N° 3559

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA SÛRETÉ DES INSTALLATIONS INDUSTRIELLES
ET DES CENTRES DE RECHERCHE ET SUR LA PROTECTION DES PERSONNES
ET DE L'ENVIRONNEMENT EN CAS D'ACCIDENT INDUSTRIEL MAJEUR (1)

Président
M
. François LOOS,

Rapporteur
M
. Jean-Yves LE DÉAUT,

Députés.

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TOME II, volume 1
AUDITIONS

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité publique.

La commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur est composée de : M. François Loos, Président ; M. Claude Billard et Mme Michèle Rivasi, Vice-Présidents ; MM. Paul Dhaille et Christian Estrosi, Secrétaires ; M. Jean-Yves Le Déaut, Rapporteur ; M. Christian Bataille, Mme Yvette Benayoun-Nakache, M. Jean-Yves Besselat, Mme Nicole Bricq, MM. Vincent Burroni, Pierre Carassus, Mme Odette Casanova, MM. Pierre Cohen, René Couanau, Lucien Degauchy, Albert Facon, Claude Gaillard, Claude Gatignol, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Didier Marie, Michel Meylan, Mme Hélène Mignon, MM. Jacques Pélissard, Pierre Petit, Jean Ueberschlag, André Vauchez, Michel Vaxès.

TOME SECOND - volume 1

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

Pages

- Table ronde sur les aspects techniques de la sûreté industrielle, réunissant : M. René AMALBERTI, professeur à l'Institut de médecine aérospatiale du service de santé des Armées (IMASSA), Mme Mathilde BOURRIER, maître de conférences à l'Université de technologie de Compiègne, Mme Annick CARNINO, directrice de la sûreté des installations nucléaires à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), M. Claude GILBERT, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Directeur du Groupement d'intérêt scientifique (GIS) « Risques collectifs et situations de crise », MM. Georges LABROYE et Jacques REPUSSARD, respectivement directeur général et directeur général adjoint de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), M. Jean-Claude LAPRIE, directeur du Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS) du CNRS, M. André PICOT, directeur de recherche au CNRS, et M. Jean-Claude CHARPENTIER, directeur de l'Ecole supérieure de chimie, physique et électronique de Lyon 5

- Table ronde sur les aspects juridiques de la sûreté industrielle, réunissant : Me Jean-Pierre BOIVIN, avocat, Cabinet BOIVIN & Associés, Me Jean-Daniel CHETRIT, avocat au Barreau de Paris, Cabinet GAIA, Me Laurent DERUY, avocat au Barreau de Paris, Cabinet GIDE LOYRETTE NOUEL, Me Christian HUGLO, avocat, Cabinet HUGLO-LEPAGE & Associés, Mme Caroline LONDON, avocate au Barreau de Paris, et Me Charles VIER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation 46

- Audition de M. Jean-Louis SCHILANSKY, Délégué général de l'Union française des industries pétrolières (UFIP), accompagné de M. Gérard GARDES, Directeur sécurité et logistique 91

- Audition de M. René DELEUZE, Président de l'Union des industries chimiques (UIC), accompagné de M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN, Directeur du département technique 100

- Audition de M. Bernard LEMOINE, Vice-président délégué du Syndicat national des industries pharmaceutiques (SNIP), accompagné de M. Jacques AUMONIER, Président du groupe de travail « environnement et vigilance sanitaire » 111

- Table ronde des organisations syndicales de salariés réunissant : M. Jean-François PERRAUD, secrétaire confédéral de la CGT, M. Jean MOULIN, conseiller confédéral CGT aux questions économiques, M. Christian VELLA, délégué central CGC du groupe SNPE, M. Jean-Claude JEZEQUEL, délégué fédéral à l'économie et à la santé de la fédération CFE-CGC des industries électriques et gazières, M. Michel DECAYEUX, secrétaire général de la fédération CGT-FO des industries chimiques, M. Robert PANTALONI, représentant des salariés au conseil d'administration d'EDF, parrainé par la CGT-FO, M. Dominique OLIVIER, secrétaire confédéral CFDT, responsable des questions liées aux risques industriels, M. Jacques KHELIFF, secrétaire général de la fédération CFDT chimie et énergie, M. Dominique GRANDJEAN, responsable de la sécurité de la fédération CFTC de la chimie, et M. Gérard GERENT, délégué syndical CFDT, Société européenne des produits réfractaires (SEPR) 120

- Table ronde sur les assurances et la réassurance dans le domaine des risques industriels, réunissant :M. Alain ACERBIS, secrétaire général de la Compagnie des Experts agréés (CEA), M. Bernd OTTEN, délégué de Munich Ré France Services, M. Louis-Marie BOUCRAUT, vice-président de la compagnie des experts agréés, M. Philippe DETREZ, président de l'association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise (AMRAE), M. Pierre FLORIN, directeur-adjoint d'AXA corporate solutions, M. Raymond GUILLET, président de la Fédération des experts et président du syndicat national des experts d'assurés (SNEA), M. Denis KESSLER, président de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), M. Guy LALLOUR, directeur général d'AGF courtage pour les grands comptes, M. Jean-Marc LAMERE, délégué général de la fédération française des sociétés d'assurance, M. Jean-Marie NESSI, président-directeur général d'AXA corporate solutions, (responsable de la réassurance), et M. Renaud de PRESSIGNY, directeur de SCOR Business solutions (branche risques industriels) 153

- Audition conjointe de M. Philippe VESSERON, directeur de la prévention des pollutions et des risques, délégué aux risques majeurs au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, et de M. André-Claude LACOSTE, directeur de la sûreté des installations nucléaires au Secrétariat d'Etat à l'Industrie et au Ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement 197

Auditions - volume 2

Audition conjointe de M. Michel SAPPIN, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'intérieur, et M. Michel CHAMPON, sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques

Audition de M. Serge BIECHELIN, Directeur de l'usine Grande-Paroisse Toulouse

Audition conjointe de MM. Bernard FONTANA et Daniel SURROCA, respectivement directeur général adjoint du groupe SNPE et directeur industriel SNPE-chimie

Audition conjointe de MM. Michel GAUBERT, Henri MONCASSIN, Jacques MIGNARD et Georges ARCIZET, Représentants des salariés de l'usine Grande-Paroisse

Audition conjointe de Mme Isabelle DELORME et de MM. Claude FRIQUART, Jean-Marc ESTEVES, Bernard GARCIA, Christian LAHAYE, Richard DELPRAT, Stéphane MIRAILLES et Hubert DANDINE, représentants des salariés de l'usine SNPE

Audition conjointe de MM. François JUNCA et Jean-Louis CHAUZY, respectivement président de la CCI de Toulouse et président du Conseil économique et social régional

Audition de M. Martin MALVY, Président du Conseil régional Midi-Pyrénées

Table ronde rassemblant des représentants d'associations : Mmes José CAMBOU et Bérangère CHAMBON, Union Midi-Pyrénées nature environnement, M. Frédéric ARROU, association des sinistrés du 21 septembre, M. Saïd BESSAIAH, association des sinistrés de Papus, M. Henri FARRENY, association Ramonville citoyenne, Mme Jeanne MEYNADIER, et MM. Marcel LEROUX et Jean-Pierre BATAILLE, collectif "Plus jamais ça ici ou ailleurs", MM. Alain CIEKANSKI et Dominique GILBON, Amis de la terre Midi-Pyrénées

Audition de M. Hubert FOURNIER, Préfet de la région Midi-Pyrénées, Préfet de Haute-Garonne

Audition de M. Guy CAUMES, président du cabinet EQUAD, cabinet d'experts en assurances, agissant pour le compte des assureurs de TotalFinaElf pour gérer l'indemnisation du sinistre du 21 septembre, M. Jean-Claude MECHAIN, directeur technique de la MACIF du Sud-Ouest, et M. René BANTAA, représentant de la MAIF et coordinateur du GEMA

Audition de M. Pierre IZARD, président du Conseil général de Haute-Garonne

Table ronde réunissant des élus : Mme Françoise IMBERT, députée, M. Georges BEYNEY, Maire de l'Union, M. Christian BILLIERES, adjoint au Maire de Lespinasse, M. Gilles BROQUERE, Maire de Fenouillet, M. Jean-François CHANTELOSE, Premier adjoint au Maire de Balma, M. Philippe GUERIN, Maire de Cugnaux, M. Bernard KELLER, Maire de Blagnac, M. Henri MIGUEL, Maire de Saint-Jory, M. François PERALDI, Maire de Portet-sur-Garonne, M. Claude RAYNAL, Maire de Tournefeuille, M. Christian SEMPE, Maire de Saint-Orens, M. Bernard SICARD, Maire de Colomiers, et M. Bernard SOLERA, Maire de Quint-Fonsegrives, et Mme Arlette SYLVESTRE, Maire de Launaguet

Audition de M. André SAVALL, Président du secrétariat permanent pour la prévention des problèmes industriels de Toulouse (SPPPI)

Audition conjointe de M. Alain DORISON, directeur régional de la recherche, de l'industrie et de l'environnement de la Région Midi-Pyrénées, et M. Alain BARAFORT, adjoint au chef du service de l'environnement industriel de la DRIRE Midi-Pyrénées

Audition conjointe de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Député, maire de Toulouse, et M. Claude MOREAU, directeur général des services techniques de Toulouse

Audition de M. Thierry DESMAREST, Président-directeur général de TOTALFINAELF, M. Bernard TRAMIER, directeur environnement et sécurité industrielle de TOTALFINAELF, et M. Yvan VEROT, directeur Hygiène, sécurité, environnement d'ATOFINA

Auditions - volume 3

Audition de M. Pierre WOLTNER, président du Conseil supérieur des installations classées

Audition conjointe de M. Yves-René NANOT, président du comité environnement, M. Bernard CARON, directeur de la protection sociale, M. Christian LACOTTE, directeur de l'environnement, et de MM. Christian GROSBOIS et Yves BERNHEIM, membres du comité environnement, du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Table ronde sur les questions de qualité, certification et maintenance, réunissant : Mme Marie-Claude DELAVEAUD, Secrétaire générale de l'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise (AMRAE), M. Claude PICHOT, Président de l'Association française des ingénieurs et responsables de maintenance (AFIM), M. François ROBIN, Directeur du département management et entreprises de l'Association Française de Normalisation (AFNOR), et M. Jean-Luc STRACZEK, Responsable de la Branche Environnement de l'Association Française pour l'Assurance de la Qualité (AFAQ)

Table ronde d'associations de protection de l'environnement, réunissant : Mme Liliane ELSEN, France nature environnement, M. Yannick VICAIRE, Greenpeace, M. Benoît PENEZ, Mitry Ecologie, M. Claude AURY, Mouvement national de lutte pour l'environnement, et M. Jacky BONNEMAINS, Robin des bois

Audition conjointe de M. Jean-Pierre LAURENT, Directeur Sûreté, Sécurité, Qualité de la COGEMA, M. Michel LAVERIE, Directeur Qualité et Sûreté nucléaire au CEA-Saclay, M. Jean-Philippe MOSSE, Directeur Environnement du groupe AREVA, et M. Laurent STRICKER, Directeur de la division Production nucléaire d'EDF

Audition de M. Philippe ESSIG, chargé de l'organisation du débat national sur les risques industriels au Ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Audition de M. Pierre-Marie DUHAMEL, Président de l'association nationale des communes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (ANCMRTM)

Audition conjointe de M. Jürgen WETTIG, Responsable de la directive Seveso à la Commission européenne, M. Neil MITCHISON, Programme Manager au Bureau des risques majeurs de l'Institut des systèmes d'informatique et de la sécurité, M. Robert RUIGROK, DCRM, Milieudienst Rijnmond, (Agence de protection de l'environnement pour la région Rotterdam-Rijnmond) et M. Theo LOGTENBERG, Senior consultant du TNO

Audition de M. Yves COCHET, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Audition de M. Christian PIERRET, Secrétaire d'Etat à l'Industrie

Audition conjointe de représentants de la Fédération Nationale des Mines et de l'Energie - CGT (FNME-CGT) : M. Gérard RODRIGUEZ, membre du Bureau fédéral de la FNME-CGT, M. Jean GAY, collaborateur de la FNME-CGT sur les questions gazières, et M. Olivier BARRAULT, représentant élu des salariés au conseil d'administration de Gaz de France, parrainé par la CGT

Audition de M. Hubert GRALLET, Président de la Fédération française des coopératives agricoles de collecte, d'approvisionnement et de transformation (FFCAT), M. Denis ROUGEAUX, directeur, et M. Jacques SALÉ, Directeur sécurité environnement

Audition conjointe de M. François COLPART, Secrétaire général du Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines, M. Gilbert GUYARD et Olivier VEYRET, Secrétaires nationaux, et M. Yves LEMAIRE, conseiller technique

Audition conjointe de Mmes Anouk DEMEY et Laurence JUBIN, respectivement Présidente et membre de l'Association VILLERME

Audition de M. Philippe VESSERON, directeur de la prévention des pollutions et des risques, délégué aux risques majeurs au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, et M. Laurent MOCHE, chef du bureau des risques technologiques et des industries chimiques et pétrolières

Malgré son souci de travailler dans la plus grande transparence et de rendre publics l'intégralité de ses travaux, la Commission s'est heurtée à des délais trop brefs pour y parvenir.

Remerciant l'ensemble des personnalités rencontrées pour la qualité des informations qu'elles lui ont communiquées, la Commission regrette de pas être en mesure, pour des raisons matérielles, de publier la totalité des procès verbaux des auditions qu'elle a réalisées, notamment en raison de la lourdeur des opérations de validation des comptes rendus sténographiques.

La Commission a tenu toutefois à présenter dans le tome II la totalité des procès verbaux des auditions réalisées à l'Assemblée nationale, et, on le comprendra, en raison de leur importance toute particulière, les comptes rendus des auditions effectuées à Toulouse.

Table ronde sur les aspects techniques de la sûreté industrielle, réunissant :

M. René AMALBERTI, professeur à l'Institut
de médecine aérospatiale du service de santé des Armées (IMASSA),

Mme Mathilde BOURRIER,
maître de conférences à l'Université de technologie de Compiègne,

Mme Annick CARNINO, directrice de la sûreté des installations nucléaires à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA),

M. Claude GILBERT, directeur de recherche
au Centre national de la recherche scientifique (CNRS),
Directeur du Groupement d'intérêt scientifique (GIS)
« Risques collectifs et situations de crise »,

MM. Georges LABROYE et Jacques REPUSSARD,
respectivement directeur général et directeur général adjoint
de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS),

M. Jean-Claude LAPRIE, directeur du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS) du CNRS,

M. André PICOT, directeur de recherche au CNRS,

et M. Jean-Claude CHARPENTIER, directeur de l'Ecole supérieure de chimie, physique et électronique de Lyon,

(procès-verbal de la séance du 7 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Rapporteur : Votre mission est de nous éclairer sur les paramètres essentiels de la sûreté des installations industrielles aux plans technique et organisationnel.

Je vous propose de scinder nos débats en trois parties pour évoquer successivement, bien que ces questions soient liées, la sûreté de conception, la sûreté en exploitation et le contrôle de la sûreté.

Sur chacun de ces thèmes, je vous demanderai d'indiquer en préalable brièvement les notions qui vous paraissent fondamentales, les principales faiblesses des organisations actuellement en vigueur et les points sur lesquels vous jugez des évolutions souhaitables.

Vous êtes des spécialistes et certaines des questions qui vous seront posées vous paraîtront peut-être naïves. Ne vous en étonnez pas : nous vous poserons les questions que se posent nos concitoyens.

Sur le premier thème - la sûreté de conception - nous demanderons tout d'abord à M. Jean-Claude Charpentier, directeur de l'école supérieure de chimie, physique et électronique de Lyon, ancien directeur de l'école nationale supérieure des industries chimiques de Nancy, de nous parler de la sûreté dans le génie des procédés. Ensuite, M. Georges Labroye, directeur général de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) interviendra sur le cas particulier des matières explosives. Puis, M. Jean-Claude Laprie, directeur de recherche au CNRS, directeur du laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS) évoquera la sûreté des systèmes d'information dans les processus industriels et la protection des systèmes d'information. Enfin, Mme Annick Carnino, directrice de la sûreté des installations nucléaires à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) présentera les grands principes de la sûreté nucléaire et nous dira en quoi la sûreté dans ce secteur se distingue ou ressemble à ce qui existe dans le secteur de la chimie. Cette première partie sera suivie d'un débat à partir des questions de nos collègues parlementaires.

La deuxième partie de notre réunion sera consacrée à la sûreté en exploitation. M. Jean-Claude Charpentier interviendra sur le contrôle de la sûreté et le fonctionnement des procédés. M. Claude Gilbert, directeur de recherches au CNRS, directeur du Groupement d'intérêt scientifique « Risques collectifs en situations de crise », présentera les dispositifs existants en matière de retour d'expérience et les pistes permettant de les améliorer et de renforcer l'implication des différents acteurs concernés. Puis Mme Mathilde Bourrier, maître de conférences à l'Université de technologie de Compiègne traitera de la conception organisationnelle de la sûreté. M. le Professeur René Amalberti de l'Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées nous parlera des procédures d'intervention en situation incidentelle ou accidentelle et de la formation des personnels à la sûreté. Il précisera le rôle du facteur humain, très important puisqu'il est responsable de la moitié des accidents. Enfin, Mme Annick Carnino interviendra sur la culture de sûreté et un deuxième débat s'engagera.

Enfin, la dernière partie sera consacrée au contrôle de la sûreté. M. Georges Labroye, directeur général, et M. Jacques Repussard, directeur général adjoint de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) interviendront successivement sur les études de danger. M. André Picot, directeur de recherche au CNRS interviendra sur la prévention du risque chimique, l'information et la formation des contrôleurs. Après une présentation par Mme Annick Carnino des normes de sûreté et des conventions internationales sur les revues de sûreté, un dernier débat s'engagera.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Je suis professeur en génie des procédés. La résolution ayant créé cette commission d'enquête évoque les "conditions techniques de dimensionnement des installations". Cette notion est la base même du génie des procédés.

Le génie des procédés concerne non seulement les procédés chimiques mais aussi d'une façon plus générale tous les procédés de transformation physico-chimique ou biologique de la matière première et de l'énergie en un produit dont la valeur d'usage est réclamée par le consommateur. Il s'agit donc d'un concept qui concerne aussi bien la chimie, la pharmacie et la verrerie que la cimenterie, l'alimentaire, la cosmétologie, la micro-électronique ou la biologie et notamment la bio-technologie.

Le génie des procédés est une discipline qui progresse ; les Européens, et notamment les Néerlandais, sont en avance dans ce domaine. Elle permettra à terme de transformer profondément l'organisation des usines.

Le génie des procédés concerne l'ensemble des sciences et techniques permettant cette transformation physico-chimique de la matière première et de l'énergie en un produit finement ciblé via des procédés autant que possible « zéro défaut », « zéro pollution » - mais non « zéro déchet » - et « zéro accident », grâce à la sécurité des procédés.

Les industriels, dans le cadre de la mondialisation, sont confrontés à l'exigence, très importante pour eux, d'être, pour un produit donné, les premiers sur le marché. Pour ce faire, le contrôle des procédés est nécessaire. Cela fait intervenir la sécurité du produit mais aussi celle de l'installation, donc celle des personnels.

Toutes ces transformations se font avec des réacteurs. Cela concerne la distillation, l'absorption, l'extraction, le stockage - dont on a parlé à propos de la catastrophe de Toulouse -, et la cristallisation, qui met en _uvre des produits pulvérulents c'est-à-dire des poudres, extrêmement dangereux. On ne peut pas jeter l'anathème sur la chimie : certains stocks de blé en poudre explosent. Je ne veux pas me faire le défenseur de la chimie mais le problème de la sûreté concerne toutes les industries de transformation physico-chimique et biologique de la matière et de l'énergie et non la seule chimie. Cela signifie qu'aujourd'hui le génie des procédés doit désormais intégrer une multitude de données.

A partir du 1er janvier, je serai président de la Fédération européenne de génie des procédés. Dans le cadre de celle-ci, on constate une très large prise en compte de la préoccupation de développement durable qui inclut les problèmes d'environnement liés à la sécurité des procédés. Le dernier congrès européen de génie des procédés qui se tenait à Nuremberg a montré que ces sujets étaient capables de mobiliser 2.000 enseignants et chercheurs, dont 700 ou 800 travaillant dans le secteur industriel, pendant 4 jours.

Dans le contexte actuel, lorsqu'un industriel veut mettre de nouveaux produits sur le marché en utilisant des procédés innovants, il doit prendre en compte l'opinion publique. Pour ce faire, il lui faut travailler dans la transparence totale, depuis la molécule jusqu'au produit que le consommateur utilise, et avec des procédés totalement sécurisés, en faisant passer cette information aux responsables politiques et aux médias. L'industrie doit donc être totalement transparente, sinon l'industrie chimique et para-chimique des procédés au sens large du terme se trouve en danger. C'était le grand message repris par la suite par le communiqué de Melbourne adopté à l'occasion du sixième Congrès mondial du génie des procédés. Toutes les sociétés savantes du monde entier ont signé une charte de développement durable disant que la science du génie des procédés, notamment avec la sécurité des procédés, était dorénavant au service du développement durable grâce à des procédés totalement sécurisés et à l'utilisation des nanotechnologies, c'est à dire de très petits équipements utilisables pour réaliser des réactions très dangereuses notamment à partir du phosgène, du chlore ou du monochlorure d'éthylène, par exemple pour faire des polymères, en utilisant peu de matières premières et d'énergie.

Enfin, nous avons dit que, compte tenu des développements actuels, notamment dans le domaine de l'informatique -la puissance des ordinateurs double tous les ans- et du traitement de l'image, il était nécessaire, pour éviter les accidents tel que celui de Toulouse, de multiplier les capteurs, et notamment les nanocapteurs, au sein des réacteurs dans lesquels ont lieu des transformations physico-chimiques et biologiques. Cela permet de pouvoir suivre l'évolution des réactions, qu'elles soient chimiques, catalytiques ou biologiques. Traiter l'information et le signal pour automatiser les procédés et les sécuriser nécessite des ordinateurs de plus en plus puissants.

M. Georges LABROYE : Il faut reconnaître qu'aujourd'hui la législation française en matière de substances explosives, qu'il faut bien distinguer des substances explosibles, est actuellement très sûre. Depuis 1980, date à laquelle des arrêtés déterminant des zones de risque plus nombreuses que pour les sites classés « Seveso » ont été pris, on n'a pas trouvé, heureusement, de faille dans l'application de cette législation. Il n'y a pas eu d'accidents pyrotechniques aussi importants que celui que nous avons constaté à Toulouse avec une substance qui, a priori, n'était pourtant ni explosive ni explosible.

L'application de cette législation sur les explosifs est garantie par le contrôle de l'inspection pour les poudres et explosifs. Je rappelle que l'INERIS est un organisme comptant 475 personnes dont la moitié travaillent dans le risque accidentel et une partie dans la notification des substances explosives, dont l'usage civil concerne l'abattage dans les carrières ou les mines, l'aérospatiale et d'autres applications. L'INERIS trouve son origine dans le centre de recherche de Charbonnages de France. Il a donc une très grande expérience dans ces explosifs à usage civil que nous testons. Notre organisme est reconnu au niveau européen pour sa compétence en matière d'explosifs.

En ce qui concerne les installations de fabrication d'explosifs à usage civil ou militaire, il importe de limiter en permanence les quantités stockées. Il est également très important d'avoir des distances significatives entre chacun des stockages, et d'assurer un confinement, notamment grâce à des merlons. On le sait depuis que les explosifs existent. La sûreté continue néanmoins de progresser en ce domaine.

En limitant les quantités et en faisant attention à des distances suffisantes entre chacun des stockages, des événements comme ceux de Toulouse, qui ne concernaient pas des explosifs, ne se seraient peut-être pas produits ou auraient, en tout cas, eu des conséquences limitées.

L'application de ces méthodes au secteur des explosifs a permis, depuis vingt ans, de limiter le nombre d'accidents mortels à un ou deux par an, ce qui reste toujours trop. On n'a pas connu de très grosses catastrophes. Il y a eu en revanche des accidents graves avec des artifices de divertissement qui représentent encore la moitié des accidents. Néanmoins, nous devons toujours rester vigilants.

Toutes les substances explosives font partie des substances classées en application de la directive Seveso. Toutefois, dès la législation de 1980, cinq zones de danger ont été établies autour des fabrications et stockages d'explosifs contrairement aux sites Seveso où il n'y en a que deux. En effet, les risques thermiques ou de delta de pression sont évalués de manière plus stricte dans les nouvelles directives Seveso qu'ils ne l'étaient dans la législation pour les explosifs, ce qui est plutôt rassurant. L'INERIS est à votre disposition pour compléter votre information sur ces substances que nous connaissons depuis longtemps.

M. Jean-Claude LAPRIE : Je vous donnerai tout d'abord l'état de l'art en sûreté informatique. On distingue deux grandes classes de cause de défaillance : l'accident et la malveillance.

A l'origine des défaillances accidentelles, pour ce qui concerne le c_ur informatique, on trouve d'abord les logiciels puis les problèmes d'interaction homme / machine et les problèmes physiques (défaillances du matériel et susceptibilité à l'environnement). En ce qui concerne le système contrôlé, la situation est différente. Les fautes d'interaction du système dominent davantage mais les analyses révèlent souvent des fautes de conception ou des problèmes d'organisation sous-jacents dans les fautes d'interaction.

En ce qui concerne les malveillances, outre les virus, on sait que tous les systèmes informatiques sont sujets à des fraudes.

Il n'y a pas d'exemple d'accident grave qui soit arrivé à des systèmes industriels en raison de l'informatique. Des défaillances liées à l'informatique ont reçu une large publicité, comme le fait que les Etats-Unis restent sans téléphone durant 9 heures ou qu'une fusée Ariane 5 s'écrase lors de son premier vol du fait d'un bug logiciel. Il n'y a pas d'équivalent de ces événements dans les domaines des systèmes industriels. Il y a en revanche parfois des alertes où l'on se rapproche des problèmes. Dans un domaine connexe aux systèmes industriels que sont les transports, le pilotage informatique des métros et trains aboutit souvent à des arrêts de rames inutiles. Cela met en jeu la disponibilité mais pas la sécurité.

Pourquoi l'informatique n'est-elle pas un facteur majeur de risques industriels ? Tous les systèmes employés tolèrent les fautes d'origine matérielle. Pour les logiciels, nous avons affaire à des processus de développement très contrôlés pour réduire au maximum le nombre de fautes résiduelles. Le zéro défaut n'existe pas en matière de logiciel ; il faut donc essayer de réduire le risque de défaillance au maximum.

Quand l'application est critique, on fait appel à la tolérance aux fautes du logiciel. On fait donc des conceptions diversifiées en faisant réaliser des logiciels par des équipes séparées.

De plus en plus, on voit apparaître dans les domaines critiques des approches mathématiquement formelles pour avoir la meilleure confiance. Toutefois, avoir prouvé mathématiquement la fiabilité d'un logiciel ne signifie pas qu'il est exempt de faute.

Face à la complexité des fonctions attendues et sous la pression financière de plus en plus à court terme, qu'il convient de ne jamais oublier, on ne recrée pas ex nihilo les systèmes de commande et de contrôle informatique. On utilise des composants existants dans le commerce : des systèmes d'exploitation et des systèmes de gestion de base de données disponibles dans le commerce qui n'ont pas été conçus pour la sûreté. On a donc des incertitudes sur la validation.

L'autre problème est l'ouverture. L'on avait jusqu'à présent surtout affaire à des systèmes fermés qui ne dialoguaient pas entre eux. On les connecte désormais par des réseaux, et dans le futur, on les connectera par Internet. Cela renforce les risques de défaillances et cela ouvre en outre la porte aux malveillances.

Internet peut en effet être analysé comme un océan informatique qui ne fait pas preuve d'une parfaite fiabilité. On a beaucoup perdu sur ce plan par rapport au système transactionnel traditionnel.

Les générations futures ne pourront pas répondre à toutes les contraintes, ne serait-ce que pour des raisons économiques. Lorsque l'on voudra faire un système critique qui utilisera les facilités d'Internet, il faudra constituer des îlots fortifiés et à partir de ceux-ci établir des archipels fortifiés. Cela implique de résoudre de nombreuses questions :

- assurer la sûreté des communications : ce n'est pas le problème fondamental, de nombreuses solutions existent,

- éviter la propagation des erreurs dans les archipels fortifiés ainsi constitués est déjà plus sérieux, d'où la nécessité d'une barrière logique,

- arrêter les erreurs ne suffit pas. Il faut pouvoir les tolérer et avoir donc des approches de tolérance, non seulement aux problèmes accidentels (défaillances des matériels et des logiciels), mais aussi, compte tenu de l'ouverture, aux malveillances.

Il faut noter que les grandes infrastructures essentielles, qu'il s'agisse des télécommunications, du transport ou de la distribution d'énergie, comme les systèmes industriels ne pourront pas être isolées. Toutes ces infrastructures essentielles qui étaient auparavant indépendantes ne le sont plus et deviennent couplées par l'informatique. Les questions de sûreté et de sécurité informatiques sont donc amenées à prendre une grande importance dans la vie de la Nation.

Mme Annick CARNINO : Je travaille à l'Agence internationale de l'énergie atomique. Depuis une quinzaine d'années, nous assistons à l'internationalisation de la sûreté nucléaire. C'est là un point très important et une différence fondamentale avec d'autres secteurs et notamment avec celui de la chimie.

Notre objectif est la protection des travailleurs, de la population et des biens contre les effets des rayonnements ionisants.

La prévention commence par le choix du site où doit être implantée l'installation qu'il s'agisse d'une centrale nucléaire ou d'un réacteur de recherche.

Les caractéristiques du site, la nécessité par exemple de prendre en compte le risque sismique ou le risque d'inondations, font que la préoccupation de sûreté influence la conception même de l'installation.

Au stade de la conception de l'installation, la prévention consiste à étudier tous les accidents possibles pour pouvoir les prévenir et à mettre en place les moyens qui vont empêcher les accidents potentiels d'avoir effectivement lieu. C'est ce que l'on appelle le dimensionnement, qui a comme grand principe la défense en profondeur, c'est-à-dire l'existence de barrières entre les matières dangereuses et la barrière suivante pour l'environnement. En plus de ces barrières, on veille à l'existence de lignes de défense. On développe, en particulier, des systèmes de sauvegarde qui n'interviendront qu'en cas de démarrage d'une séquence accidentelle.

Ensuite, nous appliquons les principes de redondance et de diversité en évitant les modes communs. Cela nous amène à faire, dès la conception, des études probabilistes de sûreté pour analyser les accidents possibles, les séquences et les fréquences possibles de ces accidents.

La maîtrise des conséquences possibles a également une importance fondamentale. Là encore, il s'agit d'une préoccupation présente dès le stade de la conception.

La maîtrise interne des conséquences possibles repose sur l'étude des accidents très sévères, même s'ils sont hautement improbables, la conduite d'études probabilistes de sûreté et la mise en _uvre de tous les principes qui amèneront aux procédures de sûreté opérationnelle et au management des accidents très graves.

Enfin, la dernière ligne de défense, ce sont les plans d'urgence. Si malgré tout l'accident se développait véritablement, comment continuer à protéger aussi bien les travailleurs que les populations ?

Pour cela, dès le choix du site, nous prenons en compte les exigences internes et externes.

M. le Président : Je vous remercie. Nous allons passer à la première série de questions.

M. Paul DHAILLE : Monsieur le Président, je poserai trois questions.

Mme Carnino a évoqué les études probabilistes de sûreté conduites dans le domaine nucléaire. Dans les autres activités industrielles, des études ont-elles été faites pour savoir à quel moment du processus de production les accidents se produisaient le plus souvent ? Pour le pétrole, par exemple, on distingue les phases de déchargement, de stockage, de traitement et des ajouts d'additifs notamment peuvent également intervenir. Quelle est la phase où l'accident se produit le plus souvent ? A partir de cette étude statistique, en a-t-on tiré d'ores et déjà des conclusions ?

On a l'impression, en tant que profane, que c'est à l'occasion des stockages que les accidents sont les plus fréquents. On va vers une réduction du stockage, mais est-il envisagé dans le processus industriel de travailler en flux tendu, sans stockage ? Pourquoi ne travaillerait-on pas avec des alimentations par conduit qui éviteraient les stockages dans les entreprises ? Je sais que cela peut apparaître idéal, mais n'est-ce pas une voie de solution ?

M. Pierre COHEN : D'une manière générale, il me semble que beaucoup des concepts de l'informatique s'appliquent à l'ensemble des dispositifs industriels.

A l'occasion de la catastrophe de Toulouse, a été mise en évidence la différence existant entre la chimie et des domaines extrêmement protégés au sein desquels beaucoup d'efforts ont été réalisés en amont en matière de sûreté comme le nucléaire. Les procédures très rigoureuses évoquées à propos du nucléaire sont-elles propres à ce secteur ou sont-elles mise en _uvre dans d'autres domaines industriels ?

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je souhaite poser trois questions à M. Laprie. Vous avez évoqué la sûreté des communications, comme ne posant pas véritablement de problèmes. Qu'entendez-vous par là ? Après l'explosion, à Toulouse, nous n'avons pas pu communiquer. Les téléphones, qu'ils soient fixes ou portables, n'ont pas fonctionné.

La deuxième question est : Qu'entendez-vous par « barrière logique de confinement » ? A Toulouse, tout, et notamment les fenêtres et les toits, avait explosé, et il était donc difficile d'avoir un confinement sûr.

Ma troisième question porte sur les sirènes qui doivent être actionnées après chaque incident, accident voire catastrophe. Ces sirènes n'ont pas fonctionné à Toulouse. Nous avons été privés de la possibilité de communiquer, nous n'avons pu mettre en _uvre cette précaution de confinement et n'avons même pas été informés du fait qu'il s'était passé quelque chose puisque le déclenchement des sirènes n'a pas fonctionné.

M. Michel VAXES : J'ai le sentiment, après avoir entendu les différents intervenants, que la connaissance scientifique, et notamment la connaissance des procédés, permet aujourd'hui d'éviter le risque et que le risque majeur industriel, s'il se produit, n'est sûrement pas lié à un défaut de connaissance mais bien plutôt à la contrainte économique.

Notre Commission d'enquête doit prendre en compte cette problématique. Les accidents semblent souvent résulter, soit d'une insuffisance de moyens, par exemple de maintenance, ou liée à la précipitation dans les procédés de fabrication, soit d'une défaillance humaine, ce qui renvoie aux questions de formation. Il faut également faire la part des actes de malveillance et, si, par malheur, un aéronef tombait sur un complexe pétrochimique, cela risquerait de faire de nombreux dégâts, mais cela relève d'une autre problématique.

Je souhaite connaître l'opinion de spécialistes sur ce sentiment.

M. le Président : M. Jean-Claude Charpentier, voulez-vous essayer de répondre à M. Paul Dhaille ?

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Vous avez posé une question simple pour des réponses complexes. Il y a des chimies. La chimie des produits lourds se distingue de la chimie fine, de la pharmacie ou de la cosmétologie, sans parler de l'agroalimentaire. La chimie est donc un domaine très large et il faut travailler dans certains cas avec des flux tendus, en particulier pour des produits à très haute valeur ajoutée, notamment dans la pharmacie et la chimie fine.

Dans d'autres domaines, on recourt davantage au stockage. Pour le nitrate d'ammonium, les engrais ou le pétrole, ce qui est déterminant, ce sont les cours des marchés.

En réponse à votre seconde question, je dirais que l'on sait aujourd'hui à peu près tout modéliser. On connaît étape par étape tous les procédés où il peut y avoir des ennuis. Avec de bons modèles informatiques et avec de l'expérience physique, on peut déterminer les étapes limitantes.

Le problème du flux tendu est le risque de déplacer aussi les risques. Le problème est assez complexe. Je sais que ma réponse ne vous satisfait pas mais c'est la réalité. Ce qui est possible pour l'industrie automobile ou avec le pétrole, ne l'est plus lorsque vous travaillez avec des vaccins ou des médicaments. Le cas des industries de la chimie fine et ou de l'industrie pharmaceutique, qui a besoin de phosgène, produit dangereux, pour la fabrication de médicaments, l'illustre.

M. Jean-Claude LAPRIE : Lorsque je parlais de communication sûre, je parlais de communication informatique. Vous avez fait allusion à la saturation du réseau téléphonique, il s'agit là d'un phénomène connu.

Dans les statistiques de la Commission fédérale des télécommunications aux Etats-Unis viennent en tête des causes d'indisponibilité du téléphone, affectant plus de 30.000 abonnés, les grands événements, c'est-à-dire les catastrophes naturelles, les ouragans en particulier, ou les événements sportifs. Il y a, à ces occasions, une saturation des réseaux téléphoniques. Nul objet technologique n'est conçu pour encaisser des situations qui ne se produisent que très rarement.

Les barrières logiques de confinement visent à éviter la propagation des erreurs de calcul. Vous parliez non pas du confinement logique mais du confinement physique.

Enfin, pour les sirènes, je crois savoir que celles qui auraient pu fonctionner avaient été détruites ou que, pour une raison que j'ignore, elles n'ont pas été activées. Vous étiez à Toulouse comme moi : le bruit, les événements et les vibrations dues par le phénomène sismique secondaire font que je ne sais pas si la sirène aurait ajouté grand-chose.

Je voudrais profiter de l'occasion, puisque j'ai la parole, pour réagir à l'idée selon laquelle les malveillances relèvent d'une autre problématique. Non. Les malveillances relèvent d'une problématique différente de l'accident lorsque l'on suppose qu'on est capable de faire une conception parfaite et qu'il n'y a pas de bug résiduel. Dès qu'il y a des bugs résiduels, les malveillances et les problèmes accidentels sont couplés. On le vit en informatique. Un bug de conception, c'est une porte ouverte à la malveillance, qu'il s'agisse de la grosse malveillance terroriste ou de la petite malveillance au jour le jour. Et de plus en plus, nos organisations auront des difficultés de ce genre car elles sont de plus en plus complexes. Il y a donc davantage de bugs et il y aura donc plus de malveillance au quotidien qui pourront provoquer de gros problèmes. Il y a donc un couplage.

M. le Président : Qui veut répondre à M. Vaxès ?

Mme Annick CARNINO : Vous avez parlé de la connaissance qui permettrait d'éviter le risque majeur. Effectivement, on a vu depuis vingt ans que nos connaissances pouvaient jouer.

Vous avez parlé de la contrainte économique - je ne commenterai pas le rôle qu'elle a pu jouer dans l'accident de Toulouse - mais vous avez raison : c'est une préoccupation que nous avons dans la sûreté nucléaire depuis quelques années.

Nous sommes actuellement dans un univers de changement, avec l'émergence de nouvelles préoccupations comme la mondialisation, les contraintes économiques et la transparence. On peut y ajouter maintenant le terrorisme. Nous sommes donc en plein changement.

Actuellement, nous développons des méthodologies qui nous permettrons d'y répondre pour ce qui concerne le nucléaire. Essentiellement, cela repose sur le concept de management de la sûreté, qui signifie que la sûreté est la première priorité dans une installation industrielle.

Le second aspect est la culture de la sûreté qui constitue une protection humaine que l'on développe de façon à ce que les réactions des personnels donnent la priorité voulue à la sûreté.

M. Pierre COHEN : Je n'ai pas eu l'impression d'avoir obtenu une réponse à ma question et je vais la reposer plus précisément. Vous avez fourni une méthodologie précise sur le nucléaire. Est-ce que chaque secteur décide de la façon dont il appréhende les problèmes de sûreté ou les méthodes utilisées sont-elles pratiquement identiques, quel que soit le secteur industriel ? En particulier la chimie a-t-elle une méthodologie de prise en compte en amont de la sûreté pour le choix du site, pour la maîtrise des conséquences et la gestion des plans d'urgence ?

M. Jean-Claude CHARPENTIER : La réponse est oui. L'Union des Industries Chimiques établit une méthodologie pour répondre, point par point, à tous les aléas dont je vous répète que le spectre est large selon les produits que l'on veut faire. Il y a notamment la méthode HAZOP (Hazard and operability study) qui est voisine de celle du nucléaire, mais le spectre est large tandis que celui du nucléaire est petit.

M. Paul DHAILLE : Monsieur le Président, j'ai une autre question concernant l'informatique. Autrefois, les procédés industriels étaient pilotés par des hommes, je pense en particulier aux raffineries ou à la pétrochimie. Lorsque la réaction chimique échappait au contrôle des opérateurs, on « envoyait à la torche ».

Aujourd'hui, les procédés sont contrôlés par ordinateur et nous avons de nombreux capteurs. Un certain nombre de salariés ont le sentiment que l'ordinateur cherche toujours à se rattraper. Il y a une espèce de course pour ne pas « envoyer à la torche » mais pour aller de plus en plus loin, pour essayer de rétablir la situation sans perte de produit.

On sait que sur les places financières, lorsqu'il y a une baisse des cours trop importante, les transactions s'arrêtent. Dans les processus informatiques, quelles sont les mesures de sûreté qui se déclenchent ? Y a-t-il effectivement un déclenchement dans les programmes informatiques et à quel moment ?

Comme vous l'avez dit c'est un problème économique : si cela se déclenche trop souvent, on perd de la production, si cela ne se déclenche pas assez souvent, on risque de mettre l'installation et les hommes en danger. Comment sont réglés les processus informatiques pour que le risque soit lui-même contrôlé ? N'y a-t-il pas un « sur-danger » du fait de l'informatique car l'ordinateur, qui n'appréhende pas le danger comme un être humain, ne déclenche pas ou déclenche trop tard ?

M. Jean-Claude LAPRIE : L'informatique n'est qu'un moyen. Pour ma part, je peux parler des problèmes de sûreté de l'informatique ou causés par l'informatique. Vous me demandez ce que l'existence de l'informatique a apporté comme changements dans la manière de concevoir les systèmes industriels et si les domaines de fonctionnement, les marges utilisées ont changé, du fait du pilotage informatique. Oui, les choses ont changé, mais cela permet, par ailleurs, d'avoir davantage de surveillance ; il y a donc un équilibre entre les deux. Mais j'avoue mon incompétence, je pense vraiment que seules des personnes du génie chimique peuvent dire comment l'arrivée de l'informatique a transformé leur métier.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Dans le secteur industriel, on ne joue plus avec la sécurité, avec les problèmes qui ont eu lieu dans les raffineries. La gestion des risques, les arbres de causes, l'analyse des risques, tout cela donne l'impression que l'informatique prend de plus en plus de place et qu'il y a de moins en moins d'hommes, mais les réseaux s'auto-sécurisent.

Lorsque j'évoquais la nécessité d'être le premier sur le marché et la contrainte de rentabilité, cela reste vrai mais pas par n'importe quel moyen. Aujourd'hui, il existe également un impératif de transparence. Il ne faut pas faire un procès d'intention à l'informatique et il faut lui faire confiance ; nous aurons des ordinateurs de plus en plus puissants avec des programmes de plus en plus intelligents. On peut parler de la logique floue, de l'intelligence artificielle, des possibilités d'analyser toutes les causes possibles d'accident.

Pour répondre à votre question, je dirai que l'informatique aujourd'hui fait bien son travail compte tenu de l'état de l'art et de la science à l'heure actuelle. Il faut savoir que tous les 18 mois ou tous les deux ans, la puissance informatique double. Aujourd'hui, on utilise encore les électrons pour capter l'information ; d'ici une dizaine d'années avec la micro-optoélectronique, l'information sera transportée avec des photons, c'est-à-dire avec la lumière. Cela ira dix fois plus vite et il n'y aura pas d'effet joule. Tout cela est bon pour sécuriser les procédés.

M. Paul DHAILLE : Vous pensez que l'informatique a sécurisé les processus plus que le pilotage humain ?

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Elle aide le pilotage. Jean-Claude Laprie l'a bien dit, c'est un outil à notre disposition.

M. Georges LABROYE : Nous sommes assez d'accord sur ce qui est dit : l'informatique améliore les choses. Mais on revient en dernière analyse au facteur humain, car l'opérateur est perdu derrière la kyrielle de problèmes et ne comprend plus en cas de crise. Lorsque tout va bien, cela va, mais lorsqu'il y a une dérive, il comprend moins bien ce qui se produit, c'est le côté négatif du tout informatisé.

Je veux ajouter que le meilleur système informatique a pour but de mettre en réseau une série de capteurs ou d'équipements importants pour la sécurité. Il faut s'assurer que ces capteurs et ces équipements importants pour la sécurité, dirigés ou surveillés par l'informatique, sont fiables et répondent au cahier des charges. Nous avons un certain nombre de doutes sur le respect du cahier des charges d'un certain nombre de capteurs et d'équipements importants pour la sécurité. A mon avis, c'est plus important que l'aspect informatique.

M. le Président : C'est la première fois qu'un intervenant dit que quelque chose ne fonctionne pas bien.

M. Pierre CARASSUS : Pour les hydrocarbures, on a parlé des sites, mais je voudrais évoquer les conduites. Il y a des conduites qui traversent des zones urbanisées. Comment les risques liés à ce type de situation sont-ils évalués ? On nous dit récemment qu'il y avait eu un certain nombre d'accidents.

M. Jacques PELISSARD : Ma question s'adresse à Mme Carnino concerne les études probabilistes de sûreté. Pouvez-vous nous préciser à quel moment ces études probabilistes se situent ? Est-ce au moment de l'étude d'impact ? Est-ce en toute hypothèse avant l'autorisation d'exploiter ? Ces études probabilistes de sûreté sont-elles révisées ? Donnent-elles lieu à une évaluation en fonction des risques nouveaux, par exemple des risques d'inondation sur des centrales nucléaires et aussi des risques terroristes que vous avez évoqués ? Sont-elles traduites en termes d'aménagement et de nouveaux équipements pour faire face aux problèmes nouveaux décelés ?

M. Vincent BURRONI : Ma question s'adresse à M. Charpentier. La première partie de son exposé m'a laissé perplexe. Il disait - et si c'est vrai, je ne demande qu'à être convaincu - que, dans l'avenir, on irait vers des unités plus petites, avec moins de matières premières moins d'énergie et donc moins de risques potentiellement. Cette tendance ne me paraît pas vérifiée dans les constructions que l'on fait aujourd'hui. En effet, j'ai plutôt l'impression que l'on est toujours en train d'essayer de faire des unités plus performantes et plus grosses qui produisent plus et plus.

En ce qui concerne la conduite par l'informatique et le rôle de l'homme, je suis persuadé que l'homme peut toujours décider de reprendre une conduite en manuel, ce qui est le rôle des chefs opérateurs dans les salles de production. Le problème de fond est, si l'on passe en manuel, d'avoir les moyens humains et les effectifs pour assurer toutes les man_uvres de mise en sécurité. Cela reste une question fondamentale.

M. le Rapporteur : Ma première question vise un peu à provoquer. L'usine du futur que l'on a évoqué sera sans doute très sûre, mais quel est l'état actuel de la sûreté de conception des installations industrielles aujourd'hui ? Dans la chimie notamment, les risques sont-ils sous-évalués, que ce soit au niveau de la conception ou à celui de l'exploitation ?

Est-ce que les nouvelles méthodes de sûreté sont appliquées dans les anciennes usines ?

Peut-on comparer l'organisation de la sûreté avec le contrôle et l'expertise ? Y a-t-il une expertise séparée comme dans d'autres secteurs ?

Y a-t-il des risques spécifiques aux biotechnologies ?

Monsieur Labroye a dit, et c'est là une phrase clé, qu'à Toulouse la « substance n'était pas explosive » et que, néanmoins, si, comme on le fait pour les explosifs, les quantités de stockage avaient été limitées, si l'on avait assuré des distances de sécurité suffisantes entre les stockages, la catastrophe ne se serait pas produite. Pourquoi, dès lors, ne le fait-on pas et pourquoi stocke-t-on 6 000 tonnes de nitrate d'ammonium à un même endroit ? Quelqu'un, et je vous rappelle que vous avez tous prêté serment de dire toute la vérité, le sait-il ? Avez-vous connaissance de secteurs aujourd'hui dans lesquels il faudrait , en toute hâte supprimer des stockages trop importants et essayer de séparer des stockages ?

M. le Président : Vous avez dit, Monsieur Charpentier, que tout est modélisable. Pourtant des accidents se sont produits qui n'ont pas été prévus dans les modèles. De quels accidents s'agit-il ? Comment peut-on les prévoir ?

M. Georges LABROYE : Je vais répondre à la question de M. Le Déaut concernant les substances qui ne sont pas cataloguées explosives dans les directives actuelles mais pour lesquelles on peut se poser des questions dans l'avenir puisqu'elles peuvent le devenir lorsqu'elles sont mélangées avec un certain nombre de substances. Est-on toujours certain que ces stockages seront toujours bien entretenus et parfaitement surveillés, ce qui nécessiterait un suivi des stockages et notamment des silos ? Voilà une question à se poser. Est-on capable d'assurer un stockage exempt de pollution ou pas ? Si on ne l'est pas, il faut peut-être reclasser ces substances dans des substances considérées comme explosives et veiller à des confinements ou à des stockages en quantité plus faibles.

Ce seront des réponses à apporter à la suite de l'accident de Toulouse et nous espérons que le retour d'expérience permettra de réduire très rapidement l'ensemble des risques potentiels qui existent peut-être dans des usines analogues.

M. le Président : Pourquoi avez-vous dit peut-être ?

M. Georges LABROYE : L'ensemble des usines qui travaillent sur des produits similaires sont sans doute dans des situations analogues. Des inspections sont en cours. Vous pourrez interroger le ministère de l'Environnement et les DRIRE. Mais, les réactions sont évidemment immédiates pour que le retour d'expérience serve à quelque chose.

M. le Président : Plusieurs autres questions concernent M. Charpentier.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Le nitrate d'ammonium, en principe, n'est pas un explosif à température ordinaire. Une fois que la température atteint 150°, l'explosion peut se produire ou se propager. Il y a mille et une raisons pour expliquer cette élévation de température. A mon avis, il n'y a que les experts de Total Fina Elf, AtoFina dans le cas présent, qui pourront dire ou qui auront les moyens de savoir ce qui était stocké comme produits et dans quelles conditions, notamment avec la présence d'autres produits.

Je vous ai dit que tout est modélisable, mais je n'ai pas dit que tout était modélisé. Pour obtenir des résultats avec les modèles, il faut prendre en compte des paramètres physiques et, ce qui est un peu triste, les paramètres physiques dont on a besoin pour prévenir des accidents, c'est à l'occasion d'un accident que l'on peut les obtenir.

De nombreuses questions concernent le transport des produits chimiques dans des conduites. Beaucoup d'études ont été faites à ce sujet, notamment pour que les transports de chlorure contournent la région lyonnaise. Je ne dis pas que l'on dispose des matériaux parfaits pour assurer le transport mais on fait des progrès en la matière. Le problème est de nature politique. Comment faut-il transporter des produits dangereux ? Prend-on le chemin de fer, la route ou les canalisations ? Compte tenu du risque à l'heure actuelle il vaut peut-être mieux véhiculer ces produits via des conduites. Néanmoins, à mon avis, on est loin encore d'avoir trouvé les matériaux idéaux. Là encore, il y a chimie et chimie, comme je le disais tout à l'heure.

Ce que l'on appelle l'intensification des procédés, envisagés dans les usines du futur, a suscité l'étonnement. Aujourd'hui, si par exemple, vous voulez distiller un produit pétrolier et faire une réaction pour obtenir de la paraffine, jusqu'à présent on utilise une colonne à distiller puis un réacteur. L'intensification des procédés consiste à faire les deux choses dans un même équipement. Dès lors, on a forcément des équipements plus petits et plus sécurisés. Certaines industries européennes sont est très bien placées dans ce domaine de recherche. L'utilisation des micro et des nanotechnologies peut permettre de faire des réactions même très dangereuses dans de nombreux petits équipements qui seront présents dans les usines du futur.

Aujourd'hui, pour ce qui concerne le craquage catalytique, on peut faire des usines de plus en plus grosses, mais on n'améliorera pas la sélectivité ni le rendement, c'est-à-dire le nombre de produits que l'on va obtenir. Ce procédé est en outre coûteux en énergie car pour craquer le pétrole, il faut apporter des calories. A l'heure actuelle, de nombreux projets sont faits dans une chimie spéciale qui s'appelle la catalyse pour trouver les nouveaux catalyseurs permettant de réaliser ce craquage dans des équipements beaucoup plus petits et donc avec des catalyseurs très performants. Ce sont ces équipements-là qui seront dans l'usine du futur. Ces procédés sont développés en Europe, notamment par certaines entreprises hollandaises, pour faire face aux exigences sévères qui leur sont imposées en matière d'environnement.

Pour les installations d'aujourd'hui, les situations sont très différentes selon le type de chimie. Faut-il pour tuer une mouche, utiliser un canon de 75 ? Est-on sûr d'avoir moins d'accidents avec les équipements les plus sophistiqués d'automatisation et de contrôle qu'avec les bons vieux outils de contrôle que l'on utilise aujourd'hui ? Je ne prends pas de pari. Je n'ai pas d'avis. Tout ce que je peux dire, c'est que sur les unités d'aujourd'hui quand on ne veut pas tout changer, les industriels essaient de plus en plus d'utiliser le nouvel arsenal de l'informatique. Des normes existent au niveau des unités, au niveau des produits et au niveau de chaque sous-unité. Des inspecteurs viennent et regardent si les normes sont bien suivies, s'il y a les bons capteurs et la bonne informatique qui vient derrière. Cela avance tout doucement mais cela va dans le sens de l'histoire que les industriels le veuillent ou pas.

Mme Annick CARNINO : Les études probabilistes ne sont pas figées dans le temps. Nous avons tendance maintenant à les utiliser même au moment de la conception car cela permet de comparer différentes solutions. Toutefois, c'est pendant l'exploitation qu'elles sont le plus utilisées et avec le plus de précision, en particulier pour prendre des décisions basées sur les résultats. C'est pourquoi les études probabilistes constituent des modèles vivants. Le retour d'expérience, c'est-à-dire l'analyse de tout incident, même s'il n'a pas eu une conséquence grave, permet de réévaluer les études. C'est donc un outil qui est vivant en permanence et c'est ainsi qu'on l'utilise.

M. le Président : Comme le disait M. Charpentier, il faut que l'accident ait eu lieu pour que l'on connaisse sa probabilité.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : C'est un procès d'intention : je disais « pour que l'on connaisse les paramètres nécessaires à la modélisation ».

M. le Président : J'essaie de mettre un peu de catalyseur (sourires).

Mme Annick CARNINO : Dans le nucléaire, on essaie, d'une part, de définir des enveloppes de familles d'accidents et, d'autre part, de définir des marges de sûreté qui permettent s'il se produit quelque chose qui n'était pas prévu d'avoir quand même une bonne réaction des systèmes et des structures.

M. Paul DHAILLE : Une centrale nucléaire a été inondée. Comment décide-t-on du niveau de crue maximal utilisée comme référence face à ce risque ? On voit bien qu'il y a, là encore, une marge d'erreur.

Mme Annick CARNINO : Absolument. C'est bien pour cette raison que le retour d'expérience est extrêmement important et donne lieu à une analyse au fur et à mesure. Cet événement a d'ailleurs amené l'AIEA à revoir son guide de sûreté concernant les événements extrêmes météorologiques.

M. Paul DHAILLE : Pouvez-vous nous présenter succinctement l'AIEA ?

Mme Annick CARNINO : L'Agence internationale de l'énergie atomique, fait partie des organisations rattachées au système des Nations Unies. Le directeur général rapporte auprès du secrétaire général des Nations Unies. Nous avons 128 Etats membres.

M. Pierre COHEN : M. Charpentier a dit qu'a priori le nitrate d'ammonium n'était pas un explosif mais qu'il pouvait devenir explosif dans certaines conditions, notamment en passant à une température de 150°. Il a précisé qu'il appartiendrait aux ingénieurs d'AZF de déterminer ces causes de l'explosion. Le problème est de savoir si l'on est capable de dire dans quelles conditions un produit est explosif, indépendamment de gens qui sont juge et partie ?

Je n'ai pas eu de réponse claire à cette question même si quelques-unes des personnes auditionnées commençaient à s'aventurer à dire que dans telles et telles conditions, sans dire jamais exactement lesquelles, cette substance pouvait devenir explosive. Il me semble que, si l'on veut vraiment avoir un débat démocratique sur les risques industriels, on ne peut se reposer sur la seule expertise de gens qui sont juge et partie. Il doit y avoir un discours scientifique indépendant sur ces questions. Il faudra ensuite comprendre le détail de l'enchaînement des causes mais le principal est de savoir si, oui ou non, le nitrate d'ammonium est un explosif et dans quelles conditions ? Après, il conviendra d'en tirer des conséquences. Il y a, quand même, sur ce plan, une responsabilité de ceux qui savent.

M. le Président : Je propose que M. Labroye vous réponde et que nous continuions dans la foulée sur le programme prévu.

M. Georges LABROYE : L'INERIS est un organisme indépendant qui travaille sur ce sujet-là depuis l'accident, en appui à l'inspection générale de l'environnement. Celle-ci a remis un rapport qui n'est pas encore conclusif. Nous continuons les investigations de manière tout à fait indépendante et avec les éléments que nous avons, certains éléments étant réservés aux expertises conduites dans le cadre de l'enquête judiciaire. Nous travaillons sur ce sujet et nous espérons arriver à une conclusion.

M. Pierre COHEN : Indépendamment de Toulouse, sous quelles conditions le nitrate d'ammonium stocké ou d'autres produits sont-ils capables d'exploser ? Est-on capable de le dire ?

M. Georges LABROYE : Sur ce sujet et sur bien d'autres, oui. L'INERIS est là pour cela, et d'autres institutions aussi.

M. le Rapporteur : Vous avez dit qu'il faudrait sans doute changer aujourd'hui les normes et les classifications de produits ?

M. Georges LABROYE : Ce sera une des recommandations faites à la suite du rapport de l'inspection générale de l'Environnement auquel nous avons participé.

M. Michel VAXES : Est-on capable de dire aussi dans quelles conditions cela n'explose pas ?

M. Georges LABROYE : Bien entendu.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Il suffit que la température reste à moins de 150° et que le produit soit dans un état de pureté suffisant. En 100 ans, il y a eu plusieurs accidents, notamment un en mer et un dans une usine BASF il y a une vingtaine d'années. Il y a eu des études et l'on sait à quelles conditions le produit explose.

M. le Président : Monsieur Picot a peut-être une bonne réponse.

M. André PICOT : Non, surtout beaucoup d'incertitudes.

Je trouve la question tout à fait pertinente. Il est vrai que l'on connaît beaucoup de choses sur le nitrate d'ammonium, produit utilisé depuis très longtemps pour maints usages et qui a causé des accidents très graves, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis. Des bateaux ont explosé à cause du confinement. Il ne faut donc peut-être pas trop confiner dans certaines conditions.

Je crois que ce qui nous manque cruellement, c'est la connaissance du comportement de ce nitrate d'ammonium en présence d'autres produits. J'ai été effaré par la littérature scientifique sur ce sujet ; les données disponibles sont en fait relativement faibles, sauf pour des paramètres précis sur, par exemple, les constantes de formation ou de décomposition de ce nitrate d'ammonium. Mais, lorsque vous cherchez des données sur ce que fait le nitrate d'ammonium en présence d'impuretés, en présence d'hydrocarbures, de fuel, de bitume, de soufre, de rouille, de traces de métaux, même de poudre de verre, de tout ce que vous voulez, on sait que cela diminue sa température de décomposition, mais de combien et dans quelles conditions ? Là, vous ne trouverez rien. Peut-être que, dans certaines industries ou à l'INERIS, des essais ont été faits, je l'ignore. Quand vous cherchez dans la littérature publique, vous ne trouvez rien. Là, il y a un vrai problème et je ne pense pas que l'accident de Toulouse apportera beaucoup de réponses de même que l'accident de Bhopal n'a pas amené de progrès importants sur le stockage de l'isocyanate de méthyle. On reste incapable à l'heure actuelle de savoir ce qui s'est passé à Bhopal. Malheureusement, je crois que l'on se trouve un peu dans les mêmes conditions.

M. le Président : Puis-je vous demander de reprendre le fil des présentations pour que l'on parle de la sûreté en exploitation de façon un peu organisée. Je passe la parole à Monsieur Charpentier.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : L'Union des industries chimiques a beaucoup _uvré en la matière et a publié de nombreux ouvrages. On les utilise soit en formation initiale soit en formation continue pour alerter nos collègues de tous niveaux de l'industrie, notamment sur les problèmes de sûreté de conception et de sûreté en exploitation. Ces ouvrages portent le plus souvent sur l'analyse des risques notamment dans le développement d'un procédé. Ces études indiquent les données de base avec des fiches par produit et des fiches par réaction. Après, on fait des études préliminaires en définissant des principes de base de la sécurité, ce qui aboutit à une analyse des risques, à nouveau déclinée avec des fiches par produit et des fiches par réaction. C'est un travail énorme. Après, il y a l'ingénierie de base, puis les études de détails et enfin, le démarrage. Entre temps, il y a toutes les revues de type sécurité, les études HAZOP, les fiches par équipement et les manuels opératoires. Voilà les principales méthodes utilisées pour l'analyse des risques. Il y a un arsenal très complet aujourd'hui. Il n'est sans doute pas bien utilisé partout mais l'outil existe.

M. Claude GILBERT : J'interviens en tant que directeur de l'ancien programme des risques collectifs et situations de crise qui est devenu un Groupement d'intérêt scientifique (GIS) qui réunit maintenant quatre organismes de recherche et trois ministères. C'est un GIS plutôt axé autour des sciences humaines et sociales en s'efforçant à faire l'articulation avec différentes « sciences dures ».

Avant de rentrer directement dans le vif du sujet, il faut dire que les activités présentant des risques connaissent régulièrement des dysfonctionnements, des incidents et des accidents. C'est quelque chose de normal. Nous avons recensé dans la base de données ARIA du ministère de l'Environnement, 1 800 accidents industriels en 2000 en France.

Il faut intégrer comme postulat que la maîtrise des risques repose certes sur la bonne application des règlements et des normes, mais aussi sur la reconnaissance effective des vulnérabilités au sein des systèmes et il faut admettre que les systèmes sont vulnérables et normalement vulnérables. Considérer que la maîtrise de ces systèmes normalement vulnérables repose sur la gestion des incidents, des accidents et des crises est quelque chose de tout à fait essentiel.

Par ailleurs, le risque est un problème important, mais parmi d'autres aux yeux des industriels et aux yeux de la puissance publique. La continuité du service et des activités et la rentabilité sont d'autres facteurs qui viennent sans arrêt équilibrer la prévention du risque.

Le retour d'expérience est affiché comme un impératif tout à fait important et c'est un lieu commun de dire qu'il faut veiller au retour d'expérience. En pratique, il est toutefois mis en _uvre avec des intensités extrêmement variables parce que le retour d'expérience est coûteux sur le plan financier et en termes de mobilisation interne et parce qu'il est difficile et risqué socialement. Ce n'est pas simple de faire du retour d'expérience sur un accident significatif et les organisations qui font du retour d'expérience s'exposent diversement aux autorités de tutelle ou de contrôle, à la justice et aux médias.

Jusqu'à présent, le retour d'expérience a été très fortement et encore très largement limité aux aspects techniques et repose sur la constitution de bases de données sur des aspects techniques. Le retour d'expérience sur des aspects humains, difficile méthodologiquement, n'est qu'en voie d'élaboration et seuls les secteurs très avancés comme le nucléaire, l'aviation civile et un peu la chimie, font du retour d'expérience sur des questions humaines. Enfin, sur des questions organisationnelles, il n'y a pratiquement pas de retour d'expérience.

En outre, le retour d'expérience est largement confiné aux incidents et aux accidents limités, il a du mal à se mettre en place pour les événements plus importants.

En matière de retour d'expérience, il conviendrait de concevoir des protocoles et des dispositifs pour protéger le retour d'expérience et les organisations qui, à divers titres, font du retour d'expérience notamment par rapport aux problèmes juridiques et d'accès aux informations. Il faut savoir aussi articuler les différentes enquêtes et recherches. Tout cela n'est pas du tout encadré, ce qui fait qu'actuellement le retour d'expérience est toujours une expérience singulière qui a du mal à être accumulée et à alimenter des comparaisons.

Enfin, et c'est peut-être le point le plus important en ce qui concerne l'industrie chimique, il faut assurer une continuité organisationnelle entre l'analyse des incidents, des quasi-accidents, des accidents et des catastrophes. Actuellement, pour l'industrie chimique, il y a une tendance à une très forte internalisation du retour d'expérience concernant les incidents et même une partie des quasi-accidents au sein des grands groupes industriels et au sein des regroupements professionnels, et ce aux niveaux national et international. On voit se constituer, aux plans européen et international, des clubs qui examinent les incidents, en privé si l'on peut dire, et qui font du retour d'expérience. La conséquence de tout cela est une internalisation des compétences et de la capacité d'expertise au sein des grands groupes industriels qui communiquent effectivement mais selon des modalités qui leur sont propres sur ces questions.

Autre tendance, le fait que la sécurité tend à se confondre avec la qualité. La qualité tend à absorber la sécurité.

La conséquence de cette forte internalisation, pour la France en tout cas, c'est la faiblesse des échanges sur les incidents, les dysfonctionnements restant "confinés" au sein des groupes industriels, avec les autorités de contrôle et les agences d'expertise. Ceci pose bien entendu un problème de positionnement des autorités de contrôle. Qui sont les autorités de contrôle ? De quels moyens disposent-elles par rapport à l'industrie chimique ? Ceci pose le problème du renforcement des agences d'expertise et, dans les déclarations du ministre de l'Environnement, il est annoncé un renforcement des moyens des DRIRE et de l'INERIS.

Il m'a également été demandé d'intervenir sur la question de l'implication des acteurs. Tout dépend du sens que l'on donne à ce terme. En tout cas, ce qui importe dans la gestion des risques, c'est de bien comprendre les relations des principaux acteurs concernés, c'est-à-dire les organisations directement en charge des risques, les agences d'expertise et les autorités de contrôle ; leurs relations ne dépendent pas uniquement de la réglementation et des répartitions de compétences et de responsabilités que celle-ci prévoit. Les relations entre les acteurs, leurs interactions et leurs échanges sont ainsi très différentes selon le secteur industriel ou dans le secteur nucléaire.

Pour ce qui concerne l'efficacité de l'implication, je crois qu'il est important d'organiser l'échange équilibré et contradictoire des positions entre les principaux acteurs de la gestion des risques. Chacun doit être dans son rôle et avoir les compétences et les moyens pour assumer cette position de façon contradictoire. Probablement faut-il aussi ouvrir l'échange contradictoire avec d'autres acteurs qui s'invitent de plus en plus, notamment les associations et les collectivités locales, les syndicats ou d'autres représentants de la société civile. Dans le cas de l'industrie chimique, les conditions d'une implication efficace des acteurs, c'est-à-dire une séparation claire des acteurs et de leurs compétences et la capacité pour chacun d'entre eux de disposer des moyens nécessaires pour assumer de façon contradictoire leur rôle, ne sont pas encore tout à fait réunies, c'est le moins que l'on puisse dire. L'ouverture sur d'autres acteurs est encore problématique.

Mme Mathilde BOURRIER : Je vous présenterai le point de vue de la sociologie de l'organisation qui a des choses à dire sur ces organisations complexes. J'ai intitulé mon intervention : « la fiabilité est un produit de l'organisation. »

Vous posez la question des moyens pour prévenir ce genre d'accident. L'un des moyens insuffisamment employé est l'étude approfondie des structures et des conceptions des organisations à haut risque. Dans la littérature sociologique, il y a deux perspectives : la première les analyse comme différentes des autres parce qu'elles sont complexes, parce qu'elles manipulent des produits dangereux et parce que les personnes sont très formées. On pense en conséquence que les organisations sont d'une autre nature et que l'on doit les étudier de façon particulière.

On se rend pourtant de plus en plus compte qu'elles sont comme les autres. Elles présentent le même type de dysfonctionnements, avec des luttes de pouvoirs internes, des cercles vicieux et toute une série de cloisonnements, avec des phénomènes, de bureaucratisation et de « routinisation ». Elles sont « dysfonctionnantes » comme n'importe quelle fabrique de brioches.

Pour analyser ce type d'organisation, les sciences sociales peuvent apporter quelque chose. Les concepts des sciences sociales sont adaptés : la sociologie, l'ergonomie, la psychologie, la science politique, les sciences de gestion ou les sciences économiques sont habituées à traiter ce genre de dysfonctionnements. Malheureusement on ne pense pas souvent à faire appel à elles.

Prenons l'exemple de la gestion de l'écart à la norme qui est un enjeu controversé dans ce genre d'organisation. On a d'un côté des industriels et des autorités de sûreté qui nous disent que c'est par l'adjonction de règles de plus en plus strictes et contraignantes pour les acteurs que l'on garantit un fonctionnement sûr. De l'autre côté, vous avez le point de vue des sciences sociales qui disent que les règles ne sont jamais complètes, et ne peuvent tout prévoir.

Par ailleurs, les acteurs eux-mêmes sont confrontés en permanence à une incomplétude des règles parce qu'ils ont à adapter des choses in situ alors que les règles concernent des cas généraux.

Nous avons donc un débat controversé et qui reste dans l'impasse où, d'un côté, les sciences sociales disent qu'il y a violation et transgression parce que les acteurs ne peuvent pas faire autrement et, de l'autre côté, les autorités de sûreté et les industriels qui - en « temps de guerre » comme actuellement après la catastrophe de Toulouse - se raidissent et ne veulent pas entendre ce message.

Dans le secteur nucléaire, que j'ai étudié en France et aux Etats-Unis, ces phénomènes sont parfois pris en compte en amont. Certaines organisations se rendent compte qu'il n'est pas possible de laisser jouer la simple appréciation des acteurs pour réaliser des ajustements de manière relativement opaque. Elles allouent donc des ressources à leurs membres pour que les ajustements se fassent le plus clairement et le plus officiellement possible. D'autres organisations ignorent complètement ces phénomènes et laissent les acteurs se débrouiller en permanence avec des règles qu'ils ont à ajuster. Ils en retirent d'ailleurs une certaine expertise et un certain pouvoir, mais cela reste relativement opaque.

Par ailleurs, je pense que l'on est capable aujourd'hui de proposer une évaluation sereine des différents modes d'organisation et c'est à cela qu'il faut s'atteler. Il n'existe pas une organisation fiable. Nous n'avons pas de modèle à vous proposer, nous ne sommes pas tayloriens. Nous avons en revanche des idées sur ce qu'il ne faut surtout pas faire ; par exemple, la séparation entre l'exécution et la conception, mais il existe plusieurs façons de bien faire.

Pour autant, faut-il se dispenser d'une évaluation sereine des coûts induits par tel ou tel mode de fonctionnement ou tel et tel mode d'organisation ? Non, au contraire, davantage de réglementations ne changera rien au problème et ce n'est pas en empilant des normes que l'on améliorera la situation. Il n'y a rien à inventer, tout existe, il suffit juste de l'utiliser.

M. le Président : Voilà une belle conclusion.

M. René AMALBERTI : Je continue sur ce thème du rôle du facteur humain. Je voudrais donner trois éléments à mon avis très importants.

Quand on regarde l'industrie ou l'ensemble des activités humaines, nous avons grosso modo trois catégories de systèmes au regard du risque.

Il existe tout d'abord des systèmes que l'on peut caractériser comme des systèmes amateurs ou des pratiques d'artistes dans lesquels il n'y a pas de limite du risque, ni de la performance. Cette catégorie nous intéresse peu, elle ne comprend pratiquement pas de système industriel : l'activité médicale serait peut-être la plus proche, en tangente, de ce système.

On entre ensuite dans les systèmes industriels. Il existe ainsi une seconde catégorie qui est freinée dans son expansion vers une « super sécurité » par plusieurs caractéristiques. Certains ont déjà été évoqués. Moins le risque est grand du point de vue de la population, plus la tolérance tendra à laisser ces systèmes à un niveau moins sophistiqué que les systèmes les plus protégés. Les autres raisons sont que, pour une partie de ces systèmes qui n'arrivent pas à grande maturité de sécurité, les processus physiques aux frontières sont mal connus. Pour d'autres systèmes, ce sont les éléments de culture de sûreté qui sont mal distribués ou la formation des opérateurs qui est insuffisante. Par exemple, la sécurité routière ne fait pas partie des systèmes les plus sûrs.

La dernière catégorie comprend les systèmes les plus sûrs. Ils ne sont pas très nombreux et le secteur nucléaire figure parmi eux. Ils parviennent presque à la barre mythique en termes de sûreté d'une catastrophe pour 1 000 000 de mises en _uvre ou pour 10 000 000 de mises en _uvre au-delà de laquelle aucun système socio-technique de grande échelle n'a pu passer.

Pour des raisons de société, sur lesquelles nous n'avons pas le temps d'entrer plus profondément, tous ces systèmes sont en plateau ou proche du plateau asymptotique du risque, même ceux qui sont à une catastrophe pour 10 000 mises en _uvre ou à une catastrophe pour 100 000 mise en _uvre. Il ne faudrait pas penser, naïvement, que les systèmes connaissant une catastrophe pour 10 000 mises en _uvre passeront à une catastrophe pour 1 000 000 mises en _uvre. Leurs structures internes les empêchent d'aller plus loin sans une révolution de fond affectant les facteurs qui les ont conduits au niveau de sûreté auquel ils plafonnent.

Nous avons accumulé pendant des années d'études une idée très forte des comportements individuels face aux risques. Il est établi de manière constante dans la littérature scientifique qu'une aptitude humaine ne peut pas contrôler un processus sans expérimenter d'une certaine façon un risque maîtrisable. On ne peut pas conduire un processus avec un risque nul. Si vous suivez une voiture, vous ne resterez pas à 300 mètres d'elle, vous vous en rapprocherez car la stimulation de rapprochement est une stimulation du contrôle du risque. Vous ne pouvez pas obtenir des humains qu'ils travaillent à risque zéro.

Je voudrais vous amener vers un autre paysage plus dynamique du risque. Un système est toujours conçu sous pression. Des accidents se produisent lorsque le système recherche trop la performance. Un système est contraint par des pressions des entreprises, par la technologie et par des pressions individuelles.

On ne veut pas que ce système aille vers la zone d'accident. Pour ce faire, on met en place des barrières matérielles et immatérielles qui visent à le contingenter et à l'enfermer très loin de la zone d'accident. Cette logique est à la base de toutes les logiques de sécurité. Elle est d'une immense naïveté au regard des comportements humains et, très vite, votre système migrera vers la zone d'accidents.

Retenez deux chiffres provenant de trois systèmes différents dans lesquels l'étude a été faite sérieusement :

- 20 % des procédures sont violées au bout de 2 ans,

- 50 % des procédures sont violées au bout de 10 ans.

Elles sont toujours violées avec la même logique : le premier appel, poussant le système hors du champ dans lequel il est défini pour être conduit de façon sûre, provient toujours de la direction de l'entreprise ou de la contrainte économique de l'entreprise. Les personnes qui ont construit le système appelleront leurs opérateurs à déroger au système et à franchir la ligne.

Dès que l'on a franchi la limite une fois, une deuxième migration se met en place, les opérateurs vont "se payer sur la bête" en contrepartie de ce qu'ils ont accepté de faire qui n'est pas conforme à la règle. Si vous avez fait passer les opérateurs de l'autre côté du Rubicon, vous contre-payez immédiatement en ayant des opérateurs qui prendront des avantages secondaires sur le système et qui fixeront le mode opératoire en dehors de celui où vous étiez prévu de fonctionner en théorie.

J'insiste sur ce point : vous êtes alors dans un monde qui n'est plus légal mais qui est normal. C'est le monde de tous les jours : plus légal mais normal. Toute la hiérarchie est au courant, toute la structure de l'entreprise sait parfaitement que cela fonctionne ainsi, au moins dans les couches de proximité et parfois dans les couches hautes. Le système est stabilisé à une condition : puisque l'on n'est plus dans le discours de l'écrit, personne ne peut écrire ce qui se passe, qui est strictement interdit, aucune note de l'entreprise ne précisera donc ce qu'est un comportement illégal normal. Les notes qui pourront être diffusées ne sont pas écrites mais orales. Nous sommes dans les cultures orales de la grande sécurité.

Ces systèmes sont stabilisés uniquement par les échanges oraux entre les personnes et ces échanges oraux sont dramatiquement en baisse en quantité et en qualité en raison des transformations sociétales.

Ce système ne se stabilise donc plus spontanément parce qu'il y a défaut d'échanges sur les pratiques réciproques dans le travail, du fait des changements sociétaux, de l'éclatement de l'habitat, des 35 heures, du temps réduit sur le lieu de travail qui, d'une certaine façon, réduit les espaces de temps de méta-travail c'est-à-dire de discussion sur le "comment tu fais, comment je fais ?" et non pas sur un objet immédiat de travail.

Dix pour cent des acteurs, et à tous les niveaux de la hiérarchie, dépasseront la frontière où tous les autres s'arrêtent et continueront à migrer sans contrôle, sans que personne ne soit avisé, jusqu'à des niveaux qui sont absolument incroyables.

Pour terminer, j'aborderai le deuxième point que nous avons établi avec ces études. Il n'y a pas une sécurité ; il serait trop facile de raisonner sur un système fermé. Nous en avons plusieurs. Certaines personnes ont des rôles extrêmement déterminants du point de vue de la sécurité.

Au niveau politique ou au niveau de gestion d'entreprise, le problème de la sécurité est celui du « Big One » économique : c'est le problème de l'accident qui va vous tuer économiquement. C'est donc un problème d'image. Vous aurez donc une déclinaison d'outils très importants qui sera mis en jeu par la direction de l'entreprise. Il faut prouver que vous faites quelque chose pour la sécurité : l'entreprise créera donc des unités de sécurité, elle va se préparer à la crise, etc.

Lorsque vous descendez à la ligne de production, le problème est de produire. A ce niveau, l'équation est simple : sécurité = qualité. Ce n'est pas le problème que vous avez « en bas » lorsque vous êtes acteur. A ce niveau, il s'agit de faire votre travail dans la journée à un niveau suffisant avec toutes les contraintes mises et avec toutes celles que vous-mêmes mettez dans le système pour parfois vous faciliter la vie au détriment du système. Au niveau de l'acteur vous aurez une attitude très émotionnelle, très peu liée à des calculs objectifs de risque -"Croira-t-on que j'ai bien fait mon travail ? Ai-je bien tiré mon épingle du jeu dans ce jeu de travail que j'ai fait aujourd'hui ? Ai-je encore une bonne carrière devant moi, etc. ?"- Ces jeux n'ont rien à voir avec les deux niveaux précédents. C'est là qu'il y a sans doute deux espaces de progrès fondamentaux à faire.

Ces migrations existent, on ne peut pas les éviter. Puisque l'on ne peut pas les éviter, il faut savoir les accompagner. Or, on ne sait pas aujourd'hui accompagner les migrations. Il existe donc des systèmes dans lesquels il y a des zones opaques, taboues, et dont personne ne parle.

Nous avons également dit qu'existaient trois points de vues sur la sécurité, en permanence conflictuels. Toute optimisation d'un point de vue se fait au détriment des deux autres. Par exemple, si la décision politique est de brutalement renforcer les pratiques sur un secteur parce qu'il y a eu des accidents, vous allez créer au niveau de la ligne de production une gestion de contraintes alors que la performance doit toujours passer au même niveau. Dans cette gestion de contraintes vous allez bloquer des pratiques existantes et vous penserez que le système est sûr, mais comme l'exigence de la performance demeure, les opérateurs seront ailleurs, ils feront autrement et vous n'aurez aucune idée de la façon dont ils procèdent.

En fait, vous faites fuir les pratiques. Si vous ne changez pas le niveau de performance et que vous interdisez simplement des pratiques, un contournement général se met en place et le travail devient de plus en plus opaque au niveau inférieur.

C'est très paradoxal, mais le lien existant entre ces trois niveaux est fondamental. Aussi, aucune optimisation d'un niveau ne doit être surfaite, car dès qu'elle l'est, elle se fait au détriment des deux autres. C'est donc un dialogue qu'il faut installer, ce qui est compliqué, ce qui se fait peu aujourd'hui mais ce qui est probablement un des espoirs d'une sécurité au niveau des facteurs humains, véritablement porteuse de progrès.

M. Jacques REPUSSARD : La méthodologie de l'évaluation des risques dans l'industrie non-nucléaire ressemble à ce que Mme Carnino nous a expliqué pour l'industrie nucléaire. Je la rappelle brièvement : il y a d'abord une phase d'identification des dangers liés aux matières mises en _uvre et aux procédés, puis sont établis des scénarios d'accidents possibles. A partir de ces scénarios d'accidents, il s'agit d'élaborer des scénarios de conséquences en essayant d'identifier une par une les conséquences qu'une défaillance ou un accident peut entraîner en fonction de la vulnérabilité du site, de son environnement et des personnes qui peuvent y habiter.

A partir de ces conséquences - et là s'arrête le rôle de l'évaluateur du risque initial - on entre dans la fonction du gestionnaire du risque qui aura à prendre des décisions. A partir de ces divers scénarios et de leurs conséquences possibles, il faut hiérarchiser les risques en introduisant des critères dont certains sont économiques et dont d'autres relèvent de la politique locale. L'évaluateur ne peut donc entrer dans cette logique.

La hiérarchisation des risques conduira à des choix imposant à l'industriel des mesures de réduction des risques qui peuvent être de plusieurs natures. Il peut s'agir de mesures structurelles, par exemple l'instauration de protections passives et la séparation des stockages. Il peut aussi s'agir de dispositifs actifs, par exemple des systèmes de sécurité pilotés électroniquement dont on peut exiger qu'ils soient redondants pour réduire la possibilité d'occurrence d'accident.

Enfin, le troisième type de mesures concerne des dispositions de type organisationnel. L'exposé précédent a montré qu'elles étaient très importantes mais qu'elles ne fonctionnaient pas forcément comme prévu sur le papier.

Ce modèle est accepté partout, on l'applique dans l'industrie, en général, qu'elle soit nucléaire, chimique ou autre. Cela signifie-t-il pour autant qu'il n'y a pas de problème ? Compte tenu de la largeur du champ couvert par rapport au secteur nucléaire, un certain nombre de problèmes se posent. J'en aborderai six.

Tout d'abord, la mise en _uvre pratique des méthodes d'évaluation des risques est très différente selon les experts, dans les différents pays, mais aussi à l'intérieur d'un même pays. Les méthodes de travail opérationnelles ne sont pas harmonisées à la différence du secteur nucléaire. L'INERIS a récemment pris l'initiative de créer un réseau européen d'experts pour essayer d'harmoniser le détail des méthodes d'évaluation des risques. C'est en effet la non-harmonisation qui rend le processus opaque pour le décideur politique ou industriel dès lors que les hypothèses retenues, et mise en _uvre selon des méthodes qui, supposées équivalentes, sont très différentes.

Par exemple, pour les études de dangers des usines qui fabriquent du nitrate d'ammonium en France, on trouve des distances de sécurité pour des scénarios pourtant proches sur le papier, variant de 600 à 2500 mètres. Cette variabilité des analyses est mal résorbée parce qu'on ne dépense pas beaucoup de ressources pour la recherche et le dialogue entre tous ces experts. C'est peut-être un sujet à approfondir.

