UTILISATION DES ORGANISMES GENETIQUEMENT MODIFIES
EN AGRICULTURE ET DANS LALIMENTATION
Auditions publiques du jeudi 28 mai 1998 (suite)
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.
Table ronde VI
Avantages et risques en terme de santé
Allergies, résistance aux antibiotiques,
métabolites, aliments fonctionnels
Audition de M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie
Audition de Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.
Table ronde VI : Avantages et risques en matière de
santé
Allergies, résistance aux antibiotiques,
métabolites, aliments fonctionnels...
M. le Président - Nous allons reprendre la
dernière des quatre demi-journées d'audition en vous remerciant, Madame et Messieurs,
d'être venus participer à cette sixième table ronde.
Hier M. Bernard Kouchner a été auditionné avant la table
ronde et ce sera l'inverse pour la recherche ; ce sont un peu les hasards des
calendriers.
Je voudrais vous dire que les risques éventuels en matière de santé
sont bien entendu ceux qui, potentiellement, inquiètent le plus nos concitoyens.
Trois grandes catégories de questions sont posées ici :
- le problème des constructions génétiques faisant appel à un
gène marqueur de résistance à un antibiotique, c'est le cas du maïs Bt de Novartis
dont la culture a été autorisée en France ; la question de l'avenir concernera
l'utilisation de virus ou de rétrovirus dans ces constructions ;
- le problème de l'éventuelle allergénicité des aliments
produits à partir des plantes génétiquement modifiées ;
- l'éventualité de possibilités de mutations génétiques.
De même qu'en matière d'environnement les opinions sont très
divergentes, cette table ronde nous permettra peut-être de nous faire une idée un peu
plus précise de la réponse à apporter à cette interrogation.
Il ne faut certainement pas oublier qu'un aliment peut être
allergénique pour certaines personnes sans être le moins du monde transgénique.
Nous l'avons vu notamment en visitant Pioneer aux Etats-Unis qui avait
inséré le gène d'une protéine de noix du Brésil dans le soja. A la suite de cette
opération, le soja était devenu allergisant. Il peut en être de même des arachides, du
kiwi, d'un certain nombre d'autres plantes.
Il n'y a pas que des risques dans ce domaine, nous pouvons tout à fait
penser que la transgénèse pourrait permettre de créer des aliments meilleurs pour la
santé humaine. Cela a déjà été discuté ce matin.
En ce qui concerne les avantages éventuels nutritionnels des plantes
transgéniques, nous pouvons évoquer des huiles à haute teneur en acide oléique
fabriquées à partir de colza transgénique et déjà étudiées par Du Pont de Nemours
aux Etats-Unis ou par Monsanto.
Lorsque nous assistons aux conférences d'un certain nombre de firmes,
c'est la deuxième génération des produits qu'ils veulent sortir.
Enfin un problème qui inquiète également et dont
Monsieur Séralini a déjà parlé, est celui de la toxicité d'un certain nombre de
métabolites avec des modifications de métabolisme à partir du moment où des gènes ont
été insérés dans certaines plantes.
Pour ce débat nous avons réuni autour de cette table un certain
nombre d'experts qui connaissent tous ces problèmes, ces avantages et ces risques en
matière de santé, que ce soit les problèmes de résistance aux antibiotiques, de
métabolites, d'allergies ou encore d'aliments fonctionnels.
Sur votre droite, c'est-à-dire à ma gauche vous avez :
- Monsieur Patrice Courvalin, directeur de l'unité des
agents antibactériens à l'Institut Pasteur, qui vient d'écrire un article dans
"La Recherche" à ce sujet et que vous avez dû lire. Cet article est paru
entre l'audition dans mon bureau à l'Assemblée Nationale et cette audition publique
ouverte à la presse ;
- Monsieur Philippe Gay, directeur des biotechnologies
de Novartis ;
- Monsieur Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie
moléculaire à l'université de Caen, qui a signé un appel des scientifiques pour un
moratoire ;
- Madame Anne Moneret-Vautrin, professeur à la faculté
de médecine de Nancy qui est une spécialiste reconnue des allergies en France ;
- Monsieur André Rico, président de la Commission
d'Etude de la Toxicité des Produits antiparasitaires à usage agricole et substances
assimilées.
Ce sont nos intervenants, je vais leur demander comme dans toutes les
tables rondes que nous puissions avoir un temps après pour le débat.
Un certain nombre de questions m'ont déjà été indiquées dans ces
domaines lors des 200 heures d'auditions privées sur le sujet.
Je vais vous demander d'être assez concis dans vos exposés
liminaires, étant entendu que vous pourrez reprendre la parole lors du débat qui
sinstaurera.
La parole est à Monsieur Gay.
M. Gay - Parmi les avancées permises par les
plantes transgéniques, la résistance aux insectes est essentielle dans la mesure où il
n'existe pas de gènes de résistance efficaces dans le génome de nombreuses plantes
cultivées.
Les insectes posent deux types de problèmes au niveau de la santé
publique.
Le premier est qu'ils prélèvent une part non négligeable des
ressources alimentaires et qu'à un terme relativement proche ces ressources pourraient
manquer.
Le deuxième est que les insectes sont vecteurs de maladies et plus
particulièrement de maladies fongiques. Or les plus fréquents de ces pathogènes (Aspergillus,
Fusarium) sécrètent des mycotoxines (nous connaissons l'aflatoxine, les
zéaralénones, les patulines), toutes responsables de pathologies variées allant de
l'induction de cancers à des troubles de croissance et de fertilité chez les animaux.
Les premières études conduites aux Etats-Unis sur le maïs
transgénique montrent clairement que la présence des ces mycotoxines est diminuée de
façon très significative chez les plantes rendues résistantes aux insectes par
transgénèse.
Il est important de dire qu'avant l'avènement des plantes
transgéniques, il n'est de denrée alimentaire qui n'ait été soumise à des enquêtes
aussi approfondies quant à leurs conséquences sur le plan de la santé des hommes et des
animaux domestiques.
Pour ce qui est du maïs de Novartis, plus de trente comités d'experts
dans le monde se sont penchés sur le dossier et ont conclu à l'innocuité du produit.
Cette constatation a été logiquement suivie d'une autorisation de mise sur le marché.
Ces comités se sont prononcés clairement sur des questions reprises
aujourd'hui par les média. Les principaux points traités concernent deux domaines
principaux :
- toxicologie et allergologie d'une part,
- transferts horizontaux de gènes d'autre part.
Dans le premier domaine, celui de la toxicologie et de l'allergologie,
il s'agit des effets directs des nouvelles protéines synthétisées et des effets
indirects sur le métabolisme.
L'analyse des plantes a été facilitée par le fait que les protéines
en question sont empruntées à des organismes déjà présents dans notre environnement.
Nous pouvons citer deux exemples à ce sujet.
Les delta endotoxines de Bacillus thuringiensis qui sont
la base de certaines préparations insecticides utilisées depuis plus de trente ans.
Tant les agriculteurs qui les épandent que les employés des usines
qui les fabriquent ont été exposés à de très fortes doses de ces protéines. A notre
connaissance, aucune pathologie n'a été détectée dans ces groupes, qui puisse être
attribuée aux protéines Bt.
A l'inverse, les investigations associées à une tentative
d'amélioration de la composition protéique du soja - il y a été fait référence
il y a une minute par Monsieur Le Déaut - ont permis d'identifier
l'allergène jusqu'alors inconnu de ce fruit.
Le produit n'a pas été développé, n'a pas dépassé le stade
expérimental. Ceci montre que les garde-fous dans ce domaine sont efficaces.
Le deuxième domaine soumis aux investigations est celui des gènes
marqueurs et leur éventuelle dissémination horizontale, c'est-à-dire leur transfert à
d'autres espèces par des voies non sexuées.
Les gènes marqueurs sont des gènes dont la présence dans le produit
final est une trace de la technologie employée tant pour les étapes de clonage que pour
celle de la transformation des plantes. Ils ne sont pas forcément nécessaires au produit
fini.
Parmi eux, vous avez des gènes de résistance à certains
antibiotiques dont le gène bla (bêta lactamase) TEM1 présent dans le
maïs de Novartis.
Il serait hors de propos de juger à ce sujet du bien fondé de la
technique mise en oeuvre pour créer ce maïs, je m'explique.
Toute semence transgénique commercialisée aujourd'hui est le fruit de
techniques qui l'ont précédée de dix ans. En ce sens la technologie présente dans un
produit sera toujours en retard sur l'état présent des connaissances.
A l'inverse, il faut souligner que l'évaluation de la sécurité
biologique bénéficie, elle, des développements les plus récents des connaissances.
C'est ce que nous allons faire aujourd'hui.
Pour en revenir au gène bla TEM1, la question a été posée de
la contribution éventuelle du maïs à la dissémination de la résistance à
l'ampicilline dans des micro-organismes tant du sol que du tube digestif.
Je suppose que nous reviendrons sur ce thème dans la discussion et je
voudrais simplement le résumer.
D'abord aucun transfert de ce gène de la plante vers les
micro-organismes n'a été démontré expérimentalement.
Ensuite, pour autant qu'elle soit possible, la fréquence de ce
transfert potentiel serait au moins des dizaines de milliards de fois inférieur à celle
des transferts naturels qui, eux, sont bien connus.
Ce sont là des arguments retenus par les comités scientifiques de la
Communauté Européenne pour conclure que le transfert en retour du gène bla du
maïs vers des micro-organismes est virtuellement impossible et ne serait, s'il se
produisait, pas significatif sur le plan clinique.
La résistance aux antibiotiques est aujourd'hui un grave problème de
santé publique. Il serait regrettable qu'à ce sujet, le public soit troublé par des
amalgames ou des assertions trop spectaculaires.
Néanmoins les progrès de la technologie font que ce type de marqueur
ne sera probablement plus présent dans les nouvelles générations de plantes
transgéniques. Ceci contribuera certainement à éliminer le trouble que ces marqueurs
ont causé dans l'opinion.
Je vous remercie de votre attention.
M. le Président - Merci beaucoup. La
parole est à Monsieur Séralini.
M. Séralini - Ma conviction est que les OGM
peuvent contribuer à l'amélioration de la santé de l'humanité, mais qu'aujourd'hui,
par bien des aspects, nous fonçons dans le brouillard.
Bien que nous soyons dans un aspect analytique rapide de chaque groupe
de questions, j'insiste dès le départ sur le fait que la synthèse des zones de non
accord sur chaque question pose un réel problème pour la mise en place des OGM sans
avoir un moratoire de recherche pour favoriser encore un certain nombre de contrôles et
de mises en place des filières.
L'innocuité à long terme ne repose sur aucune base scientifique
suffisamment sérieuse à notre avis comme à celui d'un certain nombre de scientifiques
qui ont signé cette demande de moratoire.
Sur les points non résolus, je voudrais dire que dans la majorité des
plantes génétiquement modifiées cultivées aujourd'hui ou en instance de culture et à
visées alimentaires, trois groupes de gènes étrangers à leurs espèces hôtes ont
été insérés.
Tout d'abord, comme vient de vous le rappeler Monsieur Gay, les
gènes de résistance aux antibiotiques, puis ceux de résistance aux insectes et enfin
ceux de tolérance aux herbicides. Chacun de ces points comporte des certitudes et des
incertitudes.
Pour les gènes de résistance aux antibiotiques, les certitudes sont
qu'il n'y a pas d'utilité agronomique dans le champ de l'agriculteur et que nous
pourrions nous en passer, nous venons de l'entendre.
Ils pourront aussi sans doute se transférer dans le milieu. En tout
cas ils seront déposés dans le sol à la dégradation de chaque plante qui comporte des
dizaines de milliards de cellules. Il peut donc y avoir une rémanence de ces gènes dans
le sol.
Le débat porte sur l'impact de ce transfert soit aux bactéries soit
dans le tube digestif des mammifères qui consomment ces plantes.
Une autre certitude est que la résistance aux antibiotiques est
devenue un problème important de santé publique.
Les incertitudes sont l'impact du transfert, c'est en cours d'étude
par les comités qui ont été formés. A notre avis, ce point est suffisant pour avoir un
moratoire de manière à ce que nous ayons le temps de développer des variétés sans ce
gène.
En ce qui concerne les gènes de résistance aux insectes, il y a des
certitudes.
Une certitude est qu'un insecticide est produit dans une plante
alimentaire. Une autre certitude est que les dérivés de ces plantes ne sont pas
étiquetés aujourd'hui en France.
Les incertitudes portent aussi sur l'impact sur la santé humaine et
l'écosystème non évaluable à long terme. Si ces dérivés ne sont pas étiquetés, n'y
aura-t-il pas d'effets secondaires imprévus ?
Dans ce cas, nous ne pourrons ni tracer ni retirer les lots du marché
si bien que des filières entières de maïs et de soja auraient des problèmes.
Pour les gènes de tolérance aux herbicides, en disant cela je ne nie
pas le bénéfice de l'utilisation des insecticides, mais je dis qu'il y a encore des
problèmes et que ceux-ci justifient un moratoire.
Pour les gènes de tolérance aux herbicides, il y a des
certitudes : nous allons augmenter la consommation des herbicides auxquels les
plantes ont été rendues tolérantes. Il faut donc être très prudent dans les
affirmations disant que nous aurons un bénéfice environnemental. Apparemment en effet
ces herbicides ont une rémanence moins grande.
Une autre certitude cependant est que des effets secondaires sur la
santé ont été publiés tant pour les deux principaux herbicides dit totaux, qui ne le
sont plus maintenant puisque ces plantes y sont tolérantes. Il s'agit du glyphosate,
principe actif du Roundup et du glufosinate, principe actif du Basta ou du Liberty.
Ces effets ont été publiés pour le Roundup avec des effets négatifs
sur la fertilité, la mutagenèse. Récemment des dérivés du Roundup ont été trouvés
liés sur l'ADN de foie d'animaux en ayant consommé.
Vous avez également la neurotoxicité pour les embryons et les bébés
de mammifères.
Les incertitudes portent sur les métabolites de ces herbicides, pas
seulement de leur principe actif, mais des adjuvants utilisés avec dans l'herbicide, qui
pourraient s'accumuler dans la chaîne alimentaire comme nous l'avons déjà vu pour
d'autres insecticides comme le DDT ou l'atrazine.
Même si ces herbicides sont moins rémanents, il peut y avoir des
adjuvants ou des dérivés de ces herbicides qui peuvent être toxiques alors que nous ne
l'avions pas prévu.
Il faut être prudent en donnant l'information que c'est un bénéfice
environnemental. Il y a un bénéfice partiel, mais il faut, à notre avis, que le public
soit informé qu'il y a aussi des inconvénients partiels et que nous ne pouvons pas dire
que c'est tout beau.
A priori, il faut à notre avis, davantage de recherche pour
étudier cela sur les mammifères.
