N° 3559

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA SÛRETÉ DES INSTALLATIONS INDUSTRIELLES
ET DES CENTRES DE RECHERCHE ET SUR LA PROTECTION DES PERSONNES
ET DE L'ENVIRONNEMENT EN CAS D'ACCIDENT INDUSTRIEL MAJEUR (1)

Président
M
. François LOOS,

Rapporteur
M
. Jean-Yves LE DÉAUT,

Députés.

--

TOME II
AUDITIONS, volume 2

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité publique.

La commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur est composée de : M. François Loos, Président ; M. Claude Billard et Mme Michèle Rivasi, Vice-Présidents ; MM. Paul Dhaille et Christian Estrosi, Secrétaires ; M. Jean-Yves Le Déaut, Rapporteur ; M. Christian Bataille, Mme Yvette Benayoun-Nakache, M. Jean-Yves Besselat, Mme Nicole Bricq, MM. Vincent Burroni, Pierre Carassus, Mme Odette Casanova, MM. Pierre Cohen, René Couanau, Lucien Degauchy, Albert Facon, Claude Gaillard, Claude Gatignol, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Didier Marie, Michel Meylan, Mme Hélène Mignon, MM. Jacques Pélissard, Pierre Petit, Jean Ueberschlag, André Vauchez, Michel Vaxès.

TOME SECOND - volume 2

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

Pages

-

- Audition conjointe de M. Michel SAPPIN, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'intérieur, et M. Michel CHAMPON, sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques 5

- Audition de M. Serge BIECHELIN, Directeur de l'usine Grande-Paroisse Toulouse 17

- Audition conjointe de MM. Bernard FONTANA et Daniel SURROCA, respectivement directeur général adjoint du groupe SNPE et directeur industriel SNPE-chimie 27

- Audition conjointe de MM. Michel GAUBERT, Henri MONCASSIN, Jacques MIGNARD et Georges ARCIZET, Représentants des salariés de l'usine Grande-Paroisse 34

- Audition conjointe de Mme Isabelle DELORME et de MM. Claude FRIQUART, Jean-Marc ESTEVES, Bernard GARCIA, Christian LAHAYE, Richard DELPRAT, Stéphane MIRAILLES et Hubert DANDINE, représentants des salariés de l'usine SNPE 43

- Audition conjointe de MM. François JUNCA et Jean-Louis CHAUZY, respectivement président de la CCI de Toulouse et président du Conseil économique et social régional 52

- Audition de M. Martin MALVY, Président du Conseil régional Midi-Pyrénées 62

- Table ronde rassemblant des représentants d'associations : Mmes José CAMBOU et Bérangère CHAMBON, Union Midi-Pyrénées nature environnement, M. Frédéric ARROU, association des sinistrés du 21 septembre, M. Saïd BESSAIAH, association des sinistrés de Papus, M. Henri FARRENY, association Ramonville citoyenne, Mme Jeanne MEYNADIER, et MM. Marcel LEROUX et Jean-Pierre BATAILLE, collectif "Plus jamais ça ici ou ailleurs", MM. Alain CIEKANSKI et Dominique GILBON, Amis de la terre Midi-Pyrénées 69

- Audition de M. Hubert FOURNIER, Préfet de la région Midi-Pyrénées, Préfet de Haute-Garonne 89

- Audition de M. Guy CAUMES, président du cabinet EQUAD, cabinet d'experts en assurances, agissant pour le compte des assureurs de TotalFinaElf pour gérer l'indemnisation du sinistre du 21 septembre, M. Jean-Claude MECHAIN, directeur technique de la MACIF du Sud-Ouest, et M. René BANTAA, représentant de la MAIF et coordinateur du GEMA 100

- Audition de M. Pierre IZARD, président du Conseil général de Haute-Garonne 111

- Table ronde réunissant des élus : Mme Françoise IMBERT, députée, M. Georges BEYNEY, Maire de l'Union, M. Christian BILLIERES, adjoint au Maire de Lespinasse, M. Gilles BROQUERE, Maire de Fenouillet, M. Jean-François CHANTELOSE, Premier adjoint au Maire de Balma, M. Philippe GUERIN, Maire de Cugnaux, M. Bernard KELLER, Maire de Blagnac, M. Henri MIGUEL, Maire de Saint-Jory, M. François PERALDI, Maire de Portet-sur-Garonne, M. Claude RAYNAL, Maire de Tournefeuille, M. Christian SEMPE, Maire de Saint-Orens, M. Bernard SICARD, Maire de Colomiers, et M. Bernard SOLERA, Maire de Quint-Fonsegrives, et Mme Arlette SYLVESTRE, Maire de Launaguet 120

- Audition de M. André SAVALL, Président du secrétariat permanent pour la prévention des problèmes industriels de Toulouse (SPPPI) 139

- Audition conjointe de M. Alain DORISON, directeur régional de la recherche, de l'industrie et de l'environnement de la Région Midi-Pyrénées, et M. Alain BARAFORT, adjoint au chef du service de l'environnement industriel de la DRIRE Midi-Pyrénées 148

- Audition conjointe de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Député, maire de Toulouse, et M. Claude MOREAU, directeur général des services techniques de Toulouse 168

- Audition de M. Thierry DESMAREST, Président-directeur général de TOTALFINAELF, M. Bernard TRAMIER, directeur environnement et sécurité industrielle de TOTALFINAELF, et M. Yvan VEROT, directeur Hygiène, sécurité, environnement d'ATOFINA 183

Malgré son souci de travailler dans la plus grande transparence et de rendre publics l'intégralité de ses travaux, la Commission s'est heurtée à des délais trop brefs pour y parvenir.

Remerciant l'ensemble des personnalités rencontrées pour la qualité des informations qu'elles lui ont communiquées, la Commission regrette de pas être en mesure, pour des raisons matérielles, de publier la totalité des procès verbaux des auditions qu'elle a réalisées, notamment en raison de la lourdeur des opérations de validation des comptes rendus sténographiques.

La Commission a tenu toutefois à présenter dans le tome II la totalité des procès verbaux des auditions réalisées à l'Assemblée nationale, et, on le comprendra, en raison de leur importance toute particulière, les comptes rendus des auditions effectuées à Toulouse.

Retour au sommaire général des auditions (tome II, volume 1)
Suite des auditions (tome II, volume 3)

Audition conjointe de M. Michel SAPPIN,
directeur de la défense et de la sécurité civiles
au ministère de l'intérieur,

et de M. Michel CHAMPON,
sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Michel Sappin et Michel Champon sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Michel Sappin et Michel Champon prêtent serment.

M. le Président : Nous accueillons, mes chers collègues, M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'intérieur, accompagné de M. Michel Champon, sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques.

M. Michel SAPPIN : L'objet de votre commission d'enquête me paraît légèrement à la marge de nos compétences, dans la mesure où vous vous intéressez surtout aux problèmes de sûreté alors que nous nous sentons plus concernés par les questions de sécurité. Dans nombre de domaines, nous sommes « à la remorque » des deux directeurs qui nous ont précédés, M. Vesseron et M. Lacoste, dont le rôle est bien plus important que le nôtre en amont des événements.

En fait, la réglementation visant à prévenir et limiter les risques recouvre trois champs d'action différents : la prévention, la prévision et l'information.

Toutes les réglementations visant à la prévention dans les installations industrielles relèvent de la responsabilité des ministères techniques chargés de l'industrie ou de l'environnement. S'il nous arrive, bien entendu, d'être associés à des groupes de travail lorsque des réformes sont en cours ou que des leçons sont à tirer des événements, le ministère de l'intérieur n'est nullement chef de file, loin de là.

Les réglementations qui existent en matière d'autorisation et de fonctionnement des installations en vue d'empêcher la survenue des accidents ou d'en limiter les conséquences comme, par exemple, les études de danger, les expertises, les contrôles, la gestion des risques, la maîtrise de l'urbanisme ou même les plans d'opérations internes, sont régies par des dispositions et des procédures qui sont du ressort du ministère de l'aménagement du territoire et l'environnement pour les installations classées ou du ministère de l'industrie pour les stockages souterrains. Sans aller jusqu'à dire que la prévention n'est pas de notre ressort car nous sommes, malgré tout, un peu concernés, nous ne nous sentons pas les principaux acteurs sur cette question.

En revanche, pour la prévision, c'est-à-dire tout ce qui concerne les plans et les mesures d'urgence, le ministère de l'intérieur est le chef de file.

Nous nous occupons, en effet, de tout ce qui relève des plans d'urgence et, pour les installations industrielles, des plans particuliers d'intervention. L'action du ministère de l'intérieur dans ce domaine s'est développée à partir de la loi du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile et des textes transposant la directive dite Seveso. Le service compétent est la sous-direction dont s'occupe M. Michel Champon, qui s'attache à concevoir, contrôler et mettre en _uvre des plans élaborés sur la base des études de dangers réalisées sous la responsabilité des exploitants et sous le contrôle des ministères techniques. Nous essayons de mettre en place les ripostes nécessaires aux scénarios prévisibles concernant l'extérieur de l'établissement puisque nous ne sommes pas chargés de ce qui se passe à l'intérieur de celui-ci. De plus, une circulaire de 1991 impose aux préfets de veiller à la bonne articulation entre les plans d'urgence assurant la protection des populations et les plans d'opérations internes des entreprises.

Le préfet, en tant que représentant du ministre de l'intérieur, recense les moyens nécessaires à la protection des populations. Il étudie s'ils sont suffisants pour la mise en _uvre du plan, veille à organiser des exercices les plus réguliers possibles et, au moment où le plan est déclenché lors d'un événement particulier, il coordonne les moyens concourant au plan, que ce soient les moyens de l'Etat, ceux des collectivités locales - notamment, les sapeurs-pompiers - ou les moyens privés. Les textes qui régissent ces plans sont des textes dont le ministère de l'intérieur a été le chef de file. Il s'agit, notamment, le décret du 6 mai 1988 relatif aux plans d'urgence.

Le champ des investigations de la commission d'enquête inclut les laboratoires de recherches. Ceux-ci ne sont pas des installations classées pour la protection de l'environnement. Ils échappent donc au dispositif de prévention reposant sur les plans d'urgence. Toutefois, certains préfets, dans des cas particuliers, notamment pour le laboratoire P4, ont pris des dispositions particulières de sécurité, que l'on peut assimiler à un PPI, en tirant parti de dispositions du code de l'environnement.

Le troisième élément est l'information des populations, qui est liée réglementairement à la procédure relative aux installations classées. Elle relève donc également de la compétence des ministères techniques mais les préfets encouragés en cela par notre direction, s'efforcent de veiller à la bonne information de la population.

Deux catégories d'actions sont notamment engagées dans ce sens. Une première catégorie d'actions accompagne la mise en place des PPI, au titre desquelles il est fait obligation, par exemple, de distribuer aux populations concernées, sans qu'elles aient à en faire la demande, des brochures et des consignes dont le contenu est précisément fixé notamment par la directive Seveso.

D'autres actions sont conduites en application de l'article 21 de la loi relative à l'organisation de la sécurité civile qui affirme le droit des citoyens à l'information sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent. Les conditions d'exercice de ce droit sont précisées par le décret n°90-918 du 11 octobre 1990.

Elles se traduisent sur le terrain par la réalisation d'un dossier départemental des risques majeurs, d'un dossier communal synthétique et d'un dossier d'information communale sur les risques majeurs qui sont mis à la disposition de la population et peuvent même donner lieu à des affichages dans les lieux publics, les immeubles industriels ou commerciaux ainsi que dans les locaux des communes concernées par ces risques.

Toutes ces mesures, à la fois de prévision et d'information sont, après un certain nombre d'affaires, et notamment celle de Toulouse, en cours de renforcement. M. Vesseron a dû vous en parler puisqu'il est à l'origine de la formation de groupes de travail qui conduisent à l'heure actuelle une réflexion interministérielle qui devrait déboucher sur l'élaboration de nouvelles dispositions.

Un projet de loi sur la modernisation de la sécurité civile devrait en outre être déposé au Parlement avant la fin de la législature. Certaines dispositions de ce texte visent à une refonte des plans d'urgence tels qu'ils existent à l'heure actuelle et visent à renforcer l'information de la population.

Pour terminer cette présentation, j'évoquerai une partie dont j'ignore si elle entre dans le champ de compétence de votre commission. Si vous le souhaitez, nous pourrons la développer. Il s'agit de l'organisation des secours dans laquelle, à l'évidence, ma direction a un rôle pilote, que ce soit en appui des décisions du préfet ou du préfet de zone ou en gestion directe des moyens de renfort nationaux susceptible d'être mis en _uvre chaque fois que survient un accident majeur. Il va de soi que si vous souhaitez une information à ce sujet, je suis à votre entière disposition. J'avoue n'avoir pas saisi si le champ des investigations de votre commission incluait l'organisation des secours.

M. le Président : Monsieur le directeur, je vous remercie pour la qualité et la brièveté de votre exposé. Je vous poserai dès l'abord une question tout à fait opérationnelle.

Nous avons visité la semaine dernière une raffinerie et une usine chimique. Nous avons appris qu'il n'y avait pratiquement jamais d'exercice concernant l'usine chimique alors que, sur le site de la raffinerie, se déroulait à peu près un exercice par mois associant les collectivités et notamment les sapeurs-pompiers mais que cela résultait uniquement de la décision du chef d'établissement.

Ne pensez-vous pas qu'il faudrait une organisation ou une coordination des exercices permettant d'éviter que l'on constate, le jour où catastrophe survient, l'insuffisante préparation des moyens d'intervention ? Ne vous paraît-il pas nécessaire, au moins pour tous les sites Seveso, que des exercices coordonnés aient lieu et selon un rythme homogène ?

M. Michel SAPPIN : Monsieur le Président, je ne peux qu'approuver ce que vous dites en faisant simplement remarquer qu'il y a, en France, environ 650 sites Seveso et qu'il n'est pas facile, surtout dans des départements où il y en a énormément, d'organiser de façon régulière et répétée, des exercices qui mettent en _uvre des moyens, à l'évidence, importants. Ne sont classées Seveso que des installations majeures par les risques qu'elles représentent et qui nécessitent donc des moyens très lourds en cas d'accident grave.

La situation est très contrastée. Il va néanmoins de soi que depuis que les problèmes de sécurité civile et de protection contre les risques sont au premier plan des préoccupations de l'opinion publique, des élus et des médias, il y a eu partout une accentuation des exercices. Ceux-ci sont de plus en plus organisés soit à l'initiative des chefs d'entreprise quand il s'agit des plans internes soit à celle des préfets pour des opérations au cours desquelles on essaie d'étudier précisément les moyens disponible dans le département et de veiller à la coordination des plans d'urgence avec les plans internes à l'entreprise.

On ne peut pas dire que l'on ne fait pas d'exercices. Je ne dispose pas, pour ma part, de statistiques précises sur le nombre d'exercices concernant des risques Seveso qui sont organisés chaque année. Nous savons, cependant, qu'il y en a car nous y sommes régulièrement invités par des préfets qui souhaitent bénéficier de notre expertise et connaître notre avis sur la façon dont ils se déroulent.

De façon générale, je dirais que la notion d'exercice est, depuis quelques années, de plus en plus présente. L'influence des idées développées notamment par M. Patrick Lagadec a été, à cet égard importante. Elles ont contribué à faire prendre conscience aux différents intervenants que les choses devaient être préparées en amont. Notamment grâce à lui et au fait que, maintenant, ses idées ont été largement reprises par d'autres, de gros efforts de préparation à la gestion du risque sont faits partout. Ils portent aussi bien sur des exercices pratiques que des exercices théoriques. Ceux-ci sont importants car ils permettent de mettre autour d'une table, sur un exercice précis ou sur des cas d'école, des personnes dont les rôles sont complémentaires mais qui ne se rencontrent pas toujours : chefs d'entreprise, pompiers, élus, médias... Ainsi, tous commencent à prendre l'habitude de travailler ensemble.

Cela se fait beaucoup dans le nucléaire, domaine où cette pratique est systématique. Il n'existe pas de centrale nucléaire où l'on ne fasse pas, de façon régulière et répétée, des exercices de ce type. Pour les autres, notamment pour les sites industriels Seveso, ces pratiques sont en train de se mettre en place. C'est un peu plus long.

M. le Président : Vous n'avez pas répondu à ma question. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait une règle nationale tenant compte de l'échelle de risque et de l'urbanisation et qu'il serait souhaitable de ne pas laisser l'initiative des exercices aux chefs d'établissement ou aux préfets ?

M. Michel SAPPIN : Je pense que nous pouvons veiller à ne pas laisser cela à l'initiative des chefs d'établissement en leur imposant des obligations par la voie réglementaire ou éventuellement législative.

En revanche, je suis partisan de laisser les préfets faire. Il vous surprendrait qu'un représentant du ministère de l'intérieur vous dise que les préfets ne sont pas assez responsables pour, selon les risques et les endroits, organiser les choses de manière adaptée. Le corps préfectoral, dans son ensemble, est sensible à ces problèmes. Je parlais tout à l'heure de la préparation à la gestion de crise. Des stages destinés aux préfets ont été mis en place maintenant depuis une dizaine d'années et fonctionnent régulièrement. Ce matin encore, nous ouvrions, M. Champon et moi, un stage destiné à des directeurs de cabinet de préfet et exclusivement centré sur cette thématique. Nous en organisons un tous les deux mois environ.

Je puis vous assurer que l'ensemble du corps préfectoral est maintenant parfaitement formé et maîtrise la problématique de ces risques. Un gros effort est également fait pour les sapeurs-pompiers. Les directeurs des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) sont périodiquement aussi en stage ou en formation sur ces problèmes. Chacun sent bien actuellement que ces questions revêtent une importance de plus en plus grande.

On assiste dans ce domaine à une transformation psychologique qui concerne tout le monde. La prise en compte de ces risques et de la réalité des choses se fait partout, y compris parmi les élus. La preuve en est que votre commission n'aurait certainement pas été créée il y a quelques années. Les médias également informent de plus en plus à ce sujet. Les fonctionnaires sont sensibilisés. Que nous ayons eu un retard à rattraper par rapport à d'autres pays qui ont investi plus vite que nous est possible. Mais, je crois sincèrement que, maintenant, nous réalisons d'énormes efforts pour nous mettre au niveau.

Pour répondre précisément à votre question, je pense que, dans l'ensemble, les mesures que nous sommes en train de préparer les uns et les autres - M. Vesseron probablement plus que moi, mais nous pourrons l'y aider - pourraient imposer aux chefs d'entreprise plus de contraintes qu'ils n'en ont à l'heure actuelle.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé des plans particuliers d'intervention qui sont chargés d'organiser le protection de la population. Dans un certain nombre de sites, ont été mis en place des projets d'intérêts généraux qui définissent un périmètre à l'intérieur duquel l'urbanisation est strictement réglementée. Quel retour d'expérience avez-vous des préfets sur cette question ? Existe-t-il un bon suivi ? Les moyens coercitifs à l'encontre des maires sont-ils adaptés? Par ailleurs, les moyens alloués dans les préfectures aux exercices de plans d'intervention particuliers sont-ils suffisants ?

M. Michel SAPPIN : Je n'ai pas de réponse à vous apporter à votre première question car le ministère de l'intérieur n'est pas compétent.

M. le Rapporteur : Quels sont les services de l'Etat compétents en la matière ?

M. Michel SAPPIN : Cela relève typiquement du ministère de l'équipement.

M. le Rapporteur : Cela veut dire que sur des problèmes qui sont directement liés à la sécurité, il faut s'adresser au ministère de l'équipement ?

M. Michel SAPPIN : Vous ne pouvez pas demander à la direction de la sécurité civile d'être concernée par un problème d'urbanisme. Très franchement, ma direction est une direction modeste. Elle est certes aujourd'hui représentée par l'un de mes meilleurs collaborateurs, mais c'est une petite équipe qui travaille sur ce secteur au ministère de l'intérieur. Elle comprend deux personnes.

M. le Rapporteur : Vous êtes deux à l'échelon central ?

M. Michel SAPPIN : Dans la sous-direction de Michel Champon, le problème des risques technologiques est suivi par une équipe extrêmement réduite. Les moyens de ma direction sont avant tout ceux de la sous-direction de l'organisation des secours et de la sous-direction des sapeurs pompiers, confrontée aux problèmes de gestion du système et vous savez aussi bien que moi la difficulté que cela représente.

Quant au reste, le ministère de l'intérieur n'est là que par « raccroc », si je puis dire. Nous sommes, bien entendu, intéressés, nous sommes, épisodiquement, consultés mais nous ne sommes absolument pas une partie prenante majeure dans ses problèmes.

A votre seconde question sur les crédits alloués aux préfets, je répondrai que jusqu'à présent, je n'ai jamais entendu un préfet me dire qu'il ne faisait pas d'exercices par manque de crédits. Tout dépend de ce que vous entendez par « organiser un exercice », mais pour ce qui est des moyens de l'Etat, qu'il s'agisse des sapeurs-pompiers ou de tout autre intervenant potentiel, je le répète, jamais un département n'a été empêché d'organiser un exercice par manque de moyens financiers. Jamais, je n'ai vu un président de SDIS refuser l'engagement de sapeurs-pompiers dans un exercice.

Mme Michèle RIVASI : Il y a actuellement des mouvements sociaux au sein d'usines, notamment, des mouvements sociaux de pompiers. Qui décide du nombre de pompiers, dans les faits très variable, que doit compter une installation Seveso ? Certains se sont mis en grève parce qu'ils souhaitaient que deux pompiers supplémentaires soient recrutés.

Ma deuxième question porte sur l'information des pompiers. J'habite une région qui compte pas mal de sites Seveso et des sites nucléaires et j'ai appris que les sapeurs-pompiers ne sont pas forcément informés de ce qui se fait au sein de l'installation, en particulier de la nature de tous les produits se trouvant à l'intérieur. Comment faire pour que les pompiers aient un meilleur accès à cette information ?

M. Michel SAPPIN : Concernant votre première question, j'indique que les sapeurs-pompiers dont vous parlez ne sont pas les nôtres ; il s'agit de pompiers privés, absolument pas des sapeurs-pompiers, qui, eux, dépendent des collectivités territoriales. Ce sont des personnes qui ont une formation que nous ne contrôlons même pas. D'ailleurs, personne ne la contrôle. Elle relève de la responsabilité du chef d'entreprise.

Pour nous, ces pompiers sont inconnus. Ce ne sont pas des sapeurs-pompiers, même s'ils revêtent un pull-over bleu marine et rouge, ce que je trouve d'ailleurs assez souvent scandaleux...

Mme Michèle RIVASI : Ils ont des beaux camions, en tout cas !

M. Michel SAPPIN : Oui, mais s'ils ont des camions, ceux-ci sont payés par l'entreprise, pas par les SDIS.

Mme Michèle RIVASI : Il est un point que je ne comprends pas dans l'organisation de la sécurité civile. Les plans d'urgence sont établis en fonction des études de dangers qui évaluent les risques Ces études sont soumises au contrôle des DRIRE. Pourquoi votre direction n'intervient-elle pas au moins pour donner un avis, ne serait-ce que pour dire qu'au vu des risques, il serait intéressant qu'il y ait tel nombre de pompiers, même si ces derniers sont financés par l'exploitant ? Pourquoi n'êtes-vous pas au moins consulté sur ces questions ? Cela ne vous choque pas ? Vous ne revendiquez pas ce pouvoir ?

M. le Président : Le préfet est concerné, puisque par arrêté préfectoral, il peut imposer des dispositions de ce genre.

Mme Michèle RIVASI : Ils n'en ont pas l'air persuadés.

M. le Président : Je reformule la question : vous-même ou les préfets pouvez-vous imposer cela ?

M. Michel SAPPIN : L'imposer ? Tout d'abord, les règles actuelles sont régies par la circulaire du 9 novembre 1989, qui n'est pas une circulaire du ministre de l'intérieur. Celle-ci prévoit que l'exploitant doit s'assurer de réunir le matériel nécessaire à l'extinction de tous les feux. C'est une réglementation qui n'émane pas du ministère de l'intérieur. Je n'ai donc pas à interférer dans cette affaire.

Ensuite, il s'agit de pompiers privés et je ne me sens responsable que des moyens publics et non des moyens privés. Je vois mal comment, en tant que direction de la sécurité civile ou des sapeurs-pompiers territoriaux, nous pourrions aller dans les entreprises nous assurer que les moyens correspondent bien aux risques. C'est aux DRIRE de le faire et pas à nous. Bien trop de tâches incombent déjà aux sapeurs-pompiers. Nous faisons respecter les réglementations sur lesquelles nous sommes en première ligne, notamment celles relatives aux établissements recevant du public (ERP) ou aux immeubles de grande hauteur (IGH). Nous faisons déjà notre part de l'action publique.

Tout le monde sait que la gestion du risque important représenté par les immeubles de grande hauteur et les établissements recevant du public qui sont très nombreux n'est pas parfaite, faute de moyens. Franchement, sauf à allouer aux SDIS des moyens supplémentaires, je ne vois pas comment nous pourrions, en plus, assurer l'inspection des installations privées placées sous le contrôle du ministère de l'industrie.

On ne peut pas tenir un discours visant à dire que l'augmentation des dépenses et des personnels des SDIS est scandaleuse et, en même temps, vouloir leur donner encore plus de responsabilités. Je reste très réservé face à une telle démarche.

Quant à l'étude de risques, c'est un autre problème. Une fois le plan d'opération interne réalisé au sein de l'entreprise, les services préfectoraux et les services de secours en ayant eu connaissance, on en tient compte dans le schéma départemental donc dans les moyens que les sapeurs pompiers publics territoriaux ont l'obligation de mettre en place.

Par ailleurs, la connaissance que nous avons des entreprises, sans aller jusqu'à dire qu'elle est parfaite, reste très bonne. Lors de l'accident de Toulouse, je peux vous assurer qu'aussi bien le préfet de Haute-Garonne que le centre opérationnel de ma direction, dans les minutes qui ont suivi l'information selon laquelle c'était l'usine AZF Grande paroisse qui avait sauté, nous avions tous connaissance de la liste exhaustive des produits se trouvant à l'intérieur. Cette liste avait été établie sur la déclaration des chefs d'entreprise. Il est évident que nous n'étions pas allés vérifier la semaine précédente si ces informations correspondaient à la réalité, mais sur toute la chaîne de fabrication, sur les dépôts potentiels et sur chacun des produits, nous disposions des éléments nous permettant de mettre en _uvre les secours nécessaires.

Cela, on peut nous le demander, parce qu'il est normal que, pour organiser les secours, nous sachions ce qui se trouve dans l'usine. Mais pour ce qui est de la sécurité à l'intérieur de l'entreprise, je ne pense pas que mes services puissent être mis à contribution. Cela nécessiterait des moyens dont nous ne disposons pas aujourd'hui.

Mme Michèle RIVASI : Vous pourriez au moins donner un avis.

M. Michel SAPPIN : Pour donner un avis, il faut disposer des compétences correspondantes. Lorsqu'une entreprise demande l'opinion des sapeurs-pompiers, ceux-ci, avec l'accord du préfet, y vont et cela doit se faire assez couramment. Mais nous n'allons pas au-delà, car nous le pouvons pas.

M. Claude BILLARD : Il est évident que dans les minutes qui ont suivi la catastrophe de Toulouse, la question de l'organisation des secours par les différents intervenants a été décisive. Or il semblerait que se soient posés quelques problèmes. Je sais qu'il existe un réseau de communication sécurisé qui permet une organisation efficace des secours mais il semblerait que tous les intervenants ne disposent pas de ces moyens. Quels enseignements, en tirez-vous ? En matière de communications, ne vous paraît-il pas nécessaire d'élargir l'accès à des moyens de communication sécurisés pour des services comme le SAMU, par exemple ?

M. Michel SAPPIN : En matière de communications, il faut distinguer le problème général du problème particulier qui s'est posé à Toulouse.

Le problème général, c'est qu'en France, une voiture de police ne communique pas avec une voiture de pompiers qui ne communique pas avec une voiture de SAMU. Tout le monde le regrette, mais c'est ainsi. Nous sommes un des rares pays européen à fonctionner de cette façon. Chaque service s'est équipé très tôt mais chacun de son côté de sorte que nous n'avons pas de moyens de communication permettant une communication de proximité.

Cela signifie que pour qu'une ambulance du SAMU communique avec une ambulance de pompiers ou un véhicule de gendarmerie, il lui faut passer par l'interconnexion des centres départementaux. En clair, l'ambulance appelle son poste de commandement à l'hôpital qui se met en relation avec le centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (CODIS) des pompiers et ce dernier transmet l'information à la voiture des pompiers. Et cela remonte de la même manière. Il en va de même des services de police et gendarmerie.

Cette question est d'autant plus délicate et difficile à résoudre que nous sommes contraints d'évoluer très vite par la réglementation européenne instituant un numéro d'appel unique, le 112. Dès le printemps prochain, dans toute l'Europe du Nord, on verra fleurir de grandes affiches avec : « Agressions ? Accidents ? Un seul numéro d'appel unique en Europe : le 112. » Seuls deux grands pays européens sont aujourd'hui extrêmement ennuyés, l'Italie et la France, dans lesquels ce système ne fonctionne absolument pas.

Nous sortons à peine de l'interconnexion entre le 15 et le 18, c'est-à-dire entre les pompiers et les ambulances - et faire en sorte qu'un même appel, le 112, pourra concerner une agression - donc, la police ou la gendarmerie - ou un accident - donc, les pompiers ou le SAMU - est, pour nous, extraordinairement complexe. Aiguillonnés par l'Europe, nous fournirons sûrement à un gros effort dans les années à venir. Je joue, dans cette affaire, le rôle du vilain canard auprès des directeurs généraux de la police nationale, de la gendarmerie, des hôpitaux et des organisations de soins d'urgence, en leur demandant d'accroître leurs efforts pour résoudre très vite ces problèmes qui se posent au plan général.

A Toulouse, cela a été encore plus compliqué. L'explosion a été d'une telle intensité que tous les émetteurs des opérateurs de portables ont été décapités. Le téléphone filaire a lui-même été coupé à certains endroits. De plus, ce qui restait du réseau a été complètement saturé par les appels. Nous avons donc eu un énorme problème de communications que nous avons assez vite corrigé en recourant à des téléphones par satellite. Mais il faut reconnaître que tout le monde n'a pas de tels moyens à sa portée.

Votre question est d'autant plus pertinente, si vous me permettez de le dire, que, en toute honnêteté et objectivité, c'est pratiquement la seule chose qui n'a pas fonctionné à Toulouse. Le reste de l'organisation des secours a été tout à fait remarquable, aussi bien en termes de quantité que de qualité. Il n'y a pas eu de pagaille, de désorganisation ou de blessés qui soient restés non soignés ou non pris en charge dans des délais raisonnables. Nous avons assisté à une très bonne action de l'ensemble des intervenants.

Mme Michèle RIVASI : Vous nous disiez que les laboratoires ne sont pas considérées comme des installations classées pour la protection de l'environnement. Quelle est votre position à ce sujet ? Ces laboratoires de recherches ont un statut à part. On ne sait pas ce qui s'y fait. Si, par exemple, un incendie venait à y éclater, êtes-vous assurés que les pompiers susceptibles d'intervenir seront correctement protégés ?

M. Michel SAPPIN : Je laisserai le soin à M. Michel Champon de donner son avis sur ce sujet car c'est un problème qu'il connaît bien.

Pour ce qui est du risque biologique et, plus généralement, du risque nucléaire, biologique et chimique, on a pris conscience avec les événements de New York et de Toulouse que, si les moyens dont nous disposions en France étaient suffisants pour faire face à une catastrophe ou un accident « commun », dès lors que l'on atteignions un niveau exceptionnel ou que nous étions confrontés à des accidents, provoqués ou non, éclatant dans plusieurs secteurs en même temps, nos moyens étaient très certainement insuffisants. On a d'ailleurs pu voir qu'à Toulouse, peu de sauveteurs disposaient de masques à gaz, même s'il convient de nuancer cette observation en précisant que nous avons su assez vite, par des analyses qui ont été réalisées tout de suite, de façon rudimentaire dans un premier temps, qu'il n'y avait pas de substances dangereuses....

Mme Michèle RIVASI : Vous disposiez d'analyses ? Vous saviez ce qu'il y avait dans le nuage ?

M. Michel SAPPIN : Nous savions, en tout cas, ce qu'il n'y avait pas.

Mme Michèle RIVASI : Mais saviez-vous ce qu'il y avait ?

M. Michel SAPPIN : Non, et pour une raison très simple : en France, les appareils susceptibles de réaliser des analyses complètes, les spectromètres de masse, sont au nombre de deux au ministère de l'intérieur et d'une quinzaine au ministère de la défense placés sur des installations mobiles. Les nôtres sont assez difficiles à transporter. Quand nous avons voulu en transporter un à Toulouse, nous n'avons pas pu le déplacer en avion. Il n'est donc arrivé que le lendemain par la route. Il a, malgré tout, été très utile, mais il était trop tard pour connaître la teneur du nuage, qui s'était dissipé.

Cela fait partie des acquisitions que nous allons faire. Le Gouvernement a annoncé un plan d'équipement d'urgence de l'ordre de 180 millions de francs pour le ministère de l'intérieur. Cela nous permettra d'avoir plus de matériels à disposition. En dehors des spectromètres de masse, nous avons d'autres moyens de mesure de l'air et de contrôle de la présence de certains produits. Toulouse étant une grande agglomération, nous avons la chance d'avoir un très grand SDIS dans la Haute-Garonne et des cellules spécialisées de pompiers. On a su très vite que dans l'air autour de l'usine, il y avait peu de risques pour la population et les sauveteurs. Donc, beaucoup n'ont pas mis les masques à gaz qui étaient dans leur véhicule.

Mais, autant les pompiers étaient relativement bien équipés, autant les policiers et le SAMU, ne l'étaient pas. C'est la raison pour laquelle, en liaison avec le ministère de la santé, nous avons passé dans l'urgence un protocole avec le ministère de la défense, qui vient de nous remettre 30 000 tenues de protection contre les risques nucléaire, biologique et chimique qui seront réparties, de façon harmonieuse, dans les sites à risque. Nous avons aussi, grâce au plan d'équipement de 180 millions de francs, la possibilité de commander de très nombreuses autres tenues pour l'ensemble des intervenants. Pour l'instant, il ne s'agit en effet que d'équiper les intervenants.

M. André VAUCHEZ : Je ne pense pas qu'il existe de texte obligeant une entreprise à créer un corps de pompiers en son sein. Il conviendra de le vérifier. En revanche, dans une entreprise de ma région, j'ai pu constaté que quand une entreprise compte des pompiers, ceux-ci sont très bien équipés, dotés de tenues et d'un véhicule permettant de traverser le chlore pour aller secourir quelqu'un qui vient de s'évanouir. Par comparaison, les sapeurs-pompiers du département font pâle figure. Il est même arrivé que, lors de leurs interventions à l'occasion d'un accident mineur, certains d'entre eux se soient évanouis en présence d'émanations de chlore et ce sont les pompiers de l'usine qui ont dû intervenir.

Il est vrai que cette histoire remonte à dix ans mais je pense qu'il sera très difficile d'harmoniser les moyens des sapeurs-pompiers de l'ensemble des départements car si certaines collectivités ont des moyens importants, beaucoup en ont bien moins.

Les pompiers privés forment parfois des sapeurs-pompiers ce qui n'est pas totalement anormal. A priori, ils ont en effet des compétences spécifiques et peuvent très bien les communiquer.

Mon expérience semble aller en sens inverse de ce que disait Mme Rivasi,...

Mme Michèle RIVASI : Ce n'est pas totalement contradictoire.

M. André VAUCHEZ : ...mais le fond du problème est celui de l'articulation entre moyens privés et moyens publics.

M. Michel SAPPIN : Il faut nuancer votre appréciation, et vous avez raison de souligner que l'expérience dont vous faisiez état date quelque peu.

Depuis la départementalisation, les SDIS ont fait des efforts considérables en matière d'équipement. La France était l'avant-dernier pays en Europe, en 1996, en matière d'équipement des sapeurs-pompiers. Grâce à des efforts financiers importants, et parfois critiqués, la situation a été bien améliorée.

Des groupes spécialisés dans les risques chimiques, les cellules mobiles d'intervention chimique (CMIC), ont été constitués dans presque tous les départements. Dans les départements importants, nous disposons de CMIC très bien équipés et très bien formés. Il faut d'ailleurs bien distinguer le problème de l'équipement et celui de la formation. Dans le département où les sapeurs-pompiers sont majoritairement volontaires, il est plus difficile de leur faire acquérir une spécialisation poussée. Dans les départements qui comptent beaucoup de professionnels, on y arrive bien plus facilement.

Nous poussons aussi fortement à la mutualisation des moyens. Dans l'avant-projet de loi sur la modernisation de la sécurité civile, nous prévoyons ainsi la création d'établissements publics interdépartementaux qui permettront d'acquérir du matériel spécialisé et de le mettre à disposition de tous les départements de la zone. Cela concerne en particulier les matériels nécessaires face à des risques nucléaire, biologique et chimique, pour intervenir en cas d'accident lié à la pratique des sports à risques ou adaptés à des interventions en milieu périlleux.

Globalement, ce sera une source d'économie pour les SDIS, parce que l'acquisition de matériel très sophistiqué par un ou deux SDIS sur une zone permet, bien entendu, d'éviter aux autres d'engager des frais, même s'il y a une mutualisation du financement. Cela nous permettra en outre d'avoir, dans toute la France, des équipes hautement spécialisées et équipées.

Depuis l'accident de Toulouse, nous avons évidemment réorienté ce programme. Comme nous disposons d'une carte assez claire des risques les plus importants, nous avons décidé qu'il convenait d'équiper et d'avoir des équipes hautement spécialisées en priorité dans les lieux où apparaît, effectivement, une concentration d'usines importante.

Nous avions déjà anticipé cela dans certaines agglomérations, notamment à Toulouse. C'est la raison pour laquelle il y a eu une intervention très efficace du SDIS de Haute-Garonne.

M. André VAUCHEZ : Est-il possible d'envisager la passation d'une convention entre l'Etat et le privé parce que, dans le Jura, par exemple, jamais le SDIS ne pourra acheter un véhicule permettant de circuler dans les émanations de chlore ?

M. Michel SAPPIN : Vous avez raison, c'est une direction. Il est évident qu'une collaboration étroite doit se nouer entre le SDIS et les pompiers des entreprises.

M. le Président : Puisque vous en parliez, pourriez-vous nous donner des précisions sur la carte des zones que vous jugez les plus exposées aux risques ? Disposez-vous d'un document indiquant les priorités de votre ministère en ce qui concerne les zones à risque ? Si un tel document existe, nous souhaiterions en recevoir communication car nous pensons qu'il devrait être à la base d'une politique d'exercices permettant notamment de constater, avant qu'un accident se produise, si les moyens sont suffisants et si la coordination entre pompiers privés et sapeurs-pompiers du SDIS est bonne.

Disposez-vous d'un tel document ? Existe-t-il un tel ordre de priorité ? Si c'est le cas, nous souhaiterions que vous nous le communiquiez.

M. Michel SAPPIN : Monsieur le Président, nous ne disposons pas d'un document ou d'une carte actée par l'ensemble des administrations. Il existe, je vous l'ai dit tout à l'heure, de nombreux groupes de travail, les uns pilotés par le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), les autres par le ministère de l'environnement, d'autres encore directement par les services du Premier ministre. Au sein de ces groupes de travail, sont actuellement soulevées des problématiques variées et les différentes avancées possibles. Nous sommes en pleine réflexion.

Je vous disais, par exemple, que nous venions de recevoir des dizaines de milliers de tenues du ministère de la défense. Il y a un mois encore, nous n'en savions rien...

M. le Président : Ce sont les effets de Toulouse ?

M. Michel SAPPIN : Ce sont les effets de Toulouse.

Lorsque nous les avons reçues, la première question que nous nous sommes posés a été de savoir ce que nous allions en faire. Fallait-il les stocker au niveau national dans nos établissements de soutien logistique, qui sont au nombre de quatre en France, ce qui signifiait qu'il faudrait des heures pour les faire parvenir dans certaines agglomérations en cas de besoin. Ou fallait-il les répartir dans les différentes agglomérations ? Nous sommes en train de réfléchir à ce problème.

M. le Président : Actuellement, des zones de protection sont définies autour des usines à risque, avec les périmètres Z1 et Z2. Ce sont des zones plus ou moins pertinentes mais elles ont tout de même le mérite d'exister. A proximité de certaines usines, dans le zone Z1, il y a des habitations et des écoles. Au moins dans des situations de ce type, envisagez-vous d'organiser des exercices « à froid » ou attendez-vous que ce soit l'exploitant de ces entreprises qui le fasse ? Allez-vous demander aux préfets d'enjoindre aux entreprises de modifier leurs installations de manière à ce que ces zones soient plus petites ? Avez-vous une politique à cet égard ou assistez-vous à cela sans rien faire ?

M. Michel SAPPIN : A l'heure où nous parlons, nous n'avons aucune instruction à donner aux préfets puisque les décisions ne sont pas prises. Mais des problèmes comme celui que vous venez d'évoquer sont discutés au sein de ces groupes dont je vous parlais.

Se pose aussi la question, par exemple, de savoir s'il est utile ou non de distribuer des tenues de protection aux enfants des écoles situées à proximité de ces entreprises. Je signale qu'à l'heure actuelle, aucun fabriquant ne produit des tenues de protection pour enfant. De telles tenues n'existent pas. Ce sont donc de réelles questions que nous soulevons.

Mais je ne peux pas vous répondre pour l'instant car, à l'heure actuelle, nous n'en sommes pas encore à prendre les décisions. La plupart de ces groupes de réflexion devraient remettre leurs travaux avant la fin de l'année, d'autres devront continuer à travailler un moment.

Nous sommes donc dans une phase de réflexion. Je vois bien la réaction des membres de la commission mais le risque industriel n'était pas un sujet majeur jusqu'à présent, en dehors du cas du nucléaire, sur lequel effectivement, et encore plus depuis Tchernobyl, un énorme effort a été accompli. Sur les autres installations, il existait des textes, notamment la réglementation Seveso, mais il n'y avait pas la même implication de tous les acteurs, quels qu'ils soient. Ce qui avait été fait par les uns et les autres n'était sûrement pas à la hauteur du problème tel qu'il nous apparaît aujourd'hui.

L'effet Toulouse va sûrement provoquer un gros effort et une forte mobilisation générale, comme cela avait été le cas pour le nucléaire après l'accident de Tchernobyl. Il va de soi que je m'en réjouirai. Pour l'instant, je parle très ouvertement, nous en sommes à une effervescence intellectuelle, très intéressante et motivante, qui débouchera sur des mesures. La dotation de 180 millions de francs dont je vous parlais à laquelle s'ajoutent les quelques centaines de millions que le ministre de la santé a obtenus dans le domaine du bactériologique constituent une première étape. Ces décisions ont été prises dans l'urgence, dans le cadre de la loi de fiances rectificative et pourront être complétées.

Mme Michèle RIVASI : Les tenues que vous avez reçues du ministère de la défense ont-elles été mises à votre disposition à la suite de la catastrophe de Toulouse ou dans le cadre du plan Biotox ?

M. Michel SAPPIN : A la suite de Toulouse. La mise en _uvre du plan Biotox est venue s'ajouter, mais nous les avons eues à la suite de Toulouse.

M. le Président : Monsieur le directeur, Monsieur Champon, nous vous remercions de vos témoignages.

M. Michel SAPPIN : Si je peux me permettre, j'apporterai juste une précision car M. Michel Champon me rappelle un élément d'explication au fait que, pendant quelques années, nous avons pu donner une impression de relatif immobilisme vu de l'extérieur : Aucun PPI n'a été déclenché en France au cours des dernières années. De la date d'entrée en vigueur de la réglementation Seveso à la catastrophe de Toulouse, nous n'avions jamais eu de déclenchement de PPI. C'est tout à fait exceptionnel. Si cela est arrivé parfois, ils n'ont jamais donné lieu à quelque chose de sérieux. Toulouse a vraiment été un point de départ. Et, en plus, il était hors PPI !

M. le Président : C'est aussi pour cela que notre commission a été créée. Nous avons donc tout à fait conscience qu'il y a un « après-Toulouse », auquel nous participons. Nous vous remercions.

Audition de M. Serge BIECHELIN,
Directeur de l'usine Grande-Paroisse Toulouse

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

M. Serge Biechelin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Serge Biechelin prête serment.

M. le Président : Cette Commission d'enquête, qui a pour champ d'investigation la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur, va maintenant vous auditionner en qualité de témoin.

Nous voudrions vous interroger sur un certain nombre de points qui se sont avérés intéressants au cours de notre travail d'investigation, mené jusqu'à présent à l'Assemblée nationale et sur deux sites industriels dans la région de Rouen. Nous avons le sentiment qu'il y a un grand nombre de pistes d'améliorations pour le risque industriel et la sécurité. Nous souhaiterions vous interroger sur celles-ci et recueillir votre avis au vu de votre expérience.

Pour l'efficacité de nos travaux, nous allons vous poser des questions brèves auxquelles nous vous remercions de répondre de façon directe et simple.

M. le Rapporteur : Ma première question porte sur les études de dangers. L'origine de la catastrophe que vous avez connue est une explosion de nitrate d'ammonium. Selon l'avis d'un certain nombre d'experts, ce composé n'est pas considéré comme un produit explosif. Il y a eu néanmoins des accidents dus au nitrate d'ammonium. Y avait-il eu une étude de dangers, au sens de la législation Seveso, sur le danger du nitrate d'ammonium dans l'usine de Toulouse ?

M. Serge BIECHELIN : A ma connaissance, on nous avait demandé une étude de dangers pour la fin de l'année. Je ne suis pas sûr qu'une étude de dangers préalable avait été faite il y a une dizaine d'années. Ceci étant, à titre personnel, j'ai déjà fait des études de dangers sur le nitrate d'ammonium dans d'autres usines.

M. le Rapporteur : Quels étaient les produits stockés dans le bâtiment qui a explosé et y avait-il des capteurs ?

M. Serge BIECHELIN : Dans le bâtiment 221 dans lequel a eu lieu l'explosion, il n'y avait ni capteurs de températures, ni capteurs d'oxyde d'azote, simplement parce que, dans l'arrêté préfectoral, ce n'était pas explicitement demandé. De plus, nous considérions que ce bâtiment, vu son état de non-confinement, pour pouvoir avoir des capteurs efficaces, il aurait fallu en disposer un quasiment tous les deux mètres.

M. le Rapporteur : Dans la mesure où c'étaient des résidus de fabrication, pensez-vous que des produits organiques ont pu être mélangés avec ces produits de fabrication dans le bâtiment de stockage ?

M. Serge BIECHELIN : Tout d'abord, il ne s'agissait pas de résidus, mais en ce qui concerne les ammonitrates, essentiellement des rebuts de crible, et en ce qui concerne les nitrates industriels, ce que nous appelons le craquage de sacs, c'est-à-dire les sacs qui n'étaient commercialisables et qui étaient recyclés dans ce stockage.

M. le Rapporteur : Pouvait-il y avoir des matières organiques ?

M. Serge BIECHELIN : A ma connaissance, sûrement pas. Le peu de matière organique qui fait partie des ammonitrates est constituée par les fractions organiques des enrobants. Mais c'est quelque chose qui est connue depuis très longtemps et qui est parfaitement maîtrisée.

M. le Rapporteur : Y avait-il eu un rajout de plusieurs tonnes de résidus d'amonitrate soumis à un nouveau procédé de fabrication dans les jours qui ont précédé l'explosion, comme l'indique le rapport Barthélémy ?

M. Serge BIECHELIN : Oui, bien sûr. Nous avons fait des essais d'un nouvel enrobant que nous appelons fluidiram 930, deux ou trois mois avant l'explosion. Ces essais ont fait l'objet de produits qui ont été stockés pendant deux ou trois mois. Une fois les essais terminés, le produit résiduel, donc les amonitrates correspondants, a été rapatrié vers ce bâtiment 221, ceci la veille du jour de l'accident.

M. le Rapporteur : Le travail dans ce bâtiment était-il effectué par des sous-traitants ou par du personnel permanent de l'usine ?

M. Serge BIECHELIN : Le système est très simple. Nous avons une procédure de fonctionnement dans laquelle la maîtrise des opérations reste toujours à l'entreprise. Ceci étant, les conducteurs de Chouleurs ou les manutentionnaires, qui effectuaient les opérations de transit, étaient des employés d'entreprises sous-traitantes.

M. le Rapporteur : Plusieurs études de dangers ont été menées dans l'établissement. Pouvez-vous nous les rappeler ? Par ailleurs, ces études de dangers se superposaient-elles avec des zones habitables, au niveau de la ville de Toulouse et de l'agglomération toulousaine ?

M. Serge BIECHELIN : De mémoire, je ne saurai pas vous dire toutes les études de dangers qui ont été faites. Il y en a eu un certain nombre, sept ou huit, puisque tous les produits dangereux font l'objet d'études de dangers.

S'agissant des distances de sécurité concernées par les diverses études de dangers, l'ammoniac en particulier a des distances Z1 et Z2 qui débordent des frontières de l'usine.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu connaissance d'une étude de la DRIRE, qui date de 1990, qui envisageait le risque d'explosion, mais sur lequel il n'y avait pas eu d'étude de dangers ?

M. Serge BIECHELIN : Non.

M. Pierre COHEN : Pour continuer sur l'étude de dangers, si j'ai bien compris, cette étude est demandée à l'entreprise pour faire le point sur tous les produits dangereux, avec une étude du risque. Or si l'entreprise part du principe qu'un produit n'est pas dangereux, elle n'est pas amenée à faire une étude de dangers sur ce produit.

Dans le cadre de votre usine, vous n'avez pas été amené à faire une étude de dangers sur le nitrate d'ammonium. Or vous avez indiqué que vous aviez été amené à en faire dans d'autres endroits. Pour quelles raisons avez-vous été amené à faire des études de dangers sur le nitrate d'ammonium, alors que ce produit n'est pas considéré comme dangereux et explosif ?

M. Serge BIECHELIN : On peut être amené à faire une étude de dangers simplement parce que le produit peut être décomposable. En fait, à ma connaissance, le nitrate d'ammonium est un produit décomposable et qui donc, au cours de la décomposition, pouvait fournir des nuages toxiques.

Ceci étant, dans toute étude de dangers, on étudie tous les événements qui se sont passés. C'est vrai que le nitrate d'ammonium est connu, dans l'histoire, pour avoir provoqué un certain nombre d'explosions catastrophiques, dont la première était à Oppau en 1921, puis à Brest et au Venezuela. Toutes ces études sont parfaitement connues par les hommes de l'art.

M. Pierre COHEN : La Commission d'enquête n'a pas vocation à régler la catastrophe de Toulouse. Je poursuis sur ce sujet des études de dangers, mais pas spécifiquement par rapport à Toulouse. Nos propositions seront globales.

Le mécanisme de mise en place de l'étude de dangers me frappe. L'industriel ou le responsable de l'installation peut ne pas faire une étude de dangers parce que le produit n'est pas, en principe, considéré comme dangereux. En revanche, il peut en faire une parce que, selon son interprétation, c'est un produit décomposable, donc qui peut constituer un danger, d'où la réalisation d'une étude de dangers. C'est donc un mécanisme relativement subjectif.

M. Serge BIECHELIN : Certes vous pouvez l'exprimer ainsi, mais il faut reconnaître que les études de dangers font l'objet de négociations avec les organismes publics et que, le plus souvent, on arrive à un compromis accepté par tout le monde.

Mme Michèle RIVASI : Pour en revenir aux sous-traitants, en tant que responsable de l'usine, pouvez-vous garantir que les sous-traitants n'ont pas amené un produit particulier dans cette zone de stockage ?

M. Serge BIECHELIN : Je peux vous affirmer qu'il n'y a aucune raison qu'un sous-traitant ramène plus de produits interdits qu'un personnel organique. Ceci étant, je ne peux pas vous affirmer qu'aucune personne n'a jamais fait quelque chose d'inhabituel ou de non respectueux des procédures dans notre usine.

Mme Michèle RIVASI : Vous avez parlé des zones Z1 et Z2. Pouvez-vous nous définir les périmètres de Z1 par rapport à l'ammoniac ?

M. Serge BIECHELIN : Z1, c'est la distance à partir de laquelle des effets mortels sont possibles.

Mme Michèle RIVASI : Quelle était cette distance ?

M. Serge BIECHELIN : De mémoire, je ne sais pas vous donner un chiffre exact, mais c'est de l'ordre de 800 à 1 000 mètres.

Mme Michèle RIVASI : Qu'en est-il de Z2 ?

M. Serge BIECHELIN : En général, à peu près le double.

Mme Michèle RIVASI : 1 400 ou 1 500 mètres ?

M. Serge BIECHELIN : Il faudrait que je sorte l'étude de dangers pour vérifier, mais c'est de cet ordre. C'est compris entre 1 500 et 2 000 mètres.

Mme Michèle RIVASI : Avez-vous participé à l'élaboration de consignes vis-à-vis de la population, puisque vous dépassiez le périmètre de votre industrie ?

M. Serge BIECHELIN : Oui, bien sûr. Nous avons élaboré, l'année dernière, une plaquette en collaboration avec la DRIRE et les pouvoirs publics. Cette plaquette devait être distribuée sous l'égide des maires de toutes les communes voisines. Elle a d'ailleurs, à ma connaissance, été convenablement distribuée dans un certain nombre de mairies. Cette plaquette avait été financée pour partie par l'industriel, pour partie par la DRIRE.

Mme Michèle RIVASI : Avez-vous participé à des réunions publiques pour informer les populations sur les risques liés à votre installation ?

M. Serge BIECHELIN : J'ai participé à des réunions publiques, mais pas concernant directement cette opération-là. En fait, de mémoire, c'était la mairie qui se chargeait de ces opérations. En revanche, j'avoue que j'ai déjà participé à des réunions publiques à d'autres endroits sur le même sujet.

Mme Michèle RIVASI : Pouvez-vous nous donner le nombre d'incidents ou de pré-accidents qui se sont produits dans votre installation, depuis que vous êtes en fonction ?

M. Serge BIECHELIN : Concernant les ammonitrates, à ma connaissance et aussi loin que mes souvenirs remontent, nous n'avons connu aucun incident.

Concernant les autres produits, j'ai eu un premier incident majeur qui était une fuite d'ammoniac, survenue dix jours après mon arrivée, le 28 mars 1998. Ensuite, en matière d'incidents notables vers l'extérieur, un certain nombre d'événements ont probablement été signalés à la DRIRE, mais je n'ai pas souvenir d'incidents majeurs, c'est-à-dire qui méritent plus que des informations et un retour d'expérience interne à l'usine.

M. le Président : Sur ce retour d'expérience, avez-vous une organisation au niveau de l'établissement ou au niveau du groupe ?

M. Serge BIECHELIN : Nous avons les deux. En matière interne, toute personne qui a connaissance d'un événement, d'un incident ou d'un dysfonctionnement quel qu'il soit, est tenue de faire un compte rendu d'incident (CRI).

Ces CRI sont collationnés et comptabilisés au service sécurité incendie. Tous les mois, nous analysons, en ma présence et avec une quinzaine de personnes, dont les représentants de quasiment chaque service et des membres du CHSCT, les événements les plus significatifs, choisis d'ailleurs par les responsables de ce service. C'est la partie interne.

En ce qui concerne la partie externe, chaque fois qu'un événement notable a lieu, je le retransmets au service central à M. Fournet*, responsable sécurité environnement du groupe GP. Ce retour d'expérience remonte vers le service hygiène, sécurité, environnement du groupe ATOFINA.

Puis, nous recevons, tous les mois, un document reprenant l'ensemble des événements majeurs survenus dans le groupe, quel que soit leur localisation dans le monde. Pour remonter, d'autres événements significatifs sont également indiqués soit à l'UIC, soit à l'EFMA, en ce qui concerne les engrais. Pour ma part, je considère que tous les événements significatifs devraient normalement me revenir.

M. le Rapporteur : Sont-ils transmis au ministère et au BARPI, localisé à Lyon et chargé de collecter ces événements ? Il nous a été dit que le BARPI est une mauvaise base de données, car beaucoup des incidents ne sont pas transmis au BARPI.

M. Serge BIECHELIN : Je connais l'existence du BARPI, mais je ne me suis jamais rapproché de cet organisme. Ce n'est pas par mon canal qu'une quelconque information pourrait être transmise au BARPI. C'est une question à poser au niveau central.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Quels sont les moyens de surveillance dont vous disposez actuellement pour éviter toute entrée sur le site ? On connaît l'étendue du site, bordé par la route d'Espagne et la Garonne. On a dit que l'on pouvait y entrer comme on voulait, à certains moments de la semaine ou du week-end.

M. Serge BIECHELIN : Il y a deux choses. La première concerne l'état normal, c'est-à-dire avant l'accident. Le service sécurité, incendie, environnement était constitué d'un groupe de vingt-sept personnes, dont un ingénieur, un adjoint principal, etc., et une équipe de trois personnes postées en continu -un chef de quart sécurité incendie, un électricien pompier et un surveillant pompier.

En plus de ces personnels, il y avait ceux qui faisaient l'accueil des personnes. Ce service comprenait aussi un responsable environnement, un responsable déchets et deux ou trois personnes chargées de l'accueil sécurité, le tout avec des exercices.

L'usine était entièrement clôturée sur toute sa périphérie. Ceci étant, il faut reconnaître qu'en période de pointe, lorsque cent camions rentrent dans la même usine en une journée, il n'est pas possible que chaque cabine de camion soit fouillée. Par conséquent, il n'est pas impossible à quelqu'un de rentrer dans cette usine, sans être repéré.

En revanche, toute personne qui passe par l'accueil doit donner une pièce d'identité, est inscrite, recevoir un badge. On lui dit où elle doit aller. Si elle vient pour travailler, elle subit un accueil sécurité qui dure, en général, une heure. Toutefois, il est certain que, dans nos usines, il est toujours possible à quelqu'un qui voudrait rentrer par intrusion de le faire.

M. Didier MARIE : Vous avez indiqué tout à l'heure qu'il n'y avait pas de capteurs dans les locaux de stockage du nitrate d'ammonium et qu'il était difficile d'y envisager leur installation.

Or nous avons visité une entreprise du même groupe à Grand Quevilly et, dans les locaux de stockage, il y avait des capteurs de température, des caméras, ceci dans des bâtiments non confinés. Considérez-vous que ce qui a été fait à Grand Quevilly est totalement inadapté ou qu'il y a une sous-estimation du risque à Toulouse ?

Par ailleurs, au-delà de la question de l'accident, vous êtes-vous interrogé sur des possibilités de diminuer les zones Z 1 et Z 2, en limitant les stockages de produits dangereux qui sont sur votre site ?

Enfin, pourriez-vous nous donner quelques informations sur les procédures de formation des personnels de votre entreprise aux risques et aux procédures à engager en cas d'accident ?

M. Serge BIECHELIN : Concernant votre question sur les capteurs, il faut savoir que nous avons également, dans le bâtiment I4, un arrêté préfectoral qui nous impose neuf capteurs. Des capteurs sont donc installés dans un certain nombre de bâtiments de stockage, pour des stockages importants. Ces stockages sont organisés de telle manière que des conduites exhaures et un système de ventilation permettent de garantir, en cas d'incident, que cet incident soit retransmis.

Ce n'était pas le cas du bâtiment 221 qui n'était pas du tout adapté à de tels systèmes. En revanche, au bâtiment I4, nous avons ce système qui nous est, par ailleurs, imposé par arrêté préfectoral. Ce sujet a donc fait l'objet de discussions.

Concernant les formations, tout d'abord, le plan de formation à l'intérieur de l'usine Grande paroisse représente, en principe, 4 % de la masse salariale, pourcentage que nous dépassé toutes ces dernières années, sans compter toutes les formations internes qui ne sont incluses dans cette masse.

En ce qui concerne les problèmes de sécurité, toute personne qui rentre pour faire un travail dans l'usine subit une mini-formation d'une heure au cours de laquelle elle reçoit toutes les informations essentielles qui doivent lui permettre de connaître le fonctionnement et les règles de sécurité internes à l'usine.

Par ailleurs, en ce qui concerne notre propre personnel, des connaissances en matière de sécurité lui sont dispensées chaque fois que c'est indispensable. Je pourrai vous citer au moins cinq ou six formations sécurité qui sont faites d'une manière systématique. De plus, toutes les personnes qui font partie des secouristes et sauveteurs du travail sont recyclées d'une manière systématique. Toute une série de procédures existe pour gérer l'ensemble des sécurités.

Dans l'usine de la Grande paroisse, comme probablement dans toutes les usines chimiques, la sécurité est considérée comme le problème prioritaire et d'ailleurs, dans tous nos objectifs et nos règles, il est pris systématiquement comme tel.

En ce qui concerne les entreprises intervenantes, nous leur imposons un certain nombre de choses. Ensuite, si nous nous apercevons que nos règles de sécurité ne sont pas respectées convenablement, par contrat, nous nous engageons à ne plus les solliciter.

M. le Rapporteur : L'avez-vous fait ?

M. Serge BIECHELIN : Nous l'avons fait systématiquement.

M. le Rapporteur : Cela signifie que des entreprises qui ont travaillé chez vous ont été remerciées.

M. Serge BIECHELIN : Tous les ans, nous notons l'ensemble des entreprises sur un certain nombre de critères, dont le critère sécurité. Soyez certains que ceux qui ont des résultats sécurité qui ne nous conviennent pas sont rappelés à l'ordre, et nous avons parfois avec eux des réactions assez violentes.

Je voudrais que vous sachiez que nous enregistrons les résultats de sécurité des entreprises intervenantes et qu'elles ont presque toutes progressé largement à notre contact. En effet, nos résultats sécurité sont quasiment zéro en matière de taux de fréquence, et les entreprises intervenantes actuellement entre dix et quinze, ce qui est pour les professions qui travaillent chez nous, tout à fait remarquable.

M. Albert FACON : Dans le bâtiment 221 qui était quand même une aire de stockage à risque, aviez-vous un inventaire, voire un historique écrit sur plusieurs années, sur les entrées et sorties des produits ?

M. Serge BIECHELIN : Au niveau des entrées, sûrement pas. En fait, cela était considéré par nous comme un stock intermédiaire. Par conséquent, les quantités qui "transitaient" par ce bâtiment n'étaient connues que lors des expéditions, car c'est alors que l'on connaît d'une manière convenable les quantités de produits expédiés.

M. Albert FACON : Cela signifie que n'importe quel service de votre entreprise pouvait aller stocker un produit, vous n'aviez aucune trace écrite sur la nature et la quantité du produit rentré. De même que pour la sortie des produits de ce bâtiment 221.

M. Serge BIECHELIN : En principe, les quantités importantes faisaient l'objet de pesée. Mais je ne peux pas garantir que quelqu'un ne pouvait pas venir avec une benne pour y déposer du produit. S'il le fait intentionnellement, c'est toujours possible.

Sachez néanmoins que nous avions une procédure stricte qui était connue par toutes les entreprises intervenantes. Aucune personne n'était habilitée à faire rentrer des produits dans le magasin 221, sans un passage par le box intermédiaire qui faisait l'objet de la surveillance de mon personnel. C'est ce dernier qui donnait l'autorisation ou non à la personne préposée, à savoir le conducteur de Schuller, de transférer du box intermédiaire au bâtiment 221.

M. le Rapporteur : A ce sujet, je vous ai posé ce matin la question. Il a été écrit, et je vous demande si c'est vrai, que moins d'une demi-heure avant l'explosion, une benne en provenance d'une autre zone de stockage a été déchargée dans le bâtiment 221.

M. Serge BIECHELIN : Il est exact qu'une benne en provenance du bâtiment 335 a été ramenée dans le box intermédiaire. C'est d'ailleurs indiqué dans le rapport de M. Barthélémy. La personne qui a ramené cette benne vous dira qu'elle a demandé l'autorisation au préalable au responsable des expéditions de mon service qui l'a interrogé sur la nature des produits contenus dans cette benne.

M. le Rapporteur : Quelle était la nature de ces produits ?

M. Serge BIECHELIN : C'étaient des ammonitrates.

Mme Hélène MIGNON : Pourquoi la sirène n'a-t-elle pas fonctionné ?

M. Serge BIECHELIN : Tout simplement parce que notre sirène s'est envolée avec l'explosion.

M. Claude BILLARD : Vous avez abordé tout à l'heure, en réponse à la question de M. Marie, les aspects de la formation. Vous avez indiqué 4 % de la masse salariale. Cela comprend-il les sous-traitants ?

Deuxième question. Quelle était la fréquence des visites de la DRIRE et quels sont vos rapports avec cet organisme ?

Troisième question. Concernant le POI, quelle est la connaissance par le personnel de ce plan ?

M. Serge BIECHELIN : S'agissant de la formation des personnels intervenants, nous n'avons pas la maîtrise de leur plan de formation. Il est donc tout à fait exact que je ne peux pas garantir qu'ils font des formations nombreuses concernant nos produits.

Ceci étant, nous avons signé un document avec toutes les entreprises temporaires de la région par lequel elles ne s'engageaient à ne plus envoyer, à partir d'une date à déterminer mais qui devait être cet automne, que des personnes formées aux risques chimiques.

Le problème des entreprises intervenantes est délicat dans la mesure où très souvent, nos relations avec la hiérarchie ou la maîtrise sont extrêmement codifiées. Nous pouvons assurer ou garantir que les personnes que nous recevons ont fait l'objet des informations indispensables à notre fonctionnement. La difficulté est qu'il n'est pas possible pour nous de contrôler que cette information est convenablement retransmise.

M. le Président : Il n'est pas possible ou vous ne le faites pas ?

M. Serge BIECHELIN : Je crois que c'est extrêmement difficile à faire.

Concernant nos rapports avec la DRIRE, ils étaient très fréquents. Nous avons à la DRIRE un certain nombre de correspondants. Nous avons un subdivisionnaire en charge des problèmes généraux de l'usine, un divisionnaire en charge des problèmes d'environnement, un autre en charge des appareils à pression. Je vous rappelle que notre usine est une des très rares, en région Midi-Pyrénées, à avoir un service inspection qui est reconnu avec un caractère dérogatoire à caractère général, c'est-à-dire que je dispose quasiment d'une DRIRE interne.

Cela signifie que nos relations avec la DRIRE sont extrêmement fréquentes. Ils ne programment des visites que de manière relativement lointaine mais en fait, lorsqu'ils ont besoin de venir, ils viennent sans réticence. Je considère la DRIRE comme un organisme partenaire.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je souhaiterais revenir sur la sécurité et la surveillance du site. Cette usine a compté, à un moment donné, près de 4 500 ouvriers. Mais, comme on le sait, cette usine a dû réduire son nombre de salariés à 500, sans compter les sous-traitants. N'avez-vous jamais pensé à réduire l'étendue de ce site pour essayer de regrouper les hangars qui pourraient éventuellement poser problème ?

Je pose cette question parce qu'avec le collectif contre les nuisances sonores aériennes, on avait très peur qu'un jour il y ait un crash d'avion sur cette usine. A l'époque, nous avions demandé une étude de faisabilité sur le rétrécissement du site par rapport à ce premier danger. On n'avait pas imaginé l'explosion du hangar 221.

M. Serge BIECHELIN : En fait, vous avez posé plusieurs questions. Concernant le rapprochement des installations, à ma connaissance, cela est impossible. Un déplacement géographique d'une installation ne se fait pas. Dès lors qu'elle existe à un endroit, la déplacer représente quasiment le tiers du coût total d'une installation nouvelle. C'est donc absolument impensable.

Concernant la surveillance proprement dite et la réduction des effectifs, c'est effectivement un des grands problèmes de la chimie qui est, à la lumière de l'événement toulousain, remis à l'ordre du jour, car nous avons un certain nombre de sites qui ne sont pas très grands. Si nous sommes convaincus qu'il faut modifier les règles de sécurité, c'est-à-dire de surveillance d'accès, il nous parait probable que d'ici un certain nombre d'années, nous serons amenés à regrouper des sites dans des endroits beaucoup plus restreints en nombre pour pouvoir assurer la sécurité à laquelle vous faites allusion.

Il n'est pas pensable, pour une usine qui compterait une centaine d'employés, d'avoir dix personnes pour assurer la surveillance. Cela annule de fait l'intérêt de cette usine. C'est vrai que c'est une des questions qui a été immédiatement sous-jacente après l'événement toulousain.

M. le Rapporteur : Vous avez connu un drame terrible, le 21 septembre. Dans les jours qui ont suivi, avez-vous bénéficié de l'aide d'autres unités de votre groupe pour venir vous aider à faire face à cet événement tragique ?

M. Serge BIECHELIN : Le jour même. Il y a eu plusieurs étapes. Dès la première heure, s'est constituée à Paris une cellule fournie de gens très compétents qui ont voulu nous aider. Il faut dire que c'était difficile car ils nous ont demandé un certain nombre d'informations que nous étions incapables de leur donner.

Le premier jour, l'usine de Lannemezan nous a envoyé une dizaine de personnes pour participer aux opérations de mise en sécurité. Dès le deuxième jour, toutes les personnes qui nous ont été nécessaires en renfort, en particulier tous les experts du groupe, nous ont été envoyées.

D'ailleurs, ATOFINA, qui est la maison mère de Grande paroisse, a donné comme règle absolue que nous étions prioritaires pour l'accueil et le maintien sur site de toutes les personnes qui nous paraîtraient indispensables. A tel point qu'à certains moments, nous avons trouvé que c'était parfois un peu difficile à gérer parce que vous ne pouvez pas avoir deux autorités équivalentes au même endroit.

M. le Rapporteur : Vos études sont validées par des experts. C'est vous qui élaborez l'étude de danger, ce qui parait logique puisqu'elle est de la responsabilité de l'industriel. Sont-elles également validées par des experts extérieurs ?

M. Serge BIECHELIN : C'est une question intéressante parce qu'elle nous pose problème. Très souvent, l'expertise vraie est au sein de notre propre groupe ATOFINA. Au centre technique de Lyon, nous avons un certain nombre d'experts vraiment reconnus. Donc différents scénarios sont étudiés chez nous.

Mais systématiquement, nous les faisons valider par des organismes indépendants. Toutefois, il est vrai que les études proprement dites, très souvent dans un grand groupe comme le nôtre, sont effectuées par des spécialistes du groupe. Nous avons bien vu que de temps en temps on nous critiquait sur le sujet. Forts de quoi, nous avons plusieurs fois utilisé des organismes indépendants dont je ne vous donnerai pas le nom, et nous avons dû refaire les études.

M. le Rapporteur : Dans une usine comme la vôtre, il y a des mouvements vers l'extérieur, par camion et par rail. Vous avez en stock un certain nombre de wagons dans l'enceinte de l'usine, notamment des stocks de wagons de chlore. Quels périmètres de protection mettez-vous en place car cela représente un danger réel, dès lors que c'est stocké à l'intérieur de l'entreprise ?

M. Serge BIECHELIN : Je crains de ne pas savoir répondre à cette question.

Mme Michèle RIVASI : Par rapport à ma question sur le nombre d'incidents, cela me surprend que vous ne puissiez pas me donner le nombre d'incidents précis. Pouvez-vous fournir à la commission d'enquête le nombre d'incidents qui se sont produits dans votre installation ?

Par ailleurs, pouvez-vous fournir à la commission d'enquête la plaquette d'information pour voir quel type d'information vous faites à la population ?

Concernant les zones Z1 et Z2, sur le deuxième Z2, y avait-il des contraintes d'un point de vue urbanisme ?

Enfin, par rapport à vos salariés qui ont dû être traumatisés par cet accident, le groupe a-t-il mis en place une aide psychologique à leur intention ?

M. Serge BIECHELIN : Concernant le nombre de nos incidents, je vous signale que lorsque nous faisons ce que nous appelons les comptes rendus d'incidents et d'événements, nous nous étions fixés comme objectif d'en avoir deux cents par an. Mais un incident peut être aussi une vanne qui ne s'ouvre pas de façon adéquate. Le problème est donc de savoir à quel moment on considère qu'un incident est significatif.

Un incident est considéré comme significatif parce qu'il n'a pas eu aucun effet mais qu'il aurait pu y en avoir un. Nous considérons alors qu'il est intéressant pour le groupe. En général, cela fait l'objet d'un écrit et d'un document adressé à Paris, qui est analysé ou pas. Deuxièmement, les incidents qui feraient l'objet d'un POI sont systématiquement signalés à la DRIRE.

Je ne sais pas vous dire exactement comment sont faites ces répartitions, mais c'est très facile de vous les donner.

Mme Michèle RIVASI : Sur les 2 500 mètres, y avait-il des contraintes d'un point de vue urbanisme ?

M. Serge BIECHELIN : J'ignore quelles étaient les contraintes que donnaient les maires locaux.

Mme Michèle RIVASI : Ce sont les DRIRE qui donnent les contraintes.

M. Serge BIECHELIN : Voyez à quel point je suis ignorant sur le sujet.

Concernant l'aide psychologique, nous avons d'abord rapatrié sur site quatre médecins. Nous avons reçu l'aide immédiate des médecins psychologues du CUMP qui ont passé une semaine avec nous. Ensuite, nous avons gardé sur site une équipe d'assistantes sociales et de psychologues. Nous avons encore sur site deux psychologues extérieurs avec lesquels nous avons des contrats. Par ailleurs, nous avons pratiquement recommandé à tout notre personnel de faire appel aux psychiatres et psychologues en cas de besoin. A ma grande surprise, c'est vraiment un des points essentiels après un tel événement.

M. le Président : Nous vous remercions beaucoup de vos réponses.

Audition conjointe de

MM. Bernard FONTANA et Daniel SURROCA
respectivement directeur général adjoint du groupe SNPE
et directeur industriel SNPE-chimie

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 28 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Bernard FONTANA et Daniel SURROCA sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. FONTANA et SURROCA prêtent serment.

M. le Président : Nous allons commencer votre audition en tant que témoin de cette commission d'enquête. Nous allons vous poser des questions brèves auxquelles nous vous remercions d'y répondre de façon brève.

M. le Rapporteur : Nous avons visité votre établissement ce matin, qui a été touché par l'explosion d'AZF. Néanmoins il n'a pas eu, dans votre usine, d'explosion de substances toxiques. Or il a été prévu, dans la réglementation Seveso, la prise en compte de ce que l'on appelle l'effet domino qui, heureusement, n'a pas joué. Avait-il été envisagé dans l'étude de dangers de vos installations ?

M. Bernard FONTANA : La réglementation Seveso 2 s'applique à partir de cette année. La SNPE était tenue de remettre ces études Seveso 2 en fin d'année, et les installations précédaient la réglementation.

Il reste que, même si nous ne fabriquons plus de poudres d'explosifs à la SNPE, nous avons cette tradition. Ces fabrications sont régies par le décret de 1929 et de celui de 1979, qui prévoient les effets dominos avec une terminologie un peu différente, Z1, Z2, Z3, installation A1, etc.

Cette préoccupation, même si elle n'était pas formalisée par la réglementation Seveso, existait dans les pratiques habituelles de la SNPE. C'est notamment la raison pour laquelle vous avez vu, par exemple dans les stockages de perchlorate, que nous stockons les produits de manière fractionnée.

M. le Rapporteur : Vous avez pu mettre en _uvre ce que l'on appelle, dans la réglementation, le plan d'organisation interne (POI). Comment a-t-il fonctionné ? Y a-t-il eu des dysfonctionnements ? Quel enseignement en tirez-vous ?

M. Daniel SURROCA : Le POI mis en _uvre a été d'abord l'intervention immédiate des pompiers. L'explosion a entraîné un arrêt brutal de la plate-forme en deux étapes : coupure générale d'électricité et des fluides. Nos pompiers professionnels, présents sur le site, sont intervenus.

Ensuite, dans les trente minutes qui ont suivi l'explosion, deux personnes de la préfecture se sont rendues sur le site, y compris un pompier du service secours départemental. Cela a permis de nous assurer une liaison téléphonique avec la préfecture, car juste après l'explosion jusqu'à ces trente minutes d'intervention, nous n'avions pas de communication téléphonique. En revanche, notre réseau interne téléphonique sur radio a bien fonctionné.

M. Bernard FONTANA : Pour revenir au POI qui concerne la partie interne de l'usine, il a bien fonctionné. Nous l'attribuons en particulier au fait qu'il y a un exercice hebdomadaire.

M. le Rapporteur : Dans votre établissement, vous avez des composés dangereux et qui font l'objet d'études de dangers. C'est le cas du phosgène, du chlore et de l'ammoniac. Ces études de dangers étaient donc en place. Comment fonctionnaient vos mécanismes de sûreté et de sécurité au moment de l'explosion ? Par ailleurs, pouvez-vous expliquer la mise en place du dispositif concernant le raccordement du tuyau de phosgène qui passe au-dessus du bras de la Garonne ?

M. Bernard FONTANA : Nous avions sept études de dangers : quatre concernent le phosgène, une l'ammoniac, une le chlore, une les stockages et une dernière les inondations.

