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N° 3594

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 février 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE (1), SUR L'ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES ET LES INDICATEURS
DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

PAR M.  Philippe DURON

Président

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Aménagement du territoire

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est composée de : M. Philippe Duron, président ; MM. Félix Leyzour, Jean-Michel Marchand, Patrick Ollier, vice-présidents ; MM. Yves Coussain, Nicolas Forissier, secrétaires ; MM. Pierre Cohen, Jean-Claude Daniel, Jean Espilondo, Gérard Hamel, René Mangin, Henri Nayrou, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, MM. Serge Poignant, François Sauvadet.

INTRODUCTION 5

I - L'ÉVALUATION, UNE DÉMARCHE NOVATRICE 5

A. UNE PRÉOCCUPATION RÉCENTE 5

B. DES RÉALISATIONS NOVATRICES 6

1. L'évaluation au niveau national 6

a) La relance de l'évaluation par le Conseil national de l'évaluation 6

b) La réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 8

2. L'évaluation des contrats de plan Etat-région 9

a) Le renouvellement de la procédure 9

b) Les réponses apportées aux observations de la Cour des Comptes 10

c) La procédure engagée pour la révision des contrats de plan en 2003 11

d) L'évolution des thèmes des évaluations des contrats de plan 12

e) Quelques exemples 13

3. L'évaluation des politiques régionales 14

a) Le Limousin 14

b) Le Nord - Pas-de-Calais 15

C. L'OBJECTIF DE L'ÉVALUATION : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE 16

a) La définition du développement durable 16

b) L'approche française 17

c) Les indicateurs de l'OCDE 17

d) Les indicateurs de la Commission européenne 18

II - UNE DÉMARCHE ENCORE EMBRYONNAIRE 19

A. UNE ACCULTURATION LENTE, MAIS NÉCESSAIRE 19

1. La difficile acceptation de l'évaluation 19

2. La mobilisation des compétences 21

3. L'évaluation participative 22

B. LES DÉLAIS 23

C. L'HOMOGÉNÉITÉ DES INDICATEURS 24

1. La question de la comparabilité 24

2. La territorialisation de l'évaluation 26

D. QUELLES SUITES À DONNER ? 27

1. La publicité 27

2. L'éventuelle inflexion des politiques 28

E. LES PROGRÈS À RÉALISER 30

1. L'évaluation des contrats de plan 30

2. Les schémas de services collectifs 31

3. Le recueil de l'information 32

4. L'évaluation dans les départements d'outre-mer 33

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION 35

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION 39

PERSONNALITE ENTENDUE PAR LE PRÉSIDENT 41

CONTRIBUTION ÉCRITE 43

AUDITIONS 45

ANNEXES 113

Evaluations du Conseil national de l'évaluation 115

Crédits consommés au titre de l'évaluation des contrats de plan Etat-région 117

Les indicateurs de l'Union européenne 119

L'évaluation au Royaume-Uni et en Suède 123

MESDAMES, MESSIEURS,

Au terme de cette législature, il a paru indispensable à la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de réfléchir à l'évaluation des politiques publiques et aux indicateurs du développement durable.

La LOADDT du 25 juin 1999 prévoit, en effet, dans son article 10, que les Délégations parlementaires sont chargées d'évaluer les politiques d'aménagement et de développement du territoire. L'évaluation étant une discipline récente, et encore quelque peu embryonnaire, il lui a semblé nécessaire de tirer quelques conclusions sur les travaux déjà effectués, les difficultés rencontrées, notamment méthodologiques, les résultats obtenus et les suites apportées aux études ainsi réalisées.

Il ne s'agit pas, dans ce bref document, de faire un bilan exhaustif des politiques d'évaluation et de la mise en place d'indicateurs du développement durable, mais plutôt, au terme de cette législature, de "défricher" en rappelant rapidement les grandes lignes des derniers travaux réalisés en la matière, en recensant les principales difficultés rencontrées, et en formulant quelques suggestions... à charge pour l'Assemblée qui sera élue dans quelques mois et pour la nouvelle Délégation à l'aménagement du territoire de poursuivre cette tâche.

I - L'ÉVALUATION, UNE DÉMARCHE NOVATRICE

A. UNE PRÉOCCUPATION RÉCENTE

Elle a été importée des Etats-Unis au cours des années 1970, en même temps que le "Planning-Programming-Budgeting-System" (PPBS), adapté en France sous la dénomination "rationalisation des choix budgétaires" (RCB). La plupart des pays d'Europe du nord ont d'ailleurs suivi le même chemin à cette époque.

En France, la RCB a été abandonnée au début des années 1980 et de ce fait, l'évaluation également, ce qui n'a pas toujours été le cas dans les pays comparables. A la fin des années 1970, la culture de l'évaluation s'est répandue dans les milieux ouverts aux courants internationaux, tels que la recherche et l'aide aux pays en voie de développement ; l'OCDE, dans ces domaines, en a permis une large diffusion.

La politique régionale européenne, et, plus particulièrement, les fonds structurels, ont donné une réelle impulsion à l'évaluation. Les règlements de 1988 ont rendu obligatoire l'évaluation systématique, même si, dans la pratique, leur application n'a pas été immédiate. L'Union européenne propose que l'évaluation soit partie intégrante de la politique communautaire.

Un règlement de 1993 prévoit que les aides seront octroyées lorsque l'appréciation ex ante aura démontré les avantages socio-économiques à retirer à moyen terme, eu égard aux ressources mobilisées. De 1993 à 1998, le nombre d'évaluations a été multiplié par cinq ou six par rapport à la période 1989-1993.

De la même façon, les prêts de la Banque mondiale étaient associés à des évaluations ex ante et ex post, ce qui a permis à certains pays, tels que la Grèce et le Portugal, de développer une culture favorable à cette pratique.

B. DES RÉALISATIONS NOVATRICES

L'évaluation est apparue comme indispensable et susceptible de répondre à trois impératifs : la rigueur - les citoyens demandent le résultat des politiques menées - la transparence - le débat est de plus en plus nécessaire et de plus en plus réclamé - et l'efficience des politiques - il est de plus en plus impératif de savoir si les objectifs ont été atteints.

1. L'évaluation au niveau national

a) La relance de l'évaluation par le Conseil national de l'évaluation

En France, l'évaluation a pris son véritable essor, comme le souligne la circulaire du 7 septembre 1998, après l'entrée en vigueur du décret du 22 janvier fixant les principes de l'évaluation interministérielle des politiques publiques.

Le décret a également défini l'évaluation : "l'évaluation d'une politique publique a pour objet d'apprécier, dans un cadre interministériel, l'efficacité de cette politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en _uvre". Le rapport du Conseil national de l'évolution (CNE) de 1999 complète cette définition en précisant que "l'évaluation n'est pas une liste de résultats, mais une interrogation sur le "pourquoi" : pourquoi tel résultat existe-t-il ?". Il ajoute que "l'évaluation commence avec l'analyse objective des causes".

L'évaluation n'est ni un contrôle, ni un contrôle de régularité, ni un contrôle administratif ni une vérification comptable, ni un contrôle de gestion, ni une analyse financière.

L'évaluation peut intervenir à différents stades (ex ante, à mi-parcours, ex-post) et à des niveaux de décision variable (évaluation de politique, de programme, de projet), comme le précise la circulaire du 7 septembre 1998.

Elle doit s'effectuer dans un cadre interministériel.

Le décret du 18 novembre 1998 a assigné au Conseil national d'évaluation (CNE) la mission de relancer l'évaluation et prendre la suite du conseil scientifique d'évaluation. Plusieurs points ont changé, dont la composition du Conseil qui a été renouvelée, puisqu'il fait place, en particulier, à des représentants de la société civile (trois représentants du Conseil économique et social) et des collectivités territoriales (trois représentants de chacune des grandes associations de ces collectivités).

Le CNE propose au Premier ministre un programme annuel d'évaluations à partir des propositions des ministères et des associations de collectivités collectées par le Commissariat général du Plan (CGP). Une sélection est opérée entre les sujets en fonction de la place qu'ils peuvent prendre dans un processus de décision. L'évaluation devant éclairer l'action, certains thèmes paraissent prioritaires par rapport à d'autres.

Le CGP doit ensuite arrêter la composition des instances sur la base des orientations du CNE en s'efforçant de faire respecter le principe de représentation suivant : un tiers d'administration, un tiers d'experts universitaires et un tiers d'acteurs ; l'objectif était d'introduire des représentants des collectivités territoriales, des établissements publics et des associations d'usagers. Ces instances sont des lieux où les différentes parties prenantes d'une politique peuvent avoir une confrontation de logiques et de points de vue.

Puis, le CNE formule ensuite un avis sur les évaluations lorsqu'elles sont achevées et le CGP adresse des recommandations au Premier ministre sur les suites à leur donner.

Le CNE a fait approuver quinze évaluations en trois ans (contre neuf entre 1990 et 1998 pour le Comité scientifique d'évaluation, qui l'a précédé), les thèmes les plus fréquents étant les aides aux entreprises, les aides à l'emploi et à la formation et les aides à l'agriculture (cf. annexe).

Parmi les projets du CNE pour l'an 2002 figurent la construction d'un site Internet relatif à ces évaluations et à celles des contrats de plan Etat-région, ainsi que l'élaboration de divers guides méthodologiques, notamment pour les régions, dont l'un sur les aides aux entreprises et un autre sur l'évaluation de la politique de la ville.

b) La réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959

La réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, par la loi du 1er août 2001, facilitera le développement de l'évaluation.

Lors de son entrée en vigueur en 2006, les quelque 850 chapitres budgétaires utilisés pour présenter les crédits seront remplacés par 100 à 150 agrégats appelés programmes, eux-mêmes inclus dans des missions. L'instauration de programmes ministériels aura pour effet de rendre plus lisible, pour l'administration elle-même et pour les observateurs extérieurs, l'utilisation des crédits publics. La possibilité de transferts dans le cadre d'un même programme permettra la mise en oeuvre de programmes interministériels.

Cette nouvelle procédure permettra de mieux associer les dépenses budgétaires à des objectifs et à des indicateurs de résultats. Pour obtenir des crédits, les gestionnaires devront en justifier la bonne utilisation, puis ensuite rendre compte du respect de leurs objectifs dans un rapport annuel de performance qui éclairera la loi de règlement. En contrepartie, ils bénéficieront d'une plus grande souplesse dans l'utilisation des ressources.

Cette réforme aidera à la construction d'indicateurs de gestion, même s'il ne faut pas oublier que l'évaluation doit être transversale, que l'action publique ne dépend pas du seul acteur "Etat" et qu'il faut donc se garder de prévoir des indicateurs globaux associés aux seuls crédits de l'Etat : pour la politique de l'emploi, par exemple, les crédits de l'Etat ne sont pas les seuls mobilisés.

Elle conduira également à réaliser des évaluations ex ante pour faire le point sur la mise en place d'un programme ministériel, les systèmes d'acteurs concernés, les objectifs visés par l'action publique et les indicateurs destinés à qualifier ces objectifs et à mesurer les résultats. Elle permettra en outre de réduire les délais des évaluations.

2. L'évaluation des contrats de plan Etat-région

La circulaire du 31 juillet 1998 (parue au J.O. du 13/9/98) précise que les programmes inclus dans les contrats de plan Etat-région feront l'objet d'évaluations à l'initiative des comités régionaux de l'évaluation ; elle prévoit également qu'une synthèse du suivi et de l'évaluation sera réalisée à l'issue des quatre premières années du contrat et à la fin de la période contractuelle, au niveau régional par les préfets de région et au niveau national par le Commissariat général du Plan et la DATAR.

La circulaire du 25 août 2000 définit le champ de l'évaluation, qui doit englober les contrats de plan ainsi que les contrats de ville, d'agglomération et de pays, et ceux conclu avec les parcs naturels régionaux. Elle rappelle que l'objet de l'évaluation est de "mesurer l'adéquation de chaque composante d'un programme aux objectifs affichés", les priorités définies par les circulaires du 11 mai et du 27 août 1999 étant l'emploi, la solidarité et le développement durable, ainsi que l'impact sur l'effet de serre. Elle doit, enfin, être concomitante à la mise en oeuvre des actions engagées.

a) Le renouvellement de la procédure

Premièrement, dans chaque région, le montant consacré par l'Etat à l'évaluation des actions du CPER 2000-2006 s'élèvera à six dix millièmes du montant de la contribution de l'Etat à ce contrat - il s'agit de crédits hors contrat de plan, inscrits sur le budget du Commissariat général du Plan (cf. annexe) ; le principe du financement à parité avec les collectivités territoriales devra toutefois être maintenu dans la mesure du possible pour les programmes évalués sur la durée du contrat. Des guides d'aide seront élaborés. 75 % des crédits affectés à chaque région seront délégués directement aux préfets de région.

Deuxièmement, ceux-ci auront, au préalable, défini une programmation de leurs évaluations, qui devront être, si possible, glissantes et porter sur plusieurs années.

Troisièmement, une section spécialisée de la conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire (CRADT) assurera les fonctions de comité de pilotage des évaluations des contrats de plan. Y participeront le représentant de l'Etat, le président du conseil régional, le trésorier-payeur-général et les élus des collectivités concernées par l'évaluation n'appartenant pas à la conférence, de même que des experts, un membre du Conseil économique et social régional et des chefs d'administrations déconcentrées.

Une instance nationale sera chargée d'examiner les différents projets d'évaluation proposés par les CRADT et de formuler les recommandations qui lui apparaîtront nécessaires "notamment au regard des principes de pluralisme des points de vue, d'indépendance et de transparence qui doivent présider à toute évaluation". Elle devra également mutualiser les pratiques et développer les transferts d'expériences.

Quatrièmement, l'évaluation devra être prise en compte pour la révision des CPER en 2003. Il devra en être de même pour celle des documents uniques de programmation (DOCUP), en 2004. La circulaire du 31 juillet 1998 souligne à cet égard que les CPER et les DOCUP devront, en pleine cohérence, être les instruments d'une stratégie unique. Il faudra disposer pour 2004 des résultats d'analyses précises concernant l'impact des politiques communautaires actuelles sur la cohésion des territoires français, la compétitivité et la politique régionale. Par ailleurs, le bilan intermédiaire des schémas de services collectifs pourrait intervenir dès 2005.

Enfin, la même circulaire prévoit que des indicateurs d'alerte seront sélectionnés par le comité de pilotage et validés par les services de l'Etat et de la région.

b) Les réponses apportées aux observations de la Cour des Comptes

Le rapport public de la Cour des comptes de 1998 avait relevé plusieurs dysfonctionnements du suivi des contrats de plan, parmi lesquels le défaut de tableaux de bord de suivi stables, l'absence d'une nomenclature comptable unique pour les crédits de l'Etat et des régions, le manque de comptabilisation des contributions des partenaires autres que l'Etat et la région, le maintien d'une logique de financement sectorielle, et l'agrégation de crédits de nature différente (affectés, engagés ou mandatés).

En réponse à ces remarques, la DATAR a élaboré avec les ministères une présentation financière commune à toutes les régions, permettant un suivi des crédits de l'Etat dans chaque région, des comparaisons entre les régions et des agrégations au niveau national. En outre, afin de tenir compte de la double nature des contrats de plan (outil d'aménagement régional décentralisé et déconcentré et outil de péréquation entre les régions au niveau national), les préfectures ont un double suivi des crédits, (d'une part, le suivi national et d'autre part, le suivi régional, souvent conjoint avec la région), afin de mieux les articuler entre eux. C'est ainsi que les différents intervenants - DATAR, ministères et services extérieurs - peuvent travailler sur une structure identique de suivi des crédits de l'Etat.

c) La procédure engagée pour la révision des contrats de plan en 2003

Un bilan doit donc être disponible pour l'été 2003, ce qui suppose d'engager la procédure l'été prochain. Elle s'articulera en deux parties.

Il va être demandé aux préfets de dresser le traditionnel bilan annuel des contrats de plan auquel devra s'ajouter un bilan triennal concernant les années 2000, 2001 et 2002. Il devra développer trois thèmes :

- la conformité des réalisations par rapport aux objectifs ;

- la mise en _uvre des procédures, avec une analyse des causes des éventuels retards dans l'application des contrats et des réflexions sur le partenariat avec le conseil régional ;

- l'articulation avec les DOCUP, et, notamment, les contradictions pouvant exister entre les deux documents, les CPER ayant été signés avant les DOCUP.

Il sera également élaboré une circulaire qui comportera un mandat de négociation pour ce bilan intermédiaire, proposera un cadre au niveau national pour la procédure à suivre et demandera aux préfets de formuler des propositions. La négociation entre les préfets et les différents ministères concernés donnera lieu à arbitrage du Premier ministre, cette procédure devant s'achever à l'été 2003.

Les préfets devront en informer les présidents de région qui eux-mêmes auront à effectuer une démarche identique et procéder à un bilan des contrats de plan.

Ces différents bilans pourront permettre de faire le point sur les modifications à apporter aux contrats de plan, qui feront l'objet d'avenants.

Il s'agit donc de bilans comptables qui contiennent également une analyse qualitative des réalisations effectuées ; contrairement à la procédure suivie pour les évaluations, il n'est pas fait appel à un tiers extérieur qui apporte un regard différent.

Ces bilans devront se doubler d'évaluations. Le Commissariat général du Plan a la charge de gérer des crédits pour financer des études demandées par les préfets. Certaines ont déjà été lancées. Il devra effectuer la synthèse de ces évaluations, en soulignant les carences existantes, en formulant des propositions, et en suggérant des travaux complémentaires à mener région par région ou au niveau national.

d) L'évolution des thèmes des évaluations des contrats de plan

Parmi les thèmes les plus fréquemment traités pour l'évaluation de la période 1994-1999, on pouvait relever la politique de la ville, les aides aux entreprises, les aides à l'emploi et à la formation et les aides à l'agriculture. Aucune évaluation n'a porté sur le développement durable. Seules ont été réalisées quelques évaluations environnementales (régions Ile-de-France et Picardie) ou agri-environnementales (Bourgogne, Franche-Comté, Ile-de-France). Quant à la région Nord-Pas-de-Calais, elle a élaboré un guide méthodologique sur l'évaluation environnementale.

Un groupe de travail mis en place en 1995 au sein du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement et composé de représentants des directions centrales et régionales du ministère, du Commissariat général du Plan et de trois experts a fonctionné pendant plus de deux ans. Sa mission a été de réfléchir à l'organisation du suivi environnemental au niveau régional, dans le cadre des contrats de plan 1994-1999 et aux dispositifs à mettre en place pour la génération 2000-2006. Il a analysé les démarches d'évaluation entreprises dans différentes régions (Basse-Normandie, Rhône-Alpes, Bretagne, Nord-Pas-de-Calais, Ile-de-France) et a adressé un questionnaire à l'ensemble des directions régionales et des secrétaires généraux des affaires régionales pour faire le point sur celles-ci, et, notamment, sur les méthodes utilisées.

Quatre régions ont prévu la mise en place d'instances spécifiques d'évaluation environnementale : la Bretagne, l'Ile-de-France, le Nord-Pas-de-Calais et le Limousin. Elles ont également, excepté le Limousin, mené une évaluation des impacts environnementaux des autres actions du contrat de plan.

Les thèmes les plus souvent inscrits dans la programmation 2000-2006 sont la territorialisation, l'environnement et, de nouveau, la politique de la ville, les aides aux entreprises, l'emploi et la formation, et, plus rarement, tout ce qui a trait aux infrastructures.

Le thème de l'environnement apparaît fréquemment. En outre, deux régions (Provence - Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes) ont entrepris une évaluation sur le thème du développement durable.

e) Quelques exemples

Dans la région Nord-Pas-de-Calais, l'évaluation est réalisée en partenariat avec l'Etat et les deux départements, qui ont signé le contrat de plan.

L'évaluation est commune aux différents partenaires ; une cellule d'évaluation rassemblant l'Etat, la région et les deux départements a donc été créée.

Le contrat de plan comporte deux niveaux : le contrat de plan lui-même, qui contient les objectifs, les partenariats, les financements et les moyens d'action, et la convention générale d'exécution, de suivi et d'évaluation qui récapitule les résultats attendus et la série d'indicateurs retenus pour l'évaluation.

Dans la convention, les quatre partenaires se fixent, à côté de l'obligation de moyens, une réelle obligation de résultats pour l'ensemble des objectifs du contrat de plan 2000-2006. Ils s'engagent à mettre en oeuvre un dispositif partenarial de programmation et un processus renforcé de suivi et d'évaluation. Le but est d'appliquer les actions décidées, de mieux connaître les effets des politiques et de mettre en _uvre des ajustements nécessaires pendant le contrat de plan. L'élaboration d'indicateurs sera à la base des travaux d'évaluation. La convention met également l'accent sur la dimension territoriale du suivi des politiques.

Un programme pluriannuel d'évaluation du contrat de plan a été élaboré pour les années 2001 à 2003 et 2004 à 2006. Il comporte quatre types de travaux :

- des évaluations transversales au regard des priorités retenues, au nombre de quatre : l'environnement, l'équité sociale, l'emploi et la territorialisation ;

- des évaluations thématiques sur un objectif ou un moyen d'action : il s'agit pour les années 2001 à 2003 du programme de création et de transmission des entreprises, du tourisme, de l'eau et de l'agriculture, des actions collectives à l'exportation. Ces choix sont acceptés par l'ensemble des partenaires, le chef de file étant différent selon les évaluations : il s'agit du département du Pas-de-Calais pour le tourisme, du département du Nord pour l'eau et l'agriculture, de l'Etat pour la création et transmission des entreprises et de la région pour l'exportation. D'autres évaluations ont été retenues pour les années 2004 à 2006 : le transfert de technologies, les nouvelles techniques d'information et de communication, la politique régionale de la ville, l'intermodalité dans le secteur des transports ;

- des évaluations sur une opération significative. Pour 2001 à 2003 ont été retenus les thèmes suivants : "quartiers d'été" (animation sociale et culturelle) et cyber-centres. Il est prévu pour 2004 à 2006 une évaluation sur la plate-forme multimodale européenne de Dourges ;

- des travaux méthodogiques visant à améliorer les évaluations. Ils concernent, en particulier, la fiabilisation des indicateurs, le croisement des bases de données.

Dans la région Limousin, la plupart des évaluations ont été conduites en étroite collaboration entre les services du conseil régional et ceux de la préfecture. L'évaluation réalisée sur les évaluations note toutefois qu'il ne semble pas que les services de l'Etat aient développé dans cette région une pratique spécifique.

Sept évaluations relatives au contrat de plan ont été menées pendant la période 1994-2000 ; le maître d'ouvrage en a été la région pour cinq d'entre elles, l'Etat pour un et le comité régional du tourisme pour une autre.

Pour le contrat de plan actuel, sept évaluations devraient probablement être déjà lancées ou prévues, sur des sujets variés : l'apprentissage au féminin, la formation professionnelle, la création et la transmission d'entreprises, la politique de soutien aux entreprises de la première transformation du bois, les conséquences des politiques territoriales en matière culturelle et l'impact du CPER sur l'égalité des chances.

3. L'évaluation des politiques régionales

Des évaluations ont, également, été menées par les régions de manière indépendante. Certaines sont très dynamiques, parmi lesquelles le Nord-Pas-de-Calais, le Limousin, les Pays de Loire, la Bretagne, et ont jugé les évaluations nécessaires. En Limousin, elle a paru indispensable pour compléter un exercice de prospective territoriale, pour savoir si on avait atteint les objectifs fixés auparavant.

a) Le Limousin

La région a joué un rôle dynamique depuis 1994. Seize évaluations ont été réalisées en tout (dans le cadre du contrat de plan et hors contrat de plan) dont la procédure en est la suivante : l'initiative émane du Président, du service concerné ou du chargé de mission évaluation. Un chef de projet est nommé ; il prend contact avec les personnes concernées au sein du conseil régional, afin de réfléchir à la finalité de l'information disponible, de réaliser une reconstitution historique et logique de la politique évaluée et de sélectionner les futurs membres du comité de pilotage. Il mène également des consultations au sein des services de l'Etat, même quand ce dernier n'est pas cofinanceur. Puis un comité de pilotage est désigné. Un cahier des charges est rédigé, comportant les motifs, le dispositif et le calendrier de l'évaluation, ainsi que les indications méthodologiques ; le chargé d'évaluation est ensuite choisi par le comité de pilotage après mise en concurrence au niveau national. Les réunions de pilotage sont consacrées à la discussion des rapports intermédiaires et du rapport final. Celui-ci sera ensuite transmis aux membres du conseil régional.

Un rapport évaluant les diverses évaluations réalisées en Limousin et commandé par le conseil régional en montre les aspects positifs : elles s'intéressent aux effets des politiques menées et touchent à des enjeux stratégiques, les thèmes sont choisis en fonction des décisions à prendre, les partenaires ont été intégrés dans des comités de pilotage. Elle souligne également que le coût n'en est pas excessif, puisque le coût moyen d'une évaluation s'élève à 1,7 % du budget de la politique évaluée.

Les approches sont en fait très variables. C'est ainsi que - d'après le même rapport - les évaluations de la région Rhône-Alpes sont beaucoup plus axées sur les budgets et les politiques de la région elle-même, alors que le Limousin fait une place plus grande à ses partenaires extérieurs.

b) Le Nord - Pas-de-Calais

La région réalise des évaluations depuis 1996. Elle vient d'achever l'évaluation de son champ de coopération décentralisée avec la Pologne, le Mali, le Vietnam et va en entreprendre une à propos de la coopération avec le Sénégal. Elle prévoit une évaluation sur l'environnement, et plus particulièrement, sur les contrats-rivières et sur les emplois jeunes et l'environnement. Un programme finalisé doit prochainement être arrêté.

L'évaluation est réalisée par des prestataires externes aux services régionaux (universitaires et/ou bureaux d'études) ; une animation est également prévue au sein des services. La direction du plan et de l'évaluation établit un cahier des charges et des bilans préparatoires.

La procédure est identique pour les évaluations du contrat de plan ou hors contrat de plan : un mandat rappelle les grandes orientations et les objectifs retenus, fixe la répartition des tâches et les responsabilités de chacun, ainsi que les délais souhaités. Il est validé soit par le président et le vice-président de la région dans le cas des évaluations régionales, soit par un comité de pilotage regroupant les différents partenaires dans le cas des évaluations du contrat de plan.

La phase d'élaboration du projet comporte l'examen de la faisabilité, l'élaboration du questionnement, la définition des travaux à mener, ce qui permet d'appréhender le coût et la durée de la future évaluation. La commission permanente délibère à la fin de cette phase.

Le cahier des charges est ensuite réalisé par le comité de pilotage qui est limité à la région en cas de politiques régionales ou étendu aux autres partenaires pour les contrats de plan. Le choix du prestataire est effectué conformément au code des marchés publics.

C. L'OBJECTIF DE L'ÉVALUATION : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

a) La définition du développement durable

L'évaluation n'est évidemment pas une fin en soi. Comme le fait remarquer la circulaire du 11 mai 1999, le développement durable" ne se réduit pas à la protection de l'environnement ou à la conduite écologique des chantiers. Le développement durable, c'est d'abord une conception patrimoniale ou responsable du monde dans lequel nous vivons. De ce fait, les politiques publiques doivent déterminer les conditions d'utilisation, de préservation, de partage et de transmission de ce patrimoine collectif, dans des conditions qui permettent la nécessaire satisfaction de nos besoins d'aujourd'hui sans compromettre celle des générations futures...

Le développement durable est un mode de croissance qui garantit, à la fois, et à long terme, le progrès économique, social et environnemental de la société".

Pour atteindre cet objectif, il faut procéder à une estimation complète de l'intérêt et de l'impact de chaque projet. La circulaire recommande la définition d'une grille du développement durable applicable à tout projet, l'analyse de l'impact environnemental de celui-ci et la mise en place des indicateurs de suivi destinés à fournir quelques signaux d'un tableau de bord.

La prise en compte du développement durable suppose une démarche nouvelle, qui, au-delà d'une meilleure articulation des champs traditionnels, économiques, sociaux et environnementaux, consiste à revoir les objectifs de chaque domaine, en passant, par exemple, de la rentabilité économique à court terme à l'efficacité à long terme. Elle nécessite toute une série d'indicateurs de suivi des politiques.

La construction d'indicateurs de développement durable n'est pas une tâche aisée car la notion de développement durable fait l'objet de multiples interprétations, il n'existe pas de modèles incontestables et le champ couvert est large et complexe.

b) L'approche française

En France, la démarche de l'Institut français de l'environnement (IFEN) vise à concilier trois exigences : la construction d'un cadre méthodologique susceptible d'intégrer les différentes dimensions du développement durable, l'implication des acteurs concernés dans ce processus et l'élaboration d'indicateurs chiffrés facilement utilisables.

L'Institut propose une structure en neuf modules (1). L'idée est d'évaluer dans quelle mesure un certain mode de développement (module 1) peut satisfaire les besoins des générations futures (modules 6 à 8), ce qui suppose un renouvellement approprié des différentes formes de capitaux et de patrimoines. Quant au module 9, il essaie d'apprécier la capacité du système décrit à réagir à des événements extérieurs.

c) Les indicateurs de l'OCDE

L'OCDE, dans ses rapports "Développement durable : quelle politique ?" et "Développement durable et grandes questions" note qu'il est admis que le produit intérieur brut (PIB) n'est qu'un indicateur limité du bien-être des populations, puisque certaines activités contribuant au PIB réduisent le bien être (par exemple, la pollution).

D'autres indicateurs sont donc indispensables, d'autant que, face à la perspective d'une concurrence accrue pour l'exploitation des ressources naturelles rares, il est urgent d'agir, même si, dans quelques pays, on commence à assister à un "découplage" entre la croissance économique et les conséquences sur l'environnement.

Toutefois, on ne dispose pas encore d'indicateurs détaillés combinant des informations sur les différents types d'actifs et les flux de revenus qui fassent autorité, malgré les divers travaux entrepris.

Le rapport fait remarquer que la mise en place d'une comptabilité nationale intégrant les évolutions économiques, sociales et environnementales reste un objectif à moyen ou long terme. Il suggère à plus court terme de choisir un petit ensemble d'indicateurs pour chacun de ces trois domaines, regroupés en indicateurs de ressources et indicateurs de résultats, comme le font déjà certains membres de l'OCDE, ou même en un indicateur unique.

Il faut à la fois développer des indicateurs de performance et des indicateurs d'efficacité des politiques. Un indicateur isolé ne donne pas la solution d'un problème. L'important est de confronter les indicateurs.

Ces indicateurs doivent conduire à décider quelles politiques de développement on souhaite. Ils doivent servir de base à la définition de stratégies territoriales de développement "gagnant-gagnant" (bon pour l'environnement, bon pour l'économie, bon pour le social).

d) Les indicateurs de la Commission européenne

Le Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, a demandé à la Commission d'évaluer les politiques menées afin d'obtenir "une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale à partir d'indicateurs structurels définis d'un commun accord". La commission a ainsi adopté une liste de 35 indicateurs.

En mars 2001, le Conseil européen de Stockholm a recensé plusieurs priorités nouvelles en matière d'indicateurs structurels.

Puis en juin 2001, le Conseil européen de Göteborg a ajouté "une troisième dimension, celle de l'environnement, à la stratégie de Lisbonne". Les conclusions de Göteborg ont mis en évidence quatre grands domaines d'action en matière de développement durable (la lutte contre le changement climatique, l'utilisation de modes de transport respectueux de l'environnement, la réduction des menaces pour la santé publique, une gestion plus responsable des ressources naturelles).

Compte tenu de ces ajouts et de certains abandons, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont finalement choisi quarante-deux indicateurs structurels pour évaluer le développement durable (cf. annexe). Sept d'entre eux concernent le pilier environnemental. Sur la base de ces quarante-deux indicateurs, la Commission européenne a adopté le premier rapport de synthèse sur les trois piliers du développement durable. Les chefs d'Etat et de Gouvernement ont décidé que toutes les propositions "majeures" seraient soumises à une étude d'impact sur le développement durable. Cette étude doit être entreprise conformément à la directive, avec une consultation obligatoire du public, mais aussi d'une autorité de compétence environnementale installée dans l'Etat membre concerné.

La Commission présentera en 2002 une méthodologie relative à l'examen des impacts des politiques sur le développement durable.

Il existe d'autres sortes d'évaluations au sein de l'Union européenne ; la première est réalisée depuis longtemps, c'est l'étude d'impact environnemental dont la réglementation a été adoptée dans les années 1980 : elle couvre tous les grands projets. L'Etat membre est obligé de procéder à une étude d'impact du projet qu'il envisage, il reste cependant libre de son choix, qu'il doit justifier.

Une nouvelle directive prévoit également, à l'avenir, une étude semblable pour les plans et les programmes. La Commission a d'ailleurs décidé de s'obliger elle-même à cette étude. La réforme de la politique agricole commune y sera aussi soumise, de même que la réforme de la politique commune de la pêche.

II - UNE DÉMARCHE ENCORE EMBRYONNAIRE

Toute procédure en voie d'élaboration est à la fois stimulante et source de multiples interrogations au fur et à mesure qu'on l'explore.

A. UNE ACCULTURATION LENTE, MAIS NÉCESSAIRE

1. La difficile acceptation de l'évaluation

L'évaluation est parfois difficile à accepter de la part des gestionnaires dont le travail est évalué. Longue, lourde, complexe, l'évaluation paraît en outre trop souvent synonyme de "contrôle" et de "jugement". Elle est perçue comme une démarche dont on ne maîtrise pas forcément tous les effets. Elle revêt donc parfois une connotation négative. A cette crainte d'être jugé, s'ajoute celle des préfets, des élus, ou des fonctionnaires des administrations centrales ou territoriaux de perdre leur indépendance. Il n'est pas toujours aisé de faire comprendre aux intéressés qu'ils ont intérêt à suivre la démarche, qu'il s'agit d'une approche positive, destinée à aider et à permettre de progresser plus facilement vers une étape nouvelle.

Il semblerait d'ailleurs que ceux qui en ont déjà fait l'expérience sont, en fait, plutôt disposés à la renouveler, ce qui est encourageant. Les ministères qui proposent le plus de sujets au CNE sont ceux qui sont déjà dotés de grandes directions de l'évaluation, comme le ministère de l'emploi et de la solidarité, celui de l'équipement, des transports et du logement et celui de l'éducation nationale.

En revanche, ceux qui ont une culture de l'évaluation moins ancrée semblent parfois plus réticents, tels que les ministères de l'économie, des finances et de l'industrie, le ministère de l'intérieur et celui de la justice. Pour ce dernier d'ailleurs, l'indépendance juridictionnelle pose forcément problème.

De la même façon, à côté de régions moins motivées, d'autres sont beaucoup plus dynamiques et se sont engagées résolument dans cette voie, avec des initiateurs de qualité, qui constituent d'ailleurs des réservoirs de compétences.