Pour lever ces incertitudes et favoriser à long terme toutes les
parties concernées, y compris les contrôles de qualité des entreprises qui pourront
ensuite exporter des produits de qualité contrôlée et dûment vérifiée, il faut leur
donner du temps.
Nous faisons évidemment des contrôles aujourd'hui et nous faisons
toute confiance aux commissions qui les ont réalisés. Nous disons que c'est pour cette
raison que nous voulons leur donner du temps, pour qu'elles puissent faire des contrôles
sur le long terme.
Je suis donc favorable à un moratoire de cinq ans sur la
commercialisation dans l'alimentation des OGM et des dérivés. Cela permettrait
d'apporter des réponses plus précises à ces questions.
Merci.
M. le Président - La parole est à
Monsieur Courvalin.
M. Courvalin - Je vais me concentrer sur les
gènes de résistance aux antibiotiques puisque je suis là en tant que chef d'une unité
à l'Institut Pasteur de Paris. Nous travaillons maintenant depuis plus de vingt ans sur
les transferts de gènes dans les conditions naturelles ce qui est exactement le problème
du jour.
Je suis également responsable du Centre national de Référence des
Antibiotiques qui dépend du Ministère de la Santé, de la DGS et qui étudie les
mécanismes de résistance aux antibiotiques.
Le problème tel que posé par les deux orateurs précédents est la
possibilité d'un retour vers les bactéries des gènes de résistance utilisés au cours
de la transgénèse puisque ce sont les gènes bactériens qui ont été introduits dans
les plantes.
Comme il a déjà été dit, ce sont des gènes parfaitement inutiles
dans les plantes, ils ne s'expriment pas. Comme l'a dit Philippe Gay, ce sont des
vestiges des constructions intermédiaires qui sont vraiment tout à fait inutiles.
Les critères de choix, car il y a de très nombreux gènes de
résistance aux antibiotiques, utilisés par les scientifiques pour les sélectionner
c'est d'une part leur incidence élevée dans la nature et d'autre part le fait qu'ils
conféraient de la résistance à de vieux antibiotiques qui ne sont plus utilisés en
clinique humaine.
En fait il faut bien comprendre qu'il n'y a pas de gènes de
résistance anodins ou ubiquistes et, à mon avis, ces choix ont été assez malheureux.
En ce qui concerne le gène bla qui confère la résistance à
l'ampicilline, mentionné par Philippe Gay, il faut se souvenir que ce gène confère
la résistance aux pénicillines et que celles-ci sont une des familles majeures
d'antibiotiques utilisés tant en thérapeutique humaine qu'animale.
Ce qui est extrêmement important c'est que des mutations ponctuelles
dans ce gène, c'est-à-dire le plus petit événement génétique que vous puissiez
imaginer, le changement d'une seule paire de base, convertit ces pénicillinases en des
céphalosporinases.
Une enzyme va non seulement inactiver toutes les pénicillines mais
toutes les céphalosporines, c'est-à-dire les molécules les plus récentes. Une seule
mutation va abolir quinze ans de recherche de toute l'industrie pharmaceutique.
Un autre type de mutation confère la résistance à un autre type de
produit qui sont des inhibiteurs de pénicillinases. Dans l'arsenal thérapeutique, nous
avons des molécules qui inhibent ces pénicillinases, qui rendent les bactéries à
nouveau sensibles aux pénicillines et si nous les associons avec des pénicillines, nous
pouvons traiter les bactéries.
Là encore une mutation ponctuelle peut conférer la résistance aux
inhibiteurs de pénicillinases. Ce gène qui, apparemment, est banal, peut évoluer très
facilement vers la résistance aux molécules humaines.
La deuxième chose est sa prévalence chez les bactéries pathogènes
responsables de diarrhées. Nous avons dit que c'était un gène abondant, en fait c'est
tout à fait erroné car s'il est présent dans les bactéries saprophytes, dans les
bactéries commensales du tube digestif, il est beaucoup moins fréquent dans les
pathogènes qui sont responsables de diarrhées comme les salmonelles, les shigelles, Escherichia
coli ou les Vibriae cholerae.
La fréquence varie selon les espèces, mais elle est seulement de
quelques pour-cent. C'est notamment un gène absent chez l'entérocoque, bactérie
opportuniste qui donne des infections nosocomiales, c'est-à-dire acquises à l'hôpital.
Ce gène est totalement absent chez cette bactérie qui est de plus en plus fréquente en
clinique.
Un autre gène, le gène aph3'-2 confère la résistance à la
kanamycine, à la néomycine. Il est vrai que ce sont des antibiotiques très peu
utilisés, mais là encore une mutation ponctuelle peut conférer la résistance à
l'amikacine.
L'amikacine est l'antibiotique le plus utilisé dans les unités de
soins intensifs pour le traitement des infections acquises à l'hôpital. C'est également
un antibiotique qui connaît un regain d'intérêt dans le traitement de la tuberculose du
fait de la multirésistance aux antibiotiques de cette maladie.
Un troisième gène confère la résistance à la streptomycine, là
encore un vieil antibiotique qui, lui aussi, connaît un regain d'intérêt car les
bactéries sont devenues résistantes à la gentamicine et aux antibiotiques apparentés.
La streptomycine est le seul antibiotique de cette famille qui n'a pas
de résistance croisée avec la gentamicine. Cela veut dire que les souches résistantes
à la gentamicine restent sensibles à la streptomycine.
Là encore la streptomycine, en dépit de ses actions secondaires (sa
douleur au point d'injection, sa toxicité), est de plus en plus utilisée dans le
traitement des infections sévères chez l'homme, notamment l'endocardite, ceci à cause
de la multirésistance.
Je crois que ces choix de gènes ne sont pas bons et de toute façon il
n'y a pas de gènes anodins de résistance aux antibiotiques.
Maintenant il y a le problème du rétrotransfert, ce que
Philippe Gay appelait le transfert horizontal d'informations génétiques,
c'est-à-dire le retransfert du gène chez la bactérie.
C'est un domaine où nos notions sont extrêmement fluctuantes et cela
rejoint les préoccupations de l'orateur précédent. C'est un domaine dans lequel nous
nous apercevons qu'il y a des transferts de gènes qui se produisent dans la nature entre
des règnes - non plus des espèces ou des genres - qui ont divergé il y a
très longtemps.
Nous nous sommes notamment aperçus qu'il y avait des transferts des
bactéries aux cellules de mammifères, des mammifères aux bactéries. Dans le dernier
numéro de Current Biology, il y a un très bel article sur un gène de résistance
aux antibiotiques chez une bactérie qui proviendrait des cellules de mammifères.
C'est un domaine extrêmement fluctuant dans lequel il faut être très
prudent.
Nous arrivons vers cette notion de transfert horizontal d'informations
génétiques entre des organismes qui ont divergé il y a des milliards d'années. Il faut
donc être extrêmement humble et prudent en ce qui concerne ces transferts de gènes.
Comme je l'ai dit, il y a deux exemples très bien documentés :
celui qui vient d'arriver de transfert des cellules de mammifères aux bactéries.
Comme l'a dit Philippe Gay, des plantes aux bactéries, le
transfert n'a pas encore été démontré, mais il faut bien savoir que ce domaine a été
très peu étudié. Ce n'est pas en faisant ce genre de manipulation que vous aurez le
prix Nobel, il y a très peu de chercheurs.
Comme cela n'a pas été démontré et pas non plus été tellement
étudié, ce n'est pas très probant et de toute façon, en ce qui concerne un résultat
négatif en recherche, ce n'est pas parce que cela n'a pas été observé que cela
n'existe pas.
Encore une fois il y a une évolution de la notion sur les transferts
horizontaux de gènes parce que très récemment nous avons eu des démonstrations que ces
transferts se produisaient dans la nature.
Les constructions réalisées jusqu'ici - ce que dit
Philippe Gay est vrai, la technologie à cette époque n'est pas du tout celle de
maintenant -, de mon point de vue comme de celui de nombreux collègues, sont des
constructions génétiques extrêmement grossières qui accumulent toutes les structures
pour que le gène puisse revenir chez les bactéries.
Les gènes ne s'expriment pas chez la plante, mais sont sous le
contrôle de signaux d'expression qui seront d'emblée opérationnels chez les bactéries.
Et ils sont flanqués de grandes portions d'ADN bactérien qui facilite sa réintégration
dans la bactérie. S'il est retransféré dans la bactérie, il pourra se restabiliser
beaucoup plus facilement parce qu'il est entouré de régions flanquantes.
Comme il a également été dit, les techniques actuelles permettent de
se passer de résistance. Des constructions de ce type sont d'ailleurs déjà soumises
pour approbation.
Enfin il faut bien penser que la propagation à de très nombreuses
copies de ces gènes favorisera leur dissémination et leur évolution par mutation
ponctuelle vers des résistances encore plus grandes.
Nous pourrions penser qu'il aurait été de bon sens d'appliquer le
principe de précaution à des constructions qui, comme l'a dit Philippe Gay, sont de
première génération. Elles ont certainement fait progresser la technologie et nos
notions dans ce domaine, mais nous pouvons penser qu'elles sont inadéquates pour être
utilisées sur le terrain.
En plus, il faut bien réaliser que le système de biovigilance sera
incapable d'évaluer la contribution de ces gènes de résistance à l'évolution vers la
multirésistance des bactéries. Ces gènes n'ont pas été marqués, aucun signe
spécifique ne leur est associé.
Si ces gènes repassent vers les bactéries, nous ne pourrons jamais
les détecter, les différencier des gènes dont Philippe Gay a dit à juste titre,
qu'ils se transféraient à très haute fréquence entre bactéries.
Nous avons donc créé délibérément un risque parfaitement inutile
que nous sommes incapables d'évaluer ce qui, d'un point de vue intellectuel, est quand
même extrêmement impressionnant.
Enfin je voudrais dire qu'en autorisant un gène nous créons un
précédent qui risque fort de faire jurisprudence et après nous nous empêtrerons dans
les demandes concernant d'autres gènes de résistance.
Pour terminer je voudrais dire qu'il faut garder présent à l'esprit
que depuis plus de vingt ans maintenant, aucune nouvelle famille d'antibiotiques n'a été
introduite en thérapeutique nouvelle.
D'un côté les bactéries évoluent vers la résistance, de l'autre
nous n'avons aucun antibiotique nouveau et sans vouloir être alarmiste, le problème de
la multirésistance aux antibiotiques chez les bactéries est un authentique problème de
santé publique.
M. le Président - La parole est à
Monsieur Rico.
M. Rico - Je suis vétérinaire et toxicologue.
Je me suis plus particulièrement intéressé aux problèmes de pesticides puisque je
préside une commission qui donne un avis au Ministre de l'Agriculture pour
éventuellement les enregistrer.
Je vais surtout m'attacher à ces problèmes toxicologiques.
Comme cela a été signalé, il existe des OGM qui ont la propriété
de tolérer certains herbicides, en l'occurrence deux ont été cités et sont
effectivement sur la sellette.
S'ils les tolèrent ce n'est pas parce qu'ils sont capables de les
accumuler, mais parce que la construction génétique mise en place leur permet de les
détoxiquer, c'est-à-dire de les dégrader de façon à les rendre inoffensifs tout au
moins pour la plante.
En particulier pour les deux précédents, ce sont des phénomènes
d'acétylation faisant qu'ils deviennent pratiquement tolérants, donc plus toxiques pour
la plante.
Or ces processus d'acétylation qui sont des processus de détoxication
ne sont pas spécifiques à la plante, ils sont connus chez les mammifères, chez l'homme.
L'acétylation est un processus de biotransformation tout à fait classique.
Nous parlons de pesticides et, en lisant un certain nombre de papiers,
j'ai l'impression qu'on ne sait pas très bien comment sont enregistrés les pesticides en
France.
L'enregistrement des pesticides en France est une affaire sérieuse qui
repose sur des textes et des structures.
Le texte actuellement en vigueur est un texte européen, la directive
n° 91-414 de 1991, qui est amendée au fur et mesure du développement. Ce texte est
très précis. Il demande toute une série d'informations très complètes sur le produit
lui-même et sur ses formulations.
Nous avons toute une série d'informations à notre disposition, des
toxicités à court terme, à long terme, des mutagenèses, des cancérogenèses, des
tératogenèses. Nous avons des informations sur le métabolisme de la plante, sur le
métabolisme du produit dans la plante, dans le sol, chez les animaux.
Nous avons des informations éventuellement sur l'allergénicité.
Je pense qu'il ne faut pas laisser dire que nous ne connaissons rien
sur les pesticides, que nous enregistrons et laissons passer des pesticides sans avoir
d'informations sur leur toxicité à long terme ou disons sur d'autres aspects.
D'autre part les tests réalisés actuellement le sont dans des
conditions extrêmement précises, dans des laboratoires avec des techniques parfaitement
codifiées aux niveaux européen et mondial. En fait nous avons une foule d'informations
à notre disposition pour pouvoir juger.
Quel est l'objectif de cette commission ?
Il est de préciser la sécurité d'emploi des pesticides comme de
préciser éventuellement la sécurité d'emploi d'utilisation de plantes transgéniques,
c'est-à-dire de définir les risques et nous essayons de les définir dans trois
domaines :
- pour le consommateur au travers des résidus,
- pour le manipulateur, il ne faut pas oublier que des personnes
manipulent ces produits, les paysans,
- pour l'environnement.
Le deuxième point que je voudrais développer est la notion de risque.
Il ne faut pas confondre risque et danger. Ce sont deux concepts qui sont forcément
associés, mais pas totalement.
Le danger sont les caractéristiques toxicologiques d'un composé. Vous
analysez un produit, vous caractérisez sa toxicité, s'il est toxique à long terme, s'il
a une toxicité aiguë, etc. C'est le danger et vous avez des substances plus ou moins
dangereuses.
Le risque intègre un autre élément très important qui est
l'exposition, c'est-à-dire la quantité de substance à laquelle vous risquez d'être
soumis. Il ne faut pas oublier qu'en toxicologie, il existe une règle qui a été
confirmée depuis fort longtemps : la dose fait le poison.
Par conséquent il existe pratiquement dans tous les domaines des doses
sous lesquelles les effets toxiques ne se manifestent pas.
La notion de risque est donc une notion qui doit tenir compte de la
notion d'exposition. Une substance peut être à haut danger, mais si l'exposition est
quasiment nulle, le risque est quasiment nul. En revanche une substance peut être à
faible danger, mais si son exposition est importante vous avez des accidents.
Comme je suis vétérinaire je connais bien les intoxications par le
chlorure de sodium, c'est-à-dire le sel chez les porcs et les poussins.
Lorsque lon donne une alimentation un peu riche en chlorure de
sodium à ces animaux, surtout s'ils n'ont pas à leur disposition un abreuvement
suffisant, les porcs meurent très facilement de méningite toxique, le chlorure de sodium
passera dans le cerveau, y entraînera des oedèmes et les fera mourir. Les poussins, eux,
mourront de diarrhées extrêmement profuses et très rapidement.