Les mécanismes prévus ont parfaitement fonctionné, en particulier le « pipe » qui relie la SNPE à Tolochimie, lequel ne transporte pas du phosgène mais une solution de phosgène. Ce « pipe » a été fermé par un automatisme déclenché par une détection de vibrations sur le « pipe ». C'est une des sécurités prévues. Ainsi, si cette sécurité n'avait pas fonctionné, il se serait fermé par défaut d'alimentation électrique.

Mme Michèle RIVASI : Pourquoi Toulouse est-il un des sites les plus importants d'Europe par rapport à la fabrication du phosgène ? Cela vient-il de votre histoire, auprès du ministère de la défense, dans la perspective de la fabrication de gaz neuro-toxiques ?

Combien y a-t-il eu d'incidents significatifs dans votre installation et pouvez-vous nous en fournir la liste ?

M. Bernard FONTANA : L'usine SNPE Toulouse fabrique environ 25 000 tonnes par an de phosgène. Nous évaluons la production mondiale à 6 millions de tonnes par an. Sur ces 6 millions de tonnes, nous estimons que 85 % servent à fabriquer des polyuréthannes, environ 10 % à fabriquer des polycarbonates et 5 % à la chimie fine, ce qui correspond à 300 000 tonnes. Sur ces 300 000 tonnes, notre production représente 25 000 tonnes, ce qui est une part non négligeable.

La présence de phosgène provient effectivement du fait que notre établissement est héritier d'apports de ce qui s'appelait la direction des poudres du ministère de défense qui avaient manipulé du phosgène, notamment pendant la guerre 14-18. Il restait un savoir-faire de ce phosgène et les chimistes avaient remarqué ces nombreuses possibilités pour faire un grand nombre de réactions chimiques. C'est ainsi qu'est née l'histoire du phosgène à Toulouse.

Mme Michèle RIVASI : Quand votre établissement est-il passé du militaire au civil ?

M. Bernard FONTANA : La SNPE a été constituée en 1971, et la partie de l'île du Ramier a été apportée à cette nouvelle société en 1971. C'est en 1974 que la SNPE a cessé toute fabrication de poudres à explosifs sur ce site.

Aujourd'hui, il reste deux productions à application militaire :

- la production de perchlorate, un des composants du carburant d'Ariane qui a aussi d'autres applications dont les airbags et la propulsion des missiles ;

- la production d'un additif de réglage de vitesse de combustion, utilisé à la fois dans des applications civiles et militaires.

M. Daniel SURROCA : Concernant le nombre d'incidents par an, nous en avons très peu. Nous consultons la banque de données BARPI dans le cadre du ministère de l'Environnement, mais nous avons également notre propre banque de données Acacia (incidents/accidents) pour les ateliers du site. Nous pourrons vous transmettre ces informations.

Mme Michèle RIVASI : En un an, combien d'incidents avez-vous eu ?

M. Daniel SURROCA : Sur cette installation et sur l'année passée, j'en vois zéro, mais il faut consulter la base. Il y a très peu d'accidents par an sur ce type d'installation de phosgène.

M. le Président : Vous nous ferez parvenir les documents écrits sur cette question.

M. Pierre COHEN : Vous avez dû faire une étude de dangers sur le phosgène, produit dangereux et à risque. Suite à cette étude de dangers, il existe un certain nombre de dispositifs, en particulier l'établissement de zones Z1 et Z2 liées aux risques encourus par rapport à ce produit.

Le phosgène est un produit extrêmement stigmatisé parce que très dangereux. Dans une étude de dangers et la définition des zones Z1 et Z2, en fonction de la circulation du produit dans le cadre de l'effet réactif par rapport à vos productions de produits et du stockage, êtes-vous capable de donner des zones qui correspondent réellement à un risque de morts et de blessés graves ?

M. Bernard FONTANA : Conformément à la réglementation, nous calculons des zones Z1 et Z2. Ces zones sont calculées à partir de scénarios que nous considérons comme majorants. Nous recherchons donc le scénario le pire que l'on puisse imaginer sur le site.

M. le Rapporteur : Le scénario donné pour le phosgène, c'est une fuite de 46 kilos en cinq secondes. Est-ce un scénario majorant ?

M. Bernard FONTANA : A chaque fois que nous identifions un scénario majorant, nous trouvons une parade. A un moment donné, nous arrivons à identifier ce scénario majorant de 46 kilos. Toutefois, au fur et à mesure que nous trouvons des parades, les contraintes de normes qui nous sont imposées deviennent plus sévères.

Par exemple, l'administration maintenant nous dit d'imaginer que parmi toutes nos parades déjà conçues aucune ne fonctionne. Dans notre histoire de calculs de zone, nous devons imaginer en permanence des contraintes supplémentaires, puis chaque fois que nous identifions un accroissement de nos zones, nous trouvons des parades nouvelles.

C'est pourquoi nous avons parfois une difficulté à identifier où se situe la zone. Aujourd'hui, la zone Z1 maximale du site n'est pas celle du phosgène, mais celle du chlore. La zone Z1 est à 470 mètres et la zone Z2 à 950 mètres.

M. le Rapporteur : Ce ne sont pas les chiffres que nous avions il y a quelques mois.

M. Bernard FONTANA : Ce sont les chiffres que nous avons nous. Maintenant, l'INERIS vient de publier, en octobre, un avant-projet que nous avons découvert à la lecture du rapport Barthélémy, qui nous demande de reprendre des seuils de toxicité encore plus bas et des scénarios encore plus majorants. C'est là-dessus que nous travaillons actuellement.

Toutefois, nous ne sommes pas étonnés de voir que ces contraintes augmentent. C'est toute l'histoire des trente dernières années qui a consisté, à chaque fois, à imaginer que la contrainte allait être plus sévère et trouver des parades. C'est en ce sens que nous progressons en matière de sécurité.

Mme Michèle RIVASI : Ce matin, vous ne nous avez pas dit cela. Pouvez-vous expliquer cela ?

M. Bernard FONTANA : Nous calculons nos zones Z1 et Z2. En plus de ces zones, la préfecture a mis en place des périmètres :

- le périmètre du projet d'intérêt général (PIG) à l'intérieur duquel l'urbanisation est réglementée ;

- le périmètre du plan particulier d'intervention (PPI), périmètre d'information des populations et d'organisation des secours.

Le PIG est à 600 mètres et le PPI à 1 500 mètres. Ce sont des données externes pour nous. Notre travail est de constamment réduire nos zones pour encore mieux maîtriser les risques. Ce qui nous est demandé, c'est de garantir que la zone Z1 est contenue dans le PIG et la zone Z2 dans le PPI.

Vous constaterez qu'avec nos derniers calculs, elles sont en deçà. Cela n'empêche qu'avec les travaux, nous travaillions constamment dans un sens où la norme est plus sévère et nos parades plus efficaces.

M. le Rapporteur : Pour un wagon de chlore, c'est plus que cela.

M. Bernard FONTANA : Nous avons des scénarios de défaillance sur les wagons de chlore qui sont robustes pour résister au transport. Nous avons montré ce matin le confinement dans lequel nous plaçons les wagons de chlore en attente. Il est vrai que la réglementation Seveso 2 oblige à se poser formellement la question d'éventuels effets dominos dans un site Seveso 2 sur des wagons de chlore.

Face à cette question, il y a évidemment des parades qui consistent soit à protéger les wagons, soit à les stocker dans des secteurs où l'absence d'effet domino est garantie.

M. Pierre COHEN : Une des approches consiste à prendre un risque, élaborer une parade, puis multiplier les parades et, même si l'Etat vous dit que les parades ne font pas fonctionner, à évaluer les effets. Il me semble que l'explosion à AZF a montré la difficulté qui existe pour faire en sorte que d'autres partenaires que l'entreprise et l'Etat aient une information lisible et transparente.

Par conséquent, si on veut aller plus loin, l'approche qui consiste à élaborer une parade suppose que l'on accorde une crédibilité à cette parade. Toutefois, vous ne pouvez empêcher que l'on s'interroge sur le périmètre qui peut être touché en cas de diffusion d'une masse de phosgène, produit que vous utilisez. Vous ne pourrez éviter le débat avec la population quant au problème du risque et les différentes parades.

M. Bernard FONTANA : Nous en sommes parfaitement conscients. L'explosion dans l'usine AZF est un révélateur et nous oblige à nous remettre en question. Nous avons effectivement intégré ces dimensions. Les éléments de réponse sont dans le fractionnement des charges. On peut s'attendre à ce que la SNPE, si elle en a la possibilité, fasse des propositions très significatives dans ce domaine.

M. le Président : Ce que vous venez de dire est très important.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous avez -c'est louable- ouvert vos portes à la population afin qu'elle puisse découvrir les activités de la SNPE en toute transparence. Ce matin, nous avons vu un film de présentation et visité le site. Cette Commission d'enquête parlementaire a été créée à la suite de l'explosion à l'usine AZF de Toulouse, mais nous devrons en tirer, au plan national, tous les enseignements pour la population.

Nous abordons actuellement des sujets techniques mais il faut aussi voir le côté humain et ne pas oublier le traumatisme subi par la population toulousaine.

Après que les visiteurs ont vu le film et visité le site, sentez-vous une évolution dans la population par rapport aux différents produits que vous fabriquez ? En effet, il y a certes le phosgène, qui fait peur, mais on apprend aussi que vous fabriquez des médicaments, des verres optiques, etc.

Tout d'abord, combien de personnes ont visité le site ?

M. Bernard FONTANA: Six cent cinquante chaque week-end.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Avez-vous vous faire une idée du sentiment de ces personnes ? Quelle en est l'évolution ?

M. Bernard FONTANA : J'ai personnellement assisté à chacune des journées "portes ouvertes". La première réaction des visiteurs est l'étonnement car ils ne pensaient pas que nous fabriquions de tels produits. Ils pensaient à la poudrerie, que le phosgène explosait, que c'était même un carburant d'Ariane. Ils ne voyaient pas bien le lien. La première réaction quasi unanime est donc l'étonnement, cela même des opposants à la présence de l'usine SNPE.

J'ai constaté que, parmi les visiteurs, une très grosse majorité, plus de 70 %, sort en disant qu'en voyant, ils ont mieux compris, qu'ils sont rassurés et nous disent de continuer nos activités. Nous avons certainement eu un déficit d'information ou de communication sur nos activités. Cela fait partie des enseignements dont nous devrons tenir compte.

Il existe aussi une demande non seulement d'information, mais aussi de contrôle de la part de nos voisins. Tout cela alimente notre réflexion sur ce point capital.

M. Claude BILLARD : Lors d'une de nos auditions, il nous a été indiqué la présence de nitrocellulose sur le site. Qu'en est-il exactement ?

M. Bernard FONTANA : Il n'y a pas de nitrocellulose sur le site de SNPE. Je sais que, dans l'histoire de la direction des poudres, il y a eu des fabrications de nitrocellulose. Pour ce qui est de la partie « juridiquement SNPE » apportée par l'île du Ramier, nous avons nous-mêmes fait une étude des sous-sols que nous avons déposée à la DRIRE en mai 2001, par laquelle nous savons qu'il n'y a pas de nitrocellulose dans la SNPE aujourd'hui à Toulouse.

Mme Michèle RIVASI : Peut-il y avoir autre chose ?

M. Bernard FONTANA : La question qui se posait était de savoir s'il y avait des bombes sur le site, comme cela a été rapporté dans la presse. Nous avons fait des études historiques et, pour cela, nous sommes appuyés sur une filiale du BRGM. Nous n'avons pas d'indice de la présence aujourd'hui de tels engins. En revanche, nous avons identifié une petite pollution, sous un atelier d'hydrogénation, qui date du début des années 80 et que nous suivons.

M. Claude BILLARD : Cela concerne le sol, mais dans l'eau ?

M. Bernard FONTANA : Dans l'eau, nous avons placé des capteurs pour contrôler. L'eau est de bonne qualité. Cela se comprend car, comme nous sommes sur une île, il y a un flux et le terrain en sous-sol fait l'objet d'un débit important. Malgré tout, nous mesurons la qualité de l'eau. Aucun souci n'a été identifié de ce point de vue.

M. le Rapporteur : Vous venez de reconnaître que vous n'aviez pas suffisamment communiqué et été transparent. Lors des auditions menées à Paris, tout le monde a également reconnu cela.

Dans des domaines plus dangereux comme le nucléaire, une échelle des risques a été mise en place. Pensez-vous qu'il faudrait mettre en place une échelle des risques dans le domaine du risque chimique ? Par ailleurs, êtes-vous prêt à publier la totalité des incidents pour que l'on sache qu'il a eu lieu et comment il a été réglé ?

M. Bernard FONTANA : Nous gagnerions à avoir cette échelle des risques. Notre démarche des journées "portes ouvertes" va dans ce sens, car nous ne pouvons pas espérer être acceptés si nous ne disons pas qui nous sommes. Par ailleurs, nous sommes prêts, et cela fait partie des propositions sur lesquelles nous travaillons, à publier l'ensemble de nos incidents.

M. Pierre COHEN : Seriez-vous prêt à avoir des expertises extérieures et contradictoires dans l'élaboration de l'étude de dangers  ?

M. Bernard FONTANA : C'est déjà le cas car, suite à l'arrêté de suspension de l'activité dont nous faisons l'objet, nous avons accepté la présence d'une expertise indépendante, menée par le Hollandais TNO, et qui nous challenge très sérieusement.

Mme Michèle RIVASI : Est-ce vous ou le préfet qui l'avez choisi ?

M. Bernard FONTANA : En fait, pour trouver un expert indépendant en France, compte tenu que tous les experts étaient sollicités à Toulouse, il a fallu aller à l'étranger. La réputation de TNO est très bonne et c'est pourquoi il y a eu convergence de vues pour choisir cet expert que nous ne connaissions pas avant.

M. le Rapporteur : M. Cohen parlait d'une expertise pluraliste, publique et contradictoire. Etes-vous d'accord sur ce principe ?

M. Bernard FONTANA : Dans le principe, nous sommes ouverts, c'est la démarche que nous avons amorcée à cette occasion. La seule limite serait de protéger la confidentialité des procédés par rapport à nos concurrents, mais il y a sûrement la possibilité de trouver des formules où l'expert aurait cette habilitation.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Pourquoi faut-il qu'en France, il faille attendre une catastrophe pour qu'on en tire les enseignements ? Vous, en tant que directeur de la SNPE, n'aviez-vous pas pensé, auparavant, à communiquer avec la population et agir en transparence ? Quel est votre cheminement ? A-t-il fallu ce grave accident pour que maintenant vous pensiez à communiquer avec la population ? Cela ne vous a-t-il jamais effleuré l'esprit de le faire avant ?

M. Bernard FONTANA : Nous l'avions déjà fait, mais à une échelle plus réduite qui est d'inviter des représentants d'associations de quartiers voisins. Mais c'est vrai qu'un événement de cette ampleur ne peut laisser indifférent l'individu, qu'il soit directeur ou pas. C'est donc l'occasion d'une mise à plat dont il faudra tirer les conséquences, même si certaines seront difficiles.

M. le Président : Vous avez répondu aux questions en soulevant plusieurs des pistes que nous envisageons de proposer dans nos conclusions. Je vous remercie.

Audition conjointe de :

MM. Michel GAUBERT, Henri MONCASSIN,
Jacques MIGNARD et Georges ARCIZET,

Représentants des salariés de l'usine Grande-Paroisse

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Les membres de la commission vont maintenant procéder à votre audition et vous poser des questions brèves auxquelles nous vous remercions de répondre de façon également brève, cela afin de nous laisser suffisamment le temps pour aborder le plus de sujets possibles. Je passe la parole au rapporteur pour les premières questions.

M. le Rapporteur : Nous sommes ici dans une commission d'enquête parlementaire. Nous n'avons pas un rôle identique à celui de la justice qui recherche des responsabilités. Nous essayons de comprendre ce qui s'est passé pour essayer d'améliorer les choses. C'est en ce sens qu'il nous apparaît très important d'associer les salariés des entreprises à ce travail de la commission d'enquête.

Vous travaillez dans une usine et vous êtes en direct avec les problèmes de l'entreprise. Ce sont des entreprises à risque, mais qui sont importantes pour l'économie de notre pays. Fait-on suffisamment appel, dans l'élaboration des études de danger et de processus techniques, le dimensionnement, aux organisations que vous représentez et au CHSCT ? Vous sentez-vous suffisamment concernés par la vie de l'entreprise et fait-on appel à vous souvent ?

M. le Président : Comme vous pouvez le constater, nous ne parlons pas directement de l'accident. Lorsque nous avons auditionné les représentants des organisations syndicales au niveau national, c'est une question qui leur a à toutes parue importante. Votre sentiment sur le terrain est-il le même ?

M. Jacques MIGNARD : Il est exact que nous ne sommes pas suffisamment consultés au niveau des nouveaux procédés mis en _uvre, des études de risque qui sont élaborées. Dans notre maison, l'habitude voulait que les obligations légales soient respectées, sans pour autant aller au-delà.

M. Michel GAUBERT : En tant que représentant CGC, c'est-à-dire essentiellement des cadres, c'est vrai que nous ne sommes pas consultés en tant qu'organisation ou syndicat, mais certains de mes collègues peuvent être amenés professionnellement à travailler sur ces études de danger.

M. Henri MONCASSIN : Comme mon camarade, je dirai que nous ne sommes peut-être pas suffisamment consultés concernant les études de danger. Cela étant, nous le sommes au niveau du comité hygiène et sécurité qui peut être amélioré par une représentativité plus forte dans cette instance.

M. Georges ARCIZET : Lorsque les études de danger sont faites, nous ne sommes pas spécialement consultés en tant qu'organisation, mais le CHSCT est informé de ce qui se passe, notamment dans l'entreprise AZF.

M. Pierre COHEN : Je souhaite poursuivre sur ce point qui me paraît crucial. Vous avez certainement les résultats de l'étude de danger puisque cela passe en CHSCT. Vous pouvez donc donner un avis.

Votre constat m'amène à vous poser deux questions. Si vous considérez que vous n'êtes pas suffisamment consultés et que tout ce qui est légal est fait, que faut-il alors ajouter pour qu'il y ait réellement une consultation la plus significative et pertinente possible ?

Par ailleurs, vous manque-t-il des moyens ? En effet, être consulté et recevoir des piles de rapports à analyser, si on n'a pas les moyens de les étudier et de pouvoir faire des expertises indépendantes de la direction, chacun imagine bien que cette consultation vous met dans des difficultés. Avez-vous des préconisations précises par rapport à ce constat ?

M. Jacques MIGNARD : Le problème ne peut pas être réglé uniquement en termes de moyens. Certes il en faut, mais il faut également qu'il y ait un effort de formation en direction du CHSCT. Au niveau des moyens en nombre, compte tenu du nombre légal de délégués prévu au CHSCT, nous n'avons pas forcément une bonne couverture de l'ensemble du site. D'autres moyens qui nous seraient utiles seraient une meilleure participation aux séances d'élaboration de projets.

Au regard de tout ce que nous avons ces dernières années, c'est peut-être au niveau de la formation qu'il y a le plus gros effort à faire, car nous ne sommes pas toujours en capacité de pouvoir examiner, en toute connaissance de cause, le texte qui nous est proposé.

Mme Michèle RIVASI : J'aurai des questions sur la formation à la sûreté et à la sécurité au sein de l'installation. Estimez-vous avoir suffisamment de formation ? La SNPE nous a indiqué qu'il y avait un exercice par semaine sur leur installation. Quel est le nombre de POI faits au niveau de votre usine et cela vous semble-t-il suffisant ?

Etes-vous informés des incidents ? Par exemple, quand un incident survient au niveau de l'usine, êtes-vous réunis pour y réfléchir, essayer d'améliorer la maintenance, etc. ? Enfin, quel est votre bilan de ce qui s'est passé ?

M. Michel GAUBERT : Au niveau des POI, la fréquence est d'un POI par mois, avec un exercice annuel qui fait appel aux moyens extérieurs, dont ceux du département. Certes on pourrait en faire un tous les quinze jours, mais un par mois, s'il est bien fait, est déjà suffisant.

Je voudrais revenir sur une question précédente portant sur les études de danger et l'avis du CHSCT. Une étude de danger est un document relativement technique et complexe. Je ne sais pas s'il est à la portée de tous les membres d'un CHSCT. Cela supposerait que le CHSCT devrait, à un moment ou un autre, s'entourer d'un expert.

M. le Rapporteur : Question complémentaire. Avez-vous déjà eu des expertises extérieures ?

M. Jacques MIGNARD : Tout à fait. Le CHSCT avait demandé l'intervention d'un expert ergonomique concernant l'atelier d'urée. Mais cette expertise touchait davantage aux conditions de travail qu'à la sécurité.

M. Michel GAUBERT : Concernant le compte rendu des incidents, tout incident fait en principe l'objet d'un compte rendu qui est discuté en séance d'un CHSCT.

M. Jacques MIGNARD : Je suis membre du service sécurité. Concernant les comptes rendus d'incidents ou de presque accidents, nous demandons qu'à chaque fois, une fiche de renseignement soit remplie. Tous les mois, nous avons une réunion pour examiner les incidents ou les accidents les plus significatifs afin de trouver collectivement une solution au problème posé. C'est une pratique qui remonte à trois ou quatre ans et dont j'ai été, en quelque sorte, l'organisateur. C'est pourquoi je peux dire que cela se faisait d'une façon assez régulière.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : A propos de la sécurité, vous avez tous connu l'usine sur la même étendue, avec 4 500 ouvriers. Ne pensez-vous pas que l'étendue de ce site, avec la réduction d'effectifs à 500 ouvriers, n'était pas trop importante par rapport au rétrécissement des salariés qui y travaillent actuellement ? Ne pensez-vous pas qu'il aurait été utile de concentrer les effectifs sur une surface moindre ?

M. Georges ARCIZET : Nous avons certes vu une réduction des effectifs, mais aussi des fabrications. Quand je suis rentré en 1967, nous avions beaucoup plus de fabrications qu'aujourd'hui. Les ateliers étaient concentrés. Si on prend l'ammoniac, on avait à l'époque un atelier de reforming et un atelier d'ammoniac, qui étaient regroupés dans le même secteur. Ensuite, concernant les autres ateliers, à moins de repenser toute l'usine et d'investir, on ne pouvait pas déplacer en général un atelier de l'autre côté de l'usine.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Etait-ce uniquement une question de moyens ?

M. Georges ARCIZET : Je ne sais pas. Je pense qu'il y avait certainement une question de moyens. Les gens sont restés dans leurs ateliers là où ils étaient, mis à part l'ammoniac qui était regroupé. L'atelier d'amonitrates était à tel endroit, les gens sont restés là.

M. le Président : Il nous semble que chaque atelier comporte des risques et les mettre trop près les uns des autres a l'inconvénient de faire augmenter les risques.

M. Jacques MIGNARD : La question de Madame est théorique car, dans la pratique, il est impossible de regrouper des ateliers plus près les uns des autres ou de les déplacer. Si vous déplacez un atelier de Toulouse à Muret ou ailleurs. C'est la fermeture de l'usine que vous obtiendrez compte tenu du niveau des coûts engagés.

Mme Hélène MIGNON : Ma question s'adresse à M. Mignard qui nous indiquait qu'il suivait les études d'incidents. Je voudrais savoir si la sous-traitance est comprise là-dedans.

M. Jacques MIGNARD : Concernant l'implication de la sous-traitance dans le compte rendu d'incidents, le compte rendu d'incident était établi indépendamment de l'appartenance des personnels qui étaient concernés par l'incident lui-même. Ils étaient intégrés et avaient même la possibilité, ce que certains faisaient, d'établir un compte rendu d'incident sur le formulaire que l'on mettait à leur disposition. L'incident était étudié dans les mêmes conditions.

Concernant la formation des sous-traitants, notre règle était le décret du 20 février 1992. Par conséquent, on l'appliquait dans son intégralité. On faisait ce qu'on appelle le plan sécurité entreprise, l'accueil sécurité à l'arrivée de nouveaux arrivants. De ce côté, on s'assurait qu'ils reçoivent le minimum d'information en matière de sécurité, sans pour autant que la loi ne nous y oblige.

J'avais 45 minutes pour expliquer le minimum. Sans qu'il y ait pour cela obligation, je vérifiais leur formation préliminaire aux risques industriels, en particulier chimiques, et je leur donnais le minimum car ce n'était pas une formation, le rôle de formateur appartenant à leurs entreprises et non pas à nous.

M. le Rapporteur : L'entreprise assurait-elle ce rôle ?

M. Henri MONCASSIN : Nous n'avions aucune raison de le vérifier.

M. le Président : Votre directeur a dit exactement la même chose.

M. Jacques MIGNARD : Selon le décret de 1992, il n'y a aucun impératif et partant de là, nous n'avions aucune possibilité de contrôler si les personnels sous-traitants avaient reçu une formation. Il peut m'arriver de dire la même chose que mon directeur, dans la mesure où cela correspond à la réalité.

M. le Président : Il est intéressant de le noter, parce que nous avons constaté une différence d'approche dans le monde du nucléaire, du pétrole et de la chimie. C'est parce que nous constatons ces différences que nous insistons sur ce point. Les pratiques dans le domaine de la chimie sont différentes et moins axées sur la certification des entreprises sous-traitantes que dans le domaine du nucléaire. Nous nous interrogeons de savoir s'il ne faudrait pas aller plus loin pour éviter à l'avenir de tels accidents.

M. Jacques MIGNARD : Le devoir de contrôle devrait être attribué à l'entreprise utilisatrice pour vérifier si la formation donnée à l'encadrement, dans le cadre du PSE, avait été transmise aux exécutants. Pour être franc, je pense que si l'on donnait cette information minimum, c'est parce que l'on n'était pas entièrement persuadé que l'information était passée au sein de l'entreprise intervenante.

M. Michel GAUBERT : Je voudrais apporter deux précisions sur la sous-traitance. C'est un grand mot qui englobe beaucoup de choses. Le maillon faible de la sous-traitance, ce ne sont pas forcément les entreprises que nous avons sous convention et qui travaillent à longueur d'année sur le site. En revanche, cela peut être, par exemple, les intérimaires employés par ces entreprises. C'est le problème des intérimaires à l'intérieur de la sous-traitance.

Par ailleurs, on a parlé de la sous-traitance sans indiquer les postes qu'elle concerne. Il est bien évident que les postes de conduite d'atelier ou de conducteur d'appareils de génie chimique ne sont pas sous-traités de cette manière. Nous faisons plutôt allusion, tous ensemble, à des postes de maintenance ou de manutention.

M. Jacques MIGNARD : Sur l'entreprise, onze postes de fabrication, en collaboration avec le CHSCT, avaient été définis et interdits aux intérimaires ou à la sous-traitance. Nous pourrions aller au-delà et fixer des règles plus strictes qui amèneraient des postes particulièrement sensibles à être interdits aux intérimaires et à la sous-traitance.

Mais dans le cas qui nous concerne sur GP, il y avait des secteurs entiers qui, pour des choix économiques qui remontent à quelques décennies, étaient tenus par la sous-traitance, en particulier tout ce qui touche à la manutention.

M. Georges ARCIZET : Je voudrais apporter une précision quant à l'utilisation des intérimaires.

Dans les ateliers de fabrication, depuis 1995, nous organisations syndicales avions demandé à la direction, dans le cadre des accords ARPE c'est-à-dire un départ et une embauche, que ceux qui étaient prévus pour remplacer les personnels partis en retraite soient embauchés à l'avance. ces personnes étaient titulaires de bacs ou de BTS. Nous les utilisions comme intérimaires pendant six mois ou un an, ensuite ils étaient embauchés sur les postes organiques.

Le 21 septembre, il y avait quatre intérimaires qui auraient dû être embauchés en fin d'année sur le site, dans les ateliers de fabrication.

M. Claude BILLARD : Quel est le nombre exact d'intérimaires qui travaillaient sur le site, par rapport au nombre de salariés de l'entreprise ?

Par ailleurs, votre direction nous a indiqué que la DRIRE avait des contacts très fréquents et considérait qu'il y avait même une présence quasiment physique sur l'entreprise ? Mais vous, représentants du CHSCT, aviez-vous des contacts avec la DRIRE et quelles étaient leur nature ?

M. Jacques MIGNARD : Pour préciser les choses, nous ne sommes pas des représentants du CHSCT, mais des représentants syndicaux.

En ce qui concerne tout du moins nos délégués au CHSCT, il n'y avait pas de contact entre les délégués du CHSCT et les responsables techniciens de la DRIRE.

M. Claude BILLARD : Qu'en pensez-vous ?

M. Jacques MIGNARD : Cela fait partie des lacunes de la réglementation en vigueur et des moyens que l'on donne au CHSCT. C'est également vrai pour le service sécurité. Les contacts de la DRIRE avec le service sécurité, qui est constitué de personnel organique, se limitaient pratiquement à l'ingénieur sécurité environnement et son adjoint. Moi-même en tant qu'animateur sécurité ainsi que le formateur environnement n'avions que peu de contacts avec les responsables de la DRIRE.

Quant au nombre d'intérimaires, un point était fait, me semble-t-il, chaque mois en comité d'établissement. Il y en avait une dizaine. Certains intérimaires étaient aussi utilisés par notre direction comme période d'essai à une pré-embauche. Lors des 35 heures, le problème que nous avions rencontré est que nous avions demandé soixante embauches et que nous n'en avions eu que treize.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Quelle est votre activité sur le site depuis qu'il y a eu l'explosion ? Quelle est votre perspective ?

M. Georges ARCIZET : Tous les salariés sont encore en poste. Certains assurent la sécurité des installations et la surveillance. D'autres à l'entretien s'occupent de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. D'autres encore travaillent à évacuer les produits qui restent sur le site depuis le 21 septembre.

Tout le monde est sur le site, hormis les 55 accidentés du travail et les 28 malades, et une partie des activités qui ont été délocalisées à « Buropolis », c'est-à-dire l'informatique, la direction des ventes et les assurances.

M. Michel GAUBERT : Je voudrais apporter un complément d'information par rapport aux personnels des services techniques dont je m'occupe plus particulièrement. Ceux-là sont occupés à des expertises sur les ateliers pour évaluer l'état des matériels, ne serait-ce que par rapport à nos assureurs. Même si, au pire des cas, les activités ne redémarrent pas, nous devons expertiser le matériel. C'est un chantier qui va durer entre trois et six mois.

M. le Rapporteur : Aviez-vous envisagé le risque d'explosion de nitrate d'ammonium dans ce hall de stockage ? Cela avait-il été déjà abordé dans des réunions internes à l'entreprise ?

M. Jacques MIGNARD : Je suis un ouvrier de fabrication et je travaille à l'atelier d'ammoniac. J'ai 39 ans d'ancienneté dans la société. Auparavant, j'ai travaillé comme chef d'équipe dans une usine où on fabriquait mille tonnes/jour de nitrate d'ammonium. J'ai pu lire dans les journaux les conditions selon lesquelles c'était mal stocké, il y avait des débris de bois. Il n'y a jamais eu de problème dans l'usine à Chasse-sur-Rhône où je travaillais. J'ai trouvé toutes ces allégations complètement farfelues. Comme tous les autres salariés, je n'aurais jamais imaginé qu'il existait un danger de ce côté.

Mme Michèle RIVASI : Qu'est-ce qui a provoqué une fuite d'ammoniac dans la Garonne récemment, lors d'une opération de démantèlement ?

M. Michel GAUBERT : Nous avons reçu des consignes de la part des autorités de vider tous nos produits. Nous avons un stockage d'ammoniac de 5 000 tonnes qui n'avait pratiquement jamais été vidé. Nous avons vidé ces produits sans avoir les moyens normaux et techniques de dépotage et de transfert.

Nous avons vidé les stockages d'ammoniac en remplissant des wagons. Dans un premier temps, en remplissant ces wagons, pour une raison technique incontournable, on ne peut s'empêcher de faire un petit dégazage à l'air. Ce dégazage a été fait et maîtrisé, mais néanmoins nous avons reçu des plaintes des riverains qui sentaient l'ammoniac.

Nous avons décidé de mettre en place un autre procédé qui consistait à abattre, avec des rideaux d'eau, ces vapeurs d'ammoniac. Malheureusement, pour une mauvaise appréciation soit du débit de dégazage ou du débit d'eau, il s'en est suivi un rejet qui a été supérieur à notre autorisation. Mais nous étions dans des circonstances complètement dégradées où nous n'avions pas notre matériel. Voulant éviter les émissions atmosphériques, il y a eu malheureusement une petite pollution.

M. Jacques MIGNARD : Pour compléter, les contraintes de la DRIRE étaient telles qu'il n'était plus possible d'expédier l'ammoniac liquide dans des conditions acceptables. Quand la DRIRE interdit la reliquéfaction de l'ammoniac alors qu'on n'est pas sûr de la fiabilité de l'installation que l'on peut utiliser pour reliquéfier, quand on nous interdit l'utilisation d'une torche, il est évident que, partant de là, on est soumis à des contraintes physiques auxquelles personne ne peut échapper, y compris le personnel le plus compétent.

Mme Michèle RIVASI : Cela montre que le pouvoir d'expertise n'existe pas.

M. Michel GAUBERT : La DRIRE était parfaitement au courant de ce procédé. C'était fait sous autorisation de la DRIRE.

M. le Rapporteur : Vous venez de décrire une situation dans laquelle vous indiquez qu'on n'utilise pas au mieux globalement les compétences des salariés dans l'entreprise, en disant qu'il faudrait renforcer les moyens, notamment au niveau des CHSCT. Si vous aviez à modifier la réglementation ou la législation, qu'est-il urgent de proposer aujourd'hui vu du côté des salariés ?

M. Jacques MIGNARD : Nous avons un certain nombre de propositions à faire. D'abord, au niveau de la sous-traitance, il faudrait en limiter l'utilisation dans la mesure où quelque part, c'est une remise en cause de la sécurité. Quand les impératifs économiques prévalent sur la sécurité, c'est inacceptable. Il faut que la réglementation oblige l'industriel à respecter un certain nombre de choses. Il y a donc une obligation à ce niveau-là.

Au niveau des effectifs, il faut que les organisations représentant les salariés soient plus entendues. Si la loi sur les 35 heures avait été plus contraignante au niveau des embauches, il est probable que nous aurions eu un effectif supérieur.

Au niveau du CHSCT, je suppose qu'à travers les contacts que vous avez, vous n'aurez aucune difficulté à trouver, en particulier en matière de formation, des propositions à faire.

Dans le cadre du plan formation, lorsque j'étais membre de la commission formation du comité d'établissement, nous avions toujours le souci de bien vérifier qu'un effort en matière de sécurité était fait. En ce qui nous concerne, nous arrivions à nous faire respecter de ce côté-là.

Mais dans une entreprise où les représentants du personnel ont peu de poids, il est évident qu'il peut y avoir des dérapages ou des manques en matière de formation touchant à la sécurité. Il faudrait donc que, par exemple, dans le cadre de la formation, une part fixe du budget soit déterminée de façon à s'assurer que l'effort de formation est effectivement effectué.

M. le Rapporteur : Combien ?

M. Jacques MIGNARD : Il ne m'appartient pas de le chiffrer. Cela dépend de l'entreprise, du type de personnel, de sa qualification. Ce sont des orientations que l'on peut donner. Il appartiendra ensuite à chacun de se définir en fonction de ses besoins.

M. Georges ARCIZET : Je voudrais ajouter que le CHSCT devrait avoir la possibilité et les moyens de recourir plus facilement à l'expertise. En effet, aujourd'hui on peut demander une expertise, mais c'est le patron qui paie ou qui ne paie pas. Le CHSCT doit avoir la possibilité et le poids de pouvoir utiliser l'expertise.

Par ailleurs, on parle des CHSCT dans les grandes entreprises, mais il faudrait aussi développer les moyens des CHSCT dans les petites entreprises. Il existe des sites Seveso dans des entreprises de moins de cinquante salariés. Je ne suis pas sûr, même s'il y a un semblant de CHSCT, que les salariés aient les mêmes moyens que nous. Chaque fois qu'il y a une demande d'expertise, il ne faut pas qu'elle puisse être remise en cause par le patron.

M. Jacques MIGNARD : Je voudrais souligner une aberration de la réglementation actuellement en vigueur. Le nombre d'heures de délégation accordé au personnel des CHSCT n'est pas fonction de la dangerosité du site dans lequel il se trouve, mais du nombre de salariés sur le site. C'est aberrant.

Nous avons des sites, même dans notre groupe, où il y a un gros effort à faire en matière de CHSCT, mais les membres du CHSCT ne disposent que de quelques heures par mois pour l'effectuer. Par conséquent, ils ne sont pas en mesure de remplir leur tâche.

M. le Président : Cette remarque nous avait déjà été faite au niveau national.

M. Georges ARCIZET : Je n'aurai qu'une proposition, c'est l'expertise extérieure, parce que l'on va très rapidement tomber sur des problèmes techniques ardus, qui nécessitent d'être traités par un expert ou une personne compétente.

M. Didier MARIE : Dans un tout autre ordre d'idée, l'accident que vous avez connu a fortement traumatisé la population toulousaine, mais il a également beaucoup inquiété les populations d'autres régions qui habitent à proximité d'entreprises à risque.

Considérez-vous que l'information est suffisante en direction de ces populations, à la fois sur les risques et sur les mesures qui sont prises ? Par ailleurs, que penseriez-vous de la mise en place d'une commission locale dont on pourrait définir la composition, mais qui associerait des élus, des associations, notamment environnementales, les salariés de l'entreprise ? Pensez-vous que cela puisse avoir un rôle d'appui dans vos relations, notamment avec la direction de votre entreprise, pour demander telle ou telle chose qui ne serait pas prise en compte ?

M. Georges ARCIZET : J'ai participé, au début, à la création du SPPPI. C'était une bonne chose. Dans le Tarn-et-Garonne, par exemple, il existe une CLI pour Golfech, je crois que c'est bien perçu, puisque les associations et les organisations syndicales en font partie.

Le gros problème que nous ressentons de l'extérieur est qu'il y aurait un manque d'information des populations, bien que cela soit difficile à faire. Par exemple, dans mon quartier, les gens emménagent puis déménagent. Les plaquettes distribuées vont à la poubelle. Si l'information a été faite à une époque, il y a un manque très net de suivi.

Après l'accident de Toulouse, une entreprise comme la nôtre ne pourra vivre que si elle est transparente vis-à-vis de l'extérieur. C'est d'une importance capitale.

M. Pierre COHEN : Etes-vous conscients du rôle des organisations syndicales, au moins des élus ? En effet, lorsque nous avons des avis à donner dans le cadre des enquêtes d'utilité publique, vous êtes un référent grâce aux positions ou aux avis que vous pouvez donner.

Les faits qui viennent d'être évoqués montrent qu'il y a peut-être des difficultés à être totalement dépendant d'un certain nombre de positions prises dans l'ensemble de l'entreprise. Néanmoins, êtes-vous prêts à accepter des propositions pour qu'il y ait une complète dépendance et un dialogue avec l'extérieur, et jouer un rôle qui vous désigne comme un interlocuteur différent de l'entreprise, au sens de la direction ?

M. Georges ARCIZET : Une des grosses difficultés que je ressens depuis deux mois, est que nous sommes considérés avant tout comme des salariés de l'entreprise. Quand nous allons à l'extérieur pour expliquer notre entreprise et son fonctionnement, nous avons du mal à faire passer nos messages car les gens nous disent que nous défendons notre moyen de vivre et que nous ne sommes pas objectifs. Nous sommes considérés comme juge et partie.

M. Jacques MIGNARD : Dans la mesure où la CGT prend des positions fermes et claires, il est rare qu'on nous assimile à la direction. Il y a un rôle à jouer, mais c'est tout le problème de l'entreprise. On considère aujourd'hui que le monde de l'entreprise est un monde clos, imperméable. Depuis les deux derniers mois que l'on vient de vivre, la communication devrait passer dans les deux sens.

Hier, je suis allé dans un débat où j'ai entendu, pour la première fois, les associations environnementales. Elles ont apporté des éléments que je n'avais jamais pris en compte et qui auraient pu l'être avant. Ces éléments m'auraient amené à réfléchir et à poser les problème différemment. A l'atelier auquel je participais hier, je leur ai avoué qu'un grand nombre de leurs revendications étaient aussi les miennes. C'est tout le sens de la démarche. Il faut un échange dans les deux sens pour pouvoir vivre en bonne cohabitation.

M. Henri MONCASSIN : Je ne voudrais pas que tout ce que nous avons demandé fasse apparaître notre usine comme une usine poubelle, où il y avait un manque de sécurité, etc. Ce que nous avons demandé, ce sont des améliorations, car on peut toujours améliorer, mais le risque zéro n'existe pas.

Je voudrais ajouter qu'après un accident, pour en tirer des enseignements, il faut savoir ce qui l'a provoqué. Or pour le moment, nous demandons des améliorations suite à un accident dont on ne connaît pas les causes. Il faut rester prudent et ne pas faire apparaître notre usine comme nécessitant autant d'améliorations. En fait, elle n'est pas en aussi mauvaise condition, les gens travaillent bien et sont compétitifs. Croyez-moi, si beaucoup d'usines en France étaient comme la nôtre, ce serait bien.

M. Michel GAUBERT : Intersyndicalement, nous avons pris une position commune avec des propositions favorables à une reprises d'activités, mais pas n'importe lesquelles, à savoir au titre du principe de précaution, plus de nitrate d'ammonium car c'est le produit qui a explosé, des améliorations de sécurité, la transparence envers le voisinage, l'information.

Hier, lors d'une réunion de la commission risques chimiques et urbanisme à laquelle j'ai participé, nous avons essayé de dialoguer avec les associations qui fédèrent les gens du voisinage. Malheureusement, il n'y a pas eu de dialogue. Or nous sommes prêts à discuter.

M. le Rapporteur : Aucun membre de la commission d'enquête parlementaire n'a eu le discours que vous venez d'indiquer. Néanmoins, nous avons visité une autre usine AZF qui est celle de Grand Quevilly. Nous avons vu que, depuis l'accident de Toulouse, un certain nombre d'améliorations ont été apportées avec des réductions des dimensionnements nouveaux, des changements de process techniques, de nouveaux seuils au niveau des stockages.

Par ailleurs, nous avons vu deux usines en une : une usine très moderne au niveau des process sur des fabrications et une autre avec des stockages sans capteur. Ce n'est pas parce qu'à un moment donné, on peut avoir une analyse réelle d'une situation que l'on attaque globalement et les salariés et une usine et son activité économique. Je voulais juste faire ce point pour que vous ne considériez pas ces questions comme un jugement de notre part. Mais nous devons poser ces questions car jamais nous ne les posons pas, nous n'améliorerons pas la situation.

M. le Président : En conclusion, au-delà de l'enquête que nous menons et des vicissitudes que vous connaissez, nous voudrions rendre hommage au travail, au comportement, aux victimes et à leur famille, et vous demander de transmettre l'immense respect que nous avons de ce que vous accomplissez et des douleurs que vous avez dû partager.

Audition conjointe de :

Mme Isabelle DELORME et de MM. Claude FRIQUART, Jean-Marc ESTEVES, Bernard GARCIA, Christian LAHAYE, Richard DELPRAT,
Stéphane MIRAILLES et Hubert DANDINE,
représentants des salariés de l'usine SNPE

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 28 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : La commission d'enquête a pour titre exact commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche, et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.

Cette Commission a été créé à la suite de la catastrophe de Toulouse, à la demande de pratiquement tous les groupes politiques. Notre enquête ne porte pas l'accident de Toulouse, mais sur la sûreté en général et les préconisations que le parlement entend faire pur améliorer la sûreté des installations et la situation en cas de catastrophe, lorsqu'elle se produit.

Nous avons pensé que la meilleure façon de procéder serait de vous poser des questions brèves appelant des réponses brèves.

Nous avons fait, ce matin, une courte visite au site SNPE et avons pu constater à quel point les installations avaient résisté et à quel point vous devez être dans une situation difficile en ce moment, à vous poser des questions sur votre avenir. Nous ne sommes pas là pour répondre à ces questions, mais pour vous poser des questions. Ce n'est pas notre rapport qui apportera la réponse à ce type de question. C'est bien le Gouvernement qui a à prendre ses responsabilités dans cette matière. Il nous appartient de faire des propositions d'amélioration des dispositifs législatifs et réglementaires, et c'est sur ce chapitre que nous voudrions vous entendre, sur la base de votre expérience et des propositions que vous pourriez faire.

M. le Rapporteur : De manière très courte, deux types de questions, que nous avons posé aux organisations syndicales de Grande-Paroisse. Vous êtes des représentants des salariés dans l'entreprise. Il existe, dans les grandes entreprises, un comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT). Disposez-vous des moyens d'information suffisants pour accomplir vos missions, notamment via les CHSCT ? Tout le savoir-faire que vous avez acquis est-il utilisé dans l'entreprise pour prévenir les risques et les dangers ? Avez-vous l'expertise suffisante et vous aide-t-on à l'acquérir ?

M. MIRAILLES : Je suis secrétaire du CHSCT. En ce qui concerne la première question, à savoir si nous avons suffisamment de moyens, d'un point de vue de la réglementation, on pourrait considérer que nous avons suffisamment de moyens. Ensuite reste le problème de l'interprétation de la réglementation.

Nous avons mené une réflexion sur l'ensemble des problèmes qui se posent au niveau du fonctionnement des CHSCT. Le problème de fond est le suivant. Les salariés étant les premiers à être concernés par l'environnement humain, comme cela a été rappelé dans un décret complémentaire au niveau de l'application de la réglementation au niveau des CHSCT, ils doivent être beaucoup plus associés aux problèmes d'environnement. C'est un chapitre qui peut poser des problèmes puisque parfois on se heurte à des logiques ou des politiques d'entreprise qui ne sont pas forcément réfléchies au niveau de l'intérêt général. On peut donc avoir parfois des problèmes à ce niveau pour se faire entendre.

M. le Président : Pouvez-vous donner des idées précises ? Pensez-vous qu'un « CHSCTE » -E pour environnement- aurait un sens, qu'il faudrait plus de formation pour les membres, un droit d'alerte, que vous devriez partager une responsabilité dans ce domaine ? Peut-être avez-vous des préconisations très concrètes ?

M. MIRAILLES : Je ne pense pas qu'on doit avoir une qualification particulière, mais nous sommes les premiers concernés à constater des cas de dérive, car nous sommes ceux qui connaissent le mieux l'entreprise, les consignes qui sont appliquées. S'il y a bien quelqu'un qui doit avoir la possibilité d'alerter les pouvoirs publics ou les organismes chargés de faire respecter les réglementations, ce sont les représentants des salariés, en association avec les riverains qui sont aussi concernés.

Mme Michèle RIVASI : J'aimerais que l'on aille plus sur cette question. Si nous vous la posons, c'est parce que nous voulons donner plus de pouvoir aux salariés de l'entreprise. Mais comment donner du pouvoir qui soit opérationnel pour améliorer la sécurité ? Il me semble qu'il faut poser le problème de la représentativité du CHSCT. Déjà, il faut améliorer le lien avec les DRIRE. Quel est votre lien avec les DRIRE ?

Vous parlez de problèmes d'environnement, mais votre domaine est plus associé aux accidents au travail. Pourquoi êtes-vous si sensibilisés sur les problèmes de l'environnement ? Est-ce parce que vous êtes souvent attaqués de l'extérieur sur certains points, comme les effluents, ce qui est le problème de la SNPE ? Souhaitez en savoir davantage ? A quel niveau se joue ce problème d'environnement et d'expertise ?

M. MIRAILLES : Dans votre question, il y a plusieurs volets. Notre démarche, dans notre réflexion, n'est pas de révolutionner le Code du travail ou une certaine réglementation. C'est vrai qu'une lisibilité améliorée de certains décrets ou certaines lois serait certainement un plus. Si on faisait une étude précise du fonctionnement des CHSCT, on serait très surpris de voir que, bien souvent, la répartition entre employeurs et salariés n'est pas toujours respectée.

Il faut donc s'attacher à faire en sorte que les CHSCT fonctionnent de la manière dont cela est prévu. Ensuite, en ce qui concerne les communications avec l'extérieur et notamment avec la DRIRE, nous avons interpellé à plusieurs reprises la DRIRE, mais sans jamais aucun retour. C'est un problème. J'ai posé personnellement la question à un des représentants de la DRIRE que j'ai eu au téléphone. Je lui ai lu certaines parties du décret que je citais tout à l'heure, en ce qui concerne la dimension environnement dans le cadre de nos missions CHSCT. Je lui ai posé la question par rapport à l'inspecteur du travail. Quand celui-ci vient dans l'entreprise, l'employeur doit nous informer de sa visite.

Dans les textes, par exemple, rien n'est précisé en ce qui concerne les visites des DRIRE, c'est-à-dire que la DRIRE vient faire une visite, mais nous sommes éventuellement informés de sa visite après, si l'employeur veut bien nous en informer. Nous devons réclamer son rapport. Dans les textes, il est précisé que l'information de l'employeur au CHSCT doit être réelle et large. Ce n'est pas toujours le cas. Là où cela pose un problème dans le fonctionnement, c'est que nous dépensons une énergie considérable, dans le cadre de nos missions, à déjà faire respecter les textes fondamentaux qui sont dans la réglementation.

Concernant les expertises, nous y avons eu recours dernièrement, même si elle ne s'est pas terminée puisque l'accident est survenu entre-temps. A titre d'exemple, la DRIRE a imposé à la SNPE la construction d'une unité de traitement des effluents, dite UTE, ce qui est tout à fait normal et logique.

Dans le cadre de la réalisation de cet élément qui ne génère pas de profit, car c'est un élément qui va contribuer à améliorer la nature des rejets et qui rentre donc dans le cadre de l'environnement, il était prévu un certain nombre de choses par rapport à cette unité de traitement, notamment en si qui concerne les sept ou neuf employés qui devaient la faire fonctionner. Tout cela était précisé dans le dossier d'enquête publique. Or, au dernier moment, pour des raisons de politique de gestion du personnel, la direction générale de la SNPE n'a pas prévu d'embaucher du personnel, puisqu'il y avait nécessité d'embaucher du personnel spécifique pour cette unité. On a pris du personnel ailleurs pour le mettre dans cette unité.

Nous avons considéré que cette désorganisation du service, car ces employés étant pris dans le plan d'organisation interne, provoquait une désorganisation globale, au niveau de la sécurité et des compétences effectives qu'il fallait à ces salariés pour faire fonctionner cette unité de traitement des effluents, qui assuraient par ailleurs la pérennité du site. En effet, si nous n'avons pas fait fonctionner cette unité, il est certain qu'à plus ou moins long terme, on n'aurait pas pu continuer à produire ou alors beaucoup moins. C'était donc un élément essentiel à la survie de notre activité.

La direction n'ayant pas voulu nous entendre sur ces points, lors d'un CHSCT, nous avons voté cette résolution de faire appel à une expertise pour prendre toute la dimension de cette réorganisation du travail qui se posait au sein de l'entreprise. Le recours à cette expertise rentrait donc dans le cadre d'une réorganisation importante du travail.

M. Pierre COHEN : On sait que les CHSCT, dans le cadre des conditions de travail, jouent un rôle important. Vous avez donné des exemples, même en lien avec l'environnement.

Ce qui est important est de regarder aussi le rôle que vous pouvez jouer par rapport aux risques. Votre rôle, à travers l'étude de danger, est de pointer les risques potentiels et tout ce qui découle en termes d'organisation. Les syndicats ou le CHSCT jouent-ils un rôle dans le cadre de l'étude en amont qui pointe les dangers ? Quant à l'expertise, estimez-vous, parce que vous n'avez pas obligatoirement les compétences en tant que tels, disposer d'assez de moyens pour avoir ces expertises indépendantes pour pouvoir pointer du doigt l'insuffisance ou l'aspect incomplet de l'étude de danger, voire de l'ensemble du processus en aval ? Considérez-vous que, de par votre expérience, vous auriez un rôle à jouer et lequel ?

M. DANDINE : Sur la question des moyens des CHSCT, nous pensons que sur ce point, il y aurait une évolution à faire qui ferait en sorte que la une manière d'élire les représentants au CHSCT soit différente de celle d'aujourd'hui.

En effet, les élus au CHSCT, à la SNPE comme dans d'autres établissements, sont des élus au deuxième degré. Nous considérons que cette façon de faire ne donne pas aux élus la légitimité qu'ils devraient avoir. Nous pensons qu'ils devraient être élus de façon directe par l'ensemble des salariés. Cela permettrait une représentativité beaucoup plus juste de l'ensemble des catégories et des tendances syndicales, et cela donnerait une autorité supplémentaire aux représentants du CHSCT.

M. Claude BILLARD : M. Mirailles a souligné, avec raison, qu'il fallait déjà que la loi s'applique, et c'est vrai qu'elle n'est pas appliquée partout. Ceci étant, nous devons aussi tirer pleinement les conséquences du 21 septembre. C'est vrai qu'en matière de CHSCT, il y a sans doute des évolutions.

Par exemple, je souhaiterais connaître votre sentiment. Les représentants des organisations syndicales, qui vous ont précédés, ont notamment l'idée selon laquelle le temps imparti doit être davantage fonction des risques liés à la sécurité plutôt qu'au nombre de salariés de l'entreprise, ce qui est le cas actuellement dans la législation.

Par ailleurs, votre direction a rappelé, non sans intérêt, que vous bénéficiez en matière de sécurité des dispositions relatives au décret du 28 septembre 1989 qui visent à la protection des salariés dans les industries ayant trait à la pyrotechnie. Ne pensez-vous pas que ces dispositions particulières pourraient s'appliquer aux sites Seveso ?

Troisième question, il nous a été dit que chaque semaine, dans votre entreprise, avait lieu un exercice de sécurité. Je voudrais savoir si l'ensemble du personnel y participe et de quelle façon.

M. MIRAILLES : Par rapport au temps, c'est vrai que lorsque l'on connaît les industries chimiques et à risque, il y a un tel champ d'activité que quand on regarde le Code de travail, le nombre d'heures prévu semble déjà pour chaque représentant un peu juste, même s'il est précisé qu'en cas de circonstances exceptionnelles, il peut être dépassé. Mais cela dépend alors de la situation de ce représentant par rapport à sa direction et ce qu'elle veut bien lui laisser faire, d'où un rapport de force.

De ce point de vue, à la SNPE, nous n'avons pas de gros problèmes en ce qui concerne cette activité, même si quelquefois certains postes de représentants pourraient être doublés afin de nous permettre d'avoir notre activité, sans pour autant pénaliser des collègues qui ne peuvent pas partir en congés parce qu'on est absent, en formation ou en mission. Cela ne contribue pas à avoir une activité facilitée.

M. Claude BILLARD : Ma deuxième question portait sur le décret de 1989. Nous avons pu constater que votre usine a bien résisté à l'explosion. Cela résulte-t-il des dispositions du décret de 1989, et si oui, ne faudrait-il pas réfléchir à une extension de ce décret à l'ensemble des sites Seveso ? Ma dernière question portait sur les exercices de sécurité, qui ont lieu chaque semaine, et les personnels concernés.

M. DANDINE : Pour ce qui concerne la culture que nous avons à la SNPE, nous étions classés établissement pyrotechnique et nous avions, dans le temps, des élus que nous appelions DOS (délégués ouvriers à la sécurité). Dans leur façon de travailler et les moyens dont ils disposaient, ce n'était pas forcément des moyens en temps, mais vu l'organisation qui était mise en place, ils avaient des moyens d'action supérieure pour se faire entendre des directions d'entreprise.

Nous avions, tous les ans, une réunion tournante sur l'ensemble des établissements, qui étaient au nombre de douze lorsque j'étais moi-même DOS. Ces réunions tournantes présentaient un aspect très intéressant en ce sens qu'elles permettaient d'avoir des retours d'expérience d'un établissement à l'autre.

Au-delà de cette réunion annuelle tournante qui se tenait dans un établissement différent, nous avions en fin de chaque année une conférence nationale des DOS à laquelle assistaient la direction générale des poudreries ainsi que les ingénieurs sécurité.

Quand il y avait des points soulevés par l'ensemble des DOS et débattus au cours de ces conférences nationales, cela pouvait donner ensuite des moyens de pression sur la direction, en ce sens que si une faute était commise par la suite et que l'on pouvait démontrer que la direction en avait été avertie, il y avait des retours importants.

Il ne s'agit donc pas forcément d'un manque de temps pour exercer pleinement notre mandat, mais surtout d'un manque de pouvoir supplémentaire pour les CHSCT. Nous ne demandons pas le retour des DOS car il faut évoluer, mais nous considérons que les CHSCT, s'ils avaient des moyens repris de ces exemples, pourraient fonctionner de meilleure manière.

M. Didier MARIE : Nous avons, au cours de nos différentes visites de site et lors de plusieurs auditions, évoqué la question de la sous-traitance. Il semblerait, au regard des uns et des autres, que la sous-traitance est de temps en temps mise en cause et que la connaissance que les uns et les autres peuvent avoir des qualifications des sous-traitants semble pour le moins empirique.

Qu'en pensez-vous au regard de votre expérience ? Par ailleurs, estimez-vous qu'un système de certification serait utile, voire s'il serait possible à mettre en _uvre ?

M. FRIQUART : La sous-traitance n'a été mise en place, d'une manière intensive, qu'il y a sept ou huit ans à l'établissement de la SNPE de Toulouse, principalement au niveau de l'entretien. Cela apportait un certain nombre de désagréments pour les gens de la fabrication dans le simple exercice de leur travail journalier, dans la mesure où les équipes, même si elles sont qualifiées, ne sont pas stables. En effet, les personnes amenées à intervenir en sous-traitance peuvent intervenir sur tous les ateliers de l'usine, en sachant que chaque atelier de la SNPE de Toulouse a ses spécificités. Une personne très performante, même en sous-traitance, n'est pas forcément efficace dans son travail quotidien.

Par ailleurs, le personnel sous-traitant dépend de son entreprise qui peut être amené à l'utiliser ailleurs, ce qui arrive assez souvent, pour utiliser au mieux les compétences de ses personnels. En remplacement, l'entreprise envoie du personnel bien moins qualifié. Cela perturbe non seulement la productivité de l'établissement, mais met en cause également la sécurité, de sorte que les installations, revues de cette manière, doivent souvent l'être à nouveau ensuite par du personnel de la SNPE.

On perturbe la fabrication, on met la sécurité en défaut et, paradoxalement, la SNPE est obligée de maintenir son personnel propre pour contrôler le travail déjà effectué. C'est un système qui a besoin d'être revu complètement ou formalisé d'une autre manière.

M. Didier MARIE : Dans votre entreprise, existe-t-il des éléments de certification particuliers par rapport aux sous-traitants qui interviennent ?

M. FRIQUART : Les intervenants de la sous-traitance doivent suivre une formation d'une journée lors de laquelle on les initie aux conditions de l'industrie chimique. Mais cela se limite à une demi-journée.

M. le Rapporteur : Une journée ou une demi-journée ?

M. FRIQUART : Une journée pour l'encadrement et une demi-journée pour les exécutants.

M. le Rapporteur : Quelle est la formation pour les intérimaires intervenant pour une entreprise sous-traitante ?

M. FRIQUART : Théoriquement, les intérimaires n'ont pas droit d'intervenir, mais il y en a quand même. Les entreprises extérieures s'arrangent pour les faire passer pour des employés de l'entreprise, avec l'accord des directions des entreprises. On touche là à un domaine qui frôle l'illégalité.

M. le Rapporteur : Vous aviez indiqué, monsieur Mirailles, que vous étiez bien placé pour observer des dérives à l'intérieur de l'entreprise. Or un certain nombre de vos collègues, voire des patrons ou des représentants de l'Union des industries chimiques (UIC), nous ont déclaré qu'il y avait souvent transgression des règles, mais que finalement c'était admis par tout le monde.

M. le Président : Il nous a été dit que si on respectait les règles à 100 %, cela ne marche pas.

M. le Rapporteur : Il y avait donc un décalage entre le règlement et l'observation d'un certain nombre de règles. Plus le travail était dangereux, plus on respectait les règles, mais la notion du danger est difficile à apprécier. Un expert nous a même établi une échelle de risque selon laquelle plus on était à un niveau où le risque était théoriquement le plus faible, plus on transgressait les règles. Est-ce exact ?

M. MIRAILLES : En ce qui concerne ce sujet, je voudrais donner un exemple. Dans les arsenaux, il y a de grands panneaux dans les ateliers qui disent "tout ce qui n'est pas prescrit est interdit".

Il nous semble que ce genre de démarche devrait être largement utilisée. En matière de sécurité, il faut réfléchir sur la probabilité d'occurrence de l'incident et s'y préparer, même lorsqu'on est persuadé que l'accident ne va pas intervenir. Dès lors que l'on sait qu'il peut potentiellement se produire, nous devons être prêts à intervenir par rapport à cet accident. Cela nécessite du personnel formé, du personnel de sécurité et la connaissance du risque.

Mais en ce qui concerne les dérives, dans ce domaine, elle n'est pas tolérable. A la SNPE, suite aux études de danger, on a défini des notes de service et des règles avec des fonctions IPS (importantes pour la sécurité). Dès lors que l'on ne rentre plus dans le cadre, l'installation ou le travail qui est concerné par ce danger doit cesser immédiatement.

Aujourd'hui, nous sommes dans la démarche suivante. Si un salarié se retire parce qu'il estime qu'il y a danger ou si un délégué du personnel ou du CHSCT vient noter sur le registre des dangers graves et imminents qu'il y a persistance du danger, on arrête la machine, on organise un CHSCT exceptionnel.

Mais au bout du compte, si la direction décide qu'il n'y a pas persistance du danger, l'atelier va redémarrer. On rentre là dans un rapport de force avec une procédure longue où l'on fait intervenir l'inspection du travail, mais pendant ce temps, le danger demeure. La finalité est que l'on ne parvient pas à obtenir une sécurité parfaite. Il faut donc pouvoir, à un moment donné, fixer des règles et qu'elles soient respectées.

Mme DELORME : Je suis choquée par ce que vous venez de dire, à savoir des règles de sécurité qui ne seraient pas appliquées. Nous travaillons dans une usine chimique qui présente des risques...

M. le Président : Il ne s'agissait pas de règles de sécurité, mais de règles de fonctionnement, par exemple passer d'une température limitée à 100 degrés à 110 degrés pour diverses raisons.

Mme DELORME : Cela ne me paraît pas envisageable dans la chimie fine. Déjà du fait même du procédé, on obtiendrait un produit qui serait de moins bonne qualité. Quand des consignes sont écrites, que ce soit des consignes de sécurité ou des paramètres de marche, elles sont respectées.

M. le Président : Dans tous les ateliers et dans toutes les fabrications, vous avez des consignes écrites sur tout ce que vous fabriquez.

Mme DELORME : Oui. Nous sommes certifiés ISO 9001.

M. MIRAILLES : Je voudrais intervenir sur une dérive qui se fait jour par rapport à l'utilisation de la sous-traitance. Jusque dans les années 70, au moment de la transformation du service des poudres, nous avions tous les secteurs, c'est-à-dire la fabrication, l'entretien, le gardiennage, le service d'intervention sécurité. Tous étaient personnels SNPE.

Aujourd'hui, l'évolution a fait que la sous-traitance a pris le pas dans certains domaines, notamment de la maintenance des installations et du gardiennage. Cela résulte en une diminution de l'effectif SNPE en tant de tel. Les moyens ont été réduits de fait au niveau des CHSCT et les moyens d'intervention, auprès des salariés de ces entreprises, sur le lieu de travail, sont rendus plus difficiles.

C'est un des éléments qui nous gêne aussi dans le fonctionnement du CHSCT et la façon de faire prendre en compte la sécurité. Cela ne signifie pas pour autant que nous soyons aujourd'hui dans une situation particulièrement grave. Au niveau des installations elles-mêmes, les moyens de sécurité sont en place. D'ailleurs, l'explosion survenue à AZF en a fait la preuve. Toutes les installations se sont mises en sécurité, le personnel des ateliers de fabrication, qui est du personnel de la SNPE, a parfaitement réagi et assuré la sécurité. Mais cela n'empêche qu'il y ait un certain nombre de dérives qu'il est temps d'arrêter.

M. le Rapporteur : Le plan d'opération interne (POI) a-t-il fonctionné après l'accident ?

M. FRIQUART : Le POI a fonctionné, mais avec les moyens qu'il avait. Ils se limitent à un responsable de direction, une permanence de fabrication avec une personne, une permanence entretien fluides avec une personne, un électricien instrumentiste de quart qui est là pour assurer les coupures électriques et un homme de quart qui supervise les fabrications. Les moyens qu'ils ont sont surtout de faire appel aux moyens d'intervention extérieurs.

M. MIRAILLES : Je voulais revenir sur la question concernant la certification. Il me semble que la solution envisagée par des certifications n'est pas une bonne solution. En effet, on pourra certifier toutes sortes d'entreprise extérieures qui vont intervenir dans le cadre d'une entreprise.

Si les représentants des salariés, les élus, les membres actifs du CHSCT ne peuvent pas intervenir dans le cadre du travail de ces salariés, même s'ils sont d'entreprises extérieures certifiées, c'est quand même un sérieux coup de ciseau dans nos missions, et aujourd'hui, cela existe. On ne peut pas intervenir dans ce cadre-là, sauf à démontrer qu'il y a une relation entre leur activité et la nôtre. La solution n'est pas dans la certification.

Derrière chaque décision, il y a toujours un homme. Quel que soit son niveau hiérarchique, cet homme peut commettre une erreur pour différentes raisons, soit parce qu'il a une mauvaise connaissance du danger ou une forte pression hiérarchique, et cela existe même sur des directeurs de site.

Aujourd'hui, on ne découvre pas le monde, on sait très bien comment fonctionnent l'industrie et l'économie. On sait qu'il y a des fortes pressions qui ne prennent pas toujours en considération l'intérêt général. Il faut donc que des personnes soient véritablement des guetteurs de dérives, même si on ne peut pas en pointer une en particulier.

M. le Président : La question reste celle de la responsabilité. Partage-t-on la responsabilité, c'est une vraie question pour un CHSCT qui aurait plus de pouvoir ? Est-il prêt à être co-gestionnaire de la sécurité ?

M. MIRAILLES : Je n'ai aucun problème pour vous répondre que, dans la mesure où les salariés ne décident pas des objectifs commerciaux des entreprises, pourquoi seraient-ils responsables des conséquences des conséquences des choix économiques. Certes, ils doivent être associés à la prévention le plus en amont possible, mais leur faire porter ensuite une responsabilité dans des décisions où ils n'interviennent pas...

M. le Président : Ce n'est pas une question anecdotique car, lorsque les services de contrôle ne contrôlent pas assez, ils peuvent être, eux aussi, condamnés. Aujourd'hui, des DRIRE sont condamnées. La question de savoir quel niveau de contrôle il faut faire, si on a demandé suffisamment de choses ou si on a commis une faute grave et inexcusable pour ne pas avoir demandé suffisamment de choses est une vraie question, et elle ne s'est jamais appliquée à un CHSCT, heureusement.

M. MIRAILLES : Je ne suis pas spécialiste en sécurité ou ingénieur en procédé, je suis représentant des salariés. A ce titre, je m'intéresse aux conditions de travail des salariés.

M. Pierre COHEN : Etes-vous prêt à accepter, en fonction de moyens, de jouer un rôle, parce vous auriez des expertises qui pourraient vous donner d'autres possibilités de contrôle ?

M. MIRAILLES : En ce qui concerne le CHSCT de la SNPE, nous avons fait la démonstration que nous savons prendre nos responsabilités.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : D'où l'intérêt de cette commission d'enquête parlementaire qui permet de mettre en évidence les dysfonctionnements et une non-information qui ne passe pas.

Dans le même temps, Mme Delorme a indiqué qu'elle était consciente de tout ce qu'elle faisait dans son usine, qu'il n'y avait pas de risques, tandis que vous, vous nous dites que vous n'êtes pas associé aux décisions économiques que prennent vos directeurs. Vous travaillez dans une usine dont vous n'êtes pas sûr à 100 % qu'elle puisse vous garantir la sécurité. Cela me fait penser aux soldats qui allaient dans les tranchées, sans pour autant connaître les risques qu'ils faisaient encourir à ceux qu'ils avaient en face.

Pour moi, c'est une grande interrogation. Vous continuez de travailler dans une usine dont vous n'êtes pas sûrs à 100 % qu'elle vous garantisse toute la sécurité. Comme vous n'êtes pas associés aux décisions économiques, par conséquent vous n'êtes pas associés par votre direction aux dangers que vous encourrez vous-mêmes, car le risque zéro existe pas. Ne pensez-vous pas que nous sommes en présence d'un grave dysfonctionnement, d'une mauvaise information ou d'une non-information ?

M. MIRAILLES : Il faut recentrer la question. Vous me dites que je continue à travailler dans l'entreprise tout en sachant que le risque zéro n'existe pas. Je suis désolé, je ne m'associe pas du tout à ce genre de chose. "Le risque zéro n'existe pas" est un discours patronal, pour moi. C'est le représentant du personnel qui parle. C'est le genre d'argument qui permet tous les immobilismes.

Ce n'est pas le risque ou le danger qui est problématique, c'est la manière dont il est géré. Les produits chimiques ou certaines activités sont dangereux ou génèrent des dangers et des risques. Il faut maîtriser ces risques. Cela pose la question de savoir comment on les met en _uvre et quels sont les moyens que l'on donne aux personnes, chargées de les mettre en _uvre, pour maîtriser ces risques.

Cette réflexion doit être associée, le plus en amont possible, à des personnes responsables. C'est là qu'interviennent la démocratie et la transparence. Aujourd'hui, on nous parle d'urbanisme autour des usines. Dans la question, vous avez la réponse. On ne parle pas de l'implantation d'une usine en centre-ville. Le problème est donc le suivant. A un moment donné, des personnes, qui devraient prendre des décisions raisonnables, ne les ont pas prises ou ces réglementations appliquées.

Pourquoi irait-on aujourd'hui accuser certains salariés qui travaillent dans des usines à risques d'être des inconscients ou des irresponsables ? Nous sommes tous les jours confrontés aux risques potentiels. Malgré les accidents de la circulation, cela ne vous empêche pas de continuer de prendre, chaque année, votre voiture pour partir en vacances.

M. le Président : C'est une excellente conclusion. Je vous remercie de vos témoignages.

Audition conjointe de

MM. François JUNCA et Jean-Louis CHAUZY,

respectivement président de la CCI de Toulouse
et président du Conseil économique et social régional

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 28 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Junca et Chauzy sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Junca et Chauzy prêtent serment.

M. le Président : Notre commission d'enquête porte sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche, et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accidents industriels majeurs. Nous sommes ici à la suite de la catastrophe de Toulouse, dans la deuxième partie de notre intitulé.

Nous allons faire cette audition sans vous demander d'exposé liminaire. Vous aurez tous loisirs d'aborder les sujets qui vous paraissent importants à travers les questions que nous poserons. Nous avons un peu d'expérience après avoir auditionné un certain nombre de personnes, tant au niveau national que local. Je donne la parole au rapporteur.

M. le Rapporteur : Après le drame de Toulouse, s'est posé le problème de la coexistence d'usines dans des zones urbanisées. Quelle est votre position à ce sujet ? Pensez-vous que l'on peut améliorer la sûreté, y compris dans des secteurs industriels à risques, par le dimensionnement, des changements de process technologiques, des limitations de stocks ou pensez-vous que certaines activités sont difficilement compatibles autour des zones urbanisées ? On ne revient pas sur la responsabilité des uns ou des autres, car c'est le fruit de l'histoire.

M. Jean-Louis CHAUZY : Je ne suis pas de la chimie. Avant d'être président du Conseil économique et social, j'ai été pendant vingt ans responsable d'une confédération syndicale. J'étais secrétaire général de la CFDT. J'ai eu, dans mes fonctions passées, à arpenter ce site que j'ai vu évoluer de 4 500 salariés à 450 pour ce que l'on appelait autrefois l'Onia.

Le paradoxe est que l'on a toujours pensé qu'un jour, il se passerait quelque chose, mais pas là où l'accident s'est passé. De fait, il y a eu, de part et d'autre, une accoutumance par rapport à ce site, historiquement classé, de la chimie à Toulouse. Même si beaucoup de gens ont été très bavards à partir du 22 septembre, quand on regarde les procès-verbaux du Secrétariat permanent pour la prévention des problèmes industriels (SPPPI) sur onze ans d'histoire, on remarque que tous les non-voyants qui sont devenus voyants, après le 21 septembre, n'avaient jamais prévu que cela exploserait là. On pensait toujours qu'il y aurait un nuage toxique.

Nous avons pris une position plus arrêtée que celle des autres puisque nous avons, dès le troisième jour, au-delà de la compassion que nous avons partagée avec la population toulousaine, défendu la chimie, ceux qui en ont la charge et ceux qui y travaillent. Moi qui ai fréquenté longtemps ces milieux, je n'ai jamais entendu un syndicaliste dire qu'il avait peur quand il allait travailler dans ces usines. Quand j'ai pu avoir au téléphone, avec beaucoup de difficulté, le deuxième jour, des amis que j'avais fréquentés pendant de très longues années, ils m'ont dit que s'ils avaient eu peur, ils n'auraient pas attendu pour me le dire.

Ils ont été assez effrayés par ce qu'ils ont pu lire dans les semaines qui ont suivi. Nous avons refusé de participer à cette espèce de curée contre l'industrie chimique, sur Toulouse et la région, dans la mesure où les produits de ces entreprises sont encore à ce jour des produits dont la société a besoin. Nous avons dit aux présidents des collectivités départementales et de Toulouse que s'ils demandaient la délocalisation des entreprises, ils avaient intérêt à conclure le débat qu'ils ouvraient. Il faut expliquer dans quels territoires et zones régionales on délocalise les entreprises qui sont ici. Doit-on installer les entreprises qui fabriquent des engrais dans le milieu rural ou la SNPE sur un autre site, mais lequel ? Le problème pour nous est que les exigences des citoyens en matière de sécurité sont des exigences que l'on doit avoir partout, que ce soit en milieu rural ou urbain. On a aussi pensé qu'avec la publicité faite autour de ces industries, on n'imaginait pas qu'en région, ils accepteraient, même si deux villes ont fait des offres territoriales, Lannemezan et Boussens.

Ensuite, nous avons examiné de près, avec les milieux économiques, d'où le rapprochement très fort dès le premier jour avec la CCI et les industriels de la chimie, le poids économique des activités sur l'agglomération toulousaine pour la sous-traitance. Il y a aussi le poids très important du pole enseignement, formation et recherche sur Toulouse qui occupe 4 207 personnes et qui est le troisième de France, mais qui n'a de sens que s'il a pour application une industrie chimique à proximité.

Il nous a semblé, au fur et à mesure que nous travaillions sur ce dossier, d'intégrer les exigences de la société d'aujourd'hui, qu'elle n'avait peut-être pas il y a trente ou quarante ans, en ce qui concerne des informations sur les produits, leur fabrication, sur la transparence, la mise en place de commissions locales d'information sur la sûreté industrielle, comme cela se fait dans le nucléaire et qui nous semble être une bonne approche.

Nous avons plutôt travaillé à rapprocher l'industrie de la société pour chercher des lieux qui, en permanence, pourraient faire de l'information et la transparence.

Ce qui nous apparaît aujourd'hui condamné, c'est peut-être un site de cette importance, pour lequel tout le monde a accepté des demandes d'extension depuis dix ans. Personne n'a dit non, on dit non aujourd'hui, après le 21 septembre. Il est clair que le redémarrage ne pourra se faire à l'identique sur les mêmes unités. Toutes les collectivités ont accepté les demandes d'extension présentées par les entreprises pour leurs activités.

Mme Michèle RIVASI : Les maires ont-ils été informés des risques ?

M. Jean-Louis CHAUZY : S'ils siégeaient au SPPPI, ils pouvaient avoir quelques informations sur ce point. De plus, les industriels sont accessibles tous les jours.

Mme Michèle RIVASI : Ce que vous dites est capital, car le problème est de savoir comment les collectivités sont informées.

Vous dites qu'il faut un rapprochement entre les industriels et la population, jouer la transparence, mais jusqu'à présent, il y a eu un rapprochement entre les industriels, l'administration, le préfet et les collectivités territoriales. Toutefois qui était réellement informé et par quel processus des dangers potentiels d'une installation ?

Nous avons eu plusieurs éléments de réponse. S'agissant des périmètres de sécurité, nous avons même auditionné un directeur d'établissement qui ne connaissait ces périmètres précis dans son entreprise.

Concernant la zone 2, êtes-vous certain que les collectivités savaient que l'on ne pouvait pas construire des établissements ? Il y a un problème sur la nature et la pertinence de l'information.

M. le Président : Savez-vous si les communes étaient ou pas informées des dangers ?

M. Jean-Louis CHAUZY : Je pense qu'oui. J'ai lu une déclaration du maire de la commune de Vieille-Toulouse qui a expliqué pourquoi il s'était opposé à une demande d'extension et a regretté que ses collègues ne soient pas à la réunion le jour où cela a été débattu.

M. le Président : Ce n'est pas notre problème. Ils étaient donc informés des dangers et c'est pourquoi ils ont dit qu'il ne faudrait pas accepter l'extension.