En second lieu, des données scientifiques manquent. M. Picot disait que le comportement des produits dans des conditions d'utilisation ou de stockage qui ne sont pas normales était mal connu. Effectivement, car personne n'a intérêt à financer les recherches correspondantes. Les industriels ne sont pas prêts à dépenser énormément d'argent sur cette question et les pouvoirs publics ne lancent des études que de manière très ponctuelle, à la suite d'accidents par exemple. Or, il reste beaucoup de choses que l'on ignore. Par exemple, on ne sait pas précisément comment se propage une flamme le long d'une canalisation. Pourtant, on vend des dispositifs coupe-flammes dans des canalisations. L'INERIS est, par exemple, en train de faire des essais démontrant que le dispositif ne fonctionne pas de manière nominale si un coude existe juste avant, ce qui n'est pas nécessairement écrit dans le manuel du procédé de protection.

Il y a donc un manque d'harmonisation et de connaissance scientifique. Derrière cela se trouve un problème de financement de la recherche. Il faudrait peut-être imaginer de recourir à des dispositifs tels que des crédits d'impôt pour la recherche et la sécurité afin d'inciter les industriels à investir dans des domaines dans lesquels économiquement ils n'ont pas intérêt à investir ni seuls ni collectivement.

Troisièmement, en appliquant la réglementation actuelle, on considère un scénario comme étant la référence. Selon le rôle social que l'on joue, le scénario de référence n'est pas le même. Quand on est maire, on pense à l'urbanisme, mais il est difficile, pour un industriel, de comprendre pourquoi on lui a imposé un double confinement de stockage, pour des wagons de chlore par exemple, pour lui annoncer ensuite que sera retenu un scénario d'atteinte à l'urbanisme qui ne prendra pas en compte ce confinement en raison du maintien du risque d'explosion. L'industriel ne comprend pas qu'on lui ait fait dépenser un million de francs pour ce double confinement pour s'entendre dire ensuite qu'il ne faut pas en tenir compte. Il résiste donc à ce genre de procédure. Comme le cadre n'est pas très clair, une situation conflictuelle apparaît.

Quatrièmement, dans les pratiques actuelles on ne prend pas assez en compte les actes de malveillance ou de terrorisme. Sans parler de chute d'avion, il y d'autres hypothèses de malveillance. On a vu, par exemple, des cas en France où des organisations syndicales ont cherché à détruire des installations industrielles. Or, du point de vue de l'expertise et de l'évaluation des risques, il existe peu de référentiels et aucune réflexion approfondie sur ces sujets. La Commission européenne est sur le point de prendre l'initiative d'une réunion d'experts pour approfondir ces problématiques.

Cinquièmement, l'efficacité des dispositifs de protection est un problème important. Les grands industriels français, allemands, néerlandais et britanniques se sont réunis depuis vingt ans dans des associations qui ont pour objet d'échanger des données relatives aux dispositifs de protection sur les automatismes pour essayer de mieux peser sur le marché de l'offre de ces équipements. Or, dans le cadre de ces études qui lui sont parfois confiées, l'INERIS a constaté que seulement 30 % de ces matériels sont conformes au cahier des charges annoncé par le fabricant. Cela signifie que même lorsque l'on installe des capteurs on n'a pas de certitude. Il n'y a pas en France, contrairement à ce qui existe en Allemagne, de système de certification ou d'avis technique permettant d'avoir la preuve de la conformité des équipements par rapport aux performances annoncées. Or, selon les chiffres de 1998, la non-fiabilité des équipements est à l'origine de 29 % des accidents majeurs industriels en Europe.

Enfin, sixièmement, le rôle des hommes et de l'organisation. Les mêmes sources statistiques indiquent que 53 % des accidents sont causés pour partie ou en totalité par des facteurs liés à l'organisation, c'est-à-dire au non-respect de qui avait été prévu.

Or, on constate des changements très rapides dans les modes d'organisation, par exemple avec le développement de la sous-traitance. On externalise une fonction dans l'entreprise sans réviser la culture de sûreté. On fait intervenir un autre industriel qui n'a pas participé à la conception par exemple et auquel on donne des procédures qui ne sont pas toujours celles qui sont effectivement mises en _uvre ; donc on multiplie les risques.

Il existe aussi des facteurs de risque liés à l'évolution de la société toute entière. Par exemple la multiplication des transports routiers ou autres en raison de la globalisation déplace les risques. Lors d'un colloque de l'industrie chimique l'an dernier, on expliquait que l'une des plus grandes sources de risque liées à l'industrie chimique était le risque des transports. Or, la réglementation sur les transports fait l'objet de moins d'attention dans son application. Le ministère des transports souhaiterait ainsi que l'INERIS réalise un nombre important d'études, mais ne peut les financer. Ainsi, le ministère des transports se voit en charge d'un risque en expansion, mais les ressources budgétaires permettant de faire des études n'existent pas. Il y a un retard du dispositif organisationnel tant au niveau des pouvoirs publics que des entreprises.

Enfin, l'urbanisation représente un problème très important mais qui a toujours existé : des poudreries ont déjà explosé près des villes. S'y ajoute, dans la période actuelle, le fait que la France devienne un pays d'industrie tertiaire. La culture du risque a donc tendance à disparaître ; on part en retraite à 55 ans, on travaille 35 heures, les traditions orales des techniciens ne sont plus transmises. Nous n'arrivons plus à trouver des experts par exemple pour réfléchir aux problèmes de sécurité intrinsèques et aux automatismes. L'association anglaise que j'évoquais tout à l'heure a fait faillite, l'association française a perdu de nombreux membres.

Les grands industriels français nous disent qu'ils n'ont plus les moyens de nous envoyer des experts pour parler de ces sujets très importants. Il y a une difficulté à travailler sur ces questions, un effacement du travail collectif sur ces questions de sûreté en raison des raccourcis que l'on peut être amené à faire en la matière.

M. le Président : On a le sentiment qu'il existe de la matière pour approfondir la question.

Mme Annick CARNINO : Tout d'abord, pour vous donner une définition de la culture de sûreté, il y a deux éléments importants : l'aspect organisationnel, le management de la sûreté, et l'aspect individuel, c'est-à-dire la culture de la sûreté chez ceux qui ont à faire fonctionner un processus.

Dans le secteur nucléaire, le management de la sûreté repose sur les principes suivants :

- la responsabilité de la sûreté est celle de l'exploitant ;

- l'exploitation doit permettre un environnement qui développera la culture de sûreté.

L'expérience a montré dans des pays comme les Etats-Unis, le Canada ou la Suède que de très bonnes centrales nucléaires avaient vu leurs performances se détériorer petit à petit et s'étaient retrouvées à l'arrêt pendant plusieurs mois voire plusieurs années pour des raisons de sûreté. Cela nous apprend à être plus modestes. C'est une bonne chose. Il ne faut jamais croire que tout est gagné et que le management ou la culture de sûreté sont parfaits. La sûreté demande une attention et un développement permanents.

Le premier point concerne la définition des exigences, ensuite la planification, le contrôle et la mise en _uvre, enfin l'audit, les revues et le retour d'expérience.

Je reviendrai sur l'audit qui, en matière nucléaire, revêt un aspect international, ce qui nous différencie sans doute de la chimie. Nous faisons des revues internationales par des pairs. Nous faisons venir des experts de nationalités différentes qui exercent des fonctions reconnues dans des centrales nucléaires et qui en visiteront une autre et donneront une opinion par rapport aux normes de sûreté de l'AIEA. Cela nous apprend à être plus modestes puisque nous sommes critiqués par les autres et que l'on apprend d'eux.

Je citerai quelques éléments nécessaires à une bonne culture de sûreté, en complément des points évoqués par le professeur Amalberti qui sont tout à fait justes.

Sur le plan organisationnel, nous demandons un engagement en matière de sûreté du sommet de la hiérarchie de l'entreprise. Nous avons développé cette culture de sûreté dans des structures complètes, y compris dans l'administration, ce qui est important pour le soutien des personnes qui ont à mettre en _uvre la sûreté nucléaire.

D'autres éléments (documentation, procédures, allocation adéquate des ressources, maintien des compétences, transparence et communication, motivation et satisfaction au travail, existence d'indicateurs de sûreté) que je n'analyserai pas en détail sont également importants.

Nous avons cherché à évaluer, en termes qualitatifs, car on ne le peut mesurer précisément, la situation en termes de culture de sûreté. Nous avons défini trois stades de développement.

Au premier stade, le management de la sûreté est déterminé par la réglementation. L'objectif est d'être en conformité avec la réglementation. C'est la situation prédominante dans de nombreux cas dont on voudrait sortir pour parvenir au deuxième stade, que l'on commence à voir dans un certain nombre d'installations, dans lequel une bonne performance en termes de sûreté devient un objectif pour l'exploitant.

Enfin, le stade idéal est le troisième stade qui est celui dans lequel il est compris que la performance peut toujours être améliorée. A ce stade, l'organisation tout entière apprend et la sûreté est appréhendée comme un processus.

L'AIEA organise des formations et conçoit des outils pour évaluer la situation en termes de sûreté. Par ailleurs, l'AIEA conduit également des programmes d'amélioration de la sûreté pour des entreprises entières ou pour une centrale nucléaire donnée. Nous conduisons par exemple de telles actions actuellement en Amérique latine notamment. Enfin, nous poussons les exploitants par exemple à développer l'auto-évaluation, et nous n'intervenons que comme catalyseur, comme formateurs et, in fine, afin d'évaluer avec des experts les résultats obtenus.

Je vais également évoquer les revues de sûreté, que l'on ne retrouve pas dans le domaine de la chimie. Le processus des revues de sûreté est le suivant. Des normes de sûreté ont été définies au niveau international. Elles sont d'ailleurs en cours de révision depuis cinq ans après dix années de mise en _uvre des normes précédentes.

Ces revues sont toujours conduites par une personne de mon équipe en utilisant les mêmes normes de référence. L'installation que nous visitons sait donc à quoi s'attendre et sait comment elle sera jugée. Nous poussons pour que les exploitants fassent leur auto-évaluation de sorte que notre visite se limite à la vérification de leurs résultats, ce qui nous permet de gagner du temps.

Les domaines que nous examinons sont le choix du site, la prise en compte du risque sismique en particulier pour des installations anciennes, l'action de l'autorité de sûreté - y compris dans les pays développés -, la conception initiale et la révision de sûreté, la sûreté opérationnelle, les analyses des événements opérationnels, c'est-à-dire le retour d'expérience, les études probabilistes, la protection contre les incendies, la gestion des accidents, la gestion du vieillissement et l'échelle INES utilisée pour communiquer avec le public sur des événements qui se sont produits dans les installations.

Pour donner un exemple, les domaines que nous examinons s'agissant de l'action de l'autorité de sûreté sont : la législation, l'organisation de l'autorité de sûreté, le processus d'autorisation, les inspections et tous les plans d'urgence puisque les autorités de sûreté y sont associées dans tous les pays. En ce qui concerne les sites par exemple, nous examinerons les risques d'agressions externes naturelles (inondations, séismes et éruptions volcaniques) et d'origine humaine (incendie, explosion, chute d'avions).

Nous analysons également l'impact de l'exploitation sur le site et l'impact du site sur l'exploitation : la dispersion des effluents, la population autour des sites et la faisabilité des plans d'urgence.

M. Georges LABROYE : Je vais parler des études de dangers. Elles constituent des outils centraux de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement. Rappelons que pour ouvrir une nouvelle installation classée, l'exploitant est soumis soit à déclaration soit à autorisation en fonction des volumes des produits utilisés. Il y a des normes très précises à ce sujet qui ont été actualisées récemment par la directive dite « Seveso 2 » mais qui existaient précédemment avec la directive dite « Seveso 1 » et dans la loi française. Il ne s'agit donc pas d'une chose tout à fait nouvelle. Ce qui est un peu nouveau et dont on parle beaucoup en ce moment, c'est la transposition de la directive dite « Seveso 2 » qui nécessite la réactualisation d'études de dangers dans un délai souvent très court puisque cette directive est en vigueur depuis février 2000 et qu'elle devrait donc être appliquée depuis cette date. Cela pose effectivement à beaucoup d'industriels un problème de régularisation administrative et on entend beaucoup parler des DRIRE et de leurs exigences de remise à jour rapide des études de dangers.

Qu'est-ce que l'étude de dangers ? Cela ressemble à l'étude de sûreté évoquée tout à l'heure dans le nucléaire. Il s'agit tout d'abord, de lister tous les produits dangereux stockés ou utilisés qui entraînent, selon les volumes, la soumission à une classification ou à une autre. Dans tous les cas de figure, il faut réaliser cette étude de dangers. L'étude envisage tous les accidents possibles en étudiant les scénarios qui peuvent se produire en particulier les scénarios maximum physiquement possibles, en calculant les risques d'explosion, d'incendie et de nuages toxiques. Pour cela, il faut faire des calculs qui reposent sur des modélisations. Il est donc nécessaire d'utiliser des modèles parfaitement confirmés et adaptés grâce au retour d'expérience, ce qui est une des tâches de l'INERIS. L'étude liste également les dispositions prises pour écarter ces risques ou, à défaut, pour en réduire les conséquences puisque l'on admet toujours que le risque zéro n'existe pas et que, malgré toutes les précautions, au cas où l'accident se produirait, des protections doivent être prévues pour réduire les conséquences des accidents possibles. Ensuite, ces études de dangers sont analysées par l'inspection des installations classées des DRIRE qui, au vu de ces études de dangers, soit délivrent l'autorisation soit demandent préalablement une contre-expertise par un tiers indépendant, l'INERIS, l'IPSN ou d'autres organismes, qui conduisent des analyses critiques d'études de dangers sur leur fondement. Après un débat au comité départemental d'hygiène, ou bien l'autorisation est délivrée par la préfecture ou bien l'industriel retourne à ses chères études et prépare une nouvelle étude des dangers.

Ce genre de dispositions s'inscrit dans une perspective de prévention. C'est une des forces de la législation que d'organiser ainsi l'étude de tous les cas possibles. Bien sûr, on tient compte des barrières. Par exemple si l'on s'apercevait dans un scénario que la zone de danger atteint 5 kilomètres, l'on ne peut pas l'accepter sans mettre en place des barrières qui limitent les conséquences de l'éventuel accident. C'est là où peuvent intervenir davantage les probabilités alors que le scénario maximum possible relève plutôt du déterminisme. Lorsque l'on met des barrières de protection, par exemple des rideaux d'eau pour protéger une citerne d'ammoniac, encore faut-il que ce rideau d'eau fonctionne, soit bien entretenu et soit toujours en état de fonctionner ; encore faut-il donc que ces barrières soient parfaitement efficaces et c'est là où peuvent intervenir les calculs probabilistes. Le principe général reste toutefois le déterminisme sur la base du scénario maximum possible, ce qui permet d'avoir, dans la plupart des cas, une protection suffisante.

A quoi servent les études de dangers ? Outre le fait d'être en règle avec l'administration, ce qui est tout à fait nécessaire, elles ont un rôle important pour l'industriel auquel elles permettent de se poser les bonnes questions préalablement à son installation ou à son agrandissement puisque si l'on a une modification sensible des volumes il est nécessaire de revoir l'étude. L'étude de dangers est le pivot entre, d'une part, la réduction du risque à la source par l'exploitant, et c'est vraiment un de ses rôles les plus importants puisqu'à l'occasion de cette étude, l'industriel se pose les bonnes questions et fait le maximum pour réduire l'occurrence des risques à la source, et, d'autre part, l'information du public. Je rappelle que dans le cadre des enquêtes d'utilité publiques, les dossiers sont déposés en mairie et que l'ensemble des habitants peuvent s'exprimer, ce qui est tout à fait indispensable. Je pense qu'il y a, sur ce plan, encore des efforts à faire parce que, très souvent, on s'aperçoit après que l'enquête a eu lieu, que l'on n'a pas été prévenu, et qu'il est trop tard. Le ministère est tout à fait conscient qu'il y a des efforts à faire en matière de publication et d'information.

Un des rôles majeurs de l'étude est de contribuer à la maîtrise de l'urbanisation. Bien sûr, celle-ci est plus facile lorsqu'on installe une nouvelle usine que lorsque l'usine est déjà installée. Mais dans tous les cas l'étude a des conséquences en matière d'urbanisme par la définition des zones Z1 et Z2. La zone Z1 est la zone à l'intérieur de laquelle un taux d'accidents mortels de l'ordre de 1 % est possible. On essaie de confiner cette zone à l'intérieur de l'entreprise mais n'oublions pas que l'on doit aussi et avant tout protéger le personnel qui est dans l'entreprise car il est évident que si l'on protège bien le personnel on protège aussi et en même temps l'environnement.

En tout cas, dans la législation, l'essentiel est de maintenir la zone Z1 à l'intérieur de l'entreprise. La zone Z2 est celle au sein de laquelle apparaissent des effets irréversibles qui n'entraînent pas le décès mais qui peuvent avoir des conséquences irréversibles pour les personnes. Dans la zone Z2, qui est plus large, l'industriel a obligation de développer avec la sécurité civile les plans particuliers d'intervention (PPI). Il doit par ailleurs en interne développer un plan d'opération interne (POI), qui organise la gestion des accidents.

La directive dite « Seveso 2 » impose à toutes les entreprises qui sont à seuil haut de revoir ces études de dangers tous les cinq ans, ce qui n'était pas le cas précédemment. C'est une amélioration conséquente de cette nouvelle directive européenne.

A côté de ces études de dangers, un système de gestion de la sécurité est mis en place. Le facteur organisationnel et le facteur humain y ont toute leur place et constituent une source de progrès important à développer dans le cadre de l'application de la directive dite « Seveso 2 ».

Il faut signaler que cette législation pilote a inspiré l'action conduite actuellement pour les tunnels du réseau national puisque des études de dangers sont organisées sur tous les tunnels d'une longueur supérieurs à 300 mètres.

Il faut bien faire ces études de danger, non pas pour faire plaisir à l'administration, mais parce qu'en se posant toutes les bonnes questions, un industriel qui conduit correctement son étude de dangers intègre en amont toute la prévention possible en utilisant les meilleures technologies disponibles à un coût économiquement acceptable, pour reprendre les expressions bien connues, et en intégrant surtout les équipements importants pour la sécurité dont la fiabilité doit être examinée de très près.

M. le Président : Y a-t-il beaucoup d'études de dangers, Monsieur Labroye, qui sont faites uniquement pour faire plaisir à l'administration ?

M. Georges LABROYE : Je pense que non. La plupart des industriels, conscients des risques, réalisent leurs études très correctement. Toutefois, une nouvelle norme peut parfois apparaître comme un pensum supplémentaire. Il faut en faire sortir au contraire un bien en se posant les bonnes questions.

M. André PICOT : Je ne suis pas un spécialiste des problèmes de formation des différents acteurs des installations chimiques. Je suis plutôt un spécialiste des problèmes de formation dans le milieu de la recherche mais il se trouve que, depuis quelques années, j'ai été amené à m'occuper de l'actualisation des connaissances des inspecteurs des installations classées. Je voudrais vous donner quelques impressions que j'en ai retiré et qui peuvent peut-être expliquer un certain nombre d'éléments qui peuvent apparaître dans la surveillance des installations chimiques et sur la façon dont on pourrait améliorer cette surveillance. Je ne parle pas des inspecteurs qui s'occupent du domaine agroalimentaire dont beaucoup sont des vétérinaires et qui sont parfaitement adaptés à ce qu'ils contrôlent.

Dans le domaine de la chimie, j'ai été très étonné par la formation initiale des inspecteurs que j'ai eus à former. Ceux-ci sont très rarement des ingénieurs chimistes. Ils ont par contre une connaissance réglementaire extrêmement précise. Bien entendu, pour leur fonction, cette connaissance est essentielle mais, lorsqu'ils ont à contrôler des installations chimiques, il est évident que des notions de chimie - je ne veux pas dire élémentaires, je ne vais pas leur faire injure - mais relativement précises devraient leur permettre de jeter un autre regard sur les installations chimiques. Par exemple, j'ai été frappé d'apprendre qu'à Toulouse, le hangar dans lequel s'est produite l'explosion n'était pas contrôlé par la DRIRE parce que, réglementairement, ce contrôle n'était pas imposé. Les inspecteurs des sites classés devraient avoir une plus grande curiosité. Pour un chimiste il est évident que le nitrate d'ammonium s'il n'est pas considéré comme un produit explosif, est tout de même un produit qui déclenche tout de suite des clignotants qui conduisent à se demander quelle quantité de produit est stockée, dans quelles conditions, si les conditions de confinement sont respectées et si ce stockage est conforme à ce qui devrait se faire, et notamment si la qualité de ces déchets - puisqu'il s'agissait de déchets - est bien conforme ?

Une telle démarche ne peut être amenée que par une meilleure formation aussi bien du reste dans le domaine chimique et physique qu'éventuellement dans le domaine biologique parce que, lorsque des chimistes parlent du nitrate d'ammonium on est un peu étonné qu'ils avancent que ce nitrate d'ammonium était facilement fermentescible. On se demande où le champignon ou le microbe pourrait trouver sa source de carbone. Que le nitrate d'ammonium soit un produit bio-transformé, c'est exact, mais il n'est pas fermentescible. Il faut donc réfléchir à deux fois à toutes les explications reposant sur le fait que ce processus va augmenter la température ou qu'une auto combustion peut se produire.

Globalement, j'ai un peu l'impression que, malheureusement, en France, à la différence des pays anglo-saxons, notre culture en matière de risques chimiques a été en s'amenuisant depuis une vingtaine d'années. La France a été un grand pays, je crois, pour la chimie lourde. Nous avons été les pionniers dans de nombreux domaines et, peu à peu, cette culture s'est amenuisée. Tout le monde s'est spécialisé, la question des risques est devenue de moins en moins noble parce qu'il y a d'autres critères qui se sont ajoutés aux critères d'autrefois. Les écoles d'ingénieurs, par exemple de chimie, n'ont pas, à mon sens, pris suffisamment tôt ce problème en main. J'ai eu comme patron, il y a quelque temps, Guy Ourisson qui s'est battu, vraiment battu avec tous les directeurs d'école de chimie pour que l'on prenne mieux en compte cette question des risques. J'ose espérer que maintenant cela fait vraiment partie intégrante, et pour une part non négligeable, du cursus. Je n'en suis pas certain. J'ai pris cet exemple des écoles d'ingénieurs, mais on pourrait aussi se poser des questions sur la formation des experts. A-t-on envoyé les experts français dans d'autres pays pour voir comment cela se passait là-bas ?

N'étant pas vraiment spécialiste de ce domaine, je ne peux pas vous donner d'éléments plus précis, mais si j'avais à parler, par exemple, de l'état de nos connaissances et de l'état de la formation de nos experts dans le domaine des risques pour la santé, là je peux vous assurer que je pourrais vous dire en long sur la façon dont, en France, nos experts nous représentent dans la communauté européenne. Je suis bien placé puisque je suis un des deux experts français pour la fixation des normes sur les produits chimiques à Luxembourg, à la DG5. On pourrait se poser des tas de questions, et se demander pourquoi, dans notre pays, on a tant négligé la formation des experts sur les risques chimiques et sur la toxicologie.

Je vous ai distribué des fiches que j'ai utilisées -c'est un peu un hasard - à la dernière formation que j'ai faite pour les ingénieurs des sites classés. Ce ne sont pas du tout des fiches validées. J'ai l'intention de les soumettre à l'INERIS, qui fait des dossiers beaucoup plus conséquents que ces fiches, et à un certain nombre d'autres experts. C'est à titre d'information que je vous les communique mais si vous avez la curiosité de chercher sur Internet, vous serez étonnés par le peu de documents auxquels vous aurez accès à part, bien sûr, les documents des producteurs. Il y a une fiche européenne très rudimentaire. Même sur un produit qui est utilisé avec des tonnages énormes, on est étonné qu'il n'y ait pas un étiquetage européen. Cela paraît vraiment hors du commun.

M. le Président : Mes chers collègues, posez vos questions.

M. André VAUCHEZ : Vous avez tous bien expliqué le problème de l'étude des risques. Mais, on voit bien que cette étude des risques ne prend pas en compte le risque majeur qui, a priori, semble être l'explosion plutôt qu'une fuite que l'on peut toujours maîtriser.

Sommes-nous capables d'évaluer, par exemple, -je reviens au cas de Toulouse parce que hélas, trois fois hélas, c'est ce qui s'est passé - en cas d'explosion d'un stock de nitrate d'ammonium le rayon qui sera touché ? Est-on capable d'évaluer précisément ces risques ? Si l'on n'est pas capable, pourquoi, comme certains d'entre vous l'ont évoqué, ne pas adopter la sagesse en disant que ce type de stockage sera divisé par dix parce que là, au moins, on peut maîtriser même si au-delà, on ne sait pas faire. On a parlé de la performance, je crois que la première performance à accomplir c'est celle de faire de la chimie sans qu'il y ait des catastrophes. Il y a toujours des accidents, hélas. On voit toujours des fuites de chlore qui, hélas, font mourir un ou deux ouvriers, et c'est bien grave, mais on n'a jamais vu, a priori, des fuites de chlore, qui ont causé des désagréments incroyables à une population entière, car on a le temps de réagir ; ce n'est pas le cas de l'explosion.

M. Paul DHAILLE : Le premier intervenant a parlé des retours d'expérience. Par qui sont faits ces retours d'expérience à l'heure actuelle ? Sont-ils faits par l'entreprise ? Sont-ils faits par des sociétés rémunérées par l'entreprise ? Ou sont-ils faits par des sociétés indépendantes de l'entreprise ? Par qui estimez-vous qu'ils devraient être faits ?

Vous nous avez dit qu'il y avait une internalisation des retours d'expérience. Or, on constate, en particulier dans l'industrie pétrolière et pétrochimique, que depuis des années beaucoup de services ont été externalisés. C'est une tendance naturelle de ces entreprises d'externaliser des services de sécurité ou de maintenance, par exemple. Dans ce domaine, elles ont, semble-t-il, internalisé des services. Quelles sont les raisons qui font qu'elles ont internalisé ces services et qu'elles ne les ont pas externalisés comme d'autres ?

M. le Rapporteur : J'ai entendu une phrase de M. Gilbert qui m'a profondément marqué. Vous avez dit : il y a des faibles échanges sur les dysfonctionnements avec l'autorité de contrôle et les agences d'expertise. Cela veut donc dire qu'il n'y a pas obligation de déclaration d'incident ou de quasi-accident. Si une telle obligation existait, à qui les événements devraient-ils être déclarés ? Connaissant bien le nucléaire et moins bien la chimie, je souhaite savoir si dans ce secteur existe une bonne séparation entre l'expertise et le contrôle ? Qui fait l'expertise ? Après, on posera la question des hommes, c'est-à-dire du nombre de contrôles à faire et du nombre de personnes qui sont chargées de les effectuer.

M. Pierre COHEN : J'ai été très sensible à toutes les interventions sur la culture de sûreté. Je reviendrai souvent à Toulouse car évidemment nous sommes marqués par cette expérience. Si l'on demande une étude de dangers à un industriel et si c'est à lui-même d'indiquer quels sont les produits dangereux et les situations dangereuses, on risque de se trouver comme à Toulouse, dans une situation où tous, du directeur aux syndicalistes, pensent qu'il n'y avait aucun danger. Cela rejoint la question de tout à l'heure sur la connaissance des risques. Il faut prendre en compte cette notion de culture de sécurité qui amène à étudier de manière approfondie tout ce qui n'est pas légitime dans une configuration normale et, dans l'intervention de Mme Bourrier, j'ai eu le sentiment que l'analyse était presque inverse. Vous dites qu'a priori il n'y a aucune raison d'utiliser des méthodologies différentes pour les grands risques puisqu'en fait tout existe, de sorte qu'il suffit de se calquer sur ce qui existe normalement. Je dirais que c'est presque l'inverse. Ce qui ne pose pas de risque a priori, ne fait pas l'objet d'étude alors qu'il faudrait pratiquement chaque fois se poser la question, même a priori s'il n'y a pas de risques et les simuler pour savoir ce qui se passerait s'il y en avait et on pourrait ainsi arriver à une conclusion sur ce qu'il faudrait faire le cas échéant parce que l'on serait obligé d'y penser. On aura toujours des gros problèmes dans des situations où, a priori, on pense qu'il n'y a pas de raison de se faire du souci d'analyser de manière approfondie les risques.

Je suis aussi marqué sur ce qui a été dit sur le contournement des normes. Évidemment, il y a plusieurs logiques à l'_uvre mais j'ai bien noté que l'initiative de ce contournement venait souvent de la direction et qu'après il y avait un accommodement. Mais, parmi les facteurs de risque, il semble y avoir le rôle de la sous-traitance entraînant la perte d'une culture orale. Si le rôle de cette culture est vraiment aussi prégnant que cela, il y a évidemment toujours des difficultés et un manque de temps pour la transmettre mais quand existe une culture d'entreprise, l'information se transmet. En revanche, quand existe une répartition des rôles et des tâches avec de la sous-traitance, vous avez certainement là une perte de savoir et ce facteur joue, à mon avis, davantage que la réduction du temps de travail.

Mme Hélène MIGNON : M. Pierre Cohen a posé les questions que je voulais poser.

M. le Vice-Président : Qui souhaite répondre ?

M. Claude GILBERT : Que veut dire l'internalisation du retour d'expérience ? En fait, cela signifie que l'on ne sait pas comment les connaissances sur les incidents qui sont maîtrisés sont produites. On connaît les procédures et j'ai fait une large enquête dans différentes activités à risques sur cette question. Ces procédures sont confinées de différentes façons. Elles sont confinées parce qu'il y a une certaine décentralisation des procédures dans les grands groupes. C'est un point important. Elles sont confinées aussi parce qu'elles sont réalisées avec des procédures de confidentialité ou qu'elles sont réalisées par des sociétés de conseil qui produisent effectivement une connaissance sur cette question mais c'est une connaissance internalisée soit au sein des groupes soit au sein de groupes qui sont en communication les uns par rapport aux autres, et qui n'est pas publique. En clair, on est dans une situation tout à fait intéressante et un peu particulière. On sait aujourd'hui que les grands problèmes apparaissent à travers des dysfonctionnements, des incidents, dans des choses pas nécessairement énormes, on parle de précurseurs. Or, les autorités de contrôle et les experts ont une très faible connaissance de ces événements. Le Bureau d'analyse des risques et des pollutions (BARPI), créé par le ministère de l'environnement et qui se trouve à Lyon, a précisément pour mission de suivre les accidents, les incidents. On connaît les événements par les rapports des DRIRE et par la presse. Les industriels n'ont pas l'obligation de communiquer les informations sur les dysfonctionnements courants et spontanément ils ne le font pas.

M. le Rapporteur : Ils ont quand même obligation de les déclarer à la DRIRE.

M. Claude GILBERT : Cela dépend. Le véritable problème est de savoir jusqu'à quel point ils les déclarent et jusqu'à quel point les autorités collectant ces déclarations s'en saisissent ou ne s'en saisissent pas. A quel moment une agence d'expertise ou d'autorité de contrôle intervient-elle par rapport aux risques chimiques ?

M. le Rapporteur : Y a-t-il une échelle d'incidents comme dans le nucléaire et dans laquelle le classement de l'événement est déterminé par celui qui reçoit la déclaration ?

M. Georges LABROYE : Le BARPI dispose d'une échelle des accidents.

M. le Rapporteur : Mais il n'a pas toutes les informations ?

M. Georges LABROYE : Disons qu'il a les informations qui lui sont communiquées. Nous aidons le BARPI, quand nous avons des éléments, à essayer d'aller plus loin dans les causes car le problème est de connaître la cause de l'accident et pas seulement de l'inventorier. On regrette tous de ne pas avoir la connaissance des incidents qui n'entraînent pas d'accidents et qui sont aussi enrichissants, voire plus, que l'analyse des accidents. C'est un progrès que nous suggérons de faire et que l'on peut faire ensemble avec le GIS de M. Gilbert.

M. Paul DHAILLE : J'aimerais aborder les accidents du travail qui sont un problème important. Dans certaines entreprises, il n'y en a pas. Par exemple, une personne se blesse un doigt et on la renvoie chez elle en taxi, mais l'accident n'est pas déclaré (plusieurs témoins protestent). Cela se pratique.

Mon sentiment est qu'en matière d'incident industriel, la situation est la même. Comme il n'y a pas d'obligation de déclaration, il y a rétention de l'information jusqu'à un certain niveau.

C'est sur ce point que je souhaite que nos experts se prononcent. J'aimerais savoir s'ils pensent qu'il doit y avoir une obligation de déclaration des incidents ? Ensuite, il faut en tirer des conséquences juridiques mais c'est un autre problème.

J'aimerais que l'on me dise pourquoi il y a internalisation de ce type d'incident ? Cela signifie-t-il que les entreprises se protègent vis-à-vis de l'extérieur et des risques juridiques, etc.

M. Claude GILBERT : Il y a d'autres raisons. La gestion des incidents n'est pas simple socialement parlant, même s'il ne s'est rien passé.

Il y a deux raisons à cela : on se protège, mais si l'on veut impliquer les opérateurs dans un retour d'expérience, il faut aussi décentraliser ce retour d'expérience. Les contraintes de ce retour d'expérience sont de tous ordres. Il convient donc de prendre ce paquet de contraintes pour comprendre pourquoi il n'y a pas externalisation.

Je pense qu'il y a internalisation pour des raisons d'efficacité, de protection et également une volonté - clairement affichée dans l'industrie chimique - d'être propriétaire véritablement de son activité. J'ai entendu régulièrement les responsables des industries chimiques dire qu'il valait mieux que la puissance publique ne légifère pas mais recommande.

Simultanément, on constate un véritable échange entre les entreprises, la constitution de clubs où il y a des échanges d'informations sur les activités malgré les contraintes de la concurrence.

Cette internalisation a des effets pervers. Si l'on n'y prend garde, la puissance publique risque de n'être saisie que des questions graves, d'où une perte de connaissance et d'expérience faute de connaître le quotidien et les dysfonctionnements, qui sont extrêmement importants pour comprendre ce qui se passe.

S'il y a perte d'expertise de la part de la puissance publique, à terme nous aurons un phénomène de dérive.

Que s'est-il passé avec le risque chimique ? Il a disparu de la scène publique alors qu'il était entièrement sur la scène publique après Bhopal et d'autres événements. Ce risque a été caché, une première fois par le nucléaire, une seconde fois par le sang contaminé puis par l'ESB. Le risque chimique s'est évanoui, a disparu de la scène publique. Pourtant, paradoxalement, les secrétariats permanents de prévention des problèmes industriels, permettaient un grand investissement en termes de négociation et de concertation. Cela a disparu de la scène publique.

Nous sommes aujourd'hui dans une situation où l'on comprend que pour assurer une forme de garantie de gestion des risques, la mise en tension des acteurs les plus immédiatement concernés, l'entrée de nouveaux acteurs et une certaine publicisation de cette mise en tension est probablement une garantie tout aussi importante que la bonne application des règlements et que les bonnes cultures. C'est un peu ce vers quoi nous nous dirigeons.

M. René AMALBERTI : Un commentaire. sur le même thème. Il me semble que quand on parle des incidents, on a des échelles et que les incidents les plus fréquents dans les systèmes surprotégés sont des enfoncements de barrières dans des systèmes où il y en a plusieurs. Il y a par exemple des systèmes sûrs comportant dix barrières où l'on enfoncera deux ou trois barrières. On aura donc un incident sans conséquence majeure. Il existe et il est une atteinte à la sécurité en théorie, mais pour les opérateurs et pour l'entreprise, il s'agit surtout une manière chronique de réaliser leur performance. C'est vraiment au centre du débat.

Nous créons des systèmes qui sont très protégés et peut-être bien protégés à un moment de création, puis le système vit. Les contraintes économiques changent, les ouvriers changent, le niveau de travail dans l'entreprise change et le système s'adapte, comme tout système biologique.

Pour s'adapter, le système va progressivement faire sauter un certain nombre de verrous en pensant qu'il est toujours sûr. Les personnes, et notamment les présidents d'entreprises, ne sont pas suicidaires ; ils transgresseront certaines barrières sans y voir une gravité particulière.

Ces transgressions régulières s'inscrivent dans un impossible dialogue avec l'autorité de tutelle et de contrôle. Aujourd'hui, lorsqu'elles sont mises aujourd'hui sur la table dans un retour d'expérience, la conclusion est que l'entreprise ne s'est pas conformée à ses obligations. Cela n'a qu'une conséquence : soit on ne fait pas remonter l'information et on internalise donc au maximum en sachant qu'il n'y a pas de dialogue constructif possible ; soit on engage le dialogue mais il est en réalité impossible car la réponse que l'on obtiendra ne sera de toute façon pas adaptée au contexte. Lorsque l'autorité de contrôle dira : "suivez le règlement", cela ne sera pas fait par l'entreprise parce que la performance ne serait pas présente. On dira qu'on le fera, mais on ne le suivra pas.

J'insiste sur ce que j'ai dit auparavant : les individus ne sont pas suicidaires, ils ne franchissent pas des niveaux de risque de façon délibérée en provoquant les conditions de l'accident. Ils croient profondément qu'ils maîtrisent la sécurité. Les incidents, les barrières fréquemment levées ne sont pas des éveils pour eux parce qu'ils relèvent de la normalité.

Dans le fond, s'ils peuvent ne pas en parler, si rien n'est fait pour en parler et si aucune tutelle n'est capable d'en parler, tout le monde est satisfait ; on entérine et on franchit la barrière suivante.

Certaines entreprises, de même que certaines autorités de tutelle de proximité, arrivent à en parler. On contingente alors le nombre de barrières franchies ; on arrive à responsabiliser le c_ur de l'entreprise sur le fait que l'adaptation est un problème et, éventuellement, on est capable de remonter l'information pour dire à un moment qu'il faut nettoyer le règlement. Lorsque le règlement est l'objet d'une transgression journalière par l'ensemble de l'industrie, il faut le supprimer. Or, nous sommes dans des logiques de construction de règlements où rien ne s'efface et tout s'ajoute. Cela est dramatique.

Plus on est sur l'asymptote, plus on a une excitation politique, plus on ajoute des règlements sans en enlever aucun et on a un système de construction de transgressions.

Quand on aura mis 25 barrières, on n'aura pas une meilleure sécurité que si on en avait mis 5, si on n'a pas nettoyé pour garder les bonnes barrières, véritablement efficaces et que personne ne transgressera, au bon endroit. C'est un sujet véritablement problématique.

M. Paul DHAILLE : C'est vraiment très intéressant pour nous.

M. Georges LABROYE : Je veux abonder dans tout ce qui vient d'être dit. Il faut associer les parties prenantes, c'est-à-dire les riverains, dans le cadre des S3PI -l'INERIS a participé à de nombreux S3PI- qui apportent beaucoup dans le débat. Cela soulève des questions auxquelles personne n'avait pensé ou que tout le monde "gardait sous le manteau". Cela a beaucoup fait progresser le débat public avec l'ensemble des riverains, des associations et des parties prenantes.

Par ailleurs, les CHSCT sont également concernés. J'en anime depuis 30 ans en tant que chef d'entreprise et responsable d'établissement. On y apprend beaucoup de choses mais les membres des CHSCT ne sont pas assez informés des risques majeurs. Ils parlent beaucoup de petits problèmes, souvent importants pour leurs conditions de travail quotidien, mais on ne parle pratiquement jamais des gros problèmes, en particulier des risques majeurs. Former et sensibiliser les élus des CHSCT est une recommandation forte et l'INERIS peut participer à cette sensibilisation sur les accidents majeurs.

Mme Mathilde BOURRIER : Je crois que je me suis fait mal comprendre tout à l'heure. Je n'ai pas voulu dire que tout était sur la table. Il m'apparaît que les organisations gérant des activités à risque, comme l'a dit M. Amalberti, sont normales et banales. Elles ont des dysfonctionnements qui sont le lot quotidien de nombreuses organisations. L'idée est de les étudier, d'en être conscient et d'en avoir toujours une bonne connaissance.

Il se produit des processus de normalisation de la déviance et de contournement de la règle mais il existe également des situations de suivi de la règle. Je suis un peu en désaccord avec M. Amalberti à ce sujet : des agencements organisationnels permettant de limiter les écarts à la norme sont possibles. Si vous responsabilisez les personnes sur le terrain en leur disant que dès qu'il y a un écart, il faut le signaler et qu'elles seront en conséquence en charge d'élaborer la nouvelle procédure, c'est très bénéfique.

Il existe une autre solution beaucoup plus coûteuse : placer des personnes en permanence en charge de modifier pour les autres les procédures dès qu'il y a un problème.

Lorsque les organisations, comme c'est souvent le cas en France notamment, restent complètement aveugles aux difficultés des personnes à travailler avec des règles, ces phénomènes de transgression ou de normalisation de la déviance se produisent. Ils sont bénéfiques la plupart du temps. Je n'aime pas trop entendre parler de malveillance, les gens font du mieux qu'ils peuvent. Mais parfois peuvent se produire des dérives. C'est le cas de l'accident de Challenger : les responsables se sont progressivement habitués à prendre de plus en plus de risques. En l'occurrence, un groupe d'ingénieurs a normalisé des choses qu'il n'aurait jamais dû accepter.

Sur les coûts induits, on a aujourd'hui des modes d'organisation avec une division des tâches sans aucune évaluation de l'impact que cela peut avoir sur le quotidien des salariés. On connaît bien les erreurs humaines et leur mode de formation, on connaît bien les barrières, la défense en profondeur et la technologie. En revanche, on ne connaît pas bien l'influence d'un mode d'organisation plutôt qu'un autre sur la sécurité. Un mauvais agencement organisationnel peut être aussi fatal, à la longue, qu'une vanne mal conçue. On en a une trop faible connaissance et c'est trop rarement dit. C'est peut-être cela que j'ai mal exprimé.

M. Jacques REPUSSARD : Pour répondre au rapporteur, je veux dire qu'il est important de bien identifier les rôles. Les échanges d'informations sont d'autant plus faciles que les rôles sont bien définis. Il faut également des personnes ou des organisations assurant une liaison, sinon chacun a un jeu de rôle intégral.

De même qu'il y a des échanges et des inspections croisées entre les pairs dans un processus international très important, au plan national, il est important que des échanges se fassent entre l'autorité publique qui autorise ou interdit, réglemente et inspecte et, de l'autre côté, les industriels qui sont responsables de la gestion des risques sur leur site. Il ne faut surtout pas leur retirer cette responsabilité. Il faut au contraire la consolider. Il faut peut-être faire des réglementations davantage en termes d'objectifs que de moyens.

Conformément à une règle générale d'évolution de la législation européenne qui me parait fondée, au lieu de dire aux industriels ce qu'il faut faire jusque dans le détail, il faut leur dire : "Faites votre métier, mais voilà où nous souhaitions que vous arriviez."

L'INERIS est l'un de ces organismes de liaison financé pour plus de la moitié par des fonds publics, mais qui n'a pas de rôle d'autorité. Il est donc capable dans un groupe de travail de dialoguer avec l'administration en cas de désaccord sur telle ou telle approche réglementaire. L'expérience de l'INERIS se nourrit aussi du travail que nous faisons pour les industriels.

Des études et des recherches ont été faites sur le stockage des aérosols par exemple. Ces travaux ont été confiés à l'INERIS par des associations d'industriels qui se posaient des questions sur la sécurité de leurs stockages. Ils nous confient ces études et nous en retirons un savoir-faire qui nous permet de dialoguer avec les ministères ou d'envoyer des experts à Bruxelles. Il y a là une continuité et il faut protéger cette mission quelque peu hybride, parfois critiquée mais en réalité très importante. Bien sûr, nous ou les autres experts devons avoir une déontologie irréprochable, mais ce rôle intermédiaire doit être protégé car il est très important dans le processus global de gestion du risque.

Mme Odette CASANOVA : Il a été évoqué ici le fait de limiter la taille des installations et de les éparpiller géographiquement. Est-ce que cela diminue réellement le risque ?

Par ailleurs, aujourd'hui, il y a beaucoup de travail en réseau sur plusieurs usines, de sous-traitance avec parfois de toutes petites structures sous-traitantes et des statuts de salariés complètement différents. Faut-il se pencher sur ce sujet ? Faut-il, comme cela a été évoqué, une stabilité de l'entreprise qui perd une tradition orale ?

M. Paul DHAILLE : Je crois que deux ou trois d'entre vous ont parlé des rapports entre la qualité et la sécurité. En particulier, certaines entreprises bénéficient de certifications ISO et il apparaît toujours que, dans ces procédures, la sécurité n'intervient que comme l'un des moyens de la qualité ou de la production.

Pensez-vous que dans le cadre de ces certifications le problème de la sécurité a été mal abordé ou qu'il a été instrumentalisé ? Les procédures de sécurité ne devraient-elles pas être traitées en tant que telles ?

M. Michel VAXES : Je suis très rassuré d'avoir entendu les différentes interventions car j'ai le sentiment que si l'on met en _uvre les orientations qu'elles recommandaient, le risque pourrait être limité au minimum. Néanmoins, je suis également inquiet car l'équilibre à rechercher est l'expression de rapports de force qu'il faut essayer d'atteindre au niveau le plus élevé.

La nécessité du dialogue entre l'ensemble des partenaires a été soulignée. On le constate, là aussi, le moteur de la démocratie est l'efficacité. C'est très instructif.

Un collège d'experts, comme celui qui est réuni ici, aurait, me semble-t-il, la possibilité d'élaborer une grille d'analyse des facteurs de risque assez précise et un cahier des charges également assez précis et d'organiser un contrôle efficace. Ainsi, en instaurant le dialogue sur l'ensemble de ces points, on arriverait à des solutions qui constitueraient de bons points d'appui pour les recommandations qu'il appartient à la commission d'enquête de faire.

C'est pourquoi il serait souhaitable, et je m'adresse cette fois au président et au rapporteur, que le rapport de votre commission d'enquête puisse faire l'objet d'un dialogue avec les experts qui permettra de mesurer si nous avons bien travaillé.

M. le Rapporteur :  D'abord, je veux remercier l'ensemble des intervenants au nom de tous nos collègues pour être venus dans un délai très court et pour avoir préparé cette première audition qui a été de qualité même s'il est difficile d'organiser un débat.

Une recommandation : j'ai été très favorablement impressionné car c'est la première fois que je vois une ébauche d'échelle des risques, tous risques confondus. Pour le secteur nucléaire, nous étions nombreux à le demander depuis très longtemps et j'en avais vu avec des probabilités de risques mais je n'avais pas encore vu d'échelle.

Nous continuerons à travailler sur ce thème, mais nous aimerions qu'il soit validé et qu'il y ait des conférences et des séminaires pour qu'à partir de cette ébauche, des spécialistes puissent continuer à travailler pour que cette échelle s'impose à l'opinion publique.

Il est assez significatif de voir que le transport aérien et le nucléaire apparaissent comme les activités où le risque est le plus faible, en tout cas le moins probable. Dans ces deux cas, il y a une demande de sûreté très forte de la part du public. On sait ce que donne un accident d'avion ou un accident dans le domaine du nucléaire. Le grand risque est la banalisation du risque qui conduit à transgresser des barrières.

Plusieurs d'entre vous ont dit tout à l'heure que ces risques dans le secteur chimique n'ont pas été sous-évalués mais qu'on s'est petit à petit assoupi sur une culture de sûreté qui existait. M. Repussard a même ajouté - même si je ne partage pas l'explication - qu'il y a moins d'experts dans le chimique. Cela ne résulte pas des 35 heures, car dans certains secteurs les 35 heures sont appliquées et pourtant on organise la sécurité. Laissons de côté ce débat compliqué pour ne pas venir polluer celui concernant le risque industriel en divisant notre commission.

Cela dit, vous avez raison de dire que la perte d'expertise et le fait qu'il n'y ait pas de retour d'expérience sur les petits incidents sont des points majeurs qu'il faudra approfondir en commun et ce que disait M. Vaxès allait dans ce sens.

Dès lors qu'il y a quasi-accidents et accidents, la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, s'applique-t-elle bien aux personnes comme dans d'autres domaines où l'on sépare les problèmes d'environnement des problèmes de protection des personnes ? N'est-ce pas un des points sur lesquels il faudrait travailler ?

Y a-t-il des secteurs où il faudrait préconiser d'urgence un certain nombre de mesures ? C'est notre rôle de le faire. De manière pudique vous avez dit : "Oui il y en a, mais on n'en sait pas davantage", j'aimerais donc que ceux qui le souhaitent nous renseignent plus précisément.

Notre commission d'enquête étudiera ces questions de manière sereine. Il ne s'agit pas de montrer du doigt le secteur de la chimie. Ce secteur existe depuis très longtemps, des efforts sont réalisés, et il s'agit d'une industrie importante dans le pays. Nous essaierons simplement d'améliorer les choses.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Je voudrais faire quelques commentaires. Je ne suis pas inquiet pour l'avenir de la chimie. Regardez autour de nous et montrez-moi quelque chose qui ne soit pas de la chimie. Cette activité continuera donc dans l'avenir. Les médicaments et notre corps lui-même qui est un bon réacteur truffé de réactions chimiques et biologiques relèvent de la chimie.

Vous nous avez remerciés parce que l'on a fait vite. C'est notre devoir. La plupart d'entre nous sont fonctionnaires et nous sommes donc à votre disposition.

Je voulais répondre à la question de M. Pierre Cohen qui a demandé si l'on pouvait savoir à quelle distance il fallait se mettre d'une explosion : la réponse est oui. Tout dépend du type d'explosion. Provient-elle de poudres, d'une réaction des produits chimiques ou d'un autre phénomène ? Selon les cas, il y a des normes.

Vous avez proposé de mettre en place un collège d'experts et de nous réunir une deuxième fois. En ce qui me concerne, bien sûr, je réponds oui. Mais si j'avais un conseil à vous donner, peut-être manque-t-il des gens parmi nous. Sur certaines des questions qui ont été soulevées, notamment l'échelle des risques, je ne suis pas suffisamment savant, mais il me semble qu'après avoir interrogé des représentants de l'Union des Industries Chimiques, par exemple...

M. le Rapporteur : Nous allons les voir.

M. Jean-Claude CHARPENTIER : ... peut-être pourrez-vous obtenir des éléments plus précis. Je pense qu'une telle échelle existe, mais je n'ai pas de quoi étayer mon assertion. Par contre, je dispose d'un certain nombre de documents car, avant de venir ici, j'ai été un peu consulté, notamment par la région Rhône-Alpes, à la suite de ce qui s'est passé à Toulouse. Cette région s'est un peu remuée et on m'a traqué en tant que directeur d'Ecole de Chimie là où j'étais, à l'autre bout du monde, car on voulait me faire absolument dire que c'était un attentat et que cela n'allait pas arriver dans la région Rhône-Alpes. Pour répondre à M. Jean-Yves Le Déaut, oui, il y a des produits dangereux, mais on ne peut pas faire de chimie comme bien d'autres choses sans produits dangereux. On ne peut pas faire du nucléaire sans rien dedans.

M. le Rapporteur : ... Ce n'est pas la question. Peut-on par des mesures relativement simples améliorer la situation par exemple sur des sites où aujourd'hui il y a du confinement et où il y a des stocks importants ?

M. Jean-Claude CHARPENTIER : On peut tout améliorer. Par exemple pour les transports, je ne veux pas revenir sur les 35 heures mais lorsque l'on doit s'arrêter de travailler, à quel endroit met-on les trains qui contiennent des wagons de produits dangereux ? C'est un problème. La maison de la chimie, en région Rhône Alpes, la Chambre de commerce et le préfet, ont organisé une réunion à ce sujet.

M. le Rapporteur : Les stockages ferroviaires deviennent des usines chimiques...

M. Jean-Claude CHARPENTIER : Oui, mais il ne faut pas que dans la gare de la Part-Dieu, il existe une explosion de produits stockés.

Dernier point : la formation des hommes. Il faut que vous légifériez et que vous fassiez des propositions. Comme on dit, il n'est de science que d'homme, de technique que d'homme et de parlementaire que d'homme. Je voulais répondre à l'intervention qui attaquait gentiment les directeurs des écoles de chimie. Pas de chance, je suis directeur d'une école de chimie et depuis quatre ou cinq ans ces écoles sont fédérées dans ce que l'on appelle la Fédération Gay Lussac qui a pris pour habitude d'échanger autant que possible des élèves en dernière année suivant les spécialités. Des écoles sont spécialisées et donnent aux étudiants de dernière année des cours très complets sur les explosions et la sécurité des procédés. C'est notamment le cas de l'école de Mulhouse. Dans le cadre de cette fédération, l'INRS nous a donné de l'argent pour monter des expériences et pour confectionner des documents d'enseignement sur les problèmes de sécurité.

M. Claude GILBERT : Tout d'abord, je voudrais répondre à la question relative au lien entre la sécurité et la qualité. C'est un thème sur lequel nous voulons travailler dans le cadre du Groupement d'Intérêt Scientifique. Ce n'est pas une question simple.

Au fond, que vaut-il mieux ? Vaut-il mieux que la qualité rapproche le quotidien de l'exceptionnel ? Il y a là quelque chose qui n'est pas forcément inintéressant. En même temps, c'est un système de défense. Il est clair que, dans un certain nombre de secteurs, les autorités de contrôle se contentent de vérifier qu'une entreprise est certifiée. Il faut débattre de cette question car je ne suis pas certain que l'on ait actuellement de véritables réponses.

Vous nous invitez à faire des propositions. Une me vient assez spontanément à la suite de ce débat, c'est renforcer ce premier triangle qui existe entre les acteurs en faisant en sorte que les rôles soient bien assumés. Pour cela, il faut que chacun des acteurs, et je pense notamment aux autorités de contrôle et d'expertise, aient l'autorité suffisante, ce qui n'est pas toujours complètement assuré dans le secteur de la chimie et qu'ils aient les compétences suffisantes, donc la capacité d'expertise. Je pense par exemple à l'INERIS. Le système hybride, conformément auquel fonctionne cet établissement public est quelque chose qui est en discussion. Lorsque l'INERIS fait des études à la demande des industriels, les résultats doivent-ils être rendus publics ? Cet établissement public doit-il disposer d'une capacité d'auto-saisine ?

Je suis sensible à ce qui été dit, à savoir de bien séparer les rôles et en même temps assurer la continuité. Il faut que l'information puisse circuler. Actuellement, dans le système nucléaire, l'information circule de l'incident jusqu'à l'accident entre les trois instances. Dans le système de la chimie, on ne peut pas dire que l'information circule. C'est assez paradoxal que le nucléaire apparaisse sur ce plan presque comme un modèle.

Si j'avais une autre recommandation à faire, je crois qu'il faut protéger le retour d'expérience. Les acteurs industriels ne se lancent pas dans le retour d'expérience pour des raisons d'efficacité mais aussi parce qu'ils se protègent. C'est en effet très risqué de faire du retour d'expérience. Je suis très frappé d'avoir entendu dire très clairement : pourquoi faire du retour d'expérience si c'est pour se mettre mal avec tout le monde ? Donc, on aboutit à des pratiques qui sont de plus en plus opaques. Parfois, je dirais même que l'on détruit les traces du retour d'expérience pour ne pas s'exposer vis à vis de la justice, des médias et de je ne sais quoi encore. Je crois que s'il y avait une protection légale, c'est-à-dire si s'engager dans le retour d'expérience pouvait, du point de vue du juge, être un plus et non un risque, ce serait quelque chose de tout à fait considérable.

Mme Annick CARNINO : Je voulais revenir sur les liens entre la qualité et la sûreté. C'est un véritable problème. Dans les revues internationales en sûreté opérationnelle, j'ai des exemples qui montrent que la préoccupation de la qualité a tellement dominé que l'on a oublié la sûreté et que l'on s'est retrouvé en situation dangereuse. C'est un véritable débat et la réponse n'est pas simple comme vous l'avez dit. Il est sûr que l'on a besoin de la qualité pour la production mais cela ne suffit pas à garantir la sûreté.

M. Michel VAXES : Il manque un contrôle continu.

Mme Annick CARNINO : Oui, tout à fait. Pour revenir au retour d'expérience ma recommandation serait que le secteur de la chimie s'ouvre davantage en ce domaine. Je pense que M. Le Déaut le sait très bien, mais je peux vous dire que dans l'industrie nucléaire si nous avons progressé après l'accident de Three Mile Island, c'est justement parce que nous avons décidé tous ensemble d'échanger beaucoup plus. Rien n'est parfait, loin de là. Il y aura toujours des choses cachées. Mais nous avons été très actifs et les revues que nous faisons amènent les exploitants et les autorités de sûreté à beaucoup mieux appréhender le retour d'expérience. Nous avons été très actifs depuis plus de dix ans dans ce domaine et nous n'avons pas une protection spéciale puisqu'on le fait même sur un plan international. Les bases de données sont alimentées par les exploitants volontairement et ils nous envoient tous les incidents. Nous les analysons ensemble pour en tirer toutes les leçons et les échanger. Dans les revues que nous faisons au niveau opérationnel, nous regardons même les faibles événements et les précurseurs qui ne sont pas classés dans l'échelle INES. Donc, cela peut se faire, même sans protection directe, mais cela nécessite une volonté commune comme nous l'avons appris après Three Mile Island, événement après lequel nous avons dû évoluer très fortement.

M. Jean-Claude LAPRIE : Il ne faut pas confondre la qualité et la sécurité. La qualité s'applique à un processus et la sécurité à des objets. Mais, comme le disait Annick Carnino si jamais on pense qu'en faisant de la qualité on va faire de la sécurité, là vraiment on passe à côté du sujet car on traite un objet par une approche tournée vers un processus. Donc, on se trompe.

Mme Mathilde BOURRIER : A EDF, en ce moment, c'est le management par la qualité qui est roi, y compris sur les sites nucléaires. Il n'est donc pas clair pour tout le monde que la qualité et la sûreté sont deux choses différentes.

M. André PICOT : Monsieur Le Déaut nous a demandé si l'on avait des propositions à faire, une m'est venue à l'esprit à l'occasion du drame à Toulouse. Il se trouve qu'il y a une dizaine d'années j'avais été amené à visiter d'une part l'usine Grande Paroisse et d'autre part celle de la SNPE. Quand on visite la SNPE, tout est mis en place pour la sécurité parce que c'est un secteur sensible où l'on met le prix. Quand vous visitez l'usine Grande Paroisse, ce n'est que de l'engrais qui ne vaut pas cher. Voilà ! Là, il y a un vrai problème. Dans une usine où l'on fabriquait de l'engrais, l'endroit le plus délaissé était justement celui où l'on mettait les déchets, c'est-à-dire ce qui intéressait le moins l'usine. Là, il y a une piste intéressante.

M. Jacques REPUSSARD : Je voulais dire un mot la qualité, la sécurité et les normes. On a parlé des normes ISO. L'ISO a lancé depuis deux ans maintenant la création de nouvelles normes qui compléteraient la norme ISO 9000 sur la qualité et ISO 14000 sur l'environnement et aborderaient les problèmes de management de la sécurité dans les entreprises. C'est une initiative anglo-saxonne à laquelle la France s'est opposée avec une sorte d'alliance entre les administrations du ministère du Travail et, je crois, du ministère de l'Industrie qui estiment que les réglementations existent et que si l'on ajoute des normes sur les questions de sécurité qui sont déjà réglementées, cela va faire des couches supplémentaires et ce n'est donc pas souhaitable. Les grandes fédérations industrielles se sont évidemment prononcées contre, grosso modo pour les mêmes motifs, alors qu'un certain nombre d'industriels à titre individuel sont très intéressés. Le résultat est que la France ne participe pas à ces travaux qui pourtant avancent. Il y aura donc une norme internationale sur le management de la sécurité sans contribution française puisque l'on a décidé qu'il ne fallait pas y participer. Mais la norme existera et elle s'imposera en France parce qu'avec la mondialisation on fera référence à cette norme dans les cahiers des charges même si certaines critiques sont fondées. Voilà donc une expérience tout à fait malheureuse. Dire que l'on ne va pas y participer est une décision regrettable, mais qui correspond au consensus actuel entre des ministères et des grandes fédérations industrielles.

M. André VAUCHEZ : Globalement, qui ne veut pas participer ?

M. Jacques REPUSSARD : La France. Il n'y a pas d'expert français L'AFNOR n `a pas le droit d'envoyer des experts français. Même si l'INERIS voulait s'y intéresser, elle n'a pas le droit d'y aller. Les procédures de normalisation ne relèvent pas d'une autorité ministérielle mais, au conseil d'administration de l'AFNOR, il y a eu un consensus entre les gens de l'administration et des représentants de l'industrie pour dire que ce travail ne devait pas avoir lieu. Ceci étant, je ne vois pas en quoi le Parlement peut intervenir.

Tout à l'heure, j'évoquais les problèmes de liaison. Ce qui fait défaut en France, c'est peut-être une plus grande proximité, une meilleure coopération institutionnelle et pratique sur le terrain, qui se produit parfois mais pas partout, entre l'administration de l'Environnement, les DRIRE et l'Inspection du Travail. Dans un pays comme l'Angleterre vous avez une seule administration, le HSE, qui est responsable de la prévention des accidents quelle que soit leur extension à l'extérieur des sites industriels. En France, on a une sorte de scission, ce n'est pas forcément un mauvais système, mais encore faut-il bien organiser les liaisons. Ce n'est pas un problème homme contre environnement parce que la législation sur les installations classées concerne aussi la protection et la sécurité des personnes mais à l'extérieur du site. Donc, à l'intérieur, c'est l'administration du travail, à l'extérieur, ce sont les DRIRE. Cela fonctionne bien à certains endroits et dans d'autres moins bien.

M. Georges LABROYE : Je voulais ajouter un dernier point sur la question concernant la sous-traitance. C'est un point qui me paraît extrêmement important et qu'il ne faut pas négliger. Il faudrait arriver, dans les appels d'offres, lorsque ce sont des marchés publics, à imposer aux industriels que la sécurité soit vraiment un des critères de choix et que ne soit pas retenus que des critères de prix ou de qualité. On impose souvent l'ISO aux sous-traitants mais on ne leur impose pas des normes de sécurité, puisqu'elles n'existent pas. Il y a là une recommandation importante à faire.

M. Claude BILLARD : Permettez-moi de vous remercier les uns et les autres.

Table ronde sur les aspects juridiques de la sûreté industrielle, réunissant :

Me Jean-Pierre BOIVIN, avocat, Cabinet BOIVIN & Associés

Me Jean-Daniel CHETRIT, avocat au Barreau de Paris, Cabinet GAIA

Me Laurent DERUY, avocat au Barreau de Paris,
Cabinet GIDE LOYRETTE NOUEL,

Me Christian HUGLO, avocat, Cabinet HUGLO-LEPAGE & Associés,

Mme Caroline LONDON, avocate au Barreau de Paris,

Me Charles VIER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation

(procès-verbal de la séance du 8 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Mes chers Collègues, Mesdames et Messieurs, au nom de la Commission d'enquête, je souhaite la bienvenue à tous les participants à cette table ronde consacrée aux principaux problèmes juridiques liés à la sûreté des installations industrielles.

Bien que vous ayez reçu une série de documents sur notre Commission, je souhaite vous rappeler que notre mission est d'enquêter sur « la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche, et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur ».

Je vous remercie d'avoir répondu présents alors que vous n'aviez que de très peu de temps pour aménager vos emplois du temps.

L'objet de cette réunion est essentiellement de présenter les grands enjeux du droit des installations classées pour la protection de l'environnement.

Si nous disposons tous à la fin de cette réunion d'une grille d'analyse simple sur les aspects juridiques afin de mieux comprendre les grandes questions qui se posent sur ce plan, nous aurons fait un grand pas.

J'ajouterai, à la lumière des précédentes tables rondes que nous avons organisées, que les échanges sous forme de questions réponses sont généralement les moments les plus fructueux.

Avant que notre Rapporteur, M. Jean-Yves LE DEAUT, vous indique l'organisation que nous vous proposons pour cette table ronde, je voudrais insister sur le fait que nous souhaitons la plus grande interactivité possible.

En tant que Députés siégeant dans cette commission, nous avons tous à nous préoccuper de sûreté industrielle dans nos circonscriptions qui comportent pour la plupart plusieurs installations SEVESO II. Nous avons donc tous beaucoup de questions à vous poser, c'est pourquoi je vous remercie de bien vouloir réduire vos propos liminaires à 15 minutes comme convenu.

Je vous rappelle au préalable que les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relatives aux commissions d'enquête vous ont été communiquées par écrit.

Comme cela vous a été indiqué, la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de cette audition, qui vous sera préalablement communiqué.

Notre Commission a adopté la forme d'une table ronde, qui plus est ouverte à la presse, afin de familiariser le plus vite possible le grand public aux enjeux de la sûreté industrielle.

Il s'agit d'une formation relativement inhabituelle pour une Commission d'enquête.

Toutefois, les dispositions de l'ordonnance précitée s'appliquent à l'ensemble de nos travaux et nous conduisent à demander à chacun des témoins entendus de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Madame, Messieurs les témoins, Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(Prestation de serment des témoins)

La commission va procéder maintenant à votre audition qui fait l'objet d'un enregistrement.

Je laisse la parole à M. Jean-Yves LE DEAUT pour vous indiquer comment nous souhaitons procéder.

M. le Rapporteur : Je désire à mon tour vous souhaiter la bienvenue et vous remercier pour votre disponibilité et votre contribution à notre information. Je m'associe à ce que le président vient de vous dire.

Votre mission aujourd'hui est d'attirer notre attention sur les questions clés dans le domaine du droit des installations classées pour la protection de l'environnement. Pour vous aider à respecter notre demande d'interactivité, je vous propose de scinder la réunion en deux parties, chaque partie comprenant trois interventions suivies d'un débat général de 30 minutes.

Nous devons examiner aujourd'hui des sujets qui sont complexes et d'égale importance. Nous devons donc être attentifs à respecter notre tableau de marche et le temps de parole de chacun.

Nous avons choisi l'ordre alphabétique pour les interventions et la première partie de notre réunion sera consacrée à l'entreprise, à la sécurité civile et à l'urbanisme.

Nous allons donc entendre d'abord Me Jean-Pierre Boivin, avocat au barreau de Paris, nous exposer quels sont les droits et obligations des entreprises dans le domaine des installations industrielles. Je rappelle que vous êtes libre, à l'intérieur du temps imparti, de déborder du sujet.

Ensuite, nous donnerons la parole à Me Jean-Daniel Chetrit, avocat au barreau de Paris, qui interviendra sur le thème de la coordination de la police administrative et de l'action des élus les locaux pour la mise en _uvre des questions de sécurité civile et sur les coopérations avec les industriels.

Me Laurent Deruy, avocat au barreau de Paris, chargé d'enseignement à l'université de Paris II Panthéon Assas, nous parlera ensuite de l'articulation des règles d'urbanisme et des prescriptions sur les installations classées et des conséquences du principe de l'indépendance de la législation de l'urbanisme et de celle des installations classées. Il nous parlera également de l'aménagement de périmètres de sécurité autour d'installations classées anciennes, et réciproquement, de la prévention de la construction d'habitations autour de nouvelles installations avec la grande question de la servitude d'utilité publique.

A l'issue des ces trois premiers exposés, les membres de la commission vous poseront les questions qu'appelle leur connaissance approfondie des réalités du terrain, sur les difficultés d'application de la législation et les interrogations de nos concitoyens.

Afin de ne pas brouiller la lisibilité de nos travaux, mes chers collègues, nous vous demanderons de limiter vos questions aux trois premiers thèmes traités par les trois premiers orateurs. En revanche, nous donnerons à nos autres invités la possibilité d'apporter une contribution au débat qui ne doit pas totalement être cloisonné.

Vers 10 heures 30, à mi-parcours de la réunion, nous donnerons la parole à Me Christian Huglo, avocat au barreau de Paris, chargé d'enseignement à l'université de Paris I, qui abordera deux questions fondamentales : le droit à l'information sur les installations classées et la responsabilité juridique des autorités de contrôle.

Ensuite, Me Caroline London, avocate au barreau de Paris, Maître de conférences associée à l'université d'Artois, chargée d'enseignement à l'université de Paris I et Paris II et à l'INSA de Lyon, élargira le champ de notre analyse en traitant du droit communautaire, en tirant un bilan de la transposition de la directive SEVESO II et en nous informant sur la préparation de la directive SEVESO III.

Enfin, Me Charles-Louis Vier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, nous informera sur les questions de contentieux et de procédures, notamment en évoquant les pouvoirs d'expropriation, les pouvoirs du juge, le contentieux des procédures d'autorisation ou de suspension, ainsi que sur les mesures d'urgence et les procédures en cas de difficultés.

Le deuxième débat portera donc sur le droit à l'information, la responsabilité du contrôleur, les limites de SEVESO II, la préparation de SEVESO III, le contentieux et la procédure.

En remerciant nos invités pour leur participation à notre travail d'enquête et de proposition malgré la brièveté des délais puisque la commission d'enquête est installée depuis 15 jours seulement.

Me Christian HUGLO : Monsieur le Président, nous sommes tous des avocats qui avons une position particulière. Nous n'avons aucune restriction vis-à-vis de la commission. Nous sommes dans des positions différentes sur le dossier de Toulouse et je pensais qu'il était peut-être utile que ceux qui sont engagés dans le dossier de Toulouse de façon directe ou indirecte l'annoncent très clairement à la commission dès maintenant pour que l'on puisse se positionner les uns par rapport aux autres.

M. le Président : Vous faites bien de le rappeler. La commission d'enquête ne porte pas sur le cas de Toulouse puisqu'il y a enquête judiciaire. Nous n'avons pas le droit - c'est dans la Constitution - de faire une commission d'enquête sur un sujet soumis à la justice. Nous allons éviter ces contradictions de nous-mêmes. Néanmoins, il sera sans doute impossible de ne pas y faire allusion. Si vous constatez un problème, signalez-le à ce moment-là.

M. Jean-Pierre BOIVIN : Monsieur le président, dans la foulée de ce que vient de dire Me Huglo, je suis le conseil de TotalFinaElf dans l'affaire de Toulouse. J'ai mon éminent contradicteur en face de moi. Mais je ne pense pas que ce soit l'objet de notre réunion d'aujourd'hui.

En réfléchissant à ce qui permettrait de présenter un cadre à ce débat et à notre réflexion de ce matin, je voudrais vous suggérer une méthode de pensée pour raccrocher des objectifs. On voit bien aujourd'hui qu'il y a des troubles dans les esprits. On a des invectives, un certain nombre d'outils qui sont ici ou là évoqués. Certaines propositions sont raisonnables, d'autres sont plus démagogiques.

Je me suis demandé quel serait le point d'ancrage que la représentation nationale pourrait chercher pour fédérer un peu les instruments juridiques qui vont être évoqués ce matin. J'ai trouvé une approche historique au problème qui vous est posé aujourd'hui, et qui a déjà été évoqué lorsque l'on préparait le décret impérial de 1810. On ne sait pas assez que la France est le pays qui, de tous temps, a la plus ancienne et la plus performante législation sur les installations classées.

Je voudrais vous lire quelques lignes de ce que l'Institut de France, en la personne de Cuvier, disait et qui peut servir de chapeau à chacune des interventions : "Tant que le sort de ces fabriques ne sera pas assuré, tant qu'une législation purement arbitraire aura le droit d'interrompre, de suspendre, de gêner le cours d'une fabrication, en un mot tant qu'un simple magistrat de police tiendra dans ses mains la fortune ou la ruine d'un manufacturier, comment concevoir que ce dernier puisse porter l'imprudence jusqu'à se livrer à des entreprises de cette nature ? Comment a-t-on pu espérer que l'industrie manufacturière s'établisse sur des bases aussi fragiles ? Cet état d'incertitude, cette lutte continuelle entre le fabricant et ses voisins, cette indécision éternelle sur le sort de son établissement, paralysent, rétrécissent les efforts du manufacturier et éteignent peu à peu son courage et ses facultés. Il est donc de première nécessité pour la prospérité des arts et la paix civile que l'on pose enfin des limites qui ne laissent plus rien à l'arbitraire du magistrat, qui tracent au manufacturier le cercle dans lequel il peut exercer son industrie librement et sûrement et qui garantissent au propriétaire voisin qu'il n'y a ni danger pour sa santé ni pour le produit de son sol."

Je suis frappé par l'extraordinaire actualité de ce propos.

S'il fallait se rattacher à une philosophie pour avoir une démarche intellectuelle, je pense que celle-ci ne déparerait pas dans cette maison. C'est vraiment ce que pensait l'Institut de France et c'est vraiment la problématique de fond qui nous est posée.

Je voudrais vous indiquer quelques pistes de réflexion à propos de cet étrange ménage à trois que forment les élus, les exploitants et l'Etat. La problématique qui vous est posée à travers l'urbanisme, la sécurité et les divers outils que l'on va évoquer, est de savoir comment gérer ce ménage à trois où les compétences, les moyens, les instruments et les financements sont mélangés, alors qu'un meilleur dialogue serait souhaitable.

Je pense - comme chacun d'entre nous qui avons consacré vingt ans de notre activité professionnelle à ces problèmes - que l'urgence, dans la foulée de ce que disait Cuvier, est de rétablir des cercles de sécurité juridique, car on voit bien aujourd'hui les limites d'un certain nombre de règles purement techniques. On ne peut pas espérer améliorer la situation s'il n'y a pas de la part du législateur et des pouvoirs publics en général le rétablissement d'une certaine forme de lisibilité, d'une certaine forme de clarté qui passe aussi par une clarification de l'Etat de droit.

Je voudrais évoquer trois pistes : les outils, les compétences et les moyens financiers.

Les outils : comme toujours quand il y a un problème ou une crise, on est tenté d'en créer de nouveaux. Mais le problème me semble être moins une insuffisance des outils existants, au moins pour un certain nombre d'installations, qu'un problème d'application.

En ce qui concerne les installations nouvelles, je crois que l'arsenal juridique dont nous disposons aujourd'hui est ou bien suffisant ou bien relativement satisfaisant. De quoi s'agit-il ? Les outils à la disposition de l'Etat sont constitués par l'ensemble des instruments techniques dont vous avez parlé hier, et en particulier le perfectionnement des études de danger dont la communauté s'est emparée, qui débouchent vers un certain nombre de moyens :

- servitude d'utilité publique, les fameux articles 7-1 à 7-4 de l'ancienne loi, 515-8 et suivants du code de l'environnement ;

- le projet d'intérêt général, les PIG, qui ont fait florès. C'était initialement un instrument d'urbanisme qui apparaît aujourd'hui comme un instrument auquel l'Etat a de plus en plus recours. Il y en a une centaine si mes renseignements sont à jour. Cela montre que l'Etat a pris conscience de la nécessité d'intervenir. En soi, c'est déjà la démonstration d'un mouvement dans lequel on sent que peut-être pour un certain nombre de protections, plus d'Etat est nécessaire.

- Et puis, le ministère annonce les réflexions sur les futurs PPRT (plans de prévention des risques technologiques), qui sont la transposition des plans de prévention des risques naturels. S'il s'agit d'une deuxième génération de servitudes d'utilité publique, on peut se demander comment vont s'articuler les servitudes des articles 7-1 à 7-4 avec ces PPRT. Il faut faire attention au double emploi.

Il me semble qu'il vaudrait mieux, pour les établissements nouveaux, utiliser les instruments qui fonctionnent bien plutôt que les doubler d'un frère jumeau plus ou moins clair et peut-être plus ou moins légitime.

Pour les installations nouvelles, je crois qu'il n'y a pas fondamentalement de problème. Ou bien on a des instruments suffisants, ou bien on va compléter l'arsenal.

Les outils à la disposition des collectivités locales comprennent tout d'abord, le plan local d'urbanisme qui est localement la charte dans laquelle s'inscrit la politique publique de la collectivité puis l'article R 111-2 du code de l'urbanisme, outil ancien et efficace à condition que l'on veuille bien l'utiliser. On se heurte au problème de la compétence pour l'utilisation de cet outil.

La difficulté n'est pas tant pour les établissements nouveaux que pour les établissements existants. Ce qui pose problème aujourd'hui - on ne crée pas une usine chimique ou pétrochimique tous les jours -, ce sont les établissements existants autour desquels à tort ou à raison, s'est peu à peu reconstitué un tissu urbanistique qui aujourd'hui fait problème. C'est là que résident les difficultés et que les interrogations majeures se posent.

Où en sommes-nous sur ce terrain ?

Il y a trois idées à creuser dont une est connue et les deux autres à explorer : la fermeture de l'établissement, le recours à l'expropriation, et la réflexion sur des outils d'intervention.

La fermeture est un vieux système. C'est l'ancien article 15 de la loi, aujourd'hui L 514-7 du code de l'environnement. C'est le constat que lorsqu'un établissement légalement autorisé devient incompatible pour des raisons de sécurité, avec son environnement, on peut, sans faute, le fermer. Cette solution est extrêmement lourde. Elle a un coût économique et social considérable, et elle entraîne une perte de substance aussi bien pour la collectivité locale que pour l'Etat. Si aujourd'hui une grande industrie chimique, pétrochimique ou autre ferme, il y a peu de chances qu'elle se reconstitue spontanément sur le même département, la même région, voire le même pays. Je n'insiste pas sur ce point, mais c'est assez clair. C'est une perte sèche globale pour la collectivité dans son ensemble.

Par ailleurs se pose la question de l'indemnisation qui n'est pas clairement réglée dans nos textes. On attend que la Haute Assemblée, saisie sur ce point de plusieurs dossiers veuille bien se prononcer sur le fait de savoir s'il y a ou non une indemnité puisque l'on se trouve dans une fermeture sans faute pour un établissement légalement autorisé. On est donc dans une situation de quasi-expropriation, au moins vu sous l'angle des actionnaires qui sont parfois aussi les voisins, à travers les politiques publiques d'épargne.

Le deuxième outil est l'expropriation. Jusqu'à présent, on n'a pas voulu accepter d'aller sur ce terrain pour les installations industrielles. La question s'est posée pour des tas d'autres installations, mais pas pour les installations industrielles. Qui exproprierait ? Est-ce l'exploitant, autrement dit, va-t-on reconnaître la qualité d'expropriant à une personne privée, l'exploitant ? Le droit français connaît quelques entorses à la qualité d'expropriant personne publique. Les caisses de Sécurité sociale se sont vues reconnaître cette faculté. Je ne suis pas sûr que ce soit un cadeau à faire à l'industrie que de lui accorder cette faculté. Je préférerais que la puissance publique serve de relais à l'opération d'expropriation dans l'intérêt de l'industrie et au nom de la sécurité. Il suffit pour cela de compléter l'article L 21-1 du code de l'expropriation. Cette opération existe déjà pour les installations de stockage des déchets, pour les installations d'épuration, etc. Il n'y a donc aucune démarche particulièrement courageuse à effectuer, pour étendre l'expropriation à ce type de système.

Mais, y a-t-il une utilité publique et quelle utilité publique ? Si on se laisse enfermer dans un débat dans lequel l'utilité publique se résume à celle de l'intérêt de l'exploitant, on a un blocage intellectuel immédiat. Cette vision des choses serait très réductrice.

En fait, on parle de sécurité publique, de politique publique, d'installations qui se sont installées légalement il y a vingt, trente ou cent ans à un moment où personne ne songeait à la maîtrise de l'urbanisation autour des sites puisqu'il n'y en avait pas dans la plupart des cas.

La politique publique est une politique de sécurité, pour l'Union européenne comme pour la France. Par conséquent, l'intérêt général me paraît suffisamment étayé dans cette politique publique pour qu'il n'y ait pas de débat philosophique a priori sur la notion d'utilité publique dans l'expropriation pour des besoins de sécurité.

Si l'on regarde les réflexions du ministère, on voit que cette notion d'expropriation est sous-jacente. Elle courait en trame dans les précédents rapports : le rapport Lerouge en 1983, le rapport Gardent du Conseil d'Etat en 1987. Même si la formule n'était pas très clairement exprimée, cette idée apparaît comme un outil probablement nécessaire. Mais cet outil est très explosif et il faut en contrôler l'utilisation si l'on ne veut pas aller tout droit à l'aventure.

Il faudrait que soient posées des limites strictes à l'expropriation. Elle ne devrait intervenir que lorsque son coût est acceptable car si on met à la charge de l'exploitant une indemnité d'expropriation qui le tue, il n'y a plus de problème. Il faut que l'expropriation soit utilisée de manière extrêmement sélective pour régler des problèmes de blocage.

Je peux difficilement faire état de dossiers mais je suis témoin de cas dans lesquels des installations, notamment pyrotechniques, sont parfaitement bien installées au sein de massifs forestiers, idéalement situées, mais il se trouve qu'un chemin forestier passe dans l'une des zones et que l'exploitant propose, à ses frais, de le détourner de façon à ce que les gens qui y circulent ne courent pas de risque. Mais le propriétaire foncier fait monter les prix. Là, le recours à l'expropriation est utile, parce que si l'on ferme cette installation, on n'aura pas nécessairement un lieu équivalent pour la réimplanter et parce que le coût de ladite expropriation n'est rien par rapport à l'ensemble de l'installation. Donc, il y a des cas dans lesquels l'expropriation me paraît extrêmement utile, mais il faut que le législateur prenne le soin de bien encadrer les choses.

Deuxième type d'outil : les mécanismes de préemption. Pourquoi ne pas reconnaître à l'exploitant un droit de préemption, de la même manière qu'il existe dans de très nombreux autres secteurs, pour permettre ici ou là, au moment d'un achat, de préempter et de s'assurer de la maîtrise du foncier. Allant plus loin, on peut réfléchir - piste que je n'ai trouvée sous la plume d'aucun auteur sur ce chapitre - à l'établissement de servitudes qui pourraient à plus long terme permettre de restaurer le glacis de protection. On pourrait réfléchir opportunément à quelque chose d'identique à la servitude de reculement qui permet, à terme, de restaurer le glacis de protection.

Autrement dit, c'est moins un instrument qu'une palette d'instruments qui me paraîtrait opportune. De telle sorte que l'on ait le choix là où il y a un bâti massif, entre une expropriation massive et une fermeture. Mais partout où c'est possible, on devrait pouvoir réfléchir à la combinaison de divers instruments. Tantôt une expropriation ou des expropriations, tantôt un droit de préemption, tantôt l'institution d'une servitude qui peut permettre sur cinq, dix ou vingt ans de récupérer un glacis de protection efficace.

Le deuxième thème que je voulais aborder, est celui des compétences. On a aujourd'hui un système de compétences éclaté dans ce ménage à trois que j'évoquais tout à l'heure.

La question se pose naturellement de choisir une piste qui permette de remédier aux inconvénients évidents de la situation. Il y a deux pistes : soit recentrer les compétences, c'est-à-dire ramener vers l'Etat une partie importante ou la quasi-totalité des compétences pour délivrer les permis, pour les PPRT, pour les PPI. Cette démarche n'est pas en soi complètement iconoclaste, puisque le code de l'urbanisme contient de très nombreux cas dans lesquels l'Etat est compétent alors même qu'il y a un PLU pour délivrer les permis. C'est évidemment un geste politiquement signifiant au regard de la décentralisation. C'est pourquoi on peut penser à une autre voie plus consensuelle, celle d'un réaménagement de partage de compétences. Là, je voudrais vous suggérer une piste qui est celle déjà actuellement en place pour les ZPPAUP (zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager). Dans ces zones, les permis de construire sont délivrés par le maire, mais avec l'avis conforme du préfet.

Pourquoi ne pas concevoir que les permis à délivrer dans les zones de protection ne pourraient l'être que par le maire, après l'avis conforme de la DRIRE ?

Après tout, si on veut avoir, d'un côté, des compétences techniques avec un descriptif extrêmement sophistiqué des études de danger, qui sont difficilement lisibles pour le commun des mortels et une certaine sécurité des élus, pourquoi ne pas avoir le mélange de la compétence juridique et de la compétence technique ? Je pense que cette réorganisation du partage des compétences serait probablement bienvenue.

En tout cas, c'est une piste qui mérite d'être certainement étudiée.

