ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION

AUX DROITS DES FEMMES

ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES

ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 5

mardi 25 janvier 2000
(Séance de 10 heures)

Présidence de Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Présidente

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce (n° 735)

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La Délégation a examiné le rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce (n° 735).

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure, a indiqué que le Parlement était amené à examiner le régime juridique de la prestation compensatoire en matière de divorce parce que celle-ci n'avait pas atteint les objectifs que le législateur lui avait assignés.

Elle a rappelé les caractéristiques et les modalités de cette prestation, instituée par la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce, soulignant notamment son caractère indemnitaire et son caractère forfaitaire. « Destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives », la prestation compensatoire prend, en principe, la forme d'un capital ; « à défaut de capital ou si celui-ci n'est pas suffisant », cette prestation prend la forme d'une rente qui peut être viagère.

La rapporteure a également rappelé que la prestation compensatoire ne peut être révisée même en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties, sauf si l'absence de révision devait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité. En outre, à la mort de l'époux débiteur, la charge de la rente passe à ses héritiers.

Observant que les modalités de la prestation compensatoire définies par le législateur avaient été infléchies par la pratique, la rapporteure a présenté une analyse statistique des jugements de divorce prononcés en 1996, réalisée par le ministère de la Justice, dont il ressort que 14 % des divorces étaient assortis d'une prestation compensatoire, que 97 % des prestations compensatoires avaient été accordées à des femmes, et que la rente mensuelle fixe était la forme privilégiée de la prestation compensatoire : 63 % étant versées durant un nombre d'années déterminé, 31 % pendant la vie du créancier et 6 % jusqu'à ce qu'un événement aléatoire vienne interrompre le versement. En outre, à partir de cinquante ans, la rente viagère est prépondérante.

La rapporteure a indiqué que la révision de la rente demeurait exceptionnelle, en raison du caractère très restrictif des textes et de leur application par la jurisprudence. A cet égard, elle a souligné le caractère inéquitable et dramatique de certaines situations dont les parlementaires avaient été saisis, et évoqué les critiques formulées à l'encontre du principe de la transmission de la charge de la rente aux héritiers du débiteur.

Elle a ensuite analysé les initiatives prises par les parlementaires au cours des dernières années pour remédier à ces situations.

La proposition de loi adoptée par le Sénat, sans remettre en cause le caractère forfaitaire de la prestation compensatoire en assouplirait la révision et faciliterait le versement de celle-ci sous forme de capital. Le principe de la transmission de la charge de la rente aux héritiers serait maintenu mais ceux-ci pourraient également en demander la révision.

Plusieurs propositions, déposées par M. André Gérin et les membres du groupe communiste et apparentés (n° 156), par M. Pierre-André Wiltzer et plusieurs de ses collègues (n° 579) et par M. Michel Hunault (n° 1989) ont pour objet d'assouplir les conditions de révision de la prestation compensatoire, ce dernier texte visant également à limiter la durée de la rente et prévoyant qu'au décès du débiteur, la charge de celle-ci est transmise à ses héritiers après révision.

Une proposition de loi de M. Yves Nicolin et plusieurs de ses collègues (n° 1900) tend à substituer à la prestation compensatoire une indemnité de séparation qui prendrait la forme d'un capital fixé par le juge ou d'une rente temporaire qui ne pourrait excéder dix ans. Elle serait révisable et intransmissible.

Enfin, une proposition de loi présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 2098) pose le principe selon lequel la prestation compensatoire prend la forme d'un capital dont le montant, fixé par le juge, doit être payé dans un délai maximum de six ans ; à titre dérogatoire, elle pourrait prendre la forme de rente viagère, dans des cas déterminés.

En ce qui concerne la prestation compensatoire versée en capital, seules les modalités de paiement pourraient être révisées en cas de changement notable dans la situation du débiteur. Par ailleurs, la charge du solde de capital restant dû au décès du débiteur serait transmise aux héritiers de ce dernier, qui pourraient aussi demander la révision des modalités de paiement.

Quant à la prestation compensatoire versée sous forme de rente viagère, elle serait fixée par le juge, notamment en considération de l'âge, de l'état de santé du créancier, et de la durée du mariage. La révision de celle-ci serait possible « en cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties ». La charge de la rente passerait aux héritiers du débiteur, déduction faite de la pension de réversion du chef du conjoint décédé, ceux-ci pouvant également en demander la révision.

