ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 41

Mardi 18 septembre 2001
(Séance de 15 heures)

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

SOMMAIRE

 

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- Auditions sur la proposition de loi de M. François Colcombet (n° 3189) relative à la réforme du divorce :

Me Marie-Elisabeth Breton, avocate au barreau d'Arras

M. Norbert Rouland, membre de l'Institut Universitaire de France, professeur de droit à l'Université d'Aix-Marseille III

Mme Brigitte Grésy, chef du service des droits des femmes au ministère de l'emploi et de la solidarité

Mme Yvonne Flour, professeure de droit privé à l'Université de Paris I

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Me Marie-Elisabeth Breton, avocate au barreau d'Arras.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Me Marie-Elisabeth Breton, avocate au barreau d'Arras, qui a déjà été auditionnée par M. François Colcombet sur la réforme du divorce. Votre longue expérience d'avocate et de praticienne du droit à Arras, auprès de milieux les plus divers, notamment de milieux défavorisés, nous intéresse particulièrement.

Croyez-vous que la nouvelle procédure simplifiée de divorce, qui refuse le recours à la notion de faute, soit en contradiction avec une conception solennelle du mariage, ensemble de devoirs et d'obligations qui s'imposent aux conjoints ?

L'article 9 de la proposition de loi modifiant l'article 267 du code civil, qui prévoit l'octroi de dommages et intérêts en cas de préjudice matériel ou moral pour fautes caractérisées, vous paraît-il suffisant pour intégrer, dans la motivation du préjudice subi par l'un des conjoints, la souffrance de ce conjoint et la notion d'une reconnaissance - puisque telle est bien la question qui est posée - de l'injustice subie, d'ordre peut-être symbolique, mais qui apporterait une satisfaction morale ?

Dans les cas de violences conjugales, les procédures actuelles vous paraissent-elles suffisantes pour établir un lien rapide entre la plainte et la procédure du divorce?

Les femmes, dans ces situations, sont-elles suffisamment protégées par la loi ? Quelles améliorations suggérez-vous ?

Comment voyez-vous, l'articulation de la nouvelle rédaction de l'article 267 avec la mise en _uvre de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale ?

Comment concevez-vous, enfin, le rôle de la médiation, avant la procédure, pour favoriser les accords conjugaux ou parentaux, puis, dans le cadre de la procédure, lorsqu'elle est initiée par le juge et son articulation avec le rôle des avocats. Peut-elle être obligatoire ou le juge peut-il, pour le moins, enjoindre ou proposer au couple de rencontrer un médiateur ?

Me Marie-Elisabeth Breton : Je voudrais me présenter en expliquant quel a été mon parcours. Je suis installée depuis plus de vingt ans en plein c_ur des mines. J'ai donc choisi volontairement d'exercer une justice de proximité, ce qui suppose une autre démarche intellectuelle que de s'installer à Paris intra muros.

A partir de ce choix, la population que je peux rencontrer est une population différente, avec des problèmes d'ordre économique, intellectuel - puisqu'elle souffre largement d'analphabétisation -, d'ordre social en raison du chômage et d'une parité entre hommes et femmes qui est véritablement en devenir.

Vous me permettrez de dire un mot sur mes méthodes de travail, car de nombreux points de la proposition de loi de M. François Colcombet ne prennent pas en compte le fait que, depuis des années, des hommes et des femmes avocats, ont choisi, comme moi, d'abord de se spécialiser en droit des personnes, ensuite de suivre une démarche où ils vont vers le justiciable. Cette démarche intellectuelle se situe à l'inverse de ce qui était l'usage dans le passé, quand tous les avocats s'installaient comme des mouches autour du tribunal.

J'ai toujours considéré qu'il est essentiel pour l'avocat d'être proche du citoyen et au c_ur de la cité. C'est dans cet esprit que j'ai vécu et que je vis ma profession. Je l'envisage peut-être comme un sacerdoce.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comme une mission.

Me Marie-Elisabeth Breton : Disons donc comme une mission pour éviter toute connotation religieuse - encore qu'avec le terme de mission, on en reste assez proche. Il n'en demeure pas moins qu'en fonction de tout cela, la proposition de loi de M. François Colcombet m'interpelle.

J'ai participé pendant un an à la commission de Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, qui, après le rapport de Madame Irène Théry, se devait de faire des propositions de nouveaux textes dans une démarche de réforme globale du droit de la famille.

Cette démarche globale m'apparaissait essentielle.

Malheureusement, pour des raisons qu'il ne m'appartient pas aujourd'hui d'apprécier, même si je les déplore, cette réflexion globale sur le droit de la famille, qui impliquait évidemment une réflexion éthique et sociétale, n'a pas eu lieu. Des réformes ont été proposées par bribe... qui la prestation compensatoire, qui l'autorité parentale, qui la filiation, etc... et aujourd'hui le divorce.

Intellectuellement, cette démarche n'est pas très satisfaisante et ne va certainement pas aboutir aux mêmes conclusions et aux mêmes textes que si l'on avait mené la réflexion de manière globale.

S'agissant toujours de la commission Dekeuwer-Défossez, j'avais été personnellement déçue de la mission qui nous avait été à l'époque confiée par Madame la Ministre Elisabeth Guigou, car finalement elle ne nous permettait pas de réfléchir sur ce qui, à mon sens, aurait été très intéressant, à savoir une réflexion concubinage-mariage. Nous serions obligatoirement parvenus à conforté le concubinage et à poser le problème de l'adoption par les concubins, toutes natures de concubinage confondues. De même, nous aurions conforté le mariage, puisque nous aurions offert le choix entre le concubinage, quelle qu'en soit sa nature, et le mariage.

Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec un texte qui, à la première lecture, peut être intellectuellement satisfaisant, mais qui se révèle l'être beaucoup moins à la deuxième et à la troisième lectures.

C'est un texte qui me semble intellectuellement ne pas aller au bout, tant en ce qui concerne la déjudiciarisation, qu'en ce qui concerne le divorce pour faute.

En raison du PACS, on n'a pas pu déjudiciariser le divorce. Pourquoi ? Parce que finalement nous nous serions, en quelque sorte, tous retrouvés pacsés, la rupture du PACS intervenant devant le tribunal d'instance et celle du divorce devant le tribunal de grande instance.

Depuis une dizaine d'années il est "tendance" de proposer des réformes qui correspondent à ce qui se passe au Québec, en Suède ou en Norvège.

Difficile pourtant d'appliquer en France les règles existant dans ces pays... D'abord parce qu'il s'agit de pays anglo-saxons et protestants, alors que la France est un pays latin et judéo-chrétien. Par ailleurs, lorsqu'on parle de déjudiciarisation, telle qu'elle peut exister en Suède et en Norvège, il me semble important de rappeler qu'il ne s'agit pas d'une véritable déjudiciarisation, puisque, pour des raisons historiques, on a donné à l'administration des pouvoirs de juge.

Lorsque M. François Colcombet vient dire : "pas de divorce sans juge", on peut cependant s'interroger sur le rôle du juge dans sa réforme.

Il n'est plus juge, il ne tranche pas. Il est en réalité le juge qui constate la rupture et l'accord ou le désaccord sur les mesures qui en sont les conséquences.

Il devient le juge du temps : il peut renvoyer à plusieurs reprises les parties afin qu'elles arrivent à un accord. Au bout d'un certain nombre de mois, il constate la rupture. Il n'est plus le juge qui dit le droit, la norme devenant la médiation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le juge ne se contente pas de constater : selon l'article 2 de la proposition de loi, dans le cadre du consentement mutuel, il homologue ou refuse les conventions. Il a donc aussi pour mission de s'assurer des rapports de force à l'intérieur du couple et du fait que la convention préserve les intérêts de chacun.

Me Marie-Elisabeth Breton : Oui, mais on sait parfaitement que c'est symbolique. Comment les choses se passent-elles en matière de consentement mutuel ?

C'est le travail préalable de l'avocat qui va véritablement permettre de vérifier s'il y a un consentement ou non ; lorsqu'il n'y en a pas, on renvoie les personnes vers un conseiller conjugal ou un médiateur avant de se déterminer pour contractualiser leur rupture.

En matière de consentement mutuel, n'ayant pas les dossiers avant l'audience, le juge ne peut pas appréhender en quelques minutes l'équité d'une convention. Ce travail relève, par conséquent, de la responsabilité de l'avocat, le juge se limitant à homologuer, à constater qu'il y a un accord sur le principe du divorce et, dans le cadre du consentement mutuel, à homologuer les conventions, ne renvoyant que rarement à un délai ultérieur. D'ailleurs, il ne peut pas renvoyer sur tout. Il le peut lorsque les intérêts de l'enfant ou des enfants ne sont pas suffisamment protégés.

M. François Colcombet ne supprime pas la conciliation, mais il en fait, en quelque sorte, un passage obligé, alors qu'il conviendrait au contraire, de conforter le juge en tant que conciliateur.

En province, le juge aux affaires familiales prend le temps de recevoir les gens qui divorcent. En ce sens, je dirai qu'il est le médiateur naturel, alors que, dans la proposition de loi de M. François Colcombet, on est dans une pré-déjudiciarisation, dans la mesure où il fait du juge un "juge constat", ce qui n'est pas une démarche totalement innocente.

Il sera facile de passer de ce juge à une administration qui viendra valider le divorce par simple tampon...

Cette démarche répond à certains objectifs : en sortant du Palais le contentieux familial, on évite d'augmenter le nombre de magistrats, ce qui permettrait au juge aux affaires familiales d'avoir le temps d'être un véritable conciliateur en province comme à Paris.

Il est un autre aspect de cette démarche qui me gène. On a en France la possibilité de vivre en concubinage, de se pacser, de se marier. Ce sont des choix différents qui apportent certains droits, mais qui comportent également certaines obligations. Lors de la rupture, le choix que l'on a fait doit entraîner la sanction des obligations nées de ce contrat.

Or, il y a quelque chose qui ne va pas : après dix ou quinze ans de concubinage, une femme, qui se retrouve abandonnée, peut parfaitement demander des dommages et intérêts. Dans la proposition de M. François Colcombet, la femme mariée abandonnée est dans la même situation.

Quelle est aujourd'hui la différence entre le mariage et le concubinage ?

Avant de réformer le divorce, il faut peut-être réformer le mariage.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et l'article 212 du code civil, qui apparaît assez désuet, du moins dans sa formulation.

Me Marie-Elisabeth Breton : Les obligations nées du mariage sont complètement désuètes. Il faut retoiletter tout cela.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je pense que les termes "fidélité, secours et assistance" ont eu un sens en leur temps, mais qu'ils en ont un autre aujourd'hui et je ne suis pas certaine que l'on s'accorde aujourd'hui sur le sens qu'ils avaient il y a quelques années, pas plus que je ne suis sûre que les obligations dans leur ensemble soient inscrites dans les quatre articles découlant de l'article 212.

Me Marie-Elisabeth Breton : Pour en revenir un instant à la déjudiciarisation, je dirai que si l'on veut s'engager dans cette démarche, il convient de mener également une réflexion sur la carte judiciaire, sur le rôle des juges, des tribunaux.

En effet, on observe, dans les pays où il y a déjudiciarisation, que l'institution judiciaire n'est pas du tout celle qui existe actuellement en France. Il faut donc tout repenser.

Lorsqu'une réflexion avait été engagée, il y a quelques années, sur la carte judiciaire, - elle ressort de temps en temps et retourne aux oubliettes aussi rapidement - j'étais favorable à une réforme de ladite carte, car je pense que les tribunaux, tels qu'ils sont à l'heure actuelle, ne peuvent plus fonctionner utilement et ne correspondent plus à l'attente du justiciable.

J'avais donc proposé que soit envisagé, en dehors du tribunal de grande instance, un tribunal de la famille, qui aurait regroupé tout ce qui concerne la famille. Au-delà, j'aurais même souhaité que ce tribunal soit une sorte de lieu d'accueil des gens rencontrant des difficultés d'ordre familial, qu'ils soient mariés, pacsés ou qu'ils vivent en concubinage, et qu'au sein de cette entité on puisse prévoir des consultations de psychologues, de médiateurs, de conseillers des caisses d'allocations familiales pour aider à mieux remplir les papiers, d'avocats, de représentants des H.L.M. pour régler les gros problèmes qui existent au niveau des loyers, etc...

J'imaginais, en fait, un endroit où l'on aurait pu régler de très nombreux problèmes.

M. Patrick Delnatte : Dans le passé, certaines régions de France étaient dotées de "maisons de la famille".

Me Marie-Elisabeth Breton : C'est un peu l'esprit de ma démarche.

Lorsque Mme Christine Lazerges a élaboré son rapport sur les mineurs et l'enfance délinquante, elle évoquait les maisons des parents, qui auraient très bien pu s'intégrer dans ce type de structures.

Moi qui suis avocate de proximité, je peux vous dire que mon premier rôle consiste à faire du remaillage social. Il faut donc repenser tout cela.

Concernant le divorce pour faute, la proposition de M. François Colcombet veut, dans une démarche généreuse, faire en sorte que les choses se déroulent le mieux possible et cela dans l'intérêt des enfants. Sur ce point, nous sommes, intellectuellement, tous d'accord. Reste que M. François Colcombet, dans sa proposition, n'est pas du tout en phase avec les réalités de terrain, ni même, allais-je dire, avec les réalités juridiques.

On peut, depuis un arrêt de la Cour de Cassation, déposer des requêtes sans énonciation des griefs : on indique qu'il existe des difficultés relationnelles incompatibles avec le maintien de la vie commune. On va donc devant le juge dans une démarche de totale conciliation. Qu'observe-t-on alors ? Que justement, parce que l'on a pas agressé l'autre par des griefs qui sont plus ou moins existants, on arrive dans 80 % ou 90 % des cas à se concilier sur l'organisation de la vie des enfants.

Par conséquent, lorsque M. François Colcombet vient faire état des difficultés concernant les enfants, je réponds que ces dernières existent rarement dans le cadre des procédures de divorce, alors qu'elles sont, en revanche, très nombreuses dans les cas de rupture de concubinage. C'est cela la réalité de terrain et on ne l'imagine pas.

Il conviendrait peut-être d'ailleurs en matière de médiation, d'envisager une médiation pour les ruptures de concubinage.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quand il y a enfant ?

Me Marie-Elisabeth Breton : Oui.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est tout à fait envisagé dans le cadre du projet de loi relatif à l'autorité parentale, quel que soit le statut des parents - cela rejoint une de vos réflexions initiales - qu'ils soient mariés, pacsés, qu'ils vivent en concubinage, ou qu'ils ne soient liés par aucun statut. Il y a, dans tous ces cas, passage devant le juge, éventuellement médiateur en cas de conflit.

Me Marie-Elisabeth Breton : Concernant le divorce pour faute, je trouve que le texte n'est pas, non plus, complètement abouti. S'il considère qu'en fait, il faut complètement supprimer la notion de faute, il doit aller jusqu'au bout de la démarche et supprimer la possibilité offerte d'évoquer les motifs de faute et éventuellement supprimer les dommages et intérêts. La proposition qui nous est soumise n'est pas satisfaisante, parce qu'elle ne correspond pas à ce qui se passe sur le terrain. Il faut savoir que nous sommes face à des femmes qui ont du mal à faire la démarche de venir voir un avocat. C'est déjà très difficile pour elle de sonner à la porte d'une étude d'avocat, de prendre rendez-vous et de se trouver face à lui. Cela suppose qu'elles se préparent à rencontrer quelqu'un qu'elles ne connaissent pas, à se déshabiller moralement devant cette personne, à lui raconter un morceau de leur vie, ce qui n'est pas évident.

Cela est encore plus difficile pour des femmes qui ont eu à connaître des violences physiques ou psychologiques. C'est certainement chez ces femmes là qui, pendant des années, ont vécu dans le non-dit que l'on rencontre les plus terribles difficultés d'expression. Il y a un non-dit très important.

Lorsqu'en matière de violences physiques et psychologiques, il y a une évidente nécessité de rompre le lien conjugal, je sais que ces faits ne seront pas complètement exprimés. Aussi, je propose aux femmes d'acheter un petit cahier d'écolier et d'y écrire leur histoire en décrivant tout ce qu'elles ont pu subir, de façon à ce qu'elles y trouvent un exutoire psychologique. A la fin du rendez-vous, je leur indique qu'elles pourront, lors de la rencontre qui suivra, me remettre leur petit cahier d'écolier, que nous ne parlerons pas forcément de ces souffrances qu'elles auront pu subir, mais qu'entre nous au moins elles auront été dites.

Personnellement, quand quelqu'un vient me voir, indépendamment de la nature du divorce qui peut être envisagée, je m'efforce avant tout de le mettre en face de ses responsabilités par rapport aux enfants.

Que lit-on dans ces petits cahiers d'écolier ? Très souvent des récits de violences subies pendant l'enfance, concernant parfois des violences sexuelles, et des tas de souvenirs complètement enfouis par des femmes, qui, dès l'enfance, ont accepté une certaine forme de domination et qui ne sont pas capables de s'en sortir.

Dans la proposition de M. François Colcombet, la reconnaissance de l'état de victime se trouve complètement gommée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non. Il ne s'agit pas de la gommer : qu'il y ait une contradiction dans le texte et une difficulté à concilier la suppression du divorce pour faute et la reconnaissance du préjudice, je peux vous l'accorder, mais dans le texte actuel, qui pourra être amendé par la suite, figure déjà la reconnaissance de la faute à l'article 9 de la proposition de loi qui modifie l'article 267 du code civil : "Un époux peut demander des dommages-intérêts s'il justifie d'un préjudice matériel ou moral consécutif à des fautes caractérisées". L'une des erreurs consiste d'ailleurs, selon moi, à reprendre le terme de "fautes".

Me Marie-Elisabeth Breton : Pensez-vous que des dommages-intérêts peuvent venir se substituer à une véritable reconnaissance ?

C'est le prix de la répudiation. La notion de dommages et intérêts dans les questions de divorce me choquent.

J'ajoute qu'il faut savoir qu'il y a bien longtemps que les magistrats ont abandonné cette notion, ce qui revient à dire que, pour pouvoir la faire revivre autrement que symboliquement, il faudra attendre un certain nombre d'années.

Je suis défavorable aux dommages et intérêts, je trouve qu'ils sont très choquants par rapport à la dignité même de la femme : nous ne sommes pas à vendre.

Nous demandons une reconnaissance de la faute et, lorsque M. François Colcombet dit que le divorce est prononcé, j'aurais souhaité que soit ajoutée la formule "aux torts exclusifs". En effet, c'est cela la reconnaissance : il n'y a pas besoin de motivation. Nous ne réclamons pas d'échanges d'attestations ou autres qui peuvent rester complètement en dehors du jugement qui va être écrit, comme c'est d'ailleurs le cas à l'heure actuelle, lorsque les gens acceptent un jugement sans motif, que ce soit un divorce aux torts partagés ou exclusifs, en application de l'article 248-1 du code civil.