Le chlorure de sodium est toxique pour ces animaux, il le serait de
même pour l'homme sil en ingérait des quantités importantes.
Lorsque nous parlons de dose, nous parlons aussi de concentration. Je
voudrais rappeler qu'en ce qui concerne les pesticides, ceux-ci ne sont présents dans
l'alimentation ou dans l'eau quà des doses quand même extrêmement faibles. Il ne
faut quand même pas penser que nous avons dans l'alimentation des quantités absolument
astronomiques de ces composés.
Nous utilisons des unités tout à fait classiques, tout au moins pour
les toxicologues, qui sont des unités de concentration :
- la PPM est une très grosse unité, c'est le milligramme par
kilo,
- la PPB est mille fois plus petite, c'est le microgramme par
kilo,
- la PPT est mille fois encore plus petite, c'est le nanogramme
par kilo,
- la PPQ dont nous parlons maintenant, c'est-à-dire le picogramme
par kilo ; un picogramme c'est mille milliardième de gramme, c'est-à-dire quelque
chose d'extrêmement faible.
Pour illustrer un peu mon propos, je dirais que, par exemple, la PPT
est une pièce de 50 centimes perdue dans la ville de Paris. Il se trouve
qu'effectivement les chimistes sont maintenant capables de la trouver. Je disais à mes
étudiants que ce n'est pas parce que je trouve une pièce de 50 centimes que je
serai riche.
Nous identifions une substance dans un milieu, elle présente
forcément un caractère toxique. Comme il y a toujours des petits astucieux, un jour un
étudiant m'a dit : "Mais si c'était un diamant ?" Je lui ai dit que
c'était une très bonne remarque et que dans ces conditions je serais extrêmement riche.
La probabilité que je trouve un diamant comme une pièce de
50 centimes dans la ville de Paris est très différente. D'autre part, cela montre
bien que le risque nul n'existe pas car le risque nul est une utopie.
Je pense que vivre est risquer sa vie et je suis persuadé d'ailleurs
que, pour mes enfants et petits-enfants, je ne voudrais pas une vie sans risque. D'abord
cela n'existe pas et le risque c'est un peu le sel, c'est le piment, le miel, les bulles
de l'existence. Imaginez une existence sans risque, elle serait absolument invivable.
Je viens de vous dire que le risque, c'est effectivement risquer sa
vie, la preuve est que de toute manière nous finirons tous par mourir. Ceci pour une
raison fort simple, c'est que nous pouvons définir la vie d'une manière un peu
anecdotique, mais quand même avec un certain fond de vérité.
Qu'est-ce que la vie ?
C'est une maladie universelle, une maladie inguérissable, une maladie
toujours mortelle. Le seul avantage qu'elle a pour les hommes et les femmes c'est qu'elle
est sexuellement transmissible. Merci.
M. le Président - Madame Moneret-Vautrin
va nous ramener à des problèmes d'allergénicité. C'est un des sujets évoqués en
matière de santé. Vous avez quelques minutes pour le présenter.
Mme Moneret-Vautrin - La préoccupation des
risques allergiques des OGM vient de deux types de données :
- la prévalence des allergies alimentaires a considérablement
augmenté depuis quinze ans, c'est donc une préoccupation du grand public ;
- cette augmentation de prévalence est partiellement liée aux
modifications de l'alimentation et les OGM étant le dernier avatar de ces modifications,
il est légitime de s'intéresser à ce risque.
En 1992 la FDA a avalisé toute une série de recommandations pour
l'étude du risque allergique qui venait de l'Organisme des Biotechnologies alimentaires
américain et de l'Institut d'Allergologie et d'Immunologie.
Ces directives sont parfaitement claires et intéressantes à
connaître. Elles font la part des choses entre un transfert de protéines d'une plante
déjà connue comme ayant donné des allergies alimentaires. Le deuxième cas de figure
est celui de protéines venant d'un organisme qui, jusqu'ici, n'a pas provoqué
d'allergies alimentaires.
Dans le premier cas, il faudra disposer de patients ayant l'allergie
alimentaire à la plante donneuse de façon qu'avec leur sérum et leur peau, par le biais
de tests cutanés, nous puissions rechercher si la protéine une fois transférée dans la
plante accueil présente effectivement des risques allergiques particuliers.
Tout à l'heure nous avons fait allusion à cette albumine 2S de la
noix du Brésil qui s'est révélée parfaitement capable de donner des allergies dans le
soja modifié si le sujet allergique à la noix du Brésil consommait ce soja.
Par ailleurs il ne faut pas oublier que lorsque nous avons transféré
une protéine, nous connaissons par définition parfaitement sa séquence linéaire
d'acides aminés. Il est donc possible de regarder dans les banques de données des
séquences de tous les allergènes connus s'il y a une homologie, une ressemblance et de
savoir s'il y a un risque quelconque d'allergénicité.
Cela dit, soyons humbles, il y a certainement des dizaines de milliers
d'allergènes et nous n'en connaissons parfaitement actuellement dans les banques de
données qu'environ 2 à 300.
Si la plante d'origine de la protéine n'est pas connue comme donnant
une allergénicité ou si cette protéine vient d'une bactérie - nous avons évoqué
le problème de la protéine de résistance aux herbicides, elle vient d'une
bactérie - dans ce cas, nous limiterons surtout les études d'abord à la recherche
éventuelle d'une homologie, mais nous nous intéresserons également à sa fragilité
dans des milieux de digestion artificielle.
Il est certain que les allergènes majeurs que nous connaissons
résistent 30 mn à 1 h 30 dans des modèles de digestion artificielle.
Jusqu'ici les protéines transférées dans des OGM ne résistent pas plus de
15 secondes. Il est certain que cet argument paraît très intéressant même si pour
des raisons que je ne peux pas développer, il est tout de même un peu insuffisant.
Lorsque nous avons fait ainsi le tour de toutes ces évaluations avant
en quelque sorte commercialisation, nous ne pouvons qu'être frappés d'une chose. Si
chaque élément choisi n'offre pas une sécurité à 100 % ce qui est impossible,
l'ensemble, la conjonction de tous ces tests permet déjà de serrer une sécurité
sanitaire importante.
Toutefois la seconde chose que nous devons absolument dire est que nous
ne pouvons nous référer qu'aux allergènes connus. Nous ne pouvons pas assurer que cette
protéine introduite dans l'alimentation humaine n'aura pas un jour ou l'autre ce qu'on
appelle une caractéristique d'immunogénicité, c'est-à-dire qu'elle ne sera pas capable
de faire se développer une sensibilisation qui n'avait jamais existé.
Dans la mesure où ces aliments nouveaux, ces OGM, sont soumis à des
études de l'ordre de celles que l'on impose aux médicaments, il paraît tout à fait
logique de transposer ce que nous faisons dans le domaine du médicament.
Lorsque nous commercialisons un médicament, nous savons parfaitement
qu'il y a tout de même un risque qui ne peut pas être détecté avant commercialisation
et nous faisons ce qu'on appelle une surveillance post-marketing. C'est un système
que tout le monde connaît qui s'appelle un système de pharmacovigilance.
Pour cette raison, je pense que si réellement les OGM envahissent
l'alimentation, il faut qu'il y ait une surveillance post-marketing.
Ceci veut dire qu'il faut un réseau national d'allergo-vigilance et
que ce réseau doit être structuré et coordonné par un bureau de veille sanitaire du
risque allergique qui serait, en somme, une sous-direction de la prochaine agence de
sécurité sanitaire de l'alimentation.
Moyennant ceci, nous pouvons espérer, non pas atteindre un risque
zéro, mais en tout cas le contrôler efficacement.
Je voudrais faire remarquer qu'autrefois, nous ne nous préoccupions
pas de ces problèmes. Lorsque nous avons introduit le riz en Camargue, nous ne nous
sommes pas préoccupés de savoir si la variété de riz était hypo- ou
hyperallergénique. L'expérience montre que, par chance, nous avons choisi une variété
hypoallergénique par rapport au riz japonais qui est très allergisant, mais cela aurait
pu être le contraire.
Il ne faut pas en quelque sorte imputer aux nouvelles technologies des
risques nouveaux dont nous nous serions occupés auparavant. En fait ce sont les
connaissances qui font naître la préoccupation de risques.
A mon avis, il est possible, grâce à une surveillance
d'allergo-vigilance post-marketing, de pouvoir veiller au risque. Restent à fixer
les transmissions, les nécessités d'informations des allergologues et de dispositions
pour les centres d'allergologies spécialisés de ces fameuses protéines transgéniques
de façon à pouvoir éventuellement un jour ou l'autre dépister un risque de
sensibilisation.
Je suis persuadée qu'avec ce système il doit être possible
d'envisager tout de même à mon point de vue d'allergologue alimentaire, les OGM avec une
relative confiance.
M. le Président - Merci beaucoup, Madame.
Comme dans le débat sur l'environnement ce matin, en-dehors de ce que
vous venez de dire sur l'allergénicité et son risque et sur les autres dangers
éventuels en matière de santé, nous avons des positions très opposées.
Là encore, le travail politique sera de prendre des décisions
politiquement dures sur des certitudes scientifiques molles.
Lorsque je vous entends, c'est comme pour l'environnement, j'ai
l'impression de voir - pas sur l'allergie, mais sur les autres sujets - ou tout
blanc ou tout noir, il faut essayer de clarifier cela.
Si Monsieur Séralini dit qu'il y a des risques de génotoxicité,
un certain nombre de risques en matière de cancérisation - nous parlerons des
antibiotiques tout à l'heure - et de toxicité, cela veut dire que les commissions
chargées d'examiner cela, ne font pas leur travail.
Nous avions une commission et comme nous en avons discuté hier dans la
partie réglementaire, je crois que tout le monde est convenu de dire qu'il fallait faire
évoluer les choses. Avoir pour la Commission du Génie Biomoléculaire, un système
d'experts techniques qui font le contrôle ce n'est pas bon.
Nous arrivons pratiquement tous à une unanimité de la décision, à
côté de ce système de ceux qui feront l'expertise technique, il faudra un système de
vigilance ou de veille et de contrôle du risque de personnes venant de la société
civile, des associations, du milieu de la recherche. Il faut que ces personnes viennent de
différents milieux et qu'elles puissent effectivement donner un autre avis que l'avis
scientifique pur.
Ce matin, lors de la table ronde sur la consommation, nous avons parlé
de la notion de seuil comme si les OGM avaient déjà envahi nos étalages.
Michel Edouard-Leclerc ne nous disait que cela et il demandait qu'il n'y ait pas de
seuil car s'il y en avait un il étiquetterait tout OGM, ainsi ce serait classique et
classé.
Ce matin nous n'étions pas du tout dans le débat qui est celui de cet
après-midi, nous avions l'impression que tout ceci était déjà classé. Or il y a des
décisions à prendre en matière de santé, qu'il y ait seuil ou pas. Si un produit OGM
présente un risque sérieux en matière de santé, il faut l'interdire.
Si j'entends Monsieur Séralini sur un certain nombre de points
sur lesquels nous reviendrons, il faut interdire un certain nombre d'OGM. Si j'entends
Monsieur Gay ou Monsieur Rico, au contraire, il faut aller plus vite ou
développer la totalité des OGM car il n'y a pas de risques.
Il faut donc cerner cette question et puisque les OGM se sont
développés dans un certain nombre de pays du monde, je vais vous poser une première
question. Je rappelais hier les chiffres qui sont impressionnants :
- 26 millions d'hectares dans le monde,
- 16 millions d'hectares aux Etats-Unis en 1998,
- 10 millions d'hectares dans trois pays principaux (Canada,
Argentine, Chine),
- cela se développe un peu en Australie et c'est en train de se
développer dans d'autres pays.
Ces études n'ont-elles pas été faites de manière sérieuse ?
Les risques potentiels indiqués par Monsieur Courvalin - je
suis très sensible à la partie " antibiotiques " dont nous avions
déjà eu l'occasion de parler lorsque j'ai auditionné Monsieur Courvalin -
présentent-ils un réel danger ? Cette possibilité est-elle réelle ?
Monsieur Séralini je vous pose aussi cette question.
Pour vous, en l'état actuel des choses, faut-il tout interdire, y
compris les OGM qui existent déjà, puisque vous dites qu'il y a risque en matière de
santé ?
Au contraire, les probabilités de risque sont-elles si faibles qu'il
n'est pas plus fort que pour des aliments classiques ?
Madame Moneret-Vautrin vient de dire quen matière
d'allergies finalement les connaissances de la science faisaient qu'il y avait sans doute
des risques nouveaux à étudier, ceux-ci nétant cependant pas supérieurs à ceux
que nous aurions eus sans lexistence des plantes OGM.
Faisons-nous supporter aux OGM tous les risques de lalimentation
ou faut-il aussi faire porter la suspicion sur la totalité des aliments ? C'est en
quelque sorte ce que disait Monsieur Courvalin tout à l'heure.
Finalement est-ce la gestion des antibiotiques aujourd'hui qui est en
cause ou les OGM en tant que tels ?
Je dis ceci en sachant qu'il faudra supprimer les constructions dont
vous parliez tout à l'heure, Bernard Kouchner en étant d'accord comme il l'a dit
hier soir ici.
Il faudra supprimer les constructions qui ont eu des résistances à
des antibiotiques. Comme nous sommes capables de faire autrement, nous ne sommes pas
obligés de les avoir et d'ajouter un risque supplémentaire à cette mauvaise gestion des
antibiotiques que nous avons depuis 50 ans.
Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimer sur ces sujets, avec
des pour, des contre comme ce matin, que vous essayiez d'avancer dans le débat, non pas
en parlant du risque potentiel, mais en parlant du risque pour les OGM.
Y a-t-il un risque nouveau du fait de l'apparition des OGM ?
M. Courvalin - Je n'ai pu venir ni hier ni ce
matin, mais d'après ce que vous dites, le problème des gènes de résistance aux
antibiotiques a l'air à peu près réglé dans les esprits.
Lorsque nous entendons Philippe Gay, finalement il n'y a pas
tellement de différence. Evidemment les approches sont distinctes, mais nous sommes
d'accord tous les deux pour dire que ces gènes sont parfaitement inutiles dans les
constructions, ne serait-ce que parce qu'ils ne s'expriment pas dans la plante.
Nous sommes également d'accord sur le fait qu'il y a un risque
potentiel de retour vers les bactéries. Il est sans doute faible, mais j'attire votre
attention sur le fait que nous sommes incapables de l'évaluer. Encore une fois nous
l'avons délibérément créé, il est inutile et nous sommes totalement incapable de
l'évaluer ce qui est extrêmement gênant.
Nous sommes d'accord tous les deux sur le fait que ce sont des gènes
inutiles, que c'est un danger potentiel.