J'aurais aimé vous parler aussi du partage des moyens financiers, car tout cela va coûter de l'argent et il faut savoir qui paie. Je ne pense pas que, là non plus, on puisse réduire le débat à la formule : "c'est l'exploitant qui va payer tout cela". En effet, comme le disait très clairement le malheureux Cuvier il y a déjà deux siècles, si on charge trop la barque, on va la faire couler et on n'aura plus d'urbanisme de protection parce qu'on n'aura plus de protection du tout à assurer. Le problème, c'est que l'on n'aura ni les emplois, ni les revenus.

M. le Président : Merci beaucoup, maître Boivin. Je donne la parole tout de suite à M. le Rapporteur pour qu'il pose une question.

M. le Rapporteur : Je reviendrai sur l'idée d'avoir un avis conforme, que vous venez d'exposer et qui existe dans le cadre des Bâtiments de France ou des sites classés. Nous avons un peu le même système en risques miniers, mais aujourd'hui, avec la responsabilisation de tous ceux qui ont à signer des actes administratifs, nous avons quand même la technique du parapluie. Je le vois sur des zones minières dont je suis le parlementaire. Autrement dit, on transfère une responsabilité sur l'administration alors que c'est au maire de prendre ses responsabilités.

Je pense que ces avis conformes sont en réalité de faux avis conformes. Quand on demande aujourd'hui à la DRIRE, dans une zone à risques d'effondrement minier, de hiérarchiser des zones, on les fait tout d'abord les plus larges possible parce que, si jamais il y a un accident un jour, il y aura une responsabilité. Le fait d'aller demander à quelqu'un d'autre un avis conforme, du fait de la technique du parapluie, consiste donc à être le plus large possible.

Il y a un antagonisme que l'on va voir dans cette enquête entre la sécurité des personnes qui est réclamée par toutes les associations et les riverains et qui est fort légitime et des servitudes fortes, ce qui rend parfois les décisions très difficiles. Dans une commune de ma circonscription, on n'a plus le droit de construire sur 95 % de la surface, ce qui signifie la mort d'une ville à terme, alors qu'il n'y a pas de risque d'affaissement soudain, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de danger théorique pour les personnes.

Ce sont donc vraiment des problèmes difficiles à trancher et je ne suis pas sûr qu'un excès de réglementation soit souhaitable comme vous l'avez d'ailleurs dit au début de votre intervention : il faut déjà appliquer les lois.

La directive SEVESO II n'a pas été appliquée car, sur les études de danger, on a un peu l'impression qu'il y a un retard à l'allumage, comme cela a été très bien indiqué par certain des experts que nous avons auditionnés hier. Donc dites nous ce qu'il faut vraiment dépoussiérer sur SEVESO II, ce qu'il faut maintenir de manière forte et s'il est vraiment indispensable de rajouter des points à la législation. Nous attendons de vous que vous puissiez répondre à ces questions.

M. le Président : Avant que vous répondiez, maître, je vais donner la parole à M. Dhaille et à M. Vaxès.

M. Paul DHAILLE : Je voudrais revenir sur ce qu'a dit Cuvier. C'est intéressant, effectivement, mais il l'a dit il y a deux siècles. Vous avez parlé d'un ménage à trois entre élus, exploitants et Etat, mais vous savez bien qu'il y a aussi maintenant, heureusement ou malheureusement, un quatrième partenaire. Ce sont les citoyens ne se reconnaissent pas obligatoirement à travers l'intervention de l'Etat ou celle des élus.

Il s'agit donc d'un ménage à quatre, et non à trois, avec les associations et les citoyens qui interviennent.

Quel est, à votre point de vue, le problème que pose, sur le plan législatif et sur la possibilité d'ester en justice, l'apparition d'un quatrième partenaire qui est souvent qualifié de "société civile" ? Je ne sais d'ailleurs pas ce que veut dire "société civile" : pour moi, c'est l'inverse de "militaire". Cela dit, j'ai bien compris ce que cela voulait dire sur le terrain. Donc comment peut-on faire intervenir ce quatrième partenaire qui ne reconnaît pas obligatoirement que ses intérêts sont défendus soit par l'Etat, soit par les élus ?

M. Michel VAXES : Je ferai tout d'abord une remarque de caractère général. En écoutant Me Boivin, je comprends que l'exploitant vous ait choisi comme conseil, parce que j'ai le sentiment d'entendre la plaidoirie de l'exploitant à travers ce que vous citez. Il s'agit bien, au moins, d'un ménage à quatre avec la dimension citoyenne incontournable, et il faut savoir qu'hier, les experts nous disaient que si l'on n'introduit pas le dialogue avec l'ensemble des parties prenantes, on se condamne à n'être pas efficace dans l'analyse des facteurs de risques et les réponses. J'ajoute qu'il y a un cinquième partenaire dans le ménage : les salariés, qui sont aussi citoyens mais qui ont comme statut particulier le fait de se retrouver à l'intérieur de l'entreprise. Cela me pose question, mais peut-être entendrons-nous, de la part de certains de vos confrères, le point de vue de l'autre partie.

Vous indiquiez trois pistes de réflexion concernant les extensions existantes. Or je n'en ai entendu que deux ; je n'ai pas entendu la dernière, ce qui me gêne un peu parce que je pense que c'est la plus importante : celle de la prévention du risque par l'exploitant.

Hier, les experts ont dit aussi que les outils scientifiques, les procédures, tout existe, pour que, si tout cela est effectivement mis en place, le risque soit circonscrit, si bien que, dans cette hypothèse, il est probable que ni la fermeture, ni l'expropriation ne soit la solution la mieux adaptée.

Quant aux choix réalisés en prenant des références dans l'histoire, vous m'excuserez de rapporter une anecdote qui est relative à la commune dont je suis maire : nous avions trois entreprises d'industrie chimique au début du siècle et il en reste deux. La première des choses qu'a faite l'exploitant, c'est de réaliser des cités ouvrières à proximité de ces entreprises. C'est lui qui en était le propriétaire et c'est lui qui en a pris la décision. C'est ainsi que l'usine de la Vieille Montagne avait sa cité de la Vieille Montagne, que l'usine Kuhlmann avait sa cité Kuhlmann, que l'usine de Saint-Gobain avait sa cité Saint-Gobain et que les chantiers de construction navale avaient aussi leur cité d'habitation.

Il y a donc bien là une responsabilité originelle. Je ne veux pas poser les problèmes en termes polémiques : c'est l'Histoire et cela correspondait à une période. Aujourd'hui, nous sommes face à des difficultés qui, paraît-il, devraient conduire à une plus grande rigueur dans la mise en _uvre d'outils existants pour la prévention du risque.

Mme Hélène MIGNON : J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt tout ce qui vient de nous être dit et il est vrai que, pour une Toulousaine, il y a certaines choses qui sont difficiles à entendre. Si vous veniez faire cette plaidoirie sur Toulouse, maître, je pense que vous en sortiriez en très mauvais état.

Je vais donc laisser de côté un certain nombre de problèmes, mais j'aimerais revenir sur ce que vient de dire mon voisin au sujet de la prévention. En effet, vous avez parlé aussi de menaces de délocalisation, mais cela veut-il dire que l'on se permet d'aller tuer du monde ailleurs ? C'est bien ce qui est inquiétant dans vos propos.

Plutôt que de menaces de délocalisation, je préférerais entendre parler de prévention des risques partout où cela se passe et que l'on ne se contente pas de brandir cette menace.

Je veux bien accepter l'expropriation des propriétaires a l'entour, mais je pense que la fermeture est à certains moments indispensable. En effet, on pourrait peut-être exproprier sur Toulouse et refaire un site industriel, mais je pense que l'on remplirait alors beaucoup les hôpitaux psychiatriques.

Me Jean-Pierre BOIVIN : En ce qui concerne le quatrième acteur, je tiens à dire qu'il n'a pas été oublié par Cuvier : il a la bonne place, puisqu'il est la pierre angulaire de son propos.

Deuxièmement, dans nos exposés, le point 2 est consacré à ce point et, par conséquent, ayant eu le privilège de l'ordre alphabétique, je n'ai pas souhaité empiéter sur ce sujet. Ce n'est pas que je ne l'ai pas vu ; c'est simplement un élément que mes confrères vont certainement traiter.

En ce qui concerne les pistes de réflexion, je crois avoir été clair en disant que beaucoup d'éléments existent et que ceux-ci doivent d'abord être utilisés. C'est vrai pour toutes les études techniques et pour toutes les mesures de prévention. C'est vrai aussi pour les instruments juridiques.

Je répète simplement que, dans certains cas, le fait de compléter la panoplie d'instruments juridiques, puisque nous sommes sur le terrain de l'expertise juridique, est utile, à condition que cela soit fait de manière extrêmement ciblée, parce que cela ne peut pas être la panacée aux problèmes posés aujourd'hui.

M. Paul DHAILLE : Je voudrais faire deux remarques. Vous avez dit, maître, que si on exproprie une activité, il y aura une perte pour la collectivité locale et, sur un autre chapitre, vous avez dit qu'il n'y avait pas de problème pour les nouvelles installations. Cependant, pour les nouvelles installations, il y a quand même la loi sur la taxe professionnelle unique qui peut conduire un certain nombre de communes à avoir les ressources sans en avoir les inconvénients.

En effet, dès le moment où il y aura une nouvelle installation dans une zone donnée, on dira : "il serait très bien qu'elle ne soit pas chez moi mais à côté de chez moi et que, par le biais de la taxe professionnelle unique, j'en aie la ressource et non pas les difficultés". J'attire donc votre attention sur les conséquences de la loi.

Par ailleurs, je voudrais que l'on revienne par la suite sur le problème du droit de préemption privé, auquel je suis totalement opposé, mais nous aurons sans doute l'occasion d'en discuter parmi nous.

Enfin, je voudrais verser à votre réflexion le fait qu'en Haute-Normandie, nous avons un établissement public de préemption foncière, l'Etablissement public de la basse Seine et que, dans ce domaine, il faudrait examiner certaines choses de manière attentive. Il ne s'agirait pas d'une préemption par la commune ou par l'exploitant mais de la création d'établissements publics sur des préemptions de sécurité.

M. le Président : Je pense que nous avons là la liste des pistes possibles pour l'urbanisme ainsi que la liste des soucis que cela peut poser.

Me Jean-Daniel CHETRIT : Je vous remercie, monsieur le Président. Je commencerai par apporter une première précision. Nous avons tous, autour de la table, des pratiques professionnelles qui sont liées aux questions que nous posent nos clients. Nous avons plus ou moins des dosages de clientèle et, en ce qui me concerne je m'identifierai rapidement : mon cabinet a une clientèle principale de collectivités territoriales qui ont des soucis de collectivités territoriales, même si nous connaissons aussi les problèmes que se posent les industriels. En connaissant les deux, cela permet parfois d'aboutir à des solutions parce qu'on connaît les soucis des uns et des autres. Donc l'exposé que je vais vous présenter s'inspire davantage de ce que je sais et du retour d'expérience que nous avons pu acquérir en travaillant avec les collectivités locales, notamment des communes et des communautés de communes confrontées à ces différentes questions.

Il faut également préciser un certain nombre de choses et tordre le cou, de mon point de vue, à une ou deux légendes, notamment celle de l'usine qui a grandi dans la campagne et qui, un beau matin s'est réveillée entourée par une urbanisation vorace. C'est peut-être vrai pour certaines installations qui étaient considérées comme dangereuses autrefois, il y a très longtemps, mais il faut savoir que l'on implantait une usine là où il y avait de la main-d'_uvre, des voies de communication et un environnement industriel. On ne l'implantait pas n'importe où et n'importe comment. Il y avait aussi les cités ouvrières et les villes. Bref, on implantait les usines à la périphérie des villes.

Par conséquent, le mythe de l'usine victime de l'urbanisation vorace est peut-être à reconsidérer.

De même, il faut peut-être reconsidérer ce qu'on a pu entendre parfois au sujet de permis de construire délivrés n'importe comment, à tort et à travers, par les maires, qui auraient fait n'importe quoi pendant vingt à trente ans.

Il faut quand même rappeler que, tout d'abord, la compétence de l'urbanisme n'a été décentralisée qu'en 1982, qu'un certain nombre d'habitations à proximité des activités industrielles sont anciennes, que les autorisations d'urbanisme, l'urbanisation et l'équipement en logements sont plus anciens et qu'il y a donc non seulement un passé mais un passif qui remontent à très longtemps. Ce n'est pas seulement le problème des dix, quinze ou vingt dernières années et c'est une chose qu'il faut conserver à l'esprit.

Sinon, on pourra parler des "malheureux élus", si on leur met tout sur le dos, les obligations de sécurité civile et les obligations d'urbanisme et qu'ils deviennent responsables de tout.

Il est vrai que certaines activités industrielles ont vu l'urbanisation croître et se rapprocher, mais il faut savoir qu'une usine évolue et que l'usine qui a été créée en 1950 si elle existe encore aujourd'hui n'est plus la même : ce ne sont plus les mêmes procédés ni les mêmes produits ni les mêmes techniques. Elle a forcément obtenu des autorisations nouvelles et des arrêtés codificatifs de la DRIRE qui lui ont été délivrés alors qu'il y a aussi une police des installations classées qui doit permettre de veiller à ce qui se fait autour de l'usine après son ouverture. En effet, si on a une nouvelle autorisation pour moderniser l'usine, c'est un nouvel acte complet et il faut reprendre le dossier à la base.

Il y a donc une multiplicité de questions à regarder et on ne peut se contenter de constater une situation. Il faut la décomposer, reconstituer l'historique et ne pas perdre de vue cet historique qui apparaît, en matière de sécurité civile, à travers différentes strates de distribution de compétences sur les questions de prévention des risques.

Vous savez que la police générale locale est entre les mains du maire et que, très longtemps, notre droit n'a pas établi de réglementation de sécurité civile ni de règle du jeu. Même s'il y avait des pratiques, des circulaires et des organisations, ce n'est en réalité que depuis la loi de 1987 que l'on a une règle du jeu avec des plans d'urgence, plans particuliers d'intervention (PPI) et plans de secours spécialisés, notamment, qui peuvent être élaborés sur une base légale qui définit les modalités d'intervention du préfet.

À quoi correspondent ces plans d'urgence ?

Élaborés par le préfet, ils correspondent à un recensement des moyens disponibles en cas d'accident et ils sont déclenchés par le préfet. A ce moment-là, le préfet devient compétent, mais tout ce qui est en amont, c'est-à-dire la création des moyens pour intervenir le jour où il y aura un accident, le recensement de ces moyens, la préparation, l'installation et l'entretien des sirènes, etc., n'est pas de la compétence du préfet.

Le préfet ne devient compétent juridiquement qu'au moment où il déclenche le PPI. Auparavant, c'est l'autorité de police générale - il n'y a pas eu de dérogation sur ce point - qui reste compétente. C'est donc le maire qui est censé être compétent pour, dans le cadre de la police générale, c'est-à-dire dans le cadre de la prévention, commencer à préparer les moyens matériels avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS), bien sûr, qui est aussi compétent pour l'organisation des moyens de secours, mais cela ne se limite pas aux interventions de secours par les sapeurs-pompiers ou les unités de sécurité civile. Cela comprendra aussi les équipements d'hébergement et la diffusion de l'information auprès des populations.

En effet, l'information a deux versants : celle que prépare le préfet et l'information que doit préparer le maire avec des réunions publiques et des documents. Cela pèse aussi sur le maire.

Tous ces objets d'intervention et de prévention en matière de sécurité civile ont été laissés à la compétence des pouvoirs de police générale du maire. On ne bascule dans la police spéciale du préfet que lorsque le plan est déclenché.

Or, on rencontre aujourd'hui des autorités préfectorales et des représentants de l'Etat qui n'ont pas du tout cette vision des choses. Ils disent : "ceci est de la police, de la prévention et de la sécurité civile et c'est donc de ma compétence", et on est obligé de leur répondre : "non, monsieur le Préfet, nous sommes désolés, c'est de la compétence du maire.", ce qui est d'ailleurs problématique pour lui quand il n'a pas les moyens correspondants.

Il faut savoir en effet qu'en laissant la compétence de police générale au maire et en donnant au préfet un simple rôle de coordination et d'incitation puis de commandement opérationnel, on a laissé à la charge des collectivités territoriales la préparation financière et matérielle des interventions avec un petit concours de l'exploitant en matière d'information des populations, mais rien de plus. C'est une chose qu'il faut conserver à l'esprit.

J'ajoute que, dans les derniers textes relatifs à la création des communautés de communes et des communautés d'agglomération, il n'y a pas eu de transfert de ces segments de compétences aux établissements publics de coopération, ce qui est problématique dans les deux sens, que l'on transfère ou non. En effet, le transfert reviendrait à tronçonner les pouvoirs de police générale. Les moyens matériels restant dans les villes, la communauté d'agglomération ou la communauté de communes ne pourrait pas les mettre en _uvre. Il faudrait les mettre à sa disposition et ce n'est pas facile.

Il faudrait réfléchir à la bonne échelle d'intervention, la communauté d'agglomération, la communauté de communes ou, plus simplement, la commune.

Il y a un deuxième point qu'il faut également prendre en considération, et je ferai, pour cela, une petite incursion dans le droit de l'urbanisme parce que c'est le même mouvement. En matière de sécurité civile, le législateur a organisé un mécanisme dans lequel le préfet coordonne un site et commande aux moyens opérationnels, mais ce n'est pas l'Etat qui paie. Donc on conserve finalement une charge de plus en plus lourde aux collectivités territoriales. D'ailleurs, la récente enquête qu'a faite dans toute la France le ministère de l'intérieur en vue de la réforme prochaine de la loi sur la sécurité civile, montre que la plupart des intervenants sont attachés au maintien du rôle des collectivités territoriales, notamment du maire, et que tout le monde dit qu'il faut que les maires continuent à être sensibilisés. En fait, je ne connais pas un maire qui n'est pas sensible à ces questions, parce qu'ils sont quand même attachés au sort de leur population. Les élus ne sont pas exclusivement concernés par la question de leur responsabilité, mais ils ont aussi le sens des responsabilités et donc de leurs responsabilités vis-à-vis de leur population. Peut-être faut-il le rappeler de temps en temps par rapport à un discours culpabilisant.

Par conséquent, on a un transfert de la mise en _uvre, puisque ces obligations nouvelles sont à constituer et que le préfet intervient pour les coordonner. Ces obligations n'existaient pas auparavant en tant que telles.

En effet, cette culture du risque, en France, est récente. Les études de danger n'existent pas depuis très longtemps, de même que les périmètres de sécurité. Mais, on a laissé la charge aux collectivités territoriales de préparer les moyens matériels de la mise en _uvre de ces activités.

Quand on dit qu'il faut garder une compétence des élus et du maire, cela entraîne dans notre droit administratif une responsabilité administrative, ou plus le cas échéant. Il faut donc aussi y réfléchir et ne pas trop charger la barque.

Si on fait le lien avec l'urbanisme, on constate une chose similaire. On avait vers le milieu des années 70 et le début des années 80 deux choix.

Le premier consistait à dire : "il faut créer des distances de sécurité et d'isolement ; nous avons une loi sur les installations classées, il faut l'utiliser". Dès 1974, il y avait des propositions et des projets de loi et de texte qui n'ont abouti qu'avec la loi de 1996 sur la sécurité civile. Ce choix consistait à ajouter des périmètres et des servitudes d'utilité publique dans la loi de 1976, y compris pour les installations existantes, comme pour les nouvelles installations.

Mais cela voulait dire que l'exploitant devait indemniser le propriétaire concerné de la charge que représentait pour lui la stérilisation de son patrimoine, sans compter, pour les collectivités territoriales, le coût très important du gel de terrains autour de certains sites existants qui représentaient parfois les seules possibilités de développement.

Le deuxième choix consistait à passer par l'urbanisme, c'est-à-dire par une indemnisation de servitude d'urbanisme. Dans ce cas ce n'était plus le représentant de l'Etat qui imposait des mesures, et engageait sa responsabilité. Mais, par le biais du « porter à connaissance » au moment de l'élaboration du POS, puis du plan local d'urbanisme (PLU), par le biais des plans d'intérêt général (PIG) qui impose une distance à transcrire dans les documents d'urbanisme, on transfère aux collectivités territoriales et aux maires la charge de faire respecter ce que l'Etat a décidé. Cela suppose encore une fois une initiative de la collectivité impulsée par le préfet, par le biais des documents d'urbanisme et par le biais de l'article R 111-2 du Code de l'urbanisme. On évite ainsi le problème de l'indemnisation des servitudes d'urbanisme qui ne sont plus, du coup, des servitudes d'utilité publique relatives à la loi sur les installations classées.

C'est un choix qui impose beaucoup de charges, en matière de prévention (on est bien dans le domaine de la prévention quand on parle de documents d'urbanisme et de permis de construire), aux collectivités territoriales sans qu'elles aient ni les véritables moyens de décision, ni les moyens financiers, si bien qu'elles sont finalement condamnées à exécuter sous leur responsabilité.

Je vous donnerai un exemple : l'article R 111-2 du Code de l'urbanisme qui doit permettre de refuser un permis de construire d'une maison ou de n'importe quel équipement à proximité d'un site industriel dangereux. Quand cet article a été créé, personne ne l'a lu de cette façon. Jusqu'en 1980 et jusqu'à ce que le Conseil d'Etat pose le principe de réciprocité dans sa jurisprudence Peyrusque, cet article a été interprété comme l'interdiction d'autoriser une activité dangereuse compte tenu de ce qui existe autour.

En 1980, le Conseil d'Etat a considéré que cela marchait dans les deux sens, mais cet arrêt, à l'époque, n'a pas été unanimement admis par la doctrine et même le Commissaire du gouvernement n'avait pas proposé cette solution au Conseil d'Etat.

On a donc eu toute une construction du droit d'urbanisme qui a abouti à transférer vers les collectivités territoriales la mise en _uvre des décisions de l'Etat, qui n'en assume ni la responsabilité juridique, ni le coût financier, ni les conséquences de développement, ni les relations avec la population. Il conviendrait de réfléchir sur ce point.

M. le Président : Merci, Maître Chetrit. Il serait souhaitable que vous nous indiquiez des pistes d'amélioration de la situation. Nous avons bien compris que le problème était ardu et complexe et que les textes étaient nombreux et contradictoires, mais ce qui nous intéresse, c'est que, dans chaque exposé, vous nous donniez les orientations auxquelles on peut songer, et les domaines auxquels il faut réfléchir davantage.

M. André VAUCHEZ : Je rejoins l'analyse rapide du président. Vous avez posé beaucoup de problèmes. Mais que faire avec un site industriel existant ?

Comment donner les moyens au maire de remplir ses fonctions ? Souvent, ce sont de petites communes qui ont la charge des risques en périphérie des villes.

Par ailleurs, quand le maire de la commune est en même temps un cadre de haut niveau de l'entreprise, je ne vois pas comment avoir le rendu très objectif de la situation.

Enfin, dans la mise en _uvre des secours, vous dites que le préfet est omnipotent et qu'il n'a pas la charge des moyens. Mais le maire, dont vous avez dépeint les difficultés, pourrait-il à lui seul prendre l'initiative de déclencher les secours ? Il y a des propositions à faire car on ne voit pas trop vers quel objectif on doit aller.

M. Paul DHAILLE : En matière d'installation industrielle, il y a de tout. Je suis élu de la zone de Port Jérôme en Seine-Maritime. En 1936, la raffinerie Esso s'est implantée à Notre-Dame-de-Gravenchon parce que le conseil municipal de Lillebonne était dominé par les industriels du textile qui n'en voulaient pas, craignant qu'elle pousse les salaires à la hausse dans les industries du textile. La raffinerie s'est donc installée en pleine campagne. Dans ce cas, c'est l'urbanisme qui s'est dirigé vers l'industrie. Il y a donc de tout dans ce domaine.

Certains problèmes appellent des réponses. Les pouvoirs de police du maire sont-ils compatibles avec l'intercommunalité de plus en plus fréquente dans l'organisation du territoire ? En effet, ces intercommunalités ne sont pas issues du suffrage universel direct. N'y a-t-il pas contradiction entre le fait de leur accorder des pouvoirs de police et le fait qu'elles ne soient pas élues au suffrage universel ?

De plus, les communes n'ont plus la ressource de la taxe professionnelle qui a été souvent transférée au niveau des intercommunalités alors qu'elles conservent les charges. Ce n'est pas un transfert vers l'Etat, mais de commune à intercommunalité.

N'y a-t-il pas aussi un problème d'articulation entre les compétences du maire et les moyens qui sont à sa disposition, par exemple par rapport aux services départementaux incendie et secours (SDIS) ?

S'agissant du droit d'expropriation du maire et de son droit de prendre un arrêté de péril. Il faudrait savoir si cet arrêté, en droit, couvre le maire de sa responsabilité. Si l'arrêté n'est pas suivi d'effet, faut-il que le maire intervienne ? A quel moment sa responsabilité est-elle engagée ? Inutile de dire que sur les risques majeurs, cela devient un problème beaucoup plus évident. Un maire ou un conseil municipal peut-il décider qu'il y a risque majeur pour la population ? Enfin, n'y a-t-il pas contradiction entre les secrets de fabrication et le droit à l'information des populations ?

Mme Nicole BRICQ : Ma question ne s'adresse pas particulièrement à Me Chetrit. Je ne me situe pas dans le cadre d'une consultation juridique ; c'est peut-être pour moi l'avantage de ne pas être maire. Je me situe dans la perspective de dégager un certain nombre de solutions.

Il me paraît plus important de se situer dans la prévention et dans la surveillance plutôt que dans la gestion de crise. Je suis spécialiste de l'environnement et je suis assez frappée de l'absence de coordination entre la législation qui traite de l'urbanisme et celle qui traite des installations classées.

On dispose pour les installations classée d'un cadre fourni par la loi de 1976. Elle a montré depuis 25 ans qu'elle était une bonne loi bien que pas toujours bien appliquée ; elle a fait l'objet de décrets, de réformes. De très longs débats ont eu lieu récemment à l'Assemblée sur une loi qui traitait du renouvellement urbain, loi qui a modifié profondément le code de l'urbanisme sans qu'à aucun moment, le législateur ne se soit posé le problème qui nous revient à la figure avec la terrible tragédie de Toulouse.

On voit qu'il y a un problème de coordination des deux législations. Comment améliorer cette coordination puisque nous allons être amenés à légiférer dans l'urgence avant la fin de cette session pour répondre à l'engagement du Premier ministre ?

Les inspecteurs des installations classées, profession que je connais bien, sont souvent démunis par rapport à cela. Il y a aussi le problème de la coordination des agents de la puissance publique sur le terrain. J'ai eu un cas précis à gérer : entre les DDE et les DRIRE, le préfet a bien du mal à se faire une opinion. Quelquefois, il tranche en fonction de l'affinité qu'il a avec tel ou tel de ces services. J'ai été obligée de faire appel à la toute jeune inspection générale de l'environnement pour trancher un problème de décharge.

Je veux également signaler car c'est un point de droit qui a échappé à beaucoup de collègue et peut-être aux juristes, que nous avons voté en première lecture une loi sur la démocratie de proximité dans laquelle nous transférons le pouvoir des autorisations des installations classées aux régions et non plus à l'Etat. Ce texte fourre-tout a été voté discrètement en première lecture il y a quelques semaines, et doit maintenant être au Sénat, mais nous ne le reverrons sans doute pas avant la fin de la session.

Une autre question concerne le travail fait au niveau européen. La commission européenne a édité un Livre blanc qui a l'énorme avantage d'essayer de fixer une réglementation en amont ; tout un dispositif qui permettrait de disposer d'éléments comparatifs. Beaucoup de groupes industriels ne sont pas uniquement implantés en France. Le facteur environnemental est l'un des critères qui jouent dans leur choix d'implantation.

Avez-vous des éléments concernant l'amorce d'une réglementation européenne sur la prévention qui permettrait, à partir d'une batterie d'éléments de comparaison d'un site à un autre, d'établir une espèce de cartographie des plans de prévention des risques industriels ?

M. le Rapporteur : On a l'impression, en entendant les deux premiers intervenants, que chacun est plutôt le défenseur de ses clients, non pas en tant que tels, mais par rapport à sa spécificité. L'important pour nous est de savoir, tout en défendant votre point de vue, ce que vous souhaiteriez pour améliorer les choses. Car, au bout du compte, nous devrons faire des propositions.

Il est évident qu'il est compliqué de coordonner. Personne ne remet en cause, parmi nos collègues, le fait que c'est à l'Etat de coordonner les moyens de secours et de la sécurité civile. Les lois de décentralisation donnent des pouvoirs différents aux maires, à l'Etat, aux départements et le préfet est chargé de coordonner le tout.

Cette coordination fonctionne-t-elle ? Par exemple, pensez-vous que les exercices de simulation sont suffisants ? Y en a-t-il eu ? Après l'accident de Toulouse, y a-t-il eu des simulations sur des types d'accidents identiques ? On en fait dans le domaine du nucléaire. N'a-t-on pas sous-évalué les dangers dans la chimie ?

La question majeure que nous nous posons est celle de l'information. Je suis en total désaccord avec ce triptyque élu, exploitant et Etat. Aujourd'hui, la combinaison, c'est le politique, l'expert et le citoyen. Nous sommes les représentants du peuple et de nos compatriotes qui souhaitent être informés. Nous avons entendu hier une chose incroyable, à savoir qu'il n'y avait pas de retour d'expérience en raison d'une internalisation des incidents ou quasi-accidents. C'est-à-dire que du fait que cela fait partie de l'entreprise, on n'en parle pas. Si on n'en parle pas, on ne peut pas améliorer les choses et c'est très grave. Il est évident que l'information doit exister.

En dehors des plans de sécurité, il y a les plans d'opérations internes de l'entreprise (POI). Dans notre réglementation, l'entreprise doit élaborer des plans d'opérations internes dont il faut vérifier s'ils sont compatibles avec les PPI (plans particuliers d'intervention). Ce sont des notions juridiques complexes qui s'imposent à nous.

Pensez-vous que la législation actuelle, avec ses applications de type « sinusoïdale » doit être changée ?

Me Jean-Daniel CHETRIT : Le représentant de l'Etat ne doit pas être déchargé de son rôle de coordination, de mise en _uvre des moyens de secours ou quoi que ce soit à cet égard. Il serait souhaitable, qu'à côté du rôle éminent de coordination du représentant de l'Etat qu'il n'est pas question de remettre en cause, il y ait une reprise de certaines responsabilités par l'Etat au lieu de la dispersion actuelle entre l'urbanisme, la sécurité civile etc.

L'une des pistes de réflexion serait peut-être justement que l'Etat ne se contente pas d'un rôle de coordination, de recensement et de commandement opérationnel, mais prenne peut-être un certain nombre d'autres fonctions. Par exemple, en matière d'urbanisation autour des sites industriels, l'Etat pourrait ne pas se contenter de faire pression sur les collectivités locales, mais y élaborer des documents en liaison avec la loi « installations classées ».

M. le Rapporteur : Connaissez-vous des exemples où, après les avis négatifs de la DRIRE, le maire passe outre et des documents d'urbanisation ont été accordés ?

Me Jean-Daniel CHETRIT : Oui, il y en a. Cela dit, le problème n'est pas tant celui là. La difficulté est que la DRIRE a parfois tendance à vouloir se couvrir et cherche à fixer des distances d'isolement, qui ne sont pas nécessairement liées à l'activité ou à ce que pourrait donner une autre étude ou d'autres éléments.

Il y a une coordination entre installations classées et urbanisme. La loi de 1996 sur la sécurité civile a introduit dans tous les documents d'urbanisme l'obligation de prendre en compte les risques technologiques. Cette coordination "installations classées" / urbanisme existe bel et bien, tant dans l'élaboration des documents que dans la délivrance des autorisations.

Par ailleurs, le maire ne peut pas assumer seul tout cela. Il ne revendique d'ailleurs pas le commandement opérationnel. En matière d'installations classées, le maire n'a quasiment aucun pouvoir d'intervention, sauf péril imminent. En revanche, il doit préparer les interventions.

M. Paul DHAILLE : La question était de savoir si à un moment ou à un autre la responsabilité du maire peut être recherchée. Il est clair par exemple que toute installation, extension ou modification d'entreprise nécessite un avis du conseil municipal.

Or, on est maintenant de plus en plus dans des procédures judiciaires où l'on recherche la responsabilité des uns et des autres. A un moment ou à un autre - nos collègues élus y sont très sensibles - ne dira-t-on pas que le conseil municipal a donné un avis favorable ? Et puis l'accident survient 15 jours après.

Me Jean-Daniel CHETRIT : Bien sûr et en même temps, la réalité a plusieurs facettes.

Il y a un an, le conseil d'Etat a tranché la question d'un permis de construire délivré pour le compte d'une grande enseigne commerciale comprenant une station-service. Il s'est livré à l'examen de la coordination de la police de l'installation classée et de la police de l'urbanisme par le maire. Pour ma part, je ne saurais pas quoi dire à mon client, collectivité territoriale, le jour où il m'interrogera sur la question.

Que nous dit le commissaire du Gouvernement ? « Chacun son métier » - Jusque là, on est d'accord - « Au préfet appartient la définition des mesures sécuritaires de prévention des risques d'incendie, de pollutions de toutes sortes liées à l'ouverture de la station service, le maire ne conservant pour sa part qu'une appréciation globale du caractère excessivement dangereux de la construction elle-même et de son implantation. ».

J'aimerais savoir ce qu'est cette coordination des deux polices et quel est le pouvoir d'appréciation du maire compte tenu de ses moyens humains et techniques. A ce jour, je suis incapable de renseigner mes clients sur leurs obligations à cet égard.

Le transfert de compétences qui peut se faire en matière d'intercommunalité ne porte pas du tout sur le pouvoir de police générale. Il y a des autorités administrative indépendantes qui ont un pouvoir de police. Toutes les autorités administratives indépendantes en matière d'audiovisuel ou de commission d'opérations en bourse ne sont pas des autorités élues. Le droit français connaît pour autant l'attribution de pouvoirs de police administrative à des autorités administratives. Ce n'est pas un obstacle.

L'intercommunalité est peut-être le meilleur échelon de réflexion et de coordination des moyens.

Me Laurent DERUY : Les problèmes posés par l'articulation des règles d'urbanisme et des règles relatives aux installations, si elles ont déjà été traitées, n'ont pas été exposées dans le détail. Je rappellerai les principales dispositions pour montrer pourquoi elle ne fonctionnent pas totalement.

Mon confrère Boivin vous a cité un texte remontant au 26 Frimaire An 12. Je citerai un texte de 1990, extrait d'un rapport du ministre de l'environnement sur la maîtrise de l'urbanisation autour des sites industriels à hauts risques : "Il existe désormais en France un support juridique à la fois complet et puissant qui doit permettre, à l'issue des phases de concertation, de trouver des solutions adaptées à chaque cas concret".

Si l'on s'en tient à cette affirmation, on pourrait croire que le débat est clos. Or, ce qui vient de se passer à Toulouse, prouve que le débat sur l'urbanisation autour des sites industriels reste ouvert et qu'il faut se poser la question de savoir si nos instruments juridiques sont adaptés et fonctionnent correctement pour prévenir, mais aussi pour guérir.

Pour simplifier les situations auxquelles le droit est confronté, il y a trois archétypes de situation :

- des industries sans urbanisation avoisinante. La prévention est facile à concevoir même si elle est difficile à mettre en _uvre ;

- des tissus urbains existants sans que l'industrie y soit déjà établie. Dans ce cas, les pouvoirs de police des installations classées permettent, avant même l'autorisation, le cas échéant, de prévoir des systèmes de protection et de prévention ;

- enfin, le cas topique, qui nous occupe aujourd'hui, des usines déjà installées au centre d'un tissu urbain dense. Sites qui ne sont pas toujours constitués d'une seule usine mais de complexes d'usines imbriquées et qui ont, quelquefois, une activité complémentaire les unes par rapport aux autres.

Nous disposons d'un arsenal de textes, comme l'indiquait le rapport de 1990, assez complet, pour ne pas dire exhaustif tendant à la prévention et à la protection, mais dont on constate une mise en _uvre déficiente. L'efficacité de ces textes est donc toute relative du point de vue du praticien que je suis.

Un mot tout d'abord sur l'indépendance des législations. Au frontispice du droit français figure l'indépendance de la législation relative aux "installations classées" par rapport à la législation sur l'urbanisme.

Cela signifie des procédures distinctes, des autorisations distinctes ; l'une ne vaut pas pour l'autre. Cela signifie aussi, même si c'est un point de vue juridique, que l'on ne peut pas invoquer l'illégalité d'un permis de construire contre une décision relevant de la législation sur les "installations classées".

Le corollaire de cette indépendance est la séparation des polices : le maire est doté des pouvoirs de délivrer, en général, les permis de construire et dispose ainsi de la police du sol. Il est aussi en charge de la police générale de l'ordre public. L'Etat, pour sa part, est responsable de la police spéciale des installations classées et exerce donc la « police du risque industriel ».

Le principe est la séparation de tout cela mais on constate toute une série de ponts entre la règle d'urbanisme et la règle relative à l'installation classée.

Je les évoquerai rapidement en deux temps. Qu'y a-t-il dans le droit des installations classées qui oblige à prendre en compte les contraintes d'urbanisme ?  Et que trouve-t-on dans les règles d'urbanisme qui obligent à prendre en considération le risque industriel ?

Dans le droit des installations classées, l'exploitant est tenu à un certain nombre d'obligations essentielles, puisqu'elles concernent la connaissance du risque.

Cela se traduit par l'étude d'impact et l'étude de danger qui sont des éléments substantiels de la procédure d'autorisation, mais ces études doivent tenir compte l'urbanisation existante, faute de quoi le juge administratif pourrait considérer que les procédures sont viciées. C'est ainsi que, lorsque, dans l'étude de danger, les scenarii d'accident sont envisagés, il va de soi qu'ils doivent s'appuyer sur les caractéristiques du tissu urbain.

En cours d'exploitation, l'exploitant est assujetti à une série d'obligations, parfaitement justifiées et légitimes et récemment complétées. Depuis un décret du 20 mars 2000, l'exploitant est tenu de fournir au préfet un bilan de fonctionnement. Si ce bilan est correctement établi, l'autorité préfectorale doit pouvoir indiquer s'il y a des risques de dysfonctionnement.

En ce qui concerne les autorisations délivrées par le Préfet en matière d'installations classées, celles-ci doivent être conformes au droit de l'urbanisme comme cela a été affirmé à plusieurs reprises par la jurisprudence administrative. Mais le Préfet dispose surtout d'instruments très spécifiques pour faire valoir, dans le droit des installations classées, les préoccupations urbanistiques.

La première de ces préoccupations, c'est la possibilité, évoquée dans la loi même et dans le Code de l'environnement, de subordonner toutes les autorisations d'installations classées à des distances d'éloignement, quand cela est possible, bien sûr. C'est un pouvoir important.

La deuxième concerne l'institution des servitudes d'utilité publique qui ont été mises en place à la suite des réflexions du rapport Gardent et de la loi du 22 juillet 1987. J'observe simplement, à propos de ces servitudes d'utilité publique de l'article 515-8 du Code de l'environnement, qu'elles ne concernent que les sites nouveaux (le texte, sur ce point, n'est pas d'une très grande clarté), et qu'elles peuvent donner lieu à des objections de la part de l'exploitant ou du maire de la commune intéressée, ce qui peut conduire à une procédure extrêmement lourde : il faut en effet un décret en Conseil d'Etat pour trancher la divergence de vue sur ces servitudes entre l'autorité communale, l'exploitant et l'autorité préfectorale ; l'institution des servitudes peut être, en outre, à l'origine de litiges. Ces litiges, peu fréquents à ma connaissance, surviennent lorsque des tiers lésés estiment, par exemple que l'indemnisation qui leur est proposée par l'exploitant est insuffisante.

Sur ce point, je ferai une petite allusion à l'indemnisation, que l'on évoquera plus tard. Initialement, dans les propositions du rapport Gardent, en 1987, il était prévu que l'exploitant puisse indemniser partiellement les servitudes d'utilité publique avec éventuellement un complément de l'Etat. Dans le texte final, comme vous le savez, c'est le seul exploitant qui indemnise du fait de ces servitudes.

Du côté du droit de l'urbanisme, on retrouve aussi des instruments précis qui peuvent être extrêmement efficaces et qui permettent de prendre en compte le risque industriel comme en écho au droit des installations classées.

Il est évident que les documents d'urbanisme, à quelque niveau qu'ils se situent (les schémas de cohérence territoriale, les PLU ou les cartes communales), doivent tenir compte du risque industriel. Je ne vous cite pas tous ces textes ; on peut trouver la référence à ces risques technologiques ou industriels dans les multiples objectifs, des règles d'urbanisme,.

La loi SRU a introduit à cet égard une procédure intéressante puisqu'il s'agit d'une procédure de révision d'urgence d'un Plan local d'urbanisme lorsqu'un projet d'intérêt général doit s'imposer.

Cela dit, l'obligation de modifier ces Plans locaux d'urbanisme ou de les réviser n'est expressément prévue en matière de risques industriels, que dans le cas où le préfet institue un projet d'intérêt général. En dehors de ce cas, si, par extraordinaire, l'autorité chargée de l'urbanisme a connaissance d'un risque majeur qui nécessiterait la mise en compatibilité, une modification ou une révision du plan local d'urbanisme, aujourd'hui, il n'y a pas d'obligation, dans la loi, de modifier le document d'urbanisme.

On trouve aussi des instruments spécifiques, dans le droit de l'urbanisme, qui prennent en compte le risque technologique :

- les servitudes d'urbanisme de l'article L 421-8 qui, comme toutes servitudes d'urbanisme, par principe, ne sont pas indemnisées ;

- le pouvoir de refuser la délivrance du permis de construire selon l'article R 111-2 ;

- l'obligation pour l'autorité préfectorale de porter à connaissance toutes les informations « nécessaires à l'exercice, par les autorités chargées de l'urbanisme, de leurs compétences » sur les projets d'intérêt général, et nous verrons dans l'examen critique que ce "porter à connaissance" pose aujourd'hui problème ;

- le pouvoir du préfet d'instituer un projet d'intérêt général qui peut comprendre des périmètres de protection.

Je ferai quelques observations sur ces instruments tirées de la pratique et des textes. Les servitudes d'urbanisme ne concernent que les zones non couvertes par un POS ou un Plan local d'urbanisme et leur portée est donc, à ce jour, relativement limitée dans les textes. Elles sont de plus exclusives de l'application des servitudes d'utilité publique fondées sur le Code de l'environnement.

Le pouvoir de refus du permis de construire par l'autorité, notamment municipale, n'est peut-être pas assez utilisé, mais c'est un dispositif très intéressant et la jurisprudence a souvent validé la légalité de refus quand il y avait un vrai risque pour les maisons avoisinantes ou invalidé l'octroi des permis de construire quand ce risque était aussi patent.

Il me semble un peu facile de conclure, du fait que les autorités municipales n'usent pas de ce pouvoir de refus, qu'elles devraient le faire nécessairement. Il ne faudrait pas que, par excès de précaution, certaines autorités municipales soient tentées de refuser systématiquement les permis, ne serait-ce que pour éviter la mise en cause de leur responsabilité. Nous avons là un vrai problème économique et social et aussi un problème de responsabilité juridique.

Enfin, s'agissant des PIG, ils sont assez peu usités  ; leur procédure est assez lourde et même si elle a été simplifiée à la suite du rapport Gardent, elle est encore relativement peu praticable aujourd'hui.

Quel constat pouvons-nous tirer aujourd'hui de la pratique de ces textes ?

Nous constatons tout d'abord une grande dispersion des textes : j'ai relevé 27 circulaires qui, de près ou de loin, touchent notre question : des circulaires sur le problème général de la maîtrise de l'urbanisation, ou sur des activités particulières, des stockages ou des produits particuliers. En soi, il n'est pas grave qu'il y ait autant de textes, même si leur combinaison est parfois délicate pour le juriste ou pour les collectivités locales, mais on devient plus sceptique lorsqu'on s'aperçoit que ces circulaires traduisent souvent l'inconfort de l'autorité réglementaire. Par exemple, en 1992, le Conseil d'Etat a annulé partiellement une circulaire du ministre de l'environnement qui imposait aux industriels de veiller à la préservation et à la conservation des distances d'isolement, « y compris par l'acquisition des terrains autour des usines ». Bien évidemment, le Conseil d'Etat a estimé que ce type d'obligation ne pouvait figurer dans aucune circulaire et qu'il était même assez douteux dans son principe. On faisait en quelque sorte reporter sur l'exploitant des compétences qui, normalement, relèvent de l'autorité chargée de l'urbanisme.

Ensuite, il faut relever la variabilité de la qualité des études qui permettent d'appréhender le risque. Comme les experts techniques vous l'ont dit hier, on commence maintenant à avoir des études de danger et des études d'impact très sérieuses. Le juge veille à ce qu'elles soient complètes, mais il y a encore, sur ce point, de grandes variations d'une région à une autre, d'un type d'industrie à un autre, d'un service d'inspection des installations classées à un autre.

Autre remarque : le « porter à connaissance », c'est-à-dire l'obligation, pour le préfet, aujourd'hui, de porter à la connaissance des autorités d'urbanisme les informations, les rapports et les études sur le risque industriel, est encore très imparfait. Or, pour que l'on puisse prévenir ou traduire le risque industriel dans les documents d'urbanisme, trois conditions sont essentielles :. les autorités chargées de l'urbanisme doivent être au courant des risques ; elles doivent être à même d'exploiter cette information  ; elles pourraient même être tenues de les répercuter dans les documents d'urbanisme.

Sur ces trois points, malheureusement, la situation est très perfectible. En 2000, dans une circulaire, le ministre relevait qu'à la fin de 1998, sur 595 établissements classés AS (Seveso I), il y avait eu 500 « porter à connaissance », 300 POS modifiés, 88 PIG et seulement 12 servitudes d'utilité publique.

Voici le cas d'une entreprise qui existe depuis deux siècles, qui n'est pas une entreprise « SEVESO » et qui a l'obligation de réaliser des travaux de protection très importants, alors que trois révisions et une modification du POS sont intervenues sans « porter à connaissance », alors que quatre permis de construire ont été accordés, dont un par l'Etat, concernant un lotissement de 46 logements collectifs et alors que la seule remarque du service départemental d'incendie et de secours faite à l'occasion de ces procédures, portait sur la mise en place d'extincteurs dans les locaux.

M. le Rapporteur : Dans quel département ?

Me Laurent DERUY : Vous me permettrez, sur ce point, de m'en tenir à mon devoir de confidentialité. De plus, l'affaire est au contentieux, ce qui me donne un argument supplémentaire pour ne pas en dire plus.

J'observe simplement, sans vouloir critiquer la qualité des administrations qui interviennent, que, manifestement, il n'y a pas eu d'anticipation et qu'aujourd'hui, sans vouloir faire une plaidoirie en faveur de l'exploitant, on se réveille un peu tard.

Une fois que les informations sont données aux collectivités, comment peuvent-elles les exploiter ? J'ai relevé que, dans la loi SRU, un amendement parlementaire proposait que des experts techniques puissent être associés à l'élaboration des documents d'urbanisme. Cet amendement a été rejeté. Or, aujourd'hui, les collectivités locales ont des difficultés à traduire le risque industriel dans leurs documents d'urbanisme, pour des raisons tenant à l'absence de moyens techniques beaucoup plus qu'à un défaut de volonté politique. Il faut donc que l'Etat ou des experts indépendants les aident.

M. le Rapporteur : Sur ce point, vous avez toujours le droit de consulter un expert avant d'élaborer un document d'urbanisme. La seule chose qui est refusée, c'est de l'associer officiellement, c'est-à-dire d'engager sa responsabilité. Vous me direz si je me trompe, mais une mairie a toujours le droit de consulter un expert.

Me Laurent DERUY : C'est vrai, mais reconnaissez qu'aujourd'hui, c'est une simple faculté.

Ma dernière observation critique aura trait aux servitudes. Les servitudes d'utilité publique concernent les seules installations nouvelles et les servitudes d'urbanisme concernent uniquement les communes non dotées d'un PLU ou d'un POS.

Une fausse bonne idée serait d'étendre ces servitudes d'utilité publique, celles du code de l'environnement, aux installations existantes. Cela n'aurait n'a d'intérêt que dans le seul cas où les installations existantes sont encore situées dans des zones vierges, c'est-à-dire dans des zones où la servitude d'utilité publique a quelque raison d'être. Lorsque les usines sont installées dans un tissu urbain dense, la servitude d'utilité publique n'a qu'une portée extrêmement limitée, sauf à réduire les possibilités d'extension des habitations avoisinantes.

Le cas le plus dramatique est donc celui des situations établies, lorsqu'une usine est enserrée dans le tissu urbain. A cet égard, on trouve presque tout dans le rapport Gardent, que je vous incite vivement à relire. Il date de 1990 mais il avait déjà vu tous les problèmes. Pour se sortir de cette situation, deux voies sont possibles, et ce ne sont pas exclusivement des voies juridiques.

La première est prioritaire : c'est le renforcement technique des systèmes de protection, le talus qui détourne le souffle de l'explosion ou les dispositifs de confinement. Cependant, cette priorité des priorités a deux limites, à la fois scientifique et juridique. La limite scientifique, c'est que, dans certains cas, les dispositifs n'existent pas ou sont d'une fiabilité incertaine. La limite juridique, c'est que notre droit de l'environnement pose un principe, certes rarement sanctionné par le juge administratif, qui veut que l'on ne peut pas imposer à un exploitant des mesures économiquement déraisonnables et insupportables. Vous trouvez cette règle à la fois dans le code de l'environnement au titre du principe de précaution et d'action prioritaire à la source, mais aussi dans le décret de 1977 au travers de la notion de mesures économiquement supportables.

Pour renforcer les modes techniques de protection, une seule voie pourrait être explorée : prolonger, plus qu'on ne le fait aujourd'hui, les mesures de protection de l'industrie par des mesures de protection des habitations avoisinantes. Nous avons aujourd'hui deux zones de protection, une zone Z 1 et une zone Z 2. Pourquoi ne pas envisager des zones Z 3 dans laquelle les normes de constructibilité seraient renforcées  ?

L'autre famille de solutions, qui a été déjà évoquée, c'est le déplacement. Dans ce cas, il n'y a qu'une alternative : le déplacement de l'usine ou celui des habitations voisines de l'usine.

On doit certainement examiner les situations au cas par cas parce que le déplacement pur et simple de l'usine n'est pas toujours nécessaire. Il peut y avoir en effet des déplacements partiels. J'ai connu des dossiers dans lesquels on avait simplement déplacé les sphères de stockage. Lorsque certaines installations dangereuses peuvent être dissociées du site, il faut privilégier le déplacement partiel.

Le déplacement global n'est plus un problème juridique. Certes, il faut user du seul outil juridique : l'expropriation, mais celle-ci pose surtout un problème financier et social. Je ferai à ce sujet quelques suggestions.

Tout d'abord, on peut comparer le coût du déplacement de la zone d'habitation par rapport au coût du déplacement de l'outil industriel. Il n'est pas certain que le coût de déplacement de l'outil industriel soit toujours plus important, suivant les cas, que le coût du déplacement des maisons avoisinantes.

Deuxièmement, aujourd'hui, la charge financière de ce déplacement repose presque exclusivement sur l'exploitant, soit parce qu'il n'est pas indemnisé lorsqu'on exige qu'il déplace son installation, soit qu'il doive assumer l'indemnisation du déplacement éventuel de maisons avoisinantes, comme cela s'est déjà produit.

On pourrait aussi imaginer des systèmes de cofinancement, systèmes qui ont déjà été pratiqués dans quelques régions où, les collectivités locales, d'accord avec l'industriel, ont cofinancé certaines opérations de rachat ou de déplacement.

On pourrait aussi concevoir un système de mutualisation sous forme de fonds, à l'instar de ce qui se passe en matière de pollution maritime(même si le système est très imparfait, comme on le sait), mutualisant le coût financier par des contributions de l'ensemble des industriels.

Enfin, il faut clairement réfléchir, en accord avec les compagnies d'assurance, à la possibilité d'assurer ce type de coût à l'instar des garanties financières instituées par la loi pour procéder à la remise en état des sites pollués. Pourquoi ne pas imaginer des garanties sous forme d'assurances financer les expropriations lorsqu'elles s'imposent ?

En conclusion, mon impression de praticien est que nous avons aujourd'hui un orchestre dont tous les instruments existent, et sont de bonne qualité. Ils ne sonnent pas totalement faux mais il nous manque un chef d'orchestre. Beaucoup de dispositions sont de simples facultés alors qu'elles pourraient quelquefois être des obligations. Surtout, l'élément essentiel qu'est la « remontée » de l'information sur le risque, des services d'inspection des installations classées vers les autorités de l'urbanisme, est très perfectible.

Sans alourdir le dispositif administratif existant, on doit réfléchir à la mise en place de structures qui seraient vraiment efficaces. Vous connaissez certainement les SPPPI qui existent dans un certain nombre de régions industrielles. Mais certains de ces organismes, comme à Toulouse, comptent 300 personnes ! Ce sont des instances de consultation, de réflexion et d'information, mais ce ne sont manifestement pas des instances efficaces, en tout cas pour résoudre la question qui nous occupe aujourd'hui.

Peut-être doit-on imaginer une instance tripartite ou quadripartite dans laquelle serait assurée l'interface entre la préparation ou la révision des documents d'urbanisme et la prise en compte du risque industriel.

Mme Nicole BRICQ : Je souhaite avoir deux précisions, parce que vous avez effectivement répondu à beaucoup de questions que je me posais, et en tout cas bien indiqué les pistes de perfectibilité.

Sur le coût du déplacement, vous dites, si j'ai bien compris, qu'il faut s'interroger sur la comparaison entre le coût du déplacement de l'entreprise et le coût du déplacement des pavillons ou des maisons. Est-ce bien cela ?

Me Laurent DERUY : Oui, quand ce déplacement est envisageable.

Mme Nicole BRICQ : Bien sûr. Ce n'est en effet pas toujours le cas.

Sur le SPPPI, il a été évoqué lors d'un colloque récent organisé par le ministère de l'environnement avec l'ensemble des inspecteurs d'installations classées et le préfet de région Midi-Pyrénées en a fait l'éloge précisant que, dans le cas de Toulouse, cette instance avait très bien fonctionné et qu'il faudrait s'attacher à la développer. C'était son opinion. Je voudrais donc avoir quelques détails sur cet instrument.

M. Paul DHAILLE : Ma question s'adresse à Me Deruy, mais aussi à l'ensemble des participants. Vous avez parlé d'un foisonnement de textes et, hier, lors de leur audition, les experts nous ont indiqué qu'au niveau européen, on allait plus vers une législation et une réglementation d'objectifs que vers une législation ou une réglementation de moyens. Ne serait-ce pas la bonne approche ?

M. André VAUCHEZ : Vous n'avez pas parlé du Comité départemental d'hygiène et je souhaite en parler car je l'ai pratiqué.

Par exemple, dans le cas d'un stockage dans une entreprise, on a le projet de l'industriel, le retour de la DRIRE et si, cela est nécessaire, une enquête publique dans laquelle il ne se passe rien parce que personne n'y comprend rien, à part les maires et quelques élus (et encore), mais cela passe aussi devant le Comité départemental d'hygiène qui, malheureusement - je pense que ce n'est pas seulement le cas dans mon département -, fonctionne très mal. On voit en effet des gens qui n'y connaissent rien du tout, qui vont simplement être contactés auparavant, hélas, par tel industriel ou telle population avant de prendre certaines positions.

Ce « machin » - j'emploie ce mot à dessein - doit-il être supprimé ou le modernisé ?

M. le Rapporteur : S'agissant des 672 installations relevant de la nomenclature SEVESO I seuil haut, pouvez-vous nous dire si nous sommes arrivés au bout de cette classification, si cela va encore évoluer avec la directive SEVESO II et la directive SEVESO III et combien d'installations faudrait-il déplacer ? Y en a-t-il de très dangereuses ? On nous a répondu affirmativement hier sans, bien sûr, nous donner de détails.

Faudrait-il en déplacer certaines partiellement ? L'idée d'un déplacement partiel est une chose à analyser et il faut savoir sur quels critères. Pour des raisons économiques indiquées par les uns et les autres, il est évident que le fait de dire qu'on va mettre toutes les usines à la campagne est une fausse bonne idée. Cela a été indiqué de manière très claire, en dépit des déclarations rapides en ce sens qui ont été faites après l'événement de Toulouse.

Nos concitoyens veulent savoir si, effectivement, dans leur environnement immédiat, il y a des usines qui sont très dangereuses. La commission d'enquête devra répondre à cette question. Donc, même si ce n'est que votre appréciation, nous souhaiterions l'avoir.

Par ailleurs, je souhaiterais savoir si, à partir du moment où l'urbanisation est ce qu'elle est et que nous avons un existant qui correspond à l'histoire industrielle et urbanistique de notre pays, il ne faudrait pas, non pas étendre les servitudes d'utilité publique, qui ne datent que de la loi de 1987, mais mieux les coordonner sur ce qui existe déjà ? Hier, les experts nous parlaient de l'usine du futur. Mais peut-on la fabriquer dans l'usine qui existe déjà aujourd'hui et qui va fonctionner demain ?

Ne faut-il pas, quand même, au niveau réglementaire, mieux coordonner ces législations et, si oui, quelles idées avez-vous pour le faire ?

Me Laurent DERUY : Les dispositions sont éparpillées et le problème majeur réside dans l'absence de coordination et de corrélation entre les procédures. Le rapport Gardent préconisait par exemple de coupler les enquêtes publiques PIG et celles relatives aux autorisations « installations classées » en réalisant ces enquêtes en même temps.

En tant que juriste, je suis donc assez favorable à la réglementation par objectif, mais il faut savoir qu'elle a son corollaire. Si on définit des objectifs dans la loi, on retrouvera les modalités d'application de détails et les procédures dans le règlement. Si on ne définit pas les procédures dans les règlements, elles figureront dans les circulaires. Par tendance, je préfère voir des dispositions dans la loi ou dans des règlements plutôt que dans des circulaires.

Concernant le CDH, mon avis de praticien est très réservé sur l'efficacité de cette instance de manière générale. Cela dit, vous ouvrez une perspective en même temps que vous critiquez l'institution : en effet le CDH pourrait être plus encadré dans ses missions plutôt que d'être un forum où quelques personnes maîtrisent précisément le sujet abordé tandis qu'une majorité d'autres qui ne le connaissent pas précisément se prononcent en fonction d'idées générales.

Pourquoi le CDH ne se verrait-il pas confier une mission d'articulation entre le droit des ICPE et le droit de l'urbanisme afin que le CDH « tire la sonnette d'alarme » au nom des préoccupations d'urbanisme? De ce point de vue, la composition du CDH pourrait être revue en faisant participer systématiquement les élus des communes concernées à la réunion qui examine l'autorisation relative à une installation industrielle située dans leur ressort ?.

Enfin, je suis incapable de vous dire aujourd'hui combien il faut déplacer d'usines. C'est une question de fait. Je peux dire en revanche que la fermeture ou le déplacement ne peut se concevoir que comme le dernier remède. Les textes l'imposent. Aujourd'hui, je crois que l'on va un peu vite en disant : risque majeur, donc urbanisation, donc déplacement. Il faut être plus nuancé. Qui dit déplacement dit infrastructure de transports à mettre en place, dispersion des zones de stockage, déplacement du problème dans un autre site.

Le rapport Gardent relevait que lorsque l'on veut installer dans des communes rurales les centres de stockages de déchets, on rencontre une opposition locale bien légitime. Enfin, sur les servitudes d'utilité publique, j'ai voulu dire que si l'on veut étendre aux installations existantes, cela n'a d'intérêt que s'il y a un périmètre sur lequel elles peuvent avoir leur efficacité. C'est-à-dire que la servitude d'utilité publique n'a pas beaucoup d'intérêt si l'urbanisation est déjà à la porte de l'usine, malheureusement. On est déjà dans le troisième cas : le scénario nécessitant un déplacement.

La coordination constitue le vrai problème aujourd'hui. C'est pourquoi le principe d'indépendance des législations ne doit pas conduire à une indépendance des administrations.

En ce qui concerne le SPPPI, il s'agit d'une instance de réflexion, de promotion de l'information. Je vous renvoie à titre d'exemple au site Internet du SPPPI de Lyon, le Spiral. Mais ce type d'institution pêche par deux lacunes : c'est une instance à laquelle participe un nombre considérable de personnes ; par définition, ce n'est pas une vraie instance de consultation adaptée à la coordination, avec la portée juridique que doit revêtir celle-ci

Je me demande dans quelle mesure il ne conviendrait pas de réfléchir à une déconcentration partielle de l'INERIS, comme c'est le cas du CSA qui est relayé par des comités locaux dans le domaine radiophonique.

M. le Président : Le directeur de l'INERIS a plaidé hier pour l'accroissement de ses moyens, en précisant les domaines dans lesquels il fallait absolument en prendre.

M. Paul DHAILLE : Le SPPPI, c'est la même chose que le conseil départemental d'hygiène. Par exemple, en Baie de Seine, les pêcheurs en font partie. Mais quand on parle d'autre chose que de la pêche, ils n'ont pas d'avis particulier.

Me Laurent DERUY : Il mène des actions de promotion de l'information sur le risque. Cela dit, dans les questions que nous évoquons, je crois qu'il est assez impuissant.

Mme Nicole BRICQ : Le rapporteur tout à l'heure a insisté sur un point important : le problème de l'information, du débat citoyen, de la qualité, de la perception du risque par les populations. Cette instance de concertation - que j'ai découverte il y a deux jours - où tout le monde peut donner son avis, est-elle réformable pour répondre à cette revendication d'une information rationnelle et équilibrée vis-à-vis des populations ?

Me Laurent DERUY : Il faut en reformuler la composition, les missions, c'est-à-dire qu'il faut donc la revoir de fond en comble.

M. le Président : Aujourd'hui, il faudrait axer davantage les questions sur les problèmes de responsabilité.

Me Christian HUGLO : J'aborderai d'abord le problème principal de l'information, en vous disant d'emblée combien, l'absence d'information est grave pour la prévention des risques, qu'il s'agisse de l'information à long terme, très en amont de l'accident, de l'information à court terme, au moment de l'accident, et l'information postérieure à l'accident, c'est-à-dire l'obligation d'établir un rapport post accident.

Cela est attesté par un arrêt essentiel de la Cour européenne des droits de l'homme, l'arrêt Anna Maria GUERRA selon lequel le droit à l'information est fondamental. Le Gouvernement italien a donc été condamné par la Cour européenne des droits de l'homme pour avoir refusé de donner des informations sur une usine à risques située en Italie engageant sa responsabilité.

De plus, le défaut d'information est susceptible de créer un risque et donc de tomber sous le coup de l'article 223-1 du Code pénal, c'est-à-dire le délit de mise en danger d'autrui.

En voyant les différents accidents survenus par le passé, je suis surpris de constater à quel point l'information est un élément fondamental pour la prévention. En particulier, on n'a jamais assez dit que Tchernobyl fut incontestablement un incident technique au départ, mais qu'il y a eu un « deuxième Tchernobyl », véritable crime qui a consisté à ne pas informer les populations et à les laisser exposées au risque.

Quels sont les obstacles à l'information ?

Il est certain que dans la culture industrielle, l'industrie fait très mauvais ménage avec le droit de l'information. Les industriels préfèrent les systèmes de prévention des risques ISO plutôt que les systèmes de certification EMAS. L'usine de Toulouse était ISO et semblait d'ailleurs ne pas être conforme à cette norme. En France, les industriels ont toujours préféré les systèmes ISO qui permettent l'auto-évaluation de l'environnement et des risques à l'extérieur, plutôt que les systèmes EMAS qui obligent à un rapport d'information extérieur.

Il y a près de 800 entreprises ISO en France et très peu d'entreprises EMAS. C'est très important car cela veut dire que l'on n'aime pas la transparence.

Ce sont des longues habitudes juridiques et des textes anciens qui font obstacle à l'information. Un fascicule prochain du Jurisclasseur environnement, va faire le point sur la jurisprudence des obstacles à l'information dans le domaine industriel. Il y a environ 30 à 40 arrêts qui vont dans ce sens.

Parmi les principaux obstacles, on peut citer l'atteinte à la vie privée et le secret industriel et commercial, lequel n'est pas défini de façon globale et constitue une des exceptions au droit d'accès. Il est présent dans de nombreux textes spécifiques, notamment en matière de déchets et dans différentes lois sur les installations classées.

Il y a également le secret de fabrique, défini par le code pénal qui permet de refuser l'information. La protection des _uvres de l'esprit et le secret professionnel sont également des obstacles à l'information. Un secret confié à l'administration ne peut être divulgué sans l'autorisation de l'auteur de cette confidence.

De même que pour le secret des procédés et le secret des informations économiques et financières, et de la stratégie commerciale.

On peut comprendre les limitations à l'information s'agissant de questions relativement simples de fabrication, de nuisance et de pollution. Mais quand on est dans le domaine de risques aussi importants que ceux dans qui nous intéressent, je me demande quel droit acquis on peut invoquer pour retenir des informations sur les risques. Ce ne sont pas forcément les secrets de fabrique qui sont en cause, mais les mesures de surveillance et les mesures de prévention. A mon avis, on doit déconnecter les deux problèmes.

Il existe un divorce considérable entre les intentions du droit sur l'information, la proclamations du droit à l'information, sa mise en _uvre par nos textes depuis 1987, le décret de 1990 et sa réalité, son effectivité.

Même lorsqu'il est appliqué, le droit à l'information est inefficace.

Je remettrai à votre commission une étude de 1993 appelée « Information du public sur les risques technologiques majeurs », effectuée par une maître de conférences à l'université de Grenoble. Elle a vérifié dans différents sites industriels à Grenoble, à Marseille et à d'autres endroits, le degré d'information des gens sur les risques technologiques. On a interrogé des habitants de Fos Berre, du grand Lyon, de l'Isère et de la Corse sur leur sentiment d'information par rapport à différents risques. Sur les risques liés au tabac, à l'alcoolisme, au sida, 50 à 80 % de la population interrogée a le sentiment d'être informée. Quand on arrive au nucléaire, cette proportion tombe à 22 %, et pour les risques chimiques, on tombe en dessous de 16 %. La population ne se sent pas informée sur les risques chimiques. L'enquête demande ensuite à la population de ces différents sites si elle se sent informée sur les consignes à suivre en matière de risque chimique. Les résultats sur tous les sites sont les suivants : oui, très bien, 2 % ; oui, assez bien, 4 % ; plus ou moins informés, 18 % ; non, pas vraiment, 18 % ; non, pas du tout, 75 %. On se demande donc à quoi servent nos textes !

Les populations ont également été interrogées ensuite sur les consignes à suivre en cas d'accident majeur. Sur Berre, 49 % des gens se disent informés et 13  % s'estiment non informés.

Les éléments d'information donnée aux gens ont-ils eu un effet sur la population ? Cela va-t-il changer leurs réflexes ? Quel est le réflexe des gens quand il y a un accident ? Se rendre à l'école pour chercher les enfants. C'est très naturel, humain et évident. Il est très difficile de moduler les conduites par l'information dans ces conditions.

J'ai omis de vous dire que dans l'accident de Toulouse, qui est l'accident le plus tragique en Europe depuis 1946, j'ai conseillé la chambre d'industrie et de commerce pour essayer de mettre en place une procédure d'indemnisation avec les entreprises. Nous avons refusé le dossier des populations pour diverses raisons. Je conseille aussi la SNPE qui est à côté du site.

À Toulouse donc, après l'accident, on a mis en place les plans d'opération d'urgence et on a demandé aux gens de rester confinés chez eux. Cela fait rire.

Il faut rechercher la pertinence des systèmes mis en place. Or, il y a autant de droits à l'information qu'il y a de domaines de risques.

Pour le droit à l'information sur les déchets par exemple, il y a les CLIS qui ne sont pas si mal, et dont on n'a pas parlé. Il n'existe pas de commission d'information pour les risques technologiques. Le droit de l'information est complètement morcelé et sélectif. Vous avez un droit de l'information sur les OGM, sur l'air, etc.

C'est ce que dit le rapport de l'IGE sur l'accident de Toulouse. L'article 21 de la loi de 1987, et l'article 110 du code de l'environnement, prévoient que les gens ont un droit d'information sur les risques majeurs et les risques technologiques, et notamment à propos des sites particuliers. Ces textes ne sont pas appliqués.

On ne peut pas dire que dans le droit classique des installations classées, les études d'impact, le CDH, les enquêtes publiques constituent des éléments d'information. Plus les risques sont importants, plus l'information doit aller au-devant des gens. On doit dimensionner les procédures d'information à la réalité des risques. Ce n'est pas la même chose de créer une procédure d'information pour une porcherie que pour une usine à haut risque. Le principe d'égalité veut que l'on traite de façon différente les personnes qui sont en situations différentes.

La loi de 1987 fait porter les efforts sur la publicité des plans établis par les préfets qui se débrouillent pour donner localement l'information sur ces plans d'intervention, ces plans d'opérations internes et toutes les mesures à prendre, mais c'est de l'information passive. La population n'est pas active dans ces démarches.

Il faudrait appliquer la convention d'Aarhus, en vigueur depuis le 31 octobre 2001 et qui doit être prochainement ratifiée par la France, le Parlement en est saisi, et il faudrait aussi appliquer les directives communautaires.

Je remettrai les documents relatifs à la non-conformité du droit interne par rapport à ces textes de droit international.

La Convention d'Aarhus est un texte très important sur la participation du public, le droit d'information et le droit à l'accès à la justice. C'est un des textes les plus fondamentaux qui soit. La revue juridique de l'environnement a fait un numéro spécial sur la convention d'Aarhus et ses difficultés de transposition en droit français. Une des clefs de la situation vient de l'application du droit international.

La responsabilité en matière de contrôle est extrêmement simple. Elle incombe à la puissance publique pour faute ou pour risque. Le climat est actuellement terrible dans les tribunaux administratifs vis-à-vis de la responsabilité de l'administration. On peut citer l'arrêt de la Cour d'appel de Marseille dans l'affaire de l'amiante qui établit la responsabilité de l'Etat pour défaut d'information sur les risques. Un autre jugement a été rendu dans l'affaire des rejets salins des mines de potasse d'Alsace au tribunal administratif de Strasbourg. L'Etat est condamné pour non-respect des textes sur l'environnement à 30 millions de francs d'indemnités au bénéfice des collectivités néerlandaises.

Les tribunaux administratifs tendent à mettre en _uvre la responsabilité de l'Etat dans le domaine de l'environnement parce que le droit de l'environnement n'est qu'un droit de surface. Il ne va pas au fond des choses, il est affiché. Il est uniquement entre les mains de la puissance publique et il n'associe pas suffisamment les citoyens.

Mais si cette responsabilité est mise en _uvre dans des problèmes de pollution classique, je ne l'ai pas vue encore sur les risques majeurs. Elle est très difficile à mettre en _uvre. Dans l'affaire de Toulouse, j'aurai beaucoup de mal à imaginer de mettre en _uvre d'emblée la responsabilité de l'Etat. La responsabilité pour risque est engagée pour dommage anormal et spécial. Le critère anormal est évident ; mais qu'en est-il de la spécialité sur 2000 à 3000 personnes ? La jurisprudence du Conseil d'Etat telle qu'elle est ne permettrait sans doute pas de faire grand-chose.

Pour la faute, il faudrait vraiment prouver la faute de l'administration dans cette affaire particulière. Le rapport de l'IGE montre qu'en réalité, l'une des grosses difficultés dans l'affaire de Toulouse est la distorsion des documents d'information, comme les PIG et les POS. Il y a eu trop de documents et les gens ont été éblouis par l'abondance de documents.

Un « droit à l'information » doit être clair, précis et doit descendre dans le détail et associer les personnes exposées aux risques. C'est la seule façon de continuer l'activité industrielle. Si l'on veut relancer le nucléaire, on y arrivera beaucoup mieux en associant les gens au risque en disant les avantages et inconvénients et en leur donnant la possibilité de s'exprimer au mieux. Cette information permettra rétroactivement de prévenir.

Mme Nicole BRICQ : J'ai sur ma circonscription deux sites classés Seveso et je suis membre de deux CLIS. J'ai dû demander au préfet de réunir la CLIS sur le site Seveso 2 car elle ne s'est pas réunie depuis l'année dernière. Cela signifie qu'elle se réunit de manière très institutionnelle une fois par an dans le meilleur des cas. Les demandes faites par les associations et les élus sont rarement suivies d'effets. C'est un bon outil car il est représentatif ; c'est un progrès dans l'information, mais il doit être animé. Cela pose le problème de l'animateur. Ce n'est pas la priorité du sous-préfet. Cela va peut-être le devenir. Il faut une impulsion de l'Etat pour animer ces CLIS qui sont de bons outils, mais perfectibles dans leur fonctionnement.

Il faut aussi parler du problème de l'information interne à l'entreprise car des accidents se produisent chaque année.

M. le Rapporteur : En 1998, il y a eu 19 morts et 220 accidents.

Mme Nicole BRICQ : Il y a un outil interne, qui est le dialogue social avec le CHSCT. N'est-ce pas un bon instrument à perfectionner ? Il permet d'améliorer l'information interne qui se diffusera à l'extérieur. C'est une voie qu'il faut absolument développer.

M. Pierre COHEN : Il y a quand même eu toute une période d'information autour des PPI au niveau toulousain qui a amené des prises de conscience avec des retombées positives. Tout le monde dit que l'on est passé à côté d'une catastrophe encore plus importante à Toulouse. Il faut savoir que l'explosion aurait pu amener - ce que l'on craignait le plus - des répercussions sur le phosgène.

Au cours des dix dernières années a eu lieu un grand débat, auquel ont participé des communes, et une série de concertations qui ont produit énormément de retombées positives sur la sécurisation des endroits très sensibles où se trouvent des produits comme le phosgène. De même pour tout ce qui relève des rejets il y a une nette amélioration. On peut considérer que cette dynamique d'information a eu ses effets, et a atténué certaines répercussions qu'aurait pu avoir l'accident.

Je confirme les limites de l'information que l'on peut avoir concernant les réactions ou les plans d'urgence. Ces réactions humaines ont été avérées lorsque des personnes qui se sont précipitées dans leur voiture pour aller chercher leurs enfants. Agissant de façon irrationnelle, ils risquaient de provoquer un encombrement qui aurait pu être catastrophique s'il y avait eu répercussion sur le phosgène.

Ce qui a fait le plus défaut, c'est l'absence de simulations de situations réelles d'accident. On le demande régulièrement, mais les pouvoirs publics ne le font pas. On peut comprendre pourquoi. C'est un processus gigantesque qui a des répercussions économiques. Cela peut créer un immense désordre pendant une journée. Mais il y a d'autres choses qui créent des perturbations colossales dans une ville pendant une journée et qui n'ont pas autant de retombées pédagogiques par rapport aux populations. On verrait alors que le bon réflexe peut venir davantage par la mise en situation des personnes que par la seule bonne connaissance du risque.

Je ne suis pas du tout d'accord avec la remarque concernant le confinement. L'explosion a fait 30 morts, beaucoup de blessés. Le problème venait de l'affolement général et d'un grand nombre de jeunes dans les rues. Tout mon travail en tant que maire de la commune la plus proche du site a été de faire comprendre que si les sirènes signalaient l'émanation de phosgène, il fallait aller très vite dans les endroits que l'on pouvait confiner.

Il ne faut pas céder à la caricature à propos du confinement car si un risque encore plus grave était apparu, le confinement aurait été une protection.

M. le Président : Je suis frappé par la différence entre les systèmes d'information. On a des CLIS dans certains domaines mais pas dans la chimie. De même, il y a des différences entre les risques nucléaires et le non-nucléaire. Nous avons l'impression que cette non-cohérence se traduit par une mauvaise hiérarchie des dangers et des risques. Avez-vous des propositions là-dessus ?

M. Pierre COHEN : L'information même la plus large et la mieux organisée aurait été insuffisante par rapport au problème de Toulouse, car le problème du nitrate d'ammonium n'était pas considéré comme un risque et cet accident ne pouvait pas officiellement arriver.

Cela signifie que l'information ne doit pas être faite dans un seul sens. Il ne faut pas qu'elle vienne seulement de ceux qui disent quels sont les risques et quelle information il faut faire autour. Il faut mettre à plat tous les problèmes et faire venir, de l'extérieur, des gens qui disent : "là, il y a un risque" alors qu'à l'origine, l'industrie ne l'aurait pas révélé.

M. Paul DHAILLE : S'agissant des obstacles à l'information, comment faut-il agir en matière législative ? Faut-il faire lever les obstacles en supprimant toutes ces restrictions ou pourrait-on agir de manière beaucoup plus positive en affirmant un droit à l'information ?

Dans le cadre de la circulaire du 20 mars 2000 sur le bilan de fonctionnement de l'exploitation, qu'est-ce qui est communiqué au préfet ? Descend-on jusqu'aux incidents d'exploitation ou aux quasi-accidents ?

Me Laurent DERUY : Il s'agit d'un décret de mars 2000, qui ne donne pas suffisamment de précisions sur le contenu du bilan de fonctionnement, mais je vous précise que, d'une manière générale, dans le Code de l'environnement, il y a une obligation de déclarer tout incident ou incident qui existe depuis la loi de 1976. Le décret n'a fait qu'ajouter un bilan global de fonctionnement sur une période considérée.

M. Paul DHAILLE : Hier, l'un de nos interlocuteurs nous a dit qu'en matière de sécurité, il y a des espèces de barrières qui sont quotidiennement franchies à tel point que les incidents sont tellement habituels qu'ils n'apparaissent plus comme des incidents.

Me Christian HUGLO : Je pense qu'il suffit d'affirmer le droit à l'information. Si le Parlement affirme le droit à l'information, l'organise et la prévoit, à mon avis, cela suffit juridiquement.

Concernant le problème de morcellement des autorisations administratives, à Toulouse, c'est effectivement l'installation la plus inerte, en apparence, qui a créé le dommage. On doit donc se demander quel est le devoir de l'information par rapport au problème des installations de stockage.

Il existe des seuils d'autorisation et de déclaration qui ne sont pas en harmonie avec le décret ou l'arrêté du 12 mai 2000. Le stockage en question a été déclaré comme un stockage à 350 tonnes alors qu'en réalité, vous ne pouvez jamais savoir, sur un stockage, si vous en êtes à 349, 351 ou 352 tonnes. Autrement dit, comment peut-on concilier un régime de déclaration avec une installation SEVESO ? En effet, quand vous passez de la déclaration au statut SEVESO, l'information est différente et si l'on joue, dans la réglementation française, à mettre des installations dangereuses sous le régime de la déclaration, je me demande s'il n'y a pas une responsabilité de l'Etat. Le c_ur du dossier est là. C'est peut-être là le vrai sujet.

Me Caroline LONDON : J'aborderai les aspects communautaires. Je vais essayer de voir, d'une part, dans quelle mesure l'existant n'est peut-être pas suffisamment appliqué en France à l'heure actuelle et, ensuite, quelles sont les perspectives, ce qui me permettra de répondre à une ou deux inquiétudes exprimées ou à une ou deux questions qui ont été posées.

La première directive SEVESO I concernait les risques d'accident majeur de certaines activités industrielles. Elle comprenait déjà le POI et le PIE, c'est-à-dire que l'on avait déjà une première amorce sécuritaire.

Cependant, avec l'accident de Bhopal, notamment, on s'est aperçu que les choses étaient insuffisantes et on a donc adopté, en 1996, la directive SEVESO II, dont l'intitulé concerne "la maîtrise des dangers liés aux incidents majeurs impliquant des substances dangereuses". On a donc ajouté la mise en place de systèmes de gestion de la sécurité à une évaluation des risques et des scénarios éventuels d'accident.

Dans les annexes de la directive, il est demandé "une surveillance des performances avec l'adoption et la mise en _uvre de procédures en vue d'une évaluation permanente du respect des objectifs fixés par l'exploitant dans le cadre de sa politique de prévention des accidents majeurs et du système de gestion de la sécurité, et la mise en place de mécanismes d'investigation et de correction à cas de non-respect" (Annexe III, point C, vi).

On nous indique que ces procédures doivent englober les systèmes de notification non seulement des accidents majeurs, mais également des accidents évités de justesse, ce qui répond à une question qui a été posée antérieurement, notamment quand il y a eu des défaillances des mesures de protection et lorsque des enquêtes ont été faites à ce sujet.

On s'aperçoit donc que, déjà, dans SEVESO II, certaines réponses sur le plan de l'évaluation des risques existent.

Le deuxième point que nous amène SEVESO II concerne tout ce qui est relatif au contrôle de l'urbanisme. Évidemment, la maîtrise de l'urbanisme autour des installations SEVESO ne concerne que l'avenir et la Commission nous dit d'ailleurs que, pour les établissements existants et se trouvant à proximité de zones d'habitation, la directive SEVESO II exige de prendre des mesures techniques complémentaires afin de ne pas augmenter les risques pour les personnes. Ce ne sont que pour les installations nouvelles qu'il faudra véritablement faire quelque chose à l'avenir. Ce texte est entré en vigueur en 1999.

En ce qui concerne maintenant l'information, je me contenterai de revenir sur un point, l'information du personnel. On nous a parlé de l'information à l'extérieur de l'entreprise, mais également de celle qui est faite au sein de l'entreprise. Là aussi, SEVESO II nous indique qu'il faut "une identification des besoins en matière de formation du personnel, une organisation de la formation et une participation du personnel et, le cas échéant, des sous-traitants" (Annexe III, point c.i). Il est donc prévu d'étendre au maximum l'information au sein de l'entreprise.

Quant à tout ce qui concerne l'information des tiers, c'est-à-dire à l'information à communiquer au public, je rejoins entièrement ce que disait Christian Huglo il y a quelques minutes sur le fait que, malheureusement, en France, les entreprises sont plus enclines au secret que dans d'autres pays.

On voit donc que dans, SEVESO II, on a déjà en place énormément de choses qui, si elles étaient véritablement transposées et appliquées, permettraient de connaître moins de problèmes.

Maintenant, que fait-on au niveau communautaire ? Plusieurs projets sont en cours.

Il y a tout d'abord ce qu'on appelle SEVESO III qui, à mon avis, ne sera qu'un SEVESO II amélioré. L'accident de Baia Mare (malheureusement, ce n'est qu'avec les accidents que l'on progresse ; c'est une triste réalité) a amené la Commission à prendre conscience du fait que les bassins de stériles devraient être aussi réglementés au titre de SEVESO, et elle propose donc de comprendre dans SEVESO l'extraction des matières minérales dans les mines ou les carrières ou par forage à des fins d'exploration ou d'exploitation.

Le deuxième point, ce sont les problèmes de seuil. Un accident s'est produit à Enschede, aux Pays-Bas, le 13 mai 2000, où l'entreprise Fireworks, une usine de produits pyrotechniques, a explosé et on s'est aperçu que les seuils déterminés dans la directive SEVESO II avaient été tout à fait respectés mais étaient peut-être insuffisants. Cela répond donc à votre question, monsieur le Rapporteur : on va avoir des modifications et des extensions du champ d'application de SEVESO.

En ce qui concerne notamment les substances pyrotechniques, le seuil le plus bas était fixé à 50 tonnes et l'entreprise Fireworks n'avait sur le site que 48 tonnes d'explosifs. Elle n'était donc pas soumise à SEVESO.

La Commission a considéré que le seuil était visiblement trop élevé. Il faut savoir qu'il y a eu 21 morts, près de mille blessés et des dommages considérables causés aux alentours dans une zone résidentielle, avec une brasserie à proximité qui, fort heureusement, n'a pas sauté. On va donc baisser les seuils et il y aura une extension du champ d'application de la directive.

Je citerai également d'autres modifications qui nous concernent moins directement, notamment en matière d'augmentations de seuils relatifs à certaines substances carcinogènes et d'autres substances dangereuses.