Un effort important de pédagogie s'impose donc afin de mettre en lumière les objectifs de l'évaluation, et la démarche positive qu'elle sous-entend. Il faut dédramatiser, faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'une sanction, mais que l'évaluation est un outil d'aide à la décision. Il faut donc que les fonctionnaires soient formés à l'évaluation, qu'ils puissent nourrir les tableaux de bord élaborés par les évaluateurs et en assurer le suivi, même si des prestataires privés les révisent périodiquement.

Quelques régions en ont pris conscience. Par exemple, la région Nord - Pas-de-Calais a réalisé dès les premières années un séminaire de sensibilisation. Elle va lancer un programme de formation de ses agents de 2002 à 2004, les formateurs étant choisis par appel d'offre, qu'il s'agisse d'universitaires ou de cabinets d'évaluation ; certains services de la région eux-mêmes seront également formateurs, et un séminaire inter-services est prévu. Le programme portera sur les méthodes de l'évaluation, la rédaction du cahier des charges, le questionnement, la diffusion de la culture de l'évaluation. Un guide méthodologique sera publié.

Les élus eux-mêmes doivent probablement être davantage impliqués dans le processus d'évaluation, afin de mieux le suivre. Le dialogue doit se nouer entre élus et experts, alors qu'actuellement, la situation est très diverse, même au sein des régions les plus dynamiques en matière d'évaluation. D'après le rapport sur les évaluations en Limousin, il semble que, dans cette région, bien que l'initiative vienne souvent du président du conseil régional, l'évaluation n'ait pas modifié la perception par les élus des problèmes régionaux. Dans d'autres, au contraire, (Nord - Pas-de-Calais ou Rhône-Alpes), ils paraissent plus impliqués. Il faudrait qu'ils se mobilisent plus, dès le choix des thèmes. Certains élus estiment qu'ils sont évalués par les électeurs et qu'un autre type d'évaluation ne s'impose pas forcément. Souvent, élus et experts suivent des chemins parallèles ; or il serait souhaitable qu'ils coopèrent plus étroitement.

Le dialogue avec les élus est d'autant plus indispensable que la plus grande partie de l'évaluation est décentralisée : elle concerne en effet les contrats de plan Etat-région, les fonds structurels communautaires, les programmes de formation, les programmes locaux d'insertion, etc....

Enfin, ce n'est que si les élus s'y intéressent que les évaluations auront un suivi, et produiront un effet positif.

2. La mobilisation des compétences

Le gisement en matière de compétences évaluatives n'est pas considérable chez les fonctionnaires, ni dans les universités, ce qui a posé problème pour la constitution de certaines instances, - et expliqué les délais parfois très longs - d'autant que le CNE et le CGP attachent une grande importance à la diversité de leurs membres.

Quant à la composition des équipes régionales, force est de constater que le milieu dans lequel on peut puiser est relativement restreint, tant au niveau universitaire qu'à celui des fonctionnaires, même si, dans certains cas, les initiateurs sont performants ; il peut en résulter une grande instabilité des personnels chargés de l'évaluation.

Ces problèmes sont indissociables de celui de la rémunération. Traditionnellement, le Commissariat général du plan ne rémunère que de façon exceptionnelle ce type de concours. Cette question se pose désormais. D'ailleurs, dans les demandes de crédits des régions, apparaît la rémunération des conseils scientifiques.

La mobilisation des compétences, le plus souvent, n'est pas institutionnalisée. Elle dépend des initiatives des uns et des autres.

La difficulté à mobiliser des compétences conduit à recourir, notamment dans les régions, à des prestataires privés, formés à des méthodes européennes, qui ne sont pas forcément celles que le Commissariat général du Plan voudrait développer en France. Or, il est souhaitable de maintenir trois sources d'information au sein des instances : les inspections générales, les prestataires et l'expertise universitaire.

Il semble donc important de créer une véritable filière d'évaluateurs. D'ailleurs, le Commissariat général du Plan commence à recruter des étudiants nouvellement diplômés comme rapporteurs des instances, avec l'idée que ces personnels, une fois formés, deviendront par la suite des relais.

L'Institut des hautes études d'aménagement du territoire propose depuis deux ans aux préfets, aux fonctionnaires et aux autres intervenants concernés de leur fournir une aide. En outre, la DATAR réfléchit actuellement à la propagation des bonnes pratiques pour la phase d'évaluation des contrats de plan et des DOCUP. Les collectivités locales qui sont à la recherche de méthodologie pour évaluer les projets pourront ainsi être aidées. Le but est de travailler avec toutes les têtes de réseaux capables de faire de la pédagogie dans ce domaine.

3. L'évaluation participative

Les instances constituées par le CNE comportent des universitaires, des prestataires privés et des membres d'inspections générales. Les évaluations réalisées en région mobilisent des prestataires privés, voire des services de la région.

En revanche, les usagers, ceux qui profitent de ces politiques publiques - ou les subissent - ne sont pas toujours suffisamment entendus, alors qu'ils pourraient l'être, suivant leur degré de représentativité. Cette démarche, pour indispensable qu'elle soit, risque d'être compliquée, plus encore au niveau central qu'à l'échelon régional. Il est difficile de faire participer les associations. Les résultats en ce sens sont variables : certains exercices de prospective régionaux sont parfois fondés sur une réelle participation des citoyens.

En effet, l'évaluation participative apporte un "plus", tout au moins dans certaines situations.

Une évaluation participative aura une plus grande validité car elle prendra en compte les analyses de toutes les parties prenantes à une politique publique et elle a d'autant plus de chances d'être utilisée que les participants s'en seront approprié les résultats. Elle peut en outre avoir une valeur démocratique supérieure car toutes les parties prenantes y ont accès.

L'approche participative est adaptée lorsqu'il faut fédérer autour d'objectifs communs des acteurs qui n'ont pas les mêmes logiques. Elle est également nécessaire lorsque l'évaluation s'applique à différents échelons territoriaux. Elle apporte la connaissance des processus qui se passent sur le terrain et permet de comprendre la logique des acteurs.

En revanche, dans certaines évaluations, les parties prenantes sont trop nombreuses pour être associées au même titre à l'évaluation. Par ailleurs, l'objectivité de l'approche scientifique permet de dépasser les clivages de valeurs trop marqués. Il est en outre difficile d'obtenir une représentativité équilibrée des différents publics.

Il faut surtout une bonne coordination entre les deux types , participative et scientifique.

B. LES DÉLAIS

La circulaire du 28 décembre 1998 privilégie "les évaluations visant à répondre à des questions claires, permettant d'aboutir dans des délais brefs à des réponses précises susceptibles de conduire à des décisions opérationnelles". Reconnaissant que l'un des dysfonctionnements du dispositif antérieur d'évaluation a été la durée excessive des travaux, elle indique qu'elle doit être maintenant limitée à un an, du lancement du projet à l'achèvement du rapport.

Lors des deux premières années de fonctionnement du CNE, la seule constitution des instances avait duré de six à neuf moins ; cette durée a ensuite été réduite à trois ou quatre mois. Il n'en demeure pas moins qu'il est malaisé de recruter président et rapporteur et de rassembler les différents membres qui représenteront au sein de l'instance des points de vue équilibrés et variés.

La mobilisation des experts universitaires, compte tenu des modes de passation des marchés et du consensus à établir au sein de l'instance, requiert un délai trop long, qui implique parfois de se priver de ce type d'expertise.

Cette contrainte, qui n'est pas satisfaisante car elle n'assure pas encore suffisamment la brièveté et la réactivité requises, a l'inconvénient d'obliger à faire davantage appel à des prestataires privés et de rendre difficile le maintien de trois sources d'information différentes dans les instances.

Ce temps trop important d'évaluation - dix-huit mois - entraîne une déception du politique qui estime que les évaluateurs travaillent trop lentement et une déception des évaluateurs qui ont l'impression que leur travail est peu utile s'il ne peut être pris en compte en amont de la décision politique.

Le délai paraît long, surtout dans un monde dont les évolutions sont de plus en plus rapides. L'élu, pour prendre une décision, a besoin de réponses promptes, tout au moins pour certains types d'évaluations ; il est vrai, toutefois, qu'un délai de quinze mois reste raisonnable eu égard aux calendriers des contrats de plan ou des politiques structurelles.

La réforme de l'ordonnance organique, qui conduira à plus d'évaluations ex ante, permettra en partie de répondre au souci de rapidité, puisque la démarche méthodologique sera effectuée avant l'évaluation, lors de l'élaboration des programmes.

Il faut noter toutefois que la durée des évaluations réalisées en région semble être plus brève. Elle peut par exemple, se limiter à douze à treize mois, en Limousin et dans le Nord - Pas-de-Calais.

Une réflexion reste à mener sur ce thème.

C. L'HOMOGÉNÉITÉ DES INDICATEURS

1. La question de la comparabilité

La circulaire du 25 août 2000 prévoit pour la mise en oeuvre de l'évaluation dans les procédures contractuelles "la construction d'indicateurs qui permettra d'aider à la sélection et à la programmation des évaluations ultérieures ainsi qu'à la préparation des études de faisabilité et des cahiers des charges d'évaluations.

Elle contribuera également à un meilleur pilotage de la procédure de gestion et d'exécution des contrats de plan. Des indicateurs d'alerte seront sélectionnés par le comité de pilotage et validés par les services de l'Etat et de la région.

Cette approche doit permettre, tout à la fois, d'apporter un soutien aux régions qui se sont jusqu'ici peu engagées dans le travail d'évaluation, et d'améliorer l'appui méthodologique mis à la disposition des collectivités qui sont plus familiarisées avec la procédure. Elle assurera également une meilleure articulation de l'évaluation des contrats de plan Etat-région et des programmes communautaires. Enfin, elle pourra conduire les régions à envisager d'évaluer des domaines jusqu'à présent peu explorés".

Il semble ressortir de ces lignes qu'une certaine compatibilité entre les indicateurs des différents niveaux, régionaux, nationaux, et même européens est souhaitable. Toutefois, le problème de l'éventuelle homogénéité des indicateurs se pose et les avis divergent sur ce point.

Selon certains, il n'est ni souhaitable, ni possible de construire des indicateurs homogènes et s'articulant entre eux.

L'avis du CGP est que nous ne sommes plus à une époque où les indicateurs des uns doivent s'imbriquer dans les indicateurs des autres, qu'il ne faut rien figer, qu'il est plus important pour l'Etat d'en surveiller quelques uns.

Le CGP souhaite, en outre, éviter le recours à certaines méthodes européennes qui consistent à présenter des indicateurs ex ante auxquels les projets doivent forcément correspondre, ce qui ne lui paraît pas satisfaisant.

Le CNE a fait remarquer à la Délégation que l'addition d'évaluations territoriales ne correspondrait pas à une évaluation nationale, d'autant que les politiques sont définies au niveau national et qu'il faut les évaluer à cet échelon.

Un autre argument en ce sens consiste à souligner qu'il convient de laisser une grande liberté aux échelons territoriaux pour définir leurs propres objectifs, puisqu'ils ont une dynamique de projet. Dans cette optique, il faut prévoir un aller-retour entre l'échelon local et l'échelon national, afin que le projet national soit mieux cerné et que le Parlement fixe l'objectif assigné à l'échelon national, grâce aux outils prévus par l'ordonnance organique modifiée.

On peut aussi penser que la construction d'indicateurs homogènes à l'échelle nationale ou européenne n'est pas suffisante dans la mesure où le succès ou l'échec d'une politique dépend à la fois de facteurs locaux nationaux et européens, et qu'il est difficile de construire des indicateurs valables dans des situations très différentes.

Ces arguments ont un réel poids. Néanmoins, on peut se demander si certains critères ne devraient pas être validés par le CNE et ensuite, reconnus par les différents acteurs de l'évaluation. En effet, la pratique de l'évaluation va devoir se diffuser dans les collectivités territoriales, les régions, évidemment, mais aussi, vraisemblablement, à l'échelon infra-régional, notamment dans les agglomérations et les villes. Il semble donc nécessaire de parler un langage commun, de comparer ce que l'on fait et de pouvoir construire des tableaux de bord cohérents et comparables, qui puissent évoluer, non pas de façon identique, mais parallèle.

Il est permis aussi de s'interroger dans la mesure où nous devons défendre nos territoires dans le cadre européen. C'est ainsi que le produit intérieur brut (PIB) n'est certainement pas un indicateur suffisant pour mesurer le développement des territoires. En effet, certains d'entre eux bénéficiant d'aides structurelles substantielles, telles que l'objectif 1, se sont rapidement développés. Il serait dangereux que demain les aides européennes ne soient pas proportionnelles aux difficultés des territoires : il s'en suivrait un effet déstabilisateur qui pourrait pénaliser les plus fragiles dans un pays aussi vaste que le nôtre et dont les densités sont peu élevées.

Des indicateurs comparables nous permettraient de disposer d'une véritable vision des politiques publiques et des différenciations régionales qui peuvent apparaître et nous fourniraient des arguments pour mieux défendre nos régions et nos politiques publiques face à la Commission européenne.

Au cours d'une audition devant la Délégation, le ministre a plaidé pour des indicateurs homogènes sur l'ensemble du territoire, indispensables pour les comparaisons entre régions, non seulement françaises, mais européennes ; il estimait en outre que pour certains objectifs fondamentaux, il fallait pouvoir comparer les résultats en tenant compte des standards européens, tout en soulignant que des études locales et régionales étaient nécessaires pour prendre en compte les spécificités propres aux différents échelons. Une étude a d'ailleurs été lancée pour pouvoir comparer les objectifs inscrits dans chaque région au titre des CPER et des DOCUP ; elle apportera une contribution positive à l'instance que le CNE met en place sur ces sujets.

Quant aux quarante-deux indicateurs élaborés par la Commission européenne, ils sont soumis à un contrôle de qualité. Ne figurent sur la liste que ceux qui sont comparables d'un Etat membre à l'autre, et couvrent cinq années.

La réflexion sur la comparabilité doit donc être poursuivie.

2. La territorialisation de l'évaluation

Le gouvernement avait souhaité que les trois niveaux de collectivités territoriales - régions, départements et communes - soient représentés au sein du CNE pour qu'elles puissent exprimer un point de vue sur le choix et la méthodologie des sujets. Or, ces trois niveaux ont peu participé, à l'exception du niveau communal, pendant la première année. Cela est regrettable, même si, dans la composition des instances d'évaluation, figurent très régulièrement des acteurs locaux.

Pour certaines évaluations toutefois, telles que celle sur la sécurité routière, on a pu instaurer une démarche itérative entre le diagnostic local et le diagnostic national.

Pour promouvoir l'évaluation à un échelon infra-régional, on pourrait souhaiter que les régions jouent un rôle pédagogique pour qu'à leur tour, les pays, les agglomérations et les collectivités infra-régionales commencent à s'évaluer et à mieux mesurer l'efficacité des politiques qu'ils mettent en oeuvre. Actuellement, en effet, la mobilisation des compétences est souvent malaisée.

Toutefois, quelques régions ont déjà avancé sur cette voie. C'est ainsi que la convention d'exécution, de suivi et d'évaluation du contrat de plan Etat-région du Nord - Pas-de-Calais souligne que la dimension territoriale du suivi des politiques nécessite, de la part de chaque partenaire, la fourniture et l'échange d'informations localisées géographiquement. Un comité de pilotage partenarial local a été constitué : chargé de valider les programmes et plans d'action annuels proposés par les structures territoriales intéressées, il est composé d'élus représentant le territoire (agglomération, ville, pays), de représentants de l'Etat, de la région et du département. Au niveau régional a été mis en place un groupe technique de programmation et de suivi du volet territorial.

D. QUELLES SUITES À DONNER ?

Les évaluations n'ont de sens que pour orienter des politiques futures, c'est pourquoi d'ailleurs les autorités politiques doivent pouvoir en disposer dans un délai relativement bref, comme on l'a souligné.

1. La publicité

Les évaluations réalisées dans le cadre des CPER ne sont pas toutes publiées. Il faut l'accord du président et du préfet de région. Cette non-diffusion relative est un problème important, qui a d'ailleurs été évoqué devant le CNADT.

C'est une question éminemment politique, que se posent en particulier les régions, puisque les évaluations, une fois connues, alimenteront le débat politique. Il est vrai, d'ailleurs, que plus l'unité sur laquelle on travaille est restreinte, plus l'impact de l'évaluation risque d'être fort. Il peut être plus dangereux d'évaluer une politique communale dans une commune moyenne qu'une politique sectorielle dans une région.

Certaines régions ont tranché. Le Limousin a choisi de communiquer chaque année au conseil régional en séance plénière les résultats des évaluations effectuées. Les signataires de la convention de suivi du contrat de plan Etat-région du Nord - Pas-de-Calais se sont engagés à publier les travaux d'évaluation dans un délai maximal de quatre mois après validation, afin qu'ils gardent leur valeur et leur utilité.

Ces publications, malgré les craintes qu'elles peuvent faire naître du fait de leur nouveauté, sont en effet réellement souhaitables, dans la mesure où elles permettent un véritable travail pédagogique en direction des citoyens qui seront, de ce fait, mieux informés et qui pourront apprécier la transparence de l'action politique.

Il faudra peu à peu les faire accepter. Il est vrai que des progrès restent à réaliser, comme on a pu le constater avec les programmes de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) que les agences de l'eau acceptent difficilement, car elles les considèrent parfois comme une mise en cause de leur action.

Les évaluations peuvent être un moyen de remédier aux difficultés du débat public. Une évaluation bien conduite peut alimenter un débat public plus sain.

2. L'éventuelle inflexion des politiques

Les suites sont la raison d'être de l'évaluation, qui ne doit surtout pas exister pour elle-même. Les conclusions des évaluations devraient être toujours intégrées dans le calendrier de décision politique. C'est ainsi qu'on constate une très grande hétérogénéité des situations selon les régions à propos de la connexion entre évaluation et prospective. Rares sont les régions où les deux types de travaux sont également développés et où la prospective peut se nourrir de l'évaluation, comme en Limousin.

On ne peut que déplorer que les liens entre évaluation et contractualisation n'aient pas été assez développés à l'occasion du renouvellement des contrats de plan en 2000.

Une réflexion est engagée par le CGP et la DATAR sur les suites à donner aux évaluations des contrats de plan, une lettre devant être transmise au début de l'année au Premier ministre sur la procédure à suivre pour en intégrer les conclusions dans la négociation de 2003.

Pour les évaluations nationales interministérielles achevées, il existe un suivi institutionnel : le CGP fait des propositions au Premier ministre. Indépendamment de cette procédure formalisée, il existe beaucoup de contacts entre les instances d'évaluation et les milieux ministériels concernés.

Le plus souvent, donner des suites à une évaluation n'est pas aisé, au niveau régional, et encore moins au niveau national.

Les évaluations n'ont pas toujours suffisamment d'impact sur les décisions politiques, même si, parfois, évidemment, certaines d'entre elles ont permis de corriger les politiques entreprises : il en est ainsi, par exemple, pour le dispositif de formation professionnelle du Nord - Pas-de-Calais. Mais souvent, les retombées ne sont pas satisfaisantes pour plusieurs raisons.

Il faut ne pas oublier que les propositions d'une évaluation sont une information intéressante, mais qu'elles ne constituent pas un programme politique. L'autorité politique doit conserver son autorité de décision et c'est pourquoi certains élus peuvent montrer de la réticence à publier les travaux réalisés. Ils ont en effet la crainte que l'évaluation n'induise une perte de leur autonomie politique, alors qu'elle est, en fait, un outil pour la prise de décision. Il ne faudrait d'ailleurs pas que les experts réalisant les évaluations, l'on passe d'une démarche politique à une démarche d'experts.

Les suites peuvent également être malaisées à décider car il est plus facile de décrire, dans un rapport, ce qu'il faudrait faire dans l'idéal que de le réaliser ensuite, dans la mesure où il faut tenir compte du contexte, des partenaires, de l'impact sur les autres politiques : ainsi des mesures visant à protéger l'environnement peuvent avoir un impact négatif sur la répartition des revenus, l'emploi, la compétitivité des entreprises. Des problèmes très interdisciplinaires peuvent freiner les réformes. D'autres, tels que le développement durable, peuvent relever d'enjeux mondiaux. Il est donc difficile, à partir d'une évaluation, de réorienter une politique, d'infléchir un dispositif ou d'en changer.

Enfin, les conclusions des évaluations ne sont pas toujours faciles à analyser. Si, par exemple, en évaluant les aides à l'emploi, on remarque que ces aides n'ont suscité "que" 30 % de créations d'emplois, on peut avancer beaucoup d'analyses : on peut estimer que cela a permis de créer 30 % d'emplois en plus, mais aussi que cela a représenté un coût par emploi exorbitant. Faut-il se réjouir des résultats obtenus, ou les trouver trop faibles ? L'interprétation des chiffres en politique est toujours complexe.

Les suites dépendent également de la qualité de l'évaluation. Dès l'établissement du cahier des charges de l'évaluation, on doit se poser la question des suites. De la précision de ce document et du questionnement dépend l'intérêt de l'évaluation. Il faut, dès ce niveau, retrouver les objectifs fondamentaux de la politique menée, se poser la question des résultats attendus, des indicateurs les plus adaptés.

De même, du fait de la multiplicité des acteurs, il est difficile d'établir les responsabilités de chacun.

L'implication des élus devra probablement se renforcer, non seulement tout au long du processus de l'évaluation mais également et surtout dans la définition des suites à lui donner. Le rapport sur les évaluations en Limousin formule à cet égard plusieurs propositions intéressantes : proposer au vote de l'assemblée régionale un texte établissant les règles du jeu de l'évaluation, présenter le rapport d'évaluation aux élus des commissions spécialisées ainsi qu'en séance plénière et le soumettre au débat, et en faire de même avec le programme des évaluations futures.

E. LES PROGRÈS À RÉALISER

1. L'évaluation des contrats de plan

Le démarrage de l'évaluation des contrats de plan 2000-2006 s'est avéré difficile en 2000 parce que les sections spécialisées des CRADT n'étaient pas constituées. On a ensuite constaté un rattrapage puisque, en 2001, l'équivalent de plus d'une année de crédits a été délégué aux régions. Toutefois, force est de constater que l'évaluation des contrats de plan n'a pas commencé selon le même rythme dans toutes les régions.

Le dialogue entre la région et l'Etat varie considérablement selon les cas. L'évaluation est parfois partagée (par exemple, en Basse Normandie, dans le Nord - Pas-de-Calais) ; dans ce cas, les deux partenaires -Etat et région - se mettent d'accord sur une méthode de présentation, avec des tableaux communs validés par les deux.

Dans le cadre d'une évaluation partagée, la région peut faire appel à des prestataires privés. L'Etat et la région peuvent même se mettre d'accord sur les outils externes à employer.

Le plus souvent, le dialogue est moins avancé : l'évaluation partagée reste minoritaire.

De surcroît, le Commissariat général du Plan n'a pas fourni de cadres précis, si bien que les travaux différent beaucoup d'un cas à l'autre. Parfois chacun des deux partenaires évalue de son côté, parfois même, la région ne se livre pas à ce type d'exercice.

Quant à l'articulation entre les contrats de plan et les fonds structurels, elle risque d'être malaisée. Les objectifs ne sont pas tous les mêmes. Or les crédits des contrats de plan doivent servir de contrepartie nationale aux crédits des fonds structurels et la Commission européenne a demandé à ce que la preuve soit faite de la cohérence entre les deux. En revanche, du fait du principe de subsidiarité, la Commission n'a pas de droit de regard sur les contrats de plan.

Pour parvenir à une meilleure compatibilité entre CPER et DOCUP, une étude a été lancée par la DATAR sur la définition d'une grille d'objectifs harmonisée entre CPER et DOCUP afin de disposer d'un système simple et efficace de suivi financier par objectif.

Pour la première fois, en effet, les deux procédures -contrats de plan et programmes régionaux cofinancés par les fonds structurels communautaires - coïncident étroitement sur la période 2000-2006. Le but est donc de rendre compte des objectifs effectivement retenus dans les documents contractuels, de cerner le degré d'intervention et de complémentarité des deux modes d'intervention, d'organiser le suivi de la mise en _uvre de ces programmes grâce à un dispositif de collecte d'informations harmonisées provenant des régions, et, enfin, d'agréger des données régionales à l'échelon national.

L'étude devrait donc permettre de constituer une base initiale de connaissances pour assurer le suivi des CPER et des DOCUP, de comparer le contenu des programmes et de vérifier la cohérence géographique des interventions.

La mise en place de la base de données de la DATAR sur un site Internet à accès personnalisé et sécurisé permettra de disposer d'un outil unique pour les différents acteurs du suivi.

La plus grande transparence du suivi des crédits de l'Etat réalisée grâce aux différentes mesures mises en _uvre pose la question du suivi de ceux des régions. Ce problème va être examiné par le groupe de travail constitué par la DATAR.

Le calendrier de l'évaluation correspondant à une plus longue période que celui du suivi de la mise en _uvre des crédits, la DATAR et le Commissariat général du Plan auront à étudier l'articulation des données de l'évaluation et du suivi, notamment à l'occasion de la révision à mi-parcours.

2. Les schémas de services collectifs

Les schémas de services collectifs prévoient - à des degrés différents, il est vrai, et selon des modalités variables - qu'un suivi sera réalisé. L'évaluation dans ce domaine reste souvent encore limitée. Il faudra donc la développer afin que ces schémas puissent suivre au plus près l'évolution du secteur qu'ils couvrent. Une cohérence est souhaitable entre contrats de plan, DOCUP et schémas.

Le bilan intermédiaire réalisé à propos des contrats de plan et des DOCUP pourrait servir de base à la première révision des schémas, puisqu'ils sont révisables à tout moment. Par exemple, les schémas sur les transports pourraient être plus précis à propos de l'internalisation des coûts, et au sujet du doublement du transport du fret. Le schéma de l'information et de la communication aurait d'autant plus besoin d'être révisé qu'il s'agit d'un domaine dans lequel les évolutions sont très rapides, de même que celui sur la recherche. Quant au schéma sanitaire, il pourrait approfondir la réflexion sur la présence médicale sur le territoire.

3. Le recueil de l'information

Le recueil de l'information reste parfois difficile, malgré les progrès réalisés. Même au niveau central, il faut consacrer beaucoup de temps et des moyens financiers importants pour recenser les crédits et les indicateurs disponibles.

En ce qui concerne l'aménagement du territoire, toutefois, la refonte du système d'information du ministère a été engagée en 2001 et se poursuivra jusqu'en 2003. Elle porte en particulier sur l'amélioration du suivi financier et de l'aide à l'évaluation dans le cadre des programmes. Par exemple, il conviendra d'évaluer l'attribution de la prime à l'aménagement du territoire (PAT) dont les critères ont changé, et de réaliser le suivi des politiques décidées dans le cadre des comités interministériels de l'aménagement et du développement du territoire (CIADT).

A ceci s'ajoute l'amélioration du système informatique de suivi physique par objectif qui permettra de déceler les écarts dans la mise en oeuvre des programmes relatifs aux CPER et aux DOCUP.

Enfin, l'observatoire proposé en 2002 par la DATAR et le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement tentera de rassembler les indicateurs disponibles en France et en Europe pour recenser les effets de nos politiques dans les territoires.

En région, le problème reste d'autant plus aigu que les collectivités territoriales ne peuvent souvent travailler qu'avec des données de l'INSEE qui leur sont facturées. L'Etat est parfois amené à financer des systèmes d'information locaux qui, en fait, ne correspondent qu'au paiement de bases de données de l'INSEE.

Par ailleurs, dans beaucoup de domaines, on constate encore un manque de connaissances scientifiques, des lacunes importantes, par exemple, quant à la compréhension des conséquences de l'activité humaine sur les écosystèmes terrestres et humains. On ne sait pas encore vraiment mesurer la biodiversité. Les informations sur la réversibilité ou l'irréversibilité de certains phénomènes font défaut. Ce sont autant d'obstacles à l'évaluation.

Un travail substantiel reste donc à accomplir pour développer des indicateurs fiables et reconnus de tous. Des recherches scientifiques doivent donc être poursuivies sur de nombreux thèmes afin de parvenir à une meilleure connaissance de certains phénomènes.

4. L'évaluation dans les départements d'outre-mer

Il existe d'autre part une difficulté propre à l'évaluation dans les DOM : elle coûte beaucoup plus cher, car il faut y envoyer des équipes. Il en résulte qu'on utilise les données locales, si bien qu'on ne dispose pas forcément du recul suffisant pour une évaluation. A cet obstacle s'ajoute le fait que, le plus souvent, les experts ne connaissent pas forcément parfaitement les législations spécifiques.

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

Au cours de sa séance du mardi 12 février 2002, la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a examiné le rapport de M. Philippe Duron, Président, sur l'évaluation des politiques publiques et les indicateurs du développement durable.

M. Philippe Duron, Président, a rappelé que la Délégation avait tenu des réunions nombreuses et régulières depuis sa création au second semestre de 1999, publié quatre rapports sur des sujets dont elle s'était auto-saisie et dix avis sur les schémas de services collectifs. Il a remercié de leur travail les membres de la Délégation, ainsi que les personnels de l'Assemblée qui y ont participé.

M. Philippe Duron a ensuite présenté son rapport, soulignant que l'évaluation était devenue un élément indispensable de la planification territoriale et qu'elle avait vocation à s'inscrire dans les habitudes administratives françaises.

L'évaluation est une démarche novatrice. Importée des Etats-Unis au cours des années 1970, elle a surtout reçu une véritable impulsion de l'Union européenne qui a lié l'octroi des aides à une appréciation exacte des avantages à retirer d'un projet par rapport aux ressources mobilisées.

En France, l'évaluation a été relancée par le décret du 22 janvier 1998 qui a créé le Conseil national de l'évaluation. Celui-ci, prenant la suite du Conseil scientifique de l'évaluation, a été ouvert à la société civile et aux collectivités territoriales ; il propose au Premier ministre un programme annuel. Quinze évaluations ont ainsi déjà été réalisées. Quant à la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, elle facilitera le développement de cette démarche grâce au remplacement des chapitres budgétaires par des programmes.

L'évaluation des contrats de plan Etat-région se caractérise par une procédure renouvelée : des crédits d'Etat sont prévus à cet égard et le principe du financement à parité avec les collectivités territoriales est réaffirmé. L'évaluation des contrats de plan devra être prise en compte pour leur révision en 2003 ; il devra en être de même pour celle des documents uniques de programmation européens (DOCUP). Les préfets devront dresser un bilan des années 2000 à 2003.

Certaines régions sont particulièrement dynamiques pour évaluer leurs politiques. C'est le cas, par exemple, de la Bretagne, du Nord -Pas-de-Calais, du Limousin, des Pays de la Loire. Il s'est avéré que l'évaluation était d'autant plus intéressante que son coût n'était pas très élevé, eu égard à celui des politiques concernées.

L'évaluation est essentielle pour promouvoir le développement durable, défini par la circulaire du 11 mai 1999 comme un mode de croissance qui garantit à la fois, et à long terme, le progrès économique, social et environnemental de la société. Pour atteindre cet objectif, il faut estimer l'impact de chaque projet, grâce notamment à la mise en place d'indicateurs appropriés. En France, l'Institut français de l'environnement (IFEN) a construit une batterie d'indicateurs en neuf modules. L'OCDE propose des indicateurs pour les domaines économiques, sociaux et environnementaux, regroupés en indicateurs de ressources et indicateurs de résultats, ou même en un indicateur unique ; elle souligne que l'important est de confronter les indicateurs afin de dégager des politiques "gagnant-gagnant" (c'est-à-dire positives dans ces trois domaines à la fois). La Commission européenne a présenté une liste de quarante deux indicateurs structurels. Toutes les propositions majeures devront être soumises à une étude d'impact sur le développement durable.

L'évaluation reste toutefois une démarche embryonnaire. L'acculturation, nécessaire, demeure incomplète. Elle paraît trop souvent synonyme de contrôle : il faudra s'attacher à démontrer qu'il s'agit d'une approche positive, destinée au contraire à aider. La mobilisation des compétences est malaisée, il semble donc important de créer une véritable filière d'évaluateurs. L'évaluation doit en outre davantage tenir compte des usagers, qui ne sont actuellement pas assez entendus et pourraient utilement apporter des suggestions.

Les délais restent souvent trop longs, de l'ordre de quinze à dix-huit mois pour les évaluations nationales ; le développement de l'évaluation ex ante pourrait permettre de les réduire.

L'homogénéité éventuelle des indicateurs suscite le débat : le Commissariat général du Plan, par exemple, estime que chaque évaluation doit générer ses propres indicateurs. Cet avis n'est pas toujours partagé : le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement s'est prononcé au contraire en faveur d'indicateurs homogènes. La comparaison des politiques grâce à des indicateurs similaires semble souhaitable, même s'il faut pouvoir tenir compte des spécificités régionales. D'ailleurs, la territorialisation de l'évaluation doit être mise en place, et les régions ont un rôle important à jouer à cet égard.

La suite à donner aux évaluations est un problème essentiel. Leur publication faciliterait le débat public. Il conviendrait de mieux mettre en évidence le lien existant entre évaluation et prospective. L'infléchissement des politiques après l'évaluation est délicat, car cette dernière est difficile à interpréter, et elle ne peut constituer, en elle-même, un programme politique.

Quant aux schémas de services collectifs, l'évaluation des contrats de plan qui sera réalisée en 2003 pourrait constituer une base opportune pour les revoir, tout au moins ceux d'entre eux qui couvrent un domaine évoluant rapidement, comme la recherche ou les technologies de l'information et de la communication.

Le recueil des données n'est pas toujours aisé, malgré les progrès réalisés. Cette année, un observatoire tentera de rassembler les indicateurs disponibles en France et en Europe pour recenser les effets de nos politiques dans les territoires.

Enfin, l'évaluation dans les DOM n'est pas assez développée, car elle coûte cher, et les experts connaissent mal les législations spécifiques.

M. Jean-Michel Marchand a souligné qu'il était nécessaire d'inventer de nouveaux indicateurs, différents de ceux qui existaient précédemment pour mieux tenir compte du développement durable et de l'économie solidaire. Le produit intérieur brut ne peut plus être le seul indicateur. En effet, alors que certains pays souhaitent une "autre mondialisation", on ne peut plus se référer aux indicateurs existants.

M. Philippe Duron, Président, a souligné que cette démarche commençait à être engagée. Par exemple, l'Institut français de l'environnement propose une structure d'indicateurs en neuf modules, afin d'évaluer dans quelle mesure un certain mode de développement peut satisfaire les besoins des générations futures, grâce à un renouvellement approprié des différentes formes de capitaux et de patrimoines. L'OCDE confronte plusieurs types d'indicateurs, par exemple économiques et sociaux, économiques et environnementaux, pour montrer l'efficacité des politiques en termes de développement humain.