Enfin, à titre transitoire, les dispositions relatives à la révision des prestations compensatoires versées sous forme de rente viagère seraient applicables aux rentes en cours.

La rapporteure a ensuite présenté ses recommandations qui visent à favoriser l'équité entre les débiteurs et les créanciers de prestations compensatoires ; elle a notamment estimé qu'il conviendrait :

- de réaffirmer le principe du versement sous forme de capital et d'en faciliter le paiement en permettant un versement fractionné, sous forme de paiements mensuels ou annuels pendant une durée limitée. Elle a précisé, toutefois, que cette durée ne devrait pas être trop courte. A cet égard, six ans lui ont paru insuffisants car susceptibles, d'une part, de provoquer des incidents de paiement de la part de débiteurs pour lesquels les versements seraient trop élevés et, d'autre part, de conduire les juges à modérer le montant du capital qu'ils fixent pour tenir compte de la brièveté des délais ;

- de lier la fixation de la prestation compensatoire et les opérations de liquidation du régime matrimonial, et de reconsidérer les règles fiscales applicables en cas de versement de la prestation sous forme de capital afin de favoriser ce mode de paiement. Sur ce point, elle a précisé que le régime fiscal de la rente versée au titre de la prestation compensatoire, déductible du revenu du débiteur, était plus favorable à ce dernier ;

- d'autoriser la révision des modalités de paiement échelonnés du capital, sans en modifier le montant ;

- de préciser le régime juridique de la prestation compensatoire versée, à titre exceptionnel, sous forme de rente viagère, ainsi que les modalités spécifiques de sa révision ;

- de permettre aux héritiers du débiteur d'engager une action en révision et de prévoir que le montant de la pension de réversion née du chef d'un conjoint divorcé, et perçue par le créancier de la prestation compensatoire, soit déduite du solde du capital ou de la rente viagère.

Après l'exposé de la rapporteure, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a évoqué les difficultés rencontrées par les auteurs de ces propositions qui visent à réparer des injustices mais doivent également préserver des droits acquis par certaines femmes. Elle a rappelé que la loi de 1975, bonne dans son principe, n'avait pas été appliquée dans la pratique. Elle a souligné que les propositions de la rapporteure réaffirmaient le principe de la fixation de la prestation compensatoire sous forme de capital, dont la durée de versement pouvait être aménagée, la fixation sous forme de rente viagère devenant exceptionnelle. Elle a considéré que ces propositions devaient prendre en compte deux logiques différentes : la première visant à compenser la perte de statut de la femme mariée résultant du divorce, par le versement d'un capital « pour solde de tout compte », la seconde, s'apparentant davantage à l'ancienne pension alimentaire et prenant la forme d'une rente viagère.

Mme Danielle Bousquet a considéré que le caractère alimentaire de la prestation compensatoire était discutable et que le versement sous forme de capital représentait la solution la plus appropriée. Elle a souhaité que la rente viagère, nécessaire dans certains cas, demeure exceptionnelle, sur le plan des principes. Elle a enfin considéré que la plupart des femmes exerçant désormais une activité professionnelle, une prestation à caractère alimentaire serait maintenant humiliante.

La Présidente a indiqué que la proposition de loi dont la Délégation était saisie, avait pour objet de régler des situations difficiles liées à l'application qui avait été faite de la loi de 1975, mais qu'à l'avenir, de telles situations seraient justement moins fréquentes dans la mesure où les femmes seront plus nombreuses à travailler.

Elle a insisté sur la nécessité de préciser les règles fiscales susceptibles de favoriser le versement de la prestation compensatoire sous forme de capital, ainsi que le régime juridique de la rente viagère.

Mmes Hélène Mignon et Chantal Robin-Rodrigo ont estimé que la transmission de la charge du solde du capital ou de la rente viagère aux héritiers du débiteur était discutable. Mme Robin-Rodrigo s'est également interrogée sur les modalités de paiement de la prestation en cas de difficultés du débiteur.

Mme Conchita Lacuey a contesté le principe même de la prestation compensatoire versée sous forme de rente viagère ainsi que son caractère transmissible ; elle a demandé si les rentes en cours seraient révisables selon les nouvelles dispositions fixées par le législateur.