Je trouve que cette reconnaissance est très importante.

Dans le cas où le demandeur est la femme qui est battue, il faut que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs. Dans le cas de celui qui engage la procédure en imposant d'une certaine façon à l'autre la rupture, il n'y a pas de raison de faire obstacle à ladite rupture. On ne va pas demander au demandeur de revenir six ans plus tard, mais nous demandons qu'il prenne ses responsabilités par rapport à la femme abandonnée. Quand une femme est abandonnée, après parfois trente ans de mariage, après avoir consacré sa vie à l'éducation des enfants, dans un système social où l'on souhaitait qu'elle ne travaille pas, que peut-elle faire quand elle se retrouve sans formation professionnelle, ayant perdu son statut social en perdant son mari ? Il y a quand même des réalités que l'on ne peut pas gommer en arguant qu'il y a la parité, que tout le monde travaille, a de l'argent : non, ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent dans la société et la réalité est très éloignée de tout cela. On espère que, grâce à vous, progressivement, elle va s'en rapprocher, mais pour l'instant la réalité est différente.

En conséquence, lorsqu'une femme se retrouve dans une telle situation, ce qu'elle demande, c'est qu'il y ait une reconnaissance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je me demande s'il ne faut pas motiver la violence. On ne peut pas, d'un côté, dénoncer l'insécurité prétendument grandissante, mener des campagnes contre les violences conjugales et familiales sans, en même temps, que la société dise, même si aujourd'hui on travaille sur un mariage qui est plus contractuel qu'institutionnel, ainsi que vous l'avez souligné, qu'il y a une dignité de la personne sur laquelle elle ne passera pas.

Je ne sais donc pas s'il ne faut pas énoncer des motifs, notamment quand il s'agit de manquements au respect de la dignité de la personne du fait de violences physiques ou morales envers la femme ou envers les enfants.

M. Patrick Delnatte : Concernant les violences physiques, je peux le comprendre, mais si on pense aux violences morales, on retombe dans un système complexe. Je suis d'accord avec vous, mais c'est souvent lorsqu'on introduit l'adjectif moral - violence physique ou morale, préjudice matériel ou moral - que l'on retombe dans la notion de faute. La dignité de la personne, c'est à la fois son intégrité physique et son intégrité morale, donc l'aspect moral renvoie forcément à des valeurs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes bien d'accord.

La difficulté de l'exercice tient pour partie au fait que nous avons une volonté d'assainir et d'apaiser les procédures, tout en ayant à l'esprit une référence à une notion de faute qui nous vient historiquement de l'indissolubilité du mariage. Alors que nous ne sommes plus dans ce débat, nous portons derrière nous, comme un fardeau, cette notion de divorce pour faute, qui est très connotée à tout ce qui a été la conquête du divorce demandé par les femmes pendant un siècle et demi et aujourd'hui exercé par elles à hauteur de 70 %.

En même temps qu'il y a cette culpabilité par rapport au fait de divorcer, qui est inscrite dans la notion de divorce pour faute, se manifeste une exigence de justice par rapport à un certain nombre d'actes.

Nous nous livrons donc à un exercice qui, je le reconnais, est difficile, puisqu'il tend à distinguer ce qui relève, d'une part de la culpabilité et de l'héritage judéo-chrétien, auquel vous faisiez allusion, d'autre part d'une réalité de couple, où un certain nombre de faits ont été exercés à l'encontre de la dignité de la personne.

Me Marie-Elisabeth Breton : Je ne suis pas sûre que, pour les femmes battues, il soit important que le jugement soit motivé. Ce qu'elles veulent, c'est que le divorce soit prononcé aux torts de l'autre, parce que, pendant vingt ans, parfois plus, elles ont été battues sans rien dire. Elles vont venir chez l'avocat sans un seul certificat médical, pour n'avoir même pas osé faire constater les violences, et c'est l'avocat qui, souvent, va la pousser à entreprendre cette démarche. Finalement, dans bien des cas, on se retrouve avec des certificats relativement récents. A la limite, l'adversaire et même le juge peuvent imaginer que l'on a construit une histoire, alors que le vécu intime de la personne reste ignoré, parce qu'elle n'a jamais osé en parler.

A partir du moment où une femme battue a pu avoir un exutoire - au-delà de mon petit cahier, je pense à une véritable relation avec son avocat lui ayant réellement permis de s'exprimer sur le sujet - elle a déjà reçu une forme de reconnaissance de sa situation de victime et elle n'attend plus que la reconnaissance du juge. Les gens ne demandent pas autre chose.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Donc que ce soit bien inscrit dans le jugement de divorce ?

Me Marie-Elisabeth Breton : Qu'il soit inscrit que le divorce est prononcé aux torts de l'autre. C'est ce que demandent les femmes. Elles ne demandent pas qu'on dise qu'elles ont été battues : à la limite, c'est une chose qu'elles préféreraient gommer de leur histoire pour pouvoir repartir et se restructurer autrement. En revanche, la reconnaissance de la faute par le tort exclusif, c'est ce qui est structurant et susceptible de leur permettre de redémarrer, parce que le fait de signifier les torts de l'autre constitue une forme de reconnaissance sociale.

De plus en plus, les gens souhaitent que les motifs ne soient pas énoncés. M. François Colcombet propose un texte en totale contradiction. Il déclarait qu'il était affreux que les enfants retrouvent dans les tiroirs des commodes les jugements de divorce des parents. Cependant, il propose de maintenir la possibilité pour le juge de motiver, si cela lui est demandé. Je pense que les enfants qui ont vu leur mère battue n'ont pas besoin de lire le jugement de divorce pour que le traumatisme reste, éventuellement d'ailleurs au point qu'ils vont le réitérer dans leur vie personnelle : il y a toute une problématique à ce sujet.

Il est nécessaire qu'il y ait une reconnaissance. Or, le texte de M. François Colcombet propose une fausse reconnaissance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sur ce point, nous sommes d'accord, le tout est de savoir comment faire.

Me Marie-Elisabeth Breton : Je propose de rédiger l'article 240 de la façon suivante : "Le juge aux affaires familiales se limite à constater, dans les motifs du jugement, le divorce sans avoir à énoncer les faits invoqués par les parties. Le divorce peut être prononcé aux torts exclusifs".

M. Patrick Delnatte : C'est la proposition de la commission Dekeuwer-Défossez.

Me Marie-Elisabeth Breton : Ayant travaillé pendant un an et auditionné pas mal de personnes, vous pourriez aussi tenir compte de nos travaux.

M. Patrick Delnatte : Vous avez raison.

Me Marie-Elisabeth Breton : De la rédaction proposée par M. François Colcombet, je retrancherai le premier membre de phrase : "sauf demande contraire des conjoints" qui renvoie, lui aussi, à une notion de faute. On demande au juge de motiver, ce qui signifie qu'on va être dans une communication de pièces parfois sordides qui ouvre la porte à tout.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : De toute façon, on n'y échappera pas, s'il faut prouver la violence.

M. Patrick Delnatte : C'est la question que je me pose. Je comprends très bien votre point de vue, mais si l'on veut une procédure apaisée - ce qui est quand même l'objectif - comment peut-on maintenir la faute ? Concrètement, que faut-il apporter pour prouver la faute ?

Me Marie-Elisabeth Breton : On va éventuellement communiquer au juge des certificats, des attestations de personnes ayant vu une femme couverte d'ecchymoses, comme j'ai pu en voir.

M. Patrick Delnatte : Ne convient-il pas de resserrer la preuve de la faute sur des choses plus limitées ?

Me Marie-Elisabeth Breton : Que voulez-vous dire ?

M. Patrick Delnatte : Actuellement, l'abus de la preuve s'accompagne d'un peu de comédie : comment l'éviter pour en rester à l'essentiel et aboutir à une procédure apaisée ? Je vous pose cette question, étant précisé que je suis favorable au maintien de la faute.

Me Marie-Elisabeth Breton : Actuellement, les procédures sont de plus en plus apaisées.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas ce que disent les juges et les avocats de ma région.

Me Marie-Elisabeth Breton : S'il n'y a pas de reconnaissance du tort exclusif, en cas de violence psychologique ou physique, le divorce sera prononcé, mais ce manque de reconnaissance va se retrouver en permanence à travers des procédures, notamment concernant les enfants. En pensant que l'on apaise, en réalité, on va déplacer le contentieux.

Il faut donc qu'il y ait obligatoirement une reconnaissance de la faute, car c'est elle qui est de nature à apaiser tout, même s'il n'y a ni motifs, ni dommages et intérêts.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : De toute façon, la moitié des personnes qui divorcent n'ont pas les moyens de payer des dommages et intérêts.

Me Marie-Elisabeth Breton : Dans la moitié des cas, la démarche effectivement n'aboutit pas, mais l'on se retrouve, non seulement dans une bagarre qui fait renaître la faute, mais avec une connotation financière, qui me paraît tout à fait choquante par rapport à la dignité de la femme.

M. Patrick Delnatte : Et la prestation compensatoire, vous la maintenez ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'un des avantages de la proposition de M. François Colcombet, c'est que, comme elle supprime les torts exclusifs, la prestation compensatoire peut être versée quel que soit le cas, alors qu'aujourd'hui elle ne peut pas l'être lorsqu'il y a torts exclusifs.

Me Marie-Elisabeth Breton : Ce point avait été modifié par la commission Dekeuwer-Défossez, parce que l'on considérait qu'il fallait une dichotomie entre les torts du divorce et la prestation compensatoire, ce qui me paraît logique. En effet, il peut y avoir un grand nombre d'années de vie commune, des situations où il n'y a pas de retraites, toutes choses qui n'ont rien à voir avec les torts et qui doivent être compensées et rééquilibrées par une prestation. Il suffit de préciser que le divorce, même prononcé aux torts exclusifs, n'entraîne pas l'échec du versement d'une prestation, de même qu'il n'entraîne pas la suppression des donations, ce que M. François Colcombet a également prévu, à très juste titre, à mon sens.

Pour me résumer, je dirais que c'est un texte, qui justifie d'être amendé. Il faut aller au bout de la démarche. Quand j'ai demandé à voir les articles de procédure, on m'a répondu qu'ils étaient d'ordre réglementaire. Il n'en reste pas moins qu'il serait tout de même intéressant de voir comment tout cela s'articule, car nous sommes dans un flou juridique d'autant plus grand que le texte comporte un certain nombre de contradictions.

Par ailleurs, il est un point qui me choque à l'article 7 selon lequel, lorsque l'on passe devant le juge, on peut prononcer le divorce, si les époux sont d'accord. J'ai demandé à M. François Colcombet si cela signifiait que le divorce était prononcé immédiatement, ce à quoi il m'a répondu par l'affirmative. Dans ce cas, il s'agit d'un "divorce Las Vegas".

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui et c'est d'ailleurs en contradiction avec l'article 2.

Me Marie-Elisabeth Breton : Et également avec la démarche de M. François Colcombet quand il dit qu'il faut prendre du temps et accorder des délais de réflexion. En outre, l'un des conjoints peut se trouver sous la domination de l'autre et donc, dans un état de faiblesse, se voir imposer, en disant qu'il est d'accord, d'aller devant le juge qui constatera : ce sera encore un divorce "Las Vegas". Ce n'est pas acceptable, car cela va à l'encontre de toute cette démarche de maturité et de maturation par rapport au conflit conjugal.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comme il maintient la procédure existante du consentement mutuel et qu'il crée le divorce pour cause objective ou pour rupture irrémédiable, quand pourra-t-on avoir affaire d'un commun accord à la pratique de la rupture irrémédiable ? Uniquement quand les époux seront d'accord pour divorcer, mais qu'ils n'auront pas réglé les conséquences du divorce ? C'est la seule différence que je vois par rapport au divorce par consentement mutuel, pour lequel il faut être d'accord sur tout.

Dans ces conditions, le juge, à mon avis, ne peut pas immédiatement prononcer le divorce, dans la mesure où il ne peut pas régler la question du divorce sans en régler les conséquences et faire travailler le couple sur l'aspect matériel des choses. Ce cas ne s'exercera donc que très rarement.

Me Marie-Elisabeth Breton : Le problème de M. François Colcombet, c'est qu'il a fait un "tutti fruti". Il a conservé le consentement mutuel, supprimé la demande acceptée, qu'il fait finalement rentrer dans le nouveau système et il a supprimé la rupture de vie commune, qu'il reprend avec un délai de trois ans.

Personnellement, je pense qu'il faut conserver au maximum les procédures amiables et je trouve dommageable que l'on ait supprimé la demande acceptée, qui me paraît être la meilleure des formules.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, mais elle est très peu pratiquée selon les pourcentages dont nous disposons et qui nous viennent de la chancellerie.

Me Marie-Elisabeth Breton : Ces pourcentages sont faux et je vais vous expliquer pourquoi.

Pour avoir été présente au moment où ce travail a été effectué, je peux vous dire, d'abord que cette étude était réalisée à partir de statistiques de 1994, et le rapport a été déposé en 1999, au moment où se déroulait la commission sur le droit de la famille. On nous avait demandé notre opinion sur ledit rapport, mais comme nous n'en avons eu connaissance que peu de temps avant sa publication, il était trop tard pour faire nos observations.

A la lecture du document, vous constaterez, d'ailleurs, que les statistiques sont erronées, puisqu'elles intègrent dans le divorce pour faute tout ce qui relève de l'article 248-1 qui constitue une passerelle vers une procédure à l'amiable. Ce ne sont pas des statistiques affinées et elles ne correspondent pas à l'évolution de ces couples, qui démarrent sur l'idée du divorce pour faute, mais finissent par s'entendre ensuite sur les causes et les conséquences.

A cela vient s'ajouter le fait qu'il s'agit de statistiques qui font état d'une situation datant de 1994, alors que les esprits ont singulièrement évolué depuis lors : on n'aurait pas imaginé, en 1994, faire voter le PACS, la parité, etc... En matière de divorce, il en va de même. Au départ, les avocats étaient un peu craintifs par rapport à cette procédure de demande acceptée, puis ils se sont aperçus que c'était une bonne procédure. Pourquoi ? Parce qu'elle respecte totalement le contradictoire. Alors que l'on sait que souvent l'un des conjoints s'est fait tirer par le bras pour accepter le consentement mutuel, au point que je reçois toujours les intéressés de manière individuelle pour voir s'il y a un véritable consentement, en demande acceptée, l'un propose, l'autre répond et détaille les points sur lesquels il souhaiterait qu'un accord intervienne. On est donc dans un cadre de double aveu et le fait que chacun ait reconnu ses torts sert d'exutoire.

Lorsqu'il y a des difficultés au niveau d'une liquidation de communauté - dans le consentement mutuel, la seconde convention devant intervenir dans un délai maximum de neuf mois, il n'est pas toujours possible de liquider (exemple : vente de la maison) -, la demande acceptée évite de vendre en catastrophe, et donc souvent en bradant, ce qui a été le seul bien de communauté.

Pour toutes ces raisons, les demandes acceptées se multiplient et c'est ce qui me conduit à dire qu'il faut conserver cette formule.

Je serais favorable au maintien du consentement mutuel avec la proposition que nous avions faite, qui correspond à une réalité de terrain, c'est à dire réduire les formalités à un seul passage devant le juge au lieu de s'ennuyer à attendre neuf mois quand on s'est mis d'accord sur tout et que l'avocat, avant que d'établir les conventions, a renvoyé ses clients à réfléchir sur l'opportunité d'un divorce. Pour ce qui me concerne, je ne démarre jamais une procédure avant d'expliquer aux parties comment les choses fonctionnent, quelle est leur responsabilité par rapport aux enfants et sans les avoir renvoyées à une réflexion ou à un conseiller conjugal, quand j'estime que leur problème relève plus de la difficulté de communication et ne justifie pas forcément un divorce.

En ce qui concerne la médiation, les intentions de M. François Colcombet sont fort louables, mais il faut savoir que cette dernière ne fonctionne pas. Elle fonctionne peut-être à Paris, où elle commence à être rodée et où les magistrats commencent à y être sensibilisés, mais, en province, ses résultats sont, pour l'instant, nuls, ou quasiment nuls.

M. Patrick Delnatte : Elle existe quand même.

Me Marie-Elisabeth Breton : Vous voulez des pourcentages ? Il y a eu à Lille en deux ans environ neuf médiations familiales, ce qui signifie que le système n'est pas complètement au point.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas notre culture.

Me Marie-Elisabeth Breton : Effectivement, la médiation ne s'inscrit pas dans notre culture, mais elle peut s'y intégrer. Il faut donc travailler sur ce sujet. On ne peut pas faire des réformes sans avoir la sécurité qu'elles puissent s'appliquer. Si tel n'est pas le cas, on court à l'échec et cet échec conforte l'ancien système. Avant que d'envisager de mettre de la médiation partout, il convient de la mettre en place, de savoir à quoi elle sert, qui va être médiateur.

J'ai participé à une commission, créée à l'initiative de Mme Ségolène Royal, qui a permis de mesurer les difficultés que généraient la mise en place d'un tel système et son harmonisation avec les pratiques en vigueur. En effet, aujourd'hui tout le monde est médiateur : il y a un médiateur à la télévision, il y a un médiateur à la radio et, le terme étant complètement galvaudé, il convient d'abord de lui redonner un vrai sens.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente. Je crois que Mme Monique Sassier a bien _uvré en ce sens et que ce son rapport est remarquable.

Me Marie-Elisabeth Breton : Il est effectivement tout à fait intelligent. Pour autant, la médiation actuellement n'est pas au point. Je considère que la médiation, comme le conseiller conjugal, a sa place dans la procédure, mais, selon moi, en amont, au moment où le couple rencontre l'avocat et où ce dernier sent qu'il y a une possibilité de réconciliation ou d'accords sur un certain nombre de mesures.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ou une nécessité de clarification.

Me Marie-Elisabeth Breton : Pour ma part, j'observe que de nombreux divorces peuvent être "réussis", précisément parce que la démarche a inclus du temps pour la réflexion et pour s'interroger sur la question de savoir si c'était bien par le divorce que pouvait se régler la difficulté traversée par le couple. On ne doit pas divorcer un couple qui, comme c'est souvent le cas, souffre d'un manque de communication.

L'intervention du conseiller conjugal, voir du médiateur, doit donc se faire en amont, car une fois la procédure engagée, il est sinon trop tard, du moins un peu tard.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout dépend de quoi on parle : ce n'est pas vrai pour ce qui concerne les conséquences du divorce, c'est-à-dire la garde des enfants et les pensions, mais ça l'est pour la procédure elle-même.