M. Pierre Cohen a fait remarquer que l'évaluation était trop souvent ressentie de la part des agents dont les travaux étaient évalués comme un contrôle ou une remise en cause de leurs actions. Il a jugé indispensable que l'évaluation soit effectuée en amont, de telle sorte qu'un projet se construise avec ses propres moyens d'évaluation, afin que les acteurs d'une politique s'évaluent eux-mêmes. Il a souligné qu'en ce qui concerne la politique de la ville, on ne disposait pas à cet égard de méthodologie satisfaisante.

M. Philippe Duron, Président, a précisé que les différents acteurs devaient être impliqués dans l'évaluation, ce que souhaite d'ailleurs la Commission européenne à propos de la mise en _uvre des documents uniques de programmation. Il a souligné qu'on était très encore très loin en France des évaluations qualitatives, qu'on manquait d'expertises, de spécialistes pour les mettre en _uvre, d'une culture de l'évaluation, les agents concernés n'ayant pas conscience que c'était un outil pouvant les aider à construire des tableaux de bord afin de rendre leurs travaux plus efficaces.

M. Henri Nayrou a indiqué que les citoyens demandaient de plus en plus de comptes aux élus, qui eux-mêmes en réclament aux gestionnaires ; les uns et les autres s'émeuvent du décalage entre la décision prise et les effets obtenus. Il a souhaité l'élaboration d'indicateurs précis. Il a ajouté qu'à l'heure du bilan, il tenait à souligner qu'il avait apprécié le travail fourni par la Délégation depuis sa création.

M. Jean-Michel Marchand a estimé que la Délégation avait montré son utilité et a souhaité qu'elle poursuive ses travaux lors de la prochaine législature.

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a autorisé à l'unanimité, en application de l'article 7 de son règlement intérieur, la publication du rapport sur l'évaluation des politiques publiques et les indicateurs du développement durable.

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR

LA DÉLÉGATION

- 19 décembre 2001 :

- M. Yves Cousquer, Président du Conseil national de l'évaluation

- Mme Véronique Chanut, Rapporteure générale du Conseil national de   l'évaluation

- Mme Véronique Hespel, Commissaire adjointe au Plan.

- 16 janvier 2002 :

- M. Robert Savy, Président de la région Limousin, Président de la Commission permanente du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire.

- 22 janvier 2002 :

M. Yves Cochet, Ministre de l'aménagement du territoire et de   l'environnement.

- 23 janvier 2002 :

- Mme Martine Durand, Directrice adjointe du Cabinet du Secrétaire général de l'OCDE.

- 29 janvier 2002 :

- M. David Grant Lawrence, directeur de l'environnement à la Commission européenne.

PERSONNALITE ENTENDUE PAR LE PRÉSIDENT

- M. Yves Duruflé, Conseiller technique au cabinet du Premier ministre.

CONTRIBUTION ÉCRITE

- Conseil régional du Nord - Pas-de-Calais

AUDITIONS

Audition de M. Yves Cousquer, Président du Conseil national de l'évaluation,

Mme Véronique Chanut, Rapporteure générale du Conseil national de l'évaluation, et Mme Véronique Hespel, Commissaire adjointe du Plan

Réunion du mercredi 19 décembre 2001

Présidence de M. Philippe Duron, Président

M. le Président : Nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui, puisque la Délégation a souhaité réaliser une série d'auditions sur l'évaluation des politiques publiques, mais aussi sur les indicateurs de développement durable, deux éléments qui nous avaient amenés à beaucoup nous interroger lors de la préparation de la LOADDT du 25 juin 1999 et lors des avis sur les schémas de services collectifs. En effet, ceux-ci comportaient des dispositifs d'évaluation, mais nous avions constaté une grande disparité entre les dispositifs prévus dans chacun de ces schémas de services collectifs.

Le Conseil national d'évaluation (CNE) a été créé en 1998 et le Commissariat général du Plan travaille en étroite collaboration avec lui. Vous avez déjà traité de très nombreux sujets : la ressource en eau, les emplois jeunes et l'aide à l'emploi dans le secteur non marchand, et votre rapport annuel de 1999 en a tiré les premières conclusions.

Ce matin, je souhaiterais d'abord que, trois ans après la création du CNE, vous puissiez faire le point sur vos travaux, sur les difficultés rencontrées, notamment sur le plan méthodologique, sur les résultats obtenus, bien sûr, et sur les suites que vous entendez apporter à ces études.

Notre Délégation s'intéresse aussi aux pistes qui pourraient être suivies à l'avenir afin d'améliorer les dispositifs existants.

Je propose que vous nous fassiez un exposé liminaire sur les travaux du Conseil national d'évaluation et qu'ensuite, nous puissions avoir un échange sur les difficultés et les perspectives de ce sujet assez nouveau mais assez complexe.

M. Yves Cousquer : Merci, Monsieur le Président. Je m'exprimerai tout d'abord en tant que Président du Conseil national d'évaluation et Mme Véronique Hespel interviendra après moi en tant que Commissaire adjointe du Plan, le Commissariat au Plan ayant, vis-à-vis du Conseil, un rôle de secrétariat mais aussi, vis-à-vis du gouvernement, un rôle plus large qui est d'impulser et de mettre en _uvre une politique d'évaluation au sein de l'appareil d'Etat. Cela se marque dans les responsabilités respectives du Conseil national d'évaluation et du Commissariat au Plan.

C'est un décret du 18 novembre 1998 qui a relancé l'évaluation, le dispositif du CNE succédant au dispositif du Conseil scientifique d'évaluation, qui avait été mis en place en 1989 par le gouvernement de M. Michel Rocard.

Le rôle du CNE est double : il consiste à proposer au Premier ministre un programme annuel d'évaluations qui sont mises en place par les soins du Commissariat général au Plan, sur la base du cahier des charges proposé par le CNE au Premier ministre, et le Conseil national d'évaluation formule un avis sur les évaluations une fois terminées. Il appartient alors au Commissariat général au Plan - Mme Véronique Hespel va le détailler - de formuler des recommandations au gouvernement, donc au Premier ministre, sur les suites à donner à ces évaluations.

J'éprouvais le besoin de faire état de ces éléments de base du CNE, mais je pense que cela mérite d'être replacé dans la politique d'évaluation conduite au sein de l'Etat par le Commissariat Du Plan.

Mme Véronique Hespel : Nous nous étions dit qu'il était peut-être utile de replacer les problèmes les uns par rapport aux autres, parce que tout cela n'est pas d'une lisibilité évidente. J'avais donc proposé à M. Yves Cousquer et à Mme Véronique Chanut de commencer par une présentation des dispositifs d'évaluation dont le Commissariat du Plan a la charge, de vous montrer le chemin que nous avons essayé de parcourir, puis de vous faire part de nos difficultés concrètes et, enfin, de vous parler de nos chantiers de l'année 2002.

Par ailleurs, M. Yves Cousquer insistera davantage sur les inflexions de jurisprudence que, d'un commun accord, nous avons essayé de donner à l'évaluation au sein du CNE, qui est la tête de pont pensante de toute cette politique.

M. le Président :C'est la structure de validation.

Mme Véronique Hespel : C'est la structure d'impulsion et de validation, étant entendu que nous sommes entièrement d'accord sur les inflexions qu'il faut donner.

Au passage, quitte a être un peu longue ou à le développer ensuite devant vous, j'essaierai de vous faire apparaître ce qui existe en région.

Concernant cette relance des procédures d'évaluation, nous gérons deux textes et deux procédures dont la philosophie d'ensemble mérite d'être rappelée, l'un relative aux évaluations interministérielles, l'autre à celles des contrats de plan.

Les textes sont le décret du 18 novembre 1998 et la circulaire du 28 décembre de la même année, qui fixent la procédure d'évaluation interministérielle des politiques publiques. Trois points ont changé particulièrement.

Premièrement, le Conseil a été renouvelé dans sa composition, puisqu'il fait place à des représentants de la société civile, avec trois représentants du Conseil économique et social (CES), en la personne de M. Jean-Claude Bailly, de M. Edouard Salustro et de M. Jean-Claude Bury, et des collectivités territoriales, avec trois représentants de chacune des grandes associations de collectivités, dont on peut souligner au passage que la participation n'a pas toujours été très grande.

Deuxièmement, la procédure de sélection des sujets d'évaluation a été renouvelée et assouplie par rapport à la précédente, un peu au-delà des textes, d'ailleurs. Nous associons assez en amont le CNE dans la procédure de détermination des sujets, mais c'est le Plan qui doit susciter les demandes des différents ministères ; le CNE approuve le cahier des charges et propose le programme qui, lui, est arrêté par le Premier ministre et non plus en comité interministériel, comme auparavant.

Troisièmement, la procédure de suite est un peu différente puisque, d'une part, on fait apparaître dans le rapport non seulement l'avis du CNE mais aussi celui des ministères qui précisent les suites qu'ils envisagent de donner au rapport et que, d'autre part, le Commissariat au Plan est en principe chargé de proposer des suites au Premier ministre. Cependant, le texte ne dit pas ce que fait ensuite le Premier ministre, alors qu'auparavant, un comité interministériel était mis en place.

Dans cette procédure d'évaluation interministérielle des politiques publiques, le rôle du Commissariat consiste à  :

- collecter les propositions des ministères et des associations de collectivités,

- les aider à élaborer les cahiers des charges selon les orientations du CNE, ce qui est un lourd travail, parce qu'en réalité les ministères n'ont pas toujours les moyens de le faire,

- arrêter la composition des instances sur la base des orientations du CNE, en s'efforçant de faire respecter le principe de représentation suivant : un tiers d'administrations, un tiers d'experts universitaires et un tiers d'acteurs ; nous essayons, en effet, d'introduire des représentants de collectivités territoriales, des établissements publics et des associations d'usagers, et c'est une formule satisfaisante (sachant que le Premier ministre donne une contrainte importante mais utile, que nous n'avons pas tout à fait respectée dans la première phase et que nous essayons de respecter dans la seconde : le nombre des membres de l'instance ne doit pas être trop élevé, de l'ordre de douze ou quinze)

- faire fonctionner les instances, ce qui est assez lourd puisque cela comprend l'organisation des déplacements et des séminaires et, surtout, la passation des marchés d'études, (dont les conditions se sont nettement formalisées dans la période récente) ainsi que, une fois l'évaluation terminée, l'organisation de la conférence de presse et la définition des suites à donner.

La deuxième procédure est celle définie par la circulaire du 25 août 2000 et relative à l'évaluation des contrats de plan Etat-région, avec quatre caractéristiques essentielles à mes yeux.

La première, qui est profondément nouvelle, est la déconcentration au niveau régional de la gestion des crédits et la substitution d'un contrôle a posteriori de l'utilisation des crédits au contrôle a priori qui existait auparavant. C'était une demande forte de tous les échelons régionaux. Il faut en effet savoir que les crédits sont en grande partie délégués, en dehors d'une enveloppe conservée au niveau central pour éventuellement encourager des régions qui vont plus vite que d'autres et redistribuer ces crédits.

La deuxième est l'intervention des commissions régionales d'aménagement et de développement du territoire (CRADT) dans les procédures de choix et de suivi, ce qui n'a pas été sans difficultés concrètes la première année.

La troisième est le rendez-vous fixé en 2003, qui est formellement prévu dans la circulaire. Le bilan des évaluations réalisées devra être pris en compte, normalement, dans la négociation de la deuxième phase des contrats de plan.

La quatrième consiste en deux éléments nouveaux : d'une part, l'accent sur la nécessité d'une programmation pluriannuelle des évaluations par les régions, puisqu'on développe plus facilement les crédits quand il existe une programmation pluriannuelle, en tenant compte du rendez-vous de 2003 ; d'autre part, une aide à la formalisation d'indicateurs globaux et d'évaluations ex ante des contrats de plan, ce qui a été beaucoup demandé par les régions dans la programmation 2001 et qui n'existait pas jusqu'à présent.

Voilà pour ce qui est de la présentation de ces deux procédures.

De facto, nous sommes arrivés, en trois ans, à impulser - mais c'est une oeuvre sans cesse recommencée pour laquelle il faut beaucoup d'énergie - le processus d'évaluation dans l'administration. Cela reste modeste, mais cette modestie est à apprécier au regard des résultats antérieurs.

Au niveau interministériel, nous avons fait approuver quinze évaluations en trois ans, contre neuf entre 1990 et 1998 (dont sept avaient été décidées en 1990 et 1991). Dans cette statistique concernant les années 1990 à 1998, je ne compte pas quatre évaluations qui avaient été décidées hors CSE et hors procédures. Pour être tout à fait exacte, je précise qu'il y en avait eu treize sur la période antérieure, dont quatre avaient été déjà lancées dans le cadre de procédures qui n'étaient pas aussi formelles que celles du CSE.

Nous en avons donc lancé quinze en trois ans, dont cinq la première année, en 1999, trois en 2000 et sept en septembre 2001. Cela représente beaucoup de travail.

Par ailleurs, en ce qui concerne les contrats de plan Etat-régions (CPER), le démarrage a été très difficile en 2000 parce que les CRADT n'étaient pas constituées et que la circulaire a donné lieu à des allers retours interministériels nombreux, mais nous avons rattrapé le retard en 2001 puisque, grâce à la nouvelle procédure, nous avons pu déléguer aux régions plus que l'équivalent d'une année de crédits. J'ai fait faire le point hier : nous avons délégué 11 102 000 F pour des crédits annuels de 9 150 000 F.

Cela dit, toutes les régions ne se sont pas mobilisées de la même manière et il faut relever une exception notable dans les départements d'outre-mer : l'évaluation n'a pratiquement pas commencé dans les DOM. En outre, au 26 octobre - et je précise que le point a été actualisé depuis -, trois régions métropolitaines ne s'y étaient pas lancées non plus, mais je précise que depuis, la région Poitou-Charentes s'est rattrapée.

M. le Président : Je n'ai rien vu à ce sujet dans la CRADT où je siège, en Basse-Normandie.

Mme Véronique Hespel : Cette région est en effet une des régions auxquelles je faisais allusion.

Nous disposons de très peu d'informations, à ce stade, sur la consommation effective en régions, puisque les crédits sont délégués, et nous avons peu d'informations sur les cahiers des charges approuvés sur la période 2001, ce qui est normal puisqu'il faut le temps de décider et de mettre les procédures en place. Nous commençons seulement à avoir quelques précisions.

Pour votre information, je vous précise que les thèmes les plus fréquents pour la période 1994-1999 étaient la politique de la ville, les aides aux entreprises, les aides à l'emploi et à la formation et les aides à l'agriculture, et que les thèmes les plus fréquents dans la programmation 2000-2006 sont ce qu'on appelle la "territorialisation" ou la politique territoriale, le thème de l'environnement, de nouveau le thème de la politique de la ville, de nouveau le thème des aides aux entreprises, de nouveau le thème de l'emploi et de la formation et, de façon beaucoup plus marginale, tout ce qui a trait aux infrastructures, sur lesquelles on rencontre des difficultés méthodologiques d'évaluation propres.

Quelles sont les difficultés concrètes auxquelles nous nous heurtons pour diffuser une culture d'évaluation ? J'en ai identifié trois mais il en existe certainement beaucoup d'autres.

La première est une difficulté culturelle pour comprendre la démarche. C'est une procédure qui est souvent ressentie, aussi bien au niveau central qu'au niveau local comme longue, lourde, complexe, dont on ne maîtrise pas forcément tous les effets et qui ne s'intègre pas toujours dans le processus de décision public et politique.

Dans le mot "évaluation", on entend souvent, dans notre culture française, le mot "contrôle", alors que ce n'est pas forcément l'esprit de la démarche évaluative, ou le mot "indépendance", ce qui ne plaît pas forcément aux préfets, aux élus ou aux administrations centrales. Une évaluation échappe aux décideurs et il est donc difficile de faire comprendre aux gestionnaires qu'ils ont intérêt à suivre la démarche.

Cela dit, on s'aperçoit, ce qui est positif, que ceux qui s'y lanceront sont plutôt ceux qui ont déjà fait l'expérience. Nos partenaires les plus fiables et les plus réguliers et ceux qui apportent le plus de sujets sont les ministères qui ont déjà de grandes directions de l'évaluation, comme le ministère de l'emploi et de la solidarité, avec la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et la direction de la recherche, des études de l'évaluation et des statistiques (DREES), celui de l'équipement et celui de l'éducation nationale. La relance de la direction de la programmation et du développement (DPD) fait que nous avons trouvé un partenaire très ouvert sur les sujets d'évaluation.

En revanche, certains ministères sont plus réticents, notamment le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qui n'a pas une culture d'évaluation forcément très ancrée, le ministère de l'intérieur, qui commence à se lancer dans des évaluations prudentes, et le ministère de la justice qui, lui, souffre surtout d'une culture de gestion embryonnaire ; l'indépendance juridictionnelle pose en outre forcément problème quand on veut lancer des procédures d'évaluation ou de contrôle de gestion.

Certaines régions sont très dynamiques et, pour nous, deviennent des réservoirs, puisque nous envisageons même de recruter certains de leurs initiateurs au niveau central pour bénéficier de leur expérience de terrain. Je pense au Nord/Pas-de-Calais, au Limousin, aux Pays de Loire et à la Bretagne, mais il en existe en a sûrement d'autres.

M. le Président : Vous êtes restée d'une parfaite neutralité, puisque vous avez cité deux exemples dans la majorité et deux exemples dans l'opposition.

Mme Véronique Hespel : L'évaluation traverse les partis politiques.

Par conséquent, il nous reste à accomplir un effort de pédagogie extrêmement important.

La deuxième difficulté est liée à la mobilisation des compétences en matière d'évaluation. En effet, le gisement en matière de compétences évaluatives n'est pas considérable chez les fonctionnaires ni dans les universités, et il faut bien dire que, pour les acteurs, c'est vraiment du chinois.

En ce qui concerne la constitution des instances, nous avons mis beaucoup de temps pour les deux premières années et moins de temps pour la troisième vague. En effet, le Parlement nous avait reproché d'avoir mis six à neuf mois pour constituer les instances, ce qui est vrai, et, cette fois-ci, nous avons réussi à le faire en trois ou quatre mois, mais il n'est vraiment pas facile d'arriver à attirer des présidents et des rapporteurs et à constituer le cocktail de gens qui représenteront des points de vue équilibrés au sein de l'instance, car nous attachons beaucoup d'importance à la diversité. C'est un vrai métier.

Pour ce qui est des équipes régionales, on constate que le milieu dans lequel on peut puiser est relativement restreint, aussi bien au niveau universitaire qu'au niveau des fonctionnaires et, que, de ce fait, on constate une très grande mobilité et instabilité des personnels qui s'occupent d'évaluation. On a l'impression que des équipes se constituent, mais il suffit que le pilier change pour que l'on soit obligé de tout reconstituer.

Parmi les pistes d'avenir lointaines - nous en avions parlé quand nous étions allés en Poitou-Charentes -, il nous semble important de créer une filière d'évaluateurs. Nous commençons à recruter quelques jeunes sortant des universités comme rapporteurs des instances, puisque nous avons eu trois postes créés dans la loi de finances, avec l'idée que, si nous formons des gens entre 25 et 30 ans, ils deviendront ensuite des relais.

Cela étant, je pense que, malgré tout, on se heurte à un problème de rémunération, puisque nous avons des règles assez contraignantes en ce qui concerne celle des chercheurs. Pour l'instant, au Plan, nous ne rémunérons jamais, ou très exceptionnellement. En effet, c'est encore un honneur et une chance du Plan de réunir des commissions et des présidents sans les rémunérer. C'est une question que nous n'avons jamais explicitement posée à la tutelle, mais nous nous la posons et nous voyons d'ailleurs apparaître dans les demandes de crédits des régions des demandes de rémunération des conseils scientifiques.

Le ministère des finances, qui fait partie de l'instance nationale d'évaluation, est réservé sur ce point. C'est donc un sujet à traiter.

De ce fait, on a recours à des prestataires privés, notamment dans les régions, qui sont formés aux méthodes européennes, alors que ce ne sont pas tout à fait celles que nous souhaitons voir développer en France. Nous y reviendrons.

Nous avons donc tout un effort de formation, de méthodologie et de développement des ressources humaines à engager.

Dans les mobilisations de compétences, un autre sujet encore plus important émerge : celui des systèmes d'information au niveau régional, mais également au niveau central, qui sont souvent insuffisants et non pertinents. Il nous faut, dans les évaluations, consacrer beaucoup de temps et d'argent pour recenser ne fût-ce que les crédits et les indicateurs disponibles.

En région, cela se double d'un autre problème : la prééminence des données INSEE facturées aux collectivités territoriales. Nous finançons quelquefois, par des crédits d'Etat, des mises en place de systèmes d'information locaux qui, en fait, ne correspondent qu'au paiement de bases de données INSEE. Je soumets à votre Assemblée ce sujet qui me paraît extrêmement important et qui n'a vraiment rien d'évident.

Enfin, nous avons de réelles interrogations sur les suites données aux évaluations. Le temps d'évaluation - souvent trop long par rapport à celui de la décision politique - entraîne une déception du politique, qui pense que les évaluateurs pourraient se dépêcher, et des déceptions des évaluateurs qui pensent que ce qu'ils font ne sert à rien puisque le politique a déjà décidé.

Malheureusement, il n'existe pas de solution simple. Nous nous apercevons en effet que si on veut mobiliser l'expertise universitaire, compte tenu des modes de passation des marchés et du consensus à établir dans une instance d'évaluation qui prend du temps, on ne sait vraiment pas le faire en moins de quinze à dix-huit mois, comme l'a demandé le Premier ministre. Le problème, c'est qu'en le faisant en quinze à dix-huit mois, cela implique de se priver, malgré tout, d'une certaine expertise universitaire, car rares sont les universitaires qui savent répondre en six mois à une question ou une interrogation.

Finalement, en respectant la contrainte de quinze à dix-huit mois, nous sommes de plus en plus - nous le constatons dans nos premiers appels d'offres d'instances nationales - dépendants de prestataires privés.

Or on sait qu'il nous faut maintenir trois sources d'information dans les instances.

La première est la source des inspections générales, qui nous permet malgré tout d'avoir d'excellents recensements des crédits et des pratiques, mais évidemment...

M. le Président : ...dans une vision pro domo ?

Mme Véronique Hespel : Pas toujours. En fait, ce sujet dépend beaucoup de l'indépendance des inspecteurs qui existent et aussi des sujets. Si vous demandez un recensement de crédits, l'inspection ne sera pas pro domo. Si vous commencez à demander des évaluations de pratiques territoriales, ce sera différent. Quand vous faites une inspection interministérielle, l'aspect pro domo disparaît. Cela donne donc un certain produit sur certains champs.

La deuxième source est la compétence des prestataires, mais vous savez tous comment cela peut se passer : c'est parfois un peu rapide ou cela consiste à plaquer une certaine grille de lecture, ce qui n'est pas excellent.

La troisième, c'est l'expertise universitaire mais, malheureusement, sur notre dernier appel d'offres sur le développement rural, nous n'avons pas eu une seule réponse d'universitaires, ce qui est complètement lié au délai. Cela dit, le temps est très important pour le politique, parce qu'une évaluation qui arrive trois ans après son lancement ne représente pas grand chose pour lui.

Le deuxième sujet, qui est plus propre aux évaluations des CPER, est la publicité. Toutes les évaluations ne sont pas publiées : il faut l'accord du président de région et du préfet de région et nous avons nous-mêmes parfois du mal à récupérer les évaluations financées. Les résultats ne sont donc pas diffusés. C'est un problème que j'avais posé devant le CNADT et je pense qu'il est relativement important.

Par ailleurs, les conclusions des évaluations ne sont pas toujours intégrées dans le calendrier de décision politique. C'est le problème de la connexion de l'évaluation et de la prospective dans les régions, où on constate une très grande hétérogénéité de situations. Dans certains endroits, l'évaluation est satisfaisante, et, dans d'autres, on est mieux armé en prospective, qui sont deux disciplines nouvelles pour les régions, et les connexions ne se font pas toujours, d'autant plus dans les endroits où il n'y a pas de prospective quand il y a de l'évaluation et pas d'évaluation quand il y a de la prospective.

Cela dit, je peux citer un exemple intéressant, celui du Limousin, où il y a eu une connexion des deux, mais c'est très rare.

J'ajoute que les liens entre évaluation et contractualisation ont été faibles à l'occasion du renouvellement des contrats de plan.

Enfin, les réponses souvent nuancées des évaluations ne sont pas toujours faciles à prendre en compte dans notre système de gouvernance. Par exemple, en évaluant des aides à l'emploi, on va considérer qu'il y a eu des effets d'aubaine et que ces aides n'ont suscité que 30 % de créations d'emplois. Evidemment, on peut avancer beaucoup d'analyses à propos de ce chiffre. On peut dire que cela a permis de créer 30 % d'emplois en plus, mais aussi que cela a représenté un coût par emploi exorbitant. L'interprétation des chiffres est toujours complexe et n'est jamais évidente en politique.

De même, comme l'évaluation est toujours transversale et fait apparaître des systèmes d'acteurs, il n'est pas complètement évident, quand on fait apparaître des corégulations, de définir ensuite le système de responsabilité qui va l'accompagner. Par conséquent, les réponses des évaluations ne sont pas des réponses forcément simples parce qu'elles posent des questions de gouvernance.

J'en viens aux projets de l'an 2002.

Premièrement, dans l'effort pédagogique, nous allons lancer une mise en réseau plus systématique et nous avons un projet de construction d'un site Internet aussi bien à propos des contrats de plan Etat-région que des évaluations CNE, sur lequel on pourra trouver la liste des correspondants, la liste des programmes, les cahiers des charges et les rapports publiés et publiables, site qui s'adressera aux conseils régionaux, aux conseils économiques et sociaux régionaux et aux préfectures de région. Nous avons lancé un questionnaire en juillet dont le taux de réponse est très positif.

Nous sommes aussi en train d'amorcer un rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations pour bénéficier de ses expertises dans le fonctionnement d'un site, avec l'idée qu'il faudrait ultérieurement créer des liens avec tous les sites des organismes publics qui font de l'évaluation. Il s'agit pour nous de constituer d'abord un noyau et de faire ensuite un site qui pourrait accueillir ou renvoyer sur d'autres sites dans ce domaine.

Deuxièmement, nous développons un appui méthodologique aux régions sur trois thèmes qui nous paraissent avoir été repris abondamment.

Sur la politique de la ville, nous engageons un partenariat avec la Délégation interministérielle à la ville (DIV) pour mettre au point un guide méthodologique de l'évaluation de la politique de la ville dans les contrats de plan, afin de bien articuler l'évaluation "ville" et l'évaluation "contrat de ville". Nous allons faire aussi une journée que l'on appellera "Info-Plan", en réunissant tous les secrétariats généraux des affaires régionales et les conseils économiques et sociaux régionaux, en mars, avec la DIV et dont nous espérons ensuite tirer le guide méthodologique.

Par ailleurs, nous allons lancer un guide méthodologique sur les aides aux entreprises en nous appuyant sur les travaux de la Commission de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises qui va être mise en place au Commissariat du Plan : nous espérons pouvoir faire bénéficier les régions de l'expertise qui va se développer à propos de l'aide aux entreprises.

Enfin, la direction des études économiques et de l'évaluation environnementale du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement est d'accord pour animer un groupe de réflexion sur les politiques environnementales.

Il faut savoir que l'élaboration d'un guide de méthodologie nécessite au moins un an si on veut le faire de façon concertée avec les régions.

En ce qui concerne le lancement d'une réflexion au sein du CNE sur le positionnement respectif des évaluations des fonds structurels et de l'évaluation des CPER, je laisserai peut-être M. Yves Cousquer en parler davantage, mais la Commission européenne ayant mis beaucoup de moyens humains alors que nous allons dégager des moyens informatiques pour les évaluations des fonds structurels, nous nous demandons si nous ne pouvons pas en tirer beaucoup d'enseignements, tout en conservant une grande robustesse ainsi qu'une grande fiabilité et en évitant certains travers de l'évaluation européenne. Nous y reviendrons.

Enfin, nous commençons seulement à réfléchir aux suites à donner aux évaluations réalisées. Nous engageons une réflexion avec la DATAR sur les CPER, sachant que nous allons transmettre, en janvier, au Premier ministre une lettre commune sur la procédure à suivre pour intégrer les évaluations dans la renégociation de 2003.

Pour les trois évaluations interministérielles terminées, nous commençons les contacts avec les administrations concernées pour proposer le "bleu" au Premier ministre. Il faut que vous sachiez qu'indépendamment de ce suivi institutionnel, il existe déjà beaucoup de porosité entre les instances d'évaluation et les milieux ministériels concernés. Pour l'instance "eau", par exemple, on a mobilisé tous les services dans une réunion administrative, et la Direction de l'eau est en train de demander, en liaison avec le Parlement, quelles seront les conséquences du projet de loi sur l'eau. Ce n'est pas institutionnel mais cela se passe ainsi.

De même, au cours d'une grande réunion, M. Robineau, président de l'instance de l'emploi non marchand, a présenté aux 200 participants de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) les conclusions de l'instance, avant même que nous ayons saisi le Premier ministre.

Nous voudrions poursuivre en territorialisant les évaluations nationales. Si nous réalisons notre guide de méthodologie environnementale, par exemple, il s'agira de tirer des enseignements de l'évaluation "déchets" et de l'évaluation "eau potable" dans le guide méthodologique que l'on fournira aux régions.

Ensuite, nous envisageons de recruter quelqu'un qui ne s'occuperait que de la diffusion des guides et des séances de formation locales.

Il faut savoir que la réflexion sur les suites à donner est compliquée dès l'amont, parce qu'on s'aperçoit que, dans le questionnement sur le cahier des charges et le choix du sujet, il faut se poser la question des suites, en termes à la fois de calendrier et de type de questionnement. A cet égard, nous rencontrons parfois des difficultés, parce que nous avons souvent de purs chercheurs qui sont intéressés par le seul côté intellectuel de la recherche sur un pan de politique publique.

La nouvelle jurisprudence du CNE à laquelle le commissariat général du Plan et complètement favorable consiste à avoir une démarche incarnée parfaitement par Mme Véronique Chanut qui mette l'accent sur l'évaluation pragmatique, sachant que c'est dans le questionnement évaluatif qu'il faut poser les problèmes.

Nous n'y sommes pas complètement arrivés dans les premières évaluations, mais, dans les dernières, nous essayons de bien montrer que l'évaluation ne se résume pas qu'à un problème intellectuel.

M. le Président : Pouvez-vous donner un exemple de la façon dont vous procédez ? Vous pourrez le faire tout à l'heure, si vous préférez.

Mme Véronique Hespel : Nous le ferons tout à l'heure, si vous le voulez bien.

Le commissaire m'avait demandé d'insister sur un sujet très important, mais il ouvre tout un débat alors que j'ai été déjà beaucoup trop longue et qu'à mon avis, M. Yves Cousquer va le développer bien mieux que moi ; il s'agit de notre grand chantier de l'année prochaine et des années ultérieures : savoir comment mieux connecter l'évaluation à la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

Je ferai une simple remarque (et c'est l'ancienne budgétaire qui parle) : je pense que ce serait tuer l'évaluation que de la connecter de trop près au contrôle de gestion. En revanche, elle peut, bien évidemment, s'appuyer sur tout ce qui va se mettre en place au titre du contrôle de gestion et être extrêmement utile pour aider à la construction de ces indicateurs de gestion dans les domaines dans lesquels ce sera difficile.

Ma deuxième remarque, c'est que, bien entendu, le lancement de programmes au sein de la réforme de l'ordonnance organique va nous permettre de bien mieux nous "caler" sur ces programmes approuvés par le Parlement, mais qu'il ne faudra peut-être pas oublier que le CNE est le Conseil national d'évaluation des politiques publiques et que les politiques publiques ne sont pas exactement des programmes.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'évaluation nous apporte la transversalité : l'action publique ne dépend pas que du seul acteur "Etat" et si, par conséquent, dans la réforme de l'ordonnance organique, on prévoit des indicateurs globaux associés aux seuls crédits de l'Etat, on faussera le jugement. En effet, il est évident que, pour évaluer la réussite de la politique de l'emploi, par exemple, on ne peut pas considérer seulement les crédits de l'Etat. En l'occurrence, l'évaluation peut être une aide, un positionnement intéressant et nécessaire pour ne pas enfermer la vision des crédits de l'Etat dans des démarches de type rationalisation des choix budgétaires.

M. le Président : Je vous remercie. Vous avez été complète pour une introduction à cette problématique. Voulez-vous que nous engagions dès maintenant la discussion ou que M. Yves Cousquer poursuive en parlant de la jurisprudence de l'évaluation ? Cela nous permettra d'avoir une discussion globale à la fin.

M. Yves Cousquer : Je vais continuer par les questions que vous avez posées, en particulier celle sur les critères de choix des sujets proposés à la décision du Premier ministre. Je reviendrai ensuite sur la dimension territoriale de ce que nous faisons, je dirai un mot de la philosophie de nos avis au terme des évaluations et, enfin, je ferai des observations plus diverses qui, peut-être, prendront place après vos questions.

Sur les critères de choix des sujets, nous avions d'abord à choisir à l'intérieur d'un ensemble assez vaste. En effet, avant même que le Conseil ne soit installé, en février 1999, la circulaire du Premier ministre avait invité les diverses administrations à proposer des thèmes d'évaluation. Nous nous sommes donc trouvés riches d'une trentaine de thèmes ou d'idées d'évaluation dès le départ.

Nous avons ainsi été amenés à faire une sélection pour déboucher sur les cinq thèmes de la première proposition de juillet 1999 en portant un avis sur l'opportunité de tel ou tel sujet, non pas pour son intérêt rétrospectif mais pour la place qu'il prendrait dans un processus de décision. L'évaluation devant éclairer l'action, certains thèmes nous paraissaient prioritaires par rapport à d'autres.

En même temps, tous les thèmes étaient loin d'être formulés d'une manière telle qu'ils puissent conduire à une évaluation dans les délais prescrits, c'est-à-dire de l'ordre de douze à dix-huit mois.

L'un des critères pour la qualité et le mûrissement des projets est l'implication des commanditaires. Même quand il s'agit de sujets interministériels, certains ministères sont plus porteurs du sujet que d'autres, et ce sont ces ministères qui ont à articuler les propositions du cahier des charges, qui est mis au point par le Commissariat du plan et ses commanditaires avec l'intervention du Conseil national d'évaluation.

J'avais fait le choix très tôt, dans le fonctionnement du Conseil national d'évaluation, d'assigner un binôme de rapporteurs internes au Conseil sur chaque sujet, afin que notre propre débat soit précédé du débat entre les rapporteurs, que nous n'ayons pas une pensée unique au sein du Conseil. On sait bien quels sont les mécanismes de fonctionnement des conseils et des commissions : quand on ne désigne qu'un rapporteur, on se fie largement à son opinion. Nous avons donc voulu cette dualité de rapporteurs par construction.

