en France, alors qu'elles ont 18 ans. Entre-temps, elles ont rencontré un jeune homme et se sont retrouvées enceintes. Je dois dire qu'il nous est arrivé de faire refaire des hymens pour qu'au moment du mariage, il y ait du sang sur le drap.

Si une femme enceinte de deux mois vient nous voir, je lui donne l'adresse du Planning familial, car je considère que nous ne sommes pas là pour récupérer des enfants. Si la jeune femme est mineure et que ses parents demandent qu'elle confie cet enfant, je les fais sortir et je leur dis que c'est elle qui doit prendre la décision et remplir ce document. Si elle ne peut pas écrire, nous avons un interprète pour lui expliquer la procédure. Mais nous recevons des femmes de toutes nationalités.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Combien y a-t-il en France d'associations telles que la vôtre ?

Mme Simone Chalon : Je crois être la directrice de la seule association qui travaille de cette façon.

M. François-René Aubry : A ma connaissance, il y avait l'association des Nids de Paris, mais elle a très peu d'adoptions maintenant ainsi qu'une association à Lyon. Mais notre association travaille encore avec un nombre non négligeable d'enfants qui lui sont confiés chaque année.

Dans mon département d'Ille-et-Vilaine, il existe un organisme qui est proche de l'hôpital, le Service d'aide et d'accueil aux femmes et aux enfants en difficultés (SAFED). C'est un des tout premiers en France à avoir accompagné les femmes en difficulté qui ont fait le choix de l'abandon et éventuellement de l'accouchement sous X. Ce sont de tels organismes qu'il serait intéressant d'associer à la révélation de l'identité de la mère et à la mise en contact éventuelle, parce qu'ils ont rencontré ces femmes. Ce service pourrait collaborer avec un service de l'ASE plus classique qui n'a pas toujours un contact avec la mère. Peut-être conviendrait-il déjà de repérer les différentes associations et services, établis dans les départements, pour effectuer ce travail le mieux possible.

Dans chaque département, il existe également, à l'aide sociale à l'enfance un service spécialisé dans l'adoption avec un personnel tout à fait habilité et formé pour ce type de travail.

Mais chaque département a sa particularité. Pour avoir été juge des enfants et actuellement chargé des mineurs à la cour d'appel de Rennes, je connais bien ce problème. Mais il est vrai que ce qui caractérise l'ASE, c'est une multiplicité d'organisations.

Mme Danielle Bousquet : Que signifie "La famille adoptive française" ?

Mme Simone Chalon : Cette association est une émanation du service social de la SNCF qui, pendant la guerre, a dû prendre en charge les enfants orphelins des cheminots. En 1946, l'association s'est déclarée en _uvre d'adoption, afin de pouvoir prendre en charge, en particulier, les enfants pour lesquels l'Assistance Publique ne trouvait pas de famille, et surtout les enfants nés en Allemagne de jeunes femmes allemandes et de soldats français.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A l'heure actuelle, combien d'enfants nés sous X vous sont confiés ?

Mme Simone Chalon : Nous avons une quarantaine d'enfants nés en France. Mais nous collaborons avec la Chine pour sauver les petites filles et les faire adopter. C'est une collaboration qui a été difficile à mener avec les autorités chinoises. Chaque année, la psychologue et l'assistante sociale se rendent en Chine, puis nos familles partent pour aller chercher une petite fille dans un orphelinat. Nous collaborons également, depuis 1977, avec la Colombie et la Roumanie.

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La Délégation a enfin entendu Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente: Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, qui a fait partie, de 1993 à 1999, de l'équipe de gynéco-obstétrique du professeur Milliez à l'hôpital Saint-Antoine. Vous enseignez et donnez des conférences dans de nombreuses universités françaises et étrangères et vous êtes membre de plusieurs centres d'éthique bio-médicale.