M. Jean-Louis CHAUZY : Celui-là l'était.

M. Pierre COHEN : Je ferai une remarque. Toutes les communes n'ont pas été unanimement pour l'extension. En effet, je fais partie d'une commune qui a systématiquement, sur les problèmes liés au phosgène, toujours voté contre l'extension.

Cela dit, je suis entièrement d'accord sur le fait que nous avons une particularité qui est le SPPPI. Cette instance, qui n'existe pas partout, a permis un grand nombre d'améliorations, mais aussi d'informations. C'est un élément qu'il convient d'élargir.

Toutefois le problème, et c'est là que je suis meurtri, est que connaissant le danger autour du phosgène, notre commune n'a jamais pris position favorablement à l'extension. En revanche, nous avons été amenés à prendre favorablement position sur l'extension du lieu de stockage du nitrate d'ammonium, en étant à l'intérieur du SPPPI, du fait que jamais il n'avait été fait mention d'un danger sur ce produit.

Cela montre qu'il y a non seulement le problème des communes qui n'ont jamais participé au SPPPI et qui aujourd'hui découvrent le danger, mais à l'inverse, il y a aussi le danger qui existe et qui n'a jamais été mentionné. Il ne suffit donc pas de disposer d'un lieu donnant de l'information et une prise de conscience. Il faut également, en amont, apporter des améliorations aux études de dangers.

M. le Président : Comment expliquez-vous que les études de dangers ne comportent pas les dangers qui s'avèrent, au final, les plus catastrophiques ?

M. François JUNCA : L'industriel comme le président du Conseil économique et social n'est pas un expert sur l'appréciation de la dangerosité des choses, mais je constate que le nitrate est réputé comme un produit inerte et que, jusqu'à cette explosion de Toulouse, il avait cette réputation. Il ne faut donc pas s'étonner que le nitrate n'ait pas été pris en compte, ni par les industriels ni par l'Etat, comme un produit qui aurait pu générer une telle catastrophe. Je ne vois donc pas d'aberration sur ce point.

Aujourd'hui, dans de multiples coopératives, il existe des nitrates en quantités très importantes, probablement plus qu'à Toulouse, selon les informations que j'ai pu recueillir.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je voudrais aborder la question de l'urbanisation autour des sites réputés à risques. On sait qu'avant 1984, c'était l'Etat qui délivrait les permis de construire. Après 1984, ce sont les maires qui donnent ces permis.

En ce qui concerne Toulouse, lorsqu'une entreprise ou un commerce souhaite s'implanter sur notre zone, quelle est sa démarche par rapport à son implantation ? A qui s'adressent, en premier lieu, les responsables de l'entreprise et comment les permis de construire leur sont-ils attribués ?

M. François JUNCA : Je ne suis pas un expert en attribution de permis de construire. Il faut poser la question à la mairie.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je précise ma question. Quand une entreprise ou un commerce souhaite s'implanter, quel est votre positionnement par rapport à cette demande ? Comment intervenez-vous en tant que président de la CCI ?

M. François JUNCA : A ma connaissance, la CCI n'intervient pas dans l'attribution de permis de construire.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je parle de l'implantation.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Nous donnons notre avis si nous sommes consultés sur un projet immobilier.

M. Jean-Louis Chauzy a dit un certain nombre de choses très importantes. Sans vouloir faire une présentation exhaustive de la réflexion qu'a mené la chambre, il me semble important pour votre éclairage que vous sachiez, après le travail qui a été fait, les points forts qui ont été actés par la chambre et dont je voudrais vous donner la liste.

L'analyse faite par les milieux économiques et le Conseil économique et social, c'est que le pôle chimique ne peut pas être reconstruit tel qu'il était avant.

Le deuxième point, c'est que nous pensons qu'il ne faut pas abandonner toute l'activité chimique. Il faut maintenant développer une activité chimique acceptable et sécurisée. La sécurisation nous parait être un élément essentiel.

Ce qui me paraît encore plus important, c'est que les risques doivent être connus, maîtrisés et contrôlables dans le temps. Il faut que, dans le temps, il y ait des structures d'évolution du contrôle des risques. Si elles avaient existé précédemment, peut-être certains permis de construire n'auraient-ils pas été attribués dans le passé.

Le redémarrage de l'activité doit se faire par étapes contrôlées et transparentes.

Un autre point très important, c'est qu'à terme, le risque doit être circonscrit au périmètre des entreprises chimiques elles-mêmes. Mais vous butez là sur le problème fondamental de la sécurité. J'ai écouté une partie des débats qui se sont tenus tout à l'heure et qui m'ont semblé intéressants, mais j'ai entendu des propos sur les comités d'hygiène et de sécurité qui m'ont interrogé.

Certes les choix économiques appartiennent à l'industriel, mais les choix de la sécurité appartiennent à l'industriel, à l'Etat et au CHS, qui est un comité important, qui doit remplir tout son rôle et qui doit être beaucoup plus élargi dans des activités à risques que dans les autres.

Il faut mettre en place et à Toulouse et dans ce pays une gestion de la sécurité qui soit comparable à ce qui se fait dans les centrales nucléaires. Si nous le faisons, nous pourrons à la fois identifier le niveau de risque à l'existant et voir son évolution dans le temps, de manière à assurer une sécurité pour tout le monde.

A présent, il est évident que, comme le nitrate a explosé, on peut toujours avoir un doute et se dire que malgré toutes les précautions que l'on pourra prendre, il peut y avoir demain des événements qui vont se produire et qui pourront être nuisibles. Toutefois, si l'on raisonne ainsi, on ferme tout le secteur de la chimie au niveau national. Il faut arriver à une sécurisation qui soit optimisée.

M. le Président : Il serait intéressant que vous nous transmettiez les documents sur ces sujets dont vous avez débattu au sein de votre assemblée.

Je voudrais passer à un autre aspect du problème qui est celui de l'indemnisation, des expertises et des procédures judiciaires. En tant que président de la CCI, donc très lié aux différents milieux professionnels qui interviennent dans le bâtiment, comment se fait-il que des milliers de personnes soient encore sans fenêtre ?

M. François JUNCA : En tant que président de la CCI, je suis en charge des entreprises. Je suis attristé qu'il n'y ait pas de fenêtres, mais je n'ai ni élément ni possibilités d'action pour répondre à votre question. En revanche, je peux répondre en ce qui concerne les entreprises.

Les entreprises ont pris contact avec les assurances et il y a une volonté générale d'aboutir. Mais dans tout problème d'expertise, il y a quelques différences. Toutefois, selon les bilans nous avons fait, 80 % des entreprises sont dans des relations avec leurs assureurs et ne constatent aucun conflit spécifique. En revanche, un certain nombre ont des difficultés. Nous avons établi, à la CCI, un comité d'experts qui travaille tous les jours pour aider ces entreprises en difficulté.

Nous n'avons reçu qu'une vingtaine d'entreprises qui considéraient rencontrer avec leurs assureurs des difficultés telles qu'ils ne pouvaient les régler et qui nécessitaient l'aide du comité d'experts de la CCI. C'est donc que le problème est moins crucial et important que ce qu'il semble être en dehors des entreprises. Je ne parle que pour les entreprises.

Mme Michèle RIVASI : De quel ordre étaient les expertises que ce comité faisait sur les entreprises ?

M. François JUNCA : Vous avez des dégâts de quelques dizaines de milliers de francs et d'autre de plusieurs millions de francs.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Ici c'est la première préoccupation. Quand la CAPEL 31 vient dire aux élus que, si les assurances et les expertises se débloquaient, ils pourraient poser, avec quatre cents artisans, des fenêtres en 48 heures, nous essayons de savoir pourquoi, au bout de compte, les personnes n'ont toujours pas de fenêtres.

Nous entendons les arguments des professionnels du bâtiment, mais en même temps, nous souhaiterions qu'en votre qualité de président de la CCI, vous nous donniez un éclairage sur ce point. Avez-vous une explication sur le fait que deux mois après, on n'ait pas pu mobiliser ces professionnels pour faire ce travail. Les professionnels du bâtiment, notamment les vitriers, sont-ils capables ou non en 48 heures de poser des fenêtres aux logements des 12 000, voire 14 000 personnes, qui les attendent toujours ? Vous devez avoir une idée là-dessus.

M. François JUNCA : Je ne veux pas me défiler, mais c'est une question à poser aux artisans. Je ne représente pas les artisans. Ce n'est pas la CCI de Toulouse qui représente les artisans. Nous nous sommes répartis les tâches. Les entreprises touchées qui ont la double appartenance sont chez les artisans, les autres à la CCI. Je ne peux pas vous répondre à la place des artisans. J'ai lu, comme vous, tout et son contraire dans la presse, mais je n'ai pas d'avis d'expert là-dessus.

Mme Hélène MIGNON : Ma question s'adresse à M. Junca. Très rapidement après l'explosion, j'ai rencontré les industriels de la zone Thibaud. Certains ont redémarré leur activité, parce qu'ils ne voulaient pas ne pas répondre à la commande et laisser leurs personnels au chômage technique, mais j'ai été un peu inquiète de la façon dans laquelle ils redémarraient car certaines entreprises présentaient des risques. Savez-vous si ces entreprises ont pu réparer rapidement et travailler en sécurité, notamment pour leurs personnels ?

M. François JUNCA : La CCI, grâce au conseil régional et à l'agglomération, a mobilisé des sommes importantes pour parer au plus pressé. Ce sont des dons que nous avons faits aux entreprises pour qu'elles puissent sécuriser et redémarrer le plus rapidement possible dans leurs lieux de travail. Celles qui ne pouvaient pas, parce que l'état des bâtiments était tel que ce n'était pas possible, nous avons acté des recherches de locaux et il y a eu des élans de générosité très forts. A ma connaissance, les entreprises, dans l'ensemble, aujourd'hui, ont été reclassées dans des locaux et celles qui ont pu retourner sur place l'ont fait.

Nous avons identifié un certain nombre d'entreprises qui restent en situation extrêmement précaires, soit parce que les clients ne sont plus là, ou d'autres qui ont eu du mal à relancer leur outil de production. Si l'outil de production a été détruit, le bâtiment ne suffit pas, il faut un certain temps pour racheter des machines, et tout cela dans leurs relations avec les assurances pour les raisons que j'indiquais tout à l'heure, nous n'avons pas constaté de dysfonctionnement flagrant, sauf quelques cas particuliers de désaccord avec l'expert.

Mme Hélène MIGNON : Y a-t-il beaucoup de chômage technique actuellement ?

M. François JUNCA : Il y a onze cents personnes dans la chimie, et mille personnes en chômage technique dans les entreprises. Ce chiffre date d'une dizaine de jours.

M. le Président : Nous fermons ce chapitre de l'expertise.

Dans le chapitre de l'urbanisme commercial, vous intervenez en tant que CCI sur les décisions de construction de supermarchés. Dans le périmètre de protection de l'usine AZF, vous avez dû autoriser ou donner des avis, dans le passé, pour la construction de tels établissements, comme le magasin Darty qui a été totalement détruit.

Vous souvenez-vous des conditions dans lesquelles la CCI avait donné un avis ?

M. François JUNCA : Je vais rechercher dans mes archives. Je n'ai pas de souvenir. Je joindrai au dossier les commentaires de la CCI.

Mme Michèle RIVASI : Si, dans le cas de CDEC, vous avez un avis à donner. Pour donner un avis, quelles sont vos références ? Des critères commerciaux, de surface, financiers ? Les critères de sécurité sont-ils pris en compte ? Avez-vous vos propres moyens d'évaluer les risques ?

M. François JUNCA : A ma connaissance, pour donner un avis au CDEC, la CCI le fait sachant que les maires ont une charte d'urbanisme que nous appliquons avec un certain nombre de critères que nous notons, de telle manière à donner un avis. A ma connaissance, il n'y a pas de critères de sécurité dans les questions posées qui sont plus des questions de zone de chalandise, voire l'existence ou non de structures similaires.

Ceci étant, il est bien évident que les zones, qui sont limitées par le PIG, sont connues et, à l'intérieur de la zone du PIG, les conditions d'attribution de permis de construire sont bien identifiées. Si vous êtes une entreprise chimique dans la zone du PIG et que vous déposez un permis de construire, vous pouvez construire. Si vous êtes dans la zone du PIG et que vous avez une activité qui existait avant l'établissement de la zone, le PIG dit que vous pouvez faire éventuellement des demandes d'extension.

En revanche, toute nouvelle réglementation est interdite. A partir du moment où les PIG ont été définis, la loi a été appliquée. Aujourd'hui je constate que la mairie de Toulouse interdit la reconstruction dans la zone du PIG, en application de la réglementation actuelle, est une position administrative. Je signale que la mairie de Toulouse interdit cela et c'est pourquoi il est très urgent que notre Premier ministre se prononce sur la poursuite ou pas de l'activité chimique, car nous avons un grand nombre d'entreprises qui sont bloquées parce que leurs bâtiments ont été détruits. Même si elles veulent les reconstruire en l'état, elles ne peuvent pas.

M. Jean-Louis CHAUZY : La seule entreprise qui a eu un avis pour reconstruire sur le site, c'est le Bikini qui est une boite de nuit.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Pour rassurer le président de la CCI sur l'évolution, la commission d'enquête parlementaire a été créée après l'explosion du site AZF à Toulouse. Par ailleurs, la réflexion générale actuellement menée a pour but de permettre au gouvernement de se prononcer, avec un rapport d'étape de la commission d'enquête parlementaire, d'une façon avisée, éclairée et sereine.

Il est facile de venir ici et dire qu'il faut fermer, mais à un moment, il y a un timing et des personnes à entendre. C'est tout cela qui mènera à une position éclairée et sereine du gouvernement sur le pôle chimique de Toulouse, mais aussi national, car il n'est pas question de déshabiller Paul pour mal habiller Jacques.

On sait que beaucoup ont fait des effets d'annonce après la catastrophe de Toulouse, mais à un moment donné, il faut y travailler correctement. C'est ce que nous efforçons de faire.

M. François JUNCA : Pour compléter, je dois dire que la démarche du Premier ministre à Toulouse, qu'il a explicitée lors de sa venue, me paraît cohérente et à laquelle le milieu économique adhère totalement.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la mise en _uvre et l'établissement de ce périmètre PIG sont bien conçus dans la mesure où cet accident imprévisible, mais qui a eu lieu, a provoqué des dégâts dans des zones situées bien au-delà de ce périmètre ?

M. François JUNCA : L'expérience malheureuse avec l'explosion des nitrates a montré que le PIG, tel qu'il a été défini, n'était pas adéquat. On ne peut que le constater.

M. le Rapporteur : Pensez-vous aujourd'hui qu'il faut réviser ce PIG en fonction d'un certain nombre de nouveaux dimensionnements que les industriels pourront apporter, de nouvelles études de dangers sur les différents composés chimiques ou les différentes fabrications ?

M. François JUNCA : J'ai répondu à votre question tout à l'heure puisque j'ai dit que, dans les réflexions que nous avions menées, nous avions indiqué qu'il fallait que le danger soit limité dans le périmètre des entreprises. Cela implique automatiquement que la définition du PIG doit être revue, en fonction d'une réflexion à mener sur les zones de risques.

M. Pierre COHEN : Sachant que dans l'état actuel on n'enlèvera pas ce qui est déjà construit, sans compter que vous avez demandé que des permis de reconstruire soient redonnés à des entreprises qui avaient déjà des bâtiments, cela signifie qu'il ne serait pas possible qu'une grande partie des activités des trois entreprises actuelles redémarrent. Je partage assez ce point de vue.

M. François JUNCA : J'ai dit tout à l'heure qu'il fallait mener une réflexion sur le redémarrage. Cela signifie qu'il faut que la chimie, s'il en reste, redémarre et soit actée selon des règles de sécurité qui sont à revoir, non seulement au niveau des limites, mais au niveau du risque qui peut être généré à l'intérieur d'entreprises.

Les professionnels de la chimie estiment qu'il y a des possibilités de travail en flux tendu qui vont limiter les stocks. Vous avez dû voir comment le phosgène est stocké et contrôlé. Certes le risque existe, mais il y a déjà une volonté de le limiter à un niveau que l'on pourrait considérer comme acceptable. Ce ne sera peut-être pas demain, mais les professionnels de la chimie sauront à un moment donné faire du phosgène dans des conditions de production qui permettent de limiter le risque.

M. Pierre COHEN : Ce que vous dites va dans le sens de ce que nous entendons depuis ce matin, c'est-à-dire revoir les modes de production, de stockage par flux tendu ou autre. Cela demande, de la part du monde industriel, une remise en cause et une capacité à encore plus maîtriser le risque.

Cela étant, jusqu'à maintenant, c'est l'entreprise qui avait la responsabilité de l'étude de danger avec un Etat qui avait un rôle de contrôle. En tant que CCI, seriez-vous prêt, dans un processus beaucoup plus transparent et avec la capacité d'interpeller, voire de faire des expertises différentes, à jouer un rôle en termes d'avis ?

Vous êtes un interlocuteur privilégié dans le cadre des schémas directeurs et des futurs SCOT. Vous avez joué, dans celui de Toulouse, largement votre rôle. Dans de tels domaines, seriez-vous prêt à être un des partenaires pour pouvoir donner un avis ?

M. François JUNCA : L'expertise et la connaissance des problèmes sont des éléments essentiels pour donner un avis pertinent. Mais en tant que CCI, nous pourrions effectivement participer à des travaux avec des experts extérieurs.

Je voudrais attirer votre attention sur un dernier point sur lequel le Conseil économique et social et la CCI ont beaucoup travaillé. Nous sommes extrêmement préoccupés qu'à la lumière d'une émotion et d'une population qui a été très touchée, que l'on prenne des dispositions spécifiques à Toulouse. Cela ne nous paraît pas acceptable. Il faut que les règles, qui seront appliquées au point de vue de la sécurité, soient applicables à Toulouse et ailleurs.

Si on n'agissait pas ainsi, on donnerait à Toulouse et à la région Midi-Pyrénées, une image qui ne serait pas porteuse du développement futur de Toulouse. Si on peut admettre que, par une émotion et une pression légitimes, on puisse donner à la chimie à Toulouse des règles de sécurité différentes de celles proposées ailleurs, ce ne serait pas bon pour le citoyen de Toulouse et pour la région toulousaine.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Sur la sécurité et la sécurisation, vous dites qu'il faut prendre des mesures. Vous allez d'ailleurs, dans le grand débat du 30, faire vos propres propositions à cet égard. Mais je tiens à vous rappeler que, quand avec le collectif contre les nuisances sonores aériennes sur le thème de la sécurité, nous avions évoqué le survol des avions de cette usine AZF, on n'avait pas vraiment avancé dans la problématique de résoudre ce problème de survol de cette zone à risque et on n'avait pas eu une oreille attentive de la part de la CCI.

M. François JUNCA : Vous ne l'aurez peut-être pas davantage sur la problématique telle que vous la posez.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Permettez-moi de conclure. Nous sommes là pour faire des propositions. La première inquiétude était celle-là et quand il y a eu cette explosion, beaucoup de Toulousains, qui sont dans cette zone, ont pensé que c'était le crash d'un avion sur l'usine. Quand certains collectifs font des propositions, les professionnels et les autorités compétences doivent les écouter, et non pas attendre qu'une catastrophe se produise pour le faire.

M. le Rapporteur : Nous avons entendu votre message. On ne propose pas des choses spécifiques plus pour Toulouse, parce qu'il y a eu un accident, que pour le territoire national. Une commission nationale d'enquête parlementaire ne le fera pas.

Par ailleurs, plutôt que d'attaquer une industrie, votre position est de sans cesse améliorer les conditions de sûreté industrielle à l'intérieur des périmètres, de faire des études de dangers et de réduire les périmètres de protection à l'intérieur des usines. Il n'empêche que cela va poser un certain nombre de problèmes. Par exemple, Seveso 2 demande d'étudier l'effet domino, c'est-à-dire les conséquences d'un incident dans une usine sur des usines voisines.

Dans le cas qui nous préoccupe, il y avait des wagons de chlore. Or on ne s'était pas suffisamment préoccupé du lieu de stockage de ces wagons, quand ils sont d'ailleurs nécessaires. En effet, on utilise du chlore dans les procédés, notamment de fabrication de phosgène, mais également à l'usine AZF. Si jamais un wagon de chlore explose, c'est beaucoup plus dangereux au niveau des périmètres dans lesquels il y a des risques pour les populations.

Il faut donc que sur de telles questions, un certain nombre de propositions soient faites. Je pense également, même si ce n'est pas l'objet de notre commission, à des propositions sur le stockage d'un certain nombre de composés chimiques dans des wagons dans des gares de triage, et pas seulement dans des usines, et sur le transport routier de certains produits chimiques. Nous avons là d'autres thèmes qui sont des thèmes d'étude importants.

M. François JUNCA : Dans la réflexion que nous avons menée, l'industrie chimique nationale, telle qu'elle existe, n'a pas d'avenir. Il faut remettre en cause tous les procédés nationaux de production chimique. C'est un problème de société. Ce sont des milliards à investir et un délai de nombreuses années. Les professionnels de la chimie ont dû vous dire que la solution la plus sécuritaire est de produire et de traiter les produits au même endroit, et de sortir des produits pratiquement inertes.

M. le Rapporteur : C'est vous qui le dites. La demande aujourd'hui sociale en matière de sécurité est la même dans tous les pays du monde. La sécurité, c'est une bonne main _uvre, ce sont des personnels formés, et nous avons encore de l'avance. Des pôles comme celui-ci ont effectivement un savoir-faire.

M. le Président : Je vous remercie de votre contribution.

Audition de

M. Martin MALVY,
Président du Conseil régional Midi-Pyrénées

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

M. Martin MALVY est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Martin MALVY prête serment.

M. le Président : Je vous remercie de votre présence. Après avoir auditionné un certain nombre de personnes, nous commençons à avoir quelques propositions sur lesquelles nous aimerions vous entendre. Je commencerai par deux petites questions. Estimez-vous normal que des milliers de personnes soient encore sans fenêtres ? Par ailleurs, qu'allez-vous faire des lycées qui se trouvent dans les zones dévastées ?

M. Martin MALVY : Mon premier commentaire sera qu'il faut aller vite dans les décisions à prendre. La ville de Toulouse a subi un traumatisme dont on n'a peut-être pas aujourd'hui mesuré toutes les conséquences. J'étais, il y a quelques instants, en réunion avec la rectrice et les syndicats d'enseignants. Nous évoquions, entre autres, les conséquences de la catastrophe d'AZF.

Nous voyons à quel point les esprits sont marqués, les gens traumatisés : ceux qui ont vécu en direct la catastrophe, ceux qui ont subi des dommages corporels, ceux qui l'ont vécue d'un peu plus loin et sont aujourd'hui encore victimes de dommages causés aux biens et tous ceux qui s'interrogent afin de savoir ce qu'ils vont faire demain, en matière de reconstruction dans l'environnement d'AZF. Nous avons donc besoin de décisions rapides.

Sur la question que vous posez en matière de logement, il y a quelques jours, au conseil régional, présidant une session et ayant à côté de moi le préfet, j'ai souhaité que se mette en place une commission d'enquête parlementaire sur les raisons pour lesquelles deux mois après, certaines situations sont encore aujourd'hui ce qu'elles sont.

Nous sommes, les uns et les autres des responsables. Avec ce sinistre qui a touché 10 000 logements, on imagine l'ampleur exceptionnelle du dommage et le temps qu'il faut pour y remédier, mais il n'est pas concevable et admissible qu'aujourd'hui encore, à Toulouse, on se pose la question du comportement des compagnies d'assurance. Ce n'est pas acceptable.

De deux choses l'une, ou ce qui court la ville, à savoir que les compagnies d'assurance traînent en longueur, est inexact, et il faut le dire, ou si c'est exact, et il faudra le savoir aussi et en tirer les conséquences. En tout cas, le pire aujourd'hui est la situation dans laquelle nous sommes où les uns et les autres diffusent, ce qui est probablement vrai sinon il n'y aurait pas une telle rumeur, le fait que certaines compagnies d'assurance traîneraient en longueur, tarderaient à apporter aux propriétaires et locataires l'ensemble des éléments dont ils ont besoin, au-delà de la mission envoyée par le ministre de l'Economie et des Finances et des décisions récentes annoncées sur la prise en charge directe par Total de la réparation des dommages.

Par ailleurs, il faut savoir pourquoi, deux mois et demi après la catastrophe, il y a autant de logements sinistrés. Il convient de faire la lumière pour Toulouse aujourd'hui et pour ailleurs demain si une catastrophe de cette ampleur venait à se produire. J'ai dit, depuis le départ, qu'il y a eu un après-Furiani. On en a tiré les conséquences en revoyant la réglementation sur la sécurité dans les établissements pour le public, même si ce n'est pas parfait, il faut tirer les conséquences de la catastrophe du 21 septembre à Toulouse.

Concernant les lycées, nous avons eu onze lycées touchés, pratiquement un lycée sur deux, dont certains sont relativement éloignés du site. Nous avons eu un mort dans le lycée Galliéni et un élève très grièvement blessé dans le même établissement, des gens qui sont aujourd'hui mutilés, qui ont perdu la vue ou l'audition, qui ont des traumatismes internes, bref des dommages considérables. En même temps, nous avons eu une chance qui tient du miracle à savoir que, quand deux lycées s'effondrent - Galliéni et Françoise -, on se demande comment les élèves et les enseignants sont sortis, notamment d'un bâtiment du rectorat. On ne comprend pas comment ils ont pu sortir. Quand on y va trois heures après la catastrophe, il y a du sang dans toutes les classes et dans les couloirs. Dans un troisième lycée, dont l'externat fait 300 mètres de long, avec trois étages entièrement vitrés, que toutes les vitres s'effondrent, le miracle est qu'il n'y a pas d'élèves dans la cour à ce moment-là. En d'autres termes, la catastrophe aurait pu être beaucoup plus grande.

J'ai posé comme principe que nous reconstruirons les lycées Galliéni et Françoise, mais que le site sur lequel ils seront reconstruits sera celui sur lequel ils étaient si la sécurité est assurée dans ce périmètre ou ailleurs s'il y a la moindre interrogation.

Il y a de cela huit ans peut-être le conseil régional avait envisagé non loin du site de la catastrophe, la construction du lycée hôtelier. A l'époque, il y avait eu une polémique à Toulouse qui avait amené le conseil régional à renoncer au site d'implantation qu'il avait choisi et à l'implanter ailleurs, ce qui n'a pas empêché qu'il subisse lui aussi des dégâts.

Les dommages sont importants pour la région, mais nous avons décidé d'y faire face et avons d'ores et déjà réinscrit les crédits nécessaires pour reconstruire ces lycées. Toutefois, nous savons qu'il faut trois ans pour reconstruire un lycée, dès lors que l'on a décidé du programme pédagogique et de l'implantation. Nous avons donc un véritable problème aujourd'hui qui consiste à gérer les suites de la catastrophe avec des hommes, des femmes, des élèves, des parents d'élèves qui sont traumatisés et qui voient bien combien la catastrophe est un handicap pour la suite immédiate de leurs études.

Pour les jeunes qui sont en terminale et qui passent le baccalauréat en fin d'année, nous avons recréé des classes. Nous avons construit 7 000 mètres carrés de classes préfabriquées pour accueillir environ trois mille élèves. En ce qui concerne les équipements sportifs, il y avait dix piscines à Toulouse, il n'y en a plus que quatre.

En revanche, nous butons sur un problème qui est celui des ateliers. Nous n'avons pas la technique pour reconstruire rapidement un atelier automobile de 7 000 mètres carrés, ni le lieu d'ailleurs sur lequel l'implanter. Actuellement, les élèves sont obligés de se déplacer. Il a fallu modifier complètement le cursus scolaire, avec des départs en stage en entreprise en début de cursus et non pas en fin, des stages qui se déroulent à Castelsarrasin, d'autres à Pamiers, donc une grande complexité. Je saurai seulement, vendredi matin, les conditions de reconstruction des ateliers.

Je vous cite un exemple pour vous montrer l'ampleur de la catastrophe. Nous avons trouvé, derrière le lycée dans lequel ont été conduits les élèves du lycée Galliéni, de vastes locaux privés que l'on pourrait louer et transformer pour en faire des ateliers de 4 000 mètres carrés. Le coût de l'opération est de 20 millions de francs. J'ai donné mon accord pour que l'on transforme ces équipements loués chez des particuliers et pour y investir 20 millions de francs pour une durée de deux ou trois ans. Toutefois lorsque techniquement l'échéancier des travaux a été établi, il est de dix-huit mois, soit deux années scolaires. Par conséquent, on ne résout pas le problème. Tel est mon sentiment sur le logement et notre approche sur la reconstruction des lycées.

M. le Rapporteur : Vous venez de montrer comment des problèmes demeurent pour les populations. Le conseil régional a une compétence en matière de lycées ainsi qu'en matière économique. Nous avons abordé cette question tout à l'heure. Nous sommes sur des sites où coexistent des activités économiques et des gens qui habitent à proximité et où il y a eu une urbanisation.

Après la catastrophe, quelle est la position du conseil régional sur la solution de cette question, à savoir les activités industrielles déjà implantées avant la réglementation Seveso ?

M. Martin MALVY : C'est aujourd'hui la vraie question. Nous avons pris des dispositions de soutien à l'activité économique. Nous avons participé au fonds d'urgence pour les Toulousains. Il se trouve que nous nous réunissions le 26 septembre, soit cinq jours après la catastrophe, et nous avons pris la décision.

Nous avons été les principaux financeurs des deux fonds ouverts en urgence pour les entreprises, par la CCI et par la Chambre des métiers. Les PME-PMI vont être indemnisées dans l'immédiat à 60 % des débours, montant que rembourse généralement les assurances. Nous examinons avec le gouvernement comment, puisque les règlements nous y autorisent, aider les PME-PMI à hauteur de 50 % de ce qui leur reste à couvrir et qui n'est pas pris charge par l'assurance. La région seule n'a pas les moyens de faire. Le gouvernement a débloqué des fonds qui peuvent servir à cet effet. J'ai demandé au préfet de réunir les différents partenaires pour que nous envisagions la possibilité de créer un fonds commun sur ce point.

Quand j'étais étudiant à Toulouse, l'ONIA à l'époque était moins entourée d'habitat et d'activités qu'aujourd'hui. On se posait néanmoins des questions sur le risque lié à cette présence proche de la ville. Cela fait quand même déjà plusieurs dizaines d'années. Nous avons débattu du sujet au conseil régional. Nous ne sommes pas parvenus à une motion commune, mais nous avons élaboré deux motions qui, en réalité, ne sont pas très éloignées l'une de l'autre.

Je développe une théorie qui n'est certainement pas originale. Je ne suis ni un scientifique, ni un chimiste, ni un expert. D'autres le sont, pas moi. Rien de pire que de vouloir jouer à l'expert quand on ne l'est pas. Je pars du principe qu'il n'y a aucune raison majeure d'ordre économique qui permette de mettre en jeu la vie des citoyens ou l'intégrité des biens.

Il y a certes la raison d'Etat, mais elle est d'une nature exceptionnelle, on approuve ou pas ces mesures qui sortent de l'ordinaire. Toutefois dans l'ordre économique, aucune raison supérieure ne permet de mettre en jeu la vie des citoyens et l'intégrité des biens. C'est une constatation de départ, au-delà de cette simple considération de l'activité économique sur Toulouse et des cinq ou six mille emplois que représente la plate-forme chimique.

Nous ne sommes pas sur un débat toulousain, mais sur un débat d'envergure nationale, avec des préoccupations des citoyens qui sont les mêmes à Fos, dans la vallée du Rhône ou de la Seine. Certes le risque zéro n'existe pas. Mais notre vie est tous les jours une vie dangereuse et à risques.

Les experts et les scientifiques se sont fragilisés dans l'affaire AZF pour la raison suivante. En quelque soixante-dix ans, pas un seul rapport n'a imaginé le risque d'explosion. Cela fragilise quand même le discours de tous ceux qui sont certains. Ce risque n'a jamais été envisagé. La meilleure des preuves est que même les sirènes, qui sont parties avec le reste, n'étaient pas prévues pour alerter après l'explosion, mais pour alerter dans l'hypothèse d'une pollution d'ordre chimique.

L'expert qui vient affirmer est sérieusement mis en doute à Toulouse. Ce n'est pas un accident dû au phosgène ou un accident envisagé contre lequel on avait pris des mesures, c'est l'accident qui n'avait pas été envisagé.

Le risque zéro n'existant pas, les experts et contre-experts sont-ils en mesure, notamment sur la plate-forme chimique de Toulouse, de dire que l'on peut tendre vers le risque zéro -et non pas y arriver- dès lors que l'on met en place telle ou telle technologie, que l'on supprime tel et tel produit ou production du site, donc tendre vers le risque zéro en s'assurant qu'en cas d'accident, il est confiné dans un périmètre donné ?

Si, au terme d'un débat, la réponse est oui, des activités peuvent demeurer sur le pôle chimique. Si la réponse est non, le pole chimique va disparaître. Résumé de façon simple, il n'y a aucune raison a priori de dire que tout doit disparaître, car sinon tout doit disparaître au niveau national, pas plus qu'il n'y a de raison permettant de laisser en l'état des activités dont on n'aurait pas au préalable prouvé qu'elles ont été ramenées à un risque presque égal à zéro. L'accident étant toujours possible, si un jour il se produit, il faut un confinement garantissant aucune communication avec l'extérieur. C'est la position que j'ai développée depuis le début, sur le sujet.

M. le Rapporteur : Quel sera le coût de la catastrophe pour la région ?

M. Martin MALVY : Il est difficile à établir. Aujourd'hui, nous avons mis en place 430 millions de francs d'autorisations de programme. Je pense que ce sera plus, plutôt 500 millions de francs. Ces 430 millions de francs ont été approuvés par la commission permanente et se retrouveront dans le projet de budget pour 2002 que je présente, le 20 décembre, au conseil régional.

Ceci n'est pas un coût net car les assurances sont amenées à intervenir. Nous étions assurés pour une catastrophe à hauteur de 150 millions de francs. Personne n'avait imaginé que la catastrophe puisse se répercuter sur plusieurs établissements. Nos assurances ont joué le jeu. Elles nous ont déjà remboursés 20 millions de francs et nous annoncent le remboursement des 140 millions de francs restants que nous allons inscrire en recette au budget 2002.

Mais pour tout le reste, nous nous retournons vers AZF et Total pour en demander le remboursement. Je ne sais pas aujourd'hui où s'arrêtera la dépense, dans l'ordre des mesures économiques, des réparations ou des dépenses consenties en termes pédagogiques. Les lycéens commencent à protester. Lorsque je les ai rencontrés, je leur ai dit que s'ils me faisaient des propositions telles que passer des vacances d'été près d'un établissement scolaire où le matin, ils feront de la formation en atelier et l'après-midi au bord de la mer, ce séjour leur sera payé. Je ne leur propose pas, mais s'ils viennent me le demander, je suis prêt à le faire, sous réserve que je trouve les établissements et les enseignants. Aujourd'hui, le coût de la catastrophe est d'environ 500 millions de francs.

Mme Michèle RIVASI : Je voudrais aborder deux sujets. En tant qu'élu, estimez-vous être suffisamment informé pour prendre des décisions sur l'urbanisation autour d'un site ? Quand l'élu n'est pas expert en la matière, considérez-vous que l'information donnée aux élus est suffisante ?

Par ailleurs, en ce qui concerne les raisons pour lesquelles, deux mois après la catastrophe, on est si peu opérationnel, ne pensez-vous pas que c'est lié à un défaut de culture du risque en France ?

Le problème des assurances n'est certainement pas le seul. Il y a également le fait que les services de la préfecture ne sont pas très opérationnels, le manque de coordination, le fait que les gens n'osent pas faire les travaux parce qu'ils ne disposent pas de l'argent nécessaire pour payer directement les artisans.

Nous réfléchissons à un outil de catastrophe qui serait en veille permanente et qui permettrait, en cas d'accident dans certaines régions, de se délocaliser afin de rendre opérationnel tous les acteurs qui interviendraient pour répondre à la demande des personnes.

M. Martin MALVY : Ce qui s'est passé dans la Somme a priori tend à démontrer qu'on n'a pas aujourd'hui les dispositifs nécessaires pour répondre à une catastrophe de cette ampleur. Il y a eu, à Toulouse, une très forte mobilisation, dans un premier temps, au niveau des services de secours, des hôpitaux et des bénévoles.

Dans un second temps, je dois dire que la région n'a été associée ni invitée à participer à une quelconque rencontre sur la façon de résoudre le problème du logement. Nous n'avons pas été consultés.

Je me suis demandé, à un moment donné, si une structure permanente associant l'ensemble des intervenants à Toulouse n'aurait pas dû voir le jour. Je ne sais pas si cela aurait réglé les difficultés, car je ne pense pas que c'est un problème de moyens financiers publics. C'est d'ailleurs ce qui accroît la difficulté. Les personnes sinistrées ont entendu évoquer des sommes considérables sans que ces sommes parviennent jusqu'à elles.

Il est certain que nous n'avons probablement pas suffisamment cette culture du risque. Les pays nordiques, plus perfectionnistes en la matière, l'ont-ils davantage ? Nous sommes en présence d'une catastrophe qui n'a pratiquement pas de précédent, hormis peut-être les bombardements de Dunkerque à l'issue de la dernière guerre.

Je me trouvais à Labège à 10 kilomètres de Toulouse, pour un colloque. M. Jean-Louis Guigou était arrivé et nous attendions M. Laurent Fabius, lorsque nous avons entendu l'explosion. J'ai eu le préfet et les services de l'Etat dans le quart d'heure qui a suivi. La consigne était le confinement, mais que faire quand dix mille logements n'ont plus de vitre ? De plus, les consignes Seveso sont de rester chez soi et de ne pas téléphoner. Les gens se sont précipités vers les écoles, ont arraché leurs enfants pour les emmener et prenaient leur voiture pour quitter Toulouse, dans les quelques heures qui ont suivi l'explosion.

Vous avez évoqué les élus. J'ai été maire jusqu'à ce que le gouvernement impose l'incompatibilité entre une fonction de président de région et de maire. Nous découvrons, en tant que maire, les plans de protection sur les risques naturels. Ils sont mis en place actuellement sur les zones inondables. Les maires n'ont pas capacité et qualité au préalable pour dire que tel ou tel secteur est inondable. Aujourd'hui, ils disposent de documents qui commencent à être établis sur le sujet.

Sur le risque industriel, il est évident qu'ils n'ont pas le pouvoir de connaître la situation eux-mêmes, sauf à diligenter des études spécifiques. Mais ce n'est pas aux maires qu'il appartiendra de le faire, mais à l'Etat.

Le deuxième constat est le suivant : peut-on garantir que s'il y a accident, il n'y a pas de contamination extérieure ?

Le troisième est que l'on ne peut pas continuer à gérer le risque et la maîtrise du risque comme on le fait actuellement. Ce n'est plus concevable aujourd'hui. Le seul dialogue entre l'Etat et l'industriel n'est plus possible. L'Etat est suspect, à tort ou à raison ; l'industriel est suspect ; les syndicats qui s'expriment dans l'entreprise sont suspects de toujours vouloir plus.

Il existe en France environ 60 000 sites à risques, mais qui ne sont pas tous classés Seveso. Il me semble que dans l'intérêt de l'économie générale, du citoyen, de l'entreprise, nous devons nous inspirer de ce qui a été mis en place pour les centrales nucléaires et créer, sur chaque site, des commissions locales de prévention ou d'information, dotées de moyens et dans lesquelles on retrouvera le maire de la commune, les élus, les experts, des journalistes, des représentants d'association de protection de l'environnement et l'industriel. La maîtrise de la sécurité et du risque doit aujourd'hui devenir transparente et démocratique.

M. Pierre COHEN : Il faut éviter une dualité entre l'entreprise et l'Etat, en particulier les services de la DRIRE, grâce à une capacité de contre-expertise pour d'autres. Il existe quand même des instances de concertation, en particulier dans notre région où il en existait une.

Même si je suis très favorable à ce qu'il ait davantage de transparence au niveau de l'étude de danger mais nous étions là dans un cas où le danger n'était pas identifié.

La question qui se pose est la suivante : en tant que président de région, seriez-vous prêt à participer aux institutions qui pourraient émettre un avis sur les études de danger et solliciter d'éventuelles contre-expertises ?

M. Martin MALVY : Pourquoi pas ? Nous nous sentons concernés autant que les autres collectivités. Pourquoi ne pas jouer un rôle ? Nous sommes concernés par l'économie, l'aménagement du territoire et la sécurité des personnes même si nous n'avons pas de compétences directes sur ce dernier point.

Par ailleurs, nous réclamons des compétences nouvelles dans le domaine de la santé publique. Par conséquent, nous ne pouvons pas en même temps demander des compétences nouvelles dans des secteurs qui ne nous sont pas encore transférés et fuir un certain nombre de responsabilités.

La question que je me pose, quelle que soit l'instance - SPPPI, CLIS ou commission locale - est de savoir si la structure sera dotée de moyens financiers et donc si elle disposera des moyens de financer elle-même les expertises, si elle aura la personnalité morale, etc. Autant de questions qui sont d'ailleurs posées par le projet de loi déposé en juillet, au conseil des ministres, sur l'évolution des commissions locales d'information sur les sites nucléaires. Je pense que tout le monde a intérêt aujourd'hui à ce qu'il y ait cette transparence.

La question est de savoir si aujourd'hui on cerne l'origine de la catastrophe de Toulouse. Si oui, en indiquant que l'accumulation de produits d'origines différentes a pu provoquer l'explosion, cela tendrait à prouver qu'on aurait pu, à l'examen attentif de la situation, prévenir la catastrophe. Nous avons donc une défaillance des services de prévention et de sécurité. Si aujourd'hui le constat, en fin de parcours, est que l'accumulation, pendant un certain temps, de tels produits était de nature à provoquer une explosion, on peut se dire qu'une étude fine et attentive et une expertise permanente du site auraient permis de le dire avant.

Mme Michèle RIVASI : Je continue dans votre raisonnement qui m'intéresse beaucoup. On avait pris en considération l'ammoniac ou le chlore dont les risques avaient donné lieu à l'établissement des zones de dangers. Même en minimisant le risque d'explosion du nitrate, on aurait dû empêcher l'urbanisation très proche du site. Il y a quand même eu une défaillance par rapport aux périmètres de sécurité.

Les maires à l'époque avaient-ils toutes les informations pour refuser cette extension, sachant qu'il est également de la responsabilité des préfets d'interdire l'urbanisation de telle zone ? Vous savez qu'il existe un rapport de force et que si les citoyens ne font pas partie de ces commissions locales, il y a alors une trop grande proximité entre l'industriel et le préfet.

M. Martin MALVY : Je suis d'accord avec l'observation qui est faite.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Il a été dit que nous n'avions peut-être pas une culture d'urgence dans ce pays. Quels étaient, dans les lycées, les collèges et les écoles, les procédures d'évacuation ?

Par exemple, il était dit que les enfants devaient rester dans l'école. Or, comme vous l'avez rappelé vous-même, la première réaction des parents a été de courir à l'école pour récupérer les enfants.

M. Martin MALVY : Les lycées mettent en _uvre des règles de sécurité avec des exercices, mais qui n'ont rien à voir avec la catastrophe telle qu'elle s'est produite. C'est la même chose pour le périmètre Seveso.

Je me pose la question de savoir quelles sont les mesures spécifiques particulières et actualisées réellement prises à l'intérieur du périmètre Seveso. De Labège où je me trouvais à une dizaine de kilomètres, nous avons vu le petit nuage couleur safran se promener au-dessus de Toulouse. Un autre problème était que nous n'avions plus aucune communication téléphonique possible, cela pendant 48 heures, non seulement à Toulouse mais à 100 kilomètres aux environs. Les téléphones portables ne fonctionnaient plus, le réseau étant saturé. La seule source d'information était France-Info, même aux environs de Toulouse. On entendait France-Info annoncer que le nuage passait au-dessus du Mirail. Si ce nuage avait été pollué, il n'aurait pas respecté les limites du périmètre Seveso.

M. le Président : Je vous remercie de ce témoignage.

Table ronde rassemblant des représentants d'associations :

Mmes José CAMBOU et Bérangère CHAMBON,
Union Midi-Pyrénées nature environnement

M. Frédéric ARROU, association des sinistrés du 21 septembre

M. Saïd BESSAIAH, association des sinistrés de Papus

M. Henri FARRENY, association Ramonville citoyenne

Mme Jeanne MEYNADIER, et MM. Marcel LEROUX et

Jean-Pierre BATAILLE, collectif "Plus jamais ça ici ou ailleurs"

MM. Alain CIEKANSKI et Dominique GILBON,

Amis de la terre Midi-Pyrénées

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 novembre 2001)

Présidence de Mme Michèle Rivasi, Vice-présidente.

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

Mme Michèle RIVASI : Je vous remercie d'avoir répondus à l'invitation de la Commission d'enquête.

Pour permettre à chacun de s'exprimer, nous aborderons deux thèmes. Le premier concernera le sort des victimes et interviendront plus particulièrement les représentants du collectif "Plus jamais ça ici ou ailleurs" et des associations de sinistrés. La deuxième partie concernera plus les associations de protection de l'environnement et évoquera les problèmes qu'ont posé AZF et d'autres usines chimiques.

Première question : où en est la situation ? Quelles sont vos revendications quant à la situation des sinistrés à Toulouse et quelle est à l'analyse que vous en faites ?

M. le Rapporteur : Avant de vous passer la parole je voudrais, en tant que rapporteur de la commission d'enquête, vous indiquer que cette Commission d'enquête ne se substitue pas à l'enquête judiciaire. Nous sommes là pour tirer des leçons avec vous qui avez vécu, dans votre chair, ces incidents. Nous sommes là pour comprendre et pour améliorer, notamment le dispositif législatif et réglementaire.

Nous souhaiterions avoir des propositions de votre part. En effet, mon rôle en tant que rapporteur, sera de formuler des propositions pour améliorer la situation et faire en sorte que ce que vous avez connu puisse servir à faire avancer les choses dans notre pays.

M. Frédéric ARROU : Tout d'abord, je vous reprendrai, Monsieur, sur le terme d'incidents. Il s'agit bel et bien d'un accident, et je crois que c'est la première prise de conscience qu'il faut avoir.

Dans un deuxième temps, sur la situation actuelle, on peut dire que sur les quartiers elle a très peu évoluée. Il suffit d'ailleurs d'aller au-delà des sites. La situation évolue très peu. Quelques chantiers redémarrent. Il y a certes une partie visible, mais également une partie qu'on ne voit pas si on ne va pas à la rencontre des gens.

L'association des sinistrés, créée au lendemain de la catastrophe, a depuis effectué un travail de proximité et d'accompagnement, mais elle a surtout mesuré les lacunes terribles de l'Etat, des pouvoirs publics en général, face à une telle situation. Nous avons dû servir d'intermédiaire pour gérer les carences. Nous avons dû alerter, répercuter et, dans le même temps, mesurer le désarroi et l'absence de réponse.

Perdure encore aujourd'hui un gros problème de communication puisque des personnes reçoivent des lettres d'EDF leur demandant des factures de travaux, des informations sur les dégâts, alors qu'il a été très clairement décidé que le seul justificatif serait la déclaration de sinistre. Une confusion est née d'un état confus, mais a été entretenue par un manque de cohérence entre les différents corps constitués, par un manque de mesure de l'ampleur de l'accident.

Nous sommes aujourd'hui, sur le matériel -et je ne parle que du matériel- encore devant ce constat. Ensuite, il y a une autre dimension qui est celle des personnes blessées et décédées. Nous sommes encore dans l'ignorance réelle du nombre de morts. Il y en avait trente il y a semaine, il y en a trente et un aujourd'hui.

Nous avons, au niveau de l'association, créé une cellule, organisée par le père d'un ouvrier décédé, pour aller en direction des personnes dont certaines sont complètement isolées. Une dame, qui vit dans le Cher, a perdu son fils sur le site. Elle n'a rencontré personne, même pas l'assistante sociale d'AZF, privilège qu'ont eu les salariés d'AZF. C'est un problème de mesure, d'évaluation qui n'a pas été fait et qui nous surprend parce que nous pensions que l'Etat avait les moyens de faire cette évaluation.

Ensuite, il y a le problème des dommages physiques dont on n'a encore aucune idée. Ces personnes sont actuellement en convalescence. Cela signifie aussi qu'elles n'ont ni l'énergie, ni la possibilité, ni l'aide pour entreprendre les démarches qu'elles doivent entreprendre, et restent encore isolées. Il y a un grand nombre de personnes isolées.

Mme Michèle RIVASI : En quoi consiste la cellule que vous avez mise en place ?

M. Frédéric ARROU : L'objectif est de pouvoir répondre et accompagner. Nous ne sommes pas une association d'aide, mais d'accompagnement. Nous voulons amener les sinistrés à d'abord sortir de cet état de sinistrose pour jouer un rôle citoyen, c'est-à-dire que nous ne le ferons pas leur place, mais nous entendons le faire avec eux. Nous nous sommes aperçus que nous étions les plus compétents en la matière. Nous sommes devenus des experts en sinistre.

Quand le sous-préfet Mathieu a évoqué, devant nous, la question du surcoût EDF, il nous a indiqué qu'il avait préparé, avec EDF, un plan qui consistait à regarder, logement après logement, combien il y avait de fenêtres remplacées par du contre-plaqué, combien par du Polyane ou du Plexiglas, autrement dit une usine à gaz.

Pour notre part, nous avons indiqué qu'il fallait prendre les factures de l'an dernier et les appliquer, ce que M. Fabius a confirmé la semaine suivante. Que de perte de temps ! Nous exigeons d'être écoutés. Quand nous écoutons les sinistrés d'où qu'ils soient, la carence est là. Il y a une consultation, mais pas de délibération. Nous demandons à passer du stade de la consultation à celui de la délibération, parce que nous sommes devenus des experts en la matière.

M. Marcel LEROUX : Je distinguerai quatre périodes en ce qui concerne l'organisation des secours et l'aide aux sinistrés. La première période, qui a couvert les deux ou trois premiers jours, était une période d'absence totale de l'appareil d'Etat, des autorités quelles qu'elles soient.

Lorsque nous avons créé notre association, le dimanche 23 septembre à 18 heures, des assistantes sociales, qui participaient à la réunion et qui avaient été convoquées par téléphone, par le biais d'un réseau militant, nous ont dit s'être auto-réquisitionnées. Vous mesurez la responsabilité du président du Conseil général ! Pendant soixante heures, il n'était pas là. Personne n'était là pour dire aux travailleurs sociaux d'aller sur le terrain.

Notre première revendication, à ce moment-là, a été de demander aux autorités quelles qu'elles soient -préfecture, département, ville- de distribuer des repas chauds dans les appartements. Les premiers secours sont arrivés, dans les quartiers les plus sinistrés, le lundi dans la matinée, hormis quelques personnes dimanche soir, tout à fait en fin de journée.

La première phase a été que les autorités ont été complètement dépassées. Cela rejoint ce que j'appelle la quatrième phase qui est en fait la phase qui précède la catastrophe. Pourquoi les autorités ont-elles été dépassées à ce point ? Mes collègues vous donneront certainement un éclairage par rapport aux critiques que je ferai.

La seconde période, qui a duré environ six semaines à six semaines et demie, est une gestion libérale de la crise. Vingt-six mille logements sont touchés. Les assurances recenseraient 100 000 déclarations de sinistres. Toutes les autorités confondues, et en particulier le gouvernement, déclarent et font comme s'il s'agissait d'un simple dégât des eaux multiplié par 25 000, comme si le problème était devenu un problème entre un sinistré et son assurance, entre un sinistré et l'expert et le contre expert de l'assurance, avec tous les problèmes que cela suppose.

Il y a des lois, des règlements, nous vivons dans une société qui est réglementée, avec des procédures qu'il suffit de suivre. Quelle égalité y a-t-il entre une personne qui vient de perdre son appartement, qui est blessée, qui a subi un choc psychologique terrible, et un assureur qui est là, pas forcément pour réparer des dégâts, mais pour assurer la rentabilité de son entreprise.

Cela a duré pendant six semaines à six semaines et demie. Personnellement, j'en garde un goût très amer parce que ces six semaines, alors qu'à Toulouse il faisait 25 degrés, ont été des semaines perdues pour le secours aux sinistrés.

A titre personnel, nous nous sommes fait traiter de "démago", lorsque nous disions qu'une catastrophe humanitaire d'ampleur était en train de se préparer sur la ville de Toulouse. Certains élus de Toulouse, dont certains sont présents ici, sont intervenus lors de la première réunion publique des sans fenêtres, le dimanche après-midi sur un parking de Basocambo. Vous avez certainement entendu ces sinistrés dire qu'être un sinistré est un métier à part entière. Mesurez-vous ce que cela sous-entend !

Or, ce que nous demandions à ce moment-là était qu'à situation exceptionnelle, l'Etat prenne des mesures exceptionnelles. Il a fallu l'arrivée des premiers froids pour que l'Etat, la préfecture décident d'un changement de politique. Il ne s'agit pas de remettre en cause la compétence professionnelle du préfet et du sous-préfet à la ville, qui ont une compétence évidente et grande en matière de logement. Mais les orientations politiques qu'ils étaient chargés de suivre étaient de nature libérale, alors que, dans une telle situation de crise, à l'évidence, des mesures de type libéral ne peuvent pas résoudre le problème.

Le problème est de réparer 25 000 logements ou les 11 000 ou 12 000 qui restent actuellement. Comment voulez-vous que les assurances, les artisans, les fournisseurs de matériels puissent écluser, avec le potentiel qui existe sur la Haute-Garonne, l'excédent de demande qui correspond à deux années de travail à temps plein des artisans ? Ce n'est pas possible.

Par conséquent, à situation exceptionnelle, il aurait fallu que le gouvernement prenne des mesures exceptionnelles, qui étaient celles que nous avons réclamées. L'une était la réquisition de logements. Aujourd'hui, 11 000 logements sont gravement endommagés. La réparation de ces logements implique que les sinistrés quittent ces logements pendant quelque temps. Où vont-ils aller ? Si mes renseignements sont exacts, il y aurait actuellement quarante logements réquisitionnables sur la ville de Toulouse. A qui peut-on faire croire cela ?

Lorsque le problème des assurances sera réglé, nous aurons alors un deuxième goulot d'étranglement qui est celui de la force de travail des professionnels du bâtiment et ensuite celle des fabricants de matériels pour alimenter ces professionnels.

Sur ce point, j'ai eu un échange relativement vif avec M. le préfet, lors de la première réunion du comité de suivi médical. La question que je posais était de savoir si on avait les moyens scientifiques d'évaluer l'impact des mauvaises conditions de vie et de logement prolongées sur l'état sanitaire de la population, et notamment l'état psychologique. Le professeur Virenque a été très clair sur ce point, en indiquant que c'était une circonstance aggravante majeure. Le fait que les secours et que le comportement des autorités, pendant ces six semaines, ont été complètement inadaptés aux besoins de la population, a créé une seconde catastrophe par rapport aux sinistrés.

La troisième période a démarré, il y a une dizaine de jours, avec la création de la cellule travaux. Elle découle du fait que, tout à coup, la préfecture, avec les premiers froids, prend conscience de l'ampleur des dégâts. Tout d'un coup, les déclarations "démagogiques" que nous faisions il y a quelques semaines deviennent réalité. Le préfet niait cette réalité et était intervenu longuement, lors de cette réunion du comité de suivi épidémiologique, pour dire que le problème du logement était réglé, parce qu'il fallait dire à la population et aux médias que ce problème était réglé, contre toute évidence. Deux ou trois semaines plus tard, ce problème devenait un problème majeur.

Quelles sont les conséquences sur la population ? Nous avons maintenant acquis, par le biais des permanences téléphoniques, la certitude, la preuve que des personnes âgées, des enfants, des personnes à la santé fragile risquent tout simplement leur vie, cet hiver, dans les quartiers du Mirail. Au-delà d'une simple augmentation des dégâts psychologiques, il y aura une augmentation du taux de mortalité si le problème des fenêtres n'est pas résolu très rapidement. Actuellement, des mesures commencent à être prises avec la cellule travaux, mais à l'évidence, elles sont très largement en deçà des problèmes.

Le dernier point, toujours dans cette phase, est l'inquiétude des populations par rapport à l'emploi. Dans les quartiers du Mirail, une population de 60 000 à 80 000 personnes a été gravement touchée psychologiquement et physiquement, et vit maintenant, et de façon prolongée, dans l'incertitude la plus totale sur ce que sera le lendemain au plan de l'habitation, de l'accueil des enfants et de l'emploi. Il est important que, dans la reconstruction de l'environnement industriel sur la partie sud de Toulouse, une place essentielle soit réservée à la question de l'emploi réservé aux quartiers sinistrés.

J'en arrive à la quatrième période. Pourquoi le premier jour les autorités ont-elles été dépassées à ce point ? Tout simplement parce que c'est un risque qui avait été nié par l'industriel et par les autorités. Dès lors que l'on ne veut pas voir un risque, on ne s'y prépare pas. Si mes informations sont exactes, lorsque les secours sont arrivés, dans les camions de pompiers, il n'y aurait eu que trois équipements pour intervenir en atmosphère polluée alors que chaque équipage comprenaient six ou huit pompiers par camion.

Je conclurai sur l'inquiétude de la population. N'y a-t-il jamais eu un seul exercice d'évacuation ? A-t-on affaire à des enfants ou à des personnes majeures ? Pourquoi tenir la population dans l'ignorance du danger ?

Henri Farrény abordera tout à l'heure la façon dont les zones de protection étaient décrites et l'adéquation entre les zones de protection, telles qu'elles sont prévues dans les plans, et celles réellement touchées. Sur ce point, il y a infantilisation de la population, c'est quelque chose de désastreux. Nous avons eu à gérer des moments de panique lorsque AZF a dégagé de l'ammoniac dans l'atmosphère. C'est nous qui avons géré ces mouvements de panique, grâce à nos permanences téléphoniques. Les autorités n'avaient rigoureusement rien pour le faire.

M. Saïd BESSAIAH : Je ne reprendrai pas ce qui a été dit et qui est tout à fait exact.

En revanche, je souhaiterais souligner une carence sur un point particulier, qui me semble importante. Nous avons perdu plus d'un mois en querelles imbéciles avec la mairie de Toulouse dont l'attitude a consisté à dire que c'est au gouvernement qu'il revenait de faire ceci ou cela. Pendant tout ce temps, nous ne recevions aucune aide, personne ne venait nous voir.

Je fais partie de l'OPAC du parc HLM de la ville de Toulouse. Nous attendions de la mairie une attitude volontariste. Si vous reprenez les déclarations dans la presse, tous médias confondus, vous constaterez que cela revient en permanence tout le temps. Encore cette semaine, il y avait des attaques contre le gouvernement, mais rien de constructif.

Pour ma part, dans un tel moment, je ne peux pas le supporter, je trouve cela intolérable. Cette attitude a énormément choqué. Chaque fois que nous demandions quelque chose, on nous répondait que cela dépendait du gouvernement. Par exemple, quand nous avons rapporté ce problème par rapport à EDF et demandé que des mesures soient prises, à la mairie, nous nous répondait que cela ne dépendait pas d'eux, qu'avec une telle entreprise, il fallait passer par le gouvernement.

Je suis désolé, le maire d'une grande ville comme Toulouse doit être capable de prendre rendez-vous avec le directeur régional d'EDF pour lui faire part d'une situation difficile. Il y a vraiment un problème à ce niveau. Je tenais à attirer votre attention sur ce point car, s'il y a une carence au niveau de l'Etat, il y en a une également au niveau de la mairie.

Ensuite, après cette période où nous avons été abandonnés par tout le monde, non pas les élus de proximité qui sont sur le terrain, mais les institutions, des réactions ont commencé à se faire une quinzaine de jours après. C'est alors qu'on nous a proposés des choses complètement stupides. Des gens, venus d'on ne sait où, nous ont proposé de poser du plastique aux fenêtres et aux portes-fenêtres.

Puis, quinze jours ou trois semaines plus tard, d'autres sont venus nous proposer du contre-plaqué, avant de passer, à la période suivante, à du Macrolon, un genre de Plexiglas. Maintenant, on nous apprend que, fin décembre ou début janvier, on nous mettra des fenêtres avec des vitres.

Que de temps perdu avec ces deux, trois, quatre opérations. C'est à se demander si on nous prend pour des imbéciles. Les artisans, qui étaient là à faire du bricolage, auraient mieux fait de s'attaquer aux problèmes. Je voudrais souligner un point, notamment sur une partie du parc HLM. Il faut l'énoncer haut et fort. Le parc fait l'objet de projets de réhabilitation en cours, qui se chevauchent à deux ou trois mois près. On se demande si, à un moment donné, il n'y a pas eu un certain intérêt à faire prendre en charge par les assurances certains travaux. Ce genre de pratique peut amuser quand il n'y a pas un gros risque, mais quand les gens sont dans une situation dramatique, on n'a pas le droit de s'amuser avec ce genre de chose.

Par ailleurs, je souhaiterai intervenir dans la deuxième partie du débat, car j'ai été, pendant vingt-trois ans, secrétaire du comité d'entreprise de Grande-Paroisse et chargé de suivre le secteur de l'engrais sur l'ensemble du territoire national.

Mme Michèle RIVASI : Nous allons peut-être poser quelques questions auxquelles répondront les personnes qui ne sont pas encore intervenues.

M. le Rapporteur : Nous avons bien compris votre message sur le fait qu'on aurait dû aller plus vite. Mais je voudrais aborder un sujet, que vous avez évoqué de manière incidente, qui est celui des assurances. Dans le traitement de ce dossier, quel a été le rôle des assurances ? A-t-il été satisfaisant ou, au contraire, le retard d'aujourd'hui est-il dû au fait que certains types de dossiers n'ont pas été traités par les assurances ? Nous avons entendu, tout à l'heure, une appréciation du président du conseil régional à ce sujet. Je souhaiterais savoir si vous la partagez.

M. Frédéric ARROU : Au titre de l'association des sinistrés, nous participons, depuis quasiment le début, au comité de suivi des victimes AZF, auquel siègent, outre les assureurs d'AZF, TotalFinaElf, le GEMA (Groupe des entreprises mutuelles d'assurance) et, parfois, la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA). Il y a eu là une instrumentalisation, un jeu notamment de la FFSA.

Nous pouvons parler de ce qui se décide et se met en place au sein de ce comité. Il y a eu cette convention qui, si elle n'a pas fait des miracles, a néanmoins été une pierre de base. La FFSA a joué avec les sinistrés, mais vraiment joué, ce n'est pas un mot en l'air, c'est-à-dire qu'un jour, elle vient, le lendemain, elle ne vient pas. Un jour, elle indique qu'elle ne signe pas la convention, mais qu'elle l'appliquera. Le lendemain, lors d'une réunion du comité de suivi des victimes, j'amène un dossier d'un assuré sur lequel apparaissent des éléments tels que déduction de vétusté, notion totalement évacuée dans la convention.

Cela montre qu'il y a ce qui se dit et ce qui se fait. A un niveau moindre, les mutuelles reproduisent ce même schéma. Aujourd'hui encore, un assuré appelle l'association pour des questions de vétusté. On peut parler de valeur de remplacement, mais pas de vétusté. Cela signifie-t-il que je vais racheter, si mon matelas a été détruit, un matelas vétuste ? Qu'elles qu'en soient les raisons politiques sous-jacentes, il y a eu un sale coup de la FFSA fait avant tout à l'encontre des sinistrés.

M. Jean-Pierre BATAILLE : L'intervention précédente me permet de rebondir sur les réactions que vous avez eues quand nous avons parlé de M. Fabius.

Nous considérons que les assurances ont été très longues à se mettre en place et je doute qu'elles fassent encore aujourd'hui leur travail. Nous allons constater, dans les mois à venir, qu'il y a toujours autant de problèmes, et pas seulement avec la FFSA mais aussi avec les mutuelles. Les gens se regroupent de plus en plus, et nous allons voir des dossiers apparaître.

Je rappellerai simplement que le collectif a dû intervenir avec force auprès des AGF pour faire bouger les choses. Si M. Fabius a pu faire une allocution à l'Assemblée nationale, il ne faut pas oublier que le matin même, nous étions en communication avec lui depuis les AGF et que le président des AGF à Paris était lui-même en communication avec M. Fabius. C'est ainsi que cela s'est traité. Si M. Fabius a joué son rôle à l'Assemblée nationale, rappelons quand même que les phrases qu'il a employées à l'Assemblée étaient exactement les phrases que nous avions pu glisser le matin même aux AGF. Je suis satisfait de voir, même avec un peu de retard, que M. Fabius allait dans notre sens.

Il s'agissait des contre-expertises bloquées à 300 000 francs. Il a fallu que les sinistrés se battent. Il n'est pas normal que ce soit un retour à la base qui permette qu'un tel sujet soit traité. Il faudrait qu'à un moment, il y ait des responsables aux plus hauts niveaux pour traiter véritablement les affaires.

Mme Jeanne MEYNADIER : Concernant l'Union des comités de quartier, nous avons des quartiers sinistrés et d'autres qui ne le sont pas. La première décision a été la solidarité des quartiers non concernés avec ceux qui malheureusement le sont, et surtout de faire connaître leurs problèmes de façon qu'il n'y ait pas de coupure entre ceux qui ont subi et ceux qui ne voient les problèmes que de très loin. Notre action a été essentiellement orientée en ce sens.

Nous n'avons pas eu de mal à trouver les sinistrés car ce sont eux qui sont venus chez nous. En effet, nous les avons accueillis dans les « mobile homes ». Nous avons reçu des sinistrés de différentes provenances, en particulier des quartiers nord, de Papus et de la cité du Parc. Nous sommes intervenus en complément des associations caritatives.

Par ailleurs, nous nous sommes préoccupés de divers aménagements pour améliorer leurs conditions de vie car il semble qu'ils soient installés là pour longtemps, ce qui est inquiétant. C'est un éventail de populations différentes, mais dans l'ensemble assez démunies avec des cas difficiles. Nous avons été frappés de voir une personne qui n'avait absolument rien, ni draps, ni ustensiles de cuisine, que nous sommes allés acheter immédiatement.

Notre préoccupation est de favoriser l'intégration de ces personnes. Sans nous substituer aux autres organisations, nous le faisons en liaison avec tous les travailleurs sociaux du secteur et nous avons eu une grande réunion aux Izards à ce sujet. Mais nous avons encouragé d'autres quartiers à agir de même de leur côté.

Nous estimons que vis-à-vis du quartier, où l'arrivée de ces nouveaux venus semblait faire hésiter certaines personnes qui ont toujours une crainte devant l'inconnu, notre rôle était important pour favoriser leur intégration et les faire accepter. A cet égard, nous avons organisé une petite fête pour les recevoir et nous les visitons souvent, sans toutefois avoir une présence trop pesante.

Mme Michèle RIVASI : Avant d'aborder la deuxième partie, je voulais vous soumettre une idée. Nous avons été très surpris, quand nous sommes allés sur le terrain, de voir tous ces logements sans vitres et le désarroi des populations.

Mon sentiment personnel est que l'Etat n'est absolument pas prêt à répondre à des catastrophes, d'où notre Commission d'enquête. Nous voyons concrètement que tout le monde sur le terrain se renvoie la balle, sans compter les problèmes politiques qui se créent. Je ne rentrerai pas dans le détail de ces problèmes, mais on sent bien que chacun veut récupérer une partie au détriment des gens.

Une proposition, à laquelle je vous laisse réfléchir, serait la création d'une cellule d'urgence, au niveau de l'Etat. Cette cellule, dont la composition reste à définir, serait en veille permanente et, en cas d'accident ou de catastrophe naturelle, comme les inondations de la Somme, pourrait se délocaliser et venir en appui des préfets et des associations, car on ne pourra jamais remplacer les associations, pour répondre aux problèmes de logement, etc.

Les associations sont indispensables, car elles sont proches des populations qui viennent facilement les voir, mais il faut que vous ayez une structure qui réponde à cela, quels que soient les partis politiques ou l'Etat, et qui réponde à la demande des gens. Or, dans le cas présent, il y a les services de la préfecture, le conseil régional qui a sa propre stratégie, le conseil général, une mairie qui joue son propre jeu. C'est pourquoi la commission d'enquête réfléchit à la création de ces outils d'urgence en fonction de la catastrophe qui surviendrait, qu'elle soit industrielle ou naturelle, et qui répondraient à la demande des gens.

Toutes vos interventions montrent qu'il y a une inefficacité des services de l'Etat. Cela renvoie ensuite au manque de confiance qu'a la population vis-à-vis des politiques. Il n'y a que les associations pour téléphoner à M. Fabius et se faire entendre par rapport à ce problème avec EDF. Cela veut bien dire qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas entre la population et l'Etat.

M. Marcel LEROUX : Il faut réfléchir à cette proposition qui paraît techniquement une idée à creuser. Néanmoins, il n'y a pas simplement des problèmes de disponibilité d'équipe, mais également tout un arsenal juridique minimum. Lors d'une situation dans laquelle une population entière est soumise à un sinistre, ce n'est plus aux sinistrés d'avoir à justifier des dégâts par rapport aux assurances. Il conviendrait d'adopter un fonctionnement par défaut, comme celui qui apparemment se met en place avec EDF et qui, dans tel périmètre, garantit un minimum de conditions de vie aux personnes.

Il faut donc l'imposer aux assurances qui n'ont pas à le discuter. Les discussions avec les assurances, les autorités, les assistantes sociales, etc. ne doivent se faire qu'à la marge de la zone sinistrée et de façon limitée. Mais il est clair qu'il y a un savoir-faire dans le domaine de la gestion de catastrophe qui nécessite des équipes.

Enfin, dernière remarque, la meilleure façon de protéger les sinistrés est encore de faire en sorte qu'il y ait le moins possible de sinistrés et que, par conséquent, les zones de protection des industries à risques soient suffisamment larges et dans lesquelles il n'y a aucune habitation.

M. le Rapporteur : Député de Meurthe-et-Moselle, département qui a connu des effondrements miniers, j'ai été rapporteur au Parlement de la loi sur l' « après-mines » votée en 1999, dont l'objet est l'indemnisation des victimes. Même si le contexte est différent car il n'y a pas eu de victimes et de dégâts matériels aussi importants, j'avais néanmoins été confronté à des questions similaires à celles que vous posez aujourd'hui, comme pour les assurances.

Dans cette loi, il est fait état, notamment sur l'expertise et la question de vétusté, de la notion de "bien de qualité et de confort équivalents". Ce sont des textes que nous vous communiquerons et sur lesquels nous appuierons au niveau des propositions.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je suis à la fois membre de la Commission d'enquête et député de cette circonscription, donc élu de terrain. Je voudrais faire part à mes collègues des dysfonctionnements que nous avons pu constater.

En ce qui concerne les surcoûts des factures EDF-GDF, je me souviens que nous avions pris rendez-vous avec le directeur départemental, il y a quinze jours. Or, avec un décalage d'une semaine, les termes de la circulaire sortie auprès des syndicalistes sont totalement différents de ce qui avait été décidé, à savoir qu'au-delà des factures en cours, tous les surcoûts seraient pris en charge directement par EDF-GDF.

Nous devons donc faire porter notre effort sur ces dysfonctionnements et cette mauvaise information, évoquées par les associations. Entre le travail accompli par les élus de proximité ou les associations, voire les institutions, il n'y a pas ce relais. Il s'agira donc de voir comment faire passer l'information aux sinistrés qui en ont réellement besoin, et non pas passer par d'autres structures qui ne sont pas directement accessibles par la population.

Mme Michèle RIVASI : Nous allons maintenant passer à la seconde phase, qui concerne l'environnement.

M. Henri FARRENY : Il faut admettre que le résultat de la catastrophe est en deçà de ce qui aurait pu se passer car, selon le rapport IGE, seuls 10 % des 200 à 400 tonnes estimées ont explosé. Il y a également le problème du phosgène. Je ne sais pas si vous avez vu le local de confinement des cuves de phosgène, mais pas plus tard qu'hier, lors de la journée du SPPPI préparatoire au Débat national, je n'ai pas réussi à dire, sans qu'on m'interrompe, que la cloison nord du local de confinement des cuves de phosgène avait été en partie endommagée ainsi que les portes du local de dépotage du chlore de la SNPE. C'est ce que Jean-Pierre Bataille, Dominique Gilbon, ici présents, et moi-même avons constaté le 23 octobre lors de la visite du SPPPI à la SNPE. Ce sont des événements extrêmement graves qui sont encore cachés, y compris à vous-mêmes ce matin.

Comment voulez-vous que nous fassions confiance si, dans une enceinte comme hier, je n'ai pas pu finir de m'exprimer. Quelqu'un de la SNPE m'a empêché de parler. Le président de séance, président du SPPI, présent lors de la visite du 23 octobre, n'a pas relevé le fait que l'on démentait publiquement que le local de confinement des cuves de phosgène a été endommagée.

Je dis cela parce que l'accident qui est intervenu a surpris, mais nous aurions été moins surpris par un accident provoqué différemment, peut-être un attentat ou un acte de malveillance ou chute d'avion. Il y a douze ans, quelques-uns parmi nous demandaient que l'on enquête sur les dangers présentés par cette zone par rapport aux attentats, aux actes de malveillance et aux avions dont cent cinquante passent chaque jour au-dessus de la zone. Le danger présenté par les avions, dont il est obligatoire d'étudier les conséquences, notamment selon les termes de la circulaire ministérielle Bourchadeau du 28 décembre 1983, ne l'a jamais été, ou alors de façon confidentielle.

Nous sommes donc passés à côté d'un très grave accident. J'insiste que vous employez tous les moyens nécessaires, en tant que représentation du parlement, pour la vérité sur le phosgène, telle que je viens de vous la décrire, apparaisse dans les médias. Sinon nous ne pouvons plus avoir confiance. Pour ma part, je n'ai plus confiance en mon président de SPPPI qui ne relève pas la désinformation qui se fait dans un lieu où nous étions là pour donner l'information.

Les mesures techniques que vous préconisez pour les prochains plans sont tout à fait intéressantes. Mais les plans qui existaient, pour lesquels nous avons essuyé nos fonds de culotte pendant des années, depuis le 7 février 1990, n'ont pas fonctionné. Même les sirènes n'ont pas fonctionné. Sur le site de Toulouse-sud, il y aurait dû y avoir trois sirènes, il n'y en avait que deux. A la SNPE , contrairement aux arrêtés préfectoraux, il n'y avait pas de sirène.

D'autre part, quelqu'un aurait dû les déclencher, cela n'a pas été fait. Il y a donc des responsables. En temps de guerre, quand l'officier ne fait pas son travail, on lui demande des comptes. Il faut demander des comptes sur les raisons pour lesquelles les deux sirènes n'ont pas été déclenchées. La sirène de Tolochimie n'a pas été déclenchée, il faut demander des comptes au responsable.

On s'occupe de Kaboul, paraît-il, mais les moyens militaires du préfet pour communiquer avec les pompiers étaient en panne. Le système radio de communication, appelé Hugo, spécialement dédié à ce type d'événement, s'est effondré : un relais installé sur la tour hertzienne de Ramonville a été emporté par le souffle. Hugo est tombé par terre, d'où aucune communication entre les pompiers. Ce sont des conditions sur lesquelles nous avions réfléchi pendant onze ans.

J'en arrive au nitrate d'ammonium. Le rapport Barthélémy, entre les lignes, indique que le nitrate d'ammonium devait être classé Seveso. Comment se fait-il qu'il ne l'ait pas été ? Je me rappelle que, dans les années 90-94, au sein du SPPPI, nous avions lutté pour que ce produit soit classé Seveso. En 1989, le stockage de nitrate d'ammonium était de 17 000 tonnes, nitrates agricoles et industriels confondus, alors que les stockages de nitrates devaient à l'époque être classés Seveso, dès lors qu'ils dépassaient 5000 tonnes pour les nitrates agricoles ou 2500 seulement pour les nitrates industriels. Il fallait le classer Seveso, mais cela n'a pas été fait.

Dans un document conçu par la commission information du SPPPI, publié en 1994 et diffusé au public, il est indiqué en toutes lettres que les trois usines de Toulouse-sud sont classées Seveso en raison du phosgène, du chlore et de l'ammoniac, gaz toxiques, mais aussi en raison du nitrate d'ammonium qui peut être à l'origine d'incendies ou d'explosions. Voici ce document. On n'ose pas dire Seveso, car on n'en avait pas le droit vu que ce n'était pas nous qui éditions, mais c'était Seveso. Qui a empêché que le nitrate d'ammonium soit classé Seveso comme c'était exigé par la réglementation ?

D'après le décret ministériel du 6 mai 1988 qui n'est jamais cité et que je n'ai pas pu citer hier, le PPI doit être révisé tous les cinq ans. Il aurait dû être révisé en 1994, puis en 1999, mais cela n'a pas été fait. A l'époque, nous nous battions pour que le PPI soit révisé, mais il y a un complexe à l'épicentre politique qui a voulu qu'on ne le fasse pas. Je demande à la République qu'elle cherche les responsables car on doit savoir ce qui s'est passé.