Le fait qu'il n'ait pas été démontré est un argument très faible
pour moi. Comme je l'ai dit cela n'a pas été beaucoup étudié et en plus, d'avoir
travaillé pendant vingt ans sur les transferts de gènes dans les conditions naturelles,
nous a appris beaucoup d'humilité.
Il est en effet extrêmement difficile de faire des expériences de
reconstruction. Nous avons observé des transferts sur certains critères, nous étions
sûrs qu'ils s'étaient produits dans la nature et nous avons eu beaucoup de mal à les
reproduire en laboratoire alors que nous nous mettions dans les conditions que nous
estimions les plus favorables.
En fait c'est sous-estimer les très nombreuses occasions d'échange
d'ADN dans la nature. Dans le tube digestif, il y a des milliards de bactéries qui
peuvent être en état de compétence, c'est-à-dire d'incorporer de l'ADN, d'autres lyses
le relarguant.
Il y a en fait beaucoup plus d'occasions dans la nature de transferts
de gènes que ce que nous arrivons à reproduire en laboratoire. Il y a même des
manipulations que nous sommes encore incapables de refaire.
Comme je l'ai dit, ces notions évoluent très rapidement et les
échéances au laboratoire, surtout lorsqu'elles sont négatives, ne sont absolument pas
informatives. Le fait de ne pas avoir réussi à le refaire ne prouve pas que cela
n'existe pas, il faut se méfier de ce genre d'argument que j'ai lu dans un papier en
France : "Comme on ne l'a pas démontré, cela n'existe
pas !". C'est en effet tout à fait anti-scientifique.
Je crois qu'il y a moins de divergences à ce niveau et qu'apparemment
le problème a l'air réglé, les personnes ont compris quand même que...
M. le Président - ... Sauf que les
personnes que j'ai vues après vous à qui je donnais vos arguments, me disaient que vous
aviez raison au niveau scientifique, mais que la probabilité la plus forte de transfert
de gènes est la conjugaison entre des bactéries.
Il est évident - et vous l'avez dit dans votre exposé
liminaire - que même s'il y a peu de gènes de résistance dans des bactéries
pathogènes du tube digestif qui sont en faible nombre, c'est là qu'existe déjà la
probabilité de transfert.
Ceci est malheureusement dû au fait que de nombreuses bactéries, y
compris des bactéries non pathogènes existent déjà avec des gènes de résistances
multiples dans le tube digestif. Ne parlons pas des staphylocoques dorés pour lesquels
certains citaient ce matin le chiffre de 10 000 morts dues aux infections
hospitalières nosocomiales en France du fait de bactéries qui ont la totalité des
gènes de résistance.
Le contre-argument donné sur un problème sur lequel personnellement
je me suis fait une religion en tout cas pour l'avenir, la vraie question est :
quand ?
Bernard Kouchner l'a dit hier soir, là-dessus je ferai cette
proposition, mais quand faut-il la faire ?
Un certain nombre de constructions existent aujourd'hui dans notre
pays. D'après toutes les auditions effectuées, si la probabilité dacquisition de
la résistance aux antibiotiques est faible, elle existe déjà malheureusement
aujourd'hui du fait non pas des plantes transgéniques, mais de la mauvaise gestion de ces
produits.
Il n'est pas du tout impossible qu'il y ait effectivement un jour un
certain nombre de problèmes supplémentaires en termes de résistance à des
antibiotiques.
Nous sommes d'accord là-dessus, mais que répondez-vous à l'argument
scientifique qui m'a été rapporté ?
M. Courvalin - Encore une fois je l'ai écrit et
rappelé au début de mon exposé et j'ai confirmé ce qu'avait dit Philippe Gay.
Il est vrai que les mécanismes développés par les bactéries pour
transférer les gènes de résistance sont extrêmement efficaces dans la nature, très
opérationnels, notamment dans le tube digestif. Il faut bien comprendre que le tube
digestif est un écosystème extrêmement favorable aux échanges génétiques.
M. le Président - Combien de bactéries y
a-t-il dans un tube digestif ?
M. Courvalin - Comme plus de 90 % ne sont
pas cultivables, c'est difficile à quantifier, mais il y a des milliards de bactéries
dans le tube digestif. Cependant l'immense majorité des espèces ne sont pas connues
parce que nous n'arrivons pas à les cultiver.
Nous sommes tous d'accord sur le fait que la résistance aux
antibiotiques est un problème majeur à l'heure actuelle.
Comme je l'ai dit, il n'y a absolument aucun nouvel antibiotique en
perspective actuellement. Comme il faut dix à quinze ans pour en développer un, nous
pouvons anticiper le fait que dans les dix prochaines années, la situation ne fera que se
détériorer puisque les bactéries évoluent constamment vers la résistance, c'est un
cas particulier de leur évolution.
Encore une fois, les systèmes développés par les bactéries pour
transférer les gènes de résistance sont extrêmement efficaces.
Compte tenu de l'ampleur du problème, du fait que nous n'avons pas
d'antibiotiques nouveaux, je crois qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter un risque
potentiel que nous sommes incapables d'évaluer, ceci même si sa fréquence est faible.
Pour moi ce n'est pas une excuse de dire que parce que les gènes sont
là, qu'ils transfèrent etc., que nous ne pouvons en ajouter. Pour moi c'est un argument
extrêmement faible. Cet argument est tenu par des personnes partisanes de mettre des
antibiotiques comme suppléments dans l'alimentation animale. Elles le font en
disant :
"Vous avez vu dans les unités de soins intensifs, c'est tragique,
les hôpitaux, les infections nosocomiales et tout, qu'est-ce que cela peut faire de
rajouter des antibiotiques dans l'alimentation animale ?"
C'est également un facteur d'évolution vers la dissémination de la
résistance qui doit être pris en compte, qui est certainement plus important que ce que
nous discutons aujourd'hui dans la dissémination de la résistance.
Là encore, en considérant le problème de santé publique posé, je
crois qu'il ne faut pas surajouter à la mauvaise utilisation des antibiotiques en
médecine humaine mentionnée par le président au début de cette session, des gènes de
résistance dans les plantes transgéniques et ne pas utiliser d'antibiotiques comme
suppléments dans l'alimentation animale.
M. Gay - Je voudrais éviter l'association
"antibiotiques dans la nourriture animale et plantes transgéniques" et je vais
me limiter à ces dernières.
Je suis un peu gêné d'entendre parler de risques que nous sommes
incapables d'évaluer. Est-ce quun risque que nous sommes incapables d'évaluer en
est un ?
Il faut faire très attention car il y a une sorte de dérive de la
notion de risque. Tout d'un coup nous ne savons plus de quoi nous parlons, je prie
Monsieur Courvalin de m'excuser, mais je n'aime pas cette faute logique qui, à la
limite, va conduire les personnes un peu nulle part.
C'est introduire dans le public, une angoisse épouvantable :
" il y a des risques que nous sommes incapables d'évaluer ", franchement
qu'est-ce que cela veut dire ?
Le deuxième point sera plus technique. Comme j'ai déjà posé la
question à Monsieur Courvalin, il pourra éventuellement revenir dessus.
Le généticien que je suis s'est posé la question de la résistance
des bactéries d'une autre façon. A la limite, étant donné le taux de mutation très
élevé des bactéries vers la résistance, un taux de mutation de l'ordre de 10 puissance
moins 7 à 10 puissance moins 9 est un taux très élevé puisque la moindre
population bactérienne atteint 10 puissance 9 par millilitres de culture où une
colonie bactérienne représente déjà un nombre important de bactéries.
Pourquoi étant donné ce taux de mutation élevé, étant donné ces
taux de transferts extrêmement élevés par conjugaison, c'est-à-dire par contact direct
dans le milieu intestinal, toutes les bactéries ne sont pas résistantes ?
Que voyons-nous ? Nous nous apercevons en fait que les populations
- je tiens l'information de Monsieur Courvalin, si jamais je me trompe, il me
démentira immédiatement - tendent vers une sorte d'équilibre.
Qui dit équilibre dit que la proportion de ce qui cesse d'être
résistant et de ce qui le devient, s'équilibre. Ces équilibres sont fonction non pas de
la fréquence de mutation ou de transfert, mais essentiellement de la pression de
sélection à laquelle sont soumises ces populations bactériennes, c'est-à-dire
l'utilisation ou non d'antibiotiques dans le milieu.
Je crois que c'est très important car il est impossible de comprendre
le phénomène de résistance aux antibiotiques si nous n'allons pas plus loin dans
l'analyse que simplement une analyse ponctuelle des phénomènes de transfert. A mon avis
arguer de possibles phénomènes de transferts n'est pas pertinent.
Le troisième point est qu'il y a des ordres de grandeur, on a cité
des milliards de cellules de maïs. Je me suis livré à un petit calcul, si tout le maïs
du monde était le maïs 176 de Novartis, il y aurait 10 puissance 24
copies du gène " ampicilline " de plus sur la planète.
Nous avons essayé de transférer ces copies qui sont présentes dans
l'ADN de maïs, par transformation du colibacille et nous n'avons pas réussi. A l'inverse
lorsque nous avons pris les plasmides entiers, nous sommes arrivés à des taux de
transformation de 20 %.
Cela veut dire que des plasmides entiers tels ceux présents dans les
corps bactériens dans les fèces, dans les bactéries cultivées dans les laboratoires,
ces plasmides ont des taux de transfert, des taux potentiels de dissémination dans le
système de transformation de colibacille, 10 puissance 10 fois au moins supérieurs
à celui du maïs.
Cela veut dire que 10 ml de culture faits par un étudiant
classique à l'université voisine a probablement un pouvoir de dissémination de
résistance aux antibiotiques dans les colibacilles ou coliformes supérieur à l'ensemble
de la culture du maïs si nous arrivions à prendre la totalité du marché mondial.
Je crois qu'il importe que nous fassions attention à ces ordres de
grandeur pour ne pas, encore une fois, tromper l'opinion et transformer une souris voire
un microbe en une montagne. C'est très important car le jour où la montagne arrivera, il
s'agira de la voir, mais on la manquera peut-être car nous nous serons occupés par autre
chose.
M. le Président - Nous allons peut-être
juste terminer sur une question encore là-dessus car nous évoluons quand même vers un
système où, y compris des fabricants jusqu'aux chercheurs, tout le monde dit que ce
n'est pas souhaitable d'avoir ce type de construction.
La discussion est pour les plantes qui ont déjà été faites et
l'argument qui consiste à dire qu'il ne faut pas en rajouter, même s'il y a des
échelles de risques entre le risque par OGM avec le risque dans l'alimentation animale et
l'utilisation des antibiotiques dans les hôpitaux.
Aux Etats-Unis j'ai vu Madame Saliers qui est une des grandes
spécialistes de microbiologie et je lui ai posé la même question. Elle a organisé un
colloque à Talloires - dont jai le compte rendu - et finalement la
plupart des chercheurs ont conclu un peu sur l'opinion qui vient d'être indiquée.
Ils disent que le risque est pratiquement nul et elle m'a développé
cela. Madame Saliers est professeur à l'université de l'Illinois et fait
référence au niveau international.
Elle m'a dit qu'à son avis il faut les retirer - c'est la même
position - mais que le risque potentiel est très faible dans la mesure où
finalement les passages du végétal vers des bactéries du sol sont certes possibles,
mais que la fréquence en est peut-être de 10 puissance moins 15.
Elle ma également indiqué que les passages éventuels de cette
bactérie du sol vers des bactéries intestinales bovines, puis humaines se font
également à la même fréquence. Celle-ci est très faible par rapport à toutes les
autres possibilités de conjugaison qui existent dans la nature.
Nous allons peut-être clore cette partie qui est plus scientifique que
décisionnelle. Un certain nombre d'arguments ont été donnés et il y a également eu
des arguments politiques. Il faut bien entendu essayer d'éviter au maximum les risques
potentiels.
Nous allons aborder les toxiques.
Même si cela a été dit de façon plaisante, même si cela a été le
plus tranché possible des deux côtés, il y a eu des arguments opposés les uns aux
autres. Je souhaiterais que nous allions un peu plus avant.
Après votre audition, Monsieur Séralini, j'ai interrogé un
certain nombre de chercheurs qui m'ont exprimé leur point de vue sur ce que vous
indiquiez.
Non seulement la CGB, mais aussi le Comité supérieur d'hygiène
française et la Commission des toxiques, ont étudié ces questions. Les accumulations
- vous compariez au DDT - ne peuvent pas se faire, de nombreux pesticides ne
s'accumulant pas. Un certain nombre de risques que vous indiquez avec des plantes
transgéniques n'existent pas réellement.
Je souhaiterais que d'un côté et de l'autre vous puissiez
éventuellement apporter des précisions en vous appuyant sur des travaux de recherche
pour nous indiquer à tous ce qui est réel et que vous puissiez dire, Monsieur Rico,
puisque vous êtes président de la Commission des Toxiques, si vous travaillez bien ou
non.
Comme vous avez des avis opposés, cela signifie-t-il que toutes ces
commissions travaillent mal ?
M. Séralini - Je voudrais dire un mot sur les
faibles risques de transferts de gènes.
Il est vrai que le risque peut être faible, mais cela ne veut pas dire
grand chose s'il y a une pression de sélection derrière. Nous pouvons travailler avec de
faibles risques de transferts et réussir à cloner des choses très rares au laboratoire
de cette manière.
Aujourd'hui, pour moi, le problème de la résistance aux antibiotiques
n'est pas résolu dans la mesure où la variété cultivée en ce moment ou en train
d'être plantée a ce gène de résistance.
M. le Président - J'ai posé la question
importante : quand ? Le problème est là.
M. Courvalin - Comme vous l'avez dit, nous ne
pouvons être experts et décideurs, ce n'est pas le genre de question à nous poser. Nous
pouvons dire ce que nous pensons, mais c'est à vous de décider.
M. Séralini - Aujourd'hui le problème se pose,
même si dans les intentions, il ne se posera plus dans l'avenir.
J'ai bien apprécié ce qu'a dit Madame Moneret-Vautrin sur la
mise en place d'un réseau. Cela me semble tout à fait judicieux pour surveiller les
allergénicités possibles de certains produits. Pour aider ce réseau, il serait
absolument nécessaire qu'il y ait une traçabilité et un étiquetage des produits.
Aujourd'hui encore, les produits importés, ne sont pas clairement
identifiés. En ce moment le problème se pose, cela me permettant de rebondir sur votre
dernière question : les commissions travaillent-elles mal ?
Je crois que la question est très mal posée. Il me semble que les
commissions travaillent bien, je leur fais confiance a priori. Mais, à ma
connaissance, elles n'ont pas été sollicitées pour homologuer des herbicides
aujourd'hui sur des plantes transgéniques puisque celles-ci nous arrivent par
l'importation.