Vous avez publié de nombreux ouvrages et articles sur les thèmes de la procréation médicalement assistée, du statut de l'embryon, du respect de l'histoire et de la dignité de l'enfant. Vous êtes, entre autres, auteur de "L'art d'accommoder les bébés" avec Suzanne Lallemand en 1979, "La part du père" en 1981, "L'enfant à tout prix" en 1983, "Enfant de personne" en collaboration avec M. Pierre Verdier en 1994, et "La part de la mère" en 1997, qui relate notamment votre expérience de psychanalyste à l'hôpital Saint-Antoine.

Nous aimerions avoir votre appréciation sur les problèmes posés par l'accouchement sous X pour les mères et pour les enfants, et, plus généralement, sur le projet de loi présenté par Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Outre les quelques livres que j'ai écrits, j'ai surtout une assez longue expérience clinique de ces questions. Je suis psychanalyste, mais les hasards de l'histoire ont fait que je me suis intéressée aux questions de procréation médicalement assistée dès 1977. J'ai ainsi abordé le sujet de la filiation médicalement assistée, mais aussi de la filiation socialement assistée, c'est-à-dire toutes ces atypies de conception qui ont pour but de faire circuler les enfants dans la société. C'est un concept ethnologique que j'ai beaucoup travaillé avec Suzanne Lallemand. C'est également un concept métapsychologique dans la mesure où cette circulation d'enfants se fait à "base" de dons et de contre-dons.

Je parlerai de cette filiation socialement assistée que pose l'accouchement sous X. C'est une particularité du droit français, mais qui se comprend dans le cadre général de l'adoption. Pour qu'il y ait adoption, il faut qu'il y ait des enfants à adopter. Pour qu'il y ait des enfants à adopter, il faut que ces enfants soient préalablement abandonnés.

L'accouchement sous X se situe dans ce domaine extrêmement pointu qui rend des enfants facilement abandonnables, non pas au point de vue psychologique, mais au point de vue juridique, puisque la mère de naissance n'est même pas la mère et qu'elle n'a rien à signer puisque, dans l'accouchement sous X, elle est anonyme. Il s'agit donc d'un abandon anonyme, voire de pas d'abandon du tout, puisque personne n'est abandonné et personne n'abandonne.

A la différence de l'adoption, tel que la loi de 1966, révisée en 1996, le prévoit, l'accouchement sous X, qui donne lieu à adoption, relève d'une autre perspective. Dans l'adoption classique, une mère, un père ou un couple donne un enfant à une institution - la DASS - qui le rend adoptable par des parents. En tant que psychanalyste, cette loi me parait tout à fait bonne et sensée, car elle permet aux différents protagonistes de faire le deuil de cet acte extrêmement difficile qui consiste, pour la mère de naissance, à laisser son enfant, pour les parents qui adoptent, d'adopter un enfant avec une histoire, et pour l'enfant, de pouvoir, dès sa majorité, se retourner vers l'institution pour obtenir les documents qu'elle possède sur lui, c'est-à-dire son acte de naissance, le consentement de la mère et le jugement d'adoption.

L'accouchement sous X, bien que se plaçant sous la bannière de l'adoption, ne rentre pas dans le cadre de la loi de 1966, révisée en 1996, qui régit l'adoption. L'accouchement sous X est une sorte de codicille dont l'histoire est très ancienne. Elle est passée dans le droit français sous le régime de Pétain en 1942. Puis elle a été intégrée dans le code de la famille et de l'aide sociale jusqu'en janvier 1993 où elle était, à mon sens, fort bien située. Même si je suis très réservée sur cette possibilité d'abandon anonyme, par expérience, je sais qu'il existe des situations très difficiles où des mères enceintes ne peuvent garder l'enfant et font le choix de le faire adopter. Cette mesure de salubrité publique se retrouvait à l'article 47 du code de la famille et de l'aide sociale.