Concernant les périmètres PPI et PIG, le rapport IGE reconnaît à mots feutrés qu'on n'a pas du tout respecté les règles qui existaient à l'époque et, indépendamment des règles, il y a eu des prétendues expertises extrêmement critiquables. Les quelques études de danger que j'ai pu me procurer, en trichant car on ne les donne pas, sont lamentables. Je vais les donner à mes étudiants pour qu'ils les étudient et leur dire de ne jamais faire comme cela. Les prétendues expertises ont délibérément sous-dimensionné le risque de chute d'avion et les risques de diffusion de phosgène. En outre, on a retenu une zone PIG avec un seuil de 50 % de danger mortel sur le périmètre au lieu du seuil normal de 1 % de manière à la rétrécir encore. Les cuves de phosgène de la SNPE n'ont pas été prises en compte au prétexte d'un double confinement qui est réduit à des sortes de paravents.

Le rapport de l'IGE mentionne les cuves de phosgène de la SNPE, d'une contenance totale de 40 tonnes mais ignore totalement les dizaines de conteneurs d'une tonne couchés à l'air libre. 120 tonnes supplémentaires sont ainsi autorisées dont on ne trouve pas trace dans le rapport. Et encore 24 tonnes en bouteilles plus petites. Les cinq inspecteurs de l'IGE n'ont rien vu ! Il n'est pas normal que tout ceci ne soit pas consigné, que l'on ne mesure pas le danger.

Pour conclure, il n'est pas bon qu'il y ait un débat à la sauvette, il n'en sortira rien. Il y aura un coup de balancier de plus. Le conseil général ou le conseil régional se croiseront en tant que balancier en disant qu'ils étaient pour ou contre. Idem pour la ville de Toulouse. Tout cela est nul pour la démocratie et la rationalité.

Nous ne comprenons pas comment un problème politique, qui n'a pas été traité pendant vingt ans, va l'être en trois semaines. Votre instance m'est sympathique, mais il faut que vous ayez du temps. Je propose donc un moratoire. Nous sommes ici plusieurs à avoir lutté pendant longtemps pour la reconversion de ces usines, mais jamais pour les raser. En revanche, nous voulions conjuguer l'écologie, la démocratie, l'économie, etc. Cela n'a pas été fait, mais il est peut-être temps de le faire.

Il faut instaurer un moratoire et ne pas prendre des décisions à la sauvette qui opposeront les uns aux autres. Il faut débattre avec les citoyens, les chimistes pour voir comment on peut procéder. Mais si vous n'y faites pas attention, ce monstre matériel, qui était la bombe chimique cachée par des parchemins, va demeurer d'une façon ou d'une autre.

Mme Michèle RIVASI : Je suis très sensible à votre propos. La commission d'enquête ne fait pas dans l'urgence, nous avons des précédents. Nous savons que le dysfonctionnement que vous avez évoqué s'est produit ailleurs, dans d'autres situations. Il est temps de l'utiliser pour faire avancer les choses. Je peux vous affirmer que l'ensemble des membres de la Commission d'enquête souhaite faire avancer les choses, même si cela va déranger. Quand nous remettrons notre rapport, il fera certainement grincer les dents.

(Présidence de M. Claude Billard, vice-président)

M. Pierre COHEN : Je reconnais le travail qui a été accompli par M. Farrény et un certain nombre d'autres personnes en ce domaine. Au-delà du constat, notre Commission parlementaire est là pour apprécier les dysfonctionnements, et non pas pour traiter le problème de Toulouse.

Le premier dysfonctionnement vient du fait que l'étude de danger est effectuée par une entreprise et contrôlée par l'Etat, dans un cadre où l'entreprise elle-même pointe les dangers et les risques potentiels, sachant qu'elle est juge et partie, et qu'ensuite il n'y a aucune capacité de contre-expertise et de remise en cause.

Par ailleurs, s'agissant du SPPPI, il ne faut pas le minimiser car c'est un des rares endroits où ce travail s'est fait. Quand j'en discute avec mes collègues, je constate qu'il y a un grand nombre d'endroits où cela n'existe pas. On serait presque tenté, en voulant avancer, de proposer ce qui existe.

Toutefois, sachant que ce qui a existé était insuffisant, il s'agit maintenant de voir les dispositifs et les réglementations qu'il faut mettre en place pour que cela soit appliqué dans les endroits où cela ne l'est pas.

Enfin, je voudrais aborder la question des simulations. Pour ma part, je considère que pour évaluer l'adéquation entre le risque et la capacité de réaction, il est nécessaire d'organiser des simulations en grandeur nature. Cela oblige non seulement l'Etat à savoir quels sont ses moyens, mais aussi d'informer les populations. Avez-vous des propositions sur cette question ?

Mme José CAMBOU : Nous sommes parmi les associations qui ont travaillé, depuis quinze ans, sur l'ensemble de cette problématique.

Je vais vous donner très rapidement notre bilan, sachant que nous vous avons remis au début de cette audition une note. Certes, vous avez constaté que le PPPI et le PIG étaient inadaptés à la réalité du 21 septembre et que, par ailleurs, ils étaient basés sur des risques de dispersion de gaz chlore, ammoniac, phosgène. Nous avons, avec l'Etat, pendant plus de douze ans, travaillé que sur ces risques-là, ce qui me paraît déjà un point à souligner.

La réalité des risques sur la plate-forme a toujours été insuffisante en termes de connaissances et de contrôles, ce que nous avons démontré dans notre note, en une page et demie. Il est clair que, dans les risques de la plate-forme, au-delà du risque causé par les avions, un aspect que vous devez avoir en mémoire, à savoir que nous sommes sur un site ancien appartenant à l'armée.

On retrouve, sur cette plate-forme au sens global, des ballastières avec 45 à 50 000 tonnes d'explosifs et un sol où sont enfouis des résidus de la Guerre de 14-18 et des bombes, datant de la guerre de 39-45, qui n'ont pas explosé. Je ne dispose que de la cartographie des ballastières. Pour le reste, les archives sont à l'armée.

Quand nous appelons à une réhabilitation du site, c'est bien parce que nous prenons toutes ces dimensions de risques qui sont énormes. Quand nous indiquons que les accidents peuvent aller bien au-delà de ceux que nous avons connus, même s'ils sont catastrophiques, c'est parce que nous prenons l'ensemble de ces risques, y compris d'ailleurs le fait que nous sommes partiellement en zone inondable.

Le deuxième chapitre fait état du fait que l'information du public et le développement de la culture du risque ont été très faibles, compte tenu du manque de moyens financiers et de l'absence de volonté soutenue des acteurs publics. Les moyens financiers sont notamment ceux dont disposaient le SPIII pour faire de l'information, puisque c'est essentiellement le SPIII qui s'en est chargé pendant une dizaine d'années.

J'en viens à la question des enquêtes publiques, dont la dernière date de l'an dernier, et les dossiers soumis à enquête publique. Certes l'enquête publique se déroulait mieux que le minimum légal, grâce à l'action du SPIII. Toutefois, les chapitres décrivant le risque et la réalité des produits à l'aide de fiches n'étaient pas accessibles, ils étaient sous pli confidentiel. Même le commissaire enquête n'y avait pas accès.

Chaque fois que le professionnel expliquait comment évoluait la sécurité, il indiquait, je l'ai cité plus longuement dans notre note mais je vous cite au moins sa conclusion : "Permet d'améliorer la sécurité du risque". Par conséquent, augmenter les productions permettait d'augmenter la sécurité du risque. C'est ce qui était indiqué chaque fois.

Aucune enquête publique ne nous a permis d'avoir une approche globale des risques, même décrits par l'industriel. Je n'entends pas par un tiers expert. Nous n'avons jamais eu en main un document qui décrivait simplement les dangers, car les risques ne sont pas les dangers.

La gestion de l'accident et la préparation à la gestion de crise ont été insuffisantes et inadaptées à la catastrophe survenue. Les différents acteurs n'étaient pas préparés pour faire face à ces événements car porteurs d'une certitude ancrée "cela ne peut pas arriver chez nous". Je vous l'assure en connaissance de cause car, lors des débats, ils reconnaissaient que le risque zéro n'existe pas, mais dans la vie de tous les jours, c'est quand même avec cette idée qu'ils fonctionnaient.

S'agissant du zonage du PPI, il était minuscule, comme cela a déjà été souligné.

Nous avons pu constater qu'un grand nombre de personnels ne sont pas préparés, qu'il n'y a pas de culture du risque, y compris chez des gestionnaires d'espaces publics. Les informations diffusées à la population, après l'accident, certes s'améliorent, mais sont au départ complètement inexistantes et, quand elles existent, incompréhensibles.

S'agissant de l'enquête publique, je rappellerai que certaines collectivités évitent de prendre position pour ou contre pendant les enquêtes publiques.

Le point suivant concerne la maîtrise de l'urbanisme qui est, de fait, inexistante. En effet, le PIG est extrêmement sous-dimensionné. Il a été fait n'importe quoi en termes d'usages du sol tout autour de ce périmètre. Comme cela a été indiqué, nous sentons très bien, lorsque nous travaillons sur les dossiers, que l'on fait en sorte de moduler et bricoler les courbes pour s'adapter aux réalités. On y retrouve quantité d'établissements publics, écoles, hôpitaux, etc., voire une rocade autoroutière. Cela pose véritablement le problème général des responsabilités des divers acteurs publics et privés.

Les industriels, de façon répétitive, précisent qu'ils ont progressé en matière de sécurité. Les politiques affirment globalement vouloir la population mieux informée, etc., mais dans le même temps n'agissent pas. Les documents ne sont pas distribués à Toulouse. Par exemple, un an et demi après, les plaquettes n'étaient toujours pas distribuées.

Cela pose aussi le problème du rôle de l'Etat, car après le PIG de 1989, il est sorti un guide du ministère de l'Environnement en 1990, une circulaire envoyée au préfet demandant une révision du PIG, des calculs de méthodes de zonage sur les Z1 et Z2, lesquelles n'ont pas été mises en place à Toulouse. Nous sommes dans une Z tout court. Cela signifie, de fait, que l'on ne protège pratiquement personne.

Les associations ont été insuffisamment écoutées pendant quinze ans. Malgré un jeu de ping-pong entre les différents acteurs publics et privés, leurs actions ont été positives. J'ai donné un certain nombre d'exemples pour le démontrer. Je suis persuadée que si les associations n'avaient pas été aussi actives de très nombreuses fois, nous compterions maintenant par exemple, un lycée avec mille personnes de plus dans la zone. Nous n'aurions pas forcément eu tous les doubles confinements et tout un ensemble d'améliorations que nous avons acquises à la vigueur de nos propos et à l'usure de notre matière grise et de notre énergie. Malheureusement, nous n'avons pas tout évité. Je ne parle pas de toutes les opérations de porte à porte pour distribuer de l'information.

Nous considérons que les pouvoirs publics, dans la longueur du temps, n'ont pas assumé leur rôle. Par ailleurs, la fédération UMINATE s'associe aux propositions que fait la fédération France Nature Environnement.

UMINATE s'est formellement positionnée pour demander la réhabilitation de la plate-forme et la fermeture des usines avec un travail pour analyser les productions actuelles. S'il s'avère que ces productions sont toujours nécessaires et ne sont pas obsolètes, nous souhaitons qu'un cahier des charges du type grille mufti- critères soit élaboré. Cela permettra de rechercher des zones possibles pour établir des pôles industriels aux normes actuelles et dans des conditions de sécurité et de protection de l'environnement adaptées.

M. Jean-Pierre BATAILLE : Je voudrais revenir sur quelques points, dont un évoqué par M. Farrény et qui me paraît essentiel. Il y a détention actuellement d'informations de la part de la SNPE, c'est-à-dire en quelque sorte de l'Etat, et nous ne sommes pas en mesure de savoir exactement ce qui s'est passé le lendemain de l'explosion.

Je voudrais faire une remarque auprès de la commission. Votre travail doit continuer jusqu'en février 2002, alors que M. Jospin, si j'ai bien compris, aura déjà donné son avis sur le devenir du pôle chimique.

Il est très regrettable que le travail de la seule commission qui semble se mettre en place pour véritablement faire ressortir la vérité, grâce à l'audition d'intervenants de diverses origines, ne pourra pas paraître avant que M. Jospin prenne sa décision.

M. le Président : Nous pouvons supposer que le Premier ministre sera amené à se prononcer dans le cadre d'un rapport d'étape, qu'il ne manquera pas de consulter, au-delà des consultations permanentes qui se tiennent entre les services du Premier ministre et le rapporteur.

M. Jean-Pierre BATAILLE : J'insiste sur le fait que la situation par rapport à la SNPE n'est pas très claire. Puis je reviendrai sur ce qui a été dit dans la première partie.

Par rapport à la situation, les pouvoirs publics et les dirigeants sont toujours à la traîne. C'est vraiment regrettable. Je vous cite quelques dates pour situer les choses.

Lors de la réunion du SPIII, le 4 octobre, instance que le collectif "Plus jamais ça" a intégré sans aucun problème, ce dont je me félicite, nous soulevions le problème du phosgène, sur lequel nous avions très fortement insisté.

Il a fallu cette intervention du SPIII pour que le préfet prenne en compte ce problème et annonce, le 5 octobre lors d'une conférence de presse, que le phosgène devait être évacué. Or depuis l'explosion, nous avions vis-à-vis de ce produit des inquiétudes que nous avions fait connaître. Il a fallu néanmoins attendre le 5 octobre pour que le préfet prenne cette décision publiquement.

M. Malvy, président du conseil régional, et moi-même, en tant que simple citoyen, avons découvert un certain fonctionnement. Le 11 octobre, M. Malvy nous a indiqués qu'il n'avait aucun contact avec la préfecture, pour tout ce qui concernait les problèmes de sécurité. C'est à la suite de cette rencontre avec mes amis et moi-même qu'il a pris conscience des problèmes de sécurité liés aux produits toxiques stockés sur cette zone. A cet égard, je vous transmettrai le compte rendu de cette réunion et la lettre qu'il a ensuite adressée au préfet. Il est tout de même regrettable que le président du conseil régional attende le 11 octobre, suite à la visite de simples citoyens associatifs, pour prendre des décisions auprès du préfet.

Le problème majeur que je relèverai est celui du confinement. Il n'est pas possible actuellement, suite à cette explosion, de confiner une population de l'importance de celle de Toulouse, au cas où un nouvel accident surviendrait. Depuis deux mois, ce problème reste omniprésent à Toulouse.

M. Dominique GILBON : Je voudrais insister sur le fait qu'on a beaucoup misé sur le secrétariat permanent de prévention des problèmes industriels.

En réponse à la proposition avancée par Mme Rivasi, nous disposions déjà à Toulouse, d'une certaine manière, de cette cellule qui pouvait avoir la capacité d'analyser les problèmes et rechercher des réactions qui soient opportunes, efficaces, rapides. Nous avons pu constater que, de fait, ce système n'a pas entièrement fonctionné.

D'une certaine manière, tout ce que nous avons souhaité, depuis dix ans, avec le SPIII avait souvent été arraché par la force. Le point de vue des associations était toujours minoré. Nous avons dû monter au créneau lors des enquêtes publiques sur les extensions de secteurs ou d'activités autour du phosgène. Il ne faut pas oublier qu'une multitude d'incidents s'étaient déjà produits au cours des années précédentes dont le 4 août 1997, le 27 mai 1998, le 29 août 2000.

Lors de l'incident survenu sur le site d'AZF le 4 août 1997, ce qui ne nous fait pas remonter si loin en arrière, a donné lieu à une explosion avec des flammes. Nous n'avons jamais su exactement ce qui s'était passé. Même le SPIII n'a pas été en mesure d'obtenir une explication sur cette explosion. Concernant les lâchers de gaz, nous avons eu des explications selon lesquelles il y aurait eu dysfonctionnement au niveau de vannes.

Nous considérons que le secrétariat permanent de prévention n'a jamais eu suffisamment de force pour nous donner une confiance absolue en la sécurité. Nous avons quelque part l'impression d'avoir siégé dans une instance qui était une forme de caution d'une démocratie locale, sans pour autant oublier les résultats que nous avons obtenus et qui ne sont pas insignifiants.

Cela n'empêche qu'au mois de juillet, je redemandais au conseil municipal la mise en place de cet exercice d'alerte grandeur nature, que le préfet aurait dû faire depuis un certain nombre d'années. M. Saval l'avait également réclamé lors la dernière assemblée générale du SPIII.

Par ailleurs, j'avais demandé à l'ORAMIP (Observatoire régional de l'air en Midi-Pyrénées), dont je suis l'un des administrateurs, des explications sur un lâcher de gaz incompréhensible, explications que je n'ai jamais obtenues.

A force d'incidents sans explication, on finit par considérer qu'on est dans une situation de risque permanent. Il y a une culture du secret qui est entretenue et dans laquelle nous n'arrivons pas à pénétrer de plein pied. Les responsables de la DRIRE ont peut-être des communications spéciales, je l'espère.

Toutefois, il serait profitable que les associations, qui ont donné beaucoup de leur personne et de leur temps en participant à ces actions, soient respectées un minimum et qu'on leur communique, d'une manière évidente, les dossiers, les documents. Ceci pour que les 3 500 francs par an que l'Etat alloue aux Amis de la terre pour fonctionner, pour siéger dans ces instances, trouvent une justification.

Je suis là quelque peu ironique car, quand que je parle de démocratie participative, il me semble que c'est une insulte que d'attribuer "Aux amis de la terre" 3 500 francs pour faire le travail qu'elle accomplit, sans énumérer la liste des instances auxquelles nous siégeons, en prenant sur notre temps et en payant de notre poche un certain nombre de fonctionnements qui sont indispensables.

Je considère que tout cela nous donne un droit supplémentaire d'être particulièrement agressifs envers un Etat qui n'est pas encore acquis à une culture du respect véritable des associations.

Nous aspirons encore beaucoup à cette démocratie participative qui est un mouvement que l'on sent naître dans ce gouvernement. Mais il est nécessaire de trouver une formule qui donne aux associations une véritable place -voire dignité-, qui ne soit pas artificielle, mais qui nous permette de servir de fusible, dans certains cas, entre des pouvoirs publics qui ont à appliquer un certain nombre de réglementations et les populations.

Il est indispensable que le courant passe, et s'il ne passe pas entre les pouvoirs publics et les populations, par l'intermédiaire des associations, nous allons vers des conflits. C'est grave dans de telles situations, mais aussi dans la vie journalière des populations. Mon intervention sera essentiellement pour faire en sorte qu'on veille particulièrement, et à l'éclairage de cet accident, sur le rôle des associations et leur travail pour être l'interface entre les pouvoirs publics et les populations.

M. le Rapporteur : Votre intervention souligne des éléments majeurs. Il y a aujourd'hui une demande pour qu'un dialogue s'instaure entre le politique et l'expert qui fonctionnaient jusqu'alors entre eux, et le citoyen, via les associations. C'est un des thèmes sur lesquels nous travaillons à l'Assemblée nationale.

Je voudrais maintenant vous soumettre une proposition et avoir votre opinion sur celle-ci. Les commissions locales d'information (CLI), dans le domaine du nucléaire, ont beaucoup travaillé pour qu'il y ait une réelle participation des citoyens. Elles ont obtenu à un moment donné, dans une culture qui était une culture du secret, beaucoup plus de transparence et notamment une échelle des risques avec obligation de signaler tout incident. Cela signifie que les CLI, dans le domaine nucléaire, sont beaucoup mieux informées des accidents et quasi-accidents que dans le domaine du risque industriel chimique classique.

M. Saïd BESSAIAH : Je voudrais intervenir pour dire que je suis tout à fait d'accord avec M. Farrény sur un point, c'est qu'aujourd'hui le moratoire est indispensable. On ne peut pas laisser des populations sinistrées en antagonisme avec des travailleurs.

Par ailleurs, il est possible aujourd'hui de parler de moratoire, car toutes les activités sur le site ont été suspendues et que phosgène sera bientôt définitivement évacué. Cela nous donne aujourd'hui le temps de prendre de véritables décisions en examinant bien la situation. Sinon le risque serait de fermer le site et de le reconstruire ailleurs, sans avoir tiré les enseignements de ce qui s'est passé sur Toulouse.

Pendant vingt-trois ans, j'ai été responsable du CE, du CCE et du CHSCT de Grande-Paroisse. Je connais donc bien le problème. Nous sommes dans une industrie qui est dominée par l'Union des industries chimiques (UIC). Ce sont des patrons de droit divin qui décident seuls. Pour leur part, les instances représentatives des travailleurs ont un minimum d'informations. C'est catastrophique.

Sur cette usine, les effectifs sont passés, en trente ans, de 4 000 à 450 salariés, par le biais de plans sociaux FNE. C'est particulièrement dommageable parce qu'ainsi, on a écrêté en perdant la qualité, l'histoire de cette usine, ce qui a conduit à faire des bêtises énormes.

Par exemple, par simple mesure d'âge, on a supprimé une catégorie de personnels qui avaient pour tâche de tenir à jour les plans de l'entreprise. Maintenant, quand on entreprend des travaux et qu'on pioche sur ce site, on ne sait même plus sur quoi on travaille.

Ce sont aussi des métiers sur lesquels il faut des professionnels qui aient la connaissance du travail, d'où un arrêt de la sous-traitance et de l'intérim.

En dernier point, je tiens à souligner qu'en vingt-trois ans dans cette usine, je n'ai participé qu'à deux ou trois alertes, uniquement air eau pollution, et rien d'autre. De plus, depuis trente ans que j'habite la cité Papus, je n'ai reçu qu'une seule note d'information.

M. Marcel LEROUX : En préambule, je voudrais rappeler que l'Etat est chargé de la sécurité des citoyens et qu'à ce titre, nous observons une distorsion terrible entre les zones de sécurité Z1 et Z2, telles que calculées de façon fantaisiste, et les zones de danger.

Il est du devoir de l'Etat de calculer les zones de danger en prenant en compte l'incident le plus grave ou encore la ou les cuves des produits dangereux qui seraient crevés simultanément, avec l'effet domino qui inclut les produits intermédiaires. L'Etat doit se donner les moyens de désertifier les zones dangereuses, en termes de logements et d'activités autres que l'industrie chimique.

Concernant le pouvoir de contrôle de la DRIRE, des CHSCT et des citoyens, je prendrai l'exemple de la MEDE. Il y a neuf ans, une vanne a explosé, causant un incendie et entraînant la mort de six personnes. Selon les informations contenues dans la documentation du ministère de l'Environnement, cette vanne n'avait pas été contrôlée depuis douze ans et avait un trou de 25 millimètres.

Nous faisons la proposition suivante. Lorsque les employés rédigent une fiche de demande de maintenance, il conviendrait que cette fiche soit transmise à la DRIRE, mais à une DRIRE beaucoup plus étoffée qu'actuellement, ayant les moyens d'intervenir sur le site. Concrètement, l'agent de la DRIRE prend au hasard une fiche et vérifie si le travail a été effectué, en parallèle avec des inspections inopinées afin de vérifier l'état général du site. Ces fiches pourraient être transmises à un organisme représentant les associations d'environnement, lequel aurait également un pouvoir de contrôle.

La limite invoquée actuellement est que tout est fait en fonction de l'état actuel des connaissances. Cela nous est présenté comme un absolu. Or ce n'est pas vrai. Cela se fait dans le cadre de l'économiquement acceptable. C'est là une des différences majeures avec les centrales nucléaires.

En effet, les industriels dans le secteur chimique n'ont pas à faire à l'Etat, même lorsque ce sont des capitaux d'Etat. C'est un secteur concurrentiel dont l'objectif premier n'est pas de fabriquer des produits chimiques, mais de faire du bénéfice. Il y a donc une contradiction claire entre ce qui devrait être fait, au plan de la sécurité, et ce qui est économiquement acceptable.

Ensuite, il y a les limites imposées par le secret industriel, le secret militaire et l'intérêt des collectivités locales. Mais des moyens pourraient être mis en _uvre pour faire en sorte qu'une instance, type DRIRE et associations de citoyens, assure un contrôle effectif.

Mme Jeanne MEYNADIER : Les associations que je représente ici ce soir se sont immédiatement inquiétées de ne pas réduire le problème, quel qu'il soit, au cas seul d'AZF et du site chimique de la plate-forme sud de Toulouse.

J'habite au nord de Toulouse. Au moment de l'explosion, dans ma candeur naïve, je n'ai pas pensé que cela pouvait être la plate-forme sud, que j'étais trop loin pour l'entendre, voire subir quelques menus dégâts au niveau des vitres. J'ai plutôt pensé à la petite s_ur d'AZF, c'est-à-dire Soferti Nord.

Par ailleurs, nous avons des zones industrielles en cours ou en création qui posent de sérieux problèmes, d'où l'importance de s'interroger, si après l'accident d'AZF, nous allons continuer comme avant. Nous avons, en ce sens, adressé une lettre au ministère de l'Environnement. Nous avons également élaboré un document dont nous aimerions que quelques remarques soient prises en compte par les représentants de l'Etat.

Nous avons déposé un document à l'assemblée générale du SPPPI. Dans les problématiques à débattre, nous soulevons deux questions fondamentales :

- appréhender les risques industriels (nature, intensité, échelle, etc.).

- leur localisation.

Ce deuxième aspect n'avait pas beaucoup été abordé jusqu'ici, en particulier les concentrations et les sites à risques multiples. Par ailleurs, avec les autres personnes ici présentes, nous nous sommes tous posés la même question fondamentale, à savoir si le risque industriel est inéluctable ou non. Est-ce un mal nécessaire que nous pouvons ou pas accepter, ou peut se poser la question de le réduire, voire de l'éliminer, en débattant de la nature de la production ? Certes l'aboutissement d'une telle question n'est pas pour demain, mais cette démarche permettrait de renverser la vapeur dans les problèmes des risques.

Suivent d'autres propositions d'action, notamment en cas de crise. Par exemple, le préfet ne dispose pas des pleins pouvoirs, en cas de catastrophe, pour obliger la fermeture d'établissements tels que Soferti. Ce sont des suspensions provisoires qui permettent aux activités de reprendre quelque temps après.

Nous avons aussi abordé la question du suivi sanitaire. Dans la prévention des catastrophes, nous insistons également sur la notion de territoire et de population, notion qui n'est pas présente actuellement dans la planification et la réglementation urbaine. Les procédures installations classées restent ponctuelles, de même que le permis de construire. Certains cas particuliers sont aberrants comme celui de Ginestou, qui permet d'aligner X opérations les unes à côté des autres, sans connaître l'impact global de ces mesures.

Nous demandons un recensement complet des sites à risques majeurs qui sont au nombre de six sur la zone nord, dont un seul classé Seveso et deux assimilés. Il y en a d'autres ailleurs dans toute la région. Nous demandons le même traitement pour l'ensemble des sites de la région.

Nous insistons, à la fin de notre document, sur le fait que la gestion des risques et nuisances ne peut être laissée à la seule appréciation de ceux qui les produisent, que les responsabilités de l'exploitant et des administrations relèvent de l'intérêt public. Par conséquent, nous demandons une autre approche des problèmes industriels, une réforme des procédures, un contrôle régulier et la participation de la population. Nous souhaiterions avoir des réponses sur ces points.

Ceci est un tract dont le texte semble farfelu mais qui ne l'est pas, hélas, sur les augmentations de ces zones industrielles par petits bouts, notamment avec les extensions de capacité accordées de façon assez complaisante, semble-t-il. Cela montre aussi le saucissonnage du plan Ginestous. Les annexes sécurité et danger sont cachées ou absentes des dossiers d'enquête publique. Par exemple, le dossier risque étant confidentiel, nous ne savons pas ce qu'il en est.

D'autre part, sur le fonctionnement même des institutions, la confiance des populations est gravement ébranlée tant vis-à-vis de la mairie que des institutions de l'Etat. Bien que nous demandions un contrôle accru, les CLIS ne sont pas du tout respectées. A titre d'exemple, quatre explosions se sont produites à l'incinérateur de la SETMI au Mirail. Les représentants qui siègent à la CLIS l'ont appris par la presse. Ils n'en ont même pas été informés directement.

Quant à la CLIS récemment créée de Ginestous, en deux ans, elle n'a été convoquée qu'une seule fois, avec un compte-rendu erroné qui n'a même pas été rectifié. Ensuite, à toute demande de nouvelle réunion, la réponse a été négative. Si vous voulez que les gens reprennent confiance pour travailler et bâtir quelque chose en commun, il conviendrait que les institutions soient mieux respectées qu'elles ne le sont.

Mme Bérangère CHAMBON : Deux points méritent l'attention. Le premier concerne l'aménagement du territoire. D'une manière générale, il y a nécessité de revoir l'historique d'un territoire. Par exemple, concernant le site de Toulouse, qui est un ancien site militaire, nous n'avons pas accès aux archives pour retracer l'historique de ce site.

Lorsque j'ai visité la SNPE, le directeur m'a indiqué qu'une étude des sols avait récemment été effectuée et qu'en procédant à des carottages, une bombe avait été découverte.

M. le Rapporteur : Il a indiqué le contraire tout à l'heure.

Mme Bérangère CHAMBON : Je suis désolée, c'est ce qu'il m'a affirmé hier !

Il y a un autre élément important, dans le processus de décision d'autorisation, pour lequel les associations sont aussi partie prenante parce qu'elles siègent dans ces commissions. Dès lors qu'un dossier est mis à enquête publique, au-delà de toutes les lacunes déjà rappelées au niveau de l'enquête publique, il y a ce qui concerne la suite de l'enquête publique.

Nous siégeons dans les CDH, instance décisionnelle où se font les votes. Il est très important que toutes les étapes du processus de prise de décision soient révisées. Les personnes qui siègent dans ces commissions devraient pouvoir suivre des formations. Très souvent, elles ne maîtrisent pas le sujet dont on débat, d'où des votes faits d'une manière tout à fait légère. La façon dont sont informés les membres qui siègent devrait être organisée d'une manière différente.

Ensuite, vient le suivi des décisions. Quand l'arrêté préfectoral est pris, il y a un suivi à mettre en place. On évoque les CLIS, pourquoi pas, mais il y a un manque de moyens absolument phénoménal pour faire ce suivi.

M. Alain CIEKANSKI : Je partage tous les propos qui ont été tenus jusqu'à maintenant.

En revanche, je souhaiterai aborder un autre domaine. Nous avons pu constater que les contrôles de tous ces sites à risques étaient effectués par un corps d'ingénieurs, issu uniquement de l'école des Mines. Il nous semble que ces ingénieurs sont formés dans un certain moule, et toute leur carrière dépend du développement industriel et de ces industriels. Notre impression est qu'ils ne sont pas totalement indépendants.

Il conviendrait de mettre en place un corps équivalent à ces contrôleurs, mais dépendant directement du ministère de l'Environnement, et non pas uniquement du ministère de l'Industrie. C'est un point très concret.

Ensuite, je voudrais revenir sur ce qui s'est passé à Toulouse en ce qui concerne les dégâts. L'explosion qui a eu lieu est un véritable acte de guerre. Selon certains chiffres, on parle de 200 tonnes de TNT qui auraient explosé sauté. Les problèmes qui ont été traités jusqu'à présent, c'est l'urgence, c'est-à-dire permettre aux habitants d'affronter l'hiver, de se calfeutrer au minimum. Parfois, on n'a considéré que les problèmes de vitres.

Or les populations subissent des problèmes très graves. Par exemple, des familles entières vivent en respirant de l'amiante, de la laine de verre, dans des cités et encore actuellement. Des architectes sont intervenus dans des sites et rencontrent des familles avec les yeux irrités, les bronches prises, et qui respirent en permanence ces poussières.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de

M. Hubert FOURNIER,

Préfet de la région Midi-Pyrénées, Préfet de Haute-Garonne

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

M. Hubert Fournier est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Hubert Fournier prête serment.

M. le Président : Je vous remercie d'être présent ce soir. Si vous n'avez pas d'exposé liminaire, nous pouvons poursuivre votre audition sous forme de questions et réponses.

M. le Rapporteur : Je vais essayer de résumer ce que j'ai entendu aujourd'hui. Un certain nombre de personnes ont indiqué qu'il y avait une nécessité de mieux coordonner les moyens de l'Etat.

En particulier, certains membres des associations ont indiqué, tant sur la gestion de l'accident que sur la préparation d'instruments administratifs permettant de faire coexister des établissements industriels aux alentours des villes, qu'il y avait eu un certain nombre de problèmes.

Je cite : les études de danger, qui sont plus du ressort de la DRIRE mais qui est sous votre responsabilité, qui n'avaient pas été suffisamment expertisées ; des périmètres de protection contestés, certains ont souligné à géométrie variable, à savoir qu'ils s'adaptaient très bien à la configuration de la ville. Par ailleurs, dans la gestion de l'après-crise, un certain nombre de reproches et de critiques ont été faits à l'égard de l'Etat, des collectivités et des assurances. Pourriez-vous nous expliquer la manière dont vous avez organisé les secours ?

Par ailleurs, il a été noté que les plans particuliers d'intervention (PPI) n'avaient pas été révisées, alors que c'était obligatoire dès 1994, qu'un « retard à l'allumage » était constaté sur les études de danger dans le cadre de la directive Seveso 2 et un manque de pression de l'Etat vis-à-vis des industriels pour imposer des dimensionnements différents, des nouveaux process techniques ou des seuils de stockage révisés. Ce sont les deux types de questions qui sont revenues lors des différentes auditions.

M. Hubert FOURNIER : Je commencerai par la gestion de la crise, car un certain nombre de points méritent d'être précisés, sachant que j'ai eu l'occasion de m'en exprimer à plusieurs reprises, notamment lors de l'assemblée générale du SPPPI.

Cette instance, qui permet de réunir les instances de l'Etat, les industriels, les associations, les organisations syndicales, et qui me paraît être un lieu de concertation utile, s'est révélée particulièrement importante, après le 21 septembre, pour aider à un dialogue, même difficile, parfois rude, mais indispensable.

J'étais à la préfecture dans mon bureau lorsque l'explosion a eu lieu. J'ai donc senti à la fois la secousse, entendu la déflagration et vu mes vitres voler en éclats dans mon bureau. Aussitôt, je suis allé vers le bureau de mon directeur de cabinet.

Nous avons, dans les minutes qui ont suivi, lancé le mécanisme de mise en place de la cellule de crise, ce que nous appelons CED dans notre jargon. Notre première préoccupation a été de savoir d'où venait l'explosion. Chacun a cru que cela s'était passé à côté de chez lui. Par conséquent, au départ, nous avons pensé que c'était place Saint-Etienne, rue Sainte-Anne. Puis, peu à peu, nous avons entendu, notamment par réseau radio, des informations. Il a fallu quelques minutes avant de savoir que cela venait d'AZF.

La cellule de crise a été mise en place tout de suite, avec les difficultés de communication que vous imaginez. Cela fait partie des points importants. Puis, nous avons eu deux préoccupations majeures : l'organisation des secours, s'assurer de l'acheminement des secours et la bonne coordination de l'ensemble des forces de police et de gendarmerie avec les sapeurs-pompiers, le Samu et l'ensemble de ceux qui sont chargés des soins médicaux. Ce dispositif s'est mis en place assez rapidement avec quelques difficultés d'accès, notamment pour les sapeurs-pompiers.

S'agissant des moyens de transmission, nous avions à notre disposition les moyens radios, le RIMBAUD, mais qui ne couvre que quelques interlocuteurs. Nous avons eu une difficulté liée au fait que certaines installations d'ordre mobile ont été touchées par l'explosion. Les réseaux fixes n'ont pas été touchés, mais ils ont connu le problème lié à la multiplication des liaisons souhaitées par chacun. C'est la sur-saturation du réseau qui, pour une large part, a été responsable de ces difficultés.

Le premier souci a donc été de mesurer l'ampleur de la catastrophe et d'organiser concrètement les secours, de s'assurer que l'ensemble des acteurs se mettaient en place, à la fois sur site et à la cellule de crise, de façon à pouvoir rassembler l'ensemble de ceux qui sont prévus dans une telle situation.

Notre deuxième préoccupation a été de savoir très rapidement si le nuage qu'on nous signalait était toxique ou non toxique. Cela a été une inquiétude très grande, d'où la décision prise très rapidement de conseiller à la population le confinement. Je voudrais d'ailleurs m'en expliquer car c'est un point qui a fait l'objet de critiques de la part d'un certain nombre de personnes, d'ailleurs tout à fait compréhensibles compte tenu du fait que beaucoup de fenêtres avaient explosé.

Je dirai deux choses. La première est que, dans une situation de ce type, il n'y a pas trois situations possibles, mais deux : soit l'évacuation, soit le confinement. La question se posait de savoir pour laquelle opter, compte tenu des circonstances particulières, pas prévues bien évidemment dans le cadre du PPPI, j'y reviendrai tout à l'heure, et pour cause, compte tenu de la nature du sinistre.

J'ai donc décidé de maintenir la décision prévue par le PPPI de confinement pour deux raisons. La première est que, certes, beaucoup de fenêtres avaient explosé, mais le nuage pouvait éventuellement concerner une population beaucoup plus importante, sur l'ensemble de l'agglomération toulousaine. Par conséquent, il était prudent d'envisager cette hypothèse et donc de faire en sorte qu'une partie importante de la population puisse quand même être mise à l'abri.

La deuxième raison portait sur des questions de circulation. Dans une situation de ce type, si chacun prend sa voiture pour quitter, séance tenante, le lieu où il se trouve, cela aggrave les conditions de circulation de façon épouvantable et pose des problèmes énormes supplémentaires aux secours.

C'est la raison pour laquelle cette décision a été prise. J'ai d'ailleurs eu connaissance très rapidement que les premières analyses montraient que le nuage n'était pas toxique. Néanmoins, par précaution, il m'a semblé préférable de maintenir cette décision qui est restée en vigueur jusqu'à plus de 16 heures, cet après-midi-là, et qui a présenté moins d'inconvénients que d'avantages.

M. le Président : Hier, nous avons auditionné, à Paris, le directeur de la sécurité et de la défense civiles, M. Sappin, qui nous a expliqué que vous n'aviez pas les moyens de déterminer la nature de ce nuage. Or vous venez de nous dire que vous saviez qu'il n'était pas toxique alors que, lui, nous a indiqué que, suite à ce nuage, quelques spectromètres de masse seront achetés.

M. Hubert FOURNIER : Nous avions des moyens que le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) avait sur place, avec la cellule d'intervention chimique, qui lui a permis de faire quelques mesures, certes pas sophistiquées. Ensuite, l'observatoire régional de l'Air Midi-Pyrénées (ORAMIP), organisme qui permet de surveiller la qualité de l'air, nous a permis de faire des mesures régulières. Le SDIS pourrait certainement vous confirmer que rapidement il a considéré qu'il n'y avait pas de toxicité dans le nuage.

Cela ne signifie pas que nous ayons disposé d'instruments sophistiqués, ce qui n'est donc pas en contradiction nécessairement avec ce qu'a pu vous dire M. Sappin. Cela pose la question de la présence rapide des moyens de détection, mais nous avons eu quand même assez rapidement quelques éléments qui nous permettaient de considérer que le risque n'était pas important.

J'ajoute, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, que j'ai néanmoins maintenu la décision jusqu'à un peu plus de 16 heures, en considérant que, dans le contexte, compte tenu des risques potentiels de sécurité du site lui-même, il était sans doute préférable d'attendre avant de prendre une décision arrêtant le confinement.

Je ne sais pas si vous avez auditionné le colonel commandant le SDIS, mais c'est effectivement un point à évoquer. J'ai un rapport du SDIS que j'avais demandé peu de temps après pour pouvoir justement revoir la façon dont les choses se sont déroulées et qui donne quelques indications.

M. le Président : C'est intéressant. Au fond, vous avez choisi de dire qu'il n'y avait pas de danger alors que vous n'en étiez pas sûr.

M. Hubert FOURNIER : Non, c'est inexact. Je vous dis que j'ai maintenu la décision de confinement précisément jusqu'à un peu plus de 16 heures. J'ai reçu les premiers éléments d'information vers 11 heures ou 11 h15, si ma mémoire est bonne. J'ai néanmoins maintenu les mesures de confinement, précisément par précaution, en considérant que c'étaient les premières mesures et qu'en plus, il y avait peut-être des risques au voisinage. Je savais qu'il y avait de l'ammoniac, du chlore, du phosgène à la SNPE. J'ai donc préféré attendre plusieurs heures avant de prendre la décision consistant à arrêter le confinement.

J'évoquais, à l'instant, la question de la sécurité du site. Cette question a été au centre de mes préoccupations pendant les heures qui ont suivi l'explosion et les jours suivants. Cela a été à la fois une angoisse de la population et une préoccupation par rapport à l'intervention des secours.

A plusieurs reprises, les secours ont dû évacuer le site parce que nous avions des craintes par rapport notamment à des risques de toxicité, en particulier de l'ammoniac. C'est donc une préoccupation qui a été la mienne et celle du DRIRE pendant une période assez longue.

Après avoir pris l'arrêté de suspension d'activité dès après l'explosion, puis des arrêtés successifs selon les entreprises concernées, j'ai considéré avec le ministère de l'Environnement qu'il était souhaitable d'évacuer les produits les plus toxiques. En effet, dès lors que le redémarrage de l'activité n'était pas à l'ordre du jour, comme l'avait indiqué le Premier ministre dès le 28 septembre, et qu'il y avait une réelle inquiétude de la population, il m'a semblé préférable de procéder à l'évacuation ou à la neutralisation de l'ensemble des produits toxiques du site. C'est ce qui a été engagé, avec un processus dont la DRIRE pourra vous parler plus longuement lors de son audition prévue pour demain.

J'ajouterai que, sur cette question importante, se pose le problème de la responsabilité respective de l'industriel et de l'Etat. L'étude de danger est de la responsabilité de l'industriel, mais avec contrôle de l'Etat.

Il est vrai que, pendant cette période, j'ai été moi-même conduit à intervenir, à plusieurs reprises, auprès d'AZF, au plus haut niveau. En effet, j'ai eu l'occasion d'avoir, plusieurs fois, le président de TotalFinaElf au téléphone pour lui faire part de mes préoccupations sur la sécurité du site et demander que des mesures importantes soient prises, notamment de surveillance et de préparation de l'évacuation des produits.

S'agissant du nitrate d'ammonium, une expertise a été demandée par la DRIRE pour associer un organisme extérieur au processus d'évacuation du nitrate d'ammonium, de telle façon que nous puissions être plus assurés de la façon dont il fallait concrètement évacuer ce produit. Il y a d'autres produits sur lesquels les procédures sont plus connues. Mais il est certain que, sur ce produit, nous avons eu des préoccupations, d'où la nécessité d'opérer des validations avant d'engager le processus d'évacuation du nitrate d'ammonium.

Pendant plusieurs semaines, la sécurité du site a été un souci majeur, en ce qui me concerne. Cela a posé la question de l'information de la population qui avait, dans ce domaine, des attentes très fortes. J'évoquais tout à l'heure les angoisses qui étaient les siennes. Cela a conduit à prévoir une alimentation du site Internet, avec des communiqués réguliers sur l'état d'avancement des processus d'évacuation et de neutralisation des produits, de telle façon à informer la population sur ce point.

M. Pierre COHEN : En ce qui concerne le déroulement des événements, nous avons eu l'information essentiellement par France-Info. J'ai d'ailleurs appris qu'il y avait une convention entre l'Etat et France-Info pour organiser la diffusion d'informations.

Dans les documents dont je disposais, les seuls risques mentionnés étaient ceux d'émanations de gaz dangereux, d'où confinement.

Nous avons entendu assez rapidement votre intervention recommandant aux gens le confinement, alors que nous attendions plutôt le déclenchement de la sirène. Ma réaction, en tant que maire, a été de considérer qu'il n'y a pas nécessité de se protéger puisqu'il n'y a pas eu le déclenchement des sirènes.

Hormis les sirènes détruites lors de l'explosion, vous aviez la possibilité, en tant que préfet, d'actionner les sirènes qui étaient démultipliées sur les sites à risques. Cela n'a pas eu de conséquence dans la mesure où, le nuage n'étant pas toxique, nous n'avons pas été dans l'obligation de faire un appel à la population pour lui demander de rester confinée. Toutefois, tout le monde n'écoute pas France-Info, et le déclenchement des sirènes, au moins pour les écoles, aurait indiqué le danger. Que s'est-il passé entre votre décision de confinement et la décision de ne pas faire actionner les sirènes qui existaient ?

M. Hubert FOURNIER : La sirène de Grande-Paroisse était par terre. Celle de Tolochimie était actionnée à notre demande et elle a fonctionné.

Nous n'avons effectivement pas actionné l'ensemble du dispositif d'alerte, en considérant que la différence majeure, par rapport à une catastrophe localisée avec un nuage localisé, connu seulement par les habitants autour de ce lieu, était que cette catastrophe avait été vécue et perçue par tous ceux qui se trouvaient dans l'agglomération.

Par conséquent, nous nous sommes interrogés sur ce qu'aurait signifié l'actionnement de l'ensemble du réseau de sirènes, dans ce contexte. Certes, la question peut être posée, de façon tout à fait légitime. Néanmoins, le réflexe de la population étant en général d'écouter la radio quand survient un événement qu'elle perçoit directement, il nous a semblé que ce n'était pas en l'occurrence nécessaire. Peut-être était-ce une erreur, je ne sais pas. Cela fait partie des éléments du debriefing que l'on peut discuter.

M. le Président : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi, aujourd'hui, il y a encore des milliers de fenêtres non réparées ?

M. Hubert FOURNIER : Je voudrais rappeler que nous avons vécu une catastrophe sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale, ce que je souhaite que l'on garde toujours présent à l'esprit sur l'ensemble des éléments qui ont été à gérer pendant cette crise. J'ai connu un certain nombre de crises au cours de ma vie professionnelle, mais heureusement je n'ai jamais vécu une situation de ce type.

S'agissant de la question des fenêtres, environ trente mille logements ont été touchés, dont onze mille extrêmement endommagés. Dans les premiers jours, après de nombreuses consultations et discussions, en particulier avec les organismes HLM, compte tenu de l'ampleur de la catastrophe, il a été envisagé, au-delà même des mesures d'urgence et vu l'arrivée prochaine de l'hiver, une formule permettant de faire des travaux que nous avons appelés dans notre jargon "provisoire durable".

Vu l'ampleur de la catastrophe et compte tenu des délais des assurances, les travaux définitifs s'étaleront forcément sur des mois et des mois, même en mobilisant la France entière.

Il a donc été décidé, dans un consensus avec l'ensemble des partenaires, d'engager à la fois ce processus de travaux de mise hors d'eau hors d'air qui permettra de passer l'hiver, puis d'engager le calendrier des travaux définitifs, tout en faisant en sorte que les habitants puissent au maximum demeurer dans leur logement.

J'indique d'ailleurs que, dans les premiers jours, la question centrale a été de chercher à avoir le moins possible de sinistrés en centre d'urgence -car il y en a eu jusqu'à cinq cents jusqu'à la fin du mois d'octobre- et de maintenir le plus de personnes possibles dans leur logement, sous réserve qu'elles l'acceptent, pour éviter des milliers de relogement.

Il y a là aussi un aspect stratégique à réfléchir : d'un côté, mobiliser le maximum de logements pour reloger ceux pour qui c'est indispensable, d'un autre, pour ceux pour qui on peut trouver des solutions, les maintenir au maximum dans leur logement. Cette seconde solution, ne serait-ce que vis-à-vis des enfants scolarisés et des habitudes de vie quotidienne, a été le souhait le plus souvent formulé par les personnes.

L'option choisie a été d'entreprendre très rapidement et le plus tôt possible ces travaux de provisoire durable, puis d'engager les processus de travaux définitifs, sachant que la situation est très différente entre le parc public et le parc privé.

Dans le parc public, nous avons pu mobiliser très fortement les organismes d'HLM, les coordonner et faire en sorte qu'ils se lancent dans des opérations sans attendre même que les assurances aient fonctionné.

En revanche, dans le parc privé, nous sommes confrontés à un système totalement éparpillé, avec à la fois du pavillonnaire et des copropriétés, lesquelles étaient souvent déjà dégradées. Cela a été une situation difficile à gérer avec des syndics qui ne sont pas toujours aptes à gérer de telles situations de crise. Par conséquent, nous avons eu à la fois une dispersion des acteurs et, sur le plan des assurances, la nécessité pour eux d'attendre que le processus des assurances se mette en place pour pouvoir engager des travaux.

Dans le parc public, tout ce qui est provisoire durable est en cours d'achèvement et sera terminé d'ici fin novembre. Nous commençons à recevoir les premiers éléments de calendrier des travaux définitifs. C'est une étape importante pour que les gens sachent que la situation ne va pas s'éterniser indéfiniment et savoir à quel moment ils vont pouvoir retrouver une situation meilleure.

Dans le parc privé, un certain nombre de mesures ont été prises pour simplifier le dispositif d'assurance et relever les seuils d'expertise contradictoire. Par ailleurs, la décision prise par le gouvernement, après l'accord de TotalFinaElf, consiste à pouvoir faire effectuer des travaux dans le parc privé qui seront réglés directement par EQUAD, l'assureur interlocuteur de TotalFinaElf. Cela permettra, dans le parc privé, de faire rapidement l'équivalent de ce que nous avons pu faire plus facilement dans le parc public.

D'autres mesures ont été prises récemment sur le surcoût du chauffage qui sera pris en charge par TotalFinaElf. Puis nous avons mis en place, dès le 7 novembre, conjointement entre l'Etat, la ville, la fédération française du bâtiment et la chambre des métiers, ce que nous avons appelé une cellule travaux, pour avoir une possibilité de contacts entre les particuliers et les entreprises qui peuvent effectuer les travaux.

Cette cellule a d'ailleurs été un des éléments qui nous ont permis de confirmer les inquiétudes que nous avions sur les délais, en matière d'assurance. En effet, la cellule a reçu un grand nombre d'appels téléphoniques sur ce point.

J'ajoute qu'une cellule sur les assurances a également été constituée et s'est mise en place le 22 novembre. Elle permet de répondre aux problèmes que peuvent rencontrer les habitants et de leur offrir des possibilités de contacts avec les assureurs pour voir comment mieux régler leur situation.

J'indique néanmoins que nous avions mis en place, dès les jours qui ont suivi l'explosion du 21 septembre, un système de numéro vert téléphonique sur les problèmes d'ordre juridique. Ce système, certes pas aussi sophistiqué que la cellule assurances que nous avons aujourd'hui, a permis néanmoins de donner un certain nombre de renseignements à la population.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Une préoccupation, qui est la mienne, concerne la gestion du temps, immédiatement après la catastrophe. Tout d'abord, avez-vous disposé d'un temps suffisant pour pouvoir faire face à tous les problèmes que vous avez rencontrés ? En effet, nous avons pu constater qu'en même temps que vous deviez prendre des dispositions urgentes, un grand nombre de personnes, que je ne citerai pas mais que chacun connaît, sont venues directement vous voir. Je vous renvoie cette question car elle m'a été posée à plusieurs reprises.

Par ailleurs, quels sont les moyens dont dispose un préfet pour rentrer en liaison avec les élus locaux ou nationaux ? En effet, nous étions dans nos quartiers, mais comment rassurer la population alors que nous n'avions aucune information ?

Enfin, comment se fait-il qu'à Toulouse, nous n'avons pu réquisitionner que quarante logements ?

Au niveau de l'information à la population, sur le problème du confinement, il est certain que les enfants par exemple devaient rester dans les écoles. Or comme vous l'avez indiqué vous-même, la plupart des parents ont pris leur voiture pour aller récupérer leurs enfants.

Comment faire passer la bonne information auprès de la population, même encore aujourd'hui ? Je prendrai, pour seul exemple, les surcoûts de chauffage. Des décisions ont été prises à cet égard, mais la population ne semble pas avoir encore été informée de l'évolution de la prise en charge de ces surcoûts de chauffage.

M. Hubert FOURNIER : Sur ce dernier point, je voudrais vous indiquer que tous les habitants des quartiers concernés recevront une lettre leur donnant toutes les décisions sur ces questions. Cette lettre, que j'ai signé vendredi, sera tirée à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Il est certain que ce besoin d'information directe, au-delà des médias, apparaît comme une question importante.

Moi-même, je tire un certain nombre d'enseignements de la gestion de l'information. Tout d'abord, il est clair que l'on n'en fait jamais trop. Par ailleurs, il est nécessaire de trouver un cadre de dialogue avec des corps intermédiaires qui peuvent aider à faire passer des messages. Certes, avec les élus, nous avons eu l'occasion de nous rencontrer à plusieurs reprises, mais peut-être aurions-nous dû mieux structurer cela.

Avec les associations, je disposais heureusement du SPPPI qui est un lieu qui a permis de faire passer un certain nombre de messages et d'avoir un dialogue. Beaucoup d'associations ont été reçues ici à la préfecture par mon équipe, notamment par le sous-préfet chargé de mission pour la politique de la ville qui a fait un travail considérable.

Je comprends que vous entendiez des inquiétudes et parfois des impatiences légitimes des habitants, mais je voudrais que vous mesuriez ce que représente l'action qui est accomplie pour tenter d'apporter des solutions à des problèmes qui sont d'une difficulté considérable.

M. le Rapporteur : Ils ont rendu hommage à votre travail personnel ainsi qu'à celui du sous-préfet Mathieu et aux services en général. En même temps, ils indiquent que l'Etat a été dépassé. C'est assez paradoxal.

M. Hubert FOURNIER : Il est certain que, pendant les premières semaines, je me suis trouvé dans une situation où j'ai eu beaucoup de choses à gérer en même temps.

Je crois que, pour ma part, des visites de personnalités créent un travail important supplémentaire. Mais il me semble parfaitement légitime, voire nécessaire, que les plus hautes autorités de l'Etat se rendent compte de la situation pour réellement en mesurer la gravité.

Pour répondre à votre question, ces visites représentent certes un travail supplémentaire, mais il est inévitable. J'indiquerai simplement qu'il a pu m'arriver, dans les jours qui ont suivi, par rapport à des projets de déplacements ministériels, de demander que tel ou tel déplacement soit éventuellement décalé, compte tenu de la nécessité de pouvoir aussi en même temps gérer l'ensemble des situations avec mon équipe. J'associe à ce travail mon équipe qui est encore sur le pont, jour et nuit quasiment.

En ce qui concerne les moyens, face à une crise que nous n'avons jamais connue auparavant, nous avons, dans certains domaines, des moyens complémentaires, mais peut-être avec un peu de retard. Je pense notamment au secteur du logement, secteur majeur sur lequel nous aurions pu peut-être avoir les moyens nécessaires.

Sur la question de l'information, j'en parlais ce matin avec le service de l'information du ministère de l'Intérieur, il me semble, pour ma part, que dans une situation de ce type, il faudrait pouvoir projeter localement une sorte de task force information, mais pas seulement pour la période de la crise immédiate. En effet, notre problème doit être géré dans la durée.

Mme Yvette Benayoun-Nakache a tout à fait raison. Il y a la situation de crise pendant les premiers jours, avec la phase des secours et de l'urgence immédiate. Nous avons dû mettre en place un dispositif de versement de 36 000 chèques d'urgence, qui ont été préparés dans des délais extraordinaires, me semble-t-il, représentant plus de 115 MF, dispositif mis en place en collaboration avec une multitude de partenaires, notamment la ville, le conseil général, le conseil régional, TotalFinaElf, la Caisse des dépôts, etc. Il y a eu tout ce processus de gestion de l'urgence dans les premiers jours. J'ai également évoqué la sécurité du site qui a été une préoccupation majeure.

Ensuite la crise s'est poursuivie. Il est vrai qu'en termes d'information, j'ai aujourd'hui de vraies difficultés de mise en place de moyens suffisants pour informer l'ensemble des acteurs, pas seulement les élus. Sur ce point, nous pouvons certainement faire mieux.

Je voudrais revenir sur un point par rapport à la gestion de la crise, qui concerne la cellule de crise. Celle-ci a été activée dans les minutes qui ont suivi l'explosion et a fonctionné jusqu'au samedi 29 septembre. Certaines associations m'ont reproché d'avoir suspendu cette cellule de crise au bout de huit jours, alors que la situation était encore dramatique dans nombre de domaines.

Je précise que cette cellule de crise, au sens jour et nuit avec l'ensemble des partenaires prévus dans le cadre d'un PPI, n'avait plus de raison d'être. C'est pourquoi je l'ai suspendue le 29 septembre. En revanche, dans le domaine du logement, une cellule logement s'est mise en place sous l'autorité du sous-préfet dans les jours qui ont suivi l'explosion et qui continue à travailler. Il y a eu la mise en place d'un numéro vert sur l'aide juridique. Tout un ensemble de dispositifs ont été mis en place pour gérer la situation sur un plus long terme. Je voulais revenir sur ce point pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur le terme « cellule de crise ».

Concernant les réquisitions, nous avons un dispositif lourd et qui repose sur des bases trop anciennes. Nous fonctionnons sur la base de situation de logements vacants qui remonte à plusieurs années. En effet, sauf erreur de ma part, notre liste des logements vacants a été arrêtée au 1er janvier 2000, et il faut deux ans pour considérer qu'un logement est vacant et pouvoir engager ce processus de réquisition.

Il est clair que beaucoup de logements, entre-temps, sont soit hors d'état d'être habités, soit occupés. Cela explique d'ailleurs le taux extrêmement faible de logements effectivement réquisitionnables par rapport au nombre de logements visités. Nous avons donc là un processus dont je dois dire que nous craignions bien qu'il soit très lourd, même s'il était nécessaire de l'engager. Nous pourrons certainement tirer des enseignements utiles de ce processus.

Sur l'information de la population, il y a eu le souhait de notre part d'avoir une gestion médiatique la plus forte possible. Mais il est vrai que cela pose un problème, notamment dans les quartiers souvent les moins favorisés. Il y avait là une difficulté supplémentaire que nous n'avons sans doute pas mesurée suffisamment par rapport à d'autres quartiers qui auraient pu vivre ces situations. En termes d'information, même s'il y a eu des relais sur le terrain avec les élus, cela aurait nécessité sans doute un effort plus important.

Concernant le PPI et le PIG, ils remontent à 1989. Le PPI soulève deux questions majeures. Il y a le fait qu'il n'a pas été révisé depuis 1989. Cela faisait partie des chantiers envisagés. Par ailleurs, au niveau des exercices, il y en a eu plusieurs, dans les années qui ont suivi 1989. Mais j'en ai fait le recensement et, à ma connaissance, il n'y en pas eu depuis 1995.

Dans une lettre que j'ai adressée au maire de Toulouse au mois de juin, je lui annonçais un exercice PPI pour le deuxième semestre 2001. Le fait que quatre ou cinq exercices PPI aient eu lieu entre 1989 et 1995 a quand même été un élément qui a aidé. Même si cela est ancien, beaucoup d'intervenants ont eu l'habitude de travailler ensemble et se rencontrent régulièrement, même en dehors d'un exercice. Toutefois, il est clair qu'en matière d'exercices et d'actualisation du PPI, il y avait un retard important.

Il y a eu une actualisation très importante qui est intervenue sur les plans de secours en 1998, à l'occasion de la Coupe du monde de football. Cela a conduit à la création de la salle opérationnelle de Toulouse. Je n'ose imaginer la situation à la préfecture si nous n'avions pas eu cette salle.

Pour en revenir aux exercices, ils sont très importants et l'absence d'actualisation du PPI peut nous être tout à fait légitimement reprochée.

M. Pierre COHEN : Depuis treize ans, il n'y a eu aucun exercice à la dimension réelle. C'est une demande qui a pourtant été faite très souvent. Des motions, votées dans les conseils municipaux, n'ont jamais été suivies d'effet.

Je voudrais revenir à une remarque qui a été faite sur la capacité de l'Etat et des institutions à être à la hauteur de l'immensité des tâches à accomplir en deux ou trois jours et pour lesquelles il y a eu un certain nombre de lacunes.

Par exemple, les services de l'Etat étaient omniprésents sur le site pour parer aux premières urgences des morts et des blessés très graves, mais ils ont été pratiquement absents des quartiers, pendant les deux premiers jours, jusqu'au lundi matin.

Cela montre que l'exercice en situation réelle met obligatoirement tous les acteurs en capacité de comprendre ce qu'ils doivent faire.

M. Hubert FOURNIER : Je partage tout à fait cette analyse. Je ferai regarder d'ailleurs dans quelles conditions cela s'est passé réellement. Je pense que cela a probablement mobilisé les acteurs professionnels, mais peut-être pas la population, ce qui est un vrai sujet.

Je voudrais revenir en arrière sur un point qui a été une préoccupation majeure dans les heures et les jours qui ont suivi la catastrophe, c'est celui de la sécurité publique. Ma grande inquiétude a été que se surajoute à la catastrophe, une catastrophe en termes de pillages. Nous avons, sur ce plan, mobilisé des effectifs très importants, et cela a été reconnu par tous, me semble-t-il, car dans la demi-heure qui a suivi, intervenaient les premiers pillages.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous dire plusieurs informations qui nous ont été rapportées aujourd'hui et qui me préoccupent. Dites-moi simplement si vous en avez entendu parler. L'enceinte de phosgène à la SNPE serait déchirée.

M. Hubert FOURNIER : Je n'ai pas cette information.

M. le Rapporteur : Nous essaierons de voir avec la DRIRE si vous pouvez l'interroger sur ce point. Par ailleurs, une association nous a indiqué qu'il y aurait des bombes dans le sous-sol depuis la guerre, alors que le directeur de la SNPE, M. Fontana, nous a dit l'inverse,

M. Hubert FOURNIER : Je ne sais pas qui aujourd'hui peut faire un état précis du sous-sol. Ce sous-sol a certes connu beaucoup de vicissitudes, dont des bombes en 1944, selon les informations que j'ai pu avoir. La question de la dépollution du site est certainement importante.

M. le Rapporteur : Lors d'une des auditions tenues à Paris, une organisation nous a indiqués qu'il y aurait des stockages anciens de nitrocellulose sur des sites en Haute-Garonne.

M. Hubert FOURNIER : Effectivement, environ 45 000 tonnes de nitrocellulose sont dans les ballastières qui appartiennent actuellement à Grande-Paroisse. C'est un dossier que je connais bien car il me préoccupe vivement depuis que je suis ici.

J'ai d'ailleurs eu l'occasion, sur ce sujet, d'organiser plusieurs réunions de travail, y compris à Paris, au ministère de la Défense, puisque ces terrains ont été cédés en 1984 par le ministère de la Défense à Grande-Paroisse.

Ces 45 000 tonnes de nitrocellulose sont actuellement sous eau. La nitrocellulose, tant qu'elle est dans ces conditions et d'après les expertises existantes, ne pose pas de problème. Je rappellerai néanmoins qu'il y a eu un accident très grave à Bergerac entre les deux guerres.

Concernant cette nitrocellulose dans les ballastières, un arrêté a été signé l'année dernière demandant à Grande-Paroisse d'étudier ce problème. Un contrôleur des armées, à la demande de Grande-Paroisse, a fait cette étude et remis son rapport en février. A la suite de la remise de cette étude, j'ai organisé plusieurs réunions de travail sur ce thème. J'ai d'ailleurs encore hier rencontré la DRIRE pour évoquer les possibilités de trouver une solution à ce problème extrêmement difficile sur le plan technique.

M. le Rapporteur : Qui est votre interlocuteur à Grande-Paroisse ?

M. Hubert FOURNIER : L'interlocuteur à Grande-Paroisse sur ce sujet était M. Besson.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Par rapport à la sécurité de tous les édifices publics, quelles ont été les mesures que vous avez prises ? Je fais allusion par exemple au carrefour de Langlade et au pont qui passe sur la Rocade puisque certaines constructions ont bougé et sont fissurées.

M. Hubert FOURNIER : Des expertises bâtimentaires ont été effectuées pour voir si les constructions avaient réellement bougé. Le Stadium fait l'objet d'une expertise qui n'est pas terminée et qui sera rendue fin novembre, si ma mémoire est bonne. Concernant les ponts, à ma connaissance, les services ont fait ce qui était nécessaire.

Je voudrais dire un dernier mot sur le PIG pour indiquer qu'il a été bâti en 1989, en application de la loi de 1987 et avant que sorte, en 1990, le guide méthodologique du ministère de l'Environnement.

C'est en 1999 que la DRIRE a engagé un processus d'étude avec l'Inéris pour revoir les périmètres. Les premiers résultats montrent que ces périmètres nous conduisent beaucoup plus loin que ce n'était le cas. Notamment pour le phosgène, le périmètre est beaucoup éloigné que celui retenu dans le PIG et le PPI, le PIG étant inclus dans le PPI.

M. le Rapporteur : Concernant l'avenir du site, une décision sera-t-elle prise avant la sortie de ces documents ?

M. Hubert FOURNIER : Dans le cadre du dossier qui sera remis aux participants du débat public vendredi, j'ai considéré que c'était un document qu'il était nécessaire d'inclure. Il y aura donc une note de quelques pages qui fera état de ces éléments et que je vous transmettrai.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Guy CAUMES,
président du cabinet EQUAD, cabinet d'experts en assurances,
agissant pour le compte des assureurs de TotalFinaElf
pour gérer l'indemnisation du sinistre du 21 septembre,

M. Jean-Claude MECHAIN,
directeur technique de la MACIF du Sud-Ouest

M. René BANTAA,
représentant de la MAIF et coordinateur du GEMA

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Vous êtes auditionnés dans le cadre d'une commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.

Nous avons déjà auditionné hier un certain nombre de personnes à propos des événements du 21 septembre et nous souhaitons aujourd'hui faire le point avec vous sur le rôle joué par les assureurs et les experts et sur les améliorations que l'on pourrait apporter dans les dispositions législatives et réglementaires afin qu'il y ait un net progrès dans l'indemnisation des sinistrés.

Je laisse le soin à M. le rapporteur de vous poser les premières questions.

M. le Rapporteur : Le problème des assurances est un problème majeur en cas de sinistre puisque, dans le cadre de l'accident de Toulouse, on nous a parlé de plusieurs dizaines de milliers de dossiers de sinistre. Le cabinet Equad gère les problèmes d'assurance directement liés à l'entreprise TotalFinalElf et est représenté par M. Guy Caumes. Les mutuelles sont intervenus pour leurs assurés et sont également représentées. D'autres assurances qui ne sont pas ici présentes sont également impliquées dans l'indemnisation.

Je voudrais d'abord que vous nous précisiez les uns et les autres pour combien de dossiers vous intervenez ?

Monsieur Caumes, quelle était la structure de l'assurance de la société TotalFinalElf ? Nous avons déjà posé cette question au niveau national quand nous avons auditionné les cabinets d'assurance. Nous avons donc déjà une réponse et nous souhaitons qu'elle soit la même !

Enfin, des critiques assez fortes ont été formulées ici, pas nécessairement à votre encontre mais sur certains assureurs. Nous avons entendu des phrases fortes comme « La fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) a joué avec les sinistrés » Avez-vous eu cette impression ? Est-ce que le système mis en place pour essayer d'avancer le plus vite possible dans le dossier a fonctionné ? A un moment donné, n'a-t-on pas insuffisamment pris la mesure de l'ampleur de la crise pour se retrouver finalement avec des blocages de reconstruction de maisons ou de mise hors d'eau - hors d'air parce que les problèmes d'assurance n'étaient pas réglés ?

M. René BANTAA : Concernant le nombre de sinistres enregistrés par le GEMA, je puis vous remettre un document qui fait le point au 15 novembre.

Nous avons 29 823 déclarations.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas d'idée sur les sinistres hors GEMA ?

M. René BANTAA : Pas du tout.

Ce document fait état du coût estimatif global qui s'élève à 708 331 591 F et au 15 novembre nous avons réglé la somme de 147 131 305 F, qui représente à la fois des avances et des règlements définitifs. Nous sommes autour de 20 % de règlements effectués par rapport à l'estimation globale.

La difficulté est de savoir dans ces règlements ce qui est définitif et ce qui est une provision puisque certains dossiers cumulent plusieurs risques. La même victime peut avoir à la fois un dommage à sa maison, à son véhicule et à elle-même. Dans un même dossier, certains sinistres peuvent être réglés - pour le véhicule par exemple - et d'autres restent en suspens. Si la personne est blessée, il faudra le temps d'évaluer son préjudice.

Je vous remets ce document.

M. Jean-Claude MECHAIN : Je précise que ces 147 millions de francs sont les sommes qui ont été réellement déboursées à la date du 15 novembre par les assureurs du GEMA. Malgré tout, il y a un certain nombre d'autres dossiers qui sont réglés. Je pense essentiellement au secteur automobile. Cela tient au fait qu'au niveau des assureurs nous avons des accords qui sont passés avec des réparateurs agrées. L'assuré qui a fait le choix de passer par un réseau de réparateurs agréés a ainsi vu son véhiculé réparé. En revanche, financièrement, il nous faut attendre que le réparateur ait envoyé sa facture à l'assureur pour pouvoir le passer dans nos comptes. Nous sommes donc probablement sur un chiffre supérieur à celui-ci mais il n'est pas possible de l'indiquer avec certitude.

M. Guy CAUMES : Je veux d'abord bien positionner le rôle d'Equad et la mission qui nous a été confiée avant de répondre à vos questions.

Nous avons été missionné en tant que cabinet indépendant et société indépendante de tout assureur et de toute société, dans le cadre d'une profession que nous exerçons depuis vingt ans, pour être les experts conseil, les experts au sens très large dits en responsabilité civile. En même temps, nous nous inscrivons dans une mission très spécifique - le « claim management », c'est-à-dire la gestion des réclamations et la coordination des actions, tant pour l'ensemble des assureurs du groupe Grande-Paroisse, Atofina, TotalFinaElf que pour le groupe lui-même, dans le cadre de la mission qui était tout simplement de considérer les événements, les dommages et les chiffrer dans la configuration actuelle.

Comment nous sommes-nous positionnés ? Nous intervenons en bout de course pour une partie et en première ligne pour une autre. J'entends par là que les victimes et sinistrés non assurés sont traités directement par notre plate-forme et notre dispositif et ce depuis le 21 septembre à seize heures trente. Je vais vous expliquer ensuite ce qui a été fait et les dispositions qui ont été mises en place dans le cadre de la cellule de gestion de crise.

Les personnes qui ne sont pas assurées et qui déclarent ne pas avoir d'assurance sont réceptionnées par téléphone et nous traitons en direct avec elles. Nous avons réglé à ce titre un certain nombre de dossiers. Je n'ai pas le chiffre exact car il évolue tous les jours ; je téléphonerai tout à l'heure au cabinet et je pourrai vous le donner, en vous remettant un document sur le sujet si vous le souhaitez. Disons que nous avons indemnisé environ 3 500 personnes directement.

Généralement, les personnes qui se déclarent non assurées sont en situation de locataires ; ce qui n'est pas assuré est souvent le mobilier et ce qui relève du locataire. Nous avons donc géré le dossier en indemnisation directe, selon le processus suivant. Nous prenons rendez-vous, ce qui est d'ailleurs très difficile car beaucoup de gens ne sont pas actuellement joignables par les moyens traditionnels. Nous évaluons avec eux l'état de leurs pertes et dès que nous avons les éléments l'ensemble est transmis au cabinet AON qui est le courtier de l'ensemble des assureurs et qui est chargé physiquement de l'indemnisation, c'est-à-dire de faire le chèque, lequel est transmis directement à la personne qui a établi son dossier. Tel est le premier mécanisme.

M. le Rapporteur : Le remboursement se fait sur quelles bases ? Y a-t-il des conflits sur la vétusté, par exemple ?

M. Guy CAUMES : Depuis le 21 septembre, les instructions qui nous ont été données par les assureurs de TotalFinaElf sur ce sujet sont très simples. L'évaluation est faite en droit commun, c'est-à-dire selon ce qui peut être exigé en droit commun et non pas selon le mécanisme des polices d'assurance, en faisant intervenir la vétusté. Il n'y a donc pas l'application de la vétusté et il n'y a donc pas de discussion sur ce point.

Je précise que la discussion, s'il y a discussion, se situe sur un élément excessivement délicat à gérer. Nous avons éliminé dans la relation directe avec les intervenants le mot vétusté. Il s'agit de définir quelle est la juste appréciation de ce que l'on peut indemniser en argent de ce qui a été détruit ou endommagé et quelle valeur de reconstitution peut être retenue pour être dans la même fonctionnalité. Par exemple, la télévision ou la machine à laver. Généralement, c'est la valeur à neuf. Mais la valeur à neuf d'une machine à laver qui a quinze ans correspond à la machine à laver que l'on va trouver sur le catalogue Darty, par exemple, et la discussion porte là-dessus.

Par contre, si le meuble est rayé, une discussion peut porter sur la possibilité de choix entre une table complète, par exemple, ou le versement d'une indemnité correspondante, ce qui implique une négociation sur le terrain.

A ma connaissance, nous n'avons pas eu de grandes difficultés sur cet aspect des choses avec l'ensemble des personnes qui ont été vues, si ce n'est des difficultés de caractère opérationnel. Quelques experts ont été dans des difficultés physiques dans certaines parties de la ville, ce qui pose un problème d'intervention dans certaines zones.

Le premier grand volet est donc la prise en charge de tout ce qui n'est pas assuré par une assurance-dommages gérée par les compagnies d'assurance et sur un élément déclaratif.

Il y a les personnes physiques, les entreprises qui n'ont pas forcément d'assurance sur la perte d'exploitation ou le préjudice économique. Il y a aussi un certain nombre d'organismes ou de situations qui ne sont pas forcément assurés. Des organismes n'ont pas d'assurance directe, indépendamment des biens de l'Etat en lui-même, et nous intervenons alors en relation directe pour traiter le dossier dans cette démarche : se voir, évaluer les choses au plus vite et trouver une solution de paiement.

Je réponds à une question indirecte que vous m'avez posée, concernant la gestion de ce qui a été qualifié de provisoire, c'est-à-dire des mesures d'urgence et des mesures temporaires qu'il y a lieu de prendre avant que la remise en état ou la réparation définitive ne soit faite, quel que soit le sujet. On parle beaucoup des fenêtres mais la machine qui est arrêtée dans une unité de production, mettant sur le tapis un certain nombre de salariés, relève de la même problématique. Combien de temps faut-il attendre pour que les travaux de réparation soient faits, avec toutes les composantes qui influent sur ce délai, notamment le délai de financement et le délai technique ?

Deuxième volet, nous intervenons sur le recours qu'exercent les compagnies d'assurance qui interviennent en première ligne sur le dommage, en fonction des conventions qui ont été passées et dont vous avez eu les éléments. Ces conventions n'étaient pas conclues le premier jour. Elles se sont mises en place et nous, opérationnels du terrain, nous avons géré les choses dans le temps. Au niveau d'Equad, nous recevons en termes d'information et d'organisation les informations des assureurs ou des experts des assureurs.

Le nombre de dossiers que nous traitons et que nous avons ouvert à aujourd'hui est de l'ordre de 11 000, tous confondus, compte tenu de toutes les réclamations portées à notre connaissance, quelle que soit leur forme - coup de téléphone direct, compagnie d'assurance qui nous informe d'un dossier, experts et confrères qui nous disent avoir ouvert tant de dossiers.

M. le Président : Comment vérifiez-vous qu'une personne n'est pas assurée ?

M. Guy CAUMES : Le principe sur lequel nous nous fondons est un principe de loyauté déclarative. On demande aux gens de signer un document dans lequel ils déclarent sur l'honneur ne pas être assurés. Nous ne faisons aucun contrôle parallèle pour savoir si cela est vrai ou non. C'est une déclaration sur l'honneur.

M. le Président : Dans le cas d'une catastrophe d'une telle ampleur, ne vaudrait-il pas mieux traiter tout le monde de cette façon là ? Finalement, les autres assurances jouent par rapport à TotalFina un rôle d'intermédiaire.

M. Guy CAUMES : Nous avons géré en France et ailleurs dans le monde ces situations, dans le même cas de figure et pour d'autres types de dossiers. La caractéristique se résume à quelque chose de très simple. Aujourd'hui, une victime a deux moyens à sa disposition en droit. Ou le moyen contractuel de la police d'assurance pour se faire indemniser, via sa compagnie d'assurance ou le moyen de l'action directe en droit commun, vis-à-vis du présumé responsable. En fait, c'est un choix initial de la victime.

Que se passe-t-il généralement et qu'est-ce qui s'est sans doute passé à Toulouse, tout à fait légitimement ? C'est que dès le 21 septembre, ce qui était plus facile, plus légitime, plus naturel à actionner, c'était son propre assureur dommages, celui sur lequel il y a une obligation contractuelle d'agir et de prendre en charge les éléments. Mais aujourd'hui nous avons quelques cas de figure dans lesquels les assurés n'ont pas déclaré sur leur police d'assurance et sont venus nous voir directement, nous demandant d'agir en droit. Nous répondons de la même façon mais nous savons qu'ils sont assurés. La question de savoir si l'intéressé est assuré ou non se transforme en une demande d'attestation qu'il ne fera pas une déclaration sur sa police d'assurance, de telle sorte que deux dossiers soient ainsi « circularisés », un dossier de recours par la compagnie qui aurait payé une fois et ensuite un paiement direct. C'est là un des sujets majeurs de la gestion globale du dossier : ne pas avoir des doublons de paiement. En dépit de la situation dramatique, il faut mettre quand même quelques garde-fous pour éviter un débordement complet sur un certain nombre de sujets.