Monsieur Rico ne peut donc être mis en cause à ce niveau et je
ne vois pas pourquoi vous posez la question en ces termes.
Monsieur Rico nous a parlé de dégradation d'un herbicide par la
plante, c'est vrai. Il faut savoir aussi que les produits de dégradation des
cancérogènes sont des cancérogènes activés.
Les enzymes qui, justement, dégradent les acétylations, les
hydroxylations qui font partie des activités des enzymes cytochromes P450 que nous
étudions au laboratoire et qui sont impliqués dans les dégradations de certains
procancérogènes, les transforment aussi quelquefois en cancérogènes activés.
Ensuite nous avons parlé de seuil au-dessous duquel une exposition ou
un effet ne se manifeste pas. Evidemment c'est lié là au problème du long terme.
Monsieur Rico et moi-même avons parlé de long terme.
Le long terme pour les commissions est de 30 et 90 jours, de
quelques mois pour les rats et de 20 à 40 ans pour un homme. A ce moment-là il est
exposé non pas à un dérivé d'herbicide ou de pesticide de manière bien contrôlée,
mais à une foule de substances qui viennent sur les mêmes enzymes de détoxication dans
son foie.
Je crois qu'il faut être très prudent dans la mesure où un
cancérogène peut ne pas avoir de seuil, être actif et conférer une mutagénécité. A
ce moment-là il n'y a pas de seuil admissible qui puisse être pris en compte sinon au
niveau statistique. Le fait est cependant que la statistique ne représente rien pour un
individu vivant.
Je crois que le problème est le même pour les herbicides et les
résistances aux antibiotiques. Vous me demandez de m'appuyer sur des références, je
l'ai fait dans un texte que je vous ai envoyé.
Effectivement il y a des risques qui ne sont pas évaluables en l'état
actuel de nos connaissances, Monsieur Gay, parce que tout simplement dire qu'il n'y a
pas de publication sur un sujet ne veut pas dire que le risque est éliminé. Comme l'a
dit Monsieur Courvalin, je crois qu'il est anti-scientifique d'estimer que c'est
alors vrai, un risque pouvant ne pas être évaluable en l'état actuel des connaissances.
D'autre part je crois que ce serait un leurre de ne pas se servir de
l'amélioration des connaissances sur les contrôles, y compris, puisque nous voulons
être techniques, de la mesure du poste des adduits, du Roundup par exemple sur l'ADN des
foies des animaux consommant ce produit à travers les plantes ou leur alimentation.
Ce genre de test évolue assez vite, mais les commissions ne changent
pas leurs tests tous les jours. Lorsqu'un produit nouveau arrive, il est bon de réaliser
de nouveaux tests.
Ces produits nouveaux sont susceptibles d'accumuler des herbicides dans
leurs cellules puisque cela avait même empêché un soja de bien pousser, si je me
réfère au rapport des dix ans d'expérience de la Commission du Génie Biomoléculaire.
Ce soja accumulait du Roundup dans ses méristèmes, dans les parties de la plante en
développement.
A mon avis le problème des faibles doses est tout à fait important
surtout lorsqu'elles sont combinées entre plusieurs herbicides ou pesticides. Il ne peut
être balayé d'un revers de main et il faut faire ces expériences.
Pour cette raison, nous demandons un moratoire et je fais tout à fait
confiance aux commissions pour faire ces expériences ou les faire faire à condition
qu'elles soient saisies du problème et qu'elles aient le temps de travailler dessus.
Il ne s'agit pas pour moi de mettre en cause les commissions, mais de
dire qu'il faut faire de nouveaux contrôles. Nous ne pouvons pas dire qu'il y a des
publications sur ces nouveaux contrôles puisqu'ils ne sont pas faits. Toute une série de
contrôles est faite, mais il y en a aussi qui ne sont pas faits.
Cela dit, je ne considère pas que la vie est une maladie, mais que la
vie c'est la santé et quelque chose de merveilleux. Il faut la maintenir et, pour cela,
apporter au public le degré de sécurité que nous avons dans nos connaissances.
M. le Président - Je voudrais poser une
question à Monsieur Rico. Il y a une Commission des Toxiques et
Monsieur Séralini vient de dire qu'un certain nombre de contrôles nouveaux ne sont
pas faits.
Quels sont les contrôles réalisés aujourd'hui dans notre pays ?
Est-ce quon étudie les problèmes de toxicité posés par de
nouveaux produits dans la mesure il y a effectivement des métabolismes qui sont changés
du fait de l'apparition d'un gène de résistance ?
Madame Moneret-Vautrin a dit que les produits des plantes
transgéniques sont étudiés de la même manière que des médicaments. Ces études
sont-elles effectivement faites ou non ?
M. Rico - Le glufosinate et le glyphosate ne
sont pas des herbicides récents. Ils sont sur le marché, en particulier le glyphosate,
depuis fort longtemps.
Effectivement dans le papier de Monsieur Séralini il est fait
état pour le glyphosate de la formation d'adduits dans le foie du rat. D'abord la
technique utilisée, le postmarquage au phosphore 32, est très difficile
d'application et surtout d'interprétation.
C'est une technique que j'ai utilisée moi-même dans mon laboratoire
à une certaine période. La difficulté est que lorsque vous prenez des animaux qui n'ont
pas été traités, c'est-à-dire qui n'ont rien reçu, et que vous faites une recherche
dadduits sur un foie d'animal, il y en a toute une série qui apparaissent.
Vous avez un bruit de fond d'adduits dus aux produits que nous pouvons
consommer et il est particulièrement difficile de faire la différence. Cette technique
n'a d'ailleurs pas encore été validée.
Vous avez dit que les longs termes c'était disons trois mois. Je ne
suis pas daccord car nous avons des longs termes maintenant systématiquement de
deux ans pour le rat, de dix-huit mois chez la souris, soit la période complète de vie
pour les pesticides.
Contrairement à ce qui se dit, cela veut dire que nous avons des
informations sur la toxicité à long terme.
La génotoxicité est étudiée au travers de toute une série de
tests. C'est un ensemble de manifestations : mutation, aberrations chromosomiques,
modifications de transfert de l'ADN, etc. Les tests sont maintenant codifiés au niveau de
la Commission européenne. Ils ont été validés avec des protocoles parfaitement
décrits.
Il ne faut pas dire que nous n'avons pas d'informations, ce n'est pas
vrai.
M. Séralini - Je n'ai pas dit cela.
M. Rico - Nous avons ce type d'informations et
nous l'analysons en toute bonne foi.
Contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur le Président, je ne
suis pas pour une libéralisation de tous les OGM, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Si
vous avez compris mon intervention comme cela, c'est une erreur.
Je dis simplement que nous avons des estimations de risques à faire et
que celles-ci dépendent d'un certain nombre de facteurs. Dans la commission que je
préside depuis huit ans et qui l'était avant par Monsieur Truaud, également bon
toxicologue, nous travaillons depuis de nombreuses années.
Cette commission sera renouvelée. Elle comprendra 50 personnes
dont 36 toxicologues de spécialités différentes. Il y aura des toxicologues de
l'environnement, des spécialistes de la génotoxicité, de la cancérogenèse, etc. Aussi
lorsque nous donnons des avis, je pense que ce sont des avis.
M. le Président - Le glyphosate et le
glufosinate ont-ils été étudiés avec leurs produits de dégradation par votre
commission ?
M. Rico - Le glyphosate ne l'a pas été pour
l'instant, puisqu'il n'a pas été enregistré pour être utilisé sur les plantes
transgéniques.
Le glufosinate vient d'être autorisé, contrairement à ce que dit
M. Séralini, il n'y a pas longtemps et nous l'avons examiné. Le métabolisme du
glufosinate a été étudié au niveau des plantes.
Il y a un métabolite qui n'est pas particulier mais en plus grande
quantité d'acétylation qui est connu. Ce métabolite a été testé au plan
toxicologique, c'est-à-dire en toxicité et nous avons tous ces types d'informations.
Le glufosinate est utilisé dans des conditions bien précises avec des
quantités bien données pour traiter le maïs transgénique. C'est une décision que nous
avons prise très récemment.
M. le Président - Vous avez indiqué que
les aliments qui viennent de l'étranger nont pas pu avoir été étudiés.
Les aliments qui proviennent de plantes transgéniques sont soumis à
autorisation et nous savons éventuellement quel a été le transgène. Les avez-vous
étudiés ?
M. Rico - Non, nous ne nous occupons pas de
transgènes.
M. le Président - Avez-vous étudié
l'effet du toxique qui correspond à ce transgène ? Lorsque vous avez un gène de
résistance à un herbicide, étudiez-vous celui-ci ?
M. Rico - Oui, lorsque le gène de résistance a
pour objectif de transformer le métabolisme de la plante, pour en fait transformer le
produit.
Nous avons déjà fait les évaluations de toxicologie pour le
glyphosate. Il y a longtemps qu'il est enregistré aux Etats-Unis. En France il a été
étudié au niveau de l'OMS, etc.
Nous avons étudié les produits de transformation du produit sur la
plante non modifiée, fait des évaluations, donné des limites maximales de résidus dans
les denrées en fonction de toutes les informations que nous avions.
Si nous avons une plante nouvelle qui entraîne des modifications,
c'est-à-dire une plante transgénique, le métabolisme de la plante nouvelle est étudié
avec le produit.
M. le Président - Y compris si elle a
été fabriquée à l'étranger ?
M. Rico - Un maïs transgénique a été
fabriqué de la même façon en France ou aux Etats-Unis, c'est la même construction.
Nous avons les études qui sont réalisées en France.
M. le Président - Le glyphosate n'est pas
forcément construit de la même façon, est-ce cela que vous vouliez dire,
Monsieur Séralini ?
M. Séralini - Nous parlons du Roundup, le
glyphosate est un des composants du Roundup. Il y a peut-être des composants non
identifiés.
En plus il est vrai qu'il peut y avoir des métabolites majoritaires,
mais aussi des métabolites qui se lient à l'ADN et qui sont difficiles à extraire. Cela
complique le travail des commissions et le long terme pour l'homme, cest de 20 à
40 ans avec des expositions multiples.
Une chose qui peut être préoccupante est le fait que nous
développons une politique d'utilisation de ces herbicides au besoin sur des plantes
alimentaires. Le Roundup a-t-il été homologué pour le soja ?
M. Rico - Pour l'instant le Roundup n'a pas
encore été autorisé en France.
M. Séralini - Mais nous importons du soja qui
est traité au Roundup. Ce type de question peut se poser.
Nous sommes dans le même cas pour les allergies, pour les herbicides
ou les antibiotiques. Il est difficile d'estimer le risque et il faut prendre des avis.
Pour les antibiotiques étant donné que c'est un problème de santé
publique, nous disons non. Pour les herbicides le problème est différent puisque nous
avons un bénéfice sur d'autres herbicides que nous utilisons moins. Il vaut mieux
surveiller les herbicides qui seront davantage vendus. Il faut donc faire également un
réseau de biovigilance, cela veut dire une traçabilité.
Par exemple pouvons-nous mesurer les résidus du Roundup dans le soja
transgénique importé ? Non parce qu'il est mélangé au reste. Cela complique donc
les études que nous pourrions faire a priori.
M. le Président - Cela veut-il dire que
les études de toxicologie ayant été faites par les Américains et lorsqu'il y a
importation, en aucun cas ces études ne sont faites au niveau européen ?
M. Rico - Lorsque nous avons des dossiers
d'enregistrement de produits, ce sont des produits internationaux.
Nous avons effectivement les firmes Novartis, Bayer ou autres qui nous
fournissent un dossier toxicologique comprenant toute une série d'éléments ; la
liste est longue. Tous les tests réalisés l'ont été dans des laboratoires qui peuvent
être américains, suisses, éventuellement français si c'est par exemple Rhône-Poulenc.
Tous ces tests réalisés l'ont été dans différents pays. Si l'EPA a
donné une autorisation pour du soja qui est en fait du soja transgénique, il est
évident qu'en termes de résidus, l'EPA a étudié les problèmes de résidus de soja.
Je suis tout à fait sûr que l'EPA - je la connais bien, elle
fonctionne comme nous - a demandé ce type d'information. Par conséquent si cela a
été autorisé, c'est que les conclusions des toxicologues qui se sont penchés sur ce
dossier ont donné une définition de risques faisant que nous connaissons les
métabolites et que nous pouvons les apprécier.
On me dit que nous ne connaissons pas tous les métabolites.
Effectivement, nous ne les connaissons pas tous, mais certains sont quand même mineurs.
D'autre part nous avons dit aussi qu'il fallait faire attention, les
enzymes étaient sollicités. Il faut faire très attention lorsque nous parlons de
sollicitation d'enzymes là aussi en fonction des doses.
Les systèmes mis en place au niveau hépatique sont des systèmes qui
ne s'appliquent pas aux substances hydrosolubles. Les systèmes P450 sont des substances
fixant tout ce qui est liposoluble, il n'y a pas de spécificité.
Les capacités de biotransformation peuvent être dépassées si vous
donnez des doses considérablement importantes. Si vous donnez des doses trop importantes,
les processus de détoxication sont saturés et vous n'obtenez pas les mêmes résultats
expérimentaux que ceux que vous avez.
La notion de dose est une notion très importante. Il faut savoir que
nous ingérons journellement une quantité astronomique de xénobiotiques. Il ne faut pas
croire que dans notre alimentation il n'y en a pas. On nous dit que ce sont des
xénobiotiques naturels.
Je suis désolé mais ces xénobiotiques naturels ont les mêmes
caractéristiques toxicologiques que ceux de synthèse. Une publication d'un certain
Monsieur Hems vient de sortir, il est une référence en matière toxicologique,
c'est lui qui a mis au point le test d'Hems pour faire la recherche.
Il vous dit que si vous mesurez dans une tasse de café la quantité de
xénobiotiques qui s'y trouve, dont 19 produits naturels ont montré des propriétés
cancérogènes sur la souris ou le rat et se sont donc révélés cancérogènes dans des
tests à long terme, cette quantité correspond à un an d'ingestion de résidus de
pesticides aux Etats-Unis.
J'ai la publication ici, je peux vous la montrer.
Il ne faut pas faire le distinguo entre naturel et non naturel. Les
cytochromes P450 sont là pour trier voir ce qui vient, ce qui est naturel et ce qui ne
l'est pas.
L'alimentation des individus comme celle des animaux varie avec le
temps. C'est pour cette raison que ce système s'est progressivement adapté.
L'alimentation de nos ancêtres n'était pas la même que celle que nous avons
aujourd'hui.
Les bovins consomment des quantités de plantes dans lesquelles se
trouvent de nombreux produits toxiques. Ils ont mis au point un certain nombre de
systèmes de défense. Il ne faut pas oublier que les processus de détoxication sont
quand même faits pour défendre les individus contre les toxiques qu'ils peuvent trouver
dans leur alimentation.