Il est difficile d'assurer cette dualité dans la durée. Or le binôme des rapporteurs n'est pas simplement là, au début, pour porter un avis sur un cahier des charges ou un questionnement mais pour assurer le suivi. Sans être membre de l'instance, il garde un _il sur l'instance et il a un rôle important au terme de l'évaluation, quand le Conseil produit un avis. Tout cela qualifie la robustesse du projet d'évaluation.

Le caractère interministériel des sujets est aussi l'un des critères de choix des propositions au Premier ministre. Certains thèmes étaient simplement ministériels et nous avons donc estimé qu'ils étaient intéressants mais que chaque ministère avait les moyens de les traiter par lui-même.

Il faut savoir que le financement de ces évaluations est partagé en deux moitiés : une moitié financée par le fonds national d'évaluation, que gère le Commissariat du Plan, l'autre moitié relevant des divers commanditaires.

Voilà ce que je peux dire sur les critères de choix des sujets, qui illustrent ce souci de pragmatisme dont parlait Mme Véronique Hespel tout à l'heure.

Cela débouche sur la composition des instances et le choix des présidents. De ce point de vue, on a évolué. Le premier groupe des instances avait donné lieu à une décision du Premier ministre en juillet 1999 et la mise en place des instances s'est échelonnée sur une assez longue période.

Cela a donc été assez long et nous nous sommes dit qu'il ne pouvait pas en être ainsi. Nous avons vu aussi les conditions dans lesquelles les présidents d'instance s'étaient appropriés les cahiers des charges et avaient hérité d'un projet qui avait été composé sans leur demander leur avis.

Nous avons donc "rectifié le tir" avec le deuxième peloton, sans vouloir "lécher" jusque dans le détail tous les cahiers des charges, en disant qu'il était plus important d'avoir un choix plus précoce des présidents d'instance pour une meilleure appropriation du sujet, d'abord par les présidents eux-mêmes, pour qu'ils constituent une équipe, en particulier celle des rapporteurs (le rapporteur général ou le rapporteur adjoint). C'est un gage de travaux plus rapides et cela se passe plutôt bien.

Nous aurons mis en place une bonne partie des instances avant la fin de l'année, en quatre mois, c'est-à-dire que nous avons gagné beaucoup de temps à cet égard.

Dans la dernière instance, dont j'assistais à l'installation, voici quinze jours, le président, dès la première réunion, connaissait bien le sujet, bien sûr, et proposait aux membres de l'instance, qui se réunissaient pour la première fois, un calendrier des travaux qui allaient embrasser une année d'exercice.

Voilà ce qui nous a conduits, en 1999, à choisir un sujet sur la protection de la ressource en eau et deux sujets sur l'emploi : les emplois jeunes et l'aide aux emplois non marchands. Ces trois études sont achevées ; deux ont été publiées (celle sur l'eau et celle sur les emplois jeunes) et celle sur les emplois non marchands le sera très bientôt, en janvier ou février.

Il était prévu deux autres études dans ce lot de 1999. La première concernait la politique de lutte contre le SIDA et elle était en fait programmée, puisque le programme à cinq ans sur le SIDA prévoyait une évaluation. En la retenant, nous étions donc conforme à l'esprit du programme, comme à une demande du conseil national du SIDA de 1996. Cependant quand cette disposition a été prise, l'arrivée heureuse des trithérapies n'avait pas été anticipée, or elle la complètement bouleversé la problématique dans ce domaine. Cela a eu des conséquences, pour la conduite de l'instance, pour la mobilisation des données qui a été particulièrement difficile et a conduit à un changement de président de l'instance : un épidémiologiste a passé la main à quelqu'un d'autre parce qu'il estimait, en son âme et conscience, qu'il n'avait pas suffisamment de données pour conduire valablement son instance.

Les conditions dans lesquelles il est venu présenter au CNE les raisons de sa démission étaient d'ailleurs en elles-mêmes une remarquable évaluation, une évaluation un peu "sauvage" dans sa forme mais très instructive pour les membres du CNE qui en étaient tous très impressionnés.

La deuxième instance d'évaluation difficile est celle qui concerne le logement dans les départements d'outre-mer. Il se peut que, dans l'ensemble des quinze évaluations dont nous avons parlé, celle-ci avorte, d'une certaine manière. Cela fait partie de la vie des évaluations.

M. le Président : Cela vient-il de la difficulté de mettre en place une méthodologie ou du refus des acteurs d'être évalués ?

M. Yves Cousquer : Cela ne vient pas d'un refus des acteurs, mais d'une difficulté propre au fonctionnement de l'instance qui a perdu, à la suite d'un décès, son rapporteur général il y a trois mois ; cela est venu s'ajouter à un cheminement cahoteux.

Mme Véronique Hespel : On constate une difficulté propre à l'évaluation dans les DOM : cela coûte beaucoup plus cher parce qu'il faut y envoyer des équipes et, souvent, les experts ne connaissent pas forcément très bien les législations spécifiques. De ce fait, on se repose sur les données locales, auquel cas on ne dispose pas forcément de l'objectivité requise pour une évaluation.

Il faudra réfléchir à la manière de résoudre ce problème. Les régions elles-mêmes ont la même difficulté.

M. Léonce Deprez : Tout d'abord, j'essaie de vous comprendre. Vous avez en effet un langage extraordinairement abstrait pour exposer votre méthodologie et il faut essayer de se brancher sur votre réflexion pour bien vous comprendre.

Deuxièmement, si je comprends bien, vous avez une fonction qui domine plusieurs thèmes, dont celui de l'aménagement du territoire, et nous sommes ici que compétents en matière d'aménagement du territoire. C'est bien cela, monsieur le Président ?

M. le Président : Nous évaluons aussi les politiques publiques.

M. Léonce Deprez : D'accord. Troisièmement, je suis élu régional. Alors que le corps des fonctionnaires régionaux dispose d'esprits instruits, éduqués et ouverts à toutes ces évaluations, je ne comprends pas pourquoi on ne fait pas d'abord appel à ceux qui, à longueur d'année, traitent ces questions et devraient logiquement réaliser l'évaluation des résultats des actions menées tant au niveau de l'Etat que de la région.

Je peux parler du contrat de plan Etat-région, sachant que j'ai présidé une commission régionale pendant des années et que j'ai demandé sans arrêt quelles étaient les évaluations réalisées. En tant que président de la commission, j'ai essayé de traduire cela en langage très concret à l'échelle de territoires, d'agglomérations, de pays (avant qu'ils soient aussi bien définis), de communautés urbaines, de communautés de communes... Il était d'ailleurs très difficile d'avoir l'évaluation par territoire et je n'obtenais souvent pas les tableaux que je demandais, parce que, parfois pour des raisons politiques, on ne voulait pas faire de comparaisons d'un territoire à l'autre.

Je vous pose donc la question avant de vous laisser continuer : logiquement, n'est-il pas dans la fonction première des fonctionnaires, qui sont tous dotés d'une formation adéquate, de donner les évaluations au niveau régional et n'a-t-on pas, au niveau national, la même obligation d'évaluer les résultats tout en distribuant les crédits ?

D'après ce que j'entends, je m'aperçois que vous êtes obligés de faire appel à des universitaires, qui sont extérieurs à tout ce que nous traitons à longueur d'année et qui viennent de leur université évaluer ceci ou cela avec la hauteur de vue nécessaire mais souvent pas avec le temps voulu, et même à des prestataires privés. J'ai du mal à comprendre pourquoi l'évaluation n'entre pas dans les attributions des fonctionnaires.

C'est ma question. Est-elle hors sujet ?

M. Yves Cousquer : Non, elle est pleinement dans le sujet.

M. le Président : Toutes les questions sont possibles dans cette enceinte.

M. Yves Cousquer : Je parle du CNE, c'est-à-dire du Conseil national d'évaluation des politiques publiques. Le gouvernement avait souhaité, par construction, que les trois niveaux de collectivités territoriales soient représentés au sein du Conseil d'évaluation pour que les régions, les départements et les communes puissent exprimer un point de vue dans le choix et la méthodologie des sujets.

Or, comme nous l'avons souligné tout à l'heure, les trois niveaux ont peu participé, à l'exception du niveau municipal, pendant la première année.

Cela dit, nous avons eu le souci de compenser cette carence de deux manières. Dans la composition des instances d'évaluation figurent très régulièrement des acteurs locaux : dans l'instance sur les déchets, celle sur la protection de l'eau potable et celle sur la sécurité routière, nous avons choisi de privilégier des groupes d'évaluation décentralisés.

L'évaluation sur la sécurité routière ne se fait pas tous azimuts ; elle porte sur les dispositifs de sanctions influant sur le comportement des conducteurs sous l'_il de la justice, de la gendarmerie et autres. Nous avons donc pris comme champ géographique des juridictions de la justice pour pouvoir nous nourrir d'une réalité locale très précise.

C'est notre première démarche au niveau des instances d'évaluation elles-mêmes, et le rôle de l'instance est d'assimiler cette réalité locale. Une partie des études qui sont financées prend en compte non seulement des agrégats macro-économiques mais aussi l'analyse de systèmes d'acteurs, qui est toujours très locale.

La deuxième démarche de territorialisation, pour nous, s'est concrétisée par des rapports directs du CNE. Nous avons eu deux réunions régionales, l'une à Rouen et la deuxième à Poitiers, organisées avec les présidents de région et les préfets de région et associant aussi bien les services de la région que les services de l'Etat dans les régions pour échanger sur notre pratique d'évaluation, mais également sur la pratique d'évaluation conduite au niveau régional. Nous avons fait cela au cours d'une journée de travail pour voir comment l'un nourrit l'autre.

Ces échanges sont une autre forme que celle qui est organisée par le Plan dans l'évaluation des contrats de plan Etat-région.

Cela secrète une demande d'échanges, et ceux-ci seront d'autant plus riches que nous aurons progressé dans la livraison d'un certain nombre de nos évaluations.

Mme Véronique Hespel : Pour compléter ce que vient de dire M. Yves Cousquer, j'ajoute que, sur le groupe "sécurité routière", nous avons fait faire des diagnostics par les acteurs locaux dans chaque ressort judiciaire, en prenant, certes, un prestataire pour faire des constats. Cela a été passionnant parce que, dans un premier temps, les groupes locaux disent ce qu'ils pensent dans la façon dont la chaîne fonctionne, puis le prestataire dit : "voilà comment je vois que cela fonctionne d'après les dossiers", il va ensuite faire réagir les groupes locaux sur ces constats et tout cela va "remonter" au niveau central. C'est une démarche très itérative entre un diagnostic local et un diagnostic national.

M. le Président : Pour essayer d'éclairer la question de notre collègue Léonce Déprez, peut-être faut-il dire que nos fonctionnaires sont plutôt aptes à mettre en avant le niveau d'engagement des politiques publiques et à faire une évaluation quantitative, mais ce qui manque sûrement, probablement parce qu'ils n'en ont ni le temps ni, parfois, les compétences, c'est une évaluation qualitative, pour voir également l'impact du résultat de ces politiques sur le territoire et quelle prospective on peut faire pour tenter d'infléchir ces politiques à l'avenir.

C'est là que les universitaires sont importants, de même que les cabinets privés, pour construire des méthodologies, ce que les fonctionnaires publics n'ont pas forcément le temps de faire ou ce qu'ils ne peuvent pas faire, faute de compétences.

M. Pierre Cohen : Je vais me permettre de continuer sur ce terrain. Il me semble qu'il y a des différences fondamentales entre les résultats ou les bilans, d'une part, et l'évaluation, d'autre part. C'est peut-être le hiatus qui existe entre quelqu'un qui est juge et partie. En effet, même un fonctionnaire très compétent, honnête et intègre, en faisant le rapport de son activité, produira rarement une sorte d'auto-critique, une comparaison entre la commande et le résultat, c'est-à-dire une évaluation.

De même, je pense maintenant que le contrôle est entièrement admis dans nos objectifs et nos obligations, mais qu'il est plus difficile d'être jugé. Il existe donc une différence entre le contrôle et le fait d'être jugé. Je pense que le pari sur l'évaluation sera gagné le jour où elle sera considérée comme positive...

Mme Véronique Hespel : ...comme un élément qui aide.

M. Pierre Cohen : ...qui permet d'aller vers une étape nouvelle.

On l'a vu avec les contrats de ville. On s'est aperçu qu'il fallait réaliser des évaluations, mais on les a mal faites. Maintenant, on les inscrit complètement dans les futurs contrats de ville et on les intègre parce qu'on sent que c'est nécessaire.

Dans le monde de la recherche, l'évaluation existe très fortement depuis longtemps. En effet, on ne peut pas envisager un organisme de recherche sans évaluation, le CNRS étant le plus habilité à le faire. J'avais fait un rapport avec M. Jean-Yves Le Déaut sur la recherche pour le Premier ministre et nous avions pensé que l'évaluation, au lieu d'être uniquement une évaluation relative à la carrière ou à un certain nombre de problèmes internes, devait devenir un "lieu ressources", permettant aux décideurs d'y puiser et de décider. C'est très important.

Je voudrais donc savoir si vous y avez réfléchi, puisque vous avez parlé de base de données et d'informations, le problème étant de savoir, si les régions et autres décideurs seront capables de faire un "lieu ressources".

Enfin, vous avez parlé des trois niveaux que sont l'inspection générale, les prestataires privés et les universitaires, et je voudrais y ajouter une "puissance évaluatrice" qui n'a pas de compétence mais qu'il faudra intégrer : celle des usagers. Il y aura bien un moment où il faudra arriver à faire en sorte que les gens qui sont concernés par les politiques publiques puissent dire ce qu'ils pensent, même si, évidemment, les universitaires peuvent le faire par des sondages, des questionnements ou des enquêtes.

Mme Véronique Hespel : Cette question fait partie des suites de l'évaluation. Elle fait l'objet d'une réflexion.

M. Pierre Cohen : Le problème, c'est que je considère que cette période de dix-huit mois est trop longue, qu'elle sera toujours trop longue et même qu'elle sera inacceptable, parce que notre monde va de plus en plus vite. Il faudra donc que vous trouviez des méthodologies d'évaluation qui aillent très vite.

Il faudra donc, d'une part, en tenir compte dans les contrats ; d'autre part, il faudra faire en sorte que ceux qui profitent de ces politiques publiques ou les subissent puissent être entendus au fur et à mesure en fonction de leur représentativité. Cette richesse ou cette compétence ne sera ni professionnelle, ni universitaire mais elle sera à mon avis assez forte.

M. Yves Cousquer : Vous avez commencé par évoquer le risque d'être à la fois juge et partie. Il est sûr que le commanditaire d'une étude qui porte un champ de responsabilité court ce risque. Comment parer à ce risque ? Principalement par le choix du président de l'instance. C'est le président de l'instance qui assure à celle-ci l'indépendance d'esprit qui nous paraît indispensable et, en même temps, la déontologie qu'exprime chacun des membres de l'instance. Il n'est pas là pour être le mandataire de son organisme mais pour être un évaluateur, avec le statut critique qui doit accompagner l'évaluateur.

Le meilleur garant, dans cette affaire, c'est le président de l'instance.

Mme Véronique Hespel : C'est vrai, mais en réalité, je pense qu'il existe plusieurs formes d'évaluation et qu'elles ont toutes leur légitimité. J'avais dit devant le CNADT, mais je m'étais peut-être un peu avancée, qu'avec l'évaluation des aides aux très petites entreprises, nous allions faire une évaluation militante, une évaluation de société civile. En effet, c'est une évaluation qui a été lancée par Mme Maria Nowak, dont vous connaissez peut-être le rôle en tant que présidente de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), (un livre a été publié à son sujet, intitulé "La banquière des pauvres"). Elle est conseillère auprès de M. Laurent Fabius, mais c'est surtout une militante des aides aux très petites entreprises, pour des gens créant leurs activités.

Or elle a choisi comme président M. André Mulliez, qui n'a pas un profil de fonctionnaire ni de chercheur, nous installons l'instance demain et je peux vous dire que ce sera vraiment très intéressant.

M. Pierre Cohen : Ce sont des logiques différentes.

Mme Véronique Hespel : Exactement. Ce ne sera pas forcément une évaluation scientifique, encore que nous ayons mobilisé des experts, mais ce sera en tout cas passionnant, parce que nous avons fait en sorte que les acteurs des trois ou quatre grands réseaux qui s'occupent de cette question soient présents.

M. Léonce Deprez : Et la suite concrète ? Dans quel délai cela aboutira-t-il ?

Mme Véronique Hespel : Je peux vous dire que Mme Maria Nowak a le souci du concret. Au début, les administrations avaient l'idée d'évaluer un système d'aide, mais tout le travail d'élaboration du cahier des charges a consisté à considérer les bénéficiaires finaux au regard des systèmes qui les concernent. C'est extrêmement productif, parce qu'ensuite, la société civile pourra se saisir de ces images que l'on va lui donner et qui, pour l'instant, n'existent pas.

On va par exemple se demander si les typologies utilisées correspondent à la perception qu'ont les gens de leur trajectoire.

Maintenant, pourra-t-on le faire en trois mois ? On sent bien qu'il faudra approfondir les diagnostics territorialisés.

Nous avons introduit une idée simple qui n'existait pas : il faut bien étudier le rôle des experts-comptables dans cette affaire. Les entrepreneurs individuels ne sont rien sans eux. Nous allons donc prévoir un financement à cette fin. Evidemment, les experts-comptables sont ravis, ils sont acteurs et ils vont venir dans l'instance pour essayer de donner le point de vue des comptables de base sur les dispositifs que l'on met en face des très petites entreprises.

M. Yves Cousquer : Le questionnement préalable qui a été le nôtre a été d'identifier les bénéficiaires.

On retrouve le même souci dans la manière dont nous avons abordé la contractualisation à l'université. Il ne s'agissait pas de réaliser une évaluation interne à l'Education nationale : elle est capable de le faire, et ce depuis longtemps. Nous avons donc eu un regard sur les bénéficiaires de l'université, c'est-à-dire les étudiants, avec des considérations sur les sorties de l'université et les emplois qui sont ensuite proposés. C'est ce qui a commandé le cahier des charges que nous avons élaboré sur ce sujet.

Le souci des cibles, des bénéficiaires et des publics visés est donc premier dans notre démarche.

M. Pierre Cohen : Je présume que, lorsqu'on évalue, on tient compte du public représentatif. Ce serait indispensable. On ne peut plus ignorer la représentativité des gens qui sont l'objet de politiques publiques. C'est compliqué, mais indispensable.

Mme Véronique Hespel : C'est plus facile à faire au niveau régional qu'au niveau central. Nous avons, nous, une représentation du Conseil économique et social au sein du CNE et des instances à douze ou quinze membres. Nous essayons d'y faire participer les associations, mais ce n'est pas évident. Je pense donc que c'est plus une question qu'il faut se poser au niveau régional.

Quand on considère les exercices de prospective régionaux, on constate que certains sont quand même très participatifs. Je travaille dans le groupe de M. Bailly, de la DATAR, sur les prospectives territoriales, et je peux vous dire que M. Jean-Paul Bailly et Mme Edith Heurgon, sa conseillère en matière de prospective, ont compris qu'il fallait qu'ils y intègrent aussi l'évaluation. En effet, il n'y a pas de raison que l'on parle de l'entrée de la société civile dans ces exercices de prospective sans réfléchir aux connexions entre prospective et évaluation, mais c'est compliqué à mettre en _uvre, parce qu'il faut produire un diagnostic.

M. Yves Cousquer : Je voudrais faire une autre observation sur la mission que nous avons vécue pendant trois ans : la relance au niveau national de l'activité d'évaluation des politiques publiques, qui embrassent de nombreux systèmes d'acteurs, lesquels ne sont pas simplement ceux de l'Etat.

L'intervention de la nouvelle loi organique, au 1er août dernier, change complètement la perspective pour les années à venir et c'est une question qu'aura à se poser le CNE, lorsqu'il sera renouvelé, au cours de l'année 2002. Je pense d'ailleurs qu'il sera bon que le gouvernement vienne, par une lettre de mission, réorienter une partie de ces travaux.

En effet, nous avons fait principalement de l'évaluation ex post, une fois la politique conduite. Nous avons fait une évaluation en cours de route sur la politique des emplois jeunes, et les conclusions dégagées par l'instance que présidait M. Anicet Le Pors ont été utiles dans le dialogue qu'il a eu avec la ministre, son cabinet et le gouvernement pour infléchir cette politique. C'était donc déjà un progrès, mais il est certain que la loi organique imposera plus d'évaluations ex ante pour bien comprendre la mise en place de tel ou tel programme ministériel ou telle politique à l'intérieur d'un programme, les systèmes d'acteurs qui sont en cause, les objectifs que vise l'action publique et les indicateurs qui permettent de qualifier ces objectifs et de mesurer les résultats.

C'est sans doute l'une des clefs pour répondre à votre souci de rapidité. Si on a fait auparavant une bonne partie de la démarche méthodologique, les choses sont plus faciles. En effet, je suis frappé de voir le temps que les instances d'évaluation passent à rassembler des données, y compris à recenser tous les textes administratifs qui définissent les missions publiques. Ce travail d'élagage après inventaire accompagnera donc nécessairement les programmes.

La difficulté sera de fixer les priorités, parce qu'on ne peut pas tout faire en même temps - les ressources sont limitées pour faire ce travail d'élagage et d'inventaire des évaluations -, mais je pense que cette dimension consistant à développer l'évaluation ex ante va prendre beaucoup de place.

M. Léonce Deprez : Dans ce contexte, n'y aurait-il pas un rôle à donner aux préfets, à ceux que l'on appelait jadis les "sous-préfets économiques" ? Est-ce que ce ne sont pas eux qui doivent faire les évaluations en permanence, aux côtés des préfets, pour apporter ce matériau à votre Conseil national ? Logiquement, n'est-ce pas dans leur fonction ?

Mme Véronique Hespel : Bien sûr, mais ils ne sont plus très nombreux. Les équipes des secrétariats généraux des affaires régionales sont démunies.

M. Léonce Deprez. : Pour notre part, en tant qu'élus, nous sommes là pour faire en sorte de corriger les défauts et de combler les manques. Que font les sous-préfets économiques et les SGAR à ce sujet ?

M. le Président : Monsieur Déprez, vous êtes un libéral et un décentralisateur. Vous ne voulez donc pas confier toutes les données et tous les moyens d'évaluation aux agents de l'Etat...

M. Léonce Deprez : Je suis un social libéral.

M. le Président : Il faut aussi une mutualisation des expertises.

M. Léonce Deprez : Normalement, l'Etat a un rôle fondamental à jouer à travers ses préfets et ses sous-préfets économiques. Je vous pose la question mais vous ne me répondez pas.

Mme Véronique Hespel : Si. Ce sont nos correspondants. Nous les recevons tous les deux mois. Ce sont nos piliers. Simplement, leurs équipes sont peu étoffées. En fait, nous les recevons en même temps que les régions. Nous recevons simultanément les services économiques des préfectures, des régions et des conseils économiques et sociaux régionaux.

M. le Président : Je suis très sensible à ce que vous disiez auparavant sur les problèmes de données. Personnellement, en ce qui concerne le recensement sur l'eau, j'avais constaté un nombre croissant de lieux de production de données. On peut aussi s'interroger sur la qualité de ces données.

Par conséquent, celles et ceux qui veulent apprécier telle ou telle politique ou comparer les choses entre elles ont beaucoup de mal à trouver des données solidement établies...

Mme Véronique Hespel : ...robustes et fiables.

M. le Président : Deuxièmement, on relève aussi des problèmes de critères. Sur quels critères va-t-on évaluer et évalue-t-on de la même façon partout ?

Vous avez évoqué le problème entre les méthodologies européennes et les méthodologies nationales, et on pourrait aussi s'interroger sur la comparativité entre les méthodologies régionales.

Ne serait-il pas nécessaire de mettre en place, à côté du Conseil national d'évaluation, des conférences de validation d'un certain nombre de ces données et de ces critères de telle manière que ces critères soient validés par vous et, ensuite, reconnus par les différents acteurs de l'évaluation ? En effet, nous avons bien compris que vous aviez ici un rôle de pionniers et que cette pratique de l'évaluation va devoir se diffuser dans les collectivités territoriales, les régions d'abord, bien sûr, mais aussi, vraisemblablement, à l'échelon infra-régional, notamment dans les agglomérations et les villes.

Il y a donc vraisemblablement besoin de parler un langage commun, de comparer ou de changer ce que l'on fait et, éventuellement, de pouvoir construire, pour avoir une évaluation ex ante, des tableaux de bord à peu près cohérents et comparables qui puissent évoluer non pas de façon identique mais parallèle. On peut effectivement imaginer que telle région sera plus en avance dans ses pratiques d'évaluation et qu'elle souhaitera aller un peu plus loin dans son investigation ou l'appréciation de ses politiques, sachant que la question qui se posera ensuite sera de savoir comment on pourra remettre à niveau celles et ceux qui n'y sont pas.

N'est-il pas nécessaire de construire ce lieu de validation et de prospective de l'évaluation, qui fera en sorte que la diffusion de cette méthode nécessaire puisse être relativement homogène sur l'ensemble du territoire national ?

Mme Véronique Chanut : De ce point de vue, il faut sans doute concevoir un prolongement des premières évaluations que nous avons menées. En effet, nous sommes très fiers de produire nos premiers rapports, mais ils ne sont pas du tout une fin en soi et il faut les concevoir comme une étape. Sur la politique de l'eau, par exemple, on a rassemblé de façon inédite des données éparses dont personne ne possédait la synthèse.

Je pense qu'à partir de là, il s'agit de mener tout un travail pour essayer de concevoir des indicateurs en essayant d'articuler des indicateurs nationaux, car ces évaluations restent assez jacobines malgré tout, et de travailler avec des acteurs locaux dans le cadre de groupes mixtes pour mettre au point des indicateurs territoriaux et les articuler avec des indicateurs nationaux

Cela nous donne une bonne base de travail.

Mme Véronique Hespel : C'était le projet que nous avions sur les trois sujets dont je vous ai parlé.

A propos de l'environnement, c'est évident. En 1998, le travail fait sur l'environnement peut constituer une base. De même, nous avons fait faire un travail sur les aides aux très petites entreprises à travers les contrats de plan, et le groupe sur les aides aux très petites entreprises nous aidera dans l'élaboration.

Cependant, il ne faut pas confondre le moment de la construction de ces informations et le moment de leur validation. En effet, nous avons besoin d'une validation et cela pourrait être très intéressant, mais il s'agit de ne rien figer.

Ayant géré, au Commissariat à l'énergie atomique, un budget de programmes versus un budget de moyens, j'ai pu voir aussi bien les limites d'un budget de moyens que celles d'un budget de programmes. Je pense que nous avons à méditer des expériences étrangères en matière de budgets de programmes (je pense à la Grande-Bretagne et même aux Etats-Unis). En effet, il est dangereux de figer une gestion par programmes.

C'est là que je vois un rôle très important pour l'avenir de l'évaluation, mais aussi de la prospective, évidemment, parce que l'évaluation vient bousculer les frontières. On en a besoin : il n'y aurait rien de plus triste qu'une France décidée par programmes, et c'est la commissaire adjointe du Plan qui vous le dit.

M. Léonce Deprez : Toute votre action nationale sous le signe du Conseil national de l'évaluation ne devrait-elle pas avoir une projection à l'intérieur de chaque région, comme le disait le président ? Vous dites que le SGAR et le sous-préfet économiques sont vos correspondants, mais, chaque collectivité territoriale étant maintenant bien définie et chacune d'elle commençant à se structurer sur tout le territoire, ne devrait-il pas y avoir, au niveau de la région, de l'agglomération, du pays ou des communautés de communes, un indicateur pour évaluer et éclairer les élus ? Finalement, ce sont eux qui décident, proposent et demandent des crédits. Ne devrait-il donc pas y avoir un indicateur au niveau de chaque structure territoriale et correspondant, au niveau national, à vos indicateurs nationaux ? En réalité, il faut remonter à partir du territoire.

Je trouve que votre travail est extraordinairement centralisateur. Le Conseil national d'évaluation a une ambition formidable, que vous avez d'ailleurs beaucoup de mal à exposer à des élus territoriaux. Je ne conteste pas votre compétence, mais c'est très difficilement traduisible - je suis bien obligé de vous le dire - tout simplement parce que cela ne se vit pas au niveau des territoires. Si cet effort de recherche et d'évaluation se vivait au niveau des territoires et s'il remontait vers le haut, comme une espèce de règle à respecter ou de mode d'emploi pour obtenir des crédits, avec les évaluations nécessaires à chaque niveau, nous arriverions peut-être à mieux nous comprendre et à faire un travail plus organisé, plus planifié, si je puis dire.

M. Yves Cousquer : Il existe une limite à une démarche d'évaluation du terrain qui ne serait que territoriale. L'addition d'évaluations territoriales n'est pas une évaluation nationale, dans la mesure où des politiques sont définies au niveau national et où il faut bien les évaluer.

Mais il y a une deuxième limite : celle des compétences à mobiliser. Quand on parcourt ce document sur la politique de préservation de la ressource en eau, on s'aperçoit que beaucoup de compétences ne peuvent pas être distribuées à l'échelle de cent départements ou de vingt régions. Une économie d'échelle conduit donc à la réaliser au niveau national. Par ailleurs, on gagne beaucoup de temps. C'est d'ailleurs l'une des recommandations de cette instance : il faut rassembler les données sur l'eau au niveau local et, à partir du moment où ce travail préliminaire a été fait, cette mise en ordre au niveau local est beaucoup plus facile.

Un aller-retour doit donc être fait entre la démarche nationale et les démarches territoriales.

Mme Véronique Hespel : Ce que je vais dire n'est peut-être pas très orthodoxe pour quelqu'un qui est censé représenter la cohérence nationale du Commissariat du Plan, mais je crois que nous ne sommes plus dans une époque où les indicateurs des uns doivent s'imbriquer dans les indicateurs des autres. Il est beaucoup plus important - et vous avez tout à fait raison de le souligner -, pour nous, de bien nous positionner sur les indicateurs que l'Etat doit continuer de surveiller. Notre rôle est plutôt celui-là.

Cela dit, il faut laisser une grande liberté aux échelons territoriaux pour définir leurs propres objectifs, parce que c'est une dynamique de projet. Au niveau national, nous pouvons dire aux régions : "vous nous demandez ce que nous pensons de l'indicateur que vous avez choisi et nous vous répondons qu'il est fiable, pertinent et robuste. Nous pouvons également vous aider à repérer les compétences universitaires pour vous aider à construire votre démarche", mais nous n'avons absolument pas la prétention, ni au CGP, ni au CNE, de construire l'indicateur universel.

C'est ce que, personnellement, je reproche à certaines méthodes européennes. On présente des programmes avec des évaluations et des indicateurs ex ante, on tord les projets territoriaux afin qu'ils rentrent dans les cases prévues à l'avance et on ne fait que s'évaluer soi-même. On se dit : "il faut que je réponde à tel ou tel critère pour rentrer dans tel programme". Si on fait cela, on n'a pas avancé d'un iota !

L'idée est que, dans l'aller-retour entre l'échelon local et l'échelon national, le besoin de direction nationale et de projet national puisse être mieux identifié et que cela incombe au Parlement qui, à travers l'ordonnance organique, fixe l'objectif assigné à l'échelon national, et qu'ensuite, on laisse se décliner autrement et par toutes sortes de formes les projets des acteurs en suscitant leur mobilisation et leur autonomie et en leur disant : "vous vous fixez cet objectif et on va y parvenir un peu mieux cette année par rapport à l'année dernière".

Il reste que, sur tous ces sujets, la question centrale est celle du temps, mais je dirais que le délai de l'évaluation en quinze ou dix-huit mois n'est pas très long par rapport au temps qu'il faut pour que les impulsions politiques se traduisent par des changements réels dans la vie des gens.

M. le Président : Un délai de quinze mois reste raisonnable eu égard aux calendriers des contrats de plan ou ceux des politiques structurelles.

J'ai bien compris ce qui vous gênait dans les évaluations européennes et votre souci de garder une originalité de l'évaluation française. Dans ce qui se fait dans les autres pays européens, avez-vous repéré un certain nombre d'expériences qui vous semblent intéressantes et transposables ou qui méritent d'être regardées d'assez près pour servir de point d'appui dans une démarche qui, chez nous, est embryonnaire ?

Mme Véronique Chanut : Il se trouve que nous avons intégré récemment un réseau d'évaluateurs nationaux européens qui est en train de se constituer auprès de la direction générale du budget à Bruxelles, avec des expériences assez contrastées et des degrés d'avancement assez différents.

Alors que nous avons eu notre première réunion en novembre dernier, il est assez frappant de constater que des pays comme la Suède ou la Grande-Bretagne ont une avancée considérable et que les problèmes qui se posent actuellement sont de savoir comment gérer leur stock d'évaluations, avec l'idée que trop d'information tue l'information. Ces pays réfléchissent à d'autres problèmes que nous, avec une approche très tournée vers ce qu'ils appellent "les clientèles", alors que nous utilisons beaucoup plus le terme "d'acteurs".

Les Anglais nous ont parlé par exemple de l'évaluation des politiques de lutte contre l'exclusion. Ils prennent une clientèle comme les personnes âgées ou les jeunes, ils la segmentent et, à partir de là, ils remontent aux différents problèmes : logement, santé, etc. C'est donc une approche assez séduisante et foisonnante.

Toutefois, même si nous avons pu nous inspirer d'un certain nombre de leurs avancées, l'expérience française, qu'ils connaissaient peu, les a intéressés sur deux plans.

Le premier est nos instances d'évaluation. Nous en parlons très naturellement, mais c'est un élément qui nous est spécifique et, maintenant, familier ; ces instances d'évaluation ont beaucoup séduit les Anglais, notamment parce qu'ils y voient des lieux où les différentes parties prenantes d'une politique peuvent avoir une confrontation de logiques et de points de vue qu'ils ont du mal à avoir dans d'autres processus.

Le deuxième, c'est l'approche qualitative, même si elle nous laisse souvent, nous, assez sceptiques. Il est vrai que l'évaluation, en France, s'est développée largement à travers les sciences sociales et la sociologie, alors que nous souffrons de certaines lacunes en gestion ou en économie. C'est donc très différent de ce qui se passe dans d'autres pays européens.

Malgré tout, nous avons mis en évidence des jeux d'acteurs et des niveaux d'articulation de compétences assez différents dans la mise en _uvre des politiques publiques. Nous avons également mis l'accent sur la nécessité de décortiquer la mise en _uvre de politiques dans un paysage institutionnel assez complexe. C'est un apport qui nous paraît tout à fait intéressant, mais il est vrai que cela demande un détour par la connaissance universitaire ou par une expertise et que cela prend du temps.

Je pense donc qu'il faut que nous nous inspirions aussi de l'efficacité et de la rapidité des autres pays, mais j'ai constaté que des pays très décentralisés, comme l'Espagne ou le Portugal, ont été séduits par notre expérience.