M. le Rapporteur : Quand on instruit un dossier en garantie dommage, les assurances classiques vont faire jouer les règles classiques de remboursement. Or vous êtes parti sur 3 500 dossiers de gens non assurés, avec pour définition la valeur de remplacement. Je ne pense pas que ce soit obligatoirement la règle d'un remboursement d'un préjudice normal avec une mutuelle ou une compagne d'assurance, mais j'en voudrais confirmation.

N'y a-t-il pas le risque à un moment donné que tous ces dossiers qui sont d'abord passés en compagnie d'assurance arrivent « en appel » chez vous ? Quelle sera alors votre position ?

M. Guy CAUMES : Parlant sous le contrôle des assureurs, c'est là selon moi le sujet du « calage » car le droit à remboursement naît de deux obligations : une obligation contractuelle de l'assureur-dommages et ensuite une obligation de droit commun.

Une police d'assurance relève du conventionnel. Un objet est assuré et vous pouvez vous mettre d'accord avec votre assureur en disant que vous voulez l'assurer à telle valeur, en acceptant une règle de mécanisme de remboursement, en appliquant par exemple la vétusté ou d'autres paramètres. Dès lors, le remboursement fait contractuellement par l'assureur sera ou non concordant avec la valeur de remise en état. C'est là toute l'alchimie et la technique de l'assurance sur des capitaux. Que ce soit une télévision ou que ce soit une usine, c'est la même chose.

Par contre, le remboursement de droit commun est né, lui, d'une créance qui est complètement différente.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous l'avez dit, en ce moment la situation est dramatique. La question qui se pose surtout est celle des fameux « sans-fenêtres » Je comprends bien tous les problèmes de gestion qui sont les vôtres, toutes vos responsabilités, tout le processus. Mais que peut-on faire et que proposez-vous pour que toutes ces situations puissent être réglées rapidement.

Si tous les « sans-fenêtres » vous entendaient aujourd'hui, vous imaginez le décalage entre leur vécu et vos explications. Quelle est la possibilité de pouvoir régler au moins ce problème actuellement ? Quelle réponse apportez-vous à tous ces gens qui ont des dossiers globaux, certes, mais qui sont confrontés à des problèmes humains bien concrets ?

M. Guy CAUMES : Une réponse très pragmatique ! Il faut impérativement savoir exhaustivement où sont les problèmes. J'ai fait hier une proposition - c'était en fait un renouvellement de proposition - notamment au niveau des acteurs de l'immobilier.

Dans la catégorie du logement diffus, c'est-à-dire les maisons individuelles avec des propriétaires occupants, selon notre estimation, 3 000 maisons ont été touchées dont 800 sont gravement endommagées. 500 ont déjà reçu des propositions d'indemnisation définitive, ce qui veut dire que 500 expertises sont terminées sur les maisons. Point important, le propriétaire qui est tout à fait maître de son jeu en termes de déclenchement de travaux : c'est lui qui passe la commande à une entreprise et c'est lui qui a ou non son assureur.

La deuxième catégorie est, selon moi, plus difficile à traiter, s'agissant de l'ensemble du parc copropriété locatif. D'après toutes nos informations, nous avons estimé nous que 2 000 copropriétés ont été « impactées » par l'explosion, c'est-à-dire 2 000 entités juridiques, syndicats de copropriétaires. Sur ces 2 000, à peu près 1 200 ont subi des désordres graves, allant de ruptures de fenêtres, ponctuelles ou partielles, jusqu'à des destructions totales de l'ensemble des fenêtres d'un bâtiment.

J'ai demandé à la préfecture, à la mairie, aux organes officiels de croiser les listes pour dresser l'inventaire des copropriétés qui sont touchées, en mettant en face les gestionnaires mandatés par la copropriété, ceux qui peuvent ou ne peuvent pas agir en la matière.

Quelle est la situation aujourd'hui, d'après les informations dont nous disposons ?

A Toulouse, à peu près 80 % des règlements de copropriété qualifient les fenêtres comme des ouvrages privatifs, c'est-à-dire aux copropriétaires et sur lesquels la copropriété ne peut pas intervenir. Cela veut dire que pour intervenir sur une fenêtre, c'est le copropriétaire lui-même qui va donner l'ordre de travaux à l'entreprise et qui peut toucher l'argent. Par contre, les syndics de copropriété doivent avoir juridiquement un mandat personnalisé pour déclencher des travaux. Des syndics de tours très sinistrées ont déclenché les travaux et ils se sont fait assigner par les copropriétaires, ce qui a bloqué le dispositif.

Que faut-il faire ? Prendre simplement copropriété par copropriété, par zones impactées les plus douloureuses et essayer de trouver sur chaque copropriété, de façon très concrète, avec l'assureur-dommages, le syndic, les copropriétaires et nous, la voie la plus rapide pour pouvoir intervenir chez les copropriétaires rapidement. A moins de réquisitionner !

M. Pierre COHEN : Quand on vous écoute, il n'y a pas de problème. Toutefois, on peut considérer que le deuxième motif de colère après la catastrophe tient à l'incapacité de régler d'urgence un certain nombre de questions liées au remboursement. Même si pendant un mois ou un moins et demi, vous l'avez dit, des conventions ont été évolutives et peuvent, peut-être, être considérées maintenant comme satisfaisantes, il n'en demeure pas moins qu'on a mis quand même un bon mois et demi à trouver des solutions.

Notre commission n'a pas pour objet d'étudier le problème de Toulouse en tant que tel mais elle doit essayer, en s'appuyant sur ce cas, de faire des préconisations de portée générale. Sommes-nous en capacité de faire des propositions pour qu'il y ait une action immédiate de l'Etat ? Les assurances peuvent-elles se mettre directement dans une situation adaptée, et non par tâtonnement ou en se souciant surtout de ne pas trop mal s'en sortir ? Sommes-nous capables, au vu de ce que vous avez vécu, d'avoir des préconisations pertinentes ?

Vous avez parlé de la vétusté. Nous nous apercevons chaque fois sur le terrain qu'un grand nombre de gens ne vivent pas ce que vous dites ! Les choses ne marchent pas sur le terrain.

Au-delà du problème des seules fenêtres, se pose également celui des appartements délabrés. Les architectes mettent un préalable dans la remise en état de logements qui n'étaient pas aux normes. La somme des travaux de remise en état globale dépasse largement la seule notion du préjudice subi et les assurances estiment qu'elles n'ont pas à assumer la plus-value ainsi apportée dans la totalité des travaux à faire. Ce problème va se poser de manière marquée dans le cadre de la réhabilitation durable qui sera entreprise à partir de maintenant.

M. René BANTAA : Je veux bien répondre sur les préconisations à faire. Dans la chronologie du sinistre du 21 septembre et pour ce qui est du GEMA, l'accord sur l'indemnisation avec l'assureur du payeur a été réalisé le 31 octobre, soit plus d'un mois après. Je crois qu'il faut s'appuyer sur cet élément pour essayer d'être plus rapide dans les accords que l'on pourrait trouver pour que les assureurs-dommages puissent intervenir plus rapidement dans le cadre du droit commun de façon à accélérer les processus. Il faut donc peut-être essayer d'anticiper pour que, dans un délai très bref, les choses soient calées entre le présumé responsable et les assureurs-dommages pour que ceux-ci puissent intervenir dans des délais plus rapides pas seulement au niveau de leurs contrats mais au niveau de l'indemnisation globale du préjudice. Tous les acteurs qui ont participé ont certainement perdu du temps.

C'est peut-être l'occasion de préparer quelque chose pour les futures catastrophes, même si on ne les souhaite pas. Il s'agirait peut-être de se préparer davantage à agir dans l'urgence avec les acteurs concernés : pouvoirs publics, professionnels, assureurs. Il faudrait se préparer en amont pour que, face à une telle catastrophe, les débats soient beaucoup plus rapides et arrivent beaucoup plus vite à un résultat. Telle est mon opinion sur les préconisations que l'on peut faire.

M. Albert FACON : Tout à l'heure, le Président vous demandait pourquoi vous n'avez pris le problème en gestion directe puisque, de toute façon, in fine, c'est vous qui allez indemniser.

Vous venez de répondre en partie à la question. Si vous aviez établi une charte d'indemnisation avec les autres assurances, on aurait certainement été plus vite que ne l'a permis cette partie de ping-pong entre les assurances.

Est-ce que vous, vous avez réuni dès la première semaine avec toutes les autres assurances ? Vous êtes-vous posé la question de l'efficacité, sachant que, en principe, c'est vous qui allez payer ?

M. Guy CAUMES : Trois démarches ont été faites dès le premier jour.

La première était très opérationnelle. Le groupe TotalFinaElf et ses assureurs, trois heures après l'explosion, ont mis en place la plate-forme qui existe aujourd'hui, en donnant le numéro d'appel pour gérer la situation. Depuis ce jour là, on était dans le cadre d'un plan d'actions en cas de catastrophe, déjà vécue par ailleurs et avec des répétitions moins grandes, mais qui avait permis de tirer des enseignements. Le groupe TotalFinaElf, comme d'autres industriels a appliqué un dispositif d'actions que nous avions proposé en tant que consultant extérieur.

Du côté des assureurs et de son représentant, le contact pris immédiatement dès le mardi avec les professionnels - la FFSA et le GEMA - a été immédiatement acté. Une lettre a été échangée et elle a conduit au premier accord avec des seuils à 10 000 francs et 100 000 francs dans les dix à quinze jours qui ont suivi le sinistre. Il y a une première réaction à ce niveau là.

Je suis comme vous un observateur de ce qui se passe au niveau des assurances. Au niveau opérationnel, en tant qu'Equad, dès le mardi qui a suivi la catastrophe, nous avons réuni tous les experts de Toulouse qui intervenaient en dommages, en leur précisant la situation difficile dans laquelle nous nous trouvions et, par anticipation, ce qui allait se passer. Nous mettions l'accent sur la difficulté et sur la façon selon laquelle nous leur proposions globalement d'agir.

A ce moment là, nous avons établi des contacts avec la CCI, avec la mairie, avec la préfecture. Au niveau privé, la chose a été difficile parce que nous n'étions pas reconnus institutionnellement dans le dispositif. A Equad, nous avons mis un mois pour se positionner en termes de communication et pour être écoutés.

M. le Président : Si cette catastrophe avait été naturelle au lieu d'être industrielle, qu'est-ce qui aurait changé dans le dispositif que vous avez mis en place ?

M. René BANTAA : Pour compléter la réponse à une question précédente, je précise que nous n'avons pas attendu d'avoir des rapports avec TotalFinaElf pour agir !

Au niveau de chaque assureur, au niveau de chaque mutuelle, dès le vendredi soir nous avons agi et des experts étaient sur le terrain dès le samedi. Il faut le dire, dès le samedi et le dimanche, nous avons mis en place un système qui permettait déjà aux experts d'intervenir. Un de nos experts est allé sur les lieux le samedi pour voir ce qui se passait et nous nous sommes mis en mesure le samedi d'augmenter nos effectifs pour faire face aux déclarations qui ont commencé à arriver chez nous dès le vendredi à onze heures et demie. Nous avons renforcé nos réseaux d'experts pour aller le plus vite possible sur le terrain évaluer les dommages.

Nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si c'était un paiement en droit commun ou contractuel. Nous avons joué notre rôle habituel d'assureur dans une telle hypothèse. C'est également ce que nous avions fait pour la tempête.

Nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si nous disposions d'un recours ou pas. Nous avons d'abord joué notre rôle d'assureur : s'occuper des victimes, évaluer les dommages, se mettre en mesure de recevoir les déclarations pour les indemniser ensuite.

M. le Président : Il ne s'agit pas ici de vous justifier de tout ce que vous avez fait et nous ne sommes pas là pour enquêter à la place de la justice. Nous souhaitons plutôt que vous nous donniez des pistes pour améliorer les choses. Voulez-vous, s'il vous plaît, vous contenter de répondre à la question précise que j'ai posée, sans essayer de vous justifier ?

M. Jean-Claude MECHAIN : En cas de catastrophe naturelle, les choses sont tout à fait différentes dans la mesure où nous sommes uniquement sur un terrain contractuel : les procédures et les montants d'indemnisation sont prévus par le contrat souscrit par l'assuré.

Avec l'explosion de Toulouse, nous sommes dans une problématique totalement différente puisqu'il y a un responsable présumé. On nous a demandé d'aller au-delà de nos obligations contractuelles dans notre relation avec les sociétaires, en indemnisant les assurés, en faisant abstraction des franchises et selon des règles du droit commun.

Malheureusement nous avons beaucoup de catastrophes naturelles dans cette région : inondations de l'Aude de 1999, tempête de fin 1999. Dans de telles hypothèses, il s'agit d'une relation directe entre l'assuré et l'assureur. Pour l'explosion de Toulouse, il fallait trouver des procédures auxquelles M. Bantaa a fait allusion et qui, à mon sens, sont bonnes. Encore faut-il qu'elles soient mises en _uvre plus vite. Elles ont permis de nous caler sur des postes de préjudices non contractuels, sur la manière dont nous allions les évaluer et dont nous pourrions les récupérer puisque nous sommes quand même comptables des deniers de nos sociétaires.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : L'enquête, nous dit-on, fait pencher à 99 % pour une cause accidentelle. La catastrophe naturelle a donc aussi été évoquée. Mais quid de l'hypothèse d'un attentat ? N'attendez-vous pas que l'enquête aille d'abord à son terme ? N'est-ce pas là l'explication de la perte de temps ?

M. le Président : Vous avez le droit de dire non, tout simplement.

M. Guy CAUMES : Non !

M. le Rapporteur : Un certain nombre d'acteurs indiquent - et ce ne sont pas les mutuelles qui sont en cause - que des dossiers ne sont pas réglés parce qu'il y eu des pertes de temps, notamment dans les contacts et dans les négociations entre TotalFinaElf et des compagnies d'assurance pour la signature de conventions. Est-ce que cela est vrai, selon vous ?

M. Guy CAUMES : Votre question est double. Au niveau des professionnels, dans les conventions qui ont été gérées dans le cadre du comité de suivi des victimes....

M. le Président : D'abord, vous aviez la barre des 10 000 francs, ensuite 100 000 francs, ensuite 300 000 francs. Pourquoi avez-vous perdu autant de temps pour trouver que le bon chiffre était bien 300 000 francs ?

M. Guy CAUMES : Je n'ai pas de réponse technique.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu'on a fait le mieux possible ? Nous avons entendu la FFSA à Paris mais aussi un certain nombre d'acteurs qui nous disent que les assurances ont provoqué un retard dans le traitement des dossiers. Est-ce que cette affirmation vous paraît exacte ou pas ?

M. Guy CAUMES : Je ne le pense pas. Je suis extérieur aux assurances et nous développerons ce point certainement car il est important de savoir ce qui s'est passé. Il faudra sortir les dossiers - on le fera - et voir où s'est posé le problème des retards et quelle a été l'articulation dans les dossiers. Cela est très important techniquement parlant. Il s'agit de savoir si c'est un retard de décision de financement.

La catastrophe de l'explosion d'AZF est la même chose qu'une explosion de bouteille de butane dans un immeuble qui casse trois immeubles à côté. La problématique est la même.

M. le Rapporteur : Disons qu'il y a 60 000 dossiers au total. Il est évident que pour les experts, vu leur nombre, le temps nécessaire pour trouver les gens est long. Si jamais vous n'exonérez pas d'expertise un certain nombre de dossiers immédiatement, vous allez faire traîner les choses. Pensez-vous que les bonnes décisions ont été prises immédiatement en termes d'exonération d'expertise et de montants d'exonération pour qu'on traite des questions au plus vite alors qu'elles restent finalement latentes aujourd'hui, à l'approche de l'hiver ?

M. Guy CAUMES : Techniquement, oui. Ce n'est pas l'expertise commune qui a provoqué le retard.

M. Pierre COHEN : Je crois que l'erreur se trouve dans votre remarque selon laquelle ce qui est arrivé est à peu près semblable à une bouteille de butane qui explose, endommageant trois ou quatre appartements. Il faut une demi-journée ou une journée pour régler le problème du relogement des personnes. Ensuite, l'indemnisation correspond à un problème pour lequel on peut prendre son temps.

Or, en l'occurrence, le problème tient au fait que nous sommes dans une situation inextricable de relogement et de capacités de régler le problème. Tout prend alors une autre dimension, tant le problème des conventions que le problème du remboursement. La plupart des gens qui ont subi des dommages étaient en situation difficile, y compris les copropriétaires. Etant économiquement faibles, ils n'ont pas les moyens d'avancer des fonds. Là encore, il y a eu un certain nombre de retards. Je ne sais pas s'ils étaient voulus. Des préconisations peuvent-elles être avancées pour faire que d'entrée, dans une situation exceptionnelle, l'argent puisse arriver et que les artisans puissent démarrer les travaux ?

M. René BANTAA : Concernant les seuils d'expertise, l'explosion datant du 21 septembre, TotalFinalElf a indiqué le 27 septembre les seuils d'expertise : jusqu'à 10 000 francs, pas d'expertise ; une expertise jusqu'à 100 000 francs et au-delà nécessité d'une expertise contradictoire. TotalFina a changé d'attitude car, un mois après, le 29 octobre, le seuil était fixé à 300 000 francs. Ce délai est en effet peut-être un peu long.

Il faut considérer aussi l'intervention des pouvoirs publics. Chaque fois qu'une catastrophe se produit, à ma connaissance un comité de suivi se met en place. Il s'est mis en place le 10 octobre. C'est peut-être aussi un peu tard. Ce n'est qu'à ce moment là que les discussions ont débuté. Je crois qu'on pourrait peut-être essayer avec les pouvoirs publics de se mettre en mesure d'agir plus vite et de prendre des accords dans les jours qui suivent la catastrophe pour que les acteurs de terrain puissent agir plus rapidement. Or, ce n'est que le 29 octobre que les acteurs de terrain ont su que l'expertise contradictoire leur était épargnée jusqu'à 300 000 F.

M. Pierre COHEN : Est-ce que les assureurs ont une responsabilité sur la non-avance d'argent qui fait que l'on a pris du retard, du 15 octobre jusqu'à mi-novembre ? La responsabilité est-elle liée à la liberté des assurances de ne pas faire l'avance ?. Il a fallu attendre la semaine dernière une question d'actualité au Gouvernement pour que l'on nous promette que TotalFina acceptait de mettre en place un fonds au bénéfice des gens qui n'avaient pas obligatoirement les moyens de faire l'avance nécessaire à l'engagement des travaux par un artisan.

Les assurances avaient-elles la possibilité de le faire ? Certaines ne l'ont-elles pas fait ?

M. René BANTAA : Pour ma part, je ne parle pas que pour le GEMA. Selon les instructions données à nos gestionnaires, dès l'instant que le dommage est évalué ou que l'on a une idée sur son importance, le gestionnaire peut tout à fait régler des avances et il le fait. Le document que je vous ai remis atteste que des avances ont été et sont versées. Si les instructions sont suivies, normalement l'assureur mutualiste est en mesure de verser une avance à toute personne qui en fait la demande, à supposer que le dommage ait un minimum d'évaluation. Encore faut-il que l'expert ait donné un minimum d'indications sur le montant du dommage. A partir de là, sans attendre, verser à son assuré une avance qui peut lui permettre de faire les travaux. Cela s'est fait mais j'ignore si tout le monde le fait.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que c'est une bonne solution qu'une grande société soit pour une part non négligeable son propre assureur ?

M. Guy CAUMES : Je ne sais pas si l'on peut considérer que ce soit une bonne solution ou pas ? En tout cas, c'est une réalité économique et il faut savoir quelles sont les capacités sur un marché en termes d'assurance. Je ne suis pas assureur mais, observant les assureurs et les mécanismes d'assurance en France, je ne pense pas que les capacités d'assurance en termes de montant des grandes sociétés en termes d'assurance de responsabilité civile, notamment s'agissant de leurs plafonds de garantie, soient à hauteur de ce que peut avoir TotalFina.

M. le Rapporteur : Si cela se généralise, on peut arriver à des catastrophes au niveau mondial.

M. Guy CAUMES : Absolument mais c'est une réalité.

M. le Président : Il faudra donc introduire dans le bilan de ces entreprises le montant pour lequel elles s'assurent ou elles s'auto-assurent. Cela sera inscrit dans le hors bilan.

M. Guy CAUMES : C'est vrai pour n'importe quel acteur économique en termes de responsabilité civile. Quelle hauteur d'assurance faut-il avoir, y compris, vous en tant que personne physique, par rapport au risque que vous encourez ?

M. le Président : Je vous remercie de vos témoignages, même si nous sommes frustrés par rapport à toutes les questions que nous voudrions poser et surtout par rapport à toutes les solutions que nous voudrions trouver. Nous vous souhaitons en tout cas de bien travailler sur ces questions difficiles. Merci de votre présence.

Audition de M. Pierre IZARD,
président du Conseil général de Haute-Garonne

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

M. Pierre Izard est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur le président du Conseil général, hier, les représentants des associations de riverains nous ont signalé que les assistants sociaux n'avaient pas toujours été très prompts à intervenir auprès des personnes qui avaient des problèmes. Vous a-t-on déjà fait part d'un tel propos ? Avez-vous, par ailleurs, une opinion sur l'action des services du département dans les tous premiers moments qui ont suivi la catastrophe ?

M. Pierre IZARD : Je vous remercie de me recevoir et de m'entendre. Je suis ici à différents titres, différentes « casquettes » qui me permettent d'ailleurs d'avoir une vision d'ensemble de ce qui s'est passé.

S'agissant de ma première « casquette », je suis président du Conseil général et le fait est que celui-ci est sinistré. Le fait est aussi qu'il a permis d'exprimer, dans le cadre de ses compétences, la solidarité départementale, point sur lequel je vais revenir.

Pour ce qui est de ma deuxième « casquette », en tant que président du Conseil général, je préside le conseil d'administration de l'hôpital Marchant (le CHS), qui a été totalement détruit. On n'en a pas assez parlé et il conviendrait de l'évoquer au cours de cette commission d'enquête. Dans la minute qui a suivi l'explosion, j'ai été dans l'obligation de faire procéder au déménagement de tout l'hôpital Marchant qui était dévasté. Il a donc fallu placer hors département - et cela continue - avec le personnel du CHS qui a suivi, 350 malades, notamment des déments dangereux, des arriérés profonds, ou des personnes ayant fait l'objet d'un placement d'office, ce qui a posé et pose encore d'énormes problèmes.

Ma troisième « casquette » est en fait un képi. En tant que président du Conseil général, je suis également président d'un service départemental d'incendie et de secours (SDIS) depuis 1986.

Je répondrai maintenant plus précisément à votre question. Dès la première minute de l'explosion, nous sommes intervenus, avec nos services sociaux, malgré une difficulté de taille, puisque les quatre centres de circonscription médico-sociaux intervenus sur place pour répondre aux demandes urgentes étaient eux-mêmes sinistrés. Nous n'avions plus de locaux dans ces quatre circonscriptions. Malgré cela, nous avons été fonctionnels dès le premier jour, et plusieurs parlementaires ici présents peuvent en témoigner.

S'agissant des assistants sociaux, il faut savoir desquels on parle ! Parle-t-on de ceux de la mairie ou de ceux du Conseil général ? Sur ce point, je préfère rester silencieux et vous en tirerez les conclusions qui s'imposent. Le problème réside dans la distinction entre le service social de la mairie et le service médico-social du Conseil général. Nous disposons de psychologues, d'assistantes sociales ou de puéricultrices qui, connaissant bien le terrain, se sont rendus sur place dans les appartements et dans les maisons sinistrés. Durant tout le week-end, nous avons été fonctionnels et depuis, nous continuons de recevoir « sous la tente ».

Permettez-moi d'insister quelques instants sur les actions entreprises par le Conseil général. Lorsque l'Etat, la mairie, le Conseil général, le Conseil régional et les associations, en particulier La Croix Rouge, se sont réunis pour attribuer les secours d'urgence, il a été décidé, dans un barème établi rapidement, de simplifier les procédures et d'accorder des secours d'urgence rapidement.

Mais le Conseil général a eu une formule originale. Il a immédiatement envoyé ses travailleurs médico-sociaux sur place, dans les quartiers, à travers les centres de circonscription. Nous estimions que c'était son personnel qui connaissait le mieux les personnes qu'il fallait immédiatement aider, et cela s'est avéré exact. Nous avons également rempli les demandes simplifiées, ce qui a été une excellente chose, même s'il y a eu quelques doublons. Le tout a été envoyé à la trésorerie générale, qui collectait l'ensemble et préparait le chèque. Nous avons donc voulu ne pas envoyer les secours par la poste mais les remettre individuellement.

Telle a été la formule originale du Conseil général et, pour ma part, je considère qu'il n'y a pas eu de retard en la matière.

M. le Rapporteur : Si nous comprenons bien, le centre communal d'action sociale relève de la ville de Toulouse et le service départemental d'action sociale (SDAS) du Conseil général.

M. Pierre IZARD : Nous nous sommes répartis la tâche. Le SDAS couvre tout le département et en particulier Toulouse. Tout cela s'est passé, je le répète, par l'intermédiaire des bureaux d'aide sociale. Ce sont la caisse d'allocations familiales, la mairie, le Conseil général ou des associations, notamment La Croix-Rouge, qui ont établi les demandes et qui ont participé financièrement. Quelques doublons et quelques pertes sont apparus, mais pas spécialement au niveau du Conseil général. Je le répète, il n'y a pas eu de retard en ce qui concerne le travail du Conseil général.

M. le Rapporteur : En tant que président du SDIS, pouvez-vous nous dire comment ont été organisés les secours ? Il semble qu'un rapport portant sur les interventions du SDIS durant la catastrophe ait été récemment établi. Que pouvez-vous nous en dire ?

Ma troisième question porte sur le logement et l'OPAC. Il me semble qu'il existe un OPAC départemental et un OPAC dépendant de la ville.

M. Pierre IZARD : Je vous répondrai sur ce point.

M. le Rapporteur : D'après certaines réponses, nous avons l'impression qu'on a mis du temps à trouver les logements nécessaires. Ceux-ci ne sont-ils pas disponibles ? Quel est votre point de vue sur ces questions ?

M. Pierre IZARD : Permettez-moi d'abord de revenir sur le premier point de mon intervention, afin de montrer que nous n'avons pas eu de retard.

Nous avons embauché 30 travailleurs médico-sociaux supplémentaires affectés aux quatre circonscriptions et nous avons mis à la disposition de celles-ci tout le personnel du Conseil général qui était volontaire. Le renfort a donc été important.

M. le Président : A partir de quelle date ?

M. Pierre IZARD : Dès le lundi.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu beaucoup de volontaires ?

M. Pierre IZARD : Ils ont été très nombreux. Tout le monde s'est porté volontaire pour intervenir. Par exemple, à Empalot, nous avions « sous la tente » de dix à quatorze personnes en permanence toute la journée, y compris notre personnel qui se rendait dans les maisons pour les personnes âgées. En effet, nous avons constaté que plusieurs personnes âgées s'étaient confinées dans leur appartement, notamment dans les HLM, sans ne plus bouger.

J'en viens maintenant au SDIS ; n'hésitez pas à m'interrompre en cas de redites.

M. le Président : Nous ne sommes pas ici pour entendre les justifications de vos actions, mais pour essayer de trouver quelques pistes d'amélioration.

M. Pierre IZARD : Bien sûr. Reprenez-moi s'il m'arrive de « déraper » en croyant que vous ignorez tel ou tel point.

S'agissant du SDIS, le premier problème qui s'est posé tient au fait que, tout de suite après l'explosion, les communications téléphoniques ont été interrompues. Les pompiers ont cependant été immédiatement appelés car elles fonctionnaient encore durant les premières minutes. Ils se sont donc rendus sur le site d'AZF Grande-Paroisse. Mais y étant déjà sollicités, ils n'ont pas pu se rendre aussi rapidement auprès d'autres personnes, pour la seule raison que les communications téléphoniques étaient coupées. Cela a d'ailleurs ajouté au marasme et à l'angoisse. Il y a donc eu un moment de « flottement », mais on n'a noté aucun retard dans l'intervention sur le site de Grande-Paroisse.

Le deuxième constat est le suivant : l'explosion qui s'est produite a laissé croire à tout un chacun qu'elle avait lieu sous ses pieds. Cela a ajouté à l'affolement, chacun pensant qu'une explosion avait eu lieu dans sa cave. Quand j'ai rassemblé tout le monde au Conseil général, nous avions l'impression qu'une bombe avait explosé dans le parking du Conseil général ! Je le répète car c'est un pont important : tout le monde a cru que l'explosion se produisait sous ses propres pieds ou dans sa propre maison. Il y a donc eu affolement qui s'est répercuté dans les appels aux pompiers. C'est la première réponse que je puis vous donner.

Tout le reste a bien fonctionné, notamment d'ailleurs au niveau du SDIS. Dans un premier temps, l'explosion et la déflagration ont coupé court à tout incendie. Il n'y a donc eu que l'explosion, qui a elle-même empêché la propagation d'un éventuel incendie. En arrivant, les pompiers ont eu à constater rapidement ce qui se passait, mais il fallait surtout se consacrer aux blessés et aux victimes qui étaient sur le site ou à proximité, sur la rocade et dans tout le voisinage. Dans un deuxième temps, le rôle des pompiers a été d'évacuer les produits à risques sur le site. Nous y reviendrons si vous le souhaitez.

Voilà comment les choses se sont passées ; l'intervention des pompiers sur les lieux du sinistre n'a donné lieu à aucun problème.

M. le Président : Quelles sont, selon vous, les améliorations possibles ? Ne peut-on pas, par exemple, renforcer les lignes téléphoniques ?

M. Pierre IZARD : Oui, c'est sûr ! Ainsi, je me suis retrouvé dans la rue principale au pied du Conseil général, tout le monde ayant été évacué puisque l'alarme s'est déclenchée toute seule. Nous étions 1000 personnes. Les mères de famille, en nombre important, ont appelé dans les écoles pour s'informer sur leurs enfants. L'affolement était encore plus grand parce qu'on ne parvenait pas à joindre les écoles à l'aide du téléphone portable.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Concernant l'acheminement des secours, on nous a dit hier que les parents se sont précipités pour aller récupérer leurs enfants dans les écoles, ce qui a eu pour conséquence une importante circulation sur tous les axes routiers et des difficultés pour les secours à se rendre sur les lieux. Selon vous, une amélioration devrait-elle être apportée aux axes routiers, notamment à Toulouse ?

M. Pierre IZARD : L'explosion a eu des « avantages » et des inconvénients, si je puis dire.

Premièrement, la catastrophe s'est limitée à une explosion et pratiquement rien d'autre. Notamment, toutes les conséquences, autres que l'explosion, que l'on pouvait attendre, comme un nuage toxique important, n'ont pas eu lieu.

Deuxièmement, l'explosion s'est produite à une période où il faisait chaud à Toulouse et beaucoup de fenêtres étaient ouvertes dans les habitations.

Troisièmement, l'explosion s'est produite à dix heures dix, à un moment où beaucoup d'enfants étaient dehors et où beaucoup de personnes n'étaient pas dans les cantines, à commencer d'ailleurs par les salariés d'AZF Grande-Paroisse. Dans notre malheur, nous avons eu énormément de chance. Pour évaluer les risques dans l'avenir, il faut tenir compte de cette chance, y compris celle liée au vent d'autan qui a rapidement évacué un nuage toxique qu'on commençait à sentir en ville. De surcroît, les pouvoirs publics donnaient par radio l'ordre de se confiner chez soi. Or, le confinement paraissait difficile puisqu'il n'y avait plus de fenêtres dans les maisons ; c'est ainsi que les gens se sont retrouvés dans la rue. Confrontés aux odeurs et aux bruits qui couraient, beaucoup ont pris leur voiture et ont « fui » Toulouse.

Il peut être envisagé d'améliorer les voies de circulation et de mener une réflexion sur ce point. Mais vous ne pouvez pas empêcher une grande partie de la population de partir. Elle est allée en particulier, contrairement aux ordres, chercher les enfants dans les écoles, en les prenant de force, malgré les consignes des directeurs d'écoles qui gardaient ceux-ci dans des classes fermées.

Il y a donc eu pagaille parce que nous n'imaginions pas le risque Seveso à Toulouse ; l'explosion n'a jamais été envisageable.

M. Pierre COHEN : Ne pensez-vous pas que le meilleur moyen de préparer autant les habitants que les professionnels des secours ou de la santé serait de procéder régulièrement à des simulations ?

Depuis des années, les préfets successifs ont toujours refusé un tel exercice qui, il est vrai, serait coûteux et pourrait provoquer l'émoi de la population. Mais, comme vous l'avez souligné, les personnels des services de secours ont été nombreux sur le site alors que tous les autres quartiers ont dû attendre un long moment avant de bénéficier réellement des premiers soins et secours. Le risque était donc sous-estimé. En tant que président d'une collectivité territoriale, ne pensez-vous pas que le meilleur moyen serait d'avoir le courage de procéder assez régulièrement à des exercices de simulation, ce qui ferait prendre conscience à chacun de sa responsabilité ?

M. Pierre IZARD : En tant que président du Conseil général, je rappelle que nous avions attiré l'attention des pouvoirs publics depuis longtemps sur les risques encourus par nos concitoyens en zone agglomérée en raison de la concentration aussi forte de trois sites de fabrication, de stockage et de transport de chimie lourde. Nous avons été, par la voix de deux conseillers généraux du secteur d'Empalot, les premiers à alerter, par proposition de résolution, les pouvoirs publics sur ce problème. Nous n'avons été ni entendus, ni écoutés.

M. le Président : Pourrez-vous nous faire parvenir les documents auxquels vous faites allusion ?

M. Pierre IZARD : Nous vous fournirons les propositions de résolution, telles qu'elles ont été proposées par mes deux collègues, MM. Pierre Garrigues et Patrick Pignard, en juin dernier encore. Nous n'avons jamais été entendus !

En tant que président du SDIS, j'ai la responsabilité des hommes et de la mise en _uvre du matériel. Les conditions de sécurité et de protection civiles ne relèvent pas de moi, mais du préfet. C'est en fait une « double casquette ». En ce qui me concerne, je suis là pour obéir aux ordres que l'on me donne. Si l'on m'avait dit qu'il fallait faire des simulations, je les aurais faites.

M. Pierre COHEN : Ne vous semble-t-il pas que de tels exercices seraient un bon moyen d'amener tout le monde à prendre conscience de sa responsabilité et du danger ?

M. Pierre IZARD : C'est évident ! Mais l'explosion n'a jamais été envisagée dans l'étude des risques industriels chimiques. On a toujours pensé au nuage toxique mais on n'a jamais envisagé de déflagration. Je le répète, parce que cela me paraît être un point extrêmement important.

Le périmètre de protection Seveso couvre 550 hectares et 50 dans la commune voisine de Portet. Or, en ne tenant compte que de ses effets les plus graves, la zone touchée par l'explosion du 21 septembre n'englobe pas 500 hectares mais 3000 hectares ! Cela signifie que je suis confronté à une destruction totale de collèges qui ne se trouvent pas dans le périmètre Seveso. Cette indication rejoint le propos de M.Pierre Cohen : on ne risquait pas de faire des exercices parce qu'on n'avait jamais prévu le risque d'explosion.

M. le Rapporteur : Quel est le coût que vous estimez devoir supporter pour la réparation des collèges, compétence du Conseil général ?

M. Pierre IZARD : 500 millions de francs.

M. le Président : Nous avons posé la même question à M. Malvy pour les lycées.

M. le Rapporteur : A quel montant votre assurance est-elle limitée ?

M. Pierre IZARD : Le problème n'est pas là car notre couverture n'a pas de limite. Mais il faut aborder le problème de la responsabilité. J'ai voulu que le Conseil général fasse un recours civil, comme la mairie souhaite le faire - du moins je le crois - et comme je l'ai fait pour l'hôpital Marchant.

Je suis persuadé que la « menace » de ce recours civil permettra de bénéficier d'avances pour les réparations, ce qui n'est pas le cas lorsqu'on ne porte pas plainte au civil. Car le problème se pose bien en ces termes : qui octroiera les avances ? Je voudrais qu'on insiste sur ce point car il me paraît important. J'ai bien dit « faire un recours civil » et je n'ai pas parlé de procédure pénale, dans l'immédiat. Je me suis fait « couvrir » par le Conseil général et par l'hôpital Marchant pour ces deux possibilités, mais dans l'immédiat, il n'est question que de ce recours civil pour avoir accès au dossier et pouvoir toucher des avances afin de réparer les dégâts importants que nous subissons.

Permettez-moi de vous citer un exemple : je cherche actuellement des locaux de remplacement pour l'hôpital Marchant car même avec l'hôpital Larré, je n'en ai pas assez. Je vous rappelle que nous avons en charge 350 malades, reconnus comme dangereux.

J'ai certes la possibilité de louer une ancienne clinique, la clinique de l'Union. Le devis de location atteint 2,5 millions de francs. Mais si je n'obtiens pas l'accord des services des domaines sur le montant du loyer - ce que me demandent la DASS et l'ARH - je ne pourrais pas la louer et je vais le faire à mes frais. D'où la lenteur constatée ; je ne suis en outre pas assuré que je pourrai effectivement loger des malades. C'est exactement ce qui se passe avec les procédures administratives actuelles. D'une part, nous devons faire des avances en tant que sinistrés, les particuliers compris. D'autre part, les devis et les charges qui sont de notre fait doivent être acceptés.

M. le Président : Les propos précédents du représentant du cabinet Equad semblait être une réponse à votre question puisqu'il disait qu'il octroyait des avances à tout le monde. Évidemment, vous êtes un client bien trop important pour qu'il traite ce dossier de manière ordinaire. Est-il réellement nécessaire de se porter partie civile ?

M. Pierre IZARD : Une locataire d'une maison privée « ordinaire », située avenue de Lurs, a présenté à son assurance un devis de réparation d'une fenêtre pour un montant de 10 000 francs. L'assurance a estimé que cela était trop cher. Il en va de même pour un montant de 9 000 francs. Autrement dit, des devis, y compris pour de modiques sommes, ont été refusés par les assurances, sous le prétexte que c'était trop cher.

M. le Rapporteur : Ils ne l'ont pas dit publiquement.

M. Pierre IZARD : Je puis vous dire que je l'ai vécu. Ma maison et le lieu de travail de mon épouse ont été sinistrés.

Mme Hélène MIGNON : Hier, au cours de nos auditions, des associations ont prétendu que lors de l'arrivée des pompiers sur les lieux du sinistre, un problème de dégagement de gaz toxiques se posait et que les équipements étaient insuffisants pour permettre à tous les pompiers d'intervenir sans prendre de risques. On comptait six pompiers par voiture et seulement trois scaphandres. Est-ce vrai ? Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre IZARD : Je m'inscris en faux. Non seulement nos pompiers sont compétents et nombreux, mais des pompiers de toute la France nous ont rapidement prêté main forte. Il y en avait même tellement que nous avons dû établir, à 300 mètres, un énorme camp de base. Nous l'avons d'ailleurs vu à plusieurs reprises avec M. Philippe Douste-Blazy. A la limite, on ne savait trop que faire avec tant de pompiers. Il est vrai que tous les départements nous ont envoyé des hommes, ce dont nous les remercions. Ils étaient tous très bien équipés. Mais ils dépassaient Portet et un problème d'espace disponible se posait. D'ailleurs, ils ont été, pour certains, réquisitionnés pour la distribution des premières denrées délivrées par les grandes surfaces dans les quartiers les plus touchés, notamment la rue Bernadette.

Aucun problème ne s'est donc posé sous cet angle. En revanche, durant les quinze jours qui ont suivi l'explosion, alors que le colonel Donin en charge des pompiers avait la responsabilité du site, nous nous sommes confrontés aux ingénieurs chimistes et à l'établissement, certains disant qu'il fallait agir en un sens et d'autres estimant qu'il fallait faire autrement. Nous étions au milieu. Ce point méritera également d'être pris en compte.

Par ailleurs, le PPI étant abandonné, c'est rapidement l'établissement lui-même qui a eu à nouveau la responsabilité de la sécurité et de l'évacuation des produits dangereux.

M. le Rapporteur : Nous en avons également parlé hier avec le préfet. Le rapport Barthélémy - que vous avez lu - estime qu'il y a eu confusion des rôles, entre celui de l'exploitant qui doit assurer la sécurité et celui de l'Etat qui demandait que soient prises certaines mesures, alors que ce n'était pas forcément de son rôle.

M. Pierre IZARD : Tout à fait. J'y souscris pleinement, en précisant cependant que le directeur de l'établissement était dépassé par sa tâche et par l'événement.

M. le Président : Le préfet aurait dû conserver plus longtemps la responsabilité du PPI.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je reviens sur la situation des collégiens. Hier, le président du Conseil régional, M. Martin Malvy, évoquait le préjudice causé par cette explosion sur la vie scolaire des élèves des collèges, des lycées, voire des écoles. Quel est aujourd'hui votre sentiment quant au « chamboulement » qui en résulte pour l'année scolaire en cours pour tous les élèves de la Haute-Garonne et de la région, notamment s'agissant des passages dans les classes supérieures ? Beaucoup d'entre eux sont confrontés à de grandes difficultés pour suivre leurs études dans des conditions normales et ils ont été « bousculés » dans l'année scolaire en cours.

M. Pierre IZARD : Je ne puis accepter le terme de « bousculés » : les enfants ont été immédiatement replacés, les cantines et les transports ont été pris en charge par le Conseil général et ils ont été accueillis avec beaucoup de solidarité par les collèges voisins. Cela n'a pas excédé quinze jours et tous les enfants ont actuellement repris leur travail sur leur site habituel, même s'il s'agit d'Algéco. En revanche, on ne peut pas mesurer l'impact et l'intensité des troubles psychologiques dus à l'explosion, et ce d'une manière générale, quel que soit l'âge de la personne concernée. Par exemple, la semaine dernière, un spectacle pour enfants était organisé à l'école primaire par la mairie pour distraire les enfants et les sortir de leur trouble. Dans le cadre du spectacle, un pétard devait être lancé ! Le traumatisme occasionné par ce pétard a été réel et les enfants ont été très perturbés. Je le répète, qu'il s'agisse d'un enfant, d'un adulte ou d'une personne âgée, nous ne mesurons pas aujourd'hui les conséquences psychologiques de ce traumastime.

M. Pierre COHEN : Vous avez été acteur dans un certain nombre de domaines et observateur sur la plupart des dispositifs qui ont été mis en place depuis le 21 septembre, parfois par tâtonnements, comme nous l'avons vu avec les assurances. Notre Commission n'a pas à juger les événements de Toulouse mais doit, à partir d'eux, faire des préconisations sur les risques et leurs conséquences. Selon vous, existe-t-il des domaines pour lesquels il faudrait réellement soit légiférer, soit concevoir un dispositif visant à prévenir les problèmes que nous avons rencontrés et qui n'avaient pas été prévus ?

M. Pierre IZARD : Dans d'autres régions, les situations sont peut-être encore pires. On me parle en particulier de la vallée lyonnaise où la concentration d'usines chimiques et de dépôts de carburants est encore plus élevée. Nous avons eu à Toulouse une expérience « en grandeur nature » et il faut véritablement s'en servir pour en tirer les conclusions ici, mais aussi ailleurs. J'insiste sur la question de la concentration d'usines à risques dans une zone agglomérée de surface réduite et comptant 100 000 habitants, zone qui pouvait déjà être considérée « à risques », avec une population confrontée à de grands problèmes sociaux, ce qui n'a fait qu'accentuer encore la gravité de la catastrophe.

Il convient par ailleurs de noter que sur les trois sites considérés, le stockage de matières dangereuses chimiques était particulièrement important, en raison tant de la diversité que de la dangerosité des produits considérés. Même s'il fut une époque où on ne tenait pas trop à ce que je le dise, sachez que 230 tonnes de nitrates d'ammonium ont provoqué l'explosion. Or, au lendemain de l'explosion, il en restait toujours 5 000 tonnes.

En outre, s'agissant de l'explosion, il faut également tenir compte du transport de matières dangereuses, ce qui m'a particulièrement causé des craintes. Sachez que lors de l'explosion, des wagons de chemin de fer chargés en chlore ont été soulevés et sont sortis des rails. Grâce au ciel, il n'y a pas eu de fentes dans les citernes. Notez également qu'une conduite de phosgène traverse le site d'AZF. Certes, ses conditions de sécurité se sont révélées satisfaisantes, puisque grâce aux vannes nous avons coupé la conduite. Mais je ne sais pas ce qui se serait passé si la SNPE ou Tolochimie avaient été touchés par l'explosion. Tous ces sites sont quand même prêts les uns des autres. Dans ces conditions, nous sommes passés à côté de la grande catastrophe ! Il faut savoir que les stocks de produits hautement toxiques sont très importants : 6 300 d'ammoniac liquéfié, 100 tonnes de chlore, 1 500 tonnes de comburant, 6000 tonnes de nitrates d'ammonium solide, 30 000 tonnes d'engrais solides, 2500 tonnes de méthanol. Au niveau du cratère et dans le fameux hangar, on observe encore une couche de soixante centimètres de nitrate d'ammonium solidifié qu'on ne peut pas enlever.

M. le Rapporteur : Je reviens sur le logement et sur le relogement. Le Conseil général est responsable de l'office public HLM...

M. Pierre IZARD : Ah, non ! Je vais vous répondre.

M. le Rapporteur : C'est le cas dans notre département. Il existe également un office relevant de la ville et je suis président de l'OPAC.

Comment les problèmes de relogement  ont-ils été traités? Nous avons entendu un certain nombre de critiques générales - ne concernant pas le Conseil général - sur les conditions dans lesquelles il a été procédé au relogement. On a enregistré peu de logements vacants. Pourquoi ? Etaient-ils tous abîmés ?

M. Pierre IZARD : Premièrement, l'office départemental HLM, équivalent à celui que vous présidez, n'a pratiquement pas de logements sur Toulouse. Je dirai presque que nous n'avons pas droit de cité !

Deuxièmement, les trois grandes sociétés HLM concernent essentiellement Le Mirail - qui a été le plus touché - et Empalot. Ces trois sociétés sont l'OPAC de Toulouse, La Languedocienne et la société anonyme des Chalets dont l'actionnaire majoritaire est maintenant, contre vents et marées, le Conseil général. Mais la plus grande partie des logements sinistrés concernait l'OPAC de Toulouse.

Nous avons fonctionné les uns et les autres de manière totalement différente. Notamment, La Languedocienne et Les Chalets ont travaillé selon deux axes. En premier lieu, nous n'avons pas voulu poser de plastique, comme l'a fait l'OPAC de Toulouse. Nous avons voulu mettre immédiatement du plexiglas afin que les habitations aient de la lumière et conservent la chaleur ; nous y sommes très rapidement parvenus. En second lieu, la S.A. des Chalets, comme d'ailleurs La Languedocienne, ont leur propre personnel, qui a pu être rapidement mobilisé pour panser les plaies les plus vives et les plus urgentes. Ce n'est pas le cas de l'OPAC de Toulouse.

Plusieurs associations et plusieurs entreprises ont offert leurs services à l'OPAC de Toulouse mais les unes et les autres ont été refoulées et refusées.

Hier encore, j'ai fait le point avec la société des Chalets. Au début du mois de décembre, la plupart des opérations de « durable-provisoire » seront réglées pour ce qui concerne nos propres HLM. Il en est d'ailleurs de même pour l'autre société, La Languedocienne.

Que chacun prenne donc ses responsabilités et vous réponde à titre personnel.

M. le Rapporteur : Les observateurs extérieurs que nous sommes ne peuvent donc pas dire qu'il y ait eu une très bonne coordination entre les différentes collectivités.

M. Pierre IZARD : Il ne peut pas y avoir de coordination lorsqu'une opération concerne chacun ! Ce n'est pas possible ! Je ne vois pas comment je pourrais donner des ordres à un organisme que je ne contrôle pas. Je contrôle les organismes où je suis majoritaire et où je peux agir mais il n'est pas de mon devoir ou de mon pouvoir d'agir sur les autres. Je ne vois pas comment je pourrais le faire.

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie de votre disponibilité et de la qualité de vos réponses.

Table ronde réunissant des élus :

Mme Françoise IMBERT, députée,

M. Georges BEYNEY, Maire de l'Union,

M. Christian BILLIERES, adjoint au Maire de Lespinasse,

M. Gilles BROQUERE, Maire de Fenouillet,

M. Jean-François CHANTELOSE, Premier adjoint au Maire de Balma,

M. Philippe GUERIN, Maire de Cugnaux,

M. Bernard KELLER, Maire de Blagnac,

M. Henri MIGUEL, Maire de Saint-Jory,

M. François PERALDI, Maire de Portet-sur-Garonne,

M. Claude RAYNAL, Maire de Tournefeuille

M. Christian SEMPE, Maire de Saint-Orens,

M. Bernard SICARD, Maire de Colomiers,

M. Bernard SOLERA, Maire de Quint-Fonsegrives,

Mme Arlette SYLVESTRE, Maire de Launaguet

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Mesdames, messieurs, pour que notre contact soit efficace, nous ne devons pas passer notre temps à expliquer et à justifier ce que nous avons fait les uns et les autres. Nous ne sommes pas là pour enquêter. Nous ne sommes pas en concurrence avec l'action judiciaire en cours et cela nous est même interdit. Nous n'avons pas à nous mêler du judiciaire ; nous sommes purement dans le législatif.

Nous avons à essayer de trouver les voies et moyens d'une amélioration des systèmes législatif et réglementaire en cas de risques industriels et en cas de catastrophe. A la limite, votre expérience de la situation de Toulouse nous amènera plutôt à vous interroger sur le deuxième point. Ainsi, lorsqu'il y a une catastrophe, que faudrait-il faire pour améliorer les dispositifs ? Au vu des constations que vous avez faites, vous avez sûrement des propositions d'amélioration pour que cela n'arrive jamais plus et aussi, pour que lorsque cela arrive, on sache prendre à temps les bonnes dispositions. C'est ce que nous essayons d'obtenir des personnes que nous auditionnons. Il ne s'agit donc pas de trouver des responsables mais de voir comment il est possible d'améliorer les dispositifs.

Mes collègues et moi-même allons vous poser des questions. Je préférerais donc que les exposés liminaires que vous souhaiteriez faire soient aussi brefs que possible.

La parole est à notre collègue Françoise Imbert qui souhaite faire un petit exposé liminaire à la suite duquel notre rapporteur vous posera des questions.

Mme Françoise IMBERT : Je souhaite d'abord vous remercier, monsieur le Président de la commission d'enquête sur la sécurité des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.

Je remercie également mes collègues parlementaires, Jean-Yves Le Déaut, rapporteur, Yvette Benayoun-Nakache, Hélène Mignon, Pierre Cohen et Albert Facon.

Merci d'avoir accepté de rencontrer les élus de l'agglomération toulousaine et plus particulièrement à ma demande les élus du nord-est toulousain. En effet, dans cette zone, notamment le long de la RN 20, un certain nombre d'installations classées - au nombre de sept - sont implantées et créent des inquiétudes à l'ensemble des élus et des administrés de tout ce secteur.

Ce sujet a été abordé lors d'une rencontre, à mon initiative, avec le secrétaire général de la préfecture de la Haute-Garonne, des maires concernés, la DRIRE, le 5 novembre dernier. Je rappelle que le long de la RN 20, de Toulouse à Saint-Jory, on trouve sur cinq kilomètres un dépôt de carburant Total, un dépôt régional de TotalGaz, des silos à grains, une gare de triage où transitent des matières à risques et le site Soferti qui fabrique divers produits chimiques, acide sulfurique, acide nitrique, superphosphates et un dépôt de nitrates d'ammonium.

Les élus des communes proches de ces installations -Fenouillet, Lespinasse, Saint-Jory, Aucamville, St Alban, etc. - mais aussi de l'autre côté de la Garonne, Blagnac, Beauzelle et un certain nombre d'autres communes, demandent que des études de danger soient prévues, que les risques industriels soient réduits, que les populations proches des sites à risques soient mieux informées et enfin que les services de l'Etat chargés d'élaborer des plans de secours soient renforcés.

Le compte rendu de la réunion que nous avons tenue le 5 novembre dans la salle des gardes avec le secrétaire général évoque tous les sites à risques de cette zone. Nous vous remettrons un exemplaire du compte rendu et je me dois de laisser maintenant la parole à mes amis maires, ce qui permettra à la commission d'enquête d'être éclairée sur les interrogations relatives aux risques auxquels peuvent être exposées les populations riveraines mais aussi les salariés d'industries chimiques.

M. le Rapporteur : Nous avons souhaité avoir aujourd'hui un contact avec un certain nombre de maires parce que vous êtes, mesdames et messieurs, en première ligne sur le lien entre le risque industriel et les populations.

Comme cela vient d'être dit, on compte en France 1229 installations classées Seveso, 672 Seveso à hauts risques et dangereuses, dont 14 en Haute-Garonne. Dans la circonscription de Mme Imbert, j'en note quatre ou cinq en Seveso à seuil haut.

Un certain nombre de réglementations existent - Seveso 1 et Seveso 2 - mais elles aboutissent à la mise en place de périmètres de protection et à la réalisation d'étude de dangers.

La commission d'enquête souhaite vous poser une première question.

Êtes-vous correctement informés des mesures de protection des populations prévues en cas d'accident, notamment dans le cadre du plan particulier d'intervention ? Avez-vous été associés à leur élaboration ? Est-ce que sur les études de dangers et les périmètres de protection, une bonne coordination est-elle assurée entre ceux qui l'élaborent et les maires des communes situées en première ligne, si un accident majeur se produit.

M. Christian SEMPE : Je ne suis maire que depuis le mois de mars et ce sont donc là des problèmes que j'ai découverts. Sitôt l'explosion d'AZF, je me suis penché sur ma commune où un établissement me paraissait dangereux. J'ai immédiatement saisi le préfet pour savoir comment était classé cet établissement.

J'ai fait une lettre le 26 septembre et une autre le 1er octobre. M. le préfet m'a envoyé une première réponse en disant qu'il ne lui semblait pas que l'établissement présentait des risques et était classé à risques.

Je l'avais alerté en lui disant dans la deuxième lettre que cet établissement, au vu des textes - que j'avais épluchés entre-temps - me semblait être classé en Seveso 2. Il s'agit d'un dépôt de gaz, Repsol.

En novembre, j'ai reçu une autre lettre de M. le préfet qui me disait bien qu'effectivement, après vérification, cet établissement était classé en Seveso 2.

Pourquoi est-ce que je cite cet exemple ? C'est pour montrer l'à peu près qu'il y a en ce domaine. Si je n'avais pas été alerté à la fois par des riverains qui avaient regardé les textes et par des services municipaux - aux moyens limités - à qui j'avais demandé de bien vérifier, jamais je n'aurais eu connaissance de ce classement.

Il me semble donc qu'il y a beaucoup de retard entre les textes et la réalité sur le terrain.

M. le Rapporteur : Vous avez raison et c'est là un des points sur lesquels la commission d'enquête devra préciser les choses. Quels sont les établissements classés ? Est-ce que tous les établissements concernés dans notre pays ont été bien classés ?

M. Gilles BROQUERE : Ma commune, Fenouillet, représente 0,5 % du total de la population de l'agglomération toulousaine et elle a 50 % des usines Seveso, seuil 2. En effet, sur les quatre de l'agglomération, ma commune en a deux.

L'usine de Soferti qu'évoquait M. le rapporteur fabrique divers produits et stocke du nitrate d'ammonium. Elle n'a pas de PPI. Nous n'avons donc pas été informés et nous ne savons pas que faire en cas d'accident. C'est donc une situation très grave. En outre, c'est par hasard que nous avons découvert très récemment qu'elle était classée Seveso 2, seuil haut. Nous n'avions aucune information des services de l'Etat concernant ce classement. On peut regretter qu'une certaine confusion règne au sein des services de l'Etat, de la DRIRE et de la préfecture pour le classement de cette usine.

Elle est Seveso 2, apparemment depuis le 29 juin dernier.

Il est regrettable que certains services de l'Etat n'étaient pas au courant de ce classement à tel point que non seulement il n'y a pas de PPI mais un simple POI.

Plusieurs accidents se sont produits dans cette usine, dont de nombreux accidents de phytotoxicité et de pollution des sols. Un grave accident s'est également produit le 29 août 2000, avec une émission de fumée qui est allée bien au-delà des limites de l'usine. Toute la pollution, au-delà de la commune de Fenouillet, a été largement concernée par cet accident.

Bien sûr, une enquête a été diligentée par rapport à cet accident. A ce jour, nous n'avons aucun élément écrit concernant le rapport d'enquête sur cet accident.

C'est la raison pour laquelle tant la commune de Fenouillet que d'autres communes riveraines, le Conseil général et la communauté d'agglomération ont demandé la suspension provisoire des activités de cette usine, ce qui n'est pas toujours réalisé jusqu'à maintenant.

M. le Rapporteur : Avez-vous demandé par écrit ce rapport d'accident ?

M. Gilles BROQUERE : Oui, nous l'avons demandé par écrit et plusieurs fois à la préfecture.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous transmettre ces courriers ?

M. Gilles BROQUERE : Absolument !

M. le Président :Avec les réponses, s'il y en a eu !

M. Gilles BROQUERE : Nous vous transmettrons donc ces courriers avec les réponses.

M. Philippe GUERIN : Nouvel élu depuis mars 2001, je souhaite reprendre ce qu'a dit mon collègue Sempé concernant l'information des maires.

Nous n'avons en mairie aucun document d'information. Nous n'avons aucune « association » avec les services de l'Etat sur les risques que peut encourir la population de nos communes de par la présence d'installations classées, Seveso ou.

Par ailleurs, nous n'avons non plus aucun mode opératoire en cas de risque majeur ou d'accident pour prendre des mesures conservatoires vis-à-vis de la population, notamment les enfants des écoles, ou vis-à-vis des biens de la commune. C'est donc là un premier élément : nous fonctionnons à l'aveugle. C'est bien ce qui s'est passé le 21 septembre dernier : nous n'avions aucun élément.

Je veux insister sur un deuxième point : le problème de la transmission de l'information et de la communication. C'est aussi pour nous un élément fondamental.

A partir du moment où l'explosion s'est passée, il y avait rupture de communications entre les mairies. On ne pouvait pas avoir d'informations. Tout le monde pensait que l'explosion s'était produite à côté ! On ne savait pas le risque que pouvaient courir les populations, si un problème de toxicité se posait, s'il y avait d'autres mesures à prendre.

Chacun de nous s'est trouvé dépourvu d'éléments. En ce qui me concerne, pour savoir ce qui se passait et essayer d'avoir des informations, j'ai été obligé de faire les liaisons à pied entre la mairie et la gendarmerie qui avait des liaisons radio. Dans un esprit d'amélioration et dans un mode « curatif » de cet accident, il serait donc important d'avoir un système sécurisé entre les mairies et la préfecture ou un système Internet d'information qui permettrait à l'ensemble des maires de l'agglomération d'avoir connaissance des secteurs à risques des différentes communes - périmètre éloigné ou périmètre rapproché - et d'avoir un mode opératoire qui permettrait de prendre les mesures nécessaires en cas d'accident.

Enfin, j'ai sur ma commune un dépôt de pneus qui est installation classée. Il dépasse de dix fois l'autorisation préfectorale installation classée en matière de volume de stockage. Malgré différentes interventions auprès de la DRIRE ou auprès des services de la préfecture, aucune action n'est aujourd'hui menée pour ramener ce dépôt à des limites acceptables et réglementaires. Cet exemple corrobore le propos de mon collègue Sempé. Il y a, semble-t-il, une inertie ou une absence d'actions pour ramener un certain nombre d'activités dans des normes réglementaires.

M. le Président : Souhaitez-vous vraiment avoir la totalité des informations sur tous les POI et PPI de toutes les usines à risques qui sont proches de vos communes, au risque d'être ensuite considérés comme responsables par vos concitoyens pour tout ce qui arrive ou n'arriverait pas ?

Aujourd'hui, quand vous avez un dépôt de pneus qui n'est pas conforme, vous pouvez toujours dire que vous avez demandé vigoureusement la mise en conformité mais si vous en étiez dépositaire depuis le début vous seriez d'une certaine façon coresponsable.

M. Philippe GUERIN : Quoi qu'il arrive, les maires sont toujours responsables et en première ligne.

Le cas échéant, on est responsable de ne pas savoir et de ne pas avoir pris les mesures de prévention qui devaient s'imposer. Lors de l'explosion d'AZF, j'ai l'exemple de parents d'élèves qui voulaient récupérer leurs enfants. Dans leur esprit, c'est le maire qui était responsable des mesures que le rectorat a demandé de prendre aux enseignants de la commune : le confinement.

M. le Rapporteur : S'agissant des périmètres de protection - les PIG - il est évident que cet élément doit être public. En vous écoutant, nous constatons non seulement que ce n'est pas le cas mais que vous ne savez même pas que des établissements sont classés Seveso car on ne vous l'a pas dit. Du moins, certains d'entre vous ne le savent pas.

Pour nous, il est évident qu'il doit y avoir transparence dans ce domaine.

M. Claude BILLARD : Les questions relatives à la transparence et à la connaissance pour les élus locaux que vous êtes sont évidemment des questions d'importance. Les premiers intervenants ont souligné le fait qu'il y avait en la matière beaucoup d'améliorations à apporter.

D'après l'article 21 de la sécurité civile, l'information en matière de risques doit être portée à la connaissance. Est-ce à dire que vous êtes à cet égard dans une situation de non-information et donc de non-publication à la population ?

M. Philippe GUERIN : Tout à fait !

M. Henri MIGUEL: Je ne puis que corroborer un tel propos. Comme l'a indiqué Françoise Imbert, nous avons eu une réunion en préfecture le 5 novembre. M. Breix, absent aujourd'hui, représenté par M. Billières, a eu la surprise d'apprendre qu'il avait un nouveau site classé Seveso sur sa commune alors qu'il n'était pas informé. Il s'agit de l'ancien dépôt UMS ! Nous-mêmes, représentants de la commune voisine, nous avons appris au cours de cette réunion qu'il y avait un nouveau site classé Seveso, seuil bas, sur la commune de Lespinasse. Il s'agit de stockage de gaz liquéfié. Ce jour là, nous avons donc appris qu'en plus de tout ce que l'on connaissait il y avait encore un nouveau site.

Il me semble que nous devrions avoir au moins ce minimum d'information !

La commune de Saint-Jory se situe en bout des communes de la RN 20. L'effet domino n'a pas encore été évoqué alors que nous l'avons rappelé au préfet dans de nombreux courriers. Que pourrait-il se passer en cas de catastrophe ?

On commence par Fondères où se trouve le dépôt d'ELF. Puis vient l'usine Soferti, puis la gare de triage, les silos à grains, le dépôt UMS, le dépôt de carburant Total. Que peut-il se passer en cas de catastrophe sur un de ces sites ? Aujourd'hui, nous n'avons aucune réponse à apporter à la population.

M. le Rapporteur : Nous poserons la question au DRIRE cet après-midi.

M. Henri MIGUEL : Je le répète, l'information est toute récente : depuis le 5 novembre, nous savons qu'il y a un nouveau site classé Seveso, seuil bas, sur la commune de Lespinasse.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Cette commission d'enquête parlementaire a pour objet de tirer quelques enseignements et de tracer quelques pistes dans la réflexion générale. Aussi, je pose une question précise sur la difficulté que vous avez à être informés.

Avant 1984, c'est l'Etat qui autorisait les permis de construire. Depuis lors, ce sont les maires que vous êtes qui les accordez. Vous nous dites que vous avez des difficultés à être informés sur le point de savoir si vos sites sont classés Seveso.

Vous délivrez donc des permis de construire depuis 1984. Il se pose donc sur ce plan une réelle difficulté. Comment faire pour que les maires puissent les délivrer en toute sécurité ?

M. Bernard SICARD : Il y a en effet une sorte d'incohérence. C'est le maire qui accorde le permis mais il le fait après interrogation des services de l'Etat concernés. Il n'a pas la science infuse.

Une procédure d'instruction se décline normalement, avec passage dans les services de l'Etat pour validation. Mais c'est à ce stade là qu'il n'y a pas forcément toujours le bon retour ou en tout cas le retour. Autrement dit, on va autoriser le maire à lâcher un permis mais sans forcément lui donner le contenu des risques dudit permis. Le maire est-il bien intégré dans cette réflexion ? Il faudrait peut-être par commencer par ordonner et rendre cette démarche cohérente.

Je rejoins tout à fait le point de vue de mes collègue sur cette non-information initiale sur l'évolution du contenu de ces sites et sur le non-retour en tout cas de l'information.

Je dois également souligner le manque d'information sur le contenu d'une catastrophe - en l'occurrence sur celle que nous avons vécue - et sur les applications locales à mettre en place pour être le plus efficace possible. Nous sommes restés trop longtemps sans information précise à la fois sur ce qui s'est passé et sur ce qu'il fallait faire localement.

M. François PERALDI : Je crois que le problème des permis de construire dépasse largement celui des sites industriels. Il y a aussi les survols d'aéronefs, les inondations, tous les accidents qui peuvent intervenir. Au niveau de la législation, les députés devraient peut-être revoir les problèmes liés à la délivrance des permis de construire en fonction de la prise en compte de l'ensemble de ces risques.

Pensez à tous les changements dans la réglementation, en particulier au niveau des zones de bruit, selon les constructibilités ou les non-constructibilités. Elles varient bien souvent d'une année sur l'autre. Le malheureux maire qui travaille par exemple sur une ZAC avec l'accord préfectoral se retrouve subitement avec des permis de construire qui ne sont plus valables. Un particulier « fondrait les plombs » ! S'agissant d'une collectivité locale, le maire prend en charge le déficit sur le budget communal mais à lui de se débrouiller aux élections suivantes.

Le débat du permis de construire dépasse donc largement le problème du risque industriel.

Concernant le risque industriel et la connaissance que les maires peuvent avoir des problèmes éventuels, je rejoins mon collègue Sempé : nous sommes dans une situation de non-information qui nous entraîne quelquefois à minimiser les risques mais surtout à ne pas les connaître.

M. Christian SEMPE : En 1997, le site qui est installé sur ma commune était soumis à déclaration et non pas à autorisation. Ce que je reproche donc aux services de l'Etat, c'est de ne pas avoir suivi ce site dans l'évolution par rapport à la législation.

Lorsque j'ai écrit au préfet le 26 septembre, sa première réponse était de dire qu'il n'y avait pas de classement, bien que le 1er octobre je l'alerte sur ce point ! Il est donc nécessaire de faire une recherche. Il ressort bien que les services de l'Etat ne puissent pas donner l'information parce qu'ils ne la maîtrisent pas à ce stade là.

M. Bernard SOLERA : J'ai appris par la radio et par la défense civile, une heure après, qu'il fallait rentrer chez soi et se calfeutrer. La chose était difficile pour ceux dont toutes les vitres étaient brisées.

Je ne puis que conforter les propos de mes collègues. A partir du moment où un risque peut se produire, pourquoi les maires ne sont-ils pas informés de la façon dont ils pourraient agir ? Nous sommes démunis par le manque d'information en cas de problème grave.

M. Bernard KELLER : Ma commune, Blagnac, est celle de l'aéroport et elle n'a pas de site classé Seveso. Le premier risque est donc lié à l'aéronautique, avec le groupement d'avitaillement de Toulouse qui stocke du carburant. C'est un site soumis à déclaration et à autorisation.

En fait, nous avons sur notre commune trois types de risques. C'est le risque industriel, lié à l'aéronautique, avec le stockage de carburant. C'est aussi le risque naturel puisque nous sommes soumis au risque inondation.

Je reviens ainsi à la première question sur l'information préalable. Constatant après les inondations de la Pentecôte en 1999 l'insuffisance de l'information, y compris sur l'alerte des crues - ma commune n'a pas été avertie par les services de l'Etat - nous avons mis en place par substitution et pour pallier une relative carence un département de prévention des risques et de la sécurité blagnacais. Moyennant à quoi, j'arrive à avoir un certain nombre d'informations, peut-être mieux que mes collègues, parce que le fonctionnaire qui est en charge de cette responsabilité est très proche des services de l'Etat et veille régulièrement à avoir ces informations. Mais c'est quand même un peu par substitution.

Par rapport au permis de construire, s'agissant des risques industriels comme des risques naturels, le problème est exactement le même. S'il est vrai que c'est le maire qui octroie in fine le permis de construire, il est vrai aussi que les services de l'Etat doivent donner l'avis technique au regard de la réglementation en vigueur. Je dois dire qu'à certain moment il tombe comme un couperet. Ainsi, s'agissant des risques inondations, je peux témoigner qu'à un mois de différence, un permis à lotir qui avait été octroyé par mon prédécesseur avec l'accord des services de l'Etat a permis des constructions pendant deux années et tout d'un coup, au mois de mai 1998, ce qui était vendu comme terrain constructible ne l'était plus. Je vous laisse là deviner les risques politiques et financiers qui peuvent en résulter. Le lotisseur se retourne contre la commune, laquelle se retourne contre l'Etat ! Bref, il y a là aussi une mise en _uvre dans l'application de la réglementation qui est peut-être à considérer, pour autant qu'il faille bien qu'elle s'applique quand même à un moment donné.

Enfin, s'agissant de l'accident AZF, je veux beaucoup insister sur l'incapacité totale d'avoir des informations dans laquelle nous avons été tous, tout simplement au regard du non-fonctionnement des systèmes de communication. J'insiste même très lourdement sur ce point : les téléphones ne marchaient plus, que ce soit le filaire ou le portable ! On ne savait pas d'où provenait l'explosion. On en a ressenti le choc jusque dans ma commune ! Il y a même eu des vitres brisées. Je ne vous cache pas que ma première pensée a été à un possible crash d'avion sur l'aéroport. Il m'a fallu près d'une demi-heure, à force d'essayer sur le portable, pour arriver à avoir le secrétaire général de la préfecture.

A mon sens, il y a une première leçon à tirer de cette expérience. En cas de catastrophe naturelle ou de catastrophe industrielle, il faut à tout prix mettre en _uvre des procédures d'exception qui portent à la fois sur les systèmes de communication et, comme l'a dit Bernard Sicard, sur les solutions à apporter. Ce qui se passe à Toulouse aujourd'hui montre à l'évidence que les procédures classiques sont parfaitement inadaptées.

Mme Arlette SYLVESTRE : Mes collègues ont dit ce que je voulais dire. J'insiste à mon tour sur le couperet des zones inondables qui s'est inscrit immédiatement dans les actes d'urbanisme et auquel nous avons été confrontés. Pourquoi ne peut-on pas y soumettre les sites industriels ?

Je veux aussi souligner le problème des télécommunications. Nous nous sommes retrouvés dans nos communes avec des situations de panique à gérer, notamment la panique de tous les parents d'élèves et d'enfants dans les crèches. Nous devions aussi maîtriser notre propre panique d'être dans l'ignorance. Nous entendions ce que disait la radio ! Mais les gendarmeries n'avaient elles-mêmes plus de communications, ce qui est pour le moins surprenant. Nous allions donc à la gendarmerie mais nous n'obtenions pas de réponse.

Nous avons dû prendre sur nous de laisser sortir les enfants alors que nous entendions à la radio qu'il fallait les confiner ! Nous avons pris sur nous beaucoup de décisions face à un état de panique que l'on ne mesure plus une fois l'événement passé. En tout cas, il faut vraiment faire quelque chose pour les télécommunications.

M. Pierre COHEN : Je souhaite faire une remarque à mes collègues concernant les décisions qui peuvent être prises au plan national, en m'adressant plus particulièrement aux parlementaires qui légifèrent. Cette commission parlementaire est faite pour qu'il y ait un après-Toulouse. Certaines préconisations pourront faire que des plans prévus vont tomber. Il me paraît normal qu'à partir du moment où l'on pense que quelque chose ne va pas il faille l'arrêter plutôt que de continuer. Je pense aux inondations mais il en sera de même pour le problème des usines à risques, sur le plan industriel et technologique.

Christian Sempé et Philippe Guérin sont deux nouveaux maires et ils disent qu'ils n'ont pas eu d'informations. Nous savons, nous, autres élus, que nous avons eu l'information dans le temps.

Au-delà du fait que l'on peut critiquer sur sa non-capacité de donner l'information au bon moment, il me paraît important de bien faire comprendre que les communes ne sont pas obligatoirement dans une continuité exemplaire en termes de suivi. Quand une nouvelle équipe arrive, elle n'a pas obligatoirement tous les dossiers. Il faudrait que dans nos préconisations nous proposions qu'à chaque renouvellement de mandat il y ait de la part de la préfecture un retour sur information, avec des éléments écrits et des circulaires à communiquer. Les accidents autres que l'explosion étaient prévus et nous avons reçu des formulaires pour distribution dans nos différents établissements, écoles ou autres. Je le répète donc, il est important que le préfet fasse, après chaque élection, un retour sur information.

Nous poserons aussi aux DRIRE le problème de l'opacité existante par rapport aux risques. Nous avons énormément de difficultés à mettre sur la table les éléments de la confrontation entre l'industriel qui doit indiquer les dangers et les risques, l'Etat qui doit contrôler et tout l'environnement qui apprend très tard - ou qui n'apprend pas - le danger réel auquel il peut être confronté et la façon d'agir le cas échéant.

Au vu de ce que vous avez vécu et de ce que vous ressentez, avez-vous donc des préconisations à nous apporter pour qu'en tant qu'élus vous soyez un véritable partenaire et un relais nécessaire par rapport aux populations, sachant que nous avons quelques difficultés à faire jouer leur rôle aux forces vives et à nos concitoyens quand ils ne sont pas informés ?

M. le Rapporteur : Le débat sur l'information est intéressant. Vous indiquez tous qu'en situation de crise se pose un problème de communication et ce problème doit effectivement être traité.

Deuxième point, qu'il s'agisse d'anciens ou de nouveaux maires, il y a un manque d'information sur des établissements dans les communes. Mais il y a aussi un manque d'information - M. Sempé l'a bien indiqué - quand intervient une modification à l'intérieur de l'usine. Or la réglementation actuelle prévoit ce cas. Ainsi, selon la réglementation Seveso 2, l'étude de dangers doit être réactualisée tous les cinq ans et que les plans d'urgence - le plan d'opérations interne à l'entreprise ou le plan d'intervention - doivent être réactualisés tous les trois ans. Or, en vous entendant, je note que la loi actuelle n'est pas respectée. Mais ce n'est même pas la loi qui est en cause. En effet, s'agissant de Seveso 2, au dernier chapitre, concernant l'information du public, il apparaît que vous devez être des organisateurs ou du moins des passerelles de l'information du public qui a le droit de venir donner son avis sur les plans d'urgence, sur les plans d'opérations internes, sur les études de dangers.

A vous entendre, cela n'est pas possible à partir du moment où cette information n'est pas continue. A mon sens, il faut voir comment à un moment donné cette information peut être continue. Il faut des informations croisées entre l'industriel et le public, ce qui passe obligatoirement par les collectivités locales.

M François PERALDI : Les questions de Pierre Cohen appellent un certain nombre de réponses.

Je suis depuis vingt-cinq ans maire d'une commune limitrophe d'AZF et, comme par hasard, j'y ai travaillé trente ans, ce qui n'est pas forcément fait pour donner du poids à mon témoignage. (Sourires.)

Il faut être clair ! Sur AZF, les risques d'une explosion n'ont jamais été pris en compte par les services de l'Etat. On ne pouvait donc avoir à ce niveau là aucun plan d'évacuation et aucun plan d'actions puisque les seuls plans d'actions qui étaient donnés, l'étaient en cas de fuite de phosgène. Le haricot de zone de protection qui était défini par les services de l'Etat et l'industriel était un haricot de protection sur fuite de gaz et non pas sur explosion. Nous nous sommes donc trouvés dans un cas très particulier où le risque technique n'avait pas été prévu, qu'il s'agisse d'un accident, d'un attentat, d'une malveillance ou autre. Je le répète, le risque technique d'une explosion n'avait pas été prévu. A partir de là, le dernier maillon de la chaîne - le maire de la commune riveraine - ne pouvait pas très bien être au courant de ce qu'il convenait de faire.

Premier point donc, faute technique dans l'élaboration des dossiers.

Deuxième point, j'ai eu la surprise de voir au Conseil général un document - le rapport des services de l'Etat pour l'année 2000 - auquel je vous recommande de vous référer si vous ne l'avez déjà fait. Il fait part du rapport annuel de la DRIRE, avec deux paragraphes sur AZF. C'est assez instructif !

M. le Président : Pouvez-vous nous le transmettre ?

M. François PERALDI : Vous pourrez l'obtenir facilement puisqu'il s'agit du rapport des services de l'Etat. Je l'ai lu au Conseil général, début novembre.

