SOMMAIRE DES COMPTES RENDUS D'AUDITIONS
DU 2 MARS 1999 AU 9 MARS 1999

__ M. Jean-Pierre POCHON, directeur des renseignements généraux à la préfecture de police de Paris (mardi 2 mars 1999)

__ M. Loïc ROUSSEAU et  M. Gérard HOANG-CONG membres du service d'ordre du Parti Socialiste (mardi 2 mars 1999)

__ M. Thierry MEYSSAN, président, M. Yves FRÉMION, vice-président et M. Jean-Claude RAMOS, secrétaire général du Réseau Voltaire (mercredi 3 mars 1999).

__ M. Jean-Louis ARAJOL, secrétaire général, M. Serge THILIQUE et M. Pierre BARGIBANT, membres du Syndicat Général de la Police (mercredi 3 mars 1999)

__ M. Gérard BOYER, secrétaire général du syndicat Alliance et M. Bruno BESCHIZZA, président du syndicat Synergie Officiers (mercredi 3 mars 1999)

__ Madame Christiane CHOMBEAU, journaliste au Monde (mardi 9 mars 1999)

__ M. Stéphane RAVION et M. Pascal HENRY, journalistes à l'Agence CAPA (mardi 9 mars 1999)

    Audition de M. Jean-Pierre POCHON,

    directeur des renseignements généraux à la préfecture de police de Paris.

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 2 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

M. Jean-Pierre Pochon est introduit.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Pierre Pochon prête serment.

M. Jean-Pierre POCHON : Monsieur le Président, je vais essayer de vous présenter une radiographie du DPS, en fonction des éléments que nous avons recueillis sur le terrain, en Ile-de-France.

    Comme un grand nombre d'organisations politiques ou syndicales disposant d'un service d'ordre composé de militants bénévoles, que l'on mobilise pour des réunions ou des manifestations afin d'éviter des infractions, le Front National a créé, en 1985, pour assurer la sécurité de l'ensemble de ses actions publiques, le Département Protection Sécurité, dit DPS.

    Je rappelle que si, depuis la parution d'une note du ministre de l'intérieur du 3 janvier 1995, il n'entre plus dans les missions des renseignements généraux de s'intéresser directement ou indirectement au fonctionnement et à l'organisation internes des partis, il leur appartient en revanche d'être vigilants à l'égard des individus, des groupes et des mouvements qui, au nom de certaines idéologies véhiculées à l'extrême-droite comme à l'extrême-gauche, ne respectent pas les principes démocratiques. Ces deux mouvances, bien qu'antagonistes, n'en ont pas moins recours à une certaine forme de violence, identique, afin de faire prévaloir leurs idées. C'est donc à ce titre que la direction des renseignements généraux de la préfecture de police s'intéresse à l'activité des individus et des groupes qui prônent une idéologie à caractère raciste, antisémite et xénophobe, le plus souvent assortie d'appels à la violence, et elle exerce des surveillances sur les milieux extrémistes de droite les plus radicaux.

    Notre travail porte notamment sur les groupes néo-nazis, ultra-nationalistes, skinheads, sur les sociétés de sécurité influencées voire dirigées par des militants d'extrême-droite et sur les réseaux de mercenaires. Une partie non négligeable de ceux-ci participe aux activités du DPS. Aussi la direction des renseignements généraux de la préfecture de police a-t-elle été amenée à suivre l'activité de cette structure, en observant le comportement de ses membres sur le terrain, et plus particulièrement celui de ses éléments les plus radicaux.

    Comment fonctionne le DPS ? Le Front National a recours au DPS pour trois sortes d'événement : premièrement, les manifestations de voie publique, deuxièmement, les rassemblements festifs, troisièmement, les meetings du Front National.

    En ce qui concerne les manifestations de voie publique d'abord, il s'agit surtout du traditionnel défilé du 1er mai, auquel participent plusieurs milliers de personnes (9 000 recensées en 1995, 6 000 en 1996, un peu plus de 7 000 en 1997, 11 000 en 1998). Ces démonstrations n'ont donné lieu à aucune contre-manifestation de la part d'organisations anti-fascistes. Les difficultés rencontrées par le DPS, en fait, sont essentiellement venues de l'extrême-droite radicale, des groupes skinheads.

    En ce qui concerne les rassemblements festifs, ensuite, il s'agit de l'habituelle fête des « Bleu Blanc Rouge » (BBR) qui se déroule chaque année à la rentrée de septembre, pendant deux jours, sur la pelouse de Reuilly dans le XIIème arrondissement de Paris. Les deux dernières éditions, en 1997 et 1998, ont suscité des manifestations de protestation organisées par le comité de vigilance contre l'extrême-droite, lesquelles ont rassemblé 2 000 personnes en 1997 et un peu plus de 3 500 en 1998, sans donner lieu à aucun incident. En revanche, les groupes de skinheads sont à l'origine de plusieurs actes de violence sur la pelouse même de Reuilly.

    En ce qui concerne les meetings du Front National enfin, certains d'entre eux ont également entraîné l'organisation de rassemblements de protestation, sans incident notable.

    Qui sont les responsables du DPS ? Le principal responsable du DPS, M. Bernard Courcelle, est chargé de superviser ses activités. Mais en réalité, c'est M. Eric Staelens qui, le plus souvent, dirige les opérations du DPS lors des manifestations, rassemblements et réunions du Front National.

    Comment s'effectue le recrutement ? Après avoir déterminé les effectifs qui seront nécessaires pour assurer le service d'ordre, M. Eric Staelens sollicite les responsables régionaux et départementaux du DPS pour qu'ils trouvent le nombre de bénévoles requis.

    Les plus gros services sont généralement prévus à l'occasion des journées des BBR : 450 militants en 1996, 380 en 1997 et en 1998. Pour les démonstrations du 1er mai, 200 membres du DPS étaient présents en 1997, 350 en 1998. En fait, le nombre de volontaires est parfois largement supérieur au besoin exprimé. C'est ainsi que, pour les journées des BBR de 1997, un millier de militants se sont portés volontaires, seuls 380 étant retenus. Cette participation au DPS n'entraîne aucune compensation financière. Seuls le transport et la nourriture sont pris en charge par l'organisation.

    Depuis le 1er mai 1994, date de son arrivée à la tête du DPS, M. Bernard Courcelle a donné des consignes pour écarter les éléments les plus radicaux (les repris de justice, ceux revendiquant une idéologie néo-nazie et les skinheads), dont l'allure et le comportement pouvaient être de nature à nuire à l'image de marque de l'organisation frontiste. Ces « purges » des éléments indésirables, entreprises non sans succès par M. Bernard Courcelle, ont néanmoins subi quelques entorses. C'est ainsi que, dans certaines fédérations du Front National en province, on a été beaucoup moins sélectif. A cet égard, le procès relatif à l'agression de Brahim Bouarram, décédé le 1er mai 1995, en constitue un bon exemple, puisque les skinheads agresseurs du jeune Marocain étaient des collaborateurs occasionnels du DPS de Reims. En Ile-de-France même, l'expérience sur le terrain montre que certains cadres du DPS ont été bien moins regardants pour les recrutements que ne le recommandait M. Bernard Courcelle.

    Quelles sont les consignes données aux membres du DPS ? Les membres du DPS retenus pour une mission sont invités à participer à une réunion préparatoire en vue de recevoir des consignes. Cette réunion peut avoir lieu au siège du Front National, un ou deux jours auparavant - c'est le cas pour les BBR - ou seulement quelques heures avant l'événement pour la manifestation du 1er mai, le rendez-vous est fixé sur place vers six heures du matin. Les consignes consistent à expliquer le type de mission, l'ambiance attendue et les risques éventuels. On insiste alors sur le caractère défensif du service d'ordre, à savoir qu'il ne doit pas passer à l'attaque : depuis son arrivée à la tête du DPS, M. Bernard Courcelle demande en effet que les militants viennent sans aucune arme
    - même détenue légalement.

    Toutefois, lors des manifestations ou réunions à risques, des dispositions sont prises afin de stocker à proximité - généralement dans les coffres de voiture - des matraques et des bombes lacrymogènes, pour le cas où des difficultés interviendraient. En fait, nous avons pu constater que certains militants disposent, à l'insu semble-t-il des responsables du DPS, de matraques télescopiques ou de poings américains, qu'ils portent de manière plus ou moins discrète.

    Les participants sont ensuite invités à rejoindre leur place dans le dispositif prévu, revêtus de la tenue n° 1, tenue officielle classique : blazer bleu marine avec un écusson du DPS brodé, chemise blanche, pantalon gris, cravate à dominante rouge et bleue, chaussures noires ; pour les BBR, on leur attribue également un badge avec photographie.

    Le dispositif, quant à lui, évolue en fonction du style de manifestation. Pour les BBR, le dispositif classique consiste à désigner un responsable pour chacun des secteurs suivants : la sécurité interne, la sécurité externe, l'entrée principale, la protection du président Jean-Marie Le Pen, le poste de commandement, l'entrée des exposants, l'équipe de nuit, les bus, l'encadrement des journalistes, le podium des leaders, la sécurité incendie, les parkings, et un dernier pour la manifestation globalement. Chacun se voit attribuer une équipe, plus ou moins étoffée selon l'ampleur de la mission qui lui est dévolue. Il est à noter que des radios sont distribuées aux principaux responsables, en général prêtées par des sociétés de sécurité privées, seuls ces responsables étant dotés de ce moyen radio. Pour le défilé du 1er mai, le parcours est divisé en secteurs géographiques, avec un responsable pour chaque secteur.

    Quelles sont les faiblesses du DPS ? Les dispositifs de sécurité mis en place, pour imposants qu'ils soient, se révèlent en réalité peu efficaces. Ainsi, pour les BBR de 1996, si 450 membres du DPS avaient été recrutés, ce qui est un chiffre record pour Paris, seule une centaine de militants a effectivement pris part à l'encadrement de la fête. Quant aux incidents, ils ont été gérés par une vingtaine de membres du DPS seulement. Les constatations sont les mêmes pour les défilés du 1er mai : les chefs de secteur géographique voient, au fil des heures, les effectifs qu'ils sont censés encadrer s'amenuiser.

    Les lacunes sont les suivantes : difficultés de filtrage des entrées à la fête des BBR, difficultés à gérer les membres du DPS les plus turbulents, incapacité à régler rapidement et en douceur les incidents dus aux trublions de l'extrême-droite radicale. Ces difficultés ont d'ailleurs poussé la direction du DPS à se tourner vers des éléments qualifiés, plus fiables, plus professionnels, plus compétents.

    Le tableau que je viens de vous brosser correspond en fait au DPS traditionnel, ce qu'on appelle, en son sein « l'infanterie ». Or, cette infanterie est doublée d'un groupe plus opérationnel constitué de « groupes-choc » ou para-commandos, voire de commandos - à l'image de ce qui se fait au sein de l'armée avec les commandos de recherche et d'action en profondeur (CRAP). M. Bernard Courcelle, ancien officier, a en effet tenté d'appliquer certaines directives militaires.

    Les éléments qui composent les groupes-choc sont chargés de surveiller et, le cas échéant, de neutraliser les indésirables. Ils utilisent, pour leur part, une tenue moins voyante, dite tenue n° 2 : blouson bombers (noir, rembourré, qui fait paramilitaire), un jean noir, des rangers. Pour se reconnaître entre eux - bien qu'ils se connaissent, pour la plupart -, ils arborent une petite épingle de couleur sur la poitrine. Certains portent une tenue civile, pour mieux surveiller les milieux hostiles au Front National. En effet, le DPS envoie en général quelques observateurs dans les manifestations de protestation contre les initiatives du Front National.

    Lors de la fête des  BBR de 1998, un dispositif de surveillance avait été mis en place pour contrôler les accès venant de Paris, afin de faire face aux éventuelles provocations, voire endiguer les incursions de militants d'extrême-gauche ou de jeunes issus de la techno-parade. En effet, la contre-manifestation unitaire organisée par les mouvements antifascistes, syndicats et partis de gauche, en réplique à cette fête - de 14 à 18 heures de la République à la Bastille -, et augmentée de possibles ralliements de jeunes provenant de la techno-parade, avait fortement inquiété les responsables du service d'ordre du Front National. On a donc pu observer, tout au long de la journée, les membres du DPS, à bord de véhicules ou de scooters, sillonnant les allées et chemins du bois de Vincennes à la recherche d'agresseurs éventuels, ce qui n'a pas été le cas.

    Quelle est l'efficacité de ces groupes-choc ? Nous avons pu observer leur efficacité lors du défilé du 1er mai 1998. En effet, un groupe a été chargé de contrôler la queue de cortège, où une quarantaine de skinheads s'étaient infiltrés. Dès le départ du cortège de la place du Châtelet, ceux-ci ont été isolés par le DPS. Un peu plus loin, un barrage filtrant avait été mis en place rue de Rivoli, à la hauteur de la rue de l'Echelle, les skinheads étant déviés par cette seconde rue afin d'éviter que la presse ne puisse les filmer à leur passage devant les responsables du Front National. Après cette canalisation des skinheads, le DPS s'est déplacé vers l'avenue de l'Opéra afin d'interdire l'accès aux indésirables pendant le discours de M. Jean-Marie Le Pen.

    Enfin, le DPS a recours à des éléments encore plus aguerris liés aux sociétés de sécurité. Dans ce domaine, nous sommes confrontés à des situations extrêmement fluctuantes. L'extrême-droite, de manière générale, a toujours manifesté un très vif intérêt pour les sociétés de sécurité, dont la nature et les activités répondent à ses aspirations idéologiques.

    La prise en main de certaines de ces sociétés par des éléments connus pour leur activisme, passé ou présent, a amené le recrutement de bon nombre d'extrémistes de droite. Ceux-ci se prêtent volontiers à des missions particulières, telles que les opérations anti-piquets de grève, en ayant recours à des hommes de main. Je rappelle, à titre d'exemple, que la société de sécurité Normandy, dirigée par plusieurs extrémistes de droite, a envoyé, en février 1997, vingt-quatre agents conduits par des militants du Groupe Union Défense (GUD) pour s'opposer à un éventuel coup de force de la CGT à la compagnie papetière de Corbeil-Essonne.

    Des hommes de main sont également recrutés pour participer à des missions à l'étranger - envoi de mercenaires à la demande de personnalités d'Afrique noire notamment, désirant prendre ou conserver le pouvoir, ou encore à la demande de sociétés désirant protéger leurs infrastructures dans des pays à risques. Nous en avons des exemples précis. Pour assurer ces missions qui nécessitent discrétion et savoir-faire, les sociétés de sécurité puisent dans un vivier où se côtoient extrémistes de droite et aventuriers. On y retrouve notamment beaucoup d'anciens militaires, légionnaires et parachutistes, qui se sont professionnellement reconvertis en participant à ces opérations souvent très rémunératrices. Certains de ces hommes de main participent également au service d'ordre mis en place par le DPS.

    Quels sont les liens entre le DPS et certaines sociétés de sécurité ? Des liens étroits existent parfois. Quelques sociétés de sécurité sont directement gérées par des militants du Front National. Ce fut notamment le cas du Groupe Action Protection, créé pour protéger les députés européens du Front National. Une autre société, SAV Organisation, a également été gérée par des militants du Front National.

    Une société qui mérite de retenir l'attention, parmi plusieurs autres, est celle dénommée Groupe Onze France, société dirigée par M. Nicolas Courcelle, frère de M. Bernard Courcelle, et qui, à l'instar de beaucoup d'autres sociétés de sécurité privées, évolue rapidement dans le temps, tant dans ses modalités que dans sa forme et sa dénomination. C'est ainsi qu'elle s'appelle aujourd'hui l'Internationale de logistique et de sécurité (ILS), ce qui marque sa prétention à avoir une vocation internationale.

    Toutes ces sociétés amies peuvent, à l'occasion, épauler le DPS en lui fournissant du matériel - matériel radio, scanners pour écouter les fréquences de la
    police -, et des hommes sûrs, qui ne sont pas des cadres de ces sociétés mais viennent prendre en main les opérations aux côtés de MM. Bernard Courcelle et Eric Staelens. Le travail de ces hommes de main au sein du DPS ne donne lieu à aucune rétribution, à notre connaissance, sauf en cas de mission longue - par exemple la garde du « Paquebot », le siège du Front National, pendant les campagnes électorales. Ces sociétés y trouvent néanmoins un avantage, car leur contribution au service du DPS leur servira de caution pour décrocher plus facilement des contrats intéressants.

    En fait, il existe clairement une grande perméabilité entre le DPS, certaines sociétés de sécurité et des réseaux de mercenaires. A titre d'exemple, quoique anecdotique, l'opération montée par la société Organisation Gestion et Sécurité (OGS) en juin 1997 à l'entreprise Valléo basée à Evreux en est une bonne illustration. Une trentaine d'individus devaient assurer le déménagement de machines-outils de l'entreprise. Le responsable de l'opération était un membre de réseaux de mercenaires et, pour l'occasion, il avait recruté plusieurs hommes de main, dont certains font habituellement partie du service d'ordre du Front National. L'action de ces « professionnels », au cours des manifestations publiques, ne nous amène pas à formuler d'observations particulières. D'une manière générale, ils sont plutôt efficaces dans la mission d'« ordre public » qui leur est confiée. Leurs initiatives permettent souvent de régler en interne les difficultés rencontrées, la plupart du temps avec des groupes encore plus radicaux comme les skinheads.

    En fait, le DPS, tel que je viens de l'évoquer, offre une double image : celle, plutôt rassurante, d'un service d'ordre composé de militants de base, bénévoles, assurant ses missions avec une efficacité très relative à nos yeux ; mais aussi celle plus opaque, d'un service d'ordre recourant à des hommes de main qui sont de véritables « professionnels » de l'action et de la sécurité.

    Mais tout cela, c'était hier. Aujourd'hui, la situation a assez sensiblement changé. Le schisme que vient de connaître le Front National modifie bien sûr cet état des lieux. Il n'est en effet pas sans conséquences sur le DPS. Suite à la création du Front National - Mouvement national (FNMN), lancé au début de 1999 par les partisans de M. Bruno Mégret, une grande partie des cadres du DPS a rejoint la nouvelle formation. M. Bernard Courcelle, remercié par M. Jean-Marie Le Pen après avoir déclaré qu'il assisterait au congrès des mégretistes, n'a pas retrouvé son poste national au DPA, la nouvelle structure créée par M. Bruno Mégret, ce poste étant désormais occupé par M. Gérard Le Vert, qui était l'ancien numéro trois du « DPS historique ». Il est vrai que M. Bernard Courcelle était contesté au sein de l'ancienne formation frontiste. On lui reprochait son attitude méfiante, voire hostile, à l'égard de la frange radicale de l'extrême-droite, les skinheads notamment, où il s'était fait de réels et nombreux ennemis - en particulier en collaborant avec la brigade criminelle dans le cadre de l'enquête sur le décès du jeune Marocain Brahim Bouarram.

    A l'issue du premier conseil national du FNMN - le 7 février 1999 dans le Rhône -, M. Bruno Mégret a annoncé que son service d'ordre prenait le titre de Département Protection Assistance (DPA), et qu'il allait être réorganisé. Un nouvel organigramme a été défini, dont les premiers éléments sont les suivants :

    - directeur national : M. Gérard Le Vert ;

    - directeur adjoint : M. Claude Cotte ;

    - chargé de mission pour les relations humaines : M. André Pupier, qui est l'ancien responsable du DPS de Rhône-Alpes ;

    - chargé de mission pour la logistique : M. Daniel Falcoz ;

    - chargé de mission pour la formation : M. Gérard Hirel, qui est un ancien officier de la gendarmerie.

    Il est à noter qu'aucun de ces responsables n'est basé à Paris. Aucun leader n'ayant été désigné pour l'Ile-de-France, le DPA est actuellement en proie à une certaine confusion. A l'absence de cadres s'ajoutent les hésitations réelles des militants qui regrettent encore la scission survenue au sein du Front National. Pour le moment, une bonne partie des membres de l'ex-DPS francilien se tient à l'écart des deux nouvelles formations. Il conviendra de suivre leur évolution avec beaucoup d'attention.

    La situation est donc appelée à évoluer dans la région parisienne. La première réunion parisienne du FNMN s'est tenue le 18 février 1999 à la salle Wagram. Le DPA était constitué de vingt-cinq personnes, placées sous la direction de M. Gérard Le Vert. Le dispositif était parfaitement visible, arborant la tenue classique. Mais les membres du DPA manquaient visiblement d'instructions et d'encadrement, et l'on percevait un réel flottement par rapport à d'habitude.

    De son côté, M. Jean-Marie Le Pen devra faire face à la défection des principaux cadres du DPS. Le nouveau directeur national du DPS lepéniste, M. Marc Bellier, est pour sa part handicapé par son éloignement géographique de Paris. Aussi peut-on penser que c'est M. Eric Staelens, resté fidèle à M. Jean-Marie Le Pen, qui gardera de fait la haute main sur le DPS lepéniste. Il pourra compter sur l'appui de quelques cadres de province et, bien sûr, sur celui du DPS de Marseille.

    Voilà, Monsieur le Président, une rapide et succincte photographie du DPS tel que nous le connaissons.

M. Robert GAÏA : Concernant les incidents qui se sont déroulés à l'Arc de Triomphe suite à la manifestation de la salle Wagram, un rapport a-t-il été fait ? Les services de police ne s'y attendaient pas, mais vous, aviez-vous « prévu la météo » ?

    Par ailleurs, s'agissant du braquage de la société Pétrossian par des éléments du DPS, avez-vous quelque chose à nous dire ?

    Enfin, on nous a dit que ce serait aux alentours de la place d'Italie que s'approvisionnerait le DPS pour la tenue n° 2. Avez-vous des éléments sur ce point ?

M. Jean-Pierre POCHON : En ce qui concerne la réunion du 21 octobre 1996 salle Wagram, nous étions présents dans la salle et à l'extérieur, comme pour toutes les réunions publiques, à titre d'information - puisque c'était public - mais aussi au titre de la prévention de l'ordre public. Or, contrairement à l'habitude, vers vingt-deux heures, M. Bruno Gollnisch a invité les huit cents participants à se rendre, drapeaux au vent, à l'Arc de Triomphe pour y chanter La Marseillaise, ce à quoi nous n'avons bien sûr pas pu nous opposer. Mes collaborateurs ont immédiatement avisé nos collègues de la sécurité publique ainsi que le cabinet du préfet de police - qui est l'autorité responsable -, mais il faut reconnaître que nous avons été surpris. C'était en effet une « première » absolue. Depuis, nous avons pris des précautions pour éviter ce genre de manifestations.

M. Robert GAÏA : Pourriez-vous communiquer à notre Commission le rapport qui a été fait à ce sujet ? Se pose à nous en effet le problème des délais dans cette affaire, dans la mesure où vous nous dites avoir immédiatement prévenu les forces de sécurité, lesquelles sont situées au Grand Palais.

M. Jean-Pierre POCHON : Bien sûr, je vous communiquerai la note faite à cette époque.

    Pour vous éclairer sur nos méthodes, je vous expliquerai que nous travaillons de deux manières. La première, liée à l'immédiat, ce sont les flashs qui sont des instantanés envoyés tant au préfet de police qu'à nos collègues de la sécurité publique puisqu'ils sont chargés d'exécuter les mesures de protection de l'ordre public. La seconde, ce sont les notes d'information et les rapports. Or, dans le cas que vous évoquez, les fonctionnaires qui étaient sur place en ont immédiatement avisé les autorités compétentes, mais elles n'ont pas pu empêcher l'incident.

    Depuis, bien évidemment, nous avons pris des mesures afin d'éviter ce genre de problème - qui, à ma connaissance, est resté unique jusqu'à ce jour. Ainsi, chaque fois qu'il y a une manifestation du Front National, nous renforçons le dispositif, avec nos collègues de la sécurité publique, de manière à prévenir un tel déploiement sur la voie publique.

    En ce qui concerne la société Pétrossian, je dois avouer que je n'ai aucune information particulière sur ce dossier, ni aucun élément de rapprochement entre cette affaire de droit commun et le DPS.

    Quant à l'approvisionnement place d'Italie, il faut rester simple : qu'il s'agisse des tenues n° 1 ou n° 2 ou du matériel, il y a suffisamment de magasins dans Paris pour s'approvisionner. L'approvisionnement se fait dans plusieurs magasins, et pas dans un particulièrement, à ma connaissance. Si vous pensez à une structure de soutien logistique du DPS, elle n'existe pas pour ce que nous en savons.

M. le Président : Vous avez dit que, lors des manifestations, vous aviez pu constater que des armes étaient souvent stockées ?

M. Jean-Pierre POCHON : Nous avons pu constater effectivement que certains membres du DPS disposaient, à l'insu semble-t-il des responsables du service d'ordre, de matraques télescopiques ou de poings américains. En ce qui concerne le stockage d'armes à proximité des lieux de la manifestation, nous l'avons appris de source confidentielle et fiable.

M. le Président : Concernant les sociétés de gardiennage et les faits précis que vous avez mentionnés à leur propos, pourrions-nous obtenir les notes produites à chaque fois ?

M. Jean-Pierre POCHON : Bien sûr. Je transmettrai votre demande à mes autorités. Nous avons certainement fait des notes à l'époque car, chaque fois que nous avons connaissance d'un événement, il est photographié, analysé et transmis aux autorités compétentes, c'est-à-dire au préfet de police et au ministre de l'intérieur.

M. Gérard LINDEPERG : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les liens entre le GUD et le DPS ?

    Par ailleurs, des témoignages ont fait état de connivences, voire de collaboration de fait, entre la police et le DPS ; à tel point qu'on nous a décrit la situation de manifestants interceptés par le DPS puis remis à la police. Dans votre ressort géographique, avez-vous été témoin de telles situations ?

M. Jean-Pierre POCHON : Les liens du GUD avec le DPS sont évidents. Le GUD est une formation universitaire formée de jeunes étudiants traditionnellement implantés à Assas, et constitue un élément d'avenir du DPS. Le DPS, pour autant, n'apprécie pas beaucoup le GUD, considérant qu'il risque, par ses dérapages liés à sa jeunesse et à son fanatisme, de nuire à l'image de marque que M. Jean-Marie Le Pen a souhaité imposer - comme en témoignent les instructions données à M. Bernard Courcelle. Les liens de filiation politique entre le GUD et le DPS sont donc très nets, mais le DPS fait preuve d'une certaine méfiance à l'égard du GUD. Les membres du GUD sont d'ailleurs bien encadrés par le DPS lors des manifestations, notamment le 1er mai.

    Quant aux liens pouvant exister entre la police d'Etat et le service d'ordre de manifestants en ce qui concerne l'ordre public, ils sont à envisager de manière globale. Nous ne sommes pas chargés de l'ordre public, mais mes collaborateurs et moi-même sommes présents dans toutes les manifestations touchant à l'ordre public à Paris. Quel que soit le type de manifestation, le service d'ordre, qu'il soit bénévole ou professionnel, d'extrême-droite ou d'organisations classiques, apporte souvent son soutien aux forces de police afin de prévenir toute infraction susceptible de nuire à l'image de marque de la manifestation, en dénonçant tel ou tel individu qui pourrait troubler l'ordre public. Cela vaut pour les manifestations classiques de syndicats ou d'organisations ouvrières, quand certains militants d'extrême-gauche veulent gêner, troubler voire casser dans Paris ; cela s'est également produit, une ou deux fois vraisemblablement, lors de manifestations du Front National, lorsque des skinheads ont voulu intégrer le cortège.

    C'est donc tout à fait réel, mais je le répète, cela tient, de manière très générale, au maintien de l'ordre public et ne va pas au-delà, à ma connaissance. Il ne s'agit pas de police parallèle, mais de ce qui se passe couramment lors des manifestations parisiennes.

M. le Président : Il y a pourtant une différence entre le DPS et les autres services d'ordre, puisque vous exercez une surveillance particulière sur le DPS.

M. Jean-Pierre POCHON : Tout à fait. Il n'y a pas de comparaison possible entre les services d'ordre classiques et le DPS, mais je viens de vous répondre du point de vue de l'ordre public en général.

M. le Président : Vous n'effectuez pas de travail de renseignement du même ordre sur d'autres services d'ordre ?

M. Jean-Pierre POCHON : Non, car il n'y a aucune comparaison entre eux. Nos règles sont très strictes : nous travaillons sur le DPS pour les raisons que j'ai dites, parce qu'il s'agit d'extrémistes qui véhiculent une philosophie tout à fait particulière, raciste. Nous faisons de même avec les militants d'extrême-gauche qui sont susceptibles de porter atteinte à la démocratie. Ce n'est pas le cas des organisations syndicales.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Qu'en est-il de la sélection, du recrutement et de l'entraînement des membres du DPS ? Par ailleurs, avez-vous connaissance des lieux d'entraînement, de la manière dont cela se passe et, éventuellement, avez-vous saisi des documents qui leur seraient remis à titre de formation ?

    Sur un autre plan, avez-vous connaissance de faits délictueux qui auraient été transmis à la justice et feraient l'objet d'une information judiciaire, où seraient impliqués des responsables du DPS - qu'il s'agisse d'affaires de droit commun ou d'autres aspects ?

M. Jean-Pierre POCHON : Nous n'avons pas connaissance de lieux d'entraînement du DPS. Les gens recrutés par le DPS le sont par affinité politique, par voisinage idéologique, mais, pour notre part, nous n'avons pas identifié ou localisé de camp d'entraînement du DPS.

    Quant à des faits délictueux donnant lieu à des poursuites judiciaires, je n'en connais pas sur Paris, hormis l'affaire dramatique du jeune Marocain que j'ai évoquée. En l'occurrence, nous avons affaire à des hommes qui se situent dans une frange tout à fait particulière, qui sont soit très engagés dans une politique extrémiste, soit des aventuriers, et qui, comme cela arrive avec ce genre de personnes, basculent souvent dans le droit commun. Je crois savoir qu'il y a eu une affaire à Nice récemment, qui aurait mis en cause des membres du DPS, mais cela sort de ma compétence géographique. Je n'en suis pas étonné.

M. Jacky DARNE : Avez-vous des informations sur l'organisation et les directives des groupes-choc ?

    Par ailleurs, pour ce qui concerne les contrats de sociétés de sécurité pour des opérations à l'étranger, de quels soutiens ou opérations avez-vous eu connaissance ?

M. Jean-Pierre POCHON : Pour ce qui concerne les équipes d'intervention du DPS ou groupes-choc, ainsi qu'ils se dénomment, il faut savoir que, lorsque M. Bernard Courcelle est arrivé à la tête du DPS, il s'est aperçu qu'il y avait beaucoup de volontaires, mais que c'était plutôt pour la parade. Il a donc voulu, s'inspirant de son passé de militaire au sixième RPIMA, en faire quelque chose de plus structuré. Il a donc décidé de doubler le DPS classique d'équipes d'intervention, appelées groupes-choc ou unités mobiles d'intervention (UMI), sur le modèle militaire.

    Alors que le DPS classique, l'infanterie, s'occupe de quadriller le terrain, le groupe-choc est amené à intervenir là où le besoin s'en fait sentir, ce qui explique qu'ait été reprise pratiquement mot pour mot la terminologie militaire des commandos de recherche et d'action en profondeur (CRAP). Placés sous la direction de M. Bernard Courcelle puis de M. Eric Staelens, les groupes-choc regroupent actuellement, à notre connaissance, une centaine de membres autour d'un noyau dur d'une vingtaine de personnes. Depuis 1996, un renouvellement de leurs membres s'est effectué à plusieurs reprises.

    Quelles sont les filières de recrutement de ces groupes-choc ? Ce sont d'anciens parachutistes et légionnaires de l'Union nationale des parachutistes (UNP), des professionnels de la sécurité - fournis, il y a quelques années, par la société Normandy que dirigeait M. Fernand Loustau, puis par le Groupe Onze France, la société de M. Nicolas Courcelle, lui-même ancien légionnaire du deuxième régiment étranger de parachutistes -, et, enfin, des militants frontistes appartenant à la section de Seine-et-Marne du DPS qui est dirigée par M. Eric Staelens.

    Jusqu'en 1997, les groupes-choc étaient essentiellement dirigés sur le terrain par M. Adriano Palomba, ancien légionnaire de l'UNP. En 1996 se sont produits, à Monceaux-les-Mines, des incidents au cours desquels des interventions des UMI équipées, à l'instar des forces de police, de casques, boucliers et matraques, ont été filmées. On aurait donc pu les prendre pour des membres des compagnies républicaines de sécurité. Aussi, sans doute à la suite de cet incident qui donnait une image de marque qui n'a pas été appréciée, M. Adriano Palomba a été remercié. En 1995 et 1996, les groupes-choc sont intervenus lors de différentes manifestations. Je me limiterai à vous en donner deux exemples. Le 15 février 1998, place des Fêtes à Paris, lors d'une opération de propagande, cinq éléments du groupe-choc ont encadré des militants frontistes lors d'une bousculade avec des militants antifascistes ; un cameraman a été malmené. Le 1er mai 1998, lors de la traditionnelle manifestation du Front National, une équipe d'intervention du DPS a échangé quelques coups avec des militants du Bétar. Voilà donc pour l'aspect plus secret, ou plus « professionnel », selon leurs propres termes, du DPS.