Me Marie-Elisabeth Breton : Oui, dans ce cas c'est trop tard.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A cela près que l'une des grandes nouveautés de ce texte réside dans le fait qu'à partir du moment où l'un des deux conjoints commence à dire qu'il veut divorcer, la procédure est enclenchée. Dans ces conditions, comment fait-on pour éviter le sentiment d'humiliation ? L'avantage de la proposition de loi, c'est que l'on aura moins de faux accords dans le cadre du consentement mutuel et moins de pressions pour l'obtenir, ce qui assainit la situation. Cela suppose cependant que l'autre suive.

Nous sommes un certain nombre ici à traiter du divorce sans avoir jamais divorcé, mais dans l'idée que nous nous faisons et de la vie conjugale et du divorce, nous défendons un certain respect de l'autre et du fait qu'il accepte de mûrir sa décision pour arriver à un niveau de conscience qui soit identique à celui de son conjoint. A partir de là, nous considérons que la médiation - mais nous entrons peut-être ici dans une problématique qui relève plus du conseiller conjugal que de la médiation - est importante, y compris dans la procédure, parce qu'à un moment donné, l'un des conjoints va dire à l'autre : "maintenant, c'est terminé" et qu'il faut que l'autre comprenne. En même temps, je trouve que la formule a le mérite d'éclaircir les choses et de mettre un terme aux chantages.

Il faut absolument que l'autre comprenne. En effet, quand je discute avec les avocats, ils me disent qu'un nombre important de personnes ne comprennent pas pourquoi elles se retrouvent divorcées. Il y a donc un travail très important à réaliser en amont.

Me Marie-Elisabeth Breton : Oui, il est énorme et, à mon sens, c'est bien pourquoi les avocats ont un rôle important à jouer, car ils ont à mener une action structurante et pédagogique qui doit intervenir en amont.

Il n'en reste pas moins que le fait que l'autre puisse affirmer sa volonté de divorce et l'imposer justifie que l'on maintienne le prononcé du divorce aux torts exclusifs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ou encore que l'on reconnaisse le préjudice subi par celui qui se trouve abandonné.

Me Marie-Elisabeth Breton : Oui, c'est ce que je dis.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Certes, mais en assimilant cette reconnaissance aux torts exclusifs, ce qui me gêne c'est ce terme de "torts".

Me Marie-Elisabeth Breton : Je pense, moi, qu'il est psychologiquement structurant, surtout si l'on veut un divorce pacifié.

M. Patrick Delnatte : En réalité, on souhaite un divorce pacifié et responsable, ce qui renvoie à deux notions totalement différentes. La difficulté tient au fait que l'on veut créer un divorce responsable en éliminant la faute. Ce n'est pas facile et cela n'a rien à voir avec la question de l'indissolubilité.

Mme Yvette Roudy : C'est impossible. Tous les gens de ma connaissance, qui ont divorcé, ont vécu cette expérience comme une crise terrible. Certaines de mes amies qui l'ont envisagée en plein accord avec leur époux, bien décidées à rester en bons termes avec lui, m'ont raconté qu'on ne pouvait pas savoir ce que c'était que d'en venir à partager les meubles. Fatalement, on en arrive à la dispute et un divorce, c'est toujours un déchirement. Il est impossible de réagir en personnes civilisées et je trouve ce texte un peu utopique.

Me Marie-Elisabeth Breton : : Nous sommes bien d'accord sur cet aspect des choses.

Pour ce qui me concerne, je suis favorable au maintien de la demande acceptée et d'une procédure par consentement mutuel simplifiée.

Concernant le consentement mutuel, qui réintroduit un délai de réflexion de trois mois, il conviendrait de retravailler le texte et de préciser que la nouvelle convention doit être présentée dans un délai de neuf mois maximum.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'attire votre attention sur le fait que, dans ce cas, tout le travail réalisé, soit avec le médiateur, soit avec le conseiller conjugal, risque de se trouver bloqué.

J'aurai d'ailleurs une dernière observation à formuler. Vous avez déclaré que le divorce par demande acceptée était assez prisé d'un certain nombre de couples, dans la mesure où, s'il suppose la liquidation du régime matrimonial, il n'oblige pas à la vente précipitée des biens. Je vous ai bien comprise ?

Me Marie-Elisabeth Breton : Oui, car il ne fixe pas cette liquidation dans un délai de neuf mois comme dans le consentement mutuel, où on dépose une première convention qui organise la vie du couple pendant la procédure avec un projet de convention définitive. Dans le cas du consentement mutuel, il y a, de ce fait, un passage devant le juge pour une homologation des conventions provisoires, qui est suivi d'un délai de trois mois minimum, neuf mois maximum, au cours duquel peut être présentée la convention définitive, laquelle doit obligatoirement liquider la communauté. C'est là qu'il y a parfois blocage, en raison d'immeubles que l'on n'est pas parvenu à vendre ou autres problèmes susceptibles de faire capoter les choses et d'entraîner la caducité.

Si la formule de la demande acceptée doit, à mon sens, être maintenue, c'est justement parce qu'elle permet à la fois de trouver un accord sur les causes et les conséquences du divorce, sans pour autant devoir brader la communauté.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : De ce point de vue, la réponse de la proposition de loi est assez rigide, puisqu'elle s'étend même à la prestation compensatoire, qu'elle fixe à la liquidation du régime matrimonial.

Me Marie-Elisabeth Breton : De toute façon, la fixation de la prestation compensatoire s'intègre dans le jugement du divorce et n'a rien à voir avec la liquidation du régime matrimonial.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si, puisque nous proposons dans l'article 9 que le juge "peut également surseoir à statuer sur l'attribution d'une éventuelle prestation compensatoire, lorsque son principe ou son montant dépend du patrimoine des époux après liquidation du régime matrimonial". Une telle disposition vous paraît-elle saine ?

Me Marie-Elisabeth Breton : C'était une des propositions de la commission Dekeuwer-Défossez. Pourquoi ? Parce que certaines liquidations de communauté sont extrêmement compliquées. En la matière, le texte peut également être amélioré, puisqu'on va surseoir à statuer pour liquider définitivement la prestation compensatoire, ce qui va déjà permettre de fixer une provision à valoir.

La commission Dekeuwer-Défossez avait proposé que soit porté à la connaissance du juge un maximum d'éléments concernant l'actif de la communauté, afin de lui permettre de fixer avec justesse le montant de la prestation compensatoire versée sous la forme d'un capital. Cette idée est du reste reprise dans la proposition de M. François Colcombet.

Lorsqu'il s'agit d'une notion de capital, telle qu'elle est maintenant définie dans le nouveau texte, avec beaucoup de points qui, à mon avis, demanderaient aussi à être revus, on est obligé d'avoir une image précise de la future liquidation de communauté.

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* *

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu M. Norbert Rouland, membre de l'Institut Universitaire de France, professeur de droit à l'Université d'Aix-Marseille III.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Norbert Rouland, membre de l'Institut universitaire de France, professeur de droit à l'Université d'Aix-Marseille III, historien du droit, fondateur, en France, de l'Association française d'anthropologie juridique, dont il a occupé la première chaire, auteur à ce titre de nombreux ouvrages et articles, coauteur d'un ouvrage récent "Inventons la famille " qui a attiré notre attention par le jugement qu'il porte en sociologue sur les transformations du mariage, la normalisation du divorce et le désengagement du droit.

Vous allez nous parler de l'anthropologie juridique et des enseignements que l'on en tire sur la notion de faute, car nous avons à gérer une certaine contradiction, à savoir comment arriver à un divorce apaisé et a priori sans faute, tout en reconnaissant le préjudice, lorsque celui-ci est grave.

Un divorce d'où la faute serait gommée, basé sur le constat irrémédiable d'une rupture de la vie commune et sur l'expression de la volonté individuelle des conjoints, ne serait-il pas davantage en phase avec une conception moderne du mariage d'ordre privé et contractuel ?

Comment, cependant, sans se référer à la faute, prendre en compte la souffrance, le préjudice et l'atteinte à la dignité de la personne humaine ?

Enfin, quel rôle, à votre avis, peut jouer la médiation dans la recherche d'une pacification des conflits ?

M. Norbert Rouland : : Je voudrais d'abord préciser que je suis le produit d'un métissage entre les sciences sociales et le droit, bien qu'étant, d'un point de vue académique, de pure formation juridique. Il est vrai que je me suis très vite intéressé à l'histoire du droit et à l'anthropologie du droit, c'est-à-dire, finalement, à prendre en compte les expériences des sociétés, qu'elles soient autres, à travers l'histoire, ou lointaines, - du moins elles l'étaient encore récemment - à travers l'anthropologie.

Je voudrais mettre surtout l'accent dans cette introduction, sur deux points.

Dans un premier temps, je m'efforcerai, comme vous m'y avez engagé, de voir ce que peuvent nous apprendre l'anthropologie et l'histoire sur cette question.

Dans un second temps, réagissant plus en juriste classique, je tenterai de dire quels sont les avantages et les inconvénients qu'il peut y avoir à introduire cette notion de divorce pour cause objective, d'où la faute ne disparaît pas totalement, puisqu'il en est bien question à l'article 267 nouveau, bien qu'elle soit atténuée par rapport à ce qui existe en droit positif.

En ce qui concerne l'anthropologie d'abord et l'histoire ensuite, je crois qu'il convient de partir du point de vue, qui est évidemment modeste, mais je crois réaliste, selon lequel, si ces sciences comparatives ne peuvent pas nous fournir de modèles à appliquer clé en main, elles peuvent nous donner des idées.

Paul Valéry avait dit de l'histoire que l'on y trouvait tout et n'importe quoi et Claude Lévi-Strauss l'a redit plus récemment de l'anthropologie, à propos du PACS. On peut donc trouver dans ces domaines, sinon des modèles, du moins quelques inspirations.

Quand bien même les leçons de l'histoire et de l'anthropologie seraient évidentes, nous avons notre libre arbitre et c'est nous qui décidons pour ici et maintenant, sans nécessairement être tenus au droit romain ou à celui des aborigènes d'Australie.

Cette mise en garde est redoublée par le fait que les sociétés que connaît l'anthropologue sont évidemment des sociétés structurées différemment, notamment au niveau du mariage, puisque, comme chacun le sait et comme c'était le cas dans notre histoire, il n'y a pas si longtemps, le mariage comprenait une composante d'arrangement entre groupes beaucoup plus forte que dans le mariage moderne qui unit avant tout des individus, tout en sachant que, malgré tout, la dimension consensualiste du mariage a été introduite par l'Eglise qui a dû se battre contre les m_urs : les familles ne voulaient pas céder leurs prérogatives.

Il est évident que l'Eglise avait du consensualisme une vision différente de la nôtre, à savoir que, pour elle, une fois que le consentement avait été donné librement, on ne pouvait plus revenir dessus, alors que nous pensons, nous, que ce que le consentement fait, la disparition du consentement peut le défaire. La différence est notable.

Compte tenu de toutes ces réserves, que peut-on dire à partir de l'anthropologie ? Avant tout, que l'on constate la quasi-universalité du divorce. L'indissolubilité semble être vraiment une exception de la civilisation chrétienne.

En revanche, on observe que les couples sont plus ou moins stables. Il existe des sociétés où le couple est assez volatile et d'autres où l'union dure plus longtemps. Pourquoi ?

A vrai dire, les anthropologues ne sont pas très avancés sur cette question, mais, d'après quelques observations avérées, on peut dire, d'une part que la femme est beaucoup plus libre dans les sociétés matrilinéaires, dans la mesure où elle conserve ses points d'attache avec ses parents et où, en cas de désaccord avec son mari, elle peut trouver un refuge auprès d'eux, ce qui lui donne une certaine liberté d'action - un peu comme le fait d'exercer une activité professionnelle dans notre société -, d'autre part que le fait d'avoir eu à payer un prix important à sa belle-famille lors du mariage tempère les ardeurs de rupture du mari s'il ne peut le récupérer, en cas de séparation.

Il est, me semble-t-il, une autre universalité qui est précisément celle de la faute. Il est rare qu'il y ait des séparations par consentement mutuel. Généralement, la faute est indispensable. Pourquoi ? Parce que - et c'est là que nous tombons dans une différence radicale entre ces sociétés et la nôtre - étant donné que le mariage est un agencement qui n'unit pas que des individus, mais des groupes, il faut, pour le briser, dans l'intérêt de la société, des raisons sérieuses.

Cette différence majeure étant posée, reste qu'il faut la faute. Qu'est-ce que la faute ? On retrouve des faits connus : les mauvais traitements, l'adultère, étant précisé que ce dernier est très rarement pénal, alors qu'il l'est resté chez nous jusqu'en 1975. L'adultère ne compte pas parmi les fautes les plus graves qui sont la stérilité et surtout la sorcellerie, qui met en péril l'intérêt de tout le monde. Ainsi, s'il est prouvé qu'un conjoint a utilisé des pouvoirs surnaturels pour nuire à quelqu'un, c'est une raison valable pour s'en séparer.

Il est un autre rapprochement que peut suggérer, sinon l'anthropologie, du moins le droit comparé, c'est l'attitude dans la Chine ancienne, mais qui perdure actuellement, des Chinois qui rejettent le droit et le juge.

En Chine, un véritable être humain, pour résoudre ses conflits, ne doit pas faire appel au juge ni au droit, mais les régler par les rites, par la négociation, la médiation ou la transaction. Toute solution imposée de l'extérieur est dépréciée et les Chinois avaient globalement l'idée que le droit n'était bon que, premièrement pour les criminels incorrigibles, deuxièmement pour les étrangers, dont on sait bien qu'ils les détestaient cordialement.

Quel rapport avec le divorce sans faute, me direz-vous ? J'en vois au moins un, parce qu'il est dit dans l'exposé des motifs, ce qui correspond au sentiment d'une bonne partie de l'opinion publique, qu'au fond, il est un peu vain d'aller chercher la vérité et d'exiger de quelqu'un qu'il se mêle des affaires intimes d'un couple. On peut effectivement se poser la question de savoir ce que peuvent faire les malheureux juges, quand on leur demande - et ce n'est pas un exemple en l'air, mais de la jurisprudence - de fixer le nombre hebdomadaire de rapports sexuels qu'il faut avoir ou de déterminer la nature adultérine, ou non adultérine, des baisers à la française et d'autres choses du même genre. Ce sont des points sur lesquels les juges eux-mêmes ne souhaitent pas tellement se prononcer, même si, lorsqu'on brandit la faute dans de tels domaines, ils sont bien obligés de dire où est la faute et où elle n'est pas.

Cette attitude à la chinoise qui consiste à dire que, puisque l'on ne parviendra jamais à établir la vérité, mieux vaut pour l'essentiel, laisser les gens se débrouiller eux-mêmes, tout en maintenant évidemment un contrôle du juge - tant il est clair que l'on n'entend pas, dans le divorce sans faute, totalement privatiser le divorce -, se défend. Il n'en reste pas moins qu'actuellement, dans notre société, on remet très largement l'affaire entre les mains des parties, en raison de ce sentiment d'impuissance à établir la vérité et à situer qui est en faute ou non.

Au point de vue historique, le divorce sans faute a un ancêtre : le divorce pour incompatibilité d'humeur, qui a été institué sous la Révolution. Tout ce que l'on peut en dire  - on interprétera cela comme on veut - c'est qu'il a très peu duré, puisqu'il a été maintenu de 1792 à 1804, étant même précisé que, dès 1795, face à la flambée des divorces, le législateur a commencé à en compliquer l'accès. Ce n'est donc pas un grand succès historique et même lorsqu'en 1884, après la longue interruption de la Restauration et de l'Empire, intervient la loi Naquet, c'est pour instaurer un divorce sanction et nullement un divorce faillite ou constat d'échec.

De toute façon les m_urs mettront très longtemps à suivre, puisque, pendant des décennies, même une fois le divorce permis, ce seront 10 000, 15 000, péniblement 20 000 personnes qui y auront recours.

Tels sont les quelques éléments que l'on peut trouver dans le droit comparé, l'anthropologie et l'histoire française.

Vous me permettrez d'exprimer quelques autres réflexions en qualité de juriste. Certains arguments plaident pour la suppression de la faute et d'autres contre, le tout étant de déterminer ceux qui pèsent le plus lourd.

Pour la suppression de la faute, on peut retenir ce qui est dit dans l'exposé des motifs : la pacification du divorce, le développement de la médiation, mais aussi, ce qui est important, la possibilité d'une relecture du passé, tant il est vrai que, même un couple qui échoue, a quand même eu des moments heureux et que la recherche à tout prix de la faute risque de corrompre les bons souvenirs et de généraliser les sentiments négatifs.

Il y a aussi, toujours en faveur de la suppression de la faute, des arguments plus juridiques.

D'abord, elle s'inscrit incontestablement dans une évolution de notre droit, mais aussi des droits européens, et, à ce propos, il est déjà intéressant de voir comment la loi de 1975, qui introduit le divorce par consentement mutuel, cite les différents types de divorces : elle met en premier le divorce par consentement mutuel, en deuxième position, le divorce pour cessation de la vie commune et, en troisième position seulement, le divorce pour faute. Rien que dans cette manière de présenter et d'articuler les choses, il y a un jugement de valeurs implicite.

Ensuite, au niveau du régime des droits pécuniaires, tel qu'il est en droit positif, dans le cadre des séparations, on a de plus en plus tendance, pour savoir si l'un des époux doit quelque chose à l'autre, à se situer en dehors de la faute, puisque l'on dit que le juge doit considérer la situation objective des inégalités patrimoniales entre les deux époux. Cela signifie que le plus riche, y compris s'il n'est pas tout à fait fautif, devra quand même payer.

Vient s'ajouter le fait bien connu, et qui va toujours dans le sens d'une atténuation ou de la disparition de la faute, qu'on est revenu sur la tendance qui prévalait et qui consistait à donner l'exercice de l'autorité parentale à l'époux non fautif. Il est bien dit que les choses sont disjointes, qu'il faut voir avant tout l'intérêt des enfants et qu'après tout, on peut être un mauvais époux et un bon père.

Au niveau des autres droits européens, on constate cette poussée vers le divorce-faillite, puisque nous retrouvons grosso modo trois groupes de pays.

Tout d'abord, des pays que l'on peut appeler pluralistes, c'est-à-dire où coexistent le divorce pour faute et d'autres formes de divorce, comme c'est le cas de la France, de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse, de l'Italie, de l'Autriche, de l'Espagne et du Portugal.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Beaucoup de pays du Sud.

M. Norbert Rouland : Effectivement.

Il y par ailleurs les pays plus nordiques - encore que la Grèce se rattache à ce second groupe - qui sont unicistes, dans la mesure où ils ne connaissent que le divorce par consentement mutuel ou des formes qui s'en rapprochent beaucoup, le divorce pour faute y étant totalement éliminé. C'est le cas de l'Angleterre, des Pays-Bas, de la Suède, de l'Allemagne, de l'Ecosse et de la Grèce.