Je reviens sur les procédures concernant les inspections environnementales. Il y a effectivement des projets et un réseau, le réseau Impel, qui essaie de coordonner tout ce qui relève des inspections environnementales au niveau communautaire, et on va donc essayer d'avoir une harmonisation des procédures et des inspections environnementales au sein de l'Union européenne.

En ce qui concerne maintenant la transparence et la participation du public, une proposition de directive prévoyant cette participation lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement va modifier des directives existantes et permettra de transposer la fameuse convention d'Aarhus.

On constate donc qu'en ce qui concerne l'information, au niveau communautaire, l'on dispose, depuis 1990, d'une directive qui n'a jamais été respectée en France, ce qui a entraîné des procédures de recours.

En ce qui concerne la confidentialité, une convention vient d'être adoptée sous l'égide du PNUE. Il s'agit de la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (les POP), du 23 mai 2001 et dont le paragraphe 5 de l'article 9 relatif à l'échange d'informations dispose que "les informations concernant la santé, la sécurité des personnes ainsi que la salubrité et la protection de l'environnement ne sont pas considérées comme confidentielles".

Des évolutions à cet égard sont donc prévisibles et nous en aurons également en ce qui concerne la directive relative à la sécurité générale des produits qui, là aussi, lèvera en partie les problèmes de confidentialité, dès lors que la santé et la sécurité sont en cause.

En ce qui concerne SEVESO, je pense que ce sera plutôt un "relookage" qu'une modification de fond, comme de la directive de 1996 par rapport à celle de 1982. Mais cela impliquera certainement de nouvelles autorisations et de nouvelles procédures. D'autres choses sont également en cours : la coopération entre les inspections gouvernementales, le droit à l'information et l'allégement de la confidentialité en ce qui concerne tout ce qui est éminemment dangereux.

M. André VAUCHEZ : On nous a dit hier à propos de Toulouse, que le stockage qui avait explosé n'avait pas à être contrôlé parce qu'il ne tombait pas sous le coup de SEVESO, parce que le produit n'était pas explosible. Comment peut-on penser cela quand des rapports, qui nous ont d'ailleurs été remis hier, nous indiquent qu'à certains moments, des phénomènes peuvent rendre le produit explosible, en particulier du fait de l'action de l'eau et de certains mélanges ? J'ajoute que, dans le passé, il y a eu des expériences malheureuses sur des bateaux. On sait donc que cela peut exploser à certains moments.

Le problème des seuils est une très bonne chose : on va aller vers une baisse des volumes stockés, ce qui est bien, mais à quel moment va-t-on prendre en considération les substances qui, aujourd'hui, sont considérées comme pseudo inertes ?

M. Paul DHAILLE : On a beaucoup parlé, au niveau européen ou au niveau français, de ce problème des seuils. En effet, quand on fixe un seuil, l'industriel se dit : "je vais me mettre juste en dessous du seuil pour ne pas avoir d'ennuis ou, du moins, pour ne pas être atteint par la législation".

On peut aussi penser que le fait d'avoir 1 000 tonnes n'est pas la même chose que d'en avoir 10 000. Pour l'environnement, en cas d'incident, les effets ne sont pas les mêmes et on peut donc se dire que la politique des seuils peut être aussi une politique incitative à la sécurité. Ne pas avoir 10 000 tonnes dans la même sphère de stockage mais seulement 1 000, cela va dans le sens de la sécurité.

Donc, faut-il bannir les seuils en disant qu'un produit est dangereux à partir du premier kilo ?

M. le Président : Comment peut-on prévoir l'imprévisible ?... Comment peut-on, juridiquement, reprocher à quelqu'un de ne pas avoir prévu l'imprévisible ?

M. le Rapporteur : A Toulouse, le nitrate d'ammonium n'était pas considéré comme un explosif (cela a été dit de manière très claire hier). Mais quand vous examinez la fiche, vous constatez quand même que le volume de détonation est de 930 litres par kilo.

Comment peut-on faire pour légiférer sur les risques quand ils sont divers et variés et qu'ils évoluent avec les nouvelles disciplines industrielles ? On n'a pas parlé aujourd'hui du risque biologique, mais il sera abordé. Ce ne sont pas du tout les mêmes types de risques que ceux qui nous occupent ici.

Par conséquent, doit-on avoir une réglementation et une législation par strate très compliquée ou, au contraire, doit-on fixer seulement des grandes directions du droit qui sont ensuite déclinées lors de l'étude des PPI ou des différents plans d'organisation interne de l'entreprise ?

Ensuite, pensez-vous que les règles relatives à la limitation des quantités de stockage, c'est-à-dire les seuils, aux mesures de confinement, aux distances entre les stockages et les mesures de ce type, sont aujourd'hui toutes adaptées ou qu'il faut modifier la législation afin d'améliorer les études de danger et la définition des périmètres de protection ?

M. Paul DHAILLE : Si on compare avec les médicaments, avant l'autorisation de mise sur le marché, on vérifie que le médicament n'est pas en contre-indication avec tel ou tel autre médicament. Est-ce que, en matière de politique industrielle et de risques chimiques, on a la même procédure, c'est-à-dire non pas une autorisation de mise sur le marché mais une autorisation de mise en exploitation qui prendrait en compte les contre-indications ? Si cela n'existe pas, ne faudrait-il pas l'instituer ?

Me Caroline LONDON : Toutes ces questions ont trait, me semble-t-il, à l'évaluation des risques, qui doit véritablement être affinée en Europe de manière générale, à l'instar de ce qui se fait aux Etats-Unis.

La Commission a publié un livre blanc au début de l'année sur l'évaluation des substances chimiques. Jusqu'à présent, seules les substances chimiques nouvelles faisaient l'objet d'une évaluation avant mise sur le marché. Désormais, on va essayer de reprendre tout l'arsenal des substances chimiques pour les évaluer et essayer d'avoir un système global à ce sujet, ce qui représente un travail gigantesque.

Il reste donc beaucoup de choses à faire. L'évaluation des risques telle que nous la pratiquons est insuffisante. Cela me fait dire également que si les seuils sont indispensables, ils ne sont peut-être pas suffisamment justifiés. On voit ce qui se passe au niveau communautaire : on diminue les seuils parce qu'on se rend compte qu'ils sont trop élevés ou, en revanche, on en augmente certains autres parce qu'ils sont trop faibles.

Tout cela procède, pour moi, d'une nouvelle évaluation des risques beaucoup plus approfondie. Les scientifiques que j'ai pu entendre, notamment les professeurs d'université, de physique et de chimie appliquée à l'environnement, considèrent que l'évaluation des risques qui est pratiquée en Europe est insuffisante, d'où, peut-être, notre utilisation plus grande du principe de précaution.

Me Christian HUGLO : Pourquoi la loi de 1929 sur les périmètres pyrotechniques est une chose qui fonctionne bien, puisqu'il n'y a pas eu d'accident, et pourquoi la loi sur les installations classées ne marche pas ? Cherchez la liste des accidents dans l'industrie la plus dangereuse, regardez comment la réglementation a été appliquée et vous verrez que les deux conceptions sont très différentes. Il faut faire un travail comparatif entre les deux éléments.

Si on ne peut pas prévoir l'imprévisible, on sait maintenant un certain nombre de choses et on serait coupable de ne pas réfléchir à partir de l'expérience. On doit donc se demander comment est faite la nomenclature et comment elle marche. Elle résulte d'un avis du Conseil supérieur des installations classées, et il faudrait savoir quelles expertises lui sont fournies et quel est le débat ?

Il faut savoir que les notions de seuil sont des batailles d'intérêt. Dans un autre domaine, la chambre d'agriculture des Côtes-du-Nord s'est battue pendant des années pour essayer de faire remonter le plus possible le seuil des porcheries fixé initialement à 450 porcs.

C'est effectivement l'élaboration de la règle de droit et de la norme qui est en question et elle n'est pas liée à l'expertise. Une directive vient de sortir sur ce qu'on appelle les "Plans programmes environnement", qui est la suite de la directive de 1985 et qui a pour but de faire réfléchir les Etats-membres sur la planification des risques et des inconvénients, mais c'est en amont qu'il faut réfléchir à ces éléments. On s'apercevra alors que l'on a une vision complètement administrative et formelle des choses et qu'il ne s'agit pas du tout d'une culture des risques.

Vous avez demandé combien coûte le déménagement d'une usine et combien coûte celui des personnes qui sont autour, mais je vous poserais une question beaucoup plus simple : combien coûte la prévention et combien coût la réparation ?

M. le Rapporteur : Le professeur Amalberti, hier devant nous, a essayé de présenter une échelle de la totalité des risques. Cela correspond à votre remarque sur les risques pyrotechniques. Paradoxalement, le nucléaire ou l'aviation commerciale, apparaissent moins dangereux. C'est donc sans doute dans les domaines où les systèmes sont surprotégés qu'il y a le moins d'accidents.

Le vrai problème, c'est que, lorsqu'un produit ne coûte pas cher, qu'il n'est pas très rentable et qu'il n'est pas considéré comme dangereux, s'il provoque un accident, ce sera très grave même catastrophique et cela coûtera alors très cher.

Sur l'échelle des risques, c'est l'un des points sur lesquels il faut travailler parce que c'est un élément majeur.

Me Jean-Pierre BOIVIN : Il ne faut pas trop simplifier. Pourquoi la pyrotechnie donne-t-elle de bons résultats ? Parce que c'est une science quasi exacte, c'est la science de la guerre. Il y a longtemps que les armées ont mis au point des formules adaptées qui permettent d'en avoir une vision scientifique et claire. Ce n'est pas le cas sur de nombreux autres problèmes sur lesquels on demande à des spécialistes dans des études de danger de se positionner. Il n'y a pas de formule mathématique précise pour indiquer l'épaisseur du merlon pour un problème chimique ou autre.

On se demande si les seuils tels qu'ils sont conçus dans la nomenclature ne pourraient pas être dangereux au plan des comportements. Il faut voir que les seuils déclenchent des procédures ; ils ne sont pas limitatifs de l'activité. En tout cas, pas aujourd'hui. Par conséquent, ces seuils sont une vision administrative, et rien d'autre. C'est dans l'étude de danger qu'il faut développer d'autres techniques d'affinement des risques.

M. Michel VAXES : On réfléchit beaucoup sur l'évaluation du risque, sur sa gestion, et du même coup, sur les responsabilités si on a mal évalué ou mal géré. Mais la vraie question est qu'il ne faut pas que cela saute. C'est la question de la prévention et non celle de la gestion a posteriori qui importe.

Hier, j'ai entendu les scientifiques dire que l'on pouvait prévoir. L'accident, le drame de Toulouse n'est pas venu ex nihilo. On sait que cela peut exploser. Le scientifique le sait. Et cela peut exploser quelle que soit la quantité du stock. Cette dernière n'est pas inintéressante car les dégâts seront plus ou moins importants. Le problème est qu'il ne faut pas que cela explose. Il y a probablement, y compris au plan juridique, un certain nombre de contraintes à mettre en place en amont, et pas en aval.

M. Paul DHAILLE : Je ne crois pas au risque zéro. Même lorsque l'on aura pris toutes les mesures scientifiques, il restera toujours un aléa. Il faut peut-être en tenir compte.

Si dans le domaine de la pyrotechnie, le risque est maîtrisé depuis longtemps, c'est parce que les armées s'en servent, il y a eu beaucoup d'échanges d'informations. Le problème soulevé par les scientifiques est l'absence d'échange d'informations. L'information du public est une information intéressante. Mais il semble qu'entre les groupes industriels, il n'y a pas d'échanges d'information, il n'y a pas de lieu où l'on puisse capitaliser l'expérience pour faire que ce soit moins dangereux.

Dans le nucléaire, les scientifiques nous ont dit que l'information dépendait directement du secrétaire général des Nations unies. A un moment ou un autre, on fait remonter toute l'information mondiale à un niveau où l'on en déduit comment améliorer la prévention et la sécurité. On a le sentiment que cela n'existe pas dans les produits relativement récents.

Me Charles-Louis VIER : Je suis plus particulièrement concerné par les questions de contentieux. Toutefois, il est paradoxal, a priori, d'évoquer une contribution du contentieux, et des juges, à la prévention des risques. Paradoxal parce que le contrôle juridictionnel qui présente un certain nombre d'imperfections ou d'insuffisances est par définition a posteriori. Il est de plus très souvent lent.

De plus, les sanctions que prononce le juge sont parfois considérées comme platoniques, que ce soient des annulations pour excès de pouvoir prononcées par le juge administratif qui arrivent bien tard alors que le mal est fait et que de toute façon, une décision semblable sera prise pour remplacer celle qui a été annulée. Que ce soient encore les amendes infligées par le juge pénal, mais qui sont -paraît-il- des piqûres d'aiguilles pour certaines entreprises industrielles puissantes.

Cependant, je crois d'une part qu'il y a plusieurs raisons de ne pas sous estimer les contributions des juges et de la jurisprudence à la prévention des risques industriels et que l'on peut voir très rapidement les occasions ainsi données aux différents ordres de juridiction.

L'apport du juge est utile, et même indispensable, parce que le juge est à sa manière source de droit. Il interprète, il complète, il actualise la réglementation. Ses décisions font jurisprudence et elles peuvent combler les lacunes de la loi quand elle est incomplète, ce qui est toujours le cas, ou suppléer au législateur lorsqu'il n'a pas l'occasion, la possibilité ou qu'il tarde à modifier ou compléter la loi. Le juge a un rôle d'adaptation important. Pour m'en tenir à une formule brève, je dirai que le juge administratif a un rôle non négligeable de guide de l'administration par sa jurisprudence et que le juge pénal a, dans les matières qui vous occupent, un rôle non négligeable de guide des industriels, par les sanctions qu'il prononce ou la menace de ces sanctions.

L'intervention du juge est nécessairement limitée. Il est obligé de se situer au sein du cadre normatif défini par les autorités compétentes, le législateur, le pouvoir réglementaire, les autorités communautaires. Le juge ne peut pas tout inventer ex nihilo, surtout dans des matières où il va rencontrer rapidement des libertés fondamentales : liberté d'entreprendre, liberté du commerce et de l'industrie, liberté du travail, droit de propriété.

Le juge dispose d'une grande capacité d'invention et d'adaptation. Encore faut-il qu'il soit saisi. Maintenant, les moyens et les acteurs existent qui le saisissent de tout et souvent. Encore faut-il aussi qu'il ait la base qui lui permette ensuite de faire son _uvre d'interprétation et de suppléance.

Autre limite de l'intervention du juge, c'est l'application sinusoïdale de la loi. Le juge dispose d'un pouvoir très large, discrétionnaire, plus encore quand il s'agit des juridictions suprêmes. Il doit dans l'exercice de ces compétences très étendues, arbitrer entre plusieurs conceptions de l'ordre public, des droits et libertés. Sans jamais mettre en question ni son indépendance ni son objectivité, on peut avoir l'impression que suivant les époques, les situations ou les affaires, il penche plus d'un côté que de l'autre.

Je prendrai l'exemple d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 23 mai dernier qui concerne le stockage de produits, en l'espèce de résidus de l'exploitation des centrales atomiques. Il en résulte un sous-produit, l'uranium appauvri, qui présente encore un intérêt économique et technique et qui doit être stocké. Il présente des risques certains. La question était en substance de savoir quel était le régime qui devait lui être appliqué : celui des installations classées ou celui des déchets ? C'est le régime des installations classées qui avait été choisi par l'administration. Une association de protection de l'environnement du site où doit se faire ce stockage militait pour que l'on applique la loi sur les déchets qui est plus protectrice.

Cette association a eu gain de cause en première instance. L'industriel stockeur a obtenu satisfaction en appel. L'affaire est venue devant le Conseil d'Etat où nous avons eu des conclusions très longues et très intéressantes du commissaire du gouvernement qui s'est interrogé sur la nature de ce produit. Cela donne un exemple du travail non seulement juridique, mais aussi technique que doit faire le juge.

La loi dit en substance qu'est un déchet tout résidu d'un processus de production. Il semblait au commissaire du gouvernement du Conseil d'Etat qu'il s'agissait bien du résidu d'un processus de production, ce qui devrait conduire à proposer l'annulation des décisions de l'administration. Puis, il s'interroge dans ces termes : "L'uranium est une matière première vitale pour la France compte tenu de la proportion très importante de l'électricité d'origine nucléaire et compte tenu que la part des importations dans l'approvisionnement en uranium est également élevée, aussi la constitution de réserves stratégiques d'uranium appauvri est-elle une nécessité. On ne peut pas par conséquent raisonnablement considérer qu'il s'agit d'un résidu destiné à l'abandon". On voit passer là un arbitrage entre deux intérêts antagonistes : celui d'assurer les ressources nécessaires à l'approvisionnement de l'industrie nucléaire qui fabrique de l'électricité et celui d'appliquer un régime administratif qui aurait été plus contraignant et qui aurait conduit à l'annulation de décisions administratives. Le Conseil d'Etat a tranché dans le sens de la première solution.

Loin de moi l'idée de critiquer cette décision, c'est simplement un exemple de la situation dans laquelle le juge est conduit à aller très loin dans l'analyse technique. On doit savoir si ce produit est un déchet ou pas, un résidu ou pas. Ce n'est plus du droit, mais en même temps, c'est indispensable pour l'application du droit. Vous avez pu voir aussi que dans le processus de réflexion du juge sont intervenues des considérations qui ne sont ni strictement techniques ni strictement juridiques, mais d'ordre stratégique ou économique.

Je veux signaler une dernière limite de l'intervention bienfaisante du juge : c'est son caractère nécessairement rétroactif. Le juge va appliquer à une certaine date, mais à des événements ou à des situations sensiblement antérieures, eux-mêmes étant peut-être la conséquence des décisions ou de l'application de réglementations encore plus anciennes, une certaine conception des choses. C'est l'effet nécessairement rétroactif de la jurisprudence.

A la question "Comment prévoir l'imprévisible ?", les décisions rétroactives des juges apportent un élément paradoxal de réponse. A ce moment-là, le juge dira que compte tenu de ce qui s'est passé, il est en mesure de dire après qu'il aurait fallu le prévoir avant. C'est ainsi que fonctionnent les mécanismes de responsabilité. C'est d'une certaine façon peu satisfaisant pour la logique, c'est efficace pour le fonctionnement des institutions. Je crois qu'il faut l'accepter.

Le juge a aussi un pouvoir "sanctionnateur". Le juge pénal est peut-être mieux armé que le juge administratif ou le juge civil - la sanction pénale est redoutée des dirigeants -, mais le juge administratif a un rôle non négligeable. Il a un pouvoir d'annulation des actes de l'administration, et dans la matière des installations classées, il a aussi un pouvoir de réformation très important. C'est un plein contentieux, c'est-à-dire que le juge peut substituer sa décision à la décision de l'autorité préfectorale, il peut en modifier les prescriptions pour en imposer de nouvelles. Il a un pouvoir important qui le conduit à aller très avant dans le domaine de la technique.

L'arsenal dont dispose le juge administratif a fait des progrès récents qui peuvent utilement être appliqués dans ce domaine. C'est la réforme des référés. Cela a trait au sujet, mais ce n'est pas le sujet. Je me borne donc à y faire allusion. C'est aussi le pouvoir d'injonction dont dispose le juge pour assurer l'exécution de ses décisions. Cela lui permet d'entrer dans le détail et de préciser aux divers intervenants, les autorités administratives ou les industriels, ce qu'ils doivent faire pour exécuter sa décision.

Le juge pénal a vu son arsenal amélioré avec la responsabilité pénale des personnes morales et, dans les limites que vous connaissez, la responsabilité pénale des collectivités publiques.

Le juge peut contribuer en tant que source de droit et en tant que pouvoir "sanctionnateur" au fonctionnement du mécanisme de prévention des risques industriels.

Quelles sont les occasions qui lui sont données de le faire ? Le juge administratif est juge de la légalité des décisions de l'administration. Je voudrais insister, même si c'est classique et banal, sur un côté un peu moins connu : le juge administratif par ce biais du contrôle de la légalité est également juge du refus de l'administration de modifier ou de rapporter des décisions qui ne sont plus adaptées.

Ceux qui ont qualité pour saisir le juge peuvent lui déférer une décision éventuellement implicite, une décision tacite - et le mécanisme des décisions tacites a été récemment simplifié -, peuvent déférer au juge administratif le refus de l'administration de modifier une décision qui a peut-être été légale au moment où elle a été prise, mais qui en raison du changements de circonstances, ne le serait plus. Dans le changement de circonstances, vous pouvez tout imaginer, y compris par exemple le développement de l'urbanisation autour d'une installation industrielle à risques.

Il y a là la possibilité, après avoir demandé à l'administration d'agir et de s'être heurté à son refus ou à son inertie, de saisir le juge. Si vous y ajoutez le pouvoir d'injonction du juge administratif, vous avez là des possibilités dont l'efficacité n'est pas négligeable.

Quant au juge pénal, le fonctionnement de la juridiction répressive est bien connu et donc, je n'insiste pas sur les conditions dans lesquelles il est saisi et dans lesquelles il intervient, ni sur les sanctions qu'il prononce.

Quant à l'intervention du juge civil, l'affaire de Toulouse a été l'occasion de l'évoquer. Il est le juge de la responsabilité de droit commun et du problème que pose en théorie et que va poser en pratique, dans l'affaire de Toulouse, l'entrecroisement des systèmes de responsabilité. Il y aura des responsabilités civiles associées à des actions pénales, la responsabilité à l'égard des salariés qui étaient occupés sur le site, la responsabilité à l'égard d'éventuels usagers, la responsabilité à l'égard des tiers.

Il y a là une imperfection, sans doute inévitable, du système de responsabilité dans la mesure où pour atteindre toutes les situations, on a été conduit à les diversifier. Dans un sinistre de ce genre où toutes les situations se présentent, il y aura des contradictions entre les divers systèmes de responsabilité qui seront mis en _uvre.

Je ferai deux suggestions, l'une dans le cadre actuel et l'autre d'ambition plus vaste qui serait d'envisager des réformes de plus grande importance.

Dans le cadre actuel, s'agissant des juges, il faudrait renforcer leurs moyens. C'est une antienne que vous connaissez bien, mais en l'occurrence dans ce domaine, elle est indispensable parce que le juge doit pouvoir s'entourer facilement des avis et des conseils techniques car il ne saurait lui-même prendre parti sur des questions aussi difficiles et techniques que celles qui se présentent dans ces matières.

Il faudrait aussi renforcer son arsenal en lui donnant le pouvoir de prononcer des sanctions plus significatives, je veux dire par là en augmentant éventuellement le taux des sanctions qui peuvent être prononcées. On éviterait ainsi les sanctions que certains disent indolores à l'égard de certaines entreprises.

Si l'on essaie d'aller plus loin, je ferai une suggestion qui procède à la fois d'une idée aujourd'hui banale pour ceux qui font profession d'observer le fonctionnement des administrations et qui, en même temps, est empreinte d'une certaine audace.

Cette suggestion rejoint le besoin d'un chef d'orchestre ou la nécessité de renforcer le rôle de l'INERIS et de ses antennes locales. Je me demande si, à l'image de ce qui se fait dans d'autres domaines qui n'ont pas grand-chose à voir avec la prévention des risques industriels, on ne pourrait pas envisager une sorte d'autorité administrative indépendante qui pourrait avoir à sa disposition, car il faut être au contact du terrain, certains services administratifs, les DRIRE par exemple, et qui exercerait des compétences selon une procédure juridictionnalisée. Cela lui donnerait plus de transparence, permettrait peut-être à certains intervenants d'avoir plus facilement accès à cette autorité indépendante qu'à des services administratifs, qui permettrait davantage la diffusion de l'information, qui procéderait par auditions et par enquêtes, qui pourrait avoir à la fois des pouvoirs qui sont ceux de l'administration aujourd'hui et des pouvoirs de pré-contentieux, à l'image de certaines autorités qui ont des pouvoirs d'autorisation, de recours et de contrôle.

C'est une idée un peu audacieuse et l'administration de l'environnement ne paraît pas pour l'instant prête à l'accueillir, mais pourquoi ne pas l'envisager au moins pour les installations les plus importantes ?

M. le Rapporteur : A quoi pensez-vous en comparaison ?

Me Charles-Louis VIER : Comparaison n'est pas raison, spécialement dans ce domaine. L'ART pour les télécommunications est une autorité indépendante qui délivre des autorisations. La commission bancaire, le conseil de la concurrence sont des autorités indépendantes qui exercent un contrôle. Cela n'a rien à voir avec les installations classées, j'en suis conscient, mais c'est peut-être une piste.

M. Paul DHAILLE : Le juge administratif peut donc réformer une décision ou une autorisation compte tenu des changement de circonstances. A titre de premier exemple, vous avez évoqué l'urbanisme. Pouvez-vous nous dire si dans la jurisprudence la modification de l'établissement industriel constitue un changement de circonstances ? La modification, l'adjonction d'une nouvelle ligne de production, un nouveau produit, le changement de produit constituent-ils « un changement de circonstances » ?

Je considère les autorités administratives indépendantes comme un affaiblissement du pouvoir législatif et du contrôle démocratique.

M. le Rapporteur : L'autorité administrative indépendante peut se concevoir si l'on dissocie le pouvoir régalien de l'Etat qui a à prendre les grandes décisions en matière d'autorisations, de normes, de gestion de crise, de la gestion du quotidien. On doit bien différencier la gestion du quotidien de l'application des règles fixées.

On voit bien des règlements de situations de crise, dans d'autres domaines, qui ne se font pas du tout sous le contrôle du législatif, et moins encore de l'exécutif. Des cabinets ministériels en situation de crise, sans légitimité, sont appelés à prendre des décisions. Il faut trouver un juste équilibre entre ce qui revient à l'Etat et ce qui revient à une bonne gestion de notre système de recherche d'expertise et de contrôle et de l'harmonisation entre tout cela.

Ma question porte sur l'articulation entre les autorités judiciaires et les experts techniques.

Le procès du sang contaminé est à ce sujet révélateur. C'est un peu la même chose ici. Sur l'accident de Toulouse, on voit des responsables judiciaires qui font état très rapidement de considérations techniques. Sur quoi s'appuient-ils ? Comment choisissent-ils les experts ?

Comment la justice, elle-même, indépendante, peut-elle s'assurer de l'indépendance des experts ? Y a-t-il une vraie pratique européenne du choix de l'expertise ? Va-t-on chercher un expert dans un autre pays ? Ce serait souvent une bonne chose car cela nous libérerait de certaines contraintes. Que faudrait-il faire pour améliorer cette situation ?

Me Jean-Daniel CHETRIT : J'aurai tendance à dire que, juridiquement, tout existe. C'est peut-être éparpillé. Ça ne satisfait peut-être pas tout le monde, mais tout existe. Ce qui n'existe pas, c'est la façon de le faire vivre.

Par exemple, le maire, peut mettre en _uvre l'information des populations sur les installations classées s'il le veut.

Un autre exemple, les retours d'expérience sur les accidents. Normalement, il y a une obligation d'informer l'administration de tout accident ou incident significatif. C'est dans les textes et ça se fait souvent.

De même, l'industriel effectue la mise à jour et la réalisation des études de danger avec un bureau d'étude choisi en coordination avec l'administration. Qu'en fait-on et comment définit-on les normes ? Tout cela doit vivre car cela existe dans les textes.

Encore un exemple : l'articulation entre urbanisation et installations classées fonctionne-t-elle, ? Mais est-ce la transcription dans les documents d'urbanisme de ce qui a été décidé ou la façon de le décider qui est en cause ?

Comment établit-on les distances de sécurité à un moment ou un autre ? On le fait avec une étude technique réalisée par un bureau d'étude que paie l'exploitant sur la demande de l'administration, on envoie l'étude technique à l'administration qui dit : "je ne veux pas changer ceci ou cela, modifier et refaire des modes de calcul", on arrive à un document que le préfet reçoit de la DRIRE et qu'il adresse à la collectivité territoriale en lui demandant de le transcrire dans le document d'urbanisme. Si l'articulation consiste à accueillir ce qui a été élaboré dans le binôme entre l'industriel et la DRIRE, cela fonctionne. En revanche, il serait intéressant de savoir comment on peut faire vivre les choses autrement dans la définition. J'ai en tête un dossier dans lequel des distances avaient été définies de manière très large par la DRIRE parce qu'elle estimait qu'il fallait vraiment prendre toutes les mesures compte tenu de l'installation telle qu'elle était. Mais, ce faisant, la dernière zone de protection, la zone Z 2, venait empiéter de quelques mètres sur un récent établissement ouvert au public, avec un permis de construire sur lequel la même DRIRE avait naturellement donné son avis deux ou trois ans auparavant. Après une bagarre de relations, de consultations juridiques croisées et de discussions d'expertise, on a fini par imposer à l'exploitant un mur spécial (je n'entrerai pas dans les détails techniques car je ne les connais pas suffisamment) qui a réduit la distance objectivement, scientifiquement et techniquement. C'est le vécu réel des dossiers, ils se négocient et se discutent et les distances se préparent.

Me Christian HUGLO : Je ne suis pas d'accord avec cette idée que tout est parfait, notamment en matière d'information.

Il y a une chose sur laquelle nous pourrions essayer de nous mettre d'accord. En effet, on ne peut pas dire que l'on peut traiter de la même façon des problèmes aussi différents qu'une porcherie, un entrepôt ou une installation à risques par les mêmes structures administratives, la même façon d'élaborer les normes et les mêmes méthodes de contrôle. Ce n'est pas admissible.

Un principe fondamental du droit s'appelle l'égalité et celle-ci consiste à traiter de façon différente des situations différentes et non pas de traiter de la même façon des situations hétérogènes. J'ai l'espoir qu'il sorte de cette commission quelque chose d'original et de spécifique sur les risques.

On a trop tendance à banaliser la législation sur les installations classées et à faire passer dans un régime de déclaration les choses à risques. Or les choses à risques, par définition, ne peuvent pas marcher dans un système de déclaration. C'est inadmissible et c'est bien le fond de l'affaire.

Me Jean-Daniel CHETRIT : Sur un site industriel, il y a de nombreuses installations tantôt soumises à autorisation, tantôt soumises à déclaration. Si on le veut, il y a une jurisprudence univoque du Conseil d'Etat qui parle d'installations composites et qui soumet à la norme la plus sévère, donc à l'autorisation, toutes les installations utilisées sur le site. Il suffit de le faire vivre.

Me Charles-Louis VIER : Précisément, on constate que cela ne vit pas, ou du moins pas comme il le faudrait. C'est donc qu'il doit y avoir une imperfection quelque part, et elle réside notamment dans ce que vient de souligner Me Huglo.

A supposer même que les instruments existent mais qu'ils ne soient pas convenablement ou suffisamment utilisés, cela vient de situations qui sont des rapports de force et qui font que certains instruments qui sont aux mains des collectivités locales ou de l'administration de l'Etat ne sont pas suffisamment utilisés. Il pourrait être intéressant, précisément, de délocaliser ou de donner un peu de recul à ceux qui auraient le pouvoir de prendre des décisions ou d'organiser le processus de décision.

Est-ce que l'évolution de l'établissement peut justifier la saisine du juge ? En fait, soit l'établissement évolue à l'intérieur des limites de son autorisation ou de son dossier de déclaration, auquel cas il n'y a rien à dire, soit il dépasse ce en vue de quoi il avait été autorisé ou ce en vue de quoi il s'est déclaré, auquel cas il y a des contrôles à exercer et des sanctions à prendre. En tout cas, c'est à l'exploitant qu'il appartient de demander une modification de son autorisation.

Je ne pense pas que les autorités administratives indépendantes soient un empiétement sur le pouvoir législatif car elles n'ont pas de pouvoir normatif, en tout cas pas plus qu'on ne peut en reconnaître au pouvoir réglementaire. Je ne pense pas non plus que ce soit un démembrement de l'Etat. Pour le juriste, en effet, une autorité administrative indépendante, c'est l'Etat. D'ailleurs, lorsque la responsabilité d'une autorité de ce type est engagée, c'est la responsabilité de l'Etat qui est mise en cause. Ces autorités n'ont pas de personnalité propre ni de patrimoine et c'est donc l'Etat qui en répond. C'est une autre manière d'être l'Etat.

L'Etat est pluriel, pour employer une expression à la mode. Il a toutes sortes de manières d'être et de s'exercer et il peut être nécessaire qu'il s'organise en entité qui disposent d'une certaine autonomie et d'une certaine latitude. C'est l'Etat, même si ce n'est pas l'Etat dans son organisation hiérarchique avec, à sa tête, le ministre et toute la cascade des services. C'est une forme moderne d'Etat qui répond à certains problèmes.

Enfin, j'en viens aux relations entre le juge et les techniciens. Mes confrères, qui ont plus que moi l'expérience des juridictions du fond, sont certainement mieux à même que moi d'y répondre, mais c'est le pouvoir du juge de choisir ses experts sur des listes a priori composées avec un certain soin. Je signalerai aussi une technique qui est peu utilisée par le juge et à laquelle on donne un nom latin, « l'amicus curiae », qui permet au juge d'auditionner, au cours des débats où est préparé le jugement d'une affaire, un technicien ou une personne qui a une certaine autorité dans son domaine, sur le plan technique ou moral, et de lui demander un avis objectif. Il y a, d'une part, les investigations techniques d'une expertise menée sur le terrain avec tout le soin nécessaire, mais il y a aussi cette possibilité, que devraient utiliser davantage les juridictions, d'entendre des gens qui ont quelque chose d'utile à dire.

M. le Rapporteur : Les listes d'experts sont-elles nationales ?

Me Christian HUGLO : Non, elles sont établies par juridiction, mais rien n'empêche de saisir un expert à la Cour de Cassation et rien n'empêche un juge, s'il le justifie, de choisir une personne qui n'est pas expert sur les listes.

M. le Rapporteur : Des experts venant d'autres pays d'Europe ont-ils été choisis dans des affaires récentes ?

Me Christian HUGLO : Ce n'est pas interdit, mais je ne l'ai pas vu.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que c'est satisfaisant ?

Me Christian HUGLO : Non.

Me Laurent DERUY : On constate une vraie carence, aujourd'hui, en termes d'expertise environnementale. Peut-être est-elle liée au fait que cette matière est très technique et très morcelée. Vous pouvez en effet avoir un grand spécialiste d'hydrogéologie qui ne sera pas pour autant un spécialiste du risque industriel. Il faudrait effectivement renforcer non pas le dispositif législatif mais le nombre et la variété des experts auprès des tribunaux.

M. le Rapporteur : Sur des sujets comme ceux-là, l'évolution vers une expertise collective et contradictoire ne serait-elle pas une solution, d'autant plus qu'aujourd'hui, les experts ont souvent des avis différents sur le même sujet ? Nous le voyons très souvent ici. Est-ce que des « hearing » ne seraient pas la solution innovante pour traiter de problèmes qui sont éminemment complexes et qui sont pluridisciplinaires ?

Me Charles-Louis VIER : En termes d'efficacité et de légitimité, il faut que le dernier mot reste au juge. Je ne pense pas que l'on pourrait se satisfaire de tribunaux de techniciens. Or le risque d'un collège d'experts serait de préjuger, en quelque sorte, avec délibérations et auditions. Ce serait un tribunal technique. L'expert n'intervient pas au nom du peuple français ; seul le juge peut le faire. Tout cela est peut-être un peu abstrait, mais c'est nécessaire à la cohérence du système et ce n'est pas à vous, messieurs, qu'il faut le rappeler. Il faut donc que l'expert reste l'auxiliaire du juge et qu'il ne se substitue pas à lui.

M. le Président : Nous allons clore nos débats, même s'ils ne sont évidemment pas terminés.

Au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier de votre patience et de la grande qualité de vos interventions. J'ajoute que nous serions ravis de recevoir des documents, puisque certains d'entre vous ont proposé d'en laisser. Le secrétariat est à votre disposition pour cela.

Enfin, je n'exclus pas d'approfondir ces questions, en refaisant appel à vous plus tard en ayant davantage de temps. Merci beaucoup, en tout cas, de la grande qualité de vos interventions.

Audition de M. Jean-Louis SCHILANSKY,
Délégué général de l'Union française des industries pétrolières (UFIP),

accompagné de M. Gérard GARDES, Directeur sécurité et logistique

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Jean-Louis Schilansky et Gérard Gardes sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Jean-Louis Schilansky et Gérard Gardes prêtent serment.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Je vous parlerai de l'industrie pétrolière que nous représentons ici, de sa spécificité en matière de sécurité et des progrès qu'il reste à faire.

Nous représentons l'Union française de l'industrie pétrolière, constituée des quatre grands groupes pétroliers opérant en France : British Petroleum, Esso (Exxon Mobil), Shell et TotalFinaElf. Les trois premiers sont des groupes à capitaux étrangers, TFE est le groupe français. Cette union exclut les opérateurs indépendants, les importateurs de pétrole brut et les grandes surfaces. Nous représentons les sociétés pétrolières dites intégrées.

L'industrie pétrolière en France est essentiellement une industrie de raffinage et de distribution. L'exploration et l'extraction de pétrole brut représentent une petite partie de l'activité, soit 1,5 million de tonnes avec essentiellement deux grands opérateurs, TFE et ESSO, la grande partie de l'activité étant consacrée au raffinage du pétrole brut et à la distribution.

En France, la consommation de pétrole brut se situe entre 86 et 88 millions de tonnes. Le raffinage est effectué par 13 raffineries avec deux grands centres de raffinage -les centres de l'étang de Berre et de la Basse-Seine- et des raffineries plus isolées, notamment à Donges, Feyzin, Grand Puits, Rechstett et à Dunkerque.

La présence des deux grands centres est liée à l'accès du pétrole brut par la Méditerranée et par l'Europe du Nord ; les raffineries isolées sont situées sur la côte atlantique. Les deux grands centres de Berre et de la Basse Seine sont non seulement des centres pétroliers, mais sont également liés à la pétrochimie, donc très importants.

La distribution se fait au travers de 16 000 stations-services dont la moitié est rattachée à des opérateurs de l'UFIP, les autres étant pour un quart des indépendants et pour un quart des grandes surfaces opérant sous leur marque d'enseigne.

Près de 280 dépôts dont une centaine de dépôts importants ayant une capacité supérieure à 10 000 m3 servent à alimenter ces stations.

L'industrie pétrolière est une industrie lourde à faible capacité d'emploi : avec les transports, les stations-service, etc., elle emploie environ 100 000 personnes. L'industrie de raffinage et de distribution, représentée par l'UFIP, compte 19 000 personnes, c'est-à-dire une faible quantité de main-d'_uvre.

S'agissant de la sécurité, l'industrie pétrolière est associée dans toutes ses activités à la notion de risque, donc à la notion de sécurité. Qu'il s'agisse d'exploration de pétrole brut, des plates-formes - chacun se souvient de l'accident en mer du Nord sur la plate-forme Piper Alpha il y a quelques années -, de transports maritimes  -avec l'accident de l'Erika -, de raffinage, de distribution, de stations-services, le risque est une préoccupation constante et centrale dans tous nos secteurs d'activité. Compte tenu de la nature des produits que nous manipulons, aucune étape de notre activité n'est dissociée du risque industriel ; du puits de pétrole à la station-service, nous sommes confrontés aux problèmes de sécurité.

Ces problèmes sont assez spécifiques. Je passerai outre l'exploration et la production qui sont des activités relativement réduites en France et je n'évoquerai pas les transports maritimes qui font l'objet d'autres examens. Je me cantonnerai à l'aspect industriel du raffinage et à la distribution sur le territoire français qui présentent quelques grandes caractéristiques.

Nos industries, contrairement à la pharmacie par exemple, manipulent peu de produits ; le risque d'explosion est faible, le risque majeur de notre activité étant par nature l'inflammabilité.

L'autre caractéristique réside dans des stockages extrêmement importants. Nous avons une obligation de stockage stratégique de 95 jours pour satisfaire à la sécurité de l'approvisionnement du pays. Bref, nous avons un petit nombre de produits, inflammables et un volume stocké important.

Les sites majeurs sont peu nombreux : 13 raffineries traitent 6 à 7 millions de tonnes par site et par an. Toutes ces unités industrielles importantes, sauf une, sont installées sur de vastes terrains, ce qui permet généralement de contenir le risque à l'intérieur de l'installation.

Par ailleurs, les process mis en _uvre dans ces unités sont très complexes mais sont relativement standardisés ; seule la taille des unités varie.

Dans ce contexte, quelles sont les actions entreprises en matière de prévention, de partenariat avec les différents acteurs sociaux, d'information des populations proches de nos sites et enfin, quelles sont nos actions en coopération avec les pouvoirs publics et les élus ?

Tous nos sites sont classés SEVESO 2. Au niveau de la méthodologie et des process, nous réalisons des études de danger renforcées qui sont réactualisées tous les cinq ans, et ce, pour tous les sites concernés. Pour ce faire, nous avons établi un guide méthodologique de l'étude des dangers avec l'identification des scénarios majorants etc. bien avant les tragiques accidents. Cela permet de transférer la connaissance, de partager des expériences et des façons de faire.

Par ailleurs, dans le cadre de la réglementation, nous sommes amenés à établir des POI (plans d'opération interne). Pour les établir, nous avons mis au point des guides méthodologiques par l'intermédiaire du GESIP (groupe d'études de sécurité des industries pétrolières). Nous n'avons pas laissé chaque unité établir son propre plan. C'est un effort de conceptualisation et de transfert de connaissances que nous avons entrepris et qui s'inscrit dans le cadre réglementaire.

Au niveau de l'organisation, dans toutes les unités, en particulier les unités de raffinage, des services d'inspection structurés, sous la direction d'un responsable de l'inspection des unités, rapportent directement au directeur de la raffinerie. Cinq à six inspecteurs par unité ont pour tâche essentielle d'inspecter les installations, de vérifier la conformité et de s'assurer qu'il n'y a pas de déficience. Une centaine d'inspecteurs sont attachés à cette tâche sur le territoire pour l'ensemble de notre industrie.

Par ailleurs, les groupes pétroliers ont mis en place des ingénieurs sécurité chargés de mettre en place des processus de sécurité à l'intérieur des unités.

S'agissant des exercices et de l'entraînement de notre personnel, nous utilisons le groupe GESIP fondé en 1953. Ce groupe emploie sept ou huit permanents chargés de mettre en place des exercices pour entraîner nos personnels aux questions de sécurité. C'est le seul organisme en France qui procède à des exercices sur feu réel d'installations.

S'agissant des relations avec partenaires sociaux et des syndicats, nous avons mis en place dès 1995 un accord de sécurité qui a été signé par les entreprises et toutes les fédérations syndicales. Cet accord définit les modalités de travail en commun sur ces problèmes de sécurité, depuis la formation, le fonctionnement des CHSCT et certains aspects organisationnels.

Cet accord de sécurité, qui nous paraît essentiel, est revu annuellement, en coopération avec les syndicats, pour examiner son application. En début de cette année, nous avions décidé de le remettre à plat, bien avant l'accident de Toulouse, et de retravailler avec les syndicats pour en effectuer la mise à jour.

Pour l'information des populations avoisinantes de nos sites, et en conformité avec la réglementation SEVESO, nous avons rédigé des plaquettes locales d'information. Dans toute la mesure du possible, à l'initiative des directeurs locaux, nous avons fait des opérations portes ouvertes de sites industriels.

Enfin, en matière de coopération avec l'administration et les élus, nous participons aux travaux de l'association nationale des communes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (ANCMRTM) et aux travaux des préfectures (SPPPI), et nous travaillons en permanence avec les DRIRE pour l'inspection des appareils à pression et pour tout ce qui relève des aspects de sécurité. Nous opérons strictement dans le cadre réglementaire et du travail en commun avec l'administration.

Pour terminer, je ferai quelques observations. Il nous semble qu'il y a beaucoup de réglementations en matière de sécurité et nous avons du mal à nous tenir à jour et à les appliquer correctement.

La sécurité à l'extérieur des installations, c'est d'abord la sécurité à l'intérieur, et cela relève de notre responsabilité.

Enfin, la sécurité est l'affaire de tous, tout le temps, partout. Ce n'est pas seulement une fois, c'est un état d'esprit. C'est non seulement une affaire de réglementation, mais aussi une affaire de comportement.

En conclusion, c'est la responsabilité des directeurs d'usine et d'unités de faire que la sécurité soit la priorité dans leurs propres installations. Les sociétés pétrolières s'y sont attachées depuis longtemps et c'est un travail que nous continuons.

M. le Rapporteur : Combien d'accidents les industries pétrolières ont-elles subis dans les dernières années ? J'entends accidents, incidents ou quasi-accidents.

Lors de ces accidents, y a-t-il eu des morts d'hommes, des pollutions importantes ?

Que faites-vous pour vous prémunir contre les agressions extérieures ?

Vous avez dit que le risque le plus important était l'incendie. Quand on voit des stockages proches les uns des autres, avez-vous étudié l'effet domino ? Un incendie sur une cuve de stockage ne peut-il pas entraîner un incendie sur une autre cuve ?

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Je n'ai pas les statistiques d'accidents. Une mort d'homme s'est produite en début d'année dans l'une des raffineries. Le dernier accident majeur est l'incendie de la raffinerie Total de La Mède qui doit passer en justice dans les prochaines semaines. Le suivi, pour chaque entreprise et chaque installation, ses accidents majeurs et mineurs ainsi que des presque accidents, traduit une amélioration considérable de la sécurité.

M. le Rapporteur : Les incidents, accidents, presque accidents sont obligatoirement déclarés chez vous à l'UFIP ?

M. Jean-Louis SCHILANSKY - Oui.

M. le Rapporteur : Pourrait-on avoir cette liste sur les dernières années ?

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Nous avons les déclarations d'accidents ayant ou non entraîné un arrêt de travail.

M. le Rapporteur : Certains experts nous ont dit que les quasi-accidents ne sont généralement pas déclarés, ce qui signifie que l'on ne peut donc pas travailler sur la sécurité.

Vous dites que la déclaration est obligatoire chez vous. On vous demandera donc officiellement de nous transmettre la liste des quasi-accidents et accidents au cours des dernières années.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Très bien. Nous pouvons vous donner une statistique tenue depuis de très nombreuses années sur le nombre et la fréquence d'accidents déclarés.

M. Gérard GARDES : La fréquence moyenne d'accidents déclarés ayant entraîné un arrêt de travail pour 1 million d'heures travaillées doit être de vingt dans l'ensemble de l'industrie française en 1999, alors que pour l'UFIP, nous sommes à 2,1 en 2000. Ce chiffre de vingt doit être vérifié s'agissant d'une moyenne nationale qui ne nous intéresse pas directement, mais c'est l'ordre de grandeur.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Il y a eu une décroissance extraordinaire de notre taux d'accidents déclarés dans les dernières années. Dès lors que ce taux est atteint, il est très difficile de faire mieux.

Chaque entreprise a une méthodologie de suivi d'accident, qu'il s'agisse des accidents déclarés, des accidents où il y a une restriction de travail, ou des quasi-accidents. La plupart des entreprises suivent les trois catégories.

Pour ce qui est des accidents déclarés, ayant ou n'ayant pas entraîné d'arrêt de travail, nous avons cette information pour toutes les entreprises et nous pourrons vous la donner.

M. Claude BILLARD : Vous avez abordé dans votre exposé les dispositions prises en matière de prévention et vous avez évoqué l'accord de sécurité de 1995 signé avec l'ensemble des organisations syndicales.

Les questions de formation liée à la sécurité figurent-elles dans cet accord ? Si c'est le cas, quel pourcentage le temps de formation à la sécurité représente-t-il par rapport au temps de travail ?

M. Jean-Louis SCHILANSKY : La formation a constitué le premier chapitre de l'accord sécurité que nous avons signé avec les organisations syndicales. C'est le point fondamental.

Je n'ai pas en tête le pourcentage de formation lié à la sécurité, mais nous pourrons vous le communiquer.

M. Paul DHAILLE : Vous dites qu'en France, le nombre des sites pétroliers est réduit. Pouvez-vous nous communiquer la date d'installation de ces 13 sites ainsi que leur position dans leur environnement le jour de leur création et aujourd'hui afin de juger de l'évolution de l'urbanisation par rapports aux sites pétroliers ?

Concernant les dépôts, vous en avez cité deux types.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Je ne vous ai pas donné de types, mais des ordres de grandeur ; il n'y a pas de classification officielle.

M. Paul DHAILLE : Leur répartition est-elle géographique ou liée à une limitation des volumes de stockage pour des problèmes de sécurité ?

M. Gérard GARDES : Les 280 dépôts en France sont de tailles assez diverses ; certains ont une capacité à contenir des produits du type essence supérieure à 10 000 m3, ce qui les fait rentrer en catégorie SEVESO 2. Une large majorité de nos dépôts sont classés SEVESO soit parce qu'ils nécessitent des autorisations, soit parce qu'ils sont classés SEVESO 1 au niveau le plus haut.

Ces dépôts sont répartis assez harmonieusement sur l'ensemble du territoire français avec une forte concentration de dépôts en région parisienne. Si votre souci est l'urbanisation autour des dépôts, il est vrai que l'urbanisation s'est rapprochée.

M. Paul DHAILLE : On peut donc dire qu'il y a une répartition géographique, mais que cependant, la quantité de produits pétroliers stockés les fait relever d'une réglementation SEVESO 1 ou SEVESO 2.

Vous avez dit qu'il y avait cinq à six inspecteurs par unité, soit une centaine d'inspecteurs en France. De qui dépendent-ils ?

M. Jean-Louis SCHILANSKY : De nous. Nous les formons spécialement et nous les diplômons.

M. Paul DHAILLE : Ces 100 inspecteurs sont chargés de la sécurité sur les différents sites. Y a-t-il régulièrement, pour ces 100 inspecteurs, des réunions nationales qui donneraient lieu à des échanges d'expérience ?

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Je me suis mal exprimé. Ils sont affectés par site ; ils ne constituent pas un corps d'inspecteurs de l'industrie. Ils dépendent de chaque unité, chaque compagnie les forme et s'assure qu'ils sont compétents, comme elles le font pour les salariés. Cela vous donne une idée des ressources que la profession consacre à ce sujet.

M. Paul DHAILLE : Je maintiens ma question. Au fur et à mesure de vos réponses, cela me paraît intéressant.

Dans les premiers échanges que nous avons eus, nous avons vu que les problèmes de sécurité peuvent évoluer avec des retours d'expérience. Ces 100 inspecteurs, bien que dépendant de compagnies différentes, mettent-ils en commun leurs expériences dans le domaine de la sécurité ou gardent-ils leur propre savoir pour eux-mêmes ?

M. le Président : Sont-ils payés par vous ou sont-ils les employés des compagnies ? Vous avez dit qu'ils dépendent de vous.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Quand je dis qu'ils dépendent de nous, j'entends par là la profession. Ce ne sont pas des inspecteurs de la fonction publique.

M. Gérard GARDES : Selon la taille des sites, leur nombre va de 7 à 8 inspecteurs qui sont affectés à l'inspection d'un site particulier. Il est important qu'ils aient une connaissance approfondie de chacun des appareils. Ces gens sont affectés pendant des périodes assez longues sur chacun des sites pour qu'ils s'imprègnent bien du fonctionnement de chaque équipement.

Le service inspection est directement rattaché au directeur du site pour avoir une indépendance complète vis-à-vis de leurs collègues chargés de la maintenance, ce qui leur permet de donner à ces derniers des recommandations pour faire certaines opérations de maintenance.

Les inspecteurs définissent les fréquences d'arrêt et tiennent à jour des plans d'inspection en fonction du type d'équipement et de leur utilisation.

Une analyse assez poussée est faite par ces services d'inspection qui se sont vu attribuer le titre de « service d'inspection reconnu » ; terme réglementaire signifiant qu'ils correspondent à un certain type d'organisation et qu'ils mettent en place des plans d'inspection d'un certain type qui leur permettent de suivre et de garantir la pérennité des installations. Voilà pour leur fonctionnement.

Les inspecteurs participent à des réunions de plusieurs types. Les organisations professionnelles réunissent les chefs inspecteurs, soit un homme par groupe, tous les deux à trois mois environ.

Ensuite, de façon plus formelle, le retour d'expérience est organisé au cours des journées GEMER (groupe d'étude des matériaux en raffinerie). Nous réunissons la plupart des inspecteurs sur un site industriel. L'administration est en général invitée. Ces deux jours sont consacrés à des échanges dont le contenu est enregistré sur des CD, ce qui nous permet d'avoir l'historique de tous ces échanges depuis une vingtaine d'années. Cela constitue donc un retour d'expérience assez important en matière d'équipement et de matériel.

M. Michel VAXES : On sait que pour l'industrie de l'énergie et du nucléaire en particulier, les protocoles, l'étude des dangers et les cahiers des charges sont extrêmement précis. Il est vrai que dans cette industrie, relativement peu d'accidents se produisent. Une collaboration à l'échelle internationale de tous les acteurs de cette production est organisée.

Au niveau du pétrole, la coopération existe-t-elle à l'échelon international sur les questions de risques ? Des cahiers des charges sont-ils élaborés entre les différents acteurs de la filière à cette échelle ?

Vous avez indiqué que la réglementation est suffisante - je le crois aussi -, mais le problème vient de son application. Quelles sont pour vous les difficultés d'application de la réglementation ? De quelle façon imaginez-vous qu'elle puisse être améliorée ?

Vous avez évoqué l'incident de La Mède. Il serait intéressant de nous dire les enseignements que vous en tirez.

D'autre part, vous avez évoqué les déclarations d'accidents. Vous indiquez que seuls les événements ayant donné lieu à des accidents sont inventoriés et connus alors que l'incident l'est beaucoup moins. Or, on peut se trouver dans des situations où l'accident n'est pas prémonitoire d'un risque potentiel, mais où l'incident peut se multiplier et être révélateur de problèmes liés à la maintenance des sites ?

J'ai lu un rapport sur les questions de maintenance dans l'industrie du raffinage. L'articulation entre le moment où le produit est livré et le moment où il est reçu par l'entreprise révèle des insuffisances sérieuses pouvant provoquer des risques importants.

M. André VAUCHEZ : Dans l'échelle des risques, vous avez les risques liés aux fuites, aux incendies - vous avez évoqué l'inflammabilité de vos produits - et les risques liés à l'explosion.

Dans les deux premiers cas, quand l'accident survient, une maîtrise du risque est possible avec le PPI, le POI. Dans le cas de l'explosion, il n'y a pas de POI, pas de PPI car les conséquences sont instantanées. Avez-vous eu affaire à des explosions de vos produits ? Vos produits non explosifs au départ peuvent-ils le devenir s'il y a combinaison ?

Mme Michèle RIVASI : Dans le cadre de la Commission Énergie, nous avions auditionné M. Jaffret alors qu'il était directeur d'ELF. Il nous disait qu'il y avait trop de raffineries en France. Pouvez-vous nous indiquer votre estimation sur les raffineries en surnombre ?

Il disait que certaines raffineries n'étaient pas aux normes. Pouvez-vous nous indiquer lesquelles ? De plus, il voulait à l'époque une aide de l'Etat pour la remise aux normes des raffineries.

Le terme d'inspecteur utilisé dans vos services est peut-être inapproprié. Pour nous, ce sont plutôt des gens qui dépendent de l'Etat. Or, ce sont des services de sécurité internes à vos structures industrielles. Lorsque ces services de sécurité observent des défauts de maintenance ou des problèmes dans l'installation elle-même, cela donne-t-il lieu à des procès verbaux ? En tant que délégué-général de l'Union française des industries pétrolières, avez-vous un retour sur les dysfonctionnements.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Je ne peux pas laisser dire que des raffineries ne sont pas aux normes. M. Jaffret voulait sans doute dire que certaines raffineries en France n'étaient pas compétitives. Effectivement, des fermetures de raffineries se sont produites au cours des dernières années.

Ce n'est pas spécifique à la France, c'est un phénomène européen et mondial. M. Jaffret évoquait sans doute les raffineries qui n'étaient pas capables de fabriquer des produits répondant aux nouvelles normes de l'environnement, notamment aux teneurs en soufre, en plomb, etc., et qui devenaient par conséquent vulnérables par rapport à un problème de fermeture. Je n'imagine pas un seul instant qu'il ait pu évoquer les problèmes de sécurité.

Tout à l'heure, j'ai dit que nous avions la liste des accidents déclarés. Nous avons les accidents déclarés à l'intérieur de l'UFIP, mais chaque société a son propre système d'information sur les accidents déclarés donnant lieu à arrêt de travail, les accidents sans arrêt de travail et les presque accidents. C'est une pratique courante de chaque société d'industrie.

L'UFIP n'est pas actionnaire des ces sociétés qui ont chacune leur politique. Chaque société recense et analyse ses propres accidents dans son propre système d'information. L'UFIP dispose des statistiques agrégées que nous vous donnerons, notamment concernant les accidents avec arrêt de travail dans la mesure où les sociétés nous les donnent.

M. le Rapporteur : L'UFIP a-t-elle connaissance de tous les accidents et quasi-accidents ?

M. Gérard GARDES : Oui, nous avons les accidents déclarés avec arrêt et sans arrêt, mais nous n'avons pas les informations sur les presque incidents qui sont de la responsabilité des directeurs locaux.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Concernant les échanges de savoirs et le transfert de connaissances, les grandes sociétés qui opèrent en France, et notamment les sociétés anglo-saxonnes, échangent intensément leur expérience en matière de sécurité. C'est un domaine clé dans lequel des coordinateurs européens et mondiaux échangent tout ce qui se passe en matière de sécurité dans tous les sites au monde. C'est une industrie dans laquelle l'échange international d'informations est très vif.

Sur le risque d'explosion, il est vrai que nos produits sont inflammables et que dans certaines circonstances extrêmement particulières, il peut y avoir des explosions, notamment quand des produits gazeux sont mis en cause. Dans l'accident de La Mède, c'est une fuite de produits gazeux qui était la cause de ce terrible accident.

C'est extrêmement rare, mais cela peut arriver.

M. le Rapporteur : Je voudrais que vous nous communiquiez les statistiques sur les accidents avec arrêt de travail et sans arrêt de travail, les conséquences en termes de dommages aux personnes (morts d'homme, blessures, pollution, etc.).

Je souhaiterais que vous nous communiquiez vos études sur les risques, l'effet domino en cas d'explosion comme à La Mède sur les stockages voisins.

Vous nous avez dit avoir un guide méthodologique des études de danger. Nous souhaiterions l'avoir.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Oui.

M. Paul DHAILLE : Il n'y a pas seulement le personnel des raffineries qui intervient, il y a aussi le personnel des sous-traitants.

M. Jean-Louis SCHILANSKY : Au niveau de la formation comme des statistiques, nous avons des procédures identiques pour les personnels de sous-traitants et nos propres personnels. Nous formons nos sous-traitants à la sécurité et nous tenons les statistiques de sécurité pour les sous-traitants qui interviennent dans nos installations.

M. Michel VAXES : Sur la question de la réglementation qui serait suffisante et de l'application qui serait difficile, il faudrait que nous sachions quelles sont, de votre point de vue, les difficultés d'application ?

M. Jean-Louis SCHILANSKY : J'aurais du mal à vous répondre ex abrupto. C'est un feed-back qui nous vient constamment. Nous pourrons vous en communiquer quelques exemples.

Audition de M. René DELEUZE,
Président de l'Union des industries chimiques (UIC),
accompagné de M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN,
Directeur du département technique

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. René Deleuze et Jean-Pierre Uytterhaegen sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. René Deleuze et Jean-Pierre Uytterhaegen prêtent serment.

M. le Président : A l'expérience de l'audition précédente, je vous demande d'être extrêmement brefs dans votre présentation initiale. Nous voudrions vous poser des questions précises et mes collègues en ont de nombreuses à vous poser.

Nous aurons sûrement à la fin de cette audition des questions non résolues pour lesquelles nous vous serions reconnaissants de bien vouloir répondre par écrit et d'envoyer les documents qui nous permettraient de mieux comprendre les réponses aux questions restées en suspens.

M. René DELEUZE : Je ferai un exposé rapide à l'aide de transparents. Nous avons aussi prévu de nombreux documents qui répondront à un certain nombre de vos questions.

L'industrie chimique française compte 1 200 entreprises de plus de 20 salariés et autant d'entreprises de moins de 20 personnes, c'est-à-dire 240 000 salariés au total, soit 8,2 % des salariés de l'industrie. Le chiffre d'affaires est de 520 milliards de francs, soit 80 milliards d'euros. Elle occupe le quatrième rang mondial après les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne ; elle est deuxième en Europe. 60 % des ventes se font à l'exportation, ce qui la situe au troisième rang des exportateurs mondiaux de produits chimiques, après l'Allemagne et les Etats-Unis. 50 % du chiffre d'affaires est le fait de sociétés filiales de groupes étrangers, les grandes entreprises françaises étant elles-mêmes très implantées à l'étranger.

C'est une industrie très internationalisée, très « multinationalisée » avec de fortes imbrications des cultures, notamment de la culture de prévention du risque, de l'hygiène, de la sécurité et de la protection de l'environnement qui est le thème de ce soir.

Les produits chimiques présentent dans leur grande majorité des dangers, soit pour l'homme (brûlures, irritations quelquefois cancérigènes, quelquefois mutagènes), soit pour la nature (pollution des eaux et de l'air, effet de serre, ozone). Il y a des risques en cas d'expositions lors de la production, de la manipulation, du transport ou de l'utilisation.

Couramment, on confond danger et risque. Les produits sont intrinsèquement dangereux, mais ils ne présentent de risques qu'en cas d'exposition non contrôlée. Cette notion est très importante.

En même temps que l'industrie chimique se développait, on a développé une vraie culture de prévention des risques qui est le souci prioritaire de tout industriel de la chimie, mais aussi des utilisateurs de produits chimiques. C'est ainsi qu'à l'échelon mondial s'est développée depuis la fin des années 80 au sein de toutes les sociétés de l'industrie chimique, partant du Canada, le concept de « responsible care », qui est l'engagement volontaire de la société à améliorer de façon continue la sécurité, la protection de la santé et de l'environnement. La traduction française en est "l'engagement de progrès".

Je vous remettrai la brochure sur l'engagement de progrès qui est formalisé, signé par le président de la société qui engage sa société sur neuf principes tels que le respect des dispositions réglementaires, l'information complète du personnel, la communication claire de toutes les informations nécessaires au client, etc. Ces principes incluent non seulement les aspects sites de production, y compris économie des matières premières, mais aussi les aspects produits commercialisés, information des clients et des transporteurs.

Cet engagement n'est pas un vain mot ; il a un écho important à l'échelon mondial, et particulièrement dans les pays de l'OCDE (Etats-Unis, Japon, Europe, Australie, etc.). Toutes les grandes entreprises l'ont adopté, mais la démarche est plus difficile pour des PME qui sont moins structurées que les grandes entreprises. Nous avons lancé une assistance des PME par les experts des grands groupes il y a un an et demi et un certain nombre de PME commencent à rejoindre cet engagement.

Les performances des sites dans le domaine de la sécurité et dans le domaine des émissions sont suivies régulièrement. Pour la troisième fois, nous faisons une enquête annuelle auprès des établissements volontaires. 750 établissements ont répondu à notre enquête pour l'année 2000, ce qui représente 90 % des effectifs. De cette enquête, sont extraits un certain nombre de résultats que vous retrouverez dans la brochure.

Sur le plan des accidents, l'industrie chimique est la plus performante de toutes les industries avec une « accidentabilité » égale à la moitié de la moyenne de l'ensemble des branches d'activité. Les sociétés en engagement de progrès sont encore bien meilleures que la moyenne de l'industrie chimique avec un taux de fréquence des accidents de l'ordre de 7,4 alors que la moyenne de l'industrie est de 24.

M. le Président : Dans l'industrie du pétrole, ils en sont à deux !

M. le Rapporteur : Vous êtes le deuxième à nous dire que vous êtes les meilleurs !

M. René DELEUZE : Les grandes entreprises de la chimie sont en général très bonnes. Le taux de 2 est très bas ; on trouve le taux de 3 à 3,5 dans les grandes entreprises. L'entreprise championne du monde de la sécurité est DuPont, dont beaucoup d'usines sont autour de zéro.

M. le Président : Vous venez de DuPont ?

M. René DELEUZE : Non, j'étais chez Elf-Atochem où certaines usines ont des taux de zéro également.

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Les chiffres officiels de la Caisse nationale d'assurance maladie regroupent la chimie, le pétrole et la pharmacie et effectivement, les pétroliers sont meilleurs que les chimistes.

M. le Rapporteur : Dans le document Risques industriels du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, la chimie vient en tête des différents secteurs pour le nombre d'accidents industriels en 1998.

M. René DELEUZE : L'industrie chimique est très concernée par les sites SEVESO puisque 40 % des sites classés haut risque lui reviennent.

Concernant les applications des réglementations, tous les sites appliquent les réglementations relatives aux installations classées.

Il y a les réglementations issues de la loi de 1976, modifiée par un décret de septembre 1977, largement modifiée depuis par la directive SEVESO 2 de décembre 1996 qui a été transposée en 2000 en France. Cela implique donc le réexamen des études de danger tous les cinq ans, la prévention des effets dominos, les POI, les éléments pour les PPI et les systèmes de gestion de sécurité qui sont des pratiques très courantes de tous les sites de la chimie.

Il est plus intéressant pour vous de savoir ce que font les entreprises fédérées dans l'Union des industries chimiques pour aider les adhérents.

Au plan technique, nous avons une réglementation très complexe. Elle comprend une transposition des directives SEVESO, les transpositions de quatre règlements et directives relatifs au contrôle des substances chimiques, la réglementation des appareils à pression, etc. La densité et la complexité des textes officiels a amené l'organisation professionnelle à éditer des guides méthodologiques de lecture et de mise en _uvre de la réglementation ; guides qui sont régulièrement mis à jour. Les dernières mises à jour datent de septembre 2001. Il s'agit du guide de lecture de la transposition de la directive SEVESO 2.

Nous avons aussi édité un guide de lecture de l'arrêté de février 1998. En décembre 2000, nous avons sorti un guide de mise en _uvre de l'engagement de progrès, dont le management de la sécurité.

Bien entendu, dans les années précédentes, de nombreux documents d'explications sur les directives ont été produits pour que nos industriels puissent les appliquer. J'insiste vivement : nous avons une réglementation extrêmement complexe. Chaque fois que l'on fait des textes nouveaux, ils se surajoutent à des textes existants. On ne prend jamais la peine de faire le toilettage ou la synthèse pour aider les utilisateurs. Nous sommes donc obligés de faire tout ce travail pour aider nos industriels.

Toujours sur le plan technique, des groupes d'experts industriels travaillent pour permettre à l'UIC d'éditer des documents d'aide à l'analyse de risques, de management de la sécurité, etc. Par ailleurs, nous avons périodiquement des réunions d'experts sur le thème du retour d'expérience, en particulier quand il y a eu accident ou incident important.

Sur l'implication des salariés, nous avons en 1992 passé un accord avec les organisations syndicales, accord signé par quatre des cinq organisations et étendu par le ministère du travail. Cet accord a trait aux conditions de travail et de sécurité, dont la formation à la sécurité, aussi bien pour les salariés - la chimie investit de 4 à 5 % de la masse salariale pour la formation- que pour les entreprises sous-traitantes.

Cet accord a d'ailleurs fait l'objet d'un état des lieux. On a regardé en 1996 comment cela avait fonctionné avec les organisations syndicales. Nous avons décidé en septembre d'actualiser cet accord avec les organisations syndicales et de revoir en particulier les implications des CHSCT dans les évaluations des risques et dans l'engagement de progrès.

L'information des populations est multiforme : elle vient des industriels, des enquêtes publiques, des journées « Portes ouvertes ». Certaines sociétés ont lancé depuis très longtemps déjà des comités consultatifs de riverains. L'information vient aussi de l'administration via les PPI.

Cela dit, en matière d'information, nous savons tous que ce n'est pas facile, que l'on en reçoit beaucoup trop, mais que cette information n'est pas assez synthétique. Elle est d'autant plus efficace que les citoyens qui la reçoivent ont un minimum de culture industrielle, et même de culture du risque. C'est la raison pour laquelle les salariés sont un vecteur privilégié de l'information, surtout quand ils sont élus, membres d'associations de pêche, de chasse, etc.

M. le Rapporteur : Je poserai la même question qu'à vos prédécesseurs. L'UIC est-elle régulièrement destinataire de la totalité des incidents, quasi-accidents, accidents avec blessure, mort d'homme ou incapacité de travail ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : L'UIC ne peut être destinataire que des informations venant de ses propres adhérents.

M. le Rapporteur : Les avez-vous ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Une commission « sécurité industrielle » se réunit tous les deux mois et fait le point des incidents ou accidents qui ont pu avoir lieu dans l'espace de temps écoulé.

Il y a deux sources d'information statistiques. L'une émane du ministère du travail pour les statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie en matière de taux de fréquence et de taux de gravité des accidents, l'autre du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement (MATE) qui a créé un organisme : le Bureau d'analyse des risques et des pollutions industrielles (BARPI) pour répertorier tous les incidents transmis par les industriels.

Dans le cadre des sites SEVESO, tout incident qui aurait pu avoir des conséquences sortant de l'enceinte de l'établissement doit être répertorié.

Mme Michèle RIVASI : Y a-t-il obligation de communiquer l'information ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Oui.

M. le Rapporteur : Vous, avez-vous obtenu l'information sur tous les accidents ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Ceux qui nous remontent, nous les avons !

M. le Président : Vous ne répondez pas à la question qui est très précise.

M. le Rapporteur : Avez-vous communication pour vos adhérents de la totalité des accidents, incidents à partir du moment où il y a arrêt de travail ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : A partir du moment où il y a arrêt de travail ? Certainement pas car cela reste au niveau de l'établissement et cela remonte au niveau de la société.

M. le Rapporteur : De quel type d'information avez-vous communication ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Nous avons communication du nombre d'accidents du travail avec arrêt. C'est l'objet précis de l'enquête qui sert de base à la rédaction du dépliant annuel.

M. Jacques PELISSARD : Dans l'industrie nucléaire existe une échelle de risques. Existe-t-il pour l'industrie chimique une échelle de risques qui permettrait de classifier les dysfonctionnements allant de l'incident ne nécessitant pas l'intervention de la médecine du travail au risque industriel grave ?

M. le Rapporteur : Des experts nous ont indiqué que dans l'industrie chimique, il n'y avait pas de retour d'expérience, c'est-à-dire que les quasi-accidents ou les incidents ne remontaient pas tous. On veut savoir s'ils remontent à l'UIC et s'il y a une commission chargée de les traiter.

Certaines personnes qui suivent l'industrie chimique nous ont dit qu'il y a une transgression courante des règles avec connaissance du plus bas de l'échelon au plus haut de l'échelon. Nous voulons savoir si c'est vrai ou pas.

Avez-vous connaissance des incidents ? Vous avez dit "oui". Nous souhaiterions obtenir les doubles des informations qui vous sont remontées depuis 1998.

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Il y a deux formes de remontées qui concernent soit les accidents de personnes, soit les accidents industriels, qui n'impliquent pas forcément des accidents de personnes.

Pour les accidents de personnes, c'est-à-dire les accidents du travail, les remontées sont faites à la fois officiellement par la CNAM pour la branche qui nous concerne et à travers notre enquête pour les 755 établissements qui ont répondu cette année sur les 1 050 interrogés.

Pour les accidents industriels, la commission sécurité industrielle, lors de chacune de ses cinq réunions annuelles, fait un tour de table des incidents. C'est transcrit au procès verbal sans qu'il y ait une formalisation des incidents ou accidents un à un. Il n'y a pas d'échelle de risque officielle.

Mme Michèle RIVASI : Un point assez capital vis-à-vis de l'information : je vous ai demandé tout à l'heure s'il y avait obligation d'information. Vous venez de dire que lors de votre commission sécurité industrielle, vous faites un tour de table pour connaître les incidents ou les accidents qui se sont produits.

Je me situe au plan français : tous les industriels font-ils partie de votre association ?

M. René DELEUZE : Non.

Mme Michèle RIVASI : Il est important que nous puissions avoir un organisme qui recense tous les incidents ou accidents.

Notre deuxième interrogation porte sur la typologie des accidents ou des incidents. Vous dites que vous êtes informés par la CNAM des accidents de personnes. Y a-t-il une typologie d'incident ? Quand va-t-on dire qu'il y a incident ou pas ?

Il y a des incidents susceptibles d'entraîner un accident et des incidents qui sont des épiphénomènes. Comment la commission "sécurité industrielle" matérialise-t-elle la gravité ou la non-gravité de l'incident ? C'est important par rapport au retour d'expérience.

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Il n'y a pas de matérialisation formalisée. Chaque société nous transmet ce qu'elle considère comme étant un incident.

Je crains de m'être mal exprimé et je souhaiterais ajouter à mes propos qu'il n'y a pas obligation d'être adhérent de l'UIC. D'autre part, l'engagement de progrès est un acte volontaire ; ce n'est pas directement lié. Nous ne pouvons donc pas dire que nous avons connaissance de l'ensemble des accidents et incidents. De toute façon, il y a pas d'obligation émanant de l'UIC.

M. le Président : Nous savons que vous ne pouvez pas être responsables des entreprises, mais nous essayons de comprendre comment le retour d'expérience est organisé dans la profession.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas de retour d'expérience !

M. René DELEUZE : Il faut considérer deux niveaux : celui de l'entreprise et celui de la fédération. Je suppose que vous allez interroger des gens d'entreprise. Je peux vous dire que chez Elf Atochem, il y avait des retours d'expérience systématiques avec des analyses d'accident etc. Cela se fait d'ailleurs avec les CHSCT centraux ou avec les commissions de sécurité du CCE. Il y a forcément des choses comme cela.

M. André VAUCHEZ : En matière d'industrie chimique, il semblerait que le plus grand risque encouru soit l'explosion avec des conséquences immédiates, des dégâts subis, qui mettent à bas le PPI et le POI.

Qui évalue l'échelle des risques pour une unité de production de stockage existante ? Qui le fait pour une nouvelle unité ?

Quel est le rôle précis de la DRIRE dans ce schéma ?

Quand une création nouvelle s'opère, stockage ou unité de production, il semblerait que le comité départemental d'hygiène ait une compétence en matière d'examen. Il donne un avis au préfet. Pensez-vous que cette instance soit suffisante maintenant devant la complexité des problèmes ?

M. Pierre COHEN : J'ai l'impression que l'étude des dangers qui vous est demandée par la DRIRE est, pour une industrie, la base de la définition des risques et de tous les dispositifs qui en découlent.

J'aimerais savoir précisément si cette étude de danger est entièrement faite par l'industriel lui-même avec ses propres moyens, la DRIRE ne faisant plus qu'un contrôle de cette étude. Vu de l'extérieur, on aurait alors l'impression que le point de départ, l'étude des dangers, est dans la main des gens qui seraient juge et partie.

Je pense à cela parce que j'ai été très marqué par le problème toulousain, étant élu d'une commune proche de la plate-forme chimique. On nous a beaucoup parlé de danger, on nous a beaucoup sensibilisé autour du phosgène et d'autres produits. On avait pratiquement une culture de non-risque du nitrate d'ammonium.

Je prends cet exemple pour vous demander si l'étude de danger est entièrement établie par l'industriel et si l'on peut donc passer à côté des dangers qui n'ont pas été perçus par l'industriel, mais qui existent réellement ?

M. Michel VAXES : De plus en plus, dans l'industrie, un certain nombre de fonctions sont externalisées. Il est fait recours à des entreprises extérieures qui sont chargées, non pas de tâches à caractère administratif, mais quelquefois de tâches qui relèvent de procédés industriels.

Quelle est votre opinion ? N'y a-t-il pas un risque de déperdition de la connaissance en matière de maîtrise du risque ? Des garanties sont-elles prises de ce point de vue et lesquelles ? Des améliorations sont-elles possibles ou pas ?

Incidemment, cela pose la question de la sous-traitance, avec la difficulté pour le donneur d'ordre de pouvoir maîtriser l'ensemble des personnels qui sont les employés de cette entreprise sous-traitante.

Vous avez indiqué vous-mêmes -cela revient et cela reviendra jusqu'au bout de la commission d'enquête- la richesse ou la profusion de textes réglementaires. Tout le monde s'accorde à dire qu'il y en a suffisamment. Tout le monde dit aussi que les difficultés viennent de leur application.

Quelle est votre opinion sur ces difficultés d'application ? Quelle en est la nature ? Qu'est-ce que qui pourrait être fait pour obtenir une amélioration de l'application des obligations réglementaires ?

M. Claude BILLARD : S'agissant des retours d'expérience, au niveau d'un groupe comprenant plusieurs entreprises, les CHSCT existent au niveau des comités d'entreprise et d'établissement, mais pas au niveau d'un comité central d'entreprise (CCE). Pour susciter ce retour d'expérience, cette mise en commun d'expériences d'entreprises qui ont la même fabrication, n'y a-t-il pas quelque chose de cet ordre à envisager ? C'est-à-dire avoir, au niveau d'un CCE, un CHSCT qui permettrait d'avoir ce retour d'expérience.

M. René DELEUZE : Vous demandez s'il y a quelque chose à faire entre plusieurs entreprises ou entre plusieurs sites d'une entreprise.

M. Claude BILLARD : Plusieurs sites d'un même groupe, ce qui est possible au niveau du CCE.

M. Paul DHAILLE : Vous êtes les premiers à nous dire qu'au niveau des entreprises et des groupes, il y a des retours d'expérience.

Nous avons auditionné les gens de la sécurité nucléaire qui nous disent que cela se fait à l'échelon international. Considérez-vous que le retour d'expérience doit se faire simplement au niveau des groupes afin de ne pas trahir des secrets de fabrication, ou y a-t-il des retours d'expérience au niveau international pour un même produit, une même fabrication entre groupes qui peuvent être concurrents sur le marché ? La sécurité transcende-t-elle la concurrence économique sur les marchés ?

Cette commission n'a pas à enquêter sur ce qui s'est passé à Toulouse. Elle a été créée à la suite de ce qui s'est passé à Toulouse. Cette commission devrait suggérer des améliorations de la réglementation, de la législation, des pratiques pour que, autant que faire se peut, Toulouse ne se reproduise pas.

Vous nous dites que la réglementation existe et qu'il n'y a qu'à l'appliquer plus ou moins. Ces propos ne sont pas recevables par la population toulousaine.

En outre, à Toulouse, le produit n'était pas considéré en lui-même comme dangereux. Si tout existe, si l'on peut penser que les connaissances existent, que suggérez-vous pour améliorer la législation, la réglementation ou des pratiques industrielles pour que cela ne se reproduise pas ?

M. le Président : Nous avons sans doute sous-évalué le temps nécessaire pour procéder sérieusement à l'audition de l'UIC sur ces questions qui sont importantes. Pourriez-vous y répondre brièvement, quitte à formuler par ailleurs des réponses écrites plus précises sur les questions posées ?

M. René DELEUZE : Je crois que toute la réglementation existe, mais elle est interprétée et appliquée avec des nuances selon les régions. Je ne parle pas que de la chimie et de l'industrie.

L'étude de danger est la base de tout. L'industriel doit conserver la responsabilité de l'étude de danger. Si l'industriel était déresponsabilisé, je ne sais pas jusqu'où l'on irait. L'industriel a des experts chez lui mais il peut aussi faire appel à des expertises à l'extérieur. C'est ce qu'ils font très souvent dans les études de danger. La DRIRE intervient après pour contrôler, mais elle ne participe pas à l'étude. On lui explique l'étude de danger, tout ce que l'on a essayé de prévoir.

On essaie d'imaginer des scénarios en fonction de la connaissance des produits chimiques, des procédés etc. La DRIRE contrôle, mais l'étude de danger est faite par l'industriel lui-même. Assez souvent, il fait aussi appel à l'INERIS et à d'autres experts de ce genre, quelquefois même étrangers.

Vous demandez si nous partageons avec des concurrents des études de risque, des études de danger. Oui, nous le faisons, mais pas de façon systématique.

M. le Rapporteur : Pas par l'UIC ?

M. René DELEUZE : Non, je parle là des entreprises. Il faut savoir que l'UIC est une direction fonctionnelle qui ne s'occupe pas des produits eux-mêmes. On ne peut pas être spécialiste de tous les produits ; il y a des dizaines de milliers de produits dans la chimie. Nous avons des spécialistes des réglementations qui peuvent aider les adhérents à bien utiliser ces réglementations. Mais quand il s'agit du produit, du procédé lui-même et des dangers intrinsèques liés au produit ou au procédé, l'UIC est incompétente.

Il y a chez nous des syndicats sectoriels qui sont des syndicats dédiés à des familles de produits, chose que l'on retrouve au niveau européen avec le CEFIC, l'association de toutes les UIC et de grandes entreprises européennes. On retrouve à ce niveau des syndicats sectoriels avec des concurrents qui se retrouvent pour parler produits, et en particulier des problèmes de sécurité associés.

L'exemple le plus caractéristique est celui de la fabrication de chlore. C'est un produit dangereux. Certains d'entre vous ont peut-être des utilisations, si ce n'est des productions dans leur commune ou leur département. C'est un produit pour lequel les études de sécurité datent de 30 ou 40 ans.

De tous temps, ces groupes européens travaillent ensemble sur ce sujet. Ils vont jusqu'à définir quelles sont les vannes à utiliser sur les circuits de chlore, quels sont les matériaux très précis à utiliser ou à proscrire. A partir de là, des études ont été faites en commun avec des fournisseurs qui ont essayé d'adapter les matériaux ou les caractéristiques des matériaux aux besoins de l'industrie du chlore. J'ai cité ce cas, mais c'est vrai pour l'ammoniac et de nombreux produits.

Quand il s'agit de produits dangereux, en général, des groupes fonctionnent au niveau européen. C'est le partage d'expérience qui était évoqué tout à l'heure.

Quand il y a un gros accident - sans parler de Toulouse qui est bien plus important -, tous les producteurs du produit, qu'ils soient européens ou américains, vont se retrouver pour échanger leur expérience et voir les scénarios de risque qu'ils ont pu imaginer et en imaginer de nouveaux. Pour Toulouse, il semble qu'il y ait un scénario de risque qui n'a jamais été envisagé et qu'il faut vraisemblablement envisager.

S'il y a bien un échange international d'expérience, en revanche rien au niveau européen n'est formalisé. La Commission européenne n'a jamais dit que tous les producteurs de tel produit vont tous se rencontrer et faire systématiquement des études de dangers ensemble.

Il n'empêche qu'il y a des échanges sur ces plans entre des industriels concurrents.

J'ai dit au début de mon intervention que la chimie est très internationale et que l'on retrouve une culture de la sécurité à l'identique partout. Cela vient de là. Dès qu'un gros accident se produit dans le monde, immédiatement, cela attire l'attention de tout le monde. Nous sommes tous traumatisés quand on est touché de près. Les gens se voient ensuite, font des conférences et des groupes de travail sur le problème. Les croisements internationaux se font, mais de façon informelle.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que la réglementation était très précise et que vous aviez une charte distribuée à tous les adhérents. Avez-vous déjà entendu dire que dans des usines et des industries chimiques, il y a transgression des règles ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : J'ai été directeur d'usine pendant quinze ans. Il y a transgression là comme partout ailleurs, ni plus, ni moins.

M. René DELEUZE : Réponse brutale, mais vraie.

M. Pierre COHEN : L'expert parlait de transgression du risque demandée par la direction.

M. René DELEUZE : Dans les sociétés que j'ai traversées, on ne plaisantait absolument pas avec la sécurité. Je n'ai jamais entendu un cadre ou un directeur d'usine commander quelque chose qui présente des risques. Je ne l'ai jamais vu. J'ai travaillé sur des produits comme l'acide fluorhydrique - produit des plus dangereux - le chlore, l'éthylène, l'ammoniac et je n'ai jamais vu cela.