    S'agissant du mercenariat, il y a une certaine filiation qui s'inscrit dans une continuité : il va de soi que les relations humaines sont importantes. Certaines sociétés de sécurité, à la demande de personnalités étrangères ou de sociétés, recrutent des hommes de main pour participer à des missions dans certains Etats considérés comme pays à risques. Pour remplir de telles tâches, on recherche bien évidemment des gens ayant le profil idoine : anciens militaires, anciens parachutistes, anciens légionnaires qui répondent à des critères précis.

    J'ai évoqué le Groupe Onze, dirigé par M. Nicolas Courcelle, qui s'appelle aujourd'hui l'Internationale de logistique et de sécurité. Cette nouvelle dénomination n'est bien sûr pas innocente. En effet, si le Groupe Onze France était concentré sur l'activité hexagonale, la nouvelle société a des velléités d'ouverture sur le monde extérieur. Ce groupe a, par exemple, recruté des mercenaires pour le Zaïre en 1996, selon nos informations.

    Une autre société, OGS, a recruté, en 1996, des mercenaires pour assurer la sécurité d'infrastructures pétrolières de la société Total, en Birmanie. Cela a d'ailleurs abouti à une situation tout à fait originale, puisque, tandis que des personnes étaient recrutées pour protéger les installations de la société Total, d'autres l'étaient aussi pour encadrer la guérilla Karen. Or, comme toutes ces personnes appartiennent généralement au même milieu, cela pose quelque problème. Il en va d'ailleurs de même en Algérie, où des personnes sont embauchées pour protéger les sites pétroliers. Il y a là un vivier, dans lequel les structures qui en ont besoin puisent des hommes qui sont censés avoir un certain professionnalisme pour remplir leur mission. Tout se tient.

    Une autre société, Eric SA, installée dans le XVIIème arrondissement de Paris, a pour objet les études et installations pour la protection et la sécurité du travail et le conseil en risque-management. Si elle a fait l'objet d'une étude de notre part, c'est parce qu'elle risquait, soit d'être dirigée par des hommes d'extrême-droite, soit d'avoir des employés d'extrême-droite - outre qu'elle pouvait se livrer à des activités de mercenariat, antisyndicales ou antidémocratiques. Cette société a en fait recruté une grande partie de son personnel chez d'anciens militaires, en particulier ceux issus du deuxième régiment étranger parachutiste (REP) et du dix-septième régiment de génie parachutiste, et coiffe un réseau de mercenaires actifs dans les milieux d'extrême-droite.

    Tels sont donc les liens entre le DPS et certaines sociétés privées de sécurité, structures parfois très éphémères, sachant bien évidemment que toutes n'ont pas des velléités de mercenariat ou antidémocratiques et n'ont pas en leur sein des militants d'extrême-droite.

M. Robert GAÏA : Mis à part le recrutement, avez-vous connaissance de liens organiques entre certaines de ces sociétés de sécurité et le DPS ?

    Par ailleurs, puisque vous prêtez une attention particulière au DPS, quelle est votre analyse, en tant que responsable des renseignements généraux, de cette organisation ? Pourquoi vous intéressez-vous au DPS, et pas au service d'ordre d'autres organisations ?

M. Jean-Pierre POCHON : Nous ne nous intéressons pas aux partis politiques traditionnels - et pour être clair, c'est parfait -, en vertu d'une interdiction du ministre de l'intérieur. On ne s'intéresse pas au Front National, mais on s'intéresse au DPS. J'ai en effet sous ma direction une structure qui s'occupe des militants d'extrême-droite et d'extrême-gauche à potentialité violente : c'est exactement l'intitulé de la section qui travaille sur ce milieu-là. Or, les militants du DPS méritent d'être surveillés, étant donné l'ambivalence de leur appartenance à différentes structures. Tant pis s'ils appartiennent au Front National : ce qui nous intéresse, ce sont les organisations susceptibles de menacer l'ordre public et la paix publique, voire de porter atteinte, peut-être, à la démocratie. C'est donc à ce titre que nous sommes extrêmement attentifs à tout ce que font les membres du DPS. Mais l'attention que nous leur portons, nous la portons également à d'autres.

M. Robert GAÏA : Pensez-vous que le DPS est la structure armée ou opérationnelle d'individus qui se répartissent dans des groupuscules d'extrême-droite ; lesquels, en raison de leur idéologie, constituent une menace et trouvent à travers le DPS un terrain opérationnel ?

M. Jean-Pierre POCHON : Je ne crois pas que ce soit si simple que cela. Toutes proportions gardées, le DPS constitue exactement le même exutoire que le mercenariat pour un certain nombre d'individus. Il s'agit d'individus qui, pour des raisons philosophiques et politiques extrémistes, rêvent d'action, développent des idées racistes et xénophobes, et trouvent dans le DPS une manière de s'affirmer et d'avoir une identité dans une structure. C'est exactement la même chose, toutes proportions gardées, que le fait de s'engager dans le mercenariat, quoique bien souvent, dans ce cas, l'idéologie disparaisse au profit d'intérêts financiers, ce qui n'est pas le cas avec le DPS.

M. Robert GAÏA : Peut-on parler de « chiens perdus sans collier », de têtes brûlées, qui trouvent dans le DPS une organisation hiérarchisée et coordonnée ?

M. Jean-Pierre POCHON : En toute sérénité et en toute objectivité, je ne le pense pas. Depuis que je dirige ce service - quatre ans et demi -, je suis très attentif à tout ce qui est extrémisme, et il convient de l'être car c'est très important je crois. Mais, en l'état actuel des choses, on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une armée, voire d'une milice armée, susceptible de porter atteinte à la République. Pour que tel soit le cas, il faudrait des circonstances tout à fait particulières. Mais à l'heure actuelle, ce n'est pas notre analyse.

    Pour ma part, je dirige un service qui essaie de photographier et d'apporter des éléments de réflexion aux décideurs, en particulier aux autorités supérieures. Si les éléments que nous transmettons depuis plusieurs années doivent être analysés comme étant des menaces pour la démocratie, il revient à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur de trancher. Partant de l'observation et de l'analyse sur le terrain, je ne suis pas sûr du tout que nous en soyons là.

    Cela dit, l'image que j'ai tenté de vous donner du DPS, la plus précise possible, a volé en éclats. Or, ce fait mérite toute notre attention, car si le DPS en tant qu'abcès de fixation nécessite une très grande vigilance, il y aura lieu d'être encore plus vigilant s'il n'existe plus. J'ai évoqué toute cette frange de personnes qui sont en situation d'observation, et qui ne sont pas intégrées dans le DPS. Que vont-elles faire ? Il va falloir veiller de très près à ce qu'elles deviennent. Je pense entre autres aux skinheads, aux néo-nazis et aux petits groupuscules, qui, jusqu'à présent, quoi qu'on dise, étaient plutôt écartés du DPS « classique », dans la mesure où ils ternissaient l'image de marque que M. Jean-Marie Le Pen voulait donner du Front National.

M. le Président : Le préfet de police nous a expliqué que le DPS d'Ile-de-France faisait l'objet d'une tentative de mainmise de la part des éléments les plus radicaux en son sein, du fait que M. Marc Bellier était en province. Cela va-t-il dans le sens de l'observation que vous venez de faire ?

M. Jean-Pierre POCHON : Tout à fait. A la limite, c'est demain qu'il faudra continuer à travailler sur cette affaire. Je le répète, ce que j'ai pu vous dire, c'est avant tout l'image de ce qui a été. Il n'est pas sûr qu'il en sera encore ainsi demain. En effet, ce qui est à venir risque d'être plus ennuyeux que ce qui a été, car il y a toujours plus radical, plus extrémiste que ce que l'on connaît déjà. Or, les skinheads et les néo-nazis aimeraient créer une structure beaucoup plus offensive, beaucoup plus dynamique. D'après nos informations, qui sont assez précises, les instructions données par M. Bernard Courcelle visaient à une attitude défensive, pour l'image de marque ; aussi, ceux qui souhaitent passer à l'action sont très heureux que M. Bernard Courcelle ait été évincé. Ils peuvent penser qu'ils auront enfin à leur tête quelqu'un de plus pugnace, de plus offensif, de plus dynamique. C'est cette frange là qu'il va nous falloir surveiller avec une extrême attention.

M. Robert GAÏA : S'agit-il de la frange qui est restée avec M. Jean-Marie Le Pen ? Selon l'analyse de la scission que fait le directeur central des renseignements généraux, les éléments idéologiquement les plus durs, autour du GUD, seraient partis avec M. Bruno Mégret, les têtes brûlées étant restées avec M. Jean-Marie Le Pen.

M. Jean-Pierre POCHON : Non, ce n'est pas si simple que cela. Des têtes brûlées, il y en a aussi bien chez Mégret que chez Le Pen. Il y en a toujours eu, au sein du DPS comme au sein du Front National. Mais elles étaient relativement canalisées. Prenons l'exemple du drame qui s'est passé avec le jeune Marocain : on a eu affaire à des skinheads qui participaient au DPS local rémois de manière épisodique. En province, en dépit des consignes, les fédérations recrutaient quelquefois les gens qu'elles avaient sous la main, et donc pas nécessairement des gens aux qualités morales affirmées. Maintenant qu'il y a un Front National historique et un Front National nouveau, nombre de personnes sont en réserve, dans la région Ile-de-France, des personnes qui n'ont pas encore pris parti et attendent de voir. Ce sont donc ces gens-là qu'il va falloir suivre de près, afin de savoir s'ils envisagent de créer une autre structure, qui serait beaucoup plus inquiétante pour la démocratie.

    Quant au lien structurel qui pourrait exister avec les sociétés de sécurité, il est surtout fondé sur des relations personnelles ou politiques. Il est bien certain que certaines sociétés privées, qui ont des moyens et sont philosophiquement et politiquement très proches du Front National, ou qui ont des militants du Front National ou d'autres structures extrémistes en leur sein, aident le Front National quand elles le peuvent - pour le prêt de matériel radio, par exemple. Mais cela se fait de manière pragmatique et empirique, sans être organisé et structuré sur le territoire national : on ne peut pas dire que telle société précise apporte tel appui à tel DPS local. Non, ce n'est pas ainsi que cela fonctionne. Heureusement, c'est beaucoup plus pragmatique, tenant aux relations humaines et aux accointances des uns et des autres. Cela dit, si nous nous sommes intéressés à ces sociétés privées, c'est parce que nous voulions savoir comment les choses se passaient. Or, il s'avère qu'elles méritent toute notre attention, car il y a là un potentiel.

M. le Président : Les renseignements généraux ne font plus de renseignement sur les partis politiques. Pour autant, vous en faites sur le DPS ou d'autres structures, ce qui relève d'une décision de caractère politique. En conséquence, qui a décidé de s'intéresser au DPS ?

M. Jean-Pierre POCHON : Cela fait partie des orientations, des directives qui nous ont été clairement définies par le ministre de l'intérieur en 1994. Je dépends, pour ma part, du préfet de police qui est mon autorité directe et aussi de la direction centrale des renseignements généraux à laquelle mon service appartient - il y a une double autorité en la matière. Comme mon collègue, M. Yves Bertrand à la direction centrale, j'obéis à des directives ministérielles. Nous nous appuyons donc sur des textes qui nous indiquent les grandes orientations : renseignement d'ordre public et renseignement de protection pour le bon fonctionnement des institutions.

    Je considère que les mouvements extrémistes sont susceptibles de porter atteinte à la démocratie et au bon fonctionnement des institutions, ce qui fait que cela rentre dans le cadre général de ma mission. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé, sous l'autorité du préfet de police, de mettre en place des structures permettant de travailler sur ces mouvements extrémistes.

M. le Président : Nous souhaiterions que vous transmettiez à notre Commission les éléments détaillés dont vous pourriez avoir connaissance, concernant par exemple le rapport avec les armes, le port d'uniforme et les usurpations de fonctions. Nous sommes preneurs de notes plus précises, voire de synthèses auxquelles donnent lieu les notes faites lors des événements très précis impliquant le DPS.

M. Jean-Pierre POCHON : J'essaierai de vous donner satisfaction. Nous n'avons pas autant d'éléments que cela mais, dans la mesure où nous avons quelque chose, je vous le transmettrai.

M. le Président : Nous vous remercions.

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    Audition de MM. Loïc ROUSSEAU et Gérard HOANG-CONG,
    membres du service d'ordre du Parti Socialiste

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 2 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Loïc Rousseau et Gérard Hoang-Cong sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Loïc Rousseau et Gérard Hoang-Cong prêtent serment.

M. Loïc ROUSSEAU : En tant que secrétaire général administratif du parti socialiste, j'assure l'interface entre la direction politique du parti et le service d'ordre. M. Gérard Hoang-Cong a, quant à lui, été pendant plus de dix ans le responsable national du service d'ordre du parti socialiste. Le responsable actuel du service d'ordre est en Chine pour un déplacement professionnel.

    Le service d'ordre du parti socialiste est exclusivement composé de militants bénévoles. Le parti prend seulement en charge les frais de transport, d'hébergement et de repas lorsqu'il y a lieu. Le responsable du service d'ordre national est lui aussi un militant bénévole. Il est arrivé que la responsabilité du service d'ordre soit confiée à un permanent salarié du parti, mais il avait alors toujours une autre activité professionnelle au sein du parti socialiste. Il n'y a jamais eu de salarié ayant pour seule activité l'encadrement du service d'ordre national. Par ailleurs, le responsable du service d'ordre national n'a jamais exercé aucune responsabilité politique au sein du parti.

    Le responsable du service d'ordre national est désigné par cooptation des chefs de groupe du service d'ordre, cooptation qui conduit à une proposition de désignation validée par la direction politique du parti, au niveau du bureau national. L'encadrement du service d'ordre est en effet assuré par des chefs de groupe (une vingtaine au total, entre province et région parisienne), tous militants bénévoles : ce sont les cadres du service d'ordre, que le responsable du service d'ordre national réunit régulièrement.

    Politiquement, le service d'ordre dépend du premier secrétaire et du secrétaire national à la coordination - qui, actuellement, se trouve être également chargé de la trésorerie -, mais il n'y a pas, au sein du bureau national ou du secrétariat national, un responsable politique spécifiquement chargé du service d'ordre. Il est rattaché à l'organisation générale du parti. Bien évidemment, si un problème grave venait à se poser un jour concernant le service d'ordre, cela relèverait de la responsabilité politique du premier secrétaire.

    En pratique, l'administration du parti - moi essentiellement, puisque je suis chargé de l'interface - tient le responsable national du service d'ordre régulièrement informé des manifestations organisées par le parti. Le cas échéant, je lui fais part de demandes particulières ; pour la prochaine visite de M. François Hollande au salon de l'agriculture, par exemple, nous avons prévu un encadrement de deux personnes. Il n'y a aucune ingérence dans le fonctionnement du service d'ordre : l'administration du parti assure un simple suivi. C'est ainsi que, tout récemment, j'ai assisté au début d'une réunion des chefs de groupe pour leur apporter des informations sur le calendrier des manifestations, mais je les ai ensuite quittés. Nous ne nous immisçons donc pas dans le fonctionnement du service d'ordre, qui a son propre code de bonne conduite ; nous faisons confiance à son responsable national.

    Il existe ensuite, dans certaines fédérations, un service d'ordre fédéral, qui fonctionne sur le même mode mais sous la responsabilité du premier secrétaire fédéral. Très souvent, les responsables des services d'ordre fédéraux sont en même temps des chefs de groupe du service d'ordre national. Sur toute la France, nous comptons sur un effectif total de 200 à 250 militants mobilisables, et sur 40 à 50 personnes sur Paris et la proche banlieue.

    Les missions du service d'ordre du parti socialiste sont simples et traditionnelles. Il s'agit d'assurer le filtrage et la sécurité lors des manifestations statutaires du parti (congrès, conseils nationaux, conventions,...), le filtrage et la sécurité des autres événements organisés par le parti (meetings, colloques, universités d'été,...), la protection des personnalités et des militants du parti lorsqu'ils sont amenés à manifester dans la rue et, de manière tout à fait exceptionnelle, des missions de protection rapprochée. Le service d'ordre n'assure pas la sécurité du siège du parti, rue de Solférino, sauf circonstances exceptionnelles. Les gardiens sont des permanents du parti. Par ailleurs, aucune personnalité du parti, quelle qu'elle soit, ne fait l'objet d'une protection permanente.

M. Gérard HOANG-CONG : Les effectifs mentionnés par M. Loïc Rousseau concernent le noyau, c'est-à-dire les militants sur lesquels ont peut compter et qui sont capables de faire l'encadrement d'autres militants. Mais, pour une manifestation parisienne par exemple, nous pouvons mobiliser plus de cinquante membres du service d'ordre puisque, si nécessaire, on peut avoir recours à 200 militants au minimum. Pour la fête de la fraternité il y a quelques années, par exemple, nous avions réuni, sur l'ensemble de la France, près de 600 militants pour assurer la sécurité de la fête pendant trois jours.

M. le Président : Le noyau représente donc une structure permanente ? Ce n'est pas simplement une liste de militants auxquels il est fait appel en cas de besoin ?

M. Gérard HOANG-CONG : La notion de noyau sous-entend qu'il s'agit d'un effectif mobilisable sous vingt-quatre heures. Pour réunir ce groupe, il faut tout de même un peu de temps, puisqu'il s'agit de personnes salariées à l'extérieur, qui ne sont donc pas disponibles dans l'heure.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : L'organisation elle-même est-elle permanente ?

M. Loïc ROUSSEAU : Il n'y a pas d'organigramme. On ne saurait parler d'une organisation comptant 200 à 250 personnes.

    L'organisation est la suivante. Le responsable du service d'ordre national fonctionne avec une vingtaine de chefs de groupe répartis sur toute la France. Nous savons pouvoir mobiliser en permanence 200 à 250 personnes rapidement, sur l'ensemble du territoire. Si ces militants sont prévenus suffisamment à l'avance et disponibles, on peut compter sur eux pour faire du service d'ordre. Pour autant, sur toute une année, nous ne ferons pas appel à chacun d'entre eux : si rien ne se passe dans leur région ou si rien d'important au plan national ne le justifie, ils ne seront pas du tout sollicités. A l'occasion d'une manifestation très importante, nous disposons du potentiel des militants, les responsables locaux ayant la possibilité de faire venir davantage de personnes que le noyau habituel.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Avez-vous déjà eu des relations avec le DPS ? Si oui, dans quelles circonstances ? Sur le terrain, comment cela se passe-t-il ? Qu'est-ce qui vous différencie, à vos yeux, du DPS ?

M. Gérard HOANG-CONG : Notre organisation est un parti démocratique, ce qui suppose une philosophie ou un engagement politique tout de même à l'opposé de ceux du Front National et du DPS.

    Quant à des relations, il n'y en a jamais eu. Non seulement nous n'avons jamais eu de rencontre technique ou politique avec le DPS - comme cela s'est produit avec le Parti Communiste Français, la CGT, la Ligue Communiste Révolutionnaire ou la CFDT - mais, fort heureusement, il n'y a jamais eu non plus de rencontre sur le terrain - ce qui aurait sans doute donné lieu à un affrontement politique.

    Pendant toutes les années où j'ai eu la responsabilité de la sécurité des cortèges socialistes ou de la protection de nos dirigeants, nous ne nous sommes jamais retrouvés en situation de nous confronter au DPS : si nous manifestions le même jour que le Front National, c'était dans des parties de Paris différentes, avec des effectifs de police suffisamment importants entre les deux pour qu'il n'y ait pas de rencontre directe.

Mme Yvette BENAYOU-NAKACHE : Les militants qui font, de temps en temps, partie du service d'ordre suivent-ils un entraînement ? En fait, le service d'ordre du parti socialiste me paraît très « bon enfant », surtout par rapport au DPS apparemment beaucoup plus structuré, plus entraîné voire armé. Ne craignez-vous pas, en conséquence, de mettre vos militants en danger, si une confrontation devait se produire ?

M. Loïc ROUSSEAU : C'est effectivement une question que je me suis posée lorsque j'ai pris mes fonctions et que j'ai été amené à m'intéresser au fonctionnement du service d'ordre.

    Une des caractéristiques de notre service d'ordre tient à sa moyenne d'âge, relativement élevée, car il comprend peu de jeunes : bon nombre de membres du service d'ordre ont cinquante ans, voire davantage ; certains même sont des retraités. Je les vois donc mal subir un entraînement de type paramilitaire, ce qui, de toute façon, n'est pas le genre de la maison. Cela dit, même si le service d'ordre était essentiellement composé de jeunes, je ne crois que cela serait possible. Les membres du MJS, par exemple, sont tout à fait opposés à ce type de pratique.

    J'ai rapidement compris qu'il s'agit, pour les membres du service d'ordre, d'un véritable engagement militant, ce qui fait qu'ils sont prêts à accepter l'affrontement physique, avec tous les risques que cela comporte : pour eux, c'est une part de leur engagement au service du parti. A nous, donc, de nous comporter en cadres responsables. Cela dit, je pense que des efforts sont nécessaires dans le domaine de la formation. D'ailleurs, lorsque le nouveau responsable du service d'ordre national a pris ses fonctions, M. François Hollande lui a indiqué que le parti était prêt à mettre à sa disposition des moyens de formation. Mais il devrait plutôt s'agir d'une formation aux techniques de transmission avec des moyens modernes que d'un entraînement physique.

    Une dernière précision à ce propos. Il ne faut pas se fier aux apparences : je ne suis pas sûr que certains des membres du service d'ordre du parti socialiste, un peu bedonnants, ne soient pas susceptibles, sur le terrain, de faire efficacement barrage de leur corps...

M. Gérard HOANG-CONG : S'agissant du service d'ordre d'un parti politique, il existe une formation politique. Mais il existe aussi une formation sportive, de caractère non offensif. Si certains militants sont mieux à même de rester longtemps devant une porte pour en faciliter ou en interdire le passage, ce qui requiert de l'expérience et une mémoire visuelle, d'autres sont plus aptes à courir ou à montrer un peu de force physique. La philosophie du service d'ordre du parti socialiste n'a jamais été de penser de manière offensive : il s'agit seulement d'assurer la sécurité des locaux et des réunions.

    S'agissant des manifestations extérieures où nous assurons l'encadrement ou la protection des personnalités présentes à la manifestation, ce serait perdre la bataille, à mon sens, que d'en arriver à l'affrontement. L'important est d'être suffisamment nombreux et de suffisamment montrer sa force pour éviter l'affrontement. Durant toutes les années où j'ai eu la responsabilité du service d'ordre, il n'y a eu qu'une seule bagarre, en 1979, à l'occasion d'une fête pour les premières élections européennes où des éléments d'extrême-droite avaient décidé de venir perturber notre réunion. Sinon, nous étions toujours suffisamment nombreux pour montrer que le parti socialiste était présent et qu'il n'avait pas l'intention de se laisser faire. C'est pour cela que nous n'avons jamais eu de confrontation avec le Front National. Les seules fois où nous avons eu des rencontres un peu musclées dans la rue, quoique plutôt d'ordre idéologique, ce fût avec l'extrême-gauche, sans que cela aille très loin.

    L'important, pour nous, est qu'il n'y ait pas de blessé, d'un côté ou de l'autre, et que, politiquement, nous n'ayons rien à nous reprocher, puisque toute action engagée par nous est couverte par la direction du parti. Cela signifie qu'aucune décision importante ne peut être prise sans que le responsable du moment en soit informé et donne son aval, pour quelque décision que ce soit. Le service d'ordre n'est pas une organisation extra-politique ou en dehors de la direction du parti. Toute décision se prend donc en liaison avec la direction politique.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Lorsque des membres des partis républicains participent à des contre-manifestations anti-Front National et que des incidents ont lieu avec des membres du DPS, des informations à ce propos remontent-elles vers le service d'ordre national ?

M. Gérard HOANG-CONG : Il arrive que des militants participent à des contre-manifestations, mais il n'y a pas d'information du service d'ordre en retour. Ce n'est pas la mission des fédérations. Il peut exister, éventuellement, un compte rendu oral d'un premier secrétaire fédéral ou d'un secrétaire de section auprès de la direction nationale du parti socialiste.

M. Loïc ROUSSEAU : Il est tout à fait possible que, dans ce genre de manifestation, il y ait eu un service d'ordre dépendant d'une fédération. A ma connaissance en effet, la direction nationale du parti n'a jamais appelé à organiser ce genre de manifestation. Pour autant, cela a parfaitement pu avoir lieu au sein de fédérations, avec un appel au service d'ordre fédéral pour venir encadrer la manifestation.

    La direction du parti et le service d'ordre national sont d'ailleurs très soucieux de respecter les prérogatives des fédérations. Il est même arrivé au service d'ordre national d'aller prêter un coup de main à des services d'ordre fédéraux pour des manifestations organisées par des fédérations. Cela s'est récemment passé pour une manifestation organisée par la fédération de Paris.

M. le Président : Pendant la campagne électorale qui va s'engager, si M. François Hollande se déplace dans une fédération où il n'y a pas de service d'ordre fédéral, comment va être organisée la sécurité du meeting ?

M. Loïc ROUSSEAU : Pour les meetings nationaux, comportant une forte présence de la direction du parti - qu'ils aient lieu à Paris ou en province -, le service d'ordre national, avec le soutien du service d'ordre local s'il existe, prend en charge la sécurité de la manifestation. Pour les meetings régionaux, même si une personnalité de premier plan national est présente, c'est a priori le service d'ordre fédéral qui doit intervenir. S'il n'y en a pas dans la fédération concernée, on peut tout à fait imaginer, dès lors que des personnalités politiques nationales se déplacent, que des militants des fédérations limitrophes soient sollicités. D'ailleurs, l'essentiel des membres du service d'ordre national sont des provinciaux. Ainsi, lorsqu'il y a une manifestation très importante à Paris, nous faisons appel essentiellement aux Nantais, aux Messins et aux militants du Nord-Pas-de-Calais.

M. le Président : Quel est le nombre de membres du service d'ordre national mobilisés pour un meeting de province ?

M. Gérard HOANG-CONG : Quant au nombre de personnes déplacées pour des meetings, cela dépend de l'endroit et des forces militantes locales. Pour un meeting dans la région Nord-Pas-de-Calais, le réservoir de militants est très important, plus qu'en Lozère par exemple.

    Des militants du service d'ordre national peuvent se déplacer pour faire la protection rapprochée d'une ou de plusieurs personnalités du parti et demander aux militants locaux d'assurer la sécurité générale : l'accueil, le parking, le contrôle de la salle de presse, de la tribune, des allées,... Mais, globalement, nous n'avons jamais eu à déplacer beaucoup de Parisiens sur un meeting. Les campagnes électorales engendrent toujours une dynamique qui fait que, le jour du meeting, des militants sont disponibles pour donner un coup de main et faire le service d'ordre ou l'accueil, même s'ils ne le font pas habituellement. On fait très attention aux militants qui assurent le service d'ordre car ce sont les premières personnes vues par le public.

Mme Yvette BENAYOU-NAKACHE : Comment concevez-vous le filtrage lors d'un meeting, pour le parking ou l'entrée de la salle ?

M. Gérard HOANG-CONG : Cela dépend du niveau de la réunion. Il y a d'abord les réunions internes. S'il s'agit d'un congrès national du parti socialiste organisé dans un parc des expositions, avec un contrat commercial, on peut considérer qu'il s'agit d'une réunion privée, avec des personnes venant sur convocation. Dans ce cas, la direction du parti pourrait décider de prendre les mesures qu'elle souhaite pour assurer la sécurité des congressistes. Mais, à ma connaissance, nous n'avons installé des portiques qu'une seule fois, pour un congrès national. Une autre fois, la préfecture de police nous l'a imposé pour une réunion de l'Internationale socialiste, dans la mesure où des chefs d'Etat et de Gouvernement étaient présents.

    Pour ce qui concerne les réunions publiques, en revanche, il est difficile d'opérer un contrôle très précis à l'entrée. Nous en faisons tout de même un, un peu dissuasif, mais sans fouiller les personnes ni demander à voir l'intérieur des sacs. La direction du parti socialiste, de toute façon, n'a jamais imposé l'utilisation de portiques ou la fouille des personnes. Et nous, contrairement à ce que l'on a pu dire sur le DPS, nous n'avons jamais interpellé et embarqué des gens sous prétexte qu'ils n'avaient rien à faire là.

M. le Président : Avez-vous des critères de recrutement, par exemple la vérification du casier judiciaire ?

M. Gérard HOANG-CONG : Nous ne faisons pas d'enquête sur les militants du parti socialiste qui souhaitent entrer dans le service d'ordre. Cela se fait par cooptation, par le biais de militants déjà connus.

M. Loïc ROUSSEAU : Je précise qu'aucun membre du service d'ordre du parti socialiste n'a reçu de plainte ou subi de condamnation du fait d'un incident quelconque, pour quelque type de réunion que ce soit. Il y a un code moral de bonne conduite au sein du service d'ordre du parti, c'est-à-dire un ensemble de règles non écrites. Il est assez draconien. C'est ainsi que je dois actuellement gérer le problème de l'exclusion d'un membre du service d'ordre national suite à une condamnation au civil en raison d'un litige d'ordre privé.

    Nous ne demandons pas le casier judiciaire des personnes souhaitant entrer au service d'ordre. Cela dit, je ne suis pas sûr que nous pourrions le faire, juridiquement, puisque nous ne sommes pas employeur. Le recrutement se fait par cooptation et j'imagine que les chefs de groupe, avant de faire entrer quelqu'un dans le cercle du service national, prennent quelques précautions et renseignements. En tout cas, à ma connaissance, il n'y a jamais eu de problème avec un membre quelconque du service d'ordre, à ce titre.

M. le Président : Avez-vous une tenue ou des signes distinctifs ?

M. Gérard HOANG-CONG : Chacun s'habille comme il le souhaite. Le signe distinctif est le badge ou, dans les manifestations, le brassard.

M. le Président : Avez-vous des armes ou un quelconque rapport aux armes ?

M. Gérard HOANG-CONG : Non, pas du tout. Il n'y a même aucun équipement particulier, ni arme par destination.

Mme Yvette BENAYOU-NAKACHE : Pensez-vous que le DPS soit un service d'ordre comme les autres, comme celui des partis démocratiques ?

M. Loïc ROUSSEAU : Mon appréciation sera nécessairement subjective. Comme tout le monde, j'ai vu des images, donc le style, l'allure, parfois le comportement des membres du DPS, et tout cela me semble assez inquiétant. Par ailleurs, j'ai cru comprendre qu'ils étaient très organisés.

    Le parti socialiste, pour sa part, est un parti de transparence et d'ouverture, au point que ce n'est que depuis peu que la direction du parti a été sensibilisée aux problèmes de sécurité. J'en veux pour preuve le fait que le siège du parti a été envahi à de nombreuses reprises, et que c'est suite à des dégradations relativement importantes qu'un véritable dispositif de sécurité, à l'entrée du siège du parti, a été mis en place. Désormais, il y a un sas et un contrôle humain, ce qui rend plus difficile d'envahir le parti ; mais, il y encore peu d'années, c'était très facile puisqu'il n'y avait aucun contrôle à l'entrée.

M. le Président : Et pour ce faire, vous ne faites pas appel à des sociétés de gardiennage ?

M. Loïc ROUSSEAU : Non. Jamais la sécurité d'une quelconque manifestation n'a donné lieu à l'appel à un prestataire de services extérieur.

M. le Président : Parmi les membres du service d'ordre, y a-t-il des anciens policiers, militaires ou gendarmes ?

M. Gérard HOANG-CONG : Des policiers ou des militaires de gauche, il doit y en avoir, mais ils ne sont tout de même pas très nombreux...

    Je me souviens de quelques fonctionnaires de police nous donnant des coups de main techniques ponctuels ou intervenant dans des réunions de formation ; mais ils étaient retraités. Ils ont pu nous expliquer, par exemple, quels étaient les droits et les devoirs d'un service d'ordre politique, notamment en ce qui concerne les fouilles, ce que l'on a le droit de demander aux gens, et, surtout, ce que l'on n'a pas le droit de faire.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

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    Audition de MM. Thierry MEYSSAN, président, Yves FRÉMION, vice-président, Jean-Claude RAMOS, secrétaire général du Réseau Voltaire.

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 3 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Thierry Meyssan, Yves Frémion et Jean-Claude Ramos sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Thierry Meyssan, Yves Frémion et Jean-Claude Ramos prêtent serment.

M. Thierry MEYSSAN : Le Réseau Voltaire est une association créée en 1994, dont l'objet principal est la défense des principes républicains. Nous nous attachons particulièrement à la défense de la liberté d'expression et de la laïcité.

    L'originalité de notre association est qu'elle rassemble à la fois des personnes morales et des personnes physiques. Les personnes physiques sont généralement des citoyens engagés dans l'action publique, soit à travers des mandats électifs, politiques, soit à travers une action syndicale, associative, soit encore à travers une activité éditoriale. Les personnes morales sont des associations, voire des partis politiques.

    Notre travail est un travail d'information, le plus précis possible, sur les sujets qui concernent la défense des principes républicains. Nous travaillons pour cela sur le principe de l'interopérabilité des sources ouvertes, nous tentons de faire des synthèses à partir des renseignements que nous avons réunis, afin que nos membres puissent exercer au mieux les fonctions qui sont les leurs.