Il reste les pays intermédiaires, apparemment pluralistes, puisque s'ils connaissent le divorce pour faute et le divorce par consentement mutuel, le premier n'y existe quasiment plus. Dans ce troisième groupe, on trouve les pays scandinaves - la Norvège et la Finlande - ainsi que la Russie, où le divorce pour faute existe sur le papier, alors que pratiquement personne ne s'en sert, étant précisé que la Russie est un pays où le divorce, depuis la Révolution d'Octobre, a été extrêmement banalisé.

Ce sont des arguments qui servent la suppression de la faute, dans la mesure où ils donnent l'impression qu'on se situe, en l'acceptant, dans le fil de l'histoire, mais si les choses étaient aussi claires, ce serait évidemment trop beau.

Il y a en effet des arguments contre la suppression de la faute qui sont de plusieurs ordres : des arguments psychologiques et des arguments à la fois juridiques et sociologiques.

Je passerai rapidement sur les facteurs psychologiques, compte tenu du fait que, n'étant pas psychiatre, il est un peu périlleux pour moi d'en parler. Je pense néanmoins que le fait qu'il y ait une faute, que cette faute soit reconnue par le juge, qui est le porte-parole de la société, donne un sens à la souffrance, parce que celui, ou celle, qui est abandonné souffre. Je ne dis pas que cela va ôter la souffrance, mais que cela va lui donner un sens. Vous pouvez m'objecter qu'il serait préférable qu'il puisse donner un autre sens à cette souffrance. Effectivement, mais à défaut de mieux, c'est toujours cela.

Par ailleurs, on constate - et j'ai lu dans un article récent les résultats d'enquêtes menées auprès d'adolescents entre seize et dix-neuf ans, au cours de l'année 2000, et qui font suite à d'autres enquêtes réalisées en 1983 et 1987 - qu'il y a une dizaine d'années, la notion de faute dans les comportements sociaux, et pas seulement dans les comportements propres au divorce, s'est complètement dissoute pour réapparaître aujourd'hui dans l'esprit des adolescents, qui trouvent normal de qualifier un comportement de bon ou de mauvais et, quand il est qualifié de mauvais, d'en assumer les responsabilités. On assiste donc, au moins chez les jeunes, à un certain retour de la faute.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ne croyez-vous pas que cela correspond à une aspiration globale de la société à un exercice des responsabilités, qui passe par la reconnaissance de la faute ?

M. Norbert Rouland : Oui et ce que tout le monde observe d'ailleurs, c'est qu'effectivement, il semblerait qu'il y ait, de plus en plus, dans les différents domaines, un recours à la justice et à l'établissement des responsabilités. Cette tendance est toutefois contrebalancée par ce sentiment, que j'évoquais précédemment et qui est repris dans l'exposé des motifs, laissant entendre que dans des registres extrêmement intimes, c'est vain : ce n'est pas pareil de mettre en cause la corruption d'un homme politique et le fait que l'un des conjoints veuille faire l'amour une, deux ou trois fois tous les quinze jours.

Dans le domaine de ce qui est considéré comme le plus intime dans la vie d'un couple, la tendance n'est pas la même.

Toujours au nombre des facteurs psychosociologiques, je dirai que, si l'on supprime la notion de faute, ce que l'on appelle d'un mot un peu savant "l'anomie" risque quand même d'augmenter et que les gens peuvent ne plus savoir très bien où sont les repères. Déjà Durkheim signalait que les suicides augmentaient dans les sociétés dans lesquelles le mariage se fragilisait. Or le phénomène était, à son époque, une plaisanterie par rapport à ce qu'il est devenu.

Au niveau des facteurs juridiques et sociologiques, j'observe également que même dans le PACS, qui peut être lu - je ne dis pas que c'est une juste lecture - comme une forme atténuée de l'union conjugale, le Conseil constitutionnel a bien rappelé qu'en cas de rupture abusive, celui qui s'estimerait en être victime pourrait invoquer la faute.

Par ailleurs, un article paru dans le journal La Croix du 18 septembre 2001, cite une étude de Mme Irène Théry, d'où il ressort que 21 % des sept cents cas de divorces conflictuels qu'elle a étudiés s'accompagnaient de violences conjugales extrêmes. Même si tout le monde s'accorde pour reconnaître qu'il serait préférable que tout se passe à l'amiable, il est difficile dans de telles conditions d'écarter la faute. Vous me direz que la proposition de loi ne l'écarte pas, puisque, dans l'article 267 nouveau de la proposition, il est fait état de "fautes caractérisées", ce qui laisse à penser que les violences conjugales sont concernées.

Un autre argument, toujours d'ordre sociologique, milite contre la suppression de la faute. Finalement, le divorce par consentement mutuel, la possibilité de divorcer sans rechercher la faute existe depuis maintenant vingt-six ans dans notre droit. Or, quelle a été la réponse des m_urs ? Une réponse mitigée, puisque dans 46 % des cas, c'est toujours la faute qui est invoquée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : On nous a dit que c'était, d'une part parce que la procédure était plus rapide...

M. Norbert Rouland : Oui, paradoxalement, la procédure semble plus rapide, encore que ce ne soit pas toujours sûr.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : ... d'autre part parce que le divorce par consentement mutuel suppose que l'on soit d'accord sur tout et pas uniquement sur le principe de divorcer. Certains couples sont donc obligés de recourir à la procédure pour faute, parce qu'ils ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur tout.

M. Norbert Rouland : Il y a un autre élément que vous n'ignorez certainement pas, à savoir que ce divorce par consentement mutuel qui semble aller dans le fil de l'histoire, comme je vous le disais, n'est pas sociologiquement populaire, puisque ce n'est qu'en montant dans la hiérarchie sociale qu'il se généralise. Sans aller jusqu'à dire que c'est uniquement le divorce des beaux quartiers et de l'intelligentsia, il est statistiquement établi que ce n'est pas un divorce populaire.

Sur le plan purement juridique, il est à craindre - et Mme Dekeuwer-Défossez l'a fait remarquer, dans un article paru au cours de l'année 2000 et intitulé "Divorce et contrat", - que, si on chasse la faute par une porte, elle rentre par d'autres, qu'on ait des actions en responsabilité pour obtenir des dommages-intérêts et qu'on aboutisse à une pénalisation du divorce. Celui des conjoints qui s'estime victime peut en venir à dénoncer l'autre fiscalement, voire à l'accuser de comportements pénalement répréhensibles, comme des délits sexuels sur les enfants ou des violences conjugales. Celui qui veut "en découdre" trouvera les moyens de le faire et on risque de retomber précisément dans ce que l'on voulait éviter, car "en découdre" sous-entend avoir des prétentions, devoir apporter des preuves, auxquelles seront opposées des contre-preuves, ce qui se terminera par le grand déballage, qu'on voulait justement éviter.

Je crains donc que cette réforme soit symbolique et indique aux justiciables quel est le bon divorce, sans pour autant décourager, dans la pratique, celui ou celle qui voudra se battre et qui trouvera les moyens de le faire.

En outre, je relève un illogisme sur le plan juridique. En effet, si le mariage est un contrat et si on s'accorde généralement à reconnaître que l'on est passé du mariage institution au mariage contrat, dans la responsabilité contractuelle, on trouve la faute. En conséquence, il est quelque peu illogique d'évacuer la faute de ce contrat qu'est le mariage.

Enfin - vous allez me dire que c'est un cas un peu extrême, mais il existe en Suède - si on pousse la logique du système sans faute jusqu'au bout, on doit faire comme le législateur suédois qui, dès 1978, a décidé que toutes les relations entre les époux divorcés ont cessé, y compris les relations financières : plus de rentes, plus de versements de prestation compensatoire pour le conjoint. C'est une position qui obéit à une certaine logique : puisque l'on refuse l'idée de faute, si le couple a échoué, chacun reprend ses billes et tant pis s'il y en a plus dans le sac de l'un que de l'autre. Cela ne va peut-être pas exactement dans le sens du progrès de la cause des femmes...

Mme Yvette Roudy : Ah non, pas du tout !

M. Norbert Rouland : : C'est pourtant la pente du système. Ainsi que je vous le disais au début de mon intervention, il est évident que tout n'est pas blanc ou noir dans cette affaire. Il y a, me semble-t-il, de très bonnes choses dans cette proposition de loi dont, effectivement, le développement de la médiation. Sans espérer qu'elle débouchera à tous les coups sur une réconciliation, ce qui serait un peu illusoire, on peut néanmoins se réjouir que l'on ait recours à quelqu'un qui puisse permettre aux gens de se séparer dans des conditions plus humaines.

La proposition de loi prévoit que la désignation d'un médiateur est d'office quand l'un des eux époux ne veut pas divorcer, ce que j'estime être une très bonne chose. Indiquer aux gens quelle est la bonne voie aura un effet symbolique. Sera-t-il suffisant ? C'est une autre affaire !

Cela étant, la proposition présente des inconvénients assez lourds et, sans trop m'aventurer dans le domaine psychologique, qui n'est pas le mien, j'en relève sur le plan sociologique et juridique.

Le rédacteur a d'ailleurs été très astucieux puisque, dans l'article 267, il parle de "fautes  caractérisées..." - c'est la jurisprudence qui dira ce que cela signifie exactement - "...qui ont concouru à la rupture ou l'ont accompagnée" et non pas "l'ont causée". C'est subtil et on comprend bien l'esprit du texte qui vise plus à une forte atténuation de la faute qu'à sa disparition.

M. François Colcombet : Voilà le texte auquel nous sommes parvenus après beaucoup de discussions : "A l'occasion de l'action en divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, une demande de dommages et intérêts peut être formée par un époux lorsque des fautes d'un particulière gravité, telles que des violences physiques ou morales, commises par son conjoint ont concouru à la rupture ou l'ont accompagnée".

Si on met "telles que", on voit que les fautes ne sont pas limitées à cet exemple, mais qu'il est indicatif.

La Chancellerie propose d'ajouter : "Cette demande peut également être formée par l'époux qui n'a pas pris l'initiative du divorce lorsque la dissolution du mariage a pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité" - c'est celui qui, non seulement a battu mais qui aussi abandonne - "Cette demande ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce", ce qui signifie que l'affaire est réglée tout de suite. Voilà quel est l'état actuel du texte.

Mme Yvette Roudy : Qui va définir l'exceptionnelle gravité ?

M. François Colcombet : Les juges !

Mme Yvette Roudy : Est-ce qu'il sera considéré grave, par exemple, qu'une femme qui pendant vingt-cinq ans aura travaillé pour son mari sans être salariée, se retrouve brutalement sans rien, sans avoir même de points pour sa retraite, alors qu'elle aura, par exemple, tenu la caisse de la boucherie ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Surtout si c'est le mari qui demande le divorce et que la femme ne l'accepte pas.

Mme Yvette Roudy : Ce sont celles que j'appelle "les femmes répudiées".

M. François Colcombet : Normalement, dans le système que je propose, le juge constatera que la femme n'a pas de quoi vivre et elle aura donc droit à une prestation compensatoire - on ne va pas jusqu'au bout du système suédois - et, si vraiment le mari a exagéré, la femme pourra faire une demande en dommages et intérêts, puisque le texte est ainsi rédigé que, même si les fautes qu'on lui reproche ont manifestement concouru à la dissolution du mariage, il sera possible de les retenir.

La jurisprudence se stabilisera, au bout de trois ou quatre ans. A mon avis, elle ira vers un système relativement restrictif, d'autant que l'on constate actuellement que les juges aux affaires familiales, qui prononcent des dommages et intérêts, en prononcent peu. Ils se montrent assez réticents et je m'en étonne, car il s'agit souvent de femmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons repris cet après-midi un débat que nous avions eu ce matin, sur la question de savoir si les dommages et intérêts sont la formule la plus appropriée pour reconnaître l'état de victime, surtout quand on sait que la moitié des couples n'ont pas les moyens de les verser.

M. François Colcombet : De toute façon, la faute civile ne peut être reconnue que par des dommages et intérêts.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non ! C'est dans le cadre du jugement de divorce que je me situe.

M. François Colcombet : Par conséquent, on revient au cas de figure précédent et le choix qui est à faire est le suivant : soit on maintient le divorce pour faute, soit on ne le maintient pas. Il s'agit là d'un choix important, étant entendu que si on réentrouve la porte - c'est du moins ma position - c'est exactement comme si l'on n'avait pas tenté de la fermer. Le système actuel sépare les choses, mais présente l'avantage de les faire traiter par le même juge, de façon à ne pas compliquer la vie des personnes en cause. En outre, les dommages et intérêts sont une façon de reconnaître la faute dans la responsabilité civile.

Pour qu'il y ait versement de dommages et intérêts, il faudra que le juge dise qu'il y a eu faute d'une exceptionnelle gravité et qu'il en précise la nature. Il dira : "il y a eu faute d'une exceptionnelle gravité et je l'évalue aux dommages et intérêts qui ont été demandés, pour tel montant".

Mme Yvette Roudy : Il n'y a qu'une manière d'accepter ce texte, c'est de l'accompagner d'un certain nombre de mesures qui obligent les femmes à travailler toute leur vie.

M. François Colcombet : Il y a la prestation compensatoire.

Mme Yvette Roudy : Il faudrait que les législateurs que nous sommes arrêtent de donner un coup de balancier à droite et un coup de balancier à gauche, parce que, tantôt on pousse les femmes à rentrer chez elles, tantôt on les pousse à travailler.

La réponse à cette vision idyllique des personnes qui veulent se séparer, parce que c'est moderne et qu'elles ne s'entendent plus, c'est qu'elles soient à égalité, mais elles ne le sont pas et c'est pourquoi tous ces termes ne sont pas acceptables.

M. Norbert Rouland : C'est ce qui explique la position de la Suède, où les femmes sont beaucoup plus aidées par l'Etat que chez nous. La position suédoise, qui peut paraître excessive, consistant à dire qu'au divorce tout est fini, peut se comprendre, dans ce contexte particulier.

M. François Colcombet : Précisément, dans le système français actuel, la prestation compensatoire ne répond pas à un autre objectif. C'est d'ailleurs sa seule justification.

Il faut scinder les choses, car la faute est une chose, mais la preuve de la faute est une aventure épouvantable en droit, parce que l'on n'est jamais sûr de gagner, mais toujours sûr de faire des ravages.

J'ai entendu que M. Norbert Rouland disait du divorce par consentement mutuel qu'il n'était pas un divorce populaire et je lui en donne volontiers acte. Il est vrai que c'est un divorce de la classe dirigeante. Seulement, ce n'est pas parce que la classe dirigeante a accès à une formule, qui est plutôt plus confortable qu'il faut en priver les autres.

Très clairement, pendant longtemps la grande bourgeoisie a su pratiquer l'IVG sans que ce soit autorisé, parce qu'elle pouvait se rendre en Suisse et c'est quand même une grande conquête que d'avoir permis à tout le monde d'y avoir accès. Par conséquent, dire que les gens initiés ont accès à une forme de divorce qui est moins douloureuse doit plutôt être indicatif de ce vers quoi il faut tendre.

M. Norbert Rouland : Il ne faut pas aligner complètement l'économique et le culturel.

M. François Colcombet : Non, mais je réponds à la critique : l'économie vous permet d'accéder à une forme de divorce moins douloureuse, moins scandaleuse, moins ravageuse.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas parce que l'on divorce par consentement mutuel que c'est moins destructeur, moins douloureux et moins ravageur.

M. François Colcombet : C'est vrai, mais c'est une autre démarche et, globalement, si les gens qui ont les moyens de choisir la retiennent, c'est quand même qu'elle doit présenter des avantages.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y a aussi des codes sociaux.

M. François Colcombet : Peut-être.

En contrepartie de ce que vous dites, il y a, à mon avis, un nombre anormalement exagéré de difficultés après des divorces par consentement mutuel. C'est anormal, parce que ce système, qui est le système majoritaire, ne devrait pas avoir autant de suites. C'est donc qu'indéniablement il ne règle pas tout. Il y a surtout des problèmes d'enfants : quand on a utilisé les enfants comme monnaie d'échange contre un appartement, etc..., cela réapparaît. Il n'en demeure pas moins que, dans une bonne partie des cas, c'est une formule qui règle le conflit.

M. Norbert Rouland : Dix ans après la création du divorce par consentement mutuel, on peut quand même s'étonner que près de la moitié des gens continue à divorcer pour faute.

M. François Colcombet : Et uniquement pour faute, puisque l'autre formule par demande acceptée, qui aurait pu se développer, n'a, semble-t-il, pas reçu les faveurs du barreau. Elle aurait, à mon avis, pu s'étendre beaucoup plus. Au moment de 1975, le législateur rêvait d'aller dans ce sens. Or, l'expérience montre qu'elle s'est développée en certains endroits bien précis - là, à mon avis, où les avocats ont joué un rôle de service public - et pas ailleurs.

Malheureusement, force est de constater que statistiquement cela n'a pas fonctionné à l'échelon français et on ne peut pas obliger les gens à demander cette forme de divorce. Seuls les avocats auraient pu avoir une influence sur son évolution.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sur ce point, Me Marie-Elisabeth Breton n'était pas d'accord et, puisqu'elle est encore parmi nous, je vais lui demander d'expliquer pourquoi.

Me Marie-Elisabeth Breton : En ce qui concerne la demande acceptée, les statistiques dont nous disposons datent de 1994, alors que c'est une forme de divorce qui a beaucoup évolué et qui s'est considérablement développée.

On a pris conscience que, si le consentement mutuel achoppe, c'est parce qu'il impose de liquider la communauté dans un délai très court, alors que la demande acceptée présente l'avantage de rester dans le consensuel, d'une part parce que chaque époux reçoit la faute de l'autre, puisqu'il s'agit d'un double aveu, ce qui constitue un exutoire, d'autre part parce que l'on peut se mettre d'accord sur les mesures concernant les enfants et prendre le temps de liquider la communauté sans devoir tout brader.

Je trouve que c'est la meilleure formule et c'est pourquoi j'estime qu'il faut la conserver. Il faut conserver deux formes de divorce amiable ; le consentement mutuel et la demande acceptée et supprimer dans le divorce pour cause objective la possibilité qu'il se déroule par requête conjointe.

M. François Colcombet : Il y a deux demandes.

Me Marie-Elisabeth Breton : Selon moi, cela va faire échec à la possibilité de consentement mutuel et de demande acceptée, car les justiciables iront plus facilement à cette forme de divorce qu'on peut qualifier de "Las Vegas", puisqu'il n'y aura pas de délai et que le juge pourra prononcer le divorce sur-le-champ.

Ce point est en contradiction avec votre démarche très consensuelle qui recherche l'accord entre les parties et qui donne du temps aux couples pour réfléchir sur les conséquences du divorce.

Dans le divorce constat, il faut retenir la formule d'un divorce demandé par une seule personne ainsi que les trois ans de rupture de vie commune, qui correspondent au délai que nous avions envisagé.