M. le Président : Nous allons le demander au DRIRE cet après-midi.

M. François PERALDI : Je pense que mes collègues du Conseil général l'ont eu aussi. J'ai eu simplement la curiosité de lire le rapport annuel de la DRIRE.

Pour ce qui est des phénomènes inhérents à la mise en place d'une loi, rejoignant en cela tout à fait mon collègue Cohen sur le problème, il vient un moment où il faut mettre cette loi en place. Il n'en demeure pas moins que peuvent être prises des mesures d'adaptation, de prévention, de discussion non pas subitement mais en tenant compte des circonstances. Comme le disait Bernard Keller, il se peut qu'une zone constructible devienne subitement inconstructible. Qui accuse-t-on automatiquement ? Le maire ! Je crois donc qu'il convient d'avoir au moins à ce moment là des réunions d'information des riverains, avec le soutien des services de l'Etat, expliquant la prise en compte d'un certain nombre de contraintes à mettre en place.

Concernant les risques industriels majeurs, autant nous étions au courant pour AZF, bien sûr, ou pour Tolochimie, j'ai appris par exemple que l'entreprise Linde Gaz, ex Aga, ex Air Liquide, était Seveso 2 depuis mai 2000. Elle est située sur Portet, sur la zone industrielle du Bois-Vert. Certes, il s'agit de distillation d'air liquide qui se passe à moins 150 ou moins 170 degrés, ce qui ne saurait avoir de conséquences dramatiques a priori. Mais elle a été classée Seveso 2. Il conviendrait aussi de voir quelles sont les normes techniques de classement Seveso 2 et je commence aussi à me poser quelques questions sur ce point. Je crois savoir que même les boulangeries industrielles sont classées Seveso 2.

M. Philippe GUERIN : Je partage tout à fait les propos de Pierre Cohen sur le nécessaire besoin d'avoir une pérennité au niveau de la documentation et des informations en mairie. Toutefois, j'ai une proposition à faire dans le cadre de l'information.

Les mairies sont toutes branchées au réseau Internet. Ne serait-il pas possible que les préfectures téléchargent régulièrement des informations relatives à ces risques industriels et également une actualisation régulière de ces risques, avec des mesures de précaution à prendre ou des mesures d'instruction à donner aux populations en cas d'accident ? Cela permettrait d'avoir une actualisation régulière de l'information, d'avoir accès même en cas de rupture de communications à une base de données qui serait déjà téléchargée en mairie et qui permettrait aux maires de savoir ce qu'il faut faire en cas d'accident.

M. le Président : Merci pour cette proposition.

M. Georges BEYNEY : Ma commune de coteau n'est pas concernée par un établissement Seveso. Je formule simplement une interrogation. Nous avons été dans l'ignorance totale de la nature de la pollution et des polluants. Cet élément d'information nous paraît pourtant bien évidemment important et même primordial.

Sachant bien que rien n'est parfait, on peut raisonner aussi dans l'absolu et être idéaliste. Encore faut-il conserver les pieds sur terre.

Les maires ont la responsabilité de la délivrance des permis de construire mais pas en matière d'établissements classés : les deux procédures sont parallèles et totalement indépendantes.

Revenant sur ce qui a été dit sur le problème du passage de la déclaration à l'autorisation, j'observe que nous sommes souvent démunis. Quelquefois, les éléments subjectifs priment de très loin sur l'objectivité. Je prends un exemple qui s'est passé il y a plus de dix ans. La PAVE qui utilise des gammatrons pour vérifier les soudures a demandé alors l'autorisation de stocker et d'utiliser un gammatron sur place, à titre d'essai. Il en est résulté une révolution et 2800 signatures ont été rassemblées. Nous nous sommes trouvés seuls pour résoudre ce problème et il a fallu faire appel à des sommités scientifiques, en vain. Nous nous en sommes sortis simplement en passant un accord avec ladite société, celle-ci ne demandant dans l'autorisation sollicitée que le stockage, en garantissant qu'elle n'exploiterait pas sur place. Nous avons même modifié le POS à cette fin. Toutefois, ces démarches n'ont pas été suffisantes pour calmer l'inquiétude des habitants alors que dans la rue ils peuvent trouver un gammatron à deux mètres d'eux. Il a fallu installer des enregistreurs de la radioactivité et elles sont toujours en place depuis dix ans.

Il faut aussi évoquer la nature de l'information, point qui a été déjà soulevé par certains de mes collègues et je remercie notamment Bernard Keller de l'avoir évoqué. En matière de crues, nous sommes confrontés à un véritable jeu de yo-yo. Dans les plans d'urbanisme, on ne prend en compte la crue centennale et dans la prévention des risques, on prend les plus hautes eaux connues, sans se préoccuper de savoir ce qui a été fait entre-temps. Par exemple, l'Hers a été chez nous recalibrée pour prendre en compte la crue trentennale qui, bien évidemment, a une incidence sur le périmètre.

Nous avons aussi des informations en matière d'annonce de crues mais neuf fois sur dix, nous nous déplaçons pour rien. On annonce à un maire que la hauteur de crue sera de telle hauteur dans sa commune mais on ne sait absolument pas comment cela se traduira. Je suis maire depuis plus de trente ans et je n'ai jamais eu d'explication sur ce problème.

Il est bon d'insister sur la nécessaire information mais encore faut-il tenir compte de la nature de l'information. Il faut qu'elle soit fiable, ce qu'elle n'est pas aujourd'hui.

M. Claude BILLARD : Hier, au cours de l'audition des associations mais aussi de M. le préfet, les mérites du SPPPI nous ont été vantés. Il s'agit, nous a-t-on dit, d'un lieu, d'une instance de concertation. Quel est votre avis du point de vue de la connaissance et de l'information que vous revendiquez avec raison ? Que pensez-vous de cette instance ?

M. Henri MIGUEL : Cette question peut être l'occasion pour certains maires d'avoir quelques éclaircissements sur le SPPPI. Pour ma part, je reviens sur ce problème de l'information. Je suis maire depuis deux ans - mars 2000 - et j'ai eu la particularité de faire un an d'essai. Je le précise car j'ai été confronté à deux situations, d'abord en 1999, avec une tornade qui s'était abattue sur la région, entre Merville et Saint-Jory, puis en juin 2000 avec la crue.

L'importance de la nature de l'information vient d'être soulevée. Je souhaiterais surtout que nous ayons une information de qualité et qu'il n'y ait pas à travers elle un transfert de responsabilité. En juin 2000, au moment de la crue, tout le monde savait que la Garonne était en train de monter et elle est montée d'un seul coup dans la nuit. Aucune, je dis bien aucune des communes qui longeaient la Garonne n'en a été informée. Le lendemain matin, à six heures, toute une partie de Saint-Jory avait les pieds dans l'eau. Je m'en suis ému auprès de la préfecture et on a reconnu qu'il y avait eu carence au niveau de l'information.

A travers cet exemple, je me demande aujourd'hui ce que nous devons attendre. En effet, que s'est-il passé suite aux nombreux messages des communes concernant les alertes météorologiques ? Dès qu'il y avait un coup de vent sur Toulouse, la gendarmerie m'appelait pour m'annoncer un risque d'orage ou de tempête. Ma commune compte soixante exploitations maraîchères et les premières fois j'ai bien sûr averti les maraîchers immédiatement. Pourtant, il n'y avait pas un coup de vent dans la nuit ! C'est la raison pour laquelle je reviens à cette notion de qualité de l'information.

Trop d'informations tue l'information ! Il ne faudrait surtout pas que l'information soit l'occasion d'un transfert de responsabilité des services de l'Etat envers les maires.

M. le Président : Tout à fait ! Dans ma région, vous avez tout à fait entendu parler du parc du Pourtalés où s'est abattue cet été une tornade. Des arbres se sont effondrés sur une manifestation et il y a eu une trentaine de morts. Qui est responsable ? « La météo n'est pas une science exacte », disent les responsables de la météo. « J'ai averti ... » dit tel ou tel service. Qui est donc responsable ? Certaines situations sont inextricables. C'est la raison pour laquelle une information sûre doit vous être communiquée mais sans être pour autant responsable. Au responsable lui-même d'assumer complètement sa responsabilité et son devoir d'information.

M. Bernard KELLER : Comment essayer d'améliorer l'information, notamment celle des citoyens, et notre relation avec eux ?

Peut-être serait-il bon de mettre en place sur les zones classées à risques et dans le périmètre de ces zones des comités locaux de prévention des risques qui se réuniraient deux fois par an avec la participation des élus, des industriels, des associations et des citoyens concernés, c'est-à-dire les riverains, sur la base d'informations qui leur seraient communiquées par prescription à l'industriel ?

Je fais aussi une proposition au législateur. Peut-être pourrait-on aussi envisager, de la même manière que l'on demande à des entreprises de produire tous les ans un bilan financier et, depuis un certain nombre d'années, un bilan social, de demander aussi la production d'un bilan sur la prévention des risques de la part d'entreprises qui génèrent des risques et compte tenu de l'activité qu'elles déploient ? Ce document pourrait être associé au bilan social et être utilement produit à ces comités locaux de prévention des risques.

Toujours pour améliorer l'information, peut-être pourrait-on aussi dans les zones géographiques classées à risques - j'y inclus les risques naturels - et pour la délivrance des permis de construire aux citoyens associer au document délivré ou à l'information préalable, au moment du dépôt du permis de construire, une information qui précise que tel citoyen demande à construire dans une zone classée, selon une échelle différenciée de risques natures, industriels, etc.

J'y inclus les risques naturels, ai-je dit, car une inondation peut être due à une rupture de barrage et dès lors ce n'est plus tellement un risque naturel. Elle correspond alors à la fois à un risque naturel et à un risque industriel.

Enfin, au niveau national et au niveau international, s'agissant des risques industriels, une leçon peut aussi être tirée de cet accident AZF. Peut-être faudrait-il établir, à l'instar de ce qui se fait pour le bruit avec l'ACNUSA dans l'aéronautique, une autorité supérieure qui aurait à statuer sur les risques industriels. Elle générerait les enquêtes accident, à l'instar de ce que fait la DGAC avec le BEA, le bureau enquête-accidents. Cette instance participerait à faire évoluer la réglementation en vigueur, laquelle devrait être applicable à l'ensemble du territoire national et si possible au moins au niveau européen, sinon au niveau international, à l'instar de ce qui se fait dans l'aéronautique.

M. le Président : En fait, cela existe dans le nucléaire mais pas dans les autres secteurs.

M. Claude RAYNAL : J'aborderai six points rapidement, sous l'angle de l'intérêt législatif et réglementaire à la fois, en terminant par le SPPPI qui a fait l'objet d'une question.

Premier point, la communication entre la préfecture et les collectivités locales et territoriales est un point majeur sur lequel il faut des avancées réglementaires et peut-être même législatives. Il existe un système de communication préfectoral qui ne fonctionne pas trop mal : le Rimbaud. Il faut réfléchir à des systèmes de liaisons systématiques et automatiques par un numéro simple sur l'ensemble des maires. Aujourd'hui, la préfecture et les maires doivent être en contact direct. D'une manière générale, et ce point n'est pas nécessairement lié uniquement au problème qui nous occupe, il est nécessaire d'avoir des numéros d'appel directs et sécurisés.

Deuxième point, que fait-on finalement de l'information ?

Admettons que dans le cas présent nous ayons eu l'information ! En tirait-on quelque chose de plus ? Oui, sans doute sur la non-toxicité du nuage, par exemple. On aurait pu le savoir rapidement, une demi-heure après, mais on ne le savait pas. Malgré tout, on manque ensuite de plan d'exécution.

Ma commune n'a pas de site Seveso et elle est extérieure à tous les systèmes de protection, PPI et autres. A priori, elle n'est donc pas informée. Cela ne me gênait pas jusqu'à présent ! Or, on s'est rendu compte sur une explosion de ce type le PPI était mal défini et que l'explosion avait des conséquences sur nos communes alentour. C'est dire que, quel que soit le niveau du PPI, il faut avoir une approche beaucoup plus large et donner aux maires des scenari en fonction des situations.

Il n'est pas compliqué, face au risque de nuage toxique, de décliner une méthodologie du maire à appliquer dans sa commune : communication - numéro de scenario pour nuage toxique - ensemble des mesures à prendre et ce sur un document actualisé. Cette procédure ne me paraît pas difficile à mettre en _uvre et sa mise en place me paraît aujourd'hui obligatoire non pas sur les villes visées par les PPI mais, encore une fois, sur l'ensemble des agglomérations. Au préfet de les définir. Globalement, cette définition peut être très large. Il ne me gêne nullement d'avoir des informations ... qui ne seront jamais utilisées !

Troisième point, les études de dangers des industriels et le contrôle d'Etat.

Je crois que les élus doivent s'interroger sur la DRIRE, c'est-à-dire l'environnement et l'industrie dans le même secteur. C'est là un vieux débat de l'Etat. Je reste persuadé qu'il est difficile d'avoir à la fois dans la même maison le discours ingénieur de production et le discours sécurité-environnement.

Les ingénieurs de la DRIRE - que je respecte absolument - ont une culture de production et une culture du risque industriel, tel que le voit la production. Il y a une continuité du discours entre les directeurs d'établissement et les directeurs de la DRIRE. Elle tient au fait tout simplement que c'est la même culture d'école, la même culture de formation, la même culture du danger.

M. Bernard KELLER : Des énarques à la DRIRE ! Et les polytechniciens, où ? (Sourires.)

M. Claude RAYNAL : Nous verrons ensuite pour les énarques ! De toute façon, le défaut est le même. (Sourires.)

En tout cas, sur la question de l'étude de dangers et de son analyse, j'ai été très choqué par les premières réponses de la DRIRE. Elles m'ont « scié » ! Le jour même, nous avons entendu : « Nous n'avons pas assez d'effectifs pour contrôler ! » Réponse très forte ! Il aurait été préférable de le dire avant la catastrophe.

En outre, il faut une capacité d'étude suffisante pour pouvoir certes analyser ce que dit l'industriel mais aussi remettre les choses à plat. Certes, il existe la tierce expertise. Or, c'est la DRIRE qui la déclenche ou qui ne la déclenche pas. Je crois donc qu'il faut une analyse extérieure à tout ce qui est culture de production.

Quatrième point, étonnement et surprise dans l'exposé de la réunion préparatoire sur la non-prise en compte de l'effet dominos dans les dangers. Je pensais que cette notion était totalement introduite. Or ce n'est pas le cas. Chaque établissement, lorsqu'il demande une extension, fait sa propre étude de dangers mais sans tenir compte des voisins. Finalement, personne n'envisage d'effets cumulatifs. Il n'y a donc pas d'analyse cumulative du danger et de l'effort dominos. Ce point est très facile à régler par la loi, en imposant que dans un périmètre donné l'analyse du danger maximum soit faite par addition des risques.

M. le Rapporteur : C'est déjà la loi ! Dans Seveso 2, c'est déjà fait ?

M. Claude RAYNAL : Je constate que ce n'est pas fait. D'ailleurs, c'est ce qui a été indiqué à la réunion préparatoire. En quelque sorte, « chacun fait son truc .. » Cela ne va pas !

Point cinq, le SPPPI. Ma commune est la troisième commune de l'agglomération parmi les communes touchées par la catastrophe. Elle n'est pas membre du SPPPI et nous n'avons pas été sollicités. D'ailleurs, nous a-t-on dit, les communes n'y participaient pas forcément. En tout cas, je n'ai pas été sollicité.

J'ai auditionné ses représentants en tant que président de la commission de l'environnement du grand Toulouse et je constate que le SPPPI est une espèce de structure d'information partagée. On croise l'avis des élus, des techniciens, du monde de la recherche, des associations. Je ne dis pas que ces apports ne sont pas intéressants. Il est bon que ce croisement existe. Il est intéressant mais il n'est absolument pas introduit dans la méthode. Autrement dit, le SPPI peut être supprimé du jour au lendemain. C'est une structure qui ne donne pas un avis obligatoire. Elle peut donner un avis si elle veut mais en tout cas dans la procédure son avis n'est pas sollicité de manière obligatoire.

Pour rendre ce type de structure intéressante et pertinente, il faut la faire entrer dans la chaîne des avis à rendre obligatoires dans le cadre de la procédure. C'est donc une bonne structure dans l'idée qui la sous-tend. Encore faut-il qu'on lui donne un rôle réel et pas un simple rôle d'animation. Dans les résultats concrets, je note cependant que le SPPPI a également un rôle de publication tout à fait intéressant.

Dernier point, toujours en termes législatifs, c'est le problème de l'indemnisation des victimes. Il faut trancher le débat assurance-solidarité. Il faudrait peut-être que dans le cadre de grandes catastrophes des lois d'exception ou des règles exceptionnelles puissent être appliquées pour que l'Etat ou -et- les collectivités territoriales puissent prendre le pas, quitte ensuite à avoir un accord avec les assureurs. Un tel dispositif ne peut intervenir que dans un cadre législatif.

M. le Président : Votre propos contient beaucoup de propositions.

M. Christian BILLIERES : Sur la commune de Lespinasse deux entreprises sont classées Seveso : le dépôt d'hydrocarbures Total, classé à hauts risques, et la société Fitte, classée à risques moyens, s'agissant d'un dépôt de gaz. Nous avons demandé pour ces deux entreprises une étude de dangers qui doit nous être fournie avant le 3 février 2002. Pour Total, nous sommes en attente d'une étude de dangers réactualisée. Je veux toutefois indiquer que jusqu'à maintenant nous n'avons jamais reçu de compte rendu de la DRIRE ou d'étude de dangers. Je précise que le dépôt d'hydrocarbures est implanté depuis plus de vingt ans sur la commune de Lespinasse. Il y a quand même là une carence de l'administration !

M. le Président : Il est assez effroyable d'entendre tout cela.

Mme Françoise IMBERT : Nous avons évoqué la question de la gare de triage avec le secrétaire général de la préfecture et les maires des communes concernées, notamment Saint-Jory, Lespinasse et Fenouillet. Il s'agit d'un domaine très important où sont stockés des wagons dont on ne sait pas quel est le contenu. Il est permis d'imaginer qu'il y a des produits dangereux, ne serait-ce qu'en entendant les inquiétudes des maires et des habitants concernés. La gare de triage Saint-Jory, m'a-t-on dit, est hors site classé. J'ai donc interrogé la SNCF et je vous donnerai copie de la réponse que j'ai obtenue. Elle peut se résumer ainsi : « En cas d'événement, appeler de telle heure à telle heure, tel service, telle personne... » Ce sont les heures d'ouverture, je le précise.

Vous jugerez de la légèreté de la réponse vous-mêmes puisque je vous remettrai prochainement une copie du dossier que nous allons constituer avec les maires. En tout cas, nous ne pouvons pas nous contenter de cette réponse.

M. le Rapporteur : Chère collègue, vous abordez là un problème très important. Certes, il n'est pas théoriquement dans le champ de notre commission d'enquête dans la mesure où les transports en sont exclus. Il n'empêche que ce que nous venons de voir à Toulouse - mais cela est vrai partout - nous montre qu'il y a souvent sur des sites industriels un certain nombre de substances dangereuses avec dépassement des seuils d'autorisations parce qu'une partie d'entre elles n'est pas concernée par la réglementation, étant contenue dans des wagons et faisant donc partie du système de transports.

Or on ne peut pas dissocier des autorisations sur des substances dangereuses si on a en même temps des substances contenues dans des wagons. L'exemple du chlore lors de l'accident d'AZF est assez égard significatif.

Considérons les périmètres de protection mesurés sur le chlore, du moins ceux que j'ai pour l'instant car ils ne m'ont pas encore été donnés ! Il est vrai que les méthodes de calcul sont très compliquées. Nous poserons cette question au DRIRE. C'est 2,5 km sur la zone Z 1 et 5 km sur la zone Z 2. Z 1 veut dire un taux de mortalité probable en cas d'accident majeur. Ces questions méritent donc d'être posées car elles sont majeures.

Les transports routiers font l'objet d'une autre question que nous n'aborderons pas, certes, mais qui, à mon avis, mérite une réflexion avant que des catastrophes ne se produisent. Il y en a eu une en Catalogne récemment qui a fait 100 morts, à l'occasion du transport de propylène.

Vous avez totalement raison de poser cette question.

M. le Président : S'il y avait une organisation systématique d'exercices en vraie grandeur, trouveriez-vous cela bien ?

M. Jean-François CHANTELOSE : Je vais répondre à votre question d'une autre façon. M. Péraldi a évoqué le « haricot » autour du pôle. Pour y avoir travaillé pendant quinze ans, je crois que la sécurité des personnes n'est pas entièrement assurée.

Dans les immeubles de l'Etat, par exemple, un simple petit papier jauni, de format A 4, est affiché sur un tableau pour indiquer un plan d'évacuation et la marche à suivre en cas de catastrophe. Ce procédé est tout à fait inadapté.

Un seul exercice d'évacuation a été organisé en une dizaine d'années et il n'a d'ailleurs pas du tout fonctionné.

Les sociétés HLM qui sont dans le quartier, elles, ont toutes construit des escaliers de secours pour permettre l'évacuation des habitants. L'Etat, lui, ne l'a pas fait. Certains immeubles anciens, dont le rectorat, n'ont pas d'escalier de secours. Imaginons un seul instant que cette explosion ait produit des ruptures de canalisations de gaz dans les immeubles et provoqué des incendies. Le nombre de morts aurait certainement été bien plus important.

Pour avoir été accidenté, le médecin du travail m'a interdit pendant quatorze mois de reprendre mon travail dans l'immeuble où je travaillais parce qu'il n'y avait pas d'escalier de secours.

Je pense que le législateur pourrait faire quelque chose dans le cadre de ce fameux « haricot » qui est d'ailleurs tout à fait inadapté car beaucoup trop restreint. Les services de l'Etat et des collectivités devraient être invités à mettre au moins leurs immeubles aux normes actuelles, ce que font tous les organismes HLM, publics ou privés. L'Etat, lui, ne le fait pas.

M. le Président : Bonne remarque, en effet !

M. Georges BEYNEY : J'ai la chance d'avoir construit la gare de triage de Saint-Jory et j'ai également travaillé dans les emprises d'AZF, de la SNPME et de Tolochimie. Je posais les voies. Lorsque nous travaillions, nous avions des consignes. Aux abords de Tolochimie par exemple, nous étions invités à mettre immédiatement le masque à gaz si une sirène retentissait. Cela est arrivé une fois, voici une vingtaine d'années. La voie était le long de la clôture, limitrophe du domaine public. J'ai donc mis le masque à gaz et j'ai alors pensé aux piétons qui étaient sur le trottoir, de l'autre côté du mur. C'est la raison pour laquelle je me rallie bien évidemment tout à fait à l'idée d'essais en vraie grandeur qui peuvent prendre en compte ce type de phénomène.

M. Gilles BROQUERE : Je reviens sur la question des exercices en vraie grandeur. La question n'est pas là, même s'il serait quand même bon d'en faire. Nous aurions pu en faire tous les jours mais ils n'auraient pas empêché pour autant les 30 morts, les milliers de blessés et la destruction de milliers d'appartements dans l'accident AZF.

Selon moi, la vraie question est celle de la protection des zones urbanisées du risque industriel. Telle est bien la question de fond aujourd'hui.

M. Bernard SICARD : Sous quelle forme organiser les exercices ? Cela reste encore à déterminer. Mais il faudra aussi décliner clairement qui est responsable de quoi. Qui a autorité sur l'éducation nationale par rapport à une opération relancée ? Le maire ? le 21 septembre, on a vu que ce n'était pas le cas. On a vu qu'il y avait discordance entre les souhaits émis par le maire pour procéder à telle évacuation ou non et le principal du collège ou la directrice de l'école maternelle qui se considéraient comme le seul patron des lieux. Il faut donc décliner une formule de cohérence. Qui est responsable de quoi à un moment donné et par rapport à quelles instructions ?

Nous avons vécu ce problème comme nous avons vu l'affolement des parents et des familles qui, à leur niveau, se moquaient complètement du point de vue de l'institutrice qui ne voulait pas lâcher les gamins. Les parents grimpaient aux grilles pour récupérer les enfants.

La question est bien celle-là : quelle cohérence à un moment donné par rapport à un événement et par rapport à quelles instructions ? En un mot, qui est le patron ?

M. le Président : A ce moment là, le patron était le préfet.

M. Bernard SICARD : Pas dans nos communes !

M. le Président : C'est ainsi aujourd'hui dans les textes.

M. le Rapporteur : Monsieur Broquère, vous venez de poser une question. Mais il nous intéresse aussi que vous nous donniez des éléments de réponse.

Vous venez de dire que pour vous la vraie question est de protéger les zones urbanisées des risques industriels. C'est en effet une question majeure. Plusieurs lois se télescopent, notamment à la fois les directives Seveso sur les périmètres de protection, les études de dangers et les lois sur les servitudes d'utilité publique de 1987.

Ces textes ont évolué, y compris la directive Seveso 2 qui traite du problème de l'urbanisation pour les nouvelles unités industrielles. Mais les anciennes existent. Vous posez une question mais quelle est votre solution aujourd'hui, face à des sites Seveso situés dans vos communes. Demandez-vous de process techniques, de nouvelles études de sûreté, des expertises indépendantes, tant il est vrai qu'on n'est pas sûr que l'étude de dangers de l'industriel arrive au bon périmètre de protection ? Demandez-vous des dimensionnements nouveaux, des seuils de stockage ? Demandez-vous, au contraire, que dans un certain nombre de cas il y ait des transferts d'activités ?

C'est sur ces points là qu'il faut avancer des éléments de réponse. Sinon, nous aurons des attitudes de défausse, sans indiquer vraiment ce que l'on souhaite. Dans ce cas, la commission d'enquête parlementaire et le Parlement auront des difficultés à trancher au niveau national sur cette question.

Je vous repose donc la question que vous avez posée.

M. Gilles BROQUERE : Je ne détiens pas la réponse tout seul. Mon collègue Raynal parlait tout à fait des spécialistes de la DRIRE et je partage tout à fait son opinion sur ce point. Je pense en effet que la moindre des choses serait que les expertises ou les contre-expertises soient faites par des organismes complètement indépendants. C'est un premier point.

M. le Rapporteur : C'est vrai !

M. Gilles BROQUERE : Deuxième point, que ces expertises soient communiquées, en particulier au maire pour qu'il puisse lui-même les retransmettre au public.

Quid de la manière de protéger les zones urbanisées ? C'est la même chose qui se passe sur les aéroports actuellement avec les PEB. Les usines déjà construites sont entourées de zones urbanisées. Je ne peux pas vous dire s'il faut raser ou déplacer les usines ou les maisons alentour. Le choix est peut-être à faire entre les deux solutions.

M. le Président : En tout cas, une chose ressort très nettement de nos auditions et de la vôtre en particulier, ce matin. C'est qu'il vaut mieux diffuser l'information. Nous sommes dans un pays où on a pris l'habitude de traiter ces questions par le secret, par la confidentialité, par la négation même de l'existence de ce risque.

On ne peut pas continuer de la sorte dans une société qui se veut adulte et qui est faite pour des gens responsables. Il faut donc apporter progressivement une information supplémentaire, supérieure, de meilleure qualité, avec de l'expertise, avec des démarches précises, information qui permette à chacun de savoir ce qu'il a à faire à un moment donné. Or nous sommes dans une situation où ces conditions n'existent pas. Elles devraient exister si on appliquait scrupuleusement un certain nombre de textes ! Et encore ! Il faut sans doute que les textes soient plus précis et plus nets et qu'ensuite la pratique soit meilleure. C'est là que se posent des problèmes de compétences, d'expertise, d'effectifs, de moyens, d'autorité, de responsabilité judiciaire. Tous ces éléments doivent être considérablement renforcés et c'est dans cette voie que nous ferons sans doute des propositions en conclusion. Elles seront assez conformes à ce dont vous nous avez parlé ce matin.

M. Pierre COHEN : La question de la circulation de l'information se pose. Il est important que les maires, et en particulier ceux qui ont vécu la catastrophe de Toulouse, disent s'ils acceptent et s'ils pensent être aussi acteurs du processus. Il est important d'être informé, de jouer ensuite un rôle de relais et d'information puis d'être en capacité de savoir ce qu'il faut faire par rapport à un risque. Mais je découvre depuis le début de cette enquête que l'étude de dangers s'inscrit dans une sorte de dualité entre l'entreprise qui en a la responsabilité en pointant les risques et l'Etat qui contrôle.

Est-ce que les maires veulent être destinataires d'un avis sur cette étude de dangers ? J'ai posé la même question aux syndicats. Tout ce qui découle ensuite est dépendant de cela, y compris le PPI. Est-ce que les élus veulent être en amont ? Veulent-ils prendre leurs responsabilités ? Veulent-ils être acteurs de tout ce qui découle ou simplement être en bout de l'information pour ne jouer ensuite qu'un rôle de circulation de l'information.

M. Bernard KELLER : Nous sommes déjà responsables de la mise en _uvre du plan de secours.

M. le Président : Il faut considérer le propos de notre collègue comme un appel à réflexion qui ne nécessite pas une réponse immédiate. En tout cas, vos contributions écrites seront les bienvenues pour compléter vos remarques. Je vous remercie.

Audition de

M. André SAVALL,
Président du secrétariat permanent pour la prévention des problèmes industriels

de Toulouse (SPPPI)

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 novembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

M. André Savall est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Rapporteur : Le secrétariat permanent pour la prévention des problèmes industriels a été créé il y a une dizaine d'années...

M. André SAVALL : En février 1990 !

M. le Rapporteur : Il joue un rôle dans la concertation entre différents acteurs, autour d'un site industriel. Nous souhaiterions que vous nous indiquiez en quoi cet organisme est important. Est-ce que les pouvoirs qui lui sont conférés sont suffisants ?

J'ai eu l'occasion de rédiger un rapport sur le nucléaire et j'ai beaucoup travaillé sur les commissions locales d'information. Certains demandent qu'elles soient d'information « et de surveillance ». Un certain nombre d'organismes ne jouent pas le rôle de surveillance mais seulement celui d'information. Hier, des associations nous ont indiqué que, certes, le SPPPI est important mais qu'il n'était finalement sans doute pas allé assez loin dans la surveillance des installations. Pensez-vous que cela est vrai ?

Pensez-vous que ce type de structure doit évoluer ?

La question de la proximité est très souvent revenue en discussion. Pensez-vous qu'au niveau de chaque site industriel ou de chaque groupe de sites industriels doivent être créés des SPPPI ou des commissions locales d'information et de surveillance ?

M. André SAVALL : Le SPPPI a été créé en 1990. Je rappelle d'abord que c'est un secrétariat qui n'a aucune structure juridique. Je dis bien « aucune structure juridique ». Il a été créé à l'initiative du ministère de l'environnement. C'est le préfet de Midi-Pyrénées qui à l'époque l'a porté sur les fonts baptismaux et qui l'a lancé. Hors cette création très officielle, chapeautée par l'Etat, aucune structure juridique n'existe. Seul point important que je veux mentionner, c'est que le secrétariat du SPPPI a toujours été assuré par la DRIRE.

Il existe 11 SPPPI en France et 9 sont présidés par des préfets. Pour celui de Toulouse, les membres fondateurs - et je n'étais pas présent à l'époque - ont souhaité que le président soit une personnalité indépendante, du type universitaire, autrement dit émanant du collège d'experts. Cinq collèges composent en effet les SPPPI : les administrations, les industriels, les collectivités locales, les associations et les experts. Les créateurs du SPPPI à Toulouse, tout comme celui de Strasbourg d'ailleurs qui s'est crée un ou deux ans après, ont souhaité que le président soit un universitaire et non pas un fonctionnaire d'autorité, comme dans les autres SPPPI.

Quelle est l'importance du SPPPI à Toulouse ? Il est difficile de la juger en tant que président et je peux faire simplement quelques commentaires, en fonction des remontées que j'ai, en particulier à partir des témoignages des industriels et des associatifs. Je peux dire que le SPPPI avait une importance à leurs yeux. Les industriels disaient que c'était pour eux le lieu où ils venaient communiquer ; les associatifs en appréciaient le fonctionnement, sous la présidence d'un enseignant d'université. Mon prédécesseur était professeur à l'université Paul Sabatier et je le suis moi-même. Les associatifs et les représentants de riverains ont toujours apprécié que la présidence soit assurée par une personnalité indépendante des acteurs traditionnels, administrations et industries.

Quels sont les pouvoirs du SPPPI ? Il n'a pas de pouvoirs. Il convient d'être bien d'accord sur ce point. L'Etat a créé un enfant. Ensuite, si je puis dire, c'était « aides-toi, le ciel t'aidera ! »

Le SPPPI ne reçoit qu'une aide indirecte. Ces instances sont souvent adossées aux DRIRE. C'est via des financements du ministère de l'environnement qu'il a des possibilités. Mais c'est la DRIRE qui gère ce financement.

Le SPPPI ne pouvait avoir une structure associative, compte tenu du fait qu'elle n'aurait correspondu à rien car elle n'aurait pas eu les moyens d'utiliser ce financement de l'Etat. Le secrétariat étant assuré par la DRIRE, il y aurait eu gestion de fait ou quelque dérive de ce type. Conséquence, le financement du SPPPI de Toulouse - il est de l'ordre de 300 KF par an - sert essentiellement à diffuser le journal Toulouse Environnement qui a normalement pour vocation de toucher la zone du plan particulier d'intervention, la zone PPI. Dans ces 300 KF, 50 KF servent à diverses activités.

Le pouvoir du SPPPI est donc minime. Celui qui existe, c'est le pouvoir des industriels de gérer leurs affaires comme ils l'entendent chez eux. C'est le pouvoir de l'administration, en particulier celui de la DRIRE, de gérer son domaine de contrôle de l'industrie.

M. le rapporteur : Vous avez eu une demande d'extension du site de Grande Paroisse en 1999. Comment le SPPPI a-t-il traité cette question ?

M. André SAVALL : La demande d'AZF correspondait à une extension de capacité de l'ordre de 15 %. Elle devait passer en enquête publique. Il faut dire qu'au moment de sa création le SPPPI a essayé d'améliorer la procédure, en particulier pour faire des enquêtes publiques pilotes, sachant que les enquêtes publiques dans ce domaine étaient souvent critiquées dans la mesure où la diffusion de l'information était insuffisante, les périodes d'accès au commissaire enquêteur trop brèves ou pas suffisantes pour que les citoyens soucieux de s'informer puissent le faire en dehors des heures ouvrables.

S'agissant des dossiers qui ont été présentés au SPPPI, nous avons été mis au courant du dossier public. La DRIRE, elle, a le dossier technique, dossier énorme qui, lui, n'est pas public. Le dossier public fait une vingtaine de pages. Il renseigne avec un vocabulaire simple le projet de l'industriel. En fait, nous avons toujours travaillé sur des dossiers de ce type, présentés oralement par les responsables industriels du projet. Une discussion s'instaurait ensuite entre tous les membres du SPPPI présents à la commission.

M. le rapporteur : Ce propos me ramène à ma première question. Avez-vous l'impression de jouer un rôle de surveillance.

M. André SAVALL : Effectivement, on peut considérer qu'il y a une certaine surveillance, due à la vigilance des administrations, celle de la DRIRE en particulier mais aussi celle d'autres administrations, SDIS ou autre, qui peuvent voir des augmentations de dangers. Les spécialistes peuvent avoir leur mot à dire mais ils le font déjà professionnellement. Ils peuvent donc le répéter au niveau du SPPPI. C'est surtout le rôle des associatifs et des riverains qui était déterminant dans ce domaine. Ce sont surtout beaucoup de questions, d'interrogations, d'inquiétudes, voire d'angoisses parfois qui étaient exprimées au cours de la présentation de ces dossiers.

En tant qu'expert, j'avais moi-même posé des questions sur le projet industriel en ce qui concerne l'augmentation de la capacité d'AZF car j'avais quand même quelques inquiétudes au niveau de ce site.

M. le rapporteur : Est-ce que le risque d'explosion due au nitrate d'ammonium a été abordé au cours de ces réunions ? Cela figure-t-il dans un compte rendu ?

M. André SAVALL : Strictement parlant, la réponse à votre question est non. La raison en est peut-être la suivante. Il s'agissait d'une capacité d'extension de l'atelier d'ammoniac et d'urée, pour l'essentiel. J'ai posé la question précise s'il y avait une possibilité d'extension de l'atelier des produits chlorés et du nitrate d'ammonium. La réponse sur les ammonitrates a été non. En fait, ma question était posée parce que la source de pollution industrielle de l'atmosphère à Toulouse la plus importante est à l'heure actuelle celle de la tour d'ammonitrate. Elle rejette à peu près une tonne de fumée par jour. La chose est visible ! Cela laisse des dépôts un peu partout. Ce sont des entraînements vésiculaires.

Malheureusement, au moment où j'ai posé ma question, il est sûr que je ne voyais pas le danger qu'il y avait au pied de la tour. Pourquoi ? Parce que, normalement, il n'y a pas de raison qu'explose du nitrate d'ammonium, bien manipulé, s'il reste nitrate d'ammonium pur, à température ambiante.

J'ai posé aussi la question de l'augmentation de la capacité des produits chlorés car, là, l'enjeu est terrible. Il faut savoir qu'environ 5000 tonnes de chlore à peu près transitent deux fois par mois à travers Toulouse, du fait de l'activité du pôle chimique, SNPE + AZF. Il faut savoir qu'AZF a une part relativement importante dans la consommation du chlore. Je sais que l'objectif de la commission n'est pas le TMD, le transport de matières dangereuses. C'est quand même une obsession que j'ai toujours eue, à savoir le fait que ce transport se fait par wagons de 50 tonnes qui, compte tenu de la situation de la gare de triage de Saint-Jory à Toulouse, doivent traverser deux fois la ville de Toulouse. J'avais donc des inquiétudes de ce côté là. Elles ont été tempérées dans la mesure où l'industriel a répondu que l'augmentation de la production de l'atelier d'acide cyanurique, lequel est chloré pour faire des produits de traitement des eaux de piscine, ne devait pas augmenter.

Concernant l'augmentation de la production du nitrate d'ammonium et de l'acide isocyanurique qui doit ensuite être chloré, il n'y avait pas de projet d'augmentation de capacité. Les projets étaient surtout sur l'ammoniac, l'urée et aussi, bien que je n'en sois plus exactement sûr, l'acide nitrique.

M. le Président : Vous êtes professeur de chimie ?

M. André SAVALL : J'ai une formation de physico-chimie. Je suis professeur non pas de chimie mais de physico-chimie, c'est-à-dire de thermodynamique et de cinétique des procédés physico-chimiques et je suis également professeur de génie des procédés.

M. le Président : Vous avez vous-même des contrats avec des entreprises comme AZF, dans le cadre de votre laboratoire ?

M. André SAVALL : Nous avons eu des contrats, pas spécifiquement avec AZF ou avec la SNPE. Mais il m'est arrivé de travailler avec Isochem, voici une quinzaine d'années, avec une société qui est maintenant filiale de la SNPE. J'ai également fait un petit travail de dépollution avec la société Tolochimie.

M. le Président : Vous n'avez pas fait de recherche proprement dite sur le nitrate d'ammonium ou sur la chimie minérale correspondante.

M. André SAVALL : Non, je n'ai pas fait d'étude particulière. Toutefois, au début de ma carrière universitaire, j'ai été amené à travailler pendant cinq ans sur l'azote et les oxydes d'azote. C'est donc une chimie avec laquelle j'ai été relativement en contact au début de ma carrière.

M. le rapporteur : Personne n'a jamais demandé la mise en place de capteurs d'oxyde d'azote dans les bâtiments de stockage ?

M. André SAVALL : Le problème n'a jamais été envisagé. Imaginez comment se passe une commission SPPPI. Elle commence à cinq heures et demie, l'après-midi, et elle doit se terminer de préférence avant huit heures du soir, tous les membres étant bénévoles. Le dossier doit donc être traité dans les deux à trois heures.

J'avoue que ces problèmes spécifiques, d'ailleurs relatés dans le rapport de l'IGE, dit rapport Barthélémy, problèmes de risques et de dangers globaux sur toute l'entreprise, n'ont pas été envisagés à cette époque. C'est le problème de l'augmentation de la capacité spécifique qui a été traité dans une durée de deux heures et demie à trois heures., c'est-à-dire le problème qui était posé par l'industriel.

M. le Président : En quelque sorte, sans être dans la procédure, vous étiez quand même dans la procédure !

M. André SAVALL : C'est tout à fait cela. La discussion n'a pas débordé mais simplement pour des raisons de disponibilité car chacun a son travail et que les commissions commencent à cinq heures et demie et qu'elles se terminent assez tard, comme je viens de vous le dire.

M. Claude BILLARD : Qui convoque ? Qui prend l'initiative de réunir la commission ? Selon quelle fréquence ?

M. André SAVALL : Nous établissons un programme annuel de réunions et de commissions pour lesquelles nous savons qu'il y aura un besoin dans l'année, par exemple pour des bilans de rejets industriels. Nous établissons cette programmation au mois de septembre pour toute l'année de travail - septembre à juillet - entre les pilotes de commission du SPPPI, son président et la DRIRE. Ce planning établi, nous nous adaptons ensuite aux situations.

Il est probable que la question de l'augmentation de la capacité de production d'AZF, avec l'enquête particulière, n'ait pas été programmée dès le mois de septembre mais j'avoue que ma mémoire est défaillante sur ce point.

M. Pierre COHEN : Vous avez fait état des limites du SPPPI. Pourtant, pour en discuter avec un certain nombre de mes collègues, je sais que c'est déjà un lieu d'échanges, de discussions et de sensibilisation par rapport à d'autres endroits où cela n'existe pas. Toutefois, vous avez bien dit qu'il manquait un aspect formel au SPPPI.

Selon vous, au-delà de la question des moyens et de la nature de la tutelle, comment est-il possible de se situer dans les formalismes, étude de dangers, enquête d'utilité publique, sensibilisation et dialogue avec les habitants ?

M. André SAVALL : Il y aurait deux réponses à votre question.

La première réponse peut s'inscrire dans un scénario avant AZF. Je vous l'ai dit, le SPPPI n'a pas de structure juridique, ce qui est très gênant. Il ne s'agit que d'un lieu de concertation mais c'est tout de même un outil qui est jugé par les associatifs et les riverains comme un outil de qualité. Ils me l'ont répété souvent après l'explosion d'AZF et je l'ai entendu dire encore mardi par de nombreux associatifs, à l'occasion du pré-débat régional

Nous avions pour projet d'essayer de monter une association qui aurait pu être financée par différents partenaires, collectivités locales, conseil régional, conseil général et industriels. En fait, ce montage est extrêmement difficile à mener à bien. Bien sûr, cette association n'aurait pas pu utiliser le financement venant du ministère de l'environnement en raison du fonctionnement de ce type de financement.

Mon collègue du SPPPI de Strasbourg, M. Bernard, a essayé de le réaliser pour avoir le financement d'une personne permanente, secrétaire. Il m'a dit qu'il avait dépensé une énergie considérable à monter une association pour la faire financer à raison de deux tiers par un acteur et un tiers par un autre. Cela lui a demandé un temps considérable.

M. Pierre COHEN - Fort de votre expérience, quel statut juridique faudrait-il ? Quel formalisme ? Comment devez-vous vous situer en termes d'avis, de propositions, de responsabilité de circulation de l'information ou de dialogue avec les collectivités locales ou les associations ? Il s'agit pour nous d'avoir des moyens d'inscrire formellement les SPPPI dans les processus à venir.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Les maires se retournent vers le SPPPI mais il apparaît que c'est en fait une coquille vide et vous n'avez finalement aucun moyen de pouvoir peser sur les décisions.

Que peut-on améliorer ? Vous avez dit vous-même que votre budget était très limité et que vous étiez directement relié au ministère de l'aménagement du territoire. En fait, il semble qu'on vous ait confié beaucoup de responsabilités sans vous donner les moyens de fonctionner. Tout le monde vous demande des comptes et vous venez de nous dire que vous avez peu de moyens et que les réunions sont convoquées de temps en temps.

A votre sens, quelles propositions concrètes pouvons-nous faire pour essayer d'améliorer ce fonctionnement ?

M. André SAVALL : Concernant la fréquence des réunions, je précise qu'il y a quand même au minimum vingt-cinq réunions au total pour les quatre commissions, plus des sous-commissions qui se réunissent. En moyenne, vingt à quarante personnes par commission sont présentes. Vous imaginez donc l'ampleur du temps qui est passé, si vous multipliez le nombre d'heures, de personnes et de réunions. C'est dire l'ampleur du travail qui est effectué pour quelque chose qui est entièrement basé sur le bénévolat. J'insiste, c'est totalement du bénévolat.

Comment faire en sorte que ces structures de concertation deviennent plus efficaces ?

Il faut définir d'abord la position de ce qui serait une structure efficace par rapport à la DRIRE qui, elle, a une autorité. Il faut donc d'abord bien différencier les deux actions.

Le SPPPI réunit pratiquement tous les acteurs de la société. Dès lors, comment associer à des décisions tous ces acteurs et en fait comment associer le public ? Vous savez bien qu'à l'heure actuelle, en France, il n'y a que peu ou pas d'organismes de ce type qui ont réellement cette possibilité dans le domaine de l'environnement, du risque industriel et de la santé. Cela est écrit dans les termes de la convention d'Aarhus mais c'est encore à transcrire dans le droit français. C'est à faire dans la ou dans les décennies à venir. Il faut donc inventer cet outil. L'embryon du SPPPI, tel qu'il a existé par exemple avec celui de la région PACA pour ces trente dernières années, pourrait servir de germe pour développer des structures de ce type. Du point de vue du législatif, il y a là un énorme travail à faire pour définir le rôle d'un secrétariat de ce type. Il aurait la forme peut-être d'une association mais disons plutôt d'un organisme qui aurait un pouvoir. Il réunirait le public, les administrations, les collectivités locales, les experts et il permettrait au public de participer à une décision. Ce serait quand même assez révolutionnaire dans notre pays !

M. le rapporteur : Cela existe déjà dans le domaine du nucléaire. Il faut le faire évoluer ! Je pense qu'un comité local d'information et de surveillance sur les risques industriels permettrait de le faire. Les termes « et de surveillance » impliquent que vous devez avoir évidemment l'indépendance de la DRIRE.

Vous avez vous, en tant qu'universitaire, des compétences propres mais ce n'est pas nécessairement le cas pour un président de ce type de commission. Le jour où vous avez une étude de dangers ou un dossier technique à examiner, si vous n'avez pas le droit de demander des expertises, comment voulez-vous être capable de contester un certain nombre de décisions ? La concertation n'a guère d'intérêt si on n'arrive pas à un tel résultat ! Vous avez donc raison de dire qu'il faut le demander mais encore avec quelque pouvoir. Certes, il est évident que le pouvoir régalien de décision doit être un pouvoir de l'Etat. Mais aujourd'hui, dans notre monde actuel, on n'est plus au stade où les décisions peuvent être prises en s'appuyant uniquement sur des experts car la population est concernée et le drame de Toulouse l'a bien montré. Il faut donc que la population puisse participer à l'élaboration de la prise de décision et pour cela il faut de vrais pouvoirs.

Sans nullement mettre en cause le SPPPI qui a fait son travail, certains nous ont dit qu'il pourrait être un faux-nez de la DRIRE. Ce serait un outil qui sert à expliquer des choses mais cela n'est pas satisfaisant surtout quand il y a un accident. Les choses ont progressé d'ailleurs et il n'est pas bon que les préfets président les SPPPI. C'est encore pire. Je pense même que c'est mieux ici mais il faut évoluer dans le système ...

M. André SAVALL : Tout à fait !

M. le rapporteur : Vous l'avez d'ailleurs demandé. Il faut donc partir des points positifs existants.

Pourriez-vous nous transmettre les comptes rendus des réunions, notamment celui de la réunion relative à l'extension ? Nous souhaiterions voir comment est retranscrit dans un compte rendu l'avis du SPPPI et la discussion.

M. Albert FACON : Vous êtes, vous, universitaire. Lorsqu'un préfet préside le SPPPI, on peut y voir carrément la main de la DRIRE, le préfet essayant de contenter quelqu'un ou de faire passer quelque chose. C'est dire qu'ici vous avez bien évolué. D'ailleurs, dès mon retour, je demanderai qu'il en soit de même dans mon secteur et nous aurons déjà progressé.

Les maires et plusieurs associations nous ont dit que leurs courriers à la DRIRE et au préfet n'obtenaient pas de réponse. Est-ce que vous, en tant que président du SPPPI, vous avez déjà fait des demandes au préfet et à la DRIRE et êtes-vous traité de la même façon ?

M. André SAVALL : Il est clair que l'Etat, garant des intérêts des citoyens, n'a pas le savoir-faire de la communication, en particulier celui d'une communication compréhensible pour le citoyen.

L'obligation des exercices PPI n'a pas été respectée et la révision du PPI ne l'a pas été non plus. Ce point a été admis publiquement par le préfet à l'assemblée générale du SPPPI, le 7 novembre dernier. Tout le monde a la même interprétation de cette situation. Ces propos ont été dits publiquement à la suite de questions très pointues et très précises d'une ou de deux personnes, des associatifs bien connus dans la région. Le préfet a été ainsi amené à dire le point que vous relatez.

A ce niveau là, il est donc clair que l'Etat a failli à sa mission. Il a le rôle d'informer et d'organiser des exercices PPI. Nous avons demandé tous les ans ces exercices PPI. La demande était récurrente. Une série d'exercice PPI - cinq à ma connaissance - ont été organisés entre 1993 et 1995. Mais depuis lors, plus rien ! Pas de réponse à la demande du SPPI ! Pas de préfet aux assemblées générales ! Un représentant de la préfecture est toujours présent, certes, mais ce n'est pas une personnalité ayant un important pouvoir décisionnel. C'est un relais informatif entre les réunions du SPPPI et la préfecture. D'ailleurs, je ne doute pas que cette personne qui a participé aux réunions a chaque fois transmis l'information. Mais cette information est semblable à un ruisseau qui se perd dans le désert.

M. le Président : La DRIRE est représentée dans vos réunions ?

M. André SAVALL : Tout à fait ! C'est la DRIRE qui en assure le secrétariat et le compte rendu.

M. le rapporteur : Le directeur est-il là ?

M. André SAVALL : Le Directeur participe aux assemblées générales du SPPI. Il participe relativement peu aux travaux des commissions. En général, c'est le chef de la division environnement industriel et son adjoint qui participent à ces réunions et en assurent le secrétariat.

M. Hélène MIGNON : Siégez-vous au comité d'hygiène départemental ?

M. André SAVALL : Non, mais mon prédécesseur, M. Jean Mahenc y siège actuellement.

M. Pierre COHEN : Vous avez évoqué les exercices entre 1993 et 1995 et je crois savoir qu'il s'agissait d'exercices en interne. A cette époque là, j'avais un adjoint assez connu dans le cadre de ces débats. Je n'ai pas souvenir qu'il ait eu satisfaction une seule fois pour quelque chose qu'il a demandé pendant six ans, c'est-à-dire des exercices en grandeur nature sur l'ensemble du périmètre. Il y a eu, me semble-t-il, des exercices en interne dans les entreprises mais pas au-delà.

M. André SAVALL : C'est exact ! Il faut d'abord reconnaître à votre adjoint, M. Henry Farreny, qu'il est l'homme de la région en pointe dans la demande d'une surveillance très étroite du fonctionnement étatique dans ce domaine et au niveau du PPI.

Il a posé plusieurs fois ces questions et nous n'avons pu obtenir des services de protection civile de la préfecture que des exercices partiels, jamais d'exercice global. Ces exercices partiels mettaient quand même en jeu une trentaine voire une cinquantaine de figurants, sous le « contrôle » du SPPPI puisque j'étais invité avec d'autres membres au déroulement de ces exercices.

Je signale aussi qu'en 2000 un exercice était prévu en octobre, à Boussens. Le scénario était parfaitement bien défini. Tous les acteurs étaient prêts pour le faire, notamment l'industriel et le SDIS. Pourtant, du fait d'atermoiements administratifs au niveau préfectoral, il n'a pas eu lieu. Toujours le ruisseau qui se perd au milieu du désert ....

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Qu'entendez-vous par « exercices partiels » ?

M. André SAVALL : C'était la mise en place d'un poste médical avancé dans le cadre d'un accident simulé sur un wagon de chlore qui avait dû se fendre. Autre exercice, c'était le transfert des blessés du centre où avait eu lieu l'accident vers le poste médical avancé. Il y a eu un autre exercice depuis le PMA jusqu'à l'hôpital.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Jamais d'exercice global ?

M. André SAVALL : Jamais !

Tous ces exercices ont eu un réel intérêt. Chaque fois, au « débreafing », il a été mis en évidence que les problèmes de communications sont des problèmes majeurs dans toutes ces crises à grande échelle.

Compte tenu du fait qu'il est difficile d'obtenir ces exercices PPI, j'ai même demandé qu'il y ait au moins des simulations à grande échelle d'exercices de communications, même sans simuler un quelconque accident, entre tous les services de l'Etat et tous les services de secours. Mais cette demande est toujours restée lettre morte.

M. le rapporteur : En effet, il y a eu quatre exercices partiels : un en 1991, deux en 1992 et un en 1995. Ils traitaient des questions que vous avez indiquées et depuis lors, malgré les demandes, il n'y a pas eu de simulation sur la totalité de la mise en place d'un plan.

M. André SAVALL : Le dernier était en janvier 1995.

M. Claude BILLARD : Il existe en matière de communications un réseau sécurisé, le réseau Rimbaud, qui vise à préserver par mesure de sécurité la police, les gendarmes, les pompiers. Le SAMU est hors de ce réseau Rimbaud, ce qui me paraît être une lacune.

J'ai posé une question de la même nature à un représentant de la sécurité civile que nous avons auditionné à l'Assemblée nationale. Il m'a indiqué qu'il y avait par ailleurs une incompatibilité entre les fréquences pour les pompiers, pour les gendarmes, pour la police, ce qui rend encore plus difficiles les moyens de communications. Avez-vous une opinion sur cette question ?

M. André SAVALL : Nous entrons là dans un problème trop pointu qui n'a pas été envisagé. Un jour, j'avais été « briffé » par une personne du SDIS à propos du réseau Hugo ...

M. le rapporteur : Vous dites bien le réseau Hugo ?

M. André SAVALL : Oui et je pense que ce doit être le même. Le jour de l'explosion, le réseau a lui-même explosé. Il faut croire qu'il n'était pas suffisamment sécurisé pour ce type d'explosion. C'est pour cette raison que la préfecture a elle-même été démunie pour avoir de l'information.

M. le rapporteur : Vous dites bien que le réseau Rimbaud n'a pas fonctionné le jour de l'explosion ? C'est aussi ce que nous ont dit les maires.

M. André SAVALL : Il a été détérioré. Un des relais a été détruit par l'onde de choc. La possibilité de communiquer par des fréquences hors réseau téléphonique ou réseau cellulaire a été exclue. C'est là un problème qu'il faut se poser pour l'avenir.

M. le Président : Il est bien évident que c'est un des problèmes sur lesquels nous devons avoir une proposition. D'ailleurs, le directeur de la sécurité civile nous a dit qu'au niveau européen serait mis en place un numéro commun à tous les pays - le 118, me semble-t-il - qui, en cas d'accident ou en cas d'attaque, servira à la police, au Samu, aux pompiers, etc. Il nous a même indiqué que le jour où ce dispositif sera mis en _uvre en France, il y aura quelques difficultés car actuellement tous ces réseaux sont totalement disjoints et n'ont même pas l'habitude de coopérer ensemble.

M. André SAVALL : Si on veut avoir au plan technique un dispositif parfaitement fiable, il faut que le réseau passe par le système satellitaire et donc totalement indépendant - on peut l'espérer - des conséquences d'une onde de choc, d'un sabotage, d'une saturation complète du réseau téléphonique, comme c'est arrivé à Toulouse. Imaginons une catastrophe à l'échelle nationale ! Ce qui s'est passé à Toulouse se passera à une échelle nationale, voire européenne.

Une des solutions techniques est peut-être de passer par un dispositif satellitaire qui a été mis en place par des organismes comme Motorola il y a une dizaine d'années mais qui du point de vue de l'économie n'a pas été particulièrement suivi par les clients : il est un peu cher par rapport au cellulaire.

M. le Président. Monsieur le président, je vous remercie d'avoir répondu à nos questions et d'avoir en même temps présenté des propositions qui renforcent notre point de vue à ce stade de nos travaux. Merci de votre disponibilité.

Audition conjointe de

M. Alain DORISON,
directeur régional de la recherche, de l'industrie et de l'environnement
de la Région Midi-Pyrénées,

et de M. Alain BARAFORT,
adjoint au chef du service de l'environnement industriel

de la DRIRE Midi-Pyrénées

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Alain Dorison et Alain Barafort sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Alain Dorison et Alain Barafort prêtent serment.

M. le Rapporteur : Aussi bien au niveau national qu'au niveau local, nous avons entendu un certain nombre de personnes. Un des messages forts qui ressort de nos auditions est que, globalement, l'information sur les périmètres de protection, sur les études de danger, sur les plans d'organisation interne (POI), sur les règles en vigueur, sur les plans particuliers d'intervention (PPI) et sur les rapports entre développement industriel et urbanisme ne passe pas.

Ce matin, nous avons entendu une chose assez incroyable. Un maire de la communauté urbaine indiquait qu'il ne savait pas qu'il avait une usine Seveso sur son territoire, qu'il n'avait jamais été informé de cette présence et qu'il n'y avait pas de PPI. Il découvrait finalement l'existence des risques. C'est dire que la population ne pouvait que les découvrir de la même manière.

Nous nous situons globalement, même si nous sommes aujourd'hui à Toulouse, et les critiques ne doivent pas être prises pour vous. Les organisations syndicales au niveau national indiquaient que les rapports entre CHSCT et DRIRE étaient faibles ou quasi inexistants. Les SPPPI indiquaient que finalement ils étaient des coquilles vides, sans réel rôle, sans possibilités d'expertise.

Ainsi, globalement, il y a une critique assez forte de l'organisation de l'Etat. Il s'est produit ici un accident. Considérant objectivement les règles existant aujourd'hui, découlant notamment des directives Seveso 1 et Seveso 2 et en particulier les progrès de Seveso 2 sur l'obligation de réexaminer périodiquement les plans, nous avons l'impression que l'on a été pris de court par la réglementation. Ma première question porte sur ce point.

Finalement, cet accident de Toulouse a accéléré les choses alors que l'on n'avait pas bien réévalué les études de danger, les études de périmètre et les risques jusqu'alors. On découvre maintenant des établissements Seveso. Un autre maire nous a dit qu'il était obligé d'écrire pour savoir que l'établissement situé sur sa commune n'est pas classé à risque, alors qu'il a l'impression qu'il l'est bien.

Je vous donne donc l'ambiance, laquelle est relativement critique de la part des interlocuteurs. Pensez-vous que c'est exact ou inexact ? Peut-on améliorer les choses ?

Concernant l'accident qui vient d'avoir lieu, dans les études de danger aviez-vous prévu le risque d'explosion du nitrate d'ammonium ? Y a-t-il un document de la DRIRE qui l'avait déjà envisagé ? Si oui, est-ce que l'étude de danger a été demandée ?

M. Alain DORISON : Je pense qu'il est inutile de vous rappeler le déroulement d'une procédure d'installation classée. Pour répondre précisément à votre question, le dossier d'autorisation de Grande-Paroisse comprend une étude de danger sur les stockages de nitrate d'ammonium dont voici un exemplaire.

Je la récapitule pour ce qui est de la partie nitrate d'ammonium.

Elle commence par recenser les accidents historiques qui se sont produits en matière d'explosion de nitrate d'ammonium : l'accident de Brest, avec le cargo qui avait explosé, divers accidents au début du siècle en Allemagne, etc. Elle conclut alors en indiquant que, historiquement, dans le cadre de l'accidentologie connue, le nitrate explose dans deux cas précis : soit une détonation dans une masse de nitrates d'ammonium - c'est l'accident de 1921 en Allemagne - soit dans un incendie prolongé en milieu confiné et en présence de matières organiques, comme à Brest et au Texas.

L'étude de danger conclut en citant à l'appui quelques auteurs et elle passe ensuite directement au risque majorant qui est, au terme de l'étude de danger, ce que l'on appelle la décomposition thermique du nitrate d'ammonium.

Telle est la structuration de l'étude de danger. Elle ne méconnaît pas les accidents passés sur le nitrate d'ammonium ; elle conclut simplement compte tenu des conditions de l'usine et du fait que le produit était en principe stocké en vrac et pas pris en masse. D'ailleurs, les dispositions de l'arrêté contribuent à prévenir ce risque d'explosion. Le scénario majorant est donc considéré comme étant la décomposition thermique.

M. le Rapporteur : De quelle année est cette étude de danger ?

M. Alain BARAFORT : Elle est de 1990 et elle a été réactualisée en 1995.

M. le Rapporteur : Pourquoi le directeur de la prévention des pollutions et des risques du ministère de l'environnement à qui nous avons posé la même question a-t-il dit qu'il n'y avait pas d'étude de danger sur le nitrate d'ammonium ? Nous l'avons vu hier. Or, j'avais cette étude et je le lui ai dit après la réunion. Il a dû vous le dire...

Après l'accident, avez-vous transmis une note au ministère de l'environnement se rapportant de manière précise à l'étude de danger de 1990 ? Ou il ne sait pas et dans ce cas, cela veut dire que des informations ne remontent pas. Ou il le sait, et il ne nous dit pas la vérité.

Est-ce que vous avez fait remonter une note sur cette étude de danger au directeur de la prévention des pollutions et des risques ?

M. Alain DORISON : Je ne suis pas capable de vous répondre de manière aussi précise.

M. le Rapporteur : Quand même, après un tel accident !

Nous ne cherchons pas les responsabilités. Mais nous voulons savoir s'il y a eu une étude de danger ou pas. Vous venez de répondre franchement.

M. Alain DORISON : Oui, il y a eu une étude de danger.

M. le Rapporteur : Pour ne pas prendre en traître quiconque, j'avais dit à ce directeur que je poserai la question. Lui nous a répondu qu'il n'y en avait pas.

M. Alain DORISON : Je suis un peu surpris de la réponse ! Je n'ai pas regardé dans les « chronos » de la DRIRE ou autre. J'ai en tout cas le souvenir précis. J'ai eu M. Vesseron très fréquemment et assez longuement lors de l'accident. Je me souviens très bien lui avoir donné au téléphone le contenu de l'étude de danger, lui avoir indiqué comment elle était structurée, etc.

M. le Rapporteur : J'ai la synthèse du document de 1990 ; elle m'a été fournie par les organisations syndicales. Vous avez vous-même la synthèse de toutes les études de danger et vous avez celle de 1990 que vous nous avez communiquée.

M. Alain DORISON : Tout à fait !

M. le Rapporteur : Par contre, il n'y a ni POI, ni PPI, ni type de scénario, ni distances d'intervention, ni zones Z1 et Z2. Je sais que vous n'étiez pas là, personnellement.

Ma deuxième question est précise et je vous rappelle que vous témoignez sous serment. Nous aimerions savoir si vous avez transmis un document, via le préfet ou directement, sur cette étude de danger au ministère. Je pense que la réponse est oui, surtout après un accident ?

M. Alain DORISON : Vous dites à la suite de l'accident ?

M. le Rapporteur : Oui.

M. Alain DORISON : Premièrement, l'étude de danger est là et je vous ai répondu.

Je puis aussi vous répondre sans recherche particulière que j'ai parlé à M. Vesseron du contenu de cette étude de danger, laquelle est en effet un document tout à fait essentiel pour nous. Je ne me souviens pas lui avoir communiqué de note administrative précise sur ce sujet. Je pense avoir envoyé au ministère des photocopies des éléments en question.

Je veux dire aussi que nous avons envoyé au ministère, dans le cadre de l'accident, un tas de documents qui nous ont été réclamés par les uns et par les autres, arrêté préfectoral, etc. Nous avons « alimenté » le ministère en informations.

Voilà ce que je peux vous répondre honnêtement aujourd'hui.

M. le Rapporteur : Merci beaucoup de cette réponse.

Je souhaiterais que vous puissiez nous faire parvenir la totalité de ces documents.

Pourquoi, considérant le risque d'explosion au nitrate d'ammonium évoqué en 1990 -avec une quantité stockée qui était à l'époque de 17 000 tonnes - il n'y a pas de POI, de PPI, de types de scénario, de distances d'intervention, de zone Z1 et Z2 sur la fiche correspondante ?

M. Alain BARAFORT : Pour ce qui concerne le nitrate d'ammonium, dans l'étude de danger qui est réalisée sous la responsabilité de l'industriel, le risque de détonation des nitrates d'ammonium n'avait pas été pris en compte. L'industriel considérait que seul un phénomène de décomposition thermique pouvait se produire. Il n'y a donc pas eu de zone Z1 et Z2 de définies. Ces zones sont définies dans les plans particuliers d'intervention, Z1 étant la maîtrise de l'urbanisation et Z 2 étant souvent « l'enveloppe » qui correspond à l'information du public. Elles n'étaient pas majorantes. Dans l'information du public, on retient toujours les scénario maximum qui peuvent se produire sur l'établissement.

Pour l'établissement Grande-Paroisse, c'était principalement le chlore et l'ammoniac, gaz toxiques, qui conduisaient aux distances de maîtrise de l'urbanisation et aux distances d'information du public les plus importantes.

M. le Président : Si dans l'étude de danger figurait en préambule la référence aux grands accidents qui se sont produits, comment pouvez-vous accepter qu'ensuite l'étude de danger ne retienne pas cette hypothèse ? Il y va de la crédibilité de toute la réglementation.

M. Alain BARAFORT : Il y a eu des incendies dans des milieux confinés, comme l'a dit M. Dorison. Le deuxième accident évoqué résultait du fait que l'on avait tiré avec de l'explosif sur des nitrates. Là, ce n'est pas du tout le même phénomène.

Généralement nous avons un phénomène lent de décomposition des engrais avec échauffement et dégagement de vapeurs nitreuses. On arrose d'eau et on arrête la décomposition.

Pour les industriels, pour qu'un phénomène de détonation se produise, compte tenu des connaissances de 1990, il aurait fallu une grosse source d'énergie pour pouvoir déclencher une détonation. Ce risque était écarté par les industriels et même par les experts de l'INERIS qui ne comprenaient pas le phénomène de détonation.

M. Pierre COHEN : L'industriel a donc nié l'idée qu'il puisse y avoir explosion du nitrate d'ammonium. Nous avons quand même vu une étude de l'INERIS qui évoque la possibilité d'explosion sous un certain nombre de conditions, évidemment relativement peu probables. Mais le risque d'explosion figure quand même dans la conclusion.

Notre objectif, comme il a déjà été dit, n'est pas de juger ce qui s'est passé mais de savoir comment éviter de tels accidents et quelles propositions peuvent être faites.

A votre avis, peut-on rester dans la situation où c'est l'industriel qui prend la responsabilité de l'étude de danger et donc qui pointe des risques ? Cette responsabilité peut conduire à écarter des points qui, même si les conditions sont très peu probables, sont quand même mentionnés noir sur blanc dans l'étude d'un organisme public !

Quel est le rôle de l'Etat ? A-t-il les moyens de le jouer ? Ne joue-t-il pas mal son rôle parce qu'il est confronté à des difficultés par rapport à d'autres critères, emploi ou autres ?

Devons-nous rester dans cette répartition des rôles ? L'Etat a-t-il tous les moyens pour dire que, compte tenu d'une probabilité, il faut pointer ce danger quoi qu'il arrive et donc faire tout ce qui est prévu, zones Z1 et Z2, PPI, etc. ?

M. Alain DORISON : Vous avez fondamentalement raison !

La réglementation prévoit que les études de danger sont faites sous la responsabilité de l'industriel. Elles sont remises à l'Etat dans le cadre des procédures d'autorisation. Je crois que le devoir de l'Etat en la matière est d'apporter un regard critique sur les études de danger en question.

En gros, deux scénarios peuvent se présenter. Premier cas, nous estimons avoir les compétences nécessaires pour procéder nous-mêmes à la critique. Deuxième cas, et nous utilisons cette voie lorsque nous n'avons pas les compétences ou que nous estimons que c'est nécessaire, nous faisons procéder à une contre-expertise par un organisme tiers. Vous connaissez ces organismes : INERIS IPSN, TNO, etc.

C'est donc une possibilité que nous avons et que nous employons. La dernière fois que nous l'avons fait à la DRIRE Midi-Pyrénées, c'était à l'occasion de l'étude de danger remise par la SOFERTI à Fenouillet et pour laquelle nous avons demandé une expertise de l'IPSN.

Cette expertise a conduit à remettre en cause les rayons de danger qui étaient envisagés pour le réservoir d'ammoniac et elle a pointé aussi une insuffisance de l'étude de danger sur un stockage de nitrate d'ammonium. C'est dire que nous avons la possibilité réglementaire de le faire. Un certain nombre d'instituts spécialisés en la matière sont capables de le faire. Leur compétence est-elle suffisante ? Je n'ouvre pas le débat sur ce point.

M. Pierre COHEN : Dans le cas qui nous concerne, vous avez joué ce rôle et vous avez conclu la même chose ?

M. Alain DORISON : A l'époque, je n'étais pas là.

M. Pierre COHEN : Vous n'êtes pas personnellement en cause. La DRIRE a-t-elle alors conclu la même chose ?

M. Alain DORISON : A l'époque, j'imagine que la DRIRE a e effectivement estimé que l'étude de danger était crédible et elle l'a accepté.

M. le Rapporteur : Y a-t-il une « mémoire » dans les services de la DRIRE ? Autrement dit, lorsque vous avez été nommé directeur régional, vous a-t-on montré ce rapport ? Où le retrouvez-vous avant aujourd'hui ?

M. Alain DORISON : Si je veux le retrouver, je peux le retrouver. Il y a quand même une mémoire, en effet, même si les gens tournent, ce qui est normal et sain. M. Alain Barafort est là depuis plusieurs années.

M. Alain BARAFORT : Depuis 1995.

M. Alain DORISON : Des dossiers existent aussi !

M. le Rapporteur : Est-ce que l'ingénieur général Barthélémy a eu ce dossier ?

M. Alain BARAFORT : Oui ! Il l'a consulté et il en a pris des extraits.

M. le Rapporteur : Il n'est pas dans son rapport.

M. Alain BARAFORT : Nous lui avons fourni l'étude de danger et il l'a examinée. Nous lui avons même fourni des photocopies d'extraits qui l'intéressaient plus particulièrement. Mais je ne sais pas s'il y fait référence. Peut-être dans les annexes ?

M. Alain DORISON : Pour votre information factuelle, il faut que vous sachiez que la police est venue saisir dans le cadre de l'enquête judiciaire tous les documents que nous avions sur Grande-Paroisse. Nous avons donc été amenés dans l'urgence à en photocopier un certain nombre, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à travailler.

M. le Rapporteur : Ce document a donc été transmis aussi.

M. Pierre COHEN : Les DRIRE ont été l'objet de beaucoup de discussions au fur et à mesure des auditions. Un argument est avancé et il va beaucoup nous préoccuper sur les propositions à faire. C'est le lien que vous avez avec les gens que vous êtes amenés à contrôler que vous rencontrez également sur le terrain industriel dans votre mission de conseil et dont vous êtes sociologiquement proches compte tenu de votre formation initiale.

Vu le poids maintenant plus marqué de la notion d'environnement par rapport à l'approche industrielle dans vos formations, compte tenu de votre rôle qui est de se placer du côté des citoyens et pas seulement du côté du fonctionnement de l'industrie, que pensez-vous de votre tutelle administrative ? Pensez-vous qu'il faut remettre en cause quelque peu l'organisation actuelle ?

M. Alain DARISON : Pensez-vous au rattachement des DRIRE au ministère de l'industrie ?

M. Pierre COHEN : Oui.

M. Alain DARISON : On entend beaucoup dire en effet : « Ces gens là sortent des mêmes écoles que ceux qu'ils contrôlent ! » C'était le sens d'un article récent de Paris-Match. Pour ma part, je puis vous répondre qu'il y a un fait : l'Etat a besoin d'ingénieurs et de compétences pour exercer le contrôle d'installations industrielles. La France compte environ 200 écoles d'ingénieurs et il n'est donc pas surprenant qu'il y ait dans nos administrations des gens qui ont fait des écoles d'ingénieurs et parfois ce sont les mêmes que certains responsables industriels ! Cela me paraît largement assez inévitable, sauf à faire des écoles d'ingénieurs où l'on ne forme que des fonctionnaires.

Je puis vous dire aussi que les fonctionnaires ont quand même une certaine éthique. J'imaginerais assez mal que des relations privilégiées puissent s'installer et que l'on n'aille pas trop « titiller » tel industriel au seul motif qu'il sort de la même école que vous. A mon avis en tout cas, pour contrôler des installations techniques, il faut des ingénieurs. Forcément, les ingénieurs qui contrôlent seront face aux ingénieurs qui exploitent. Notre système de formation est tel qu'ils ont des chances de sortir des mêmes écoles.

Concernant le rattachement au ministère de l'industrie, je peux d'abord porter un témoignage personnel. Faisant le métier de DRIRE depuis dix ans, jamais dans ma carrière je n'ai été soumis à la moindre pression du ministère de l'industrie sur le thème « On vous demande de laisser tranquille cette entreprise... »

La question est celle de la logique d'organisation des services de l'Etat. On peut imaginer cette organisation par grands domaines d'actions de l'Etat : l'environnement, le social, le développement économique... C'est une forme d'organisation. Il en est une autre, par métier.

Nous sommes des gens capables de comprendre des problèmes industriels avec une compétence qui est appliquée dans le domaine du contrôle de l'environnement industriel, dans certains contrôles techniques et, pour certains de nos collègues, dans le domaine du développement industriel. Telle est la logique qui prévaut chez nous.

A l'évidence, cette dualité de fonctions pose question dans l'opinion publique et même assez régulièrement au niveau des instances gouvernementales ou parlementaires. Depuis maintenant deux ans et sous l'impulsion du ministre de l'époque, Mme Voynet, nous avons mis en place le plan triennal de l'inspection des installations classées qui nous conduit à découpler les gens qui s'occupent de développement industriel et ceux qui s'occupent d'environnement et de contrôle technique.

Ces choses sont relativement faciles à faire là où les fonctionnaires sont nombreux. Par exemple, pour le département de la Haute - Garonne, des gens s'occupent de développement industriel et d'autres, d'environnement. Ce ne sont donc pas les mêmes ! En revanche, dans d'autres départements, très petits, où il y a un seul ingénieur, on prend plutôt des dispositions visant à ce que quelqu'un qui s'occupe d'un dossier en matière d'environnement ne s'en occupe pas au titre du développement industriel. C'est dire que nous adoptons à notre niveau les dispositions de séparation nécessaire pour éviter les problèmes et pour donner une meilleur lisibilité à l'action de l'Etat.

D'ailleurs, on s'aperçoit que les publics concernés ne sont pas forcément les mêmes. Les PME que nous sommes amenés à aider ne sont pas dans leur grande majorité les entreprises que l'on contrôle au titre de l'environnement, du moins pour celles qui présentent les plus gros risques.

M. le Président : On a souvent l'impression quand on discute avec les partenaires sociaux que l'inspection du travail semble jouir d'une plus grande autonomie et d'une plus grande autorité face aux entreprises que l'inspection des installations classées. On a la même impression entre les inspecteurs des installations nucléaires de base et les inspecteurs des installations classées.

Pouvez-vous nous dire quelles seraient les modifications à faire pour donner aux inspecteurs des installations classées un supplément d'autorité sur le modèle des inspecteurs du travail ou des inspecteurs des installations nucléaires de base ?

M. Alain DORISON : Je ne connais pas dans le détail le droit du travail mais j'ai fait quand même un peu d'inspection du travail parce que je me suis occupé du contrôle de centrales nucléaires.

Je vous rappelle que, selon la convention du Bureau de l'Organisation Internationale du Travail, les inspecteurs du travail doivent être protégés d'une ingérence excessive du pouvoir politique. Nous, nous travaillons sous l'autorité des préfets. Ma conception de la chose est que nous avons à dire le droit et nous avons à dire « ce que nous avons à dire. » Cela étant, les actes administratifs qui sont pris en matière d'inspection d'installations classées sont pris par les préfets, comme le prévoit la loi. J'ai l'impression que les inspecteurs du travail ne sont pas dans la même situation par rapport au pouvoir préfectoral. Il y a là une différence certaine.

Pour ma part, je donne à mes gens des consignes simples : les rapports sont les rapports et les faits sont les faits. Ils sont transmis à qui il convient de les transmettre. Nous ne nous censurons pas ni dans nos rapports ni dans les propositions que nous sommes amenés à faire.

Finalement, le travail que font les inspecteurs des installations nucléaires de base n'est pas fondamentalement différent de celui de l'inspection du travail., même si les réglementations et les problèmes techniques ne sont pas les mêmes. J'ai personnellement la conviction et j'ai eu l'occasion de constater par mes expériences dans le contrôle des centrales nucléaires que le regard de l'inspection du travail pouvait conduire à porter des interrogations sur la sûreté. Par exemple, et c'est un exemple vécu, la découverte dans une centrale qu'un travailleur avait passé quinze heures dans le bâtiment réacteur impose de s'interroger sur la qualité de son travail en matière de sûreté. De ce point de vue là, le travail s'enrichit. Lors de la catastrophe AZF, les deux tiers des trente morts étaient à l'intérieur de l'usine.