En 1993, l'introduction de cette mesure dans le code civil lui a donné une toute autre portée symbolique, puisque, dans le code civil, on introduit une sorte de non-mesure. Il me semble que l'un des intérêts du projet de loi de Mme Ségolène Royal est de remettre cette mesure dans le code de la famille et de l'aide sociale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'y a aucune modification du code civil. Les dispositions sur l'accouchement secret restent dans le code de la famille et le code civil, la filiation relevant du code civil et le projet de loi déconnectant les origines biologiques de la filiation sociale.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Le projet de loi de Mme Ségolène Royal a néanmoins le grand intérêt de créer parallèlement un conservatoire de l'identité de la mère de naissance, voire du père de naissance, et ainsi de permettre à l'enfant, à sa demande et après sa majorité, de recourir à un médiateur.

Je souhaite approfondir ma réflexion sur le fait que la loi sur l'accouchement sous X, telle qu'elle existe actuellement, me semble, comme psychanalyste, contraire à la dignité et aux intérêts des principaux protagonistes en cause, qui sont la mère de naissance, le père de naissance et l'enfant qui sera adopté.

Ces trois protagonistes principaux sont, à mon sens, très mal protégés. Leur travail de deuil est totalement court-circuité. J'ajoute, aux protagonistes principaux que je viens de citer, les parents adoptifs qui, selon mon expérience et contrairement à ce qui est dit, ne sont pas forcément "preneurs" d'un enfant né sous X.

Peut-être était-ce le cas il y a une quinzaine d'années, mais l'évolution des mentalités s'est faite vers beaucoup plus de transparence et de respect. Les parents adoptifs d'enfants nés sous X - et j'en connais un certain nombre - mènent un combat avec leur enfant pour l'aider à retrouver la trace de sa mère de naissance, bien qu'en théorie, cela ne soit pas possible.

En réalité, on assiste malheureusement, en raison de cette loi sur l'accouchement sous X, à l'émergence de circuits parallèles utilisant des détectives privés, qui font que ces enfants adoptés, nés sous X se sentent complètement lésés et différents des autres, notamment des autres enfants adoptés. Je connais plusieurs familles qui comptent trois enfants adoptés : un né sous X et deux adoptés selon la loi "normale". L'enfant né sous X se sent marginal par rapport à ses frères et s_urs qui peuvent, à leur majorité, aller à l'ASE et demander le dossier de leur mère de naissance.

Je vais maintenant vous exposer brièvement les raisons pour lesquelles, en tant que psychanalyste, j'estime que la mère de naissance est lésée par l'accouchement sous X. L'argument principal du maintien de cette loi, et notamment de son inscription dans le code civil, était que cela permettrait une meilleure protection des femmes en détresse, qui ainsi, disait-on dans les débats parlementaires, pourraient aller à l'hôpital, ne pas donner leur nom et repartir deux jours après, ni vue ni connue, même pas de l'hôpital. L'argument principal était que si une femme était poursuivie par une tierce personne, que cette dernière appelle l'hôpital pour s'enquérir de cette femme, le personnel répondrait qu'il ne la connaissait pas ; elle était donc ainsi totalement protégée.

Quand on connaît le psychisme humain, il est impossible d'imaginer qu'une femme puisse accoucher, quitter l'hôpital deux jours après et tourner la page. Il est évident que la femme, qui a dû garder une grossesse non désirée, quelquefois dans des situations difficiles et précaires, en général sans compagnon ou sans le père de l'enfant, qui a mené cette grossesse à terme souvent dans des conditions respectables, qui a donné naissance à un bel enfant, car elles accouchent très peu prématurément, enfant qu'elle a refusé de voir pour ne pas s'y attacher, a à gérer cette histoire douloureuse.

De plus, les femmes qui accouchent sous X ont souvent un secret lourd à gérer. L'accouchement sous X leur offre la possibilité de dire qu'il ne s'est rien passé, puisqu'elles n'ont même pas accouché, que ce soit sur un plan légal ou médical.