La Chancellerie avait proposé de ne pas retenir ce délai, estimant que les trois ans de séparation pouvaient correspondre à une période de détention. S'il y a détention, il y a faute : cela ne se discute pas.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais il n'y a pas forcément faute dans le couple.

Mme Marie-Elisabeth Breton : Je pense qu'il est quand même bien de retenir cette notion de rupture de vie commune.

M. François Colcombet : C'est marginal.

Me Marie-Elisabeth Breton : Maintenue à trois ans, elle ne le sera plus. Je trouvais que la rupture de vie commune de six ans était complètement obsolète. Elle n'a d'ailleurs jamais été pratiquée. Elle pouvait, en outre, être véritablement ressentie comme une répudiation, être mal vécue psychologiquement et avoir des conséquences dramatiques.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans la mesure où l'on maintient la séparation de corps qui répond à d'autres idéaux et où l'un des conjoint a la possibilité de demander unilatéralement le divorce, je vois mal à quoi correspond ce délai de séparation de trois ou six ans.

M. François Colcombet : La Chancellerie pense d'ailleurs qu'on peut le supprimer et j'y suis assez favorable.

L'objectif de la réforme est surtout d'introduire la médiation, plutôt à des fins parentales que conjugales.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne suis pas tout à fait d'accord, car si l'un des conjoints demande le divorce et que l'autre le refuse, on entre plus dans le domaine du conseil conjugal que de la médiation. Il n'empêche qu'il faut bien que l'autre comprenne ce qui se passe.

M. François Colcombet : Ce qui justifie cette réforme, c'est essentiellement la nécessité de situer la médiation au centre des procédures familiales, dans l'idée qu'elle va se généraliser à tous les secteurs et que l'on va acquérir du savoir-faire.

Ce qui est proposé s'apparente assez à la demande acceptée, puisqu'il y a quelqu'un qui demande le divorce, et l'autre qui vient dire qu'il est d'accord sur le principe du divorce et qu'il est prêt à discuter.

Personnellement, je pense que l'évolution positive consiste à ancrer fortement une espèce de divorce avec demande acceptée. A mon avis, le divorce par consentement mutuel va diminuer, parce que les justiciables préféreront aller à une médiation sous le contrôle du juge pour régler les sujets douloureux - je pense aux gardes d'enfants. Il restera un reliquat de l'ordre de 20 % de divorces, dans lesquels il y aura réellement de grosses fautes. Je suis même prêt à prendre le pari que, y compris pour les cas de violences conjugales, certains préféreront ce type de divorce où la faute n'est pas invoquée, de façon à mettre un terme à une relation de façon correcte, plutôt que de ressasser des choses qui sont très douloureuses.

C'est une réalité que l'on constate et qui explique que, dans de nombreuses procédures, les personnes ne demandent même pas que le conjoint, qui a pourtant fait des choses horribles, soit poursuivi.

M. Norbert Rouland : Cela implique que les médiateurs soient vraiment bien formés.

M. François Colcombet : Tout le pari est bien d'inclure dans le paysage des gens formés et d'amener toutes les professions à avoir une bonne distance par rapport à la médiation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Avant de conclure, je souhaiterais, maître, que vous reveniez sur l'intérêt que présente pour vous la demande acceptée.

Me Marie-Elisabeth Breton : Je ne suis pas d'accord avec l'idée que, dans le divorce constat, la démarche puisse être entreprise presque conjointement, parce qu'on arrive alors à un double aveu. On se situe bien dans une démarche comparable à celle de la demande acceptée, mais avec un résultat totalement différent. En effet, ce divorce se fera sans réflexion. On va tamponner un acte officiel et c'est tout...

*

* *

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Brigitte Grésy, chef du service des droits des femmes au ministère de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il nous a paru indispensable, dans le cadre de la réflexion que conduit la Délégation aux droits des femmes sur la réforme du divorce, de consulter le service des droits des femmes du ministère de l'emploi et de la solidarité dirigé par Mme Brigitte Grésy.

En effet, la question de fond que nous nous posons est la suivante : qu'apporte la réforme du divorce qui nous est proposée par rapport aux droits des femmes ?

Le service des droits des femmes qui a lancé l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, à l'initiative de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, a certainement des informations et des réflexions à nous communiquer sur les violences conjugales qui s'exercent au sein du couple, les recours des femmes auprès des institutions, les suites judiciaires et l'articulation avec les procédures de divorce.

Les droits des femmes particulièrement défavorisées, vous paraissent-ils actuellement suffisamment protégés par le traitement judiciaire des violences ?

La proposition de loi qui, à côté du divorce pour consentement mutuel, prévoit un cas unique de divorce pour rupture irrémédiable de la vie commune et supprime le recours à la notion de faute, permet-elle de prendre en compte la situation des femmes victimes de violences conjugales, et la reconnaissance de l'état de victime ?

L'article 9 de la proposition de loi modifiant l'article 267 du code civil et prévoyant l'octroi de dommages intérêts en cas de préjudices pour fautes caractérisées ayant concouru à la rupture ou l'ayant accompagnée, sera-t-il suffisant pour apporter réparation à ces femmes victimes de violences physiques ou morales ?

Tel est l'essentiel des questions que nous nous posons, tout en sachant que nous nous trouvons dans un exercice un peu difficile. Tout porte à croire qu'il est souhaitable de faire en sorte que les procédures ne concourent plus à attiser les conflits et que la disparition d'un divorce pour faute va dans le bon sens, même si, dans le même temps, il nous faut dire la loi et le droit dans un certain nombre de cas où la personne humaine et sa dignité ne sont pas respectées.

Mme Brigitte Grésy : Il est vrai que le point de vue d'où je parle - et je tiens à le dire d'entrée de jeu - est, non pas un point de vue de juriste, mais un point de vue de praticienne de l'égalité entre les hommes et les femmes, avec l'idée qu'il faut toujours établir la différence entre ce que l'on peut appeler l'égalité formelle prévue par les textes et l'égalité réelle, de même qu'entre la liberté réelle et la liberté formelle.

Je parle donc très clairement avec le souci de voir, dans les textes qui nous sont proposés, ceux qui peuvent avoir des effets éventuellement différenciés sur les hommes et sur les femmes et des effets quelque peu pervers sur la situation des femmes.

Avant tout, vous me permettrez de relever que, dès la fin de l'introduction de l'exposé des motifs de la proposition de loi, la pétition de principe qui consiste à dire : "Chacun des époux est à égalité de l'autre dans le couple ;..." nous pose problème.

Si ce principe est respecté dans le droit, tant il est vrai que le droit doit faire en sorte que les dispositions s'adressent à l'ensemble des citoyens, nous savons en même temps, et nous l'avons très bien vu pour la parité politique, qu'il existe des citoyens plus inégaux que d'autres.

L'enquête qui a été réalisée sur les violences conjugales et qui s'appelle l'enquête ENVEFF, dont je vous signale que les derniers résultats - puisque nous ne disposons que de résultats préliminaires - vont d'ailleurs donner lieu à une conférence de presse le 4 octobre, montre que le phénomène des violences à l'égard des femmes est un phénomène d'une ampleur insoupçonnée, et que le non-dit et l'occultation de ce phénomène sont très importants. Il suffit pour s'en convaincre de citer la donnée suivante : au cours des douze derniers mois, une femme sur dix s'est dite victime de violences conjugales.

Ce chiffre qui avait été bien exploité au cours du mois de décembre, au moment du lancement de l'enquête, va être complété par de nouveaux chiffres relatifs aux violences sur les lieux de travail. Je ne peux rien dire à l'heure actuelle, puisque les résultats de l'étude ne seront mis sur la place publique que d'ici une dizaine de jours et que nous n'avons pas encore bien centré les messages, mais ils laissent toutefois apparaître que, y compris sur les lieux de travail, les agressions verbales, psychiques et morales sont extraordinairement fortes.

C'est sur la base de ces données que je parle, autrement dit avec une sorte de soupçon que je ne peux m'empêcher de faire peser sur l'idée d'une égalité des époux.

A partir de là - et je crois que le témoignage des associations que vous avez reçues ce matin ne peut que conforter cette parole - nous avons des exemples de lettres citoyennes, envoyées au service en très grand nombre et auxquelles nous nous efforçons de répondre, montrant que, dans le couple, au moment des conflits, des négociations, si l'on peut dire, ou des procédés de chantage affectif ou financier, jouant totalement au désavantage des femmes ou encore une très grande méconnaissance de leurs droits par les femmes, font qu'il n'y a pas égalité.

Cela étant dit, il est clair que l'économie générale du dispositif de la proposition de loi nous satisfait, sous réserve d'un certain nombre de propositions.

Nous avons pleinement conscience qu'il y avait sans doute un nombre trop important de formes de divorce et que certaines d'entre elles n'étaient pratiquement pas usitées. Toutefois, l'angle sous lequel nous devons présenter cette réforme de société - c'est une réforme de société fondamentale qui exige un débat de société en raison de son impact dans bien d'autres domaines - ne doit pas être simplement celui de la simplification. Il faut présenter cette réforme, à n'en pas douter, comme une dédramatisation et une pacification du contexte après divorce, mais aussi comme une formule qui permettra à la douleur des époux - parce qu'un divorce, c'est de la douleur, c'est de la souffrance - d'être dite et ensuite, s'il y a violence et atteinte à la dignité de la personne, désignée comme étant un lieu de non-droit.

Si la configuration actuelle du divorce peut aboutir à des dénis de justice, c'est précisément que le recours au divorce pour faute, qui est trop largement usité, - presque la moitié des divorces sont prononcés pour faute - crée devant les juridictions des situations qui sont à la limite du dérisoire. Quand on a deux avocats avec chacun cent pièces dans un dossier (précisant les fautes des conjoints) et que le juge, au motif qu'il refuse de rentrer dans le détail des pièces, donne à choisir entre les torts partagés ou le double débouté, il est clair que les avocats choisissent la première solution.

En outre, pour les personnes extrêmement défavorisées, notamment pour les femmes sur lesquelles s'exercent les pressions - plus d'ailleurs que les pressions financières, les pressions affectives qui, au regard des enfants, sont très lourdes - il peut y avoir un retournement de situation. Il arrive en effet que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de la femme victime, au motif qu'elle n'aura pas su amasser les preuves, ni les témoignages en sa faveur. Les associations nous disent qu'il y a des cas, encore trop nombreux, où c'est finalement la femme victime de violences qui se voit attribuer un divorce à ses torts, parce qu'elle n'a pas eu l'argent ou qu'elle n'a pas su trouver les preuves nécessaires.

Nous sommes donc tout à fait favorables à une clarification du dispositif, à condition cependant de la présenter, non pas dans un univers idéal, mais en maintenant la diversité de notre regard sur les situations. Si la notion de péridurale ne me convient pas, c'est parce que j'estime que ce procédé ne convient pas à tout le monde. La loi, même si elle s'adresse à l'ensemble des citoyens, doit quand même avoir le souci de pointer les cas où il peut y avoir des effets différenciés.

L'idée tendant à prétendre que la loi s'adresse au plus grand nombre et que c'est au traitement social ou politique de gérer les inégalités ne nous convient plus et nous le savons. Je parle là en praticienne de l'égalité car nous avons dû, en France, faire des lois dans des domaines dont on disait que, finalement, la société arriverait bien à bout de leurs injustices. Que ce soit pour la parité politique ou l'égalité professionnelle dans l'entreprise, nous nous sommes vus contraints de faire des lois, parce que les m_urs et l'accompagnement ne suffisaient pas à changer les choses.

Mme Yvette Roudy : Exactement !

Mme Brigitte Grésy : Tel est donc notre point de départ.

Que dire maintenant de la proposition de loi ? J'estime que la possibilité d'avoir deux entrées dans le divorce - l'une par consentement mutuel, l'autre pour cause objective ou, si l'on préfère, pour rupture irrémédiable du lien conjugal - constitue un bon système, sous quelques réserves que je souhaiterais vous exposer.

Je commencerai par formuler brièvement quelques petites observations concernant le divorce par consentement mutuel.

Il est clair que c'est une forme de divorce s'adressant à des adultes normalement responsabilisés, puisqu'il correspond vraiment aux cas où chacun des époux devrait normalement être à égalité dans le couple. Mais il ne faut pas se masquer le fait - dont nous avons des exemples - que certains divorces par consentement mutuel sont en réalité des divorces de fuite, soit du fait de femmes battues, soit de femmes harcelées qui sont prêtes à céder sur tout pour ne plus subir de violences.

Dans ces conditions - je passe sur la question du maintien du délai de trois mois, étant précisé que celui de six mois me semble bon - il est tout à fait essentiel que le juge, qui n'aura plus qu'une seule audience, accorde du temps aux femmes et aux hommes, puisque nous parlons de femmes et d'hommes, même si ce sont les femmes qui sont le plus souvent victimes de violences.

Il convient sans doute d'inscrire plus spécifiquement et plus clairement dans la loi que le juge doit tenter d'obtenir l'accord ou le consentement libre et éclairé des deux époux.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Personnellement, je nourris moins d'inquiétudes en ce qui concerne le divorce par consentement mutuel, dans la mesure où - et c'est peut-être l'aspect le plus novateur du texte - on crée un divorce à partir d'une demande unilatérale et où les chantages qui accompagnent le divorce par consentement mutuel risquent, demain, d'être moins nombreux, dans la mesure où, si l'on veut divorcer, on pourra le faire, et où cette procédure risque d'être moins lourde qu'elle ne l'était dans le passé.

Mme Brigitte Grésy : Effectivement, surtout si on parvenait également à obtenir une réforme de l'article 220-1 du code civil, selon lequel : "Si l'un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts."

Il peut notamment interdire à cet époux de faire sans le consentement de l'autre des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles."

Il est question, conformément à l'une des propositions du rapport Dekeuwer-Défossez, d'ouvrir, même en dehors de la procédure de divorce, la possibilité d'étendre cet article 220-1 aux cas de violences graves, de façon à permettre au juge d'organiser la résidence séparée des époux.

M. François Colcombet : On va essayer de l'introduire par référé.

Mme Brigitte Grésy : Il faut le faire par référé, car il est important que les mesures à prendre ne le soient qu'après une information contradictoirement recueillie auprès des deux parties.

M. François Colcombet : Il y a deux thèses : certains souhaitent une requête, d'autres une procédure contradictoire. A mon avis, c'est une piste qu'à cette occasion il convient d'explorer.

Mme Brigitte Grésy : Pour ma part, je considère qu'il faut une procédure contradictoire pour l'article 220-1. En revanche, je suis totalement défavorable au souhait de la Chancellerie de réintroduire une procédure contradictoire pour l'article 257 qui permet au juge, lorsqu'il y a une requête en divorce, d'autoriser la femme à quitter avec ses enfants le domicile conjugal : c'est en effet le seul moyen pour la femme d'échapper à la violence.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et au chantage !

M. François Colcombet : Il serait intéressant de préciser que, pour ces personnes auxquelles vous faites allusion, il conviendrait de maintenir des procédures aussi simples et rapides que possible, permettant de régler un certain nombre de problèmes avant même le divorce ou parallèlement au divorce. C'est une idée forte qu'il faut reprendre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faudrait donc prévoir une procédure contradictoire pour l'article 220-1...

Mme Brigitte Grésy : Exactement, sans toucher à l'article 257, pour lequel la procédure contradictoire serait malvenue, puisqu'elle impose d'aller chercher l'autre conjoint, de respecter des délais, etc...

J'estime qu'en cas de violences, il est préférable que la femme quitte le domicile conjugal, car si on lui attribue la résidence sans mettre le conjoint violent sous contrôle judiciaire, ou pour le moins sans prononcer une éviction forte du domicile, elle sera harcelée, ce qui est terriblement dangereux.

M. François Colcombet : Dans la pratique, il est difficile de l'empêcher.

Mme Brigitte Grésy : Il n'y a que le contrôle judiciaire qui puisse le faire.

M. François Colcombet : Ou l'emprisonnement, mais avec toutes ces mesures, on entre dans le domaine du pénal.

Mme Brigitte Grésy : Précisément, il est une autre piste qui mériterait, à mon sens, d'être suivie et qui consisterait, en cas de violences conjugales ayant fait l'objet d'une saisine du juge pénal -ce qui suppose alors de lier le civil et le pénal, ce qui n'est jamais fait- à mettre une clause tendant, dans le cadre de la procédure de consentement mutuel, à renvoyer d'office à une seconde audience.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les associations réclament vivement que soit instaurée une passerelle entre le civil et le pénal.

M. François Colcombet : Actuellement, le pénal bloque le civil.

Mme Brigitte Grésy : Certes, le pénal tient le civil en l'état, mais encore faut-il savoir ce qu'il y a au pénal.

M. François Colcombet : Très souvent, c'est un moyen de faire traîner les procédures.

Mon approche viserait plutôt à scinder totalement les deux, en précisant que le juge constate que les gens ne peuvent plus s'entendre et prononce le divorce, ce qui permettrait de conserver son rythme au pénal sans suspendre la procédure, sans attendre les éventuelles sanctions ou la preuve de faute au pénal. Souvent, en effet, les plaintes au pénal, sont déposées pour prouver la faute de l'autre, pour les besoins de la procédure civile.

Il y a actuellement, par exemple, beaucoup d'affaires relatives à de mauvais traitements d'enfants et certaines officines d'avocats ont même été montrées du doigt comme étant spécialisées dans le fait de porter systématiquement plainte pour des faits de pédophilie, afin de faire traîner le divorce et de le gagner.

Mme Brigitte Grésy : C'est un argument souvent allégué dont la réalité n'est pas très importante.

M. François Colcombet : C'est difficile à apprécier. Quoi qu'il en soit, actuellement, dans le cadre des procédures de divorce, ce sont des motifs qui sont beaucoup plus souvent invoqués. Soit ce sont des faits dont on n'osait pas parler avant, soit ce sont des réalités apparues récemment, soit ces accusations ont semblé à certains être un bon créneau. A mon avis, les trois explications peuvent se cumuler.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pouvez-vous revenir sur l'intérêt d'avoir une passerelle entre le civil et le pénal et nous dire comment vous l'envisagez ?

Mme Brigitte Grésy : Juridiquement, il est vrai que le pénal tient le civil en l'état, ce qui peut donc constituer un moyen de retarder la procédure.

Pour autant, ce qui nous paraît gênant, c'est qu'une action peut être engagée au pénal pour violences et que, parallèlement, une action peut être engagée au civil pour divorce par consentement mutuel, si l'époux a réussi à obtenir cette forme de procédure. Il s'agit des cas de divorce par consentement mutuel qui sont des divorces de fuite.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais où la victime porte quand même plainte au pénal ?