M. le Président - C'est un cours de
toxicologie très intéressant, néanmoins il est intéressant d'avoir de temps en temps
des discussions techniques.
Monsieur Gay voulait dire un mot à ce sujet, je voudrais ensuite
donner la parole à Madame Moneret-Vautrin qui a eu beaucoup de patience et puis
peut-être poser une question complémentaire.
M. Gay - Je pensais pendant un moment que
Monsieur Rico était un peu humble dans sa façon de présenter sa compétence et ce
qu'il sait sur la toxicologie et concernant entre autres tous les processus sur lesquels
j'ai pris un cours interne chez Novartis.
Pour tout ce qui est des propriétés cancérogènes, des métabolites
secondaires, tout un travail est réalisé par les commissions des toxiques. Des études
de carcinogenèse sont faites sur ces substances et sur ces substances activées, ce que
Monsieur Séralini ignore ou ne citait pas.
A part cela, nous avons eu un petit cours de toxicologie et je vais
arrêter, merci.
M. le Président - Madame Moneret-Vautrin
vous avez tout à l'heure fait une proposition d'un système de biovigilance en matière
d'allergie qui pourrait être relié au système de veille.
Le ministre est-il favorable à cela ? Nous l'avons auditionné
hier soir et il n'en a pas parlé. Qu'en savez-vous ? Etes-vous soutenue dans ce
projet ?
Pensez-vous de manière plus générale, cela a été le débat
- et Monsieur Séralini, Monsieur Courvalin et Monsieur Rico en ont
parlé - que tout le système de biovigilance en matière de plantes transgéniques
par rapport à la santé humaine est bien organisé en France ? Comment faudrait-il
l'organiser ?
Mme Moneret-Vautrin - Je pense que cette idée
d'allergo-vigilance est effectivement une idée que je lance après réflexion.
Je vois en effet l'intérêt d'un système bien organisé comme le
réseau "grippe" qui fait remonter des informations sur un laboratoire
spécialisé, comme celui de pharmacovigilance qui, à mon avis, est moins bien organisé
sur le territoire national avec cette fois une structure centrale de pharmacovigilance qui
l'est parfaitement.
Dans une structure centrale d'agence de sécurité sanitaire, il faudra
prévoir un bureau de risques allergiques qui sera fondé sur un réseau
d'allergo-vigilance qui, lui-même, comportera aussi bien des laboratoires que des
allergologues des centres spécialisés éventuellement en allergologie élémentaire,
mais également des allergologues tous azimuts qui pourront dépister les nouveaux
risques.
Non, le système n'est absolument pas organisé actuellement et je
crois qu'en matière d'allergo-vigilance, nous n'avons pas de leçon à prendre de la FDA
et nous n'avons pas à avaler leurs modèles tout crus.
Il faut vous dire que Monsanto a envoyé des experts, - ceux qui
écrivent tous les articles sur le risque allergique et le dépistage de ce risque et de
l'allergénicité - à de nombreux allergologues un peu spécialisés comme moi il y
a un an. Il y a eu un véritable tour de démarchage psychologique de ce que nous sommes
en droit d'appeler des "leaders d'opinion".
C'est très intéressant de voir, il faut le savoir, que toutes les
personnes qui ont publié là-dessus sont des scientifiques affiliés à Monsanto. Mes
collègues renommés pédiatres, allergologues comme Sampson, etc., ont tous fait partie
justement à la fois des discussions du schéma de base de la surveillance et également
ensuite des résultats.
Ce qui m'a frappée en étudiant de très près ce qui a été fait,
est d'une part le caractère extrêmement satisfaisant théorique du modèle, mais en
même temps les questions qui se posent à chaque moyen d'étude proposé.
Ce qui attire mon attention, et je trouve honnête de le dire, c'est
que dans les articles toutes les questions qu'ils se sont forcément posées comme j'ai pu
me les poser, sont éludées. C'est un magnifique schéma où nous avons l'impression que
chaque moyen est suffisant pour parfaitement voir le problème.
Je n'ai pas grand chose à dire sur l'état actuel des OGM de première
génération où nous sommes en train de nous battre beaucoup sur le problème des gènes
de résistance aux antibiotiques et évidemment des gènes de résistance qui codent pour
la protéine résistante à l'herbicide.
La raison en est très simple, ce sont des protéines exprimées de
façon très faible, 0,4 % de l'ensemble des protéines du soja pour le soja
résistant au Roundup. Il est vrai que 0,4 % de l'ensemble des protéines du soja,
c'est infinitésimal pour un allergologue. C'est déjà un argument puissant de dire que
le risque de sensibilisation pourrait être faible.
Ils ont également démontré que c'était détruit par un modèle de
digestion gastrique en 15 secondes. Il faut savoir que certains allergènes majeurs
des aliments sont parfaitement détruits par la digestion gastrique, mais que lorsque nous
avons la curiosité d'analyser des fragments de ces allergènes majeurs, curieusement ils
ne le sont pas.
Il faudrait peut-être avoir des modèles un peu plus étudiés de
digestion intestinale. Dans les articles ils développent beaucoup les modèles de
digestion gastrique et pratiquement pas les modèles de digestion intestinale.
Nous voyons bien qu'à chaque point du modèle américain, il y a une
réflexion supplémentaire à apporter. Je pense qu'avaler tout cru le modèle américain
risque tout de même d'être un peu dangereux pour les OGM de deuxième génération.
Ne nous faisons pas d'illusions, ces OGM de deuxième génération sont
surtout les OGM à visée nutritionnelle. Lorsque nous parlons d'enrichir un aliment à
visée nutritionnelle, ce ne sera pas du 0,4 % de protéines, mais du 4 à 6 %.
Lorsque nous savons qu'actuellement en Australie, nous avons un lupin
transgénique qui, paraît-il marche admirablement bien pour la croissance des veaux avec
une albumine d'une autre espèce et que bientôt dans l'alimentation humaine, la farine de
lupin arrivera couramment, nous nous disons que dans dix ans cette fameuse farine de lupin
transgénique des veaux risque bien d'être proposée à l'homme.
Indéniablement il faut prendre des précautions et je trouve qu'il
doit y avoir une discussion sur un modèle européen ou français, je n'en sais rien, je
ne suis pas du tout dans les sphères dirigeantes. En tant qu'allergologue clinicienne, je
représente un point de vue qui manifestement peut être utile dans la réflexion sur les
moyens d'étude à appliquer.
En ce qui concerne le modèle américain, à chaque niveau, des
questions sont posées.
M. le Président - Merci, Madame, je crois
que votre suggestion est importante.
M. Rico - Je partage tout à fait l'avis de
Madame Moneret-Vautrin en ce qui concerne les deuxièmes générations car un
problème majeur se posera vraiment.
Je partage tout à fait son avis, nous ne suivons pas nous,
systématiquement les visions de l'EPA. Il m'est arrivé de "jeter" violemment
des toxicologues américains il y a quelques années.
Ces toxicologues venaient me dire que comme l'EPA leur avait donné
cette autorisation, ils ne comprenaient pas qu'en France nous ne la leur donnions pas. Je
leur ai dit que nous n'étions pas Américains et que nous avions des techniques
différentes.
Je voudrais dire qu'il existe une toxico-vigilance agricole qui s'est
mise en place dans différentes régions, qui vise à surveiller en particulier les
agriculteurs.
Dans le fond si nous réfléchissions bien, quelles sont les personnes
véritablement exposées aux pesticides ?
Est-ce que ce sont les consommateurs ? Personnellement je ne le
pense pas, car les concentrations sont faibles et que toutes les études faites aussi bien
aux Etats-Unis qu'en France sur les mesures de résidus dans les denrées montrent que les
limites maximales de résidus ne sont pratiquement jamais dépassées.
D'autre part c'est fait sur des produits frais, c'est-à-dire qui n'ont
été ni lavés, ni épluchés. Lorsque nous dosons les pesticides sur une banane, nous
les dosons sur la banane entière, donc lorsque vous enlevez la peau, certains partent,
etc.
En revanche je pense et suis persuadé que les agriculteurs sont soumis
à des agressions importantes par les pesticides. Par conséquent ce sont des témoins,
des cibles qu'il faut particulièrement surveiller pour pouvoir mettre en évidence des
effets toxiques qui ne sont pratiquement pas apparus sur les consommateurs.
M. le Président - Monsieur Séralini,
vous souhaitiez répondre à ce qu'avait dit Monsieur Rico tout à l'heure.
M. Séralini - Aux Etats-Unis on admet que le
Roundup est toxique pour les agriculteurs, c'est la troisième cause de maladie liée aux
pesticides pour une université américaine.
Encore une fois je dis que tous les problèmes ne sont pas résolus.
Parler du problème des faibles doses en disant que c'est la millionième ou milliardième
partie d'un kilo, c'est aussi à ces doses qu'une hormone agit dans l'organisme. Parler
d'une pièce de 50 centimes dans la ville de Paris, il est vrai que c'est également
à cette dose qu'une hormone peut agir dans l'organisme.
Je comprends le souci du réseau de toxico-vigilance agricole auquel
fait allusion Monsieur Rico et je crois que c'est très bien. Des consommateurs
peuvent être cependant aussi exposés aux pesticides.
Nier le fait que les pesticides aient un effet sur la santé est une
chose à laquelle je n'adhère pas. Les pesticides, surtout les liposolubles, peuvent
également s'accumuler dans la chaîne alimentaire et il y a des pesticides homologués
qui ont été ensuite interdits, y compris dans certains pays comme l'Allemagne.
Je crois qu'il faut être prudent et mettre en place un réseau de
surveillance pour, une fois que nous avons fait les cultures, une fois que les produits
sont là, doser de toute manière les résidus de tous ces produits que nous avons
aujourd'hui à notre disposition dans les plantes et aussi dans les animaux qui les ont
consommées.
Il me semble que c'est quelque chose qui pourrait très bien être mis
en place, ne serait-ce qu'à travers le Comité de Biovigilance, le matériel est là pour
le faire.
Il y a des précautions à prendre et je suis favorable à ce qu'on les
prenne.
M. Courvalin - A propos de la biovigilance, je
voulais indiquer l'expérience que nous avons eue de l'émergence de la résistance aux
antibiotiques chez les bactéries.
Chaque fois qu'un nouveau mécanisme de résistance émerge, c'est ce
qu'on appelle la théorie du périscope. Lorsque vous voyez un périscope c'est qu'en
général il y a un sous-marin dessous. Lorsque nous détectons un gène de résistance
c'est qu'il est déjà extrêmement répandu dans la nature.
Depuis vingt ans cela a toujours été le cas. Lorsque nous l'avons
décrit, il l'était souvent aux Etats-Unis quelques mois plus tard. Le système de
surveillance biologique est donc toujours extrêmement en retard sur ce qui se passe,
c'est souvent beaucoup trop tard.
Par ailleurs à propos de la réunion de Talloires, vous avez cité
Abigaël Saliers, cette réunion était organisée par l'université à Boston et
était financée par Novartis ou Roche, entreprise suisse qui fait des transgènes. Ceci
ne veut pas dire que les conclusions sont fausses, mais je crois qu'il faut le dire.
M. le Président - C'était
Antoine Danchin qui la présidait.
M. Courvalin - Oui, il était là.
Enfin Philippe Gay disait qu'un étudiant qui fait une culture de
20 ml au laboratoire générait plus de gènes que...
M. Gay - ...de potentiel de dissémination.
M. Courvalin - ...plus de potentiel de
dissémination que le maïs.
Il faut bien savoir que dans les laboratoires nous sommes tenus de
stériliser nos cultures avant de les jeter. Tout passe à l'autoclave alors que là ce
sont des gènes qui sont disséminés dans la nature. Il y a donc gènes et gènes et il
faut absolument comparer l'environnement et l'utilisation que nous faisons des gènes.
Je voudrais poser une question au président.
Je ne suis pas député de l'actuelle majorité, personne n'est
parfait, je ne suis pas non plus député de l'opposition, personne n'est totalement
imparfait...
M. le Président - Cela peut venir.
M. Courvalin - Je ne sais pas comment je dois le
prendre.
Il est strictement interdit aux chercheurs académiques de mettre un
gène de résistance dans une espèce qui ne le possède pas. Je voudrais savoir pourquoi
les chercheurs de l'industrie étrangère ont le droit de faire ce genre de manipulation
et pourquoi les lois de la République ne s'appliquent pas également aux chercheurs
académiques et à ceux de l'industrie.
M. Gay - J'ai lu une référence dans l'article
de Monsieur Courvalin dans "La Recherche" que je vous conseille de
lire car il contient toute l'argumentation pour et contre. Il suffit de le lire vraiment
sérieusement car cet article contient beaucoup d'informations.
Dans cet article, il est fait référence à une publication sur un acinetobacter.
J'ai mis mon nez dans cette publication et j'ai vu que nous avions construit une souche d'acinetobacter
contenant le gène de résistance à la kanamycine par conjugaison avec un plasmide d'une
autre bactérie.
Attention, certaines personnes enfreignent la loi,
Monsieur Courvalin !
M. Courvalin - La résistance à la kanamycine a
été décrite chez un acinetobacter, ce n'est donc pas un nouveau gène que nous
mettons dans une bactérie qui était toujours sensible.
Par exemple, nous n'avons absolument pas le droit de mettre une
pénicillinase chez le pneumocoque ou d'autres choses du même genre car l'espèce est
toujours sensible. Dans le cas de l'acinetobacter, la résistance à la kanamycine
est banale, il n'y a donc pas eu introduction d'un gène nouveau dans une espèce qui
était constamment sensible.
La question que je pose est la suivante : comment se fait-il que
les chercheurs industriels aient le droit d'introduire un gène dans une espèce qui ne
l'a jamais possédé ?
M. le Président - L'introduction se fait
suivant la loi des différents pays où cela a été introduit. L'introduction de ces
gènes ensuite se fait après avis de commissions nationales.
M. Courvalin - La loi n'est pas la même !
M. le Président - Là l'introduction
était déjà faite et ensuite la Commission du Génie Biomoléculaire a autorisé
effectivement l'introduction de ces gènes.
M. Courvalin - C'est une loi à deux vitesses.
M. le Président - Pour toute introduction,
vous êtes soumis à autorisation.
M. Courvalin - J'ai été dans la Commission de
Génie Génétique pendant plus de dix ans, pour nous c'est strictement codifié. Par
exemple je ne peux pas mettre la résistance à la vancomycine chez le pneumocoque. C'est
très codifié.
D'un point de vue conceptuel, mettre un gène de résistance à
l'ampicilline dans le maïs ou à la kanamycine dans la tomate ou le coton, c'est pareil,
c'est introduire un gène de résistance dans une espèce qui en a toujours été
dépourvue.