Je pense donc que ce sont là des regards complémentaires. La directive Seveso va d'ailleurs dans ce sens. J'ai la conviction que ce n'est pas tout d'avoir des installations physiques qui soient conformes à la réglementation. Il est bon également de s'intéresser à la façon dont l'entreprise est organisée. Dans le nucléaire, entre 70 et 80 % des incidents ont une origine humaine de comportement et non pas une origine technique.

C'est la raison pour laquelle on a tout intérêt dans le contrôle des installations à risques d'aller voir non seulement si les équipements sont bien aux normes mais également la façon dont l'entreprise est organisée et si les procédures sont bien appliquées.

Nous aurons de plus en plus à nous immiscer, avec toutes les difficultés probables d'appréciation, dans la façon dont les entreprises sont organisées et gérées. En Haute-Normandie, j'ai eu l'occasion de côtoyer les grandes entreprises américaines et on s'aperçoit que hygiène, sécurité, environnement sont assez fréquemment regroupés dans le même service. Il y a là une logique industrielle.

M. le Président : Vous préconisez donc une proximité plus grande avec l'inspection du travail ?

M. Alain DORISON : Oui !

M. le Président : Avez-vous des idées plus précises et pouvez-vous les développer ?

M. Alain DORISON : Il ne m'appartient pas d'en décider mais cela peut aller de l'exercice de l'inspection du travail dans les installations classées par les gens de la DRIRE, ce qui pose d'autres difficultés, notamment en termes de moyens et de formation. A la limite, c'est le maximum, avec la fusion des deux fonctions. Au passage, je note que cette fusion avait été évoquée lors de l'accident de Feyzin en 1976. On peut envisager aussi des procédures beaucoup plus simples, sous forme de réunions périodiques entre l'inspecteur du travail en charge d'une entreprise et l'inspecteur des installations classées, avec des variantes du genre assistance au CHSCT, communication des rapports de l'inspection à ce dernier, etc. Bref, on peut tout imaginer en la matière. Je pense qu'il y aurait des progrès à faire qui iraient dans le sens d'une meilleure protection des travailleurs d'une part et sans doute avec des bénéfices sur la gestion des usines d'autre part.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Dans le cas de l'explosion de Toulouse, comment avez-vous procédé pour mettre le site en sécurité ? De même, comment avez-vous procédé pour l'évacuation des produits et où ont-ils été stockés ?

M. Alain DORISON : Qu'a fait la DRIRE ? Premier réflexe, un ingénieur s'est rendu sur le site et un autre est allé à la préfecture. C'est le réflexe de base, à savoir la mise en posture de l'administration pour la période de crise.

Notre premier souci a été d'éviter les « suraccidents ». Nous avons proposé au préfet de prendre immédiatement des arrêtés de suspension d'activité des usines du pôle chimique sud. Nous leur avons indiqué qu'elles ne pourraient redémarrer qu'après avoir fourni les études montrant qu'elles étaient en bon état de fonctionnement et je simplifie beaucoup.

Une deuxième mesure a été prise à l'égard de la société SOFERTI qui avait reçu quelques jours avant des produits venant du bâtiment qui avait explosé. Nous leur avons dit de les surveiller et de les « inerter ».

Telles ont été les mesures d'extrême et de première urgence. Autrement dit, « on arrête tout ; on vérifie ; on sécurise. »

La deuxième partie du travail que nous avons eu à faire a été de gérer la crise. Je vous cite un exemple auquel mes collaborateurs ont participé. Il y avait sur le site AZF une cuve d'acide nitirique de 1 500 mètres cubes qui fuyait ; il fallait donc évacuer l'acide nitrique. Ce travail n'est pas simple. Il faut trouver les camions appropriés, leur donner les autorisations nécessaires, etc.

La troisième phase de notre intervention a été de faire évacuer par les entreprises les produits risquant de poser problème et qui restaient sur leur site. Nous nous assurions que cela était fait dans les meilleures conditions de sécurité, car il ne s'agissait pas d'aller plus vite en mettant en cause la sécurité, et nous nous assurions également que ces produits partaient dans des installations classées autorisées à recevoir les produits en question. C'est ce que nous avons fait.

Selon les produits, il s'agissait de procédures plus ou moins simples. Par exemple, il y avait des wagons de chlore dans le stockage et il suffisait de tirer les wagons. Encore fallait-il s'assurer que les voies étaient en bon état. Ces opérations industrielles courantes sont faites par les industriels et nous étions présents pour voir ce qu'ils faisaient.

Il pouvait s'agir aussi d'opérations moins courantes, comme par exemple la neutralisation d'un bac de nitrate d'ammonium en solution chaude, auquel cas on demandait à l'entreprise de nous fournir un mode opératoire que nous avons examiné et soumis pour avis à l'INERIS. A l'issue de cet examen, nous leur avons demandé de prendre quelques mesures de sécurité.

M. Pierre COHEN : Vous avez parlé des wagons de chlore qui, dit-on, avaient même été soulevés et sortis des rails ? Est-ce vrai ? Avez-vous des éléments ? Etaient-ils là plutôt en guise de stocks que dans la perspective d'un transport ?

On nous a dit aussi très clairement que les portes des sas des stockages de phosgène avaient été éventrées ou en tout cas ouvertes. Apparemment, une sorte de couvercle de secret paraît se faire sur ce point et c'est ce que nous avons entendu déclarer hier par un témoin qui s'exprimait sous le serment. Il s'agit là pour nous de valider certaines informations.

Par contre, je reviens sur l'idée de responsabilité. Quelle responsabilité doit jouer l'Etat, qu'il s'agisse de vous ou des inspecteurs du travail ? Nous avons entendu que dans ce genre d'industrie, au bout de sept, huit, dix ans, apparaît une banalisation du risque. Il y aurait un certain nombre de cas de banalisation de non-réalisation des procédures et en particulier des procédures liées à des dangers potentiels.

Est-ce que l'inspection du travail a la compétence pour pouvoir réellement contrôler et dire quoi que soit ou, en vous attachant à un certain nombre de responsabilités et de compétences, n'est-ce pas plutôt vous qui, connaissant bien le danger et les procédures, seriez à même de contrôler ? Nous en revenons là à la discussion liée à la dichotomie entre la responsabilité de chacun.

M. Alain DORISON : D'abord, je n'ai pas connaissance des wagons soulevés. Peut-être M. Barafort ?

M. Alain BARAFORT : Non ! J'ai moi-même assisté à certaines opérations de mise en sécurité des wagons présents.

Il y a eu donc effectivement une vérification des wagons, des voies et des travaux de mise en sécurité des bâtiments. Des wagons étaient à proximité de bâtiments qui risquaient de s'écrouler. En premier lieu, nous avons fait écrouler ces bâtiments et sécuriser l'ensemble des voies. Nous avons procédé à des test des voies en faisant des allers-retours avec des wagons vides. Nous avons testé aussi la passerelle puisqu'il y a un pont sur lequel passent également les wagons de la SNPE. Mais je n'ai pas entendu parler d'opérations de levage des wagons.

M. Pierre COHEN : Et pour le phosgène ?

M. Alain DORISON : Le chlore à Grande-Paroisse et le phosgène chez SNPE sont sous ce que l'on appelle « double confinement. » Un bâtiment est prévu à cet effet.

Une cuve de phosgène est semi - enterrée dans un bâtiment. Il est exact - je l'ai vu- que le bâtiment en question a été partiellement soufflé. Le double confinement signifie que le premier confinement est celui de la cuve et le deuxième celui du bâtiment. Le premier confinement a été rompu et le deuxième est resté intact.

Pour répondre à votre question, il me paraît assez clair que le grand ennemi de la sécurité est la routine. On peut même parfois assister à des dérapages. A la limite, c'est le cas de Tchernobyl : les gens étaient tellement sûrs de maîtriser leurs installations qu'ils se sont permis quelques aventures dont on connaît les résultats tout à fait catastrophiques. AZF n'est pas Tchernobyl.

Il me paraît tout à fait clair qu'il y a deux ennemis pour ce qui est des procédures de sécurité. Premièrement, c'est la routine : on s'installe et on ne fait plus attention, ce qui facilite les dérives. Deuxièmement, c'est le problème de la sous-traitance. Il est sûr que les gens de la chimie ont une culture de sécurité d'autant plus qu'en cas d'explosion, ils sont aux premières loges. En revanche, se pose tout le problème de la compétence de la sous-traitance et ce pas seulement dans l'industrie chimique. Je ne parle même pas du problème des intérimaires.

Est-ce que l'inspection du travail est à même de déceler cela ? Je ne sais pas vous répondre. Nous voyons parfois des taux d'intérimaires quelque peu surprenants et des problèmes dans la sous-traitance que certaines industries mettent en _uvre. Encore faut-il voir qu'il y a plusieurs niveaux de sous-traitance. S'agit-il vraiment de sous-traitance de spécialité ? Je pense par exemple à tout ce qui est entretien et maintenance des installations de process. Il existe des entreprises dont c'est vraiment le métier et qui sont des spécialistes de la question. En revanche, pour des opérations plus basiques - manutention, nettoyage, etc - on peut penser que les sous-traitants sont un peu moins compétents. Dès lors, c'est là un point important qu'il faut surveiller.

Nous contrôlons l'application des procédures. Nous avions été voir lors de l'inspection du 17 mai ...

M. Pierre COHEN : L'application des procédures est de votre compétence, dites-vous ?

M. Alain DORISON : J'insiste bien : cela se fait par sondages. On a dû vous l'expliquer. Pour l'application d'une réglementation, nous sommes à même de voir si les procédures de sécurité sont connues ou affichées.

M. Claude BILLARD : Une question a été posée hier à M. le préfet sur l'existence ou non de nitrocellulose sur le site, une existence déjà ancienne, semble-t-il. Il nous a été confirmé qu'il y avait effectivement plusieurs milliers de tonnes - 46 000 tonnes - dans les ballastières. Y a-t-il eu une étude de danger sur cette question particulière ? Avez-vous déjà travaillé sur ces questions ?

M. Alain BARAFORT : Nous avons été effectivement informés en 1999 de la présence probable de nitrocellulose dans quatre ballastières situées au sud de l'usine Grande-Paroisse, entre Grande-Paroisse et Tolochimie, sur des terrains appartenant à Grande-Paroisse. A ce moment là, nous avons proposé au préfet de prendre un arrêté préfectoral demandant à Grande-Paroisse de mener une étude.

Des plongeurs spécialisés dans le déminage sont intervenus et nous avons découvert dans trois ballastières 46 000 tonnes de bandelettes de nitrocellulose. Suite à cela, nous avons demandé à Grande-Paroisse de faire une étude plus précise. Elle a pris un expert de la direction générale des armées et une pré-étude a conclu à huit possibilités de traitement de ces ballastières.

M. le préfet a ensuite rencontré le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur et on a demandé à un expert de la direction générale de l'armement de faire des études plus précises pour savoir quelles étaient les possibilités de traitement de ces bandelettes de nitrocellulose.

On vient de recevoir cette étude finale il y a trois jours. Elle évoque deux possibilités de traitement : soit recouvrir l'ensemble des ballastières de matériaux de remblaiement, soit extraire les produits des ballastières et les brûler sur place. Il se pose alors une autre difficulté pour le comblement des ballastières : la DRIRE a demandé une expertise au BRGM pour savoir si les bandelettes seraient toujours couvertes d'eau. L'expertise du BRGM conclut que la solution de confinement des produits dans les ballastières n'est pas une solution satisfaisante. Voilà où nous en sommes à ce jour.

M. Claude BILLARD : 46 000 tonnes, ce n'est pas rien ! A votre avis, comment se fait-il qu'avant 1999 on n'ait pas eu connaissance de l'existence de ces 46 000 tonnes ? Elles ne pouvaient passer inaperçues !

M. Alain DORISON : Je crois que c'est quand même un phénomène récurrent. Cela étant, il n'y a pas péril immédiat pour la sécurité publique puisqu'elles sont sous l'eau.

Tout cela est aggravé par l'existence d'un contentieux entre le ministère de la défense et Grande-Paroisse sur des questions de droits de vente de terrains militaires.

M. Claude BILLARD : Et auparavant ? Vous ne le savez pas ?

M le Président : On peut toujours discuter de ces questions mais ce n'est pas vraiment non plus l'objet de notre travail. Il ne s'agit pas d'un risque industriel majeur. Certes, c'est un danger qui est sous terre ou sous eau.

M. le Rapporteur : Je souhaite poser encore quelques courtes questions, en souhaitant que les réponses soient aussi très courtes.

On nous a dit hier qu'une réglementation existait sur le nombre de wagons autorisés à l'intérieur d'une unité industrielle. Là, il y en avait sept et donc la quantité de chlore présente sur le site étaient supérieure à l'autorisation de stockage donnée. Est-ce vrai ?

M. Alain BARAFORT : On réglemente les stockages de chlore à l'intérieur de l'établissement. Mais les wagons de chlore ne sont pas toujours réglementés en stockage. Par exemple, concernant les stockages d'ammoniac du site SOFERTI à Grande-Paroisse - il faut amener des wagons d'ammoniac pour dépoter des installations - nous avions préconisé un stockage temporaire qui ne dépasse pas vingt-quatre heures.

M. le Rapporteur : On peut donc, par le biais d'un tel stockage temporaire sur wagons, contourner finalement une législation en termes de stockage. Cela veut donc dire que s'il y a accident, on multiplie les risques.

M. Alain BARAFORT : Généralement, ils sont réglementés dans les arrêtés préfectoraux d'autorisation. Il n'y pas de réglementation spécifique.

M. le Rapporteur : Vous confirmez donc qu'il n'y a pas de règle.

Deuxième point, le périmètre du PIG vous paraît-il suffisant ? On sait qu'il concernait 550 hectares et que la zone qui a été couverte par l'explosion couvre 3000 hectares. N'y a-t-il pas eu sous-dimensionnement du PIG pour tenir compte de l'urbanisation ?

M. Alain DORISON : Le PIG existant date de 1989. Il a été fait alors avec les moyens de l'époque et avant que ne paraisse un guide de maîtrise de l'urbanisation du ministère de l'environnement.

Effectivement, des dégâts de l'explosion sont allés au-delà du PIG. Encore faut-il voir que celui-ci avait été pris avec des scénarios d'accidents qui étaient des scénarios de rupture de canalisation de gaz toxiques. Comme nous le disions au début, l'accident en question n'était pas imaginé.

M. le Rapporteur : Vous ne pensez pas qu'avec une rupture de canalisations de gaz toxique cela pourrait être bien pire ?

M. Alain DORISON : J'y viens.

En 1999, nous avons décidé de revoir ces périmètres et il nous paraissait normal de faire le point au bout de dix ans. Nous avons eu très récemment les résultats d'une étude que nous avons commandée à l'INERIS et dont je vous livre de manière extrêmement simplifiée les conclusions.

Pour le chlore et l'ammoniac, l'étude de l'INERIS fait apparaître que les zones du PIG étaient convenables, c'est-à-dire que les nouveaux rayons calculés selon les nouvelles méthodes restent à l'intérieur du PIG. En revanche, pour ce qui est des zones dites Z 2, on obtient des distances de danger qui sont de l'ordre de 50 % de plus que ce qui était imaginé. Au lieu de 1600 mètres, c'est à peu près 2500 mètres pour l'ammoniac.

Pour le phosgène, on obtient des rayons très supérieurs pour les zones Z 1 et Z2 à ceux qui avaient été calculés. Cela peut s'expliquer au moins partiellement. D'abord, il faudrait comparer précisément et de manière fine les méthodes. Cela est dû notamment au fait que les limites de toxicité ont été abaissées entre 1989 et 2001. Ce sont les résultats de la révision.

M. Pierre COHEN : On n'a pas pu le leur faire dire.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous vous êtes préoccupé de la question des sirènes ?

M. Alain BARAFORT : La question des sirènes relève quand même de la responsabilité de la sécurité civile. Il y avait eu des tests. Deux sirènes étaient installées. L'une était sur le site de Grande-Paroisse. Lorsqu'on déclenchait la sirène - il y a des essais tous les premiers mercredis du mois - la sirène seule d'une entreprise ne permettait pas de couvrir la zone PPI. Une deuxième sirène était installée sur le site de Tolochimie.

Pour les quatre entreprises -SNPE, Isochem, Tolochimie et Grande-Paroisse - il y avait donc deux sirènes qui couvraient la zone PPI et elles avaient d'ailleurs été testées par la protection civile, je ne sais plus en quelle année.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu'il soit normal qu'il n'y ait pas eu d'exercice de simulation d'un accident depuis 1995 ? Et encore, il s'agissait de simulations partielles, des micro-simulations 

M. Alain DORISON : La seule réponse que nous pouvons vos faire, c'est que nous avons proposé à la préfecture de faire un exercice, en 1999 ou en 2000.

M. Alain BARAFORT : Nous l'avons proposé d'ailleurs dans le cadre du SPPPI, lequel souhaitait que des exercices soient réalisés. Cette question revenait chaque année sur le tapis. Les membres du SPPI se disaient à la disposition de la sécurité civile pour organiser un exercice.

En 2000, la DRIRE avait participé à un groupe de travail pour organiser un exercice PPI, lequel était prévu pour la rentrée du mois de septembre.

M. Pierre COHEN : Votre service l'a proposé à la préfecture ?

M. Alain BARAFORT : Nous l'avons proposé avec le groupe de travail, ensemble.

M. le Rapporteur : Dans la gestion de cette crise, avez-vous été convaincu que vous n'étiez finalement pas suffisamment « armé », notamment faute de personnel suffisant, pour traiter de ce type de question ? Un maire nous a dit ce matin que la réponse de la DRIRE tenait dans l'insuffisance de personnel. « Cela m'a scié » a-t-il même ajouté !

Aviez-vous attiré avant l'attention de vos supérieurs hiérarchiques sur le manque cruel de personnel dans le domaine de la prévention des risques industriels ?

M. Alain DORISON : On n'arrête pas de le faire.

M. le Rapporteur : Vous avez des courriers ?

M. Alain DORISON : Je ne pense pas que l'on ait des courriers sur le sujet. On sait bien ce qu'il en est quand un fonctionnaire écrit à son administration centrale pour demander des effectifs supplémentaires et on se doute un peu de la suite qui peut être donnée à ce genre de lettre.

En tout cas, il y a une claire conscience au sein du ministère de l'environnement ces derniers temps qu'il y a un manque d'effectifs dans l'inspection des installations classées. Vous avez sans doute eu le rapport de la Cour des Comptes sur les DRIRE : il en fait état.

Je vous livre un sentiment personnel : je considère que pour un pays qui est la quatrième puissance industrielle du monde, n'avoir que 600 inspecteurs des installations classées ne me paraît pas être à la hauteur du sujet. En Midi-Pyrénées, nous avons l'équivalent de 17 inspecteurs à temps plein pour 2 000 établissements. Il n'est pas possible de faire face, sachant que les établissements à risques ne sont pas uniquement les établissements Seveso. Des installations comme les silos, bien que n'étant pas Seveso, créent aussi des catastrophes, malheureusement.

Il faut donc que nous jouions sur plusieurs tableaux. D'abord, il s'agit de se concentrer sur les gros risques mais c'est alors en laissant dans l'ombre les installations à risques moins voyantes au niveau de la réglementation Seveso voire de délaisser ce que le public attend de l'Etat, le contrôle d'installations qui posent des problèmes de voisinage.

M. le Rapporteur : Un maire nous a dit ce matin qu'il y avait eu un compte rendu très instructif de l'activité des services de l'Etat de l'année 2000.

M. le Président : Nous l'avons eu.

M. Alain DORISON : En effet, le préfet a fait un rapport de l'activité des services de l'Etat au niveau régional devant le Conseil régional. La DRIRE publie elle-même régulièrement une plaquette. La voici car elle peut vous intéresser. Elle présente notre bilan pour 2000 et nos objectifs pour 2001.

M. le Rapporteur : J'en viens à une question sur le fonctionnement car c'est un des points sur lequel nous devons pouvoir avancer.

Cet accident montre que la définition des périmètres de protection qui obéissent à des scénarios ne correspond pas réellement à ce que l'on observera peut-être un jour et qu'il y a des dangers pour un certain nombre de zones urbanisées. La sécurité et la sûreté sont de la responsabilité de l'entreprise et vous, vous avez un pouvoir de contrôle.

Comment faites-vous quand vous recevez une étude de danger ? Établissez-vous un document écrit ? Est-ce que vous vous appuyez sur des expertises ? Si oui, de quels appuis disposez-vous dans une DRIRE en région ?

M. Alain DORISON : S'agissant des appuis sur lesquels nous pouvons compter, c'est d'abord le ministère de l'environnement lui-même. Suivant les cas, nous avons à la DRIRE des gens qui connaissent ces questions. Par exemple, en Haute-Normandie j'avais un ingénieur qui connaissait particulièrement bien les problèmes des raffineries. Le ministre de l'environnement dispose des compétences internes à l'administration. Mais nous pouvons compter sur des experts extérieurs à l'administration qui sont des établissements publics. Ainsi, celui avec lequel nous avons des rapports les plus fréquents est l'INERIS pour des raisons de proximité et de tutelle.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que l'INERIS ait aujourd'hui une capacité d'expertise suffisante ?

M. Alain BARAFORT : Oui, l'INERIS a une très bonne capacité d'expertise mais à l'heure actuelle il manque aussi de moyens humains. Beaucoup d'expertises sont demandées et il n'arrive plus à faire face ...

M. le Rapporteur : C'est une réponse de normand...

M. Alain BARAFORT : Notamment après la catastrophe des silos de Blaye, ils ont eu énormément d'expertises à faire sur les silos et les stockages de céréales. Le délai est aussi très important. C'est un problème. Lorsque l'on demande une tierce expertise, on n'impose pas à l'industriel un expert mais il soumet à notre approbation le choix d'un expert, lequel est sur une liste ...

M. le Rapporteur : Vous paraît-il normal que ce soit lui qui propose ?

M. Alain BARAFORT : C'est une liste d'experts qui est établie par le ministère de l'environnement. C'est parmi les experts agrées par la ministère que l'industriel en choisit un.

M. le Rapporteur : Y a-t-il beaucoup d'experts étrangers ?

M. Alain BARAFORT : A l'heure actuelle, quatre experts figurent sur la liste nationale, dont un étranger, TNO, en Hollande.

M. le Président : J'ai vu Batelle également ....

M. Alain BARAFORT : En effet.

M. Pierre COHEN : Découvrant un certain nombre de procédures, je suis assez étonné par ce qui concerne l'étude de danger en tant que telle. Elle me paraît très liée ; elle responsabilise l'industriel sur les dangers à pointer et ensuite, tout ce qui suit, en particulier votre contrôle, porte essentiellement là-dessus et il y a une possibilité de contre-expertise.

Vous semble-t-il qu'il faut sortir de ce dialogue exclusif industriels-Etat ? Pourrait-il y avoir dans un souci de transparence la possibilité pour d'autres d'avoir soit la possibilité de contre-expertises, soit la possibilité de contester le fait qu'un danger donné est écarté ou qu'il n'est pas assez apprécié ?

Je pense à quelques acteurs : les CHSCT, à condition de leur donner des moyens, ou les SPPPI, si leur existence était formalisée.

Vous semble-t-il possible et intéressant d'ouvrir le dialogue ? Les industriels, eux, évoquent le secret industriel. Si c'est possible, quelles seraient les propositions allant dans le sens de cette ouverture et avec quelles limites ?

M. Alain DORISON : Pour moi, l'important est qu'il puisse y avoir une tierce expertise et qu'elle soit faite par un organisme réellement indépendant de l'industriel. Est-ce l'Etat ou l'industriel qui paye ? Ce point fait débat. Mon sentiment est que l'installation est quand même faite au profit de l'industriel et il ne me paraît donc pas anormal que ce soit lui qui paye. La question peut toujours être discutée.

Nous sommes capables, nous, de demander des expertises sur crédits du ministère de l'environnement. Par exemple, le travail que nous avons fait de critique des scénarios des industriels pour la révision des périmètres d'urbanisation sur Toulouse a été fait avec des crédits du ministère de l'environnement. Nous avons la possibilité, sans rien demander aux industriels, de faire procéder à un certain nombre d'études.

Concernant les pouvoirs de commissions, CHSCT, CLIS ou autres, c'est une question de moyens financiers car les études coûtent relativement cher. Il ne faudrait pas non plus oublier le fait que pour faire tourner une commission locale d'information ou un SPPPI il faut de l'énergie. J'en ai fait l'expérience. J'ai le souvenir du SPPPI de Haute-Normandie et de la CLIS auprès des centrales nucléaires, comme Paluel, en Seine-Maritime. Certes, les choses varient selon les personnalités. De telles structures ne fonctionnent pas très bien si quelqu'un ne s'en occupe pas. Bien souvent, les gens de la DRIRE sont là. On peut dire que du point de vue administratif, le SPPPI de Toulouse est tenu à bout de bras par la DRIRE. Il ne faut donc pas oublier les moyens humains si l'on veut généraliser l'équivalent de CLIS auprès des installations à risques.

J'ai la conviction que nous avons vraiment besoin d'une opinion publique informée et exigeante.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que vous y êtes arrivé ?

M. Pierre COHEN : C'est important !

M. Alain DORISON : C'est important, pour deux raisons. Même si l'opinion publique traite les fonctionnaires d'incapables, comme nous l'avons entendu assez souvent, on s'aperçoit que la pression de l'opinion publique ....

M. le Rapporteur : Personne n'a traité les fonctionnaires d'incapables !

Ne prenez pas pour vous la critique que l'on entend depuis le début de nos travaux qui est que les DRIRE sont dans une tour d'ivoire et ne considèrent pas que l'information du public fait partie de leur rôle.

Au contraire, nous entendons que les gens sont compétents ! Mais ils ne prennent pas le temps de venir vers les collectivités locales. D'ailleurs, les syndicats de salariés disent la même chose. Ce n'est pas ici qu'ils l'ont dit, sachez-le.

M. Alain DORISON : J'exprime une conviction personnelle : sur certains sujets, les industriels évoluent un peu moins vite sans la pression réglementaire et sans la pression de l'opinion publique. Pour nous, une opinion publique exigeante est un allié objectif pour faire progresser la sécurité.

D'autre part, je considère que toutes ces questions d'environnement industriel, surtout lorsqu'il s'agit de problèmes d'urbanisation dans des zones existantes, sont extrêmement complexes, avec des enjeux de sécurité publique mais aussi - on le voit bien à Toulouse - des enjeux sociaux, des enjeux économiques, etc. Si on veut pouvoir prendre des décisions qui aillent le plus possible dans le sens de l'intérêt général, plus l'opinion publique est informée de ces questions, mieux c'est ! Des structures comme les SPPPI et les CLI me paraissent permettre d'avoir des gens informés de ce dont ils doivent délibérer, avec les convictions qui sont les leurs du fait de leur statut.

M. le Président : J'ai à vous poser une question un peu iconoclaste mais elle se situe dans la continuité de ce que vous venez de dire. Au fond, vous êtes très compétents et d'une certaine manière cela permet à l'industriel de se reposer sur cette compétence. A partir du moment où vous aurez donné votre accord, il sait qu'il peut le faire. D'une certaine façon, il est non pas dédouané de sa responsabilité mais du moins tranquillisé dans sa prise de décision. Or, dans certains pays, l'inspection des entreprises industrielles au plan de la sécurité est faite par des juristes.

Tout à l'heure, monsieur Barafort, vous avez dit que vous avez surveillé vous-même la remise en route des wagons de chlore. Pensez-vous que c'est votre rôle de vous occuper de cela ?

M. Alain BARAFORT : Dans une situation normale, nous ne le faisons pas. Là, nous étions vraiment dans une situation accidentelle grave, à la suite d'une catastrophe. Je considère qu'il était un peu de notre devoir d'aller voir une opération aussi exceptionnelle : le départ dans la nuit de 8 wagons de chlore, 18 wagons d'ammoniac, des wagons d'ammonitrate. Vu l'état de l'usine et du bâtiment, même si tel n'est pas notre rôle au quotidien, je crois que nous avons fait notre métier ce jour là sérieusement.

M. le Président : Humainement, vous avez fait ce qu'il faut. Mais est-ce votre rôle juridiquement ? Est-il écrit quelque part que vous devez faire cela ?

M. Alain BARAFORT : Non.

M. le Rapporteur : L'inspecteur général Barthélémy le dit d'ailleurs mais je crois qu'il faut clarifier ce point. Il faudra que l'on voit cet aspect mais il est vrai qu'en situation de catastrophe il faut peut-être faire évoluer le texte.

M. le Président : Dans un sens ou dans un autre, d'ailleurs.

M. Alain DORISON : A mon avis, il ne faudrait surtout pas que le système qui sera mis en place contribue à ce que les industriels fassent endosser leurs responsabilités par les pouvoirs publics. J'ai vu des comportements de Grande-Paroisse dans le traitement de la crise, voire même du groupe Total, qui de ce point de vue là m'ont paru à la limite. M. Desmarest a déclaré que la DRIRE était passée, que l'on n'avait rien trouvé et par voie de conséquence l'usine était bien tenue.

M. le Rapporteur : A titre d'information, combien avez-vous de sites Seveso, seuil haut ?

M. Alain BARAFORT : 29 seuils hauts, en Midi-Pyrénées et 11 seuils bas.

M. le Rapporteur : Et en Haute-Garonne ?

M. Alain BARAFORT : 14 seuils hauts et 4 seuils bas.

M. le Rapporteur : Il y a donc eu de nouveaux seuils bas très récemment !

M. Alain BARAFORT : Oui.

M. le Rapporteur : Après Toulouse !

M. Alain BARAFORT : Il faut reconnaître que l'inventaire s'est fini à la fin de l'année. Nous en avons découvert et nous découvrirons encore d'autres seuils bas par la règle du cumul

M. le Rapporteur : Est-ce que la mise en place de l'arrêté de mai 2000 sur Seveso ne s'est pas faite lentement ?

M. Alain BARAFORT : Je crois qu'on n'a pas eu assez de temps de réaction pour mettre en application l'arrêté du 10 mai et sa circulaire d'application qui sont d'une compréhension assez difficile.

M. le Rapporteur : Comment se fait-il que le maire de Fenouillet ce matin n'avait pas été averti qu'il avait chez lui une installation Seveso ? Est-ce vrai ?

M. Alain BARAFORT : Pour SOFERTI, la chose est un peu compliquée puisque nous avons été amenés à questionner dans le courant de l'année le ministère de l'environnement, compte tenu des produits de l'entreprise, pour savoir si oui ou non elle était soumise à la réglementation Seveso. Nous avons eu la réponse du ministère de l'environnement en juin 2001.

Nous avons écrit à SOFERTI pour lui dire qu'il était soumis à la directive Seveso et qu'il devrait nous transmettre une étude de danger pour la fin de l'année. Mais il n'y a aucune règle à l'heure actuelle qui oblige quelqu'un, que ce soit le préfet ou nous, à informer le maire qu'un établissement est classé Seveso. Aucune règle d'information n'est prévue. Cela est vrai et nous nous en sommes rendu compte après.

M. le Rapporteur : C'est bien de le dire. Si l'on joue la transparence, il faut la jouer totalement. Mais ne pensez-vous pas que vous auriez dû, vous ou le préfet, à partir du moment où vous questionnez le ministère, avertir le maire ? C'est bien lui qui sera en première ligne en cas d'accident. Or, il n'est pas au courant.

M. le Président : Cela aurait été convenable !

M. Pierre COHEN : Il faut le rendre obligatoire.

M. Alain BARAFORT : Il y a eu assez de publicité de faite puisque le recensement des activités Seveso s'est fait directement sur le site Internet du ministère de l'environnement,. Dès lors, à partir du mois de novembre de l'année dernière, certains sites Seveso étaient recensés. Mais c'est vrai, il n'y avait aucune obligation soit des services de l'Etat, soit du préfet. D'ailleurs, le préfet n'était pas forcément informé qu'il y avait un nouveau site Seveso. Nous le savions ; le préfet ne le savait pas.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Imaginons que vous n'auriez pas été en capacité tous les deux, pour telle ou telle raison - voyage, congés, maladie, éloignement quelconque - d'être présents lors de l'accident. Qui était en capacité d'assumer les responsabilités que vous avez assumées à ce moment là ?

M. Alain DORISON : Je puis vous répondre d'autant mieux que j'étais en congé lors de l'explosion.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Comme d'ailleurs le directeur du site, M. Biechelin, qui a dû rentrer.

M. Alain DORISON : Comme M. Biechelin et comme M. Patrick Couturier, le subdivisionnaire qui contrôle l'usine !

D'abord, lorsque je pars en congé, je veille à ce qu'il y ait des responsables à la DRIRE. Tout le monde ne part pas en même temps.

J'ai appris l'explosion vers dix heures et demie en écoutant France Info sur l'autoroute, du côté de Vichy. J'avais constaté l'impossibilité totale de joindre la DRIRE et j'ai eu les informations via le ministère de l'environnement. J'ai téléphoné à M. Philippe Vesseron qui avait un contact avec la préfecture via le réseau Rimbaud. Je suis arrivé à Toulouse vers 17 heures et la DRIRE s'était spontanément mise en une formation qui convenait bien pour la crise et ce pour deux raisons. D'une part, nous avons des gens compétents et nous veillons à ce qu'ils soient toujours présents. D'autre part, j'avais donné une doctrine de crise et nous avions participé à différentes crises : il y avait donc des référentiels tels que la DRIRE s'est mise spontanément en bonne position.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : C'est rassurant !

M. Alain DORISON : J'ai été très rassuré quand M. Vesseron m'a dit : « Tes gars sont à la préfecture ! »

M. le Rapporteur : Dans l'exemple de SOFERTI, le maire précité nous a dit qu'il n'y avait pas toujours pas de PPI.

M. Alain BARAFORT : Effectivement, il n'y avait pas de PPI puisque dans l'étude des dangers qui nous avait été remise par l'exploitant, les zones de danger ne dépassaient pas les limites de l'établissement, les 140 mètres de périmètre.

A partir du moment où le site de la SOFERTI est devenu Seveso et qu'il y a eu une expertise de l'étude des dangers, nous avons des zones de danger de 300 mètres qui dépassent largement les limites de l'établissement. A ce moment là, il faudrait effectivement faire un PPI. Dans un premier temps, il a été demandé de compléter et de remettre à jour l'étude des dangers pour satisfaire à la directive Seveso, de faire une étude des dangers supplémentaires pour un stockage de produits dangereux qui n'étaient pas pris en compte jusqu'à ce jour et, de plus, de nous fournir une étude technico-économique pour réduire les risques et pour ramener les zones de danger à l'intérieur de l'établissement.

M. le Rapporteur : Un grave accident s'est produit chez SOFERTI le 22 août 2000 et il a saisi plusieurs fois la préfecture et la DRIRE. Il n'a eu aucun élément écrit de réponse sur les causes de cet accident.

M. Alain BARAFORT : Nous y sommes allés le lendemain matin. De suite, un arrêté préfectoral a imposé à SOFERTI de réaliser une étude sur les causes de cet accident et sur les solutions à envisager pour éviter son renouvellement.

SOFERTI a donc fait cette étude, laquelle a été présentée au SPPPI de Toulouse. Le maire n'est pas venu. Les associations se sont mobilisées ...

M. Pierre COHEN : Le maire a-t-il été invité spécialement ? Il n'est pas dans le SPPPI.

M. Alain BARAFORT : Le maire de Fenouillet est automatiquement membre du SPPPI et il reçoit les convocations, j'en suis sûr.

M. Pierre COHEN : Tous les maires de l'agglomération n'y sont pas.

M. Alain BARAFORT : Il y a des sites sur sa commune : TotalGaz à Fenouillet, dépôt de gaz, est un site Seveso. Les 17 maires de l'agglomération qui sont dans le SPPI reçoivent les convocations.

A la suite de cela, les associations ont violemment contesté les causes de l'accident telles qu'elles étaient avancées par l'exploitant. Une réunion publique organisée à l'initiative des associations de protection de l'environnement s'est tenue en mairie de Fenouillet. Le maire, les associations et la DRIRE étaient présents, moi-même et le subdivisionnaire. C'est ce jour là, compte tenu des différends qu'il y avait entre l'exploitant et les riverains, nous avons annoncé en réunion publique que nous allions demander à SOFERTI de faire réaliser une tierce expertise par un organisme tiers sur les causes de l'accident ainsi qu'une tierce expertise de l'étude des dangers. Le premier disait que l'accident n'avait pas eu d'incidence au-delà des limites de sa propriété et les seconds affirmaient qu'ils avaient été fortement incommodés à plus d'un kilomètre de l'entreprise.

Je pense donc que le maire était quand même bien informé des causes de cet accident.

M. le Président : Nous aurions voulu approfondir encore bien des sujets. Je vous remercie de votre disponibilité et de la qualité de vos interventions.

Audition conjointe de

M. Philippe DOUSTE-BLAZY,
Député, maire de Toulouse,
et de M. Claude MOREAU,
directeur général des services techniques de Toulouse

(extrait du procès-verbal de la séance du 29 novembre 2001 à Toulouse)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Philippe Douste-Blazy et Claude Moreau sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Philippe Douste-Blazy et Claude Moreau prêtent serment.

M. le Président : Nous avons déjà auditionné de nombreuses personnes au plan national, à Paris. Nous avons fait une visite en Haute-Normandie et cette visite à Toulouse s'achève aujourd'hui. Il ne nous paraît pas nécessaire de vous demander de faire une déclaration liminaire et nous préférons commencer par vous poser d'emblée un certain nombre de questions, eu égard à toutes les rencontres que nous avons eues et la masse de nos interrogations.

Ma première question est tout à fait simple. Les offices d'HLM du Conseil général et ceux de la ville n'ont pas été traités, semble-t-il, de la même façon. Hier, au cours de l'audition des associations de riverains, il nous a été dit que ceux de la ville avaient eu du « provisoire - durable » de moins bonne qualité et avec moins rapidement que ceux du Conseil général. Avez-vous quelque remarque à formuler sur la façon dont cette situation a été traitée par les offices d'HLM de la ville ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : De l'avis général, les offices d'HLM de la ville ont été beaucoup mieux traités que ceux du Conseil général. C'est ce que tout le monde dit.

Je souhaite qu'il n'y ait surtout pas de politique politicienne de bas étage sur cette question. Nous avons souhaité être au rendez-vous de la dignité des personnes. Le « provisoire-durable » a été mis en place et nous, ville de Toulouse, nous en sommes occupés nous-mêmes. Nous avons ainsi traité 1 600 logements en « provisoire-durable. » A l'inverse d'autres, je n'ai pas voulu en faire beaucoup de publicité. C'est une affaire de dignité, je le répète. Il suffit de demander aux sinistrés ce qu'ils en pensent et ils vous le diront.

Mme Hélène MIGNON : Justement !

M. le Président : Concernant les écoles et les propriétés qui sont dans le périmètre de protection, comment envisagez-vous l'avenir et notamment la reconstruction de ces bâtiments ? Attendez-vous des décisions sur la suite ou l'arrêt des installations industrielles ? Comment la ville compte-t-elle décider de l'avenir des bâtiments qui lui appartiennent dans le périmètre de protection ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Mme Mignon disait « Justement ! » Cela dépend qui vous interrogez. Il faudrait faire alors une étude qualitative et évaluative, étude que vous n'avez pas faite et que je n'ai pas faite non plus. Donc, pour l'instant elle n'est pas disponible. Je suis prêt, monsieur le Président, avec l'accord de la Commission, à demander une enquête évaluative sur le vécu des sinistrés dans les différentes institutions HLM. Mais le subjectif est le pire ennemi dans ce genre d'affaire.

M. le Président : C'est pour éviter toute subjectivité que j'ai posé d'emblée cette question et pour montrer que nous avions écouté ce que l'on nous a dit jusqu'à présent. Nous vous écoutons de la même façon.

Nous sommes preneurs de tout élément factuel qui peut rendre compte de la situation à Toulouse.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Une Commission d'enquête parlementaire - que j'avais d'ailleurs demandée et je suis très heureux de vous avoir ici - est tellement importante à mon sens que ce genre de choses ne peut pas être dit ainsi, subjectivement.

Une étude qualitative peut être proposée par vous - elle peut d'ailleurs être copayée par le Conseil général et la mairie - pour savoir vraiment comment ont été faits les travaux. Je ne demande pas mieux que de la demander et de l'organiser avec l'accord du préfet, s'il le veut. Mais je peux pas laisser dire des propos aussi graves, à savoir que certains organismes HLM ont été meilleurs que d'autres. Une enquête qualitative, scientifique, peut être faite. Vous êtes vous-même diplômé de l'école Polytechnique et vous savez de quoi je veux parler quand je dis qu'il y a dans la vie des choses objectives et des choses subjectives. Je crois que la subjectivité serait très grave en cette matière.

M. Claude MOREAU : 190 bâtiments municipaux ont été touchés à des titres et à des degrés divers par l'explosion. Dans les cas les plus simples, il s'agit de faire de simples réparations de vitres et de faux plafonds. D'ailleurs, elles ont été déjà faites pour l'essentiel afin de remettre en service le plus rapidement possible les écoles et les établissements qui accueillent des enfants. Pour d'autres bâtiments, il s'agit de procéder à de véritables réhabilitations. Dans une douzaine de cas, les équipements ont été touchés à un tel point que l'on peut se poser la question de savoir s'il faut procéder à une réhabilitation ou à une reconstruction. Dans les cas les plus complexes - je pense aux grands équipements, tels le Zénith, le Stadium et le Palais des Sports, pourtant situé à quatre kilomètres - les expertises ne sont pas encore terminées et nous ne savons donc pas exactement quel sera le parti technique de réparation.

Il faut bien dire qu'aucun de ces établissements n'était situé à l'intérieur de périmètre de protection stricto sensu.

Il en va de même pour tous les établissements qui ont été touchés dans le voisinage. L'école municipale des Oustalous - elle est effectivement en très mauvais état - est plus éloignée de l'épicentre de l'explosion que ne le sont le bâtiment d'EDF, le parc de la DDE ou le lycée Galliéni. Il n'y avait pas d'établissement scolaire municipal à l'intérieur du périmètre stricto sensu.

M. le Président : Est-ce que la décision de reconstruire dépend d'une décision sur la reprise des activités industrielles ? Ou s'agit-il d'une décision que vous avez prise de toute façon pour tous les bâtiments municipaux concernés ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Je ne vous cache pas qu'il nous paraît aujourd'hui fondamental de ne pas risquer la vie d'enfants et d'enseignants. Nous étions à mille lieues de penser, n'étant pas dans le périmètre protégé, qu'il y avait ce risque. Il est très important de nous assurer qu'il n'y ait plus ce risque avant de renvoyer dans ces bâtiments le moindre enfant. En tout cas, il en ira ainsi tant que je serai maire.

M. le Rapporteur : Il se pose la question du périmètre de protection qui était effectivement restreint par rapport à la réalité de l'accident. Vous avez abordé la question de l'extension de la SNPE, au cours d'un débat en conseil municipal, comme dans les communes avoisinantes. Votre avis a été sollicité. Est-ce que vous avez abordé dans votre collectivité la question de la pertinence du PIG ?

Nous avons eu au cours de l'audition précédente une discussion sur les wagons de chlore qui dépassaient les capacités de stockage autorisées, avec des périmètres de protection qui dépassaient le PIG, soit 2,5 kilomètres. Avez-vous abordé cette question ? Il semble qu'au niveau du conseil municipal vous ayez donné un avis favorable à l'extension de la SNPE à deux exceptions près, si j'en crois le rapport Barthélémy.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Lors de cette enquête, je n'étais pas encore présent au conseil municipal à l'époque de l'agrandissement. Je n'étais pas élu.

Etiez-vous alors au conseil municipal, madame le député ?

Mme Yvette BENAYOU-NAKACHE : Non !

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : C'était du temps de l'ancienne équipe de M. Baudis. Je ne puis donc répondre à votre question sur le point de savoir ce qui a été dit ou non à l'époque.

Je laisserai répondre M. Moreau de façon plus précise. Mais sur le plan général, il me paraît très important de noter le point suivant. Tant que l'explosion n'a pas eu lieu, comme dans tous les sites dangereux en France qui justifient l'application de la réglementation Seveso, il y avait toujours une logique prenant en compte l'emploi et le risque hypothétique. Chaque fois qu'une discussion s'est engagée sur ces deux éléments, c'est toujours l'emploi qui a plutôt primé. Cela se voit d'ailleurs souvent dans d'autres villes qui ont les mêmes stocks de nitrate d'ammonium que la nôtre. Nous voyons bien quelles sont aujourd'hui les réactions des élus.

En tout cas, nouvellement élu maire d'une ville qui vient de connaître la plus grande catastrophe de l'Union européenne avec un énorme déchiquetage urbain, aujourd'hui, avant de parler de site chimique Seveso, d'agrandissement ou tout simplement de création d'unités de production, je puis vous dire que nous serons excessivement vigilants sur les risques et certainement plus que nous ne l'avons été auparavant.

M. Moreau pourra vous répondre plus précisément car il était directeur à l'époque dont vous parlez.

M. Claude MOREAU : Quand cette question est venue à l'ordre du jour, nous avions la délimitation des risques que vous connaissez, par le PIG de 1989. A l'époque une étude d'impact et une étude de danger avaient été faites, comme c'est toujours le cas.

Que disait l'étude de danger pour cette extension ? Que les risques éventuellement induits par l'extension restaient à l'intérieur des risques précédemment définis. Il n'y avait donc pas d'aggravation de la situation. Dès lors, il était difficile de remettre en cause l'arrêté initial de 1989 et les risques tels qu'ils avaient été définis.

M. le Rapporteur : Mon propos n'est pas polémique. Mais si l'on veut dans le futur éviter un accident aussi grave que celui de Toulouse, il faut s'assurer que ces définitions de périmètre de protection ou de PIG soient correctement faites. Or, manifestement, on savait que le périmètre de protection d'un wagon de chlore est de 2,5 kilomètres, en zone Z 1, c'est-à-dire en zone où il peut y avoir 1 % de mortalité. On le savait ! C'était public et cela figurait dans tous les rapports.

On avait un PIG bien inférieur à ces 2,5 kilomètres. Est-ce qu'à ce moment là, en envisageant une extension, un certain nombre de personnes au niveau de vos services se sont interrogés sur un PIG qui était finalement trop étroit ? Il est concevable que ce ne soit pas le cas faute de disposer d'une expertise suffisante, parce qu'on ne voit pas les problèmes et les dangers et parce que l'on vit avec le risque.

M. Claude MOREAU : Nous avons dans nos services municipaux une expertise dans des domaines que nous pratiquons au quotidien, qu'il s'agisse de bâtiments publics, de l'hygiène publique, de l'incinération des ordures ménagères, etc. Mais nous n'avons pas d'expertise en matière de risques industriels, de process que nous ne pratiquons pas.

Je prends un exemple très simple. Nous avons, nous, ville, des établissements classés. L'usine d'ordures ménagères est un établissement classé. Chaque fois que nous faisons quelque chose dans ce domaine, nous cherchons un expert extérieur et indépendant pour nous faire une étude de danger. D'ailleurs, bien souvent, c'est l'INERIS. Mais nous sommes alors sur un process que nous connaissons parce que nous exploitons nous-mêmes cette installation.

M. le Rapporteur : Dans l'étude que nous évoquions, vous faites deux remarques. D'une part, il manque des sirènes...

M. Claude MOREAU : La sirène n'est pas un moyen de prévention du risque. C'est un moyen d'alerte. Nous avions constaté en d'autres circonstances qu'il y avait quelques défaillances sur ce plan et nous l'avions signalé.

M. le Président : Il est compréhensible qu'un service municipal ne peut être absolument compétent en matière de chimie...

M. le Rapporteur : La deuxième remarque de l'étude portait sur la prise en compte des inondations.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Je me suis d'ailleurs renseigné sur ce qui se passe au Grand Quevilly ou ailleurs...

M. le Rapporteur : Nous y avons été.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : C'est toujours un problème d'expertise et même de responsabilité que nous pouvons avoir, nous, mairie, lorsque nous exploitons. Mais ce peut être aussi la confiance que l'on peut faire à d'autres lorsque ce sont eux qui exploitent.

M. Pierre COHEN : Il s'agit d'un problème extrêmement important et la commission doit s'appuyer sur ce qui s'est passé pour être plus sensibilisée et faire des préconisations. Il convient de penser à des endroits qui ont été quelque peu banalisés et pour lesquels d'autres critères ont été mis en avant par rapport à d'autres, ce qui a permis à la catastrophe de se produire.

Le problème de l'étude de danger m'intéresse énormément. J'ai lu que vous aviez fait un certain nombre de propositions sur ce plan et il me paraît bon de les analyser.

Je ne suis pas sûr que dire a priori que ce n'est plus l'industriel - lequel est juge et partie - qui doit être mis en avant mais l'Etat soit la bonne solution. Cette dualité était un peu « étroite ». Pourquoi ? Il y avait celui dont le rôle était de pointer les dangers et un Etat qui contrôlait. Or il me semble que de plus en plus on considère qu'il existe différents autres acteurs légitimes pour intervenir dans cette procédure.

Ainsi, avec des possibilités de contre-expertise ou d'expertise contradictoires, les CHSCT peuvent pointer du doigt. De même, les SPPPI peuvent être un lieu que l'on intégrerait dans la formalisation de la décision. Vous, en tant que maire, êtes-vous prêt à considérer que vous êtes un acteur amené à un moment à prendre une part de responsabilité et qu'à ce niveau là vous ayez la possibilité de demander par exemple des contre-expertises et de donner un avis qui puisse être contradictoire ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : En tout cas, c'est la question qui me paraît importante et à laquelle je vais tenter de répondre.

En effet, j'ai dit l'autre jour à un des très hauts responsables d'Airbus Industrie - maintenant à la retraite et qui joue un rôle important dans notre ville - que cela n'incombait pas aux industriels.

« Airbus fait lui-même ses expertises et estime que ... » me disait-il. Oui, c'est vrai ! Mais en même temps, si l'on prenait le risque de voir un Airbus tomber, leur marché tomberait aussi tout de suite. Leurs propres clients seraient tués !

Dans l'affaire actuelle, me dites-vous, cela ne changera pas grand chose et je comprends votre propos. Moi, j'ai une proposition. C'est qu'il y ait des experts extérieurs à l'entreprise.

S'agirait-il en effet purement et simplement des gens de l'Etat ? Ce peut être l'objet d'un débat, en effet. Disons qu'il s'agirait de gens extérieurs à l'entreprise qui puissent de manière très autonome et indépendante s'exprimer à un moment donné sur la sécurité de l'entreprise, l'Etat devant ensuite contrôler cela, notamment avec la DRIRE.

Une intervention un peu extérieure à l'entreprise me paraît importante. Mais la vie interne de l'entreprise doit aussi être modifiée.

Votre deuxième question porte sur la possibilité faite à l'intérieur des syndicats ou autres instances ou autres lieux. Je suis là aussi complètement d'accord, à condition que l'on soit toujours dans la même ligne. Les ouvriers et employés travaillent dans des usines dangereuses. Il me paraît donc normal aussi qu'ils aient leur mot à dire.

Enfin, et nous rejoignons là la grande question sur la décentralisation, comment se fait-il que le maire et les habitants qu'il représente ne participent pas à la décision ?

Nous savons que le risque zéro n'existe pas. La question est donc de savoir si le risque acceptable est accepté. Pour qu'il soit accepté, encore faut-il qu'il soit connu. Or, j'ai l'impression que jusque là il n'y avait pas le grand débat nécessaire que nous aurons demain ici, que le Premier ministre a voulu et qu'il a eu raison de demander. Ce sera un débat où tout le monde pourra s'exprimer pour dire quel est le risque et si nous vivons avec lui ou pas.

Ensuite, le maire, le Président du Conseil général, le Président du Conseil régional connaîtront le risque en toute transparence avec la population et on pourra répondre oui ou non. L'élu concerné sera lui-même responsabilisé et alors les choses seront plus claires.

M. le Rapporteur : Cette explication là me convient que celle qui figurait dans le journal de ce matin, c'est-à-dire la demande d'une expertise de l'Etat. Dans ce cas, si jamais l'Etat fait une mauvaise expertise, c'est bien lui qui est pointé du doigt et rendu responsable.

A mon sens, ce qui manque et ce que la commission a déjà évoqué, c'est la séparation entre le contrôle et l'expertise. Les deux éléments doivent être bien séparés.

Cela s'est fait dans certains domaines industriels mais moins dans le domaine de la chimie. Cela se fait dans le nucléaire.

Nous sommes attachés - à cet égard nous allons dans le même sens, me semble-t-il - à ce que l'expertise soit pluraliste, qu'il y en ait plusieurs, qu'à un moment donné l'Etat contrôle les dires de l'industriel mais que des contre-expertises soient possibles et qu'elles soient publiques. Il n'y a rien de pire que les exemples que nous avons évoqués dans l'audition précédente, à savoir que des rapports de 1990 et 1995 sur les études de danger concernant le nitrate d'ammonium n'étaient pas publics. Ces études doivent être publiques et contradictoires, c'est-à-dire que des experts puissent donner des avis différents. Au bout du compte, c'est quand même à l'Etat de trancher.

Je crois donc qu'il y a eu une clarification sur ce point. L'Etat seul ? C'était dangereux. Mais vous venez de donner des explications et elles correspondent à ce que nous demandons. Il faut progresser au plan législatif dans le sens que vous venez d'expliquer et de ce que vous avez indiqué dans cet article.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Nous disons la même chose. J'ai évolué moi-même. Toutefois, avez-vous dit, « si l'Etat contrôle mal, on le montre du doigt ... » Quelque part, oui !

M. le Rapporteur : S'il expertise mal ! Il faut qu'il contrôle toujours.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Oui, et j'avais mal compris. Nous sommes bien d'accord.

M. le Président : Il serait intéressant que nous abordions les problèmes que posent les assurances, les indemnisations, l'organisation des secours, etc.

Avez-vous des commentaires à faire sur la très grande difficulté que l'on constate encore aujourd'hui d'assurer la réparation de milliers de fenêtres, sur le fait que les assurances soient d'abord passées d'un seuil de 10 000 F à 100 000 F puis à 300 000 F ?

Pensez-vous que des exercices préalables auraient été utiles autour des sites à risques pour mieux organiser le comportement des assurances vis-à-vis des assurés ? Avez-vous des propositions sur ce plan ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Je dois répondre à plusieurs questions, monsieur le Président.

Sur la prévention des risques à la source, je répète ce que je disais précédemment. Premièrement, c'est le recours à des expertises externes et financées par l'Etat pour renforcer l'action des DRIRE qui ne peuvent pas disposer de toutes les compétences nécessaires, à la fois au stade des demandes d'autorisation et au stade des demandes périodiques. Deuxièmement, c'est organiser et évaluer contradictoirement des exercices d'alerte dans les entreprises. Troisièmement, c'est développer la formation des personnels de l'exploitant, des sous-traitants et des entreprises de surveillance.

M. Pierre COHEN : Je crois que ce qui a manqué par rapport à la prise de conscience globale, c'est l'exercice au-delà de l'entreprise. Certes, il y a eu quelques exercices jusqu'en 1995, très partiels et toujours en interne à l'entreprise.

Vous semble-t-il opportun, et je me situe là dans l'ordre de responsabilité du maire, d'avoir un exercice qui dépasse le périmètre de l'entreprise et qui concerne l'ensemble de la population pour parvenir vraiment à sensibiliser et savoir ce qu'il faut réellement faire par rapport au risque.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : J'allais y venir. C'est ce que j'appelle l'information du public !

Imposer des études réellement accessibles au grand public, au lieu de dossiers volumineux et difficilement compréhensibles.

Utiliser la panoplie des moyens actuels, y compris la vidéo et Internet, pour expliquer les plans de secours. A cet égard, répondant directement à votre question, il me semble que le maire doit avoir aussi une responsabilité dans ces questions.

Organiser des actions d'information avec les collectivités locales sur les nouveaux arrivants, dans les écoles, etc.

Enfin, diffusion régulière par les médias et tous autres moyens de l'ensemble de ces informations.

Vous posez une question particulière concernant les sinistrés. D'abord, les services de la mairie et les services de l'Etat ont parfaitement fonctionné ensemble. Je m'en enorgueillis et je félicite les services de l'Etat.

M. le Président : Le préfet a dit la même chose.

M. le Rapporteur : Les associations n'ont pas toujours eu cette perception.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : C'est normal et je vais dire pourquoi.

Les trois premières semaines, il y a eu de la part de tous les élus - y compris ceux de l'opposition, je le dis bien - des aides, des conseils ... Tout le monde a été parfait et ce fut pour moi un moment très fort de démocratie. Nous avons été au rendez-vous de la proximité pour ces personnes.

Je dois dire que le secrétaire général de la ville et toute son équipe ont eu l'idée de ce que l'on appelle « le provisoire durable. » Tout de suite, on a mis du polyane, puis du contre-plaqué et maintenant du polyester. Tout cela a été fait ! On parle de « sans fenêtres », ce qui fait peur. En fait, aujourd'hui, de plus en plus les gens à Toulouse ont quelque chose qui les sépare de l'air et de l'eau.

M. le Rapporteur : On nous a dit la même chose ce matin. Tout le monde a fait cela.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Peu m'importe et vous n'entendrez jamais de ma part un propos du genre « Nous avons mieux fait que les autres ... » Je m'en fous, si vous me permettez de m'exprimer ainsi. C'est fait !

M. le Rapporteur : La question n'est pas là. Le président du Conseil général et vous-même dites la même chose : « On a mis hors d'eau et hors d'air. » Par contre, les associations disent que rien n'est réglé. Où est donc le problème ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : J'y arrive. « Hors d'eau, hors d'air », cela est fait ! C'est important car, sinon, nous aurions des dizaines de milliers de gens dans la rue aujourd'hui. La dernière manifestation ne réunissait quand même pas 10 000 personnes que je sache ! La question du « hors d'eau, hors d'air » est en cours de règlement et c'est normal. D'ailleurs, les uns et les autres, nous avons outrepassé notre pouvoir mais nous l'avons fait.

Le problème des fenêtres se pose effectivement. Je parle bien de fenêtres en dur, avec de la menuiserie et une vitre. Aujourd'hui, au moment où je vous parle, il n'y a pas encore véritablement d'artisans qui commencent cette reconstruction.

Les artisans sont venus et ils ont fait les devis. Au début même, j'ai cru que tout se passerait bien et les assureurs m'ont dit qu'il n'y avait pas de problème pour débloquer les fonds. J'ai même fait un appel national sur le thème « Venez, venez .. » Les artisans ont téléphoné. Mais brutalement, catastrophe ! Même les artisans de Toulouse n'ont pas commencé. Au moment même où je vous parle, plus de deux mois et demi après, ils n'ont toujours pas commencé.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : C'est bien la question importante : pourquoi ?

Je vous rappelle qu'il y a plus de 100 000 déclarations de sinistres, conséquence d'une seule minute de catastrophe.

Je pense que votre commission d'enquête est très importante à cet égard. En effet, nous n'avons pas en France une loi appropriée à une catastrophe industrielle ou naturelle d'énorme ampleur. Nous n'avons pas la possibilité vis-à-vis de l'administration de l'Etat, vis-à-vis des assurances, de réagir à moins de six mois.

M. Moreau m'a montré une lettre qu'a reçue une vos collègues, elle-même sinistrée, signée par un assureur et dont je reprends à peu près les termes : « Chère madame, vous êtes sinistrée. L'expertise a eu lieu le 4 octobre ... Les assurances d'AZF estiment que vos dégâts ne sont pas de 400 000 F mais de 300 000 F. Nous nous mettrons d'accord d'ici un mois et demi ... »

Pour quelqu'un qui est sans fenêtre - et qui n'avait pas encore le provisoire durable lors de la réception de cette lettre - de tels propos sont honteux et effrayants. Comment ne pas se mettre en colère ?

Les interrogations sont dès lors inévitables et elles correspondent à une réaction humaine bien normale. Que font le Premier ministre et le Gouvernement ? Que fait la mairie ? Que font les assurances ? Que fait Total ?

En réalité, les gens ont été totalement dépassés. J'ai demandé dans l'hémicycle et au nom de tous les députés, car la question dépasse évidemment les clivages politiques, un fonds qui permette aux sinistrés de pouvoir appeler directement l'artisan, uniquement pour les fenêtres. Je ne parle pas du carrelage, des cloisons et autres. Je dis bien uniquement pour les fenêtres ! Ensuite, on leur donne l'argent pour qu'ils aillent voir l'artisan, lequel commence. On se débrouille après soit avec Total, soit avec les assureurs.

Voilà ce que j'ai demandé. Je me demande s'il ne faut pas que nous le fassions car c'est une question de la plus haute importance. J'en ai parlé l'autre jour au Premier ministre qui me donnait raison sur le fond mais qui reconnaissait que nous n'avions pas une telle loi, qui serait dérogatoire au droit commun.

Par exemple, les responsables de copropriété nous disent qu'ils ne peuvent pas le faire dans la mesure où ils n'ont pas l'accord de tous les propriétaires. Il convient de distinguer les locaux communautaires et les locaux privatifs. Pour les premiers, il n'y a pas de problème.

M. le Président : Nous avons eu cette discussion ce matin avec les assureurs et nous avons eu le sentiment qu'il valait mieux ne pas être assuré et passer uniquement sur Total. L'assurance était en fait un intermédiaire de plus qui compliquait encore davantage la prise des décisions.

M. le Rapporteur : A écouter ce matin le cabinet Equad, chargé des intérêts de TotalFinaElf, ce genre de cas ne devait pas exister et la totalité des fenêtres pouvaient être réparées.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : En effet, à les entendre, on pourrait le penser.

M. le Rapporteur : Ils s'expriment quand même sous serment.

Vous avez pourtant une analyse commune avec celle de Martin Malvy qui nous a dit exactement la même chose hier. Pourtant, je le répète, sous serment, le représentant d'ElfTotalFina et des assurances a dit qu'ils étaient à 11 000 dossiers réglés et que s'il y a des litiges entre l'assurance et l'expertise faite par l'assurance-dommage on pouvait commencer les travaux pour mettre « hors d'eau - hors d'air ».

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : « Hors d'eau et hors d'air », c'est une chose ! C'est du « provisoire durable » Les fenêtres en sont une autre.

En fait, il faut séparer la question des fenêtres du problème du sinistre classique. Si un assuré explique qu'il avait un Degas au mur et qu'il n'y est plus, une bataille d'experts est tout à fait compréhensible. Mais la première nécessité est celle d'une loi que nous n'avons pas aujourd'hui.

Puisque des élections présidentielles et des élections législatives vont s'ouvrir, je me demande si nous n'aurions pas intérêt, les uns et les autres, à travailler sur une loi qui permettrait en quelque sorte « un devoir d'ingérence ». En d'autres termes, il devrait être possible de dire à un moment donné : « Puisque la situation est ce qu'elle est, on va chez vous pour changer les fenêtres ou vous pouvez appeler un artisan. »

Il faut y réfléchir tant il est vrai que les mesures dérogatoires nous ont manqué, tant au Préfet qu'à nous-mêmes ou même au Conseil général et au Conseil régional.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur le maire, je souhaite revenir sur quelques points.

Concernant le mauvais fonctionnement de la réquisitions de logements à Toulouse, pouvez-vous nous expliquer comment se fait-il que seulement une quarantaine de logements ont pu être réquisitionnés ?

Je reviens aussi sur le problème des assurances et des expertises. Le 10 octobre, nous recevions dans le cadre du groupe d'étude de l'Assemblée nationale sur les assurances M. Denis Kessler, lequel nous a dit que tout semblait réglé pour que les choses se passent bien. A quel moment s'est donc passé le dysfonctionnement ? Avez-vous une idée sur ce point ?

Enfin, comment depuis le début de la catastrophe, vous, en tant que maire de Toulouse, avez-vous appréhendé et estimé la bonne coordination et la bonne cohérence entre les différentes institutions et les services de l'Etat ? A un moment donné, avez-vous eu du mal à entrer en contact et en coordination avec eux ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : A un moment donné, le conseil municipal dans son ensemble a dit qu'il fallait réquisitionner. Encore faut-il bien prendre conscience des moments très difficiles que nous avons vécus durant trois semaines ! De surcroît, cette catastrophe a touché les quartiers habités par les gens les plus touchés socialement. Des gymnases ont été envahis et nous y avons mis des familles très démunies.

Il y a deux types de réquisition : celle du maire et celle de l'Etat. Pour notre part, nous avons fait la réquisition du maire ! J'attends toujours celle de l'Etat.

Nous avons fait notre réquisition sur un périmètre donné. Nous avons envoyé mille lettres de réquisition et, vous avez tout à fait raison de le dire, il y a eu quarante-deux logements réquisitionnés. Le système n'a donc pas fonctionné. Pourquoi ?

Chaque fois que nous sommes allés voir les logements considérés, force était de constater qu'ils étaient soit déjà loués, soit ils appartenaient à un membre de la famille, fils, cousin ou autre. La question devrait être précisée vis-à-vis des services fiscaux.

Enfin et surtout il est un fait que vous connaissez aussi bien que moi : Toulouse a un flux tendu de locations inouï. Trouver une location dans la ville est pratiquement impossible car il n'y a pas de logements vides à Toulouse.

Pour trouver 100 ou 200 logements, il faut donc une réquisition d'Etat mais elle n'a pas encore été commencée.

A quel moment est apparu ce dysfonctionnement avec les assurances ?

Je vis la chose comme vous. Nous avons eu à faire à des responsables nationaux, en particulier Denis Kessler qui a eu un discours très réconfortant et très volontariste. Mais sur place ? J'ai moi-même dit que les assureurs ne font pas ce qu'ils doivent faire. En fait, j'en arrive à croire que c'est normal car je suis en train de me rendre compte que c'est parce que nous n'avons pas de mesures dérogatoires à la loi. Comment gérer 100 000 sinistres qui se produisent en l'espace d'une minute ? La chose n'est pas gérable par les voies habituelles.

Je sais qu'au début il n'y a pas eu suffisamment d'experts ; puis il y en a eu 100, puis 200, puis 400. Mais on arrive toujours à une limite, celle de la faisabilité de l'expertise et de la contre-expertise.

Très franchement, je crois qu'ils travaillent tous très bien. Mais, à un moment donné, pour des choses très précises - comme les fenêtres - il faut dépasser l'assureur et se débrouiller ensuite avec qui de droit.

J'en viens aux rapports entre les services de l'Etat et les services de la mairie. Je ne parlerai pas du Conseil général et du Conseil général car, de toute façon, nous n'avons eu aucun problème avec eux. Avec les services de l'Etat, je n'en ai eu non plus aucun. Je parle des services de l'Etat, dits de proximité, tels que le préfet les assure ici.

Je ne veux dire qu'une chose car elle me tient à c_ur et, madame, soyez assurée qu'il ne s'agit pas d'une attaque contre le Premier ministre car c'est le système médiatique qui veut cela.

Le Premier ministre est venu au bout de trois jours et il a fait une annonce, ici même, dans cette salle : « Je donne 1,5 milliard de francs pour Toulouse. » Cette annonce a été très bien ressentie par les Français qui ont trouvé très bien que le Premier ministre fasse une telle annonce au profit d'une ville blessée.

Je le répète, il ne s'agit pas d'une attaque de ma part et j'aurais fait la même remarque avec un autre Premier ministre. Mais lorsque l'on regarde un peu mieux la réalité, on s'aperçoit que ce 1,5 milliard sert pour 700 millions de francs à reconstruire l'université du Mirail. C'est donc l'Etat qui reconstruit un immeuble d'Etat et c'est très bien et à tout à fait normal. Il en va de même pour l'hôpital Marchant à hauteur de 400 ou 500 millions de francs. Il en va de même, me semble-t-il, pour l'institut polytechnique à hauteur de 500 millions de francs.

L'annonce était bien magnifique, s'agissant de reconstruction. Toutefois, j'aurais aimé que l'on puisse éventuellement entendre tenir plus largement le discours suivant, au moins maintenant car peut-être était-ce un peu trop tôt à ce moment là : « La ville de Toulouse, quatrième ville de France, a été touchée par deux événements : celui du 21 septembre mais aussi celui du 11 septembre qui a eu des répercussions sur Airbus Industrie, les compagnies aériennes du monde entier faisant faillite les unes après les autres. Le « trou d'air » - c'est le cas de le dire - est inévitable dans les années 2003-2004 et la situation sera donc très dure ... »

Je me demande s'il n'y a pas à envisager avec l'Etat un avenant au contrat de plan ou autre chose, pour une ville qui sera touchée économiquement parlant. Bref, une sorte de contrat entre l'Etat et la ville ou l'agglomération toulousaine ! Je suis heureux de constater qu'il y a dans cette commission des parlementaires de la région qui ne sont pas de mon camp mais de la majorité et peut-être pourrions-nous faire quelque chose ensemble dans cette perspective.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je suis d'accord mais ce n'est pas le lieu d'en débattre.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : En effet, ce n'est pas le lieu.

En tout cas, je puis vous dire qu'il n'y a eu aucun dysfonctionnement avec les services de l'Etat. Mais vis-à-vis du Gouvernement, j'attendrais peut-être une grande discussion entre nous demain sur l'avenir de Toulouse. Mais vous avez raison de dire que ce n'est pas le lieu.

M. le Rapporteur : Combien la ville de Toulouse a-t-elle débloqué, en dehors de la réfection de ses bâtiments ? Comment agit-elle ?

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Pour nous, le coût sera de 700 millions de francs.

M. le Rapporteur : Les deux autres collectivités nous ont donné des chiffres équivalents : 700 millions de francs pour la Région et 500 millions de francs au moins pour le Conseil général.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Quand je parle de contrat, ce n'est pas avec la ville. C'est la même chose avec la Région et avec le Conseil général.

M. le Rapporteur : Cela fait donc 1,9 milliard pour les collectivités locales et 1,5 milliard pour l'Etat. Nous en sommes donc à 3,4 milliards.

Les assurances que nous avons interrogées à Paris sur le coût de la catastrophe parlent de 12 à 14 milliards.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Cela n'a rien à voir ...

M. le Rapporteur : C'est complémentaire, certes. Mais cela veut dire que l'ampleur de la catastrophe est telle que l'on arrivera à un coût total de 12, 13 ou 14 milliards.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : C'est cela ! A mon avis, 13 ou 14 milliards.

M. Claude MOREAU : Tous les chiffres que les collectivités ont pu annoncer avec une certaine précision concernent la réparation des dégâts sur leur propre patrimoine. C'est ce que disait M. le maire pour l'Etat. Le chiffre de la ville de Toulouse concerne les bâtiments municipaux. Je suppose que le Conseil régional a fait de même.

Mais il y a des dégâts très importants sur tout le patrimoine privé et ceux-ci sont très difficiles à chiffrer car des milliers de personnes sont concernées. On ne parle actuellement que des logements mais il y a aussi toute l'activité économique. Au-delà des dégâts matériels, il y a aussi toutes les pertes d'exploitation ! Il n'est donc pas surprenant qu'il y ait un écart très important entre ce que les collectivités annoncent chez elles et l'ensemble du sinistre.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : J'espère que les assurances vont payer, y compris pour la mairie.

M. le Président : C'est à Total de payer !

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Comme vous le savez certainement, Total et les assurances sont intimement liées.

M. le Rapporteur : Au moins sur une partie.

M. Pierre COHEN : Je n'ai pas à défendre le Gouvernement mais je rappelle quand même que dans le cadre de l'urgence 10 millions de francs ont permis un effet de levier et d'avoir dans les vingt-quatre heures 70 millions de francs A raison de 3000 francs par famille, un petit quelque chose a permis aussi ...

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Ce n'est pas l'Etat ! Ce sont les collectivités locales ...

M. Pierre COHEN : En termes d'urgence, le soir même, l'Etat a été le premier à annoncer le déblocage de 10 millions de francs, ce qui a permis, en cascade, d'arriver à 70 millions de francs. C'était avant l'annonce de Lionel Jospin évoquant une somme de 1,5 milliards de francs.

La semaine suivante, un certain nombre d'aides ont permis d'attribuer 3 000 francs à des gens, au quotidien.

Enfin, vous avez mentionné un certain nombre de bâtiments. Il y a quand même le doublement par l'Etat du Grand projet de ville (GPV) de 240 millions de francs qui permet d'intervenir en profondeur. Vous l'avez bien dit, cette catastrophe est d'autant plus grave qu'elle atteint essentiellement des personnes en difficulté. Cette intervention a permis de mettre peut-être plus de moyens pour le GPV. L'annonce a donc été non négligeable et très bénéfique. Il y a donc un certain nombre de choses à étudier.

Je reviens sur la proposition. Je suis totalement convaincu que nos communes, et l'Etat en particulier, sont très souvent en situation de fonctionnement « en version nominale », comme l'on dit par ailleurs. Dès qu'un grain de sable survient, nous sommes en situation difficile. A fortiori, face à une telle catastrophe, nous sommes alors complètement dépassés.

Nos préconisations porteront sur le point de savoir si, en cas de catastrophe, il faut donner la responsabilité et l'autorité à quelqu'un pour arriver à une sorte de devoir d'ingérence auprès de gens qui sont en principe dans un système libéral ou de droit commun. Pour le moment, je n'ai pas encore d'idée quant à savoir s'il faut une loi.

Hier, Michèle Rivasi disait qu'il fallait nationalement une cellule avec des compétences dans tous les domaines, en dépassant la sécurité civile - cela existe déjà - et y compris pour les logements. Ici, l'intervention s'est faite par les ministères interposés avec des compétences qui sont descendues, certes, mais peut-être avec une certaine incohérence. Quelle cohérence faut-il mettre en _uvre au niveau national ?

Faut-il aller plus loin ? Pour ma part, je considère qu'au-delà de l'Etat nous pouvons faire des préconisations viables, en rajout à tout ce qui relève des collectivités territoriales.

Il est important de penser à la façon dont le droit privé peut être intégré dans l'ensemble. Je ne veux pas stigmatiser les assurances. Mais nous sentons bien cependant que pendant un mois il a fallu régulièrement rajouter des propositions voire même des décisions. Laurent Fabius a d'ailleurs répondu à une question similaire concernant le problème du fonds mis en place par TotalFina pour pouvoir payer directement l'artisan. L'Etat a donc bien répondu.

En dehors d'une loi, pensez-vous qu'il faut trouver un moyen très rapidement pour disposer d'un système d'urgence qui place tous les acteurs, y compris ceux de droit privé, « sous l'ordre » ou « dans l'obligation » de rendre des comptes.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Pour nous, ici, à Toulouse ou en général ?

M. Pierre COHEN : En général !

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Je suis tout à fait persuadé qu'il faut prévoir une cellule telle que vous l'avez précisée hier mais il faut aussi un fonds. C'est le Gouvernement - je dis bien le Gouvernement - qui décide à un moment donné qu'est-ce qui est une catastrophe importante. Dans cette hypothèse, on se dit alors « On y va ! Banco ! Tout de suite ! ... » Ensuite, c'est lui qui va voir M. Desmarest, M. Kessler ou le mutualiste. En tout cas, je ne vois pas aujourd'hui, comment avec des dizaines et des dizaines de milliers de sinistres, les gens peuvent s'en sortir. La lourdeur et la lenteur ne peuvent qu'accroître la colère des gens. Dieu merci, on a fait « le provisoire durable. »

M. le Rapporteur : Il est un point commun sur lequel le maire de Toulouse et ses collègues de la communauté urbaine que nous avons entendus sont d'accord : il n'y a pas eu une sur-information d'un certain nombre de services sur les dangers.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Monsieur le maire, je voudrais que nous nous entendions bien sur les chiffres que nous avons les uns et les autres. Vous disiez que vous étiez à peu près sûr en tant que maire de Toulouse qu'à l'heure actuelle qu'il n'y avait pratiquement plus de personnes ... Sinon elles manifesteraient, disiez-vous !

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Malheureusement, il y en a encore !

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous l'avez dit vous-même, ce sont les personnes qui sont déjà en difficulté qui sont les plus atteintes. Ce sont notamment pour beaucoup des personnes âgées. Mais il y a encore dans nos quartiers beaucoup de personnes qui sont avec leur polyane et qui surveillent les fenêtres. Je ne vous citerai pas certaines situations personnelles dans ma famille. Il faut le savoir, il y a encore une population souffrante, deux mois et demi après.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Vous avez à côté de moi l'homme qui a fait tout depuis le premier jour et il peut vous dire où il en est. 100 logement par jour !

M. Claude MOREAU : Il peut y avoir une différence de situation selon que l'on a à faire à une collectivités ou à des individus.

Le parc HLM est globalement traité et les travaux définitifs enchaînent.