M. François Colcombet : Oui, parfois elle peut avoir déposé sa plainte antérieurement. Ce matin, une personne auditionnée a estimé que, dans un tel cas, on devrait dire au juge, qui va entériner le divorce par consentement mutuel, qu'il y a déjà une faute au pénal.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce doit être des cas assez rares.

Mme Brigitte Grésy : La question se poserait alors plus en termes de déclaration, ce qui ne lierait pas l'instance civile et l'instance pénale.

Quoi qu'il en soit, concernant le divorce par consentement mutuel, je suis d'accord sur le fait que les cas de "divorces de fuite", comme je les appelle, seraient limités par la proposition qui vient d'être faite et par l'extension de l'article 220-1 qui me semble tout à fait capitale, mais je pense qu'il vaut mieux indiquer dans le texte que le juge doit rechercher un accord libre et éclairé des époux. Il faut trouver une formule de ce genre et faire en sorte que, dans la formation des juges, une attention particulière soit portée à ce qui pourrait être un accord extorqué.

Dans les divorces pour faute, les choses sont généralement claires : pour caricaturer, l'un des conjoints pleure et l'autre ne pleure pas. Dans les divorces par consentement mutuel, du fait de nombreuses stratégies souterraines, beaucoup de choses échappent à la sagacité des juges.

Mme Yvette Roudy : Il faut faire preuve de psychologie et observer les comportements. Quand l'un des conjoints n'ouvre pas la bouche, on peut se poser des questions.

Mme Brigitte Grésy : Ma seule observation sur le consentement mutuel sera donc pour inciter, d'une part à mettre l'accent sur l'accord libre et éclairé des deux époux et sur la communication du fait qu'il puisse y avoir une instance au pénal - sans même aller jusqu'à instaurer une liaison systématique parce que l'on n'y parviendra pas -, d'autre part à étendre l'article 220-1 aux cas de violences conjugales de manière à organiser la résidence séparée des époux, en dehors de toute procédure de divorce.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Aux cas de violences conjugales ou familiales ?

Mme Brigitte Grésy : Selon moi, il faudrait l'étendre aux deux formes de violences, afin de protéger à chaque fois le couple conjugal, mais aussi le couple parental et les enfants.

J'en arrive au divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal. A ce propos, je dois dire que le fait de distinguer nettement, d'un côté le règlement des conditions du divorce, et de l'autre, le règlement du conflit et la réparation de la faute, me semble capital.

Le gros problème du divorce pour faute, nonobstant le problème de la contamination du voisinage et de la dramatisation des conflits, c'est que l'on y mélangeait tout, les conditions de règlement du divorce, c'est-à-dire de l'immédiat - savoir qui va payer la facture du gaz etc. - ou le sort des enfants et la réparation des torts, ce qui était terriblement dommageable. Le fait de séparer les deux choses me paraît constituer une grande avancée.

Je voudrais, néanmoins, attirer l'attention sur deux points : premièrement, la médiation ; deuxièmement, la réparation.

Pour ce qui a trait à la médiation, le texte propose de ne pas y avoir recours en cas de violences conjugales. C'est fondamental, car tout le monde s'accorde à dire aujourd'hui que le médiateur est un tiers neutre et impartial qui exerce ses talents de médiation entre deux individus placés sur un pied d'égalité.

Il est évident que, dans les cas de violences conjugales, les individus ne sont pas égaux. La violence met en scène des procédures de domination et de dépendance qui font que la personne victime de violences se sent elle-même bien souvent coupable et se situe trop dans la douleur et le déni d'elle-même pour parvenir à sauver sa propre personne, voire celle de ses enfants. Ce n'est donc pas une situation de parole égale et je crois vraiment que la médiation en cas de violences conjugales serait la pire des erreurs.

Nous l'avons dit, y compris dans les circulaires sur les violences qui mettent en _uvre des partenariats avec d'autres ministères, notamment ceux de la justice et de l'intérieur. La médiation doit être réservée aux cas où les gens peuvent se parler à peu près à égalité.

M. Patrick Delnatte : Dans les cas de violences conjugales, comment envisagez-vous le problème des enfants ?

M. François Colcombet : Nous avons prévu dans le cas normal où quelqu'un demande le divorce et où l'autre le refuse, d'imposer une médiation et de l'exclure en cas de violences.

En vous écoutant, le problème se pose de savoir, puisque dans un tel cas, même s'il y a violences, les deux époux ont la faculté de demander la médiation, si le juge pourrait la leur refuser.

Dans le projet, dans le cas où il y a un enfant, pour rechercher une solution pour l'enfant, la médiation est toujours envisageable et le juge peut l'organiser.

Mme Brigitte Grésy : Oui, mais le juge est fait pour dire le droit et il existe des situations où un juge n'est pas seulement là pour renvoyer vers un médiateur, mais aussi pour trancher.

Il ne faut pas se leurrer et si je suis défavorable à la péridurale, c'est parce qu'il y a des situations où la douceur est impossible. Nous sommes dans un univers où la violence et la haine existent, et dans tous les milieux.

C'est cela le problème. Quand on sent que sa propre personne ou celle de ses enfants est en jeu, quand on a une impression de déni, j'ignore jusqu'où on peut aller, mais je ne jurerais de rien ni pour moi-même, ni, à plus forte raison, pour les autres.

M. François Colcombet : Vous êtes quand même capable d'accepter la médiation ?

Mme Brigitte Grésy : Je pense que oui, mais il ne s'agit pas, non plus de faire du "tout médiation". La justice, c'est aussi trancher et dire le droit. La médiation est très importante ; d'ailleurs on pourrait prévoir de faire intervenir, avant la première audition devant le juge, une médiation à la québécoise, mais faite par des professionnels de bon niveau, soigneusement formés de façon à savoir reformuler ce qui est dit sans se poser en donneurs de leçons, ce qui est très difficile.

Le métier de médiateur est extraordinairement difficile et si nous devons travailler sur l'élaboration d'un diplôme de médiateur, il nous faudra bien mesurer qu'il ne suffira pas de deux cents ou trois cents heures pour l'apprendre. C'est la raison pour laquelle je suis plutôt favorable à ce que les médiateurs occupent un autre métier par ailleurs, que ce soit dans le secteur social, psychologique ou juridique, de façon à ce qu'ils sachent ce qu'est la problématique du lien, et à ce qu'ils n'envisagent pas la médiation comme une sorte de valeur ajoutée. J'estime qu'on ne peut pas brancher une formation de médiateur sur n'importe quel terreau.

Il faut donc de très bons médiateurs, tout en sachant qu'il est impossible de travailler sur le tout médiation. Je considère que le juge doit, de temps en temps, trancher, notamment quand il y a une situation avec atteinte fondamentale aux droits de la personne. C'est un grand progrès que d'être revenu sur l'idée qui avait fait florès en son temps, selon laquelle les violences étaient une péripétie douloureuse et un peu honteuse de la vie intime. Non, les violences ne sont pas une péripétie que l'on tait : les violences à l'égard du conjoint sont une atteinte fondamentale aux droits de la personne, une atteinte fondamentale à l'intégrité et à la dignité morale et physique de la personne.

Ce nouveau statut des violences que l'enquête ENVEFF est en train de faire émerger doit aussi avoir des prolongements dans la loi.

Par conséquent, quand un cas de violences extrême aura été repéré par le juge et, si la proposition que je compte faire est retenue, mentionné dans le prononcé du divorce, pourquoi ne pas trancher ? Ensuite, on verra. La médiation ne va pas apaiser tout le monde. Certains ne voudront pas y avoir recours et nous n'allons pas les forcer.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est leur droit.

Mme Brigitte Grésy : Effectivement.

Lorsque l'on travaille sur un texte qui se fonde en grande partie sur la pacification et la dédramatisation - et je suis d'accord pour ouvrir le dialogue et favoriser la communication - il faut faire attention au fait qu'elle repose beaucoup sur des médiateurs, dont on ne sait pas encore ce qu'ils vont être. Cela étant dit, les conclusions du "rapport Sassier" me conviennent parfaitement

M. François Colcombet : Certains médiateurs, fort heureusement, sont efficaces.

Mme Brigitte Grésy : Heureusement, et je n'ai pas dit le contraire. J'ai simplement dit qu'il y a des moments où la médiation ne fonctionne pas et qu'il faut dire la loi, en sachant qu'il y a des situations de post-divorce que nous ne parviendrons pas à bien gérer.

Je voudrais ajouter qu'il me semble quand même extraordinaire, alors que l'on travaille beaucoup, dans le cadre du divorce, sur cette notion de parité parentale dans le contexte de post-séparation, que dans le contexte parental personne ne parle de parité conjugale et que la société entière trouve son compte dans le fait que ce sont les femmes qui s'occupent à 80 % des enfants en devant, en plus, travailler. Il est quand même assez extraordinaire que cette dimension ne ressurgisse qu'en cas de conflit. Si on travaillait très en amont sur la parité parentale, on prendrait conscience que les choses sont plus compliquées.

M. François Colcombet : En ce sens, vous avez raison. De toute façon, en procédant comme nous le faisons, nous obligeons la société à se poser la question que l'on ne se poserait jamais autrement. Il faut quand même reconnaître que tous ces sujets sont dans le débat depuis vingt ans et qu'on les évite très soigneusement.

Mme Brigitte Grésy : Tout à fait.

S'agissant du divorce vécu comme une rupture irrémédiable du lien conjugal, je ne reviendrai pas sur la médiation, puisque j'en ai déjà longuement parlé. En revanche, pour ce qui a trait au divorce automatique après dix-huit mois, les associations se montrent assez inquiètes dans la mesure où cela s'apparente à une forme de répudiation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elles n'ont pas prononcé le mot.

Mme Yvette Roudy : Non, c'est moi qui le prononce : vous allez faire des femmes répudiées.

Mme Brigitte Grésy : Ce risque existe, sauf si l'on fixe des contreparties, ce qui me conduit à expliciter ma troisième réserve qui a trait à la réparation.

La réparation est centrale. Je crois que la parole du juge, la reconnaissance claire du préjudice subi par les femmes libèrent la victime de cette espèce d'histoire tragique dans laquelle elle est enfermée et permettent seules à la victime de se réinstaurer comme sujet de droit.

En conséquence, une réparation purement pécuniaire, telle qu'elle est évoquée dans l'article 267 de votre proposition de loi, me semble se situer en-deçà de l'attente des femmes, notamment des femmes victimes de violences. Il faut également une réparation symbolique.

Une proposition consisterait, au moment même du prononcé du divorce, à ne pas mentionner la cause, mais à faire figurer une formule telle que, par exemple, "avec torts exclusifs de l'un des époux". Je pense cependant qu'il ne faut pas se référer à la notion de tort qui renvoie trop à la notion de faute.

On avait également imaginé plaider le divorce pour rupture irrémédiable avec atteinte aux droits fondamentaux ou atteinte à la dignité et à l'intégrité de la personne. Cela peut être une autre solution. Pourtant, comme beaucoup le soulignent, les violences ne sont pas seulement conjugales car, après tout, le fait d'entretenir une femme ou un homme autre que son conjoint légitime pendant dix ou vingt ans, d'avoir des enfants hors de sa famille, constituent, à mon sens, une violation des obligations nées du mariage qui est extraordinairement forte et tout aussi grave que les violences.

En ne retenant que la formule "atteinte à la dignité et à l'intégrité", on laisse de côté une reconnaissance que certains faits d'une particulière gravité sont une violation des obligations nées du mariage. De surcroît, faire figurer cette formule revient à ne parler que des violences, ce qui pose la question de savoir ce que l'on fait du mariage. Il y a quand même des obligations nées du mariage !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela fait un certain temps que nous nous posons la question.

Mme Brigitte Grésy : En ne parlant plus des obligations nées du mariage - fidélité assistance et secours - on le fragilise.

Ce sont des termes derrière lesquels on met ce que l'on veut, qui évoluent, mais qui existent néanmoins. C'est vrai que je pense - moi qui suis très sensible à la promotion de l'autonomie des femmes et à leur prise en main - que le fait de ne plus faire référence aux obligations nées du mariage peut pousser les femmes vers l'autonomie, dans la mesure où elles ne bénéficieront plus ni du droit de secours, ni de la clause de l'exceptionnelle dureté.

Je ne sais pas s'il faut retenir la formule "atteinte à la dignité et à l'intégrité" ou "avec faits d'une particulière gravité", cette dernière rédaction recouvrant à la fois les violences et les violations fortes aux obligations nées du mariage, ce qui permet à l'article 242 du code civil de conserver encore une légitimité dans le prononcé du divorce.

En ce qui me concerne, je serais plutôt favorable à avoir une réparation symbolique forte au moment du prononcé du divorce, non pas en spécifiant "pour cause de ..."ni "aux torts exclusifs de...", pour éviter de retomber dans la notion de faute, mais en ajoutant "avec faits d'une particulière gravité commis par le conjoint".

Reste le problème de savoir, si tous les deux ont commis des fautes épouvantables, si ces fautes s'annulent mutuellement ou s'il convient de les nommer.

Il est nécessaire d'avoir, non seulement une réparation symbolique forte, mais aussi une réparation pécuniaire forte. Cela signifie qu'il ne faudrait pas penser : "maintenant que vous avez cette réparation symbolique, n'attendez rien des dommages et intérêts". Autrement dit, il ne faudrait pas que l'on supprime l'article 267 pour ne laisser que le recours à l'article 1382 de droit commun. Il convient, selon moi, après cet article consacré à la réparation symbolique, d'introduire nettement l'idée d'une réparation pécuniaire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous êtes favorable au maintien des dommages et intérêts ? Il y a débat sur ce point .

Mme Brigitte Grésy : Je laisserai sans hésiter les dommages et intérêts. Autant je m'interroge concernant le prononcé du divorce, autant j'ai une opinion ferme concernant les dommages et intérêts. Ils sont, en effet, relativement peu mobilisés au cours des procédures de divorce, pour la bonne raison que, souvent, les femmes n'osant pas les demander, les juges ne les prononcent pas. Ils ne le font pas, parce que leur temps est déjà grandement occupé par la multiplicité actuelle des divorces prononcés pour faute, mais si on crée le divorce avec faits d'une particulière gravité, je pense qu'ils y consacreront plus de temps.

A mon sens, il faut absolument maintenir un article qui serait rédigé en ce sens : "A l'occasion de l'action en divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, une demande de dommages et intérêts pourrait être formée par un époux, lorsque des faits d'un particulière gravité tels que des violences physiques ou morales commises par son conjoint ont concouru à la rupture, ou éventuellement l'ont accompagnée". C'est là une formule qui avait été proposée et qu'il convient, selon moi, de reprendre.

Il faut une réparation symbolique et une réparation pécuniaire. Il faut prévoir des dommages et intérêts, non pas au titre de l'article 1382, mais au titre d'un article spécifique au divorce.

M. François Colcombet : Je voudrais en revenir au thème de la répudiation. Il est vrai qu'il existe des cas de répudiation ; cela étant dit, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, la majorité des demandes de divorce proviennent des femmes.

Par ailleurs, pour ce qui est de la souffrance, il est également vrai qu'un certain nombre d'hommes vivent très mal leur divorce.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais bien sûr !

M. François Colcombet : Enfin, s'agissant de l'adultère, je ferai observer qu'il ne se fait pas tout seul, que très souvent les femmes y sont parties, et que l'on constate, d'ailleurs, qu'à partir du troisième enfant, assez nombreux sont les enfants légitimes qui ne sont pas du mari.

Tout cela pour dire que le problème de la répudiation et de l'adultère est, bien que vécu de façon différente par les uns et les autres, la chose la plus répandue du monde. C'est pourquoi je considère que la répudiation et l'adultère ne sont des fautes que s'ils sont ressentis comme des fautes par le conjoint qui les invoque et qui prouve qu'ils constituent des fautes.

Après avoir beaucoup réfléchi, je considère que tout pénaliser est très dangereux et qu'il ne faut pas gommer complètement la faute. C'est pourquoi je propose de faire un divorce de constat de rupture irrémédiable et d'y joindre, comme d'ailleurs on peut le faire actuellement, une procédure pour faute, étant précisé qu'elle serait réservée aux cas les plus graves. Dans ces procédures c'est le fait que l'on établisse de quoi résulte la faute, qui servira de stigmatisation, de réparation symbolique, etc...

Si tel n'est pas le cas, on aura la tentation d'utiliser la faute - même mon système n'y échappera pas - simplement pour se soustraire à ses responsabilités, probablement pas pour la prestation compensatoire, mais certainement pour la garde des enfants. On va tenter d'établir qu'il y a eu des fautes pour essayer d'influencer la décision.

Plus on peut tirer la faute hors du conflit, plus on peut inciter les personnes à ne pas l'inventer quand il n'y en a pas, et mieux ce sera .

Moi-même, j'ai changé au fil des discussions : je me suis laissé influencer, j'ai consenti à ajouter des mots et à en retrancher et si on en arrive à un système de cote mal taillée, c'est parce qu'il n'y a guère d'autres choix.

Ainsi que vous l'avez dit, certains divorces peuvent se civiliser, mais il est incontestable qu'une partie d'entre eux resteront difficiles. Il faut donc limiter les dégâts ici et prévoir ailleurs d'autres mesures qui restent à inventer.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : D'après un article paru dans le journal La Croix, il semblerait que 20 % des divorces font suite à des violences conjugales.

M. François Colcombet : Tout le problème est de savoir si elles sont invoquées ou non.

Pour avoir été juge des divorces, j'ai eu à connaître quantité de procédures dans lesquelles des violences conjugales étaient établies par des témoignages, sans qu'on puisse affirmer leur réalité. Je suis prêt à prendre le pari qu'il y a aussi, à l'inverse, des cas de divorces, notamment parmi les divorces par accord mutuel, où les violences ont existé et où elles n'ont pas été invoquées par les conjoints pour des raisons de convenance.

Les violences touchent un nombre de femmes, certes important, mais le pourcentage de 20 % me paraît excessif.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela paraît beaucoup parce que, culturellement, on ne parvient pas à accepter l'idée qu'une femme sur dix a été victime, au cours des douze derniers mois, de violences conjugales.

M. François Colcombet : Je peux l'admettre, mas ce n'est pas une raison pour qu'un certain nombre de conjoints, qui n'ont pas commis d'autre faute que celle de se marier et de ne pas avoir su gérer leur couple, deviennent des ennemis jusqu'à la fin des temps.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes d'accord.

M. François Colcombet : Reste à savoir quoi faire pour cette minorité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il faut voir comment Mme Irène Théry a travaillé : elle est partie de l'analyse de 700 divorces ...

Mme Brigitte Grésy : ... pour aboutir à la conclusion que l'on ne peut pas dire du divorce qu'il est le constat d'une faillite commune : c'est une formule très importante.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Effectivement, et son livre "Le démariage" est passionnant.