    Avant de faire cet exposé sur les éléments que nous souhaitons porter à la connaissance de votre Commission, je ferai une remarque préalable : nous ne sommes pas demandeurs du huis-clos. Nous souhaitons que notre déposition figure dans votre rapport et pensons que les éléments que nous amenons devant votre Commission doivent être connus de l'ensemble des citoyens. Nous vous remettrons, à l'issue de cette déposition, une note de synthèse que nous avons mise en distribution ce matin auprès de nos membres.

    La question principale est : qu'est-ce que le Département Protection et Sécurité ? Quels sont ses objectifs ? Quels sont les soutiens dont il bénéficie ?

    Au départ, cette organisation, qui a changé plusieurs fois de nom, était un simple service d'ordre d'une organisation politique légale. Mais en 1994, avec l'arrivée à sa tête de M. Bernard Courcelle, cette organisation a changé de dénomination, devenant « Département Protection et Sécurité ». Donc, en initiales, on devrait dire « le » DPS, mais vous aurez remarqué cette étrangeté de vocabulaire qui fait que les membres de cette organisation disent « la » DPS, comme s'ils avaient en tête une autre signification de ses initiales.

    Ce service d'ordre s'est transformé pour adopter une organisation militaire, sur le principe des huit régions militaires et a commencé à entraîner ses membres. A titre d'exemple, le Front National doit être la seule organisation politique légale qui dispose d'une salle d'entraînement dans son siège. Ses membres, à titre individuel nous assure-t-on, se sont dotés d'un armement, mais surtout la principale modification apportée à cette organisation est qu'elle est sortie de son cadre naturel de service d'ordre pour se livrer à des activités de renseignement : d'abord du renseignement interne - M. Jean-Marie Le Pen, président du Front National, souhaitait en effet disposer d'informations précises sur les nouveaux ralliés à son mouvement et pouvoir surveiller leur loyauté -, puis du renseignement externe sur les opposants à sa formation politique.

    C'est très précisément ce point du passage au renseignement qui a attiré notre attention. Selon des témoignages publiés dans la presse, concordants, recoupés, certains membres du DPS auraient pour fonction de « loger », c'est-à-dire d'identifier des opposants au Front National ; autrement dit, de connaître leurs habitudes, les personnes qu'ils fréquentent, les lieux où ils habitent et où ils travaillent. Nous-mêmes avons fait l'objet de surveillances de ce type et avons pu constater l'important déploiement d'hommes que cela nécessite.

    Dès lors, se pose la question suivante : à quoi peut donc servir cette activité qui n'est pas celle d'un service d'ordre et qui n'a, nous semble-t-il, aucun rapport avec l'activité normale d'une formation politique ?

    Pour répondre à cette question et pour comprendre comment une organisation de cette nature a pu se déployer, nous pensons utile de vous apporter quelques éléments sur le parcours extrêmement original de son chef, M. Bernard Courcelle.

    M. Bernard Courcelle est connu comme instructeur parachutiste, mais il est surtout et avant tout un officier de l'ancienne sécurité militaire. C'est en sa qualité d'officier de la sécurité militaire qu'il a suivi une formation arabisante avant d'être mis en poste au Maroc où il dirigeait un très important ensemble de complexes hôteliers touristiques, permettant à son service de disposer d'informations précises sur les intrigues qui se nouent là-bas. Je vous rappelle que la sécurité militaire a pour objet principal, si l'on se réfère à son décret d'attribution, la surveillance des trafics d'armes et du mercenariat. C'est également ce service qui dispense les habilitations défense au plus haut niveau.

    Après cette expérience au Maroc, M. Bernard Courcelle a été chargé de la sécurité de M. Dewavrin, le directeur des établissements Luchaire, dans la période précise où, on l'apprit plus tard, la société Luchaire s'était livrée à un trafic d'armes illégal à direction de l'Iran. Il va de soi qu'il est totalement impossible qu'un officier de la sécurité militaire mis en poste à l'intérieur des établissements Luchaire ait pu ignorer ce trafic. Cela est d'ailleurs confirmé par le rapport du contrôleur général des Armées qui a suivi la révélation de cette affaire.

    M. Bernard Courcelle apparaît également un peu plus tard dans l'affaire des Comores, lorsque l'Elysée, souhaitant modifier le dispositif en place, avait requis le retrait de M. Bob Denard de la garde présidentielle. Selon M. Bob Denard lui-même - et ce témoignage a été réitéré plusieurs fois, il est assez ancien - M. Bernard Courcelle avait été envoyé par l'Elysée pour négocier avec les hommes de M. Bob Denard leur retrait. Cela s'expliquait par le fait que la s_ur de M. Bernard Courcelle et son beau-frère faisaient partie de l'équipe de M. Bob Denard. Cela s'expliquait également par le fait qu'un frère de M. Bernard Courcelle, Nicolas, est le dirigeant du Groupe 11 France, une officine de recrutement de mercenaires, que l'on a vue en activité non seulement aux Comores mais, par exemple, au Zaïre. Là encore, la responsabilité de M. Bernard Courcelle en tant qu'officier de la sécurité militaire fait qu'une telle activité ne pouvait échapper à son service et ne pouvait exister que par au moins une complicité tacite de son service.

    M. Bernard Courcelle a alors été affecté aux Musées nationaux. Il s'est occupé de la sécurité de l'ensemble des musées nationaux mais plus précisément de celle du Musée d'Orsay et de sa conservatrice, Mme Anne Pingeot. Nous soulignons ce point dans la mesure où cette activité le mettait nécessairement en contact avec la cellule élyséenne.

    M. Bernard Courcelle apparaît également dans un trafic d'armes à direction de la Tchétchénie qui s'étale sur plusieurs années. Pendant un temps, il se trouvait aux Musées nationaux, mais dans la conclusion de cette affaire, il était à la tête du DPS. Selon des témoignages corroborés, c'est le commissaire Pellegrini, ancien de la cellule élyséenne, qui a servi de contact principal entre M. Jean-Marie Le Pen et M. Bernard Courcelle pour sa nouvelle affectation. Là encore, nous ne pensons pas qu'il soit possible que M. Bernard Courcelle ait développé une milice privée dans ce pays sans que son service traitant en soit informé et sans qu'il ait bénéficié au moins d'une complicité passive.

    Qu'est donc la sécurité militaire ? En 1982, elle a changé de dénomination pour devenir « Direction de la Protection et Sécurité de la Défense », c'est-à-dire « la » DPSD. Nous portons également à votre connaissance que lorsque nous avons mis en cause le fonctionnement de la DPS, une réponse nous a été apportée publiquement par le Front National, non pas par la voix de son président Jean-Marie Le Pen, mais par une conférence de presse organisée au siège de ce parti politique où se tenaient côte à côte MM. Bruno Gollnisch et Bernard Courcelle.

    Nous souhaitons vous faire remarquer que M. Bruno Gollnisch est également un officier de la DPSD. Il a révélé ce point lui-même à l'occasion de la polémique suscitée par le livre sur l'assassinat de Mme Piat. A ce moment-là, il a diffusé un communiqué dans lequel il indiquait ne pas être à l'origine des informations publiées par MM. Rougeot et Verne. A cette occasion, il a été amené à préciser ses affectations préalables à la Direction des opérations et du renseignement de l'Etat major de la Marine pour le compte de la DPSD.

    Il nous paraît extrêmement étrange que les principaux responsables d'une milice privée au service d'une formation politique extrémiste puissent appartenir, l'un et l'autre, à un service secret de la République dont la mission était précisément de contrôler et d'empêcher de tels agissements.

M. le Président : Vous avez parlé du huis-clos. Je tiens à préciser que nous avons décidé le secret pour le déroulement de nos auditions. Autre chose est la publication du rapport. Notre décision tient au fait que, compte tenu de l'objet de notre commission d'enquête, notamment de la situation du Front National aujourd'hui, nous pensions que le secret nous permettrait d'auditionner de manière approfondie toute une série de personnes. Mais ensuite, naturellement, les informations que nous aurons recueillies feront l'objet d'une publication. Le huis-clos ne porte pas sur ce que nous recueillons ; le secret a pour but de permettre la plus large et la plus pointue des investigations.

M. Yves FRÉMION : Mon ami Thierry Meyssan voulait dire que tout ce que nous relaterons, provient de sources publiques aujourd'hui. L'original dans notre démarche, c'est la compilation de l'ensemble de ces informations et leur recoupement. Mais nous avons publié, dans la lettre du Réseau Voltaire qui est envoyée assez largement, toutes les informations que nous allons vous donner.

M. le Président : Nous avons en effet déjà lu certains de vos documents. Mais je tenais à apporter cette précision sur le secret de nos travaux : nous ne faisons aucune rétention d'information et le rapport fera nécessairement la synthèse des informations que nous aurons recueillies.

    Vous avez déjà publié des dossiers très complets comprenant une compilation de coupures de presse, de livres, sur l'activité du DPS. Comment avez-vous recueilli ces éléments ? Avez-vous aussi mené vos propres enquêtes ?

M. Thierry MEYSSAN : Nous avons cherché à rassembler une documentation la plus exhaustive possible sur le sujet et à comparer des sources contradictoires afin de voir comment elles s'éclairent et, éventuellement, se corroborent. Un tel travail nécessite aussi des contacts directs avec les personnes concernées, de sorte que cela oriente la recherche, mais nous ne nous appuyons que sur les éléments publiés. Les entretiens que nous avons pu avoir n'ont eu d'autre but que d'aiguiser notre attention et de nous orienter dans notre recherche. Nous ne donnons aucune valeur à des confidences qui ne seraient pas assumées publiquement.

M. le Président : Vous avez été l'objet de pressions et de surveillances. Pourriez-vous nous en dire plus ?

M. Thierry MEYSSAN : Plusieurs membres de notre association ont fait l'objet de ce type de surveillance. Pour ma part, je peux témoigner devant vous que, pendant près de deux mois, une première équipe a été installée devant mon domicile, surveillant toutes les sorties et entrées, photographiant toutes les personnes qui entraient et sortaient ; travail difficile puisque j'habite dans un immeuble.

    Une seconde équipe avait été installée devant mon bureau, là aussi photographiant toutes les entrées et sorties.

M. le Président : A quelle période ?

M. Thierry MEYSSAN : C'était en 1997. Septembre-octobre 1997. Je pourrais éventuellement vous donner des détails plus précis. Je n'ai pas apporté de documents à ce sujet.

    J'ai également, pendant toute cette période, fait l'objet d'une filature constante, avec une capacité d'anticipation de mes déplacements qui laissait à penser que mes conversations téléphoniques étaient entendues.

    Dans un premier temps, je n'ai parlé de cela à personne. Avouez que c'est difficile de raconter ce genre d'histoire. Mais la police judiciaire m'a elle-même contacté, ayant eu connaissance, je ne sais comment, de cette situation. J'ai donc été entendu par une délégation de la police judiciaire qui ne m'a pas reçu à son siège mais au commissariat qui se trouve juste à côté du Palais Bourbon, au coin de la rue de Lille.

    A la suite de cette déposition, qui venait manifestement confirmer du renseignement interne dont disposait la police, le procureur de la République de Paris a ouvert une information judiciaire pour menace d'assassinat sans condition.

    Si j'en crois les choses qui m'ont été dites par les policiers à ce moment-là
    - mais qui m'ont été dites off, je ne pense donc pas qu'ils en témoigneraient aujourd'hui -, ceux-ci avaient eu vent d'un contrat lancé contre moi par l'une des personnes que j'ai nommées tout à l'heure.

    A la suite de l'ouverture de cette information judiciaire, le phénomène a continué pendant les quelques jours qui ont suivi, mais j'ai rendu publique l'ouverture de l'information judiciaire et, immédiatement, ce dispositif s'est arrêté.

    J'ai eu l'occasion de discuter avec quelques uns de nos partenaires - dirigeants syndicaux, associatifs, responsables d'obédiences maçonniques - qui m'ont dit avoir constaté la même chose les concernant, voire concernant les membres de leur famille.

M. le Président : Pouvons-nous avoir des dates plus précises, notamment celle à laquelle vous avez été entendu au commissariat ?

M. Thierry MEYSSAN : Je ne l'ai pas ici, mais je pourrai l'adresser à votre Commission.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Dans votre propos liminaire, vous nous avez dit que dès la prise de direction du DPS par M. Bernard Courcelle, il y avait eu un entraînement de ses membres, dont l'un des lieux était le siège du Front National. Que savez-vous sur cet entraînement ? Pouvez-vous nous dire ce qui se passe au château de Neuvy ? Nous recherchons des faits précis.

M. Thierry MEYSSAN : La salle de sport installée au siège du Front National à Saint-Cloud permet un entraînement sportif de haut niveau des membres du DPS. Le château de Neuvy-sur-Barangeon, qui a été racheté par M. Roger Holeindre à son ami l'empereur Bokassa, sert à des jeux guerriers auxquels il n'y aurait rien à redire, du type paint-ball donc parfaitement légal.

    Des entraînements ont lieu également en forêt de Fontainebleau. D'autres se passent à l'étranger, notamment dans le cadre des universités d'été de Chrétienté solidarité, qui se sont tenues en Espagne. Là, il s'agit évidemment d'entraînements plus sélectifs, dispensés par des combattants provenant du Liban, de l'ex-Yougoslavie et de Birmanie.

    La question de l'entraînement doit toujours être liée à celle de l'armement car le même entraînement n'a pas la même signification selon l'armement dont on dispose. Il est difficile de cerner exactement l'armement en question. Seuls des pouvoirs d'investigation légaux permettraient les perquisitions nécessaires à la vérification de cet armement mais nous savons, par diverses affaires au pénal, ce qu'il en est.

    J'attire votre attention sur la saisie effectuée auprès des dirigeants du Front National de la Police, par ailleurs responsables de la DPS. Plus précisément, la saisie effectuée en février 1998, en région parisienne, de 120 kilos de tolite, de cartouches de dynamite, de mèches lentes et de détonateurs. Il est bien clair que 120 kilos de tolite, n'ont rien à voir avec de vagues histoires de plasticage corse ou d'intimidation en tout genre. La tolite est un explosif utilisé uniquement sur des théâtres d'opérations militaires. 120 kilos de tolite, c'est une charge considérable qui ne peut avoir aucune utilisation de « droit commun ». 120 kilos de tolite, ne peuvent avoir qu'une utilisation militaire. Il importe de souligner que les personnes interpellées dans le cadre de cette affaire ont été placées sous écrou pour infraction à la législation sur l'armement. Il ne revient pas à la justice de déterminer leur mobile. La question du mobile, qui est une question politique, revient à votre Commission.

    Nous devons souligner que lors d'un très récent procès, qui s'est déroulé il y a quinze jours, dans lequel M. Frédéric Jamet, le fondateur du FN Police, portait plainte contre un journaliste du Nouvel Observateur l'ayant mis en cause, M. Frédéric Jamet a été extrait de sa cellule pour venir déposer devant un tribunal et a opposé le secret défense à la question de la détention des 120 kilos de tolite qui se trouvaient chez lui... Pardon ! chez ses amis, ce n'était pas à son domicile personnel.

M. le Président : Cette saisie s'est faite au FN Police ?

M. Thierry MEYSSAN : Non, j'explique que l'équipe qui détenait ce stock d'armes correspond à l'équipe dirigeante du FN Police.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Indépendamment de l'entraînement physique ou sportif, avez-vous pu saisir la nature de l'entraînement idéologique ? Avez-vous eu des documents ? Savez-vous ce qui est donné en lecture ? Quelle est la nature de la préparation psychologique non pas des membres lambda du DPS, mais du personnel d'encadrement ou des membres particulièrement vigoureux ?

M. Thierry MEYSSAN : Nous n'avons pas idée d'une formation psychologique particulière, à l'exception de deux points.

    D'une part, dans le cadre de la pseudo université d'été de Chrétienté Solidarité dont je vous ai parlé, des conférences de littérature à caractère historiquement fasciste sont données.

    D'autre part, si je me réfère, par exemple, aux propos tenus par les policiers chargés de l'information judiciaire pour ma protection, ces derniers disaient avoir connaissance d'associations à caractère caritatif qui se développent en marge du Front National. Celles-ci recruteraient des personnes désocialisées, leur fournissant un minimum de moyens financiers et les tiendraient alors à leur disposition pour des missions de repérage, de surveillance et de « sécurité ».

    Il semble que ces informations pourraient concerner l'organisation Fraternité française et le développement, en retrait de cette dernière, d'une autre structure animée par M. Gilles Soulas qui fut le chef du DPS pour la région militaire Ile-de-France. Il est aujourd'hui le gérant de la seule librairie néo-nazie dans ce pays, la librairie L'Aencre. Il est également devenu l'un des principaux responsables de la formation de M. Bruno Mégret. Son épouse Mme Allot siège d'ailleurs au sein des plus hautes instances dirigeantes de ce mouvement.

M. Robert GAÏA : Vous avez parlé d'un rapport du contrôleur général des armées concernant M. Bernard Courcelle et sa place chez Luchaire à l'époque. De quelle époque date-t-il ? L'avez-vous eu en main ?

M. Thierry MEYSSAN : Le rapport porte sur l'affaire Luchaire. Il s'agit du rapport Barba qui doit dater de 1986. Dans le cadre du travail du contrôleur général, il y a forcément quelque chose sur les officiers en poste.

    Des éléments de ce rapport figurent dans le livre « Des armes pour l'Iran », publié en 1988 chez Gallimard par M. Jean-Charles Deniaud.

M. le Président : Vous avez indiqué que MM. Bernard Courcelle et Bruno Gollnisch faisaient partie de la sécurité militaire. En faisaient-ils partie lorsqu'ils étaient au DPS ou au Front National ?

M. Thierry MEYSSAN : Pour M. Bruno Gollnisch, je ne peux pas le dire. Pour M. Bernard Courcelle, dans la mesure où je signalais que le trafic d'armes en direction de la Tchétchénie a continué alors même qu'il se trouvait à la tête du DPS, il me paraît impossible que ce trafic d'armes n'ait pas été sous le contrôle de la DPSD. J'attire également votre attention sur le fait que cette affaire de Tchétchénie a donné lieu à une escroquerie et que, notamment, un versement d'un million de Deutsche Mark a disparu. On a trouvé copie d'un chèque correspondant à la même somme, émis sur une même banque à Zagreb, au domicile de M. Frédéric Jamet, responsable du FN Police dont je vous ai parlé tout à l'heure.

M. le Président : Avez-vous des éléments précis sur ce point ?

M. Thierry MEYSSAN : Je n'ai aucun autre élément que ceux qui ont été publiés dans la presse, de source proche de l'enquête.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Etes-vous aujourd'hui libéré de la surveillance dont vous et d'autres avez fait l'objet ou des éléments vous permettent-ils de penser qu'elle continue de façon moins serrée ?

    Des informations vous venant de personnes physiques ou morales de votre réseau vous incitent-elles à penser que de telles surveillances s'exercent sur d'autres personnes sur le territoire français ?

    Par ailleurs, des événements plus ou moins graves ont été rapportés dans la presse - Strasbourg, Montceaux-les-Mines, etc. - qui nous conduisent parfois à soupçonner une certaine connivence entre les membres du DPS et des éléments de la police républicaine. Auriez-vous des faits à nous livrer nous permettant d'étayer ce sentiment ?

    Vous venez de dire qu'un recrutement de personnes désocialisées viendrait abonder les rangs de cette organisation. Pensez-vous que ces recrutements puissent être amplifiés, dans le contexte actuel de scission du Front National et de réorganisation probablement ? Peut-être pourrez-vous nous dire brièvement la façon dont vous voyez le DPS évoluer aujourd'hui ?

M. Thierry MEYSSAN : Concernant la surveillance et les filatures, pour nous, aujourd'hui, ce problème est levé. Nous ne savons pas si d'autres en font l'objet.

    Je précise qu'au début, ces surveillances étaient d'une extrême discrétion, mais elles sont vite devenues assez ostentatoires, dans un but manifeste d'intimidation. Je pense qu'aujourd'hui, d'autres pressions sont exercées sur les uns ou sur les autres, mais pas de la même manière. J'attire votre attention sur les pouvoirs de surveillance exorbitants dont dispose la Direction de la protection et de la sécurité de la défense.

M. le Président : C'est-à-dire ?

M. Thierry MEYSSAN : Je m'étonne que ce service ait pu donner des instructions de surveillance de tel ou tel de nos responsables. Je ne pense pas que ce soit une question de défense nationale.

M. le Président : Vous l'affirmez à partir de quels faits ?

M. Thierry MEYSSAN : Je l'affirme à partir de témoignages qu'il m'est difficile de présenter devant votre Commission. Je pense que vous devriez interroger à ce sujet les différentes personnes que vous avez l'intention d'auditionner prochainement.

M. le Président : Notre Commission siégeant sous le régime du secret, on peut très bien dire ici des choses dont nous conviendrions qu'elles ne seront pas publiées. Je vous l'indique à toutes fins utiles.

M. Thierry MEYSSAN : Cela me paraît cependant fort dangereux... si vous voulez bien, je pense que c'est vraiment trop dangereux pour les personnes que je pourrais nommer, mais vous devriez poser, par exemple, ce type de questions aux témoins que vous avez souhaité entendre en fin de matinée.

    Concernant les liens avec les forces de l'ordre, il y a eu plusieurs cas où manifestement les instructions n'ont pas été données aux forces de l'ordre pour empêcher des activités outrancières de la DPS. C'est difficile de savoir. Par exemple, dans votre propre département, madame Perrin-Gaillard, les Deux-Sèvres, il y a eu un accrochage avec des membres de la DPS qui portaient un attirail fait de bric et de broc, de casques divers, boucliers et gourdins en tous genres, sans que la gendarmerie mobile n'intervienne correctement. Des reporters sur place ont pris des photographies qu'éventuellement je pourrais transmettre à votre Commission. Cela laisse l'impression d'un certain laisser-aller des forces de l'ordre, dans la mesure où ces gens, dont certains s'avèrent être des élus locaux, apportent tout de même par leur accoutrement un trouble manifeste à l'ordre public. On est étonné du peu d'empressement de la gendarmerie mobile à intervenir.

    Or, vous savez que lorsque des policiers ont souhaité s'interposer dans ce genre de situation, ils ont parfois fait l'objet de vives menaces. Il est donc tout à fait normal qu'ils attendent d'avoir confirmation de leurs ordres.

    En ce qui concerne le développement du DPS à l'occasion de l'explosion du Front National, nous avions un DPS, maintenant nous en avons deux. M. Bruno Mégret a modifié l'appellation du sien en Département protection assistance. M. Bernard Courcelle a curieusement, semble-t-il, supervisé la réorganisation de chacun des deux DPS, faisant d'étranges allers-retours entre l'équipe de M. Jean-Marie Le Pen et l'équipe de M. Bruno Mégret.

    Les forces ont été, dans un premier temps, divisées de manière, semble-t-il, assez équitable. De nouveaux responsables ont été nommés pour chacun des deux groupes, mais je pense que les responsables sur le papier ne sont pas forcément ceux qui les dirigent réellement.

    J'ai cité M. Gilles Soulas à propos de la formation de M. Bruno Mégret. Même s'il n'apparaît dans l'organigramme que comme un obscur membre du « conseil national » - je crois que c'est ainsi qu'est désigné le parlement de son organisation - je pense qu'il y remplit des fonctions très précises et que chacun a pu observer lors des dernières manifestations organisées par M. Bruno Mégret. De même, lorsque les amis de M. Bruno Mégret ont tenté de déposer au siège de Saint-Cloud les cantines militaires contenant des pétitions et autres demandes, c'est M. Gilles Soulas et son épouse qui tenaient eux-mêmes les cantines en question et dirigeaient l'opération. C'était délicat dans la mesure où le service d'ordre qui était resté en place au siège de Saint-Cloud, était un autre service d'ordre, puisqu'il avait été fait appel à une société privée pour l'occasion. Tout cela aurait assez facilement pu dégénérer.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Le Réseau Voltaire surveille-t-il de près ce qui se passe sur place lors de manifestations, par exemple, ou ne détenez-vous vos informations qu'à travers la presse ?

M. Thierry MEYSSAN : Nous comptons parmi nos membres de nombreux journalistes qui couvrent ces manifestations et qui nous rapportent en détail ce qu'ils y voient. Eventuellement, lorsqu'ont lieu des réunions publiques organisées par le Front National, comme nous nous intéressons à ce que le Front National divulgue, nous venons les écouter.

M. Yves FRÉMION : Je précise que le Réseau Voltaire est un réseau de bénévoles qui sont, dans l'ensemble, extrêmement occupés par d'autres obligations. Evidemment, nous ne disposons absolument pas des moyens dont pourrait disposer un service de police ou même une Commission comme la vôtre. Nous nous attachons donc avant tout aux choses matérielles, à ce qui est écrit, à toutes les sources dont nous pouvons disposer. Nous avons de nombreux correspondants en province qui nous font remonter des informations, qui n'ont peut-être pas un caractère national mais qui nous permettent d'obtenir, par exemple sur certaines personnalités de l'extrême droite ou que nous pouvons supposer appartenir à l'extrême droite, des informations que nous n'aurions pas autrement.

    Mais nous restons évidemment dans un cadre légal tout à fait strict et le cadre d'un réseau de citoyens. C'est la raison pour laquelle il y a un degré au-delà duquel, en tant que Réseau Voltaire, sur certains points, nous ne pouvons aller, contrairement à la justice ou une commission d'enquête parlementaire comme la vôtre.

    Pour le moment, il y a très peu d'éléments d'ordre pénal ; la justice n'a traité que de petites choses annexes, trafic d'armes, etc.

    En revanche, au niveau parlementaire, l'aspect politique de la déposition que nous venons de faire est extrêmement important ; ce que vous a dit Thierry Meyssan montre qu'il y a au moins un dévoiement important de certains services de la République. Que ces dévoiements viennent de manipulations, d'infiltrations externes ou de manipulations en interne de la part de certaines personnes, pour nous, c'est très difficile d'en juger. Mais il est de l'intérêt de tous les citoyens d'être informés et je pense que vous avez les moyens de mener l'investigation que nous ne pourrons pas mener là-dessus.

    Cela dit, bien évidemment, notre travail ne s'arrête pas aujourd'hui. Nous allons le poursuivre. Nous militons, comme vous le savez, pour la dissolution du DPS, mais aussi de toute milice du même ordre. Si elle commence à exploser en plusieurs éléments, suivant les différentes formations politiques du FN, nous poursuivrons ce travail et continuerons d'être vigilants et de donner aux citoyens les informations qui nous paraissent leur être dues dans une république démocratique ; nous fournirons les éléments à ceux qui, comme les élus, la police ou la justice, ont intérêt à ce que ce dévoiement cesse et à ce que la lumière soit faite sur ce qui s'est passé préalablement. C'est notre rôle de citoyen concerné et en tant qu'élu, puisque je suis élu aussi, il m'importe qu'à la veille de l'an 2 000, une telle dérive dans la République ne se poursuive pas.

M. Robert GAÏA : Sur le parcours de M. Bernard Courcelle, avez-vous des dates du moment auquel il est à l'armée, à la retraite, à la sécurité militaire ? Etait-il un honorable correspondant ou dans les cadres ?

    Vous êtes-vous penchés sur le braquage par des membres du FN Police du restaurant Pétrossian ? Avez-vous une analyse sur les liens existants ? Ce restaurant a été braqué, alors qu'il n'y a jamais d'espèces - on paie en carte bleue ou en chèque !

    Pouvez-vous également nous parler de l'action, en parallèle, ou à l'intérieur, de M. Gilbert Lecavelier ?

M. Thierry MEYSSAN : Le document que nous allons vous remettre vous donnera les dates les plus précises et les références de chacune des imputations que nous apportons, afin que vous puissiez vérifier par vous-même et qu'il n'y ait pas de doute. Cela fait beaucoup d'éléments, mais je pense que vous recherchez la précision.

M. le Président : Nous recherchons du factuel.

M. Yves FRÉMION : Le document qui est ici n'est que du factuel.

M. Thierry MEYSSAN : Nous nous sommes abstenus de tout commentaire sur ces faits. Nous comptons sur vous pour arriver à comprendre ce que veut dire tout cela, qui est pour le moins suspect.

    Sur les deux autres points que vous soulevez, je n'ai aucune interprétation. Je remarquerai néanmoins que pour l'affaire de Pétrossian, il est étrange que les services de police qui étaient en filature aient assisté à un braquage sans intervenir, pensant je ne sais quoi, qu'il y avait un intérêt supérieur à attendre, que l'on cherchait autre chose... Je ne comprends pas bien ces méthodes.

    Sur le reste, je ne sais pas.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : A propos de la surveillance dont vous avez été l'objet, disposez-vous d'éléments qui vous permettent d'être certain que c'était des éléments du DPS qui procédaient à cette surveillance ?

    Dans la liste des faits délictueux figurant dans votre document, avez-vous fait référence à des affaires pendantes en ce moment, en cours d'instruction devant la justice ou pour lesquelles vous avez été étonnés qu'aucune suite n'ait été donnée, le cas échéant, par le parquet ?

    A propos de la Tchétchénie et des réseaux économiques, financiers et du trafic d'armes, avez-vous eu connaissance de sociétés liées à Mme Le Pen ?

M. Thierry MEYSSAN : Je n'ai pas les moyens d'identifier avec certitude qui s'est livré à des actes de surveillance. D'ailleurs, M. Jean-Marie Le Pen me poursuit en justice pour m'être posé la question que vous me posez là.

    Néanmoins, si cela n'avait pas été le DPS, on aurait pu craindre que ce soit, par exemple, un service de l'Etat mal tenu. Nous avons essayé de nous renseigner de ce côté-là. Je pense que la réponse est négative.

    Ce n'est pas pour autant que cela désigne avec certitude le DPS. Cependant, lorsque la police judiciaire m'a contacté à ce sujet, c'était son hypothèse et sa base de renseignement pour me contacter.

M. le Président : Si vous me permettez, lorsque vous avez parlé tout à l'heure de pouvoirs exorbitants de la DPSD, c'était vous concernant ?

M. Thierry MEYSSAN : Non, bien que j'aie quelques doutes. Mais ce ne sont que des doutes.

    S'agissant des affaires pénales en cours, je pense que le parquet donne suite. Le problème, c'est qu'il donne suite lorsqu'il y a commission d'actes délictueux.

M. le Président : C'est bien notre problème.

M. Thierry MEYSSAN : C'est votre problème, mais c'est la différence entre le judiciaire et le politique. Le parquet ne doit s'intéresser qu'à la commission des délits. Vous, vous avez à vous intéresser à l'intentionnalité dans le déploiement de certains moyens. Le parquet ne s'intéressera à la question de savoir si l'on a logé des gens que le jour où il y aura passage à l'acte.

    Votre tâche, en revanche, est de savoir si tous ces moyens ont été déployés uniquement pour faire semblant, pour jouer - on joue avec 120 kilos de tolite chez soi - ou s'ils ont été déployés avec l'intention d'un passage à l'acte, d'une atteinte à la forme républicaine de nos institutions.

    Dans les témoignages publiés, je vous rappelle que l'on a signalé que des listes d'opposants avaient été établies. Les premiers témoignages parlaient d'une liste d'environ 500 noms ; aujourd'hui, elle est de l'ordre de 2 000 cibles. Il faudrait évidemment avoir connaissance de cette liste pour pouvoir interpréter correctement l'objectif de tels agissements.

    Sachant que vous avez auditionné les responsables du ministère de l'Intérieur, je suppose que vous avez demandé communication du rapport établi par la Direction centrale des renseignements généraux sur cette question. Je suppose que vous vous êtes fait également communiquer les bordereaux de mise à jour établis par chaque direction départementale tous les deux mois. J'espère qu'il ne vous en manque aucun... (Sourires.) et que, sur la base de ces informations fiables, vous avez sous les yeux de quoi reconstituer, au moins partiellement, cette liste. En conséquence, vous avez une idée très précise de l'objectif visé.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Je voudrais revenir là-dessus parce que c'est au c_ur de notre problématique et des difficultés de la Commission.

    C'est la première fois que j'entends parler de cette affaire de tolite. Peut-être d'autres auditions l'ont-elles déjà soulevée. Ce sont des faits extraordinairement importants pour nous, parce qu'en effet, cela donne un aspect très différent de ce que peut être le fonctionnement de ce service d'ordre, même faisant le coup de poing de manière agressive et parfois délictueuse. Cela n'a plus rien à voir.

    Ces éléments sont essentiels ; contrairement à ce que vous pensez, la qualification politique, c'est important, mais faute de suffisamment d'éléments de qualification délictuelle, il sera très difficile - on ne peut certes pas préjuger des conclusions de la Commission - de conclure définitivement sur un certain nombre de problèmes que vous avez évoqués. Tous les éléments, même annexes, qui sont pendants devant la justice sont extrêmement importants pour nous.

M. le Président : Le fameux rapport dont vous parliez fut serpent de mer jusqu'à ce que, finalement, il apparaisse, encore que nous l'attendons ! (Sourires.) Mais nous savons qu'il existe, après nous être entendu dire qu'il n'existait pas.

    Si je vous entends bien, dans ce rapport ou ces bordereaux mis à jour tous les deux mois, il y a la liste des cibles ?