C'est en ceci que je dis encore une fois ce n'est pas de la
bactériologie et c'est pour cela que je plaisantais sur le fait que je ne suis pas
député de la majorité, je sors de mon domaine, mais cela a attiré mon attention en
tant que chercheur.
M. le Président - C'est une bonne question
mais nous n'allons peut-être pas la poser maintenant car M. Claude Allègre est
déjà là.
Merci beaucoup en tout cas, Madame et Messieurs, pour cette table
ronde, après les auditions des ministres tout à l'heure nous essayerons de faire le
bilan de ces six tables rondes, je crois que cela a été très intéressant.
Audition de M. Claude Allègre, ministre de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie
M. le Président - Je voudrais remercier
Claude Allègre d'être venu en audition devant l'Office Parlementaire d'Evaluation
des Choix scientifiques et technologiques pour un rapport de l'Office qui est attendu par
le gouvernement sur les organismes génétiquement modifiés, les plantes transgéniques.
Plusieurs ministres sont venus hier, c'est un sujet qui suscite la
passion, nous l'avons vu dans les tables rondes.
Après avoir fait plus de 200 heures d'audition depuis maintenant
six mois, nous sommes passés dans une phase d'audition des responsables politiques et
nous avons eu six tables rondes dont la dernière vient de se tenir, avec un certain
nombre de spécialistes de ces questions sur :
- les enjeux en agriculture et dans l'agro-alimentaire,
- la recherche,
- la réglementation, l'organisation du contrôle et de
l'expertise,
- les enjeux en matière de santé,
- les enjeux en matière d'environnement,
- les problèmes qui se posent en matière de consommation pour le
consommateur.
C'est un peu l'organisation des tables rondes à cinq ou six personnes
au cours desquelles un certain nombre de questions ont été posées.
Dans cette table ronde sur la recherche plusieurs chercheurs français
ont participé dont :
- le directeur de l'INRA,
- Antoine Danchin de l'Institut Pasteur,
- Daniel Cohen de Genset,
- Claude Fauquet de l'ORSTOM qui dirige en Californie le
laboratoire de l'ILTAB,
et nous vous auditionnons ce soir pour essayer de mieux cerner les
enjeux du développement, des biotechnologies et du développement de la génomique avec
un certain nombre de techniques nouvelles.
Certains chercheurs ont eu des mots hier pour dire que si dans un
certain nombre de domaines cela allait mieux pour essayer de favoriser le transfert de
technologie, ils ont regretté l'insuffisance de brevets. Ils ont indiqué que finalement
- et les chiffres ont été donnés - en France nous publions beaucoup, mais
nous brevetons peu.
Ils ont également indiqué qu'il y avait des blocages au niveau de
l'administration et Daniel Cohen a demandé :
"Notre administration est-elle prête à favoriser le transfert
public-privé, bloqué par les énarques ?", je répète ses mots.
Les chercheurs ont dit que les moyens étaient bons dans ces domaines
et qu'ils avaient augmenté. Néanmoins certains ont dit qu'en génomique, nous n'avions
peut-être pas pris la dimension totale et qu'il fallait faire plus et plus vite.
Certains en revanche ont regretté qu'il n'y ait que la création du
Centre d'Evry. Cela aurait été mieux si cela avait été au moins plusieurs centres au
niveau du territoire.
D'autres ont demandé que les crédits de l'INSERM se développent et
ce matin, chacun prenant conscience de la nécessité de travailler sur l'environnement, a
parlé de la recherche nécessaire entre OGM et environnement.
Ce sont plusieurs sujets posés, je vais, Monsieur le Ministre, vous
laisser exposer globalement votre position sur ces sujets majeurs. Vous avez d'ailleurs
été interrogé à l'Office sur cette question.
Là nous sommes dans le cadre d'un rapport et il y aura une dimension
recherche dans ce rapport.
M. Allègre - Je ne sais pas exactement ce qu'il faut
que je vous dise compte tenu du calendrier gouvernemental.
Ce matin j'ai fait un exposé devant mes collègues ministres sur la
politique française de la recherche et nous aurons à la fin juin un Conseil
Interministériel sur la recherche dans lequel nous fixerons la manière dont les
priorités ou l'organisation de la recherche se fera.
Nous aurons ensuite un deuxième Conseil interministériel en septembre
pour fixer les priorités de la recherche scientifique française pour les quatre
prochaines années.
Comme vous vous en doutez, je ne vais pas ici par avance vous déflorer
ce sujet pour deux raisons.
La première raison est que je tiens absolument que l'ensemble de ces
décisions ne soient pas des décisions venant du Ministre chargé de l'enseignement, de
l'éducation, de la recherche et des technologies, mais que ce soit une décision
collective du gouvernement.
La deuxième raison est que si nous avons tel ou tel projet, tant qu'il
n'a pas été validé au niveau gouvernemental, il ne vaut rien.
A l'intérieur de ce cadre qui est relativement contraignant, je
voudrais faire quelques petites remarques préliminaires et ensuite être plus spécifique
sur les questions, Monsieur le Président, que vous avez soulevées.
La première question est que d'une manière générale, grâce aux
efforts faits depuis de nombreuses années dans ce pays, aujourd'hui la France dépense
environ 2,3, 2,4 % de son PIB pour la recherche scientifique. Il faut noter que
certains pays dépensent moins et ont de meilleures performances, je veux parler de la
Grande-Bretagne, et d'autres dépensent plus et ont de moins bonnes performances, je
citerai la Suède.
Il faut cesser de discuter de problèmes de recherche scientifique en
France à la seule aune de la dépense qui est faite. Si la recherche scientifique
française que nous pouvons qualifier de bonne est suivant les disciplines entre la
troisième et la cinquième du monde, parfois même la deuxième, il faut essayer de
penser en termes de structure, d'état d'esprit et de dynamisation.
Le premier problème, à mon avis, le plus grave, est celui du
vieillissement des chercheurs et par là-même se pose la question fondamentale :
doit-on être chercheur à vie dans un même organisme comme c'est le cas en France encore
aujourd'hui ?
L'âge moyen des chercheurs au CNRS est de 47 ans, l'INSERM n'est
pas loin, le CEA est un peu meilleur avec 43 ans, mais ce n'est pas la prime
jeunesse. Le vieillissement des chercheurs est un véritable problème.
Le deuxième point est qu'au cours des dix dernières années,
l'autonomie scientifique donnée aux jeunes chercheurs s'est graduellement restreinte.
Lorsque nous interrogeons les chercheurs français sur la raison pour
laquelle ils restent par exemple aux Etats-Unis, la réponse est uniformément la
même : aux Etats-Unis, lorsqu'ils ont fini leur post-doctorat et qu'ils sont
assistants-professeurs, ils sont maîtres de faire une "proposal" et
d'avoir leur budget, leurs techniciens, leur programme.
En France, la structure pyramidale des laboratoires ne donne pas assez
tôt des responsabilités à de jeunes chercheurs.
Ceci réagit également sur la création d'entreprise. Lorsque nous
regardons les créations d'entreprises dans des grands centres comme la
Silicon Valley ou la Route 128, nous voyons que de nombreuses personnes créent
des entreprises dans les deux, trois années suivant leur thèse.
En France, les capitaux à risque pour les jeunes chercheurs ne sont
pas suffisamment développés et les facilités ne sont pas non plus suffisamment mises en
pratique.
Vous savez qu'à la suite des Assises de l'Innovation, nous avons
Dominique Strauss-Kahn et moi-même, annoncé un certain nombre de mesures dans ce
sens. Il s'agit de mesures fiscales, mais également d'une loi qui sera présentée par
moi-même à la fin de l'année au Parlement.
Ceci a pour but de faciliter pour les chercheurs la création
d'entreprises, la participation au conseil d'administration des entreprises et d'une
manière plus générale la modification du statut des chercheurs car actuellement nous
sommes dans une situation absurde.
Sous prétexte que les chercheurs sont fonctionnaires, lorsque dans
certains organismes on utilise des lettres de recommandation de l'étranger pour une
promotion de chercheurs, on se trouve à la limite de la légalité ce qui fait
évidemment sourire le monde entier.
Voilà une deuxième série de remarques.
Quant au problème qui vous préoccupe plus spécifiquement, je crois
que c'est un problème très sérieux et je regrette que ce problème n'ait pas été
traité avec toute la réflexion nécessaire dans les ministères jusqu'à maintenant.
Pour ma part je me réjouis que l'Office Parlementaire ait pris
l'initiative de faire un rapport, d'avoir un débat, de consulter de nombreuses personnes
dans ce domaine.
Il y a deux attitudes qui sont également non adaptées.
La première attitude que nous voyons sous la plume de certains
chercheurs de temps en temps, consiste à dire : "Laissez faire les chercheurs,
il n'y a pas de risques, tout se passe bien, laissez-nous faire, laissez-nous bricoler le
génome, de toute manière nous sommes conscients de tout, etc. !"
Cette attitude a, je le crains, un double désavantage.
Le premier point est qu'elle fait preuve d'un optimisme exagéré sur
ce que nous connaissons sur les mécanismes et les conséquences que peuvent avoir telle
ou telle manipulation génétique.
Le deuxième point est que sur le plan psychologique vis-à-vis des
populations, elle a un effet absolument désastreux et conduit à renforcer l'idée que
les scientifiques sont des apprentis sorciers qui veulent monopoliser le pouvoir.
Cette attitude n'est donc pas la bonne.
La deuxième attitude est l'attitude inverse et consiste à dire que
tout ce qui manipule le génome est mauvais et diabolique, qu'il faut tout laisser à la
nature et par conséquent interdire toute manipulation génétique.
Je pense que cette deuxième attitude condamnerait la France à devenir
rapidement un pays sous-développé.
Le premier point est qu'il faut essayer de définir une attitude
moyenne qui soit consciente des potentialités scientifiques considérables que les
manipulations génétiques peuvent apporter et, là-dessus il ne faut pas être naïf, j'y
reviendrai dans quelques minutes.
Le deuxième point est de penser qu'un certain nombre de manipulations
peuvent avoir des conséquences que nous ne mesurons pas au moment où nous les
pratiquons. Il peut s'agir de conséquences sur le plan directement médical concernant
tous les produits ingérés ou de conséquences écologiques absolument effroyables.
Imaginons un produit génétiquement modifié qui tuerait une certaine
catégorie d'insectes et qui déséquilibrerait ainsi la pollinisation de tout un
territoire.
Il faut être prudent et traiter les problèmes au cas par cas car
c'est ainsi qu'ils se traitent. Si à l'évidence certaines manipulations ne sont pas
dangereuses, certaines autres le sont.
Au moment du débat sur le maïs transgénique, nous avons vu que les
positions étaient passionnelles et que, naturellement, les questions de tel ou tel
étaient souvent davantage soit guidées par l'idéologie soit par des intérêts
économiques.
Je souhaite donc que, dans ce domaine, la France ait une opinion
équilibrée. En ce qui concerne le Ministère, de toute manière, nous organiserons nous
aussi, un débat non pas de même type, mais avec des scientifiques européens pour
discuter très à fond de ce problème.
Lorsque je parlais de naïveté tout à l'heure, je vais donner un
exemple. Nous avons, la France a décidé de faire un centre de séquençage à Evry.
Cette décision n'a pas du tout été prise à l'unanimité. A
l'époque certains chercheurs considéraient que ce centre de séquençage n'était pas
nécessaire. Il n'y avait qu'à laisser faire les Anglais, très allants dans ce domaine,
et les Américains ainsi que d'autres et il valait mieux consacrer nos moyens à manger
les marrons plutôt qu'à les tirer du feu.
La décision a cependant été prise, je fais un simple rappel.
Là-dessus, dans ce domaine du génome humain, à la suite de la conférence des Bermudes,
la décision a été prise de mettre tous les séquençages une fois obtenus sur Internet
afin que tout le monde en profite.
Nous nous sommes ensuite rendu compte que les Américains, toujours
très friands de grandes décisions éthiques mais ayant la tête près du bonnet d'autant
plus qu'aujourd'hui la plupart des grands scientifiques américains sont plus ou moins
liés financièrement à une grande société pharmaceutique ou de produits alimentaires,
ont fait adopter l'amendement suivant.
Comme les Américains sont des personnes sérieuses, avant de mettre
leurs informations sur le web, il devaient se donner six mois pour vérifier si les
informations de séquençage étaient correctes.
Moyennant quoi tout le monde sait que pendant ces six mois, on essaye
d'identifier ce qui, dans ces séquences, pourrait donner lieu à brevet, on les brevette
et ensuite on les dépose sur le web. Et on brevette même des séquençages faits par les
Européens.
Il y a eu un incident extrêmement violent en Allemagne Fédérale il y
a quelques mois et le Ministre de la Recherche d'Allemagne Fédérale m'a contacté il y a
quelques semaines pour me demander de déposer avec l'Allemagne Fédérale une demande de
directive à Bruxelles pour donner l'autorisation aux Européens d'avoir six mois avant de
mettre leurs séquences sur le web de manière à faire exactement la même chose que les
Américains. Nous allons obtempérer car cette méthode me semble très bien.
Je cite simplement cet exemple pour montrer que nous sommes toujours
d'accord pour de la transparence, des marchés ouverts, un certain nombre de choses, mais
qu'en fait dans la pratique, les choses ne sont pas tout à fait aussi simples.
Les incidents en Allemagne ont même été verbalement assez graves. Un
ancien prix Nobel américain très célèbre a même été jusqu'à prononcer des paroles
qui, naturellement, blessent énormément les biologistes allemands contemporains car ils
n'ont rien à voir avec leurs devanciers de triste mémoire. Je vous dis ceci pour vous
montrer que cette compétition est difficile.
Nous voyons aussi l'évolution des opinions. A tel moment, telle
communauté paysanne est fanatique pour faire tel ou tel produit transgénique, puis elle
s'aperçoit que si nous étiquetons la vente sera plus ou moins bonne et elle devient de
ce fait plus réticente, etc.
Je voudrais, et c'est le travail du Ministère de la Recherche, que
nous puissions donner un certain nombre d'analyses qui sont difficiles car nous sommes
dans l'incertitude.
Je ne fais pas partie des défenseurs et je ne suis pas un scientifique
béat qui considère que la science est bonne par définition et que de toute manière
tout va bien dans le meilleur des mondes possible.
Je ne suis bien sûr pas non plus quelqu'un qui considère qu'il faut
arrêter le progrès scientifique au nom d'un certain naturalisme dépassé. Ceux qui
défendent cette idée n'ont qu'à retourner dans les cavernes faire du feu au lieu de se
préoccuper de condamner toute forme d'énergie, toute forme de progrès.
Je crois cependant qu'il faut faire très attention. Nous sommes
maintenant dans une époque historique où, pour la première fois, nous pouvons manipuler
le génome des êtres vivants et donc également le génome humain, en tout cas s'en
approcher si ce n'est le manipuler lui-même. Par conséquent nous risquons d'être
véritablement des apprentis-sorciers si nous n'y faisons pas attention.