Mme Brigitte Grésy : C'est vrai qu'il va y avoir beaucoup d'acteurs autour de nos époux divorcés - des juges, des médiateurs, des avocats, sans compter les notaires qui ne devraient intervenir qu'en cas de liquidation de biens, sans quoi les délais risquent de s'allonger grandement, et il va falloir qu'ils travaillent ensemble.

M. François Colcombet : Il y a un point autour duquel vous tournez tous dans cette affaire, à savoir le rôle du juge.

Vous déclarez qu'il doit dire le droit. Certes, il le dit, mais le droit, c'est le législateur qui l'élabore et si on lui dit de faire de la médiation, le droit deviendra la médiation. Le juge ne fait que ce qu'on lui demande de faire et lorsqu'on lui demandait de faire une tentative de conciliation, il la faisait. La médiation existant d'ailleurs déjà dans le droit, il peut s'y adapter.

Je reste cependant partisan de la présence de l'avocat. Il faut qu'un tiers conseille, et, par rapport au juge, le médiateur est un élément stabilisateur.

Mme Brigitte Grésy : Je suis favorable au médiateur et au règlement alternatif des conflits, mais je dis également que dans certains cas précis, la médiation ne fonctionne pas.

M. François Colcombet : Vous le dites à juste titre, mais il faut obliger le juge à motiver les raisons pour lesquelles il renonce ou pas à la médiation.

Mme Brigitte Grésy : Dans le traitement des plaintes pour violences, les classements sans suites et les renvois à la médiation sont trop nombreux.

M. François Colcombet : Je suis de votre avis, mais autant je suis opposé à la médiation pénale, autant je suis favorable à la médiation civile.

Mme Brigitte Grésy : Tout à fait, mais le problème c'est qu'en cas de violences, on se situe à la limite du civil et du pénal.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'une des difficultés de cet exercice, c'est qu'il aurait fallu repenser quelles sont les obligations du mariage en 2001. C'est essentiellement aujourd'hui un contrat, mais cela reste de l'ordre de l'institution. Il convient donc de savoir ce que la société attend aujourd'hui. de cette institution. En ne répondant pas à cette question, il devient difficile de dire quelles sont les fautes . Je le ressens très fortement.

Aujourd'hui, l'adultère n'est pas reconnu, y compris par la cour de cassation, comme une cause obligatoire de divorce. En revanche, il me semble que le non-respect de l'obligation alimentaire vis-à-vis des enfants reste une faute. Il aurait fallu réécrire complètement l'article 212 du code civil.

M. François Colcombet : Le problème des enfants se pose en dehors du mariage. Je crois très sincèrement que tout cela relève de l'ordre contractuel . Le divorce par consentement mutuel, même si l'on y met un peu de forme en passant devant le juge, est finalement de l'ordre d'un contrat que l'on dissout. A mon avis, on a trop affirmé son caractère contractuel en 1975 et, actuellement, je suis partisan de conserver toute sa force à son caractère institutionnel, ce qui justifie l'intervention du juge, la procédure contradictoire, bref, toute cette lourdeur indispensable, compte tenu du fait que ce n'est pas un acte anodin : même une péridurale n'est pas anodine.

Mme Brigitte Grésy : Le temps est important pour atténuer un conflit, une situation de douleur. Cela ne se fait pas en un jour et c'est pourquoi il faut bien compter dix-huit mois, même s'il faut éviter de faire pourrir les situations.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : D'autant qu'en dix-huit mois, il faut à la fois traiter du divorce et de la liquidation.

M. François Colcombet : Dans la pratique, il restera des divorces aussi longs que par le passé, si les gens le souhaitent. Toutefois, dès le début de la procédure, on incitera les intéressés à se faire à l'idée qu'ils doivent se préparer à quelque chose d'autre, alors qu'actuellement, certaines personnes restent complètement bloquées jusqu'à l'absurde, jusqu'à la condamnation, et vivent dans des situations qui sont peut-être explicables de leur point de vue, mais qui s'avèrent catastrophiques pour leurs enfants et leur entourage.

*

* *

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a enfin entendu Mme Yvonne Flour, professeure de droit privé à l'Université de Paris I.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La Délégation aux droits des femmes vous est très reconnaissante d'avoir accepté de venir exposer les conclusions du groupe de travail "Droit de la famille" dirigé par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, concernant la réforme du divorce, au regard de la proposition de loi déposée par M. François Colcombet.

Vous avez en effet activement participé aux travaux du groupe de travail et nous souhaiterions vous entendre sur les observations alors formulées concernant la nécessité d'une réforme du divorce, la valorisation des accords entre époux divorçants, la dédramatisation du divorce et l'assouplissement des procédures.

La proposition de loi, dont nous aurons à débattre le 9 octobre, qui part des mêmes constats, n'en tire pas toujours les mêmes conséquences, ni les mêmes enseignements. Le texte qui nous est soumis diverge notamment sur un point fondamental en supprimant le divorce sur demande acceptée et le divorce pour faute pour le remplacer, à côté du divorce pour requête conjointe, par une seule procédure : le constat de la rupture irrémédiable de la vie commune.

On a pu considérer que la suppression de la notion de faute, c'est-à-dire de la notion de violation des obligations du mariage, risquait de porter atteinte à la symbolique et à la signification du mariage. Ne correspond-elle pas plutôt à un divorce dégagé des contentieux "destructeurs", basé sur l'expression raisonnable des volontés individuelles, aidé par l'intervention de la médiation, et renvoyant davantage à un mariage contractuel ?

L'article 9 de la proposition de loi modifiant l'article 267 du code civil, qui prévoit des dommages-intérêts si un des époux justifie d'un préjudice matériel ou moral consécutif à des fautes caractérisées de l'autre époux, vous paraît-il de nature à apporter une réparation satisfaisante à l'époux victime ?

Mme Yvonne Flour : En ce qui concerne la notion du divorce pour faute, si je me replace dans la perspective de la commission Dekeuwer-Défossez, nous sommes partis d'un a priori qui n'a, en réalité, pas vraiment donné lieu à débat, selon lequel la pluralité des causes de divorce, telle qu'elle résultait de la loi de 1975, méritait d'être conservée, en ce sens que la situation des couples divorçants n'étant pas identique, il était souhaitable d'avoir une pluralité de causes répondant à des situations conjugales différentes.

Prendre ce parti n'a évidemment de sens que si chacune des causes de divorce que l'on maintient présente une spécificité ou une autonomie par rapport aux autres, de telle manière qu'elle ne donne pas l'impression de faire double emploi ou de s'inscrire dans une vision un peu désordonnée des choses.

Nous avons donc retenu quatre pistes complémentaires.

La première sur laquelle le consensus est, je crois, assez facile à rassembler, était la simplification du divorce par consentement mutuel.

La deuxième, à laquelle je reviendrai dans un instant, était le maintien du divorce pour faute comme une cause autonome répondant à certains types de situations.

La troisième concernait le divorce pour rupture de la vie commune, qui nous semblait pouvoir être maintenu, tout en étant assez fortement réformé sur deux points : le raccourcissement de la phase de séparation et une reconsidération dans le sens d'un rééquilibrage des effets de ce divorce très spécifique.

La quatrième avait trait au divorce demandé par un époux et accepté par l'autre qui, très peu pratiqué, méritait d'être reconsidéré complètement, dans la mesure où il nous paraissait ouvrir une voie très utile : la possibilité d'un divorce d'accord, mais d'un accord réalisé, non pas au départ, mais en cours de procédure.

Tel qu'il est actuellement, ce divorce ne fonctionne pas très bien, parce que les époux échangent des mémoires dans lesquels celui qui veut le divorce explique, comment, à ses yeux, se présente la vie conjugale et pourquoi elle ne marche plus, l'autre lui répondant ou ne lui répondant pas, auquel cas, la procédure ne se noue pas, ce qui signifie qu'à aucun moment le juge n'est saisi. Il est alors nécessaire de repartir sur d'autres bases, de tout reprendre à zéro, ce qui peut faire perdre quelques semaines ou quelques mois.

De là est née l'idée de prévoir une phase préalable à la procédure, qui soit une phase banalisée, pour permettre à l'époux qui veut le divorce de saisir le juge sans indiquer sur quelles causes, de manière, notamment, à éviter d'avoir à énoncer des fautes ou des griefs et pour que l'accord du conjoint sur le principe du divorce puisse se réaliser. En effet, on sait que lorsque des griefs sont invoqués dès le début, les chances de voir un accord intervenir en cours de procédure sont très largement compromises.

Tel est l'objet de cette phase de procédure préalable, qui est une phase neutre, dans laquelle on énonce la volonté de divorcer sans la motiver, le tout étant pensé pour permettre à l'accord des époux de se réaliser. Si cet accord ne se fait pas, une assignation indique alors les causes pour lesquelles on demande le divorce.

Encore une fois, cette coexistence de quatre cas différents de divorce n'a de sens que si chacun a une autonomie suffisante. Si l'on s'oriente vers un divorce plus ou moins pour faute, mais dans lequel serait gommé l'effet attaché à la répartition des torts, si l'on raccourcit de façon significative la durée de la séparation de fait qui ouvre le droit au divorce pour rupture de la vie commune, si on transforme le divorce demandé et accepté pour en faire un échec de la vie conjugale, on finira par se retrouver avec trois causes de divorce à peu près identiques et qui, par conséquent, ne se justifieront plus, le divorce par consentement mutuel conservant sa signification propre.

Il y avait donc un parti pris de départ qui consistait à conserver des causes suffisamment distinctes pour répondre à des objectifs différents.

A la réflexion, j'ai considéré que cet a priori de départ pourrait peut-être se trouver lui-même remis en question et, à cet égard, je dois dire que la proposition de loi de M. François Colcombet me paraît relativement équilibrée, dans la mesure où elle propose soit un consentement mutuel, auquel cas on se trouve dans un divorce d'accord, soit une autre cause de divorce, qui se décline d'ailleurs par la suite, mais qui est présentée comme une voie unique de divorce, hors du consentement mutuel.

C'est une position qui me paraît pouvoir être retenue, qui a sa cohérence et sa logique, tout en étant assez différente de celle que nous avions adoptée.

J'en arrive maintenant plus spécifiquement à la question que vous m'avez posée concernant le maintien du divorce pour faute. Deux éléments ont très clairement joué dans notre conviction : un élément de pur fait et un élément de principe.

L'élément de pur fait est le suivant : au fond, cette procédure pour faute reste très pratiquée par les époux. Il est vrai que c'est une donnée assez ambiguë, que je ne suis, moi-même, pas sûre de percevoir exactement, n'ayant pas de pratique très précise sur ce point, puisque j'enseigne le droit, et que je ne suis pas avocate. Il n'en reste pas moins vrai que la question peut se poser de savoir pourquoi 45 % environ des demandes de divorce passent encore par la faute.

Quelle que soit l'explication que l'on en donne, on peut penser qu'une bonne partie des divorces inclus dans ce pourcentage correspond probablement à des "fausses fautes" ou à des fautes mal caractérisées et plus ou moins réparties sur la tête de chacun des deux époux, de telle sorte qu'ils seraient mieux placés dans une autre voie.

Il reste qu'il est un peu étrange de prétendre abroger une voie qui continue de drainer près de la moitié des procédures et dont les époux ne se détournent pas. On comprendrait mieux que l'on abroge un divorce qui donne l'impression de tomber en désuétude, ce qui n'est absolument pas le cas du divorce en question.

C'est là une première observation qui peut paraître très empirique et très pragmatique, mais qui a joué dans notre choix.

Il est une autre raison à ce choix, qui est, elle, plus fondamentale et qui répond à une idée à laquelle je suis, personnellement assez attachée, à savoir que c'est un principe général du droit que chacun doit répondre de ses fautes. On ne comprend pas pourquoi, sous prétexte que l'on est marié, on serait, en quelque sorte, lavé a priori de toute culpabilité, le mariage devenant une espèce d'espace d'immunité ou, qu'au motif qu'il est trop difficile de savoir ce qui se passe dans l'intimité d'un couple, on considérerait qu'il n'y a plus de faute et que tous les comportements se valent.

Pour ma part, je trouve qu'il n'y a pas de raison que l'époux qui commet des fautes n'ait pas à en répondre ou ne puisse pas être amené à en répondre devant un juge.

J'avais notamment pensé - et j'ai cru comprendre que c'était une de vos préoccupations - aux cas de violences conjugales, dont on parle beaucoup par ailleurs. Il est vrai qu'elles peuvent trouver d'autres types de réponses, par exemple par la voie du droit pénal ou par la voie du droit commun de la responsabilité civile, mais je considère que l'on ne peut pas à la fois se plaindre de la pénalisation excessive de la vie sociale et considérer que le droit pénal est le seul instrument de réponse à la violence ou à la faute. J'estime aussi que se retourner vers le droit commun de la responsabilité civile, c'est oublier que le lien conjugal est un lien qui crée des rapports spécifiques entre les personnes : je dois quand même à mon conjoint plus de devoirs, plus d'obligations et plus de comptes que je n'en dois à mon voisin de palier ou au premier venu que je bouscule dans la rue.

Il me semble donc qu'il est difficile de construire un droit du mariage qui soit absolument exonéré de toute idée de faute, de responsabilité ou de toute idée que l'on doit répondre de ses fautes.

C'est vraiment là une position de principe, j'y insiste encore une fois, puisque c'est un principe général du droit qui veut que l'on réponde de ses fautes et que le mariage crée entre les époux des rapports spécifiques qui justifient que celui qui est victime puisse invoquer les torts, les préjudices ou les violences dont il est victime devant un juge, à l'appui, non pas seulement d'une action en dommages et intérêts, mais également d'une demande en divorce.

Je sais bien que des objections peuvent être opposées à ce raisonnement, la plus claire étant que la plupart des pays européens ont retenu un divorce pour cause objective, dans lequel la faute est tenue pour accessoire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons reçu, la semaine dernière, le professeur François Boulanger, qui nous a dit que cette affirmation devait être nuancée et que bon nombre d'éléments subjectifs subsistaient encore dans leurs droits.

Mme Yvonne Flour : Cela va tout à fait dans le sens de ce que je pense, puisque je considère que, si on veut chasser la faute par une porte, elle va nécessairement, entrer par une autre. Je constate d'ailleurs que, d'une certaine manière, votre proposition de loi l'illustre, puisque l'on commence par y énoncer des causes purement objectives pour retrouver, au bout du compte, la faute à l'article 267 du code civil, selon lequel, s'il y a des fautes caractérisées, elles donneront lieu à des dommages et intérêts. Cela démontre bien que l'on ne peut pas gommer la référence à la faute.

C'est une position que je qualifierai d'ambiguë, puisqu'on veut évacuer la faute, mais qu'en réalité, on ne le fait pas et que l'on va nécessairement la réintroduire.

Toute la question est de savoir s'il y a un intérêt à ne pas la faire figurer comme cause et à ne la voir que sous l'angle des conséquences et des dommages et intérêts. C'est possible, puisqu'elle n'apparaîtra pas dans l'énoncé du jugement de divorce.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est un point en discussion.

Mme Yvonne Flour : Est-ce suffisant ? Je l'ignore. Je suis assez sensible à l'idée que, probablement, la question n'est pas seulement financière et que, dans un certain nombre de cas, l'épouse ou éventuellement l'époux, qui serait victime soit de violences, soit d'autres fautes très caractérisées, trouve un intérêt moral à affirmer à la fois qu'il a été victime et que la rupture du lien conjugal ne lui est pas imputable.

Pour ce qui me concerne, je reste assez attachée à l'idée qu'il n'y a vraiment aucune raison d'énoncer que le mariage devrait être un espace d'immunité, dans lequel on ne répond plus de ses fautes ou dans lequel il n'y a plus de faute parce que les comportements sont trop banalisés.

La difficulté est une difficulté très réelle, à laquelle j'ai souvent réfléchi sans pouvoir y trouver de réponse précise et je crains donc de beaucoup vous décevoir.

En effet, on voudrait pouvoir faire en sorte que ce divorce pour faute, s'il était maintenu, soit réservé à des cas de fautes véritables, caractérisées, c'est-à-dire incluant véritablement un jugement moral. La difficulté à laquelle on se heurte - et qui est d'ailleurs propre à presque tout le droit civil, mais aussi au droit du divorce -, c'est que l'on a fini, pour des raisons autres, c'est-à-dire pour des raisons purement empiriques, voire pratiques, par faire passer sous le terme "fautes" des comportements totalement banalisés et, moralement, relativement neutres.

C'est vrai dans le droit de la responsabilité civile où, très souvent, pour assurer une indemnité à la victime, on a gonflé le concept de faute de façon tout à fait excessive, mais c'est également vrai dans le cadre du divorce où, à une époque, comme il n'y avait pas d'autre moyen d'obtenir le divorce que d'invoquer des griefs contre son conjoint, on finissait par appeler faute n'importe quoi.

Si vous m'y autorisez, je citerai cette petite anecdote, que je raconte quand je veux faire éclater de rire un amphithéâtre d'étudiants en première année de droit. Il s'agit d'un jugement qui a été rendu en 1972, donc antérieurement à la réforme de 1975 : le mari reprochant à sa femme d'avoir refusé de l'accompagner à un match de football, au motif que ce sport ne l'intéressait pas, puis la semaine suivante, à un match de rugby, le tribunal a établi qu'il y avait violation des devoirs du mariage - la femme doit s'intéresser à ce qui intéresse son mari -, que cette violation était grave et renouvelée puisqu'elle s'était produite à deux reprises et qu'il fallait donc prononcer le divorce.

On voit bien là qu'il y a une sorte de banalisation de la notion de faute, qui lui retire son caractère symbolique et lui fait perdre son sens. On voudrait donc restituer son sens au terme de "faute", de manière à ce que la mésentente conjugale ne passe pas sous le vocable "faute", mais se retrouve soit dans un divorce "rupture de la vie commune", soit dans un divorce "demande acceptée" rénové, soit pourquoi pas, dans un divorce pour "cause objective".

La chose est difficile, car le texte "violation grave et renouvelée des obligations du mariage" est assez lourd et dense dans ses termes et c'est donc l'interprétation du juge qui l'a vidé de son sens. Pour autant, c'est une interprétation qui est maintenant tellement admise dans la psychologie judiciaire que la loi de 1975 n'y a rien changé.

Quoi qu'il en soit, il faudrait sans doute abandonner cette formule qui est devenue trop banalisée et avoir le courage de réécrire l'article 242 du code civil, c'est-à-dire donner une nouvelle définition de la faute. Je me suis posé la question de savoir s'il convenait d'énumérer les fautes, mais cela me semble être une voie dont l'expérience a montré qu'elle est très difficile à emprunter.

Mme Yvette Roudy : Quelles sont les "obligations du mariage" ?