M. Thierry MEYSSAN : Ecoutez, il me semble que dans les missions fixées par le ministre au moment où il a demandé ce rapport, M. Jean-Louis Debré avait légitimement demandé que l'on établisse les objectifs du DPS. Parmi les demandes faites, il y avait à définir toute son organisation, son architecture. Il y avait aussi la question des moyens de cette organisation de fait, en matière d'armement et en matière financière.

    Il appartenait au directeur central des renseignements généraux de trouver la liste en question ou, au moins, d'en reconstituer ce qui pouvait l'être. Or, je ne doute pas que nous ayons de hauts fonctionnaires compétents.

    Sur Mme  Le Pen, je n'ai rien de particulier à vous apporter avec certitude.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : En avez-vous entendu parler ?

M. Thierry MEYSSAN : Oui, bien sûr. J'ai entendu parler non seulement de Mme Le Pen mais de tout un entourage assez étrange. J'ai entendu parler des activités en Suisse, aux Seychelles, etc., mais je n'ai pas d'éléments que je puisse présenter à votre Commission avec certitude.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je reste malgré tout, comme nombre de personnes ici, sur ma faim concernant un point ; je comprends que vous ne veuillez pas l'aborder puisqu'il mettrait probablement en danger les personnes susceptibles d'être citées, mais nous avons besoin d'éléments plus clairs.

    Je souhaiterais donc revenir sur les pouvoirs exorbitants de la DPSD, sur les connivences et les ordres d'écoute qu'elle aurait pu donner. Auraient-ils été donnés par rapport à des noms que vous avez cités dans votre propos liminaire ? Comprenez qu'il faut qu'on avance.

    M. le président vous a dit que nous travaillions sous le régime du secret mais nous avons besoin de tout comprendre. Peut-être que je ne comprends pas tout, mais j'aimerais que vous alliez plus loin.

M. Thierry MEYSSAN : Madame Perrin-Gaillard, nous ne comprenons pas tout nous-mêmes.

    Nous nous sommes contentés d'attirer votre attention sur le fait qu'il n'est pas possible que des officiers hauts correspondants de la DPSD aient eu les activités que nous avons évoquées sans, au moins, la complicité passive de leurs services. Premier point.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : C'est important. Par officiers, vous entendez les officiers de réserve aussi. M. Bruno Gollnisch, par exemple, a-t-il encore des fonctions officielles à la DPSD ?

M. Thierry MEYSSAN : J'espère que vous le lui demanderez et que vous aurez l'extrême privilège de rencontrer le général commandant la DPSD, cet homme invisible, mais...

M. Yves FRÉMION : Son nom et son adresse sont dans le document.

M. Thierry MEYSSAN : Vous ne le trouverez ni dans l'annuaire administratif ni ailleurs.

M. le Président : Nous nous étions posé la question. Vos propos nous amènent une réponse et nous allons demander cette audition.

M. Thierry MEYSSAN : Pour ce qui est de M. Bernard Courcelle, il dit, lui, être en « réserve active » depuis 1985. « Réserve active », vous comprendrez ce que cela veut dire...

    Dans sa réserve active, il se livrait à des trafics d'importance. Pour que ces trafics d'armes et de mercenaires aient une quelconque crédibilité auprès de ses clients, il fallait qu'il soit en mesure de fournir. S'il l'était, c'était évidemment au vu et au su de son service traitant. J'insiste sur le fait que l'affaire de la Tchétchénie a continué alors qu'il avait déjà pris ses fonctions à la tête de la DPS.

    Il ne me paraît pas possible d'envisager que M. Bernard Courcelle n'ait pas eu au moins dans les deux premières années, de 1994 à 1996, une activité au sein de la DPSD.

M. Jean-Claude RAMOS : Je vais intervenir pour vous faire part des préoccupations du Réseau Voltaire de manière concise. Elles sont de trois ordres.

    Premièrement, nous nous interrogeons sur le rôle qu'a pu jouer un service de l'Etat, soit dans l'infiltration, soit dans la création du DPS et sur le fait que cet organisme peut avoir des velléités de contester la forme républicaine de l'Etat. Qu'un organisme dépendant du ministère de la défense risque d'avoir été associé de près ou de loin à ce genre d'opérations, sauf pour des raisons qui restent à découvrir, serait encore d'autant plus grave.

    Je pense que les citoyens de ce pays ont besoin d'obtenir des réponses. C'est là un réel danger qui pèse sur l'avenir de la République et de ses institutions. Je comprends que l'on veuille faire du factuel mais c'est aussi en termes politiques que ces questions se posent. Votre Commission qui est éminemment politique, doit donc pouvoir obtenir des éléments d'information là-dessus, notamment en rencontrant les responsables de la DPSD
    - cela me paraît le moins - pour vérifier que tout ce qui a été apporté là est parfaitement réel et pour essayer de comprendre quel rôle ce service, celui-ci mais peut-être d'autres que vous découvrirez au passage, a pu jouer. En tout cas, cela nous inquiète et nous tenons à poser la question.

    Deuxièmement, il est absolument indispensable pour la connaissance de l'affaire que vous disposiez du rapport établi depuis un certain temps par la DCRG à la demande du ministre de l'Intérieur.

    Notre troisième préoccupation est notre demande, réitérée à plusieurs reprises, de dissolution du DPS en application de la loi de janvier 1936. Il nous paraît que les critères qui figurent dans cette loi sont largement remplis et que cette dissolution devrait intervenir dans des délais qui ne soient pas trop longs.

    Je tenais à intervenir sur ces trois points de manière à bien résumer les orientations et l'intérêt que nous avons en cette affaire.

M. Thierry MEYSSAN : Je souhaite également attirer votre attention sur notre étonnement face aux tentatives effectuées pour essayer de nous décourager d'attirer votre attention sur ces questions et de constituer cette commission d'enquête.

    Je vous rappelle que lorsque nous avons diffusé à chacun d'entre vous ce document, et j'espère que chacun d'entre vous l'a reçu - il paraît qu'un certain nombre d'exemplaires ont disparu alors qu'ils ont été remis en main propre, sous pli nominatif cacheté, à la questure. Si certains d'entre vous ne l'ont pas reçu, il faudrait se poser la question de leur disparition de l'enceinte de l'Assemblée.

    Je constate que des documents de ce type sont arrivés je ne sais comment en possession de M. Jean-Marie Le Pen. Il s'agit soit d'exemplaires volés, soit d'exemplaires destinés à certains de vos collègues. M. Jean-Marie Le Pen a porté plainte, vous le savez probablement, pour diffamation fondée sur le simple fait que mon introduction soulignait la nécessité d'une commission d'enquête, compte tenu de la gravité des faits rapportés par la presse. C'est le premier point qu'il conteste, le deuxième étant qu'il y avait un avis sur le côté qui, sans établir de lien formel, faisait référence à la surveillance dont certains d'entre nous avaient fait l'objet. M. Jean-Marie Le Pen considère donc que le fait d'y faire référence dans le même document est diffamatoire à son encontre. Le troisième est que l'une des lettres d'accompagnement personnalisées, adressées à chacun d'entre vous, lui est parvenue et il a considéré que faire allusion à l'éventuel danger que pouvait représenter pour vous la participation à une telle Commission était également diffamatoire.

    Ces péripéties sont sans importance. Mais il est étrange que M. Jean-Marie Le Pen, ayant obtenu la désignation d'un juge d'instruction pour vérifier si les éléments formels - et non pas sur le fond - d'une éventuelle diffamation publique étaient réunis, ce juge d'instruction ait délivré une commission rogatoire à la 4ème DPJ ; celle-ci s'est empressée, sur demande explicite du juge, d'interroger des assistants parlementaires afin qu'ils violent le secret de la correspondance de leurs parlementaires, révèlent le type de contact que nous pouvions avoir avec tel ou tel parlementaire, en violation évidente des principes constitutionnels les plus élémentaires.

    Ce juge d'instruction devait avoir conscience de se livrer à un acte sans aucun précédent dans l'histoire de la République puisque les policiers ont dû demander aux assistants parlementaires de sortir de l'enceinte du Palais Bourbon afin de recueillir leur déposition. Ils les ont reçus dans la brasserie en face, le policier prenant en note la déposition de l'assistant parlementaire, lui demandant de la signer avant de retourner rue du Château des Rentiers où était tapée à la machine ladite déposition, qui se trouve jointe, non signée, au dossier d'instruction, avec la mention « pour signature, prière de se reporter au document manuscrit ». C'est aussi, me semble-t-il, une innovation en matière de procédure pénale.

M. Robert GAÏA : J'avais alerté le président de l'Assemblée nationale.

M. Thierry MEYSSAN : En effet.

M. le Président : Où en est la procédure aujourd'hui ?

M. Thierry MEYSSAN : Je suis cité à comparaître le 8 avril pour diffamation publique envers M. Jean-Marie Le Pen au motif - je cite ce que m'a dit le juge d'instruction, ce qui m'a paru, là encore, une grande innovation judiciaire - qu'un pli nominatif cacheté envoyé à un parlementaire est adressé, en fait, à un représentant du peuple, donc au peuple dans son ensemble : il n'y a donc pas de secret de la correspondance adressée à l'un d'entre vous dans l'exercice de son mandat. C'est pourquoi les éléments formels de la diffamation publique seraient réunis !

M. le Président : Qui est le juge ?

M. Thierry MEYSSAN : Il s'agit du juge Ducoudray, qui ne passe pas pour avoir quelques accointances que ce soit avec l'extrême droite... je ne sais pas, je vous laisserai juger de tout cela.

    Bref, toujours est-il qu'après votre sollicitation et celle de plusieurs présidents de groupes, le président de l'Assemblée nationale a saisi le Garde des sceaux et a notifié cette violation de la constitution au cabinet du Président de la République. Je remarque qu'aucune mesure n'a été prise par le Conseil supérieur de la Magistrature alors qu'il s'agit d'une violation absolument incroyable du travail parlementaire...

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Les membres de la Commission ne sont même pas au courant.

M. le Président : Cela se passait il y a un an et demi.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Nous n'étions pas encore membres de la Commission.

M. Thierry MEYSSAN : Le document a été envoyé à tous les parlementaires, à l'exception du parlementaire du Front National qui siégeait alors dans votre Assemblée. Ceci montre bien que des pressions de toutes sortes sont exercées. Je remarque que le Conseil supérieur de la Magistrature n'est pas intervenu et je vous rappelle, si besoin était, que M. Bernard Courcelle a beaucoup travaillé avec M. Pellegrini, que l'on connaît comme étant l'employeur des individus ayant mis sur écoute des personnels du Conseil supérieur de la Magistrature...

M. Yves FRÉMION : Nous répondrons à vos questions, mais je veux juste faire une remarque, en ma qualité d'historien. Je voudrais rappeler que dans l'histoire de notre République il y a eu - en tout cas, de façon connue - au moins un autre cas de dévoiement de certains services de la République, qui a conduit à l'époque à un véritable complot contre la République. C'était à la veille de la seconde guerre mondiale et pour ne pas avoir voulu faire toute la lumière sur les crimes de la Cagoule à l'époque, ceux-ci sont restés impunis et le ministre de l'intérieur qui les avait révélés et dénoncés y a laissé la vie. Pour mémoire, c'était Marx Dormoy. Je pense qu'il vaudrait mieux que la République aujourd'hui ne répète pas les erreurs de Daladier hier et que cette investigation aille jusqu'au bout avant que des choses plus graves ne se produisent.

    Je pense - et je parle là peut-être en homme politique -, que nous nous situons au-delà des clivages politiques de ce pays, - gauche-droite. Nous sommes vraiment entre représentants de la République face à des gens qui veulent la mettre à terre, la détruire.

    Il faut le garder à l'esprit et penser qu'il y a, d'un côté, une vitrine légale avec des mouvements politiques qui se présentent aux élections et bénéficient du financement des partis politiques, et de l'autre, de façon plus obscure, clandestine, un type d'activités liées à ces formations politiques et qui élabore une stratégie de pourrissement de la République et de certaines de ses instances.

    C'est cela qui, en tant que citoyens et réseaux de citoyens, nous interpelle le plus.

M. Robert GAÏA : Monsieur le président, sous votre autorité, je voudrais dire que si le politique a des pouvoirs, ils s'exercent malgré tout dans un état de droit. D'où notre attachement à collecter des faits pour mener des investigations et ne pas s'en tenir à des impressions.

    En ce qui concerne les liens armée-DPS, nous étions convaincus avant la création de la commission d'enquête, cela a été confirmé depuis, que des réseaux liés au passé existent. Mais ce n'est pas suffisant ; nous avons donc besoin d'obtenir plus d'informations pour matérialiser d'éventuels liens organiques ; c'est le lien organique qui est intéressant, ce n'est pas le réseau de copinage, de proximité idéologique ou autre.

    Nous en sommes demandeurs. C'est la raison pour laquelle je vous ai posé les questions sur l'époque à laquelle M. Bernard Courcelle était en activité.

    Pensez-vous qu'il soit utile de rencontrer un chargé d'affaires du gouvernement Tchétchène et qui ?

    Vous avez insisté sur la lettre de mission du ministre de l'intérieur à la Direction centrale des renseignements généraux, en avez-vous eu connaissance matériellement ou seulement entendu parler ?

M. Thierry MEYSSAN : Nous n'avons pas eu connaissance de la lettre de cadrage.

    Quant à M. Doudaïev, il est mort.

M. Robert GAÏA : Je parlais d'ici, en France.

M. Thierry MEYSSAN : C'est bien le problème : à qui s'adresser pour avoir les informations les plus précises ? Je suis un peu pris au dépourvu. Je vais y réfléchir et vous soumettre une proposition.

M. le Président : L'objet de notre commission d'enquête est d'examiner si les agissements du DPS tombent sous le coup de la loi de 1936 et remplissent les critères cumulatifs. Nous avons beaucoup discuté de cette question. On peut avoir une opinion mais comme l'a dit M. Robert Gaïa, il nous appartient - puisque si la dissolution a été demandée et n'a pas eu lieu, c'est qu'il y a une incertitude - de travailler à déterminer si elle est fondée ou s'il reste des points d'interrogation. Nous sommes dans un état de droit.

    A cet égard, je crois vous avoir entendu mais je préfère vous poser la question : vous avez demandé, notamment dans votre introduction, et publiquement, que MM. Bob Denard, Paul Barril, Charles Pellegrini, Christian Prouteau et même Mme Pingeot soient entendus par notre commission d'enquête. Pour vous, quel rapport cela a-t-il avec notre objectif ? Notre commission d'enquête n'est pas là pour refaire l'histoire mais pour traiter la question que vous posez et que je viens d'évoquer.

M. Thierry MEYSSAN : Nous nous interrogeons sur d'éventuels soutiens apportés au développement du DPS. Notre idée est que, pour arriver à le comprendre, il faut avoir une connaissance du milieu dans lequel évoluait M. Bernard Courcelle lorsqu'il a pris ses fonctions et de la raison réelle pour laquelle il a pris ce type de fonctions. Il faut donc rencontrer les gens qui ont servi de go-between, si l'on peut dire.

    Tel était le sens de notre propos. Nous pensions, en effet, que votre Commission, si elle avait entendu ces personnes, aurait été portée à orienter ses recherches en direction des services militaires de la DPSD. Mais peut-être pouvez-vous désormais brûler cette étape ?

M. le Président : C'est une discussion qui nous appartient. Sachez que nous ne souhaitons brûler aucune étape. Cela étant, nous ne sommes pas là pour refaire l'histoire mais pour essayer d'apporter une réponse à la question qui nous préoccupe tous. Tout ce qui peut concourir à apporter cette réponse fera l'objet de nos investigations.

M. Thierry MEYSSAN : Nous avons évoqué d'autres points ici et là, dont vous avez peut-être eu connaissance. Nous nous étions posé la question, cela pourrait peut-être répondre à la préoccupation de M. Renaud Donnedieu de Vabres, des affaires de droit commun qui ont pu se dérouler alentour de la DPS. Dans la mesure où existe une telle milice, il est évident que des gens entraînés et armés ont tendance, même si on ne leur en donne pas l'ordre, à déborder. Ces débordements peuvent paraître individuels, mais on peut aussi se poser la question de certaines affaires de droit commun qui pourraient être voulues par la DPS.

    Yves Frémion citait tout à l'heure l'exemple historique de la Cagoule. On se souvient que lorsque Marx Dormoy a révélé l'existence de cette organisation, dans les jours qui ont suivi il y a eu des perquisitions, des saisies de documents : l'on s'est rendu compte que des affaires qui avaient été considérées soit comme des histoires de droit commun, soit comme des affaires politiques, mais sans lien entre elles, avec des mobiles qui avaient été parfois imputés de façon tout à fait erronée, qui avaient été mis en scène pour servir de divertissement, toutes sortes d'affaires restées non élucidées, sont apparues tout d'un coup comme ayant été une série d'actions criminelles et de meurtres organisés de manière concertée, délibérée et planifiée.

    Logiquement, l'existence d'une telle armée, une petite armée privée que nous voyons certes aujourd'hui sous une forme déjà plus achevée - en cinq ans, elle a beaucoup évolué -, conduit à se demander dans quelle mesure on peut maintenir ces troupes bien sagement en laisse pendant cinq ans quand on leur donne de tels objectifs.

    Nous formons de nombreuses hypothèses, mais j'attire votre attention sur une société privée de convoyage de fonds, en marge de la DPS, la société ACDS, qui vient d'être mise en liquidation judiciaire. Les propriétaires étaient d'anciens responsables de l'OAS et le directeur était M. Régis de la Croix Vaubois, qui vient d'être nommé dans la direction très rapprochée de M. Jean-Marie Le Pen.

    Il faudrait se poser des questions sur les affaires de braquage dont cette société de convoyage de fonds a fait l'objet et qui l'ont conduite à déposer son bilan.

M. Yves FRÉMION : De très nombreux braquages !

M. Thierry MEYSSAN : Disons que cette société n'a vraiment pas eu de chance. C'est pour cela qu'elle a déposé le bilan.

M. Yves FRÉMION : Nous n'affirmons pas, mais nous nous interrogeons.

M. Thierry MEYSSAN : Je pense que vous devriez vous poser des questions à ce sujet.

M. le Président : Nous vous remercions.

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    Audition de MM. Jean-Louis ARAJOL, secrétaire général, Serge THILIQUE et Pierre BARGIBANT, membres du Syndicat Général de la Police.

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 3 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Jean-Louis Arajol, Serge Thilique et Pierre Bargibant sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Jean-Louis Arajol, Serge Thilique et Pierre Bargibant prêtent serment.

M. Jean-Louis ARAJOL : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, le syndicat général de la Police (SGP), depuis sa création en 1924, n'a cessé de mener un combat pour le strict respect des valeurs républicaines, la sauvegarde de la Nation et l'honneur de la police républicaine.

    Depuis toujours, nos prises de position sont cohérentes lorsque nous nous érigeons contre toutes les formes de racisme, lorsque nous réclamons et obtenons, avec d'autres, la dissolution du Front National de la Police, lorsque nous condamnons toutes les formes d'intégrisme, de terrorisme et les zones de non-droit et, enfin, lorsque nous demandons, ce qui fait l'objet de notre audition aujourd'hui, la dissolution du DPS.

    Cette demande s'appuie sur des faits concrets. Par exemple, à la veille de la manifestation et du congrès du Front National à Strasbourg, le 29 mars 1997, nous réagissons, par un communiqué de presse, en alertant les pouvoirs publics sur les dangers que représente cette milice politique qu'est le DPS, organisée de telle façon qu'elle peut être amenée à exercer la sécurité sur la voie publique, éventuellement à l'aide d'armes comme des bombes lacrymogènes, des barres de fer et autres... Je précise qu'à la veille du congrès de Strasbourg, nous avions demandé une audience auprès du directeur général de la police nationale, pour la bonne et simple raison qu'il était question, pour les représentants du DPS, d'assurer la sécurité de ladite manifestation, non seulement à l'intérieur de la salle de congrès mais également à l'extérieur, sur la voie publique, ce qui nous avait naturellement inquiétés. Le SGP dénonce et refuse qu'une quelconque collaboration ou connivence puisse s'établir de façon forcée avec les forces de l'ordre de la République. Il est également important de rappeler que, le même jour, le SGP, lorsqu'il a été reçu par le directeur général de la police nationale, a demandé l'ouverture d'une enquête sur les agissements du DPS, arguant du fait que, dans une République, il ne devait y avoir qu'une seule police, d'essence civile bien entendu !

    Malheureusement, nous sommes obligés de constater que les faits survenus par la suite à Strasbourg, nous ont donné raison puisqu'il y a eu, notamment, usurpation de qualité d'officiers de police judiciaire par les membres du DPS. Depuis lors, les trois membres du DPS arrêtés à Strasbourg ont été condamnés à un an de prison avec sursis pour s'être fait passer pour des policiers : ces faux policiers avaient en effet interpellé deux jeunes, les avaient plaqués contre leur véhicule qu'ils avaient fouillé, se présentant comme des fonctionnaires de police.

    Pour prouver la nature factieuse du DPS, il nous est facile de reprendre les propres termes de M. Jean-Marie Le Pen, qui, dans un communiqué de l'AFP daté du 16 avril 1997, déclarait que, si le DPS venait à être dissous, « il appartiendrait à chaque citoyen mis en danger d'assurer sa propre légitime défense. ». Il s'agit bien là, pour nous, d'un aveu de la part des représentants du Front National que le DPS s'approprie des prérogatives des forces de l'ordre républicaines.

    Nous ne resterons pas sans rappeler non plus les événements de Montceau-les-Mines où des membres du DPS sont intervenus sur la voie publique, bloquant le passage et privant donc les citoyens de la liberté d'aller et venir. Ces mêmes membres étaient porteurs de casques, de boucliers et de matraques. Dans cette affaire spécifique, la confusion fut totale avec les services d'ordre légaux et républicains ; je veux, bien entendu, parler des compagnies républicaines de sécurité.

    Par ailleurs, concernant l'altercation survenue entre M. Jean-Marie Le Pen et la candidate socialiste, à Mantes-la-Jolie, une fois de plus, les agissements de deux membres du DPS ont été déclarés pour le moins indélicats. En effet, le procès a bien fait ressortir la volonté de provocation et de violence qui émanait de ces deux personnes.

    Le 18 septembre 1996, un gardien de la paix, en état de légitime défense a blessé par balle un militant du Front National qui tentait de l'agresser à l'aide d'un couteau sur le boulevard circulaire de la Défense, dans les Hauts-de-Seine. Le sous-brigadier concerné était d'origine antillaise et évoluait au sein du service de la brigade anticriminalité de Paris (la BAC 75). Comme il se rendait à son travail et circulait donc vers Paris, voyant un véhicule franchir la ligne continue, il lui adresse des coups d'avertisseur et des appels de phares. Apparemment irrité, le contrevenant immobilise la voiture du policier par une queue de poisson, brandit un couteau et se précipite vers lui en proférant des injures racistes. Manque de chance pour lui, si je puis m'exprimer ainsi, il s'agissait d'un policier dont la tenue de maintien de l'ordre était partiellement dissimulée par une veste mais qui, après avoir évité les coups de couteau, et être parvenu à sortir de son véhicule par la portière passager, a décliné sa qualité de fonctionnaire de police. Rien n'y fait : le contrevenant, qui était accompagné d'un homme et d'une femme, tente à nouveau d'agresser le policier avec son couteau. En état de légitime défense, le policier sort alors son arme de service et blesse son agresseur à la main droite. A l'arrivée du car de police-secours, le sous-brigadier a alors été pris à partie par des amis du conducteur qui le suivaient en voiture. Ces derniers se sont réclamés du service d'ordre du Front National, l'agresseur se trouvant, quant à lui, être le frère d'un dirigeant national du Front National.

    Pour mémoire, nous rappellerons également devant la Commission quelques exactions du DPS portées à notre connaissance :

    - à Marseille, le 4 avril 1987, affrontements sur la Canebière et ses alentours avec les membres du service d'ordre de M. Jean-Marie Le Pen, coiffés du béret rouge des parachutistes ; un Algérien est blessé à la tête ;

    - à Dieppe, le 7 août 1987, durant la campagne électorale, violences avec matraques et bombes lacrymogènes du service d'ordre de M. Jean-Marie Le Pen ;

    - à Saint-Malo, également le 7 août 1987, violences avec coups de poing sur les contre- manifestants ;

    - à Paris, le 13 mars 1988, incidents avec violences exercées contre des militants du parti socialiste sur un marché de la rue Belgrand ;

    - à Gardanne, le 15 mars 1993, lors d'un meeting de campagne électorale sur le marché, après incidents, des membres du service d'ordre du Front National sont poursuivis pour détention d'armes ;

    - à Dreux, le 15 septembre 1993, des lance-pierres et des manches de pioche sont découverts dans le véhicule de Mme Marie-France Stirbois ; le conducteur est interpellé par la gendarmerie nationale ;

    - à Orléans, le 27 février 1995, condamnation d'un membre du service d'ordre du Front National par la cour d'appel d'Orléans à six mois de prison avec sursis pour coups et violences volontaires avec armes (le 6 mars 1993, lors d'un meeting, participation à une fusillade avec fusils à pompe) ;

    - à Toulon, le 14 décembre 1995, perquisition et garde à vue de cinq membres du DPS par la police judiciaire, dans le cadre d'une affaire criminelle ;

    - à Dole, en juin 1996, durant une campagne électorale, deux équipes du Front National s'affrontent par erreur avec matraques et barres de fer. Elles sont renvoyées dos à dos par le tribunal ;

    - à Paris la Défense, le 16 septembre 1996, deux membres du service d'ordre agressent à coups de couteau un policier d'origine antillaise - c'est l`affaire à laquelle je faisais précédemment allusion devant vous - lors d'un contrôle routier ;

    - à Montceau-les-Mines, le 27 octobre 1996 - je vous en ai parlé également - à l'occasion de la venue de M. Bruno Gollnisch, secrétaire général du Front National, le service d'ordre est dans la rue, habillé et équipé comme nos collègues des compagnies républicaines de sécurité ; le maire de la ville dépose d'ailleurs plainte pour usurpation d'uniforme ;

    - à Strasbourg, en mars 1997, M. Claude Jaffrès, conseiller régional du Front National d'Auvergne est condamné, le 1er avril 1997, pour usurpation de fonctions de police judiciaire et arrestation illégale, à un an de prison avec sursis. Cet élu, aidé de trois acolytes du DPS, avait procédé au contrôle d'identité de deux manifestants ;

    - à Vitrolles, le 23 mai 1997, des incidents violents opposent le service d'ordre du Front National et des militants des droits de l'homme ;

    - en janvier 1998, M. Bernard Courcelle, responsable du DPS est impliqué dans une sombre affaire de vente d'armes aux Tchétchènes qui ont apparemment payé un million de dollars alors que, ni l'argent, ni les armes n'ont été retrouvés ;

    - en février 1998, M. Frédéric Jamet, ancien de l'_uvre française et ex-secrétaire général du Front National de la Police, autodissous après décision de justice lui déniant la qualité de syndicat, est mis en examen pour association de malfaiteurs.

    D'après certaines sources, le DPS disposerait d'un budget autonome, de véhicules, de moyens de transmission propres, de moyens photo et vidéo, ainsi que d'un fichier des opposants au Front National. De plus, il serait constitué en zones de défense comme l'armée.

    Pour tous ces faits et pour tous ces motifs, nous demandons donc la dissolution du DPS en application de la loi du 10 janvier 1936.

    J'ajoute que, suite à nos informations sur cette organisation, nous avions demandé, comme je vous l'ai dit au début de mon propos, une audience officielle à M. le directeur général de la police nationale. Nous avons appris, par la suite, qu'une enquête avait été diligentée par la direction centrale des renseignements généraux mais nous n'avons plus eu, depuis, d'informations relatives à cette enquête.

M. le Président : Mais vous avez rencontré le directeur général de la police nationale ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Bien entendu, et à plusieurs reprises. M. Claude Guéant, étant à l'époque, directeur général, nous l'avons interpellé sur ce sujet. Il nous a fait savoir qu'une enquête allait être diligentée par la direction centrale des renseignements généraux. Nous avons ensuite demandé à la fois à M. Claude Guéant et à son successeur, M. Didier Cultiaux, où en était cette enquête mais nous n'avons plus reçu aucune nouvelle, bien que nous ayons, bien entendu, interpellé sur ce point les différents ministres qui se sont succédé.

M. le Président : Et quelle réponse a reçu votre demande de dissolution ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous n'avons reçu aucune réponse ! On nous a simplement dit qu'une enquête était en cours et que le fait de connaître l'appartenance de certaines personnes au DPS permettait au moins de les localiser, de les repérer et de mieux les cerner. Mais nous n'avons reçu aucune réponse officielle sur les résultats de cette enquête...

M. le Président : Parmi les questions posées, il y a celle des polices municipales et, notamment, du lien qui peut unir les polices municipales des mairies frontistes au DPS. Avez-vous des éléments particuliers d'information à nous communiquer ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout ce que je peux vous donner, c'est notre appréciation sur le sujet. Lorsque nous nous disons fermement opposés à la prolifération des polices municipales, nous ne mettons pas en cause les élus qui, sous la pression de leurs concitoyens, mettent en place ces polices municipales. Si nous dénonçons le désengagement de l'Etat en la matière, c'est bien parce qu'il nous paraît que moins l'Etat s'engage sur ce sujet, plus les élus sont enclins à installer des polices municipales. Cependant, cette prolifération n'est pas sans risque.

    Lorsque les élus des villes, et notamment de certaines d'entre elles aux noms malheureusement célèbres depuis quelques mois, ont à leur botte des policiers municipaux, il peut naturellement se produire des dérives qui sont contraires aux principes mêmes d'une République et d'une démocratie. On a ainsi pu voir ou lire, ici et là, quels sont les agissements de la police municipale de Vitrolles, par exemple.

    Dans ces conditions, quelle différence peut-il y avoir entre une police municipale aux ordres d'un élu du Front National et la milice privée du Front National qu'est le DPS ? Pour moi, il s'agit strictement de la même chose ! C'est l'usurpation d'une force qui est, en principe, instituée pour l'avantage de tous par une force instituée pour servir les intérêts particuliers de quelques-uns, quel que soit d'ailleurs le parti auquel ils appartiennent, même si, en l'occurrence, il s'avère qu'il s'agit du Front National.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Au cours de nos auditions, il a pu apparaître qu'il existerait, dans certains cas, des connivences entre les policiers et les membres du DPS. D'ailleurs, il me semble que, si deux policiers ont été démis de leurs fonctions, il en reste encore un en exercice, dont il serait prouvé qu'il aurait des activités quelque peu étonnantes. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ces connivences qui pourraient exister, quelques événements donnant à penser que, au cours de certaines manifestations, les policiers ont laissé faire le DPS ? Avez-vous des faits à nous rapporter sur cette question ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Ce que je peux vous dire, c'est qu'il est certain que la police est ce qu'elle est et que des syndicats d'extrême-droite ont existé ou existent en son sein, notamment le Front National de la Police.

    Je veux dire par là que l'extrême-droite et le Front National avait, bien entendu, des ramifications très importantes au sein de la police nationale : on l'a vu, non seulement avec la création du Front National de la Police, mais également plus tard, avec la multiplication d'organisations syndicales, notamment le SPPF - Syndicat professionnel des policiers de France - qui aujourd'hui n'existe plus, mais aussi Solidarité Police, syndicat qui provenait d'une scission de la FPIP (Fédération Professionnelle Indépendante de la Police) qui est, à nos yeux, un syndicat d'extrême-droite dont les liens avec le PNFE - je mentionne pour mémoire les attentats contre le foyer SONACOTRA de la Côte-d'Azur - ne sont plus à démontrer !

    L'extrême-droite ayant donc des ramifications, y compris syndicales, donc organisées, au sein de la police nationale, il est possible - je dis bien il est possible car je ne peux pas attester, preuves à l'appui, de tels faits - que certains « collègues », si j'ose encore les appeler ainsi, aient parfois eu des comportements très laxistes dans certaines manifestations vis-à-vis des éléments du DPS et des fascistes du Front National.

    Je vais prendre un exemple concret qui a eu un grand retentissement : celui de ce « collègue » des compagnies républicaines de sécurité qui ne s'est pas contenté de saluer un personnage haut en couleurs du Front National mais qui lui a serré la main en lui présentant ses v_ux de complet bonheur et de totale réussite. Ce « collègue » a d'ailleurs fait, je crois, l'objet de mesures disciplinaires puisque, si mes souvenirs sont bons, il a été, sinon révoqué de la police nationale, du moins sévèrement sanctionné.

    Il se peut donc très bien qu'existent certains liens, comme il en existait à une autre époque avec d'autres structures d'ailleurs, entre ces organismes paramilitaires ou en tout cas parallèles, et la police nationale. C'est un fait ! Cela étant, vous me permettrez d'ajouter que, si de telles ramifications existent, elles n'existent pas qu'à la base mais à tous les niveaux de responsabilité et à tous les grades du ministère de l'Intérieur...

M. André VAUCHEZ : On comprend à quel point est pernicieuse, au regard du fonctionnement de la police, cette gangrène extérieure qui pénètre, comme elle le fait dans le reste de la société, votre organisation professionnelle. Vous avez, à plusieurs reprises, indiqué que vous aviez demandé la dissolution du DPS et je crois que notre rôle ici est, effectivement, de faire en sorte que ce groupement disparaisse, s'il satisfait aux critères définis par la loi de 1936.