M. Richard Cazenave a estimé que les critiques portant sur la prestation compensatoire tenaient essentiellement à sa fixation sous forme de rente viagère et à son caractère inéquitable lorsque le créancier se trouvait dans une situation matérielle plus favorable que celle du débiteur ou de ses héritiers. Il a considéré qu'il fallait rechercher un équilibre sur ce point, en élaborant une solution qui soit juste pour le débiteur et pour le créancier et qui prévoie des modalités de révision de la rente. Il s'est toutefois interrogé sur la notion de « changement important » visée par la proposition de M. Jean-Marc Ayrault.

Mme Raymonde Le Texier, après avoir rappelé que la prestation compensatoire n'avait pas un caractère alimentaire, a estimé que la rente ne devait être révisée qu'à la baisse. Elle a par ailleurs considéré que la rente viagère visait à prendre en compte la situation des femmes qui n'avaient jamais travaillé, mais qu'à l'avenir, du fait de l'autonomie des femmes acquise grâce à l'éducation, une telle disposition ne devrait plus être nécessaire.

En réponse aux différents intervenants, la rapporteure a rappelé que le principe retenu en matière de prestation compensatoire était la fixation d'un capital dont le paiement pourrait être aménagé, et qu'il était normal qu'en cas de décès du débiteur, cette dette figure au passif de la succession. Elle a souligné que la rente viagère constituerait une exception et qu'elle serait fixée, à titre dérogatoire, pour les femmes répondant à certains critères, notamment d'âge, de santé ou d'activité.

Elle a précisé qu'en cas de difficultés rencontrées par le débiteur, le montant du capital ne serait pas révisable, seuls les versements pouvant être étalés pour une durée limitée. En revanche, la rente viagère serait révisable en cas de changement important et imprévu des ressources du débiteur et des besoins du créancier, ce qui relèvera de l'appréciation du juge. Sur le plan fiscal, elle a indiqué qu'une discussion était en cours avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Elle a également précisé que les rentes en cours seraient révisables dans les mêmes conditions que la rente viagère.

A propos de la transmission de la charge de la prestation compensatoire aux héritiers du débiteur, la rapporteure a rappelé que le montant de la pension de réversion versée au créancier du fait du conjoint divorcé prédécédé devrait être déduit du solde du capital restant dû ou du montant de la rente viagère.

La Délégation est ensuite passée à l'examen des recommandations :

Les première et deuxième recommandations ont été adoptées dans le texte proposé par la rapporteure.

Après les interventions de M. Richard Cazenave, de Mmes Danielle Bousquet, Hélène Mignon, Odette Casanova, Raymonde Le Texier et Conchita Lacuey, de la Présidente et de la rapporteure, la Délégation a adopté la troisième recommandation sous réserve d'une modification rédactionnelle proposée par la Présidente, ainsi que la quatrième recommandation dans le texte de la rapporteure.

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RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

PAR LA DÉLÉGATION

1. Le principe du versement de la prestation compensatoire sous forme de capital doit être réaffirmé et sa mise en _uvre facilitée.

Des modalités de paiement du capital sous forme de versements mensuels ou annuels pour une durée limitée mais suffisamment longue doivent être prévues.

La prestation compensatoire doit être fixée parallèlement à la liquidation du régime matrimonial.

Les règles fiscales applicables à la prestation versée sous forme de capital doivent être reconsidérées afin de favoriser ce mode de versement.

2. Le montant du capital fixé par le juge ne doit pas être révisable. Seules ses modalités de paiement pourraient être modifiées en cas de changement notable et imprévu de la situation du débiteur.

3. A titre exceptionnel, le versement de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère pourrait être admis par une décision spécialement motivée fondée sur des considérations tenant notamment à l'âge, à l'état de santé du créancier, à la durée du mariage, aux besoins et ressources des parties.

La rente viagère serait révisable en cas de changement important et imprévu dans les ressources du débiteur ou les besoins du créancier.

4. Au décès du débiteur de la prestation compensatoire, ses héritiers pourraient engager une action en révision : l'éventuelle pension de réversion versée au créancier du chef du conjoint divorcé prédécédé devant être déduite de la charge du paiement du solde du capital ou de la rente viagère qui leur est transmise.

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