Mme Yvonne Flour : Si on s'en tient aux textes, elles sont au nombre de quatre. D'abord, les époux s'obligent à une communauté de vie et par conséquent, la rupture de la communauté de vie, à cet égard, constitue une faute, mais avec beaucoup de nuances, car on peut avoir des raisons légitimes de refuser la communauté de vie. Ensuite, conformément au très célèbre article 212, les époux se doivent fidélité, secours et assistance.

Mme Yvette Roudy : On pourrait peut-être supprimer la fidélité pour ne conserver que le secours et l'assistance.

Mme Yvonne Flour : C'est votre point de vue ! Je ne vous cache pas que ce n'est pas le mien. Je trouve, en effet, qu'un mariage dans lequel il n'y aurait plus de devoir de fidélité perdrait quand même une grande partie de sa signification.

En réalité, si on voit à peu près en quoi consiste le devoir de fidélité, en revanche, les choses sont moins nettes concernant le secours.

Ces termes n'ont plus le même sens, vous avez raison de le souligner, mais l'interprétation jurisprudentielle a tenu compte de cette évolution de la sensibilité des couples. Par ailleurs, en droit positif, l'adultère n'est plus une cause péremptoire, ni un délit pénal, ce qui me fait dire que l'évolution du droit a assez bien suivi l'idée que la fidélité a aujourd'hui un sens plus moral que proprement charnel, si je puis dire.

En réalité, l'essentiel du contentieux porte sur le devoir d'assistance, parce que, si l'on sait que le devoir de secours est un devoir pécuniaire, qui se confond plus ou moins avec l'obligation qui pèse sur chacun des époux de contribuer aux devoirs de la famille ou de la vie commune, on met, en revanche, sous le terme d'assistance, toutes sortes de notions assez morales, allant de l'obligation d'être un bon père, mais aussi un bon conjoint, jusqu'à celle de faire la conversation à l'autre quand il rentre du travail, de lui soutenir le moral en cas de difficultés, de faire preuve de bonne humeur, de le soigner quand il est malade, etc...

C'est le devoir d'assistance qui inclut toutes sortes de comportements qui apparaissent comme des comportements souhaitables ou normaux entre époux et dont il est difficile d'imaginer que la loi les énumère, étant donné que ce sont eux qui forment le tissu de la vie conjugale.

On trouve ainsi des jugements qui expliquent, par exemple, qu'il y a faute lorsque le mari rentre tous les jours de son travail, achète un énorme bouquet de fleurs qu'il place au milieu de la table de façon à ne pas voir sa femme et à ne pas avoir à lui parler pendant les repas. Par conséquent, le fait de faire la conversation et d'entretenir un climat pacifique et convivial fait partie, sous cet angle, des devoirs du mariage.

Ce à quoi tient la difficulté de définir la faute, c'est qu'il est malaisé d'énumérer des fautes, et malaisé d'énumérer ce type d'obligations qui ont un contenu un peu flou, tout en formant le tissu de la vie d'un couple.

On pourrait peut-être envisager d'inscrire l'idée d'une faute caractérisée, mais sous réserve qu'elle soit toujours subordonnée à l'interprétation du juge.

J'avais sérieusement pensé aux violences conjugales en jugeant inopportun d'abandonner le divorce pour faute : toute la question est de savoir comment on l'articule avec un divorce qui soit un divorce pour ce que vous avez appelé "rupture irrémédiable" ou pour "mésentente conjugale", que l'on décrocherait alors complètement de l'idée de faute.

Mme Yvette Roudy : Votre argument le plus fort consiste à poser la question de savoir pourquoi abandonner le divorce pour faute, dès lors que 45 % des demandes de divorce passent par la faute.

Mme Yvonne Flour : C'est un argument, mais il reste difficile à expliquer, y compris pour moi-même. Certains mauvais esprits pensent que les avocats portent une part de responsabilité dans la situation, ce qui est peut-être un peu simpliste, mais pas totalement exclu.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il est un autre argument, qui me paraît fort lui aussi, à savoir que la banalisation du terme "faute" ôte tout sens à la faute elle-même.

Mme Yvonne Flour : C'est ma conviction, dans une vision plus large des choses : je pense que l'on ne peut pas construire un système juridique qui fasse l'économie de la notion de culpabilité, de faute ou d'imputabilité morale des comportements. En même temps, on a tellement galvaudé le terme dans toutes sortes de secteurs du droit qu'à partir du moment où il n'a plus de sens moral, il ne sert vraiment plus à rien.

En y réfléchissant, j'ai tiré la conclusion qu'il serait probablement utile d'avoir un divorce pour "mésentente".

Ce qui me trouble également dans la nouvelle rédaction de l'article 267, c'est que trois interrogations peuvent entrer en ligne de compte.

Le premier consiste à savoir si l'époux peut avoir un intérêt moral à ce que soit écrit, dans la cause même du divorce, qu'il n'est pas responsable de la rupture du lien conjugal, mais que cette dernière est entièrement imputable à l'autre. C'est assez difficile, mais il peut y avoir des cas suffisamment caractérisés pour qu'il y ait un intérêt moral à le dire.

Deuxièmement, s'il y a des fautes caractérisées, je me demande jusqu'où l'on peut aller dans la dissociation des conséquences pécuniaires du divorce et de la cause, en d'autres termes, si l'on peut vraiment imaginer que les époux divorçants admettront que celui qui a commis toutes les fautes puisse, néanmoins, demander une prestation compensatoire. Je ne trouve pas cela forcément simple. Si j'en reviens aux violences conjugales, on peut se demander si la femme battue, qui est plus riche que son mari, va trouver normal de devoir lui verser une prestation compensatoire. Cela ne me semble pas simple à accepter et je ne sais pas si cela sera vraiment bien perçu.

De même, comment sera reçu celui qui, ayant complètement bafoué le devoir de fidélité conjugale - et je dis cela en toute neutralité - et abandonné conjoint et enfants, dont il se désintéresse complètement, viendra, au bout d'un certain temps réclamer une prestation compensatoire ? Il est vrai, là aussi, que, le plus souvent, c'est la femme qui n'a pas de ressources et le mari qui a adopté un tel comportement, mais j'ignore jusqu'où l'on peut aller dans ce sens.

Je verrai favorablement que l'on fixe un butoir, en disant qu'il n'y a pas de lien, mais que la prestation compensatoire peut être refusée en cas de faute caractérisée de celui qui serait le créancier potentiel.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je me réjouissais plutôt, en ce qui concerne la prestation compensatoire, de ce qu'en supprimant les torts exclusifs, on supprime l'impossibilité de recours à la prestation compensatoire. Le fait de couper la situation financière en deux peut apaiser la procédure antérieure.

Mme Yvonne Flour : C'est sûr.

M. Patrick Delnatte : Les dommages-intérêts peuvent venir compenser.

Mme Yvonne Flour : Oui, mais la logique de votre texte n'est pas de lier les dommages-intérêts aux biens. La prestation compensatoire, elle, est liée aux biens, parce qu'elle a pour but de permettre à celui qui a moins de ressources de rétablir un équilibre et d'assurer à celui qui n'a pas de ressources les moyens de vivre ou de reconstruire sa vie sur des bases différentes.

Il me semble que, dans la logique de votre texte, les dommages-intérêts devraient plutôt être liés à la gravité de la faute - même si cela n'est pas tout à fait conforme aux principes généraux du droit de la responsabilité civile - et d'un préjudice qui n'est pas essentiellement un préjudice financier, puisqu'il s'agit tout de même de préjudices qui portent atteinte à la personne. Cela me paraîtrait d'ailleurs plus clair.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En suivant votre raisonnement, on pourrait très bien avoir un couple dans lequel une femme bénéficierait de la prestation compensatoire au titre de la perte financière, mais devrait verser à son époux des dommages-intérêts.

Mme Yvonne Flour : Oui, il pourrait y avoir une compensation partielle.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela ne résout pas la question de savoir comment traduire cette notion dans le texte. Jusqu'à présent, on exclut la possibilité de le faire dans le prononcé du divorce. Faut-il réintroduire cette notion dans le prononcé du divorce, auquel cas, on ne supprime pas le divorce pour faute ?

Mme Yvonne Flour : Oui, mais la coexistence du divorce pour cause objective et du divorce pour faute pose des problèmes de cohérence.

Si l'un des époux demande le divorce sur le fondement du caractère irrémédiable de la rupture et si l'autre le demande pour faute, il faut envisager une façon d'articuler les deux demandes et savoir si l'on abandonne complètement au juge le soin de dire sur quel fondement il prononce le divorce et si les fautes invoquées lui paraissent plus ou moins sérieuses. Cela pose des problèmes d'articulation auxquels il faut réfléchir.

M. Patrick Delnatte : D'où l'intérêt du tronc commun !

Mme Yvonne Flour : Oui ! Dans le rapport que nous avons élaboré pour la commission Dekeuwer-Défossez, je considère que ce tronc commun est l'une des choses dont nous pouvons tirer la plus grande fierté. Cela me paraît être une bonne idée, parce que si, d'entrée, chacun déballe ses griefs sur la table, on bloque pratiquement toute possibilité de repartir vers un accord, alors que si l'on énonce son intention de divorcer et que l'on ne parvient pas à un accord, on peut basculer vers une autre formule, notre idée étant que cela n'implique pas de reprendre la procédure à zéro en perdant au moins six mois.

C'est une proposition assez pragmatique, qui ne véhicule pas des concepts grandioses, mais qui a le mérite de répondre à une vision assez empirique et utile de la procédure de divorce.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je trouve très importante votre remarque antérieure soulignant que la banalisation de la notion de faute lui fait perdre son sens. Cela confirme les propos d'une juge qui me disait qu'aujourd'hui, ses confrères renvoyaient la plupart du temps les époux aux torts partagés, mais que si, demain, on ne devait plus retenir que les faits graves, ils seraient autrement exigeants et rigoureux.

Mme Yvonne Flour : Ils le seraient sans doute d'autant plus que cela n'aboutirait pas à fermer l'accès au divorce.

En outre, j'estime qu'il n'est pas bon que le langage juridique soit trop éloigné du langage commun, c'est-à-dire de ce que les gens qui ne sont pas juristes mettent sous les mots qu'ils emploient. Quand nous employons des termes techniques qui ne sont utilisés que par nous, ce n'est pas grave, mais lorsque nous employons le mot "faute", je crois que, dans l'esprit de la plupart des gens, il a une connotation morale, de sorte que lorsque nous nous en servons en droit civil uniquement comme vecteur ou comme instrument pour obtenir, soit une indemnisation, soit le prononcé de la rupture d'un lien dont personne ne veut plus, alors même que les torts, s'il y en a, sont répartis de part et d'autre, on lui accorde un sens purement technique, qui est complètement en décalage avec le sens usuel.

On en fait ainsi véritablement "un faux ami", comme il en existe dans les langues étrangères, puisqu'on emploie ce terme dans un sens qui n'est pas du tout celui que l'homme ou la femme de la rue peut lui donner.

Je pense que le droit gagnerait beaucoup à réattribuer au mot son vrai sens et à trouver d'autres vecteurs techniques là où il en besoin pour des finalités qui lui sont propres. Peut-être une redéfinition du terme faute serait-elle de nature à pousser les juges à accorder plus d'attention à cette notion.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il est une autre difficulté qui consiste - et nous en revenons au contenu du contrat de mariage - à définir ce que sont les "faits d'une particulière gravité". On voit bien que les choses évoluent - nous évoquions précédemment le fait que l'adultère n'est plus considéré comme un délit pénal et qu'il n'est plus une cause péremptoire - et que nous avons du mal à fixer certaines notions.

Pour le secours, les choses sont claires - et à mon avis un manquement à ce devoir relève des faits graves -, mais pour l'assistance qui renvoie à l'ordre moral et à la plus complète subjectivité, c'est plus compliqué.

Mme Yvonne Flour : Je trouve moi-même l'argument un peu faible, mais il ne faut pas oublier, non plus, que cela donne une très forte portée symbolique au divorce pour faute, puisque c'est à travers la manière dont le juge lit ce qu'est une faute dans le divorce, qu'il est possible d'en déduire sa façon de considérer les obligations ou les devoirs entre époux dans le mariage, étant donné que la loi ne les énumère que très vaguement. La jurisprudence sur la faute dans le divorce à donc une certaine portée symbolique qui éclaire un peu le contenu positif du lien conjugal.

Cela étant, cet argument n'a sans doute qu'une force limitée compte tenu du fait qu'il est un peu bizarre de prétendre définir le contenu du mariage par le divorce.

M. Patrick Delnatte : C'est le rôle du juge que de faire évoluer l'interprétation par rapport à l'évolution des m_urs. Pour autant, certains disent que, s'agissant d'une affaire purement intime, il n'appartient pas au juge de se prononcer. Personnellement, je comprends bien votre démarche qui consiste à dire, puisqu'il est impossible de dresser une liste des fautes, que le juge doit s'adapter à l'évolution des mentalités.

Mme Yvonne Flour : On ne peut pas éviter que la sensibilité personnelle du juge interfère, mais il me semble que les juges français dans leur majorité ne jugent pas uniquement à travers leur opinion personnelle, mais tentent plutôt de refléter ce qu'ils pensent être une certaine sensibilité sociale.

M. Patrick Delnatte : Y a-t-il beaucoup d'appels des jugements de divorce ?

Mme Yvonne Flour : Oui, en revanche, il y a peu d'actions en divorce refusées.

Mme Yvonne Flour : S'agissant de la Cour de cassation, qui n'apprécie pas les faits, elle ne va pas dire si tel comportement constitue ou non, une violation grave et renouvelée des obligations du mariage. En revanche, elle va vérifier que le juge s'est bien attaché à la loi. Cela devient très formel, parce qu'à partir du moment où le juge dit dans le jugement qu'il a relevé tels et tels faits qui constituent des violations graves et renouvelées, la Cour de cassation va considérer que le jugement est motivé au regard du texte légal et qu'il ne lui appartient pas de revenir sur l'appréciation de la gravité des faits éventuels.

En outre, j'ai vu que, récemment, la Cour de cassation a plutôt assoupli sa jurisprudence sur ce point, puisque, jusqu'à une époque très récente, elle insistait sur le fait que les faits invoqués par l'époux demandeur du divorce pour faute devaient être graves et renouvelés alors que, dans un arrêt qu'elle a rendu en 2000, elle abandonne le "et", de telle sorte qu'ils suffit maintenant que ces faits soient, soit graves, soit renouvelés.

J'estime que ce n'est pas un progrès, car ce n'est plus le moment de banaliser la faute : il serait bien préférable de lui redonner un contenu fort. Dans ce cas particulier, on aurait pu renvoyer les époux à un divorce demandé et accepté, les inciter à se mettre d'accord pour engager une procédure de divorce par consentement mutuel ou même à se séparer de fait et à attendre que le délai de séparation soit expiré.

L'idée d'un assouplissement de la faute n'est pas d'actualité, mais peut-être la Cour de cassation traduit-elle par là une évolution vers un divorce purement objectif.

On pourrait envisager une formule faisant état de manquements caractérisés bien qu'en parlant de "manquements caractérisés aux obligations du mariage", on retombe en partie sur la difficulté que signalait précédemment Mme Yvette Roudy, à savoir que les obligations du mariage sont elles-mêmes définies de façon assez floue.

Là encore, tout dépend tellement de l'évolution des m_urs qu'il paraît difficile de préciser les choses, car le mariage est un contrat bien particulier.

Vous me permettrez d'ajouter que je ne suis absolument pas d'accord avec la nouvelle rédaction des articles 268-269 qui, si on les laisse en l'état, me semblent susceptibles de poser plus de problèmes qu'ils ne vont en résoudre.

Quand on pense aux donations et avantages que les époux ont pu se consentir, il faut toujours garder présent à l'esprit le fait qu'ils sont de deux sortes qui doivent, à mon avis, être très clairement traitées de manière différente.

Il y a des donations qui sont celles que nous appelons entre vifs, par lesquelles le transfert de la propriété du bien donné s'opère immédiatement. Aujourd'hui, ce sont des donations de droit commun et, actuellement, dans le droit positif, elles sont révocables entre époux, ce qui leur confère un caractère très particulier. Je ne verrais là aucun inconvénient à dire que, soit elles sont révoquées avant le divorce, soit elles sont maintenues.

En revanche, il y a des donations au dernier vivant qui sont très particulières, puisqu'il s'agit en réalité d'un testament contractuel. En ce cas, la seule position raisonnable consiste à dire qu'en tout état de cause, ces donations sont révoquées par l'effet du divorce.

Le système qui permet, soit de les maintenir, soit de les révoquer, me paraît très mauvais en ce sens qu'il permet, quinze ans après le divorce, voire plus tard, à un ex-époux de venir à la succession de son conjoint qu'il n'aura plus vu depuis lors.

C'est une situation ingérable qui se présente très rarement, mais qui existe.

Mme Marie-Françoise Clergeaur : Cela ne peut pas être inclus au moment de la liquidation du patrimoine ?

Mme Yvonne Flour : Si, mais parfois on les oublie.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Elles sont dans le contrat de mariage ?

Mme Yvonne Flour : Elles peuvent l'être, mais le plus souvent elles sont en dehors.

Si les époux y pensent, en général, ils les révoquent, mais si tel n'est pas le cas, prévoir que : "... il emporte maintien des donations et avantages que les époux ont pu se consentir, sauf manifestation de volonté contraire des époux" est tout à fait normal, quand il s'agit des donations de biens présents. En revanche, s'il s'agit de donations de biens à venir, cela engendre des difficultés inextricables.

A mon sens, la seule manière de traiter tout ce qui est donations de biens à venir, c'est-à-dire des donations au dernier vivant, qui ont une nature successorale et qui jouent le rôle d'un testament, indépendamment de la nature du divorce et des torts, c'est, dès lors que le divorce est prononcé, de faire tomber ces donations, tout simplement au motif que si elles ont été consenties, c'était aux fins de préserver le conjoint survivant.

S'il n'est plus conjoint, il n'a plus à venir à la succession : c'est d'autant plus aberrant qu'il a pu se remarier et faire une donation à son nouveau conjoint.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela n'annule pas la première donation ?

Mme Yvonne Flour : Pas forcément ! On entre dans des problèmes d'interprétation compliqués, c'est pourquoi je suis tout à fait favorable à ce que l'on traite différemment les donations dites de "de biens présents" ou "entre vifs" et les donations au dernier vivant, en précisant que toutes les donations qui sont au profit de l'époux survivant doivent être révoquées automatiquement et de plein droit par l'effet du divorce.

Pour les autres, j'admettrais très bien qu'elles soient maintenues, compte tenu du fait que si elles ont été faites, c'est parce que l'on aimait son conjoint et que si les sentiments ont changé, ce n'est pas une raison pour les annuler. Sur ce point, la position peut être un peu plus ouverte, étant entendu qu'au moment du divorce, il faut que la question soit réglée.


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