    En matière d'usurpation d'uniforme et de fonction, vous avez signalé des faits précis dont je pense qu'ils nous seront très utiles, mais connaissez-vous également des cas où les victimes de tels agissements ont porté plainte et où les jugements ont conclu au caractère pernicieux de l'action du DPS ?

M. Serge THILIQUE : Tout simplement à Strasbourg où les deux personnes interpellées ont déposé plainte contre les membres du DPS qui ont, ensuite, été condamnés par le tribunal de Colmar pour usurpation de qualité et de fonction d'officier de police judiciaire, ce qui est très important.

M. Jean-Louis ARAJOL : Ce que je peux aussi vous dire, c'est que, lors des événements de Montceau-les-Mines auxquels j'ai fait allusion, il est très clair que les membres du DPS étaient revêtus de tenues prêtant à équivoque parce qu'elles pouvaient être confondues avec celles de nos collègues CRS. Ils portaient des casques et des uniformes de couleur bleu marine du type de ceux qui sont utilisés par nos collègues en charge du maintien de l'ordre, ils avaient des matraques et étaient, de toute évidence, entraînés et préparés à des manifestations de type anti-émeutes ou autres : c'était très clair !

M. Robert GAÏA : Qui a déposé plainte ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Je crois que c'est le maire de Montceau-les-Mines.

M. Robert GAÏA : Et quelle a été la réaction de votre organisation syndicale ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons dénoncé la similitude qu'il pouvait y avoir entre cette milice et les forces républicaines de sécurité de ce pays.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Dans votre réponse à ma question précédente, vous avez précisé qu'il pouvait y avoir des connivences à la base mais aussi à tous les grades du ministère de l'Intérieur. Pouvez-vous rentrer dans le détail et aller plus loin, puisque votre audition se fait sous le régime du secret ?

    Par ailleurs, pensez-vous qu'il y ait eu des connivences entre la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et le DPS ? Enfin, pensez-vous qu'un certain nombre de faits, tels que par exemple, certains hold-up, certains braquages perpétrés contre les convoyeurs de fonds puissent avoir une relation avec le DPS ?

M. Jean-Louis ARAJOL : La société ACDS, notamment ?

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Voilà !

M. Jean-Louis ARAJOL : Oui. je vous ai parlé tout à l'heure de M. Frédéric Jamet qui était un membre éminent du Front National et qui siégeait d'ailleurs dans les instances paritaires de la police. Il était, je crois, à l'origine, affecté aux renseignements généraux, de surcroît à un poste clé, de la préfecture de police et avait donc accès à un certain nombre d'informations, pour le moins importantes et confidentielles. Vous n'ignorez pas qu'il a, par la suite, fait l'objet d'une poursuite et d'une incarcération au motif qu'il travaillait, je crois, pour la mafia calabraise... Je pense qu'il y avait un lien entre certains braquages et le système mafieux. C'est là un fait précis.

M. le Président : Vous faites allusion à l'affaire de février 1998 ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout à fait !

M. le Président : C'est là où l'on a saisi 120 kilos de tolite ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Exactement !

M. Pierre BARGIBANT : J'ajouterai simplement, monsieur le Président, que la position qu'occupait, à l'époque, M. Frédéric Jamet était très importante puisqu'il rédigeait, à l'intention du directeur des renseignements généraux, l'ensemble des notes de synthèse qui concernaient les Renseignement généraux de la préfecture de police de Paris ! (Rires).

M. Jean-Louis ARAJOL : C'est vrai !

M. le Président : Si je comprends bien, nous allons devoir le faire sortir de prison pour nous procurer les notes de synthèse que nous cherchons toujours !(Sourires.)

M. Jean-Louis ARAJOL : Il doit probablement en avoir connaissance, monsieur le Président.

M. le Président : Il s'agit bien de ce M. Frédéric Jamet qui était président du Front National de la Police ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout à fait. C'est l'un de ses fondateurs.

M. le Président : Et quelles étaient exactement ses fonctions ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Il était aux renseignements généraux de la préfecture de police de Paris. Il était officier de police.

M. le Président : Serait-il possible d'avoir des précisions sur les périodes durant lesquelles il a exercé ces responsabilités?

M. Jean-Louis ARAJOL : Je pense que les services de la préfecture de police seront tout à fait disposés à vous les communiquer.

M. Serge THILIQUE : Cela doit remonter aux années antérieures à 1995.

M. Jean-Louis ARAJOL : Si je puis me permettre de revenir à la question qui m'a été posée, et sans vouloir aller trop loin, je dirai que j'ai commencé à faire mes armes syndicales en 1985-1986, dans un service qui couvrait le deuxième arrondissement de Paris. Lorsque j'y ai assumé ce mandat de délégué syndical, la section du deuxième arrondissement était composée à 75 % de membres de la FPIP. Messieurs Reynès et Cirisotti, ceux-là même qui ont été inculpés dans l'affaire des foyers SONACOTRA de la Côte d'Azur à laquelle j'ai fait allusion, en faisaient partie. Pour avoir mené un combat contre ces gens-là, je connais un peu leur manière d'être, leur manière d'agir et de procéder.

    Je me permettrai d'établir une sorte de comparaison entre ce que j'ai pu connaître, à l'époque, et ce que je découvre aujourd'hui, à travers le DPS. Il y avait alors, dans la police nationale, outre le service d'action civique (SAC), des groupes de collègues, qui, avec des officiers et des commissaires, se réunissaient le week-end - c'est toujours le cas aujourd'hui, il faut le savoir - dans les forêts avoisinant la région parisienne pour y jouer à la « guéguerre militaire » avec des pistolets à peinture... Pour ma part, j'ai toujours été choqué par ce genre de pratiques car, si l'on peut être tenté par le sport le week-end, ce genre de sport qui consiste à recruter à l'intérieur des commissariats des policiers républicains pour faire en sorte qu'ils deviennent des soldats, non pas au sens positif mais négatif du terme, me semble pour le moins curieux.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Pour être clairs, je pense que vous voulez parler de la forêt de Fontainebleau...

M. Jean-Louis ARAJOL : Entre autres, mais comme je n'ai jamais participé à ce genre d'activités, je ne sais pas très bien où elles se déroulent.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Cela signifie qu'il y aurait, le week-end, des activités d'entraînement à « la guéguerre », pour reprendre votre formule. Avez-vous la possibilité de dénoncer ce genres de pratiques et, si oui, l'avez-vous fait ? Relèvent-elles véritablement du domaine privé, auquel cas vous n'avez aucune marge de man_uvre ? J'aimerais savoir ce qu'il en est car, apparemment, beaucoup de gens sont au courant de la situation mais rien ne change...

M. Jean-Louis ARAJOL : Je crois que ce qui est le plus difficile pour un syndicaliste républicain dans la police nationale, c'est précisément de dénoncer de tels faits.

    Je peux vous dire que, lorsque j'ai monté ma section syndicale, toujours sur le deuxième arrondissement, j'ai dénoncé, par rapport écrit, certains propos racistes et antisémites tenus à l'encontre d'un directeur et de M. le Président de la République
    - François Mitterrand, à l'époque - ainsi que des saluts hitlériens effectués pendant les appels. Mais le problème tient au fait que de telles affaires durent très longtemps et que tout est mis en place pour que celui qui accuse se retrouve le plus souvent en situation d'accusé et de coupable. Il a fallu, à l'époque, toute la pugnacité de mon organisation syndicale, de M. Bernard Deleplace qui était, à l'époque, secrétaire général de la FASP - Fédération autonome des syndicats de police - et du SGP et de M. Richard Gerbaudi, pour me soutenir dans cette affaire et faire en sorte, non seulement que je ne sois pas inquiété mais aussi que les protagonistes et auteurs de tels comportements soient sanctionnés. Je ne vous cache pas que cela a été très difficile d'autant que, vous le savez, l'omerta policière, savamment entretenue par une certaine hiérarchie et par l'administration, fait qu'il n'est jamais bon pour un policier de dénoncer les comportements de ses collègues, même s'il apparaît qu'ils sont indignes d'un policier républicain.

M. le Président : On a cru effectivement le comprendre à travers plusieurs auditions !

M. Jean-Pierre BLAZY : Monsieur Arajol, nous avons sans doute, comme vous, le désir d'obtenir la dissolution du DPS. Pour y parvenir, il nous faut nous appuyer sur la loi du 10 janvier 1936 et, évidemment sur des faits concrets. En conséquence, il est nécessaire de prouver, par exemple, aux termes de la loi, qu'il s'agit d'un groupe de combat. Puisque vous avez évoqué à plusieurs reprises la question des armes, vous serait-il possible d'apporter des informations plus précises à la Commission sur ce sujet qui paraît essentiel ?

    Par ailleurs, vous avez parlé d'entraînements dans la forêt de Fontainebleau. Serait-il possible d'approfondir la question et y a-t-il des connivences entre les sociétés de tir, de gardiennage et le DPS ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Vous vous doutez bien que si j'avais des preuves rationnelles en nombre à vous fournir, je le ferais avec grand plaisir. Le problème, c'est que, dans ce genre d'affaires, on en est réduit à faire des supputations par crainte d'avancer des choses qui ne seraient pas réelles.

    En revanche, je peux vous dire qu'il y a, comme chacun le sait, des centres de tir fréquentés à la fois par des policiers, des convoyeurs de fonds et des membres du DPS. Pour notre part, nous avons d'ailleurs dénoncé le fait qu'à une certaine époque - une proposition de loi de M. Bruno Le Roux a d'ailleurs été adoptée sur ce sujet en première lecture à l'Assemblée nationale - il était possible de se procurer une arme sur simple inscription à un centre de tir. Il est clair que les membres du DPS s'entraînaient dans de tels clubs et qu'ils y côtoyaient donc d'autres personnes, qu'il s'agisse de policiers ou d'éléments de la société ACDS, société de sécurité privée et, plus précisément, de convoyage de fonds. Mais je n'ai pas en ma possession d'éléments précis avec des noms à la clé et des preuves concrètes démontrant que tel membre du DPS ou tel autre s'entraînerait au tir à tel endroit ou compterait tel policier au nombre de ses proches : je ne peux rien affirmer parce que je n'ai aucune preuve !

M. le Président : Sur ACDS, pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Non, si ce n'est que c'est une société qui, je crois, s'est trouvée mêlée plusieurs fois à des affaires de braquages, à des hold-up. On sait aussi pertinemment que cette société recrutait dans des milieux pour le moins extrémistes, notamment d'extrême-droite ! Cela étant, bon nombre de policiers qui sont révoqués de la police nationale sont ensuite enclins à exercer des activités dans les sociétés de sécurité privées.

M. Pierre BARGIBANT : J'aimerais simplement ajouter une petite chose, à savoir que nous sommes des fonctionnaires de police, des « flics », qui, souvent, réagissent et agissent en fonction de présomptions et ne peuvent avoir des preuves flagrantes qu'au cours d'une enquête. En l'occurrence, nous sommes aussi des syndicalistes et, comme le rappelait précédemment Jean-Louis Arajol, il est très difficile pour nous, syndicalistes policiers, de briser l'omerta policière : nous n'avons pas peur de nous exprimer là-dessus.

    Pour autant, il est quelque chose qui me surprend : lorsque, au départ, nous avons dénoncé le DPS - nous avons été le premier syndicat policier à le faire et à réclamer sa dissolution -, nous avons interpellé, sur la base de présomptions et de faits qui nous semblaient troubles, le ministre de l'Intérieur, M. Jean-Louis Debré, ce qui l'a conduit à ouvrir une enquête des renseignements généraux. Or, si un ministre de l'Intérieur décide d'ouvrir une enquête des renseignements généraux sur une organisation telle que le DPS, c'est bien parce que ses présomptions l'amènent, lui aussi, à croire qu'il y a quelque chose à aller chercher.

    En ce qui nous concerne, nous souhaitons donc, ainsi que Jean-Louis Arajol l'a dit tout à l'heure, avoir connaissance des conclusions de cette enquête et pas simplement concernant les structures du DPS - puisqu'elles sont clairement établies et qu'on trouve son organigramme dans tous les journaux - mais aussi sur les missions qui lui sont confiées, les moyens qui lui sont attribués, qu'ils soient financiers, humains, ou en matériels...

M. Jean-Louis ARAJOL : Si vous voulez, pour être encore plus clairs, nous avons parfois l'impression qu'il est plus facile de mener une enquête sur un dirigeant syndical que sur les membres du DPS... ( Sourires.)

M. Jean-Pierre BLAZY : Vous n'avez pas connaissance de ce rapport commandé par M. Jean-Louis Debré ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous n'en avons jamais eu connaissance. Je tiens à préciser que nous avons demandé, à nouveau, à M. Jean-Pierre Chevènement et au successeur de M. Claude Guéant où en était le rapport, ce qu'il advenait de l'enquête menée par la direction centrale des renseignements généraux sur cet organisme, si même elle avait été conduite et par qui. Mais, sur tout cela, nous ne savons rien !

M. Jacky DARNE : Dans votre exposé liminaire, vous avez dit que « d'après certaines sources », le DPS disposerait de l'autonomie financière, de moyens de transmission et de véhicules. A un autre moment, vous avez évoqué un trafic d'armes avec la Tchétchénie, ce qui, au regard de la loi, constitue un des éléments permettant de caractériser un comportement justifiant une dissolution. Ces sources, un peu abstraites, auxquelles vous faites référence peuvent-elles être précisées ? En effet, comme le disait mon collègue, si nous ne disposons pas de faits, d'autres peuvent, eux, en avoir : vous-même, comment êtes-vous informés et par qui ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Comme tous ceux, je crois, qui peuvent s'intéresser de près au sujet, nous avons collecté toutes les informations que nous avons pu trouver dans la presse et notamment dans les communiqués AFP. Nous avons ainsi réalisé deux dossiers que nous vous remettrons d'ailleurs à l'issue de cette audition et qui nous ont permis de nous interroger sur les agissements et les comportements du DPS.

M. Jacky DARNE : Et sur la Tchétchénie, par exemple ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Même chose !

M. Pierre BARGIBANT : Je mentionnerai simplement, sur ce problème de la Tchétchénie, un fait qui nous a choqués et que nous avons entendu lors d'une audience d'un procès qui est en cours : on a trouvé au domicile de M. Frédéric Jamet, que nous avons cité précédemment, lors de la perquisition qui a suivi son interpellation, la photocopie d'un chèque d'un million de deutsche marks émis sur une banque de Zagreb. On est en droit, non seulement en tant que citoyen mais en tant que policier, de penser qu'il y a là quelque chose qui n'est pas normal et qui cloche... Je n'assure rien et je m'interdis de le faire parce que je n'ai pas de preuves flagrantes. Mais on peut se poser la question de savoir comment la photocopie d'un chèque d'un million de deutsche marks tiré sur une banque de Zagreb a pu être retrouvé au domicile d'un fonctionnaire de police qui était alors en activité, à la suite d'une interpellation pour un vol à main armé et la découverte de 120 kilos d'explosifs... Je pose la question mais je n'ai pas de moyens d'investigation.

M. le Président : Dans une affaire de vol à main armée, dites-vous ?

M. Pierre BARGIBANT : Oui, chez M. et Mme Pétrossian.

M. Robert GAÏA : Il y a effectivement eu un braquage chez Pétrossian où tout le monde sait qu'il n'y avait pas d'argent en caisse puisque la majorité des clients paient par chèques ou carte bleue. En tout cas, telle est l'information qui m'est parvenue de diverses sources et en particulier des journalistes qui n'excluaient pas l'éventualité d'un lien avec la mafia russe ou autre...

M. le Président : Et le braquage a été commis par M. Frédéric Jamet ?

M. Pierre BARGIBANT : Oui, et par son équipe composée de fonctionnaires de police dont un commandant et un lieutenant ou capitaine de police.

M. Robert GAÏA : Les grands points d'interrogation, c'est que tout le monde sait qu'il va y avoir un braquage et que, lors du braquage, les malfaiteurs ne ramassent pas d'argent !

M. Pierre BARGIBANT : Ils ont pris une boîte de caviar... Mais c'est à la suite de ce braquage que l'on a découvert la photocopie du chèque et les 120 kilos d'explosifs que j'ai évoqués : c'est pourquoi j'établis une relation entre les faits !

M. Robert GAÏA : Je suis étonné de vous en entendre parler parce qu'au niveau de la police, généralement, on ne connaît pas l'affaire Pétrossian... C'est bien que vous la connaissiez, vous, à la base !

M. Pierre BARGIBANT : C'est également là que l'on parle de la mafia calabraise et des ramifications qui existaient à l'époque.

M. le Président : Avec M. Frédéric Jamet et son équipe ?

M. Pierre BARGIBANT : Tout à fait !

M. Robert GAÏA : Vous avez dit que le ministre de l'Intérieur, M. Jean-Louis Debré, avait diligenté une enquête des renseignements généraux, mais comment le savez-vous ?

M. Jean-Louis ARAJOL : De manière tout à fait officielle.

M. Robert GAÏA : Officiellement, mais encore ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons, la veille des événements de Strasbourg, - je rappelle les faits de manière précise - demandé en urgence une audience auprès du directeur général de la police nationale qui était M. Claude Guéant. Il nous a reçus, je dirai de mémoire, à dix-huit heures et nous lui avons fait savoir que nous avions appris que le DPS, fort de je ne sais combien de centaines de membres, allait assurer une mission de sécurité sur la voie publique, lors du congrès du Front National, qu'à nos yeux, au vu de la manifestation contre le Front National qui avait été décidée, ce jour-là, sur place, il y avait des risques de débordements et nous avons demandé à M. le directeur général ce qu'il pensait faire. Il a répondu, comme le ferait d'ailleurs n'importe quel directeur général, que les renseignements généraux étaient en train d'accomplir un travail d'investigation pour savoir dans quelles conditions allait se dérouler la manifestation et que tout le dispositif était en place afin d'éviter les débordements. Nous avons, alors, demandé à M. le directeur général, de manière officielle, en audience syndicale - nous avons d'ailleurs fait ensuite, un communiqué de presse et, à l'intention de nos adhérents, un compte rendu d'audience, pour le souligner - de diligenter une enquête sur cet organisme car les services de police sont parfois très performants pour faire la lumière sur certaines affaires.

    Je pense donc que, concernant cet organisme, avec tout ce qui a pu ressortir en termes de faits, d'agissements et d'affaires, y compris médiatiques, il était facile pour une direction centrale de renseignements généraux, de commander une enquête et de recueillir un maximum d'informations pour savoir trois choses simples : premièrement, si oui ou non, cette milice de sécurité privée dispose d'un budget autonome ; deuxièmement, comment elle recrute ses membres et, troisièmement, si ces derniers sont armés et entraînés.

    J'estime que, sur ces trois points, nous étions en droit, en tant que syndicalistes, d'obtenir des réponses précises.

M. Robert GAÏA : Tel n'est pas l'objet de ma question monsieur Arajol : aujourd'hui, j'apprends que c'est vous qui avez diligenté l'enquête des renseignements généraux ! Vous nous avez dit : « Le ministre de l'Intérieur a diligenté une enquête des renseignements généraux ». Comment savez-vous que le ministre de l'Intérieur a diligenté une enquête des renseignements généraux ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Cela nous a été dit officiellement par le directeur général de la police nationale de l'époque !

M. Robert GAÏA : Quand ?

M. Jean-Louis ARAJOL : En audience !

M. Robert GAÏA : Vous avez un compte rendu d'audience à nous fournir ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Oui, nous devons en avoir un exemplaire que nous vous communiquerons, naturellement.

M. Robert GAÏA : Merci ! Par ailleurs, je comprends parfaitement ce que vous qualifiez « d'omerta » de la police, mais ces derniers temps, vous avez été beaucoup plus prolixe sur la gendarmerie et puisque, là, il n'y a pas d'omerta, je voudrais que vous nous parliez des liens entre la sécurité militaire, la gendarmerie, le monde de la défense et le DPS.

M. Jean-Louis ARAJOL : C'est très simple ! J'ai précisé, tout à l'heure, notre position sur les polices municipales et je veux profiter de ce lieu pour m'exprimer une nouvelle fois sur le sujet. Nous avons fortement débattu des problèmes police-gendarmerie lors de la publication du rapport établi par MM. Roland Carraz et Jean-Jacques Hyest, concernant la fameuse histoire du redéploiement des forces de police et de gendarmerie qui, vous le savez, a fait couler beaucoup d'encre ! Vous connaissez mon opinion sur le sujet mais tel n'est pas l'objet de cette Commission...

    Il faut savoir, néanmoins, que, pour ce que nous concerne, contrairement à ce que certains laissaient entendre en déclarant que les syndicats de policiers étaient hostiles à la gendarmerie, nous n'avons rien contre nos collègues gendarmes, bien au contraire. Je me suis exprimé à plusieurs reprises devant les médias pour dire que ces derniers étaient également confrontés à des difficultés dans leur travail, qu'ils avaient également de moins en moins de facilités pour l'accomplir, et qu'ils étaient « mangés à toutes les sauces », si vous me permettez cette expression, en termes d'horaires et d'effectifs ce qui rendait leur tâche très difficile. J'ignore donc pourquoi il y a eu une volée de bois vert du ministère de la Défense. Pour bien préciser notre position sur le papier, il est vrai que j'ai alors rédigé une lettre ouverte aux gendarmes de base, distribuée par nos collègues délégués du syndicat général de la police (SGP), pour exposer nos souhaits. Même si, actuellement, nous essayons de recueillir plusieurs informations sur cette question, je peux vous dire qu'à cette époque-là, la direction de la protection et de la sécurité de la défense nationale (DPSD), aurait été - je dis bien aurait été - saisie de l'affaire. Ce que je peux vous assurer, c'est que j'ai reçu un courrier du directeur général de la police nationale me menaçant d'une ouverture d'information judiciaire pour appel à la subversion et je peux attester également que les délégués du SGP ont été entendus tout simplement parce qu'ils distribuaient des tracts. Cela a notamment été le cas en Ardèche.

    Pour le reste, et notamment sur les agissements de l'organisme que vous avez évoqué, je laisse faire les choses et j'espère de tout c_ur, dans les mois à venir, avoir plus de précisions et de preuves pour mieux connaître sa manière de fonctionner. Dans cette affaire, en tout cas, il pourrait être opportun pour la Commission - je me permets de lui faire cette suggestion - de demander à M. le directeur général de la police nationale, M. Didier Cultiaux, qui, suite à cette affaire, m'avait interpellé sur les réactions dudit organisme, comment et pourquoi il se réunissait pour un fait qui n'était finalement qu'un fait syndical.

M. le Président : « Cet organisme » : vous voulez parler de la DPSD ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Tout à fait ! Pour ma part, je suis surpris et très franchement, j'ignorais l'existence de cet organisme.

M. le Président : Et vous avez été concerné ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons eu, comme je vous l'ai dit, une entrevue avec M. Didier Cultiaux, directeur général de la police nationale, qui, après m'avoir rencontré pour me dire de ne pas me formaliser mais qu'il était obligé de m'adresser une lettre, m'a demandé de faire cesser ce courrier - qui n'était pourtant pas un appel à la révolution armée dans la gendarmerie - parce que, au ministère de la Défense... Pour le reste, je ne dispose d'aucune preuve. J'ai entendu dire que certains numéros d'immatriculation, dont le mien, étaient distribués dans toutes les gendarmeries de France. J'ai entendu dire ceci ou cela mais ce ne sont que des supputations.

M. Robert GAÏA : Nous nous éloignons là du DPS ! On nous dit que M. Bernard Courcelle émarge à la sécurité militaire...

M. Jean-Louis ARAJOL : Là-dessus, je ne pourrai rien vous dire !

M. le Président : Mais l'intervention de la DPSD touchait votre action syndicale concernant les problèmes de redéploiement de la police et de la gendarmerie et ne concernait pas le DPS ?

M. Jean-Louis ARAJOL : C'est cela. En tout cas, pas directement, que je sache. Tout s'est déclenché au moment de la polémique sur le redéploiement police-gendarmerie.

M. le Président : Si nous vous interrogeons dans ces termes, c'est à la suite d'auditions au cours desquelles la question a été posée de la surveillance par la DPSD d'un certain nombre de personnes qui travaillent sur la question du DPS. Comme vous avez eu maille à partir, par votre directeur interposé avec la DPSD, nous voulions savoir si ce problème tenait au DPS ou à une autre question. Manifestement, il est lié à la question du redéploiement des forces de police et de gendarmerie.

    En revanche, il serait utile que vous nous indiquiez très précisément la date de l'audience au cours de laquelle on vous a dit qu'une enquête avait été diligentée par le ministre de l'Intérieur puisque nous le recevons la semaine prochaine. En effet, cette affaire a été pour nous un serpent de mer puisque, dans un premier temps, on nous a dit qu'il n'y avait pas de rapport ; puis, dans un deuxième temps, qu'il existait mais sous la forme d'un simple assemblage de notes de synthèses dont on apprend d'ailleurs qu'elles sont, pour une part, l'_uvre de M. Frédéric Jamet... Enfin, que ce rapport allait nous être fourni comme un rapport d'étape alors que vous prétendez, vous, qu'un rapport vraiment spécifique a été demandé.

M. Jean-Louis ARAJOL : Nous avons demandé, nous, qu'une enquête soit menée sur le DPS. On nous a répondu que la direction centrale des renseignements généraux diligentait une enquête.

M. Robert GAÏA : Sur ordre du ministre de l'Intérieur ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Je pense que lorsqu'un directeur ordonne une enquête à la direction centrale des renseignements généraux, il ne le fait pas sans l'aval du ministre de l'Intérieur : cela va de soi ! Après, malgré nos relances, nous n'avons été tenus au courant de rien !

M. le Président : Vous n'avez jamais vu le rapport ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Jamais : pas une ligne, pas une trace...

M. le Président : Nous avons vu, hier soir, un rapport dont on nous disait qu'il n'existait pas ou sur lequel nous obtenions des réponses confuses : il est assez volumineux mais c'est un autre rapport, qui concerne les sociétés de gardiennage. Concernant la date de l'audience, pourriez-vous nous donner plus de précisions ?

M. Jean-Louis ARAJOL : C'était la veille du congrès du Front National à Strasbourg, le 28 mars 1997. L'audience a eu lieu à dix-huit heures, le vendredi, et c'est là que l'on nous a appris qu'une enquête était diligentée par les renseignements généraux.

M. Robert GAÏA : Mais sur Strasbourg ou en général ?

M. Jean-Louis ARAJOL : En général ! Et il me semble m'être entretenu de ce sujet avec M. Yves Bertrand, directeur central des renseignements généraux, qui m'a confirmé le fait que ses services y travaillaient. Mais j'ignore sur quoi ces travaux ont débouché...

M. Serge THILIQUE : Monsieur le Président, je souhaiterais préciser un point qui me semble important.

    Tout à l'heure, Mme Geneviève Perrin-Gaillard a posé une question sur d'éventuelles connivences à un haut niveau. Sans parler de connivences, nous disions qu'il était déjà difficile pour nous, même en qualité de syndicalistes, de dénoncer certaines pratiques, mais il faut savoir que lorsque nous le faisons, nous avons l'impression de ne pas être suivis. Par exemple, lorsque le Front National de la Police s'est présenté aux élections professionnelles en 1995, nous avons, à l'époque, interpellé le ministre pour dire que nous ne comprenions pas qu'un syndicat, contrairement aux textes en vigueur, puisse se présenter sous le sigle d'un parti politique : rien n'a été fait ! Pourtant, il était simple pour le ministre de dire aux intéressés qu'ils n'avaient pas le droit de se présenter sous ce sigle et qu'ils devaient en choisir un autre... Bref, rien n'a été fait, en dépit de toute notre insistance et il a fallu que nous allions nous-mêmes devant les tribunaux pour faire en sorte que les choses bougent.

M. Jean-Louis ARAJOL : Et aux dernières élections c'était pareil !

M. Serge THILIQUE : Effectivement ! Ensuite, il y a eu ce fameux rapport qui a été diligenté, depuis maintenant deux ans, mais qui n'arrive toujours pas. Donc, il est vrai que nous avons vraiment l'impression, sans parler de connivence, d'un certain laisser-faire. Il y a peut-être des intérêts qui sont, certes, importants mais nous aimerions que l'on nous informe, même si certaines choses peuvent être dites et d'autres non.

M. Jean-Louis ARAJOL : Dans le même registre, même si cet élément n'est pas directement lié au DPS, j'ajouterai que, lors des dernières élections, bien que la loi Perben puisse être appliquée différemment en fonction du corps, nous avons très vite pris conscience, sur la base d'estimations, que nous allions institutionnaliser l'extrême-droite dans les instances paritaires de la police nationale. Je suis intervenu en demandant une audience personnelle à M. le ministre de l'Intérieur. Je lui ai dit qu'il allait avoir le Front National comme une verrue sur le visage et que, tout ministre républicain qu'il était, il resterait comme celui qui a institutionnalisé l'extrême-droite dans les instances paritaires. Rien n'y a fait ! Le système de scrutin a été mis en place tel quel alors qu'on aurait pu appliquer différemment la loi Perben et, aujourd'hui, l'extrême-droite siège dans un bon nombre d'instances paritaires départementales et nationales au CTPC (Comité technique paritaire central) et au comité technique paritaire ministériel, alors que nous aurions parfaitement pu épargner ce genre d'épreuves à la police nationale.

M. Jean-Pierre BLAZY : Lorsque vous dites l'extrême-droite, vous voulez parler de la FPIP, mais elle existait déjà...

M. Jean-Louis ARAJOL : Elle ne siégeait pas au sein du comité paritaire central et ministériel, alors qu'aujourd'hui, bon nombre de ses représentants siègent dans les instances paritaires ce qui signifie qu'ils ont des jours de détachement et qu'ils sont reconnus institutionnellement ! Et je regrette que cela se soit fait sous le ministère de M. Jean-Pierre Chevènement, malgré nos recommandations.

M. Robert GAÏA : Dans un commissariat que je connais bien, dans le Sud de la France, des tracts du Front National ont été distribués en pleine campagne électorale, au poste de commandement, par l'intermédiaire de syndicalistes de la FPIP. Quelle a été votre réaction à l'époque puisque, d'après ce que j'ai vu, l'enquête de l'IGPN (Inspection générale de la police nationale) a conclu qu'il ne s'était rien passé ? Je ne sais si c'est à l'omerta de la police qu'il convient d'attribuer ce silence assourdissant...

M. Jean-Louis ARAJOL : Les appels à la violence policière ne sont pas le fait de ce syndicat uniquement et je peux vous dire que pour ce qui nous concerne, nous les dénonçons systématiquement, comme cela a été le cas récemment dans l'Est !

M. Robert GAÏA : J'insiste surtout sur le fait que ces tracts ont pu être distribués dans l'enceinte du commissariat...

M. Jean-Louis ARAJOL : Absolument ! Malheureusement, nous ne sommes pas toujours maîtres de notre appareil et nous-mêmes, au SGP, avons subi un préjudice énorme du fait qu'un de nos délégués, qui était le délégué d'un service de sept à huit personnes à Paris, a sorti un tract, sans l'aval du bureau national, avec prose antisémite à la clé. Nous ne sommes donc pas à l'abri de ce genre d'agissements. Cependant, la FPIP est un syndicat reconnu d'extrême-droite : M. Philippe Bitauld n'est quand même pas un républicain ou cela se saurait !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Quel est le comportement de ces personnes dans le cadre de la commission paritaire ?

M. Jean-Louis ARAJOL : Un comportement odieux, hautain. Lors d'une des dernières instances paritaires nationales, au cours de laquelle a été abordée la question des emplois-jeunes, dont vous savez ce que pense - j'estime que c'est faire une police au rabais, qu'il est même dangereux pour les jeunes concernés de se retrouver au bout de six semaines, sans aucune formation, en possession d'une arme et qu'il aurait mieux valu les embaucher au titre de policiers nationaux - nous avons eu un débat. M. Philippe Bitauld a pris la parole pour dire que la police nationale était méconnaissable aujourd'hui, qu'on la tirait par le bas, que les nouveaux arrivés étaient tous des beurs, etc.. Ce qui m'a le plus choqué, - et je pense que le procès-verbal de la commission administrative paritaire peut l'attester -, c'est que personne n'a réagi et qu'il m'a fallu prendre la parole dans cette instance paritaire nationale pour dire que ceux qui ont tiré la police par le bas depuis des années, ce sont les barbouzes et ceux qui ont mélangé les affaires liées à des organismes privés et la mission d'essence républicaine de la police nationale.

    Ce représentant syndical a un comportement hautain et s'il pouvait nous fusiller du regard, il le ferait mais nous y sommes habitués. Il est là, il siège comme tout un chacun, il interpelle le directeur général et le directeur de l'administration et fait des interventions à caractère beaucoup plus politique que syndical.