M. Léonce Deprez : Les observatoires qui se créent dans tous les pays, mais aussi dans toutes les régions, n'ont-ils pas pour but de fixer les évaluations et de les formaliser par politique ?

Vous parlez de l'Espagne. J'ai été en Catalogne avec une mission régionale, il y a un mois, et j'ai été très frappé par tout ce qui s'est construit et ce qui se structure en termes d'évaluation. Sur le critère "haute qualité environnementale" (HQE), par exemple, on nous fait des conférences à longueur de journée d'études. On évalue toutes les mesures et tous les crédits accordés en vue de l'ambition HQE. Il y a des observatoires qui se créent en vue de l'HQE. Cela fait-il partie de votre ambition ? Dans ces observatoires, avez-vous un rôle à jouer ?

M. Yves Cousquer : Non, les sujets sur l'environnement qui sont sortis sont, pour nous, ciblés. La préservation de la ressource en eau potable était un aspect. Le traitement des déchets ménagers en est un autre. Nous n'avons pas pris un aspect global qui correspond à une compétence ministérielle, à savoir la haute qualité environnementale.

Nous nous focalisons vraiment sur ce qui est interministériel. Certes, la haute qualité environnementale, dans sa conduite, est aussi interministérielle, mais elle relève clairement de la responsabilité d'un ministre. La compétence du ministre de l'environnement comporte, comme celle de n'importe quel ministre, une dimension interministérielle, mais ce n'est pas automatiquement à relayer par le CNE, du moins dans la vision que j'en ai.

Mme Véronique Hespel : Je pense que nous n'avons pas vocation à créer des systèmes d'information, alors qu'un observatoire crée de l'information. Nous n'avons pas non plus vocation à définir des normes, à dire que toute mesure devra s'examiner au regard des critères de développement durable.

Si le Premier ministre ou le Parlement nous le demande, nous travaillerons mais, pour l'instant, ce n'est pas le cas. Nous sommes là pour qu'un acteur, que ce soit l'Etat ou la région, nous dise : "j'ai tel objectif, j'ai voulu faire cela, de quelle façon y suis-je arrivé ?" Généralement, on lui répond : "en fait, vous n'avez pas vraiment dit que vous vouliez faire cela et vous l'avez fait pour telle raison mais en fait, c'est plutôt pour telle autre raison et on vous suggère de faire autrement"...

Mme Véronique Chanut : Je vous livre un complément sur le paysage européen qui sera peut-être utile pour vos travaux.

Il se trouve que les directions, à Bruxelles, ont une politique assez autonome en matière d'évaluation, chacune étant responsable de ses choix et de ses modalités d'évaluation. La nouveauté, c'est que la Commission essaie actuellement de constituer ce qu'elle appelle des évaluations stratégiques, c'est-à-dire des évaluations transversales. C'est aussi pour cela qu'elle était intéressée par l'expérience française d'évaluation des politiques publiques interministérielles, puisque nous avons un dispositif gouvernemental qui intervient sur des sujets transversaux.

Dans le programme que la Commission vient d'établir, elle a choisi deux sujets : l'évaluation des aides aux PME et le développement durable.

M. le Président : Monsieur le Président, madame la Directrice adjointe, madame la Rapporteure générale, je tiens à vous remercier de nous avoir consacré un temps aussi important et de nous avoir bien fait comprendre quel était le dispositif qui a été mis en place autour du CNE et du Commissariat du Plan.

Ceci est maintenant, pour moi en tout cas, clair et va permettre à la Délégation de prolonger sa réflexion. Si nous en avons le temps avant la fin de la session, nous n'excluons pas d'avoir un entretien peut-être plus bref avec vous pour compléter nos questions en fonction des auditions qui auront lieu d'ici la fin du mois de janvier.

Mme Véronique Hespel : Je ferai un complément sur le développement durable. La seule région qui a une démarche vraiment très intéressante est le Nord/Pas-de-Calais. C'est celle qui a la démarche la plus élaborée. Une autre démarche s'amorce en Rhône-Alpes, mais elle est encore embryonnaire.

M. le Président : Monsieur le Président, Mesdames, merci beaucoup.

Audition de M. Robert SAVY, Président de la région Limousin, Président de la commission permanente du Conseil national d'aménagement et du développement du territoire

Réunion du mercredi 16 janvier 2002

Présidence de M. Philippe Duron, Président

M. le Président : Nous recevons aujourd'hui M. Robert Savy, président de la commission permanente du conseil national d'aménagement et de développement du territoire (CNADT) et président d'une région centrale en France, le Limousin.

Au terme de cette législature, la Délégation à l'aménagement du territoire de l'Assemblée a programmé une série d'auditions sur l'évaluation des politiques publiques et les indicateurs du développement durable, un sujet à la fois fondamental, qui a été longuement évoqué dans une série de discussions, notamment lors des débats sur la loi d'orientation du 25 juin 1999, et à propos duquel beaucoup reste à faire.

Monsieur le Président, nous sommes heureux de vous recevoir, d'autant plus que vous avez cette double compétence.

La Commission permanente du CNADT travaille, comme notre Délégation, sur ce sujet, et nous ne pouvons que trouver du profit, les uns et les autres, à échanger nos réflexions et nos interrogations au fur et à mesure que nous avançons sur ce thème.

Par ailleurs, la région Limousin a déjà beaucoup progressé dans ce domaine. Elle a fait à cet égard partie des régions les plus dynamiques avec un vrai savoir-faire et une vraie expérience.

La Délégation souhaiterait faire le point sur vos travaux, sur les difficultés rencontrées, notamment méthodologiques, et sur les résultats obtenus, peut-être d'ailleurs plus dans la région Limousin qu'au niveau national, puisque - je le sais - le CNADT lance seulement son travail.

Elle s'intéresse aussi, compte tenu de ces constatations, aux pistes qui pourraient être suivies dans l'avenir afin d'améliorer les dispositifs existants.

M. Robert Savy : Je ne prétends pas passer pour un expert en cette matière. Il se trouve simplement que j'ai rencontré l'évaluation en deux occasions : d'une part, en tant que président de la commission permanente du CNADT (mais je n'ai aucun mérite, puisque c'est la loi qui prévoit que la commission permanente doit faire de l'évaluation ; cela ne relève d'aucune initiative particulière) ; d'autre part, en tant que président de région, en Limousin, où la situation était un peu différente puisque nous n'étions pas tenus de le faire ; si nous sommes venus progressivement à cette démarche, c'est parce qu'il nous semblait qu'elle était utile.

On pourrait considérer que les politiques publiques conduites par les autorités élues sont évaluées de manière globale, périodiquement, par le suffrage universel. C'est une évaluation qui a son efficacité, mais qui, pour démocratique qu'elle soit, est quand même rudimentaire. En tout cas, elle porte un jugement global qui n'a peut-être pas toute la finesse que l'on attend d'une opération d'évaluation. Il me semble que cela ne nous met pas en règle avec la nécessité de rendre compte des politiques que nous conduisons.

En fait, nous nous sommes mis à l'évaluation - bien que nous la sentions délicate - parce que nous la jugions nécessaire.

Au fond, cette idée nous est venue parce que nous avions commencé à faire de la prospective territoriale. La démarche d'évaluation, chez nous, est fille de notre démarche de prospective territoriale. Nous sommes un peu les premiers en matière de prospective mais nous ne le sommes sûrement pas en évaluation : beaucoup en font.

La prospective permet de dégager des tendances lourdes, d'apprécier des marges de man_uvre et, de ce fait, d'essayer d'élaborer des stratégies pour utiliser ces marges de man_uvre. L'évaluation apparaît comme l'étape suivante pour savoir si on a su utiliser ces marges de man_uvre et si on a su atteindre les objectifs qu'on s'était fixés. L'évaluation, dans notre pratique, est un peu un outil d'aide à la décision.

Cependant, nous nous sommes aperçus très vite que le fait d'essayer de s'évaluer était un exercice délicat, voire périlleux, parce que personne ne sait bien le faire. Il faut en effet conduire une réflexion préalable sur les instruments de l'évaluation et sur les étapes de la démarche évaluative, ce qui suppose que l'on ait su définir le champ de l'évaluation, et, dans ce champ, les objectifs que l'on s'était donnés et, enfin, que l'on soit en mesure d'apprécier les résultats que l'on a atteints.

Il ne faut pas se tromper sur la démarche que l'on entreprend car on aboutit à un jugement d'expert alors que l'on est soumis à une appréciation politique globale. Il ne faudrait donc pas que, par des glissements successifs, on passe de la démarche politique à une démarche d'experts.

Abandonnant ces considérations théoriques, que fait-on des résultats de l'évaluation lorsqu'on s'aperçoit, par exemple, que l'on s'est complètement trompé sur les objectifs ou sur la manière de les atteindre ? Il existe toujours le risque que des adversaires malveillants se servent de ce travail pour le débat politique. C'est légitime, d'une certaine manière, parce que c'est bien là-dessus que doit porter le débat, mais, en même temps, on a toujours une hésitation à fournir soi-même les verges qui permettront de se faire battre.

C'est une question que nous nous sommes posée. Nous avons décidé voici quelques mois seulement de rendre publics les résultats des évaluations que nous menions. C'est ainsi que, tous les ans, seront communiqués au conseil régional siégeant en séance plénière, les résultats des évaluations effectuées et les travaux que nous proposons d'engager.

Voilà les questions que nous nous sommes posées avant d'entreprendre l'évaluation de certaines politiques que nous avons souvent réalisée spontanément. Cela dit, des procédures comme celles des programmes européens ou celles des contrats de plan Etat-région prévoyaient une évaluation, encore que, pour ces derniers, l'Etat, comme je l'ai vu dans ma région, ait fait le service minimum à cet égard. Il a voulu se mettre en règle avec ses obligations officielles, mais je n'ai pas senti une passion pour la méthode et la démarche elle-même.

A partir de là, je peux vous dire sommairement comment nous nous y sommes pris en Limousin et les dispositions que nous avons arrêtées, beaucoup plus récemment - vous l'avez dit - au CNADT.

En Limousin, nous avons commencé à évaluer en 1994, et il est vrai que les contrats de plan et les programmes communautaires ont joué un rôle dans ce domaine. Ce sont eux qui nous ont montré qu'il existait une voie que nous pouvions utiliser ; il est vrai toutefois que ces exigences étaient les mêmes pour toutes les régions, et que certaines s'en sont tenues au minimum réglementaire, alors que d'autres sont allées plus loin.

Nous avons essayé, nous, d'aller un peu plus loin et, depuis 1994, nous avons conduit, seuls ou avec l'Etat, seize évaluations. C'est à la suite de cette expérience que nous nous sommes demandés quelle publicité leur donner, si ce que nous avions fait était techniquement solide ou si, au contraire, cela n'avait pas d'intérêt. C'est ainsi que nous avons demandé à un évaluateur d'évaluer nos évaluations.

Ce travail a été conduit dans le courant de l'année dernière par un organisme qui a été choisi après appel d'offres et mise en concurrence et qui s'appelle le Centre européen d'expertise en évaluation (CEEE).

Il a fait des remarques utiles, notamment qu'il fallait être attentif à la qualité de la commande et donc bien définir ce que nous voulions chercher, veiller ensuite à la conduite des évaluations, apprécier la qualité des rapports - c'est là que cela devient encore plus délicat - se demander ce que nous avions fait des résultats des évaluations, si nous avions tenu compte des propositions. C'est là que l'ambiguïté politique apparaît.

Les propositions d'un évaluateur sont une information intéressante, mais ce n'est pas un programme politique. C'est un élément dont nous avons à tenir compte tout en conservant notre liberté de décision. Qui a autorité pour dire ce qu'est une bonne commande, un bon pilotage ou une bonne exploitation des résultats ? On mesure là toutes les difficultés que l'on rencontre en cours de route.

Pour notre part, notre évaluateur d'évaluation a tiré les conclusions suivantes.

Tout d'abord, il a estimé qu'il fallait continuer parce que la démarche d'évaluation est la seule qui permette d'essayer de mesurer les effets d'une politique et qu'elle permet d'impliquer tous les partenaires de la politique. Lorsque nous avons des difficultés ou que nous avons échoué, cela peut être imputé à plusieurs responsables, et il est donc bon que tous ces partenaires soient autour de la même table.

Nous l'avons mesuré, pour notre part, dans l'évaluation d'une politique d'installation d'agriculteurs. Les mesures que nous avions prises n'étaient-elles pas bonnes ou les opérateurs avaient-ils mal joué le jeu ou n'avaient-ils pas compris nos objectifs ? L'évaluation est un moyen de se demander si nous avons bien tous travaillé dans le même sens ou si, dans le partenariat, des étapes ont manqué.

Par ailleurs, l'évaluateur nous a dit qu'il fallait continuer parce que cela n'était pas très coûteux. La quinzaine d'évaluations conduites dans le Limousin représentent 1,7 % du budget des politiques évaluées. Pour des politiques très ambitieuses, le pourcentage est différent, mais l'ordre de grandeur reste toutefois le même. Il a donc jugé dit qu'il ne fallait pas considérer cela comme du gaspillage parce que ce que cela nous apprenait valait probablement le prix que nous y mettions.

Il nous a dit aussi que nous avions des progrès à faire et qu'il fallait mobiliser davantage les services de la région et nos partenaires. Les services de la région et leurs responsables ont envie de faire "tourner" leurs services et d'exécuter leurs politiques, et ils ne sont pas spontanément amenés à examiner ce qui a été fait. Très souvent, les politiques que nous avons étudiées n'étaient pas nécessairement celles pour lesquelles c'était le plus urgent mais celles pour lesquelles un responsable était prêt à se lancer dans cette démarche.

On ne peut pas dire que nous avons institutionnalisé l'évaluation. Elle dépend encore très largement des initiatives des uns et des autres.

On nous a dit aussi qu'il fallait davantage impliquer les élus. Nos évaluateurs disent prudemment qu'à l'exception du président, la nécessité ou l'intérêt de cette démarche est encore largement ignoré par les élus et qu'il faut donc avancer dans cette voie.

M. le Président. - Je partage ce point de vue.

M. Robert Savy : On nous a aussi fait remarquer que nous n'étions pas assez attentifs aux suites données à l'évaluation. On regarde avec intérêt, on dit : "ceci est juste", on classe le rapport d'évaluation et on ne lui donne pas toujours les suites qu'il mériterait.

J'ai un peu envie de me défendre contre ce grief en disant que la proposition est utile mais que l'autorité politique reste la maîtresse de la suite à donner, d'une part, et du moment où il y aura une suite, d'autre part.

Enfin, il est plus facile de décrire ce qu'il serait idéal de faire dans un rapport d'évaluation que de le faire ensuite, parce qu'il y a la réalité des choses et les positions des partenaires et que tout ne va pas de soi.

Voilà donc l'état des lieux de l'évaluation en Limousin. Nous avons présenté ce rapport sur les évaluations à une séance plénière qui s'est tenue en octobre dernier, et je dois dire que, jusqu'à ce jour, le débat politique entre élus ne s'est pas nourri des griefs que cette évaluation pouvait susciter sur certains points.

M. le Président : Les élus ont-ils perçu cette évaluation comme quelque chose de nouveau et d'un peu extérieur à leur réflexion ou ont-ils été concernés et profondément intéressés par cette nouvelle démarche, avec le souci de mieux s'y intégrer ?

M. Robert Savy : Je ne peux pas répondre à cela. Il me semble en tout cas que personne n'a été choqué que nous disions : "voilà ce que nous avons voulu faire, voilà la manière dont nous nous y sommes pris et voilà ce que cela a donné". Il me semble donc que c'est plutôt encourageant pour continuer. Je pense qu'il ne faut pas que l'on s'exagère le risque politique de la démarche.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Avez-vous rencontré des freins administratifs, le personnel territorial a-t-il ressenti à un certain moment le fait d'être évalué comme une agression ou, en tout cas, comme une éventuelle remise en cause de son travail ? C'est ma première question.

Deuxièmement, quand l'organisme préconise d'impliquer plus les élus, cela veut-il dire qu'ils doivent être impliqués davantage dans le processus d'évaluation ou dans le fonctionnement de l'institution ?

Troisièmement, je voudrais savoir en quoi, à ce stade, avec le recul, ces évaluations ont permis d'infléchir ou de ne pas infléchir certaines politiques régionales.

M. Robert Savy : Nous n'avons pas constaté de frein des services parce que nous avons choisi de faire de l'évaluation dans les services où nous pensions qu'il n'y en aurait pas. Je n'ai donc pas de réponse à cette question.

Quant aux élus, l'organisme préconise de les impliquer plus dans le processus d'évaluation. L'implication des élus dans la conduite des politiques n'était pas le sujet. Les évaluateurs soulignent simplement que nos évaluations ne produiront les effets positifs que nous en attendons que si elles ne finissent pas dans un tiroir et si, par voie de conséquence, les élus s'y intéressent. Or, pour cela, il faut qu'ils les aient suivies. C'est la condition nécessaire pour qu'ils les prennent au sérieux.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Avec le recul que vous avez, puisque la région Limousin est sans doute celle qui a le plus la pratique de ces évaluations, pensez-vous qu'elles vous permettent d'infléchir parfois les choses ? Avez-vous fait le choix de modifier certaines politiques à la faveur de ces évaluations, sans remettre en cause, bien sûr, la légitimité politique de l'institution ?

M. Robert Savy : Nous avons réalisé des évaluations sur, par exemple, l'insertion des jeunes, et le rôle des missions locales, des PAIO et autres. A ce titre, l'évaluation a relevé une coopération probablement insuffisante ou maladroite entre les services de l'Etat et ceux de la région, et il me semble qu'à la suite de l'évaluation, tous ont compris qu'il fallait travailler de manière plus proche.

Autre exemple : à la suite d'une évaluation - je pense que c'est la meilleure de celles que nous avons faites - sur l'installation des jeunes agriculteurs, l'évaluateur nous a fait remarquer : "on peut considérer que votre politique n'a pas été inutile une fois sur trois". Faut-il s'en réjouir ou s'en lamenter ? Je me dis que cela aurait pu être pire, d'autant plus que nous savions bien que ce n'était pas notre politique qui déclenchait tous les comportements économiques dans un secteur, et qu'agir une fois sur trois n'est probablement pas négligeable du tout.

On nous a indiqué aussi qu'il existait une procédure qui rencontrait plus de succès que l'installation : la mutation d'exploitation, qui a lieu lorsqu'un agriculteur quitte une exploitation qui n'est pas compétitive du fait de sa dimension et s'installe sur une autre.

Cela nous a amenés à réfléchir avec nos partenaires des organisations agricoles pour savoir si nous devions garder notre dispositif ou l'infléchir pour en tenir compte. Voilà un exemple concret de l'incidence possible.

Je m'apprêtais ensuite à dire un mot du CNADT, mais cela ira beaucoup plus vite, car il ne fait que commencer à réfléchir à ce sujet.

La loi du 25 juin 1999 donne compétence au CNADT et à sa commission permanente pour évaluer les politiques publiques et précise que le CNADT fixe les orientations et la commission permanente conduit les évaluations.

Nous n'avons pas tellement tardé à appliquer la loi, parce que le CNADT, en décembre dernier, a arrêté les orientations de sa politique d'évaluation, au nombre de trois.

Il estime, premièrement, que l'on doit rechercher la complémentarité avec les autres acteurs de l'évaluation. Nous ne sommes pas les seuls à y réfléchir et il ne faut pas que tous les organismes s'attellent aux mêmes travaux ; il faut donc entrer en contact avec le commissariat général du Plan, le conseil national de l'évaluation, la délégation parlementaire et la DATAR pour savoir ce qui est fait et pour connaître les domaines dans lesquels une initiative peut être utile.

Deuxièmement, il demande une ligne directrice. Que doit chercher le CNADT lorsqu'il fait de l'évaluation ? On ne va pas se mêler de tous les aspects des politiques publiques. Il faut se concentrer sur certains aspects. La délibération du CNADT indique donc que la ligne directrice est la mesure de l'incidence des politiques publiques sur la cohésion territoriale. C'est le fil directeur de nos interventions.

Cela veut dire que, sur le champ de l'évaluation, nous n'avons pas estimé que certaines matières relevaient de l'aménagement du territoire et que nous allions les évaluer. Nous avons dit plutôt que, toutes les fois qu'une politique a des incidences fortes sur la cohésion territoriale, on peut considérer qu'il nous revient de l'évaluer dans cette perspective.

Troisièmement, le CNADT souligne que lorsqu'on aura évalué, il faudra une publicité des résultats de nos évaluations qui seront intégrées dans le rapport annuel que le CNADT doit remettre au Parlement.

Voilà l'esprit général de notre travail. En même temps, nous avons mis en place un certain dispositif. C'est la commission permanente qui est chargée par la loi et le décret de la conduite de l'évaluation, mais nous avons mis en place un groupe de travail "évaluation" qui se réunit la semaine prochaine pour la première fois et qui comprend des membres du CNADT, d'une part, et des experts, d'autre part, parce que nous considérons que nous ne pouvons pas piloter une démarche d'évaluation sans le recours à une expertise que nous ne détenons pas.

Ce groupe de travail doit donc, pour le compte de la commission permanente, proposer des thèmes d'évaluation, essayer d'en vérifier la faisabilité et assurer leur pilotage. Nous en sommes au début d'un processus, mais nous ne sommes pas les seuls, semble-t-il, dans ce domaine.

M. le Président : Merci, monsieur le Président. Vous avez évoqué les choses de façon très concrète avec l'exemple du Limousin. C'est un excellent exemple qui nous montre à la fois le caractère novateur de l'expérience, le caractère embryonnaire de l'évaluation en France, les difficultés de l'exercice et la façon de s'en saisir.

La circulaire du premier ministre du 25 août 2000 a précisé que la programmation des évaluations par les régions devrait être glissante et porter sur plusieurs années. En Limousin, vous avez jusqu'à présent fait des évaluations thématiques. Avez-vous l'intention de faire en sorte que cette programmation puisse devenir, sur les mêmes thèmes, pluriannuelle, et comment pensez-vous que l'évaluation puisse servir, dans votre région, à l'appréciation en 2003 des contrat de plan Etat-région ?

M. Robert Savy : Si, sur le plan national, nous avons mis en place des dispositifs d'évaluation, sur le plan régional, les situations sont probablement assez contrastées. En Limousin, la conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire (CRADT) n'a pas constitué de groupe chargé de l'évaluation.

Par ailleurs, l'évaluation du contrat de plan et des programmes communautaires ne peut se faire qu'en relation avec l'Etat et je sens l'Etat moins mobilisé sur l'utilité d'une évaluation que ne l'ont été, dans certains domaines, les services de la région.

Il n'existe pas, en Limousin, de dispositif d'évaluation en continu du contrat de plan qui puisse être utilisable pour la révision de 2003.

Cela dit, la révision de 2003 ne m'inquiète pas trop, du moins de ce point de vue, parce que les objectifs des programmes communautaires et des contrats de plan avaient été assez clairement définis, que nous ne sommes pas loin de 2003 maintenant et que je n'aperçois pas de mutation considérable dans le contexte de cette politique publique. Nous aurons, par exemple, à nous demander quelles conséquences nous tirons du fait qu'un chantier routier autour de Brive a pris deux ans de retard et ce que l'on fait des crédits. Il se pose des questions de ce type, mais je ne pense pas qu'elles débouchent sur une remise en question forte.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Les politiques publiques, à l'heure actuelle, relèvent pour la plupart d'interventions croisées. On en arrive donc, après vous avoir écouté, monsieur le Président, à l'idée que, pour que ces évaluations soient efficaces et pertinentes, il conviendrait que tous les partenaires concernés procèdent de la même façon. Peut-on dire que l'on devrait imaginer à terme une systématisation des évaluations des politiques publiques, dans la mesure où celle-ci peut aller dans le sens de la transparence souhaitée par nos concitoyens ?

M. Robert Savy : Oui. Je pense que le processus qui nous conduit à faire des évaluations est à son commencement, que les états d'esprit ne sont pas prêts et que la culture de l'évaluation est encore à ses tout débuts. Certains services de l'Etat ont été intéressés intellectuellement par cette démarche et ils s'y sont mis, mais l'administration de l'Etat en elle-même n'y est pas du tout prête. C'est pourquoi nous avons été conduits souvent à évaluer des politiques qui étaient les nôtres et seulement les nôtres.

En revanche, je constate que, finalement, l'évaluation n'inquiète ou ne laisse indifférents que ceux qui n'en ont pas fait, parce que le fait de s'y trouver engagé en montre assez facilement l'intérêt.

L'une des difficultés de l'Etat, d'ailleurs, c'est que, bien souvent, certains de ses services seraient prêts à s'engager dans des évaluations mais que la représentation de l'Etat à son niveau de synthèse supérieur ne le fait pas.

M. le Président : Un préfet attend les conclusions avant de construire le discours.

M. Robert Savy : Tout à fait. En revanche, un directeur régional de l'agriculture et de la forêt se passionnera sur ce que nous avons fait sur les jeunes agriculteurs. Il faut donc donner du temps au temps.

M. le Président : J'ai une autre question. Comme on le voit bien dans ce que vous venez de nous dire, chacun semble convaincu aujourd'hui du caractère inéluctable de l'évaluation. Le discours politique ou administratif commence à se nourrir de l'évaluation et on parle beaucoup d'évaluation ex ante et de tableaux de bord pour suivre les politiques publiques. La réalité est toute différente.

Pensez-vous que ces moyens doivent être mis en place, qu'ils peuvent l'être dans un délai relativement raisonnable et aussi qu'il faut que les évaluations soient comparables d'une région à une autre et, peut-être même, "euro-comparables", pour faire en sorte que nous ayons à la fois une véritable vision des politiques publiques et des différences régionales qui peuvent apparaître et que nous ayons aussi, peut-être, des arguments pour mieux défendre nos régions et nos politiques publiques vis-à-vis de Bruxelles ?

M. Robert Savy : Je ne le sais pas. Je pense simplement qu'il existe plusieurs niveaux d'évaluation. Le niveau auquel je me suis situé jusqu'à maintenant concernait ce qui s'était passé dans le cadre de la région. Or j'ai peur de la construction d'indicateurs homogènes à l'échelle nationale ou européenne, parce que le fait qu'une politique aboutisse ou n'aboutisse pas aux résultats qu'on lui a assignés dépend à la fois de facteurs locaux, de facteurs nationaux et de facteurs européens.

Si on est capable de construire des indicateurs qui renvoient à chaque niveau d'intervention sa propre responsabilité, c'est possible, mais la diversité des territoires et des problèmes à résoudre fait que je ne crois pas que l'on puisse construire des indicateurs valables dans des situations très différentes.

Dans certaines régions françaises, l'installation d'agriculteurs n'est pas un problème, alors que dans d'autres c'en est un. Il existe sans doute aussi des régions dans lesquelles la difficulté d'installation tient à un déficit démographique dans la génération concernée alors que, dans d'autres, la difficulté tient au prix de la terre ou à d'autres raisons.

Je ne vois pas bien comment on peut bâtir un système d'évaluation trop global, mais je n'ai pas encore suffisamment réfléchi à ces questions pour que mes remarques soient autre chose qu'une impression ou qu'une réaction à votre question.

M. le Président : Finalement, vous partagez assez le sentiment du conseil national d'évaluation sur ce point, qui estime que chaque évaluation doit porter en elle-même ses indicateurs et ses objectifs.

M. Robert Savy : Je le crois assez, en effet.

M. le Président : Vous avez évoqué la diffusion de l'évaluation au sein de votre conseil régional. Comment peut-on mieux faire connaître les évaluations et diffuser les pratiques de l'évaluation à l'échelon infra-régional ? Pensez-vous notamment que les régions puissent avoir un rôle pédagogique pour que les pays, les agglomérations et les collectivités infra-régionales, à leur tour, commencent à s'évaluer et à mieux mesurer l'efficacité des politiques qu'elles mettent en _uvre ?

Je dis cela parce que selon la loi d'orientation et de développement du territoire, la région est l'échelon pertinent en matière d'aménagement du territoire.

M. Robert Savy : La construction institutionnelle française est riche et complexe et le principe de la libre administration des collectivités territoriales fait que chaque autorité non seulement est libre mais doit se sentir libre de faire ou de ne pas faire. Je pense donc qu'il existe une infinité de situations différentes suivant les cas.

Dans la région qui est la mienne aujourd'hui, je n'ai pas du tout envie de faire du prosélytisme de l'évaluation. Je me dis simplement que si on la fait bien et si on le fait savoir, cela donnera envie à d'autres de le faire, mais qu'il serait probablement contre-productif de faire du prosélytisme.

Cela dit, j'ai l'impression que la fonction d'évaluation des conférences régionales d'aménagement du territoire (CRADT) n'est pas au premier rang des préoccupations des préfets dans les régions et les départements. Si l'Etat considère que c'est important, il a tous les moyens de leur dire de s'y intéresser. Or, pour le moment (je ne sais pas si vous avez des informations d'autres régions, mais, en Limousin, la cellule d'évaluation n'est pas constituée), je ne sens pas une pression très forte pour que l'on aille très vite.

M. le Président : En Basse-Normandie non plus. On se réunit rarement.

M. Robert Savy : En fait, il est bien possible que des politiques municipales précises soient plus faciles à évaluer, du point de vue de la méthodologie, que des interventions économiques un peu diffuses à l'échelle régionale.

M. le Président : J'ai posé la question parce que, dans le cadre des contrats entre l'Etat, les pays et les agglomérations, les régions peuvent contribuer à nourrir ces contrats. Par le biais de la contractualisation, on peut donc aussi être amené à avoir des desiderata en matière de mesure de l'impact des politiques publiques et des fonds publics qui y sont injectés.

M. Robert Savy : Les contrats de plan prévoient ce dispositif d'évaluation. La région est en train de se demander si, dans les contrats de pays qui seront à conclure demain, il ne faut pas prévoir un dispositif d'évaluation. D'ailleurs, la convention d'application des contrats de plan que nous sommes en train de signer en Limousin l'a prévu. Je pense que c'est ainsi qu'il faut que nous commencions à apprivoiser la démarche.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Si la politique d'évaluation des politiques publiques est aussi balbutiante, c'est pour des raisons diverses et, sans doute, parce que les élus - et j'en suis - ont peut-être parfois un peu peur d'y voir une perte en ligne de leur autonomie politique, de voir un plus grand pouvoir donné aux technocrates.

Comment arriver à prouver et à convaincre que l'évaluation est un outil pour la prise de décision des politiques, voire pour l'évolution des décisions prises, mais qu'en aucun cas, les propositions ne peuvent se retourner contre ceux qui les ont demandées ? Autrement dit, comment déminer cette crainte que peuvent avoir certains élus à propos des politiques d'évaluation ?

M. Robert Savy : Cette crainte est réelle, et je l'ai mesurée, mais je me suis dit en fin de compte qu'il valait mieux que je me fasse évaluer par des évaluateurs que par mes adversaires politiques et que cela présentait sans doute moins de risques.

Il est vrai aussi que, plus l'unité sur laquelle on travaille est restreinte, plus l'impact de l'évaluation risque d'être fort. Il est peut-être plus dangereux d'évaluer une politique communale dans une commune moyenne que d'évaluer une politique sectorielle dans une région.

Cela dit, il faut que les élus prennent le risque de l'évaluation, mais il existe probablement des cas où ce n'est pas possible. La sensibilité de certaines politiques peut faire d'ailleurs que l'évaluation n'est pas raisonnable.

M. le Président : On le voit avec les programmes de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) et ce que souligne le rapport de la Cour des comptes sur la faible efficience des politiques de protection des bassins.

M. Robert Savy : Certes, mais en l'occurrence, il faut que l'évaluation soit faite à un niveau suffisamment dégagé du terrain, parce que l'on en a aussi besoin.

M. le Président : Je tiens, Monsieur le Président, à vous remercier de cette présentation tout à fait intéressante de votre expérience limousine. Nous suivrons avec beaucoup d'intérêt les travaux du CNADT en matière d'évaluation - j'y participerai moi-même, je l'espère -, et nous essaierons de tirer le plus grand profit de ce que vous nous avez dit cet après-midi.

Audition de M. Yves COCHET, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Réunion du mardi 22 janvier 2002

Présidence de M. Philippe DURON, Président

M. le Président : Mes chers collègues, la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est heureuse de recevoir pour la première fois M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Au terme de cette législature, notre Délégation a programmé une série d'auditions sur l'évaluation des politiques publiques et des indicateurs du développement durable, sujet qui nous a paru fondamental, novateur mais encore embryonnaire et fort complexe.

La Délégation souhaite évoquer avec vous les travaux effectués dans les différentes instances à ce sujet, et pouvoir échanger sur les difficultés rencontrées, notamment méthodologiques, les résultats obtenus et les suites à apporter aux études qui ont déjà été engagées. Elle s'intéresse aussi, compte tenu de ces constatations, aux pistes qui pourraient être suivies pour l'avenir, afin d'améliorer les dispositifs existants.

Je vous poserai, en préalable, différentes questions : comment l'Etat participe-t-il à l'évaluation des contrats de plan Etat-région ? Existe-t-il une évaluation qui permettra d'alimenter la révision en 2003 ? Où en est l'évaluation glissante préconisée par la circulaire du 20 août 2000 ? Quelles sont les procédures mises en _uvre pour évaluer les différents schémas de services collectifs qui nous ont occupés pendant de nombreux mois au sein de cette Délégation ? Faut-il envisager des indicateurs homogènes sur l'ensemble du territoire national, ou, au contraire, tenir compte des disparités régionales ou locales ? Peut-on envisager une articulation entre les indicateurs régionaux et nationaux ?

M. Yves Cochet : Monsieur le Président, messieurs les députés, en effet, l'évaluation est une nouveauté en France, mais elle est indispensable. Il s'agit d'un exercice de rationalisation qui répond à un triple enjeu : la rigueur, la transparence et l'efficience des politiques publiques.

Tout d'abord, la rigueur. Si nous mettons en _uvre des politiques publiques et que nous ne savons pas exactement ce qu'elles adviennent, nos concitoyens nous le reprocheront.

Ensuite, la transparence, qui est un phénomène incontournable dans notre société, les débats sur les grands sujets étant de plus en plus réclamés par nos concitoyens, nous l'avons vu en matière d'aménagement du territoire l'année dernière, sur la problématique aéroportuaire. Aujourd'hui encore, nous avons décidé, M. Jean Glavany et moi, d'organiser un débat sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) en plein champ.

Enfin, l'efficience des politiques. Toutes les politiques sont tournées vers un objectif qui s'appuie sur les valeurs de la majorité qui les porte. Il convient donc de savoir si ces objectifs sont atteints par rapport aux dispositions que nous mettons en _uvre.