M. Pierre COHEN : A l'Opac, il n'y a plus aucun « hors d'eau - hors d'air » ?

M. Claude MOREAU : Il n'y a plus de problème de « hors d'eau - hors d'air » et les travaux définitifs sont déjà commandés. Ils vont enchaîner. Je parle bien sûr de l'Opac de Toulouse.

M. Pierre COHEN : Quand les travaux ont-ils été finis ?

M. Claude MOREAU : Il y a une semaine à peu près.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous me permettrez quand même de vous emmener dans quelques endroits !

M. Claude MOREAU : La deuxième situation à envisager est celle des copropriétés, laquelle est déjà un peu plus complexe. M. le maire l'a rappelé, nous avons traité 1 500 logements dans les copropriétés.

Nous avons pris systématiquement des grandes copropriétés et chaque fois qu'on nous ouvrait les portes nous avons posé des panneaux, etc. Il est vrai qu'il y a peut-être encore des appartements auxquels nous n'avons pu accéder car ils ont tout simplement été abandonnés par leurs occupants ou ils étaient restés vacants. On n'entre quand même pas par effraction dans les appartements.

Nous avons commencé fin octobre et à la fin novembre nous avons donc traité 1 500 logements de cette façon.

M. Philippe DOUSTE-BLAZY : Nous avons crée aussi une cellule, avec beaucoup de menuisiers de la ville. J'ajoute que Bertrand Delanöé, Jean-Claude Gaudin, Alain Juppé et Georges Frêche notamment ont été formidables : ils nous ont envoyé des menuisiers.

Depuis maintenant une semaine, nous avons une demande qui baisse sur le « hors d'eau - hors d'air ». Nous voyons bien que nous sommes à la fin de cette période car la demande diminue. Il y a un mois et demi, c'était effrayant. Il faut maintenant aller aux travaux définitifs et cela mérite de passer au-dessus des assurances.

M. le Président : Il est toujours très difficile d'extraire immédiatement de l'expérience les leçons pour demain alors que nous sommes encore en plein dans l'événement. Nous vous remercions d'avoir fait cet exercice avec nous.

Audition de :

M. Thierry DESMAREST,

Président-directeur général de TOTALFINAELF

M. Bernard TRAMIER,

directeur environnement et sécurité industrielle de TOTALFINAELF

M. Yvan VEROT,

directeur Hygiène, sécurité, environnement d'ATOFINA

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 6 décembre 2001)

Présidence de M. François Loos, Président

MM. Thierry Desmarest, Bernard Tramier et Yvan Vérot sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Desmarest, Tramier et Vérot prêtent serment.

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Cette commission d'enquête a été créée par une volonté commune de tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale, à la suite à la catastrophe de Toulouse, afin d'élaborer des propositions permettant d'éviter qu'une telle catastrophe ne se renouvelle.

Jusqu'au 21 septembre, nous avions le sentiment que, grâce notamment aux études de danger et aux plans internes et externes assurant la sécurité des sites industriels, nous disposions d'un cadre juridique qui permettait de faire face aux risques. Pourtant, nous avons pu constater que ce qui n'était pas prévu est arrivé, ce qui nous conduit à remettre en question le dispositif existant qui ne peut plus être considéré comme infaillible.

C'est pour tenter de dégager des propositions qui renforceraient ce dispositif et qui permettraient de rassurer les populations que nous avons souhaité la création de cette commission d'enquête. Pour cela, il nous est nécessaire de comprendre ce qui s'est passé, la façon dont fonctionne une société multinationale en matière de sécurité et comment elle appréhende le risque. Nous souhaiterions connaître votre analyse de ce qui s'est passé et quelles en sont vos conclusions.

Après un exposé liminaire, votre audition se poursuivra par un échange de questions précises et de réponses brèves avec les membres de la commission, afin de recueillir le maximum d'informations.

M. le Rapporteur : Nous avons classé nos questions en différents thèmes : l'état des lieux et l'organisation du retour d'expérience au sein de l'entreprise, l'organisation du travail et de la sûreté, la formation des personnels du groupe, l'investissement pour améliorer la sûreté, les études de danger, les plans d'opération internes et la politique du groupe en matière d'assurance.

M. Thierry DESMAREST : Il est effectivement important, compte tenu de la taille du groupe industriel que je préside et du fait que nous sommes directement concernés par cet accident de Toulouse, de vous faire part de nos réflexions, de la manière dont nous travaillons déjà aujourd'hui et des axes de progrès que nous pouvons esquisser pour l'avenir.

Le groupe TotalFinaElf que je préside depuis sa formation, il y a près de deux ans, résulte, comme vous le savez, de la fusion des entreprises Total, PetroFina et Elf Aquitaine. Il est actif un peu partout dans le monde, en exploration et en production pétrolière et gazière. C'est aussi le plus grand raffineur européen et nous exploitons en particulier six raffineries en France représentant 55 % de la capacité nationale de raffinage.

Sa branche chimie, plus connue sous le nom d'Atofina, réunit des métiers très variés et emploie plus de la moitié des collaborateurs du groupe, dont près de 35 000 personnes en France. Son chiffre d'affaires est supérieur à 20 milliards d'euros, et nous sommes aujourd'hui le cinquième chimiste mondial. C'est enfin un secteur dans lequel nous investissons largement, à hauteur environ d'un milliard et demi d'euros par an. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. La chimie est bien une activité majeure du groupe TotalFinaElf.

Cela signifie aussi que la chimie de TotalFinaElf respecte des règles communes à l'ensemble du groupe, connues par chacun de ses collaborateurs, et réunies dans une charte Sécurité-Environnement-Qualité que j'ai signée et dont l'article premier dit : "TotalFinaElf place en tête de ses priorités la sécurité des activités, la santé des personnes, le respect de l'environnement." Il n'y a pas au sein du groupe de zone d'ombre, d'activité périphérique où ces règles seraient négligées. Ceci rend le drame toulousain plus cruel encore.

Toulouse, c'est toute une ville qui a été profondément blessée. Mais c'est aussi l'ensemble d'une industrie qui est aujourd'hui durement touchée. Il y a un peu plus de deux mois, mes premières pensées sont allées immédiatement à toutes les victimes et à leurs familles, ainsi qu'à tous les Toulousains qui ont été touchés par l'explosion.

Notre première préoccupation, après l'explosion, a été de mettre le site en sécurité le plus rapidement possible. Malgré l'immense choc subi, le personnel de l'usine a su avoir les réactions qui s'imposaient pour éviter tout nouveau risque. Dans les jours qui ont suivi, pour les opérations de mise en sécurité des unités et des stockages de l'usine, nous avons largement mobilisé les salariés des autres sites de Grande Paroisse et d'Atofina. Tous ensemble, ils ont travaillé à transférer ces produits vers d'autres usines vers la société Grande Paroisse, spécialisées dans la production d'engrais.

Par ailleurs, TotalFinaElf a immédiatement contribué aux actions de solidarité. Face au drame humain et au désarroi des victimes, nous nous sommes efforcés d'agir en complément des secours et des bénévoles. Comme le gouvernement, comme la mairie de Toulouse, dès le 22 septembre, TotalFinaElf a débloqué un premier fonds doté de 10 millions de francs destiné à soutenir les opérations de secours et d'assistance d'urgence aux victimes.

Par la suite, nous avons engagé avec la Croix-Rouge française une nouvelle aide d'urgence de 20 millions de francs pour soutenir les personnes en situation de détresse. Certaines familles étaient sans ressources. D'autres personnes ont subi des dommages corporels graves et handicapants. D'autres encore se retrouvent en rupture totale d'habitat.

Enfin, à l'entrée de l'hiver, nous nous devions d'assister les Toulousains dont l'habitat a été particulièrement touché et qui font face à de graves difficultés. TotalFinaElf prendra ainsi en charge les surconsommations d'énergie des foyers sinistrés du secteur privé et public.

Je sais que ces actions peuvent contribuer à apaiser certaines peines, à résoudre certaines situations difficiles, mais elles ne suffisent pas. Il faudra également que chaque particulier, chaque professionnel soit indemnisé à la hauteur des préjudices subis. Et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour cela.

Nous avons toujours agi avec les compagnies d'assurance, dans le sens de la simplification des procédures et de la rapidité des indemnisations. Plusieurs accords ont ainsi été conclus afin de supprimer des franchises, limiter des procédures d'expertise ou indemniser directement les victimes.

Au-delà, il va de soi que nous assumerons toutes les responsabilités qui nous incombent dans la réparation des dommages. TotalFinaElf veillera à ce que Grande Paroisse, qui est une filiale contrôlée à 80 % par le groupe, dispose des moyens financiers pour faire face à toutes ses obligations. Dans ce cadre, nous veillerons à ce que toutes les victimes, quelles qu'elles soient, reçoivent l'indemnisation à laquelle elles ont droit.

Pouvoirs publics, collectivités locales, associations et entreprises sont engagés aujourd'hui dans une démarche commune. Pour chacun d'entre eux, pour les victimes et pour leurs proches, nous nous devons de comprendre ce qui s'est passé, comprendre comment un tel drame a pu se produire, un drame que personne ne pensait possible.

Le site de Toulouse disposait de toutes les autorisations requises. Il avait été conçu suivant les règles en vigueur dans la profession et il était correctement entretenu. L'usine avait de bonnes performances en matière de sécurité et son taux de fréquence des accidents était parmi les meilleurs de la profession. Les produits stockés dans le hangar 221, où a eu lieu l'explosion, n'étaient pas considérés comme particulièrement dangereux. Pourtant, le drame s'est produit.

Au-delà de notre pleine collaboration avec toutes les enquêtes officielles, dès le lendemain de la catastrophe, j'ai voulu qu'une commission d'enquête interne au groupe TotalFinaElf soit formée afin de rechercher les origines de la catastrophe. Elle s'est immédiatement mise au travail et s'appuie sur l'expertise de laboratoires et d'organismes français et européens. Ses conclusions seront rendues publiques.

Ce travail est nécessaire pour prendre les décisions concernant l'avenir du site lui-même. Je sais qu'il s'agit là d'un sujet difficile, au c_ur d'un débat passionné. Pour notre part, nous ne pouvons pas arrêter notre position tant que nous n'y voyons pas plus clair sur les causes de l'explosion. Il faut terminer les enquêtes. En toute hypothèse, la décision ne dépend pas seulement de nous. Il est néanmoins clair que nous prendrons en compte la situation des collaborateurs de l'usine. Dans une situation difficile, souvent injustement critiqués, ils ont fait preuve d'un professionnalisme et d'une solidarité exemplaires. En tout état de cause, quelle que soit la solution adoptée, aucun d'entre eux ne sera laissé seul devant un problème d'emploi. La solidarité du groupe TotalFinaElf jouera.

La compréhension des causes de l'explosion est essentielle pour une autre raison : elle seule permet le progrès. Ce qui s'est passé à Toulouse ne peut rester sans suite et des voies d'amélioration doivent être trouvées. Je souhaite en évoquer trois devant vous :

- la maîtrise du risque industriel,

-  l'information locale,

- la conciliation du risque industriel et de l'urbanisme.

Toutes trois font l'objet de propositions que nous avons déjà transmises au ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement et que je souhaite vous commenter.

Concernant la maîtrise du risque industriel de la centaine de nos sites français Seveso seuil haut du groupe, qui emploient 18 000 personnes, soit le tiers de nos salariés en France - c'est vous dire la sensibilité que nous avons à l'intérieur de nos propres équipes sur ces problèmes de sécurité -, nous avons décidé, sans attendre les conclusions des enquêtes, de renforcer les moyens de surveillance et de diminuer les stocks opérationnels dans les usines proches des agglomérations. Nous conduisons, par ailleurs, de nouvelles études sur les améliorations de sécurité de nos procédés industriels.

Plus largement, il me semble évident qu'une meilleure maîtrise des risques industriels passe par une évaluation plus fine et plus poussée de ces risques. Nous devons, à ce titre, réfléchir aux axes de progrès au niveau européen, sinon mondial. Les échanges d'expertises et l'analyse des meilleures pratiques doivent être systématisés, avec notamment la création d'une base de données européenne des évaluations de risques des sites Seveso. Nous devons développer le recours à des tiers, à des experts qui seront focalisés sur les enjeux de maîtrise des risques. Nous devons favoriser l'homogénéité des normes et des méthodes d'évaluation, car il est certain que l'application de règles différentes conduit à la dispersion des expériences.

Dans les pratiques d'évaluation elles-mêmes, il nous semble indispensable de ne pas se limiter à la méthode déterministe, qui a prévalu en France jusqu'à présent à l'exception de l'industrie nucléaire, et d'avoir recours dans certains cas à l'approche probabiliste qui permettra de mieux éclairer les prises de décision. C'est déjà une pratique en vigueur dans un certain nombre de pays européens.

Les salariés et leurs représentants sont également intéressés au premier chef à cette question. L'entreprise poussera plus loin encore les efforts nécessaires pour leur permettre d'assurer pleinement leur rôle. Une meilleure formation des partenaires sociaux à la maîtrise des risques industriels me paraît une évolution souhaitable et naturelle.

Notre responsabilité ne s'arrête pas au seul respect des textes réglementaires sur la sécurité industrielle. Nous devons aussi savoir engager et entretenir des relations équilibrées et de confiance, fondées sur l'information et le dialogue, avec ceux qui vivent autour de nos sites. Après cette tragédie, les populations exigent légitimement une information plus complète sur leur environnement industriel et les risques associés. Nous nous engageons à amplifier nos actions d'information vers les riverains sur nos activités, les risques qu'elles induisent et nos systèmes de sécurité. Nous allons en conséquence organiser, autour de nos sites, dans les mois qui viennent, un vaste programme d'information.

Par ailleurs, TotalFinaElf entend participer activement à la mise en _uvre de commissions locales d'information pour les sites Seveso seuil haut. Il nous parait souhaitable d'intégrer, au sein de ces commissions, des représentants des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) des entreprises contractantes, des élus et des associations locales et des administrations. Elles examineraient les incidents notables du site, l'analyse des causes et les actions de renforcement de la prévention adoptées à la suite de ces incidents. Nous proposons enfin que le plan particulier d'intervention fasse l'objet d'une concertation annuelle avec les autorités, notamment pour ce qui concerne l'information des populations et les exercices prévus.

Enfin, nous ne pouvons nous résoudre à ce que villes et usines se portent des regards empreints de crainte et de suspicion. S'il est vrai que cette coexistence pose souvent problème, il n'est plus temps de chercher qui en est responsable. Bâtir l'avenir me parait autrement plus important. Nous proposons notamment de renforcer les contraintes d'urbanisme dans les zones à risques Z1 et Z2. Ces périmètres devront être strictement contrôlés, de façon à ce que l'amélioration de la sécurité et la réduction des cercles de danger qui peut en résulter n'entraînent pas pour autant d'urbanisation rampante dans les zones ainsi "abritées". Il convient d'examiner au cas par cas les situations. Une telle analyse permettra notamment de valider les périmètres de sécurité, y compris les zones relevant des plans particuliers d'intervention. Je soulignerai enfin la nécessité d'intégrer une vision de l'aménagement du territoire qui permette de préserver de vastes zones industrielles pour des activités à risques et de créer les conditions pour faciliter l'implantation de « ceintures vertes » autour de ces zones.

Le risque zéro n'existe pas. C'est une affirmation presque insupportable au regard du drame qui s'est noué à Toulouse. Elle n'en reste pas moins vraie. Limiter les risques est notre objectif constant et notre devoir. Nos équipes y veillent en permanence. Il n'est malheureusement pas en notre pouvoir de faire disparaître tous les risques. Ceci doit nous conduire à regarder l'avenir sans préjugé, sans fausse pudeur, en nous demandant de quoi nous voulons que demain soit fait pour les particuliers, pour les collectivités, pour les entreprises. Tous ces destins sont liés. Certains risques seront sans doute désormais jugés inacceptables et conduiront à réévaluer l'opportunité de certaines activités et la pérennité de certains sites en France. Mais il nous faudra garder à l'esprit le poids économique et social des industries dites à risques, ainsi bien sûr que l'utilité indéniable des nombreux produits qu'elle fabrique.

Les solutions miraculeuses n'existent pas et les clés du problème n'ont pas de propriétaire. Ma conviction est qu'il est indispensable de faire émerger, à travers la concertation, des solutions équilibrées et acceptables pour tous.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant à votre disposition, ainsi que mes collaborateurs, pour répondre à vos questions.

M. le Président : Nous vous remercions de cette introduction. La première question vous est posée par Mme Hélène Mignon.

Mme Hélène MIGNON : Vous avez beaucoup fait allusion à Toulouse, ce qui est tout à fait normal, car sans l'explosion de Toulouse, cette rencontre n'aurait jamais eu lieu.

Lors de la grande réunion qui s'est tenue vendredi à Toulouse, à l'occasion de la table ronde régionale du débat national sur les risques industriels, tant les élus que la population ont fortement regretté votre absence, dont ils n'ont pas bien saisi les raisons.

M. Thierry DESMAREST : Un certain nombre de réunions régionales se sont tenues dans le cadre de la préparation d'un débat national. Totalfina Elf était représenté à la réunion de Toulouse par le directeur de l'usine de Toulouse ainsi que par un représentant du groupe.

L'émotion étant tellement forte sur place après cette explosion, il est difficile d'engager un débat, en particulier pour celui que l'on a tendance à désigner rapidement comme le responsable de l'explosion. Certes, nous sommes les propriétaires de l'installation, mais je vous rappelle qu'à ce jour, les origines de l'explosion n'ont pas été établies. Quand vous interrogez la communauté des scientifiques, notamment des chimistes, ils ont énormément de difficultés à comprendre les origines de cette explosion. Il convient donc de creuser toutes les hypothèses pour établir les origines réelles de l'explosion et les conséquences à en tirer.

Il nous est apparu que cette réunion ne constituait pas, pour nous, le meilleur cadre pour nous exprimer sur le fond du dossier de la sûreté et de la sécurité industrielle. C'est la raison pour laquelle je n'y ai pas assisté. Néanmoins, je suis là aujourd'hui pour pouvoir nourrir cet échange dans des conditions qui, sans doute, permettront d'aller davantage au fond du dossier.

Durant la semaine où s'est produit l'accident, je me suis rendu à trois reprises à Toulouse, dont la première fois quelques heures après l'accident. Ma non-participation à cette réunion n'est donc pas du tout de ma part une manifestation d'absence d'intérêt. Il me semble que pour avancer des propositions, le cadre de vos travaux et celui de la concertation nationale, qui aura lieu la semaine prochaine, me paraissent mieux appropriés pour la direction générale du groupe.

Mme Hélène MIGNON : La mise en cause a concerné non seulement votre groupe, mais aussi les autorités, l'administration, sans aucune distinction. Les personnes en grande difficulté qui ont subi ce choc ne font pas de différence. Certes, c'est le lieu d'origine de la catastrophe qui est mis en cause, mais cela concerne tout autant les questions touchant à l'urbanisme et aux contrôles des pouvoirs publics. Vous étiez sans doute en première ligne, mais nous avons tous eu notre part de récriminations et de questions tout à fait légitimes.

M. le Président : Je voudrais vous poser quelques questions quant à l'organisation interne de votre groupe. Comment se prennent les décisions d'investissement dans le domaine de la sécurité ? Dans les budgets des entreprises filiales ou des usines, avez-vous identifié au préalable des investissements à engager dans le domaine de la sécurité ? Correspondent-il à des lignes identifiées ? Les décisions concernant les investissements de sécurité, comme ceux réalisés au mois d'octobre à Grand Quevilly, sont-elles prises par le directeur du site ou par le directeur général de la filiale ou ces décisions remontent-elles à votre directoire ou comité exécutif, c'est-à-dire votre instance de décision la plus élevée ? Pouvez-vous nous expliquer le processus de décision au sein de votre groupe concernant les investissements relatifs à la sécurité ?

M. Thierry DESMAREST : La conduite des opérations du groupe, compte tenu de sa taille avec plus de mille sites industriels et 130 000 salariés dans le monde, dont 45 % en France, nécessite une organisation décentralisée.

En ce qui concerne les investissements, nous avons défini un certain nombre de seuils de dépenses. En fonction des seuils, le niveau de décision est différent. S'agissant des investissements qui se comptent en dizaines, voire centaines de millions de francs, leur décision remonte au niveau du comité exécutif du groupe, instance de huit dirigeants que je préside personnellement.

Vous avez ensuite des seuils d'investissement plus bas qui relèvent du niveau des comités directeurs des branches (exploration-production, raffinage, marketing, chimie, négoce gaz-électricité), puis des niveaux de délégation pour les directeurs régionaux et les directeurs de site.

En pratique, la majeure partie des décisions d'investissement sont déléguées au niveau des branches ou des sites, dans la mesure où la plupart des décisions portent sur quelques millions de francs voire 10 ou 20 millions de francs. Nous étudions parfois, au niveau du comité exécutif, une décision précise d'investissement comme, par exemple, lorsque nous avons refondu les salles de contrôle et installé des salles de contrôle résistant aux explosions dans les raffineries. Il s'agissait d'un investissement de sécurité important qui nécessite de repenser toute l'organisation des systèmes de rapatriement d'information, de mesures et de contrôles et de télécommande des installations. Ce sont des investissements qui représentent des dizaines de millions de francs qui sont alors décidés au niveau du comité exécutif du groupe.

M. le Président : Les mêmes seuils sont donc applicables pour les investissements en matière de sécurité et les autres investissements ?

M. Thierry DESMAREST : Tout à fait. Néanmoins, dans le cadre d'un projet nouveau, par exemple, la construction d'une nouvelle installation, nous identifions en son sein un volet sécurité et environnement. Avant d'examiner ces dossiers en comité exécutif, nous avons un comité « risques » qui prépare l'ensemble de l'analyse des risques, correspondant à ce dossier d'investissement, en particulier dans le domaine de la sécurité.

Pour mémoire, je vous rappelle que le site de Toulouse et la société Grande Paroisse faisaient partie du groupe Elf Aquitaine, qui a rejoint TotalFinaElf lors de la fusion, il y a un peu moins de deux ans. Toutefois, il y avait déjà au préalable, à l'intérieur du groupe Elf Aquitaine, des principes tout à fait similaires à ceux pratiqués chez Total. Par conséquent, nous avons fusionné l'ensemble des pratiques de sécurité, sans qu'il y ait de disruption à cette occasion.

M. le Président : Dans ma question, je vous demandais également qui avait pris la décision d'engager, à Grand Quevilly, les travaux de sécurité effectués au mois d'octobre.

M. Thierry DESMAREST : Cette décision a été prise au niveau de la branche chimie, compte tenu de l'investissement qui était nécessaire.

Par ailleurs, il existe un autre cadre dans lequel la direction générale du groupe examine les engagements de dépenses et d'investissement. En effet, lors de la définition des budgets annuels, nous avons, dans chacune des activités, des volets d'investissement de sécurité. Je vous dirai très simplement que je n'ai jamais refusé un investissement en matière de sécurité.

M. le Rapporteur : Quel est votre résultat net sur le dernier exercice ?

M. Thierry DESMAREST : Il est d'environ 50 milliards de francs.

M. le Rapporteur :  Quel est le montant de vos investissements relatifs à la sécurité ?

M. Thierry DESMAREST : Ils sont assez difficiles à chiffrer. Globalement, les investissements que nous effectuons chaque année sont d'environ 60 milliards de francs (9 milliards d'euros). Lorsque nous construisons des installations neuves, il est très difficile de faire la part de ce qui concerne spécifiquement la sécurité de ce qui concerne la conception générale de l'installation.

Dans le cadre de ces installations neuves, lorsque nous mettons en place des équipements avec leurs installations de conduite, nous choisissons les meilleures pratiques en matière de sécurité, mais il est quasiment impossible de départager la nature même des dépenses entre sécurité et production.

M. le Rapporteur : Nous vous demanderons, sur quelques usines françaises dans le domaine de la chimie, de nous indiquer les investissements réalisés en termes de sécurité dans l'année afin d'avoir des éléments de comparaison.

Vous avez indiqué, dans votre exposé, avoir mis en place une commission d'enquête interne dont les conclusions seront rendues publiques. Pouvez-vous nous dire quand ?

M. Thierry DESMAREST : Je préférerais éviter, contrairement à ce que l'on a pu voir par ailleurs, des publications préliminaires sans que nous ayons fait le tour des questions. Vous vous êtes rendu sur le site de Toulouse et avez constaté l'état de destruction. Vous comprendrez donc les difficultés qu'il y a à reconstituer ce qui a pu se passer.

Ces difficultés sont d'autant plus grandes que l'ensemble des chimistes sont unanimes pour dire que les nitrates sont stables et qu'il faut des conditions très particulières, notamment un apport d'énergie permettant une élévation de température, pour parvenir à les faire exploser.

Cette commission d'enquête interne a lancé ses travaux dans différentes directions. Sa première tâche a consisté à vérifier la possibilité d'une explosion primaire dans les installations de production situées à proximité du hangar 221, explosion qui aurait pu, par effet domino, entraîner l'explosion du produit. Cette hypothèse ne peut être complètement écartée, bien qu'elle paraisse peu probable aujourd'hui. En effet, tous les morceaux des installations de production ayant été retrouvés, il semble extrêmement probable que les destructions qu'ils ont subies soient la conséquence d'une explosion externe, et non pas interne, au processus de fabrication.

Nous analysons un certain nombre d'éléments qui sont quelque peu perturbants dans la chronologie des événements. Il y aurait apparemment eu, avant l'explosion, notamment des perturbations électriques, notées sur un certain nombre d'appareils, avant l'explosion. Cela rejoint peut-être le fait que certains de nos agents sont convaincus d'avoir entendu deux explosions. Cela est conforté par le fait que certains d'entre eux, entendant une première explosion, sont sortis et se trouvaient en dehors de leur bureau, au moment même de la grande explosion. Certes, il faut rester très vigilant sur l'ensemble de ces témoignages, mais nous devons encore approfondir un certain nombre de pistes, notamment pour savoir si l'explosion s'est produite dans le stockage d'engrais d'environ 300 à 350 tonnes dans le hall 221 ou sous la dalle, ce qui est également possible compte tenu de l'histoire très ancienne de ce site.

Je vous cite ces différentes directions. Nous menons également un certain nombre d'études en laboratoire pour évaluer si l'un des produits présents sur le site, mélangé par erreur au nitrate entreposé dans le hall 221, pouvait abaisser les seuils d'explosivité.

M. le Rapporteur : Nous avons posé des questions précises sur ce sujet. Je vais vous rappeler des éléments déjà établis par l'inspecteur général Barthélémy et qui nous ont été confirmés lors des auditions publiques.

Une heure avant l'explosion, a été versée dans ce hangar 221 une benne dont on ne connaît pas le contenu. On sait également qu'un mélange d'un certain nombre de produits nouveaux ont été rajoutés dans ce hangar qui stockait, non pas du nitrate d'ammonium, mais des produits recyclés à partir de produits non commercialisables de nitrate d'ammonium.

Par ailleurs, aucun capteur n'était installé dans ce hangar, même si certains ont affirmé le contraire après l'explosion. Selon les chimistes, la nature de l'explosion est certes difficile à déterminer, mais tous s'accordent pour dire que le nitrate d'ammonium a provoqué, dans le passé, de nombreux accidents.

A l'inverse de ce qui a été dit, il existe une étude de danger de 1990 réalisée par la DRIRE qui, sur Grande Paroisse, évoque l'hypothèse d'explosion d'un stockage d'ammonium pour laquelle aucune mesure de sécurité n'a été prise. Il y a donc eu sous-estimation notoire du risque puisqu'il y a déjà eu des accidents par le passé.

Certes, l'accident était peu probable et on n'en connaît pas encore les causes aujourd'hui. Toutefois, nos visites des « petites s_urs » de l'usine AZF de Toulouse nous ont montré qu'elles comprennent deux mondes différents. Par exemple, à Grand Quevilly, il y a d'une part la fabrication d'ammoniac, pour laquelle des mesures de sécurité nouvelles ont été prises, et, d'autre part, le stockage des ammonitrates qui est un endroit ouvert à tous vents, sans capteur et où les pigeons nichent sous le toit. Cela donne l'impression de ne pas être dans la même usine que celle qui fabrique de l'ammoniac. Nous avons donc l'impression qu'il y a sous-estimation du risque, d'autant que les études de danger indiquaient les risques en 1990.

M. Thierry DESMAREST : Vous avez auditionné le directeur de l'usine qui vous a donné les détails sur le mode de fonctionnement de celle-ci. Je n'ai pas grand-chose à rajouter de ce point de vue. Je voudrais juste rebondir sur un point qui concerne les problèmes que pose l'approche déterministe en matière d'évaluation des risques.

Le problème des risques d'explosion du nitrate est identifié parce qu'un certain nombre d'explosions sont intervenues dans le passé, mais elles sont intervenues dans des circonstances bien particulières. Vous avez également eu des feux de stock de nitrate qui n'ont pas donné lieu à explosion. C'est pourquoi il est normal d'éviter le confinement des dépôts et d'avoir une circulation d'air importante dans les dépôts.

Les explosions dues aux nitrates, manipulés par dizaines de millions de tonnes chaque année, dans des centaines ou milliers d'usines dans le monde, sont rarissimes et ont correspondu à des circonstances particulières. C'est pourquoi, lors des discussions entre l'exploitant et les DRIRE à l'époque, l'explosivité des nitrates n'a pas été retenue comme un scénario déterministe d'évaluation de danger.

Il me semble que si on passait à une approche probabiliste, il serait plus facile d'englober l'ensemble des scénarios en attachant à chacun une probabilité qui pourrait être évaluée sur la base d'une industrie très répandue et dont ont été établis, sur plusieurs dizaines d'années, les risques d'occurrence de différents événements. Jusqu'à ce jour, l'administration était relativement réticente vis-à-vis de cette approche, alors même qu'elle est pratiquée dans le nucléaire. Admettre pour un certain nombre de cas de passer à une approche probabiliste permettra d'avoir une appréciation plus complète des risques.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne le retour d'expérience, il apparaît que dans le secteur de la chimie la communication des incidents n'est pas systématique, à la différence du secteur nucléaire où tout incident est obligatoirement déclaré et classé sur une échelle des risques.

Vos services ont-ils connaissance de tous les incidents ou quasi-accidents qui surviennent dans le groupe ? Les incidents donnent-ils systématiquement lieu à un retour d'expérience ? Estimez-vous que la confidentialité nuit à la connaissance des incidents ou quasi-accidents dans le domaine de la chimie ?

En effet, il semblerait que tous les incidents ou quasi-accidents ne sont pas transmis au BARPI. Par ailleurs, nous avons été étonnés lorsque les personnes auditionnées pour l'Union des industries chimiques (UIC) ont été dans l'incapacité de nous faire un bilan des incidents et des quasi-accidents.

M. Thierry DESMAREST : Le retour d'expérience est une pratique indispensable pour l'amélioration de la sécurité. Nous le pratiquons de manière très complète, à l'intérieur du groupe, mais nous le pratiquons également avec les entreprises qui ont les mêmes activités.

Le président de l'UIC n'a pas pu vous répondre sur ce point, car le retour d'expérience n'est pas organisé dans le cadre de l'UIC, mais dans celui d'associations spécialisées dans chaque filière. Par exemple, l'association des producteurs de chlore, qui s'appelle EuroChlore, organise un retour d'expérience parmi l'ensemble de ses adhérents. Le syndicat de la chimie organique de base dispose d'un groupe de sécurité qui analyse les incidents et fait circuler l'information entre ses membres. Il existe également une association des producteurs de polyéthylène de même qu'un comité technique européen du fluor qui font de même dans leurs secteurs respectifs.

Ce qui me parait le plus important est de disposer des éléments d'information sur un métier et une filière de produits sur la base la plus large possible. Cette approche, impliquant ces différents organismes à l'échelle européenne permet un retour d'expérience.

Nous avons mis l'accent, ces dernières années, sur l'analyse non seulement des accidents mais aussi des presque accidents qui doivent déclencher un effort d'analyse et déboucher sur un certain nombre de recommandations pour éviter ces presque accidents et les accident grâce à une analyse correcte des causes des presque accidents.

M. le Rapporteur : Seriez-vous favorable à ce qu'à l'avenir, ces données soient publiées ?

M. Thierry DESMAREST : Dans un cadre local, il me semble normal, vis-à-vis des populations environnantes, de donner une information sur les incidents et presque accidents. Il conviendrait toutefois de trouver une forme synthétique car ces analyses contiennent énormément d'informations techniques.

M. le Président : Nous constatons que les membres de l'UIC vous ont transmis le souci qu'ils nous avaient laissé.

Mme Michèle RIVASI : J'aurais deux questions : une question sur l'investissement car les réponses que vous avez données ne me satisfont pas, et une question sur les périmètres de danger.

Sur l'investissement, lorsque nous avons visité les sites, nous avons été surpris de constater que davantage de moyens étaient mobilisés et que la culture du risque semblait plus forte pour les stockages d'hydrocarbures que dans le domaine de la chimie qui apparaît un peu comme le parent pauvre.

Tout à l'heure, nous vous avons demandé le montant de vos investissement. Plus précisément, quels sont ces montants dans le secteur des hydrocarbures et dans les activités du domaine de la chimie ?

Dans le domaine de la chimie, quelle est la part que vous attribuez, dans les investissements, à la production et à la sécurité ? Vous avez indiqué tout à l'heure qu'il est difficile de faire la différence entre la production et la sécurité. Quand on installe des jupes de béton sur un stockage d'ammoniac, cela relève clairement de la sécurité et non pas du process. J'aurais souhaité des réponses plus précises quant à la part de l'investissement accordée à la sécurité dans le domaine de la chimie et quant à la répartition de vos investissements entre la chimie et les hydrocarbures.

D'autre part, ne pensez-vous pas que les industriels ont sous-estimé les risques chimiques -voire d'autres risques- lors de l'évaluation des périmètres de sécurité ? En effet, il a quand même fallu attendre l'accident de Toulouse pour que, très vite, au niveau de Grand Quevilly et d'autres sites, on réduise les volumes stockés pour que les périmètres de sécurité, notamment la zone Z1, restent à l'intérieur de l'installation. Cela montre bien que, quelque part, il y a eu sous-estimation du risque d'explosion.

Enfin, par rapport à votre remarque sur les différences d'approche, en quoi une étude probabiliste aurait changé quelque chose au niveau de Toulouse ?

M. Thierry DESMAREST : Concernant la part des investissements de sécurité et de production, il convient de bien distinguer deux cas. Quand nous construisons de nouveaux projets, que ce soit une usine ou une installation de production de pétrole ou de gaz, ce qui représente le plus gros de nos investissements, il est très difficile de déterminer la part de ce qui relève spécifiquement de la sécurité de ce qui vise à améliorer les processus de production car la démarche de sécurité est totalement intégrée à la conception des installations.

En revanche, sur les installations existantes, nous pouvons clairement identifier les différents investissements qui sont répertoriés selon différentes catégories : les investissements spécifiquement consacrés à la sécurité, les investissements relatifs à l'environnement liés à la réduction des émissions et à l'évolution des normes appliquées aux produits et les investissements d'augmentation de capacité ou de productivité.

Classiquement, les investissements de sécurité représentent environ 20 % des enveloppes annuelles d'investissement à l'intérieur des sites existants.

Dans la chimie et dans la pétrochimie, nous sommes confrontés à des risques de nature différente. Les problèmes de manutention sont d'ailleurs différents. Dans une raffinerie, tout circule dans des tuyaux ou à l'intérieur de réservoirs alors que dans la chimie, des solides sont également manipulés et ils posent des problèmes différents. Les principaux risques, dans le domaine du pétrole et le raffinage, mais que l'on retrouve aussi dans la manutention de produits chimiques, sont l'explosion et l'incendie. De plus, dans le domaine de la chimie, s'y ajoutent les risques de toxicité qui sont considérés, par les spécialistes, comme les risques majorants c'est-à-dire pouvant avoir les conséquences les plus dramatiques.

Ainsi, la nouvelle étude de l'INERIS concernant le pôle chimique de Toulouse considère comme sinistre majorant la rupture brutale d'un conteneur ou celle d'une conduite ce qui, selon le scénario, conduit à des cercles de danger totalement différents.

Il me semble que l'impression différente que vous donnent sites pétroliers et sites chimiques est liée à l'histoire. Les sites chimiques sont, en règle générale, des sites anciens, qui ont parfois plus d'un siècle, voire un siècle et demi dans la région lyonnaise. Ils ont été modernisés au fur et à mesure du temps, en particulier au niveau des dispositifs de sécurité. Il n'en reste pas moins qu'ils gardent cette allure vieillotte des sites anciens.

Par ailleurs, si l'on considère l'ancienneté de ces sites, on peut supposer qu'ils ont été construits à l'époque à la campagne. Or en l'espace d'un siècle, l'urbanisation s'est développée de manière très forte et est venue enserrer ces usines. Les populations qui figurent dans le périmètre Z2 dans nos usines en France se trouvent essentiellement autour des sites chimiques.

Mme Michèle RIVASI : Quelle est la part de vos investissement consacrée aux hydrocarbures et à la chimie ?

M. Thierry DESMAREST : Dans nos trois grands métiers, environ 70 % des investissements concernent l'exploration/production, 15 % le raffinage et la distribution de produits pétroliers, et 15 % la chimie.

M. le Président : Cela ne répond pas à notre interrogation. Nous avons visité une raffinerie du groupe Exxon. Peut-être ont-ils des pratiques anglo-saxonnes différentes des vôtres mais Exxon organise, une fois par mois, un exercice interne et, une fois par an, un exercice externe. Nous avons eu le sentiment, en visitant cette usine, que le niveau et la culture de sécurité, au sein de la pétrochimie, étaient bien supérieurs à ceux de la chimie.

Comme ces deux métiers sont exercés par votre groupe, nous vous demandons de nous dire si vous avez le sentiment qu'il y a deux cultures de sécurité, et, si cela se traduit dans les chiffres, nous voudrions savoir quelle différence vous faites pour les investissements de sécurité dans la chimie et la pétrochimie.

M. Thierry DESMAREST : Notre exigence de sécurité est aussi forte dans tous les secteurs. Seule la problématique est différente et, à certains égards, plus compliquée dans la chimie, tant en raison de la nature des produits que de l'ancienneté des sites. Néanmoins, il n'y a aucune différence d'exigences de sécurité selon les secteurs : nous accordons partout la même priorité à la sécurité.

M. le Rapporteur : Nous avons toutefois eu l'impression que, dans le domaine de la pétrochimie, qui a connu des accidents notamment avec des stockages de gaz, la culture de sûreté est plus importante, de même que les investissements faits. En revanche, dans le domaine de la chimie, la situation semble différente. Nous souhaiterions par des chiffres pouvoir établir une comparaison.

Nous souhaiterions également que vous nous communiquiez la lettre de réponse de votre filiale à l'étude de l'INERIS que vous venez d'évoquer.

Enfin, ne pensez-vous pas que nous sommes en présence d'un vide réglementaire en ce qui concerne les stockages à l'intérieur des sites sur des moyens de transport? En effet, le jour de l'explosion à Toulouse, des wagons de chlore étaient stationnés sur le site. Or, ils n'étaient pas pris en compte dans les périmètres de danger. La situation est voisine pour le stockage cryogénique d'ammoniac dont, pour mémoire, la dernière étude de danger, périmée, date de 1993 et est mentionnée dans le rapport de l'INERIS.

M. le Président : Pourriez-vous répondre précisément à ces trois questions précises ?

M. Thierry DESMAREST : Je ferai un commentaire général. Pour nous, l'exigence de sécurité est identique dans tous les secteurs. La part des investissements de sécurité à l'intérieur des budgets d'investissements de la chimie est plus forte qu'elle ne l'est dans les secteurs pétroliers compte tenu de la moindre croissance du secteur chimique. MM. TRAMIER et VEROT vont vous expliquer les démarches de sécurité dans ces différents secteurs...

M. le Rapporteur : Qu'en est-il de la lettre de réponse de la société Grande Paroisse à l'INERIS ?

M. Thierry DESMAREST : J'ai évoqué ce rapport parce qu'il est sorti vendredi dernier. Mais honnêtement je n'ai pas les éléments.

M. le Président : Nous attendons donc une copie de cette lettre.

M. Bernard TRAMIER : Les investissements, dans le domaine de la sécurité, dépendent des métiers. En chimie, nous avons des investissements globaux plus faibles, mais le pourcentage consacré à la sécurité est beaucoup plus fort. Nous vous avons cité un chiffre d'ordre moyen d'environ 20 % qui concerne l'ensemble du groupe.

Toutefois, dans le domaine de l'exploration production, étant donné que des investissements très forts ne posent pas vraiment de problèmes de sécurité, la part des investissements de sécurité peut descendre à 5 ou 10 % alors que dans certains secteurs de la chimie, la part des investissements consacrée à la sécurité et à l'environnement peut atteindre 30 ou 40  %.

Mme Michèle RIVASI : A Toulouse, aviez-vous fait des investissements de sécurité ?

M. Thierry DESMAREST : A Toulouse, sur les dix dernières années, il y a eu 200 millions de francs d'investissement de sécurité.

M. Bernard TRAMIER : En matière de sécurité, l'usine de Toulouse était l'une des usines les plus performantes, en France, dans le secteur de la chimie.

M. le Président : Qu'aurait changé une approche probabiliste par rapport à une approche déterministe ?

M. Thierry DESMAREST : Le problème auquel nous sommes confrontés à Toulouse est lié à la proximité de l'agglomération. Autrefois, l'usine était relativement éloignée du centre-ville. Nous aurions éventuellement pu en tirer des conclusions sur la taille des dépôts. Encore que, lorsque l'on constate les dégâts provoqués par une explosion de 350 tonnes de produit, on est quelque peu désarmés.

Malheureusement, nous établirons, sur un certain nombre de sites, des diagnostics qui sont encore plus préoccupants. Quand, pour des usines situées pas très loin de villes, il est nécessaire de créer des infrastructures collectives, des voies de transport, la première réaction est de dire qu'il ne faut pas les réaliser près d'un site Seveso.

Ensuite, après avoir examiné toutes les autres possibilités telles que les expropriations qui sont souvent compliquées, on finit par construire une voie rapide qui longe un site industriel classé Seveso. Ce n'est certes pas une solution raisonnable, mais nous avons malheureusement un grand nombre d'exemples, encore récents, de ce type d'évolution.

Mme Michèle RIVASI : La question était : Quelle différence aurait résulté d'une approche probabiliste par rapport à une approche déterministe ?

M. Thierry DESMAREST : De manière générale, cela permet de prendre en compte, de manière plus complète, l'ensemble des scénarios d'accidents qui peuvent se produire.

Quand vous faites une approche déterministe, c'est blanc ou noir, vous prenez un scénario. Dans une approche probabiliste, vous pouvez prendre en compte des cas beaucoup plus nombreux et ouverts, en attribuant à chacun sa probabilité d'occurrence. Pour autant, je ne dis pas que le scénario déterministe aurait à lui seul permis d'éviter l'explosion à Toulouse. J'évoquais un facteur de progrès plus général.

M. le Président : Vous avez répondu. Cela n'aurait rien changé à l'accident de Toulouse mais c'est une idée intéressante pour améliorer la sécurité dans le futur.

M. Yvan VEROT : Je voudrais faire un commentaire concernant le secteur de la chimie sur lequel vous semblez jeter un regard assez négatif. M. Desmarest a évoqué le retour d'expérience. Je voudrais vous indiquer que, depuis les années 60, nous assurons dans un certain nombre de branches, notamment la partie chlore, le retour d'expérience systématique au niveau européen. Il est étendu, depuis quelques mois, au niveau mondial.

Sur le retour d'expérience, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'il ne consiste pas uniquement à rapporter des faits, mais qu'il a aussi pour objet de comprendre, d'analyser et de tenter, parmi les acteurs de la filière, d'apporter des voies de solution. C'est la démarche suivie depuis dix, vingt, voire trente ans, dans certaines filières.

Vous évoquiez l'entreposage des wagons de chlore. C'est sur un tel élément que l'on peut analyser ce que vaut l'approche probabiliste ou déterministe sur Toulouse. Une explosion de grande ampleur, pour laquelle nous n'avons pas encore d'explication, s'est produite. Il y avait deux types de situations pour les wagons de chlore sur place. Deux wagons étaient en déchargement dans un bâtiment dit de confinement, l'opération s'effectuant par des tuyaux ouverts. Nous protégions le déchargement du chlore.

Par ailleurs, des wagons étaient à l'extérieur. Ils ont été expertisés après l'explosion. L'expertise a montré qu'ils sont restés totalement intègres dans leur enveloppe et leurs organes de sécurité. De plus, le stationnement de ces wagons, aux endroits où ils ont été retrouvés, était organisé, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas n'importe où sur le site, mais dans des lieux d'attente prévus soit pour l'arrivée soit pour le départ. L'organisation retenue prévoyait qu'il y eût deux wagons en attente à l'extérieur et deux à l'intérieur pour lesquels l'ensemble des sécurités a joué.

Si on prend le scénario déterministe, on arrive au calcul publié par l'INERIS. Or, ce scénario ne s'est pas produit. Je considère personnellement que l'approche déterministe est foncièrement pessimiste. C'est une vue des choses qui voudrait que les trains déraillent systématiquement, que tous les avions s'écrasent et que tout patient rentrant à l'hôpital décède. La réalité prête quand même à avoir un regard plus nuancé.

Pour en revenir à l'événement de Toulouse, les wagons sont restés intègres. Par conséquent, si l'on prenait en compte l'approche probabiliste, elle permettrait peut-être d'avoir une vision beaucoup plus nuancée. Cela permettrait d'éclairer toute décision, sans pour autant prétendre en être le seul élément, et de mettre en perspective chaque risque, quel qu'il soit, avec l'ensemble des risques.

M. Claude GAILLARD : Quel est, pour vous, l'effet de la taille sur la sécurité ? Deux phénomènes contraires sont possibles. En effet, dans un très grand groupe comme le vôtre, peut-être peut-il y avoir une perte en ligne entre les différents niveaux d'expertise. En revanche, cette taille vous permet de disposer d'une puissance financière qui vous offre davantage de marges de man_uvre.

Pour estimer un risque, vous parliez de solution équilibrée et équitable pour tous. Quels sont les critères, objectifs et subjectifs vous conduisant à considérer des travaux de sécurité urgents ou non ?

Les investissements consacrés à la sécurité jouent bien sûr un rôle important mais la culture de chacun, de la base au sommet de la hiérarchie, me paraît également essentielle. Avez une préoccupation constante de sensibilisation de vos collaborateurs sur ce point, comme cela a pu être le cas, il y a une dizaine d'années, avec la question de la qualité ?

Enfin, en ce qui concerne l'identification et l'évaluation des risques, le fait de rester entre spécialistes ne porte-t-il le risque d'être enfermé dans des logiques trop rationnelles ? Que pensez-vous d'une démarche qui consisterait à faire appel à un "candide" qui poserait la question qu'un scientifique ne poserait pas et qui permettrait peut-être de soulever le risque auquel on ne pense pas ?

M. Thierry DESMAREST : Je ne pense pas qu'un lien existe entre la taille et la sécurité. Ainsi, la plus grosse entreprise pétrolière mondiale actuelle, Exxon-Mobil, n'a pas la réputation de ne pas parvenir à maîtriser les problèmes de sécurité. Dans la chimie, Dupont, l'une des plus grosses entreprises mondiales, a également un très bon niveau de sécurité.

Pour notre part, nous avons été très sensibles, au moment des fusions, à nous préoccuper immédiatement des problèmes de sécurité afin qu'il n'y ait pas de flottement, susceptible de réduire la vigilance, au moment des réorganisations. Pour la chimie, la question ne s'est toutefois pas véritablement posée au moment de la fusion qui a fait entrer ce qui était Elf Atochem dans le groupe puisque Total ne travaillait pas dans les mêmes domaines de la chimie et que PetroFina n'avait qu'une activité de pétrochimie. Nous n'avons donc pas eu, dans le cadre des fusions, de problèmes liés à des questions de réorganisation lourde qui aient pu avoir une incidence sur la sécurité. Nous sommes convaincus, autant au niveau du nouveau groupe que des trois groupes indépendamment, d'apporter des solutions satisfaisantes en matière de sécurité.

Les travaux de sécurité sont réalisés en fonction des analyses des risques qui conduisent à identifier les points sur lesquels un renforcement de la sécurité peut apparaître nécessaires sur certains sites.

La politique de réduction de stockage est une contrainte d'exploitation qui oblige à travailler en flux plus tendu et à rechercher des endroits pour entreposer les stocks. En outre, pour certains produits, comme les engrais, la demande est saisonnière. Il n'est pas possible de les produire uniquement pendant la campagne d'utilisation des fertilisants.

Cela ne relève pas d'une problématique générale. Nous sommes dans un domaine d'activité qui fait l'objet d'une concurrence forte dans l'ensemble de l'industrie chimique, mais nous engagerons les travaux nécessaires. Il n'y a pas de critère économique pour un investissement de sécurité.

La culture de la sécurité est un problème fondamental. Tous les mois, une réunion est organisée au niveau de la direction générale du groupe, à laquelle participent trente des principaux dirigeants. La réunion démarre par un point de sécurité. M. TRAMIER fait le compte rendu des performances de sécurité du mois précédent. La même procédure est suivie au niveau de chacune des instances décisionnelles et des comités directeurs de chacune des branches.

Nous continuons de développer cette culture de sécurité, qui me parait particulièrement nécessaire pour un groupe français ou européen continental, où le formalisme des procédures est quelque chose que les gens ont plus de mal à vivre sans doute que dans le monde américain où, dès lors que les règles sont établies, elles sont appliquées de manière stricte. En revanche, dans la culture française, il faut toujours lutter contre le fait que chacun a toujours une meilleure idée que ce qui est la règle établie. Certes l'idée peut être bonne, mais il convient déjà de la faire valider et la faire rentrer dans la règle, avant qu'elle déroge à la pratique antérieure.

M. le Président : Quelle méthode préférez-vous ?

M. Thierry DESMAREST : Dans ces métiers où l'on manipule en permanence des substances dangereuses, la rigueur est indispensable. Il faut non seulement établir des règles, mais aussi les faire respecter en permanence et ne les modifier que lorsque l'on a la certitude que c'est un axe de progrès. C'est seulement à ce moment-là que l'ensemble des personnels peut l'appliquer.

M. le Rapporteur : Ces règles sont-elles compatibles avec un certain nombre de modes d'organisation du travail dans l'entreprise, notamment la sous-traitance ?

Je vais vous citer un élément qui nous a étonnés. A Toulouse, le délégué du CHSCT nous a indiqué qu'un intérimaire était formé trois quarts d'heure aux questions de sécurité, et que le hangar qui a explosé était sous la responsabilité d'une entreprise sous-traitante, qui toutefois était votre partenaire depuis longtemps.

M. Thierry DESMAREST : La sous-traitance est nécessaire, mais elle doit rester dans des limites raisonnables. Sur l'ensemble de nos sites chimiques, nous avons en moyenne 20 % de personnels de sous-traitance. Les deux tiers sont affectés des opérations de maintenance pour lesquelles il est utile d'avoir des entreprises spécialisées. Le dernier tiers recouvre des fonctions variables telles que le gardiennage, la cantine et les problèmes pour lesquels il est nécessaire d'avoir des entreprises spécialisées.

Dans le recours à la sous-traitance et le choix de ces entreprises, une attention importante est apportée aux problèmes de sécurité. Nous auditons l'organisation des sous-traitants en matière de sécurité et établissons des habilitations en matière de sécurité. En fonction de la nature des tâches, la période de formation est différente. M. TRAMIER pourra vous l'expliquer.

Sur certains sites, par exemple, on établit des passeports pour les sous-traitants. Ces passeports leur sont nécessaires pour accéder à certains lieux du site où ils effectuent une tâche ayant une implication sur la sécurité.

M. le Président : Sur cette question, peut-être serait-il plus simple de nous faire parvenir une note écrite.

M. Thierry DESMAREST : Nous vous ferons parvenir cela par écrit.

En ce qui concerne l'éventuel rôle du candide, je suis d'accord sur le fait qu'il ne faut pas que seuls des spécialistes d'un domaine particulier s'interrogent. Quand nous faisons des retours d'expérience, comme tous les participants manient une base de données commune, le risque est qu'émerge une approche qui devient la « pensée unique » d'un groupe d'experts.

Toutefois, il est difficile de prendre un candide totalement externe. Nous aurions certainement intérêt à avoir au niveau français, et sans doute européen, des organismes d'expertise en sécurité qui travaillent dans différents domaines d'activités. Avec une branche en charge de la sécurité des transports, une autre s'occupant des installations industrielles et ainsi de suite, des transferts d'idées d'un secteur à l'autre pourraient être fructueux. Un candide, qui aurait des connaissances en matière de sécurité dans d'autres domaines, pourrait aider à identifier des risques qui ne viendraient pas spontanément à l'esprit des spécialistes d'une filière proprement dite.

M. Jean UEBERSCHLAG : Vous avez évoqué la gestion des risques. Pour ma part, je considère que la façon la plus simple de gérer les risques est déjà de ne pas les créer.

Vous avez indiqué que les chimistes devront déterminer les causes de l'explosion. Il me semble que les chimistes savent pourquoi le nitrate d'ammonium explose.

L'explosivité des nitrates, avez-vous dit, n'a pas été retenue comme probabilité dans ce scénario de Toulouse. Je n'en suis pas aussi sûr. Vous devez savoir que, suite à certains événements qui ont eu lieu il y a quelques années, il a été décidé d'interdire la production de nitrates avec un taux d'azote supérieur à 35 %. Les nitrates d'ammonium avec un taux d'azote supérieur à 35 % sont des explosifs qui explosent. Mais ils ne peuvent plus exploser dès lors que le taux d'azote est inférieur à 27 %. Cela m'a été confirmé par des chimistes.

Or, la France est le seul pays qui autorise des fabrications de nitrates d'ammonium avec un taux d'azote supérieur à 27 %. Il semblerait que les nitrates qui ont explosé avaient un taux d'azote supérieur à 33 %. Ils peuvent donc être considérés comme des explosifs.

Si, à Toulouse, les ammonitrates avaient eu un taux d'azote égal ou inférieur à 27 %, il n'y aurait pas eu d'explosion. C'est un fait chimiquement confirmé. Pourquoi a-t-on accepté une législation en France aussi laxiste ? Est-ce un problème de prix ? En effet, on m'a également confirmé que le prix de la tonne de nitrate d'ammonium, avec une réduction du taux d'azote à 27 %, serait majoré d'environ 50 francs. Est-ce la législation trop laxiste ou la recherche du profit de l'entreprise qui a rendu l'explosion probable et possible ?

M. Thierry DESMAREST : Cela n'a rien à voir avec le profit de l'entreprise. D'ailleurs, ce n'est pas sur la production des engrais que le groupe fait ses profits.

M. VEROT va vous répondre de manière plus précise mais je vous rappelle que leur taux d'azote soit supérieur ou non à 35 %, il faut de toute façon un apport d'énergie considérable pour que les nitrates explosent.

M. Jean UEBERSCHLAG : A 27 %, les nitrates ne peuvent plus exploser.

M. Thierry DESMAREST : Il y une demande des clients...

M. Jean UEBERSCHLAG : J'ai posé la question à l'administration et je n'ai pas eu de réponse.

M. Yvan VEROT : C'est un problème qui serait techniquement long à expliquer. Vous souhaitez une réponse brève. Les nitrates ne sont pas réputés en tant que tels comme explosifs. On n'a jamais vu des stocks de nitrate exploser de façon spontanée. Pour cela, il faut un certain nombre de conditions préalables que je peux développer, si vous le souhaitez.

M. le Rapporteur : Un produit organique ajouté à des nitrates peut abaisser le seuil d'explosivité.

M. Yvan VEROT : Ce qui fait la sensibilité du nitrate, c'est notamment son état physique, c'est-à-dire sa porosité. C'est en ce point que le nitrate industriel est différent du nitrate agricole. Mais il lui faut, pour obtenir une explosion, un certain nombre de conditions préalables de mélanges et de sollicitations avec un apport d'énergie à très haut niveau, c'est-à-dire deux conditions au moins.

Dire qu'à 28 %, qui est l'autre norme possible, les nitrates n'explosent pas, n'est pas exact. Je voudrais évoquer la situation troublée de l'Irlande où l'un des explosifs les plus courants est obtenu par l'utilisation de nitrates à 28 % pour provoquer des explosions. Je crois me souvenir également que le premier attentat du World Trade Center avait été perpétré en utilisant des nitrates à 28 %.

M. Michel VAXES : Vous avez indiqué, dans vos propos liminaires, la détermination de TotalFinaElf de donner la priorité à la sécurité. De tous les débats que nous avons eus, il est ressorti que la contrainte économique pèse sur l'organisation de la sécurité.

Lorsque sont examinés les avantages de l'approche probabiliste par rapport à l'approche déterministe, je me pose la question de savoir si l'approche probabiliste ne risque pas, dans l'équilibre nécessaire entre contraintes économiques et conditions de sécurité, de favoriser la dimension de la contrainte économique au détriment de celle de sécurité. C'est ma première interrogation.

La deuxième est qu'effectivement les contraintes économiques pèsent. Elles conduisent notamment, et cela ressort également des différentes auditions auxquelles nous avons procédé, à des décisions d'externalisation de services et à des orientations de réduction de coûts qui concernent, de façon importante, la masse salariale et donc les effectifs. On peut imaginer qu'elles entraînent également un effort peut-être insuffisant en matière de sécurité - je le dis brutalement - en raison d'une limitation des investissements qui ne sont pas productifs. La question que posait notre rapporteur tout à l'heure me paraît importante.

L'ensemble de ces considérations ne peut-il pas conduire à ce que ces contraintes, en matière de sécurité, soient organisées à l'échelle européenne, voire mondiale, de telle sorte qu'elles pèsent de la même façon sur l'ensemble des exploitants ?

L'observation que je fais découle aussi du fait que je vis dans une région à risques qui, depuis un siècle, accueille des activités dans le domaine de la chimie. Lorsque j'observe ce qui s'est passé dans le courant du siècle dernier, avec des connaissances scientifiques et technologiques bien moindres, car il ne faut pas nier les progrès en matière de sécurité, je constate qu'il y a eu davantage d'accidents en fin de siècle qu'en début de siècle. C'est une observation personnelle qu'il conviendrait certainement de vérifier statistiquement pour la valider. Les moyens mis en _uvre pour la sécurité se sont sans doute améliorés mais je suis moins convaincu que la fréquence des incidents ou accidents ayant des répercussions se soit, elle aussi, améliorée. Il y a là pour moi une interrogation.

La question de l'urbanisation est compliquée d'autant que les industries, notamment chimiques, se sont souvent installées en même temps qu'elles organisaient l'habitat de leurs travailleurs à proximité de l'entreprise. C'est une situation dont on ne sort pas de façon simple.

De plus, pour ce qui concerne les émanations gazeuses, nous avons évoqué à plusieurs reprises le problème du chlore. Je suis de ceux qui considèrent que c'est un risque éliminable, c'est-à-dire que je suis en opposition avec l'idée selon laquelle le risque zéro n'existe pas. Il est possible, avec un certain nombre de précautions et d'investissements, de supprimer complètement le risque relatif à l'émanation de chlore. C'est d'autant plus important que les conditions climatiques ne permettent pas de totalement maîtriser ce risque, même par un urbanisme approprié.

M. Thierry DESMAREST : En premier commentaire, quand j'indique que l'on pourrait davantage aller vers une approche probabiliste -ce qui ne peut se faire du jour au lendemain-, ce n'est pas pour relâcher les contraintes et supposer que cela fera accepter plus facilement des cohabitations d'usines et d'agglomérations.

A nos yeux, l'approche probabiliste permet, au contraire, d'englober davantage de cas de figures, en matière de situations dangereuses, et de leur appliquer, de façon moins subjective, une probabilité résultant de l'expérience. C'est une manière non seulement d'améliorer la sécurité, mais aussi de le faire le plus intelligemment possible, c'est-à-dire en se basant au maximum sur le fruit de l'expérience. Il ne s'agit pas du tout d'une échappatoire pour nous permettre de réduire les exigences en matière de sécurité.

En second lieu, s'agissant des évolutions d'effectifs, il faut prendre en compte les gains de productivité importants réalisés dans l'ensemble des industries chimiques. Il est heureux d'ailleurs que nous les ayons faits, sinon il n'y aurait plus d'industrie chimique. Notre conviction profonde est que ces réductions d'effectifs ont en fait amélioré la sécurité et d'abord parce qu'en conséquence, il y a moins de personnels exposés sur les sites. J'indiquais que TotalFinaElf employait dix-huit mille personnes sur des sites Seveso, mais dans certaines installations, il y avait, dans le passé, quatre fois plus de personnels, soit quatre fois plus de personnes exposées aux risques.

En ayant des lignes de production regroupées, automatisées, moins de personnels près des unités dangereuses, il y a objectivement pour le personnel qui travaille sur ces sites moins de risques et, en outre, -et là je ne suis pas d'accord avec vous- il y a eu une tendance de fond d'amélioration de la sécurité des opérations industrielles qui résulte naturellement du progrès technique.

Certes, on ne peut se satisfaire du fait qu'il se produise encore des accidents, mais quand vous regardez la situation sur une longue période, il y a eu une tendance de fond d'amélioration de la sécurité industrielle.

Quant à l'idée d'établir des exigences cohérentes au niveau international, cela me parait très difficile, objectivement, au niveau mondial. Au niveau européen, nous avons déjà un corps de doctrine qui est la réglementation Seveso. Elle est issue du niveau européen et se décline ensuite au niveau national. On pourrait sans doute aller plus loin, de même qu'une approche européenne, au niveau de l'expertise, est sans doute souhaitable. Avoir une approche plus intégrée au niveau européen sur la manière me parait être une bonne évolution.

M. André VAUCHEZ : Il est vrai, comme cela a été dit plusieurs fois ce matin, qu'un accident survient toujours suite à un concours de circonstances. Tel paramètre s'ajoute à tel autre puis on établit des probabilités. Toutefois, le problème reste que le seuil critique n'est apparemment pas maîtrisé pour déterminer l'accident. La preuve en est, l'accident de Toulouse avec une explosion extrêmement dévastatrice.

J'aurai quelques questions sur le passé. Les études de risques étaient-elles suffisantes à Toulouse ? Les prescriptions édictées étaient-elles respectées à la lettre dans l'entreprise, sachant que les experts ne sont pas toujours d'accord sur ce point ?

J'en viens maintenant aux questions pour l'avenir. Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué des évaluations plus fines. Qui va les faire ? Allons-nous, selon vous, vers la définition de niveau de risque maximum ? Les experts seraient-ils indépendants ou non ?

S'agissant des DRIRE, dont nous avons peu parlé, pour qu'elles puissent effectuer un contrôle plus efficace et plus régulier, comment concevez-vous leur évolution ? Leur rôle doit-il être uniquement, selon vous, de relever les violations des prescriptions ?

Par ailleurs, estimez-vous que le comité départemental d'hygiène a la capacité d'apprécier si une unité de production ou un stockage peut être autorisé par le préfet ?

Enfin, que pensez-vous de l'information donnée aux riverains, aux élus, aux syndicats et à la population ? Estimez-vous que l'information, publiée dans les journaux sur le déroulement d'une enquête publique, est suffisante ? N'existe-t-il pas d'autres moyens de communication plus efficaces ?

M. Thierry DESMAREST : Les études de danger qui ont été faites correspondaient à l'état de la réglementation et couvraient les exigences de l'ensemble de la réglementation. Les prescriptions édictées étaient strictement respectées à Toulouse.

En ce qui concerne le rôle des experts, je crois qu'il est important que nous ayons des experts indépendants. Il me semble que l'on manque, à l'heure actuelle, en France de capacités d'expertise indépendantes. Il conviendrait de réfléchir à différentes voies qui permettraient d'assurer un développement de l'expertise.

M. le Président : Nous aussi. Avez-vous une méthode à proposer ?

M. Thierry DESMAREST : Nous sommes prêts à contribuer à la réflexion, voire à la mise en _uvre des modalités qui permettent à ces experts de rester réellement indépendants.

C'est un point important qui rejoint d'ailleurs la question sur les DRIRE. Même en augmentant le nombre d'inspecteurs de la DRIRE, il est impensable de vouloir demander à chacune des DRIRE de posséder toutes les compétences sur tous les métiers pratiqués dans sa région. Il faut donc que la DRIRE puisse s'appuyer sur des experts indépendants.

Exercer efficacement le rôle d'expert en sécurité est une occupation à temps plein. Même si ces experts doivent être agréés par l'administration, il est nécessaire qu'ils puissent aussi intervenir dans les procédures d'études de danger.

S'agissant du comité départemental d'hygiène, la manière dont vous posez la question apporte d'elle-même la réponse. On ne peut pas demander à tous ses membres d'être des spécialistes. Là aussi, l'expertise est indispensable.

En ce qui concerne l'information des riverains, il y a un certain nombre de leçons à tirer des pratiques utilisées dans le secteur du nucléaire. Dans une certaine mesure, elles pourraient être reprises pour d'autres types d'installations industrielles.

M. le Président : Allez-vous le faire de vous-même ou attendre qu'une norme vous y oblige ?

M. Thierry DESMAREST : Nous avons déjà lancé un certain nombre d'actions pour accroître les relations avec les riverains, l'information sur le site, les mesures de précaution et améliorer les plans d'urgence. Il serait également normal que les commissions locales d'information soient formalisées pour l'ensemble des secteurs industriels.

M. le Rapporteur : Vous avez indiqué que vous respectiez les prescriptions imposées par l'administration.

Nous ne sommes pas contre la chimie. Nous constituons une commission d'enquête parlementaire et nous essayons de voir si, dans certains domaines, les risques ont été sous-évalués.

Je vais maintenant vous faire part de notre opinion à tous. Depuis l'accident de Toulouse, que de progrès avons-nous pu constater en l'espace de quelques mois dans les entreprises d'ici ou d'ailleurs et pas seulement dans les vôtres ! Nous sommes allés à Dunkerque et avons constaté que, sur les cinq entreprises qui stockaient précédemment du nitrate d'ammonium, deux n'en stockaient plus. Sur les trois qui continuent à en stocker, un certain nombre de dysfonctionnements ont été notés, et la DRIRE a imposé que ces problèmes soient réglés, y compris dans vos installations.

Lors de notre visite à Grand Quevilly, nous avons pu constater que vous aviez modifié vos process et vos dimensionnements. Vous avez jugé que l'on pouvait diminuer les stockages d'ammoniac liquide. Tout ceci montre qu'à un moment donné, un accident a provoqué une prise de conscience, car on avait, auparavant, banalisé les risques.

Ce n'est pas le caractère probabiliste ou déterministe de l'étude de danger qui est en cause, mais le fait de banaliser les risques quand tout va bien. Il a fallu qu'un accident survienne pour que l'on s'interroge sur la possibilité de diminuer les stockages ou de recourir à d'autres process de production.

Pourquoi n'avoir pas entrepris plutôt, dans votre usine à Grand Quevilly, la mise en place de jupes de béton autour du stockage d'ammoniac ? Pourquoi attendre la survenue de l'accident ou l'obligation faite par la DRIRE pour entreprendre ces travaux ?

Il est évident que les activités de la chimie sont importantes pour l'économie d'un pays. On ne peut pas dire le contraire. Mais il faut qu'il y ait une bonne coexistence entre activités chimiques et urbanisation des sites, ce qui n'est pas simple pour les anciennes usines. Nous en sommes d'accord.

Néanmoins, nous avons l'impression que le catalyseur pour que des efforts soient faits dans la chimie a été malheureusement un grave accident. Des experts, qui commencent à travailler sur l'échelle des risques, nous ont indiqué que ce n'était pas dans le domaine de la chimie que la sûreté était la meilleure.

M. Thierry DESMAREST : De manière générale, la démarche de sécurité doit être entretenue en permanence, car il faut lutter contre le risque, non pas de la banalisation mais de l'habitude.

Par ailleurs, le retour d'expérience est fondamental. Certes, il est malheureux de n'avoir pu éviter l'accident, mais au moins faut-il en tirer les conséquences. C'est pourquoi nous estimons que le retour d'expérience sur le presque accident est gagnant à tous points de vue, car sans avoir subi l'accident, les circonstances de ce presque accident permettent des améliorations de sécurité.

M. le Rapporteur : Concernant les assurances, quelle est la structure d'assurance du groupe TotalFinaElf sur le site de Toulouse et au niveau global ? En effet, il nous a été indiqué qu'il y avait des systèmes d'assurance globalisés pour le groupe. Pouvez-vous le confirmer ?

Vous êtes en partie votre propre assureur. Le fait d'être son propre assureur ne peut-il pas, un jour, créer des difficultés si le groupe lui-même se trouve en difficulté à la suite d'un accident ou d'un incident ? Cette question ne concerne toutefois pas directement votre groupe dont la surface financière est suffisamment importante pour vous permettre d'être votre propre assureur.

La globalisation de l'assurance sur l'ensemble d'un groupe ne fait-elle pas obstacle à un concours efficace des experts des assurances pour vous aiguillonner à améliorer la sûreté ?

M. Thierry DESMAREST : Je répondrai d'abord à votre dernière question concernant les assurances. Ce n'est pas parce que notre groupe a une politique d'assurance globale que nos assureurs se désintéressent de nos sites individuels. Par exemple, le site de Toulouse a été visité à cinq reprises par nos assureurs, au cours des dix dernières années. Cela montre que les assureurs continuent d'être des aiguillons comme vous le mentionnez.

Cela étant, le groupe TotalFinaElf a des plafonds d'assurance particulièrement élevés. Nous sommes d'abord assurés pour nos propres installations à leur valeur de reconstruction et pour les pertes d'exploitation. Par ailleurs, nous avons une assurance de responsabilité civile qui s'élève à un peu plus de 5 milliards de francs ce qui, parmi les entreprises françaises, se situe dans le haut de gamme en matière d'assurance de responsabilité civile. Les autres entreprises chimiques ont des plafonds de responsabilité civile nettement moins élevés, pour ceux que l'on connaît. A l'échelle internationale, certains groupes n'ont pas d'assurance de responsabilité civile. Par exemple, BP est connu pour être son propre assureur et supporte donc directement les conséquences des sinistres.

Dans ces assurances de plus de 5 milliards de francs, la quasi-totalité est replacée à l'extérieur. Nous n'en gardons qu'une infirme partie en auto-assurance. Cela étant, face à un sinistre comme celui de Toulouse, l'évaluation que nous avons aujourd'hui des dégâts en responsabilité civile, à la fois dommages matériels et perte d'exploitation, est très nettement supérieure aux 5 milliards de francs.

M. le Rapporteur : Comme assureurs, vous avez les AGF pour un certain montant puis un pool de réassureurs privés et une mutuelle de réassurance des compagnies pétrolières dont vous détenez une partie, enfin vous êtes votre propre assureur. Pouvez-nous nous expliquer cela plus en détail ?

M. Thierry DESMAREST : Compte tenu de la taille des risques, les assureurs les partagent, au travers de mécanismes de réassurance. Nous avons donc un grand nombre de parties prenantes finales dans la couverture du risque.

La mutuelle comptant cinquante-cinq groupes pétroliers, la prise en charge des assurances est donc divisée par 55. Je ne suis pas en mesure de vous donner le chiffre précis qui nous concerne.

M. le Rapporteur : Vous ne connaissez pas le chiffre de votre participation !

M. Thierry DESMAREST : Dans la mutuelle, non. Il faut savoir que le monde de l'assurance est un monde de répartition du risque. Cela implique donc des schémas compliqués. Parfois, nous nous réassurons pour des participations dans des mutuelles afin de mieux assurer la couverture, y compris pour notre part de la mutuelle.

Nous avons un bon niveau d'assurance. Ce sont des assurances réparties de telle manière qu'il n'y a aucun problème quant à la solvabilité de nos assureurs. Au-delà, la solidité de l'entreprise permettra d'assurer l'indemnisation des victimes.

M. le Président : Il y a en fait deux aspects dans cette question sur l'assurance. Notre sensibilité à ce sujet vient du fait que les assureurs nous ont indiqué que l'ensemble des assurances de toutes les polices de risques industriels s'élevaient à 8 milliards en francs en France, alors que le risque lui-même est bien supérieur à cette somme.

Nous avons appris des assureurs que le système en France était pour eux une très mauvaise affaire. Nous voudrions savoir si sa pérennité est en cause et si des dispositifs doivent être pris pour faire évoluer ce système. Cette question, à la limite, ne relève pas de la responsabilité de votre groupe.

En revanche, ce qui est de votre responsabilité est de savoir quand votre groupe paiera les dommages qu'il aura à prendre en charge à Toulouse, une fois que les assurances auront épuisé leurs paiements. Par exemple, question précise appelant une réponse précise, quand allez-vous payer ce que vous devez au conseil général de Haute-Garonne ?

M. Thierry DESMAREST : Le principe de notre mécanisme d'assurance et de son plafond est que ce sont d'abord les assurances qui sont appelées. Une fois que les 5 milliards de francs auront été appelés, nous serons appelés pour les montants allant au-delà.

Les assurances vont fonctionner avec des acomptes sur travaux au moment de la passation des marchés puis des appels de fonds complémentaires au fur et à mesure de l'avancement des travaux afin de couvrir les factures des entreprises les effectuant. Compte tenu du délai nécessaire pour achever l'ensemble des travaux de reconstruction qui occuperont au moins toute l'année prochaine, nous estimons que nos assureurs couvriront les appels de fonds jusque vers le milieu de l'année prochaine et que nous couvrions au-delà, dès lors que les 5 milliards de francs de déboursement auront été atteints.

M. Jean UEBERSCHLAG : Trouvez-vous normal que, pendant ce temps, les habitants sinistrés n'aient toujours pas de vitres à leurs fenêtres ? On ne peut pas attendre que les problèmes d'assurance soient réglés et les discussions entre experts, terminées. Il y a des solutions d'urgence et des réponses à apporter à ces problèmes.

M. Thierry DESMAREST : Nous avons mis en place des solutions d'urgence. Nous avons relevé les plafonds et signé immédiatement toutes les conventions qui permettaient d'accélérer les choses. Cela a un peu traîné parfois du côté de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), qui a néanmoins fini par le faire.

M. le Rapporteur : Pourquoi ce retard ?

M. Thierry DESMAREST : C'est lié à la très grande décentralisation avec l'ensemble des sociétés d'assurance. Deux cas de figure peuvent se présenter. Pour ceux qui n'ont pas d'assurance, c'est notre assureur qui prend en charge directement les dossiers. Quant à ceux qui sont assurés, c'est leur assureur qui instruit le dossier et qui se retourne ensuite contre nos assureurs, représentés par le cabinet Equad qui compte 150 personnes travaillant à Toulouse sur ces problèmes.

Nous avons évité les problèmes d'expertise contradictoire pour les sinistres de moins de 300 000 francs...

M. le Rapporteur : Ce montant était de 100 000 francs pendant très longtemps. Pourquoi est-il passé tardivement à 300 000 francs ?

M. Thierry DESMAREST : Ce montant de 100 000 francs constitue le droit commun dans les mécanismes d'assurance. Il fallait l'accord de la FFSA pour le modifier. Pour notre part, nous avions immédiatement donné notre accord pour remonter le plafond.

M. le Rapporteur : Il nous a été indiqué qu'il valait mieux ne pas avoir d'assurance et se retourner directement vers vous plutôt que de passer par son propre assureur. En effet, les compléments n'étant pas assurés, les personnes sinistrées ne faisaient pas effectuer les travaux ce qui a été une des causes du retard.

Par ailleurs, nous étions devant une catastrophe exceptionnelle et ce passage de 300 000 francs à 100 000 francs aurait du être beaucoup plus précoce. Il y a eu là trois semaines de retard alors que nous arrivons à l'entrée de l'hiver.

Mme Hélène MIGNON : Vous avez évoqué tout à l'heure le rapport entre les installations industrielles à risques, et l'urbanisation et la population. A Toulouse, la population reste, à juste titre, très choquée. A mon sens, il n'est pas possible de reconstruire sur le même site. Que pensez-vous faire de ce site ? Allez vous le transformer ou l'installer ailleurs ? Pensez-vous participer à la reconstruction d'un nouveau site industriel chimique ?

M. Thierry DESMAREST : Je ne peux pas préjuger de ce que seront les décisions des pouvoirs publics ni même exprimer nos propres souhaits si la décision des pouvoirs publics nous permettait de les réaliser car ils dépendent des résultats de l'enquête.

Il faut être très clair. Si la décision des pouvoirs publics est de ne pas nous autoriser à rouvrir en totalité ou partiellement l'usine de Toulouse, nous ne la reconstruirons pas ailleurs. Le marché des engrais est un marché qui, pour des raisons liées à des préoccupations d'environnement, va en se réduisant.

Cela étant, si tel est le cas, nous ne laisserons pas nos salariés sans solution pour les problèmes d'emploi. Nous leur proposerons des solutions sur l'ensemble des sites industriels du groupe et nous sommes prêts, vis-à-vis de l'agglomération toulousaine, à mettre en place des procédés permettant l'implantation d'autres activités en substitution.

M. le Président : Je vous remercie.

_______________

N° 3559.- Rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, au nom de la commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.


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