M. Pierre BARGIBANT : Juste une petite précision qui figurera dans le document que je vous remettrai, monsieur le Président : la fameuse audience avec le directeur général s'est déroulée le 27 mars 1997 à dix-huit heures quinze. De plus, je joindrai au document un article de France-Soir, en date du 17 avril 1997, dans lequel il est indiqué que M. Jean-Louis Debré a demandé une enquête précise sur les agissements du DPS

M. Jean-Louis ARAJOL : Enfin, monsieur le Président, il me paraît important, par rapport au DPS, de souligner que, suite à notre action, M. Nicolas Courcelle, frère de M. Bernard Courcelle, a téléphoné, en personne, à mon adjoint, M. Frédéric Lagache et l'a menacé, ce qui nous avait amenés à rédiger, à l'époque, un communiqué de presse.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

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    Audition de M. Gérard BOYER, secrétaire général du syndicat Alliance et de M. Bruno BESCHIZZA, président du syndicat Synergie officiers

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 3 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Gérard Boyer et Bruno Beschizza sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Gérard Boyer et Bruno Beschizza prêtent serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l'audition de M. Gérard Boyer, Secrétaire général du syndicat Alliance, et de M. Bruno Beschizza, Président du syndicat Synergie Officiers, qui ont souhaité être entendus ensemble. Le syndicat Alliance représente les corps de maîtrise et d'application de la police, tandis que Synergie Officiers représente les corps de commandement et d'encadrement. Vos syndicats ont obtenu respectivement 32,1 % et 26 % des voix dans leur catégorie aux dernières élections professionnelles.

    Je commencerai par une question d'ordre général. Notre commission d'enquête a pour objet d'examiner si le fonctionnement de ce service d'ordre du Front National qu'est le DPS, tombe sous le coup de la loi et notamment de la loi du 10 janvier 1936. Avez-vous, vous-même, une opinion sur cette question et comment envisagez-vous ce DPS ?

M. Gérard BOYER : Nous avons une opinion toute simple, monsieur le Président : à partir du moment où le DPS exerce ses activités sur la voie publique, comme nous avons pu le voir lors de certains meetings organisés par le Front National, nous pensons qu'il appartient aux forces de police de procéder à des interpellations et à des vérifications d'identité. J'estime que c'est ce qui aurait dû être fait, notamment à Strasbourg, où ce service d'ordre est intervenu sur la voie publique. Je crois que l'on ne peut pas, dans une démocratie, laisser à un service d'ordre le soin d'exercer la sécurité d'un parti politique sur la voie publique, de surcroît lorsqu'il s'agit, comme c'est le cas en l'occurrence, du Front National. Cette fonction relève de la responsabilité de la police nationale, et certainement pas du DPS !

    En deuxième lieu, pour ce qui nous concerne, - et je crois que je peux parler au nom des deux organisations - nous pensons qu'il ne faut pas tout focaliser sur le DPS mais plutôt étudier ses ramifications par l'intermédiaire du Front National et de l'entrisme que ce parti peut mener au sein de la police nationale. J'ai rendu publique à la télévision, il y a quelques mois, une liste de policiers, délégués du Front National, qui se livraient véritablement à des activités politiques en faveur de leur parti. En effet, on peut raisonnablement penser - et c'est là qu'il est extrêmement difficile d'établir un lien et c'est pourquoi je le dis avec beaucoup de réserves - que, si ces gens-là ont des activités au sein du Front National et qu'ils font de l'entrisme dans la police nationale, ils sont membres du DPS. Il faut cependant avouer que, sur le DPS, nous manquons singulièrement d'informations, probablement parce qu'au sein des services de police, on n'a pas très souvent procédé à l'interpellation de ses membres lorsqu'ils exerçaient leurs activités sur la voie publique.

M. le Président : Vous parlez d'entrisme dans la police nationale : comment se manifeste-t-il ?

M. Gérard BOYER : En véhiculant certaines idées que vous connaissez aussi bien que moi. J'ai d'ailleurs apporté quelques tracts que je vous remettrai, émanant d'un individu qui a été incarcéré depuis pour des affaires de droit commun.

    Ensuite, le fait d'installer, ainsi que nous l'avons vu lors des élections professionnelles de 1995, ce qui n'était pas un syndicat de police, en l'occurrence le FNP (Front National de la Police), qui a été dissous et remplacé par Solidarité police, qui n'était toujours pas un syndicat de police tel qu'on peut l'entendre dans une démocratie mais, purement et simplement, un parti politique sous couvert de syndicalisme, participe aussi de l'entrisme que j'évoquais.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Depuis les événements de Strasbourg, donc depuis 1997, avez-vous eu connaissance de faits de même nature ? Dans le réseau qui est le vôtre sur le territoire français, avez-vous eu vent d'événements lors desquels les membres du DPS seraient intervenus sur la voie publique et si oui, lesquels ?

    Par ailleurs, avez-vous des informations à nous apporter concernant le port d'armes, l'armement des membres du DPS ? Savez-vous quelque chose sur d'éventuels entraînements ?

    Enfin, avez-vous connaissance d'actes délictueux ou de braquages qui pourraient voir une relation avec l'extrême-droite et le DPS ?

M. Gérard BOYER : Concernant les activités du DPS sur la voie publique, aucun élément nouveau n'a été porté à ma connaissance. J'ai l'impression qu'elles ont marqué un arrêt.

    S'agissant du port d'armes, ce qui me surprend un peu c'est que, alors que le DPS n'existe pas d'aujourd'hui, qu'il était apparu publiquement plusieurs mois avant les événements de Strasbourg, et que ce phénomène, bien que difficilement palpable, soit connu, il n'y ait jamais eu d'interpellations, ni de directives claires à son sujet. Je dois dire que c'est assez surprenant ! Pour notre part, concernant la question du port d'armes, nous avons une position extrêmement claire : nous ne voyons pas de quel droit les membres du DPS pourraient porter des armes et pourquoi il n'y aurait pas interpellation et déféré immédiat. Il y a là quelque chose que je ne parviens pas à saisir.

M. le Président : Vous pensez à des cas précis ?

M. Gérard BOYER : Il n'y a jamais véritablement rien eu, car toute la difficulté que nous avons à réunir des faits concrets et des preuves matérielles tient au fait que personne, à ma connaissance, n'a jamais été interpellé par des services de police.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Et vous n'avez pas d'explications ?

M. Gérard BOYER : Non, si ce n'est que j'ai l'impression qu'à un moment donné, tout le monde a fermé les yeux.

    Concernant certaines personnes impliquées dans des affaires de droit commun, et plus précisément M. Frédéric Jamet, puisque c'est à lui que je faisais allusion tout à l'heure, il faut savoir que, bien qu'il soit connu des services de police, au moins pour ses activités au sein du Front National et pour les idées qu'il véhiculait, il n'a jamais, à ma connaissance, fait l'objet de la part de l'administration, durant les sept ou huit ans d'exercice de ses activités dans la police, du moindre rappel à l'ordre. Je ne l'ai jamais vu passer en conseil de discipline...

    Nous avons également eu le cas d'un fonctionnaire de police sur Paris qui avait abandonné son véhicule administratif, avec, à son bord, deux jeunes stagiaires de police, au voisinage de la pelouse de Reuilly où se tenait la fête des « Bleu Blanc Rouge ». Ceci avait motivé une demande de traduction devant le conseil de discipline du SGAP (Secrétariat général pour l'administration de la police) mais, à ma connaissance, il n'y a pas été donné suite. Il s'agissait d'un responsable du FNP. Je crois, d'après les éléments dont nous disposons, que c'est davantage en creusant le sujet des ramifications internes du Front National dans la police, qui est en train de se réactiver au travers d'un semblant de syndicat de police dont les tracts circulent depuis la fin de l'année dernière, que nous parviendrons peut-être à remonter jusqu'au DPS. Je suis, pour ma part, prêt à vous remettre, monsieur le Président, ces documents.

M. le Président : Très volontiers !

M. Bruno BESCHIZZA : J'aimerais juste revenir sur le cas Jamet. Comme je siège pour mon corps en commission administrative paritaire depuis cinq ans, je peux témoigner qu'à l'époque, M. Frédéric Jamet était détaché permanent au FNP. Son dossier avait été examiné dans le cadre d'une commission administrative paritaire (CAP) d'avancement et vous pouvez facilement comprendre l'attitude de tous les élus du personnel réunis autour de la table qui refusaient de le faire passer ! Ce qui nous a cependant beaucoup étonnés
- puisqu'il n'y a que deux syndicats d'officiers qui sont représentatifs et siègent en CAP -, c'est que, à la dissolution du FNP, il ait obtenu un tel reclassement. M. Frédéric Jamet a, en effet, été reclassé dans un service dit « d'élite », un office central, c'est-à-dire dans un service de pointe, qui touche des domaines financiers importants puisqu'il traite de grosses affaires de stupéfiants. Je vous avoue que, lors d'une discussion que j'ai eue avec son chef de groupe de l'époque, ce dernier m'avait confié qu'il se refusait à l'emmener en perquisition parce qu'il s'en méfiait. De là à vous dire que cela servait le Front National, le FNP ou le DPS, c'est un pas que je ne franchirai pas parce que l'on n'en sait rien. Mais il est certain que l'individu en lui-même posait déjà problème puisque ses propres collègues de groupe ne voulaient pas travailler avec lui.

    La seule question qui se pose est donc de savoir comment ce syndicaliste, avec une telle connotation a pu être reclassé, alors que, s'il y a effectivement dans la police une tradition de reclassement des syndicalistes aux postes de leur choix, M. Frédéric Jamet était, pour nous, tout sauf un syndicaliste. Il y a effectivement eu un mélange de genres dans le traitement de son dossier.

M. le Président : De quel service s'agissait-il ?

M. Bruno BESCHIZZA : L'office central des stupéfiants, l'OCTRIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants), qui dépend de la Direction centrale de la police judiciaire, a une vocation nationale et travaille sur des cas impliquant de gros trafiquants où, très souvent, les sommes en jeu sont colossales.

    Concernant les entraînements, il s'agit effectivement d'un problème de fond. Je n'ai pas eu, non plus, de retour au sujet d'entraînements de type paramilitaire organisés. Mais, une autre question se pose : peut-on empêcher ces gens-là de s'entraîner à titre individuel ? La police a effectivement des clubs d'entraînement aux arts martiaux et au tir. Que certains policiers ayant appartenu au FNP ou faisant parti du Front National les fréquentent, c'est possible mais on ne peut pas décréter qu'ils ne doivent pas le faire : c'est effectivement toute la difficulté, y compris dans l'encadrement. De même, concernant la gestion des personnels, certains gardiens ou gradés posent des jours de récupération à la date de la fête des « Bleu Blanc Rouge ». Je ne peux pas, moi, refuser d'accorder ces jours qu'ils peuvent parfaitement utiliser à s'occuper de leur famille ou à d'autres activités... Je ne peux pas, en tant qu'officier, porter un jugement de valeur, et c'est toute la difficulté.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Avez-vous entendu parler de rencontres qui pourraient avoir lieu, soit au château de Neuvy-sur-Barangeon, soit dans des forêts proches de Paris ?

M. Bruno BESCHIZZA : En 1994, il y a effectivement eu des rencontres ; c'était alors la fameuse mode des reconstitutions de petites batailles guerrières dans des bois avec des pistolets à peinture... Je connaissais les idées de certains fonctionnaires, je sais qu'ils allaient, ensemble, exercer ces activités mais je me vois mal adresser un rapport à mes supérieurs hiérarchiques là-dessus, alors que tout ce que je sais ne relève que de discussions de cafétéria et qu'on ne peut pas préjuger des propos tenus autour d'un café.

M. Jean-Pierre BLAZY : Précisément à propos de hiérarchie, si je vous ai bien compris, vous avez regretté l'absence de directives suffisamment claires et nettes pour permettre aux services de police de contrôler le DPS, et déploré l'existence de ce service d'ordre qui outrepasse ses fonctions. Vos propos - et on le voit d'ailleurs avec l'affaire Jamet pour une certaine période - laissent à penser que les connivences ne se situent pas uniquement au niveau de la base mais peut-être également au niveau de la hiérarchie. Quel est votre sentiment sur cette question et avez-vous des noms de personnes, en-dehors de M. Frédéric Jamet, qui auraient des liens directs avec le DPS ?

M. Gérard BOYER. On ne peut peut-être pas parler de complicités ou de complaisances. Souvent, je me demande s'il ne s'agit pas simplement de laisser faire. On l'a vu lors des élections professionnelles en 1995, lorsque le Front National s'est reconstitué avec Solidarité police, organisation contre laquelle nous avions engagé, à l'époque, une action en justice. On a l'impression que l'on privilégie la politique de l'autruche où tout le monde enfouit la tête sous le sable pour ne pas voir alors que nous avions donné l'alerte, non seulement au niveau de l'encadrement de la police nationale, mais aussi à celui de l'administration.

    Quand on dépose une liste pour une élection professionnelle et qu'elle s'appelle Front National de la Police, cela démontre bien qu'il ne s'agit pas seulement d'un syndicat de police. Or, la liste, après moult interrogations qui ont duré plusieurs heures, a fini par être admise et considérée comme valable, prétendument pour éviter un recours devant le tribunal administratif ou le Conseil d'Etat. Cela ne me paraît pas une attitude très courageuse : mieux vaut s'exposer à un recours, quitte à le perdre, que de permettre à certaines personnes d'aller à des élections, de bénéficier de structures, de dispenses syndicales, de moyens financiers et de faciliter leur implantation. Tel est, en effet, le résultat auquel on a finalement abouti, depuis 1995, jusqu'à la dissolution du FNP puis la reconstitution de Solidarité police. La liste que je vais vous remettre comprend les noms de gens qui bénéficiaient de dispenses syndicales tout simplement parce qu'on les avait laissé se présenter alors que l'on connaissait leurs activités.

    La personne à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure, M. Laurandeau, qui avait abandonné son véhicule aux abords de la fête des « Bleu Blanc Rouge » - ce que tout le monde savait puisqu'il y a un dossier à son sujet qui devait permettre de le traduire devant un conseil de discipline, ce qui n'a jamais été fait... - est toujours en fonction et poursuit probablement ses activités syndicales.

M. Bruno BESCHIZZA : Si vous me permettez de compléter le développement de M. Boyer, j'ajouterai, sur les agissements du DPS et le mélange des genres sur le terrain, que, malheureusement, le problème ne concerne pas uniquement le DPS. Il se pose avec tous les services de sécurité. Lorsque vous montez un service d'ordre, que ce soit autour d'un événement festif ou d'une manifestation plus officielle, il est difficile de déterminer ce qui est voie publique et ce qui ne l'est plus. Nous sommes également confrontés à ce problème avec les services de sécurité étrangers, notamment ceux des ambassades, dont on sait qu'ils sont sur la voie publique, armés. Il y a toujours une difficulté parce qu'en certains endroits, l'autorité de police ne peut pas être l'autorité décisionnaire et que, souvent, il faut que ce soit le préfet en personne qui décide quoi faire.

    Avec le DPS, c'est la même chose. Le commissaire sur place, confronté au service d'ordre, ne va pas prendre la décision, par lui-même, d'aller interpeller un membre d'un service de sécurité : il attendra un aval d'une autorité plus haut placée et cette façon de procéder peut être généralisée à tous les services de sécurité.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Tout à l'heure, vous laissiez entendre que la situation relevait essentiellement d'un « laisser-faire ». Mais, derrière ces noms qui reviennent de façon récurrente, n'y a-t-il pas d'autres personnes, dont on ne parle pas, et qui font partie du milieu des stupéfiants et des sectes ?

M. Gérard BOYER : Sincèrement, sur ce point, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Cependant, je suis d'accord avec vous pour dire que, pendant que nous nous focalisons sur le DPS et sur certaines personnes que nous connaissons comme appartenant au Front National, par leurs activités et par les sanctions disciplinaires qu'elles ont encourues, telles que M. Frédéric Jamet ou M. Jean-Paul Laurendeau, il s'est mis en place un véritable maillage qui existe encore puisqu'il s'est aujourd'hui reconstitué autour des « Amis de la police nationale » et qui comprend un réseau de délégués très important.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Si vous le voulez bien, je vais préciser ma question. D'après les personnes que nous avons auditionnées et interrogées sur les organisations de meetings des différents partis politiques, il semblerait que les moyens financiers du DPS soient importants. En effet, on peut penser que les membres du DPS, armés, dotés d'uniformes, entraînés et encadrés, bénéficient de sources de financement autres que celles des partis démocratiques ou que les quelques héritages ou donations de personnes généreuses à leur égard. Il faut remonter la filière : puisqu'ils disposent de tant de moyens, et que certaines personnes se trouvent impliquées dans des problèmes de stupéfiants, peut-être conviendrait-il de chercher des sources de financement ailleurs...

M. Gérard BOYER : On peut raisonnablement le penser. Ainsi, pour revenir à l'affaire Jamet, on sait que l'un de ses complices qui, si je me souviens bien, répond au nom de Patrick Guillermic est tombé pour des affaires de hold-up. Donc il est permis de supposer qu'il y a imbrication.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Vous n'avez aucun fait concret à nous rapporter ?

M. Gérard BOYER : Cette affaire-là est un cas concret puisque M. Patrick Guillermic est incarcéré à la prison de la Santé, me semble-t-il.

M. le Président : Il faisait partie de l'équipe qui a braqué le restaurant Pétrossian.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Et c'est bien pourquoi vous vous demandez pourquoi rien n'a été fait avant ?

M. Gérard BOYER : Oui ! En tant que syndicalistes et policiers républicains, nous avons eu du mal à comprendre comment on pouvait laisser se mettre en place, au sein de l'institution, un groupement comme le Front National de la Police, sans aucune réaction de la part de l'administration.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Et l'aviez-vous dénoncé de façon officielle ? Avez-vous, à un moment donné, attiré l'attention de votre hiérarchie sur ce fait ?

M. Gérard BOYER : Oui, en novembre 1995, me semble-t-il, à partir du moment où le FNP s'est vraiment constitué. On savait qu'existait un groupement autour de la FPIP (Fédération professionnelle indépendante de la police) mais c'est alors que nous nous sommes vraiment aperçus, pour ainsi dire du jour au lendemain, qu'il y avait une organisation réellement structurée qui existait et qui se découvrait brutalement à l'approche de ces élections professionnelles. A ce moment-là, à peu près tous les syndicats se sont montrés unanimes pour réagir vivement, ce qui n'a pas empêché qu'il y ait tout de même une liste aux élections professionnelles, dotée de moyens, puisque le fonctionnement des syndicats est, en partie, financé aujourd'hui par des deniers publics.

M. le Président : Cela a permis la constitution du maillage dont vous avez parlé. Vous avez également évoqué les Amis de la police. De quoi s'agit-il ?

M. Gérard BOYER : Pour reprendre très rapidement l'histoire, nous avons eu d'abord le FNP qui a été dissous, puis Solidarité police contre laquelle nous avions, au nom du syndicat Alliance, engagé des poursuites judiciaires et qui a totalement disparu. Finalement, on voit poindre aujourd'hui - j'ai eu les documents, il y a une quinzaine de jours mais ils remontent à la fin de l'année 1998 - les Amis de la police nationale.

M. le Président : Cela apparaît comment ?

M. Gérard BOYER : Qu'il s'agisse des Amis de la police nationale ou des amis du FNP, ils se manifestent par des tracts distribués dans les boîtes aux lettres et dont j'ai quelques exemplaires. Plus précisément, ces tracts sont distribués dans les boîtes aux lettres de particuliers de la région de Perpignan.

M. le Président : Vous avez parlé de maillage : il s'agit bien d'un maillage au sein de la police, auquel les Amis de la police nationale participent ?

M. Gérard BOYER : Absolument, monsieur le Président ! Il y a deux associations : les Amis de la police et les Amis du FNP. Les Amis du FNP sont constitués en association loi 1901 dont le siège social est à Brunoy où était également situé le siège du FNP, puis, par la suite, celui de Solidarité police. En outre, Brunoy était la ville où résidait M. Jean-Paul Laurendeau qui est un des responsables du Front National. Les Amis de la police nationale ont leur siège à Nanterre, 10 rue du Télégraphe.

M. le Président : Mais ces deux organismes se manifestent à l'intérieur même de la police ?

M. Gérard BOYER : Ils viennent seulement de démarrer. Leur activité nous a été signalée par nos adhérents du Languedoc-Roussillon et principalement de Perpignan : il semblerait qu'il y ait eu des envois - je parle au conditionnel car cela reste à démontrer - au domicile de certains fonctionnaires de police. Je n'en ai pas les preuves matérielles mais c'est une affaire à suivre de très près.

M. Jean-Pierre BLAZY : Ma question se situe dans le prolongement de tout cela. Entre ces réseaux qui fonctionnent, mais qui sont tout de même un peu volatiles, et la FPIP, qui est une organisation syndicale, existe-t-il des liens directs au niveau des responsables ? M. Philippe Bitauld ou d'autres responsables de la FPIP sont-ils dans ces réseaux ?

M. Gérard BOYER : D'après les informations que nous avons, mais qui encore une fois, ne correspondent à rien de palpable, on m'a toujours dit que le problème de la naissance du Front National de la Police résultait d'une divergence de vue entre M. Philippe Bitauld qui aurait été mégrétiste et les créateurs du Front National qui étaient plutôt de la tendance Le Pen. Ce sont les éléments concrets qui démontrent que les liens entre le Front National et la FPIP sont très étroits.

    Un incident assez grave s'est produit dans le XVIIIème arrondissement de Paris, où était le siège de la FPIP, il y a à peu près un an je crois. Un fonctionnaire de police, détaché permanent de ce syndicat, tout simplement parce qu'il lui déplaisait d'être servi par un jeune vietnamien dans un restaurant où il était allé dîner le soir, a tiré précisément sur l'image d'un jeune vietnamien assis sur un arbre dans la fresque qui ornait le mur. Ce fonctionnaire est passé en conseil de discipline et, je tiens à vous rassurer, il a été révoqué.

M. le Président : C'est tout de même préférable !

M. Gérard BOYER : Mais, pour revenir à votre question, les liens sont très étroits entre le Front National et la FPIP.

M. Jean-Pierre BLAZY : M. Philippe Bitauld appartient-il lui-même au Front National ? Je le connais puisqu'il a été élu dans ma commune, mais non pas en tant que représentant du Front National : il dirigeait une liste qui comportait un grand nombre de fonctionnaires de police. Il a été le seul élu de sa liste, puis il a déménagé. Mais, en tout cas, il ne revendiquait jamais une quelconque appartenance au Front National.

M. Gérard BOYER : Nous n'avons pas d'éléments concrets sur son appartenance au Front National ; en revanche nous en avons sur celle de son entourage.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Y a-t-il des régions ou des départements qui vous paraissent faire davantage parler d'eux ? On évoque souvent, à propos de l'action du Front National, la région parisienne mais peut-être avez-vous connaissance d'événements moins spectaculaires qui se dérouleraient dans d'autres départements ?

M. Gérard BOYER : Il y a effectivement des régions sensibles telles que la Picardie, le midi de la France, notamment les Bouches-du-Rhône.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Et le Midi-Pyrénées ?

M. Gérard BOYER : Pas particulièrement, sauf peut-être un peu le Languedoc-Roussillon et les Pyrénées-Orientales.

M. André VAUCHEZ : En tant que policiers, avez-vous des preuves manifestes que le DPS vous empêche d'exercer votre mission de sécurité sur le terrain et, si oui, est-ce que cet empêchement peut venir de l'entrisme pratiqué par le DPS dans les forces de police ?

    Enfin concernant l'argent, puisque, même si, paraît-il, ces gens sont souvent bénévoles, tout cela doit tout de même avoir un coût, n'avez-vous pas une idée de sa provenance ?

M. Bruno BESCHIZZA : Je répondrai à vos deux premières questions par la négative et tout particulièrement à la seconde. J'ai fait partie d'une unité de maintien de l'ordre où l'on peut connaître les hommes que l'on commande puisque, à un moment donné, ils sont toujours amenés à se livrer, même s'ils conservent toute liberté d'agir à leur guise en dehors tant que cela ne nuit pas au service. Or je peux dire que, dans le cadre d'un maintien de l'ordre ou d'un service d'ordre, je n'ai jamais eu une seule attitude d'opposition d'un gardien de la paix sous prétexte qu'il aurait des liens avec telle ou telle personne. C'est une constatation qui s'applique finalement à tous les partis.

M. André VAUCHEZ : Mais n'êtes-vous pas parfois gênés par la présence du DPS ?

M. Bruno BESCHIZZA : Vous nous avez demandé des éléments de preuve mais nous n'en avons pas.

    La seconde question est fondamentale. Effectivement puisque M. Boyer parlait d'entrisme, nous ne sommes pas plus à l'abri des sympathisants du Front National que ne l'est le reste de la société française, mais jamais je n'ai eu connaissance de problèmes d'officiers qui, dans leur commandement, auraient été confrontés à des refus d'obéissance de la part des gardiens. C'est fondamental : il y a quand même un esprit maison que l'on retrouve dans les résultats des élections professionnelles puisque, après avoir beaucoup parlé du FNP, on a vu que son score relativisait beaucoup la force que l'on voulait bien prêter à ses idées dans la police nationale...

M. André VAUCHEZ : Et sur l'argent ?

M. Bruno BESCHIZZA : Là-dessus, je ne sais rien !

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

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    Audition de Mme Christiane CHOMBEAU, journaliste au Monde.

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 9 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

Mme Christiane Chombeau est introduite.

    M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Christiane Chombeau prête serment.

Mme Christiane CHOMBEAU : Je suis le Front National depuis la fin de 1994, mais le DPS a fait l'objet d'enquêtes menées par le journaliste en charge de la police. Il est bon que plusieurs regards soient portés sur ce mouvement. Mon témoignage, j'en suis désolée, ne comporte que des éléments vécus, des situations singulières et quelques informations recueillies au cours d'enquêtes sur le Front National, que je vous livrerai tels quels.

    J'ai réuni quelques éléments significatifs de ce que représente le DPS et, en les classant, il m'apparaît que la mission du DPS répond assez bien à la définition donnée par Roland Gaucher qui était encore conseiller régional Front National il y a peu : une mission de protection et de renseignement, interne et externe sur des personnes qui n'appartiennent pas au Front National. J'ajouterai que certains agissements du DPS l'assimilent à une police ; ses membres n'hésitent pas à consulter les papiers d'identité de personnes appréhendées et remises ensuite à la police. Tels sont les éléments que j'essayerai d'illustrer. Ils s'accompagnent d'agissements sur lesquels je m'interroge sans avoir de réponse.

    La mission de protection - protection des personnes, des meetings - est la base de tout service d'ordre. Je peux dire cependant que les membres du DPS l'oublient parfois, notamment lorsque les journalistes sont agressés aux fêtes « Bleu Blanc Rouge » (BBR). Je ne parlerai que de ce que j'ai vécu.

    En 1997, lors de la fête BBR, quatre personnes télécommandées par un membre du comité central ont entouré un petit groupe de journalistes dont je faisais partie, manifestement animées de la volonté de provoquer une réaction violente de notre part. Nous nous en sommes immédiatement rendu compte et nous avons essayé de rester calmes. Nous avons dû subir mains aux fesses, crachats, insultes... Ils essayaient surtout de provoquer les garçons en s'en prenant à ma personne. Fort heureusement, ces derniers n'ont pas réagi, car si tel avait été le cas, ils auraient eu droit à un passage à tabac. Cela a duré un bon moment.

    J'en viens à la mission de renseignement interne du DPS. J'ai eu la surprise
    - tout récemment et alors que je ne l'avais pas demandé - de recevoir une fiche très précise d'un membre du DPS dont je tairai le nom, récapitulant toutes les condamnations d'un conseiller régional du Front National qu'il ne jugeait pas digne de représenter son parti. Je n'ai évidemment par les moyens de vérifier auprès des tribunaux si les condamnations étaient avérées. A priori, les informations semblent exactes. Ce n'est pas vraiment étonnant, il existe au sein du DPS des personnes de la gendarmerie ou de la police, retraitées ou non. Nous l'avons constaté au détour d'un fait divers : M. Frédéric Jamet, représentant le Front National de la Police et pris lors d'un « casse », a travaillé pour les renseignements généraux.

    Des liens évidents existent avec les services qui peuvent éventuellement procurer des renseignements.

    Le DPS collecte des renseignements sur les mouvements antiracistes comme sur les journalistes. Ils sont photographiés, filmés - je l'ai vu - lors des manifestations, des distributions de tracts sur les marchés. Leurs albums doivent finir par être remplis ! J'en déduis, sans en avoir la preuve, qu'il existe plusieurs petites structures autonomes.

    Je m'interroge sur certains faits qui me sont arrivés personnellement. Je ne sais si les auteurs de ces faits appartiennent au DPS, mais ils appartiennent au Front National. Ce qui m'est arrivé me semble une pratique assez bizarre de la part d'un parti politique.

    La première fois, il s'agissait bien d'un DPS. J'ai été suivie à l'issue de la conférence de presse du 14 janvier 1998 du Front National Paris et Ile-de-France, qui avait pour objet de présenter les candidats aux élections des conseils régionaux et s'était déroulée sur la péniche, pont de l'Alma. Je m'aperçois qu'un DPS me suit. Je vérifie : je m'arrête, la personne s'arrête ; je redémarre, elle redémarre, jusqu'au moment où je suis entrée dans un restaurant. Lorsque je suis ressortie, la personne, découragée sans doute, n'était plus là. C'est là une de leurs activités ; elle est réelle.

    Si l'on prend chaque fait individuellement, on peut penser que l'on se fait du cinéma mais le rapprochement de plusieurs incidents m'a perturbée.

    D'autres faits plus graves se sont produits dans un laps de temps d'une quinzaine de jours.

    Je remarque que mon courrier adressé à mon domicile est intercepté. Lorsque l'on suit le Front National, par mesure de sécurité, on évite de donner son numéro de téléphone privé et son adresse, d'autant que j'ai des enfants, un compagnon. Nous n'avons pas envie qu'ils soient embêtés par des coups de téléphone anonymes.

    Pour situer le contexte, j'ai eu à poursuivre M. Madiran, directeur de la rédaction du journal Présent, et le journal, pour diffamations et injures. Lors de ces procès, j'ai obtenu de ne pas donner mon adresse et j'avais donc donné celle du journal. M. Madiran n'avait pas mon adresse à ce moment-là. De toute façon, s'il y avait eu poursuites et si j'avais eu à payer quoi que ce soit, mon employeur jouait le rôle de garantie.

    Première constatation : le courrier arrive avec retard. Cela peut se produire. Un jour, mon compagnon qui travaille plus tardivement que d'habitude à la maison, entend le bruit du portail en fer - j'habite un petit pavillon - et donc celui de la boîte aux lettres, se dit que le courrier est arrivé, sort et le prend. Une demi-heure après, il entend le facteur dans la rue qui dépose du courrier. Il lui dit : « Mais vous êtes passé il y a une demi-heure ! » Le facteur lui répond que tel n'était pas le cas.

    Il ne s'agissait pas d'une simple lettre perdue ; il y en avait plusieurs.

    Peut-être était-ce une coïncidence. Toujours est-il que quelques jours après, je reçois à mon adresse un colis non timbré, de M. Madiran. Etonnement. C'est un système habituel : lorsque vous souhaitez vérifier qu'une personne habite un lieu donné, vous ne timbrez pas le courrier. Si la personne n'est pas concernée, elle le renvoie ; sinon, elle l'accepte, paye le tarif postal, et vous êtes assuré de son domicile.

    La factrice n'acceptant pas d'apposer « n'habite pas à l'adresse », le courrier repart - pas question de payer - et revient deux jours après, bien timbré cette fois-ci, avec un mot de M. Madiran me faisant comprendre qu'il connaît mon adresse. Hasard ou non, nul ne le sait, le même jour, je reçois une lettre de M. Emmanuel Ratier, journaliste, spécialiste du fichage des journalistes, des francs-maçons, des juifs et de l'étalage de tous ses fantasmes dans ses articles ! Cette lettre de M. Ratier - auquel je n'avais jamais adressé la parole, je ne l'ai vu que très récemment - était destinée à me faire comprendre par insinuations qu'il savait où j'habite. Il me priait de ne plus parler de lui dans mes articles en disant que, lui aussi, pourrait dire des choses sur mon passé, sur ma vie privée ! J'ai été rassurée, parce que mon passé militant qu'il croyait connaître était assez rocambolesque, ce qui m'a tranquillisée sur la fiabilité de ses fiches.

    Il n'empêche que je continuerai d'écrire sur M. Ratier lorsqu'il le faudra.

    Toujours à la même époque, j'assiste à une conférence de presse. Mme Lehideux, vice-présidente du Front National, se précipite vers moi pour me demander si un M. Chombeau à Chatou, qui a été conseiller général et adjoint à la mairie de Chatou, fait partie de ma famille. Pour la petite histoire, elle habite cette commune et s'est présentée sur une liste adverse. Je lui ai répondu : « Cherchez ! Au moins, pendant ce temps-là, vous ne ferez pas autre chose ! » Résultat : deux jours après, mon père, qui est aujourd'hui une personne âgée, me signale que lui et ma mère ont reçu deux coups de téléphone bizarres et ajoute : « La première fois, la personne a demandé de tes nouvelles. Nous pensions donc que c'est quelqu'un qui te connaît bien. A un moment donné, j'ai demandé : Mais qui êtes vous ? La personne a raccroché. » Idem pour le second coup de fil.