L'Union européenne joue un rôle déterminant dans la mesure où elle nous propose que cette évaluation soit partie intégrante des politiques communautaires. Des règles ont, par exemple, été adoptées pour la programmation 2000/2006 des fonds structurels. Il s'agit de règles très contraignantes, car en 2003 sera dressé le bilan d'étape. La poursuite de cette programmation sera conditionnée par notre capacité nationale à produire ces évaluations intermédiaires, sans lesquelles la Commission européenne ne pourrait valider la poursuite de certaines mesures ou de certains programmes.

L'évaluation des politiques publiques est un objectif à la fois politique et méthodologique du Gouvernement. Nous envisageons donc trois échelons de renforcement.

Tout d'abord, à l'échelon national. Le cadre législatif et réglementaire a été profondément renouvelé en 1999 et en 2000, avec cinq nouvelles lois votées : la loi d'orientation d'aménagement et de développement durable du territoire (LOADDT), la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), la loi d'orientation agricole et la loi d'orientation forestière. Ces lois ont des implications territoriales importantes et font référence au principe de développement durable qu'il convient donc d'évaluer.

Nous devons rendre cohérente, en pratique, la mise en _uvre de ces différentes lois, rechercher la simplification lorsque cela est possible - nous savons que ces lois ont été particulièrement ciselées du point de vue juridique et politique -, améliorer l'efficacité des procédures, observer les résultats. A la fin 2003, nous procéderons à la révision des contrats de plan et des documents uniques de programmation (DOCUP) à l'échelon européen, et, en 2005, à celle des schémas de services collectifs, avant une nouvelle génération de contrats de plan à partir de 2007, afin que tout cela soit cohérent. Cette adaptation ne peut avoir lieu que si nous avons une évaluation de notre travail.

Ensuite, à l'échelon européen. La politique régionale, après 2006, sera profondément modifiée dans une Europe élargie. En 2003, nous aurons des discussions très concrètes avec la Commission européenne et les Etats membres, nous aurons donc besoin des résultats d'analyses précises concernant l'impact des politiques européennes actuelles sur la cohésion des territoires français, la compétitivité, la politique régionale proprement dite, les politiques sectorielles - transports, recherche, agriculture. Nous pourrons, par exemple, poser la question suivante : existe-t-il une valeur ajoutée des politiques européennes au développement territorial de notre pays ?

Enfin, à l'échelon culturel. Tout cela doit devenir, pour nous, décideurs, élus, une habitude. L'implication des acteurs locaux et régionaux du développement ne peut se faire que par le développement d'une culture de l'évaluation ; les élus doivent accepter que ce qu'ils mettent en _uvre soit analysé par des tiers, et de recevoir des propositions d'adaptation.

Comment procéder à une bonne évaluation ? Observer, tout d'abord, anticiper les évolutions et identifier les enjeux de ce qui se passe actuellement dans la mise en _uvre, par exemple, des cinq lois que j'évoquais. Il convient ensuite de faire de la prospective, de déterminer les tendances de la mise en _uvre de ces lois. Enfin, l'évaluation elle-même doit occuper une place croissante par la concertation et la prise de décision aux différents niveaux.

Quel est le mode opératoire de l'évaluation ? Je prendrai pour cela les deux domaines de mon ministère : l'aménagement du territoire et l'environnement.

Premièrement, l'aménagement du territoire. Plusieurs instances ont des missions d'évaluation des politiques territoriales : votre Délégation et celle du Sénat, le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire (CNADT), l'instance nationale d'évaluation, les conférences régionales de l'aménagement et du développement du territoire (CRADT), le Conseil national d'évaluation et le Commissariat général du plan. On y ajoutera toutes les instances qui sont multiples au niveau national et la Commission européenne qui a recueilli l'expérience de nombreux Etats membres pour savoir évaluer sa propre politique de fonds structurels. Il existe donc déjà des instances qui s'occupent de l'évaluation de l'aménagement du territoire.

Le CNADT, lors de sa dernière réunion du 27 novembre 2001, a mandaté sa commission permanente pour travailler "en complémentarité avec les autres acteurs de l'évaluation avec, pour ligne directrice, la mesure de la cohésion territoriale".

J'évoquerai maintenant quelques actions nouvelles engagées par mon ministère pour contribuer à cet effort d'évaluation.

Premièrement, s'agissant de l'aménagement du territoire, le renforcement des dispositifs eux-mêmes d'observation et de suivi (que veut-on mesurer et avec quels outils ?). Le système d'information, dont la refonte a été engagée en 2001 - et qui se poursuivra jusqu'en 2003 - porte sur l'amélioration du suivi financier et de l'aide à l'évaluation des actions dans le cadre des programmes. Pour le programme de la prime d'aménagement du territoire (PAT), par exemple, les critères d'attribution ne sont plus tout à fait les mêmes. Je citerai également le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), le suivi des comités interministériels pour l'aménagement et le développement durable du territoire (CIADT), les contrats de plan et les DOCUP. Voilà cinq programmes qu'il convient d'évaluer, avec des tableaux de bord qui seront facilités par une meilleure lisibilité des agrégats budgétaires dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique de 1959 que vous commencez à mettre en oeuvre.

S'agissant des contrats de plan et des fonds structurels, la DATAR en assure le suivi et l'évaluation, à l'aide du système d'information PRESAGE. Les effets de ce financement, dans le cadre des DOCUP, sont rapportés aux priorités nationales et communautaires en matière d'emploi, de développement durable et d'égalité des chances hommes-femmes.

Dès cette année, une étude a été lancée. Elle permettra, à la fin du premier semestre, de comparer les objectifs inscrits dans chaque région au titre de ces programmes - contrats de plan et fonds structurels - et elle apportera une contribution opportune à l'instance que met en place le conseil d'évaluation sur ces sujets.

Le système informatique de suivi physique par objectif sera amélioré afin de déceler les écarts dans la mise en _uvre de ces programmes selon les domaines ; nous devons tout faire pour éviter les retards dans leur exécution, comme ceux qui ont été accumulés dans certains secteurs au cours de la génération précédente de contrats de plan. Nous suivrons avec une attention particulière le fret ferroviaire, qui, pour des raisons de développement durable, est une priorité du Gouvernement. Lorsque M. Jean-Claude Gayssot affirme vouloir doubler le fret ferroviaire à horizon de dix ans, c'est bien, mais selon les statistiques, il s'agit simplement du maintien de la proportion du fret ferroviaire par rapport à l'ensemble du fret.

Autre exemple : les infrastructures de communication dans les territoires peu denses - l'accès au haut débit, à la téléphonie mobile. Une ingénierie du développement territorial dans les pays et les agglomérations est nécessaire pour que ces projets soient de qualité sur l'ensemble du territoire. Nous avons bon espoir, car il existe une réelle volonté de mettre en place les agglomérations et les pays.

Cette année, la DATAR et le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement proposeront un observatoire des territoires qui tentera de rassembler des indicateurs disponibles en France et en Europe pour faire le point sur les effets recherchés par nos politiques, dans les territoires, c'est-à-dire un développement équilibré ou une cohésion territoriale. Nous sommes en train d'élaborer une maquette avec les principaux organismes producteurs de données qui sera diffusée prochainement et qui sera étudiée en vue de la production d'une version complète en fin d'année ; un site Internet permettra, en temps réel, de nourrir cet observatoire des territoires. Cette opération sera montée en liaison avec le projet européen ORATE de mise en réseau des chercheurs de l'Union européenne.

Second axe de travail permettant de bien évaluer les politiques du territoire : les thèmes prioritaires. L'objectif est de s'interroger sur l'impact réel de nos politiques par rapport à ce que nous souhaitons. Concernant tout d'abord le volet territorial des contrats de plan et des DOCUP, il convient de déterminer les périmètres pertinents par rapport à ceux qui sont définis par les autres lois - à savoir les pays et les agglomérations. Les contenus des chartes, des contrats, la composition et le fonctionnement des conseils de développement, contribuent-ils aux objectifs de développement durable, à la démocratie participative et à la cohésion économique et sociale ? Plus généralement, la territorialisation des politiques publiques devra être abordée sur la base des expériences acquises.

Autre point : l'accessibilité et la qualité des services publics. Je fais référence aux nouvelles technologies, à l'Internet à haut débit, à la téléphonie mobile, mais tout cela doit se développer dans un contexte européen. La communication de la Commission européenne au Conseil en octobre dernier préconise la mise en place d'une évaluation comparative de la qualité et des coûts des services d'intérêt général ; il s'agit là d'un point très important, d'une partie du modèle européen.

Autre question qui me préoccupe : nos instruments de discrimination politique, à savoir les zonages. Bien entendu, nous prendrons en compte, monsieur le Président, le rapport que vous avez remis l'année dernière au Premier ministre à ce sujet.

Concernant les dispositifs de planification et de programmation dans ces nouveaux cadres législatifs, en particulier les schémas de services collectifs qui sont des schémas à vingt ans, il s'agit de prospective, mais il convient de mettre en place leur suivi et de déterminer leur fonction .

Seconde partie : l'environnement.

De nombreux travaux internationaux, européens et français sur les indicateurs, se sont développés depuis le sommet de la Terre à Rio, en juin 1992 ; ils tournent tous autour du schéma d'analyse suivant : les Etats, les problèmes et les réponses apportées par les Etats eux-mêmes. Ces informations sont souvent synthétiques, significatives, mais leur interprétation est parfois difficile. Il existe une stratégie nationale du développement durable dans le cadre de la préparation de Johannesburg (2-11 septembre 2002) qui sera coordonnée par M. Michel Mousel, l'ancien président de la mission interministérielle de l'effet de serre (MIES).

L'Agence européenne de l'environnement fournit un certain nombre d'indicateurs environnementaux : la qualité de l'air en milieu urbain, l'éco-efficacité des ménages, des transports, de l'agriculture et de l'énergie, l'efficacité énergétique, les prélèvements d'eau, les dépenses et consommations des ménages, le prix réel des carburants, le prix réel du transport passager, etc. Tous ces indicateurs quantitatifs sont donc recueillis par l'Agence européenne de l'environnement ; nous en avons discuté longuement au conseil de l'environnement du 29 octobre dernier, et la présidence espagnole en proposera quelques autres lors du conseil de Barcelone.

Ces indicateurs sont articulés avec les objectifs européens de la stratégie de développement durable élaborée lors du sommet de Göteborg. Les Etats membres étaient chargés d'établir eux-mêmes une stratégie nationale, à laquelle nous participons, mais c'est M. Michel Mousel qui coordonnera tout cela.

Nous trouvons, dans les contrats de plan Etat-région et les DOCUP, des indicateurs d'évaluation environnementale qui seront utilisés en 2003, concernant par exemple les moyens financiers immobilisés et les impacts environnementaux des mesures considérées. Pour cela, nous avons conçu un outil de suivi, OSEE ; Mme Dominique Voynet avait déjà créé la direction des études économiques et de l'évaluation environnementale ("D4E"), qui repose sur la collecte, par les directions régionales de l'environnement (DIREN) d'une quarantaine d'indicateurs spécifiques qui concernent l'approche et les impacts environnementaux dans les contrats de plan Etat-région et les DOCUP.

En ce qui concerne l'aspect environnemental, nous allons suivre le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux, pour lequel des indicateurs de développement durable doivent être mis en place, notamment pour mesurer l'impact des différentes activités sur l'état de conservation et l'efficacité des mesures de protection et de gestion du patrimoine naturel. Nous avons dix enjeux stratégiques, dont la mise en place a déjà commencé ; il existe un comité de suivi du schéma au sein duquel sont présents tous les services :les  DIREN, les directions régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF), le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Une de ses premières tâches est de valider le choix de la quarantaine d'indicateurs que nous proposons.

Une autre évaluation environnementale est réalisée avec la Fédération des parcs naturels régionaux (PNR). Depuis deux ans, nous organisons avec elle des rencontres interrégionales afin de mettre en place les systèmes d'évaluation de la politique des PNR. Elle nous fournit des éléments indispensables de suivi et d'évaluation.

Par ailleurs, la commission "environnement-littoral" a été mise en place en 2001 à la demande de mon ministère. Elle s'est intéressée, par exemple, à la situation de la rade de Brest, du Golfe du Morbihan, du Perthuis charentais et d'autres sites, ainsi que de la gestion intégrée des zones côtières. Le rapport de cette commission doit être remis d'ici quelques mois. Par ailleurs, nous allons créer un observatoire du littoral en liaison avec l'Institut français de l'environnement (IFEN), notre bras statistique.

Enfin, il y a Natura 2000, qui s'occupe à la fois d'environnement et d'aménagement du territoire. Pour cela, l'Atelier technique des espaces naturels, sur lequel le ministère exerce sa tutelle, est chargé d'accompagner une action qui doit aboutir à la production d'outils permettant aux gestionnaires de Natura 2000 d'évaluer sa mise en _uvre.

Tout cela est un début de promotion de la culture de l'évaluation. Il ne s'agit pas d'apporter une connotation négative à propos des porteurs de projets, nous ne les notons pas ; cela doit devenir une culture normale, ce sont des outils indispensables pour savoir si l'on va dans la bonne direction, dans la rigueur et la transparence.

M. le Président : Monsieur le ministre, merci, nous avons pu apprécier l'effort réalisé par votre ministère pour mettre en place des outils d'évaluation, pour faire en sorte que ces politiques voulues à la fois par l'Europe et le Gouvernement français deviennent réalité.

Vous nous avez dit que le développement de la culture de l'évaluation était également un objectif culturel. Nous avons vu quels étaient les outils méthodologiques ; votre ministère envisage-t-il de fournir un effort de formation à l'adresse des fonctionnaires afin que cette préoccupation nouvelle soit prise en compte de façon plus transversale et à tous les échelons de l'appareil d'Etat ?

M. Yves Cochet : Un nouvel institut relatif au développement durable propose depuis deux ans aux préfets, aux fonctionnaires et à d'autres de leur fournir son aide : il s'agit de l'Institut des hautes études d'aménagement du territoire. Par ailleurs, j'ai demandé à la DATAR de réfléchir à la "contamination positive", à la propagation des bonnes pratiques pour la phase d'évaluation des contrats de plan et des DOCUP. Les collectivités locales, les associations, les entreprises, qui sont à la recherche de méthodologie pour évaluer les projets, pourront ainsi être aidées par cette réflexion de la DATAR. L'idée est de travailler avec toutes les têtes de réseaux qui sont capables de faire de la pédagogie dans ce domaine ; je citerai l'association française des conseils de communes et des régions d'Europe. Toutes ces personnes ont déjà réfléchi à cette pédagogie, à cette formation à l'évaluation. Il est vrai qu'en France, nous sommes en retard par rapport à d'autres pays de l'Union européenne.

M. Léonce Deprez : Monsieur le ministre, cette Délégation a un intérêt dans la mesure où l'on arrive à faire le lien entre la démocratie et la technocratie. Nous sommes un certain nombre à vivre tout cela à la fois sur le terrain et ici. Hier, par exemple, j'essayais d'expliquer à quatre maires et une dizaine d'adjoints au maire ce que vous venez de nous dire dans un langage beaucoup plus expert. J'ai ainsi pu mesurer à quel point il était difficile d'expliquer ce problème aux élus qui, eux, gèrent le territoire. Avez-vous compris la nécessité qu'il y a à ne pas trop technocratiser ces sujets ? Ce que vous venez de nous expliquer ne me rassure qu'à moitié ! Pouvez-vous imaginer cette simplicité de l'action à partir du territoire ?

Nous vivons dans la pratique ce que vous concevez. Nous expliquons aux élus locaux que le pays et l'agglomération sont l'avenir ; nous allons donc faire une charte de pays, puis un contrat de pays et un schéma de cohérence territoriale (SCOT). Ces pays seront constitués à partir de communautés de communes qui se fédèrent pour représenter un espace géographique plus large à partir duquel nous allons concevoir la charte de pays, le contrat de pays, de façon à ce que, logiquement, les SCOT "collent à la peau" des pays et des agglomérations. La charte de pays, le contrat de pays et le SCOT, voilà trois rendez-vous qu'il ne faut pas manquer, notamment pour 2003.

Pour passer du stade de concept au stade de l'action et de l'efficacité que vous pourrez évaluer, un cheminement est nécessaire. Il conviendrait de simplifier les directives adressées aux préfets, afin qu'ils assurent plus facilement les moyens d'ingénierie auprès des élus qui ont réalisé l'effort de se constituer en communauté de communes, en pays ou en agglomération.

Certains élus, qui possèdent encore le "bon sens paysan", se demandent comment ils vont faire pour réaliser une charte et un contrat de pays ; certains élus peuvent se démarquer et le faire eux-mêmes, mais bien souvent ils préfèrent nommer un agent de développement, spécialiser un collaborateur grâce aux crédits que vous avez accordés à la région.

D'autres font appel à un bureau d'études, autre technocratie privée ! Comment échapper au risque d'une technocratie publique, qui transpire à travers votre exposé, mais qui doit se concrétiser au niveau du territoire ? Comment faire en sorte que l'on n'aboutisse pas à ce que ce soient les bureaux d'études privés qui dialoguent avec les experts publics, les élus n'ayant plus la maîtrise de leur territoire, de leurs projets ?

M. Yves Cochet : Nous avons fait imprimer à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires des petits livrets expliquant la mise en place des pays et des agglomérations, la nécessité d'une charte, d'un contrat, que je vous ferai parvenir.

En ce qui concerne l'évaluation et la mise en place de toutes ces lois, nous essayons de faire en sorte qu'il y ait une cohérence entre les périmètres des pays et les SCOT ; nous avons d'ailleurs donné des instructions aux préfets. L'ingénierie territoriale sera financée au titre du volet territorial des contrats de plan Etat-région.

Quant à votre idée de nommer des agents de développement dédiés aux pays, je la trouve excellente ; ils sont sous le contrôle politique des élus locaux, et bénéficient en général du soutien des collectivités. Nous sommes tout à fait disposés à mettre à disposition des outils à la fois intellectuels et financiers. Si des bureaux d'études privés interviennent - il y a un marché de l'aménagement du territoire comme il y a un marché de l'eau -, très bien, je ne suis pas contre. Il faudra simplement qu'ils puissent aider réellement les élus locaux. Je suis tout à fait conscient que l'enchaînement de toutes ces lois effraie les élus qui se demandent, non pas où va-t-on, mais comment (y va-t-on).

M. Jean-Michel Marchand : Monsieur le ministre, la rapidité de la mise en _uvre de ces différentes structures préoccupe les élus - communautés de communes, communautés d'agglomérations, pays, SCOT, plans locaux urbanisme (PLU), etc. - ainsi que la pertinence et la cohérence des territoires. Nous savons tous comment chacun se comporte : il y a toujours une volonté de "redécouper" son territoire ; or je ne crois pas que ce soit l'esprit de la loi.

Deuxième point, le pays est un territoire de projets et non pas une nouvelle structure ; nous devrons, sur ce point, être particulièrement vigilants. Je ne mettrai pas un centime dans un pays qui deviendrait une supra structure et qui abandonnerait tout projet pour devenir simplement un tiroir-caisse - encaisser d'un côté et redistribuer de l'autre. Il convient donc de faire preuve de beaucoup de pédagogie.

En effet, un certain nombre de ces directives ne correspondent pas exactement aux politiques menées sur les territoires. Je pense en particulier à des politiques départementales ou régionales. Je comprends bien l'intérêt de ces évaluations, mais il serait nécessaire de diffuser les documents existants, afin que les élus locaux relisent les textes (ils le feront de façon différente que les technocrates) que nous avons produits.

M. Yves Cochet : Monsieur le député, puisque vous faites à la fois les questions et les réponses, je ne puis qu'approuver votre détermination, votre volonté politique et vos propos !

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous poserai deux questions relatives à l'évaluation.

La première concerne l'implication des régions et de l'Etat en matière d'évaluation des contrats de plan Etat-région. Vous avez fait allusion aux sections spécialisées des CRADT, or j'en vois assez peu se mettre en place. Par ailleurs, M. Robert Savy disait la semaine dernière qu'il trouvait l'Etat, et notamment les préfets, peu empressé en matière d'évaluation. Lorsqu'il travaillait sur le sujet, il a pu s'apercevoir que les préfets avaient des approches assez administratives : évaluation de la mise en place des fonds, respect des calendriers, mais peu d'évaluations qualitatives. Comment inciter les préfets à le faire ? A qui confier ce travail en région : le préfet, le secrétariat général pour les affaires générales (SGAR), faut-il une coopération entre le préfet de région et le président de région ? Comment pouvons-nous accélérer ce processus afin d'être fins prêts en 2003 ?

Ma seconde question concerne la comparabilité des évaluations. Lors de l'audition de M. Yves Cousquer, Mme Véronique Hespel nous disait que le Conseil national d'évaluation et le Commissariat au plan considéraient qu'il n'était pas utile d'avoir trop de critères d'évaluation standardisés et que chaque grande enquête d'évaluation devait secréter elle-même ses propres indicateurs et critères. Je m'interroge donc à ce sujet. En effet, nous devons mesurer la compétitivité de chacun de nos territoires, repérer ceux qui se laissent distancer, mais nous avons également à défendre nos territoires dans le cadre européen.

Nous menons actuellement un débat important sur le produit intérieur brut (PIB). Nous voyons bien qu'au travers de cet indicateur, qui n'est certainement pas suffisant pour mesurer le développement des territoires, certains territoires, qui bénéficient de politiques structurelles bien dotées, telles que l'objectif 1, se sont très rapidement développés au cours de ces vingt dernières années - je pense au Portugal, à l'Espagne, à l'Irlande. Il serait demain dangereux que les aides européennes soient mal proportionnées aux besoins ; nous aurions alors un effet déstabilisateur qui pourrait pénaliser des territoires particulièrement fragiles dans un pays aussi vaste que le nôtre et dont les densités sont moins importantes.

M. Yves Cochet : Monsieur le président, l'implication de l'Etat a été définie par une circulaire du Premier ministre du 25 août 2000 ; elle charge le Commissariat général du plan d'assurer la coordination de l'évaluation. La circulaire transfère les financements que l'Etat déconcentre - 6/10 000 de la part de financement total de la part de l'Etat - en fonction de la programmation des évaluations qui est établie dans chaque région. Ce même Commissariat du plan apporte son soutien méthodologique sur les thèmes transversaux et c'est lui qui organise la mutualisation et les échanges d'expériences entre régions.

Du point de vue temporel, nous allons, en 2002, essayer de disposer d'un système simple et efficace de suivi financier par objectif. En s'appuyant, par exemple, sur l'annexe 4, qui est commune à tous les contrats de plan Etat-région et qui n'existait pas dans la génération précédente, une étude a été lancée par la DATAR sur la définition d'une grille d'objectifs harmonisée entre les contrats de plan Etat-région et les DOCUP, qui permettra de mettre en place les indicateurs sur une quinzaine d'objectifs nationaux et européens. Nous aurons le résultat de cette proposition de grille dans environ six mois.

Seconde question : doit-il y avoir uniquement des indicateurs régionaux, mais dans ce cas nous perdrons la comparabilité, ou bien uniquement des indicateurs nationaux, voire européens, et à ce moment-là nous perdrons la spécificité ? Je plaide pour des indicateurs homogènes sur l'ensemble du territoire, indispensables pour les comparaisons entre régions, non seulement françaises, mais également européennes ; s'agissant des grands objectifs, nous devons pouvoir comparer les résultats en tenant compte des standards européens - j'évoquais dans mon propos initial le programme ORATE.

Bien entendu, des études régionales et locales sont nécessaires, et peuvent prendre en compte les spécificités. Mais cela doit venir du jeu des acteurs locaux eux-mêmes ; nous n'allons pas inventer pour chaque conférence régionale des indicateurs qui ne sont pas les mêmes en région de montagne et en région littorale.

Il existe une volonté européenne à laquelle participe la DATAR, nous la proposons aux régions, puis nous essayons, par itérations successives, de parvenir à une méthodologie à peu près homogène.

M. le Président : Monsieur le Ministre, je vous remercie.

Audition de Mme Martine DURAND,

directrice adjointe du cabinet du secrétaire général de l'OCDE

Réunion du mercredi 23 janvier 2002

M. le Président : La Délégation reçoit aujourd'hui Mme Martine Durand, directrice adjointe du cabinet du secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Au terme de cette législature, la Délégation à l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale a programmé une série d'auditions sur l'évaluation des politiques publiques et les indicateurs du développement durable, sujet à la fois fondamental mais aussi novateur, et qui commence à être pris en compte dans notre pays pour un certain nombre de politiques.

Nous sommes d'autant plus heureux de vous accueillir que l'OCDE a beaucoup travaillé sur le thème du développement durable et a préparé un rapport "Développement durable : quelles politiques ?" qui dresse un bilan des réalisations, met en évidence un certain nombre d'obstacles conceptuels et pratiques freinant les progrès attendus et aborde les domaines dans lesquels des actions gouvernementales concrètes permettraient de mieux atteindre les objectifs fixés.

Nous souhaiterions donc avoir votre vision du développement durable, voir quels indicateurs ont été retenus ou pourraient l'être à ce sujet dans les pays que vous avez étudiés, quelles sont les difficultés les plus souvent rencontrées, quelles pistes doivent être envisagées pour l'avenir.

J'ajouterai que la Délégation s'intéresse également tout particulièrement au développement durable en matière d'aménagement du territoire.

Mme Martine Durand : Je vous remercie d'avoir invité l'OCDE. Malheureusement, son secrétaire général n'a pu se déplacer, mais je suis ravie de le remplacer aujourd'hui.

Mon intervention portera sur les directions dans lesquelles les travaux de l'OCDE se sont engagés, plus précisément les politiques que les ministres de l'OCDE discutent actuellement en matière de développement durable, et les difficultés qu'ils rencontrent pour mettre en place des politiques efficaces dans ce domaine.

En premier lieu, je souhaiterais remettre en perspective les travaux de l'OCDE. En mai 1998, les ministres des pays membres ont donné mandat à l'Organisation de traiter la question du développement durable et, plus particulièrement, de formuler des recommandations concrètes concernant les politiques en faveur du développement durable.

Le développement durable est un concept très vaste. C'est pourquoi, à cette occasion, ils se sont également accordés pour en donner une définition, à savoir un processus permettant de satisfaire les besoins de la génération présente, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins. C'est une définition très large.

Ce concept de développement durable englobe des considérations à la fois économiques, sociales et environnementales. Néanmoins, l'objectif est de toutes les rapprocher et de pouvoir promouvoir l'intégration des politiques dans ces trois domaines, et non pas agir séparément dans chacun d'entre eux.

Divers organismes gouvernementaux, organisations internationales, groupes de la société civile, organisations non gouvernementales oeuvrent pour promouvoir le développement durable. La contribution demandée par les ministres à l'OCDE est donc d'apporter son expertise multidisciplinaire, c'est-à-dire prendre en compte ces politiques dans un cadre multidisciplinaire, mais aussi multigouvernemental, puisque c'est une des caractéristiques de l'OCDE de promouvoir l'échange d'analyses et d'informations entre les pays membres.

En mai 2001, lors de la réunion du conseil des ministres, l'OCDE a remis un premier rapport "Développement durable: quelles politiques ?", complété par un rapport analytique plus détaillé intitulé "Développement durable et grandes questions". Les ministres de l'économie, de l'environnement et des finances, présents à cette réunion, ont approuvé les recommandations contenues dans ces rapports.

Toutefois, au moment où les dirigeants mondiaux se préparent pour le prochain sommet mondial sur le développement durable, qui doit avoir lieu à Johannesburg en Afrique du Sud en septembre 2002, on note que les progrès accomplis pour protéger l'environnement mondial, satisfaire les besoins sociaux et réduire la pauvreté partout dans le monde restent très insuffisants.

C'est pourquoi les ministres ont à nouveau demandé à l'OCDE d'intensifier ses travaux, en particulier sur les indicateurs susceptibles d'être utilisés dans des études futures d'évaluation des politiques, mais aussi sur l'élimination des obstacles aux réformes, sur la dimension sociale du développement durable et sur les moyens d'améliorer l'intégration et la cohérence des politiques dans les trois domaines que j'ai mentionnés.

De ce fait, le développement durable est aujourd'hui fermement ancré parmi les grandes priorités de l'Organisation, qui prépare actuellement un rapport pour la prochaine réunion ministérielle du printemps, ainsi qu'un rapport, "Le rapport des ministres de l'OCDE", pour le sommet de Johannesburg.

La question qui se pose est de savoir si nous sommes sur la voie d'un développement durable et si l'on peut mesurer les progrès qui ont été effectués et ceux qu'il reste à faire.

On peut indiquer, dans un premier temps, que les pays de l'OCDE ont fait des progrès économiques considérables au cours du demi-siècle dernier. Plusieurs indicateurs l'attestent : l'évolution du PIB par tête, de la productivité tendancielle, du progrès technique, de l'investissement, des échanges commerciaux, etc. Cette prospérité économique s'est traduite par une forte réduction de la pauvreté et une amélioration de la qualité de la vie. L'espérance de vie à la naissance a considérablement augmenté dans les pays de l'OCDE ; la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté a diminué ; la part du PIB consacrée aux dépenses d'éducation et de santé ne cesse d'augmenter.

Toutefois des progrès restent encore à accomplir pour que la prospérité soit mieux partagée dans les pays de l'OCDE, mais surtout dans ceux en voie de développement.

En revanche, on peut dire que si, sur les aspects économiques et sociaux, les progrès ont été nets, l'activité économique dans les pays de l'OCDE continue de se traduire par des conséquences négatives sur l'environnement local et mondial. Actuellement, avec 18 % de la population mondiale, les pays de l'OCDE consomment 50 % des ressources énergétiques mondiales et sont responsables de l'essentiel des émissions de produits polluants.

Les risques d'un possible franchissement de seuils critiques dans la capacité de régénération des ressources naturelles et d'une surcharge des fonctions d'absorption, ce qu'on appelle les puits de l'environnement, sont autant de menaces réelles sur la durabilité à long terme de la croissance économique. Si l'on considère les vingt prochaines années, le PIB mondial devrait, selon certaines prévisions, augmenter de 75 % en volume, dont les deux tiers dans les pays membres de l'OCDE. La progression de la population mondiale devrait se situer entre 1 et 2 milliards de personnes, principalement dans les pays en voie de développement.

On voit bien, avec ces évolutions, la perspective d'une concurrence accrue pour l'exploitation des ressources naturelles rares. Il est donc urgent d'agir pour ne pas mettre en péril le bien-être des générations futures.

On peut souligner que, dans de nombreux pays, on assiste déjà à un découplage entre la croissance économique et les conséquences sur l'environnement : par exemple, les émissions de produits polluants croissent moins vite que le PIB. Cela s'explique par une plus grande demande pour un environnement plus propre, mais aussi par un changement dans les techniques et structures de production, avec moins d'industries lourdes et polluantes et plus de services. L'OCDE développe actuellement des indicateurs de découplage pour analyser ces évolutions. Ils seront inclus dans son rapport de mai prochain.

En revanche, les progrès ont été moins marqués dans la réduction de la pollution qui a des effets négatifs sur la santé. On estime que ces dangers représentent entre 2 et 6 % de la morbidité dans les pays membres de l'OCDE et entre 8 et 13 % de celle dans les pays non membres. C'est aussi le cas en matière de qualité de l'eau, de biodiversité et de traitement des déchets solides, où les progrès sont beaucoup moins nets. Les indicateurs montrant ces évolutions incluent les concentrations d'ozone et de dioxyde de carbone, les mesures de qualité de l'eau pour les principales rivières, de qualité de l'air, les stocks de ressources marines, etc. Tous ces indicateurs font partie du lot d'indicateurs de développement durable.

Mais la mise en oeuvre de politiques efficaces est rendue plus difficile par l'existence d'un grand nombre de besoins sociaux non satisfaits. Plus d'un milliard de personnes dans le monde vivent actuellement avec moins d'un dollar par jour et des milliers de personnes dans les pays en voie de développement aspirent à des niveaux de consommation plus élevés. Ces disparités dans les conditions économiques influent sur les priorités des politiques nationales ainsi que sur la volonté des différents pays de coopérer dans la lutte contre des problèmes communs.

L'OCDE développe un cadre d'analyse utilisant des indicateurs de performance tels que ceux que je viens de citer, mais aussi des indicateurs qui permettront d'évaluer l'efficacité des politiques mises en oeuvre dans les pays de l'OCDE. Ce sont des politiques à l'interface de deux ou trois des dimensions du développement durable pour lesquelles les indicateurs permettent de mesurer les progrès accomplis.

Je vous cite un exemple. Certes, il est utile d'avoir un indicateur sur la réduction des émissions de C02. Mais qu'en est-il des conséquences en matière de compétitivité des entreprises ou de l'emploi ? Il est donc important d'étudier ces indicateurs et ces politiques en parallèle, afin que ces politiques puissent être couronnées de succès.

Je prends un autre exemple. Avoir des indicateurs sur la qualité de l'eau est en soi intéressant, car ce sont des indicateurs de performance. Toutefois, les étudier seuls ne permet pas de déterminer le succès des politiques. Il convient de mettre ces indicateurs en parallèle avec les subventions dans le secteur de l'agriculture et créer les liens entre ces deux domaines, c'est-à-dire la qualité de l'eau et l'agriculture, en tenant compte des conséquences pour l'emploi et le redéploiement des personnes affectées.

Dans ce cadre, quelles sont les politiques de développement durable qui sont à l'ordre du jour des travaux de l'OCDE et de ses pays membres ? Les ministres ont reconnu qu'une stratégie globale était nécessaire, à la fois sur le plan national et international. C'est pourquoi ils se sont mis d'accord pour agir sur cinq domaines clés :

1) Mettre les marchés au service du développement durable.

2) Renforcer les processus de décision.

3) Tirer partie des possibilités offertes par la science et la technologie.

4) Créer des partenariats avec les pays en voie de développement.

5) Trouver des solutions pour lever les obstacles aux réformes.

Je vais rapidement développer chacun de ces points. S'agissant du premier point, mettre les marchés au service du développement durable, les gouvernements des pays de l'OCDE s'appuyaient, par le passé, principalement sur la réglementation - interdictions, normes techniques, choix de technologie, etc - pour atteindre des objectifs environnementaux. Or les réglementations de ce type sont très complexes, souvent coûteuses à gérer et peu efficaces. Elles peuvent également représenter un frein à l'innovation et à l'introduction de nouvelles technologies.

Les pays de l'OCDE ont également, par le passé, eu massivement recours aux subventions à l'industrie et à agriculture, afin de protéger des productions domestiques et préserver des emplois dans ces secteurs. A titre d'exemple, les subventions du secteur du charbon sont estimées à 7 milliards de dollars par an pour l'ensemble de l'OCDE, celles destinées à l'agriculture à 327 milliards de dollars en 2000. Revoir les subventions qui ont un impact négatif sur l'environnement est donc une priorité.

On estime que les instruments de marché sont plus efficaces pour prendre en compte ce que l'on appelle les externalités, c'est-à-dire que les coûts et les prix reflètent, de manière plus directe, tous les coûts liés à l'environnement. Si je reprends l'exemple de la qualité de l'eau, le prix de l'eau devrait refléter les coûts inhérents au fait que l'agriculture pollue.