Ensuite, ces femmes reprennent le cours de leur vie, mais cacheront, à tous, éventuellement à leur futur compagnon, qu'elles ont accouché d'un enfant qu'elles n'ont pas gardé. Des femmes d'une cinquantaine d'années, retrouvées par leur enfant, sont parfois dans l'obligation de l'annoncer à leurs autres enfants ou à leur compagnon. Ces mères ont à faire le deuil de ce projet d'enfant, car elles auraient pu non seulement avorter, mais aussi faire des fausses couches. Or, elles ne l'ont pas fait, elles ont mené cette grossesse à terme.

L'accouchement sous X ne les aide absolument pas à gérer ce passage de leur vie. Au contraire, il les aide à verrouiller le couvercle et à cacher cette naissance. En effet, à quoi bon dire à son futur compagnon ou à ses enfants qu'elle a eu un enfant autrefois, car de toute façon, elle n'a aucun moyen de le retrouver et lui non plus.

Ces mères, parfois en grande détresse, se font maintenant entendre de notre société. Certaines se sont regroupées en association comme les "Mères de l'ombre", sous la bannière de la CADCO, dirigée actuellement par M. Pierre Verdier.

S'agissant de l'enfant, c'est un domaine que les psychanalystes et les pédopsychiatres connaissent bien. Toutefois, les intérêts des enfants adoptés avaient été quelque peu amalgamés sous la bannière de l'adoption issue de la loi de 1966. Ces enfants étaient des citoyens comme les autres et pouvaient, à tout moment de leur vie, demander à la DASS le dossier de leur mère de naissance. J'ai souvent vu de jeunes pères ou mères suivre cette démarche, non pas pour nouer des relations avec leur mère, mais pour connaître son histoire, la généalogie dans laquelle elle s'inscrit, son origine, les raisons de l'abandon. Quand on met un enfant au monde, on transmet, en plus de sa propre histoire, celle de ses ancêtres.

La plupart des enfants nés sous X souhaitent retrouver leur mère de naissance, non pas pour lui reprocher de l'avoir mis au monde et de l'avoir abandonné, mais pour la remercier de lui avoir donné la vie. Ils veulent aussi savoir, au travers de leur mère de naissance, qui est leur père de naissance.

La loi française maltraite épouvantablement les pères de naissance, dès lors qu'une femme mariée veut accoucher sous X. J'en ai relaté un cas dans mon livre "La part de la mère", sous couvert de l'anonymat. Cette femme, mère de deux enfants, était en instance de divorce. Vivant déjà séparément de son mari, elle était enceinte de lui. Elle avait annoncé son intention d'accoucher sous X, ce qu'elle a fait à l'hôpital. Cet homme n'a même pas pu savoir qu'il avait un enfant et le reconnaître.

Par ailleurs, beaucoup de jeunes pères, qui sont le compagnon d'une femme à un moment donné de son histoire, qui ne veulent pas forcément avoir d'enfant et sont même désagréablement surpris par la grossesse, ne veulent pas pour autant être tenus à l'écart de la naissance de cet enfant. Il est certain que, s'ils formaient un véritable couple avec la mère, ils consentiraient à l'abandon et à l'adoption, mais dans le cas présent, ils se sentent totalement floués.

Enfin, de plus en plus de parents adoptifs, sensibilisés à cet immense mouvement, qui n'est pas la recherche des origines au sens ethnique mais la recherche de l'histoire, souhaiteraient, devant la détresse de leur enfant, les aider à retrouver leurs racines. Une de mes patientes vient de retrouver sa mère de naissance au Canada, pays dans lequel ses parents adoptifs l'ont aidée à se rendre et à la retrouver.

J'ai eu à traiter d'une dizaine de cas de retrouvailles, y compris de présentation des parents adoptifs et de naissance. Ces mères se remercient mutuellement. La mère de naissance remercie la mère adoptive d'avoir pris soin de son enfant et d'en avoir fait celui qu'il est aujourd'hui, sans pour autant se situer en rivalité vis-à-vis d'elle. Quant aux parents adoptifs, ils remercient la mère de naissance de leur avoir donné un enfant.