M. le Rapporteur : Nous souhaiterions obtenir de votre part les statistiques dont vous avez connaissance à partir de 1998 jusqu'à 2000 pour savoir ce qui est transmis à l'UIC.

Quelle est la part du travail temporaire et de la sous-traitance chez vos adhérents ?

M. René DELEUZE : C'est variable pour une raison évidente : une usine au fin fond des Alpes peut difficilement sous-traiter parce qu'il y a très peu d'entreprises autour et parce que 90 % des employés nécessaires font partie de la société. En revanche, pour une entreprise située sur l'étang de Berre ou du côté du Havre, on sait que de nombreuses usines travaillent pour la chimie ou le pétrole et ont des besoins identiques, d'où l'éclosion de sociétés sous-traitantes devenant beaucoup plus spécialisées et beaucoup plus compétentes que les personnels internes à cette entreprise.

Je ne parle pas en tant que président de l'UIC, mais en tant qu'ex-industriel : tout le problème de la sous-traitance dans une société réside dans le bon dosage ; il ne faut pas que la société perde ses compétences.

M. le Rapporteur : Fournissez-vous un guide méthodologique pour les études de danger ? Globalement, la charte a bien été établie d'après des rapports de commission. Sur les études de danger, l'UIC apporte-t-elle une assistance à ses adhérents ?

M. Jean-Michel UYTTERHAEGEN : Cela me permettra de parler de la réglementation existante et de faire une suggestion positive.

La réglementation, a fortiori les lois, mais de toute façon les décrets, arrêtés et circulaires parlent très rarement de méthodologie. Ce n'est pas d'une lecture facile, y compris pour l'industriel, parfois même pour l'administration. Ce qui manque, c'est la méthodologie.

Avec nos différents guides de lecture, celui de SEVESO 2 sorti en décembre 2001, mais aussi sur l'arrêté du 2 février 1998 encadrant l'ensemble des émissions dans l'eau ou dans l'air, nous avons cherché à mettre en correspondance les textes, arrêté ou circulaire, et les commentaires utiles à la clarification. En face de la directive SEVESO, nous avons indiqué le texte français qui lui correspond.

On ne peut pas dire que nous avons réalisé un guide pour faire une étude de danger parce que les études de danger sont codifiées dans les textes. On doit y mettre un certain nombre de choses.

Ensuite, on ne fait pas la même étude de danger pour un stockage d'ammonitrate, d'ammoniac ou d'éthylène.

La grande différence avec l'industrie nucléaire, c'est que la chimie est multiple. C'est bien l'un des problèmes.

M. le Président : Merci de cette audition brève mais dense. Nous aurons l'occasion d'approfondir ces questions avec des entreprises de la branche que nous verrons par la suite.

Audition de M. Bernard LEMOINE,
Vice-président délégué du Syndicat national
des industries pharmaceutiques (SNIP),

accompagné de M. Jacques AUMONIER,
Président du groupe de travail « environnement et vigilance sanitaire »

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Bernard Lemoine et Jacques Aumonier sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Bernard Lemoine et Jacques Aumonier prêtent serment.

M. le Président : Je vous demanderai d'être brefs dans votre présentation liminaire pour laisser une place importante aux questions.

Je voudrais aussi que vous sachiez que notre but est de comprendre par quelles pistes on peut améliorer la sécurité. Nous ne sommes pas là pour écouter un discours consistant à nous dire que tout va très bien ; nous souhaitons que vous nous indiquiez les pistes qui vous paraissent utiles pour le travail de notre commission.

M. Bernard LEMOINE : Jacques Aumonier est également Directeur de la sécurité, de l'environnement et de la stratégie industrielle du groupe pharmaceutique Novartis France. Il est par ailleurs le président du groupe de travail "environnement et vigilance sanitaire" de notre syndicat. Il est notre expert sur la problématique industrielle de l'industrie pharmaceutique. Je lui laisse donc la parole dans un premier temps.

M. Jacques AUMONIER : Tout d'abord, quelques mots sur ce que représente notre industrie. En particulier j'insisterai sur le fait que les activités des adhérents du syndicat national de l'industrie pharmaceutique consistent à mettre en forme galénique des médicaments : partant d'une matière active obtenue par différentes voies de synthèse ou biologiques, on va la formuler, la mélanger avec des poudres, des excipients pour arriver à un médicament qui sera rendu "biodisponible" et qui va permettre d'atteindre les cibles thérapeutiques qu'il s'est fixées.

Cela signifie que l'activité industrielle réalisée par nos adhérents est proche de ce que l'on trouve dans l'agroalimentaire et pas dans la chimie fine qui, elle, sert à fabriquer les principes actifs dont nous venons de parler.

Le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique représente cette mise en forme galénique. Par contre, l'UIC et le SICOS représentent la synthèse des matières actives.

Pour la mise en forme galénique, le tissu industriel des adhérents du SNIP comprend une centaine d'unités de taille moyenne. L'unité type compte 100 à 200 personnes, les extrêmes allant de 50 à plus d'un millier de personnes pour la plus grosse d'entre elles.

Au sens des installations classées, il n'y a au sein des adhérents de l'industrie pharmaceutique aucun établissement qui soit classé SEVESO. Même en ce qui concerne la réglementation française sur les installations classées, aucun des sites industriels de l'industrie pharmaceutique n'est soumis à autorisation au titre de la rubrique 2685, rubrique de mise en forme galénique des médicaments.

Il y a sur le territoire national quelques sites pharmaceutiques soumis à autorisation, mais au titre d'activités annexes, la plus courante étant la production de froid nécessaire pour maintenir des ambiances à humidité et température contrôlées dans certains locaux de fabrication particulièrement sensibles. Voilà ce qu'est l'outil industriel.

M. le Président : C'est tellement surprenant que l'on souhaiterait intervenir tout de suite.

Mme Michèle RIVASI : Je suis surprise. Au niveau pharmaceutique, cela signifie-t-il qu'il ne peut pas y avoir d'ICPE ? Vous n'êtes soumis ni à déclaration ni à autorisation ?

M. Jacques AUMONIER : Si ! Nous sommes soumis à déclaration au titre de la rubrique 2685. Nous avons des ICPE à autorisation au titre d'activités annexes comme la production de froid.

Mme Michèle RIVASI : Pouvez-vous dire que la manipulation de molécules actives qui conduit à la fabrication de médicaments n'entraîne aucun risque lié à la santé et à l'environnement ? Si vous n'avez pas d'ICPE à autorisation sur les molécules manipulées par vos industries pharmaceutiques, ne serait-ce pas parce qu'à l'époque, vous avez pratiqué un lobbying suffisamment fort ?

M. Jacques AUMONIER : Le risque zéro n'existe pas. Je me garderai bien de prétendre cela. Je voulais simplement recadrer par rapport à un événement récent qui est présent dans tous les esprits.

M. le Rapporteur : Aventis Animal Nutrition à Commentry, Sanofi Synthélabo à Sisteron, Pharmacie centrale de France à La Voulte sur Rhône ou Rhodia Organic à Salindres ne font pas partie de votre syndicat ?

M. Jacques AUMONIER : Exactement. Je veux être précis sur ce point : les groupes pharmaceutiques ou chimiques auxquels appartiennent ces entités peuvent avoir des filiales qui sont des adhérents du Syndicat de l'industrie pharmaceutique, mais les sites industriels que vous venez de citer pratiquent des activités qui ne se ressortissent en aucun cas à notre syndicat.

Vous dites que nos matières actives sont des produits dangereux. Une étude réalisée au plan européen par l'EFPIA montre que les substances médicamenteuses formulées en mélange ne représentent aucun des caractères de dangerosité qui permettraient de les classer au titre des réglementations européennes et a fortiori françaises.

En revanche, la matière active pharmaceutique elle-même peut être un produit dangereux au sens de la réglementation européenne et française, mais cela ne conduit pas à une classification de l'installation qui l'a mis en _uvre. C'est un produit dangereux mis en _uvre dans une installation. Tout notre métier consiste à le diluer et à le rendre suffisamment inoffensif pour qu'il ne soit pas dangereux pour la personne qui le prend, mais qu'il la soigne.

Loin de moi la pensée que nous sommes une industrie à risque zéro. Il faut être raisonnable et graduer les risques. Nous faisons l'analyse objective des risques de notre industrie car nous sommes conscients de nos responsabilités. Tous ces problèmes de sécurité, de sûreté, d'hygiène industrielle et de vigilance sanitaire sont analysés au sein de notre syndicat, et en particulier au sein du groupe de travail que je préside. Nous faisons constamment des analyses de risques au niveau des adhérents.

Il y a bien sûr des risques industriels liés à nos activités. Le principal étant le fait que nous utilisons quelques composés organiques volatils. Pour vous donner une idée de la modestie des quantités que nous mettons en _uvre, l'industrie pharmaceutique dans sa totalité utilise 5 000 tonnes de COV (composés organiques volatils) par an, dont 4 000 tonnes d'alcools qui sont classés comme COV au sens de la directive européenne. Les quantités sont mineures.

Notre industrie est caractérisée par le fait que nous faisons des lots de fabrication pour être sûrs d'une qualité parfaite de nos médicaments. Cela veut dire que l'on met en _uvre quelques dizaines de litres de ces solvants par lot.

Depuis une dizaine d'années, une politique de substitution fait que nous avons diminué les quantités de ces produits à risques que nous utilisions.

Pour autant, nous prenons des mesures. Les locaux dans lesquels ces produits sont mis en _uvre sont traités anti-déflagrations pour éviter l'occurrence d'une explosion, et plus vraisemblablement d'un incendie. Puisque j'ai parlé d'explosion, je m'empresse de dire que le pouvoir détonnant des produits dont je viens de parler n'a rien à voir avec les produits explosifs comme ceux qui ont été mis en cause dans un accident récent. Voilà ce que je voulais vous dire. C'est un aspect trop mal connu.

Pour répondre à votre incidente, ce n'est l'objet d'aucun lobbying de notre part. On peut nous critiquer sur beaucoup de choses, mais sur cet aspect, c'est simplement la prise en compte par des experts de la sécurité du fait que les produits mis en _uvre sont des produits à risques faibles ou très moyens.

M. le Président : Des accidents sont-ils arrivés ? En avez-vous communication ?

M. Jacques AUMONIER : Si l'on se réfère à l'inventaire des accidents tenu à jour par les services du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement - l'argus des accidents dans notre jargon -, on s'aperçoit qu'en tout et pour tout, quatre incidents peuvent être imputés à l'industrie pharmaceutique sur la période de plus de quinze ans sur laquelle portent ces statistiques. Ces accidents ne sont pas tous arrivés en France puisque cet argus s'intéresse à des accidents qui ont pu survenir dans le monde. Par contre, cette statistique n'est pas exhaustive des accidents mondiaux.

Sur ces quatre incidents ou accidents, l'un est dû à une contrefaçon dont nous avons été victimes - je le cite pour mémoire - : dans un pays d'Amérique centrale, on a remplacé dans des sirops un produit par de l'antigel et quelques personnes ayant ingurgité ce sirop ont été rendues aveugles.

En dehors de cela, il y a eu trois incendies d'entrepôts où la charge calorifique était liée aux cartons d'emballages de médicaments ; ils n'ont provoqué ni pollution de l'atmosphère ni toxicité pour les pompiers qui sont intervenus, ni pollution des eaux par ruissellement des eaux ayant servi à l'extinction des incendies.

Cela ramène à une juste proportion le type d'incidents que nous avons.

M. le Président : La question des centres de recherche et des laboratoires de recherche nous intéresse également. Ce que vous dites s'applique-t-il aussi à eux ? Je ne le pense pas.

M. Jacques AUMONIER : Sur les laboratoires de recherche, il faut mentionner deux choses.

Les produits classiques comme les solvants sont utilisés en quantités bien moindres que celles indiquées pour la production. Quand on fait quelques essais pour mettre en forme galénique des médicaments, on va utiliser quelques décilitres de solvant.

En revanche, le point essentiel est lié aux molécules que l'on met en _uvre à ce stade. Elles peuvent avoir des répercussions en matière d'hygiène industrielle, moins connues puisqu'il n'y a pas tout l'historique sur la mise en _uvre de ces molécules.

On prend généralement des précautions très importantes au niveau de la protection des personnes qui mettent en _uvre ces molécules. Si vous visitez ce type de centre de recherche, vous verrez que la quasi-totalité des manipulations sont faites sous hotte, avec des aspirations pour éviter les émissions possibles de ces produits, que ce soient des solvants ou des poussières des matières actives mises en _uvre.

On essaie de constituer une base de données qui va nous servir à l'extrapolation industrielle pour prendre les mesures qui s'imposeront au moment de la mise en _uvre industrielle du procédé.

Mme Michèle RIVASI : Les centres de recherche sont-ils soumis à autorisation ?

M. Jacques AUMONIER : Je crois qu'aucun de ces centres de recherche n'est soumis à autorisation au sens de la réglementation "installations classées pour la protection de l'environnement" du fait qu'ils mettent en _uvre des quantités très faibles.

Mme Michèle RIVASI : Mais les produits peuvent être très dangereux.

M. Jacques AUMONIER : Oui. C'est le cas en particulier dans un centre particulièrement célèbre près de Lyon. C'est d'ailleurs un cas unique dans la profession. Là, il peut y avoir des classifications sur ce type de centre de recherche au sens ICPE. Le fait que peuvent être mis en _uvre des micro-organismes pathogènes fait que l'on a appliqué les réglementations internationales de protection pour les expériences de laboratoire type P 4. Elles exigent un confinement absolu pour éviter la dissémination des micro-organismes mis en _uvre. Mais cela n'emporte pas forcément, à part cet exemple de Lyon, pour tous nos centres de recherche une classification au sens de la réglementation ICPE.

M. Michel VAXES : Apparemment, les procédés de production sont très maîtrisés. Le nombre d'incidents sur vint ans est très limité. Cela témoigne, du point de vue de la production, d'une maîtrise qui peut nous autoriser à un peu de tranquillité.

Cela dit, je rejoins ma collègue pour poser la question du risque par rapport à la malveillance et à la pénétration d'un certain nombre de sites, quelles sont les garanties qui sont prises ?

M. Bernard LEMOINE : Le groupe Aventis Pasteur, Pasteur Mérieux sont adhérents à notre syndicat, mais pas BioMérieux. Nous avons les laboratoires pharmaceutiques en tant qu'établissements pharmaceutiques.

M. Jacques AUMONIER : Notre industrie consiste à mettre en forme des médicaments à partir de principes actifs et d'excipients.

M. Bernard LEMOINE : Les statuts de notre syndicat s'adressent à des fabricants de produits à autorisation de mise sur le marché (AMM), et donc de médicaments.

M. Jacques AUMONIER : Pour répondre à la question sur la pollution, il faut séparer les pollutions chroniques des pollutions accidentelles.

Pour ce qui concerne les pollutions accidentelles, cela ne peut être que des manifestations très limitées pour les raisons que j'évoquais. Le faible nombre d'accidents survenus au cours des quinze ou vingt dernières années le prouve.

Au plan de la pollution chronique, nous nous attachons, au sein du groupe de travail que je préside et par le relais que nous avons auprès des adhérents, à mettre en _uvre une politique de protection de l'environnement tout à fait à la pointe.

Je peux vous communiquer le résultat de la dernière enquête "environnement" qui est faite tous les deux ans auprès de nos adhérents. Elle montre que les quantités chroniques de rejets dans l'atmosphère ou dans l'eau, - c'est-à-dire les quantités liées à nos fabrications sans incident - sont effectivement une contribution très faible à la pollution globale industrielle dans le milieu naturel apportée par l'ensemble des activités industrielles.

J'en reviens à votre question concernant le risque d'intrusion. Nous sommes extrêmement vigilants sur ce risque depuis l'origine. Parce que dans notre métier, un risque important est l'altération d'un médicament. Il y a eu des affaires célèbres. Le risque permanent chez nous est que quelqu'un s'introduise et change une matière active. Pour faire face à cela, nous avons tout une politique de qualité qui obéit à une réglementation internationale, les "bonnes pratiques de fabrication", qui prennent en compte cela avec de multiples contrôles pour s'assurer que le médicament sortant de nos unités est parfaitement conforme à la spécification.

Le niveau de qualité obtenue est tel qu'il n'y a pas, à ma connaissance, d'accident grave produit par un médicament qui n'était pas conforme à sa formule. On prend pour cela énormément de précautions. Par conséquent, ce risque n'est jamais maîtrisé à cent pour cent, mais nous nous employons à le maîtriser parce que la qualité de nos produits est capitale.

Mme Michèle RIVASI : Par rapport à ce qui se passe aux Etats-Unis sur l'anthrax, quelle hypothèse faites-vous sur le fait que l'on puisse distribuer par l'intermédiaire d'enveloppes des spores de l'anthrax ? Pensez-vous possible que l'on ait pu récupérer cela dans un laboratoire de recherche ? On ne sait pas si cela vient des Etats-Unis ou d'ailleurs. Quelle est votre hypothèse ?

M. Jacques AUMONIER : Contrairement à ce que vous pensez, je n'ai pas de compétence sur ce dossier. D'après les informations que j'ai pu avoir dans la presse sur la maladie du charbon aux Etats-Unis, l'agent infectieux a la particularité redoutable de pouvoir se "sporiser" ; il est ainsi très facile à transporter. Ensuite, il reprend la forme infectieuse très facilement quand il revient dans des conditions bactériologiques adéquates.

Je pense qu'il est assez plausible que le type de spore retrouvée dans les analyses du FBI semble provenir d'un tout petit nombre de laboratoires couverts par le secret défense, et plutôt militaires. Il y en a trois dans le monde, d'après ce que j'ai lu dans la presse, dont un aux Etats-Unis. La probabilité que ce soit une fuite de ce laboratoire est pour moi assez forte.

Les deux autres sont dans l'ex-URSS et en Irak. Autant sur le reste, je peux parler en connaissance de cause, autant dans ce domaine, je n'ai pas d'expertise.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je suis députée de Haute Garonne. Trois circonscriptions ont été touchées : celles de Mme Mignon et de M. Cohen et la mienne qui est aux trois quarts sinistrée.

J'ai vécu longtemps en face de cette usine où mon père a travaillé. A côté d'AZF, SNPE Tolochimie, il y a aussi une usine Sanofi, ce que j'ignorais totalement.

Nous menons beaucoup de débats dans ma circonscription et nous avons reçu récemment l'intersyndicale des salariés d'AZF, SNPE-Tolochimie ainsi que les associations de riverains. Ils nous ont expliqué la distinction entre chimie lourde et chimie fine. Tout le monde se pose la question du maintien du pôle chimique.

On nous disait que les engrais chez AZF ne pouvaient pas exploser. Dès lors, comment garantir que la chimie fine chez Sanofi n'explosera pas ? Le risque zéro existe-t-il en la matière ?

Les habitants de Toulouse font des amalgames et craignent tout. Je veux bien leur expliquer si tant est qu'on me l'explique à moi aussi.

M. Jacques AUMONIER : S'agissant des risques associés à l'usine AZF, je n'ai pas à m'exprimer sur ce sujet. Vous avez reçu précédemment l'UIC qui connaît mieux le dossier. Ils ont dû rappeler une évidence, à savoir que le nitrate d'ammonium est un produit à risque ; il a plusieurs centaines de morts sur la conscience. Bien sûr, ce sont des accidents qui datent du siècle dernier pour les premiers et du début de ce siècle pour les suivants. Le dernier est arrivé dans un port américain à la Libération. Cela signifie que le nitrate d'ammonium est un produit réellement dangereux.

Je connais mieux les activités de Sanofi où j'ai travaillé. Pour la petite histoire, Sanofi avait, sur ce site, une unité de fabrication galénique que j'ai transférée à Colomiers. Je crois que l'activité de chimie de synthèse a dû disparaître complètement. Il reste une activité de recherche et développement, une activité de mise en forme galénique pour laquelle tout ce que j'ai dit précédemment au plan du niveau de risque reste vrai.

Il n'y a aucune commune mesure entre une unité de production d'un produit explosif et un centre de recherche pharmaceutique pour la mise au point de médicaments. En particulier, le centre de recherche de Toulouse peut s'enorgueillir d'avoir contribué à la mise en place de deux des meilleurs médicaments de Sanofi-Synthélabo.

Mme Michèle RIVASI : Dans vos centres pharmaceutiques, vous avez bien des effluents gazeux et liquides ? Vous parliez des composés organiques volatils, mais il peut y avoir aussi des effluents liquides.

Si vous n'êtes pas ICPE à autorisation, mais juste à déclaration pour certaines choses, vous n'avez jamais le contrôle d'un inspecteur des DRIRE vis-à-vis de vos effluents ! Autrement dit, on doit se contenter de la responsabilité de l'industriel !

Il n'y a pas d'obligation réglementaire de contrôle et je trouve ça gênant.

M. Jacques AUMONIER : Le système est fait de telle façon - et cela me paraît sain et légitime - que les installations à haut niveau de risque SEVESO et SEVESO 2 sont beaucoup plus contrôlées que celles qui sont simplement soumises à autorisation. Mais celles qui sont soumises à une simple déclaration, comme la plupart de nos sites industriels, peuvent faire l'objet également de visites d'inspecteurs des installations classées. Et c'est le cas. Sur le terrain, il y en a même beaucoup.

Sur le plan des effluents, on essaie d'être transparent sur le fonctionnement de la totalité de nos adhérents. Dans nos exploitations, il n'y a pas de matière inhibitrice et ensuite, nous avons des effluents assimilables à des effluents ménagers. Ils sont donc parfaitement traitables et traités la plupart du temps dans des installations de traitement des eaux usées municipales. Et cela se passe bien.

Il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre. Il vaut mieux mettre les efforts des pouvoirs publics pour surveiller les sites réellement à risques plutôt que d'aller vers des sites où il n'y a manifestement pas de risque.

Notre industrie, qui est une industrie responsable et qui s'intéresse au domaine sensible de la santé, n'attend pas des visites d'inspecteurs d'installations classées pour prendre les mesures nécessaires pour traiter les effluents, pour diminuer la pollution éventuelle contenue dans les effluents avec des systèmes de lavage, de recyclage. Notre industrie pratique la transparence. Il y a beaucoup de journées portes ouvertes chez nos adhérents qui permettent à tout un chacun de se rendre compte de la réalité. Nous n'avons vraiment rien à cacher.

Cela dit, ce n'est pas parce que nous avons peu de risques au départ que nous ne prenons pas de mesures pour améliorer encore la situation. Nous sommes la plupart du temps dans des systèmes d'amélioration continue de la performance du type ISO 14 001.

M. le Rapporteur : Quand vos adhérents fabriquent des vaccins à partir de virus...

M. Jacques AUMONIER : Inactivés !

M. le Rapporteur : ..ils ne sont pas forcément inactivés initialement. Vous avez des adhérents qui travaillent sur la variole. Quand ils fabriquent des vaccins, quelles sont les mesures spécifiques prises pour éviter la dissémination de virus ou de bactéries ?

M. Jacques AUMONIER : Je ne peux pas vous décrire ces processus en détail, mais ils sont codifiés pour correspondre aux normes de la profession avec toutes les mesures de confinement nécessaires pour éviter d'abord que ces virus, avant inactivation, puissent être en contact avec des personnes, et pour éviter ensuite qu'il y ait des relargages dans l'environnement.

C'est tout un ensemble de règles qui font qu'il y a quatre niveaux de protection en fonction de la dangerosité des virus mis en _uvre. Vous connaissez sans doute la réglementation pour les laboratoires. C'est celle-là qui est appliquée. Compte tenu du fait que l'on ne vaccine plus contre la variole, je ne suis pas sûr que l'on ait encore des adhérents qui manipulent les virus.

M. le Président : M. Kouchner nous a expliqué que l'on avait relancé la fabrication des vaccins. Qui le fait ?

M. Bernard LEMOINE : Les pouvoirs publics ont demandé à l'Institut Pasteur de relancer la fabrication de ce vaccin ; c'est la seule entreprise pharmaceutique française qui fabrique des vaccins.

M. le Président : Elle ne fait pas partie du SNIP ?

M. Bernard LEMOINE : Si.

M. le Président : Avez-vous des stocks de produits dont on pourrait faire usage dans une guerre bactériologique ? Y a-t-il de vieux stocks sur le territoire français ? De fabrication même ancienne ? Cela existe-t-il ? Si la réponse est oui, où se trouvent-ils ?

M. Jacques AUMONIER : Si l'on parle bien de produits qui pourraient être utilisés dans une guerre bactériologique, on peut citer deux possibilités : la variole et la maladie du charbon. Pour les raisons que je viens de citer, on n'a pas, dans nos laboratoires, d'agents infectieux de la maladie du charbon ni de ses spores car c'est réservé au domaine de la défense aujourd'hui. De même, on ne produit plus de vaccin de la variole depuis vingt ans.

Nous n'avons donc aucun stock sur ces deux agents les plus généralement cités.

Mme Michèle RIVASI : Et la toxine botulique ?

M. Jacques AUMONIER : C'est très facile à obtenir en dehors de l'industrie pharmaceutique.

Mme Michèle RIVASI : Il n'y a pas de vaccin par rapport à cela ?

M. Jacques AUMONIER : Je ne suis pas compétent, mais je sais qu'il y a des cas de botulisme liés à des conserves déficientes encore aujourd'hui.

M. le Rapporteur : Le risque, c'est qu'il y ait un transfert du gène de la toxine botulinique dans un micro-organisme et une dissémination de micro-organismes.

Un certain nombre de produits, les inhibiteurs de protéase notamment, sont très dangereux. Y en a-t-il en stock en France ? Par exemple, a-t-on en stock des produits comme le di-isopropyl-fluorophosphate ou l'isocyanate de méthyle, comme à Bhopal ? Ce sont des produits gazeux très dangereux. Chez vos adhérents, y a-t-il en stock de ces produits qui bloquent les systèmes enzymatiques ?

M. Jacques AUMONIER : Je ne peux pas vous répondre sur ce point qui est vraiment précis et technique. Dans les réunions que nous avons eues, cela n'a pas été évoqué. Je n'ai pas la réponse. Avec la meilleure volonté du monde, je ne veux dire ni oui ni non. Je pense que c'est peu probable, mais je n'ai pas d'informations précises sur ce plan.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous essayer de savoir si ces produits très dangereux se promènent dans la nature ? Certains se promenaient il y a vingt ans. C'est sûr ! Une goutte sur la main et c'est la mort !

M. Bernard LEMOINE : Nous allons essayer de nous informer.

M. le Président : Nous terminons cette audition sur une question un peu surprenante. Nous vous remercions d'essayer d'y répondre par écrit. Nous vous remercions de votre patience. Merci pour la qualité de votre intervention, surprenante sur plusieurs points.

M. le Rapporteur : Vous avez quand même la particularité d'être de chez Novartis, alors que le groupe n'est pas dans le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique.

M. Jacques AUMONIER : Si, pour la petite partie de l'activité pharmaceutique, Novartis Pharma. C'est à ce titre que je peux présider le groupe de travail.

M. le Rapporteur : Toute la partie ancienne Ciba Geigy en Suisse appartient à la chimie.

M. Jacques AUMONIER : C'est devenu Ciba Spécialité chimique...

M. Bernard LEMOINE : ...qui n'est pas dans le Syndicat des industries pharmaceutiques.

Table ronde des organisations syndicales de salariés réunissant :

M. Jean-François PERRAUD, secrétaire confédéral de la CGT,

M. Jean MOULIN, conseiller confédéral CGT aux questions économiques,

M. Christian VELLA, délégué central CGC du groupe SNPE,

M. Jean-Claude JEZEQUEL, délégué fédéral à l'économie et à la santé
de la fédération CFE-CGC des industries électriques et gazières,

M. Michel DECAYEUX, secrétaire général de la fédération CGT-FO
des industries chimiques,

M. Robert PANTALONI,
représentant des salariés au conseil d'administration d'EDF,
parrainé par la CGT-FO,

M. Dominique OLIVIER, secrétaire confédéral CFDT,
responsable des questions liées aux risques industriels,

M. Jacques KHELIFF, secrétaire général de la fédération CFDT chimie et énergie,

M. Dominique GRANDJEAN, responsable de la sécurité
de la fédération CFTC de la chimie,

M. Gérard GERENT, délégué syndical CFDT,
Société européenne des produits réfractaires (SEPR)

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 21 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Nous souhaitons faire le point, au cours de cette réunion, sur les dispositions actuellement en vigueur qui visent à associer les salariés à la prévention des risques industriels et à leur donner, en conséquence, une formation en matière de sûreté sécurité.

Nous aimerions recueillir, d'une part, vos remarques sur l'efficacité des dispositions existantes et sur l'écart éventuel entre les textes et la réalité et, d'autre part, vos propositions sur les améliorations que l'on pourrait imaginer apporter à cette contribution absolument essentielle des salariés à la sûreté des installations industrielles dont ils assurent la conception, l'exploitation, la maintenance et la surveillance.

M. Jean-François PERRAUD : Je souhaite dire, en tant que secrétaire de la CGT, que le problème que vous étudiez présente deux dimensions :

- Une dimension sociale, car l'intervention humaine est au c_ur des questions de sécurité et de sûreté, et la pertinence et les moyens donnés à cette intervention humaine.

- Une dimension démocratique. Après la catastrophe de Toulouse, il est évident que les enjeux de transparence, en matière de responsabilités, de décision et d'application de ces décisions, concernent la confiance qu'il faut rétablir tant auprès des salariés que de la population.

M. Jean MOULIN : La CGT et ses syndicats alertent depuis très longtemps sur l'aggravation des risques en entreprise. Force est de constater, pour nous, que ces multiples interpellations ne rencontrent pas ou guère d'écho, même lorsqu'il y a des risques graves et imminents.

Ce qui fait la singularité de la catastrophe de Toulouse, c'est évidemment le nombre des victimes et l'ampleur des dégâts. Mais lorsqu'on s'interroge sur les 12 000 accidents technologiques et industriels recensés par le BARPI depuis 1992, combien d'incidents ou d'accidents auraient pu dégénérer ?

A l'instar de ce qu'affirmait récemment le commandant de l'Abeille Flandre pour le transport maritime, dans les activités à risque aussi - et bien au-delà des activités classées Seveso - il faut « prendre tout incident au sérieux parce que l'incident cache l'accident ». C'est un principe d'élémentaire bon sens qui semble de plus en plus oublié ou négligé.

Plus que la dangerosité intrinsèque des produits et des procédés, ce qui fait la gravité de la situation actuelle à notre sens, c'est un ensemble de choix de gestion ou de pratiques qui aggravent les risques. Il s'agit notamment des choix qui dégradent l'emploi et les conditions sociales, des politiques de maintenance, des pratiques managériales calées sur le taux de rentabilité. S'y ajoutent, à notre sens, de graves défaillances de l'intervention publique, la déresponsabilisation des entreprises et l'impact d'une concurrence exacerbée par la mondialisation libérale.

Dans son champ de compétences, la CGT a formalisé dans un document relativement conséquent, que nous vous avons remis, l'essentiel de son analyse et de nombreuses propositions. Je vais vous en donner une vision synthétique.

A notre sens, hormis quelques cas très exceptionnels, le déplacement des activités serait une solution irréaliste et coûteuse au problème de la cohabitation entre activités à risque et urbanisation. En fait, cela ne fait que déplacer les risques, souvent en les aggravant.

La seule façon sérieuse de traiter le problème, c'est d'engager un programme d'urgence d'évaluation des risques et de sécurisation des sites existants. Ce qui aurait dû être fait en application de la directive Seveso doit être fait aujourd'hui d'urgence et dans d'autres conditions.

Pour l'avenir, il y a lieu d'anticiper les besoins de zones spécifiques d'implantation d'activités, de renforcer les règles d'urbanisation, notamment les périmètres de protection, les règles d'implantation d'activités et surtout de les appliquer plus strictement en pensant à la question de la multiplicité des intervenants locaux.

Cela suppose des exigences fortes vis-à-vis des études de risques et des plans de prévention et d'intervention, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui.

Nous voudrions mettre en garde contre les dangers que recèlent, en matière de prévention des risques industriels, les approches probabilistes du risque et l'usage inconsidéré d'orientations et de méthodes qui sont utilisées, par exemple, dans la gestion des risques naturels ou celle des situations de crise. Elles portent, à notre avis, de graves dangers.

En matière de risques technologiques, la seule sécurité qui vaille, c'est celle qui conduit à prévenir le risque d'accident par un haut niveau de sécurité interne aux entreprises. Cela exige toujours :

- une évaluation pluraliste et complète des risques ;

- L'élimination et la réduction à la source de ceux-ci autant qu'il est possible ;

- La maîtrise, en toutes circonstances, des risques qui subsistent de façon à ne jamais déboucher sur un accident et surtout pas un accident grave ;

- Malgré toutes les précautions prises, l'obligation de se préparer à l'accident éventuel en cherchant à en minimiser l'impact et en prévoyant les moyens d'intervention pour faire face aux conséquences ;

- Le maintien d'une vigilance permanente, car lorsqu'on n'a pas eu d'accidents pendant une longue période, on peut avoir quelques surprises.

Dans notre document, nous proposons un certain nombre d'évolutions de la réglementation, notamment l'extension du champ de la directive Seveso, le renforcement des études de risques, des plans de prévention et d'intervention, des ajustements au code du travail qui concernent en particulier les CHSCT. Nous souhaitons, mais c'est vous qui le décidez, que cette partie au moins soit annexée au rapport de la commission.

Aujourd'hui, sur les réglementations, nous voudrions dire que la question essentielle est celle de leur efficacité, de leur facilité d'usage et de leur application effective. C'est à partir de cette préoccupation que nous avons fait des propositions, notamment un droit d'alerte renforcé pour le CHSCT, la mise en place de CHSCT de sites, l'obligation d'un avis favorable du CE en matière du plan de formation, un certain nombre de moyens de recours pour les élus du personnel.

La CGT considère qu'il faut réévaluer très sérieusement l'ensemble de l'intervention publique en matière de prévention. Cela concerne bien sûr le renforcement substantiel des moyens des DRIRE ou de l'inspection du travail. Mais nous considérons que c'est tout autant la question des orientations de prévention, celle de la capacité publique à produire de façon autonome des expertises et des normes pertinentes, à organiser les retours d'expérience, celle des moyens de faire respecter la réglementation et d'assurer la cohérence des moyens de l'intervention publique qui sont posés.

C'est pourquoi nous proposons de réformer en profondeur les instruments publics d'intervention sur les sites classés, en s'inspirant de ce qui existe dans le nucléaire. Il faut une autorité interministérielle, indépendante, sous contrôle démocratique, ayant les moyens d'agir et qui peut servir de recours pour l'intervention des élus du personnel.

D'autres questions relèvent également de cette réévaluation. Ce sont notamment les problèmes de formation en entreprise, le rôle de l'action de l'INRS et des CRAM, même s'il s'agit d'un service de la Sécurité sociale. A chaque fois, sont posées les questions d'indépendance vis-à-vis des acteurs économiques, de moyens, de démocratisation.

Nous considérons qu'il n'y a pas de sécurité fiable si la place et le rôle des salariés ne sont pas reconnus. Cela recouvre les questions de niveau des effectifs organiques, les compétences qui sont disponibles en interne dans les sites à risques, les exigences d'effectifs de maintenance et de pompiers, la réduction et l'encadrement drastiques de la sous-traitance, l'absolue nécessité d'y interdire la précarité ainsi que certaines polyvalences que nous considérons comme aberrantes, les exigences de formation professionnelle et évidemment, au niveau des moyens d'action, cela concerne notamment les droits des salariés et le rôle des CE.

Les questions de démocratie et de transparence sont la troisième question clé, aussi bien à l'égard des salariés que vis-à-vis des populations. Toutes les questions et les choix concernant la sécurité et la prévention doivent être décidés dans la transparence. Les salariés comme les populations doivent y être associés, être informés et consultés, disposer de recours efficaces. Le contrôle social est une condition de l'efficacité de l'intervention publique.

C'est à partir de ces préoccupations que nous avons établi des propositions concernant les CHSCT, concernant les modalités de l'établissement des études de risques et des plans de prévention, la généralisation et la composition des commissions locales d'information et de prévention.

Dernier point en ce qui concerne les propositions, il ne faut pas négliger la question de la responsabilisation des entreprises à la fois par des mesures favorisant des comportements "vertueux" mais aussi par des sanctions pénales et financières dissuasives des comportements à risques. En particulier, nous considérons que les manquements délibérés du chef d'entreprise à son obligation de sécurité, qui résulte du code du travail, doivent être très lourdement sanctionnés.

Nous pensons également qu'à l'inverse de ce qui se passe aujourd'hui, les assurances devraient jouer un rôle positif en matière de prévention.

Nous insistons aussi pour que l'intervention publique sur ces problèmes soit cohérente. Il est clair que des mises en concurrence qui favorisent le moins disant social conduisent à un accroissement des risques dans l'ensemble des activités. Cela concerne aussi les transports routier, ferroviaire et maritime.

La liste des propositions que nous faisons peut sembler coûteuse. Toutefois, elles ne bouleversent pas le code du travail. Il n'est pas très difficile de les formaliser. Leur coût n'est pas si grand qu'il y parait et, dans la mesure où elles débouchent sur une efficacité sociale supérieure, lorsqu'on intègre le coût des sinistres, le bilan serait tout à fait positif. En tout cas, si la sécurité a un coût, il n'est pas acceptable de faire l'impasse sur l'avis des salariés et des populations et d'aborder ces questions de façon comptable.

L'existence d'activités à risques est associée indissolublement et contradictoirement au progrès de l'humanité. Il est illusoire de croire que ces activités peuvent être bannies de nos modes de vie, même si on peut et même s'il faut à l'évidence débattre du contenu du développement.

En revanche, pour ce qui est de la CGT, nous avons une certitude, c'est qu'on peut produire, transporter et distribuer sûr à condition de s'en donner les moyens. Nous espérons que l'accident de Toulouse aura au moins cette vertu qu'enfin, on prendra ces problèmes à bras le corps.

M. Christian VELLA : Je voudrais attirer votre attention sur l'importance du suivi de ce qui va être mis en place. Aujourd'hui, on peut s'interroger sur la façon dont la DRIRE réagit vis-à-vis des modifications introduites dans les installations et quel en est le suivi. Le maire d'une collectivité territoriale est-il informé des modifications sur sa commune ? Comment est informée la population de l'évolution des risques ? Les DRIRE sont-elles informées des remarques que peuvent faire le CHSCT dans les industries ?

Si on met un certain nombre de choses en place, il faut que, par la suite, les interlocuteurs locaux, industriels, patronaux, syndicaux aient le retour d'information. Il en va de la transparence et de l'information de la population. Sur certains sites, si des habitants se posent des questions, il est important d'avoir cette réflexion de transparence et de transmission d'information, et plus particulièrement de retour d'information et retour sur les questions posées.

M. Jean-Claude JEZEQUEL : Une note complète sur notre position vous sera remise à l'issue de la séance.

L'obligation de transparence et de rendre compte est une garantie d'efficacité pour une meilleure prévention des risques industriels majeurs. En effet, l'obligation de transparence ne permet pas de passer sous silence des incidents qui pourraient être précurseurs d'accidents. Elle nécessite de se justifier et donc de rechercher la cause des défauts ou des défaillances, de répondre à des mises en cause et de mettre en _uvre les moyens appropriés.

La transparence participe ainsi aux améliorations continues de la maintenance et de la sécurité des installations, par l'amélioration de l'information et de la communication à l'adresse des autorités, des salariés des sites, des élus, voire du public. Tous les acteurs concernés ou leurs représentants doivent être associés à cette démarche générale de transparence -les salariés et leurs représentants, les élus, les autorités de sécurité - en prenant le soin de protéger la propriété industrielle ou intellectuelle.

Des instances existent à l'intérieur comme à l'extérieur des entreprises visées. Il convient d'en renforcer le rôle et l'usage -le CHSCT à l'intérieur de l'entreprise, les CLI à l'extérieur.

Sur l'information et la formation des salariés, de leurs représentants, de leur encadrement, et la formation des spécialistes, il convient de développer une culture risque et des réflexes en conséquence, au sein de la profession et des corps de métiers. L'information et les formations pertinentes y participent largement. L'information des salariés est obligatoire, et la formation des préventeurs comme de tous les titulaires de fonction à risques est, pour eux et pour autrui, nécessaire.

A l'intérieur du site, le CHSCT a parmi ses attributions des visites de chantier. Il convient que ce rôle soit renforcé. Il doit suivre la réalité de l'information des salariés et être consulté sur la réalité de l'action de formation à la sécurité. L'encadrement doit voir ses responsabilités bien définies et, comme délégataire de l'employeur, il doit pouvoir, à l'occasion de rencontres avec celui-ci, discuter des moyens nécessaires qui doivent être mis à disposition et, bien sûr, les obtenir.

La formation des salariés doit être bien adaptée aux besoins et au niveau de compréhension des personnels. Elle ne doit pas être trop lourde pour être acceptée et profitable. Il convient d'encourager les formations au secourisme. Les formations doivent être reconnues et participatives. Elles doivent être, pour les titulaires de certaines fonctions ou de conduite d'activités, un pré requis.

A l'extérieur du site, les prestataires extérieurs doivent être avertis des risques et être au même niveau d'information et de formation que les salariés de l'entreprise titulaires de fonctions analogues. Les sociétés d'intérim ou les entreprises sous-traitantes doivent être associées à l'action de prévention. Le nom des prestataires et les fonctions attribuées, comme la localisation de leur poste de travail, doivent être communiqués au secrétariat du CHSCT.

Il convient de réaliser des guides d'information et des consignes visant les équipements et les moyens de prévention pouvant être compris par leurs destinataires. Je cite ici l'exemple des étrangers qui ne parlent pas bien la langue.

Hors de l'entreprise, il convient de favoriser les rencontres pluridisciplinaires, par exemple des journées ou tables rondes annuelles, nationales ou régionales, sur les risques et moyens de prévention afin de mettre le plus grand nombre d'acteurs ou d'experts au même niveau d'information et de créer des synergies.

Il faut aussi encourager la création d'associations visant un danger particulier ou un risque industriel bien identifié, qui peuvent être des instances de veille et d'alerte. Les sites Web sont une première réponse pour un suivi en continu.

L'information sur l'origine des risques et leurs effets potentiels, voire la formation à la gestion de crise, doit bénéficier également aux acteurs des secours (pompiers, personnel hospitalier).

En ce qui concerne la responsabilisation de l'ensemble des parties prenantes de la sûreté et de la sécurité locales, régionales et nationales, nous souhaitons que les plans de l'installation et le repérage des zones à risques soient connus de l'ensemble des salariés, avec une visite régulière pour explications et commentaires, présentation des plans de secours, et suivi de cette information en CHSCT pour bilan, observations, suggestions et évaluations périodiques.

Le CHSCT pourrait étendre sa compétence au-delà du périmètre du site et prendre en compte l'environnement en devenant CHSCTE, E pour environnement.

Les plans de prévention doivent être largement connus et explicites et intégrés dans le règlement intérieur de l'établissement. De plus, ce dernier informe l'inspection du travail des modifications d'organisation et des moyens de prévention mis en place.

La mise en place de dispositifs de suivi interne, de reporting pourront être communiqués à l'extérieur, par le compagnonnage, la recherche de bonnes pratiques par le benchmarking et le regroupement des professionnels, le renforcement des contrôles internes (commission sécurité et CHSCT), externes (autorités via les DRIRE et les inspecteurs des installations classées, la prise en compte de l'environnement du site industriel pour mesurer les effets possibles d'accidents (les voies empruntées pour les secours, par exemple).

Le principe de la mise en _uvre d'audits sécurité de sites classés doit être reconnu. Cet audit peut être diligenté par les autorités ou les entreprises avec l'obligation pour elles d'en faire connaître les résultats aux autorités de sûreté et de sécurité dans l'esprit général de transparence. Cet audit peut être mis en _uvre, de manière récurrente, selon une périodicité à définir, ou après incident ou mise en cause extérieur (autorités ou médias).

L'organisation du travail et l'architecture des lieux de travail comme le choix des matériaux des locaux doivent intégrer les facteurs de risques. Ceux-ci doivent être plutôt surfaits que minorés. La gestion des stocks de produits dangereux doit faire l'objet d'un suivi rigoureux et être connue des autorités. Elle doit viser le moindre risque en prenant en compte ses effets, comme la fréquente des transports de ces produits. L'affectation d'un salarié, la prise de poste ou de fonction doit être accompagnée d'une information, déjà obligatoire, mais l'employeur doit ici s'assurer que les consignes sont bien comprises.

Les entreprises sous-traitantes doivent être impliquées et devenir, sur les sites à risques industriels classés, co-traitantes plutôt que sous-traitantes. Le risque doit être coté à partir d'une échelle qui classera le niveau des incidents. Dès la conception, la démarche de sûreté implique le doublement des systèmes et des matériels de sauvegarde afin de garantir la fonction requise en cas de défaillance, à l'instar de l'industrie nucléaire par exemple.

Les sites industriels à risques doivent adopter le principe de redondance. Ce principe préjuge qu'en cas de défaillance d'un système de sûreté, un second prendra le relais.

En ce qui concerne la gestion de crise et la communication, hors la formation à la gestion de crise, la mise en place d'une instance de veille et d'un centre de crise à même de répondre à l'événement apparaît nécessaire. Il convient de faire des exercices de crise. Ces exercices doivent préjuger des solidarités locales et donc les impliquer, dès lors qu'elles seront identifiées (SAMU, centre de secours, secouristes locaux, Croix-Rouge, police, gendarmes) et les locaux pouvant servir d'hôpital de campagne devront être connus.

La capacité hospitalière locale et régionale doit être mesurée et, dans l'hypothèse d'un accident, un plan de transfert des victimes au regard du nombre et de la nature de leurs affections doit être arrêté. Les centres hospitaliers et les personnels d'encadrement doivent être suffisamment avisés des dispositions sanitaires à prendre. Il convient de supputer les effets de débordement de panique dans ces structures et chez leurs personnels.

En état de crise effective, la communication doit être véloce et écarter la langue de bois. Un minimum d'informations spontanées et de recommandations pratiques et pertinent à l'adresse des voisins de sinistres doit pouvoir être relayé par les médias. Des contacts initiaux entre espaces de communication des sites et les médias locaux doivent être encouragés et entretenus.

Pour conclure, la CFE-CGC croit à la pertinence des actions de progrès local, régulières et bien ancrées. Elle veut ici faire montre de pragmatisme en prenant en compte la situation actuelle, principe de réalité. Elle considère qu'en dehors des dispositions nationales qu'elle préconise, la démarche locale de sécurité est à privilégier. C'est par les synergies locales et la mise en place d'espaces de coordination que la prévention et la gestion de crise seront les mieux armées.

M. le Rapporteur : D'après les deux interventions que vous venez de faire, vous souhaiteriez donc qu'il y ait une association plus importante des salariés dans la prévention au niveau de l'entreprise.

Après le drame de Toulouse, un certain nombre d'articles indiquent aujourd'hui qu'il n'y avait pas forcément une prévention très forte et notamment qu'il y avait recours à des travailleurs temporaires. La formation des ces travailleurs temporaires dans l'entreprise vous apparaît-elle bonne ? Ont-ils la culture de l'entreprise ?

Deuxièmement, dans les CHSCT, aviez-vous déjà posé ces questions aussi bien de manière générale que comme dans l'exemple de Toulouse ? Avez-vous de bonnes relations avec les DRIRE et l'inspection du travail ? J'ai entendu tout à l'heure qu'il y a eu des défaillances de l'intervention publique.

Mme Michèle RIVASI : Vos deux interventions m'ont beaucoup intéressée car, suite à nos visites de terrain, nous avons retrouvé vos revendications par rapport à la demande des salariés.

Vous posez un problème interne et un problème externe à l'entreprise. Concernant le problème interne, au niveau des CHSCT, comment faire pour que vous ayez plus de pouvoir, et de moyens d'intervention en direction des DRIRE ?

Nous pensons organiser cela comme dans le nucléaire, en l'améliorant, avec notamment une direction des risques technologiques et un corps d'inspection pour faire en sorte que les DRIRE et le corps d'inspection, qui serait plus lié à la prévention de la sécurité, renforcent votre pouvoir. Sinon, il peut y avoir une telle pression économique que les défaillances que vous signalez peuvent ne pas être prises en compte par la DRIRE.

Au niveau extérieur, comme vous l'avez suggéré, ce sont ces commissions locales de prévention et d'alerte qui doivent comprendre aussi le mouvement associatif, avec expert et contre-expert. Quelqu'un a parlé du pluralisme des risques. Si on n'a qu'un expert, on a qu'un seul scénario. Souvent il faut des études alternatives pour montrer que les choses sont plus compliquées que ce que l'on avait imaginé au départ. Qu'en pensez-vous ?

M. Claude BILLARD : A la lumière de notre déplacement en Seine-Maritime, et notamment dans l'entreprise Grande paroisse, la question de l'absence de rapport entre le CHSCT et les DRIRE semble être un vrai problème. De même que la dimension extérieure de l'entreprise, évoquée par la CGC sur l'environnement, sont des questions d'importance.

Sur la formation, nous avons appris, toujours dans la même entreprise, qu'elle se résumait à une journée par an. En la matière, les organisations syndicales que vous représentez, du point de vue de leur programme revendicatif, ont-elles quantifié ce qui serait nécessaire au minimum en matière de formation ? Il ne s'agit pas d'une formation qui serait uniquement de premiers secours, mais d'une formation de culture du risque, intégrant des éléments du process, notamment dans l'industrie chimique. Trop souvent, à mon sens, cela se résume à peu de choses, en tout cas à une appréhension du risque qui est pour le moins limitée.

M. Dominique GRANDJEAN : Je suis depuis quatorze ans secrétaire du CHSCT de la plus grosse usine pétrochimique en France. L'amélioration des formations des membres du CHSCT doit leur permettre de donner un avis sur une étude de dangers.

Dans mon entreprise, les membres du CHSCT ont cinq ou six jours par an de formation à la sécurité, mais ces formations ne comprennent pas les études de dangers. Lorsque la DRIRE vient demander aux gens leur avis sur telle étude de dangers, ils n'ont pas le pouvoir de dire qu'ils ne sont pas d'accord puisqu'ils n'ont pas été formés sur ce sujet.

M. Gérard GERENT : Quand une étude de dangers est faite sur un process qui existe, les gens en général le connaissent déjà. Mais quand il s'agit d'une nouvelle fabrication, les gens du CHSCT n'ont pas la formation universitaire ou autre pour pouvoir porter un avis sur les nouveaux produits. On fait donc donner un avis à des gens qui le font en toute confiance, mais qui ne peut être considéré comme fiable.

M. Michel DECAYEUX : Par rapport à des questions précises posées, concernant les entreprises temporaires et les formations, il faut sortir du contexte de Toulouse.

Il est clair que les intérimaires ne sont pas formés, d'autant plus qu'il y a le phénomène d'externalisation en amont et en aval. A Toulouse, tout le conditionnement et le transport étaient faits par une autre société, certes sous le contrôle de la société mère AZF. Il est certain que les prérogatives et les contraintes ne sont pas les mêmes. Il y a des choses à faire à l'égard de l'externalisation en amont et en aval des productions. Les entreprises recherchent la compétitivité à moindre coût, ce que je peux comprendre, mais la vie des hommes n'a pas de prix.

Nous proposons qu'en ce qui concerne les entreprises à risques, tout au moins la maintenance en amont des productions, voire certains services en aval de la production, doit être sous le contrôle intégral de l'entreprise et ne pas être sous-traité. Autant on peut concevoir que les entreprises sous-traitent pour les personnels administratifs, emploient des contrats atypiques (remplacement congé maternité par exemple), sous-traitent les installations nouvelles d'ingénierie, autant là, sur la maintenance c'est beaucoup plus délicat parce que les personnels des entreprises sous-traitantes ne sont pas suffisamment formés.

La relation DRIRE - CHSCT est un problème car bien souvent les CHSCT n'ont pas les résultats d'enquêtes qui peuvent être faites par la DRIRE. Cela étant, la DRIRE manque aussi d'effectifs, au même titre que les inspecteurs du travail qui sont pluridisciplinaires. Peut-être faut-il trouver un corps de métier qui ressemblerait à ce qui se fait dans le nucléaire et qui puisse regarder les choses de manière sereine.

Toujours sur les problèmes de moyens des CHSCT, il est clair que la formation est totalement insuffisante, même s'il y a des dispositions conventionnelles qui ont amélioré, dans le secteur, les dispositions légales. Ensuite, cela nécessite aussi, en termes de formation, un recyclage permanent. Cela ne peut pas se faire tous les trois ou cinq ans en raison du renouveau technologique permanent.

Un autre point que je voudrais évoquer concerne le problème de l'environnement, des commissions locales et des associations. Certes nous ne contestons pas que l'environnement soit un facteur capital dans les problèmes de santé et sécurité. Toutefois les principaux acteurs de la santé et de la sécurité doivent rester les entreprises, les salariés directs et indirects de l'entreprise, les pouvoirs publics, les collectivités locales à travers les maires, les districts et les communautés de communes. Si on y mêle les ONG, il y aura confusion des rôles car on peut avoir un patron entrepreneur qui prend ses responsabilités, mais qui participe au sein d'une ONG au même titre que ses propres salariés. L'appréhension des problèmes n'est alors pas forcément la même. Un employeur faisant partie d'une ONG va être contre le travail des enfants et admettre néanmoins que son entreprise, qui est unique et nationale, fasse travailler ailleurs des enfants dans le monde.

C'est un exemple qui caricature ce sur quoi il faut faire très attention. Cela étant, je ne dis pas qu'il faut les écarter. Mais la responsabilité première, ce sont avant tout les acteurs en tant que tels qui sont directement concernés.

M. Jean MOULIN : Nous sommes résolument pour l'association des salariés à la prévention, car nous pensons, d'expérience, qu'une intervention uniquement extérieure passe obligatoirement à côté d'un certain nombre de questions clés. Cela est tout à fait clair, en particulier quand on a travaillé dans ce type de grandes entreprises, comme j'y ai moi-même travaillé en tant que formateur.

C'est pourquoi nous insistons beaucoup sur cette dimension de l'intervention des salariés, à différents stades, au travers des CHSCT et d'un droit d'alerte renforcé qui soit efficace, c'est-à-dire auquel les instances d'appel soient tenues de répondre, que ce soient les DRIRE ou le corps d'inspecteur et la structure que vous proposez au niveau national.

Au niveau des relations avec les DRIRE, il est sûr que ces relations ne sont pas bonnes, ce pour des raisons d'effectifs et de confusion des missions. Il y a un problème de non-séparation des missions de conseil et à caractère économique, avec les missions d'évaluation de risques, de contrôle et d'injonction à faire en matière de sécurité. Ces missions doivent être clairement séparées.

Par ailleurs, il y a aussi un grand problème de formation et de culture du risque au niveau du corps des ingénieurs, qui ne nous parait pas satisfaisant. Quand nous lisons les déclarations de hauts responsables de l'INERIS, de l'INRS ou d'ingénieurs qui se sont présentés dans la presse comme experts, honnêtement, c'est affligeant et inquiétant.

Il y a des explications à cela qui tiennent notamment au non-recrutement, pendant toute une période, d'ingénieurs chimistes. Il y a donc eu une perte car le transfert de savoir et de savoir-faire ne s'est pas fait.

De plus, sachant que les questions de sécurité sur le devant de la scène, dans la période récente, concernaient plus particulièrement la prévention des risques naturels ou la gestion des situations de crise de risques alimentaires, on a tendance, sous la pression anglo-saxonne, à transférer aux risques industriels des méthodes de gestion qui n'ont rien à voir et qui sont éminemment dangereuses. En effet, la particularité du risque industriel est que l'on ne peut tolérer de laisser filer des incidents.

Cela rejoint les propos de mon camarade de la CGC sur la redondance des systèmes de sécurité, mais cela pose le problème de la capacité des salariés à maîtriser les risques en toute circonstance et quoi qu'il arrive. Or on ne peut pas, techniquement dans de telles installations, prévoir dans le détail tous les mécanismes de sécurité et toutes les situations de risques. De plus, quand des salariés n'ont pas reçu la formation adéquate, non seulement la formation à la sécurité et au danger des produits mais aussi la formation professionnelle, ils ne peuvent faire face à ce à quoi ils sont confrontés. De ce fait, des situations banales se transforment en accident grave, etc. C'est un des problèmes de fond.

Il nous paraît important de contraindre les entreprises, non pas de façon administrative, car chaque programme de formation doit être adapté aux procédés, aux produits et aux techniques, à faire en sorte que la discussion sur le plan de formation de l'entreprise soit réelle et porte sur le contenu et la réponse aux besoins.

Il s'agirait, au moins dans les sites Seveso et les installations classées soumises à autorisation, de rendre obligatoire l'avis favorable du CE. En l'absence d'avis favorable, les DRIRE et l'inspection du travail (ou une nouvelle structure) pourraient imposer un certain nombre de contraintes de formation à l'entreprise. Ayant été formateur pendant treize ans, je suis effrayé par la médiocrité et la dangerosité de la moyenne des formations faites dans ces entreprises.

M. Jean-François PERRAUD : Vous avez parlé d'une évaluation pluridisciplinaire. Dans ce domaine, un décret vient de paraître qui va mettre en place un document unique qui amènera les entreprises à évaluer et ensuite à déclarer les risques auxquels les salariés sont soumis.

On part du principe que si on arrive à organiser la prévention vis-à-vis des risques à l'intérieur de l'entreprise, on organisera la sécurité à l'extérieur de l'entreprise pour les populations. Sur ce document unique, nous avons proposé lundi, lors d'une réunion d'un groupe de travail organisé sur l'initiative du ministère du Travail, une évaluation concernant les risques industriels. Cette évaluation serait intégrée dans ce document unique en cours de rédaction.

Par ailleurs, concernant un corps spécialisé, nous avons le souci d'avoir une réponse aux problèmes posés. Mais dans la situation de laisser-aller qui s'est créée dans les entreprises depuis plusieurs années sur différents problèmes, notamment les problèmes de sécurité et d'application de respect des normes, nous avons le souci, du fait de la complémentarité des missions entre les DRIRE et l'inspection du travail, d'un renforcement des moyens de l'intervention publique en termes d'effectifs.

Quand on parle culture de la prévention dans les entreprises, il y a non seulement la dimension formation, mais aussi la dimension transmission des savoirs très concrètement par les salariés. Cette transmission des savoirs rencontre la dimension stabilité des effectifs. En effet, il s'avère que l'efficacité de l'intervention humaine, pour couper court à l'incident afin qu'il ne se transforme pas en accident, découle de l'expérience qui ne s'acquiert qu'au fil de l'accumulation et des années.

Un critère à prendre en compte est donc ce qui doit ressortir du personnel organique de celui qui n'est pas stable. Or aujourd'hui, la précarité a pris une telle place dans les entreprises qu'il faut fixer des limites qui ne portent pas atteinte à la sécurité.

M. Christian VELLA : Quand le CHSCT rencontre un problème et veut interpeller pour avoir une réponse crédible, vers quel interlocuteur doit-il se tourner pour avoir une réponse claire, nette et précise au problème qu'il a posé. C'est là toute la question de la crédibilité de la réponse.

Dans une collectivité territoriale, quand une industrie soumise à déclaration s'installe, il y a en premier lieu une procédure d'enquête publique, puis l'entreprise s'installe et ensuite elle vit. Vous avez donné un avis sur un dossier initial, mais l'entreprise, donc ce dossier, vont se transformer au fil du temps. Il y aura de nouveaux stockages et de nouveaux hangars. Je ne pense pas que vous serez alors informés de ces modifications et de ces augmentations de risques.

Je prendrai, pour exemple, la catastrophe de Toulouse. L'aspect positif de celle-ci, s'il peut y en avoir un, est que l'usine voisine d'AZF, le groupe SNPE, malgré le séisme, n'a subi aucune fuite et que ses salariés ont déroulé le POI d'une manière tout à fait correcte. Cela montre que la sécurité peut être aussi une culture d'entreprise. Mais il y a aussi des maires de collectivité qui ne savent pas ce qui se passe et se fabrique dans les entreprises qu'ils ont sur leurs communes.

C'est toute la chaîne de transformation, d'information et de transparence qui est en cause. Lorsqu'il y a des améliorations ou des transformations sur le site, ou que l'on veut gagner sur le périmètre, le CHSCT pose alors de réelles questions. La DRIRE a-t-elle les moyens aujourd'hui, en compétence et en temps, de répondre à ces questions et est-elle indépendante ? De la même manière, quand il y a des modifications, les maires des collectivités territoriales en sont-ils informés ?

Dans les collectivités qui reçoivent du public, des commissions de sécurité se réunissent dans lesquelles la collectivité est partie prenante et donne son avis. Aujourd'hui, tout le monde est consulté au moment de la création de l'entreprise. Mais c'est après l'enquête publique que se pose le problème, lorsqu'il y a des modifications, une augmentation des risques, un dysfonctionnement. L'avis de l'entreprise, des salariés et des populations qui vivent autour de l'entreprise doit être pris en compte. Il faut avoir là une transparence et donner l'information aux populations qui vivent autour de ces entreprises.

M. le Président : En fait, ce n'est pas simple car si vous leur donnez l'information, comment la leur donner et ensuite quelle sera leur part de responsabilité dans la décision que prendra l'entreprise ? Il n'est pas évident de demander aux maires de prendre des responsabilités directes sur de tels problèmes.

M. Christian VELLA : Le maire, en tant que premier magistrat d'une collectivité, a le droit d'être informé de ce qui se passe sur sa commune.

J'appartiens au groupe SNPE, c'est-à-dire la Société nationale des poudres et explosifs, mais c'était il y a vingt ans. Aujourd'hui, le groupe SNPE fait de la chimie fine sur le site Toulouse alors que bon nombre de citadins et de responsables politiques sur Toulouse pensaient encore que le groupe SNPE produisait de la poudre sur le site de Toulouse.

M. Robert PANTALONI : Qui ne serait pas favorable à un renforcement de l'implication des salariés, par leur CHSCT, dans la sécurité des sites ? Mais la question du comment se pose à l'intérieur même de l'entreprise. Le CHSCT est-il toujours indépendant du management de l'entreprise ? C'est la première des questions. Qui sont les membres du CHSCT dans une entreprise plutôt petite ? Comment le management de l'entreprise peut-il avoir des actions incisives sur le fonctionnement du CHSCT ? Je parle déjà de l'indépendance du CHSCT et comment lui en donner.

Par exemple, la présidence pourrait revenir aux salariés. Ensuite, il peut y avoir des sanctions demandées par le CHSCT. Certes le CHSCT ne peut présenter des sanctions contre son entreprise, mais il peut remettre des rapports à la DRIRE qui, elle, peut prendre des sanctions. La question est de savoir comment le CHSCT peut le faire en toute indépendance.

Quant au corps de contrôle, on parle beaucoup de l'exemplarité du contrôle qui est fait à l'intérieur d'EDF par les autorités de sûreté. C'est un contrôle indépendant, mais je ne pense pas que cette solution soit transposable partout. Un corps d'experts indépendants, également par rapport aux organisations non gouvernementales, devrait être fourni à tous les CHSCT pour pouvoir faire expertiser les installations à risques, en sortant des forces de l'habitude.

Cela nécessiterait d'abord que ce corps d'experts indépendants ne soit jamais le même, qu'il puisse tourner et qu'il puisse y avoir des expertises contradictoires et pluralistes, certains experts pouvant être influencés par leur approche ou idéologie personnelle.

M. Michel DECAYEUX : Il ne s'agit pas, pour nous, d'opposer les salariés des entreprises de l'industrie chimique aux citoyens français.

Sur les CHSCT, beaucoup de choses ont été dites. Il est vrai qu'il existe des dispositions législatives qui sont parfois mal appliquées pour différentes raisons, du fait de l'organisation interne à l'entreprise. Par ailleurs, même si le CHSCT fait son travail, il y a malgré tout parfois des manquements. Le problème est la même que pour la sécurité routière. S'il n'y a pas une contrainte derrière, les automobilistes font un excès de vitesse. Les entreprises ont le même comportement, au nom de la rentabilité et de la compétitivité.

Le législateur devrait raccourcir un certain nombre de procédures telles que le droit d'alerte, mais aussi prévoir des sanctions adéquates et désigner qui les appliquera.

Ensuite, se pose le problème de l'externalisation. Dans ce type d'industries à risques, on ne peut pas se permettre d'accepter des choses que l'on accepterait dans d'autres activités. L'enjeu et les risques sont trop importants. En ce domaine, il serait peut-être souhaitable que des dispositions législatives soient prises, ne serait-ce que par rapport à des habilitations fournies à des entreprises extérieures. Il faudrait revoir qui donne les habilitations. Nous considérons que les DRIRE ou peut-être un corps spécifique, ou enfin les inspections du travail ou les CRAM pourraient remplir ce rôle.

Sur l'aspect professionnalisation de la santé et sécurité dans les entreprise, on s'est rendu compte ces dernières années qu'un certain nombre d'entreprises ont perdu cette professionnalisation. J'ai connu des établissements de l'industrie chimique à risques où il y avait des corps de pompiers conséquents. Maintenant ils sont restreints. De plus, bien souvent, se posent des problèmes d'aptitudes face à des interventions de cette nature.

Il ne doit pas y avoir de concurrence entre les professionnels de la santé-sécurité de l'entreprise et les professionnels des pouvoirs publics, mais au contraire il faut créer une synergie entre les deux.

Ensuite, de manière générale, il faut examiner les nomenclatures existantes en matière de process, d'installations et de stockage. On se focalise sur l'industrie chimique mais puisqu'on parle du nitrate d'ammonium, il faut peut-être aussi regarder du côté des exploitations agricoles. La normalisation des outils de production et des stockages est nécessaire, car nous sommes convaincus, par expérience, qu'il y a des défections. Nous retombons sur le problème de la DRIRE qui n'a pas toujours les moyens adéquats.

Puis il y a l'aspect, auquel on pense peu, des politiques de rémunération qui sont aussi pour quelque chose dans cette course à la compétitivité. Des dispositions ont été prises dans les pratiques salariales, mais je ne suis pas convaincu que cela concourt à faire régresser les risques et les dangers. Je tiens à attirer votre attention là-dessus.

Certaines dispositions peuvent inciter tant l'entreprise que les salariés, au nom du gain, à faire l'impasse sur la santé et la sécurité. Je ne vous demande pas spécifiquement de retirer certaines choses qui viennent d'être votées dernièrement, mais peut-être de les revoir.

Certains accords d'entreprise sur l'intéressement et la participation sont inquiétants pour la sécurité.

Enfin, il y a parfois des superpositions de dispositions législatives qui font que l'on peut trouver le contraire de ce qui est dit à un moment donné. Nous allons vous transmettre, dans le détail, un certain nombre de suggestions que vous pourriez prendre en considération.

M. Jacques KHELIFF : Je ne suis pas sûr que l'on puisse dire sérieusement qu'il n'y aurait pas de formations dans les industries chimiques ou à risques, ou qu'elles seraient de mauvaise qualité. Je ne partage pas cet avis. Il y a des efforts conséquents qui ont été faits par toutes nos industries depuis vingt ou trente ans. Des millions de francs ont été investis sur la sécurité, le respect de l'environnement, la formation des personnes. On peut faire plus et mieux, mais on ne peut pas dire qu'il y aurait un problème de formation chez les personnels.

Dans le cas de Toulouse notamment, je ne pense pas que l'on puisse dire que, dans le groupe TotalFinaElf, il n'y a pas de formation. Ce n'est pas vrai. Et pourtant il y a eu un problème !

Dans la formation, il y a donc des maillons faibles. Il y a les personnels du site, et le problème de l'organisation du travail. Le recours à des systèmes d'organisation du travail qui superposent salariés réguliers et intervenants ponctuels cause des problèmes de communication et de relation entre les différents salariés qui, à notre avis, desservent la recherche de la sécurité ou l'atteinte des objectifs de sécurité.

J'attends toujours que le patronat nous démontre là-dessus que le saucissonnage d'un même geste de travail en tranches très fines sert l'efficacité globale. Je le discerne sur le plan économique, et encore à court terme. A long terme, je ne vois pas.

Il y a la question de la formation, son renforcement et son amélioration, mais également de sa diffusion de manière articulée et coordonnée, sur les différents intervenants du travail. Je ne suis pas pour une interdiction de la sous-traitance ou du recours à des intérimaires dans la totalité des industries à risques, mais il faut, si on les forme, ce que l'on fait dans un nombre conséquent de cas, que cette formation soit coordonnée, qu'il y ait une synergie des informations. Cela n'est pas le cas aujourd'hui.

On renvoie chaque employeur à son obligation de formation aux risques, ce que font la plupart des entreprises. Mais quel est le lien avec la formation donnée aux salariés du site sur lequel vont intervenir telle ou telle entreprise de sous-traitance ou agence d'intérim ? Cela dit, sur l'intérim, dans un certain nombre de situations dans les industries à risques, l'interdiction de l'intérim pourrait être une démarche à observer. Il y a des sites où, alors que les risques sont tout à fait patents, on maintient un nombre conséquent et régulier d'intérimaires.

Ensuite, il existe une espèce de contradiction entre les efforts faits par nos industries, depuis un certain nombre d'années en matière de sécurité, et les pressions économiques. Des grands groupes, dans ce pays, se sont dotés d'un arsenal qui doit servir la maîtrise des risques et la recherche de la sécurité maximum et qui, dans le même temps, appliquent des normes de gestion qui viennent pénaliser l'atteinte des objectifs.

Ce qui s'impose dans la plupart des entreprises, ce n'est pas l'avis de l'ingénieur de sécurité, quand il existe, mais c'est celui du responsable financier. Dans la plupart des cas, c'est ainsi. Toute une partie du management n'est pas d'accord avec les choix qu'on lui demande de faire ou de ne pas faire, au nom de la rentabilité du site. Ce management, pas plus irresponsable qu'un autre, ne peut rien dire. Imaginez l'ingénieur de sécurité qui va s'élever dans l'entreprise contre son directeur de site ou le gestionnaire financier du site, il faut qu'il ait un certain courage car il est probable que sa carrière en souffrirait. Je vous assure qu'il y a une vraie difficulté en la matière.

D'ailleurs, il est très difficile de trouver un responsable de sécurité dans bon nombre de sites, car qui est responsable de quoi ? Le directeur des ressources humaines, l'ingénieur de sécurité, le directeur du site, tel ou tel autre responsable hors du site concerné qui aurait pesé pour que telle décision soit prise ou ne soit pas prise ? C'est d'une grande complexité.

Ma fédération couvre également le nucléaire dont les règles sont très intéressantes. Il y a des choses à prendre de ce coté, mais pas tout. Puis il y a une difficulté. Dans le nucléaire, vous avez une grande homogénéité des installations. Par conséquent, vous pouvez établir des règles que vous appliquez de manière mécanique, car ce sont les mêmes salles de contrôle et les mêmes réacteurs.

En revanche, dans la chimie et la pétrochimie, vous aurez autant de réalités que d'entreprises. Il faut donc avoir des règles et des modalités d'adaptation desdites règles, au regard de ces réalités. Ce n'est pas aussi mécanique que dans le nucléaire.

Enfin, je pense que la sécurité est un bien commun aux acteurs du travail - patrons et salariés - et que faire progresser la maîtrise concertée et négociée de ces questions-là au quotidien est le véritable enjeu. On pourra mettre les contrôles extérieurs que l'on veut, si les acteurs quotidiens du travail ne sont pas décidés à faire vivre la sécurité, y compris avec les contraintes que cela suppose, nous aurons bien du mal à atteindre l'objectif.

Il faut se dire qu'un certain nombre de carences, qui existent dans les usines en matière de sécurité et de respect des règles, sont acceptées avec la complicité de la totalité des acteurs du travail, syndicats compris. On ne dit rien parce que soit l'on s'habitue aux risques, soit on craint de les évoquer, et que cela conduise à des difficultés pour l'emploi.

On évoque Toulouse ou la Mède. Je sais qu'il n'a pas été simple de faire passer l'idée, y compris aux élus du CHSCT, de mener des expertises. Le regard extérieur est souvent quelque chose de difficile, douloureux, dangereux, à soutenir. Par conséquent, des effets de corps se créent entre le management de l'entreprise, les salariés et les syndicats. Je suis syndicaliste et je ne refuse pas de regarder cela en face.

C'est pourquoi je suis favorable à ce que l'on développe les moyens du CHSCT, que l'on augmente les heures, permette d'aller à l'expertise, etc. Mais il y a un problème psychologique, politique, de culture de la sécurité qui n'est si facile à régler par décret.

Il y a aussi, dans notre pays, une culture d'occultation des risques. Nous sommes quand même un pays fantastique qui a vu le nuage de Tchernobyl stopper à ses frontières, par respect pour l'hexagone. C'est une pantalonnade. Dans un certain nombre de cas, ce genre de réflexe de protection, au nom de la sécurité publique et de l'intérêt économique apprécié à court terme, continue d'exister. D'ailleurs, concernant l'application des directives Seveso, si nous faisions un recensement de leur application dans notre pays, je crains que nous n'ayons quelques sueurs froides ici ou là.

Vous avez certainement vu la carte d'implantation dressée sur Toulouse et ses contorsions opportunes entre les établissements scolaires, les hôpitaux. On a tracé une carte étonnante. Il serait intéressant de connaître les critères de ce tracé.

Il y a un gros travail à faire, car il ne s'agit pas de nier que nous sommes sur des métiers à risques et que les risques continueront d'exister. L'enjeu est donc à la fois leur repérage, la transparence des risques et leur maîtrise concertée et négociée. Je partage l'idée qu'il faut associer à cette connaissance des risques, les riverains et les associations.

Je me rappelle avoir visité aux Etats-Unis une usine à risques importante. L'ingénieur de sécurité de l'usine nous expliquait que tous les mois, il vérifiait une liste d'habitants particuliers qui étaient en fait les sourds, les mal voyants ou les personnes ayant des problèmes de mobilité. On pouvait toujours faire sonner les sirènes et faire tourner les gyrophares, les aveugles, les sourds et les personnes non mobiles n'étaient pas concernés. Je ne crois pas que l'on organise cela en France. Associer les gens aux risques, c'est les faire accepter. A Toulouse, les gens ont découvert brutalement les risques quand tout a explosé.

Je voudrais dire un mot sur le rôle des élus locaux. J'ai bien compris l'émotion locale, mais elle ne peut pas tout expliquer. Il y a eu des expressions à la limite de la responsabilité. J'aimerais savoir où vont être délocalisées ces installations. Les risques seraient donc plus acceptables dès l'heure qu'ils ne menaceraient que la vie des salariés. Où seraient-ils plus acceptables qu'à Toulouse ? Sans compter que quand je fais la carte pour mes secteurs, chimie et énergie, des sites à risques, il y en a partout. S'ils doivent être délocalisés, encore faut-il savoir où.

Dernier aspect, je pense que notre réflexion et vos travaux devraient faire le lien avec l'Europe. Il y a une nécessité d'harmoniser l'approche, la compréhension, la maîtrise des risques en Europe, parce que d'une part, nous sommes en train de faire l'Europe et, d'autre part, parce qu'un certain nombre de risques, notamment sur les sites frontaliers, risquent de ne pas s'arrêter au grillage de l'usine.

M. Dominique OLIVIER : Je vais vous parler de quelque chose qui peut-être va vous étonner parce que, depuis le début de cet après-midi, on discute comme si les responsables syndicaux avaient des prérogatives dans la prévention du risque industriel et environnemental. Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'ils n'en ont aucune. Je mettrai une exception pour la petite information/consultation sur le POI qui a été octroyée au CHSCT en 1992, mais cette exception ne peut créer une dynamique sociale d'implication dans la prévention des risques.

Je voudrais insister sur le fait que le droit de la négociation collective en France porte sur les conditions d'emploi et de travail des travailleurs salariés que nous représentons. Bien sûr, les gens intelligents peuvent en déduire que les problématiques du risque industriel et environnemental ont une incidence sur les conditions d'emploi et de travail et que nous devrions en discuter, mais cela nous est dénié par la partie patronale.

En conséquence, nous demandons que, de manière explicite, le droit de la négociation collective porte notamment sur la prévention du risque industriel et environnemental.

Ensuite, concernant les institutions représentatives du personnel (IRP), sans nous focaliser sur le CHSCT car ce serait une approche étroite, le comité d'établissement, parce qu'il s'occupe de la politique d'investissement et de recherche de l'entreprise, a des prérogatives utiles en matière de prévention des risques. Il supervise les questions de formation professionnelle et continue dont plusieurs ont parlé. Il a donc des interventions à conduire. Les institutions représentatives du personnel devraient voir reconnues et déclinées des missions autour de la prévention du risque industriel et environnemental.

On pourrait aussi se demander ce que fait dans ce domaine le comité d'entreprise européen des groupes. Selon les comptes rendus, à peu près rien.

Une démarche dans la prévention des risques industriels et environnementaux consiste à inspecter les lieux de travail, c'est-à-dire des usines, et à étudier les plans de prévention qui sont imposés aux sous-traitants travaillant dans l'entreprise utilisatrice. Or, les représentants des salariés n'ont pas les moyens de conduire ces inspections de l'établissement, ni ces études de plan de prévention, pour la simple raison que le législateur et la jurisprudence ont indiqué que le temps passé s'imputait sur le contingent d'heures prévues pour la loi. En conséquence, le temps disponible n'existe pas. Il convient donc, très concrètement, de prévoir que ce temps d'inspection des établissements et d'étude des plans de prévention sorte du contingent d'heures prévu par la loi.

Autre démarche essentielle pour la prévention, la question du signalement des dysfonctionnements. J'ai entendu évoquer la nécessité d'étudier les presque accidents et tous les dysfonctionnements. Mais le problème est qu'il faudrait les connaître pour les étudier. Ces dysfonctionnements ne sont pas connus parce que la parole des salariés n'est pas libérée, c'est-à-dire qu'ils se taisent pour différentes raisons. A cause de la crainte d'une sanction pour eux-mêmes ou leurs collègues, ils ont tendance à ne pas faire état de ce qu'ils ont pu observer.

Nous proposons très concrètement qu'un droit de signalement des dysfonctionnements pouvant porter atteinte ou aggraver les risques industriels ou environnementaux, soit institué pour tous les salariés et qu'une protection adéquate encourage ces salariés. Je fais là le parallèle avec des dispositions que vous avez prises, en début d'année, sur la maltraitance et la prévention des actes de pédophilie. Les salariés des établissements de soins se sont vus octroyer ce droit de signalement des comportements anormaux et une protection pour ceux qui dénonçaient ces anomalies. Il faut aller dans ce sens pour la prévention du risque industriel.

J'attire votre attention sur le fait que votre enquête pourrait mettre en évidence la disparité aberrante que l'on peut relever dans les différents sites industriels en matière de prévention et de secours. Dans les sites industriels à forte tradition syndicale et parce qu'il y a eu un rapport de force, on a pu par miracle préserver des équipes conséquentes de pompiers. Dans d'autres cas, leur nombre sera tombé à zéro. On aura mis, par exemple, les pompiers à faire de la mécanique ou autre chose dans l'usine.

Nous demandons que des équipes permanentes de prévention, sécurité et secours soient disponibles, c'est-à-dire en attente du dysfonctionnement et de la pré-crise. Leur rôle n'est pas de limiter les effets de la crise, mais d'intervenir juste avant qu'elle produise des conséquences irréversibles.

Sur la question des propriétés des produits chimiques, il y a aujourd'hui en débat, dans l'Union européenne, ce que l'on appelle le Livre blanc sur la stratégie européenne pour les substances chimiques. Nous attachons beaucoup d'importance à ce document que nous soutenons, contre l'avis des industriels, et nous souhaitons que le législateur français suive de près ce qui sera fait au plan européen, c'est-à-dire comment sera finalisé ce Livre blanc et surtout décliné en directives.

Sur Toulouse, on constate que les propriétés des ammonitrates ne sont pas aussi bien connues que l'on aurait pu le supposer. Vous avez dû noter, dans le rapport Barthélemy, que la France n'appliquait pas les mêmes normes que l'Allemagne et la Hollande. Nous souhaitons une harmonisation qui doit passer par une connaissance exhaustive de l'ensemble des risques industriels et environnementaux des produits.

Pour cela, la capacité d'expertise publique des différents Etats est questionnée. Nous souhaitons que l'on se penche sur l'avenir des équipes de recherche et du potentiel d'études de nos différents instituts. En effet, pour des questions de pyramide des âges, on peut voir disparaître des équipes complètes de toxicologie, d'écotoxicologie ou de différentes disciplines, parce que les gens vont partir en même temps à la retraite. Il y a lieu d'anticiper ces mouvements et de prévoir des recrutements en conséquence pour accroître le potentiel public d'expertise.

M. Dominique GRANDJEAN : Nous relevons cinq priorités : accélérer le traitement des dossiers par l'administration en renforçant ses moyens et leurs compétences ; définir des règles plus claires sur le choix des scénarios et accepter une approche probabiliste qui recense tous les risques ; améliorer les périmètres de sécurité avec les zones 1 et 2 et les problèmes de constructions et de délocalisation ; et enfin améliorer la formation des membres du CHSCT.

A propos de la formation de la sous-traitance étrangère, moi qui suis au bord de la frontière, dans l'est de la France, je peux vous dire que beaucoup d'entreprises étrangères y travaillent et qu'elles n'appliquent pas la même réglementation que la nôtre.

Pourquoi aller chercher une entreprise italienne de 360 personnes pour travailler pendant quatre mois ? La réponse est la suivante : le même métier, effectué par une entreprise française, coûte 320 francs l'heure, contre 160 francs en Italie.

Même au niveau de la réglementation, j'ai eu des problèmes avec des entreprises hollandaises, luxembourgeoises. Lorsque je m'adresse à l'inspection du travail, on est incapable de définir les règles puisque ce ne sont pas les mêmes que les nôtres.

A titre d'exemple, j'ai posé dernièrement la question de savoir si un ouvrier polonais avec un permis de séjour allemand peut travailler sur le territoire français. On n'est pas capable de nous répondre.

Quant à l'harmonisation de la réglementation en Europe, j'ai posé la question, il y a deux mois, au conseil national supérieur de la prévention des risques professionnels. Il est incapable de définir des règles.

M. Gérard GERENT : J'ai lu avec attention le rapport Barthélemy qui est un rapport de très bonne consistance.

En revanche, en ce qui concerne tout l'arsenal législatif actuel, il est plus que suffisant, mais il faudrait le rendre lisible et transparent. Il faut arrêter avec l'empilage car on ne sait plus qui doit faire quoi. Il faut élaborer des règles très claires et très pratiques.

S'il y a une règle, elle doit être appliquée. Plutôt que d'élaborer de nouvelles règles, essayons d'instituer des règles simples et de les appliquer dans un premier temps. Ensuite nous verrons. Malheureusement, on sait aussi que le risque zéro n'existe pas.

M. André VAUCHEZ : Lorsqu'une étude des risques est faite en France, faut-il la laisser préparer par l'industriel ?

Pensez-vous qu'une intervention des experts scientifiques sur cette étude soit nécessaire ?

Concernant le contrôle démocratique, les maires ne sont pas des techniciens ou des scientifiques. Ils ne peuvent que poser des questions devant une instance indépendante qui est capable de leur répondre. Se pose également le problème des DRIRE. Quel pouvoir, quelles compétences, quel type de contrôle, quelles relations avec la vigilance démocratique ?