S'agissant des instruments de marché, il existe deux instruments principaux : les taxes et les permis négociables. Les taxes, liées à l'environnement, ont le mérite d'inciter à des changements de comportement, mais en 1998, les taxes liées à l'environnement ne représentaient que 7 % du total des recettes fiscales. Ces taxes frappaient, pour l'essentiel, les carburants, c'est-à-dire l'essence, le diesel, etc. mais en revanche, ne frappaient pas le fuel utilisé dans l'industrie. Il convient donc d'avoir un meilleur ciblage sur d'autres activités polluantes en réduisant notamment certaines exonérations. A titre d'exemple, le Danemark et la Belgique taxent un grand nombre d'autres produits polluants : les piles, les sacs plastique, etc., pour favoriser le recyclage.

Les permis négociables, qui constituent le deuxième type d'instrument de marché, sont plus efficaces pour atteindre un objectif précis. En effet, il s'agit de fixer des quotas d'émissions, puis d'établir un marché de ces quotas. Ces permis négociables sont déjà utilisés dans la gestion des ressources naturelles telles que les stocks de poissons, en Islande, au Canada, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande, mais également pour les émissions de dioxyde de soufre aux Etats-Unis.

L'une des difficultés de ces permis négociables est la complexité de leur mise en place et, en particulier, le traitement des droits acquis. En effet, il faut établir au départ un marché. Mais que faire avec ceux qui polluent le plus ? Doit-on leur donner systématiquement les droits de continuer à polluer comme ils le faisaient ?

Cela pose aussi des questions au niveau international, comme nous l'avons vu avec le protocole de Kyoto. On peut également mettre en place d'autres mesures telles que les systèmes d'accords négociés, les codes de conduite au niveau des entreprises, l'"ecolabelling" (étiquetage des produits indiquant si les produits sont favorables ou non à l'environnement), les origines de production. Ces différents moyens donnent des signaux aux consommateurs afin qu'ils puissent exprimer leur préférence. Néanmoins, ces dernières mesures sont en général moins efficaces que les instruments de marché. Il est donc nécessaire d'avoir un cadre d'ensemble qui soit cohérent, de revoir les politiques en matière économique et sociale pour prendre en compte les effets possibles sur l'emploi, l'activité, la répartition des revenus et assurer le reclassement des travailleurs affectés par les réformes.

Le deuxième point, sur lequel les ministres ont demandé à l'OCDE de travailler, concerne le renforcement des processus de décision. Puisque les actions dans le domaine du développement durable touchent à plusieurs domaines économiques, environnementaux et sociaux, il est nécessaire d'intégrer plus efficacement la prise de décision afin d'éviter les conflits potentiels entre différents objectifs.

Tout cela pose évidemment des problèmes de gouvernance publique. Dans la plupart des pays de l'OCDE, le principal instrument pour mettre en _uvre les objectifs de développement durable est le cycle budgétaire annuel.

Ainsi au Danemark, une évaluation environnementale stratégique annuelle est élaborée dans le cadre de la loi de finances. Elle a pour but d'encourager tous les ministères chargés de la politique économique à prendre en compte les questions d'environnement dans leurs décisions et, inversement, pour le ministère de l'environnement, de tenir compte de l'efficacité économique des mesures qu'il préconise.

D'autres pays ont mis en place des structures interministérielles de coordination pour favoriser la cohérence des politiques sectorielles et des politiques en matière de développement durable. Par exemple, il parait indispensable de coordonner les politiques de l'énergie ou les politiques sociales avec celles de développement durable si on veut parvenir à des résultats.

Il est également important d'impliquer les collectivités locales qui contribuent pour beaucoup à la mise en _uvre des politiques élaborées au plan national. Les services locaux, tels que l'urbanisme, les transports, la gestion des déchets et l'approvisionnement en eau, sont des sujets essentiels pour le développement durable et souvent traités au niveau local. Ces autorités infra-nationales doivent donc participer à l'établissement des objectifs.

Les pays ont adopté de multiples formules. Au Canada et au Mexique, les autorités centrales et régionales coopèrent à la planification des objectifs en matière de développement durable. Les provinces canadiennes ont des compétences particulières en matière de mise en oeuvre et de suivi de mesures pour le développement durable. Les Pays-Bas, l'Irlande et le Danemark ont mis en place des mécanismes contraignants pour les collectivités locales qui sont alors redevables, de manière juridique, quant aux objectifs fixés au niveau national.

Il faut également renforcer ce que l'on appelle la machine gouvernementale et impliquer les responsables d'administration. L'organisation des pouvoirs publics et de la formation des fonctionnaires, notamment dans les grandes villes, est essentielle pour traiter des problèmes d'urbanisme, de transport et de leurs conséquences en matière environnementale et sociale.

Ainsi, par exemple, la municipalité de Heidelberg en Allemagne fixe des objectifs précis de développement durable au personnel municipal. Lors de l'évaluation de leurs performances en fin d'année, ils doivent démontrer qu'ils ont atteint ces objectifs. Il ne s'agit pas de sanctionner, mais de fournir des incitations allant dans le bon sens.

Les parlementaires ont également un rôle important à jouer dans le renforcement des processus de décision, notamment dans le cadre de commissions spéciales et consultatives sur le développement durable, puisqu'ils permettent de faire progresser la cohérence et accroître la transparence.

Néanmoins, tous ces systèmes de renforcement de processus de décision nécessitent par ailleurs la mise en place de systèmes de contrôles a posteriori et de recensement des progrès accomplis par rapport aux objectifs fixés. Certains pays le font déjà, mais les organisations internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) ont un rôle à jouer en ce domaine. Cela contribue au débat public et à la transparence.

L'OCDE travaille selon un processus de "revue" par les pairs. Les politiques de développement durable, dans chacun des pays, sont analysées pour un pays par les vingt-neuf pays partenaires et membres de l'OCDE. Une liste de recommandations est établie en accord avec le pays examiné qui donne lieu à un suivi régulier. L'étude préliminaire est publiée, puis, chaque année, le suivi du pays en question. On peut ainsi constater les progrès non seulement pour un pays, mais pour l'ensemble des pays.

Les problèmes à traiter varient selon les pays, car tous n'ont pas les mêmes questions principales à prendre en compte. La dernière étude sur la France, sortie en novembre 2001, comporte un chapitre sur ses politiques de développement durable. Deux sujets particuliers sont traités avec plus de détails : la qualité de l'air et la qualité de l'eau. L'année prochaine, au moment de l'examen de la France, les progrès accomplis dans ces deux domaines seront à nouveau analysés, puis publiés. C'est au moment de l'examen que la pression des pays membres et partenaires est assez forte pour mettre en évidence si des progrès ont été réalisés dans le sens des recommandations et des objectifs qui avaient été fixés. En effet, les recommandations qui sont faites le sont en accord avec le pays examiné. Ce ne sont pas les pays partenaires qui imposent leurs vues à un pays en particulier. En résumé, après que les pays se soient accordés sur les problèmes principaux existant dans le pays examiné, une évaluation des résultats ou du progrès par rapport à ces objectifs est publiée.

M. le Président : Qui conduit cette évaluation ?

Mme Martine Durand : C'est le secrétariat de l'OCDE, de manière indépendante. Ensuite, lors d'une réunion plénière avec l'ensemble des pays membres, les participants examinent, pendant une journée, les progrès effectués sur un ensemble de politiques et non pas seulement sur les politiques de développement durable, même si ces dernières feront l'objet de ces évaluations de plus en plus régulièrement. Par conséquent, les organisations internationales jouent un rôle dans le domaine du suivi et de l'évaluation.

Les ministres ont fait figurer parmi les points clés "tirer parti des profits offerts par la science et la technologie". Il ne me semble pas nécessaire d'approfondir ce sujet dans la mesure où l'on voit bien ce qu'il convient de faire dans ces domaines.

Concernant un autre point important, à savoir lever les obstacles aux réformes, les politiques en place n'ont pas permis, jusqu'à présent, de répondre à l'urgence des défis posés. Il existe essentiellement deux raisons à cela, dont l'une est scientifique, et que j'aborderai car se pose un problème d'indicateurs, thème de l'audition.

Pour beaucoup de domaines, on constate encore un manque de connaissances scientifiques, par exemple un grand nombre de lacunes quant à la compréhension des conséquences de l'activité humaine sur les écosystèmes terrestres et humains. On ne sait pas encore bien mesurer la biodiversité. Il reste donc une grande part de travail à accomplir pour développer des indicateurs qui soient à la fois fiables et reconnus de tous. S'ajoute à cela une insuffisance d'information sur l'ampleur de ce qui est irréversible ou pas. Quand on atteint des seuils, il n'existe pas toujours d'accord sur ceux-ci. Des recherches scientifiques doivent donc être poursuivies sur ces thèmes.

Cela conduit certains gouvernements à appliquer un principe de précaution, certes probablement satisfaisant en l'état actuel des choses, mais peut-être inefficace. Il est donc capital de combler les lacunes en matière scientifique pour parvenir à une meilleure connaissance de certains phénomènes.

Toutefois, même lorsque les connaissances sont suffisantes, plusieurs facteurs d'ordre politique peuvent aussi expliquer le manque d'action. Au risque de me répéter, je souhaite néanmoins insister sur le fait que le développement durable ne concerne pas uniquement l'environnement. On se heurte évidemment à la peur des conséquences à court terme des mesures visant à protéger l'environnement sur la répartition des revenus, l'emploi, la compétitivité des entreprises, etc. Tant que l'on n'aura pas levé ces obstacles et mis en place des politiques appropriées, il est clair que les progrès en matière de politique sur l'environnement seront limités.

Les problèmes de développement durable sont aussi très interdisciplinaires, ce qui crée des obstacles aux réformes. Par ailleurs, les réformes dans ce domaine requièrent, probablement plus que dans un autre domaine, l'implication de la société civile afin de changer les mentalités. Un effort important d'éducation et de sensibilisation doit donc être effectué, surtout auprès de ceux qui risquent de se considérer comme les perdants dans les nouvelles politiques.

Enfin, dernier point sur lequel je voudrais insister, le développement durable est une question pour laquelle les enjeux sont mondiaux en raison du caractère planétaire des problèmes. Les priorités politiques ne peuvent être ni locales ni régionales, mais mondiales. Des réponses multilatérales sont donc nécessaires.

A ce titre, les pays de l'OCDE ont une responsabilité envers les pays en voie de développement pour que ces derniers puissent connaître une croissance durable du point de vue économique, social et environnemental. Certes, il est très difficile de convaincre des pays qui ne disposent pas d'eau potable, où les populations meurent de faim, de consacrer des ressources à l'environnement. Cela nécessite de renforcer la cohérence dans les pays de l'OCDE entre les politiques nationales en matière commerciale, sociale et environnementale.

A titre d'exemple, cela implique d'ouvrir des marchés dans certains secteurs comme l'agriculture et le textile pour les pays en voie de développement, de façon à amorcer déjà le processus de développement et de prendre en compte les critères environnementaux dans les politiques d'investissement à l'étranger. Mais avant tout, cela demande de conforter les capacités des pays en voie de développement en matière de gouvernance, d'infrastructure, d'éducation et de santé.

En d'autres termes, les politiques de développement durable doivent nécessairement inclure les politiques de développement tout court. La réduction de la pauvreté sera d'ailleurs l'un des thèmes majeurs du sommet de Johannesburg et d'autres réunions internationales, comme le sommet du G7-G8 qui aura lieu au Canada cette année, la réunion qui se tiendra au Mexique en avril prochain sur le financement pour le développement, et la réunion des ministres de l'OCDE de ce printemps.

En conclusion, je rappellerai que l'OCDE est constituée de l'ensemble des pays développés, mais que les pays en voie de développement doivent absolument être partenaires de la politique de développement durable.

M. le Président : Je vous remercie pour cet exposé extrêmement riche, précieux et très précis. Il nous a ouvert des horizons sur la façon dont vous travaillez et analysez les champs du possible en matière de développement durable. En premier lieu, je voudrais vous demander quelles sont les difficultés les plus grandes que vous rencontrez en matière d'expertise sur ce sujet.

Mme Martine Durand : Les sujets que nous traitons sont très vastes. Si je reprends les trois volets -économique, social et environnemental- du développement durable, notre expertise, au-delà de celle déjà existante au sein de l'OCDE, vient essentiellement de nos propres pays membres, puisque l'Organisation est également un forum permanent intergouvernemental.

A l'OCDE, cent quarante comités se réunissent, dans le cadre de mille ou deux mille réunions par an, avec des experts mondiaux venant traiter de tous les sujets de politique publique. D'une certaine façon, ce n'est pas l'expertise qui manque. Certes, certains domaines demandent à être approfondis. Par exemple, nous avons beaucoup de lacunes en matière scientifique pour développer des indicateurs de développement durable qui ne sont pas encore au point. Mais pour l'essentiel, nous avons une bonne batterie d'indicateurs.

Il s'agit plus d'une question de mise en place de cadres cohérents prenant en compte ces divers piliers du développement durable, pour faire progresser les politiques. Les indicateurs ne peuvent être qu'un instrument. Un indicateur en tant que tel ne donne pas la clé ou la solution d'un problème. L'important est d'établir la manière dont ces indicateurs vont être utilisés pour évaluer les politiques.

A l'OCDE, nous n'estimons pas très utile un indicateur qui n'est pas un support à une analyse de politique. L'examen de la part du PIB investie dans l'éducation est en soi très intéressant, mais est-ce un indicateur de développement durable ? La part du PIB investie dans les retraites est-elle un indicateur de développement durable ? En soi, probablement pas. Cela devient un indicateur de développement durable lorsqu'il est mis en parallèle avec d'autres politiques.

En termes d'expertise, ce qui nous manque, c'est l'expertise en matière de mise en _uvre et d'évaluation des politiques publiques. C'est cette expertise qu'il nous faut générer.

M. le Président : Nous avons un débat en France sur les indicateurs. Certains considèrent que chaque évaluation doit sécréter ses propres indicateurs et d'autres qu'il doit y avoir une comparabilité régionale ou européenne des indicateurs, afin de mieux mesurer, d'une part, les écarts de développement durable qui peuvent se creuser et, d'autre part, pouvoir mettre en place derrière des politiques de remédiation ou de rattrapage.

Avez-vous eu à l'OCDE ce débat sur la pertinence des indicateurs et leur adaptation à des situations qui parfois ne sont pas comparables ?

Mme Martine Durand : Oui, tout à fait. Les ministres, dans leur mandat de 2001, ont demandé à l'OCDE de développer les indicateurs. Comment cette question a-t-elle été abordée à l'Organisation ? Tout d'abord, la première remarque a été qu'il était hors de question de développer des indicateurs qui permettront de faire un "beauty contest". L'idée n'est pas de comparer les différents pays, mais de savoir à quels problèmes de développement durable on doit se consacrer.

Partant de cette approche, il est intéressant d'examiner quelles sont les solutions "win win" ("gagnant-gagnant"), c'est-à-dire voir si l'on peut gagner à la fois en matière d'environnement et économique, ou en matière sociale et environnementale. Un exemple est la qualité de l'air et la santé. La qualité de l'air en tant que telle est un indicateur de performance, mais le but est de se poser des questions au niveau "win win", sans remettre forcément en question les objectifs : quels que soient les objectifs fixés par les pays, chacun étant libre de fixer ses propres objectifs, quelles sont les mesures et les moyens qui vont rendre les économies de ces pays les plus adaptables et les plus efficaces pour atteindre ces objectifs ? C'est une approche quelque peu conceptuelle, mais qui permet de cadrer l'analyse qui est faite.

Je prends pour autre exemple les dépenses de santé en pourcentage du PIB. Dire qu'il faut dépenser plus d'argent en pourcentage du PIB en matière de santé n'est probablement pas un bon indicateur de performance. Ce n'est pas dans ce cadre que l'on va évaluer une politique durable. En résumé, les indicateurs ex nihilo n'ont pas grand intérêt, c'est l'utilisation qu'on va en faire.

M. le Président : Dans le développement économique, on sait corriger éventuellement ses insuffisances ou ses excès. On commence à mieux mesurer l'impact des politiques sur l'environnement et à mieux le connaître, même si vous indiquez qu'en matière de biodiversité, tout n'est pas maîtrisé.

En revanche, le domaine où cela reste beaucoup plus flou est celui du développement humain ou social. Quels sont, selon vous, les chantiers à venir dans ce domaine dont l'appréciation peut être très différente d'un pays à l'autre ? Comment peut-on objectiver le développement social ? Quels sont les champs de recherche qu'il faudrait mettre en oeuvre dans ce domaine ?

Mme Martine Durand : C'est un chantier sur lequel nous commençons à travailler à l'OCDE, exactement dans les termes que vous venez de mentionner, c'est-à-dire comment incorporer la dimension sociale aux questions de développement durable.

Cette question comporte deux aspects. L'un est beaucoup plus facile à cerner car de nombreux travaux ont été effectués à cet égard : il s'agit de déterminer quelles sont les conséquences sociales des politiques environnementales ou économiques et comment remédier à ces conséquences sociales. C'est un effet direct, mais il est clair que, lorsque l'on évoque la dimension sociale du développement durable, cela va au-delà.

Je vous expose où en est l'état de nos réflexions, car c'est un projet qui n'est pas achevé. Tout peut être mis sous le grand parapluie du développement durable. Pourquoi renommer, sous le développement durable, des questions sociales déjà traitées par ailleurs ? Si on souhaite les inclure sous le développement durable, c'est parce que cela va apporter de nouvelles connaissances.

L'aspect essentiel consiste à définir, pour les questions sociales dans le cadre du développement durable, la notion de persistance à long terme. Chacun sait, par exemple, que les personnes qui n'ont pas reçu une éducation de base suffisante à l'école primaire ou secondaire auront beaucoup de difficultés à se former par la suite, tout au long de la vie, ce qui est un des objectifs de développement social. En matière de santé, chacun sait que le lien entre éducation et santé est fort. Ceci reste au niveau d'un individu.

L'aspect le plus intéressant porte sur les questions intergénérationnelles : quelle est la persistance entre des facteurs sociaux actuels d'une génération qui vont se transmettre à la génération suivante et avoir des effets à long terme. Par exemple, la question se pose pour les retraites, car les engagements pris aujourd'hui auront des conséquences sur les générations futures. Toutefois, il ne s'agit pas uniquement d'une durabilité ou d'une soutenabilité financière. Au Royaume-Uni, le système de retraite est tout à fait soutenable financièrement. Mais dans cinquante ans, il y aura des gens très pauvres qu'il faudra indemniser par les politiques sociales. Cela constitue un problème de développement durable. La question de persistance et de facteurs intergénérationnels doit guider notre réflexion en matière sociale et de développement durable.

Vous avez mentionné le développement humain. Nous essayons de définir des mesures de capital humain. Pour l'instant, nous avons simplement des indicateurs d'années passées à l'école, mais c'est un mauvais indicateur, car le capital humain se développe tout au long de la vie. Dans certains systèmes, l'Allemagne étant un exemple, les étudiants passent beaucoup de temps dans le système scolaire, sans pour autant avoir des performances supérieures à d'autres pays. Par conséquent, développer des indicateurs de capital humain serait sans doute utile et c'est ce sur quoi nous travaillons à l'OCDE.

Toute une autre dimension, développée dans le cadre du développement durable, concerne la définition du capital social. Pour l'instant, cela reste une recherche très embryonnaire, car il est très difficile de définir la notion de capital social, sans faire intervenir des jugements de valeur. En effet, chaque pays peut avoir des objectifs sociaux différents. Le modèle scandinave est très différent du modèle américain. Il n'est pas question d'imposer des modèles sociaux.

M. le Président : On peut imaginer les croiser avec des critères objectifs, comme la santé avec la longévité, etc.

Mme Martine Durand : Il peut y avoir des interfaces. Quand j'évoquais les "win-win" dans les trois dimensions du développement durable, cela peut être aussi des "win win" économique-économique ou social-social. Par exemple, la question des retraites est à l'interface social-social, car on assure le bien-être social des personnes retraitées, soit par des transferts de personnes actives, soit aux dépens de leurs descendants. Ce sont des questions qui doivent être examinées en interaction avec d'autres.

M. le Président : Puisque nous sommes une délégation pour l'aménagement du territoire, l'impact des retraites sur le territoire est très fort. C'est un élément de répartition nationale de la richesse que l'on commence à mesurer de façon assez pertinente.

Mme Martine Durand : Cela entre tout à fait dans le cadre de ce qui doit être analysé.

M. le Président : Vous avez éclairé les questions que nous nous posions. Je vous remercie et je souhaite à l'OCDE bonne réussite dans ce chantier tout à fait fondamental.

Mme Martine Durand : Je vous remercie.

Audition de M. David Grant Lawrence,

directeur de l'environnement à la Commission européenne

Réunion du mardi 29 janvier 2002

Présidence de M. Philippe Duron, président

M. le Président : Monsieur Lawrence, nous vous recevons au sein de cette jeune Délégation à l'aménagement du territoire qui fut créée en 1999 dans le cadre de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999. Elle a pour mission de donner des avis et de faire des propositions, soit lorsqu'elle est sollicitée par le Gouvernement - c'était le cas pour les schémas de services collectifs -, soit lorsqu'elle se saisit d'un sujet.

C'est ce que nous faisons sur un certain nombre de dossiers dont, actuellement, celui de l'évaluation qui nous a semblé être un enjeu des années à venir, puisque la Commission souhaite que les Etats évaluent mieux les politiques structurelles et aussi parce que le Gouvernement, par sa circulaire du 25 août 2000 relative à l'évaluation des contrats de plan Etat-région, a engagé de nouvelles procédures.

Cette évaluation s'opère à plusieurs niveaux dans notre pays, mais nous sentons bien qu'elle est encore embryonnaire. Au niveau national, on commence à se forger une doctrine et à se doter d'outils dans les différents ministères. Au niveau local, la situation est encore nébuleuse et il nous semble nécessaire de la clarifier, de voir où il est possible d'améliorer le dispositif et les méthodes et de former les experts capables de dresser une évaluation de qualité.

La Communauté était, à cet égard, très en avance. La politique régionale de l'Union européenne mise en _uvre au moyen des fonds structurels a fait "décoller" l'évaluation en Europe et, dans un contexte de dépenses publiques de plus en plus lourdes, l'Acte unique européen, adopté au début de 1986, a introduit une première référence à l'amélioration de l'efficacité des dépenses publiques. La réglementation de 1988 a ensuite créé une obligation d'évaluation systématique.

Notre Délégation souhaiterait avoir des éclairages à ce sujet, connaître les difficultés rencontrées, notamment méthodologiques, les résultats obtenus et les pistes à suivre.

Sans doute pourriez-vous nous indiquer brièvement si, au sein de l'Union européenne, certains pays vous semblent avoir avancé plus vite que d'autres sur ce chemin et réalisé des expériences intéressantes qui mériteraient d'être transposées.

M. David Grant Lawrence : J'interviendrai principalement sur le développement durable et son évaluation.

Au sein de l'Union européenne, on parle de plus en plus en employant des noms de villes : ainsi, l'on parle du processus de Nice, de Cardiff, de Lisbonne. La stratégie de développement durable a été décidée l'année dernière à Goteborg, sous présidence suédoise. Elle a engagé l'Union à tenir compte dans toutes ses décisions des trois piliers du développement durable  : pilier économique, pilier social et pilier environnemental.

L'élément important qui a été ajouté à Goteborg a été la dimension environnementale. Nous avions eu jusqu'à présent, à _uvrer pour la mise en place du pilier économique - très tôt - puis, du pilier social maintenant. C'est le tour de l'environnemental.

La stratégie adoptée s'est concentrée sur quatre domaines prioritaires : le changement climatique ; les transports, pour essayer de dissocier la croissance et l'exploitation des ressources dans ce domaine ; la santé publique et l'utilisation des ressources naturelles.

Le Conseil européen a demandé à la Commission d'évaluer la mise en _uvre de la stratégie de développement durable sur la base d'indicateurs qui ont été décidés ultérieurement, sous présidence belge, à Laeken, banlieue de Bruxelles. La Commission a présenté à Laeken une liste d'une trentaine d'indicateurs au Conseil européen, et les chefs d'Etat et de gouvernement ont choisi quarante-deux indicateurs structurels pour toute la gamme du développement durable. Sept indicateurs concernent le pilier environnemental du développement durable. Ce sont :les émissions de gaz à effet de serre ; l'intensité énergétique de l'économie ; la part d'énergie renouvelable dans la consommation totale d'électricité ; le volume des transports par rapport au produit intérieur brut ; la division modale des transports - chemin de fer, avion, etc. - ;la qualité de l'air dans les agglomérations et les déchets municipaux.

Sur la base de ces quarante-deux indicateurs, la Commission européenne a adopté la semaine dernière un rapport de synthèse qui sera envoyé au Conseil européen de Barcelone. Ce sera le premier rapport de synthèse sur les trois piliers du développement durable.

Il faut bien reconnaître que, pour l'instant, la partie environnementale de ce rapport est assez peu développée. Nos collègues du pilier social et du pilier économique ont une certaine expérience parce qu'ils participent l'élaboration de ce rapport de synthèse depuis quelques années déjà. Nous, nous sommes en train d'apprendre et vous noterez, année après année, une amélioration.

En plus de cette décision sur la stratégie de développement durable, les chefs d'État et de gouvernement ont imposé à la Commission européenne l'obligation de soumettre toute proposition "majeure" à une étude d'impact -"majeure" était le mot employé, mais c'est un mot qui en lui-même n'était pas défini. Il nous faudra donc décider de ce qui est majeur ou pas, et toutes nos propositions ne seront donc pas soumises à cette étude d'impact sur le développement durable.

La Commission européenne s'est engagée avant la fin de cette année, de préférence vers le mois de juillet, à présenter une méthodologie relative à l'examen des effets sur le développement durable. Ma réponse à l'une de vos questions est donc que, pour le moment, nous n'avons pas l'outil pour juger de l'impact sur le développement durable. Mais cela viendra, nous l'espérons, avant la fin de l'année.

En tout état de cause, il me semble que cet outil doit avant tout être utile, parce qu'il ne s'agit pas d'ajouter à la bureaucratie. Il faut que cette évaluation démontre les raisons pour lesquelles la Commission européenne fait une proposition, qu'elle fasse remonter les données de base dont elle a tenu compte et les décisions qui l'ont conduite à adopter cette solution et qu'elle fasse également remonter les raisons de son choix, parce qu'entre les trois piliers, des choix doivent être opérés.

Par exemple, certaines décisions environnementales posent des problèmes sociaux. La Commission européenne doit donc justifier de suivre tel chemin plutôt que tel autre.

Dans cette évaluation d'impact du développement durable, la Commission doit démontrer au public, comme aux États membres qui doivent adopter les décisions au Parlement européen et au Conseil, les raisons qui la motivent.

Nous attendons, pour la mi-2002, la façon dont nous pourrons faire l'étude sur l'impact du développement durable.

Mais, comme vous le savez, il existe deux autres sortes d'évaluation au sein de l'Union européenne. La première est réalisée depuis longtemps maintenant, c'est l'étude d'impact environnemental dont la réglementation a été adoptée dans les années 1980. Cela crée énormément de problèmes dans tous les États membres parce que tous les grands projets sont couverts : troisième aéroport, autoroutes, liaison ferroviaire rapide entre Paris et Marseille, etc.

La directive essaie de ne pas imposer de choix à l'État membre. La décision finale appartient à l'État membre, mais ce dernier doit avoir suivi une certaine procédure commune à tous au sein de l'Union européenne, avant prendre à la décision. L'État membre est donc obligé, en vertu de cette directive, de faire une étude d'impact pour certains projets.

Pour les uns, l'étude est obligatoire, pour les autres, le choix reste à la discrétion de l'État membre, mais celui-ci doit le justifier. Il doit dire, par exemple, s'il choisit au cas par cas ou sur la base de seuils.

L'étude d'impact doit alors être entreprise conformément à la directive, avec une consultation obligatoire du public mais aussi d'une autorité de compétence environnementale installée dans l'État membre.

Si je prends l'exemple de la situation britannique, lorsqu'un ministère des travaux publics souhaite construire une autoroute, il doit, pour commencer, soumettre le projet à une étude d'impact environnemental. Puis, il doit publier cette étude pour le grand public afin que celui-ci puisse émettre des observations sur le projet. Parallèlement, le ministère des transports doit consulter le ministère de l'environnement. Tous les résultats sont ensuite livrés au public et il appartient aux élus de décider s'ils veulent l'autoroute ou pas. Même si cela doit éliminer des habitats importants, par exemple, ils ont le droit de prendre la décision qu'ils souhaitent dès lors que la procédure a été suivie.

Cette directive est entrée en vigueur dans les années 1980. Une nouvelle directive devrait prendre effet au cours des deux prochaines années, certainement à la fin de l'année prochaine. Elle sera la transposition au niveau des plans et des programmes de la directive relative à l'étude d'impact des projets.

Je dois souligner que si un projet est décidé par une loi, donc, par un Parlement national, il n'est pas soumis à l'étude d'impact environnemental parce que le Parlement qui a adopté la loi est censé avoir tenu compte des questions environnementales. C'est la raison pour laquelle la ligne de chemin de fer TGV Lyon-Marseille n'a pas été soumise à l'étude d'impact obligatoire.

M. le Président : Cela a été, également, le cas de l'autoroute Bordeaux-Toulouse.

M. David Grant Lawrence : Cela a été aussi le cas pour le tunnel sous la Manche.

La nouvelle directive qui entrera en vigueur l'année prochaine sur l'évaluation d'impact stratégique jouera le même rôle pour les plans et les programmes. Les gouvernements seront obligés d'examiner l'impact environnemental des plans et des programmes qu'ils proposent.

M. le Président : Pourriez-vous illustrer cette notion de plans et de programmes ?

M. David Grant Lawrence : Une politique des transports, c'est un programme. Un plan d'aménagement du territoire est un plan, en ce sens que l'on n'est pas encore descendu au niveau du projet.

Vous faites par exemple une étude d'impact pour un projet d'autoroute : l'autoroute passe-t-elle par ici ou par là ? Mais avant, on s'est posé la question de savoir s'il faut une autoroute ou une ligne de chemin de fer. C'est à ce niveau-là qu'intervient l'étude environnementale.

M. le Président : Sur les choix d'opportunité ?

M. David Grant Lawrence : C'est cela. Pour cette étude aussi, une procédure doit être suivie pour s'assurer que le public est concerné. La Commission européenne n'est pas directement responsable des projets, mais elle a décidé de s'appliquer l'étude d'impact sur les plans et les programmes.

En conséquence, la prochaine tranche de plans régionaux fera l'objet d'une étude d'impact stratégique, qui sera faite par la Commission européenne elle-même. La réforme de la politique agricole commune sera aussi soumise à une étude d'impact, ainsi que la réforme de la politique commune de la pêche.

En principe, la directive adoptée par le Conseil et le Parlement européens s'applique aux États membres et, juridiquement, ne s'applique pas à la Commission européenne mais, pour obtenir l'accord du Parlement européen, la Commission a accepté d'être liée par cette directive.

Il existe différentes sortes d'évaluations au niveau de l'Union européenne. Certaines sont connues et existent de longue date, d'autres sont nouvelles et nous tâtons encore le terrain.

M. le Président : Il était très important que nous comprenions bien la manière dont vous engagez la réflexion sur les indicateurs de développement durable. Il s'agit là d'un domaine totalement nouveau, tant pour ce qui concerne l'environnement que pour ce qui concerne l'évaluation en matière d'environnement. La méthode que vous avez choisie semble tout à fait rationnelle et raisonnable, dans la mesure où vous limitez ces évaluations à un certain nombre de critères. J'aurais deux questions à vous poser à cet égard.

La première porte sur la comparabilité des indicateurs. Ne pensez-vous pas qu'il est souhaitable qu'une concertation ou une incitation amène les États ou les régions à mettre en place, pour leurs propres évaluations, des indicateurs qui puissent être comparés à ceux du reste de l'Union ?

La seconde concerne la mise en opposition ou en corrélation d'indicateurs différents. J'ai été intéressé par la démarche entreprise par l'OCDE en la matière : elle estime qu'un indicateur en lui-même n'a pas forcément beaucoup de sens. Le développement durable appelle, bien évidemment, à opérer des choix et c'est sans doute par la confrontation d'un certain nombre d'indicateurs économiques et sociaux, économiques et environnementaux, de santé et d'environnement, que nous pourrons avancer vers des choix d'équilibre. Est-ce une démarche qu'à l'avenir, vous avez l'intention de promouvoir ?

M. David Grant Lawrence : Tout d'abord, sur la question de la comparabilité des indicateurs, j'ai indiqué qu'il existe quarante-deux indicateurs pour le développement durable, dont sept pour la partie environnement. Tous ces indicateurs sont soumis au même contrôle de qualité. Au départ, ne figurent sur cette liste d'indicateurs que ceux qui sont comparables d'un Etat membre à l'autre. Cela ne signifie pas que nous disposerons toujours de chiffres et de données pour tous les États membres. Pour certains d'entre eux, comme la Grèce ou le Portugal, par exemple, des données manqueront.

Ensuite, il faut que les chiffres portent au moins sur cinq années afin de disposer de statistiques permettant de tirer des conclusions.

La réponse à votre première question est donc positive et pour ce faire, nous essayons de trouver des indicateurs qui répondent à ces critères.

Nous acceptons le fait qu'il nous faudra continuer à améliorer nos indicateurs. Nous avons essayé, par exemple, de trouver le moyen d'exprimer les problèmes de pollution par produit chimique - pollution de l'eau, de l'air, du corps humain - et à ce jour, nous n'avons pas encore trouvé d'indicateur convenable. Vous pouvez toujours parler du tonnage, de la quantité du produit chimique utilisé, mais cela ne signifie rien. Nous procédons donc à des contrôles de qualité avant que les indicateurs puissent entrer dans notre "paquet" de quarante-deux indicateurs.

Tout l'exercice consiste à confronter les indicateurs parce qu'en fait, c'est en examinant les résultats qu'ils nous donnent que s'opèrent les choix. Un indicateur vous montre que votre politique diminue la pollution, mais un autre indique qu'en même temps, le chômage croît. Vous voyez qu'il y a une contradiction entre les deux. Vous devez faire le choix entre accroissement du chômage ou augmentation de la pollution. Le choix se présente parfois ainsi, mais il est certain que nous préférerions trouver une politique qui permette à la fois la diminution de la pollution et celle du chômage. Ce n'est, malheureusement, pas toujours le cas.

Je suis donc tout à fait d'accord avec l'OCDE. C'est exactement de cette façon que doivent être utilisés les indicateurs et les données qu'ils fournissent.