Pour ma part, j'estime que la loi sur l'accouchement sous X ne se défend d'aucune manière. Je ne constate strictement aucun argument favorable quant au travail de deuil. Le projet de loi de Mme Ségolène Royal ne me semble pas parfait tel qu'il est, mais je crois qu'on ne peut directement affronter une résistance. Ce texte permet de biaiser les choses. Petit à petit, et via ce conservatoire de l'identité de la mère de naissance, les idées vont évoluer vers une suppression, dans cinq ou dix ans, de l'accouchement sous X, que je considère une honte pour le droit français.

Mme Danielle Bousquet : Je suis quelque peu surprise de la façon dont vous vous exprimez, dans la mesure où vous êtes la première à les exprimer ainsi, même si la CADCO, pour d'autres raisons, a eu la même position que vous.

En effet, que ce soit les associations représentant les femmes en général ou les parents adoptants, chacun d'entre eux a souligné à quel point l'accouchement sous X était une manière digne pour les femmes d'accoucher et de ne pas abandonner un bébé dans un panier dans la rue.

En quoi vous semble-t-il impossible que ce deuil puisse être fait par une femme qui décide d'accoucher sous X et qui n'a pas d'autre solution pour sa survie à elle ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Je connais fort bien l'argument, en particulier d'un certain groupe de féministes, qui consiste à dire que l'accouchement sous X est la meilleure façon de protéger les femmes. Ce sont d'ailleurs ces mêmes féministes qui se sont battues pour l'IVG et la contraception.

Il me semble que c'est une mauvaise interprétation de la liberté des femmes que de les piéger dans l'accouchement sous X. En effet, lorsque des femmes se trouvent dans des situations de grande détresse, le droit français leur offre une possibilité parfaitement protectrice, qui est celle d'accoucher gratuitement à l'hôpital et de manière parfaitement confidentielle. A cet égard, le secret hospitalier est une réalité. Le personnel hospitalier a des consignes très formelles de ne pas donner le nom de la femme. Si quelqu'un appelle pour rendre visite à une Mme Dubois qui vient d'accoucher, le personnel lui répond que le service ne compte aucune Mme Dubois. C'est pourquoi il n'est pas indispensable que Mme Dubois accouche sous X pour avoir le respect de la confidentialité de l'accouchement.

Ces femmes en détresse, qui arrivent à l'hôpital, sont suivies pendant toute leur grossesse. Avant ou après l'accouchement, elles annoncent qu'elles ne veulent pas garder l'enfant et consentent à l'adoption. Leur décision est respectée. Lorsque l'officier d'état civil passe à la maternité, le personnel lui indique de ne pas s'arrêter dans telle chambre. C'est ce que l'on appelle la filiation connue mais non établie. Le dossier de Mme Dubois sera classé à la lettre "X" dans les archives de l'hôpital, mais la filiation n'étant pas établie, l'enfant partira deux ou trois jours après à l'ASE puis, dans un délai de deux mois du recueil du consentement, conforme à la loi, la femme signera le consentement de remise de l'enfant pour adoption.

Il me semble que, dans le cas présent, la femme est mieux protégée que dans l'accouchement sous X, car elle est aussi bien traitée, tant au sens social que médical du terme, mais surtout elle est respectée en tant que mère, puisqu'on lui donne acte du fait qu'elle a mené une grossesse à terme et accouché d'un enfant de sexe féminin ou masculin dont elle ne veut pas et avec lequel elle n'établit aucune filiation.

On lui explique très clairement que l'enfant sera adopté, de manière plénière, par un couple et qu'elle n'aura aucun droit ni devoir à l'égard de cet enfant, et réciproquement. Honnêtement, je ne vois pas en quoi la protection serait meilleure pour une mère qui accouche sous X, par rapport à une mère qui abandonne son enfant, selon la loi de 1966.