Enfin, quel est le droit de tout ce pouvoir démocratique, déjà à l'intérieur de l'entreprise que vous représentez, et à l'extérieur quand vous voyez que des prescriptions établies par des scientifiques ne sont pas appliquées ? Quel pouvoir souhaitez-vous avoir pour arrêter telle unité ou modifier telle fabrication, afin de ne pas arriver à l'accident ?. En matière de risques, on a beau avoir une bonne formation, ce sont néanmoins les experts scientifiques qu'il faut questionner au plus haut niveau et ce sont eux qui doivent donner le maximum d'informations sur les risques encourus par tel stockage ou telle unité de fabrication.

Mme Nicole BRICQ : Comment cela peut-il fonctionner entre le CE et le CHSCT ? Le CE dispose d'un droit d'alerte en cas de difficultés économiques et sociales et de la capacité de mandater des expertises payées par l'employeur. Je suis tout à fait favorable à l'idée d'une protection du salarié en cas de dénonciation d'un fait qui lui parait suspect. C'est une démarche que nous revendiquons aussi dans le domaine de la sécurité alimentaire. Mais comment peut fonctionner concrètement cette coordination entre le CHSCT et le CE ? Est-ce le CHSCT qui obtient de nouveaux pouvoirs ou est-ce le CE qui voit sa compétence élargie en termes de droit d'alerte et de capacité d'expertise ? Je ne crois pas qu'il existe des corps d'experts indépendants, ils sont tous le produit de quelque chose.

S'agissant de la fait référence au modèle que constituerait le secteur de la sûreté nucléaire. La CGT en a fait une référence positive, tandis que la CFDT a indiqué que ce n'était pas forcément transposable. Que pourrait-on reprendre dans le domaine du risque industriel plus banal, qui concerne les installations classées ?

Que pensez-vous des comités départementaux d'hygiène ? Quel rôle souhaitez-vous leur donner en liaison avec les salariés de l'entreprise qui ne sont pas à l'heure actuelle représentés dans cette instance ?

Enfin, dans la négociation au niveau des branches professionnelles avec le patronat, ces question de sécurité sont-elles un thème de discussion ?

M. Jean MOULIN : La responsabilité de la décision, en matière de conduite des installations, doit rester à l'employeur. Il y a là un problème de responsabilité juridique qui est tout à fait essentiel. Il faut faire très attention à ne pas atténuer cette responsabilité.

En revanche, il faut faire en sorte que l'ensemble des acteurs - salariés, élus et population - aient de vrais outils qui leur permettent d'intervenir, de façon qu'il n'y ait pas décision unilatérale qui entraînerait un manque de transparence. C'est un des problèmes centraux de la prévention.

Sur la sous-traitance, j'attire votre attention sur le fait qu'en soit, la sous-traitance - même de qualité - d'un certain nombre de fonctions dans les entreprises à risques, comme la maintenance ou les pompiers, peut être un facteur de risque. Quand une unité déclenche l'alarme et qu'elle reste deux, trois ou huit heures à l'abandon parce qu'il n'y a pas le personnel pour intervenir immédiatement et réparer une panne banale, cela aggrave de façon considérable les risques.

Il faut absolument proscrire certaines polyvalences telles que celle des opérateurs, de l'entretien et celle des pompiers. En effet, chaque fois qu'une situation de risque se déclenche, toutes ces fonctions sont centrales pour assurer la sécurité.

Sur la formation, j'insiste sur le fait que ce n'est pas seulement le pourcentage de masse salariale qui compte, même s'il faut sans doute aller bien au-delà des obligations actuelles, au moins pour ces entreprises qui mettent en _uvre des procédés compliqués. Mais le problème est de savoir qui en bénéficie. En général, ces formations sont réservées à un petit noyau à l'intérieur de l'entreprise, une bonne partie des salariés n'en bénéficiant pas ou alors pas de façon sérieuse. Les intérimaires et les sous-traitants en bénéficient encore moins. Nous avons des exemples d'aberration tout à fait graves.

Puis il y a l'importance des contenus de ces formations. Pour ma part, il me semble qu'il y a un grave problème de déficience des contenus. Cela concerne la formation en entreprise, mais aussi la formation générale, y compris celle des ingénieurs. La problématique de la connaissance professionnelle et de l'intégration de la gestion du risque, en situation réelle d'exploitation, ne fait pas partie de l'enseignement français, y compris des ingénieurs. C'est une très grave lacune.

J'ai eu l'occasion d'écrire de nombreux manuels de formation ou opératoires, d'exploitation ou de conduite d'installation, y compris un manuel de sécurité des produits approuvés par le CHSCT, car c'est une question fondamentale. Il ne suffit pas de faire des fiches de risques, des formations à la sécurité ou des formations professionnelles, il faut faire des formations professionnelles qui intègrent les situations réelles. Ses salariés devraient avoir participé à l'étude de risques et au plan de prévention parce que cela leur apporte un grand nombre d'enseignement.

Dans l'entreprise où j'étais dans les années 70, c'est ainsi qu'elle a pu démarrer en un temps record, et c'est une grande entreprise.

Sur les études de risques, la CGT considère normal que ce soit les industriels qui les produisent. Le problème est qu'ils sont les seuls et qu'il n'y a pas d'expertise et de contrôle pluraliste sur ces études de risques et ces plans de prévention.

Lors de débats, comme ceux qu'il y a eus après la catastrophe de Toulouse, autour de la dangerosité du nitrate d'ammonium, on constate que même des ingénieurs ne savent pas correctement lire un livre. Il paraît donc important qu'il y ait une pluralité d'études avec des possibilités de recours efficaces. En effet, on peut avoir une pluralité d'expertises, mais si on ne donne pas les moyens aux salariés de porter leurs propositions, cela ne débouche sur rien.

En ce qui concerne les moyens d'intervention des salariés, pour porter le droit d'alerte et pour qu'il soit efficace et reçoive une réponse, il est nécessaire d'avoir un médiateur. Nous avons proposé que ce soit le CHSCT sur ce plan du risque grave. Toutefois, rien n'empêche un élu du personnel ou un salarié, si on lui accorde un pouvoir de saisine avec une protection adéquate, ou encore les commissions locales d'information et de sécurité, de porter aussi ce type de préoccupation.

Concernant les commissions départementales d'hygiène, nous sommes tout à fait favorables au fait que les salariés y participent, car ils ont connaissance de certains éléments et peuvent les diffuser.

Concernant le nucléaire, nous n'en faisons pas un modèle absolu. Il y a des défaillances. En particulier, on sait ce que la CGT pense de la sous-traitance dans le nucléaire, pour ne prendre que cet exemple. On peut constater que l'autorité de sûreté ne suffit pas, peu importe que ce soit par manque de pouvoir, de moyens ou à cause ou des contraintes économiques, mais il y a là une défaillance grave. Néanmoins, la configuration de sûreté du nucléaire reste très intéressante, car il y a une capacité pluraliste et autonome d'élaboration de normes et d'utilisation du retour d'expérience. Il n'y a rien de tout cela dans la chimie.

J'ai connu un groupe qui avait vendu à sa filiale un procédé avec les erreurs de départ, alors qu'il avait le retour d'expérience. La difficulté dans la chimie est qu'il n'existe pas une unité de procédés, comme dans le nucléaire. Il faut donc une capacité d'adaptation. C'est pourquoi il est très important que les salariés et les populations y soient associés. On peut imaginer d'associer, à l'autorité de sûreté proposée, un certain nombre de comités spécialisés par grand type de branche, par exemple transport de gaz par conduite, industrie des engrais, qui sont relativement homogènes au point de vue des procédés.

En revanche, les méthodes de prévention, au plan fondamental, c'est-à-dire la manière dont on étudie les risques, dont on construit les arbres de défaillances et dont on interrompt le passage de l'incident à l'accident, sont strictement identiques à ce qui se passe dans le nucléaire.

M. Jacques KHELIFF : Il est nécessaire d'entretenir l'attention sur les questions de sécurité, car il y a une accoutumance des acteurs du travail aux risques qu'ils côtoient régulièrement. C'est sans doute cette accoutumance qui est la plus difficile à briser.

Sur les branches professionnelles, il est important que la négociation, dans une profession organisée, se développe sur la question de la connaissance et de la maîtrise des risques. Je le dis d'autant plus que le patronat s'y est refusé jusqu'à présent. Depuis quinze ans que nous le demandons, le patronat a développé des démarches qui ne sont pas inintéressantes autour du « responsible care ». Nous avions demandé à être acteurs de cette démarche, mais cela nous a été refusé au motif que cela leur appartenait. Après la catastrophe de Toulouse, on peut espérer un peu plus de souplesse de la part du patronat.

D'ailleurs, nous pourrions imaginer que soit réalisé, annuellement, un état des risques de la profession qui constituerait un utile regard sur les réalités et qui permettrait que se développent la concertation et la négociation sur les démarches, les mesures, les incitations qui pourraient être indiquées.

Il y a quand même des situations qui ne sont pas simples. Concernant les études de risques, je citerai l'exemple de l'amiante. Point n'était besoin de faire d'études nouvelles, les propriétés de l'amiante étaient parfaitement connues. Nous étions parmi ceux qui prônaient l'interdiction de l'amiante. Nous avons retrouvé dans la rue, les salariés des entreprises qui utilisaient de l'amiante, les commerçants et les élus, écharpe tricolore barrant la poitrine, pour demander le maintien de l'activité, pour des raisons économiques, au détriment de la santé et du risque. Par conséquent, repérer les risques et les rendre transparents ne garantit pas la responsabilité dans le traitement du risque connu.

M. Dominique OLIVIER : J'aimerais apporter un complément d'information sur les études de dangers. Il est clair que ces études doivent rester de la responsabilité de l'industriel. Ensuite quelle expertise sur ces études de dangers ? Pour notre part, nous ne souhaitons pas rivaliser sur les questions techniques, parce que cela ne relève pas de nos fonctions syndicales. Notre contribution utile porte sur les questions d'organisation du travail.

En effet, une étude de dangers ne concerne pas uniquement des produits et des procédés, c'est une organisation humaine qui concourt à la prévention que nous pouvons, en tant que syndicalistes, critiquer et ainsi apporter des pistes d'amélioration.

Sur la question CE/CHSCT, l'articulation entre les deux institutions est prévue par la loi. Le Code du Travail énonce clairement que, quand le CE a besoin d'un avis ou d'une étude, il commande cette étude au CHSCT qui doit lui fournir un avis motivé. Les interactions sont donc prévues. Il suffit que ces deux institutions aient des missions claires sur la prévention du risque industriel et de l'environnement. C'est ce que nous vous proposons d'inclure dans la loi. Cette articulation est prévue et fonctionne aujourd'hui dans le domaine de compétence de ces institutions.

Mme Nicole BRICQ : Je comprends une partie de la réponse, mais vous ne répondez pas à une autre partie, à savoir le fait que l'on puisse, sur ce terrain de la sécurité, mandater des expertises prises en charge par l'employeur comme en cas d'alerte, pour des raisons économiques et sociales.

M. Dominique OLIVIER : Les deux sont possibles. Le CHSCT a également un droit d'expertise qui est actuellement limité au domaine des conditions de travail et des changements technologiques importants affectant l'organisation du travail. Mais là encore, mon raisonnement tient, si vous élargissez les missions de ces institutions aux risques industriels et environnementaux, le reste se décline tout seul. Par ailleurs, il y a un droit d'expertise du CE qui concerne les politiques industrielles, économiques, et la composante sociale, et du côté du CHSCT, la prévention des risques.

Sur le nucléaire, le point fort concerne l'utilisation et la recherche de la meilleure technique disponible. C'est l'effort français original dans le monde qui a été fait. Il y a aussi l'absence de concurrence, jusqu'à ce jour.

En revanche, les points faibles concernent les études de dangers et l'organisation du travail. Quand vous avez en tête les dysfonctionnements de la centrale de Dampierre, qui pourtant dispose des mêmes équipements que les autres centrales, la question se pose de savoir la raison pour laquelle ses résultats sont aussi mauvais.

Nous émettons l'hypothèse, après plusieurs investigations, de problèmes d'implication au travail, d'organisation du travail et de synergie entre le management et la partie opérationnelle qui conduit la centrale. Il y a sans doute même des choses encore plus fines qui sont d'ordre culturel. Ceci pour vous dire que l'on peut disposer du meilleur outil technique et néanmoins assister à des défaillances.

Quant au comité départemental d'hygiène, nous le demandons au moins depuis vingt ans. J'ai là un numéro des Annales des Mines qui date du début de l'année 1980, où nous avions publié un article au nom de la CFDT, signé par Jacques Fournier. Demander la représentation syndicale dans cette institution ne suffit pas. CDH comme SPPPI sont à revoir globalement. Non seulement il conviendra de réserver une place à la représentation des salariés, mais aussi de répartir les travaux.

Je sais, pour avoir vu des ordres du jour du comité départemental d'hygiène, que tous les points n'intéresseront pas l'ensemble des participants. Il faut répartir les rôles entre une partie régionale un peu large et une partie plus proche départementale. Ce sont plutôt nos options.

M. Michel DECAYEUX : Concernant l'étude des risques, il est clair que pour notre organisation syndicale, c'est de la responsabilité de l'entreprise.

En revanche, il me semble tout à fait logique qu'il y ait des expertises et des contre-expertises afin de vérifier la véracité de l'étude par des cabinets d'expertise indépendants, en corrélation et au titre de l'information avec les représentants du personnel. Cela étant, il faudra définir les rôles exacts et la manière dont cela se fait, en raison des problèmes de coût que cela induit.

S'agissant du fonctionnement du CE et du CHSCT, il y a effectivement synergie entre les deux institutions. L'articulation juridique existe dans le Code du Travail. Toutefois, le problème porte sur la durée des procédures. Un droit d'alerte, au bas mot, prend soixante jours. Cela peut être court dans certains cas, mais très longs dans d'autres.

Hormis le délai, un autre élément à prendre en compte, dans ce cadre de procédure, est le coût. Parfois, les salariés des CHSCT et des CE hésitent, en raison de ce coût, à engager une procédure.

Le droit d'alerte, dans les industries à risques, doit être associé à des postes doubles où les salariés ne sont pas isolés.

Concernant les comités départementaux et d'hygiène, nous souhaitons y participer, mais il faut préciser leur rôle.

Concernant la négociation faisant suite à la catastrophe de la Mède, un certain nombre de dispositions ont été prises dans la convention collective du pétrole, par exemple.

L'origine de l'accord sur la convention de la chimie remonte à 1976. Différents avenants et amendements sont intervenus, notamment en 1992 par rapport à la sous-traitance. C'est vrai que des choses ont été faites mais il convient de prendre en compte aussi un problème de moyens et de coûts pour les entreprises.

Sans empiéter sur le domaine contractuel, le pouvoir politique pourrait donner une impulsion sous forme de recommandations aux entreprises à risques de se mettre autour de la table pour examiner ce qui est du domaine contractuel. Mais nous savons pertinemment que le MEDEF ne veut pas se mettre autour de la table pour examiner ce sujet.

M. Robert PANTALONI : L'exemplarité du contrôle nucléaire doit être limitée au fait que la standardisation a aidé. Par ailleurs, l'accident de Tchernobyl a suscité la crainte d'un incident qui pourrait arriver et qui a fait que l'on s'est intéressé aux risques nucléaires beaucoup plus qu'à d'autres. Pour autant, ce n'est pas aussi exemplaire que cela, cela n'empêche pas Dampierre ou Le Blayet, des incidents de type sociaux, des aléas de type tempête, qui font que le risque existe et que l'on ne peut pas le réparer du jour au lendemain. Dire que le risque zéro est arrivé dans le nucléaire, comme on semble le dire, est faux.

J'ajouterai que pour ce qui est des entreprises EDF et GDF, si elles sont exemplaires dans le nucléaire, ce qui est dit assez largement ici, pour autant les stockages ou les transports de gaz, ou l'hydraulique sont regardés de la même manière. Je réponds non. Le nucléaire s'adresse à une industrie bien particulière, avec des compétences qui étaient connues en France dans des entreprises bien ciblées comme le CEA, EDF, Framatome. On savait où aller chercher les compétences, ce n'est certainement pas le cas partout.

M. le Président : C'est vrai que, pour ce qui est des compétences, on s'aperçoit des lacunes énormes dans beaucoup de domaines.

M. Jean-Claude JEZEQUEL : En ce qui concerne ce qui pourrait être transposable du nucléaire aux autres industries à risques. Cela relève d'une idée simple, c'est la mise en forme d'un classement des incidents à mettre en parallèle avec un échelonnage des risques.

M. le Rapporteur : C'est une bonne idée, comme beaucoup de ce que vous avez indiqué. Nous n'allons pas revenir sur des points qui nous apparaissent comme susceptibles d'améliorer la situation. Beaucoup d'idées ont été données, comme le classement des incidents, la communication des incidents à la totalité des acteurs, y compris aux CHSCT, et le réflexe de l'amélioration à partir des incidents et des quasi-accidents.

J'aurais une question quelque peu provocatrice. Hier, nous avons visité une usine AZF au Grand Quevilly. Nous sommes allés dans deux parties de l'usine. J'ai l'impression d'avoir visité deux usines différentes qui n'avaient rien à voir. La première, sur la partie dangereuse, la fabrication de l'ammoniac, où on avait l'impression, même s'il reste des choses à faire sur le confinement et d'autres éléments évoqués par les organisations, qu'il y avait une culture de sûreté. Ensuite, nous avons visité le stockage des ammonitrates et là on n'a plus du tout l'impression d'être dans une unité industrielle à risques. C'était la même que Toulouse. Il y avait des pigeons et des fientes un peu partout, c'était un espace ouvert, pas de capteur de température ou de détection de d'oxyde d'azote. Il pouvait tout se passer, dans tous les cas, on ne voyait rien.

Les organisations syndicales doivent parfois lutter contre l'effet de corps, car on a tendance à se souder quand on suppose que l'on va attaquer globalement un type d'industrie. C'est le réflexe qui s'est produit dans le nucléaire.

Est-il vrai qu'à Toulouse, dans des hangars qui devaient être du même type que ceux de Grand Quevilly, les ammonitrates ne faisaient l'objet d'aucune surveillance, que ce soit par capteur ou autre ? Ensuite, le seul hangar dégradé avait reçu une couche de bitume sur le sol. Par ailleurs, la quasi-totalité des rebuts des nettoyages effectués dans l'usine, donc des rebuts de composition totalement différente des ammonitrates, étaient stockés au même endroit. Enfin, dernier point, c'étaient des entreprises intérimaires qui étaient chargées de ce travail. Il est évident qu'une telle situation ne peut que conduire à l'accident même si, selon les experts, l'ammonitrate n'est pas un composé explosif.

Par ailleurs, avez-vous eu connaissance de dysfonctionnements du même type existant dans un certain nombre de secteurs industriels ?

M. Christian VELLA : Effectivement, votre question peut nous faire sursauter. Vous faites un constat et vous nous demandez notre avis par rapport à un article de presse. S'agissant de ce qui s'est passé à AZF, la CFE-CGC attendra les résultats de l'enquête car, à ce jour, toutes les supputations peuvent être faites. Nous n'avons aucun document officiel nous démontrant les causes de l'accident.

M. Dominique GRANDJEAN : Je vais essayer de répondre à la question qui m'a déjà été posée, en ma qualité de secrétaire, le lendemain de l'explosion à l'usine AZF de Toulouse. Je vais prendre l'exemple de l'usine ATOFINA de Carling où je travaille, qui a cinquante ans d'âge et couvre 460 hectares, et voit apparaître de nouvelles unités. Il y a encore vingt ans, elle comptait une unité d'acide de nitrate et d'ammoniac. Il y a quatorze ans, on a arrêté la production d'engrais granulés, ce qui a entraîné le déplacement à l'époque, me semble-t-il, de l'atelier de nitrate et d'acide nitrique vers Toulouse. On peut imaginer que sont restés en place, dans ces hangars, des silos d'engrais dans lesquels ont été déposés des résidus de différents produits. Au fil des années, les nouveaux embauchés n'ont plus fait attention à ces dépôts, qui ont été recouverts par d'autres, créant une sorte de décharge sauvage hors de contrôle.

M. Jean MOULIN : S'agissant de l'explosion de Toulouse, je ne saurais répondre, parce que les informations que nous avons sont essentiellement celles de la presse qui laissent supposer différentes hypothèses. Pour ce qui est des intérimaires, c'est certain, et on peut s'inquiéter de la formation qu'ils ont reçue.

J'ai lu, dans la presse, une citation d'un directeur ou d'un ingénieur de l'entreprise qui dit en substance « je ne savais pas que le nitrate d'ammonium pouvait exploser ». Pour eux, il est donc certain qu'un stockage de nitrate d'ammonium ne présentait aucun danger.

A cet égard, j'attire votre attention sur le fait que celui qui veut des informations sur le nitrate d'ammonium doit se donner beaucoup de mal pour en obtenir. Le livre qui en traite en français n'est pas à la portée de toutes les bourses, ni facilement disponible. L'INRS n'en traite plus explicitement, même s'il avait produit, dans les années 60 ou 70, un livre qui traitait de sécurité en situation industrielle dans la grande industrie chimique minérale mais il n'a pas été actualisé et n'est plus édité. Un grand nombre de raisons font que les gens pouvaient se croire en sécurité, alors que ce n'était pas le cas.

M. le Président : Nous avons la fiche de produit sur laquelle il est bien spécifié que c'est explosible et dans quelles conditions.

M. Jean MOULIN : Certes, mais à la lecture des textes de référence, c'est très inquiétant, car on sait quand même peu de choses sur ce produit. La fiche de sécurité est très sommaire.

M. le Rapporteur : Quand la commission d'enquête a démarré ses travaux, nous avons trouvé sur Internet ces fiches et ces références, y compris les températures de chauffage et la possibilité d'une explosion dans ces conditions.

M. Jean MOULIN : C'était explicitement indiqué dans les fiches NorskHydro, mais manifestement la direction d'AZF avait oublié cette éventualité.

Ensuite, vous abordez le problème de la sécurité. Pour ma part, il me semble qu'il y a un problème très important de vigilance quant à la sécurité. Vous l'avez pointé pour le stockage, mais d'autres lieux -des sous-ensembles d'unité, des zones de stockage, d'entreposage et de transport, mériteraient certainement d'être examinés avec une grande attention, même s'ils ne sont pas classés Seveso.

Prenons l'exemple déjà ancien de l'explosion de Feyzin, provoquée par la purge d'un bac de propylène. A la suite de cette explosion, les lignes de purge et d'échantillonnage ont dû être équipées de deux vannes, dont la vanne intérieure quart de tour à passage direct. Je suis certain que si, aujourd'hui, on faisait le tour de n'importe quelle usine de France, on prendrait en défaut au moins la moitié des bacs. Or il est capital, pour la sécurité, d'avoir de tels équipements et en bon état.

M. le Rapporteur : Est-ce un fait avéré ou une supposition ?

M. Jean MOULIN : C'est une supposition, mais je suis prêt à en faire le pari.

M. Michel DECAYEUX : Une question précise a été posée par le rapporteur, suite à la visite de la commission d'enquête du site Grande paroisse de Grand Quevilly. Pour ma part, je suis allé à Toulouse 48 heures après l'événement pour rencontrer les camarades de mon syndicat, un de mes délégués syndicaux, qui est chef de quart, était de cet atelier en poste la nuit, la veille de la catastrophe.

Je lui ai posé les mêmes questions que vous vous posez. Il m'a répondu que le conditionnement et le transport, tout ce qui était en arrière de la production, étaient sous-traités. Nous attendons donc les résultats de l'enquête et restons très prudents.

Je vous rappelle qu'après l'accident de la Mède, les premiers résultats de l'enquête ne sont arrivés que dix-huit mois après le début de la procédure, qui est d'ailleurs encore en cours, huit ans après, pour définir certaines responsabilités. Il faut être prudent et attendre les résultats de l'enquête car dans les exploitations agricoles, on stocke sans aucune précaution cent ou cent cinquante tonnes de nitrate d'ammonium.

Dans l'usine AZF de Toulouse, à coté du bâtiment de stockage des ammonitrates qui a explosé, il y avait du nitrate d'ammonium. Il est incontestable que les bâtiments étaient vétustes, mais qui a la responsabilité de l'entretien de ces bâtiments : est-ce AZF ou le prestataire de service ?

Cela pose le problème des installations anciennes qui ne sont pas rénovées ni mises aux nouvelles normes.

Quand je suis arrivé, quarante-huit heure après l'explosion, j'ai pu néanmoins me déplacer et rencontrer des riverains qui étaient encore sur place. La plupart d'entre eux ne connaissaient pas les risques réels, sauf certains parce que des membres de leur famille avaient travaillé à la SNPE et qu'ils les avaient vus partir le matin avec leur masque à gaz. Cela faisait partie de l'équipement du salarié, sans pour autant créer une psychose du risque. Qui plus est, ces gens ne considèrent que la délocalisation résoudra le problème. Il ne s'agit d'ajouter à un drame, un autre drame.

M. Jacques KHELIFF : Sur l'état du hangar, j'ai eu deux versions venant de nos camarades.

Selon la première, tout était parfait, tant et si bien que l'on se demande pourquoi cela a explosé. Une partie de ce discours était dû à une campagne de presse et des expressions qui ont diabolisé cette usine, voire l'industrie. Cela conduisait à croire que les entreprises de l'industrie de la chimie sont dirigées par des prédateurs, et servis par des incapables et des irresponsables. D'où une réaction qui pousse à dire que la situation est tout à fait correcte.

Puis les experts ont commencé à évoquer les risques d'explosion dans telles conditions d'humidité, avec une apparition de la rouille ou des traces d'hydrocarbure. C'est alors que j'ai eu la deuxième version. Les camarades ont convenu que c'était un vieux hangar, dont le sol en béton connaissait des crevasses et avait été partiellement regoudronné. Il peut donc y avoir eu des remontées d'humidité. Le ferraillage dans le béton peut avoir produit de la rouille, le goudron des hydrocarbures.

Toutefois je ne suis pas étonné qu'un hangar soit dans cet état parce que j'ai le sentiment que les gestionnaires industriels du site n'avaient pas repéré que cet état pouvait constituer un danger sur le stockage concerné. Cela renvoie à la connaissance du produit et des risques qu'il génère. Pour eux, c'était normal.

Autre exemple, ce hangar était balayé. J'ai appris que les balais étaient utilisés à différentes tâches et pouvaient ainsi transporter des traces d'autres produits. Personne n'avait repéré le risque. Si on contrôlait toutes les usines _uvrant dans le domaine de la chimie pour appliquer de façon stricte toutes les normes de sécurité, il est sûr qu'une partie d'entre elles serait fermée. Je n'ai pas d'adresse précise de site à fermer, mais il me semble qu'un grand nombre d'entre eux souffrirait d'une inspection drastique.

Pendant douze ans, j'ai travaillé dans la chimie et j'ai vu les évolutions. Je me rappelle qu'un jour, sur le Rhin, la nappe phréatique a été polluée. A l'odeur, nous savions tous que c'était du cyclohexanol. La seule usine qui utilisait ce produit, était celle dans laquelle je travaillais. Il n'y avait donc aucun doute. Par chance, l'expertise diligentée a conclu que l'on ne savait pas qui avait pollué la nappe phréatique. Mascarade ! Tout le monde a accepté cette conclusion. Les maires des villages, qui travaillaient dans l'usine et qui perçoivent la taxe professionnelle, ont accepté cette version invraisemblable.

Je conclurai sur le Livre blanc de la Chimie auquel le patronat est opposé. En effet, selon des informations qui me reviennent de Bruxelles, le lobbying patronal est relayé par une partie des autorités de notre pays, au motif qu'il ne faut pas pénaliser l'activité chimique car cela pourrait mettre en danger économique et déstabiliser cette activité par rapport à d'autres concurrents.

Il y a, parmi ces arguments patronaux, un argument très intéressant selon lequel ces industriels sont tout à fait favorables aux propositions de ce Livre blanc, mais ils pensent néanmoins aux PME qui ne pourraient satisfaire aux contraintes nouvelles. Pourrait-on imaginer une épicerie se recyclant dans le nucléaire et expliquant que, comme ce n'est qu'une épicerie, elle ne peut satisfaire au cahier des charges et que sur ce motif, elle doit en être exemptée ? Il est clair que la réponse sera non.

Si des petites ou des moyennes entreprises ont des fabrications dont elles ne peuvent pas assurer la maîtrise des risques, elles doivent s'engager dans une autre activité.

M. Dominique OLIVIER : Ce hangar constitue, à l'évidence, le maillon faible dans une installation complexe et sensible. Dans Seveso 1, l'effet domino n'était pas pris en compte, alors qu'il l'est pris dans Seveso 2, c'est-à-dire que deux activités à risques élevés peuvent interagir.

Ne devrait-on pas exiger que, dans une installation sensible, il ne peut y avoir de maillon faible ? Ainsi, on peut en déduire que les obligations d'inspection doivent, non plus porter sur le c_ur du procédé qui fait l'objet de beaucoup d'attentions, mais sur la surface entière de l'établissement. Dans les centrales nucléaires, par exemple, il a été mis en évidence, pendant un temps, qu'il existait une sous-estimation du risque incendie.

Un autre fait est à signaler sur la plate-forme chimique de Toulouse. En effet, des milliers de tonnes de nitrocellulose, qui sont là depuis des années, sont stockés dans l'eau, puisque c'est le seul moyen de les stabiliser. Qu'allons-nous en faire ? Les garder encore cinquante ans, comme ces armes de la guerre 14-18 qui étaient stockées dans des souterrains ?

J'aborderai maintenant la question des scénarios de risques, puisque dans le cas des ammonitrates, l'explosion n'avait, dit-on, pas été envisagée. Or, j'ai le rapport de la DRIRE de l'époque, en 1990-91, selon lequel un tel scénario a bien été envisagé, mais qu'il a été ensuite abandonné. Ce n'est pas la même chose que de dire que cela n'a jamais été envisagé. Il serait intéressant de savoir pour quelles raisons ce scénario a été abandonné.

Si cela concerne un stockage de produit conforme sous emballage ou dans une certaine configuration, il y a peut-être des arguments valables, mais dans le cas présent, on ne stockait pas de la production aux normes, mais de la production non conforme. C'est là le maillon faible. Doit-on traiter le stockage d'une production non conforme de la même manière qu'une production conforme ?

Je conclurai sur un point qui n'a pas été évoqué, à savoir le rapport que la France doit présenter à l'Union européenne sur cette catastrophe. C'est une obligation liée au dispositif Seveso. Je suis étonné que peu de gens soient associés à la finalisation de ce rapport. Certes, une autorité doit en être chargée. Mais pourquoi différentes parties n'auraient-elles pas le droit de lire ce rapport avant qu'il soit envoyé à l'Union européenne et y apporter des amendements ? Il me semble que le législateur que vous êtes devrait questionner les responsables et qu'avec votre commission d'enquête, vous seriez fondé à avoir un regard critique sur ce rapport, car il sera très important pour les suites européennes données à cette catastrophe française.

M. le Président : Votre question est pertinente. Nous la poserons aux représentants de l'administration que nous rencontrerons la semaine prochaine.

Dans les usines à risques, il y a différentes catégories de périmètres de protection. Si on dressait la carte de France des périmètres de protection qui couvrent des zones urbanisées, on trouverait certainement beaucoup d'usines dans ces zones. Avez-vous une idée sur la façon de faire évoluer ces situations, c'est-à-dire comment régler le problème de ces installations qui débordent sur des zones urbanisées ?

M. le Rapporteur : J'aurai deux questions à l'adresse de M. Olivier. A quel endroit se situent ces stockages de nitrocellulose ? Par ailleurs, pourriez-vous nous transmettre le rapport de la DRIRE que vous venez d'évoquer ?

Monsieur Moulin a mentionné de graves défaillances de l'intervention publique. De quoi s'agit-il ?

Nous avons observé hier que, dans l'usine de pétrochimie, gérée avec une culture anglo-saxonne, des efforts en matière de sécurité avaient été nettement entrepris. Comme vous le rappelez, il y a plusieurs secteurs dans l'industrie. Par conséquent, il ne s'agit pas d'accuser l'ensemble de l'industrie, mais de voir où cela fonctionne mieux ou moins bien.

Les experts nous ont indiqués qu'on avait tendance à transgresser les règles, ce que vous nous avez également rapporté. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Dominique OLIVIER : Concernant les stockages de nitrocellulose dans des masses d'eau, ils sont situés sur d'anciens terrains de la SNPE. Il convient de savoir à qui ils appartiennent aujourd'hui. Il me semble que la presse s'est fait l'écho de cette affaire.

Pour notre part, nous avons recueilli cette information de l'un de nos représentants syndicaux. Je vous transmets donc ce témoignage que j'ai moi-même entendu. Ces stockages sont connus et certains doivent être en mesure de pouvoir vous préciser les lieux, les volumes et les quantités.

Quant au rapport de la DRIRE, je pourrai vous le transmettre.

Les graves défaillances de l'intervention publique se rapportent à la fréquence à laquelle la DRIRE peut assurer ses missions d'inspection. Ce n'est que tous les sept à dix ans qu'elle peut repasser et inspecter la partie installation classée et soumise à autorisation, soit la partie plus dangereuse.

M. le Rapporteur : Honnêtement, sur les sites Seveso, c'est plus souvent que cela, avec de la part de la DRIRE, des inspections inopinées sur une trentaine de sites en même temps. En revanche, sur les installations soumises à déclaration, je partage votre avis.

M. Dominique OLIVIER : Concernant les installations soumises à déclaration, j'ai eu le témoignage du directeur de la DRIRE Nord-Pas-de-Calais hier soir, dans un débat, lors duquel il nous a apporté ces chiffres. Selon lui, si l'on compare avec le nucléaire, il y a un rapport de dix pour le potentiel humain d'inspection.

M. Jacques KHELIFF : Il est certain que l'on s'arrange ici ou là des normes, non pas de manière permanente, mais de manière ponctuelle, quand on a un incident ou des objectifs de marche de l'entreprise qui la poussent au maximum de ses capacités.

Bien souvent les normes des rejets dans l'atmosphère sont précisées pour des installations neuves. Mais vous avez des défauts de brûleurs, des problèmes liés à la fabrication qui font que l'entreprise enverra plus de vapeurs nitreuses dans l'atmosphère que les normes autorisées. Tous ces rejets seront hors normes en marche normale. Il est difficile de maintenir, de manière permanente, le respect des normes en vigueur pour les fonctionnements.

Je ne pense pas que c'est une volonté délibérée, de la part des entrepreneurs, de ne pas satisfaire aux normes. La plupart du temps, au contraire, ils recherchent à satisfaire les normes. Ensuite il y a la réalité des fonctionnements, au jour le jour, qui peuvent expliquer qu'ici ou là, des dépassements ou des non-respects sont observables. Je suis certain que si l'on voulait mettre tous les sites aux normes strictes, cela poserait des problèmes.

Sur les dépassements de périmètres, soit on démolit les usines, soit on démolit les logements.

M. le Rapporteur : Il y a d'autres solutions comme le dimensionnement par rapport au stockage.

M. Christian VELLA : Aujourd'hui, on peut certainement diminuer le risque en diminuant les quantités stockées. C'est un des enseignements de l'après-Toulouse. C'est un point sur lequel il conviendra de mener une réflexion.

Par rapport au stock de nitrocellulose, il n'y a pas, que je sache à ce jour, de stockage de nitrocellulose sur le site SNPE. Ce sont des problèmes d'information. Nous avons lu tout et son contraire dans la presse. C'est pourquoi nous avons organisé une action "portes ouvertes" de l'établissement au public, ce week-end et le week-end dernier, afin d'expliquer nos activités, cela dans la transparence.

C'est une démarche qu'il conviendra de généraliser dans les entreprises à risques, de manière que chacun puisse se rendre compte par lui-même de ce qui s'y passe.

M. Dominique GRANDJEAN : Dans le cadre des POI, on est obligé de faire les plans zone 1 et zone 2.

Par rapport à cela, lors des tables rondes qui se déroulent dans les départements, j'ai demandé au sous-préfet comment il pensait pouvoir remédier à ces constructions d'habitations autour de l'usine. Il m'a immédiatement répondu que le préfet du département avait donné ses directives dans le cadre du plan d'implantations voulues.

Des études doivent donc être conduites au niveau du département dans le but de ne plus construire d'habitations autour des usines et de prendre en compte les zones vertes et les axes routiers, etc.

M. le Président : C'est une formule que nous ne connaissions pas.

M. Dominique GRANDJEAN : Je peux vous faire parvenir le dossier.

M. le Président : Officiellement, nous vous le demandons.

M. Jean MOULIN : Concernant les périmètres de protection, il est nécessaire de regarder au cas par cas et certains POS seront à réviser. Il conviendra également d'examiner les quantités stockées, la réduction des risques, et les protections qui peuvent être mises en place, y compris sur les sites existants. Par exemple, concernant le stockage, j'ai en tête des alignements de bacs de pétrole brut, de fuel ou d'essence dans certaines zones où l'on diminue les exigences en matière de merlons de protection, au fur et à mesure que l'on augmente les quantités. C'est une aberration, car cela devrait être plutôt l'inverse. Il y a sans doute aussi à renforcer les cloisonnements. Il existe donc de nombreuses possibilités de cette nature qu'il conviendra d'examiner très sérieusement.

S'agissant des défaillances de l'intervention publique, elles sont de plusieurs natures. La question des moyens me semble être évidente. Il y a la question de la politique de prévention elle-même. J'ai recherché la doctrine de l'INRS, des DRIRE, du ministère, etc. Quand j'entends un haut responsable dire que l'on peut faire de la sécurité en installant des automatismes, en ignorant totalement le rôle des hommes dans la sécurité des installations à risques, c'est grave. Il y a là un problème de doctrine et de réflexion.

Il y a le problème de la non-coordination des interventions. Par exemple, ce ne sont pas les mêmes personnes ni la même tutelle qui sont en charge des installations Seveso et des installations classées. Il paraîtrait même que l'on ne se parle pas d'un étage à l'autre.

Dans les études de risques, les salariés ne sont jamais sollicités. Lorsque l'on interpelle les DRIRE, on ne reçoit aucune réponse. Les DRIRE ne tiennent pas compte des évolutions qui interviennent dans l'entreprise, non seulement par rapport aux nouvelles unités ou modifications d'unité, mais par rapport aux évolutions sociales, c'est-à-dire en termes d'organisation du travail et d'emploi.

Une entreprise peut avoir été, il y a vingt ans, en excellente situation du point de vue de la sécurité, puis pratiquer une politique de sous-traitance et de réduction des effectifs sans remettre à niveau les plans d'analyse des risques et de prévention. Or la situation est devenue très différente.

Dans un secteur particulier, qui est le transport de gaz par conduite, il n'y a pas de normes générales, c'est-à-dire que les mêmes normes ne s'appliquent pas à GDF et aux autres acteurs du secteur. Par ailleurs, c'est l'entreprise qui est productrice de normes et utilisatrice, ce qui pose problème d'autant plus quand on est en situation de concurrence.

En cas d'accident ou de procès, s'il y a une expertise, le ministère désigne des experts de GDF. Cette entreprise est donc le producteur de normes, le contrôleur et le contrôlé.

J'en arrive au dernier point concernant les règles de procédure. J'attire l'attention sur une difficulté particulière aux industries à processus. Au niveau des procédures d'exploitation, il y a des cas où l'on transgresse la règle écrite car, si on l'applique, l'usine ne marche pas. Personne n'écrira, notamment dans la situation actuelle, une nouvelle règle pour deux raisons principales : d'une part, elle engagerait des responsabilités et, d'autre part, la frontière entre ce qui est strictement interdit, ce qui est possible sous conditions très strictes et ce qui est normal, est fluctuante.

L'exemple que j'ai en tête est le rallumage à la volée de certains fours de vapocraquage, procédure courante qu'aucune direction ne formule par écrit car cela engagerait sa responsabilité. Tant que les salariés sont parfaitement formés et connaissent les limites de la procédure et la variabilité de la frontière en fonction de la composition du gaz, il n'y a pas de problème. Cela fonctionne bien et, en plus cela évite la fatigue du matériel et les risques qu'elle engendre. Paradoxalement, c'est donc plutôt une bonne procédure. Mais, si jamais on perd ce savoir-faire et cette vigilance, on passe la frontière et les fours explosent.

M. Michel DECAYEUX : Selon le rapporteur, il ne s'agit pas de fixer des règles et des normes, il faut aussi qu'elles soient respectées. Dans le cadre de l'urbanisation, malgré un certain nombre de dispositions existantes - et je ne jette pas l'anathème sur qui que ce soit - j'ai constaté, notamment depuis 1997, la construction d'un lotissement par exemple près d'une usine à hauts risques, sans aucun respect des règles.

Il est vrai qu'actuellement, nous sommes passés à un état de fait. Des entreprises à risques se trouvent en zone urbaine. Comment faire pour éviter de nouveaux drames ? Cela passe, tout d'abord, par la normalisation des installations, une réflexion sur le stockage, les volumes de stockage, la nature physico-chimique du produit stocké. Par exemple, un état granuleux est peut-être préférable à un état aqueux, car il présente moins de dangerosité. Ce sont différentes pistes à creuser, car il est évident que vous n'allez déplacer ni les entreprises ni les populations, dans le contexte actuel.

Il est certain que toutes les nouvelles organisations et flexibilité du travail ont engendré une augmentation des risques professionnels.

Les défaillances publiques, dans bon nombre de régions où les industries chimiques sont dispersées, c'est moins vrai dans les grosses régions industrielles chimiques comme Fos-sur-Mer, Martigues ou l'embouchure de la Seine, sont constituées par des défaillances en termes de moyens et de périodicité des contrôles. Cela relève du budget de l'Etat. C'est un élément à examiner dans le cadre de votre mandat et des possibilités qui sont réalisables.

M. Robert PANTALONI : A l'instar de ce qui s'est passé après Tchernobyl où l'on a mis en place une autorité de sûreté nucléaire qui a été efficace, il est évident qu'il y aura un avant et un après-Toulouse.

J'ai connu la situation sur le pourtour de l'étang de Berre, à l'époque où l'on a durci les normes de rejets atmosphériques. BP à Lavéra, Total à La Mède et Shell à Berre avaient alors décidé que si ces normes étaient durcies et qu'ils devaient reconstruire leurs usines, ils ne le feraient pas autour de l'étang de Berre. Je formule le souhait que les conclusions de votre commission n'aboutissent pas à des décisions d'industriels qui engendreraient un drame social.

M. Dominique GRANDJEAN : La mission de cette commission d'enquête porte sur la sûreté des installations industrielles. Or j'ai l'impression de reprendre une réunion qui a eu lieu il y a quinze jours avec le comité technique national (CTN) de la chimie. Tous les participants se sont focalisés sur l'accident de Toulouse alors que chacun sait que cet accident fait encore l'objet d'une enquête dont on attend les résultats.

Au CTN, selon le patron de la prévention de la CNAM, la meilleure façon de travailler était de ne pas se fixer sur l'accident de Toulouse. C'est pourquoi les organisations syndicales et la CNAM ont créé une commission chargée de définir des directives de prévention, dans les entreprises chimiques, au niveau national et européen. Il convient de généraliser la prévention de la sécurité, sans pour autant se baser sur l'accident de Toulouse.

M. le Président : Concernant l'accident de Toulouse, vous avez eu une question incidente, on ne peut donc pas dire que nous avons parlé que de cela et d'ailleurs, ce n'est pas l'objet de la commission.

Cela étant, notre commission ne concerne pas uniquement la sûreté des installations, mais aussi la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accidents industriels majeurs. Par conséquent, nous devons nous référer à des cas existants, celui-là étant dans toutes les mémoires.

M. Christian VELLA : J'espère que vos travaux contribueront à améliorer la sécurité dans nos installations au niveau de la chimie. Ils permettront, je l'espère, de ne pas diaboliser la chimie et apporteront une plus grande transparence et une meilleure connaissance du public des activités de l'industrie chimique. Tout particulièrement, j'espère qu'il n'y aura pas un cas spécifique pour la chimie dans le pôle toulousain.

M. Jean MOULIN : La commission d'enquête va se pencher essentiellement sur la prévention des risques, mais il conviendrait de ne pas oublier les victimes et de traiter la manière dont sont gérées les conséquences d'un sinistre.

M. le Rapporteur : Nous ne sommes pas, dans la commission d'enquête, chargés de traiter la deuxième partie de la question. Quand nous aurons rencontré les associations à Toulouse, il est évident qu'en tant que parlementaires, nous aurons une perception du drame que cela a été pour un certain nombre de personnes, employés ou riverains.

Par ailleurs, notre but n'est pas de pointer du doigt la chimie et de prescrire un déplacement des usines vers la campagne. L'éclatement sur le territoire français des usines à risques montre bien que ce serait quasi impossible. En tant qu'élus de terrain, nous savons que certaines situations, telles que l'implantation de décharge ou de laboratoire souterrain sur les déchets, sont particulièrement compliquées.

Certes l'industrie représente des emplois, mais en même temps aujourd'hui, la population demande à ses élus de minimiser les risques et de faire en sorte qu'il n'y ait pas dysfonctionnement.

L'organisation de l'Etat est-elle satisfaisante ? Vous avez donné l'exemple du modèle nucléaire, mais il n'est pas forcément transposable. Notre rôle est de faire un diagnostic, de tenir compte de vos remarques et de vos suggestions, et de rencontrer la totalité des acteurs. Vous êtes une partie importante des acteurs, mais il y en a d'autres.

Nos préconisations seront peut-être de dépoussiérer la loi, la rendre plus simple ou, au contraire, rajouter un certain nombre de points car ils ne sont pas prévus. Cela peut être du niveau réglementaire et non pas législatif.

Il faut déjà faire appliquer les lois qui existent. Notre but est de vous écouter et de parvenir au meilleur rapport possible. C'est une commission d'enquête pluraliste car ses membres appartiennent à tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale. Cela montre bien que, sur ce sujet, nous souhaitons travailler de manière exemplaire. Je tiens à vous en assurer, même si des questions peuvent vous paraître inquisitoriales, notre but est de recueillir le maximum de renseignements. Quand nous aurons visité une dizaine de sites en France, nous citerons d'autres exemples que celui de Toulouse.

Table ronde sur les assurances et la réassurance
dans le domaine des risques industriels, réunissant :

M. Alain ACERBIS, secrétaire général
de la Compagnie des Experts agréés (CEA)

M. Bernd OTTEN, délégué de Munich Ré France Services,

M. Louis-Marie BOUCRAUT, vice-président
de la compagnie des experts agréés,

M. Philippe DETREZ, président
de l'association pour le management des risques
et des assurances de l'entreprise (AMRAE),

M. Pierre FLORIN, directeur-adjoint d'AXA corporate solutions,

M. Raymond GUILLET, président de la Fédération des experts et président du syndicat national des experts d'assurés (SNEA),

M. Denis KESSLER, président
de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA),

M. Guy LALLOUR, directeur général d'AGF
courtage pour les grands comptes,
M. Jean-Marc LAMERE, délégué général
de la fédération française des sociétés d'assurance,

M. Jean-Marie NESSI, président-directeur général
d'AXA corporate solutions, (responsable de la réassurance)

M. Renaud de PRESSIGNY, directeur
de SCOR Business solutions (branche risques industriels)

(Procès-verbal de la séance du 22 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'être présents. Je vous rappelle que notre réflexion porte sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.

Nous souhaitons faire le point sur la détermination des risques par les compagnies d'assurance, le lien prime/risque, le cas de refus de garantie et les recours éventuels, le champ de l'indemnisation, le rôle des réassureurs, les techniques de réassurance et les différences d'approche des législations françaises et anglo-saxonnes en matière de risques industriels et technologiques.

Nous avons déjà auditionné des experts en sûreté industrielle et des juristes spécialisés dans le droit des installations classées pour la protection de l'environnement. Nous avons également reçu les responsables de grandes organisations professionnelles et les représentants des syndicats de salariés. Nous avons en outre effectué une mission en Haute Normandie à l'occasion de laquelle nous avons réalisé des auditions et visité deux usines : l'usine de Grande Paroisse à Grand Quevilly et la raffinerie Exxon à Port Jérome. Suite à ces auditions et à ces visites, nous avons beaucoup de questions à vous poser. Je voudrais donc que vous essayiez d'être aussi concis que possible dans vos exposés liminaires.

Nous avons convenu d'entendre vos interventions dans un ordre logique. Nous commencerons par le secteur de l'assurance : suivront la réassurance, les experts, et la gestion du risque.

Les représentants du métier de l'assurance sont MM. Florin et Lallour. La parole est à M. Florin.

M. Pierre FLORIN : Nous sommes ici pour évoquer les risques industriels majeurs et les risques qui s'ensuivent, c'est-à-dire de catastrophes. Nous distinguons divers types de catastrophes : les catastrophes naturelles, industrielles et technologiques auxquelles s'ajoutent de façon transversale les catastrophes "criminelles", c'est-à-dire les attentats.

En matière de risques industriels majeurs, l'évaluation des risques est fondée sur l'activité et sur la gestion des risques. Les activités et produits manipulés font l'objet d'indice de gravité qui dépendent desdits produits.

D'autre part, nous faisons une analyse de la gestion du risque, c'est-à-dire la façon dont les entreprises gèrent le risque. Cela explique les contacts étroits que nous avons avec les gestionnaires de risque professionnels des grandes entreprises françaises.

Ensuite, il y a des tentatives de calculer ce que l'on appelle le sinistre maximum possible (SMP). Elles dépendent d'analyses très technologiques et évoluent aussi en fonction "de l'expérience" avec deux types d'impacts : les impacts d'incendie ou d'explosion et les impacts environnementaux, qui ne sont pas aussi définitifs qu'on ne le pense.

Vient ensuite la cotation qui dépend des indices de gravité que j'évoquais et des capitaux assurés qui sont de deux types : les capitaux propres de l'entreprise (bâtiments de l'usine et ce qui appartient à l'entreprise) et la responsabilité civile, c'est-à-dire les atteintes aux tiers que, par exemple, une explosion pourrait provoquer aux alentours, aux voisins et aux tiers.

Les capacités et les prix sont fixés par la compétition notamment par des appels d'offres, en fonction des statistiques françaises, européennes ou internationales et des capacités disponibles par le biais de la réassurance qui a sa propre problématique de mutualisation internationale.

Le problème de l'indemnisation vient ensuite. L'indemnisation de catastrophe pose à chaque fois des problèmes très spécifiques : il y a de grandes différences entre la manière d'indemniser les sinistrés d'une catastrophe naturelle, d'une catastrophe industrielle -dont les expériences sont assez rares malgré tout- ou d'une catastrophe technologique. Le point clé est de savoir s'il y a ou non un responsable.

Le fait que des notions de responsabilité civile, donc juridique -donc à la limite judiciaire- peuvent intervenir interfère dans les procédures d'indemnisation de façon quelquefois perturbante. On ne peut pas aller au-delà du Code civil et cela peut freiner certaines procédures.

Sur les sinistres ou les catastrophes d'ordre environnemental, nous avons peu d'expérience. Il s'agit plus pour nous d'anticiper la notion de catastrophe et de mettre en place des pré-procédures en sachant qu'une catastrophe ne ressemble jamais à aucune autre. A titre d'exemple, je comparerai Furiani et Toulouse : à Furiani, 2 300 personnes ont été blessées au même moment et au même endroit. Le traitement de la catastrophe de Furiani ne peut pas être comparé à la façon dont nous devons procéder pour le sinistre de Toulouse.

M. le Président : Ce qui nous intéresse, c'est de comprendre comment cela marche, mais aussi de voir ce qui pourrait changer. Pourriez-vous orienter votre propos sur ce qui vous semble susceptible d'être modifié ?

M. Guy LALLOUR : Je concentrerai mon propos sur quelques remarques générales. Je vous transmets également un rapport type des prestations des assureurs pour leurs clients et quelque brochures représentatives de notre communication en matière de prévention et de protection avec nos clients.

Je parlerai essentiellement de l'une des facettes du métier de l'assureur qui est d'aider ses clients en matière de prévention et de protection. Notre approche repose sur l'idée que l'assurance ne suffit pas. L'assurance et la prévention sont deux choses complètement complémentaires : elles sont importantes car elles unissent dans un même souci l'assureur et l'industriel. L'assureur a, au service de l'industriel, accès à tout un historique de sinistres, tant par origine de sinistre que par industrie. En matière de prévention et de protection, il est important de pouvoir, à partir de la typologie d'un risque donné, extrapoler à ce qui pourrait arriver. En particulier, l'expérience des sinistres est très importante.

Le prix et la disponibilité d'assurance constitue une mesure certes indirecte et imparfaite du niveau de risque. L'une des notions sur laquelle nous insistons en matière de prévention et de protection est que nous voulons aider nos clients à faire les meilleurs choix en matière de risque. Comme dans toute activité économique, il y a un niveau optimum en matière de protection : nous en avons de nombreux exemples.

En matière de sécurité, la prévention et la protection se complètent. L'élément humain et l'association du personnel sont des facteurs clé de la prévention et de la sécurité, on le constate tous les jours

La priorité pour l'assureur est de prévoir les conséquences possibles d'un sinistre grave. Notre expérience des industries et des clients est très importante. J'insiste sur le fait que les audits des assureurs n'ont pas pour rôle de vérifier une conformité à la réglementation : elle part de la notion de risques intrinsèques. Pour nous, la conformité à la réglementation n'est pas importante : nous travaillons dans beaucoup de pays avec des réglementations différentes. Ce qui nous intéresse, c'est le risque lui-même et la protection vis-à-vis de ce risque.

Il faut aussi avoir conscience que les assureurs en France ont essentiellement le souci de la protection des biens. La protection des travailleurs n'est pas au centre de nos préoccupations, comme cela peut être le cas des assureurs d'autres pays. En effet, en France, les accidents du travail relèvent, dans la plupart des cas, de régimes qui échappent à l'assurance. Force est de constater qu'il y a certainement des progrès à faire entre les assureurs et l'administration sur le terrain.

Par ailleurs, nous sommes profondément convaincus que le risque zéro n'existe pas dans les activités industrielles. Le principe de précaution, qui pose comme corollaire la possibilité d'absence de risque et qui oblige à inverser la charge de la preuve, peut avoir, dans certains cas, un effet paralysant en matière de prévention et de protection si l'on se fixe des objectifs sans doute trop élevés.

J'invite aussi votre commission à examiner, entre autres sources d'information, les travaux du réseau Trustnet, projet financé par l'Union européenne, sur la gouvernance des activités à risque et sur la nécessité d'un climat de confiance sociale. Il s'agit non seulement de maîtriser le risque, mais aussi de prendre en compte la dimension sociale de l'activité. Cette approche vise à admettre que le risque zéro n'existe pas dans la pratique, qu'il faut vivre avec le risque et qu'il faut bâtir un consensus autour d'un risque accepté, reconnu et mesuré.

En conclusion, l'assureur a pour vocation, au travers de ses équipes de prévention, d'aider les industriels à réduire leur risque. A ce titre, nous sommes heureux de contribuer à vos travaux.

M. le Président : Quand nous avons rencontré des chefs d'entreprises, ils nous ont expliqué que, quels que soient les travaux qu'ils réalisent, le tarif de la police d'assurance est le même. Vous dites que vous ne vous attaquez qu'aux risques intrinsèques et non pas aux normes. Si, pour nous, le respect des normes semble être une garantie de diminution des risques, pour vous, il ne l'est pas. Expliquez-nous cela.

M. Guy LALLOUR : Dans certains cas, nous nous appuyons sur les normes, comme par exemple la qualité des installations électriques. Les normes sont importantes, nous les connaissons et les utilisons, mais a priori, nous n'avons pas pour but de vérifier la stricte conformité à la norme. D'autres intervenants en matière de sécurité sont responsables de cela.

M. le Président : Comment tarifez-vous le risque ?

M. Guy LALLOUR : Il existe en France un tarif des risques industriels et des risques d'entreprise : Il s'agit d'une véritable bible en matière de tarification appelée "Livre rouge".

Un exemple très concret qui reflète la prise en compte de la protection au sein de ce tarif est la différenciation pour chaque activité entre le tarif du risque incendie protégé normalement et le tarif du risque protégé par extinction automatique. Lorsqu'un dispositif d'extinction automatique existe, les tarifs sont abaissés de 80 % par rapport aux tarifs de base.

Ce tarif de référence montre que les mesures de protection et de prévention sont individualisées pour chaque activité et qu'en fonction de ces mesures, le tarif de base est différent.

M. le Rapporteur : Après l'intervention des réassureurs, je poserai une question sur les structures et l'organisation des primes. On prendra l'exemple de Toulouse. Qui assure ? L'industriel lui-même y participe-t-il ?

Vous avez dit que la conformité à la réglementation n'est pas importante pour vous et que votre souci était le risque intrinsèque.

M. Guy LALLOUR : Je veux souligner très clairement que nous ne nous désintéressons pas des normes, mais que notre prestation n'a pas pour but d'aller chez un industriel et de vérifier la conformité à une norme.

M. le Rapporteur : Vous avez des expertises pointues qui doivent vous permettre de déterminer de la manière la plus précise possible le risque industriel propre à chaque installation.

Après expertise d'une entreprise et d'un risque, comment pouvez-vous participer à la prévention ? Cela vous importe-t-il ou non ? L'expertise que vous avez commandée, et dont vous avez les résultats, peut-elle à un moment donné être utile pour l'industriel ?

Vous communique-t-on les incidents et les quasi-accidents ? Quel est le mécanisme de communication des événements internes à l'entreprise qui vous permettent de mesurer la fiabilité du point de vue de la sûreté des process industriels à l'intérieur de l'entreprise ?

Dans une même industrie, comment prenez-vous en compte la culture de sûreté ? Avez-vous remarqué qu'il y a des cultures de sûreté différentes selon les secteurs industriels ou l'origine géographique des entreprises ? Les Anglo-saxons ont-ils une meilleure culture de sûreté que d'autres pays ?

M. Pierre FLORIN : L'analyse d'un risque dans le domaine industriel ou particulier tient compte du comportement. L'évaluation d'un risque repose à la fois sur des éléments factuels, comme l'existence de l'usine, l'activité à l'intérieur et les produits qui y sont utilisés, et sur la gestion du risque et donc, de la culture de sûreté qu'il y a à l'intérieur de l'entreprise.

La culture de sûreté se traduit par les investissements que l'entreprise consacre à la sécurité au sens large. Il ne s'agit pas de prendre en compte seulement le montant de ces investissements mais aussi le processus de gestion du risque. A quelle hauteur se place le responsable de la sécurité, de la sûreté ou le gestionnaire du risque dans un organigramme ? Cet élément est un indice pour nous de l'importance que la direction de l'entreprise accorde ou non à la sûreté.

M. le Président : Cela joue-t-il sur le tarif ?

M. Pierre FLORIN : Oui, cela joue sur le tarif et même sur l'acceptation. C'est-à-dire qu'il y a des risques où nous constatons que, par rapport à la gravité factuelle de l'activité et du produit, on estime que la gestion du risque est relativement faible. Cela joue sur la prime et même sur l'acceptation. (Signes de dénégation de M. Detrez).

Une compagnie comme la nôtre a une capacité de souscription. On pourrait, pour un risque donné, assurer 500 millions de francs. Dans l'hypothèse d'un manque de sûreté dans le management, on n'acceptera de n'assurer qu'une fraction de cette somme de la même manière qu'une banque prête selon la sûreté financière de son emprunteur. On analyse et on a quelques indices, dont le gestion du risque, qui permettent de modifier nos engagements et le prix, non seulement en primes, mais aussi en hauteur d'engagements.

M. le Président : Je dois demander à M. Detrez qui semble contester vos propos de donner son point de vue.

M. Philippe DETREZ : Nous avons tous prêté serment. Pour ma part, je découvre aujourd'hui des choses qui ne correspondent pas au discours entendu au cours des années de la part de mes assureurs. Merci des révélations qui me sont faites ce matin !

Je m'inquiète du léger décalage avec la réalité de ces propos idylliques s'appuyant très fortement sur le gestion du risque. Je suis président de l'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise qui regroupe aussi bien des entreprises privées que publiques, des collectivités territoriales que des entreprises de services, des banques et des industries. A ce titre, je crois être en mesure de faire la synthèse de tout ce que nous ressentons sur le marché et je vois un certain décalage entre les propos tenus et ce que nous vivons.

J'abonde dans le sens des propos tenus sur l'importance du facteur humain qui entre même dans les critères de tarification et dans les critères qui permettent de définir si un risque est bien protégé ou non.

Il en va différemment sur la place du gestionnaire du risque par rapport au président de l'entreprise. On nous demande rarement si l'on est le bras droit du président, en deuxième ou troisième ou énième position dans l'organigramme de l'entreprise. Si cela joue sur la prime et sur l'acceptation, je m'inquiète beaucoup

En tant que directeur des assurances pour le groupe PSA, je connais le niveau d'engagement des assureurs, qui sont parmi les premiers du monde, sur des contrats comme le nôtre et la raréfaction des capacités. Nous atteignons vite une certaine limite dans l'acceptation des risques. Pourtant, nous sommes parmi les meilleurs avec une direction prévention et gestion des risques composée d'une centaine de personnes travaillant uniquement sur ce sujet, direction qui regroupe la sécurité logique, physique, la sécurité des personnes, la sécurité des biens, l'assurance, l'environnement. De plus, une équipe organisationnelle se situe au niveau de la direction générale et de l'état-major.

Si nous avions été mauvais, nous serions désespérément à la recherche d'un assureur. Le problème réside dans l'adéquation entre les besoins de l'assuré et la vision de l'assureur : vision sans doute sincère, mais qui ne correspond pas toujours aux besoins de l'assuré dans son développement à l'international et sa recherche de capacité.

Nous sommes d'accord sur les axiomes théoriques, mais pas sur la mise en place pratique. Il faut que nous retrouvions un binôme véritable. Ce n'est pas tout à fait le cas.

Je serais très heureux d'entendre le réassureur dont le métier est en train de changer. Il faut revenir à la source du métier et il convient que chacun retrouve sa technicité.

A propos des SMP, j'ajouterai quelques informations explicites concernant les lois anglo-saxonne et française qui devraient répondre à l'une de vos questions, monsieur le Président, à laquelle je n'ai pas entendu de réponse. Quels que soient les travaux faits par les industriels, on ne voit pas de baisse de prime. Il n'est pas question de retour sur investissement. Ce serait illogique, absurde et irréaliste. Il s'agirait tout simplement d'acter le fait que des efforts accomplis d'année en année entraînent une amélioration du risque et doivent se retrouver quelque part. Or, ce n'est pas le cas.

Je considère que l'assurance est un problème d'individualisation malgré son rôle de lissage des événements en jouant sur les grands nombres. Or, si l'assureur se situe dans le court terme avec un métier de lissage dans le long terme, les problèmes de ratio, de solvabilité, de retour sur investissement et de compétition entre assureurs et réassureurs, il n'est plus dans la même logique que l'industriel qui a besoin de temps, de sécurité et de pérennité. Il ne faut pas que le métier d'assureur change complètement en devenant financier, mais qu'il reste technique. C'est tout le débat et l'enjeu.

M. le Président : Nous constatons que nos questions n'ont pas reçu de réponses.

Mme Michèle RIVASI : J'ai des questions élémentaires qui reprennent et rejoignent celles de mon collègue.

Tous les industriels sont-ils assurés ? Assurez-vous tous les industriels qui vous le demandent ?

Qui fait l'évaluation des risques ? A un moment donné, un industriel vient vous voir : il veut que vous l'assuriez. Vous faites une expertise en fonction de vos critères et vous annoncez combien il en coûtera. La situation peut ensuite évoluer. Avez-vous ensuite une obligation de suivi ?

L'assurance va-t-elle, de façon inopinée, vérifier si les éléments pris en compte à l'origine restent vrais ? S'il y a eu des améliorations dans la sûreté et que cela peut jouer sur la prime, vous seriez prévenus par l'industriel. Mais si la situation s'est dégradée ?

Lors de nos visites aux industriels, nous avons été surpris d'apprendre que les inspections des DRIRE ne sont pas relayées par des inspections d'assurance qui pourraient pourtant les compléter du point de vue de la prévention de la sûreté.

M. Guy LALLOUR : Les industriels sont-ils tous assurés ? C'est le cas d'une très grosse majorité. Il y a peut-être quelque cas contraires, mais très peu. Je n'en connais pas : cela me paraît être l'exception.

Un indicateur nous donne au fil du temps la pénétration de l'assurance, le pourcentage d'industriels assurés pour le risque direct, mais aussi sur leurs pertes d'exploitation, et cette proportion a fortement augmenté pour dépasser 50 %.

M. Philippe DETREZ : Ce n'est pas glorieux !

M. Guy LALLOUR : Assure-t-on tous les gens ? Non. On n'assure pas tous ceux qui le demandent. L'assurance est un contrat privé dans lequel l'assureur se réserve d'assurer ou de ne pas assurer. Je n'ai pas les chiffres, mais on ne souscrit pas sur toutes les affaires qui nous sont proposées.

Mme Michèle RIVASI : Pourquoi refusez-vous des industriels ? Quels sont les critères ? Avez-vous peur d'une catastrophe à un moment donné ?

M. Jean-Marie NESSI : Je pense pouvoir vous éclairer. Je suis réassureur. L'assurance implique, en fonction de la qualité du risque, une décision de l'assureur d'assumer ce risque ou pas pour un tarif donné. Lorsqu'il n'y a pas obligation légale d'assurance, l'assureur peut refuser d'assurer un industriel donné.

Pour quelles raisons ? La qualité du risque peut être insuffisante. On considère que la probabilité que ce risque soit sinistré est trop importante pour le prix que l'on peut en obtenir. La deuxième raison est que l'industriel refuse le prix qui lui est demandé.

Mme Michèle RIVASI : Que faites-vous dans ce cas ?

M. Jean-Marie NESSI : On ne fait rien. C'est un contrat entre deux parties. Si quelques industriels ne sont pas assurés, ce qui ne paraît être le cas, c'est quasi certainement suite au refus du tarif qui leur est demandé. Cela veut dire que les industriels non assurés sont certainement les plus dangereux.

Mme Michèle RIVASI : Qui va indemniser les victimes ? Il faudrait donc une obligation d'assurance.

M. Pierre FLORIN : On dit qu'il y a des industriels non assurés, mais ils sont peu nombreux.

M. le Président : Il nous faut reprendre les questions dans l'ordre pour que vous puissiez y répondre afin que les concepts soient passés en revue les uns après les autres.

Le premier point est celui des conditions dans lesquelles la prime d'assurance est établie. Pouvez-vous être précis sur cette question ?

M. le Rapporteur : Si on ne se tient pas à l'ordre des questions, on arrivera à les survoler toutes, mais pas à avancer. Nous souhaitons comprendre comment les choses se passent et ensuite poser des questions.

La première question portait sur votre façon dont les assureurs évalue les risques. Comment la prime est-elle calculée et le risque évalué ?

M. Pierre FLORIN : Deux types d'éléments sont pris en compte : les éléments factuels relatif à l'usine et les conséquences potentielles d'un accident.

En premier lieu, les biens assurés sont évalués. Il s'agit de l'usine, des machines, des stocks. La valeur de ces éléments est connue.

Quant à la tarification, elle dépend de l'activité et des indices de gravité qui dépendent de la gestion du risque et qui évaluent la prise en compte de la sûreté par la direction de l'entreprise.

L'association que préside M. Detrez regroupe environ 450 entreprises. Nous assurons plus d'un million d'entreprises. Lorsque nous, assureurs, parlons de gestion du risque, nos analyses portent sur un million d'entreprises et non pas sur 450.

M. Philippe DETREZ : Ce n'est pas un argument.

M. Pierre FLORIN : C'est une réalité !

En ce qui concerne la gestion du risque, même s'il n'y a pas de personne chargée de cette fonction, il faut tenir compte du fait que la direction s'en occupe ou pas.

Mme Michèle RIVASI : Quels sont les critères ?

M. Pierre FLORIN : Je ne sais pas s'il existe des entreprises qui ne soient pas assurées. Certaines entreprises constituent des cas difficiles. Ainsi, les boîtes de nuit présentaient des problèmes de sécurité il y a une dizaine d'années, ce qui provoquait des réticences à les assurer, tout au moins, avec des primes qui correspondaient aux capacités.

M. le Président : Je précise la question de mes collègues. Si l'on entoure une sphère d'ammoniac d'une jupe en béton, quelle est la baisse, en conséquence, de la prime d'assurance ? C'est cela la question. Vous nous dites que la prime dépend de la valeur du bien multipliée par un coefficient de gravité. Comment faites-vous plus précisément pour la calculer ?

M. Pierre FLORIN : Si nos ingénieurs estiment que la jupe en béton fait baisser la probabilité de sinistre de 10 ou 20 % en termes de fréquence et de montant, cela se traduit par une baisse parallèle de la prime.

M. le Président : Quels ingénieurs et quel pourcentage ?

M. Pierre FLORIN : La prévention n'est pas une science exacte : c'est l'appréciation par des ingénieurs...

M. le Président : Lesquels ? Expliquez-nous comment vous faites ?

M. Pierre FLORIN : Il s'agit des équipes d'ingénieurs que les grandes sociétés ont à leur disposition pour inspecter les sites industriels.

M. Guy LALLOUR : Je peux vous donner des chiffres précis. Nous réalisons en France un chiffre d'affaires de 2,5 milliards avec des grands clients industriels qui emploient plus de 500 personnes. Notre équipe compte 160 personnes, dont une quarantaine d'ingénieurs de prévention.

M. le Rapporteur : Vous nous dites que vous avez 40 ingénieurs de prévention. Ces ingénieurs jouent-ils un rôle dans les mesures de sûreté de l'entreprise ? Avez-vous par exemple réussi à réduire des périmètres Z 1 ou Z 2 qui, une fois réduits, vont faire diminuer vos risques ?

M. Guy LALLOUR : Nos équipes d'ingénieurs interviennent auprès des clients industriels pour les aider à réduire leurs risques. Cela se fait selon un processus qui est décrit dans les documents qui vous sont remis. Il a pour but d'identifier, de quantifier et de réduire les risques.

Nous travaillons avec les clients. Chaque client travaille avec ses partenaires, prestataires en matière d'assurance et de prévention, d'une manière qui lui est propre, mais il s'agit toujours d'un travail en commun.

Nous imposons un certain nombre de choses au client après en avoir discuté avec lui. Il y a ensuite toute une dynamique d'accompagnement du client sans qu'il y ait pour lui obligation de prendre telle ou telle mesure.

On ne peut pas faire de règle générale. Il est important de dire que le degré d'implication de nos ingénieurs aux côtés des clients varie. Cette implication peut se limiter à une simple approche destinée à protéger les intérêts minimum de l'assureur. On informe alors le client que l'on ne peut pas assurer son risque s'il ne prend pas telle ou telle mesure. Par exemple, nous l'informons qu'il n'est pas possible d'assurer son usine s'il n'y a pas un mur coupe-feu entre l'activité industrielle et le stockage. Notre implication peut également aller jusqu'à une complète association avec l'industriel pour assurer une diminution des risques sur plusieurs années.

M. le Rapporteur : A Toulouse, le hangar où l'explosion s'est produite était, apparemment, peu surveillé. Une entreprise de sous-traitance intervenait dans ce hangar. Apparemment, il y avait de mauvaises conditions de stockage.

A un moment donné, les AGF, qui était l'assureur minimal dans cette affaire, ont-elles indiqué à la firme qu'il fallait prendre des mesures de sécurité ?

Je pourrais presque dire la même chose pour l'autre usine de Grande Paroisse que nous avons visité à Grand Quevilly. Nous avons vu une usine de fabrication d'ammoniac qui, après les événements de Toulouse, a très fortement réduit les capacités de stockage. L'aviez-vous suggéré à un moment donné ?

M. Guy LALLOUR : Nous n'avons pas effectué de visite de ce site.

M. le Rapporteur : Pas vous, mais peut-être d'autres l'ont-ils fait ?

Parmi les personnes présentes, y a-t-il une personne qui était au courant de ces dossiers ?

M. Pierre FLORIN : Je n'assure pas AZF.

M. le Président : Tout à l'heure, vous avez dit que vous assuriez un million d'entreprises. Ce ne sont pas les boîtes de nuit qui nous intéressent, mais la situation du risque industriel majeur, susceptible de provoquer une catastrophe.

Nous avons vu une usine où le stockage d'ammoniac a été réduit, des jupes en béton ont été mises en place autour et cela a permis de ne plus avoir de zone urbanisée à l'intérieur des zones de danger.

Le chef d'entreprise nous a dit que cela ne changeait rien pour l'assurance. Vous nous expliquez, au contraire, que vous tarifez en fonction du risque, du taux de gravité, etc.

Nous ne comprenons pas pourquoi l'entreprise nous dit que ces efforts n'ont pas de conséquences sur les primes d'assurance alors qu'il s'agit pourtant d'une considérable amélioration de la sécurité.

Vous nous dites que vous avez des tarifs et que vous utilisez un livre rouge. A quoi celui-ci sert-il ? Est-il utilisé pour les risques majeurs ? Pouvez-vous nous expliquer comment, dans ce cas, vous avez modifié les tarifs ou si vous avez estimé que cette évolution n'était pas pertinente ?

M. Jean-Marie NESSI : On oublie un point majeur : le principe de l'assurance est d'identifier des risques homogènes dans une population qui permet de les mutualiser. On estime combien de ces risques seront sinistrés, il en résulte un coût qui est ensuite réparti sur l'ensemble de la population assurée. Pour cela, il faut que la population soit suffisamment nombreuse et que les risques soient homogènes, c'est-à-dire plus ou moins identiques.

Quand un industriel aura mis une jupe en béton devant une cuve d'ammoniac, il a "deshomogénéisé" toutes les usines qui utilisent de l'ammoniac sans mettre des jupes en béton. A ce titre, il doit bénéficier d'une ristourne par rapport à la tarification moyenne de la population concernée.

Si l'on se concentre sur les très grands risques qui peuvent causer de très grandes catastrophes, la population concernée est toute petite. C'est une première cause d' inhomogénéité.

Deuxièmement, les activités sont extrêmement différentes. Vous n'avez pas 10 usines chimiques en France qui fabriquent le même produit. Le type d'activité est aussi une cause d'inhomogénéité.

Troisièmement, la taille de la catastrophe que cela peut provoquer est variable selon ces activités. Donc, les sommes assurées, les garanties recherchées sont une troisième cause d'inhomogénéité.

L'assureur d'un pays donné, n'étant pas "capable" de mettre en _uvre une mutualisation suffisamment large des risques de ce type, s'adresse à un réassureur qui, lui, va mettre en _uvre cette mutualisation au niveau mondial. S'il n'y a pas, en France, assez d'entreprises qui manipulent de l'ammoniac ou qui fabriquent tel produit, il y en a peut-être assez dans le monde.

Le rôle du réassureur est de contracter avec chaque assureur dans le monde qui traite l'industrie fabriquant ce produit pour le dégager d'une partie importante du risque, partie qui peut aller jusqu'à 70 %. Après les sinistres catastrophiques qui sont survenus, en moyenne 70 % des montants des indemnités ont été réglées par des réassureurs au travers des assureurs.

La réassurance pour cette typologie de risque permet d'étendre l'espace géographique afin de permettre la mutualisation de ces risques.

Certaines de ces populations de risque au niveau mondial sont encore insuffisantes pour permettre une mutualisation au niveau d'une année.

M. le Président : Il n'y a pas assez de catastrophes pour mesurer le risque.

M. Jean-Marie NESSI : Il n'y a pas assez d'assurés susceptibles de verser une prime au pot commun.

M. le Président : Vous dites qu'il n'arrive pas assez de catastrophes dans certains domaines et que l'on ne peut pas calculer le risque.

M. Jean-Marie NESSI : Ce n'est pas ce que je dis. Prenons pour exemple les cinq pays fabricants de lanceurs de satellites dans le monde : cette population est statistiquement inassurable car elle ne peut pas se mutualiser dans une année. On va être obligé de la mutualiser dans le temps en considérant que cette activité peut provoquer une catastrophe tous les 50 ans. Il faut donc être capable de thésauriser la prime pour faire face à cette catastrophe quand elle surviendra dans 50 ans. Il appartient au réassureur de mettre en place, lorsque la mutualisation annuelle est insuffisante ou imparfaite, une mutualisation dans la durée ou temporelle.

Pour répondre à votre question, on ne peut pas déterminer le prix d'un risque individuellement.

M. le Président : Vous avez répondu sans y répondre.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas répondu à notre question, mais vous êtes arrivé sur une problématique très large alors que la nôtre était très ciblée.

Dans une entreprise, indiquez-vous que certaines mesures permettent d'arriver à une meilleure prévention ? Si oui, comment le faites-vous de manière concrète ? Nous avons évoqué deux exemples. Si vous ne le faites pas, cela peut-il produire un désengagement de l'assurance ?

A un moment donné, il ne faut pas parler de manière très large, mais répondre très clairement à des questions par oui ou non.

M. Pierre FLORIN : Tient-on compte de la prévention pour calculer la prime ? La réponse est oui. Tient-on compte de la prévention pour s'engager sur un risque selon le type d'activité et la gravité ? La réponse est oui.

Maintenant, il faut bien voir que l'activité d'une entreprise peut évoluer. Souvent, les méthodes de protection suivent l'évolution. Donc, finalement, la gravité a augmenté, la prévention a augmenté et la prime reste la même. Il convient de suivre cette combinaison.

Mme Michèle RIVASI : Travaillez-vous avec les DRIRE ? L'étude de danger est-elle un outil dont vous vous servez pour assurer les entreprises ?

M. Guy LALLOUR : Oui, nous les utilisons pour certains risques.

M. le Président : Nous voudrions continuer sur la façon dont vous tarifez. J'ai cru comprendre qu'il y avait une réaction d'un autre réassureur sur ce que vous avez dit. Nous allons continuer sur ce sujet.

M. Renaud de PRESSIGNY : Les programmes de visite de site sont négociés entre l'assureur et l'assuré. Chaque année, l'assureur leader, l'apériteur du programme, détermine avec l'assuré les sites qu'il va visiter.

S'agissant de TotalFinaElf, il s'agit de visites dans le monde entier sur des sites considérés comme stratégiques, soit par les risques intrinsèques soit du fait des capitaux en jeux, soit du fait de leur caractère absolument stratégique dans l'outil de production et dans l'organisation de l'entreprise.

D'après ce que j'ai compris et lu dans la presse, l'activité d'AZF n'était pas considérée comme stratégique par le groupe TotalFinaElf. Il est tout à fait logique que des assureurs n'aillent pas visiter des sites destinés à être vendus, sauf quand il est identifié qu'ils ont un potentiel de catastrophe. Il ne semble pas que cela ait été le cas pour AZF.

Il n'est pas possible matériellement pour un assureur de visiter l'ensemble des sites d'un grand groupe, ni de le faire fréquemment. C'est l'assuré qui détermine avec l'assureur les sites à visiter et l'ordre des visites.

Sur la jupe en béton et la réduction de prime, vous avez visité essentiellement des sites de grands groupes mondiaux. Ces derniers ne sont pas tarifés au site, et encore moins au stockage. La négociation est globale et porte sur des capitaux dépassant la dizaine de milliards d'euros. La prime est négociée de façon globale entre le gestionnaire de risques au niveau central, l'assureur et parfois le réassureur.

Cette prime est ensuite ventilée en interne entre les différents sites. Généralement, les gestionnaires de risques prennent en compte les mesures de prévention et de protection mises en _uvre dans ces sites, mais ce n'est pas l'assureur qui détermine le prix final du site. L'exploitant peut dire qu'il a pu construire une jupe en béton sans évolution de la prime d `assurance parce que ce n'est pas l'assureur qui décide de prendre en compte cet investissement. L'assureur le décide pour une PME installée sur un seul site, pas quand il assure les cinq cents sites d'un grande groupe mondial : c'est le gestionnaire de risques de l'entreprise qui le fait.

M. Claude BILLARD : Aujourd'hui, un grand nombre de sites industriels ont recours à la sous-traitance, avec des salariés souvent au statut très précaire, pas toujours bien formés ni très qualifiés. Il existe aussi des sous-traitants employant des ouvriers bien qualifiés et formés, mais généralement, ce n'est pas le cas. Est-ce un élément que vous prenez en compte dans l'évaluation du risque ?

Ma deuxième question porte sur l'assurance en garantie de travaux. Je suppose que le donneur d'ordre prend un certain nombre de précautions parce qu'il sous-traite. Je suppose qu'il demande à son sous-traitant s'il est assuré en garantie de travaux. Quel est le montant des primes ? On peut imaginer -peut-être que je rêve tout haut- que l'assurance du sous-traitant en la matière peut être assez conséquente, permettant au donneur d'ordre de se désengager en cas de sinistre. Est-ce imaginable ?

M. le Président : La question ne s'adressant pas spécifiquement à quelqu'un et puisque nous n'avons pas encore entendu les experts, je passe la parole à M. Acerbis, secrétaire général de la Compagnie des Experts agréés.

M. Alain ACERBIS : En préambule, je vous présenterai notre métier qui est peu connu. Il est sage de faire une petite mise au point et de réfléchir à cette évolution de notre métier dans le cadre de votre réflexion. Nous citerons des exemples qui peuvent peut-être vous donner des idées.

Le syndicat professionnel que je représente a été créé en 1936. Historiquement, nous nous sommes toujours consacrés à l'expertise pour le compte des compagnies d'assurance, après sinistre. Depuis quelques années, nous sommes ouverts à une expertise plus générale pour le compte des assurés, notamment dans le cadre de l'expertise unique auprès des grands industriels. Notre syndicat compte 2 000 experts employant 4 500 salariés. Nous avons une représentativité totale en France et nous agissons au niveau international dans le cadre de partenariats. Même si l'expertise française souffrait dans le passé d'un retard sur l'expertise anglo-saxonne, nous en sommes les concurrents aujourd'hui.

Depuis la loi n°82-600 du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, les expertises se font dans tous les domaines et concernent aussi bien les particuliers que des grands comptes. J'y reviendrai car je pense que cette loi a permis de nombreuses mesures positives. Elle peut servir d'exemple pour traiter le problème de l'indemnisation dans le cadre de sinistres majeurs.

Dans le cadre de l'assurance aux biens, notre rôle est de déterminer, après sinistre et dans le respect d'un contrat souscrit, le montant du dommage subi, tant matériel qu'immatériel, permettant la reconstitution du patrimoine sinistré. Derrière cela se cache un aspect social et humain dont nous sommes totalement conscients.

Après un sinistre, nous avons une implication forte. Un site industriel sinistré est dans une situation de crise. Les assureurs nous incitent généralement à nous impliquer dans cette gestion de crise pour bénéficier de notre expérience de gestion de sinistre. Notre intervention est diverse et peut comprendre des mesures d'urgence pour la sécurité des personnes et des biens. Nous assistons aussi les industriels pour les premières mesures économiques qu'ils ont à prendre. Nous participons ensuite à la reconstitution des biens et notamment de l'outil de production, toujours dans une optique de reprise d'activité, notion qui est capitale.

Nous complétons notre mission par la recherche des causes et circonstances. C'est probablement l'un des éléments essentiels pour envisager des actions de protection et de prévention ultérieures.

Nous effectuons notre mission dans un cadre d'indépendance et d'objectivité.

En traitant de l'évolution de notre métier, je retrouverai votre propos liminaire. Nous constatons que les catastrophes d'importance se multiplient. Dans le domaine naturel, les inondations et les tempêtes sont de plus en plus fortes. Dans le domaine industriel, nous avons affaire à des sinistres majeurs : l'explosion de La Mède, le Crédit Lyonnais, le Tunnel sous la Manche, le tunnel sous le Mont-blanc, Toulouse.

Nous essayons de suivre cette évolution par des fusions et des groupements pour avoir des structures importantes capables de mettre à disposition les ressources humaines nécessaires pour faire face de sinistres aussi majeurs.