    Dès que j'ai su cela, je me suis adressée directement au service de presse du Front National et à Mme Lehideux en lui disant que je n'appréciais pas du tout que mes parents reçoivent des coups de fil anonymes, et que je demanderais que leur ligne soit surveillée. Cela a suffi. Mes parents n'ont plus jamais été importunés. Peut-être s'agit-il de hasards, mais ils sont bizarres. Comme je le souligne, je ne suis pas certaine que le DPS était le coordinateur, mais je suis certaine que c'était le Front National.

    En ce qui concerne les autres activités du DPS, il me semble qu'elles dépassent celles d'un service d'ordre. Plusieurs anecdotes le montrent.

    M. Michel Collinot était conseiller régional, membre du bureau politique, membre historique du Front National. En novembre 1996, il a eu des faiblesses, des crises paranoïaques. Pensant être poursuivi, il téléphonait à plusieurs journalistes à la fois ainsi qu'à moi plusieurs fois par jour pour me raconter ce qui lui arrivait. Certes, il y avait son délire, mais également des faits que j'ai pu vérifier par la suite. Il annonçait avoir des révélations à faire à la presse et en avait prévenu M. Bruno Gollnisch. Celui-ci a alerté M. Bernard Courcelle, chef du DPS, pour qu'il rende visite à M. Michel Collinot. M. Bernard Courcelle a outrepassé sa mission de responsable d'un service d'ordre en faisant pression sur la femme de M. Michel Collinot pour l'interner. Celle-ci est intervenue deux jours plus tard pour faire sortir son mari, car elle n'était, en fait, pas du tout consentante.

    Autre incident, à l'Arc de Triomphe. Le 21 octobre 1996, après un meeting de M. Bruno Gollnisch, salle Wagram à Paris, celui-ci veut déposer une gerbe. Un responsable des forces de l'ordre présent s'y oppose. M. Bruno Gollnisch donne l'ordre qu'on libère le chemin et deux membres du DPS saisissent ce responsable des forces de l'ordre, le soulèvent - quelqu'un prend sa casquette - et l'évacuent manu militari devant nous, en présence de la presse. Ce n'est pas la mission d'un service d'ordre normal.

    Le 11 octobre 1997, se déroulait la manifestation des familles au sujet de l'allocation « garde d'enfants », à laquelle participaient plusieurs membres du bureau politique du Front National. En général, sont présents les gardes du corps de M. Bruno Mégret, de M. Bruno Gollnisch, mais aussi parfois, à proximité du cortège, des personnes du DPS sans leur uniforme. Ces personnes m'entourent, me menacent verbalement : « On t'aura, fous le camp d'ici, fais gaffe à toi ! » C'est là leur activité lorsque les membres du DPS ne sont plus en mission officielle.

    Les membres du DPS n'hésitent pas à prendre les pièces d'identité des personnes qu'ils interceptent. Je puis certifier le fait survenu à Carpentras, où les membres du DPS ont intercepté un jeune contre-manifestant. J'ai vu une personne saisir les pièces d'identité, partir avec, revenir. En général, ils règlent leurs comptes, remettent ensuite les personnes à la police. Dans le cas précis, c'est une autre personne du DPS qui a rendu les pièces d'identité à la police, non à la personne interceptée.

    J'ai noté ce type d'ambiguïté entre les forces de l'ordre et le DPS à plusieurs reprises. Je me souviens d'un fait précis survenu lors du premier tour des élections municipales partielles, le 17 novembre 1996 à Dreux dont la presse a rendu compte.

    Il est vrai que parfois, les membres du DPS négocient auparavant les positions de chacun, ce qui est relativement normal. Mais ce jour-là, j'ai été heurtée par certaines confusions à l'instar des journalistes ou des responsables politiques qui ont alerté les autorités. Du reste, au second tour, cela s'est passé différemment. Une manifestation pacifique anti-Front National avait lieu devant la mairie. Les forces de l'ordre se sont positionnées entre l'entrée et les manifestants afin d'éviter les heurts. Mais, fait choquant, juste derrière ce cordon des forces de l'ordre, se tenaient les membres du service d'ordre du Front National, casqués, prêts à intervenir. Ils étaient véritablement mêlés. Il serait possible de retrouver les articles sur le sujet. Je crois que les représentants politiques sont intervenus.

    Ces faits conduisent à s'interroger.

    Le DPS dépend directement, comme vous avez pu le constater, du Président du Front National, quel qu'il soit. Aujourd'hui, bien que le Front National soit coupé en deux, les pratiques demeurent. Il ne s'agit pas d'un service d'ordre au service d'une organisation, mais véritablement au service d'un homme. Lorsque le DPS a voulu assurer la protection de tous ses membres, le Président a rappelé qu'ils étaient là pour obéir et pour assurer la protection des personnes que lui-même désignerait.

    S'agissant de l'organisation, il conviendrait d'interroger mon collègue Pascal Ceaux qui a véritablement essayé de la comprendre. Cependant, suite à la crise et à l'éclatement du Front National, une petite ouverture s'est dessinée, chacun souhaitant parler et s'exprimer. J'ai pu alors me rendre compte de la sophistication de l'organisation en même temps que de ses faiblesses. C'est à la fois une organisation régionale et départementale, au maillage plus ou moins fin. Est-ce en fonction des forces locales, ou des initiatives prises par certaines personnes ? Je ne puis vous dire. Je pencherai plutôt pour le facteur personnel, car j'ai constaté que certaines grosses régions pouvaient être regroupées.

    Qui sont les hommes ?

    Beaucoup sont des anciens de l'armée, des officiers de réserve. Certains n'hésitent pas à être mercenaires à leurs heures. On les retrouve derrière M. Bob Denard, en Angola.

    Un nouveau chef du DPS de M. Jean-Marie Le Pen vient d'être nommé. Ce n'est plus M. Marc Bellier. Ladite personne est officier de réserve et se trouvait récemment en Angola.

    Ce peuvent être aussi des hôteliers. J'ai eu l'occasion de suivre M. Jean-Marie Le Pen à l'occasion de l'un de ses déplacements en Isère. En général, j'évite de rester le soir dans le même hôtel, mais, en l'occurrence, il fallait que je le suive dès le lendemain matin et j'y suis restée. Pour recevoir toute la délégation, l'hôtel avait été fermé. Le patron hôtelier, à mon grand étonnement, assurait la protection du meeting dans les rangs du DPS, le soir même et le lendemain.

    Mais on trouve aussi bien des agents de la RATP ou de toute autre profession.

    Sont-ils permanents ou bénévoles ? Il y a un noyau de permanents de tous âges dans les sièges importants ; il y a aussi des permanents assurant d'autres fonctions, mais qui sont aussi au DPS.

    Des gens de tous âges participent au DPS. Au congrès de Strasbourg en 1997, qui se tenait au Palais des congrès, des personnes âgées assuraient le bon fonctionnement. Ce congrès s'étalait sur le samedi, le dimanche et le lundi. Nous sommes revenus au Palais des congrès où se poursuivaient quelques activités le samedi soir, qui avait été un peu chaud. Nous avons vu un groupe de jeunes hommes un petit peu en retrait, prêts à intervenir, avec casques, boucliers, tenues sombres. Il ne s'agissait pas des petits vieux présents au cours de la journée !

    Il y a aussi des femmes que j'ai vues pour la première fois à l'université d'été de Toulouse en 1995. J'ai personnellement eu droit à une fouille des sacs ; elles ont ouvert mon carnet d'adresses. Je me demande ce que l'on peut cacher dans un carnet d'adresses !

    Au cours d'un déplacement dans le Vaucluse en 1995 de M. Jean-Marie Le Pen, les journalistes devaient prendre des voitures réservées pour eux, conduites par des membres du DPS. J'avais demandé à m'asseoir à l'avant. Le chauffeur a accepté et j'ai alors pu voir à mes pieds des matraques, un matériel utilisable en cas de coups durs. Lorsqu'il s'est rendu compte que je le voyais, on m'a mise ailleurs.

    Pour en venir à l'appel aux sociétés extérieures, il arrive de voir des personnes qui travaillent pour différentes sociétés, notamment celle du frère de M. Bernard Courcelle, le Groupe Onze, tout comme l'on voit apparaître des gens du GUD lors de certaines manifestations.

M. le Président : Je vous remercie de ces renseignements utiles.

    Vous avez écrit dans un article que l'équipe de sécurité de M. Bruno Mégret puisait notamment parmi les membres du GUD. On a parlé d'un ancien gudard chargé d'organiser le service d'ordre de M. Bruno Mégret lors du conseil national du 5 décembre.

Mme Christiane CHOMBEAU : Je pense que mon collègue Pascal Ceaux sera plus à même de vous livrer des informations précises à ce sujet, mais je suis à votre disposition pour procéder à des recherches.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Tout au long de votre intervention, vous avez qualifié d'anecdotes ce qui vous était arrivé. Je pense qu'il s'agit plutôt de faits graves et propres à jeter le trouble.

    Les événements constatés vous laissent penser que les porosités entre la police et certains membres du DPS, voire du Front National, sont importantes. Vous avez cité le cas de Carpentras et de Dreux. Disposez-vous de photos ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Le seul témoignage dont on dispose est constitué par ce que les journalistes ont écrit. Travaillant au Monde, nous ne prenons pas de photos.

    Il n'est pas impossible que la manifestation à Carpentras ait fait l'objet d'un film. Je l'ignore. Compte tenu du nombre de journalistes et de photographes présents à Dreux, il serait stupéfiant que des photos n'aient pas été prises. Le fait qu'elles n'aient pas été publiées dans la presse nationale ne signifie pas qu'il en a été de même dans la presse locale. Dans la mesure où ce sont là des moments de tension, les photographes viennent pour surprendre des scènes de violence.

Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Après avoir entendu votre témoignage, on a l'impression qu'il y a une interpénétration entre le Front National et le DPS. On pourrait presque appeler « DPS » toute l'organisation du Front National.

Mme Christiane CHOMBEAU : Votre question est très intéressante. Je l'ai posée moi-même à M. Bernard Courcelle.

    Je l'interrogeais sur son mode de recrutement à l'occasion d'un événement, les meetings principalement. Nous étions au moment de la crise et j'essayais de savoir s'il avait des difficultés à recruter. Il m'a expliqué ne pas en avoir. Il dispose d'une liste de personnes, à qui il demande l'une après l'autre si elles sont libres. Il ne demande pas pourquoi s'il se voit opposer un refus. Il continue à téléphoner - il s'agit en fait du responsable départemental ou régional - jusqu'à obtenir le nombre de personnes requis pour assurer la sécurité de l'événement. Il a même la possibilité de rechercher dans d'autres départements que celui où se tient le meeting.

    On peut en conclure qu'il dispose d'un grand réseau de militants actifs mobilisables quasiment 24 heures sur 24. Il nous l'avait laissé entendre lors du congrès de Strasbourg, expliquant que si des renforts s'avéraient nécessaires, il rappellerait des militants. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un groupe, mais je pense qu'il existe différentes strates, ce que suggèrent les anecdotes que je vous ai livrées au sujet des renseignements. Certains savent, d'autres ne savent pas puisqu'ils éprouvent le besoin de procéder à leurs propres enquêtes.

    J'ai également essayé de savoir à quel camp se ralliaient les responsables du DPS et je me suis rendu compte qu'ils n'étaient pas forcément connus de certains élus du Front National.

    J'en ai conclu que les responsables forment un noyau informé, l'ensemble formant une pyramide.

M. Jacky DARNE : Les intimidations dont vous avez été victime nous édifient sur la difficulté d'exercer librement votre métier.

    Vous avez parlé d'une fiche.

Mme Christiane CHOMBEAU : Oui, la dernière en date concernait un conseiller régional du Front National.

M. Jacky DARNE : Concernant ces systèmes de fichiers, connaissez-vous d'autres éléments permettant d'affirmer que le DPS ou le Front National disposent d'un ensemble de fiches sur des personnes, notamment sur les journalistes ?

Mme Christiane CHOMBEAU : En lisant leur presse, on se rend compte qu'ils disposent de renseignements qui sont loin d'être anodins, par exemple sur des militants de Ras l'Front. Ils n'hésitent d'ailleurs pas à publier leurs numéros de téléphone, leurs adresses privées. Heureusement, ces informations s'accompagnent de grosses inexactitudes, mais cela montre que des enquêtes ont été menées. Il en va de même des journalistes et d'hommes politiques connus pour leur hostilité au Front National.

    Lorsqu'ils n'apprécient pas une personne, ils n'hésitent pas à vous transmettre des renseignements.

M. Jacky DARNE : Après les interventions auprès de vos parents ou après les détournements de votre courrier, avez-vous fait des déclarations à la police, avez-vous envisagé de porter plainte, avez-vous communiqué avec la direction de votre journal ? Cela l'a-t-il conduit à décider des enquêtes complémentaires sur ces faits ? Ou bien vous êtes-vous contentée d'informer votre entourage ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Chaque fois qu'il y a eu violence, j'ai essayé d'en parler.

    S'agissant de ce qui m'est arrivé ou des lettres de menaces anonymes que j'ai reçues, je ne suis plus seule en cause, j'ai une famille et je fais partie d'un organe de presse. Je dois en avertir mes responsables et la direction de ma rédaction. Ils sont, en effet, au courant et me font confiance dans la démarche que je souhaite adopter. Toutes les pièces sont, bien sûr, conservées ailleurs que chez moi.

    Je me suis parfois demandé s'il fallait porter plainte. J'ai préféré attendre une preuve plus tangible, pour avertir la police par exemple.

    Bien que je n'aie pas déposé plainte, des personnes sont au courant de ce qui se passe.

M. Jacky DARNE : Il n'y a donc pas eu enquête officielle ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Non. J'aurais fait appel à la police si les coups de téléphone anonymes à mes parents s'étaient poursuivis. Mon intervention a suffi.

M. Jacky DARNE : Vous avez parlé à Mme Lehideux elle-même ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Oui.

M. Jacky DARNE : Que vous a-t-elle répondu ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Rien du tout, mais cela s'est arrêté. De même, j'ai fait savoir au responsable du service de presse et à un responsable du Front National le courrier que j'ai reçu.

M. le Président : Vous avez parlé d'une lettre de menaces. En avez-vous reçu d'autres ?

Mme Christiane CHOMBEAU : La lettre adressée à mon domicile se présentait en termes voilés. Les autres sont des lettres de menaces anonymes. La dernière m'est parvenue la semaine dernière.

M. le Président : Avez-vous le sentiment qu'elles viennent du Front National ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Le seul parti politique que je suive est le Front National. Je ne fais rien d'autre. Certes, je n'en ai pas la preuve. Mais il s'agissait d'une reproduction de pogrom des juifs en Pologne me souhaitant la bonne année. Il s'agissait de scènes de tuerie alors que l'on me souhaitait la bonne année ! Je ne pense pas que ce soit un lecteur lambda du Monde. A moins que ce soit un simple sympathisant du Front National.

M. le Président : Où recevez-vous ces lettres ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Au Monde. Si je les recevais chez moi, je n'hésiterais pas.

M. Robert GAÏA : Je vous remercie, madame, de nous avoir livré des faits dont nous avons besoin.

    Avez-vous noté des défaillances de l'appareil d'Etat, de la part de la police ou des préfets?

Mme Christiane CHOMBEAU : J'ai été frappée par la complicité, la bienveillance à l'égard du DPS.

    Une enquête devait avoir lieu sur ce qui est arrivé à la personne qui gardait l'Arc de Triomphe.

M. Robert GAÏA : A la salle Wagram, avez-vous vu des policiers ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Il n'y en avait aucun ; depuis, il y en a.

    Depuis que, les renseignements généraux ne peuvent plus suivre les partis politiques, personne ne suit réellement le Front National. Je l'ai vérifié.

M. Robert GAÏA : Un membre des renseignements généraux était présent salle Wagram. Il a téléphoné.

Mme Christiane CHOMBEAU : Je suis très étonnée. Il est vrai que la salle est grande, mais il y a des personnes que nous finissons par connaître, parce que ce sont toujours elles que l'on rencontre. Un laps de temps suffisant s'est pourtant écoulé pour permettre une intervention.

M. Robert GAÏA : Avez-vous vu des fourgons de police ? A combien évaluez-vous le temps entre le moment où M. Bruno Gollnisch décide de déposer une gerbe à l'Arc de Triomphe et le moment où survient l'incident avec le policier ?

Mme Christiane CHOMBEAU : A environ une demi-heure, le temps que les gens se rassemblent, sortent. Il y avait des jeunes, des vieux. Il a fallu que ces personnes se déplacent jusqu'à la place de l'Arc de Triomphe. Ils ne sont pas tout de suite venus sur la flamme, puis l'ont entourée.

M. Robert GAÏA : La police intervient une heure après.

Mme Christiane CHOMBEAU : L'essentiel était fait. Je suis stupéfaite de ce vous me dites.

    Il me semble par ailleurs que l'on ne peut malmener ainsi un représentant des forces de l'ordre. Une enquête a dû être ouverte - à ce moment-là, il y avait de nombreux témoins -, et des sanctions auraient dû être prises.

M. Robert GAÏA : A Dreux, vous avez expliqué qu'un cordon de police séparait les manifestants de l'entrée de la mairie.

Mme Christiane CHOMBEAU : Une seule rangée.

M. Robert GAÏA : Et entre la police et l'entrée de la mairie ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Il y avait plusieurs rangées de DPS.

M. Robert GAÏA : A deux ou trois mètres les uns des autres ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Non, à un mètre. Le DPS était juste derrière. Ils portaient des blousons.

M. Robert GAÏA : Comme à Montceau-les-Mines ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Je n'y étais pas. En revanche, il ne s'agissait pas des mêmes habits qu'à Strasbourg où ils portaient tous une tenue identique, peut-être pas de combat, mais confortable. A Dreux, je n'ai pas ce souvenir. Sans doute étaient-ils en blouson. Ils étaient gantés, portaient des casques.

M. Robert GAÏA : Il s'agissait plus de tenues de casseurs que d'uniformes ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Oui, ils étaient prêts à intervenir. Ce n'était pas la confusion visuelle, mais la confusion de fait.

M. Robert GAÏA : A Toulon, vous avez subi des fouilles à corps. Cela s'est-il passé à l'intérieur ou à l'extérieur du Palais des congrès ? La police était-elle présente ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Je n'ai pas fait attention.

    A l'extérieur, le service d'ordre demandait les cartes et, l'entrée du Palais franchie - c'était en 1995 - nous avons été fouillés à corps. Ce fut ensuite le tour des sacs, les carnets d'adresses ont été ouverts pour voir ce qu'il y avait à l'intérieur. Nous avons protesté, arguant que l'on pouvait difficilement cacher entre deux feuillets quelque chose de dangereux pour les représentants du Front National, hormis nos plumes ! Ensuite, des ordres ont dû être donnés - en tout cas, en ce qui concerne les femmes - de ne pas pousser la fouille aussi loin. Cela ne s'est pas renouvelé de cette façon-là.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Merci, madame, pour votre témoignage.

    Quelle motivation vous a poussée à suivre le Front National ? Est-elle née de votre volonté personnelle ou votre journal vous a-t-il imposé ce travail ?

    Vous avez parlé de différents niveaux de connaissances ; certains seraient informés et d'autres non. Pouvez-vous le confirmer ?

    Nous essayons de connaître les relais réels, physiques, matérialisés, dans les régions, les départements. Vous avez évoqué l'hôtelier qui était en même temps membre du DPS. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Christiane CHOMBEAU : L'hôtelier avait fermé son hôtel pour le week-end. J'ai cité cet exemple parce que je l'ai vécu. Lors de mes divers déplacements, j'ai pu constater que d'autres personnes dans l'hôtellerie jouaient le rôle de relais. Cela dit, toutes les catégories professionnelles sont représentées au sein du DPS.

    Je pense, en effet, qu'il existe un cloisonnement des informations. On s'en rend compte lorsque l'on pose des questions ou lorsque des DPS d'un autre niveau recherchent des informations dont le DPS national dispose déjà. Il est probable que ce dernier sait à peu près tout sur moi alors que d'autres personnes en sont encore à me photographier.

    S'agissant de mon parcours professionnel, je suis entrée au Monde en juin 1974 ; j'ai travaillé dans nombre de services, occupé plusieurs postes. Il se trouve que j'ai eu l'opportunité de travailler au service politique et que la personne qui suivait alors le Front National ne souhaitait plus poursuivre ce travail. J'ai donc postulé comme d'autres personnes. J'ai été retenue.

    Pourquoi ? Est-ce parce qu'il y a des choses que je n'aime pas, mais que je souhaite comprendre ? C'est ainsi que j'ai été correspondante du Monde pendant quatre ans en Afrique du sud, au moment le plus difficile de l'apartheid, de 1976 à 1980. J'ai vécu le racisme quotidien et institutionnalisé. Inconsciemment, j'ai voulu voir si ce que l'on me disait de ce parti présentait des similitudes avec ce que j'avais vécu dans un autre pays. C'était inconscient. Je m'en suis rendu compte après.

M. le Président : Les menaces dont vous faites l'objet ont manifestement pour but de faire pression sur vous, sur ce que vous écrivez dans vos articles. Vous l'a-t-on laissé entendre ?

Mme Christiane CHOMBEAU : C'est de l'intimidation, mais personne ne se vante de ce type de procédé qui a pour but de tester la résistance, d'où l'importance des moyens de réplique. La première intimidation provenait de la branche catholique traditionaliste représentée par Présent et Madiran, dont j'avais l'honneur, surtout à une époque, de faire régulièrement la une, en des termes tels qu'ils ont conduit à deux procès. L'un est aujourd'hui en Cour de cassation, l'autre en appel contre le journal.

    C'est donc un processus d'intimidation. La pression est exercée surtout lors de grands meetings, comme les BBR, où la foule donne prétexte à des actions débridées. Les journalistes sont la cible de toutes sortes d'attaques. A force d'insultes, d'attaques, une journaliste de télévision a « craqué ».

    Selon moi, ils ont intérêt à un grand roulement de journalistes. Moins nous sommes spécialisés, mieux c'est. Peut-être prête-t-on mieux le flanc à une certaine forme de propagande. C'est un procédé d'intimidation pour nous faire évacuer le plus rapidement possible. Encore tout récemment, M. Jean-Marie Le Pen s'est adressé à moi et à l'un de mes confrères : « Encore vous ! On en a marre de vous voir. Comment se fait-il que le Front National soit le seul parti à toujours être suivi par les mêmes ! » C'est faux, mais l'irritation est grande de toujours voir les mêmes personnes poser les questions.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Avez-vous assisté à la violente altercation subie par Mme Annette Peulvast-Bergeal ?

Mme Christiane CHOMBEAU : Non, je n'étais pas présente. Très peu de journalistes avaient été informés du déplacement de M. Jean-Marie Le Pen.

M. le Président : Madame, nous vous remercions.

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    Audition de MM. Stéphane RAVION et Pascal HENRY,

    journalistes à l'Agence CAPA

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 9 mars 1999)

Présidence de M. Guy HERMIER, Président

MM. Stéphane Ravion et Pascal Henry sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Stéphane Ravion et Pascal Henry prêtent serment.

M. Stéphane RAVION : Je vous propose de commencer par visionner une cassette audiovisuelle du reportage sur l'« affaire tchétchène » et le rôle joué par M. Bernard Courcelle, réalisé pour Le Vrai Journal de Canal Plus et diffusé le 14 décembre 1997.

    (Une cassette audiovisuelle est visionnée.)

M. Stéphane RAVION : Je me suis lancé dans cette enquête sur M. Bernard Courcelle, car on m'avait parlé de son voyage en Tchétchénie et je savais qu'il était déjà chef du DPS. Au fur et à mesure de mes recherches, j'ai rencontré des personnes et j'ai reçu des lettres anonymes qui ont conforté mon travail. Je vous transmets ainsi une lettre anonyme provenant vraisemblablement du Front National, d'un membre ou ancien membre du DPS qui souhaitait se débarrasser de M. Bernard Courcelle. J'en ai vérifié le contenu : certains éléments sont vrais, d'autres faux. Les informations relatives au Groupe Onze, dirigé par M. Nicolas Courcelle - le frère de Bernard -, et sis 9, rue Lantiez, dans le XVIIème arrondissement, sont exactes ; l'histoire de Mobutu et des mercenaires envoyés par le Groupe Onze également.

    Je me suis donc intéressé à M. Bernard Courcelle parce qu'il était chef du DPS. Ceux qui connaissent l'émission Le Vrai Journal sont au fait de la ligne éditoriale de la rédaction. Cela fait deux ans que nous nous battons contre le Front National et il était intéressant de se pencher sur les activités annexes d'un Bernard Courcelle.

    Nous avons été très rapidement dépassés par l'enquête. Nous nous sommes rendus compte que M. Bernard Courcelle était lié à des personnes qu'il connaissait depuis très longtemps - depuis le conflit en ex-Yougoslavie où il avait livré des armes. Ses contacts étaient nombreux à Zagreb et dans toute la région. Cela nous a été confirmé par les Tchétchènes que nous avons rencontrés et par Mme Marie Bennigsen qui a été en contact avec lui. Il les connaissait aussi depuis Mobutu, à l'époque où ce dernier commençait à fuir. On parle de Fernand Wibaux, mais il s'agit de rumeurs démenties par la suite par le Quai d'Orsay. Des mercenaires serbes ont bien été envoyés au Zaïre et engagés par le Groupe Onze France, dirigé par M. Nicolas Courcelle.

    Que trouve-t-on au 9, rue Lantiez ? BCL, pour Bègue Consultants Limited. M. Christian Bègue est, comme par hasard, un des lieutenants de Bob Denard. Ils se sont rencontrés aux Comores. Comme M. François-Xavier Sidos au Front National, M. Christian Bègue travaille main dans la main avec M. Nicolas Courcelle pour l'envoi de mercenaires dans certaines régions du monde. Ces deux personnes figurent bien sur une liste des personnes ayant participé au coup d'Etat des Comores.

    MM. Christian Bègue et Nicolas Courcelle sont en Tchétchénie en 1993. On pense au début que c'est pour du pétrole, ensuite pour enseigner à la guérilla tchétchène l'art de combattre - alors que les Tchétchènes n'ont rien à apprendre en ce domaine ! En fait, ils se sont rendus en Tchétchénie pour obtenir un contrat de sécurité sur le pipe-line qui traverse la ville de Grozny. A l'époque, le pipe-line était un enjeu considérable. Le Groupe Onze obtient le contrat pour quelques mois. Parmi les personnes en partance, on trouve MM. Bernard Courcelle,  Nicolas Courcelle, Christian Bègue et quelques autres personnes. Ces faits sont confirmés.

    A la même époque, M. Bernard Courcelle, qui n'est pas encore au DPS, accueille M. Djokhar Doudaïev, président de la République Tchétchène, au salon du Bourget. M. Bernard Courcelle s'occupe de tout : la sécurité, le logement, ... On peut estimer que cela fait partie d'un contrat de sécurité habituel. En revanche, ce qui l'est moins, c'est la lettre de M. Djokhar Doudaïev, en date du 28 mai 1993, adressée à M. Nicolas Sarkozy, ministre du budget, porte-parole du Gouvernement de la République française. Je vous en livre le contenu :

    « Monsieur le Ministre,

    « J'ai eu le plaisir de recevoir ici, en République de Tchétchénie, une mission économique et technique franco-américaine organisée par M. Michel Fradin - personnage intéressant comme nous le verrons plus avant - et destinée à dynamiser notre économie pétrolière, les Français s'occupant plus particulièrement de nous construire gazoducs et oléoducs. [...]

    « La mission française comportait deux officiers français (CR), Messieurs Bernard Courcelle et Thierry Rouffaud, dont nous sommes enchantés et que je souhaite revoir ici le plus tôt possible et que je verrai à nouveau à Paris lors d'une brève visite au Salon du Bourget [...]

    « Signé : Général J. Dudaev »

    On pressent que M. Bernard Courcelle a des soutiens. Il fait écrire une lettre à M. Djokhar Doudaïev pour remercier M. Nicolas Sarkozy de l'envoi de militaires français, alors qu'il n'est plus dans l'armée depuis déjà un certain temps. M. Michel Fradin, qui a permis à M. Bernard Courcelle de faire ce voyage en Tchétchénie, a commencé sa vie au SDECE. Il a ensuite été le bras droit de M. Jacques Soustelle au Paraguay et au Venezuela. Il a créé le haut comité pour la défense civile, qui recrutait parmi ses membres des hauts fonctionnaires et des personnalités haut placées de l'armée, mais aussi ce que l'on appelle des réseaux, des personnes proches de Moon, des trafiquants d'armes, ... M. Michel Fradin a été recherché en Suisse et dans d'autres pays pour une escroquerie portant sur 320 millions de dollars au Turkménistan.

    Ce premier voyage ne donne rien. Ils n'obtiennent pas le contrat de sécurité et reviennent bredouilles. M. Bernard Courcelle a réussi à se faire payer de l'ordre de 20 000 dollars en 1993 pour assurer la sécurité.

    En juin 1994, M. Bernard Courcelle devient chef du DPS. En 1995, il est élu conseiller municipal Front National à Stains, de même que son ami M. Hubert Signard qui est n° 2 sur la liste municipale - et non M. Hubert Signard de Palissaux comme on l'a entendu dans le reportage, car il s'agit seulement d'un pseudonyme, il se faisait appeler de la sorte, ça fait noble ! Ces deux personnes vont essayer de renouer avec leur pays de prédilection, la Tchétchénie. Cela se fait par l'intermédiaire de M. de Villemarais, qui officie sur Radio Courtoisie. Il est lui-même ancien agent du SDECE en poste en Russie jusque dans les années 1960-1970 et conserve encore beaucoup de réseaux. Il invite M. Bernard Courcelle à venir parler de la Tchétchénie à l'une de ses émissions. M. Bernard Courcelle y rencontre Mme Marie Bennigsen et lui demande de l'accompagner pour son prochain voyage un mois plus tard. M. Bernard Courcelle repart en Tchétchénie au cours de l'hiver 1995-1996. Pour l'anecdote, à l'époque, M. Jean-Marie Le Pen est à Saint-Pétersbourg pour assister au mariage de Jirinovsky, le vitrificateur de la cause tchétchène : d'un côté, Le Pen cire les pompes de Jirinovsky, de l'autre, son fidèle bras droit est avec le pauvre Doudaïev !

    En Tchétchénie, M. Bernard Courcelle rencontre des militaires et leur explique qu'il a toutes facilités pour leur procurer des armes. Il ajoute qu'il a déjà fait cela en ex-Yougoslavie et en Afrique. Il dit être un expert. Des lettres de Tchétchènes témoignent de ses propos. Il présente aux Tchétchènes des listes d'armes, dont je dispose. Je cite : snippers en 12-7 et 14-5 mm, missiles Agoti, lance-missiles, projectiles, Kalachnikov AK 47, lance-grenades, obus de mortier, ... Il y en a des pages, certaines même écrites de la main de MM. Bernard Courcelle et Hubert Signard.

    Les Tchétchènes, alors aux abois, voient en Courcelle un sauveteur. Ils vont plonger. Ils mettront un mois et demi à deux mois pour réunir la somme d'un million de dollars. Cela se fait dans le clan très fermé des proches de M. Djokhar Doudaïev. Il ne faut pas que le reste de la population le sache. Il y a, à l'époque, beaucoup de tensions en Tchétchénie, beaucoup d'ethnies, de rivalités. Cela se fait en secret.

    Le deal est signé. M. Bernard Courcelle a tout arrangé avec M. Djokhar Doudaïev, qui, ne voulant pas se faire berner, envoie M. Ilias Akhmadov dit Mustafa, pour surveiller la transaction. Cette personne a suivi M. Bernard Courcelle dans toutes ses pérégrinations en Europe, jusqu'à Zagreb, puis en Ouganda, où il voit l'end user, un document qui permet d'authentifier les armes et de les faire sortir du pays. Je vous remets ce document qui a été authentifié par Mme Marie Bennigsen et M. Ilias Akhmadov.

    Autre élément intéressant : la société Joy Slovakia qui fournira les armes. Il s'agit d'un des autres contacts de M. Bernard Courcelle datant du conflit de l'ex-Yougoslavie. Cette société est dirigée par Marty Cappiau, mercenaire belge très connu des services, qui a vu l'opportunité de s'installer à Zagreb et de devenir le fournisseur patenté des conflits locaux. Suite à cette affaire d'escroquerie portant sur un million de dollars, la société Joy Slovakia s'est illustrée trois mois après en vendant pour vingt millions de dollars d'armes à Lissouba (ancien président du Congo). Cela a été révélé par Le Monde du renseignement.

    M. Bernard Courcelle, chef du DPS et conseiller municipal à Stains, et M. Hubert Signard, lui-même conseiller municipal, emmènent M. Ilias Akhmadov, le dépêché de M. Djokhar Doudaïev, dans un périple qui dure au moins trois semaines à travers l'Europe : Bulgarie, Pologne, ... Ils se rendent même à Zagreb, où on lui dit qu'il y trouvera les armes. Or, elles n'y sont pas. Il commence à s'inquiéter. MM. Ilias Akhmadov et Djokhar Doudaïev exigent donc que M. Hubert Signard se fasse prisonnier ou, en tout cas, serve de caution. M. Hubert Signard est emmené par les Tchétchènes en Turquie. Je vous laisse le reçu passager de MM. Ilias Akhmadov et Hubert Signard, preuve qu'ils ont bien pris l'avion ce jour-là et que M. Hubert Signard devait se ranger aux ordres ! M. Hubert Signard reste deux semaines en Turquie. On ignore s'il a été ou non maltraité. Par contre, on est sûr qu'une opération commando a été nécessaire pour le faire libérer.