S'agissant des parents adoptifs, il est vrai que, jusqu'à des années récentes, leur préférence allait à des enfants nés sous X, dans la mesure où ces enfants étaient vierges de toute histoire et qu'ils pensaient pouvoir plus facilement leur imprimer leur propre histoire. Chacun sait que lorsque ces parents adoptent ces enfants, ils leur donnent leur nom, leurs biens, mais aussi leur histoire familiale.

Je situe l'évolution de nombre de ces parents adoptifs à un congrès récent où j'ai rencontré Mme Danielle Housset, présidente  d'''Enfance et familles d'adoption", la plus grande fédération de parents adoptifs, qui a indiqué que la majorité des adhérents, notamment elle-même, qui a adopté deux enfants à l'étranger et un enfant né sous X, commençaient à prendre conscience que l'accouchement sous X était préjudiciable à leur enfant parce qu'il ne pouvait se figurer aucune image maternelle. Comme ces enfants n'ont aucun renseignement sur leur mère de naissance, ils ne peuvent fantasmer qu'en l'imaginant accouchant dans la rue et se débarrassant le plus rapidement possible du "paquet" en le donnant à quelqu'un. Leur mère est une femme qui n'a pas été respectée comme mère et qui n'est qu'une "pondeuse". Je donne acte à Mme Danielle Housset et à son association de l'évolution notable d'un grand nombre de parents adoptifs, même si certains préfèrent encore adopter des enfants nés sous X.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il me semble, puisque l'on parle des représentations, qu'il y a plusieurs droits en jeu. Vous parliez des féministes que l'on retrouve dans le même combat, celui pour l'IVG et la contraception, et celui pour l'accouchement sous X. Dans l'accouchement sous X, contrairement à l'accouchement sous le secret, se pose le droit de ne pas être mère.

Lorsque vous dites que l'accouchement sous X ne permet pas de faire un travail de deuil, est-ce réellement la forme juridique de l'accouchement ou est-ce la problématique de l'abandon qui conditionne la possibilité de faire un travail de deuil ?

J'ai eu à connaître une femme qui avait abandonné son enfant, mais pas dans le cadre d'un accouchement sous X, puisqu'elle lui avait donné son identité. Cette naissance a été un secret de famille pendant plus de soixante ans et toute la douleur est remontée au moment des retrouvailles. C'est pourquoi il me semble que c'est plus la problématique de l'abandon qui est au c_ur du travail de deuil que la forme juridique de l'accouchement sous X.

Par ailleurs, je constate que la "loi Mattei" de 1996, à laquelle le projet de loi de Mme Ségolène Royal apporte peu de modifications, est fort mal connue, notamment le fait de pouvoir remettre des renseignements non identifiants et donc de reconstituer une histoire. Aujourd'hui, nous nous apercevons que nombre de personnes pensaient que leurs dossiers étaient vides, alors qu'ils contenaient des éléments même non identifiants. Il y a aussi le fait que la mère a pu lever le secret sur son identité, ce qu'elle peut faire à tous moments. Je me demande si l'on ne fait pas un faux procès à l'accouchement sous X.

En ce qui concerne la place du père, selon la plupart des études qui ont été menées, notamment celle du service des droits des femmes, il y a plusieurs cas de figures : les femmes ont été abandonnées sans que le père soit informé de la grossesse, l'abandon est consécutif à l'annonce de la grossesse, ou les femmes ne souhaitent pas en informer le père.

L'une des questions que je me pose concerne la connaissance des origines, car un enfant est issu de deux lignées. Autant la lignée de la mère peut être facilement retrouvée, autant celle du père ne l'est pas.

Puisque la recherche en paternité dans notre droit est de nature contentieuse, quelle place donner à une connaissance des origines paternelles équivalente à celle des mères ? Comment est-il possible de faire la distinction entre connaissance des origines et filiation ?