Les catastrophes naturelles fournissent un bon exemple de réussite de l'expertise et de l'indemnisation. Tout le monde s'accorde à dire que dans le cas des catastrophes naturelles, les gens sont correctement indemnisés dans des délais courts. Il faut y voir le résultat d'une action préventive. La Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), les industriels, les pouvoirs publics et nous-mêmes avons créé des cellules de coordination départementales. Ces cellules conduisent des actions préventives et préalables. Elles instituent des procédures d'expertise et des procédures d'indemnisation. On retrouve cela dans le monde industriel, dans celui des grands comptes, des sociétés internationales, où ces procédures sont mises en place préalablement au sinistre.

Dans notre métier, nous aurons besoin d'analyser les sites et les risques sur quelques grands sites majeurs. Ne peut-on pas, dans le cadre de l'indemnisation par exemple, faire référence à ce qui se fait dans le cadre de la loi de 1982 au niveau départemental et envisager, en amont, des procédures ?

Pour prendre l'exemple de Toulouse que nous vivons tous les jours, nous constatons que certaines insatisfactions peuvent être justifiées, il faut le reconnaître. La raison en est que nous n'avons pas préparé la réaction à ce sinistre. Si, à l'avenir, nous ne préparons pas des plans, des procédures sur les grands sites majeurs qui vous intéressent, nous pourrons connaître les mêmes difficultés.

Malgré tous les efforts faits, que ce soit par les fédérations du bâtiment, pour garantir la disponibilité des entreprises susceptibles d'intervenir, par les assureurs, par TotalFinaElf et beaucoup d'autres, ce n'est pas une réussite.

Mme Michèle RIVASI : Pourquoi ?

M. Alain ACERBIS : Il faut prévoir, instaurer des procédures : il faut réfléchir à la mise en place de groupements de gestion de crise dans le cadre des indemnisations.

M. le Rapporteur : Certains ont dit que l'expertise n'était pas terminée.

M. Alain ACERBIS : C'est vrai.

M. le Rapporteur : L'expertise est-elle un des facteurs bloquants ? Est-elle finie à Toulouse ?

M. Alain ACERBIS : Non, l'expertise n'est pas finie.

Mme Nicole BRICQ : A Toulouse, le montage assurantiel est très complexe. Les assureurs ont des difficultés à se reconnaître dans le maquis contractuel dans la mesure où il y a une assurance extérieure classique, une assurance qui est dans une filiale de la maison mère - et c'est l'un des soucis que nous avons à régler- et enfin un mécanisme d'auto-assurance. Cela rend très difficile la lecture de l'ensemble des contrats. Je sais que c'est l'une des raisons du retard de l'expertise dans ce cas.

Il n'est pas normal que les sites à risques parfaitement identifiés fassent l'objet d'une réassurance interne. On sait que les polices d'assurance coûtent cher, qu'elles font partie des frais de l'entreprise et qu'elles sont inscrites à son bilan. On pourrait penser que les entreprises sont tentées de faire des économies sur leurs primes d'assurance. Je parle des biens industriels et non pas de la responsabilité civile vis-à-vis de l'extérieur. Il me paraît très choquant que l'on puisse se réassurer en interne dans un groupe car c'est une source de mauvaise assurance sur des risques majeurs. Je vous interroge sur ce point précis parce que je connais le montage de Toulouse. Je sais qu'il n'est pas unique.

M. le Président : J'aimerais que nous procédions par ordre et que cette question très importante sur le comportement des grandes sociétés soit traitée après la réponse à la question de M. Billard.

M. Louis-Marie BOUCRAUT : La question de M. Billard ne relève pas de l'expertise, mais de l'assurance. J'y répondrai néanmoins. Quand des sous-traitants interviennent -et ils sont nombreux- sur les sites industriels, on ne comprendrait pas que l'industriel et son assureur demandent à chaque sous-traitant de s'assurer pour le risque global qu'il pourrait créer. Un soudeur par exemple peut provoquer une catastrophe. C'est pourquoi les assureurs prévoient dans leur contrat -et les marchés sont souvent passés ainsi- que les sous-traitants soient assurés pour le risque à hauteur de la franchise de l'industriel.

Mme Michèle RIVASI : Est-ce obligatoire ?

M. Louis-Marie BOUCRAUT : Non, cela est contractuel. Par exemple, les contrats entre un industriel et ses sous-traitants mentionnent la responsabilité des sous-traitants pour les dommages qu'ils provoquent, mais cette responsabilité est plafonnée par exemple à 5 millions, ce qui correspond à la franchise de cet industriel. Ensuite, c'est l'assureur de l'industriel qui prend le relais.

Si chaque marché de sous-traitance devait garantir plusieurs milliards de francs, les marchés seraient très importants et les primes d'assurance se cumuleraient. Ce ne serait pas logique.

Les sous-traitants sont choisis. Le service de sécurité de l'industriel intervient à chaque prestation par des permis de feu, des prélèvements de gaz mais au plan du contrat, c'est ainsi que les choses sont habituellement organisées.

M. le Président : M. de Pressigny veut répondre à la question de Mme Bricq.

En fait, cela nous amène au c_ur de notre vrai questionnement. Vos réponses donnent l'impression que, s'agissant d'un sous-traitant ou d'une petite entreprise, la tarification correspond au risque et que l'évaluation en est bien faite.

En revanche, s'agissant d'une entreprise multinationale, tout cela se fait au forfait. L'évaluation des risques, que les administrations font de plus en plus finement, se fait, en matière d'assurance, d'après une statistique sur des grandes masses. De plus, l'entreprise s'assure ou s'auto-assure elle-même.

Nous ne voyons donc pas très bien, pour les grands groupes, le lien entre le risque et la prime qui permettrait aux assureurs de jouer un rôle de prévention.

M. Renaud de PRESSIGNY : Le développement de la sous-traitance au cours des dernières années est un facteur de risque aggravant. Une part de plus en plus importante de l'activité des entreprises n'est plus réalisée sur les sites mais chez des tiers. Ces sous-traitants peuvent être de grandes entreprises, contrôlées et assurées selon les mêmes standards, mais ils peuvent être aussi de petites PME ou des entreprises à pérennité limitée sur lesquelles les contrôles sont beaucoup moins importants.

C'est un facteur aggravant pour nous, assureurs et réassureurs, dans la mesure où nous n'avons pas la même visibilité et le même contrôle sur ces sites extérieurs. C'est souvent aussi un facteur aggravant pour l'entreprise elle-même dans la mesure où elle se retrouve très vulnérable et dépendante de productions externes dans son processus de production.

C'est ce que nous appelons la carence du fournisseur qui correspond à la perte d'exploitation que l'entreprise subit parce qu'elle ne peut plus approvisionner lorsqu'un sous-traitant ne peut plus lui livrer une pièce, un composant ou un sous-produit pour des problèmes d'organisation internes ou parce qu'il a lui-même subi un sinistre.

Par rapport à l'organisation traditionnelle des entreprises, c'est l'un des éléments de l'aggravation des grands risques au cours de ces dernières années.

Pour répondre sur l'organisation du programme d'assurance, TotalFinaElf n'est qu'un exemple. M. Detrez pourra le confirmer. La plupart des grandes entreprises dans le monde dans les pays développés sont dotées de sociétés captives d'assurance ou de réassurance. Ce sont des compagnies dédiées à la couverture des risques de ces entreprises. Elles interviennent soit comme des compagnies d'assurance directe ou de réassurance, auquel cas elles interviennent derrière l'écran d'un assureur. Sans trahir de secret d'Etat, ce mécanisme est utilisé dans de nombreux programmes, notamment d'assurance, qui ont récemment été touchés.

Cela dit, je ne vois pas en quoi c'est de la mauvaise assurance. L'entreprise concernée a souvent une taille nettement supérieure à la taille de la plupart des acteurs autour de la table. Pourquoi TotalFinaElf ne couvrirait-elle pas elle-même une partie de ses risques, et notamment les risques de fréquence, c'est-à-dire les petits risques récurrents impossibles à éliminer l'ensemble des sites ?

Généralement, ces captives prennent une partie des primes : elles sont très correctement capitalisées pour couvrir les risques. Ce n'est pas intrinsèquement de la mauvaise assurance.

Ensuite, ces captives dégagent les risques de pointe, la catastrophe auprès des marchés de la réassurance. Cela apporte à l'entreprise plusieurs avantages et notamment de garder en interne une grande partie des primes pour couvrir des risques de fréquence au lieu de les verser au marché : ce qui nous est préjudiciable et nous empêche d'élaborer des produits financiers nous permettant de compenser les pertes techniques.

Le deuxième avantage pour l'entreprise est que cela lui donne un accès direct aux marchés mondiaux de la réassurance et donc une visibilité et une possibilité de dialogue et de contrôle de la solvabilité des différents facteurs de risque qui sont au-delà des assureurs.

Malheureusement ou heureusement, c'est la réalité aujourd'hui pour les programmes d'assurance de la plupart des grandes entreprises.

Mme Nicole BRICQ : Je n'ai pas dit que c'était de la mauvaise assurance : je dis qu'il peut y avoir, dans ce cas, une certaine réticence à évaluer le risque à sa hauteur exacte.

M. Pierre FLORIN : Il ne faut pas retenir, au risque de se tromper, que l'on ne tient pas compte de la prévention pour les grandes entreprises mondiales.

Même si la fixation finale de la prime est une moyenne des différents établissements mondiaux, et donc n'est pas évaluée de la même manière que pour la PME, quand on regarde la situation de toute entreprise -dont PSA- on regarde bien ce qui ce se passe en termes de prévention et notamment l'organisation.

On n'inspecte pas en détail tous les ateliers de toutes les usines de PSA, mais toute l'organisation de la sécurité fait partie de la discussion avec le client. On place donc le curseur de l'organisation sécuritaire à l'intérieur de l'entreprise à un niveau donné pour pouvoir coter le risque de façon globale. Même pour les grandes entreprises, la sécurité fait partie de nos soucis.

S'agissant de la sous-traitance qui est l'un des problèmes majeurs actuels et futurs, on en dénombre plusieurs types :

1. la sous-traitance externe : l'activité est transposée ailleurs :

2. la sous-traitance interne, notamment pour les problèmes de sécurité. Des entreprises moyennes, quelquefois dangereuses, ont recours à la sous-traitance de certains éléments de sécurité, ce qui n'est pas tout à fait à notre goût.

3. La sous-traitance avec du personnel intérimaire. A notre avis, il y a des secteurs où l'intérim ne devrait pas intervenir à notre avis.

Concernant les captives, l'assurance par captive ou pas est probablement neutre, mais le point clé de l'indemnisation de Toulouse résidait dans la notion de responsabilité civile. Ce qui a peut-être entraîné un retard d'une semaine était de savoir si l'industriel était responsable ou s'il s'agissait d'un attentat. Cette seule question a suspendu l'ensemble des procédures de façon non négligeable.

Ensuite, il y a d'autres points concernant l'organisation sur lesquels je rejoins les propos de M. Acerbis.

M. le Rapporteur : Sur ce point, il semble que dans le cas de Toulouse, le groupe AGF était l'assureur de référence de l'industriel. Au-delà de ces risques, il y avait des réassureurs privés, dont SCOR et Munich Ré. Ensuite, il y avait intervention complémentaire de la mutuelle de réassurance des compagnies pétrolières Oil Mutual Ltd, dont TotalFinaElf détient une partie. Enfin, c'était TotalFinaElf lui-même.

Vous dites que ce n'est pas de la mauvaise assurance...

Mme Nicole BRICQ : C'est l'assurance autour de l'entreprise.

M. le Rapporteur : ...Ce n'est sûrement pas de la mauvaise assurance, mais le montage est compliqué. La même hiérarchie contrôle l'assurance et la gestion de l'entreprise.

J'ai fait des propositions sur l'organisation du secteur nucléaire en veillant à éviter les situations dans lesquelles le contrôlé est le contrôleur. En matière d'assurance des grands risques industriels, on est dans ce système. A un moment donné, pour imposer de la prévention, je pense qu'une bonne assurance consiste aussi à faire prendre les mesures de prévention, à faire en sorte que tout soit transparent et à sortir de la culture du secret.

Dans ce modèle, ce ne sont pas les problèmes financiers que je mets en cause, quoiqu'on ne puisse pas exclure qu'un jour une grande entreprise, pour un gros sinistre, soit mise en difficulté. Qui paierait alors ? Cela dit, je suis surtout préoccupé par le fait que les mêmes hiérarchies contrôlent à la fois l'assurance et la prévention.

M. Bernd OTTEN : Une remarque préalable : vous avez cité Munich Ré en tant que réassureur sur le site AZF de Toulouse. A ma connaissance, nous ne sommes pas engagés substantiellement ou seulement pour des montants relativement minimes.

Néanmoins, j'aimerais revenir sur d'autres aspects de l'assurance et de la réassurance. Vous avez posé beaucoup de questions sur des points précis. Il convient également de rappeler quelques principes fondamentaux de la réassurance et de l'assurance et les limites de ces activités.

M. Nessi a déjà expliqué les fonctions de la réassurance qui permet un lissage géographique et sur la durée. C'est pourquoi, je peux passer directement à un autre aspect qui me semble très important qui concerne les évolutions technologiques et leur assurance.

On a beaucoup parlé des sites existants, de la manière dont on les assure et les réassure. Ces points sont très importants mais il faut aussi prendre en compte l'évolution technologique quand cela amène à des risques pour lesquels on n'a pas encore d'expérience donc de statistiques.

Les risques connus ne posent pas de problème particulier dans la mesure où l'on dispose de statistiques. Ce n'est pas le cas pour les nouveaux risques comme ceux qui résultent des nouvelles technologies et de leur évolution.

Il convient de souligner qu'il n'y aurait pas eu de progrès technologique si les profession de l'assurance et de la réassurance n'avait pas été capable de couvrir la plupart de ces nouveaux risques dans le passé. Nous l'avons fait avec beaucoup de prudence en transférant le mieux possible sur les risques nouveaux les expériences que nous avons sur les risques connus. C'est la raison pour laquelle certains réassureurs -entre autres, la Munich Ré- a beaucoup d'experts scientifiques dans de nombreuses disciplines pour analyser les risques de façon théorique et pratique y compris par la visite sur site, pour être à même de transférer le mieux possible les connaissances disponibles sur de nouveaux risques inhérents aux nouvelles technologies.

Je vous laisserai quelques documents réalisés par nos experts qui visent à contribuer à l'information des assureurs d'abord, mais aussi à la formation sur l'assurabilité de certains risques.

Je donnerai quelques exemples où l'on peut arriver à des limites de l'assurance et de la réassurance. Actuellement, on discute du risque de l'Internet et plus particulièrement du risque de virus. Pour nous, cela ne pose pas de problème de couvrir un site industriel : le prix inclut la couverture contre les défaillances de l'informatique qui résulteraient d'un incendie ou d'un incident similaire, voire de la malveillance des utilisateurs.

Cela étant, notre activité repose sur le lissage des risques : si des sinistres causés par des virus se produisent un peu partout dans le monde et peuvent toucher beaucoup d'entreprises à la fois, ce n'est plus supportable car il s'agit alors d'un cumul extraordinaire où le même risque se produit à de nombreux endroits dans le monde entier.

On discute également du risque de la couverture du terrorisme. A notre avis, nous sommes arrivés à une limite de l'assurance et de la réassurance. Avant le 11 septembre en effet, la probabilité statistique d'une chute d'avion sur un site industriel ou sur un immeuble de grande hauteur, était estimée minime. Après le 11 septembre, c'est le facteur humain qui rend ce risque incalculable.

Nous n'avons pas de statistiques parce que les réflexions et les intentions des terroristes échappent aux statistiques. Heureusement ! C'est pourquoi le secteur de l'assurance privée ne peut plus couvrir la totalité du dommage causé par des actes terroristes et des attentats. Nous devons au moins limiter notre charge éventuelle. C'est ce que l'on essaie actuellement de faire.

A notre à avis, il y a des risques que l'assurance privée ne peut pas porter seule. En outre, il y a l'aspect législatif. Très souvent, et tout particulièrement pour ce genre de risque, par exemple pour le terrorisme en France, l'Etat intervient. Là, le problème réside dans le rôle des Etats.

Par exemple, la couverture illimitée de la responsabilité civile pour l'assurance automobile ne peut plus être acceptée par les assureurs dont les fonds propres sont limités : avec des fonds limités, on ne peut pas donner des couvertures illimitées ! Cela me paraît évident. Il faut donc réfléchir au rôle de l'Etat dans la couverture de ce genre de risque. C'est un point que j'aimerais introduire dans la discussion pour ne pas trop se perdre dans les détails.

M. le Président : Les détails nous intéressent quand même !

Mme Michèle RIVASI : Deux questions :

1. Assurez-vous le risque nucléaire ? je crois qu'il y a une différence entre le risque nucléaire et le risque chimique.

2. Pourquoi, en France, n'assurez vous pas le risque de développement alors que les entreprises anglo-saxonnes le font ?

M. Bernd OTTEN : Nous avons étudié le risque lié aux centrales et aux activités nucléaires. Nous avons étudié toutes les mesures de sécurité et nous sommes arrivés à la conclusion qu'il s'agit d'un risque assurable. En Allemagne, une sorte de pool d'assurance de ce risque a été mis en place.

M. Pierre FLORIN : La loi française prévoit une garantie maximale de la responsabilité civile des opérateurs d'installations nucléaires de 600 millions de francs.

Mme Michèle RIVASI : Pourquoi une disposition similaire n'existe-t-elle pas pour le risque chimique ?

M. Pierre FLORIN : Les opérateurs nucléaires français n'étaient pas de même nature que les opérateurs chimiques.

Mme Michèle RIVASI : Pourquoi n'assurez vous pas le risque de développement ? J'ai réalisé un rapport sur la responsabilité civile pour les produits défectueux. Aux Etats-Unis, le risque de développement est assuré. Un produit, par exemple pharmaceutique, peut, s'il est défectueux, conduire à des catastrophes.

Les pays anglo-saxons prennent en compte ce risque : pour un produit donné, les scientifiques affirmaient qu'il n'y avait pas de risque, au fur et à mesure, on s'est aperçu qu'il y en avait et les assureurs ont indemnisé les gens. En France, les assurances françaises ne veulent pas le prendre en compte.

M. Guy LALLOUR : Sur ce point précis, le gros problème de la France aujourd'hui en matière d'assurance responsabilité civile est que nous ne pouvons pas nous situer sur une base de réclamation. Aujourd'hui, nous sommes dans un système d'assurance où nous sommes obligés d'assurer sur la base d'un fait générateur. Très concrètement, cela signifie que nous avons des expositions qui peuvent durer dans le temps vingt, trente ou quarante ans.

Aux Etats-Unis, la pratique courante pour l'assurance des grandes entreprises en matière de responsabilité civile est que l'on assure les réclamations déposées dans l'année. Cela représente pour l'assureur une durée de temps et d'incertitude beaucoup plus courte, de l'ordre de cinq à dix ans, au lieu des trente à quarante ans dans le cas français.

M. le Président : Souhaiteriez-vous que cela change ?

M. Guy LALLOUR : Oui.

M. Bernd OTTEN : Cela concerne le caractère limité ou illimité de la garantie. C'est essentiel. Il s'agit d'un bon exemple d'une garantie illimitée dans le temps, mais on peut toujours limiter les garanties en montants et dans le temps.

M. Pierre FLORIN : Le sujet est très complexe. De manière générale, il ne faut pas confondre la responsabilité civile et les contrats d'assurance de responsabilité civile.

La responsabilité civile relève du droit du pays qui décide qu'un opérateur est responsable ou pas de tel type d'activité, sur quelle période et pour quel montant. Les contrats d'assurance cherchent à couvrir l'opérateur contre les préjudices venant de son activité et de la responsabilité qui en résulte.

Aux Etats-Unis, il y a peut-être, sur le plan du droit, moins de limitations dans le domaine de la responsabilité, encore que l'on pourrait discuter des détails. En revanche, les contrats d'assurance en "claims made", c'est-à-dire en fonction des réclamations dans une période donnée, sont autorisés. L'opération économique permettant de protéger les clients est d'une autre nature qu'en France où, à ce jour, par le fait de la jurisprudence notamment, nous sommes obligés de faire des contrats d'assurances en faits générateurs.

Cela signifie que quand j'assure une entreprise en 2001, je suis obligé d'assumer sa responsabilité pour toute activité et pour tout produit qu'elle vend au cours de cette année dans les quarante ans qui viennent quelle que soit la date du préjudice, ce qui limite ma marge de man_uvre. Je suis en train d'engager une compagnie d'assurance "à perpétuité".

Mme Michèle RIVASI : C'est vous l'assureur. Qu'en est-il des victimes ?

M. Pierre FLORIN : Le premier réassureur de monde essaie d'expliquer que, dans certains cas, la responsabilité illimitée n'est pas possible au plan économique. Nous sommes quand même garants d'une activité globale : on ne peut pas engager de manière illimitée dans le temps, et maintenant parfois en montants, des sommes pour une entreprise donnée. Ce n'est pas possible.

Mme Michèle RIVASI : Ils le font sur trente ans. Pourquoi ne le faites-vous pas sur trente ans ? Faites-nous des propositions là-dessus.

M. Pierre FLORIN : Il y a eu des propositions. Un livre blanc de la responsabilité civile est paru l'année dernière. Les propositions existent.

M. Guy LALLOUR : On est tout à fait prêts à en discuter

M. Pierre FLORIN : On est prêts à en discuter le plus tranquillement du monde puisque c'est le problème numéro un.

Il y a eu une évolution de la société depuis trente ans, à la fois des processus industriels et de la perception collective des dangers. Il est normal que dans une société qui évolue, tout préjudice, autant que faire se peut, qui joue sur une famille ou sur un bien, puise être indemnisé. C'est une tendance normale de nos sociétés. Encore faut-il que les instruments permettant cette indemnisation, en l'occurrence les primes d'assurance, puissent être équilibrés correctement entre ressources et dépenses.

On essaie de prévoir, d'anticiper, de limiter les risques avec nos ingénieurs et les gestionnaires de risques. Mais il y a des limites à l'épure : on ne peut pas tout faire tout le temps pour toujours.

Sur certains types de risques - on l'a bien vu sur les catastrophes naturelles - une concertation est nécessaire entre les responsables collectifs de la société et ceux qui gèrent la prévoyance au sens le plus large du terme que ce soient les opérateurs ou les assureurs. Tout n'est pas possible.

C'est ainsi que la loi de 1982, qui repose sur une association des intervenants sur le terrain et sur une solidarité ultime en cas de catastrophe, a été élaborée. Cela dit, le problème de la responsabilité civile est posé. Depuis dix ans, la notion de responsabilité civile a largement augmenté, pour la bonne cause d'ailleurs, mais il faut que ce mécanisme reste viable. Comme nous sommes le "garant" de l'indemnisation responsabilité civile pour une large part, il faut tenir compte de nos opinions, même si on peut en discuter.

MM. Lamère et Kessler sont introduits. M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Lamère et Kessler prêtent serment.

M. le Rapporteur : M. Otten a posé la question du niveau de garantie pour un certain nombre de risques par exemple en cas d'actes terroristes. Si vous souhaitez avoir un niveau de garantie sur les actes de terrorisme, quel est le niveau que vous souhaitez ? Où en êtes-vous dans les négociations, en France et dans d'autres pays ? Quelle est la situation dans les pays européens, aux Etats-Unis et au Canada ?

Il est évident que l'un des points difficiles, c'est de réussir à mesurer le risque. Vous dites que vous arrivez à le faire dans un certain nombre de cas quand l'échantillonnage est suffisant au niveau mondial mais que c'est plus compliqué dans certains domaines. Etes-vous arrivés à une échelle des risques ? Entre les différents risques, avez-vous élaboré une échelle interne de travail ?

L'un des experts que nous avons auditionnés à la première réunion nous a communiqué une échelle des risques. Une telle échelle ne peut être que grossière. Avez-vous une échelle globale des risques, même si ce n'est qu'un document de travail interne ?

M. Bernd OTTEN : En ce qui concerne le niveau des garanties contre le terrorisme, j'ai quelque difficulté avec le terme "souhaitable". Je ne peux parler que du niveau de garantie de terrorisme que nous pouvons donner compte tenu de notre engagement sur les différents risques dans le monde entier. Nous avons l'obligation, légale en Allemagne, de ne pas mettre en danger les fonds propres de la société. C'est pourquoi nous devons nous donner une limite en interne pour notre engagement maximum, dans le monde entier, sur la couverture des actes terroristes.

Ensuite, il y a une réflexion sur le nombre d'événements terroristes auxquels on peut s'attendre au cours d'une année dans tel ou tel pays. Avec ces méthodes, nous avons défini certains montant que nous sommes prêt à couvrir.

M. le Président : C'est ce certain montant qui nous intéresse.

M. Bernd OTTEN : Il tourne autour de 50 millions d'euros par événement.

M. Jean-Marie NESSI : Par événement, mais aussi par client. Le problème est qu'il y a une limite dans l'année que l'on ne peut dépasser.

M. Bernd OTTEN : Oui, par client parce que les clients sont différemment touchés.

M. le Rapporteur : Quel est le montant correspondant par événement et par site ?

M. Bernd OTTEN : Il s'agit d'un montant par client, c'est-à-dire par assureur.

M. Pierre FLORIN : Par assureur réassuré sur un événement. Par exemple, pour le groupe Axa, j'assure beaucoup de risques et je me réassure en cas d'événement grave auprès de la Munich Ré. En cas de terrorisme, quel que soit le portefeuille et les engagements, s'il y a acte de terrorisme, cette société me couvre à hauteur de 50 millions d'euros maximum. Au-delà, j'ai de graves problèmes.

M. le Président : Quand le coût du sinistre dépasse ce plafond, comment cela se passe-t-il ?

M. Pierre FLORIN : C'est une bonne question d'actualité.

M. Bernd OTTEN : Il faut s'adresser à d'autres réassureurs qui ajoutent leurs montants en garantie, mais cela reste limité et très restrictif.

M. Pierre FLORIN : Pour être clair, nous aurons un sérieux problème au 1er janvier 2002. A ma connaissance, ce matin, nous n'avons pas encore toutes les solutions pour couvrir les risques d'attentat, sachant que la France est un pays très particulier du fait de la loi de 1986.

Mme Michèle RIVASI : C'est-à-dire ?

M. le Président : Sur ce sujet, nous pourrions demander à Denis Kessler d'intervenir.

M. Denis KESSLER : Trois remarques qui confirmeront les propos de Pierre Florin en la matière.

Tout d'abord, l'intervention de l'Etat dans le domaine de la garantie des attentats s'explique par le principe dit de responsabilité. L'Etat ayant la responsabilité de garantir la sécurité intérieure et extérieure en cas d'attaque, lorsqu'il y a défaut de sécurité, l'Etat reconnaît sa responsabilité et intervient pour réparer les dommages.

C'est clair en ce qui concerne les dommages de guerre depuis la création de l'assurance. C'est également clair avec les attentats dès lors qu'ils s'apparentent à des actes de guerre, même si la déclaration de guerre n'est pas prononcée.

Dans ce qui s'est passé depuis trois mois, le grand changement est que l'on est passé d'attentats "artisanaux" à des attentats tout aussi épouvantables mais qui prennent une échelle qui les apparentent à de véritables risques de guerre.

C'est d'ailleurs sur le plan de la responsabilité objective de l'Etat dans le défaut de sécurité, sur cette base de responsabilité de l'Etat, que nous sommes intervenus dans les autres pays nord-américains ou européens dès lors que l'Etat a été appelé à donner des garanties pour les risques d'attentats au cours de ces deux derniers mois.

La deuxième remarque porte sur la caractéristique très spécifique de la France avec sa loi de 1986 imposant la couverture obligatoire du risque attentat dès lors que l'on donne une garantie d'assurance de dommage ou de responsabilité.

Or, le paradoxe est que la garantie dommage n'est pas obligatoire pour l'entreprise, mais dès lors que l'assureur lui donne une garantie dommage, il est également obligé de lui donner la garantie attentat. Il y a donc une obligation qui se greffe sur une couverture facultative. A priori, on conçoit fort bien l'obligatoire ou le facultatif, mais il est difficile d'imaginer l'obligation dans le facultatif.

Voilà la situation française depuis 1986. Elle n'a pas posé de problème dans des périodes où les attentats étaient d'ampleur limitée et ou leur couverture pouvait être satisfaite à partir des encaissements dans les différents risques des entreprises. Voilà comment les choses ont fonctionné tout au long de ces vingt dernières années.

La dissociation de la garantie attentat de la garantie dommage aux biens permettrait, si on pouvait l'envisager, de continuer à garantir les entreprises pour les principaux risques auxquels elles ont à faire face, par exemple l'incendie, qui peuvent les frapper.

Cette dissociation peut poser problème à une période où il y a des risques. Néanmoins, cette hypothèse doit être mise sur la table.

Dernière remarque : plusieurs schémas de couplage peuvent être imaginés entre l'Etat et le marché. Le marché ne peut pas absorber ce qui s'apparenterait véritablement à des risques de guerre. C'est un risque qui ne peut pas être couvert par le marché.

Tout le problème est de savoir comment combiner les garanties offertes par les assureurs, par les réassureurs et par l'Etat de façon à permettre aux entreprises de bénéficier d'une couverture, en agrégeant le maximum de capacités avant l'intervention de l'Etat.

Un des schémas étudiés reposerait sur la prise en charge par les assureurs et leurs réassureurs directs d'une première tranche : par les réassureurs, d'une seconde tranche : au-delà de ces deux tranches, l'Etat accepterait de couvrir des attentats dont le coût agrégé annuel dépasserait un montant de l'ordre de 3 milliards de francs par exemple.

Cela signifie que jusqu'à 3 milliards de francs, le marché fournit les capacités : dès lors que le coût des attentats agrégés dépassent 3 milliards de francs, on voit que l'on est dans une situation où l'attentat ou la vague d'attentats relève d'une garantie de l'Etat.

Voilà un des schémas actuellement en discussion. Rien n'est arrêté, mais cela montre comment on peut coupler des activités de marché avec des garanties de l'Etat.

La loi de 1986 le prévoit. Il n'y a donc pas de difficulté pour mettre en _uvre ce dispositif.

M. le Président : Pouvez-vous faire le lien entre les 50 millions d'euros évoqués par M. Otten et les 3 milliards de francs que vous citiez ?

M. Guy LALLOUR : On prend une usine aujourd'hui assurée par un assureur pour une valeur d'un milliard de francs. S'il y a un incendie, l'assureur touchera de ses réassureurs 60 ou 70 % -la portion qu'il a réassurée s'il s'agit d'un incendie- c'est-à-dire 700 millions. Si c'est un attentat, il touchera 50 millions d'euros soit environ 328 millions de francs.

M. le Président : Si je comprends bien, s'il s'agit d'un attentat, vous touchez moins du réassureur !

M. Guy LALLOUR : Exactement ! Les garanties peuvent être de plusieurs milliards. Elles le sont communément sur les grands risques. Nous sommes donc aujourd'hui dans la situation où nous n'avons en fait pas de réassurance pour le risque attentat.

M. Jean-Marie NESSI : Le monde de l'assurance se propose de fournir des garanties d'assurance pour les attentats à concurrence de 3 milliards pour une année donnée. Au-delà, c'est la Caisse centrale de réassurance qui interviendrait en mettant en _uvre ses propres capacités d'assurance et celle des réassureurs.

La mise en _uvre de cette relation avec les réassureurs se fait au travers d'un contrat dans lequel l'assureur se met d'accord avec son réassureur sur les montants que le réassureur est prêt à assumer en cas de sinistre. Ce contrat, les réassureurs ont décidé de leur propre chef d'en limiter le montant à 50 millions d'euros.

M. le Président : Tout le monde de l'assurance est-il d'accord sur ce système?

M. Renaud de PRESSIGNY : Tout d'abord et heureusement, il y a de nombreux réassureurs dans le monde : aucune compagnie ne peut porter des risques de cette ampleur et c'est bien ce qui fait l'organisation de notre marché.

Mme Bricq soulevait le problème très complexe des programmes d'assurance des grandes groupes. Le caractère complexe de ces programmes est inhérent aux limites des assurances achetées : on ne peut pas, avec un seul assureur ou un seul réassureur donner une garantie de plusieurs milliards de francs.

S'agissant des 50 millions d'euros, c'est la capacité que la Munich Ré est éventuellement disposée à donner pour la garantie terrorisme. Cela n'engage que la Munich Ré. Chaque réassureur est libre de prendre position sur ce risque.

La loi de 1986 impose aux assureurs de donner la garantie, mais n'impose aucune obligation aux réassureurs. Elle dispose que la Caisse centrale de réassurance reçoit la garantie de l'Etat et qu'elle aide normalement les assureurs à donner cette couverture.

Chaque réassureur dans le monde est tout à fait libre de prendre position par rapport à ce risque. La position de la SCOR jusqu'à présent est de considérer qu'elle ne pouvait plus faire face à la couverture de ce risque compte tenu des attentats du 11 septembre. Le montant couvert par chaque réassureur peut aller entre zéro et X, chaque pourvoyeur de capacité apportant ensuite son écot.

Concernant la France, le président Kessler vient d'expliquer la problématique. Il est évident que si un accord global se trouve entre les assureurs, les réassureurs et l'Etat, la SCOR jouera son rôle de premier réassureur français, mais notre position à ce jour est que nous ne pouvons plus faire face à des sinistres de l'ampleur de celui du 11 septembre et qu'il appartient aux Etats d'assumer la responsabilité pour la couverture de ces actes.

M. le Président : Le plafond des 3 milliards pour les attentats sera-t-il pris en compte comme les 600 millions pour le nucléaire ? Si vous avez atteint 3 milliards de dépenses en mars, vous arrêtez-vous quels que soient les gens qui ont payé les 3 milliards ou y a-t-il répartition entre vous des 3 milliards ? Comment procédez-vous ?

M. Bernd OTTEN : Une répartition sera faite comme dans tout pool. Chaque participant, assureur ou réassureur, contribuera selon sa capacité : par exemple, notre contribution serait de 50 millions d'euros.

Si un sinistre dépasse les 3 milliards ou la capacité finale du pool qui n'est pas du tout arrêtée définitivement, notre contribution à l'indemnisation des sinistrés sera la capacité donnée au pool, c'est-à-dire 50 millions d'euros.

M. Denis KESSLER : Si en mars se produit malheureusement une vague d'attentats dont les indemnisations cumulées dépassent les 3 milliards, puisque l'on agrège tous les sinistres, la garantie de l'Etat se déclenche.

Sous les 3 milliards, par définition, la garantie de l'Etat n'est pas déclenchée. Les assureurs directs gardent le contact avec leur clientèle d'entreprises. Ils amènent une partie de la capacité avec le réassureur dans le cadre des relations qui existent entre les assureurs directs et les réassureurs.

D'autre part, les réassureurs apportent un second étage de garanties. La répartition dans le pool dépend des capacités contributives, c'est-à-dire des parts de capitaux cédés.

Tout cela agrégé aboutit à la capacité du marché à couvrir les risques d'attentats pour 3 milliards. La répartition interne fait l'objet de discussions qui sont en cours, mais qui n'ont pas abouti encore puisque la répartition des différentes parts des assureurs directs et des réassureurs dépend de la façon dont l'Etat donnera sa garantie. On comprend bien qu'il y a là un problème.

Puis-je insister, monsieur le Président, sur l'urgence ? On a évoqué la date du 1er janvier 2002, mais pour certains risques, c'est la date du 1er décembre qui s'appliquera. De plus, les mécanismes sont souvent complexes : il faut des autorisations d'un certain nombre de conseils d'administration pour engager leur garantie, il faut rédiger les contrats. Tout cela doit être bouclé le 1er janvier au plus tard. Si la réponse de l'Etat n'intervient pas dans les jours prochains, cela provoquera une rupture de la garantie pour les grandes entreprises françaises. Il y a donc urgence à trouver une solution pour que le marché recommence à fonctionner.

M. le Rapporteur : Des solutions identiques ont-elles été trouvées dans les autres pays européens ?

M. Denis KESSLER : Dans tous les pays, les discussions sont en cours. Dans certains pays, cela suppose des mesures législatives parce que la base législative n'existe pas. De même, les Etats-Unis sont obligés de faire passer une loi. La discussion est en cours devant le Congrès.

En France, nous avons la malchance d'avoir connu des attentats dans les années 80 et nous avons donc la chance d'avoir un dispositif législatif. Au Royaume-Uni, il y a un dispositif depuis 1993. La vague d'attentat de l'IRA avait conduit le gouvernement britannique à mettre au point un dispositif de pool pour garantir les attentats sur le sol britannique.

Chaque pays est dans une situation différente compte tenu de son histoire et de l'existence ou non d'un dispositif législatif. En France, il s'agit d'activer un dispositif et non de le mettre au point. Très concrètement, cela passe par une lettre du ministre de l'économie et des finances à la Caisse centrale de réassurance qui engage la garantie de l'Etat.

C'est un acte important sur le plan budgétaire puisque l'on expose potentiellement le budget de l'Etat en cas de vague d'attentats. Nous en sommes parfaitement conscients même si la garantie de l'Etat, en apparence, donne l'impression de ne rien coûter, puisqu'il ne s'agit pas de prendre en charge des attentats du passé.

Cela étant, il nous semble que le montage selon lequel nous sommes exposés jusqu'à 3 milliards de francs devrait permettre de protéger les finances de l'Etat tout en donnant au marché la garantie qui lui permette de mobiliser cette capacité.

M. le Rapporteur : Après cette discussion sur les actes de terrorisme, je voudrais que nous revenions aux risques industriels. Je repose donc ma question sur l'existence d'une échelle des risques.

M. Pierre FLORIN : Chaque entreprise d'assurance a ses processus de souscription et une échelle de gravité. En fait, comme l'a souligné M. Lallour tout à l'heure, des statistiques des diverses activités industrielles sont suivies depuis plus de trente ans, territoire par territoire.

En ce qui concerne le territoire français, ces statistiques ont fait l'objet d'un tarif de référence qui prend en compte l'échelle de gravité des types d'activité et les méthodes de protection qui justifient des rabais. C'est la base de référence car on voit bien que pour les risques industriels, la base statistique est très difficile à obtenir, vu le faible nombre des entreprises concernées.

M. Guy LALLOUR : Certaines entreprises, comme les AGF, disposent de grilles établies activité par activité. Elles indiquent, activité par activité et selon le degré de protection, l'exposition maximale que nous pouvons prendre. Plus le risque est difficile, moins nous sommes amenés à exposer de capacités propres. Vous trouverez des éléments sur ce point dans les documents que je vous communique.

M. le Rapporteur : Pourrait-on avoir ce tarif ?

M. Pierre FLORIN : Oui. Le tarif de référence est public.

M. le Président : La grille, comme la nomenclature des installations classées ramènent aux questions de Mme Rivasi.

Mme Michèle RIVASI : On a parlé des attentats. Vous parliez de 3 milliards. En deçà, c'est pris en charge par les assureurs et les réassureurs, au-delà, c'est l'Etat. Mais en cas de catastrophe industrielle, chimique ou biologique causant 3 000 morts, avez-vous aussi un forfait ?

M. Pierre FLORIN : Vous voulez dire une limite ?

Mme Michèle RIVASI : Oui. A Toulouse, on aurait pu avoir 3 000 morts si la canalisation de gaz neurotoxique avait sauté.

M. Denis KESSLER : Il y a une grande explosion dans une entreprise avec de nombreux décès et de dommages. Ce n'est pas l'assureur qui est responsable, mais l'entreprise qui est responsable des dommages qu'elle cause à son environnement et à autrui.

Pour assumer cette responsabilité, elle se couvre auprès de l'assureur. La façon dont elle le fait varie d'une entreprise à l'autre : certaines entreprise ont des captives, d'autres se sont adressées à des réassureurs, d'autres encore s'adressent à plusieurs assureurs. Des clauses contractuelles les couvrent.

Chaque entreprise a des garanties spécifiques, compte tenu de son programme d'assurance et éventuellement, s'agissant de la responsabilité civile, de l'exposition de ses propres ressources qu'elle souhaite accepter.

Très souvent, l'assureur ne connaît pas le choix de l'entreprise. Il reçoit une demande de garantie. Dans le cas d'un grand sinistre, l'assureur est appelé au titre des garanties contractuelles données à l'entreprise. Une fois les garanties contractuelles honorées, c'est à l'entreprise de faire face à ses responsabilités.

Il peut y avoir plusieurs assureurs, plusieurs réassureurs et plusieurs captives. Il y a aussi des plafonds dans le contrat qui lient l'entreprise à son assureur. Lorsque le plafond est atteint, c'est à l'entreprise de faire face à ses responsabilités à partir de ses fonds propres.

Mme Michèle RIVASI : Quel est le plafond maximum ?

M. Pierre FLORIN : La responsabilité civile en cas d'explosion dépend d'abord de l'activité et ensuite des capacités de réassurance évoquées tout à l'heure. Les montants sont très importants, d'où les mécanismes par empilements successifs. Mais pour les victimes, il ne s'agit de toute façon pas d'une limite d'indemnisation. L'entreprise est responsable, non pas jusqu'au plafond de ses contrats d'assurance, mais pour tout le préjudice causé à hauteur de ses fonds propres.

M. Jean-Marie NESSI : Au niveau mondial, la capacité incendie que l'on estime disponible pour 2002 est de 4,5 milliards de dollars.

M. le Président : C'est tout ?

M. Jean-Marie NESSI : Une entreprise ne pourra pas acheter plus de garanties que ce montant-là.

M. le Président : Pour le monde entier ?

M. Jean-Marie NESSI : Non, par entreprise. Aucune entreprise n'aura la possibilité de se couvrir pour plus de 4,5 milliards de dollars en incendie, en admettant que tous les assureurs et les réassureurs du monde interviennent. En pétrochimie, ce montant est de 1,5 milliard de dollars. Il en va de même pour l'offshore. En responsabilité civile, le montant est également de 1,5 milliard de dollars.

Cela répond partiellement à votre question. De toute façon, il n'est pas possible de trouver plus de garanties.

M. Renaud de PRESSIGNY : J'allais apporter le complément que M. Nessi vient de souligner. La question de Mme Rivasi portait sur les dommages aux tiers, et donc sur la responsabilité civile. La seule limite est la capacité mondiale. Au-delà, c'est un problème de rentabilité. Pour que cette capacité augmente, il faut qu'elle soit rentable.

Pour n'importe quel intervenant sur le marché se pose la question de la rentabilité du segment des grands risques. C'est un autre problème qui nous agite tous et auquel M. Detrez a fait allusion tout à l'heure. La plupart des grandes entreprises mondiales ont réduit leur budget d'assurance de 20 à 30 % par an au cours des 5 années écoulées pour des limites d'assurance qui ont souvent été multipliées par deux ou trois, pour des étendues de couverture des garanties considérablement élargies et avec des niveaux de franchise constants, voire en diminution. Voilà la réalité.

Cela nous amène à une situation où la rentabilité de ce segment est en cause et où, bien évidemment, si le segment n'est plus rentable, les capacités vont sortir. C'est un marché d'offre et de demande. A contrario, si ce marché redevient rentable, de grands acteurs offriront de la capacité et on retrouvera à des niveaux de capacité beaucoup plus importants. Actuellement, on est en réduction de capacité parce que le marché est sinistré.

Mme Nicole BRICQ : Monsieur de Pressigny, votre brillante démonstration apporte de l'eau à mon moulin. Quand un grand groupe mondial recourt à l'auto-assurance ou à une assurance captive, cela apparaît au niveau des résultats consolidés du groupe.

Le fait de s'auto-assurer et d'avoir recours à des filiales captives peut être un frein à une évaluation du risque au regard de ce qui pourrait se faire avec des polices d'assurances extensives. Vous venez de le démontrer. C'était l'objet de ma question.

Pour un certain nombre d'entreprises, il faudrait - me semble-t-il - que certains mécanismes de transparence sur l'évaluation et la prise en charge du risque soient inclus dans un cahier des charges ou dans un code de déontologie. Pour autant, je ne suis pas pour l'interdiction de l'auto-assurance dans un grand groupe.

M. le Président : C'est le c_ur même du débat.

M. Philippe DETREZ : La question de fond que vous avez posée revient à expliquer qu'en fin de compte, l'assurance n'est pas "la" solution, mais "une" solution. Les grands groupes industriels ne prônent pas le tout assurance. Le faire serait à la limite se déresponsabiliser nous-mêmes. A travers votre question, j'ai l'impression qu'il y a déjà une conviction et je vais essayer de la démonter.

Mme Nicole BRICQ : Nous sommes là pour comprendre.

M. Philippe DETREZ : Il faut aller au c_ur du problème. Vous n'êtes pas là pour entendre les histoires d'équilibre du marché, d'augmentation de primes ou de crise du marché. Nous en parlerons entre nous, même si je conteste certains des dernier propos.

M. Renaud de PRESSIGNY : Cela me paraît néanmoins important pour la compréhension du problème.

M. Philippe DETREZ : Je réponds aux questions

M. le Rapporteur : Vous disiez que vous êtes pour l'assurance interne des entreprises.

M. Philippe DETREZ : Je ne suis pas favorable à l'assurance interne des entreprises. Une entreprise génère du risque constamment et travaille en partenariat total avec les assureurs. Cela a été fort bien dit précédemment par plusieurs intervenants.

Autrefois, on parlait d'inspecteurs des compagnies d'assurance pour visiter les grands risques. Maintenant, on parle de « préventionnistes » ou de "préventeurs".

Il est un peu inexact de prétendre que dans les grands risques, on n'a pas la possibilité de visiter tous les ans toutes les usines et tous les bâtiments. Un dialogue constant s'établit entre les intervenants. Le gestionnaire de risques ne fait pas tout dans un grand groupe, mais un groupe industriel ne se repose pas uniquement sur les inspecteurs des compagnies d'assurance.

A titre d'exemple, dans notre groupe, 100 personnes s'occupent de la gestion des risques, c'est-à-dire de la protection physique, logique, informatique, de l'incendie et de l'environnement. Ce corps interne d'ingénieurs visite à longueur d'année l'ensemble des usines : ils rédigent des rapports et, à partir des éléments qu'ils ont réunis, un programme de visite est élaboré en partenariat avec les assureurs. Le dialogue est permanent.

Nous voyons une fois l'an le pool d'assureurs, et non pas un assureur. Nous les sélectionnons parmi les meilleurs en termes de capacité à nous accompagner dans nos risques, à évoluer avec nous. Ce partenariat réel n'est pas possible en cas de changements fréquents d'assureurs.

Le retour d'information pour comprendre la prévention et l'amélioration du risque ne peut s'envisager que sur une période de plusieurs années. C'est là que le problème va surgir. Sur cette période, nous définissons un programme annuel de visites auquel nous faisons participer quelquefois les compagnies d'assurance. Il importe que l'_il ne s'habitue pas aux risques. Une année, les AGF, une autre année, AXA et d'autres travaillent en pool et se répartissent le risque. Toutes les usines et tous les bâtiments sont visités. On ne fait pas d'impasse.

Les membres du pool se retrouvent donc et rédigent leur rapport. Ce rapport vaut pour l'ensemble des assureurs. Si une étude, une évaluation ou un constat met en évidence un danger ou la nécessite d'une amélioration ou si une solution technique est préconisée par un des préventionnistes de la compagnie d'assurance sur laquelle les autres préventionnistes ne sont pas d'accord, le rapport ne sera pas publié tant qu'une solution n'aura pas été trouvée. Cela montre le sérieux avec lequel nous traitons cela et l'esprit de partenariat total dans lequel nous travaillons.

Il n'y a pas, d'un côté, les assureurs et de l'autre, l'assuré qui attend. Nous conduisons au contraire un travail en commun constant, quotidien, année après année. Nous le doublons d'un travail de réflexion, d'évaluation et de quantification du risque pour trouver l'endroit où nous allons utiliser intelligemment l'argent investi pour diminuer les conséquences d'un sinistre éventuel.

Nous disposons, nous aussi, de grilles méthodologiques classiques permettant de définir la gravité, la fréquence et l'amplitude des risques. Nous en faisons l'analyse par activité par exemple la peinture, le montage, la construction ou la fonderie. Nous travaillons avec les ingénieurs de chaque métier sur les machines définis comme sensibles en fonction du fait qu'elles sont un point de passage obligé de la production, qu'elles génèrent un chiffre d'affaires important ou de leur dangerosité.

Nous consolidons ces informations pour valoriser les pertes potentielles que pourrait subir l'entreprise si le risque survenait à tel ou tel endroit. Cette analyse des risques très fine porte sur tous les types d'événements, que l'on classe de 1 à 5 par ordre de gravité croissante. On classe ainsi ce qui est supportable et qui revient peu fréquemment, ce qui est moyennement supportable et qui revient assez souvent -notre effort portera particulièrement sur ce type de risques- et ce qui est insupportable et qui peut être résorbé. Nous parvenons ainsi à définir la part de l'auto-assurance et celle que nous déléguons à l'assurance.

A travers mon raisonnement, j'ai tenté de vous démontrer que nous ne déléguons pas simplement un produit, c'est-à-dire l'usine dans sa totalité avec ses salariés, ses machines, ses entrées et ses sorties, mais que nous définissons ce que nous pouvons conserver nous-mêmes. De cette façon, la prime de l'assureur est vraiment utile à la pérennité de l'entreprise, sans que l'assuré paye pour assurer des sinistres qu'il peut supporter lui-même. La prime dégagée ne paye donc que pour assurer les sinistres graves.

Mme Nicole BRICQ : Je poserai la question autrement : la couverture des grands risques industriels est-elle rentable ?

M. Denis KESSLER : Je souhaiterais dire quelques mots sur la discussion qui vient de s'engager avant de répondre à la question sur la rentabilité.

Il convient de distinguer les dommages aux biens de la responsabilité civile. La variance du dommage aux biens est infiniment mieux cernée que la variance de la responsabilité civile.

Les actifs figurant au bilan d'une entreprise industrielle sont connus. On peut les protéger par l'assurance ou assumer le risque par l'auto-assurance. En revanche, la responsabilité civile ne figure nulle part dans le bilan puisqu'elle correspond à ce qu'il faudrait débourser pour réparer, le cas échéant, les préjudices que subissent l'environnement, les personnes et les biens qui sont externes à l'entreprise. Dans ce cas, il y a un vrai problème puisque la responsabilité de l'entreprise est engagée de manière illimitée pour la réparation intégrale de l'ensemble des préjudices provoqués par un incident ayant causé un préjudice à l'extérieur de l'entreprise.

A partir de là, si l'entreprise garde ce risque en interne, elle expose non seulement ses fonds propres et ceux du groupe mais même plus que cela puisque sa responsabilité reste engagée et qu'elle doit pouvoir trouver tous moyens pour indemniser le préjudice qu'elle fait subir à autrui. L'assureur de la responsabilité civile est engagé à hauteur du contrat que le lie à l'entreprise : une fois arrivé au plafond d'engagement prévu par le contrat, reste la responsabilité de l'entreprise.

Il nous semble que trois grandes réflexions doivent s'ouvrir pour améliorer la situation en cas de grand sinistre industriel.

Le premier problème porte sur le « servicing » ou le « fronting ». En cas de grand risque, il convient de s'assurer qu'un dispositif soit prêt pour permettre d'accueillir les victimes et de faire valoir leurs droits. A ce titre, une réflexion doit s'ouvrir, sans forcément être d'ordre réglementaire ou législatif. C'est l'un des enseignements des événements de Toulouse. Il faut que les procédures d'expertise et de circulation des dossiers d'indemnisation soient prêtes car il nous semble que c'est un service à rendre aux victimes.

Ma deuxième réflexion porte sur l'information des actionnaires des entreprises. Il nous semble que si l'entreprise garde en interne une partie des risques qu'elle doit affronter, l'actionnaire doit être parfaitement informé qu'il est en partie assureur. Si l'actionnaire ne sait pas qu'il porte dans son action une partie des risques en cas de survenance de catastrophe, il peut y avoir un vrai problème de manque d'information du marché et de capacité de recapitalisation de l'entreprise après sinistre.

C'est la raison pour laquelle il nous semble que la réflexion pourrait déboucher sur un code de bonne conduite ou sur des dispositions émanant des autorités financières ou des autorités des marchés boursiers mettant en évidence le besoin d'informations supplémentaires sur la situation de couverture des risques de façon à ce que chacun sache quelle part de responsabilité potentielle le concerne lorsqu'il souscrit une action.

S'agissant d'une responsabilité illimitée, l'actionnaire va porter dans son action une partie de la situation nette de l'entreprise. Si cette situation nette est entamée par la survenance d'un sinistre non couvert, l'actionnaire devient assureur et il me semble nécessaire qu'il le sache.

Sans révéler des informations sur les montants, les tarifs, les garanties qui sont des informations privées et confidentielles, il me semble que, sur la nature des garanties offertes, une réflexion doit s'ouvrir pour les entreprises cotées, notamment au niveau européen où des initiatives pourraient être prises en la matière.

Le troisième point porte sur la prévention. Je rejoins ce qu'a dit M. Detrez : il faut davantage de normalisation de la prévention qui a un rôle à la fois interne et externe.

La prévention pour les dommages aux biens est plus facile que la prévention pour les dommages extérieurs engageant la responsabilité civile. Sur ce point, nous avons mené nous-mêmes une réflexion. Je vous laisserai un livre blanc qui n'a pas été rendu public intitulé "Les perspectives de la prévention" dans lequel nous présentons nos propositions pour que la prévention soit intégrée à l'opération d'assurance et que des normes soient mises en place le plus vite possible. C'est ainsi que nous parviendrons à une meilleure prévention des risques industriels de toutes natures, particulièrement dans le domaine de la responsabilité civile. Ce document assez complet montre ce qui pourrait être développé dès maintenant sur le marché.

Pour répondre à la question de Mme Bricq sur la situation économique de ce secteur, le secteur des risques industriels connaît depuis dix ans des difficultés récurrentes chroniques qui se traduisent par des déséquilibres financiers et économiques qui ont pu être surmontés à certaines périodes, mais qui, structurellement, font que c'est une des branches les plus difficiles de notre métier.

J'ajoute que le montant global des primes d'assurance en risques industriels est relativement faible puisqu'on l'estime, pour les entreprises de plus de 100 salariés, à environ 8 milliards de francs. Quelle valeur ces primes couvrent-elles ? Au taux moyen de 1/1000, cela signifie que l'on couvre 8 000 milliards. C'est une situation où non seulement le marché est déséquilibré, le taux de couverture est insuffisant, notamment pour les pertes d'exploitation mais aussi en matière de responsabilité civile. Le montant global des encaissements de cette branche est relativement limité alors que les pertes sont sévères. Voilà la situation économique sur les dix dernières années. Il suffit d'un ou deux sinistres d'une certaine taille pour que cette branche connaisse des déficits importants. Cette situation n'est pas tenable économiquement.

M. le Rapporteur : Nous reviendrons en fin d'audition à un certain nombre d'idées que vous avez développées sur la transparence et la prévention dans le domaine du risque industriel.

Vous nous indiquez des chiffres sur le risque industriel couvert et sur le taux de couverture, même si le taux de un pour mille n'est qu'une estimation.

J'aimerais savoir combien a coûté Toulouse aux assureurs et aux réassureurs ?

M. Jean-Marie NESSI : 14 milliards de francs.

M. le Rapporteur : Combien compte-t-on de dossiers de sinistres dans le cas de Toulouse ?

M. Jean-Marc LAMERE : Notre observatoire statistique nous indique le nombre de 60 000 dossiers, tout compris. Les chiffres datent d'une dizaine jours.

S'agissant des risques de particuliers, les dommages matériels, -le problème le plus aigu dont on parle- sont de l'ordre de 2 milliards de francs. S'ajoute à cela le dommage corporel direct indemnisé au titre de l'assurance dommages, et je ne parle pas des assurances pour les accidents du travail par exemple, dont le coût est l'ordre de 500 millions de francs. Globalement, les dommages aux particuliers, matériels et corporels, sont donc de l'ordre de 2,5 milliards de francs.

S'ajoute à cela le risque d'entreprise. TotalFinaElf a estimé publiquement le coût des dommages subis par l'entreprise à un milliard de francs. C'est probablement nettement plus, mais c'est le chiffre annoncé.

Pour le dommage aux entreprises voisines, on a identifié 3 000 dossiers représentant environ 3 milliards de francs de dommages directs. S'ajoute à cela la perte d'exploitation, aujourd'hui non évaluée, qui est probablement de l'ordre de 3 à 4 milliards de francs.

D'après les derniers chiffres dont nous disposons, l'ordre de grandeur du coût de la catastrophe de Toulouse serait de 10 milliards de francs. J'ai oublié de parler des dommages aux véhicules, mais les montants sont faibles.

M. le Rapporteur : Quel est le coût pour TotalFinaElf qui était pour partie son propre assureur ?

M. Renaud de PRESSIGNY : Un représentant de TotalFinaElf a cité le chiffre de 300 à 400 millions d'euros. J'imagine que cela représente la part non assurée. Il peut éventuellement y avoir une implication de TotalFinaElf au-delà de la limite d'assurance des responsabilités et l'engagement de la captive. Il ne sont pas allés plus dans le détail.

M. Denis KESSLER : Lorsque TotalFinaElf a dû présenter ses résultats -cela confirme mes propos sur l'information à donner au marché avant et après les catastrophes- le coût net communiqué pour la catastrophe de Toulouse était de l'ordre de 400 millions d'euros.

Ce chiffre comprend toutes les conséquences de ce sinistre. TotalFinaElf a des pertes d'exploitation et il y a, probablement une exposition des fonds propres au-delà des garanties d'assurance et au-delà des capacités de la captive. Ce chiffre a été donné officiellement quand TotalFinaElf a présenté ses résultats trimestriels.

Mme Nicole BRICQ : Les pertes d'exploitation sont une chose, mais on n'intègre pas les conséquences sur la capitalisation boursière.

M. le Rapporteur : Le coût des bâtiments publics n'est pas pris en compte non plus !

M. le Président : Nous n'enquêtons pas sur le sinistre de Toulouse. Ce n'est pas notre rôle, mais il est important de bien comprendre la place des assurances dans ce système. Si j'ai bien compris, les polices d'assurance sur le risque industriel représentent en France 8 milliards par an, mais rien qu'un événement comme Toulouse va coûter beaucoup plus, c'est-à-dire une dizaine de milliards de francs.

Nous parlions de « servicing » et je veux profiter de ce point pour donner la parole à M. Raymond Guillet, représentant des experts d'assurés, qui n'a pas encore pris la parole.

M. Raymond GUILLET : Je représente ici la fédération des experts d'assurés qui regroupe les experts d'assurés et les experts de compagnies. La fédération représente 3 syndicats d'experts d'assurés et 5 syndicats d'experts de compagnies.

Je voudrais revenir sur les propos de tout à l'heure qui semblaient mettre en cause les experts sur la rapidité des expertises. Tout n'est pas terminé, mais à l'heure actuelle, 60 % des dossiers sont clos. Tous les sinistres ont fait l'objet d'une reconnaissance de la part des experts.

Il y a eu un élan de solidarité assez considérable à Toulouse puisque tout sinistré a touché, ou est à la veille de toucher, des acomptes à valoir sur les sinistres. J'ai assisté à une émission de France Culture où le représentant des architectes disait que la reconstruction à Toulouse n'était plus un problème d'argent mais de disponibilité des entreprises et des matériaux.

M. le Président : Ce n'est pas du tout l'information que nous avons eu de la part de la préfecture et de nos collègues de la région.

M. Raymond GUILLET : Il se dit beaucoup de choses : un élu, propriétaire d'un grand journal, entretient la confusion en titrant "AZF, l'Erika bis". Ce n'est pas le cas puisque les gens ont la chance d'être assurés au départ.

On rejette la faute sur les experts et les assureurs. Je dis que ce n'est pas vrai. L'ordre des architectes qui n'est pas suspect de bienveillance vis-à-vis des experts le dit aussi.

Votre collègue parlait tout à l'heure du risque de développement. Je suis originaire de Clermont-Ferrand où des usines sont en plein centre-ville. A Toulouse, ce n'est pas AZF ni les autres usines qui sont allées à la rencontre des logements sociaux publics ou privatifs. On pourrait se poser la question...

M. le Rapporteur : Nous avons entendu à Toulouse plus de cinquante personnes pour étudier notamment cette question.

M. le Président : Vous dites que 60 % des dossiers sont clos. Pouvez-vous nous dire ce qui a été fait dans votre profession et comment vous imaginez que l'on puisse améliorer les réactions en cas d'accident industriel majeur ?

M. Raymond GUILLET : Dans les quatre jours qui ont suivi l'accident, nous avons réuni la plupart des experts toulousains. Nous avons demandé aux représentants de la Fédération nationale du bâtiment et de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) de nous rejoindre. L'expert du cabinet EQUAD assistait à la réunion. Nous pensions que si nous pouvions obtenir un accord avec les entreprises du bâtiment sur des fourchettes de prix de 40 %, soit plus ou moins 20 %, tout serait parfait.

Je n'ai pas été suffisamment persuasif vis-à-vis des services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui ont émis un veto total. Les gens auraient su où ils allaient si nous avions pu leur dire qu'il y avait un accord avec les artisans et les entreprises de bâtiment et que notre offre leur donnait l'assurance de pouvoir reconstruire à l'identique.

Huit jours plus tard, j'ai rencontré M. Vilain, délégué par M. Fabius, à la trésorerie générale de Toulouse. Nous sommes revenus sur la question. Il m'a dit qu'il me tiendrait au courant. Mais cette suggestion a été considérée comme une atteinte à la libre concurrence.

Alors que nous faisions des expertises non contradictoires jusqu'à 100 000 francs, la limite a été portée à 300 000 francs. A 500 000 francs, le résultat aurait été encore meilleur. Mais si nous avions eu l'accord de la DGCCRF pour passer des accords entre les experts, les entreprises et les réparateurs, cela aurait été plus vite et les gens n'accuseraient pas les assureurs et les experts. Bientôt, ce sera notre faute si l'usine a sauté !

Cela me gêne quelque peu. J'en parle d'autant plus volontiers que je suis en même temps le président du syndicat national des experts d'assurés. Quand on voit dans la presse tout et n'importe quoi, on ajoute à la confusion.

Vous n'avez pas les mêmes échos des élus. J'ai des échos différents selon qu'ils viennent de la mairie de Toulouse, du Conseil régional ou du Conseil général. J'aimerais aussi comprendre. Si les pouvoirs publics nous avaient aidés auprès des services de la concurrence, je pense que nous aurions réglé 80 % des sinistres à l'heure actuelle car il n'y a pas de problème majeur pour régler les sinistres industriels.

M. le Président : Il est important de préciser le mécanisme. Notre enquête porte sur ce qui se passe en cas d'accident industriel majeur. Si je comprends bien, il y a l'intérêt à agir rapidement et la crainte que les prix deviennent prohibitifs. Il est normal qu'un tiers intervienne pour surveiller cela, mais si cette intervention dure trois mois, c'est une catastrophe qui s'ajoute à la première.

Par ailleurs, quel dispositif imaginer ? Faut-il faire des exercices, des simulations préalables pour que les experts et les assurances sachent quoi faire le jour où survient une telle catastrophe ? Faut-il concevoir règles différentes selon le type de catastrophe ? Que pourriez-vous proposer ?

M. Raymond GUILLET : Face à un sinistre exceptionnel, il faut mettre en place des mesures exceptionnelles. Or, nos propositions l'étaient. Ce n'est pas une atteinte à la libre-concurrence que de passer des accords dans un cas très particulier. Cette mesure nous aurait permis d'aller beaucoup plus vite.

M. le Président : Jusqu'à quel niveau souhaitiez-vous obtenir cet accord ?

M. Raymond GUILLET : Nous avions demandé une fourchette très large. Les assureurs ont été bienveillants dans le traitement de ces sinistres. Nous avions demandé une fourchette de prix de plus ou moins 20 %.

M. le Président : Pouvez-vous expliciter cela ?

M. Raymond GUILLET : Un mètre cube de maçonnerie de pierre vaut environ 2000 francs. La fourchette de prix serait allée de 1600 à 2400 francs : personne ne peut dire que c'est trop bon marché à 1600 francs ou trop cher à 2400 francs. Cela représente une fourchette de plus ou moins 20 %.

M. le Président : Pouvez-vous dire précisément ce que vous proposiez et ce que l'administration a refusé ?

M. Raymond GUILLET : Nous proposions de mettre au point des barèmes de prix moyens avec les entreprises de bâtiment chargées de la remise en état (Fédération du bâtiment, CAPEB, artisans).

Les assurés ne bénéficient pas tous de l'intervention d'un expert d'assurés : au Mirail, tout le monde n'a pas de gestionnaire de risques.

L'expert fait une proposition. Nous avons donné instruction à nos experts de ne pas attendre les devis et de chiffrer directement, ce qui est une avancée. Au départ, on a dit que les experts demandaient 4, 5 ou 6 devis. Il y a peut-être eu quelques dérapages, mais cette information était inexacte. L'expert qu'il agisse pour une compagnie ou pour des assurés chiffre un dommage à 100. Il annonce à l'assuré une proposition indemnitaire à 100. Celui-ci attendra son artisan ou son entrepreneur pour savoir ce qui va se passer. Nous aurions pu finaliser avec les maîtres d'_uvre. A Toulouse, on se demande si l'on ne va pas remplacer les vitres avant de changer les châssis !

M. le Président : Avez-vous fait ces propositions par écrit ?

M. Raymond GUILLET : Non.

M. le Président : Vous dites que la discussion a eu lieu et que l'administration a opposé son veto. Y a-t-il eu des échanges écrits ?

M. Raymond GUILLET : Non.

M. le Président : Au fond, une seule chose comptait : que les assureurs représentés par les experts soient d'accord. Les assureurs étaient-ils d'accord ?

M. Pierre FLORIN : Non seulement il n'y avait aucun problème, mais nous le souhaitions. Le problème pour l'assurance n'est pas de payer, mais que les clients soient d'accord.

Mme Nicole BRICQ : Quels étaient les arguments qui vous ont été opposés ?

M. Raymond GUILLET : On m'a dit qu'il y avait atteinte à la libre-concurrence et on m'a demandé de démontrer que cela présentait un intérêt quelconque pour les assurés.

Je dois reconnaître que lorsque j'ai rencontré M. Vilain, il a très bien compris. Il m'a dit qu'il allait me répondre. Que s'est-il passé par ailleurs ? Je l'ignore. Il m'a dit qu'il allait prendre contact avec le directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression à Toulouse. Je n'ai jamais eu de réponse. Je crois me souvenir avoir confirmé notre position par lettre. On nous demande d'écrire, mais à l'inverse, on ne reçoit pas plus de courrier de leur part.

M. le Président : Cela nous intéresse beaucoup d'avoir ces pièces sachant que nous poursuivrons nos investigations sur ce sujet la semaine prochaine.

M. Alain ACERBIS : Il faut partir d'un constat de fait : nous avons eu des problèmes dans la méthodologie à employer pour l'indemnisation des sinistrés à Toulouse.

Ces problèmes sont nombreux et il me semble difficile de tous les traiter aujourd'hui. Cela demande une concertation.

L'exemple de la mise en place de cellules de coordination départementale lors des catastrophes naturelles a amené des processus d'expertise et des discussions entre tous les intervenants dans la réparation du sinistre. On parle d'assurés, d'assureurs, mais interviennent aussi tous les entrepreneurs et les pouvoirs publics. Il faut organiser leurs relations. Il faut avoir un processus de prévention.

S'agissant de certains sinistres majeurs, il faut réfléchir à la création de cellules de coordination préalable où l'on pourra évoquer de nombreux sujets comme les prix, l'urgence des réparations et le cadre offert par le droit civil. Nous avons dans ce domaine des problèmes de recours. Peut-être faut-il trouver des solutions pour déroger au droit commun et pour être efficace dans la réparation ? Voilà ce que je voulais dire sur la méthodologie d'indemnisation.

M. Raymond GUILLET : J'avais demandé à être appelé en tant qu'expert au comité de pilotage mis en place. Contre toute attente, les expert n'ont jamais été invités, ce qui paraît très curieux.

M. le Président : C'est intéressant. Nous rencontrerons vos collègues sur le terrain la semaine prochaine. Nous sommes preneurs des documents échangés avec les administrations.

M. Philippe DETREZ : Mme Bricq a demandé si la couverture des grands risques était une activité déficitaire. Au moment où nous parlons, la réponse est oui. Le constat est évident. Par contre, nous divergeons très vite sur la façon de voir les chiffres. Et nous avons les mêmes chiffres, qui proviennent de la FFSA, sur l'évolution en pourcentage des encaissements des grands risques et des risques industriels.

De 1992 à 1996, l'encaissement a progressé de 7 % à 10,5 % chaque année. On atteint le point mort en 1996 et on passe en dessous après. A mon sens, l'assurance travaille sur le moyen-long terme.

A votre question, je réponds oui pour le moment présent, mais il y a un décalage entre le moment où l'on perçoit la prime et celui où l'on règle les sinistres. Il a été dit que les compagnies d'assurance doivent constituer des réserves.

J'ai des pistes à proposer pour ne plus être dans un débat décalé. L'assuré ne comprend pas que la prime jugée nécessaire à un moment donné par l'assureur ne tienne pas compte de ce qu'il a versé sur quinze ou vingt ans et de la prévention qu'il a faite. Il se demande quel retour il en a reçu. C'est ce que vous avez dit au début et c'est ce que l'on entend beaucoup parmi les industriels.

L'assurance est une activité cyclique portant sur le moyen-long terme. Or, nous constatons que depuis 1965, malgré l'évolution technologique, les chargements des primes en assurance de biens et de responsabilités dans les compagnies d'assurance n'ont pas bougé. Malgré les gains de productivité, la proportion reste quasiment constante. Elle était de 28,9 % en 1965 et est de 29,2 % actuellement.

La prime nécessaire pour payer les sinistres doit être celle dégagée de la prime utile. Cette prime est grevée en France de multiples charges supplémentaires comme les commissions d'intermédiaire, de charges internes aux compagnies d'assurance pour leur fonctionnement et de taxes. Le tableau des taxes et de leur évolution en Europe branche par branche montre que la France est restée à un niveau bien supérieur à celui des autres pays. Rien que sur le domaine de l'incendie, le Royaume-Uni est à un niveau de 4 % alors que la France est, suivant les branches, à environ 9 %.

Que gardent les compagnies d'assurance ? Le réassureur peut prendre 70 %, quelquefois plus, jusqu'à 90 %. La compagnie d'assurance ne conserve que 10 %. La revente des contrats a un coût pour la compagnie. Le réassureur n'est pas un philanthrope et demande de l'argent pour assumer le risque.

Tout le problème est là : l'assuré considère que sa prime est utilisée par l'assureur. Or, l'assureur a une multiplicité de charges qui font qu'il lui reste une faible part de la prime.

Président Kessler, nous avons exactement les mêmes chiffres. Pour frapper les esprits, vous avez utilisé le chiffre de 8 milliards de francs d'encaissements. Cela signifie-t-il que le client doit être sectorisé et traité selon ses performances pour chaque type de risque ?

A force de sectoriser, on en est arrivé à considérer le client non plus globalement, mais individuellement. C'est-à-dire qu'individuellement, il n'est pas bon, mais globalement, on l'aime. Il y a un paradoxe là encore. Il va être levé.

Autre paradoxe : vous parlez de 8 milliards de francs. Mais de quelle prime parlons-nous ? Nous parlons d'une prime différente car elle a complètement évolué. Dans mon rapport figurent le montant des investissements faits pour protéger l'ensemble des sites industriels en France de 1968 jusqu'à maintenant. Durant cette période, 100 millions de m² d'usines ont été protégés par des dispositifs d'arrosage automatique. La prime pour des locaux protégés est donc identique à ce qu'elle était il y a 25 ans pour des locaux non protégés, malgré une différence très importante en termes de vulnérabilité et de risque.

Président Kessler, je saisis au bond votre chiffre de 8 000 milliards de francs assurés pour comparer le système français et les systèmes anglo-saxons. De quoi parlons-nous en termes de primes ? De quoi parlons-nous en termes de valeur ?

En termes de valeur, vous parlez du système français SMP que les assureurs ont défini comme le sinistre le plus important pouvant survenir suite à un incident unique. La définition est belle. Après, cela se complique et devient moins bien. Le SMP considère que tous les systèmes de prévention, y compris les systèmes d'arrosage automatique, les systèmes de détection, les systèmes par tête, sont défaillants, tout comme les services d'incendie et de secours. En conclusion, les capitaux à protéger sont pris en compte par l'assureur sur ces bases-là. Nous sommes les seuls à le faire dans le monde.

Le système anglo-saxon MFL (maximal foreseeable loss) est un système où le transfert aux assureurs tient compte des moyens de prévention et de protection automatiques et humains.

Le système français SMP transfère 100 % du risque, quels que soient les centaines de millions de francs investis en moyens de protection. On fait payer la prime là-dessus. Donc, on recherche de la capacité sur le marché et on engorge le marché. Les industriels connaissent pléthore d'exemples où, après passage des « préventionnistes » dans l'usine, la compagnie établit le risque à 16 ou 25 milliards en cas d'incendie. Le chef d'entreprise pense automatiquement qu'il doit s'assurer sur 25 milliards.

Si, par exemple, un dispositif d'arrosage automatique existe, nous savons que dans 95 % des cas, les incendies sur des surfaces de 300 m² sont arrêtés après le déclenchement de 5 têtes d'arrosage. Au-delà de 300 m², un incendie nécessite l'intervention d'un service extérieur. On ne parle donc pas de la même chose, n'ayant pas la même analyse du risque.

En conséquence, cette capacité vient engorger le marché. Or, il faut aider les assureurs à retrouver de la capacité. Pour cela, on pourrait revenir à la notion qui existait autrefois du sinistre raisonnablement escompté. Une fois la protection des locaux assurée, on prend en compte ce qui peut brûler dans un périmètre donné. De cette façon, on résoudrait le problème de capacité.

Voilà ce que je voulais dire pour que ce marché reste viable malgré des conditions tendues. Les assureurs prennent des risques, les industriels aussi. Il faut que nous nous retrouvions.

M. le Président : J'ai pris bonne note que vous allez nous fournir par écrit vos remarques et vos propositions.

M. Pierre FLORIN : Je ne souhaite pas répondre à cela. Les sujets évoqués font l'objet de bibliothèques entières.

De la même façon que nous sommes assureurs, vous, vous êtes constructeur de voitures et je ne vous donne pas de leçon sur la façon de construire des voitures. Ne nous donnez pas de leçon sur la façon de traiter les assurances. Traiter le sujet nécessiterait que nous restions jusqu'à la fin de la journée.

On peut dire que tout est contestable : on parle de primes et de sinistres, les résultats sont étalés sur le long terme et ils sont mauvais. Si vous avez plus de dépenses que de recettes, on ne peut pas dire que les résultats sont bons. Le métier d'assurance est un métier à long terme, nos statistiques sont à long terme. Il y a eu des améliorations de sécurité, heureusement, mais la gravité des sinistres ne ressemblent pas à celle des sinistres en 1960. C'est un débat complexe que l'on ne peut pas simplifier à l'extrême.

M. le Rapporteur : Cela fera la transition avec les questions que nous avons posées en début de séance et auxquelles vous n'avez pas répondu.

Dans la charte dont parlait M. Kessler tout à l'heure, il y a une partie prévention importante. On n'a pas l'impression aujourd'hui qu'existe un lien direct entre l'assurance qui a une capacité d'expertise -même si vous n'êtes pas toujours en accord- et les systèmes de prévention des entreprises. Si ce lien existait, sur au moins deux usines que nous avons visitées, je pense que des modifications auraient été immédiatement apportées.

Je vous ai cité l'exemple de l'usine Grande Paroisse du Grand-Quevilly. On peut citer l'exemple de l'usine de Toulouse. Si vos experts passent dans les entreprises, comment peuvent-ils passer sur des maillons de sécurité relevant de systèmes plutôt archaïques : pas de capteurs d'oxydes d'azote ni de température dans des zones qui pouvaient exploser ?

Pour ceux qui connaissent ces exemples, n'avez-vous jamais rien vu ? Dans l'affirmative, cela voudrait dire que le système n'est pas bon. Ce n'est pas l'assureur qui est en cause : vous n'êtes pas responsables de la sécurité et vos experts ne sont pas chargés de la sécurité mais ils sont présents. Par conséquent, soit on ne les a pas écoutés soit ils n'ont rien dit. C'est une question simple qui vous a été posée et à laquelle vous n'avez pas donné de réponse.

M. le Président : On sent une très grande différence entre le grand risque industriel pour lequel vous apparaissez comme des financiers et le petit risque sur lequel vous avez des barèmes et une analyse fine. C'est ce qui nous trouble.

Sur ce grand risque industriel, l'Etat met une pression extraordinaire sur les industriels à travers de mesures de sûreté, notamment dans le cadre des directives SEVESO, et vous agissez en financiers, alors que sur le petit risque vous agissez en techniciens.

Nous souhaiterions, pour perfectionner le dispositif, que vous contribuiez à la prévention aussi pour le grand risque industriel. Si ce n'est pas conforme à vos méthodes de travail, c'est difficile à intégrer. Cela étant, vu l'intérêt public de la chose, c'est quand même le sens dans lequel nous souhaiterions que vous alliez.

M. Guy LALLOUR : Nous sommes sont tout à fait favorables à continuer à développer la prévention. Il y a quinze ans, les AGF employaient un ou deux ingénieurs de prévention : aujourd'hui, nous en avons quarante, qui toutefois ne permettent pas d'apporter le même service et le même degré de présence sur tous les sites industriels.

M. le Président : Dans leur organisation professionnelle, les raffineries françaises ont 70 inspecteurs pour les 13 raffineries en France. Dans le domaine de la chimie, une telle organisation professionnelle d'inspection n'existe pas. Si les assureurs créaient ce groupe d'inspecteurs pour le risque chimique, vous auriez une mission naturelle à remplir que nous trouverions très intéressante.

M. le Rapporteur : Mais vous n'avez toujours pas répondu aux questions. Vous ne voulez pas parler ! Avez-vous eu des rapports ?

M. Guy LALLOUR : Non, les AGF n'ont pas visité.

M. Pierre FLORIN : M. Lallour a dit tout à l'heure qu'il n'a pas vu le risque AZF. Il n'y a donc pas eu de visite de risque.

M. le Rapporteur : Vous non plus !

M. Pierre FLORIN : Nous non plus, d'autant plus que nous n'étions pas les assureurs.

M. le Rapporteur : Les réassureurs non plus !

M. Pierre FLORIN : Non plus. Ils auraient suivi les AGF.

M. le Rapporteur : Vous saviez qu'il s'agissait de mesures simples : il manquait des capteurs d'oxyde d'azote et des capteurs de température. M. Detrez nous a fait un exposé sur des choses fantastiques qui pouvaient exister, mais en l'occurrence, on était au Moyen-Âge de la détection puisqu'il n'y avait pas de capteurs. Et vous nous dites que vous ne le saviez pas !

M. Renaud de PRESSIGNY : A ma connaissance, la DRIRE l'avait visité quelques mois avant l'explosion !

M. le Rapporteur : Nous leur poserons la question.

M. Pierre FLORIN : Pour répondre à votre deuxième question, si l'on a équipé l'ensemble des grandes compagnies et les réassureurs les plus importants d'équipes d'ingénieurs qui ne font que croître chaque année, c'est bien pour avoir un impact de plus en plus fort sur l'ensemble des risques dangereux et techniques. Il n'y a pas que la chimie.

Cela étant dit, à notre avis notre impact est encore insuffisant sur les mesures réellement mises en _uvre et les investissements en matière de sécurité des entreprises. Si certaines voies de progrès technologiques ont évolué depuis vingt ans, les progrès de sécurité n'ont pas évolué de la même manière.

M. Denis KESSLER : Je souhaite répondre au rapporteur. La branche est déficitaire et n'est pas perçue par les assureurs comme un lieu où l'on gagne beaucoup d'argent. Nous sommes dans une situation où beaucoup d'assureurs décident de réduire leur capacité plutôt que de l'augmenter. Nous sommes dans une situation bizarre.

Deuxième idée : nous sommes pour la prévention et pour son renforcement, mais ne nous poussez pas à refuser notre garantie si nous considérons que le risque est trop important, car sinon le jour où une grande catastrophe industrielle surviendra, il n'y aura pas d'assureurs. Je pourrai affirmer alors que nous n'avons pas donné notre garantie parce que nous aurons considéré que tout n'a pas été mis en _uvre en matière de prévention. Quelle aurait été la situation à Toulouse si les assureurs ayant visité le risque avaient refusé d'accorder leur garantie ? En l'occurrence, l'entreprise était solvable. Imaginez que la société ne fût pas solvable !

M. le Président : C'est exactement ce que nous voulons car c'est ainsi que les entreprises pourront prendre des mesures.

M. Denis KESSLER : Il n'est pas possible d'affirmer cela. Vous ne pouvez pas demander au marché de jouer le rôle de la police. Le marché doit jouer et nous devons être attentifs : nous exposons nos fonds propres et nos résultats en donnant nos garanties.

Dès qu'il y a des normes de sécurité, c'est à l'Etat à les faire respecter. Ne nous transformez pas en substitut au rôle de l'Etat, ce n'est pas notre rôle. Je ne peux pas passer mon temps à annoncer à un client que nous refusons de le l'assurer sauf si....

D'autant que l'Etat à la responsabilité de la visite des sites et de la vérification des installations. Nous avons à jouer tout notre rôle, mais nous n'avons pas à nous substituer à l'Etat dans son rôle principal qui est de vérifier les normes de sécurité et le plan d'urbanisme.

J'ignore si AZF avait des politiques de prévention efficaces ou non. Mais, pour ce qui concerne la responsabilité civile, il y a, à proximité des usines d'AZF et de la SNPE, un hôpital psychiatrique, des logements sociaux, un centre commercial. Compte tenu de cette exposition, on refusera de les assurer : ce n'est pas la qualité de la prévention d'AZF ou de la SNPE qui est en cause, mais leur présence en site urbain. Si jamais, par accident, cela devait exploser, nous allons avoir un sinistre majeur. Imaginez la campagne de presse disant que l'on refuse d'assurer une usine !

Ce n'est pas notre rôle d'élaborer des plans d'urbanisme et de donner des autorisations de construction. Les assureurs donnent leurs garanties, exposent leurs fonds propres, supportent actuellement des pertes relativement importantes, mettent la pression nécessaire auprès de leurs assurés, vont renforcer la prévention, souhaitent la normalisation et demandent que l'Etat mette tout en _uvre pour faire en sorte que les risques restent assurables quand il s'agit de faire respecter les normes de sécurité publique.

M. le Rapporteur : Monsieur Kessler, il n'y a pas confusion dans notre esprit entre le rôle de l'Etat et le rôle des assureurs. Il n'empêche que vous-même avez dit tout à l'heure, que pour les actionnaires, afin de connaître les risques qu'ils supportent, la transparence la plus grande sur l'organisation interne de l'assurance dans l'entreprise était nécessaire.

Nous ne vous demandons pas de vous substituer à l'Etat. Vous êtes présents dans l'entreprise en tant qu'experts extérieurs. Dans le secteur nucléaire, un système de contrôle et un système d'expertises bien organisé existe. On a l'impression que ce n'est pas le cas dans le domaine du risque industriel et chimique. Il est vrai que la situation est compliquée dans ces secteurs où les risques sont très diversifiés.

Les assureurs réalisent des études du risque. Pensez-vous que les résultats de ces études pourraient être rendus publics dans un souci de transparence ?

M. Denis KESSLER : Nous sommes favorables à davantage d'information qui permette à chacun de prendre des décisions en toute connaissance de cause.

D'autre part, nous sommes favorables au renforcement de la prévention et à sa normalisation de façon à ce que des normes de marché s'installent et permettent de réduire le nombre des sinistres. Très honnêtement, l'assureur y a tout intérêt.