    Le 31 mai 1996, les Tchétchènes versent 600 000 dollars sur le compte n° CO-63 5246 de la banque SBS à Genève ; dix jours avant, le 21 mai, ils avaient déjà versé 400 000 dollars à la Zagreba Banka en Croatie. Tout était enregistré au nom de la société Fordfield Incorporated que dirigent les contacts de M. Bernard Courcelle.

    Parmi les personnes qui pratiquent ce trafic, outre MM. Marty Cappiau et Bernard Courcelle, on trouve M. Bernard Stroiazzo Mougin, celui qui a écrit « La manipulation Kerbala », l'homme de l'affaire Luchaire - l'Irangate à la française -. Il a fait de la prison. Il s'est toujours dit agent du SDECE, ce qui le couvrait. En réalité, c'est une personne qui a sans doute livré des armes pour le compte de la France. Quoi qu'il en soit, c'est lui qui va transporter l'argent en Afrique du Sud. C'est un très bon ami de M. Bernard Courcelle.

    Le 17 décembre 1997, soit trois jours après le reportage, M. Bernard Courcelle envoie un communiqué à la presse :

    « Front National, Département protection sécurité, direction centrale.

    «  Accusé d'avoir trempé dans un trafic d'armement, je tiens à préciser que je ne me suis rendu en Tchétchénie, en 1996, que pour permettre à des journalistes français de rendre compte de la guerre qui y faisait alors rage. Je démens avec indignation avoir été partie avec quelque marché d'armes que ce soit. Je charge mon avocat d'engager dès maintenant les poursuites judiciaires qui s'imposent. »

    Dix jours plus tard, M. Bernard Courcelle affirmait dans Le Canard Enchaîné avoir bien fait partie de cette opération et avoir proposé des listes d'armes aux Tchétchènes. Il précisait n'avoir pas vu la couleur de l'argent. Dans les trafics d'armes, il est très rare de trouver trace de chèques et de virements et de leurs signataires. Mais à quoi sert-il à une personne qui essaye de clore son deal et propose de son propre chef des armes à M. Djokhar Doudaïev de se rendre dans un pays en guerre si elle n'est pas payée ? Pour l'heure, on ignore donc si M. Bernard Courcelle a touché de l'argent. Mais il a organisé le trafic, il en a été la tête pensante.

    Parmi les personnes importantes dans l'entourage de M. Bernard Courcelle au cours de cette période, citons M. Nicolas Courcelle - son frère -, qui dirige le Groupe Onze. Les membres du Groupe Onze se rendent en Tchétchénie lors du premier voyage pour assurer la sécurité du pipe-line. On trouve notamment M. Thierry Rouffaud. C'est un ancien agent du service action de la DGSE, l'un des derniers sortis d'Aspreto. L'ex-capitaine Paul Barril le connaît très bien. M. Thierry Rouffaud officie aujourd'hui aux Etats-Unis, où il a créé le pendant du Groupe Onze : le Groupe Onze International, 2950 France avenue, North Robinsdale 55422, Minnesota, domicilié à Nanterre sans doute pour les besoins de transactions financières. Le Groupe Onze International est dirigé par M. Thierry Rouffaud et une certaine Diane Roazen. Il a été beaucoup cité pour avoir recruté des mercenaires revenant du Zaïre pour le DPS. Aux anciens mercenaires sans le sous revenant à Paris, on disait : « Embarque-toi dans le DPS, cela te fera toujours un peu d'argent. » La preuve, je ne l'ai pas. En revanche, pour avoir enquêté sept mois durant sur cette affaire et pour disposer de tous les documents de l'enquête, nous avons rencontré, avec M. Pascal Henry, de multiples personnes qui se sont occupées du service d'ordre de M. Bruno Mégret à Vitrolles - par exemple, M. Philippe Marie, qui a créé des sociétés de sécurité. Ces personnes ont reconnu que le Groupe Onze a toujours servi à recruter des personnes pour le DPS. Le Groupe Onze n'est pas une société de sécurité, c'est une société de mercenariat ! Il est partout en Afrique (Monde du renseignement et Lettre du continent, mai 1999).

M. Pascal HENRY : En fait, le Groupe Onze fait à la fois de la sécurité classique - sous la forme de protection de personnes par exemple - et des opérations extérieures plus discrètes.

M. le Président : Avez-vous rencontré M. Bernard Courcelle ?

M. Stéphane RAVION : Je l'ai eu au téléphone à plusieurs reprises, mais il n'a jamais voulu me répondre devant la caméra, ni m'écrire une petite lettre expliquant ce qu'il avait fait en Tchétchénie. Il a seulement publié un communiqué où il déclarait avoir emmené une équipe de journalistes pour rendre compte des atrocités de la guerre.

M. Jacky DARNE : Où en êtes-vous de votre enquête ? Continuez-vous à rechercher le million de dollars ? Quelles sont vos perspectives ?

M. Pascal HENRY : Il y a une fin à l'affaire tchétchène ; c'est la mort de M. Djokhar Doudaïev !

M. le Président : On nous a laissé entendre que M. Bernard Courcelle était quasiment en service commandé pendant l'« affaire tchétchène ».

M. Stéphane RAVION : Je vous ai apporté la lettre de M. Djokhar Doudaïev, en date du 28 mai 1993, remerciant M. Nicolas Sarkozy de l'envoi de deux éminents militaires français !

M. le Président : On peut penser que M. Bernard Courcelle a continué ses activités et ses liens avec la sécurité miliaire en étant au DPS.

M. Pascal HENRY : Il subsiste toutefois une ambiguïté. La DPSD, service de sécurité du ministère de la défense, le surveillait très largement. Elle se posait des questions, car il n'en était plus officiellement membre. Des membres de la DPSD nous ont dit qu'ils étaient « chargés de le cadrer » pour être au fait de ses activités réelles. Il y avait donc une confusion dans la mission.

M. Stéphane RAVION : Nous nous sommes ensuite polarisés sur les enjeux. Nous avons senti que M. Bernard Courcelle et son équipe étaient des personnes aguerries à ce type d'opérations, à ce genre de montage, à ces mécanismes financiers. On les appelle des agents d'infiltration.

    J'ai présenté l'enquête à une personne de la DGSE pour lui demander ce qu'elle en pensait. Je ne pourrai pas, bien sûr, vous livrer son nom. Elle a bien compris l'affaire et m'a même donné des noms. M. Michel Fradin est répertorié dans un fichier secret défense (SD), auquel cas il échappe à toute recherche et toutes interventions, ce qui implique un agrément de haut niveau. M. Michel Fradin, je vous le rappelle, a emmené la première fois la mission américano-française. C'est un intermédiaire de commerce non spécialisé, patenté, que l'on retrouve partout.

M. Robert GAÏA : Etait-il classé en SD ou l'est-il encore aujourd'hui ?

M. Stéphane RAVION : Il l'est aujourd'hui encore.

    Ensuite, M. Thierry Rouffaud : il est probablement un honorable correspondant (HC) de la DGSE. Diane Roazen est une des collaboratrices de Roger Tamraz, l'homme qui a financé la campagne de Bill Clinton avec le pétrole du Caucase. Diane Roazen, Roger Tamraz, Edouard Kennedy : c'est ce que Fradin appelle « l'équipe Clinton », en voyage en Tchétchénie ! Marty Cappiau, le vendeur d'armes, se cache derrière la société Joy Slovakia. Avec Diane Roazen, cette Américaine en relation avec M. Thierry Rouffaud, il a monté le Groupe Onze International. Bernard Stroiazzo Mougin est quant à lui l'homme de l'affaire Luchaire.

    Cette équipe a eu des contacts et certainement traité des marchés avec plusieurs autres groupes. D'abord, un groupe bien soudé autour de Larry R. Hone, alias Larry R. Clark, Américain, installé dans le Minnesota et l'Oregon, avec des sociétés à Miami et Bangkok : East Asian Operation, Evergreen International, PIDR. On y trouve : Danièle Turpini, mariée Capon, Française installée à Pékin et à Genève, avec la société Indo-suisse Consultants ; Yves Masial et Danièle Landau, Français, installés en Afrique du Sud - j'ai procédé à vérification ; Guy Salace, Français, installé à Fribourg - j'ai également vérifié. Deuxièmement, une équipe de trafiquants tous azimuts, comprenant : Günter Linehauser, installé à Fribourg, grand marchand d'armes ; Sarkis Saganalian, connu pour avoir été consultant Sofma en France ; Hermann Saraillan, ingénieur de haut niveau installé à Genève ; Etienne Labattu, d'Ora Conseil, tombé pour escroquerie dans un faux trafic d'armes. Troisièmement, une holding de neuf ou dix sociétés réparties entre Paris, Monaco, les Caraïbes, le Luxembourg, la Suisse, l'Océan indien et Virgin Islands. Enfin, un avocat d'affaires français, Yamatala, que l'on suppose d'origine syro-libanaise et qui a souvent servi d'intermédiaire dans les marchés avec Mobutu - il avait un magnifique filon d'arnaques avec la vente ou l'exploitation de zones forestières diamantifères.

    Toutes ces personnes ont été étroitement mêlées à des opérations complexes de financements occultes et de marchés d'armement, dont une affaire sur un cargo italo-croate auprès duquel celui de Bob Denard fait figure de barquette de maternelle !

    La personne qui nous a livré ces renseignements est un haut cadre de la DGSE, toujours en poste, sur les opérations Est et Est asiatique. Il connaît bien cette bande. Il termine son envoi par : « Bonne chance et, pour le décryptage, attention à la nitroglycérine ! »

M. Jacky DARNE : Votre enquête est-elle connue ?

M. Stéphane RAVION : Non, car cela n'est rien par rapport à ce qui suit.

    MM. Bernard Courcelle et Thierry Rouffaud sont des anciens des services. Quand on entre à la DPSD ou à la DGSE, c'est comme à la CIA ou la NSA, on n'en sort jamais.

M. Pascal HENRY : Et l'on s'en sert !

M. Stéphane RAVION : M. François-Xavier Sidos, chef direct de M. Bernard Courcelle, monte des opérations de mercenariat pour la France. Ils font tous partis d'un milieu aguerri à ce type d'opérations.

    Dans un second temps, nous avons été intéressés par la mort de M. Djokhar Doudaïev. Pendant très longtemps, on nous a dit qu'il y avait un téléphone satellite, emmené par l'équipe Courcelle. On sait que M. Djokhar Doudaïev a été repéré par son téléphone satellite et qu'un missile russe a atteint son repère. Trois jours après, on assistait à la naissance de l'AIOC, le plus grand consortium pétrolier du Caucase. M. Djokhar Doudaïev voulait garder son indépendance, c'est-à-dire l'or noir du Caucase, son faire-valoir auprès des Russes. En éliminant M. Djokhar Doudaïev, la British Petroleum et un certain nombre d'autres sociétés anglo-saxonnes et russes ont acquis le marché du Caucase. Cent cinquante kilomètres de pipe-lines traversent la Tchétchénie et descendent jusqu'à Bakou.

    Nous sommes allés aux Etats-Unis. On nous a dit de nous polariser sur Diane Roazen de la CIA. Nous avons trouvé des archives superbes ! Diane Roazen a rencontré M. Michel Fradin au temps des Contras au Nicaragua, à l'époque où M. Jacques Soustelle était en Amérique latine, environ trois ans avant qu'il ne tombe pour une histoire d'un million de dollars sur un barrage au Paraguay.

    M. Michel Fradin, « l'opérateur tchétchène », connaissait Diane Roazen depuis 1980. Diane Roazen a joué un rôle primordial dans cette opération, nous a-t-on dit. Elle a poussé à la fois Rouffaud et Courcelle à rencontrer M. Djokhar Doudaïev et à lui faire des cadeaux. Un premier téléphone satellite a été détruit en sortant d'une jeep, le second est arrivé à bon port. Il n'a jamais été retrouvé, le missile l'ayant fait exploser. A ce moment-là, il n'y avait pas trois téléphones satellite ni deux, mais un seul. Nous n'avons pas de preuves, sinon des témoignages, de Mustapha, d'Iasak Manof, etc...

M. Pascal HENRY : Nous avons quelques indications sur les sociétés françaises ayant fourni le téléphone.

M. Stéphane RAVION : On peut notamment citer Géolink, qui est une société très implantée en Afrique. Géolink était connue pour avoir livré des téléphones satellite en cadeau à de grands chefs d'Etat, Mobutu compris, mais en gardant les « bretelles », ce qui permettait d'écouter leurs conversations. C'est ce qui s'appelle un cadeau empoisonné !

    Cette affaire ennuie tout le monde car elle implique les services secrets. Diane Roazen est connue de Roger Tamraz, lui-même de la CIA, qui a financé la campagne de Clinton. Ils étaient tous deux dans le Caucase.

M. Pascal HENRY : Géolink est accréditée secret-défense. On la cite parce que tel est l'état de notre enquête. Nous n'avons pas de preuve formelle et définitive. On a parlé des numéros de série, on a posé des questions, on pense que Géolink a fourni le matériel livré par le Groupe Onze à M. Djokhar Doudaïev. Mais ce n'est pas établi ; autrement, nous en aurions fait un sujet.

M. le Président : Parlez-vous de liaisons avec les services français ou avec la CIA ?

M. Pascal HENRY : Nous n'avons pas la réponse. Tout cela reste dans le flou. On comprend l'influence des services. Chacun joue son rôle, du fait d'un enjeu financier évident, les uns et les autres se rendant réciproquement des services.

M. Stéphane RAVION : Que va faire un Bernard Courcelle lors de son premier voyage en Tchétchénie, sinon vendre des armes et essayer de rencontrer M. Djokhar Doudaïev ? Sur les photos, on constate que M. Bernard Courcelle rencontre alors des Américains proches de Diane Roazen et de Thierry Rouffaud au Royal Monceau, le jour où M. Djokhar Doudaïev arrive au salon du Bourget. Au Royal Monceau, M. Djokhar Doudaïev réserve un étage, M. Bernard Courcelle s'occupant des présentations. Je détiens un document en anglais. M. Thierry Rouffaud y est executive officer du Groupe Onze International. Il explique son contrat avec les Tchétchènes et avec Diane Roazen.

    M. Thierry Rouffaud, agent DGSE du service action, va créer sa propre société aux Etats-Unis. Les services s'inquiètent. Selon eux, M. Thierry Rouffaud est considéré comme « ayant pris parti contre les intérêts français lors de négociations pétrolières à l'étranger ». C'est ce qui apparaît dans son dossier tenu à jour par les services.

M. Robert GAÏA : Vous posez la question de l'argent. Y a-t-il un lien avec le chèque d'un million de deutsche marks retrouvé chez M. Frédéric Jamet, suite au casse chez Petrossian ?

M. Stéphane RAVION : Il n'y a pas de lien direct.

M. Robert GAÏA : C'est donc autre chose.

M. Stéphane RAVION : C'est le même réseau.

M. Pascal HENRY : Nous n'avons pas d'éléments précis. Au début, on nous avait déclaré que c'était très directement lié. Il y a sans doute des liens, mais ce ne sont pas des liens directs.

M. Robert GAÏA : M. François-Xavier Sidos est-il totalement intégré au dispositif ? Quant à Gilbert Lecavelier et à Marchiani, appartiennent-ils au réseau ?

M. Stéphane RAVION : M. Gilbert Lecavelier a commencé à nous mettre des bâtons dans les roues le jour où nous avons sorti cette affaire. Tant qu'il s'agit de taper sur la tête de Courcelle, il est très heureux. Après l'ancien capitaine de gendarmerie Fabre, qui assurait la direction du DPS, il devait avoir le poste. Il en rêvait. Finalement, M. Bernard Courcelle a été nommé à sa place. Amer, il a commencé à être très virulent contre M. Bernard Courcelle et a balancé un certain nombre d'affaires, surtout au sujet du Zaïre. Il était très au courant du sujet, car il connaissait très bien M. François-Xavier Sidos. C'est ainsi que, dans différents livres, ceux de Verchave ou Denard, ils s'en sont donné à c_ur joie par la suite.

M. Robert GAÏA : On nous a dit que M. Gilbert Lecavelier est venu faire une contre-enquête sur le DPS lors de l'assassinat de M. Poulet-Dachary à Toulon, envoyé directement par M. Jean-Marie Le Pen. Il y a des images. N'êtes-vous pas au courant ?

M. Stéphane RAVION : Non, je ne peux pas vous répondre sur cette question précise.

M. Robert GAÏA : Et Marchiani ?

M. Stéphane RAVION : Il est intéressant de lire la lettre de Jacques Guillet, lorsqu'il était conseiller diplomatique de M. Charles Pasqua au ministère de l'Intérieur en 1993. Il écrit à M. Michel Fradin, « conseiller économique » :

    « Monsieur le Conseiller économique,

    « M. Charles Pasqua, Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, a bien reçu votre mémorandum concernant l'Etat de Tchétchénie et il en a pris connaissance avec grand intérêt.

    « Il m'a chargé de vous en remercier bien sincèrement et considère que de telles contributions sont de nature à faciliter la compréhension de notre politique à l'égard de pays de l'ancienne URSS.

    « Le Ministre d'Etat a pris bonne note de vos remarques et m'a chargé d'attirer l'attention des décideurs techniques sur les conséquences de telles décisions, ce qui ne manquera pas d'être fait. [...] »

    En fait, ils se sont vus à quatre ou cinq reprises. J'ai téléphoné à M. Bernard Guillet, mais il ne m'a jamais rappelé. « M. Michel Fradin, conseiller économique ». S'agit-il d'un titre ? M. Michel Fradin était-il conseiller économique français ou conseiller économique de l'Etat tchétchène ?

    M. Michel Fradin était aussi en relation avec la CECRI, société de Jean-Paul Chirouze et du général Challe. Il s'agit du réseau Pasqua. A l'époque, M. Michel Fradin fait également procéder à une estimation sur des ventes d'armes. Il passe par la SEERI, société européenne d'études et d'ingénierie pour les réalisations internationales. Il demande à Chirouze et à feu le général Challe de fournir des armes pour le Turkménistan et le Caucase.

M. Robert GAÏA : M. François-Xavier Sidos est bien le patron de M. Bernard Courcelle ?

M. Stéphane RAVION : Oui. Dans l'organigramme du Front National, M. François-Xavier Sidos est directeur des opérations spéciales. Il est au cabinet de M. Jean-Marie Le Pen et c'est lui qui gère M. Bernard Courcelle. M. Bernard Courcelle et M. François-Xavier Sidos se connaissent très bien ; ils font partie du même réseau.

M. Robert GAÏA : M. François-Xavier Sidos a la mainmise sur tout ce qui est mercenaire, ce qui n'est pas le cas de M. Bernard Courcelle ?

M. Stéphane RAVION : Tout à fait. Mais M. François-Xavier Sidos est rallié à la cause frontiste, ce qui n'a jamais vraiment été le cas de M. Bernard Courcelle. C'est très important. M. Bernard Courcelle - tout le monde le dit ; il le dit lui-même - n'a jamais vraiment été Front National.

M. le Président : Ils l'utilisent ?

M. Stéphane RAVION : Je pense qu'ils l'utilisent.

M. Robert GAÏA : M. Marc Bellier fait-il bien partie du réseau Fradin-Chirouze ?

M. Stéphane RAVION : Oui. Dans le cadre d'autres dossiers, j'ai noté qu'il était très proche des anciens de l'OAS, et plus proche de M. Gilbert Lecavelier que de M. Bernard Courcelle. En fait, Courcelle n'a pas beaucoup de médailles. M. Bernard Courcelle a bien joué un rôle aux Comores. Bob Denard a eu très peur, parce qu'il a senti que ses troupes étaient plus ou moins approchées par l'Etat français pour l'évincer et que M. Bernard Courcelle était pressenti pour le remplacer. C'est un fait avéré. On trouve cela dans les livres de Verchave et de Denard. Les personnes en poste peuvent en parler.

    Lorsque vous assumez ce type de mission, alors que vous ne faites plus partie de l'armée, qu'est-ce qui vous empêche de refaire des missions ? Pourquoi un conseiller municipal à Stains se rendrait-il en Tchétchénie pour faire du trafic d'armes ? Qu'est-ce que cela lui rapporte ? Un million de dollars, ce n'est rien pour un trafic d'armes. Habituellement, on fait du trafic d'armes pour 20 ou 30 millions de dollars. Joy Slovakia a vendu pour 20 millions de dollars d'armes à Lissouba. Prendre le risque de se faire tuer en Tchétchénie pour un million de dollars, c'est bien cher payé.

M. le Président : Comment expliquez-vous donc la situation ?

M. Stéphane RAVION : Je pense que M. Bernard Courcelle était aux ordres.

M. le Président : Pour l'assassinat de M. Djokhar Doudaïev ?

M. Stéphane RAVION : Je n'irai pas aussi loin. Je pense que M. Bernard Courcelle était en mission commandée ou manipulé par la DGSE, dans le cadre d'une opération non couverte ou d'une opération d'infiltration.

M. Robert GAÏA : Alors que, semble-t-il, M. Bernard Courcelle a aidé à l'élimination de M. Djokhar Doudaïev, M. Jean-Marie Le Pen se trouvait au même moment avec Jirinovsky. Quelle était la mission ?

M. Stéphane RAVION : Je pense que M. Bernard Courcelle est complètement indépendant du Front National. M. Jean-Marie Le Pen fait ce qu'il veut alors que M. Bernard Courcelle peut être « rappelé sous les drapeaux », pour ce type d'opérations.

M. Robert GAÏA : Vous déconnectez l'opération tchétchène du Front National et du DPS ? Cela fait plaisir à tout le monde de dire qu'ils sont au DPS, mais telles ne sont pas vos conclusions ?

M. Stéphane RAVION : Oui et non ! Car entre le Groupe Onze et le Front National c'est la théorie des vases communicants. M. Bernard Courcelle est élu conseiller municipal Front National, il est le chef du DPS et il fait du trafic d'armes en Tchétchénie. Il est entouré de M. Hubert Signard, militant et élu municipal du Front National, et de M. Nicolas Courcelle, qui recrute pour le DPS. Sa s_ur est mariée avec M. Christian Bègue, présent en Tchétchénie. C'est une histoire de famille...

    En 1977, M. Bernard Courcelle est à Coëtquidan, au sixième RPIMA. En 1985, il quitte l'armée. Il est en réserve active jusqu'en 1992 ou 1993 - on ne sait pas. Dès 1979, il rejoint un réseau de mercenaires. En 1987, il travaille pour le Groupe Onze jusqu'au 3 octobre 1988. Paul Barril va avec Bernard Courcelle aux Comores pour remplacer Bob Denard. Il assure la protection de Mme Simone Veil en 1989, pour les élections européennes. Pour un frontiste ! Chef du DPS à partir du 1er mai 1994, il crée les groupes-choc, en référence au Onzième Choc.

    M. Nicolas Courcelle, dit « Chabet », fait ses études au collège militaire d'Aix-en-Provence. Il est alors responsable FNJ dans les Yvelines. En 1980, il s'engage dans la Légion étrangère. Il est au deuxième REP à Calvi, puis au troisième REI à Cayenne. Son contrat est résilié, à sa demande, c'est-à-dire qu'on le « vire », et pour se faire virer de la Légion... ! On trouve une intervention de Tixier-Vignancourt le 9 octobre 1981, mais il est quand même rayé des rôles de la Légion. Il aurait commandité une opération à Madagascar, à l'époque des grandes fuites de capitaux liés aux prêts consentis par le FMI sur Madagascar, pour « buter » Lecavelier. On comprend pourquoi celui-ci a quelque désir de vengeance... !

    M. Christian Bègue, alias lieutenant Etienne, possède une société, BCL, sise 9, rue Lantiez, dans le XVIIème arrondissement de Paris, à la même adresse que le Groupe Onze. C'était un lieutenant de Bob Denard aux Comores. Né le 6 mars 1959, il se marie, le 26 mars 1990 à Ille-sur-Têt dans les Pyrénées-Orientales, avec Mme Marie-Gabrielle Courcelle - s_ur de Bernard -, elle-même employée du Groupe Onze. C'est le réseau de Bob Denard ; tous ont servi sa cause, excepté Bernard Courcelle qui, à un moment donné, a voulu faire du zèle avec Paul Barril pour virer Denard - mais cela ne s'est pas fait. En 1989, M. Christian Bègue est lieutenant de Bob Denard dans la garde présidentielle aux Comores. En 1992, il est embauché par le Groupe Onze. En 1994, il crée BCL, à la même adresse, avec M. Olivier Castarède, très proche de M. Jean-Claude Nourri, néo-nazi notoire.

    La création du Groupe Onze International avait pour objectif de créer une unité d'élite pour protéger M. Djokhar Doudaïev et assurer la sécurité des différents sites pétroliers en Tchétchénie. Cela fait quatre cents ans que les Tchétchènes sont en guérilla ; on ne leur apprend pas à se battre. Au reste, le Groupe Onze fut très mal accueilli par les Tchétchènes. On en a rencontrés sur place qui nous ont dit cela.

M. Robert GAÏA : Serait-il intéressant d'auditionner Mme Marie Bennigsen ?

M. Stéphane RAVION : Mme Marie Bennigsen pourra bien vous parler des Tchétchènes, de ce qu'ils pensent aujourd'hui de cette histoire et des différents éléments intervenus sur place. Aujourd'hui domiciliée à Londres, elle travaille pour la revue East Asian Survey. Accréditée secret-défense pour les relations avec le Caucase, je ne sais si elle pourra témoigner devant votre Commission.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Puisque des armes n'ont pas été livrées, elles sont restées quelque part ?

M. Stéphane RAVION : Ou bien elles n'ont jamais existé. Les armes ont été vues en Ouganda, mais peut-être ont-elles suivi un trajet autre par la suite. M. Bernard Courcelle avait indiqué qu'elles seraient parachutées en Tchétchénie, ajoutant qu'il avait déjà réalisé une opération similaire en ex-Yougoslavie.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Peut-on envisager qu'il y ait des armes en France, disséminées chez des membres du DPS ?

M. Stéphane RAVION : Les réseaux sont très structurés et chaque personne sait ce qu'elle doit faire. Les armes ne restent jamais en France. De même, l'argent passe sur des comptes numérotés en Suisse, sans nom. Nous avons pu avoir connaissance des numéros des comptes parce que les Tchétchènes souhaitent récupérer leur argent. Ils ont même mis la tête de M. Bernard Courcelle à prix, qui a eu très peur, de même que M. Hubert Signard. Ce dernier s'est réfugié dans les Baux de Provence, où il s'est terré pendant six mois car il craignait la mafia tchétchène à Paris. Je rappelle qu'il est élu de la République, conseiller municipal à Stains.

    Les réseaux ne sont donc pas en France. Le trafic d'armes a pour théâtre la Croatie, les pays d'Afrique très peu contrôlés : l'Ouganda, le Togo, l'Afrique du Sud, qui sont des plaques tournantes de trafic d'armes.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Pensez-vous que, derrière ce trafic, il pourrait y avoir des ramifications avec les milieux de la drogue ou des sectes ?

M. Stéphane RAVION : Les réseaux comptent aussi des gens très bientel M. Larry Hone, qui dirige Evergreen International. Mais ces personnes n'ont aucun mal à traiter avec d'autres comme, par exemple, M. Günter Linehauser, installé à Fribourg, qui est un grand marchand d'armes que l'on a rencontré dans d'autres enquêtes...

M. Pascal HENRY : ... On le voit en Lybie...

M. Stéphane RAVION : ... ou avec M. Georges Starckman, grand trafiquant d'armes français ayant fait de la prison.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous avez évoqué la secte Moon...

M. Stéphane RAVION : Oui, au sujet de M. Michel Fradin.

M. Pascal HENRY : Je ne crois pas qu'il faille globaliser. Il s'agit là de ventes d'armes pour raisons politiques avec des services rendus pour le compte d'Etats. Il y a certainement des trafiquants d'armes, mais ce n'est pas ce qui ressort de l'enquête.

M. le Président : Nous nous interrogeons sur l'armement du DPS. Même si les armes ne sont pas en France, j'imagine que M. Bernard Courcelle ne rencontre pas de problèmes pour s'approvisionner.

M. Stéphane RAVION : « Bob », qui a été mercenaire et a fait partie du Groupe Onze, n'a jamais voulu en parler à l'écran car il m'a dit se faire tuer s'il le disait. Il a été viré de la mairie de Toulon parce qu'il avait commencé à parler des conditions dans lesquelles cela se passait. Il m'a dit off, dans plusieurs entretiens, que des personnes se promenaient avec des armes sur elles.

M. Robert GAÏA : Il ne pèse guère dans le dispositif.

M. Stéphane RAVION : En effet, mais il est l'un des seuls à avoir accepté de parler. Avec les autres, il faut utiliser des caméras cachées, seul moyen de savoir ce qui se passe au sein du DPS et de les coincer. M. Philippe Marie, par exemple, qui a participé à la création du « DPS bis » de M. Bruno Mégret, est un vrai professionnel. Ces personnes viennent pour la plupart de l'armée où elles ont conservé des liens. Elles peuvent se procurer des armes, c'est très facile pour elles.

M. le Président : Avez-vous subi des pressions ou des menaces ?

M. Stéphane RAVION : Pas vraiment de la part de M. Bernard Courcelle. Ils nous ont dit de faire un peu attention où l'on mettait les pieds, mais comme toujours dans ce genre d'enquête. Après avoir vu M. Michel Fradin, nous avons eu quelques petits ennuis...

M. Pascal HENRY : Après trois ans d'enquête sur le Front National, on ne sait plus si les menaces proviennent de M. Bernard Courcelle ou du Front National en général, de proches et d'« allumés ». Déterminer d'où provient la menace réelle est difficile.

M. le Président : Ces menaces ont donc existé ?

M. Stéphane RAVION : Dans mes précédentes enquêtes sur le Front National, oui. J'ai été fiché. J'avais par exemple révélé l'histoire de la bibliothèque d'Orange liée avec des néo-nazis allemands, les héritages Le Pen, les salaires, Ecotec, à savoir les loyers des Le Pen payés par une société bidon. J'ai eu alors beaucoup de problèmes. On m'a envoyé une bombe lacrymogène dans le visage un soir alors que je rentrais chez moi, on m'a un peu frictionné les côtes. Et M. Samuel Maréchal, gendre de M. Jean-Marie Le Pen, a fini par me dire : « Ecoute, Ravion, je ne pourrai plus assurer ta sécurité sur les lieux du Front National. » J'aurais alors pris un mauvais coup. J'en ai parlé avec M. Michel Soudais à l'époque et j'ai préféré ne plus fréquenter les lieux de rassemblement du Front National. Vous comprendrez pourquoi.

M. le Président : L'affaire tchétchène nous intéressait. Nous avons cru comprendre que vous confirmiez les liens avec la DPSD...

M. Pascal HENRY : La personne que M. Stéphane Ravion et moi-même avons rencontrée venait juste de démissionner de la DPSD. Elle a monté depuis une société de sécurité. C'est une personne qui, politiquement, n'est pas très marquée. Elle nous a très clairement déclaré qu'elle était chargée de cadrer Courcelle lorsqu'il était à la DPSD.

M. Stéphane RAVION : Elle nous a dit : « On a un peu peur de M. Bernard Courcelle. C'est quelqu'un d'impulsif et on craint qu'il ne fasse des bêtises. » Il fallait donc cadrer M. Bernard Courcelle et son opération d'infiltration.

M. le Président : Puisque vous avez suivi le Front National pendant trois ans, avez-vous des éléments sur le DPS ?

M. Stéphane RAVION : J'ai été un des premiers à parler des unités mobiles d'intervention (UMI). Au DPS, trois ou quatre personnes sont prêtes à le confirmer si vous arrivez à les coincer. Les membres des UMI portent un badge DPS avec écrit, au revers, « UMI ». Ils portent un casque, des habits de CRS, une matraque pour assurer le service d'ordre. En cas de problème, s'ils sont pris, la carte UMI doit être jetée. Ils ne doivent jamais dire avoir appartenu à un service d'ordre. C'est un système hors la loi, une milice secrète privée.

M. Robert GAÏA : Quelles autres preuves avez-vous ?

M. Stéphane RAVION : Les UMI figurent bien dans des papiers des services.

M. Robert GAÏA : Existe-t-il un vademecum, un manuel de formation ou une doctrine d'emploi pour le DPS ?

M. Stéphane RAVION : Non. Par contre, on nous a expliqué par le menu comment devait agir un bon garde des UMI.

M. Robert GAÏA : Aucun document n'a donc circulé sur ce sujet ?

M. Stéphane RAVION : Non.

    Il est à noter que le sigle UMI était écrit au stylo à bille sur le badge que j'ai conservé.

    Lorsque nous nous sommes rendus à Strasbourg pour Le Vrai Journal, nous avons vu trois membres casqués du DPS. Cela faisait penser aux événements de Montceau-les-Mines. Les personnes qui forment cette milice sont habillées comme des CRS, elles ont le goût des CRS, mais ce ne sont pas des CRS ! C'est une milice !

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

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