Notre droit s'appuie sur le fait que le mari de la mère est toujours le père. Par conséquent, la recherche en paternité est très limitée. De ce point de vue, en prenant en compte tous les risques que cela peut induire, comment faire pour améliorer les choses ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : S'agissant de l'accouchement sous X, lorsque vous dites que c'est le droit de ne pas être mère, dans la lignée de la contraception et l'IVG, je suis d'accord sur le principe, mais il faut aussi considérer que le corps de la mère a "parlé". De facto elle est mère génitrice. Son inconscient a accepté cette expérience, même si elle ne l'a pas désiré, car elle aurait pu ne pas tomber enceinte, avorter volontairement ou accidentellement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Au travers de différents témoignages, nous avons souvent constaté que les femmes qui recourent à l'accouchement sous X aujourd'hui sont celles pour lesquelles il y a eu un déni de grossesse ou une méconnaissance de la grossesse. La situation, ne serait-ce qu'en termes quantitatifs, a changé avec la reconnaissance de l'IVG et le développement de la contraception. Les accouchements sous X sont alors passés de dix mille, dans les années cinquante, à aujourd'hui sept cents par an. Les femmes font plutôt le "choix" d'une IVG quand elles sont dans les délais légaux en France et à l'étranger, les autres cas étant des dénis de grossesse ou de méconnaissances de grossesse.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Les chiffres que l'on cite pour le déni de grossesse me semblent très exagérés. Le déni de grossesse est un mécanisme psychopathologique très lourd. Ce n'est pas simplement la dénégation par laquelle la femme refuse de voir qu'elle est enceinte. Le déni de grossesse, stricto sensu, concerne une femme qui, à sept mois, ignore totalement qu'elle est enceinte. Le déni de grossesse est à la limite de la psychose, et ce sont des cas rares.

En disant cela, je ne crois pas être en dissension avec mes collègues psychanalystes. Même Catherine Bonnet qui, au départ, évoquait beaucoup le déni de grossesse, reconnaît maintenant volontiers qu'il y en a très peu. Je respecte parfaitement le droit d'une femme de ne pas être mère, mais il faut l'aider.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ajouterai qu'il faut l'aider à ce moment-là, car elle peut être mère plus tard.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Je ne comprends pas pourquoi on particularise l'accouchement sous X. Les femmes peuvent très bien accoucher sous leur nom, ce qui est un acte digne, et puis dire qu'elles ne peuvent garder l'enfant. A l'heure actuelle, personne ne les juge pour cela. Tous ces arguments sur l'accouchement sous X me semblent spécieux du fait qu'il s'agit de mères qui ne veulent pas garder leur enfant.

Encore une fois, le droit de ne pas être mère est une mesure de santé publique. Il est préférable que la mère ne garde pas l'enfant si elle n'en veut pas plutôt que d'être malheureuse toute sa vie et de rendre l'enfant malheureux. Je suis loin d'être une fanatique de l'idée que le sentiment maternel s'éveille avec la grossesse ; ce n'est pas vrai. Certaines femmes enceintes expriment, pendant toute leur grossesse, le fait qu'elles ne veulent pas de l'enfant.

Quant à la définition du deuil, d'un point de vue métapsychologique, c'est pouvoir faire un travail d'élaboration mentale à partir de traces qui existent. On a vu, malheureusement, par exemple dans la Shoah, des cas dramatiques et nombreux de deuils pathologiques de descendants d'enfants de personnes qui ont été exterminés par la Shoah et qui sont morts sans laisser de trace. Un travail est effectué pour reconstituer les listes et avoir des noms. Quand un enfant sait que son père est mort à Auschwitz, il peut enfin se dire qu'il ne rentrera plus, car certains les ont attendus pendant vingt ans. Retrouver un nom sur une liste, un numéro dans un camp sont des traces qui peuvent éventuellement permettre de faire une tombe ou une plaque dans un cimetière et reconstituer une date probable de décès. C'est un exemple tragique, mais qui montre à quel point le deuil ne peut pas se faire à partir de rien.