Enfin, je pense que l'on n'arrivera pas à s'en sortir si, sur les grands risques, il n'y a pas une concertation plus approfondie entre les pouvoirs publics, les assureurs et les industriels.

Il faut trouver des solutions de concertation pour échanger des informations et d'expertises et trouver des solutions en commun.

On n'évitera jamais toutes les catastrophes, mais il faut être sûr d'avoir tout fait pour les éviter et garantir, si elles surviennent, que les procédures soient suffisamment claires pour en minimiser le coût pour la collectivité.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous indiquer les différences qui existent selon vous entre les cultures anglo-saxonne et française en matière de risques industriels ?

M. Denis KESSLER : Dans une culture anglo-saxonne, je pense notamment aux Etats-Unis, tout est placé sur le terrain de la responsabilité. Tout accident se traduit par des procès gigantesques : il y a la possibilité de faire des « class actions », c'est-à-dire que des milliers de victimes font un procès conjoint à l'entreprise à l'origine d'un dommage. Aux Etats-Unis, le risque est donc placé entièrement dans le cadre judiciaire de la recherche de responsabilité ce qui conduit à des indemnisations, et au-delà, à des dommages et intérêts qui atteignent des sommes considérables.

Tous les acteurs américains, le directeur d'une clinique et les responsables d'une usine comme les responsables publics, vivent dans un univers judiciaire. Tout est, en permanence, placé en termes de responsabilité judiciaire et la recherche de la responsabilité est omniprésente.

En France, nous ne sommes pas encore rentrés dans cette société dite de contentieux. Nous y entrons, mais nous n'y sommes pas à la hauteur des Etats-Unis. On ne peut pas faire de « class action ». Les avocats français ne sont pas rémunérés au pourcentage des indemnités qu'ils obtiennent, du moins j'ose l'espérer. Nous avons déjà eu des procès comme celui de la transfusion sanguine mais nous n'avons pas un univers du risque judiciarisé comme aux Etats-Unis.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas la question. Le système anglo-saxon ne fait-il pas que l'expertise de l'assurance est plus développée ?

M. Denis KESSLER : Pas de l'assurance. Cela donne une expertise différente, les délais d'indemnisation sont différents et les montants sont différents,.

Le montant des indemnisations de responsabilité civile est, rapporté au PIB, quatre fois supérieur aux Etats-Unis qu'en France. La collectivité américaine accepte de payer quatre fois plus que chez nous en pourcentage de son revenu pour indemniser la responsabilité. Cela reflète des mécanismes judiciaires et un système de valeur différents des nôtres. En France, ce montant représente 0,9 % du PIB : aux Etats-Unis, il dépasse les 4 % du PIB.

La relation entre un médecin et son patient en France donne rarement lieu à des contentieux sur le terrain de la responsabilité civile. Aux Etats-Unis, de tels contentieux sont au contraire fréquents et aboutissent à des indemnités et à des « punitive damages ». Si la faute est établie, la victime a non seulement droit à la réparation du préjudice subi mais peut aussi punir la personne qui lui a fait subir ce préjudice.

M. Pierre FLORIN : Je voudrais intervenir sur l'expertise des compagnies anglo-saxonnes. Il faut d'ailleurs différencier les compagnies anglaises et américaines, les anglais étant plus souples.

Il existe des compagnies américaines qui ont des corps d'experts et d'ingénieurs comme en ont AXA, les AGF ou les grands réassureurs. Ces experts ont parfois un impact supérieur sur les investissements de sécurité de certains types d'entreprises. C'est ma conviction, mais cela reste à prouver.

M. Guy LALLOUR : Une différence importante : les assureurs effectuent aux Etats-Unis, pour le compte des pouvoirs publics, une partie des visites qui, en France, sont faites par des consultants ou des organismes séparés de l'assurance. Les récipients sous pression, par exemple, sont inspectés par des experts d'assurance habilités à le faire. Dans certains cas, les assureurs accidents du travail peuvent faire un certain nombre de contrôles. Autrement, l'expertise existe en France comme aux Etats-Unis.

M. le Rapporteur : Il nous reste à vous remercier de votre disponibilité et d'avoir répondu à nos questions. Excusez-nous d'avoir été parfois toniques, mais c'est la règle de cet exercice.

Audition conjointe de :

M. Philippe VESSERON,
directeur de la prévention des pollutions et des risques,
délégué aux risques majeurs au ministère de l'Aménagement
du territoire et de l'Environnement

et de M. André-Claude LACOSTE,
directeur de la sûreté des installations nucléaires
au Secrétariat d'Etat à l'Industrie

et au Ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Philippe Vesseron et André-Claude Lacoste sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Philippe Vesseron et André-Claude Lacoste prêtent serment.

M. Philippe VESSERON : Je m'efforcerai d'être aussi bref que possible et de structurer ce que je voulais vous dire en trois points et une conclusion.

Mon premier point sera une remarque liminaire. Il me semble très important d'éviter de confondre risques technologiques majeurs avec « Seveso plus installations nucléaires de base ».

Quand j'ai commencé à exercer mon métier actuel, un des premiers accidents que j'ai eu à subir a été une explosion dans un silo de céréales près de Bordeaux à l'été 1997, qui a fait douze morts. J'avais eu pratiquement le même accident au début des années 1980 près de Metz.

Parmi les 65 000 installations classées soumises à autorisation, dont je traiterai par la suite, 1 250 relèvent de la directive Seveso. Bien entendu, les milliers de silo de céréales que j'évoque ne font pas partie des installations soumises à la directive Seveso.

Mon deuxième point, consiste à dire qu'au moins en dehors des problèmes nucléaires, une grande part des questions est de plus en plus traitée au plan communautaire. Ce que font les pouvoirs publics, le Parlement et l'exécutif français, est de plus en plus encadré par un ensemble de dispositions communautaires.

J'ai déjà évoqué la directive Seveso. Nous avons, vous le savez, un grand champ devant nous, qui est l'évolution de la réglementation européenne sur les produits chimiques. Il me paraît évident que l'intérêt collectif est que l'évaluation et ce qui pourrait ressembler à l'autorisation de mise sur le marché des produits chimiques se fasse au niveau communautaire et non quinze fois dans chacun des pays européens. C'est une tendance lourde.

Nous avons la chance que depuis la première Directive Seveso, les principes de la législation française ont été repris par le droit communautaire très largement, mais nous aurons de plus en plus à vivre une situation où il faudra contribuer à la production d'un droit communautaire et travailler à son application.

Dans l'ensemble de ces textes communautaires et nationaux, qu'il s'agisse des directives Seveso, des produits chimiques ou du nucléaire dont M. Lacoste parlera plus que moi, il me semble que l'on retrouve des articulations de responsabilités extrêmement claires, même si elles font débat à l'heure actuelle.

La première responsabilité est celle du maître d'ouvrage, de l'entreprise, de celui qui conçoit ou exploite une installation susceptible d'entraîner des risques et qui doit démontrer la sûreté de ce qu'il veut faire. Il doit justifier les options qu'il se propose de mettre en _uvre et, le cas échéant, faire auditer son projet et sa démonstration. Ensuite, s'il obtient les autorisations nécessaires, il doit respecter les conditions fixées et faire vivre son installation, manager l'économie de son projet et gérer son personnel. C'est une responsabilité extrêmement forte du maître d'ouvrage et de l'entreprise dans la production des démonstrations. C'est un élément très important car la responsabilité est un moteur puissant dans toutes les questions de sécurité.

La deuxième responsabilité, parce qu'il s'agit de risques majeurs, est celle des pouvoirs publics, au niveau communautaire ou national, en matière de contrôle. Dans tous les cas, les lois fixent des conditions dans lesquelles des autorisations doivent être demandées et obtenues. Il convient de souligner que tous ces systèmes n'ont de sens que si les règles fixées sont respectées et, en particulier, que si les pouvoirs publics se donnent les moyens de faire respecter les règles qu'ils édictent. Sinon, il y a tromperie sur la marchandise.

En ce qui me concerne, j'ai notamment la responsabilité de faire fonctionner ce que l'on appelle l'Inspection des installations classées. C'est une tâche, fixée par la loi, qui incombe aux DRIRE, aux Services vétérinaires et à un service particulier de la préfecture de police de Paris.

Nous pourrons en parler plus longuement si vous le souhaitez. Je voudrais proposer deux entrées : d'une part, les évolutions d'organisation et de management que nous avons introduites il y a trois ans, dans un programme triennal qui a conduit à faire évoluer beaucoup de choses et d'autre part, les problèmes de moyens, d'effectifs.

Vous avez entendu M. Cochet déclarer à plusieurs reprises qu'il fallait doubler les effectifs de l'Inspection des installations classées ; cela répond à un problème que nous rencontrons à l'heure actuelle.

Je disais que l'entreprise avait la responsabilité de mobiliser des audits. Les pouvoirs publics aussi utilisent beaucoup d'expertises. Nous avons la responsabilité de voir comment et quelles questions peuvent être posées à un organisme d'expertise, quel type de langage est utilisé, quelles réponses obtenir et comment constituer la compétence d'un organisme d'expertise.

Sur les problèmes de risque chimique, j'utilise beaucoup l'INERIS. Vous aurez remarqué, dans les suites de l'accident de Toulouse, que nous avons également fait appel à un organisme néerlandais pour avoir une expertise étrangère, le TNO. Il semble important qu'une partie de la réflexion porte sur la façon de constituer et d'utiliser l'expertise d'organismes publics, français ou étranger, en appui des décisions publiques.

Le troisième point reprend les mêmes thèmes à la suite de l'accident de Toulouse. Une des questions qui se pose immédiatement est de savoir quelles sont les conditions du redémarrage du site chimique de Toulouse ? Le fonctionnement des installations est à l'heure actuelle suspendu par décision préfectorale. Des démonstrations ont été demandées à la SNPE ainsi qu'à ToloChimie. Elles seront examinées par le TNO, l'organisme néerlandais que j'évoquais. Il est clair que des décisions, positives ou négatives, totalement positives ou partiellement négatives et à quelles conditions, est une des questions importantes qui nous sont posées.

Je rappellerais également les décisions prises par le Premier ministre à la suite de Toulouse concernant les moyens : moyens de l'INERIS, moyens de communication, en écho au souci que j'évoquais tout à l'heure.

Immédiatement après Toulouse, nous avons lancé une réflexion sur les instruments que nous utilisons pour éviter qu'après quelques dizaines d'années, les usines et les zones d'habitation ne se retrouvent dangereusement rapprochées. Un site industriel vit sur des dizaines d'années, se développe, se transforme et il en est de même de l'urbanisation. Quels instruments peut-on utiliser ?

Le Premier ministre a demandé que l'on réfléchisse à l'analogie que l'on peut faire avec les plans de prévention des risques naturels qui existent dans d'autres domaines. Nous avons commencé ce travail.

Une autre piste de réflexion suggérée est d'étudier comment étendre les mécanismes de servitudes d'utilité publique indemnisables, qui existent à l'heure actuelle de manière très restrictive, c'est-à-dire uniquement pour les installations dangereuses complètement nouvelles sur un site nouveau.

Enfin, il résulte de l'accident de Toulouse que chacun doit avoir la modestie de reconnaître qu'il n'existe pas de vérité révélée et qu'il faut des lieux de débats, des mécanismes, des procédures pour que ces questions soient effectivement débattues. Quelle utilisation faire des CHSCT ? Quelle utilisation faire des SPPPI ? Comment créer des commissions locales d'information et de discussion sur les risques technologiques à l'image de ce qui existe dans d'autres domaines ? Que tirer d'un débat national ?

La catastrophe de Toulouse a soulevé des interrogations dans nombre de régions. Vous le savez plus directement que moi. Nous avons engagé un vaste système de débats dans chacune des régions qui se terminera à la mi-décembre par un débat à Paris pour ramasser les idées et essayer de faire évoluer les réflexions à partir de la forte sensibilisation liée à cette catastrophe épouvantable.

Trois points, en guise de conclusion.

Premièrement, l'essentiel est de réduire le risque à la source. Qu'elles concernent les gens qui travaillent dans les usines ou les collectivités territoriales qui ont des usines à risque chez elles, bien des questions qui nous sont posées se règlent d'autant mieux que le risque est plus réduit à la source et que les zones de dangers, les distances dans lesquelles il ne faut pas construire sont réduites aussi. De ce point de vue, mon expérience est que des progrès peuvent encore être réalisés, même dans des usines que nous estimons les uns et les autres comme raisonnablement sûres.

Deuxièmement, en ce qui concerne l'Inspection des installations classées, il est clair qu'un mouvement de fond est nécessaire, à savoir l'augmentation du rôle du ministre chargé de l'Environnement dans le pilotage des DRIRE et celui de l'INERIS. C'est un mouvement qui était devenu assez consensuel et sera accéléré par les suites de Toulouse.

Enfin, il est inhabituel que des questions de moyens comme ceux de l'INERIS et des DRIRE soient soulevés directement par le ministre en charge au moment d'une catastrophe. Croyez bien que c'est parce que nous estimons que c'est une des conditions pour réussir les transformations que nous avons besoin d'introduire.

M. le Président : Pour lancer le débat, je poserai une question toute simple, liée à notre visite du site AZF Grande Paroisse de Grand-Quevilly, la semaine dernière. Nous avons vu une usine dans laquelle la fabrication et le stockage d'ammoniac avaient connu des progrès extraordinaires au mois d'octobre ; il a suffi que Toulouse explose pour que, tout à coup, on trouve le moyen de réduire le périmètre Z1 de 4 500 mètres à 150 mètres. On comprend bien que réduire le risque à la source était une chose que les entreprises savent faire, mais il est surprenant de constater que ce qui était demandé par les DRIRE et les préfets depuis des années n'a pu être réalisé que parce que Toulouse a explosé. Cela veut-il dire que les moyens dont dispose l'administration pour faire aboutir une amélioration sensible et une réduction sensible du risque périmètre de sécurité, sont insuffisants au plan législatif ? Est-ce que cela veut dire qu'il faut suivre les idées de certains juristes que nous avons également entendus, affirmant qu'il faudrait une autorité administrative indépendante, une « haute autorité » et des moyens juridiques supérieurs à ceux de l'arrêté préfectoral après étude ? Qu'en pensez-vous ? Sur ce cas particulier, comment pouvez-vous expliquer l'inefficacité de l'administration avant l'accident ?

M. Philippe VESSERON : Le moyen de coercition le plus radical dont disposent les pouvoirs publics lorsque l'interlocuteur industriel est réticent pour faire ce qui est écrit dans les règles, est, bien entendu, l'arrêt plus ou moins immédiat de l'exploitation. L'arrêt définitif ne se prescrit que par décret en Conseil d'Etat, c'est-à-dire avec des garanties relativement fortes accordées aux uns et aux autres, mais l'arrêt d'urgence se prescrit d'urgence.

L'instrument administratif le plus efficace est une procédure prévue par la loi appelée « la consignation », où les pouvoirs publics invitent l'entreprise à verser dans les comptes du TPG, - avec la spontanéité que l'on met pour payer ses impôts - une somme répondant de l'investissement demandé. J'ai en tête quelques exemples de consignation qui ont atteint quelques dizaines de millions de francs. Ce sont des mécanismes réels.

Dans le cas de l'usine de Grand-Quevilly, cette dialectique entre pouvoirs publics et entreprise avait bien fonctionné pour constituer le stockage cryogénique que vous avez vu - qui est d'ailleurs un des meilleurs que je connaisse en France - grand stockage d'ammoniac avec protection par un merlon - un objet qui peut résister à de nombreuses agressions internes et externes. La protection des sphères d'ammoniac qui se réalise par les murs en béton que vous avez vu a été un progrès. Il aurait fallu plus de ténacité pour demander la limitation de volume d'ammoniac stocké sous pression, qui est le progrès que Grande Paroisse propose aujourd'hui.

Les instruments juridiques existaient. C'est la ténacité technique qui a été prise en défaut, après les deux grands progrès que je rappelais.

Mme Michèle RIVASI : Je trouve que vous n'avez pas bien répondu à la question du Président. Comment se fait-il qu'il ait fallu attendre l'accident pour que ces mesures soient prises ? De plus, ils étaient en retard sur l'étude de danger liée à la Directive Seveso et, maintenant, ils se retrouvent avec toute une série d'études à faire ? Comment cela se passe-t-il ? Quelqu'un des DRIRE indique qu'il y a un problème. Quel est le cheminement ensuite ? Est-ce qu'il vous interpelle pour signaler le problème et vous demande d'en avertir le préfet ? Intervenez-vous auprès du préfet ou celui-ci décide-t-il seul ? Avez-vous une possibilité d'intervention pour appuyer les DRIRE ? Si tel n'est pas le cas, ceux-ci sont très seuls dans l'organisation actuelle. Si les DRIRE soulèvent un problème et se retrouvent face au préfet qui, pour différentes raisons, économiques ou autres, ne veut pas arrêter, avez-vous la possibilité d'intervenir ? Quels sont vos moyens d'actions ? Vous est-il déjà arrivé, par exemple, de faire arrêter une installation qui présentait des risques ?

M. Philippe VESSERON : La réponse est oui. Je n'attends pas que l'on me pose des questions pour agir. Il m'arrive souvent de demander des rapports sur une situation lorsque j'ai le sentiment que cela nécessite que je donne des instructions. Il m'arrive, souvent, de donner des instructions avant d'être mobilisé par qui que ce soit d'autre que par les informations que j'ai pu recueillir.

Cela a été le cas sur Grande Paroisse de Grand-Quevilly où j'avais été choqué de constater l'importance des distances de danger des installations actuelles et le nombre de personnes qui y vivaient. Le préfet m'avait répondu que l'entreprise avait pris du retard dans la production des études de danger prescrites par la directive Seveso et j'avais soutenu l'initiative de mise en demeure que M. Fontenaist vous a indiquée.

M. le Rapporteur : Quand on se penche sur la question du risque industriel, on s'aperçoit qu'il y a une bonne séparation entre le contrôle et l'expertise. Cette dernière existe-t-elle ? Comment le contrôle est-il organisé au ministère ? Quels sont les experts ? L'expertise fonctionne-t-elle correctement ? Est-elle, notamment, à la disposition des DRIRE, puisque nous sommes dans un système décentralisé ? Les DRIRE et les préfets de région disposent-ils d'une expertise ou est-ce que tout remonte au ministère pour avoir éventuellement une expertise ?

La deuxième question résulte également de notre observation. En début d'enquête, il nous a été dit que, dans le domaine du risque industriel et notamment des risques chimiques, où les risques sont plus variés que dans d'autres domaines, les incidents ou quasi-accidents remontent au Bureau d'analyse des risques et pollutions industrielles (BARPI) du ministère chargé de l'environnement. Mais, les industriels nous disent que la base de données du BARPI ne leur apparaît pas très bonne et qu'ils consultent plutôt des bases étrangères.

N'y a-t-il pas là un mélange contrôleur/contrôlé ? Est-ce normal que la DRIRE collecte les informations sur les incidents et les quasi-accidents et soit, elle-même, chargée du contrôle ?

D'après sa fiche, le nitrate d'ammonium n'était pas un produit considéré comme dangereux bien que les DRIRE aient écrit qu'il y avait risque d'explosion, sans qu'il y ait eu pour autant de périmètre de sécurité délimité. Comment est organisée la nomenclature des produits compte tenu de leur grande variété ? Quelle est l'organisation du ministère pour traiter d'une telle diversité en termes de risques ?

Enfin, certains prétendent que les méthodes de calcul des périmètres Z1 - mortels et létaux - et Z2 - des dommages corporels - sont approximatifs. Quelles sont les méthodes de calcul de ces périmètres ?

M. Philippe VESSERON : En ce qui concerne l'expertise publique, les deux organismes sur lesquels nous nous appuyons sont essentiellement l'INERIS et l'IPSN. Sur les deux cas de Toulouse et de Grand-Quevilly, qui ont été cités, ces deux organismes sont intervenus à plusieurs reprises au cours des années passées.

M. le Rapporteur : Ne sont-ils pas intervenus, comme nous l'avons entendu dire, à la demande de l'industriel et non à celle de l'administration ?

M. Philippe VESSERON : Je pourrais vous citer des demandes d'intervention d'IPSN sur les deux sites réalisés à la demande de l'administration. Il est possible qu'il y en ait eu d'autres à la demande de l'industriel mais les travaux concernant les stockages d'ammonium, dans les deux cas, ont été faits à la demande des pouvoirs publics.

Il n'empêche que nous utilisons aussi de l'expertise étrangère et de l'expertise que l'on peut mobiliser dans les organismes d'ingénierie et d'audit publics ou privés.

Mon expérience est que la question principale est de savoir comment constituer la compétence, la légitimité, la robustesse de l'expertise. C'est essentiellement, me semble-t-il, en ayant des organismes qui ont des programmes de recherche de bonne qualité et de taille suffisante. Un de mes désespoirs est que les activités de recherche de l'INERIS soient complètement à développer. Nous avons, vous le savez, apporté de nombreuses transformations à cet institut, mais il sort d'une période difficile et le chemin n'est pas terminé.

Le BARPI est un bureau décentralisé de ma direction. Il ne dépend pas de la DRIRE de Lyon. Il est localisé à Lyon, mais c'est un bureau du service de l'environnement industriel, un des trois services de ma Direction. Il prend ses ordres directement chez moi. Son métier est de constituer une base de données sur les incidents et accidents, les quasi-accidents, qui peuvent se produire dans le milieu industriel, essentiellement en France mais aussi un peu à l'étranger.

Les deux voies d'amélioration que j'ai essayé de poursuivre, et qui restent à prolonger, sont le lien avec les services de secours et celui avec les milieux d'inspection du travail. J'évoquais l'articulation nécessaire avec ce qui se passe dans les CHSCT. Il reste encore beaucoup de liens à développer entre sécurité au sens prévention des risques majeurs et sécurité du travail.

Pour ce qui est des méthodes de calcul de Z1 et Z2, le débat est assez vif à l'heure actuelle pour savoir si les méthodes déterministes, qui sont utilisées, sont suffisantes. On calcule les conséquences d'un accident comme la rupture du plus gros piquage sur une sphère d'ammoniac, accident dont nous nous faisons une obligation de calculer les conséquences sans réflexion sur sa probabilité. Faut-il uniquement s'appuyer sur des méthodes déterministes de ce type ? Faut-il introduire des méthodes probabilistes, comme le soutiennent et le demandent, en particulier, les chimistes ? Le débat est raisonnable. Je l'ai connu dans le domaine de la sûreté nucléaire.

La solution est certainement de combiner les deux approches, de les juxtaposer, et non de faire un choix quasi théologique de l'une ou l'autre. Les deux approches présentent un intérêt. Je compte donc rouvrir le débat sur les méthodes de calcul des zones Z1 et Z2, en combinant approche déterministe et approche probabiliste.

Concernant les produits, il y a maintenant de nombreuses bases de données informatiques et tout le monde utilise les mêmes, OCDE, européennes, américaines. Je fais constituer des fiches de données. L'INERIS également. Aujourd'hui, l'accès rapide en situation d'urgence aux bonnes bases de données et l'expérience de l'utilisation de l'information continue me semblent être le problème principal.

M. Paul DHAILLE : Vous avez dit que l'Etat se donne les moyens d'appliquer la loi. « Se donner les moyens », c'est une formule très vaste. Vous avez parlé de ces moyens dans votre propos, mais, de manière plus précise, faut-il des moyens humains - davantage de personnels - des moyens techniques ou plus de volonté ? Car au fil de cette commission, je constate qu'à partir d'une même loi, il n'en est pas toujours fait la même application sur le territoire. Parfois, il semble que l'application soit plus stricte, parfois, non pas laxiste, mais plus large. Est-ce dû simplement à des problèmes techniques ou à des équilibres ou des arbitrages locaux entre nécessités économiques et nécessités de la sécurité ?

Quant à la volonté, ne faudrait-il pas que, dans ce domaine, des directives claires soient données pour que les priorités de l'Etat s'affichent et n'apparaissent pas à géométrie variable ?

M. Philippe VESSERON : Il a beaucoup été dit que la modernisation de l'Etat passait par la déconcentration. Je ne connais personne qui revendique que les problèmes de sécurité, au sens de prévention des accidents majeurs qui occupe votre commission, soient à réguler au gré des rapports de vigilance ou de sensibilisation pouvant se présenter à tel ou tel moment dans tel ou tel département. Sur de tels sujets, tout le monde, y compris le plus déconcentrateur des préfets de la République, demande que les règles du jeu soient clairement fixées et appliquées. Je ne vois personne demander que la sûreté des stockages d'ammoniac ou des usines de chlore varie d'un département à l'autre.

Il est clair que l'inquiétude pour l'emploi joue un rôle dans l'attitude des uns et des autres à différentes périodes. J'ai connu des périodes, vers le milieu des années 80, où Bhopal, Challenger, Tchernobyl, tous ces événements avaient créé une sensibilisation au risque technologique extrêmement forte, bien plus qu'elle n'était dix ou quinze ans plus tard.

Je pense vraiment que nous avons besoin de règles appliquées et managées au niveau national, voire européen. C'est un des messages essentiels dont je voulais vous communiquer.

Pour ce qui est des autres moyens, j'ai évoqué des moyens budgétaires et des emplois en ce qui concerne l'INERIS et les DRIRE.

Il me paraît clair que sur le thème « maîtrise de l'urbanisme », nous devrons revenir devant le parlement au début de l'année prochaine, pour faire évoluer les mécanismes que je résumais tout à l'heure.

Mme Nicole BRICQ : Monsieur le directeur, vous avez dit qu'en ce qui concerne les bases de données, vous utilisiez tous les mêmes. Ma question porte sur ce sujet. Sur le plan communautaire, européen, existe-t-il une capitalisation des expériences qui facilite la mise en place des plans de prévention ? Si elle existe, où est-elle concentrée ? Si elle n'existe pas, doit-elle être formalisée dans un outil, voire un outil institutionnel ? Par qui peut-elle être utilisée ?

J'aimerais que vous précisiez votre propos.

M. Philippe VESSERON : Je parlais de bases de données sur la caractéristique toxicologique ou écotoxicologique des différents produits que l'on peut trouver dans les usines dont nous parlons.

Je vous confirme que les systèmes utilisés par les différents spécialistes sont très largement ouverts. J'ai pu constater que, dans chaque situation d'accident, tout le monde fait appel en quelques minutes aux mêmes systèmes et confronte les informations.

Ce qui me paraît problématique en la matière, c'est le fait que le système d'évaluation des produits chimiques qui a démarré chez nous et dans la communauté européenne à la fin des années 70, a visé à l'évaluation des substances nouvelles et qu'il nous reste une tâche immense à réaliser, celle de l'évaluation du stock de substances chimiques dont la production a commencé dans certains cas il y a des dizaines d'années et pour lesquelles les connaissances n'ont pas été nécessairement constituées. C'est sur ces produits que nous avons le plus de difficultés.

C'est la raison pour laquelle j'évoquais, dans mon propos liminaire, les initiatives qu'est en train de prendre l'Union européenne sur l'évaluation des produits chimiques.

Mme Nicole BRICQ : Le secret professionnel, notamment des process industriels, n'est-il pas un obstacle à cette transparence de mise à disposition des données concernant le produit, qu'il soit nouveau ou ancien ?

M. Philippe VESSERON : Je constate plutôt cela sur les unités et les process, parfois de manière complètement erronée. Il me semble que le secret est rarement revendiqué quand il s'agit des caractéristiques des substances elles-mêmes, des produits chimiques ; bien plus quand il s'agit des installations.

Une partie du dossier de demande d'autorisation de l'usine de Toulouse avait été revendiquée comme confidentielle, ce qui est étonnant.

Mme Nicole BRICQ : Etonnant.

M. Jacques PELLISARD : La catastrophe de Toulouse a provoqué une prise de conscience chez l'industriel et déclenché des actions. Elle a provoqué le même phénomène sur l'Etat, puisque c'est par amendement que la création de cent postes nouveaux en DRIRE a été organisée.

Au-delà de cette réaction des industriels comme de l'Etat face à des phénomènes de catastrophe - ce qui n'est pas une bonne réaction - quel serait, pour vous, l'étiage nécessaire, le niveau minimal de postes à créer, le plus rapidement possible, en DRIRE au cours des années qui viennent pour arriver à un bon niveau de performance de cette administration ?

M. Philippe VESSERON : Le ministre a parlé de doublement des effectifs des DRIRE. J'ai résumé le propos en disant que cela signifiait mille postes supplémentaires. J'ai dû dire qu'il serait raisonnable de le faire en quelques années.

L'évolution est presque arithmétique. Dans mon esprit, elle repose sur une condition. Le besoin est bien celui-là, à condition que nous ayons un bon recours aux mécanismes d'expertises externes que j'évoquais tout à l'heure. Si nous prétendions organiser l'expertise de manière interne, le besoin serait notablement supérieur.

M. le Président : Je propose que nous demandions à André-Claude Lacoste de prendre la parole à son tour, ce qui ne dispense pas M. Vesseron de répondre aux questions qui pourraient venir par la suite.

M. André-Claude LACOSTE : Je ferai une présentation d'une dizaine de minutes s'appuyant sur un nombre limité de transparents. Je précise qu'avant de m'occuper du contrôle de sûreté nucléaire, je me suis occupé de sûreté dans les mines de charbon, les véhicules automobiles, les appareils à pression, et d'environnement.

J'essaierai de faire une mise en relief de ce qui se passe en sûreté nucléaire par rapport à ce qui se passe dans d'autres domaines.

Le premier élément est le nombre très réduit d'installations dont je surveille la sûreté comparé à la quantité sous le contrôle de Philippe Vesseron. Grosso modo, je contrôle cent cinquante installations.

Deuxième élément très important que nous avons en commun avec les installations classées : la sûreté nucléaire consiste à prévenir l'accident et à en limiter les effets, mais le premier responsable est l'exploitant. Ensuite, l'Etat, en tant qu'Autorité de sûreté, vérifie que l'exploitant fait bien ce qu'il faut. Mais la première responsabilité est clairement celle de l'exploitant.

Partout où ce principe a été oublié - par exemple, en Union soviétique - on a vu les conséquences que cela a eu.

Le troisième élément est comment est exercé actuellement, en France, le contrôle de la sûreté nucléaire.

Je dirige la Direction de la sûreté des installations nucléaires, qui dépend, à parité, de deux ministres : ceux chargés de l'Industrie et de l'Environnement. Chaque décision est signée des deux ministres ou au nom des deux ministres.

Je dispose d'un appui technique important, celui de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), qui met à ma disposition quelques 350 experts.

Puis, je m'entoure de groupes d'experts. Ce sont des groupes d'experts que je m'attache à internationaliser autant que possible. Le groupe d'experts chargé des réacteurs comprend des experts allemand, suisse, belge, espagnol et britannique, et est actuellement présidé par un expert belge. Cela assure un retour d'expérience considérable.

Nous travaillons également en liaison étroite avec l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

Nous avons deux activités principales : l'une d'elles est d'élaborer la réglementation et d'accorder ou de refuser des autorisations, ce qui est largement un travail sur dossiers, l'autre est d'effectuer le contrôle, ce qui représente environ 700 inspections par an, dont la moitié sur EDF, y compris ses fournisseurs. Nous nous rendons, par exemple, fréquemment aux Etats-Unis pour vérifier la façon dont EDF contrôle la qualité des constructeurs de pièces détachées ou du combustible.

Nous avons récemment enrichi notre système d'inspection. Aux trois inspecteurs pendant un jour - un inspecteur national, un local et un expert -, qui était le schéma classique, nous avons par exemple ajouté, en nous inspirant largement de ce qui se pratique à l'étranger, l'inspection de revue, c'est-à-dire l'inspection de huit à dix inspecteurs descendant une semaine sur un site.

Nous avons également, des systèmes d'inspection de chantiers pendant les arrêts périodiques des réacteurs d'EDF.

80 % des inspections sont programmées, 20 % sont inopinées.

Enfin, je terminerai en soulignant quatre points importants.

Le premier point, c'est l'ensemble du système « information-communication-transparence ». A cet égard, nous nous attachons, d'une part, à faire fonctionner aussi bien que possible les commissions locales d'information placées près des Conseils généraux. D'autre part, nous essayons de développer le principe dit « de transparence ». A compter du 1er janvier, les lettres de suites d'inspections seront systématiquement mises sur notre site web. Je sais très bien que les industriels seront obligés de publier leur réponse. Cela introduira une clarté que je considère comme extrêmement vertueuse.

Deuxième souci important : l'internationalisation. La sûreté nucléaire, ce n'est pas l'Union européenne, ce n'est pas Bruxelles, ce n'est pas le champ européen. Elle n'apparaît dans aucun traité européen. Pour moi, l'internationalisation, c'est le niveau mondial. J'entretiens des relations suivies avec un vingtaine de mes collègues dans le monde. J'ai pris l'initiative de créer un club des chefs des Autorités de sûreté nucléaire des pays nucléaires de l'Europe occidentale (WENRA), qui a publié deux rapports sur la sûreté nucléaire dans les pays de l'Est candidats à l'entrée dans l'Union européenne, et qui commence à réfléchir à l'harmonisation entre nous des nos pratiques en matière de sûreté.

Sur ce sujet, de façon à éviter tout conflit, nous travaillons la main dans la main avec les services de la Commission. Nous prenons, finalement, nous, Autorités de sûreté, l'initiative en commun de procéder à une harmonisation.

Troisième sujet : je souffre cruellement du manque d'une loi en matière de sûreté nucléaire. Nous fonctionnons avec, à l'origine, un tout petit bout de loi datant de 1961 relative au contrôle de la pollution atmosphérique et des mauvaises odeurs, sur laquelle, historiquement, a été greffé un décret de 1963. Le Conseil d'Etat a considéré que cela suffisait. Chaque fois que je le peux, je fais savoir que je suis demandeur d'une loi. Je me réfère aux travaux de Claude Birraux. Nous avons clairement besoin d'une loi.

Un projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée, mais je crains qu'il ait peu de chance d'être adopté avant les prochaines élections. Faute de loi, dans un certain nombre d'actes que je fais, j'interprète très largement les pouvoirs que me donnent les textes. Il se trouve que le rapport des forces est tel que les industriels ne protestent pas.

Le dernier point est en cours. J'évoquais la sûreté nucléaire, qui est une discipline en soi. Il y a une autre discipline connexe qui intéresse beaucoup plus le public, qui est la radioprotection - la protection contre les rayonnements. Cela fait longtemps que je constate que le problème qui intéresse le public en matière de sûreté nucléaire, est celui de la radioprotection. Le Gouvernement a décidé récemment de mettre en place un moyen d'améliorer la radioprotection, consistant à rapprocher radioprotection et sûreté. La construction d'une direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR) est en cours actuellement, impliquant cette fois, trois ministres, ceux de l'Industrie, de l'Environnement et de la Santé, avec un appui technique, l'IRSN, résultant de la fusion de l'IPSN et de l'OPRI.

Au fond, ces quatre points - information-communication-transparence, international, loi et radioprotection - sont, pour moi des sujets de souci en même temps que des thèmes sur lesquels un certain nombre de choses avancent.

M. le Président : Pourriez-vous nous indiquer les moyens de coercition dont vous disposez. Quels sont ceux, supplémentaires, que vous pourriez attendre ?

Par ailleurs, lorsque l'on travaille dans un site nucléaire, quels sont les contrôles que l'on doit subir avant d'être autorisé à travailler ? Ne pourrait-on pas s'inspirer de ces contrôles pour certains sites à risques non nucléaires ?

M. André-Claude LACOSTE : Sur le premier point, je vous dirai que je ne dispose pas de l'éventail des moyens réglementaires dont dispose Philippe Vesseron. Les textes sur lesquels je m'appuie sont des textes anciens. Pour ne citer qu'un exemple, je ne dispose pas de la consignation, c'est-à-dire de la mise en dépôt d'argent nécessaire pour faire les travaux.

Cependant, j'estime avoir les moyens nécessaires et, fondamentalement, j'en ai deux qui sont efficaces.

Le premier est que je peux suspendre le fonctionnement d'une installation quand j'estime que c'est nécessaire. Je ne le fais pas couramment, mais je le fais quand il le faut. Par exemple, quand une centrale EDF s'arrête pour maintenance ou renouvellement de son combustible, il m'arrive, cinq à dix fois par an, de dire à EDF qu'elle ne redémarrera pas tant qu'elle n'aura pas terminé tels ou tels travaux. C'est ainsi que j'ai fermé une installation du CEA pendant dix-huit mois.

Le second moyen, qu'il ne faut pas négliger, c'est la pression médiatique. Désormais, chaque fois que je prends une décision ou une mesure désagréable à l'égard d'un exploitant, je l'affiche, au minimum, sur mon site web. Quand cela le mérite, je fais des communiqués. C'est un moyen de pression fort à l'égard des exploitants. Il ne faut pas en abuser, sinon il y a une déviation, mais c'est un argument puissant.

Je me trouve donc dans une situation un peu curieuse : je regrette de ne pas avoir à ma disposition l'éventail de moyens attribués à Philippe Vesseron, mais, en sens inverse, dans la pratique, je ne juge pas manquer de moyens.

Pour ce qui est du contrôle des personnels, ce n'est pas mon administration qui s'en occupe. Ce sont plutôt les hauts fonctionnaires de défense (HFD) qui s'en chargent en particulier celui du ministère de l'Economie, des finances et de l'Industrie. Mais il existe effectivement des procédures d'habilitation, de vérification et d'accréditation des personnes.

M. le Président : Y a-t-il des contrôles de ce type pour les sites à risque dans le domaine chimique ? Devrait-il y en avoir ?

M. Philippe VESSERON : Là non plus, cela n'est pas de ma responsabilité directe, mais les choses étant entremêlées, j'ai cherché à vérifier quelle était la situation. Dans la période actuelle notamment, les mécanismes de contrôle d'accès de prévention d'intrusion ont été considérablement renforcés et m'apparaissent à la hauteur du problème.

J'aurai sans doute à relancer des réflexions sur la robustesse face aux agressions avec tel ou tel type d'armes. De la même façon que l'on a, depuis quelques années, introduit les effets dominos - conséquences d'un accident sur des installations voisines - pour étudier la sûreté d'une installation, il me paraît important que nous vérifions la résistance à la malveillance.

M. le Rapporteur : Une question qui s'adresse à vous deux. Vous avez tous deux travaillé dans des domaines croisés. Philippe Vesseron à l'IPSN avant d'être au ministère de l'Environnement chargé de la direction des risques industriels et le chemin inverse pour M. Lacoste. Dans le nucléaire, dès qu'il y a un incident ou un quasi-accident, il est signalé et sa gravité classée sur une échelle. On sait à quel niveau est l'incident.

Dans le domaine des risques industriels, nous avons eu l'impression - je repose ma question car je pense que je n'ai pas eu une réponse complète tout à l'heure - que tout ne remontait pas, qu'il y avait encore une culture du secret importante dans un certain nombre d'établissements. Cela ne remonte pas chez vous, cela ne remonte pas au niveau de l'administration. Il n'y a pas d'échelle des risques finalisée. Nous avons même eu ici le représentant de l'UIC qui nous a dit qu'il ne savait rien, qu'on ne lui disait rien. Or il représentait tout de même l'Union des industries chimiques.

Enfin, même si le nucléaire est différent parce que c'est quelque chose d'homogène, vous venez de dire que c'est au niveau international que tout remonte et qu'une culture de sûreté se met en place au niveau international. Or, pour ce qui est des risques industriels, nous avons vraiment l'impression que cela reste au niveau de l'entreprise et que c'est considéré comme un acquis relevant de l'entreprise. Avez-vous des réponses à cette question en vue d'améliorer la situation ?

M. André-Claude LACOSTE : Toujours en regardant les choses en relief, c'est-à-dire les phénomènes par rapport aux autres, les personnes pro-nucléaires me disent souvent qu'il est tout de même insensé que, dans le domaine nucléaire, le moindre incident soit déclaré, classé sur une échelle, et fasse l'objet de communication. En sens inverse, des personnes anti-nucléaires me disent que, à force de communiquer sur les incidents, on finit par les banaliser.

Je réponds aux uns et aux autres que je ne les comprends pas car la situation est ce qu'elle est parce que la demande sociale est celle-là. Ils n'ont qu'à s'y soumettre parce que l'on ne peut pas faire comme si cette demande sociale n'existait pas. Je considère donc comme extrêmement sain un système qui permet ce type de déclarations.

Cela entraîne une conséquence, parfois, mal perçue. Il est fondamental en cas d'incident que celui-ci soit connu, explicité et analysé. Cela signifie - j'y suis très sensible et j'incite l'exploitant à l'être - qu'il faut veiller au problème des sanctions individuelles. Quand un incident a été révélé, il faut à tout prix éviter que se crée un phénomène de sanction retombant sur la personne qui l'a découvert ou en a parlé. C'est fondamental pour garder un système ouvert. Ce n'est pas facile à réaliser parce qu'il est souvent tentant de rechercher un responsable.

Nous devons trouver un équilibre dont je ne suis pas sûr que nous l'ayons atteint, mais qu'il est fondamental d'essayer d'atteindre si l'on veut garder une relative culture d'ouverture. Personne ne peut jamais garantir que tout est su, mais il est essentiel que le maximum soit su.

Enfin, chaque fois que je parle en public, y compris lorsque je m'adresse à des membres du personnel ou des exploitants, je ne manque pas de rappeler qu'un point est, à mes yeux, important, à savoir que toute personne ou institution qui a quelque chose à dire sur la sûreté - membre du personnel, syndicat, association, homme politique - puisse le dire, soit officiellement, soit même de façon cachée, voire même en dissimulant son identité, et que je suis prêt à recevoir et étudier toute lettre, tout message, toute dénonciation anonyme d'où qu'elle vienne. C'est fondamental pour essayer de réduire encore, si possible, les zones d'ombre.

M. Philippe VESSERON : J'ai culturellement une réaction assez différente à l'égard de l'anonymat. Mais peu importe.

J'ai dit tout à l'heure qu'il était extrêmement important dans les affaires dont j'ai la responsabilité de développer le lien avec les CHSCT. C'est un type de forum que l'on n'utilise pas suffisamment et qui me permettrait de créer un lien entre l'Inspection des installations classées et les syndicats.

M. le Rapporteur : Les représentants des CHSCT sont critiques. Ils disent que les DRIRE et le ministère, surtout sur les problèmes environnementaux, ne leur demandent pas leur avis.

M. Philippe VESSERON : Formellement, on demande l'avis du CHSCT, lorsqu'une demande d'autorisation d'une extension est présentée. C'est ce que disent les textes. Cela me paraît être vérifié sur la forme, la substance de cet avis, le débat ou le temps consacré à préparer cet avis mais la concertation entre l'Inspection des installations classées, la DRIRE et le CHSCT paraît beaucoup trop faible.

A l'heure actuelle, ce n'est pas dans les m_urs.

J'ai un autre sujet d'insatisfaction par rapport à ce qui se passe dans le monde nucléaire. C'est qu'il a été fabriqué une unité commune permettant de mesurer ou d'identifier l'exposition résultant d'un événement. On sait dire que tel événement aura entraîné une exposition de x millisieverts pour n personnes.

Il faut que vous compreniez que je n'ai absolument pas l'équivalent dans les problèmes d'exposition chimique.

Même le débat entre caractériser les dangers et caractériser les risques, exprimer les mécanismes de transfert qui font qu'à partir d'un événement, on va aboutir à l'exposition d'un certain nombre de personnes, est encore extrêmement embryonnaire. Je l'ai constaté douloureusement il y a peu, lorsqu'il s'est agi d'évaluer les risques entraînés par l'accident d'un chimiquier au large de Cherbourg, de la Hague. Même lorsque l'on n'a pas de situation de tension particulière ou de situation de secret particulier, il faut plusieurs réunions pour que tout le monde se mette d'accord sur le risque associé à tel événement.

C'est une situation de nature à bloquer toute diffusion ou tout fonctionnement moderne de la transmission d'information. Il faut que je trouve un moyen de généraliser l'expression non seulement des dangers, mais également des risques, en ayant, le cas échéant, des modes un peu standardisés d'appréciation des mécanismes de transfert.

Excusez cette réponse un peu codée, mais je suis sûr que M. Le Déaut comprend ce que je veux dire.

M. André-Claude LACOSTE : Je reviendrai sur la question de l'anonymat. J'ai gardé un souvenir très précis des questions de dénonciation dans un secteur différent, celui du contrôle technique des véhicules automobiles, en particulier, du contrôle tel qu'il est exercé par les DRIRE.

Une des sources d'information sur ce qui se passait dans bon nombre d'entreprises relevait de dénonciations anonymes, généralement faites par des chauffeurs licenciés. Ces derniers faisaient une dénonciation anonyme de façon à ce que la situation soit connue et, en même temps, que leurs noms n'apparaissent pas pour leur permettre d'être réembauchés par d'autres firmes. C'est l'exemple que j'avais en tête.

Mais je sais combien l'anonymat peut renvoyer à délation et dénonciation. Mais, pour nous, c'est aussi une source d'information.

M. Claude GATIGNOL : Je remercie M. Lacoste d'avoir signalé que, dans le domaine de l'information et de la communication, des commissions locales travaillent et dont l'objectif est de recueillir l'information et de la communiquer. Or, si l'exploitant est à la source de la première information, la plupart des commissions locales ne font un communiqué à leurs membres et à la population qu'au travers - j'espère que c'est une règle partagée par de nombreuses commissions locales - du communiqué validé et de l'explication technique de l'incident faite par les DRIRE. C'est déjà une première marque de sérieux, sachant qu'il faut toujours exiger de l'exploitant d'être prévenu en premier lieu de l'incident qui s'est déroulé.

A propos de la communication de l'information, si je suis content d'entendre M. Lacoste dire qu'il faut rechercher toutes les sources d'information, cela me gêne d'entendre dire que la délation ou l'anonymat puissent être une des sources d'information parce que, justement, l'un des points que je souhaitais aborder est la notion de sensibilisation à la sûreté des personnels des sites d'exploitation.

Dans nombre d'entreprises du champ nucléaire, il existe une culture sûreté - un ou plusieurs Monsieur Sûreté, un ingénieur sûreté, etc. Dans ce domaine, d'énormes progrès ont été faits. C'est une bonne base au bon fonctionnement des entreprises vis-à-vis de la sûreté et, donc, vis-à-vis de la sécurité des populations.

Autre point, je me demande si l'on peut transposer à l'industrie chimique, au sens large - les risques qui nous concernent aujourd'hui - cette échelle de risque que l'on connaît dans le nucléaire : tel incident sera classé parce qu'il est facilement quantifiable quant à son importance technique, mais aussi quant à ses conséquences biologiques.

On sait, vous l'avez dit, que tel incident a pu déclencher telle exposition, que l'on mesure. Il est beaucoup moins facile de connaître les conséquences sur un individu d'une exposition d'un noyau benzénique, d'un dégagement d'ammoniaque ou de tel autre incident avec un produit ou une molécule chimique. Est-il, malgré tout, possible de globaliser les retours d'expérience pour, un jour, dans l'industrie chimique créer le parallèle à cette échelle que l'on trouve dans le nucléaire ?

Enfin, après quelques visites, nous avons pu constater que les mêmes contrôles ne régissaient pas les mouvements de personnes et de matériaux dans les industries chimiques comme c'est le cas dans les sites nucléaires. Certains nous ont paru tout à fait attentifs à ce que des barrières soient franchies avec un contrôle, d'autres un peu moins. Mais vous aurez bien compris que le sens de mon intervention était plutôt la sensibilisation d'un site entier - sa direction, ses salariés, ses fournisseurs - à cette notion de « culture de sûreté », que l'on retrouve plus dans le nucléaire que dans l'industrie chimique.

M. André-Claude LACOSTE : A l'évidence, l'effort principal porte sur l'amélioration de la culture de sûreté, de la formation et de la pertinence de l'opérateur. C'est seulement accessoirement qu'existe le processus possible de dénonciation, mais il me paraît important que subsiste ce créneau pour traiter les cas difficiles ou désespérés. Il est évident qu'en termes de priorités, c'est l'aspect constructif de la culture de sûreté qui est privilégié.

Concernant l'échelle INES à laquelle vous avez fait allusion, nous avons continuellement à défendre cette échelle contre les techniciens car, fondamentalement, c'est une échelle de communication. Ce n'est qu'une échelle de communication et elle doit être gérée en tant que telle. Elle a été élaborée au sein du Conseil supérieur de sûreté et d'information nucléaire sous la conduite de Pierre Desgraupes qui n'était, quand même, pas un technicien mondial en matière de sûreté nucléaire. C'est clairement une échelle en matière de communication.

Je sais comment je l'utilise : in fine, c'est moi qui décide si l'on classe l'incident au niveau 1 ou 2 sur l'échelle INES. Je ne vous cache pas que, parfois, il y a un côté subjectif.

Mon sentiment est que c'est déjà cela dans le domaine nucléaire. Si l'on veut bâtir quelque chose dans le domaine chimique, c'est infiniment plus difficile mais ne commençons pas par confier le sujet - si je peux me permettre de donner un conseil à Philippe Vesseron - à des experts. On n'en sortira jamais.

M. Philippe VESSERON : A peu près dans le même temps qu'après Tchernobyl, a été fabriquée l'échelle INES, un travail comparable était mené au sein de la Communauté européenne pour construire une échelle de gravité des incidents dans les autres domaines. Ils ont réussi à faire une matrice, un tableau qui n'a que deux dimensions et qui est déjà d'une telle complexité qu'il n'est pratiquement pas utilisé, non par mauvaise volonté, mais tout simplement parce que l'intérêt d'une échelle du type de celle utilisée en matière de risques naturels est de pouvoir classer sur quelques barreaux un événement de manière à ce qu'il devienne compréhensible par tous.

Cela demande un long cheminement qui, à mon avis, passe par une meilleure élucidation du débat danger-risque qui rapproche les caractéristiques intrinsèques d'une substance et l'exposition d'un groupe de personnes. C'est cela qui permettra sans doute de mieux décanter le débat sur la gravité.

S'agissant du retour d'expérience dans l'industrie chimique, je pense qu'il faut que, les uns et les autres, nous travaillions plus avec les assureurs. C'est une profession qui est certainement très mobilisable pour l'organisation d'une mise en commun du retour d'expérience.

M. le Rapporteur : Sur le sujet, il y aurait beaucoup à dire.

M. Philippe VESSERON : Sur la bonne volonté des assureurs ?

M. le Président : Nous les avons auditionnés et avons pu nous rendre compte qu'ils étaient très forts pour le risque des discothèques et des supermarchés, mais dès qu'il s'agit de risque industriel, cela devient uniquement financier et leurs bonnes paroles, même écrites dans un Livre blanc, montrent que pour ce qui est des gros risques, ils préfèrent en sortir.

M. le Rapporteur : Plus encore. Dans les grosses sociétés, ils globalisent une prime d'assurance qui est une prime sur la totalité d'un groupe. Donc, on ne peut plus dire qu'il y ait une réelle expertise de la part des assurances.

M. Philippe VESSERON : Un mouvement qui va se produire, et dont je tiens à ce qu'il se produise, c'est que les contre-expertises que je veux déclencher soient valorisées par les entreprises dans leurs négociations avec leurs assureurs. L'entreprise expliquera à son assureur qu'elle a fait faire un travail précis pour améliorer la sécurité de son installation et que ce travail est attesté par une contre-expertise « reconnaissable » - avec une robustesse identifiable. Je suis à peu près sûr que le chimiste normalement constitué saura renégocier sa prime d'assurance.

Mais ce ne sont pas, je le sais, les m_urs actuelles.

M. le Président : Cela ne répond pas à la question sur le retour d'expérience. Peut-on mieux organiser le retour d'expérience dans la chimie ? Déjà y en a-t-il un ?

M. Philippe VESSERON : Par le système du BARPI, j'ai le retour d'expérience que je finance et dont je connais les limites en volume et en nature car il s'alimente sur les incidents ayant pratiquement une manifestation externe.

M. le Rapporteur : Pourquoi les industriels et les experts nous disent-ils qu'ils ne vont pas vers le BARPI, mais vers d'autres bases de données ? Pourquoi quand des industries chimiques se réunissent, n'y a-t-il pas d'experts auprès d'elles, alors qu'en Allemagne, des experts participent aux réunions des industriels ?

M. Philippe VESSERON : Parce que, dans la culture industrielle française, l'incident reste encore un sujet dont les ingénieurs des entreprises ne veulent pas parler, contrairement à ce qui s'est passé dans l'industrie nucléaire internationale.

M. Paul DHAILLE : Mes questions, qui portent toutes sur le même sujet, s'adressent à M. Lacoste. Dans le cas des risques industriels majeurs, ce qui est souvent mis en cause, c'est l'externalisation d'un certain nombre d'activités des entreprises, donc, la responsabilité des sous-traitants.

Pouvez-vous nous dire si, dans le nucléaire, il y a une forte externalisation d'activités, particulièrement au niveau de la maintenance du stockage et du transport ? A quel pourcentage de l'activité, estimez-vous la sous-traitance dans le nucléaire ? Et, si sous-traitance il y a, comment la contrôlez-vous ? Pensez-vous que la sous-traitance est plus dangereuse dans le nucléaire, qu'elle offre la même garantie de sécurité ou que, en fin de compte l'entreprise doit tout faire ?

M. André-Claude LACOSTE : Il y a eu, historiquement, une forte tendance de la part des industriels nucléaires à sous-traiter à peu près l'ensemble de leurs opérations de maintenance. Cela apparaît très clairement chez EDF, où actuellement lors des arrêts de tranche, l'essentiel des intervenants sont effectivement les entreprises sous-traitantes. Le personnel d'EDF exerce pour l'essentiel une activité de surveillance.

Parmi ces entreprises de sous-traitance, les niveaux sont extraordinairement divers. Vous avez, par exemple, des interventions de Framatome, société constituée en tant que telle. Vous avez aussi des sociétés intermédiaires et, si vous n'y prenez garde, vous avez des prestataires qui viennent faire de la peinture ou des activités de ce genre et, a priori, ont une culture de sûreté nucléaire limitée.

Il y a un danger, qui peut s'aggraver parce que la libéralisation du marché électricité dans le monde crée une concurrence croissante sur les coûts et renforce la tendance à l'externalisation.

Pour aller contre cette tendance, nous indiquons clairement à l'industriel principal qui sous-traite, que nous le considérons comme responsable. Nous venons de mettre la pression sur EDF, par exemple, en ce qui concerne la radioprotection de ses sous-traitants, en lui précisant que, bien sûr, les responsables d'entreprise sont responsables, mais que c'est EDF qui est responsable de leur contrôle.

M. Paul DHAILLE : Comment contrôle-t-on la qualité du travail réalisé par une entreprise sous-traitante et sa compétence ? Ce travail est-il réellement aussi bon que s'il était produit en interne ?

M. André-Claude LACOSTE : Je ne pense pas que cela pose de problème général, pour une raison assez simple : s'il s'agit de faire des travaux de soudure délicats, je préfère qu'ils soient faits par des soudeurs tout à fait qualifiés et exercés, qui font régulièrement des travaux de soudure délicats plutôt que par des agents permanents d'EDF qui n'en feraient qu'occasionnellement. Il y a une vraie pertinence à utiliser des spécialistes.

J'ai plus d'inquiétudes vis-à-vis des non-spécialistes, du tout-venant. Mais pour effectuer des travaux précis et spécialisés, je préfère des gens qui les font journellement que ceux qui n'opèrent qu'occasionnellement.

Nous imposons à EDF d'avoir des processus d'accréditation et d'habilitation de ses sous-traitants, au moins au premier niveau. Mais je répète qu'in fine, c'est vers l'industriel principal que nous nous retournons.

Mme Michèle RIVASI : Je reviens en arrière, car un point me trouble. Quand on voit l'organisation du nucléaire dont vous nous avez exposé les grandes lignes en précisant qu'il y a tant d'installations, tant de personnels, tant d'inspections par an et que vous prenez des sanctions si besoin est... Je me pose, d'ailleurs, la question de savoir si la loi vous y autorise parce qu'en principe, ce sont les ministères de l'Industrie et de la Santé qui peuvent arrêter une exploitation.

Mais, monsieur Vesseron, pourquoi ne pouvez-vous pas faire dans la chimie ce qui se fait dans le nucléaire ? Autrement dit, si vous ne pouvez pas le faire, que pouvons-nous modifier d'un point de vue législatif ?

Pour commencer, comment obliger un industriel à vous déclarer ses incidents ? Ne faudrait-il pas une obligation législative contraignant l'industriel à déclarer ses incidents ? A vous de les classer, ensuite, et de voir s'il s'agit d'incidents banals ou d'incidents pouvant entraîner un accident.

Quant au nombre d'inspections, nous avons bien vu qu'il y a des inspections qui sont visibles mais, en discutant avec les personnes de la DRIRE, nous les sentons très esseulées ; esseulées en ce sens qu'elles ont peu de pouvoir par rapport à l'industriel avec lequel le rapport de forces ne leur est pas favorable et aussi parce que les rapports avec les syndicats semblent très négatifs. Il y a certainement un comportement à revoir au niveau des DRIRE.

M. Lacoste parlait de personnes susceptibles de fournir des informations. Les syndicats à l'intérieur d'une entreprise connaissent très bien la vie de l'entreprise. Si les DRIRE ne se rapprochent pas des salariés, je vois mal comment ils peuvent recevoir une information de l'extérieur.

Je ne comprends pas que, dans l'organisation à l'intérieur du chimique, vous n'arrivez pas à avoir les mêmes moyens et la même méthode que dans le nucléaire, même si les installations sont bien plus nombreuses. Si les moyens ne sont pas suffisants, il faut en réclamer plus, lors du vote du budget.

Quant à la pertinence de vos services, je suis très surprise qu'à Toulouse, vous n'ayez pas le détail des composants du nuage toxique ? L'INERIS ne sait pas plus. La Direction générale de la Santé ne sait pas plus. Qui peut répondre ? Qui a les moyens de déterminer ce qu'il y avait dans ce nuage de gaz toxiques ?

A l'heure actuelle, des personnes soignées dans les hôpitaux ont des plaies qui ne cicatrisent pas et l'on ne sait pas pour quelle raison. Cette information est capitale pour les personnes hospitalisées. Si nos services sont incompétents, que ce soit l'INERIS, nos laboratoires universitaires ou les autres, il y a de quoi s'inquiéter.

M. Philippe VESSERON : L'adjectif « incompétent » me paraît assez mal venu. L'un des objets de l'enquête de police judiciaire est justement de reconstituer ce qui se passait exactement dans cet entrepôt et ce que Grande Paroisse y avait fait entrer dans les semaines précédant l'événement...

M. le Président : Nous savons tout cela. Le rapport Barthélemy le dit déjà.

M. Philippe VESSERON : Le rapport Barthélemy livre un certain nombre d'éléments que M. Barthélémy a pu réunir. Mais il reste tout le travail de police judiciaire auquel Barthélémy n'a pas eu accès, car il est encore en cours.

M. le Président : Mais il y a quand même eu une suite de négligences.

M. Philippe VESSERON : J'aimerais en avoir une liste aussi exhaustive que possible.

Mme Michèle RIVASI : Sait-on ce que contenait ce nuage ?

M. Philippe VESSERON : Il n'y a pas eu de mesures directes sur le nuage. Mais les produits de décomposition du nitrate d'ammonium sont relativement classiques. Je n'ai, pour ma part, pas trop d'interrogations sur ce point.

Mme Michèle RIVASI : Votre réponse me laisse sceptique, car je ne vois pas pourquoi nous n'arrivons pas à soigner ces gens. Les médecins demandent des précisions sur la nature du nuage parce qu'il est incompréhensible de ne pas réussir à soigner. Il y a bien quelque chose ! Avez-vous plus d'informations que nous à ce sujet ?

M. Philippe VESSERON : Je n'ai pas plus d'informations. Je ne savais d'ailleurs pas que les médecins de Toulouse considèrent avoir des difficultés particulières à soigner certains malades. Je sais qu'un des éléments marquant de cette affaire est la gravité des blessures reçues par bon nombre des 2 500 personnes concernées, mais je n'ai pas d'information concernant une suspicion d'atteinte chimique particulière.

Poser le principe que les incidents doivent être déclarés, les vieux juristes vous diraient que c'est bizarre dans une loi mais ce serait de très bon goût. C'est le genre de principe qui n'est pas facilement sanctionnable, mais qui me paraît être à la base de toute police industrielle.

Il faut que les DRIRE fonctionnent de manière ouverte et loyale avec tous les publics concernés. Tout le monde est plein de contradictions et d'ambiguïtés dans ces matières, les organisations syndicales comme les autres. L'expression du patron et des salariés d'un établissement n'est pas complètement identique, selon qu'elle est directe ou se passe en CHSCT. Il faut que l'ensemble de ces mécanismes fonctionnent mieux qu'à l'heure actuelle.

J'ai besoin que l'Inspection des installations classées soit branchée sur la totalité des informations pertinentes. Je reconnais bien volontiers que c'est l'un des problèmes à traiter dans un prochain programme triennal.

M. Jean UEBERSCHLAG : Je voudrais revenir sur les questions de prévention. Actuellement, lors d'une catastrophe, on organise le comportement post-catastrophe, mais on ne pense jamais à organiser la prévention ou à prendre les dispositions pour que la catastrophe n'arrive pas ! Peut-on toujours prévoir les catastrophes ? Là n'est pas la question. C'est en cela que le retour d'expérience, dont Claude Gatignol a évoqué l'opportunité, peut être intéressant.

Aussi je voudrais revenir sur une expérience qui a précédé la catastrophe de Toulouse. Il y a quelques dizaines d'années, avant la guerre, à Düsseldorf, en Allemagne, il y avait déjà eu cinq cents morts après une explosion due à des ammonitrates. Suite à ces incidents, certains pays ont modifié la législation. Il avait été constaté, en effet, et je me le suis fait confirmer par un chimiste qui a travaillé dans cette industrie, qu'à un taux de 35 %, l'ammonitrate est un explosif. On le sait.

Tous les pays, à part la France, ont décidé de réduire le taux d'azote à 27 % maximum, seuil auquel l'ammonitrate n'explose plus.

En France, aujourd'hui, on accepte le taux de 33 %. Or un ammonitrate à 33 % d'azote, ajouté à très peu de pétrole ou de gazoil devient un parfait cocktail Molotov. Cela explose.

Ces chimistes prétendaient que si l'azote avait été à 27 % dans les ammonitrates en France, - donc si la réglementation était imposée comme dans d'autres pays : l'Allemagne, la Suisse, l'Autriche, etc. - il n'y aurait pas eu d'explosion à Toulouse.

Je ne sais si cela est vrai, mais le retour d'expérience n'a apparemment pas permis d'harmoniser, sur le plan national, en tout cas, l'expérience et les conclusions que d'autre pays en ont tirées. Est-ce une carence de la législation française ? J'ai d'ailleurs posé une question écrite au ministère de l'Industrie et je n'ai jamais eu de réponse. Je l'attends toujours. C'est la raison pour laquelle je veux savoir si, en France, nous avons été laxistes alors que nous sommes tatillons dans d'autres domaines en matière de réglementation.

Nous recevons M. Sappin après vous et comptons l'interroger sur la réglementation que mettent en _uvre les pompiers, au travers de la délivrance des permis de construire en France. La puissance que ceux-ci s'arrogent en la matière est délirante.

Pour revenir sur les ammonitrates, la réglementation a-t-elle été laxiste ? Si tel est le cas, n'y a-t-il pas là une carence et une responsabilité à rechercher en matière de fixation des taux ?

Un mot pour terminer sur le plan international. J'habite une région, l'Alsace, située près de la frontière suisse. Comment réagissez-vous au fait que la Suisse n'ait pas signé les directives Seveso alors qu'elle est à l'origine de Seveso ?

M. Philippe VESSERON : La directive Seveso est une directive de l'Union européenne. A ce titre, elle ne concerne pas la Suisse.

En ce qui concerne les normes des engrais, il existe une norme internationale qui est la même partout. J'ai donc eu un écho identique à celui qui vous est parvenu. J'ai demandé à mes homologues du ministère fédéral allemand ce qu'il en était, j'ai voulu savoir si les produits respectant la norme internationale, mais contenant trop d'azote étaient interdits en Allemagne. La réponse qui m'a été adressée est négative. A ma connaissance, les normes utilisées en Allemagne et en France sont les mêmes.

Je vous ferai parvenir bien volontiers, monsieur le Président, la réponse que j'ai reçue de mes amis allemands.

Il est clair - et j'ai eu tort de ne pas en parler - qu'à la suite d'une catastrophe comme celle de Toulouse, nécessairement, tout un pan d'initiatives internationales apparaît. Nous avons déjà, à l'occasion d'un Conseil des ministres à Bruxelles, lancé des travaux portant notamment sur la norme et son éventuelle modification, sur la révision des seuils de la directive Seveso concernant le nitrate d'ammonium et un certain nombre de ces questions. J'espère que vous avez ce texte. Si ce n'est pas le cas, je veillerai à ce que vous l'ayez rapidement.

M. le Président : J'ajouterai que j'ai entendu dire qu'aux Etats-Unis, le nitrate d'ammonium était considéré comme un explosif, puisque les terroristes s'en étaient servis pour faire sauter le World Trade Center la première fois. Là-bas, si vous n'êtes pas agriculteur et que vous achetez du nitrate d'ammonium, dès le lendemain, le FBI vient vous demander pourquoi vous l'avez acheté.

M. Philippe VESSERON : Il est vrai que le nitrate d'ammonium est à la base d'un produit, le nitrate-fioul, qui est l'explosif utilisé par tous les carriers parce qu'il présente des garanties de sécurité considérables car il explose difficilement.

J'ajoute, si vous le permettez, qu'historiquement, les DRIRE ont poussé les carriers à utiliser le nitrate-fioul en considérant que c'est un progrès de sûreté par rapport à l'utilisation des explosifs bien plus sensibles, qui étaient ceux couramment utilisés auparavant.

M. Jean UEBERSCHLAG : En Allemagne, le maximum autorisé est 27 %.

M. le Président : Bon, nous attendons une note écrite en réponse à cette question.

M. Jean UEBERSCHLAG : En Allemagne pour arriver à 27 %, ils le mélangent à de la craie. Cela augmente le prix de la tonne de 50 francs. Est-ce pour un problème de coût de revient que cela ne se fait pas en France ?

M. le Rapporteur : Les compositions figurent en annexe de Seveso II, mais il peut y avoir des nitrates d'ammonium supérieurs à 27 %.

M. Philippe VESSERON : Mais ils ne sont pas commercialisés comme engrais respectant la norme des engrais.

M. le Président : Pourrait-on avoir une note concernant les normes qui se pratiquent en France et ailleurs dans ce domaine ainsi que sur la qualité autorisée ailleurs ?

M. André VAUCHEZ : Quittons un moment les pourcentages. Puisque vous disiez, monsieur, que nous pouvions poser toutes les questions que nous souhaitions, la presse en pose en ce moment au sujet du nucléaire.

Il est vrai qu'en règle générale les mesures réglementaires prises dans le domaine du nucléaire sont suivies. Je pense que les prescriptions données sur les mesures réglementaires, sur les situations à éviter pour échapper à un risque potentiel important sont appliquées. Dans la chimie, nous avons entendu dire à plusieurs reprises ici que les prescriptions étaient souvent violées dans les années suivant leur délivrance.

Ceci dit, restent tout de même des éléments perturbateurs qu'il convient d'envisager. Je pense aux tremblements de terre. On nous répond, évidemment que cela dépend du site où l'on se trouve.

Puis, il y a aussi le risque de ce qui tombe du ciel, qui s'appelle les avions. Cela peut être un accident banal dont la probabilité a été calculée, mais la probabilité, cela peut être demain, surtout si ce risque monte en puissance avec le terrorisme. Nul n'a besoin de faire un dessin, tout le monde aura compris.

C'est un risque éminemment majeur. Dans le cadre du nucléaire, pensez-vous qu'il faille évaluer ce risque à sa plus juste mesure ? En corollaire, pensez-vous qu'il faille prendre des mesures de protection ?

Vous avez entendu, comme nous, le questionnement de la presse, et des Français, mais aussi des personnes étrangères, avec cet accident du 11 septembre qui a été catastrophique, on le sait. Avez-vous évolué dans vos positions depuis ? Pensez-vous qu'il faille protéger nos cylindres nucléaires d'une éventuelle chute d'un avion ?

M. André-Claude LACOSTE : Je vous répondrai en deux temps. Premier temps, qu'avons-nous fait en matière de sûreté nucléaire, après les attentats du World Trade Center ?

Les études ont été lancées sur trois pistes. La première piste est comment prévenir des actes de terrorisme et, en particulier, les chutes d'avions. Ce n'est pas un problème spécifiquement nucléaire. Regarder ce que peuvent faire des services secrets ou la police, étudier comment protéger les cockpits d'avion contre des bandits, réfléchir à la façon d'assurer la sûreté des aéroports, comment mettre en place des dispositifs de missiles ou des forces aériennes, n'a rien de spécifiquement nucléaire. Cela correspond à une mesure générale de protection d'un ensemble de sites. Cela concerne la prévention.

Une deuxième piste a été de rechercher comment limiter les conséquences en cas d'actes de terrorisme ou en cas de crash d'avion. Les études sont en cours. J'ai demandé systématiquement, que soient conduites deux séries d'études en parallèle ; une que j'ai demandé à mon appui technique, l'IPSN et une à l'exploitant. Nous commençons à les recevoir et je vais les mettre face à face pour voir les conséquences à en tirer. Cela peut toucher aussi bien une amélioration de la conception des installations qu'une amélioration des consignes d'exploitation. C'est en cours.

Troisième piste : peut-on améliorer les procédures de gestion de crise si, malheureusement, un gros problème intervient ? Cela concerne l'ensemble des mesures de protection civile, de gestion de crise et d'intervention des préfets.

Voilà ce que nous faisons en matière nucléaire. C'est tout à fait fondamental. Le moment venu, j'aurai à dire ce que je pense et, éventuellement, des questions à poser. A mon avis, il faut veiller à ne pas limiter cette réflexion aux installations nucléaires.

M. André VAUCHEZ : Nos collègues vont à Toulouse demain. Imaginez qu'un avion percute le silo qui a disparu, il est vrai que c'est un beau détonateur. Mais en fait que l'explosion provienne d'un avion qui la déclenche ou d'un détonateur autre que l'on ne connaît encore pas, on aurait dû savoir potentiellement ce que cela allait donner.

M. André-Claude LACOSTE : Une des questions difficiles qui se pose à l'autorité gouvernementale en France est la suivante : comment prendre en compte l'ensemble des actes terroristes possibles : chute d'avion, commando, acte touchant à la santé des personnes ? Comment prendre en compte l'ensemble des cibles possibles ? Et avec deux critères : qu'est-ce qui tue le plus et qu'est-ce qui émeut le plus ?

Honnêtement, ce double balayage, ce n'est pas moi qui le fait. Il est extrêmement difficile. Le gouvernement, in fine, a à se prononcer sur ce qu'il retient comme hypothèse de travail ou hypothèse principale.

C'est une question extrêmement difficile.

M. Philippe VESSERON : Je ferai la même réponse, mais j'ajouterai un point.

Indépendamment des problèmes de malveillance, le risque sismique fait partie des risques qui m'inquiètent assez largement ; non pas que la France soit un pays particulièrement soumis à ce risque, mais bien des lignes de défense qui font la sûreté d'une installation chimique ou nucléaire, peuvent être fragilisées en cas de séisme ; ce sont des systèmes électriques, des régulations, des systèmes matériels qui assurent la sécurité de l'ensemble du système. Si un séisme, même peu destructeur, vient casser plusieurs éléments du système, il peut perdre sa pertinence de manière radicale.

C'est une des raisons pour lesquelles je me bats, pour que les installations chimiques de la région des Pyrénées ou des Alpes - aux Antilles, il n'y en a pratiquement pas. - soient rendues plus robustes face au risque sismique. D'autant plus que lorsqu'on s'y prend au moment de la construction d'une unité industrielle, comme pour un immeuble d'habitation, cela ne coûte pratiquement rien.

Mme Michèle RIVASI : Ma question porte sur un site à la fois chimique et nucléaire, je pense au site du Tricastin. Le problème réside là dans le cumul des risques. Si jamais une explosion chimique se produit, la centrale est à côté. Comment faites-vous pour le jumelage, entre les deux ? Comment gérez-vous ces sites mixtes ?

Deuxièmement, je reviens sur les commissions locales d'information. Quelque chose ne fonctionne pas très bien au sein de ces commissions. C'est le problème des expertises et du fait que les DRIRE décident de l'argent qui est attribué pour les expertises en dehors de l'exploitant. Cela me paraît témoigner d'un dysfonctionnement. La preuve en est que l'enveloppe que vous aviez fixée n'est pas souvent utilisée. Très souvent, lors d'un vote, comme les exploitants défendent en général le nucléaire, que les élus locaux suivent, il ne reste que les associations et quelques élus pour se poser des questions sur la véracité des chiffres donnés par les exploitants. Il faudrait arriver à un meilleur fonctionnement que celui qui régit les commissions locales d'information à l'heure actuelle.

M. André-Claude LACOSTE : Tout d'abord, nous nous efforçons de prendre en compte l'ensemble des risques. Pour répondre de façon lapidaire à votre question : pour nous, en première analyse, sur une des usines du Tricastin, le risque principal est un risque chimique. Les études sont en cours et nous nous efforçons de prendre en compte l'ensemble des données. Sur certains sites où se trouvent des installations civiles et non civiles, nous nous efforçons aussi d'avoir une vision coordonnée.

Concernant le fonctionnement des commissions locales d'information, c'est finalement au niveau national que nous décidons d'attribuer ou non des crédits pour aider telle ou telle commission locale d'information à lancer des études. Mais nous ne pouvons pas obliger les commissions à les faire. Je sais bien à quel cas vous faites référence. Quand il y a accord entre les élus et les industriels et la plupart des membres de la CLI pour ne pas faire d'étude, il serait outrageant à l'égard de la démocratie locale que nous imposions une étude qui n'est pas commanditée par ceux qui sont localement responsables. Je vois bien le cas que vous avez en tête, qui, personnellement, me peine.

M. Philippe VESSERON : Montesquieu avait réfléchi sur la façon dont fonctionne le gouvernement démocratique d'un pays. Nous rencontrons les mêmes problèmes dans ces matières. Une commission locale - qu'il s'agisse d'une commission locale discutant des problèmes d'une centrale nucléaire, d'une installation d'élimination de déchets ou autres - qui réunit des personnes qui peuvent avoir trop facilement intérêt à ne pas discuter d'un problème ou à le considérer comme réglé, ne fonctionne pas. Mon expérience est que les choses fonctionnent d'autant mieux que l'on arrive à mettre de la distance.

C'est ce que nous avons essayé de faire avec les SPPPI où l'on discute de l'ensemble des problèmes de risques et de pollution industriels qui se posent dans le département des Bouches-du-Rhône. Cela permet à la fois, quelque chose de commun et de la distance ; les différents acteurs - entreprises, organisations syndicales, associations, élus - sont moins collés à une réalité complètement immédiate.

Il faut aussi - c'est aussi ce qui est écrit sur la démocratie - avoir un bon fonctionnement législatif-exécutif ; que le préfet ou la DRIRE propose un plan d'action et accepte de le faire critiquer sans attendre que le consensus de la commission locale s'établisse spontanément sur quelque chose de totalement innovant, car, parfois, on risquerait alors d'attendre longtemps.

M. Pierre CARASSUS : Vous disiez que les DRIRE étaient auprès du conseil général. Ils sont auprès du préfet. Le préfet, même s'il a dit qu'il ne souhaitait pas d'étude, pourrait la demander.

Mme Michèle RIVASI : C'est très rare. En fait, c'est le président du conseil général qui est le président des CLI.

M. André-Claude LACOSTE : Juridiquement, les commissions locales d'information auprès des installations nucléaires sont fondées sur une circulaire du Premier ministre. Elles sont créées par le Conseil général. Le président du Conseil général peut présider lui-même ou déléguer un élu ou un expert. Elles sont différentes des autres commissions auxquelles Philippe Vesseron fait allusion, qui sont créées de façon réglementaire et dont, statutairement, le préfet est président.

M. Philippe VESSERON : Qui s'appellent également commissions locales d'information et de surveillance.

M. le Président : Nous avons donc des CLI et des CLIS.

M. Philippe VESSERON : Tout à fait.

M. Claude GATIGNOL : Dans mon département, sur ce point, il y a trois sites et trois CLI différentes. L'une a été créée par le Conseil général, j'ai l'honneur de la présider, elle concerne un CNPE à Flamanville, donc EDF. Une deuxième CLI est présidée par le préfet et créée à sa demande surveille le site de l'Andra. La troisième relève directement du Premier ministre. Il s'agit de la commission spéciale d'information et de surveillance des établissements Cogema La Hague.

Il peut donc y avoir plusieurs structures. Nous en avons déjà discuté au sein de l'office et, sur le terrain, on note un attachement très fort, presque viscéral, à ce que chaque CLI soit bien identifiée et attachée à un établissement.

A un moment, il a été proposé qu'une CLI départementale s'occupe de tout. Très rapidement, cette idée a été abandonnée car les gens veulent avoir une identification très forte de la composition d'une CLI et la façon dont elle s'intéresse aux questions. Chaque établissement est différent, c'est du moins, le cas de ceux de ma circonscription.

M. le Président : Monsieur Lacoste, pourriez-vous préciser quelle est cette commission qui devrait demander une étude, mais qui ne la demande pas parce que la majorité de ces membres ne la souhaite pas, et à laquelle vous avez fait allusion en réponse à la question de Mme Rivasi ? Pourrions-nous avoir des précisions pour mieux comprendre où se situe le débat ?

M. André-Claude LACOSTE : Je crois que Mme Rivasi en sait plus que moi.

M. le Président : Non.

Mme Michèle RIVASI : Dites. Je vous confirmerai ensuite...

M. André-Claude LACOSTE : Notre idée était d'offrir à la commission locale d'information l'opportunité de financer une contre-expertise sur un dossier d'autorisation de rejet.

M. le Président : Mais, où ?...

M. André-Claude LACOSTE : Au Tricastin.

M. le Président : Et alors ?

M. André-Claude LACOSTE : Bien que nous soyons prêts à fournir l'argent nécessaire en tant qu'Autorité de sûreté, il s'est trouvé qu'une majorité a jugé que le lancement de l'étude n'était pas opportun.

M. le Président : C'est-à-dire que cette CLI a émis un vote...

M. André-Claude LACOSTE : Oui, dont il est ressorti qu'il n'y avait pas d'intérêt à lancer une étude.

M. le Président : Les décisions de la CLI se prennent à la majorité de ses membres ?

M. André-Claude LACOSTE : Cela varie car tout ceci n'est que fort peu formalisé.

M. le Président : C'est intéressant de comprendre.

M. André-Claude LACOSTE : En l'occurrence, dans ce cas, il y a eu vote.

M. le Président : Aucun texte ne prévoit quelles sont les décisions à prendre ? Juridiquement ou formellement, qui est chargé de lancer cette contre-expertise ? Qui décide de l'utilité d'une contre-expertise ?

M. André-Claude LACOSTE : Je redis qu'il s'agissait d'une offre de notre part. Nous disions à la CLI qu'un des sujets dont il serait débattu dans la région est une enquête publique sur une autorisation de rejet, qu'elle avait une occasion de se manifester sur ce sujet et nous lui offrions l'argent pour réaliser une contre-expertise par rapport au dossier des industriels. Sa réponse a été qu'elle n'était pas intéressée. Vous voyez bien les conditions : il est difficile à l'administration d'aller au-delà du vote exprimé par cette CLI légitimement créée auprès d'un conseil général, présidé par un élu.

Mme Michèle RIVASI : C'est un cas très intéressant car cela montre que, si l'on en arrive au vote, il faut que dans la représentativité de la commission locale d'information, soit réelle. Or là, quand vous voyez que la commission se compose d'exploitants, d'élus, qui sont partie prenante puisqu'ils touchent la taxe professionnelle, et de syndicats préoccupés par l'emploi, vous êtes bloqués quant au pluralisme des approches.

Il faudrait arriver, dans le fonctionnement des CLI, à ne pas en venir au vote. Il est vrai que ce n'est pas inscrit dans la loi, mais c'est une tactique de blocage. Il faudrait éviter de tels blocages.

M. le Rapporteur : Tout d'abord, monsieur Vesseron, la DRIRE de Midi-Pyrénées avait-elle fait une étude sur le risque d'explosion dû au nitrate d'ammonium à Toulouse ?

M. Philippe VESSERON : Non.

M. le Rapporteur : Cela n'avait jamais été envisagé ?

M. Philippe VESSERON : Dans les nombreuses études que j'ai retrouvées, depuis le début des années 1980, on a étudié des tas de scénarios : rupture du stockage de phosgène, rupture d'un wagon de chlore, accident de conduite de phosgène qui traverse le fleuve... Tout ce que vous voudrez. Je n'ai pas retrouvé d'étude du scénario qui s'est produit.

M. le Rapporteur : Dans les stockages de nitrates d'ammonium et, notamment à Toulouse ou à Grand-Quevilly, y avait-il des capteurs dans la totalité des bâtiments de stockage, capteurs aussi bien de température que d'oxyde d'azote mesurant la décomposition du nitrate d'ammonium ?

M. Philippe VESSERON : Je n'ai pas encore la réponse finale pour le bâtiment qui a explosé à Toulouse. Je crains qu'elle ne soit négative. Réservons la question et la réponse pour la fin de la procédure judiciaire sur Toulouse.

M. Pierre CARASSUS : Sur la réglementation, vous devez avoir la réponse. La réglementation obligeait-elle aux capteurs ?

M. Philippe VESSERON : l'arrêté préfectoral n'imposait pas de capteurs de NOx pour le bâtiment 221. Il a été dit que, dans un document, l'entreprise faisait état de son intention de les installer.

M. le Rapporteur : A Grand-Quevilly, existent-ils ?

M. Philippe VESSERON : Ils existent.

M. le Rapporteur : Ils existent maintenant, mais existaient-ils au moment de l'explosion de Toulouse ?

M. Philippe VESSERON : Je ne sais pas si des capteurs supplémentaires ont été ajoutés après l'accident de Toulouse.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la situation en matière de sous-traitance dans le domaine du nucléaire et du chimique est satisfaisante ?

M. André-Claude LACOSTE : Dans le nucléaire, elle ne l'est pas encore.

M. Philippe VESSERON : La sous-traitance implique de définir clairement les termes de référence. Je tiens beaucoup à ce que les pouvoirs publics regardent les termes de référence, ce qui régule les rapports entre le donneur d'ordre et ses sous-traitants.

Un problème particulier croît et m'inquiète assez. C'est le fait que beaucoup de sites industriels qui avaient un exploitant unique deviennent en réalité des sites sur lesquels sont implantés plusieurs entreprises, dont l'organisation réciproque n'est pas forcément limpide. J'ai parfois du mal à savoir qui est réellement responsable des utilités ou du bon management des pompiers.

Mme Michèle RIVASI : On nous dit qu'il y a eu un rapport de la DRIRE sur Toulouse en 1983 ?

M. Philippe VESSERON : Je ne pense pas qu'il y ait eu de rapport spécifique sur le nitrate d'ammonium.

Mme Michèle RIVASI : Je ne répète que ce qui nous a été dit lors d'une audition.

M. Philippe VESSERON : Datant de 1983 ?

M. le Président : Oui, vous vérifierez.

M. Philippe VESSERON : Bien sûr.

M. le Président : N'oubliez pas que nous attendons deux petites réponses écrites sur les normes et sur les activités de la DRIRE en 1983.

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N° 3559.- Rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, au nom de la commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.


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