M. le Président : Dans mon préambule, j'évoquais les acquis de certains États. L'Europe du Nord, notamment, est probablement plus en avance en matière d'évaluation et de développement durable que nos pays ou ceux de l'Europe du Sud. Que peut-on apprendre de l'expérience de ces États membres ? Une partie de leur expérience est-elle transposable à nos pays ? Vous-même avez-vous utilisé ces acquis ?

M. David Grant Lawrence : Ce n'est pas par hasard que cette stratégie de développement durable a été adoptée en Suède et Danemark, parce qu'évidemment, les pays nordiques ont déjà une certaine expérience en matière de développement durable. Ils ont déjà travaillé sur cette idée, qui est sans doute moins avancée ailleurs. Je précise cependant que cela ne correspond pas nécessairement à une division Nord-Sud. Il existe aussi au Portugal, par exemple, de bons exemples de développement durable ; en effet, si vous vous intéressez à un problème comme celui de l'eau, entre l'Espagne et le Portugal, vous êtes face à une question de développement durable, puisque tous les fleuves portugais prennent leur source en Espagne : comment utiliser l'eau de façon durable pour permettre à ces deux pays d'avoir de l'eau ? Ils ont travaillé ensemble sur le sujet.

Nous nous sommes efforcés, dans toutes nos directives d'évaluation ainsi que dans les propositions que nous ferons concernant le développement durable, d'utiliser les expériences intéressantes de tous les États membres.

Mais il existe aussi beaucoup de facteurs d'entraves à une transposition pure et simple de l'expérience suédoise à la France, par exemple. La vie politique française est bien plus proche de la vie politique britannique que de la vie politique néerlandaise ou suédoise. Très souvent, les Pays-Bas ou la Suède ont choisi des solutions dans le cadre et le contexte de leurs sociétés politiques, qui ne sont donc pas transposables telles quelles à la France ou au Royaume-Uni, dont les systèmes politiques dont différents.

Mais il est certain que nous nous efforçons de recenser les bonnes pratiques qui existent dans les États membres et, dans la mesure du possible, de les utiliser au niveau de l'Union européenne.

M. le Président : En matière d'environnement, se pose le problème de l'acceptabilité des normes que l'on impose aux usagers. Cette acceptabilité diffère, on le voit, d'un pays à l'autre. Dans des pays où existe une acculturation à l'environnement, les solutions sont appropriées, les citoyens ont un patrimoine à protéger, si bien que travailler dans le sens du développement durable est vraisemblablement plus facile.

Dans un pays comme le nôtre, où le monde rural a toujours considéré qu'il était en phase avec la nature même si, parfois, il peut commettre quelques erreurs, c'est plus difficile. On le voit très bien avec le contentieux sur la chasse.

Quelles sont les recommandations de la Commission pour tenter de faire progresser dans les États membres la culture environnementale et cette culture de la nécessaire évaluation, d'une évaluation objective ?

M. David Grant Lawrence : La dernière fois que je suis venu devant une commission de l'Assemblée nationale, c'était pour discuter de la difficile question de la chasse.

Pour un citoyen britannique, c'est une problématique assez difficile à comprendre parce que, chez nous, comme vous le savez sans doute, la chasse est réservée à une élite, dont je ne fais pas partie. Il est donc difficile de comprendre.

J'ai lu que le Conseil d'État avait annulé la loi Voynet. C'est donc un peu difficile à comprendre et nous sommes en train d'essayer de le faire.

La directive sur les habitats a été adoptée, comme toute directive à l'époque, dans le cadre restreint d'un Conseil de ministres ad hoc. Mais les ministres de l'environnement n'en ont pas discuté avec les autres ministres qui pouvaient être concernés. Vous vous retrouvez, donc, dans une situation que l'on connaît pour d'autres directives, comme celles sur les nitrates où les ministres de l'environnement décident d'un texte qu'ils communiquent ensuite aux ministres, de l'agriculture ou autres, qui sont impliqués dans la mise en _uvre sur le terrain. Et c'est alors que les difficultés apparaissent.

A mon sens, la solution se trouve dans la transparence de nos procédures. Nous devons, au niveau de l'Union européenne, d'abord consulter tous les intéressés. Si l'on prend l'exemple de la chasse, on aurait dû consulter les chasseurs, les groupes verts, les organisations non gouvernementales environnementales.

De même, quand on se trouve devant un problème concernant un produit industriel, il faut parler aux fabricants. Même si ce produit est horriblement dangereux et un grand polluant cancérigène, il faut en parler à celui qui le fabrique, parce que ce dernier sait beaucoup sur son produit. Il a de nombreuses données et, généralement, beaucoup d'idées.

Il faut donc travailler dans une transparence complète, en parlant à tous ceux qui ont un intérêt dans la législation que vous allez proposer.

Puis, vous devez, sur la base d'une étude d'impact environnemental mais aussi d'une étude coût-bénéfice, proposer une solution équilibrée au ministre, en essayant d'expliquer les raisons pour lesquelles cette voie paraît la meilleure et les avantages qu'elle présente. Si le citoyen ne comprend pas, ne voit pas son avantage dans une législation environnementale, on se heurte à une opposition qui ne permet pas d'avancer. C'est ce que l'on découvre aujourd'hui en ce qui concerne la chasse en France.

La directive sur les nitrates pose des problèmes presque partout dans l'Union européenne. C'est aussi le cas d'autres législations, pour lesquelles on n'a pas suffisamment consulté.

Donc, dans le cadre du VIème programme d'actions pour l'environnement qui se discute actuellement au Parlement européen et au Conseil des ministres, nous nous sommes engagés dans une nouvelle approche : discuter de façon ouverte et totalement transparente des propositions avant de nous lancer dans un exercice de réglementation.

M. le Président : En 2003, nous allons faire un bilan d'étape des fonds structurels. Quelles évaluations ont-elles été engagées à cet égard ? Selon quelles modalités et avec quels résultats ?

M. David Grant Lawrence : Je ne suis pas un spécialiste des fonds structurels. En fait, les fonds structurels remplissent certains objectifs qui sont ancrés dans le Traité. Pour une région d'objectif 1, il faut remplir certains objectifs et que pour une région d'objectif 2, les objectifs sont différents.

Donc, en premier examen, nous étudierons si ces objectifs ont été atteints et, en seconde analyse, il s'agira de voir si ces objectifs qui ont été atteints l'ont été dans le respect d'autres objectifs entrant dans le Traité de l'Union, notamment le respect de l'environnement.

Je sais que la Commissaire européenne chargée de l'environnement compte inclure l'examen de l'effet des fonds structurels sur l'environnement.

Dans le choix et le développement de projets sur les fonds structurels, les deux directions générales de la Commission, celle des fonds structurels pour l'agriculture et celle chargée de l'environnement, travaillent ensemble. Nous rencontrons parfois des difficultés.

Dans mon propre pays, en Écosse, on voulait faire un développement en montagne. C'était un habitat hautement protégé. Après de grandes discussions, une solution a fini par être trouvée. On a su avoir le développement tout en protégeant l'environnement. Un énorme travail a été accompli au cours des dernières années.

M. le Président : C'est en l'an 2000, je crois, lorsque nous avions des difficultés avec Natura 2000, qu'une nouvelle culture a semblé émerger au sein de la Commission européenne. Les deux commissaires à l'agriculture, MM. Fischler et Barnier, avaient adressé une lettre, qui avait été ressentie comme peu plaisante, aux autorités françaises pour leur dire que les documents de programmation ne seraient examinés que lorsqu'ils auraient rempli leurs engagements, leurs obligations, en matière de transmission des sites à protéger.

Effectivement, le développement durable doit nous conduire à une nouvelle approche mais sommes-nous mûrs aujourd'hui pour nous engager dans cette voie - par exemple, lors de la réforme de la PAC qui, bien évidemment, est mise en cause, notamment pour ce qui est de la protection de l'eau, du problème émergent des organismes génétiquement modifiés, etc. ? Aura-t-on le souci, dans la réflexion préalable, de mieux concilier les objectifs d'intérêt économique de l'agriculture, d'intérêt social aussi ,puisqu'il y a également le souci d'équilibre des exploitations et l'équilibre de l'environnement ?

Nous avons essayé, dans un travail que nous avons réalisé lors de l'évaluation des schémas de services collectifs, de regarder ce problème pour ce qui concerne le schéma des services collectifs naturels et ruraux. J'ai pu constater, dans la discussion avec mes collègues, que cela provoquait débat. Certains députés ruraux avaient des craintes d'une remise en cause de l'autonomie des campagnes et surtout de leur avenir.

M. David Grant Lawrence : Nous avons passé de nombreuses années à essayer de convaincre nos collègues, qu'ils s'occupent d'agriculture, de transport, d'énergie ou d'industrie, de prendre en compte l'environnement. Mais nous avons eu une toute petite tendance à ne pas tenir compte des problèmes des autres. Aujourd'hui, avec le développement durable, il nous faut tenir compte, nous aussi, de l'économique et du social.

Ce sont les trois piliers. Il faut les considérer ensemble.

J'ai été frappé à la Gare du Nord, en arrivant aujourd'hui, par un stand qui vantait la viande de haute qualité, parce que je viens d'Écosse, donc, d'un pays qui a été affecté par la fièvre aphteuse ; en fait, l'Écosse n'a rien eu sauf dans les régions limitrophes de l'Angleterre. Ce stand vantait les marques de qualité de la viande, trois françaises et trois de l'Union européenne.

Cela montre qu'en tout état de cause, la politique agricole commune est déjà en train de changer, de changer dans un sens voulu par le consommateur parce que ce dernier, après les diverses crises - crises successives de la viande bovine en Angleterre, crise de la viande porcine aux Pays-Bas, crise du poulet en Belgique, dont une pas plus tard qu'hier -, se pose davantage de questions et, pour les agriculteurs, la vie devient, je l'admets, horriblement difficile.

D'autres problèmes se posent à nous également. Je pense notamment à l'élargissement de l'Union européenne à des pays aussi divers que la Pologne ou Malte. L'agriculture sur l'île de Malte, qui sera dans la première vague de nouveaux membres, est quasiment préhistorique : de très petits champs, travaillés par la famille à temps partiel...

M. le Président : Néanmoins, le paysage maltais fait partie de la richesse...

M. David Grant Lawrence : Tout à fait.

Je suis convaincu que pour tenir compte de cela, pour tenir compte des contraintes budgétaires, la politique agricole commune va devoir évoluer beaucoup plus vers la qualité et, si nos partenaires de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) l'acceptent, vers un système qui nous permette de soutenir l'agriculteur pour des tâches autres que la production de denrées alimentaires, parce qu'en Europe, contrairement aux Etats-Unis, nous avons des milliers d'années d'agriculture derrière nous. L'agriculture a commencé en Syrie il y a 10 000 ans, me semble-t-il. Aux Etats-Unis, elle a démarré en 1776. Ils ont donc pu diviser le pays en quartiers, un pour la viande bovine, un autre pour les agrumes, et un autre encore pour le blé, ce que nous ne pouvons pas faire.

La multi-fonctionnalité, la tâche de l'agriculteur de protéger les espèces et le terrain est un élément que l'on devra faire reconnaître, tout en laissant les grands agriculteurs de l'est de l'Angleterre ou de l'Ile-de-France vendre leur blé sur le marché mondial au prix du marché mondial.

M. le Président : Vous avez évoqué les transports. L'Union européenne et ses États ont adopté le protocole de Kyoto. Nous avons, dans ce cadre, pris des engagements importants et difficiles. Nous mesurons aussi que, dans un pays comme le nôtre, ce sont les transports qui devront susciter le plus gros effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Cette question des transports est délicate dans la mesure où le transport routier a, au long des trente dernières années, gagné des parts importantes de marché au détriment du transport ferroviaire. Nous voyons bien que la reconquête d'une multi-modalité sera longue et coûteuse, notamment là où les territoires sont les plus congestionnés : grandes périphéries urbaines, sillons de fret de transport les plus fréquentés ou franchissement de massifs. J'étais la semaine dernière à Bayonne où je présidais un colloque sur le franchissement des Pyrénées et j'ai pu mesurer la difficulté qu'il y avait à trouver des solutions. Depuis plus de 140 ans, on cherche, on oppose des solutions, sans jamais en trouver.

Votre direction et celle des transports voient-elles des moyens de renforcer, d'améliorer cet effort, qui est aujourd'hui admis, de transformation des modes de transport ? Une question m'intrigue beaucoup : comment fera-t-on pour obtenir ce qui est demandé dans le Livre blanc sur les transports, c'est-à-dire un "découplage" entre la croissance et la croissance du trafic ?

M. David Grant Lawrence : Vous ne me posez que des questions faciles !

Pour atteindre nos objectifs de Kyoto, nous devons effectivement travailler sur les transports parce que le taux de croissance des émissions provient essentiellement de ce secteur. D'autres secteurs y contribuent également, mais c'est surtout celui-ci et celui de l'énergie.

L'Union européenne doit essayer de trouver une façon d'encourager le transfert par rail. Un accord est intervenu ces derniers jours entre la France et l'Allemagne, me semble-t-il, pour accroître le trafic ferroviaire. Vous voyez déjà se dessiner un développement des voyages en chemin de fer à un niveau bilatéral que nous encourageons.

Il en va de même du tunnel sous la Manche et de la liaison Londres-Paris. Les vols Londres-Paris ont diminué de 50 % parce qu'en tant que consommateurs, nous préférons voyager en train. Nous prenons donc l'Eurostar de Waterloo à la Gare du Nord. Mais pourquoi a-t-on réussi ? Il faut se poser la question.

Il faut voir que vous partez du centre de la ville de Londres et arrivez au centre de Paris. Vous évitez l'enfer des liaisons centre ville-aéroport. C'est plus facile.

Mais l'aspect le plus important, c'est de parvenir à ce que le coût de chaque moyen de transport reflète la réalité environnementale. Pour le moment, ce n'est pas le cas.

Par exemple, mon voyage de Bruxelles a duré une heure et demie et m'est revenu moins cher que de venir seul en voiture. Mais si j'avais été avec ma femme et mes enfants, il aurait été plus long mais moins cher de prendre la voiture parce que, malheureusement, les prix de l'essence ne reflètent pas la réalité environnementale. C'est donc en internalisant les coûts externes que l'on encouragera une évolution vers le chemin de fer.

M. le Président : Le précédent Livre blanc sur les transports le disait déjà. Mais il est difficile de le faire admettre dans les législations. C'est très complexe et cela demandera encore beaucoup de travail.

Nous allons vers l'élargissement et dans certains pays d'Europe centrale et orientale, les problèmes de pollution et le respect de l'environnement ont longtemps été délaissés, pour ne pas dire ignorés. Depuis l'ouverture de ces pays, un certain nombre de catastrophes écologiques ont encore eu lieu. Je pense notamment à ce qui s'est passé dans le Danube. Avez-vous commencé à évaluer et à réfléchir sur les moyens à mettre en _uvre pour parvenir à une cohésion environnementale entre les vieux pays de l'Union et les nouveaux arrivants ?

M. David Grant Lawrence : Les négociations avec les pays candidats sont très intéressantes. L'un des chapitres parmi les plus difficiles à négocier a été le chapitre environnemental, le plus difficile étant celui de l'agriculture, dont nous ne commencerons à débattre que la semaine prochaine. Pour plusieurs pays, le travail sur l'environnement est déjà conclu. Cela signifie que nous avons discuté de l'acquis communautaire avec les candidats et sommes arrivés à un accord.

Vous soulignez qu'ils ont d'énormes problèmes environnementaux. C'est vrai. Mais, d'un autre côté, ils sont aussi certains avantages que nous n'avons plus. Par exemple, vous trouverez, en Pologne ou en Hongrie, une nature totalement vierge, non touchée par l'homme, ce qui n'existe pas dans nos pays. L'objectif est alors d'empêcher surtout la politique agricole commune d'empiéter sur ces terres et de les conserver vierges.

En fait, nous avons plusieurs catégories de candidats. Il y a celle des pays avec lesquels nous sommes déjà très avancés dans les négociations, qui comprend la Hongrie, la République tchèque, la Pologne et la Slovénie. Puis il y a la seconde, qui comprend la Bulgarie, la Roumanie et les deux îles de la Méditerranée, Chypre et Malte, qui ont chacune des problèmes difficiles à résoudre. Elles sont toutes deux des anciennes colonies britanniques, je ne sais pas si cela est un problème, mais cela présente en tout cas l'avantage de ne pas introduire de nouvelles langues au sein de l'Union.

Pour les pays appartenant à la première vague, pour lesquels nous envisageons une adhésion en 2004-2005, certaines directives ont créé d'énormes problèmes. Il s'agit de la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, de toute la législation relative aux déchets et à la pollution de l'air.

Tous ces pays ont demandé des périodes de transition. Dans la plupart des cas, nous sommes arrivés à des périodes de transition plus longues que celles que l'Union aurait souhaitées, mais plus courtes que ce que les Etats candidats demandaient.

Il faut aussi souligner que les Etats membres eux-mêmes ont eu un certain temps pour mettre en _uvre la législation. La législation sur le traitement des eaux urbaines résiduaires fut adoptée en 1991. Or la ville de Bruxelles n'est toujours pas en conformité, pas plus que de grandes villes françaises comme Lyon, Bordeaux ou Lille.

Donc, les Etats membres demandent aux pays candidats d'être en conformité dès leur adhésion et ceux-ci répliquent que nous-mêmes ne le sommes parfois pas.

Nous avons donc essayé de trouver avec eux une solution raisonnable qui ne mène pas à terme trop lointain. La Pologne, par exemple, demandait jusqu'en 2018 pour mettre en _uvre la réglementation sur les eaux urbaines résiduaires. Il est clair qu'ils disposeront d'une période de transition, qui leur donne, c'est vrai, un certain avantage concurrentiel.

Nous devons voir si la libre circulation, etc. s'applique aussi dans les autres domaines, car nous avons également d'autres demandes pour ces pays. Mais je m'attends à travailler tous les jours dans les cinq prochaines années avec des Polonais, des Hongrois et des Slovènes.

M. le Président : Ma dernière question portera sur les agendas 21.

A Rio, a été adopté le concept d'agenda 21 et l'Union européenne a, notamment, en matière d'agenda 21 urbain, lancé il y a quelques années des appels à candidature. Quelle est votre appréciation sur la réussite de ces agendas 21 ? Il me semble que leur qualité est très variable d'un pays à l'autre. Ils sont encore très méconnus dans de nombreux pays. Après Johannesburg, est-ce une politique que nous nous continuerons à encourager ? Ne va-t-on pas tenter d'améliorer ce dispositif ?

M. David Grant Lawrence : Effectivement, la qualité des agendas 21 a été assez variable. Je pense cependant que l'exercice a été très important car, s'il est très bien de prendre les décisions à Rio ou à Johannesburg, en fait, la réalité environnementale est dans la commune ou la région. Il faut donc toujours essayer d'associer ces gens à ce que nous voulons faire en faveur de l'environnement. A mon avis, cela a été le grand avantage de l'agenda 21 ; cela donnait l'idée aux régions ou aux communes de faire partie de la solution, de travailler ensemble.

Je ne sais pas ce que sera le résultat de Johannesburg. Nous sommes seulement maintenant en train de penser plus clairement à ce qui va se passer à Johannesburg. C'est un peu tard, mais je pense qu'il vaut mieux tard que jamais. Au niveau de la Commission européenne, nous ferons un petit pas en avant avec les contrats tripartites. Nous sommes en train d'en discuter avec les Etats membres et nous voudrions voir si nous ne pourrions pas, en regroupant Union européenne, Etats membres et région, voire ville ou commune, arriver à une meilleure mise en _uvre de la législation environnementale et trouver des solutions plus efficaces à nos problèmes d'environnement.

Nous sommes au début de cet exercice et nous nous heurtons, bien sûr, à des problèmes d'ordre constitutionnel parce qu'en réalité, en droit, l'Union européenne connaît la France, mais pas la Bretagne ou la Provence. C'est déjà plus facile en Belgique ou en Allemagne, qui sont des pays fédéraux. Presque toujours, la compétence environnementale se trouve au niveau inférieur, dans le sens où, quand une législation communautaire environnementale doit être mise en _uvre, c'est par la région, le land ou parfois la commune - la politique des eaux urbaines résiduaires, par définition, sont du niveau de la commune.

Nous essayons donc de construire une nouvelle expérience dans ce domaine, en nous appuyant sur cette association de communes et de régions qui étaient présentes dans l'agenda 21, avec les contrats tripartites.

M. le Président : Je tiens à vous remercier pour la grande qualité de votre témoignage, la précision de vos réponses. Nous avons, en effet, beaucoup à faire avec la Commission, en l'écoutant et en échangeant nos impressions ou nos observations pour faire avancer l'environnement et le développement durable dans nos pays, nos régions et nos communes.

ANNEXES

CONSEIL NATIONAL DE L'EVALUATION

ÉVALUATIONS


En cours d'évaluation

"Politique de lutte contre le SIDA", instance d'évaluation présidée par Christian Rollet, directeur de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines

"Politique d'aide au logement social dans les Départements d'Outre-mer", instance d'évaluation présidée par Jean-Luc Mathieu, conseiller-maître à la Cour des comptes

"La formation professionnelle continue des agents de l'État", instance d'évaluation présidée par Jean-François Cuby, inspecteur général de l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche

"Évaluation des politiques locales de contrôle/sanction de sécurité routière", instance d'évaluation présidée par Michel Ternier, ingénieur général des Ponts-et-Chaussées

"Évaluation des politiques de développement rural", instance nationale d'évaluation présidée par Daniel Perrin, ingénieur général du Génie rural et des Eaux et Forêts

Fonds structurels européens et politiques régionales (en cours d'installation)

Politique du service public des déchets ménagers

Aides aux très petites entreprises

Politique de contractualisation avec les universités

Pratiques de recours à des opérateurs externes pour la mise en service des politiques actives d'emploi

Politique de transport combiné rail/route (en cours d'installation)

Étude de faisabilité d'une évaluation sur les politiques d'amélioration de l'accès à la prévention et aux soins (en cours d'installation)

Évaluations achevées

"Politique de préservation de la ressource en eau destinée à la production d'eau potable", instance d'évaluation présidée par Franck Villey-Desmeserets, ingénieur

(Rendu public le 24 octobre 2001)

"Nouveaux services - emplois jeunes", instance d'évaluation présidée par Anicet le Pors, conseiller d'État

(Rendu public le 28 novembre 2001)

"Dispositifs d'aide à l'emploi dans le secteur non marchand", instance d'évaluation présidée par Yves Robineau, conseiller d'État

(A paraître)

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L'EVALUATION DES POLITIQUES D'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE DEVELOPPEMENT DURABLE AU ROYAUME-UNI

1. Les ministères compétents

Le concept d'aménagement du territoire n'existe pas au Royaume-Uni ou du moins ne correspond pas à la notion française. Aucune structure ministérielle n'est spécifiquement en charge du dossier.

Le ministère des transports, du gouvernement local et des régions a en charge la politique régionale, qui a pour but d'assurer le développement des neuf régions du Royaume-Uni.

Il est également responsable de la politique de l'urbanisme et du développement des quartiers défavorisés (regeneration).

Les agences régionales de développement sont toutefois placées sous la tutelle du ministère du commerce et de l'industrie. Ce sont elles qui gèrent les crédits budgétaires affectés au développement économique des régions.

La politique de développement durable est gérée par le ministère de l'environnement et de l'agriculture.

2. Une culture de gestion de la performance et d'évaluation inscrite au c_ur de la politique budgétaire depuis 1998

Le Gouvernement s'est engagé, en décembre 1998, à respecter certains buts généraux devant guider, sur une période triennale, l'action de chaque département ministériel (aims), les objectifs permettant d'atteindre ces buts (objectives), ainsi que les étapes ou les objectifs intermédiaires (targets) permettant d'atteindre progressivement ces buts ou objectifs. Ces engagements, signés par le Premier ministre, sont dénommés « Public Service Agreements » ou PSA.

Les objectifs intermédiaires retenus sur la période triennale sont censés être directement mesurables, car il peut leur être associé directement un indicateur. Les indicateurs retenus dans les PSA doivent être mesurables, réalisables et pertinents.

Ainsi, le ministère de l'environnement s'est vu fixé des objectifs quantifiés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et le ministère des transports des objectifs quantifiés en matière d'augmentation du trafic ferroviaire des voyageurs. Ces objectifs doivent être mis en _uvre d'ici le 31 mars 2002.

Les départements ministériels sont tenus de rendre publics les résultats annuels qu'ils ont obtenus dans la réalisation de leurs objectifs intermédiaires.

Un comité de ministres, présidé par le Chancelier de l'Echiquier, (Public Service Committee, PSX), assure le suivi des performances. Il examine notamment avec les ministres concernés les moyens de corriger la situation si la performance n'est pas à la hauteur des objectifs assignés. Pour ce faire, le ministère des finances a mis en place une base de données sur tous les objectifs intermédiaires des PSA, soit 600 indicateurs environ, dont 200 d'efficience.

Les directions du ministère des finances alimentent de façon trimestrielle la base de données. Elles discutent avec les ministères concernés des données ainsi saisies, les départements ministériels présentant leurs explications sur les résultats atteints. Sur cette base, le ministère des finances établit un rapport trimestriel au PSX.

3. Les indicateurs retenus pour l'évaluation des résultats de la politique de développement durable

Le Gouvernement britannique a publié, en mai 1999, sa « Stratégie pour le développement soutenable », qui retient 15 indicateurs principaux d'évaluation des progrès réalisés en matière de développement durable. Ces derniers se déclinent en 150 indicateurs.

Depuis lors, le Gouvernement produit, chaque année, un rapport mesurant l'évolution des 15 indicateurs principaux.

Ces indicateurs sont :

- le PIB par habitant ;

- le rapport entre l'investissement industriel et la production industrielle ;

- le pourcentage de personnes en âge de travailler occupant un emploi ;

- le pourcentage de personnes en âge de travailler au chômage et le pourcentage de personnes en âge de travailler dépourvues de qualifications ; le pourcentage des enfants vivant dans des foyers dont le revenu est inférieur de 60 % à la moyenne nationale ;

- le pourcentage de personnes âgées vivant seules dans un foyer affecté par des problèmes de chauffage ;

- le pourcentage des personnes âgées de 19 ans ayant obtenu un diplôme sanctionnant leurs études secondaires ;

- le taux d'espérance de vie à la naissance ;

- le pourcentage de familles ou d'individus ne vivant pas dans des logements respectant les critères de salubrité publique ;

- le nombre de crimes commis pour 100 000 habitants ;

- les émissions de gaz à effet de serre ;

- le nombre de jours avec un taux de pollution élevé et ceux avec un taux de pollution modéré ;

- le trafic routier ;

- la population totale d'oiseaux sauvages ;

- le pourcentage de nouvelles maisons construites sur des terrains ayant fait l'objet d'un plan d'occupation des sols ;

- les déchets ménagers et le recyclage.

Les autorités locales doivent elles aussi élaborer, depuis l'année dernière, leur stratégie pour le développement durable et indiquer les progrès obtenus dans ce domaine.

EVALUATION DES POLITIQUES D'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE DEVELOPPEMENT DURABLE EN SUEDE

I. Le cadre général

En Suède, la notion d'aménagement du territoire est organisée par un ensemble de 13 textes de lois votés en 1987. Le principal objectif de ces textes est d'organiser un aménagement du territoire tel que soit garantie, à court et long termes, une gestion saine des ressources naturelles, sociales et économiques. La notion de développement durable est donc inhérente à la production même d'instruments de planification. L'évaluation des instruments politiques s'effectue à toutes les étapes de la conception et de l'application de l'instrument, notamment par le recours à des instituts de recherches internationaux comme Nordregio, créé par le Conseil Nordique, par des audits internes organisés par chaque agence gouvernementale pour les politiques sectorielles, et par le contrôle des citoyens pour les normes édictées par les autorités locales. La recherche du consensus sur l'aménagement du territoire est centrale à la notion de planification en Suède.

La loi, dite PBL, portant sur la planification et la construction, organise l'aménagement du territoire au niveau des comtés et des municipalités. Son article premier dispose que cet aménagement doit " tout en respectant les libertés individuelles, promouvoir l'établissement d'une société égalitaire ainsi que des conditions de vie décentes à tous, à court terme comme à long terme".

Il n'existe pas d'organisme national centralisant les données relatives à l'aménagement du territoire. L'existence d'instruments de planification au niveau national résulte pour la plus grande part des travaux de la mission "Fysisk riksplanering" des années 1970, dont l'objet a été de mettre en évidence les zones à protéger ainsi que les zones d'implantation des industries lourdes. Les travaux de cette mission sont poursuivis par différentes agences gouvernementales, Boverk (conseil national du logement et de la construction), Naturvådsverk (agence de protection de l'environnement) et NUTEK (conseil national du développement industriel et technique). Ces travaux s'intègrent par ailleurs dans la perspective des travaux du Conseil Nordique sur le développement durable.

II. le rôle des comtés

La représentation de l'Etat dans les Comtés, le Länstyrelsen (LST) est responsable de la mise en _uvre de stratégies de développement régionales, selon les modalités de son choix. L'objectif est d'établir une stratégie à long terme, comprenant :

- une prévision en matière d'emploi et de population et une analyse des problèmes régionaux ;

- une définition d'objectifs de développement local dans le cadre national ;

- la rédaction de lignes directrices au niveau du comté.

Ces programmes n'ont aucune valeur contraignante.

Leur but est de servir de documents d'information, d'améliorer la coopération entre les 75 secteurs et d'indiquer des lignes directrices sur l'implantation d'infrastructures ou d'entreprises.

Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que les documents régionaux aient servi de fondements stratégiques d'une politique régionale. Le LST coordonne les activités de différents secteurs et des municipalités, et, de ce fait, est un lieu de dialogue continu avec les parties concernées.

Il incombe aux agences gouvernementales - réseaux routiers, marché du travail, éducation... - d'évaluer les dispositions prises par le LST.

Le LST peut procéder, dans certains cas, notamment lorsque la coopération entre municipalités est nécessaire (agglomérations importantes) ou si le gouvernement en fait la demande, de constituer un conseil de planification, qui rédige un plan régional de 6 ans qui servira de base aux travaux des municipalités. Sa rédaction s'effectue en coopération avec les municipalités, et les autres parties intéressées au projet sont consultées : avant l'adoption du plan, une enquête publique de 3 mois est ouverte, et appel peut être interjeté. Le gouvernement peut, en outre, annuler tout ou partie du plan.

III. Le rôle des municipalités

La charge de l'aménagement du territoire incombe surtout aux municipalités. Les textes organisant le fonctionnement des collectivités locales prévoient que chaque municipalité a l'obligation de présenter un document sur les prévisions d'aménagement détaillant la répartition des coûts, qui est soumis à publicité au moins trois semaines avant son adoption et qui est susceptible d'appel.

Les municipalités réalisent l'översiktsplan (ÖP, plan d'ensemble) qui, prenant en compte les lignes directrices communiquées par l'administration centrale, organise l'utilisation des sols et des ressources aquatiques, établit le zonage en matière de construction et crée les zones de développement.

L'ÖP est un compromis entre l'intérêt national et les intérêts locaux, et un instrument politique important, même s'il n'a pas de caractère contraignant.

L'ÖP est fondé sur les prévisions en matière de développement économique et démographique. Son exposé des motifs doit donc comprendre une présentation de la situation existante et les prévisions de développement. Le plan lui-même doit être rédigé de sorte qu'il soit immédiatement compréhensible.

L'avant-projet est soumis au LST et, éventuellement, au Conseil de planification, ainsi qu'aux autres municipalités concernées. Les autres parties intéressées - entreprises, services publics, etc. sont aussi consultées.

Les résultats de ces consultations sont publiés séparément de l'avant-projet.

Avant l'adoption définitive, la municipalité rend la proposition publique pendant 2 mois : toute personne est fondée à transmettre ses observations par écrit.

A l'issue de ce délai, le Conseil municipal vote le plan et ses éventuels amendements. Appel peut être interjeté de la procédure, mais non du fond.

Il n'est pas prévu une durée spécifique à l'ÖP. Il doit cependant être révisé périodiquement.

Deux types de documents de planification édictés par les municipalités ont un caractère contraignant :

Les « detalj plan » (plans détaillés, DP) et les Områdesbestämmelser (normes de zones, OB) ; les DP constituent le droit commun de l'aménagement ; les OB sont édictées pour les zones spécifiques à protéger. Cependant, leur procédure de conception et d'adoption est identique.

Les buts du DP sont de garantir un développement harmonieux, une utilisation raisonnable des sols tout en prenant en compte la nécessité de préserver les ressources naturelles. En conséquence, le DP ne peut que résulter d'un accord entre les parties concernées. La municipalité doit, dans un premier temps, adopter un programme indiquant les objectifs principaux du plan ainsi que les moyens mis en _uvre. Ce programme est le résultat des négociations entre la municipalité et les autres intervenants. Une étude d'impact environnemental est aussi adjointe à ce programme.

Le projet de DP est soumis au LST, à l'administration cadastrale ainsi qu'aux municipalités concernées par le plan. Les propriétaires, les membres d'associations coopératives de logement, les locataires et les résidents concernés par le projet de DP ainsi que les organismes publics, les associations et toute personne ayant un intérêt à agir sont consultées sur le projet. Avant l'adoption du plan, la municipalité rend public le projet pendant au moins trois semaines, pendant lesquelles toute personne peut transmettre ses observations par écrit. La municipalité doit publier ces observations ainsi qu'une déclaration en réponse à ces observations. L'ensemble des documents produits pendant la période de consultation est porté à la connaissance des personnes ayant participé à la consultation ; si, à la suite de la consultation, le projet est modifié de façon substantielle, une nouvelle période de consultation peut être ouverte.

Le DP adopté est transmis au LST, qui, dans un délai de trois semaines, doit s'exprimer sur la conformité du DP aux orientations et aux textes nationaux. Si tel n'est pas le cas, le LST annule le DP dans sa totalité (ou partiellement si la municipalité auteur l'accepte). L'annulation totale est susceptible de recours, dans un délai de trois semaines, devant le gouvernement.

Contrairement à l'ÖP, le DP est un document dont la validité est fixée dans le temps - entre cinq et quinze ans - et qui doit être actualisé lorsqu'il arrive à échéance. Actuellement, les DP mis en place au début des années 90 sont en cours d'actualisation et il est trop tôt pour tirer des conclusions efficaces.

3594 - Rapport d'information de M. Philippe Duron (Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire), sur l'évaluation des politiques publiques et les indicateurs du developpement durable

() - 1-efficacité de l'appareil productif (couplage-découplage),

- 2-prélèvements et pollutions critiques,

- 3-gestion patrimoniale,

- 4-répartitions et inégalités spatiales,

- 5-globalisation et gouvernance,

- 6-accès aux serveurs, services et patrimoines, inégalités et exclusions,

- 7-satisfaction, préférences, engagement, politiques et gouvernance,

- 8-principes de responsabilité et de précaution,

- 9-résilience, adaptabilité, flexibilité, développement de la réactivité.