De la même façon, j'ai essayé de montrer que, dans la procréation médicalement assistée, on peut difficilement faire le deuil de la paternité du donneur, car le donneur est réduit à une paillette de sperme, avec un numéro qui ne signifie rien. La trace, dans ce cas, c'est le nom de la femme qui a porté l'enfant et accouché.

Or, l'accouchement sous X, c'est un abandon anonyme. L'enfant, né de rien, ne peut faire ce travail de deuil, pas plus que la mère. J'ai vu certaines mères se demander si elles avaient vraiment accouché, si elles n'avaient pas rêvé.

S'agissant des éléments non identifiants de la « loi Mattei », il me semble que c'est une fausse bonne solution. Certes, c'est une meilleure solution car, à partir de maintenant, les travailleurs sociaux sont beaucoup plus informés du fait qu'il faut demander le maximum de renseignements non identifiants aux femmes enceintes qui ne veulent pas garder l'enfant. Mais cette loi n'est pas rétroactive, comme aucune loi d'ailleurs.

Néanmoins, les enfants ne se contentent pas de renseignements non identifiants, c'est à dire savoir si leur mère était blonde ou brune... Ils veulent savoir son nom, car cela leur permet déjà de trouver leur origine. Le nom peut être de consonance étrangère. Il est déjà porteur d'une histoire. Je trouve que les renseignements non identifiants sont même pires et pervers. C'est un peu comme de montrer une photo et de cacher le visage tout en laissant deviner la silhouette.

Ces renseignements non identifiants semblent laisser croire que l'on veut dire quelque chose, mais pas le vrai nom, qui reste sous clé dans un dossier, quelque part à l'hôpital. Quelques spécialistes y ont accès, mais pas l'enfant. Comment éviter alors que ne flambent des fantasmes de type paranoïde quand l'enfant, qui peut avoir quarante ou cinquante ans, se trouve face à quelqu'un qui lui dit que, dans son intérêt ou dans celui de sa mère de naissance, il ne peut rien lui dire. Le projet de loi de Mme Ségolène Royal va cependant plus loin que la "loi Mattei", au sens où cette possibilité de conservatoire existe.

S'agissant du père, une amorce de solution peut être de recourir au système de la loi de 1966, à savoir de filiation connue mais non établie quand la mère ne veut pas garder l'enfant. En effet, dans le système de la filiation connue, la mère donne son nom. Si elle est mariée, la question du père ne se pose pas. Si elle ne l'est pas, on le lui demande.

En principe, la mère rencontre des travailleurs sociaux et des sages-femmes à plusieurs reprises, qui lui disent que, dans le cadre de l'accouchement sous X, il peut être intéressant de donner le nom de l'identité du géniteur, même s'il n'est pas au courant, en lui expliquant que l'enfant aura accès à ces informations à sa majorité. Certaines ne le feront pas, d'autres le feront.

Le droit nordique, à commencer par le droit belge, autorise une recherche en identité paternelle, à laquelle je ne suis pas très favorable. Je pense que la différence entre le père et la mère, c'est qu'elle a porté l'enfant pendant neuf mois, alors que le père peut n'avoir eu qu'une histoire totalement éphémère et non signifiante avec la mère. Quand cela est possible, il est effectivement préférable de connaître l'identité du père de naissance, mais à l'impossible nul n'est tenu.

La théorie psychanalytique du deuil se fait au travers de traces. Quand une femme perd son conjoint ou un parent, les habits du mort restent dans la penderie, parfois pendant de longues années, puis un jour elle s'en débarrasse. Le travail de deuil est un travail que chacun fait individuellement, à partir de traces que l'on prend ou que l'on rejette, avec toute l'ambivalence que cela représente.

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