C'est ce que je voulais vous dire en propos préliminaires.
L'attitude du Ministère de la Recherche et de la Technologie est une
attitude pragmatique, mais vigilante.
Ceci étant dit, je répondrais, si je le peux, aux questions que vous
serez amenés à me poser, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs.
M. le Président - Merci beaucoup, Monsieur
le Ministre, de cet exposé liminaire qui fait le point et traduit les interrogations qui
se sont révélées au cours de ces deux journées au terme desquelles nous arrivons.
Tous les problèmes que pose le développement d'une technologie
nouvelle et de ses applications dans le domaine de la santé et dans le domaine de
l'agro-alimentaire ont été étudiés, évalués, soupesés. Dans un certain nombre de
cas, nous avons eu des discussion véhémentes, des avis divergents. Je crois cependant
que cela s'est bien passé de l'avis de tous ceux qui sont ici et notamment de nombreux
représentants de la presse.
Nous avons parlé de la recherche et je voudrais très rapidement faire
un résumé.
Bien que nous soyons dans un calendrier où les décisions ne sont pas
prises, néanmoins nous travaillons dans le domaine du développement de la recherche dans
les biotechnologies et de l'incidence du développement des techniques d'analyse du
génome.
Il y a cependant une difficulté car nous sommes dans un débat public
qui n'a pas eu lieu dans notre pays sur l'utilisation des plantes transgéniques et sur
l'utilisation des aliments issus de ces plantes.
Nous avons le débat public que nous sommes en train d'essayer de
lancer après un certain nombre de décisions ce qui nous a d'ailleurs été reproché,
néanmoins, nous avons un débat ce qui est très important.
Nous avons le débat ici avec des experts et le gouvernement et nous
aurons la première Conférence de citoyens française les 21 et 22 juin qui se
déroulera dans cette salle avec un panel de citoyens de quinze personnes, de quinze
"candides" qui donneront leur avis sur le sujet.
Au bout du compte, le Parlement et son rapporteur, confrontera l'avis
des experts, celui des citoyens et celui de tous ceux qui se seront exprimés sur ce sujet
pour donner un avis.
Nous sommes dans un paradoxe car il y a le débat et d'un autre côté
les enjeux dont l'un est la recherche avec une décision prise du Centre de séquençage
d'Evry qui, je crois, est une bonne décision. En tout cas, tout le monde l'a dit et
indiqué ici hier et ceci, quels que soient les domaines de recherche auxquels
appartenaient les personnes qui se sont exprimées.
Néanmoins, tous demandaient si le développement de la génomique,
c'est-à-dire qui est le futur de la génétique, fait toujours partie des priorités de
votre action.
Concernant le Centre de séquençage, j'ai une petite question avec
notamment une intervention de Daniel Cohen à ce sujet, puisque le Génoscope vient
d'être créé avec l'ancien directeur des sciences de la vie du CNRS pour s'en occuper.
Ne serait-il pas bon d'avoir quelques pôles satellites à côté du
Centre d'Evry pour développer dans deux ou trois autres villes des recherches dans ce
domaine car ce sont des points importants ?
Il s'agirait notamment des recherches concernant les puces à A.D.N.,
question que nous avons également abordée. Et il faudrait peut-être un centre de
technologie vers les pays du Sud.
Monsieur Fauquet, ici présent, qui dirige le laboratoire de
l'ILTAB en Californie, laboratoire mixte de l'ORSTOM, a beaucoup parlé de ces problèmes
de coopération. A New-York j'ai vu Monsieur Serageldin, vice-président de la Banque
mondiale sur ces questions.
Quelles sont vos positions sur la génomique, un peu le futur de la
génétique ? Y aura-t-il un soutien accru dans ce domaine ?
Ceci bien sûr sans vouloir déflorer le projet sur les priorités de
la recherche qui sera dévoilé en septembre.
M. Allègre - Je vais vous répondre de manière un
peu vague et je vous prie de m'en excuser.
Je crois que le Centre d'Evry existe et que cela a été une bonne
décision. En tout cas je n'ai pas l'intention de le remettre en question.
La question qui se pose me paraît être de deux ordres.
Le première chose est qu'il doit être utilisé pleinement par
l'ensemble des organismes qui s'occupent de biologie. L'un des problèmes français est
que quatre ou cinq organismes font de la biologie sans beaucoup de coordination. Je peux
vous dire que nous allons créer un comité de coordination des sciences du vivant pour
que l'ensemble des personnes se parlent et donc que ce centre soit pleinement utilisé.
La deuxième chose est qu'il y a effectivement un certain nombre de
satellites dans ce centre. Il y en aura un sur les puces à A.D.N. qui se fera en liaison
avec le CEA et qui devrait voir le jour assez rapidement.
La troisième chose est qu'assez rapidement nous devons déborder tout
ceci pour aller vers la création de PME/PMI innovantes.
C'est un travail qui est une priorité. Je vous ai dit que nous allions
faire une loi sur l'essaimage, plus largement d'ailleurs sur ce problème, mais nous
allons essayer de provoquer des créations de PME/PMI innovantes en faisant très
attention au fait que, dans ce domaine, la situation industrielle française est très
particulière.
Nous avons une industrie des médicaments en chute libre. Il y a
quelques années, nous étions le deuxième pays du monde pour les prises de brevets sur
les médicaments, nous sommes devenus le septième, avec à l'inverse une industrie
agro-alimentaire extrêmement active et une industrie de l'environnement, notamment dans
le traitement de l'eau, qui est la meilleure du monde.
Le problème de savoir dans quel domaine, vers quel débouché, les
biotechnologies peuvent se développer est extrêmement important et fera l'objet d'une
étude très approfondie avant de décider, de regarder quelles orientations elles
prendront.
C'est ce que je peux vous répondre dans l'état actuel des choses.
Ne faut-il pas fabriquer un réseau plutôt qu'un centre ?
La réponse est a priori oui, mais il faut voir. De toute manière
l'existence de centre faisant du séquençage ou travaillant sur le génome dans
différents pays, dans différentes régions de France est effectif. Sur la partie des
plantes, le Centre de Montpellier fera des recherches, les personnes de Strasbourg en font
également de même que Grenoble.
Je ne crois pas qu'un monopole se situera à Evry. Il faut considérer
Evry comme un grand instrument, une sorte de télescope pour un astronome qui doit être
utilisé par telle ou telle personne qui veut séquencer la betterave, le radis noir ou la
mouche tsé-tsé.
M. le Président - L'autre point est
beaucoup plus précis et ponctuel.
Un certain nombre de problèmes ont été abordés, notamment en
matière d'environnement. Un certain nombre de personnes présentes - et je me fais
leur interprète - disaient que les crédits consacrés par le privé - pourtant
il devrait le faire puisque la crédibilité éventuellement de la culture de plantes
transgéniques passe par des études de la culture de ces plantes sur l'environnement ou
la santé - étaient trop faibles.
En matière d'environnement d'une part ou de santé d'autre part dans
les domaines concernant les impacts des biotechnologies, y aura-t-il des demandes à
l'INSERM, l'INRA ou au CNRS aux sciences du vivant ?
En quelque sorte la recherche doit-elle se mettre au service de la
société lorsque celle-ci a une demande qui est une demande forte ?
M. Allègre - Cela dépend, mais sûrement pas en
fixant les priorités si nous n'avons pas les hommes qualifiés pour mener ces recherches.
Tant que je serai ministre de la recherche, il y aura une rupture avec
les méthodes que nous avons connues consistant à fixer des priorités, à inonder
certains laboratoires de médiocres et de crédits alors que d'autres de grande valeur
dans d'autres domaines se serrent la ceinture.
Je ne suis donc pas un fanatique de la priorité budgétaire forcée.
En premier, je crois que nous avons une déficience de chercheurs dans
un certain nombres de domaines, en écologie par exemple et je dirai même surtout dans un
élément qui est maintenant un élément essentiel, celui que nous appelons l'écologie
biochimique qui consiste à voir comment dans un biotope donné, les diverses
transformations biochimiques se font et se propagent.
Nous avons sûrement à réévaluer les choses, mais là nous entrons
dans un débat que j'aurais probablement l'occasion de venir exposer devant l'Office des
choix technologiques du Parlement. C'est un débat très difficile car il s'agit de la
fixation des priorités et ce débat a été mal résolu dans ce pays.
Les priorités ne peuvent être fixées par les chercheurs. Nous le
faisons depuis un certain nombre d'années et cela conduit par définition à une
reproduction homothétique.
En fait, nous nous apercevons que les grandes priorités scientifiques
de la France ont été fixées par le Général de Gaulle avec un souci essentiel
d'indépendances nationale et énergétique et que les équilibres budgétaires ont été
établis à ce moment-là et quasiment poursuivis au cours du temps. Je ne vous ferai pas
de graphiques, mais cela a été le fait.
Une fois l'indépendance énergétique et stratégique de la France
assurée, alors qu'il aurait fallu basculer une bonne partie des crédits sur les sciences
du vivant et sur celles de la communication et de l'information, nous n'avons pas su le
faire.
Je suis décidé à le faire, mais à le faire avec un certain nombre
de précautions, non pas tout seul, mais avec l'aval complet et le support de l'ensemble
du gouvernement. C'est de ceci dont nous avons abondamment parlé ce matin. A ce sujet, le
témoignage de l'ancien Ministre de la Recherche et fort dynamique
Jean-Pierre Chevènement a été très intéressant.
Là il y a beaucoup de choses à dire, mais il n'est pas normal que, vu
de la qualité de la recherche française, elle crée aussi peu d'entreprises, de PME/PMI
innovantes. Lorsque nous pensons qu'à lui tout seul, le MIT a créé
4 000 entreprises dans sa périphérie au cours des trois dernières années,
alors qu'il n'y a que 10 000 étudiants, nous voyons quand même que nous avons
quelques problèmes.
Je sais bien que nous sommes pour la plupart les descendants de ceux
qui n'ont pas traversé l'Atlantique et que le goût du risque et des aventures à travers
les grands espaces n'est pas forcément dans notre culture, mais je crois que nous pouvons
le changer.
Je vois ce qui vient de se passer en Allemagne où un changement à
90° a été opéré il y a deux ans pour le financement de la recherche. Abandonnant
cette habitude européenne de financer les grands groupes comme nous l'avons fait, ils se
sont décidés à faire une priorité pour les start up et ils sont en train d'en
réaliser d'une manière tout à fait remarquable.
Je souhaite aussi en ce qui concerne les collectivités territoriales
qui ont pris l'habitude d'aimer la recherche dans ce pays et de payer des appareils à
Untel ou Untel suivant des critères qui ne sont pas toujours des critères scientifiques,
qu'au lieu de s'occuper de ce problème qui n'est pas le leur, elles se préoccupent
davantage précisément du capital-risque dans les créations d'entreprises, de
l'essaimage, de l'aide aux jeunes chercheurs qui veulent démarrer.
Je crois que nous devrons avoir un effort coordonné dans ce domaine et
naturellement au premier plan sont les biotechnologies.
Vous avez raison de dire que les biotechnologies appliquées à
l'environnement, que ce soit dans le traitement des déchets ou de la purification d'eau,
sont quelque chose de tout à fait remarquable et qu'il ne faut pas penser biotechnologie
uniquement en termes de médicaments même si c'est un problème tout à fait éminent et
important.
M. le Président - Ce sujet est important
et nous sommes en phase totale.
Je reviens des Etats-Unis où j'ai visité plusieurs universités. Dans
l'Iowa State University ils ont maintenant 5 ou 6 000 emplois qui sont
directement liés à leur université et, alors que l'Iowa est dans le Middle West,
ils doivent maintenant importer des chercheurs ou des personnes formées à la recherche
ou l'industrie pour venir travailler dans leur petite université initiale.
C'est une politique qui est importante aux deux conditions que vous
avez indiquées.
La première est que nous rééquilibrions par rapport aux grandes
masses budgétaires qui étaient les grands programmes des années 60 car certaines
disciplines sont en train d'émerger dans le secteur général des sciences du vivant.
Deuxièmement il faudra supprimer les blocages administratifs qui
existent quand même. Il en existe et j'espère que dans la loi nous arriverons à le
mettre en place avec les collectivités locales et territoriales, qui sont prêtes à le
faire en tout cas dans un certain nombre de secteurs de notre pays, en débloquant un
certain nombre de verrous et de freins administratifs qui existent et qui ont
particulièrement été montrés du doigt lors de la table ronde consacrée à la
recherche hier.
M. Allègre - Les verrous administratifs sont importants,
nous allons essayer si ce n'est de les faire sauter, du moins d'en diminuer les effets de
blocage en ce qui concerne les chercheurs, mais les problèmes psychologiques sont eux
aussi fort importants.
Je me souviens que lorsque nous avons discuté la loi de
Jean-Pierre Chevènement et que nous avons pris la décision de transformer les
chercheurs en fonctionnaires, l'argument n° 1 soulevé par des personnes tout à
fait éminentes a consisté à dire que cela aiderait la mobilité. Une fois
fonctionnaire, le chercheur étant rassuré sur son avenir, il pourrait bouger.
Je voudrais vous donner un chiffre, l'an dernier sur
22 000 chercheurs du CNRS, 8 sont passés dans l'industrie. Les chiffres sont
quand même assez accablants.
Cette année nous venons de mettre 100 postes de transfert pour
les chercheurs qui veulent devenir professeur d'université et pour ces 100 postes
nous avons péniblement 125 candidats.
Concernant l'idée de la mobilité, je ne vous cache pas que la
question posée est de savoir si, dans ce pays qui est le seul pays du monde à admettre
ceci, nous devons considérer qu'on est chercheur à vie sans avoir à un moment donné
l'obligation de faire une mobilité quelconque hors de son laboratoire ou de son
organisme.
Je crois que, pendant ce gouvernement ou un autre, ce pays devra se
poser un jour réellement cette question. Lorsque nous voyons que l'âge moyen des
chercheurs est de 47 ans et qu'il augmente de quatre mois tous les ans, il y a là
une vraie question.
Vous pouvez d'ailleurs vous amuser à faire un petit calcul et dire que
vous allez tripler le nombre d'entrants dans l'organisme pendant dix ans en prenant des
jeunes et vous verrez que vous ne modifierez pas beaucoup l'âge moyen.
L'âge moyen est un paramètre statistique extraordinairement robuste
et le seul moyen pour le modifier est d'évacuer les personnes à partir d'un certain âge
vers le haut.
Il y a quelques années, le Commissariat à l'Energie Atomique a
adopté une méthode drastique qui lui a permis de faire mieux que le CNRS puisqu'il est
à 42 ans. Il a mis à la retraite tous ceux qui avaient plus de 60 ans.
Nous pourrions aussi nous amuser à mettre à la retraite tous ceux qui
ont plus de 55 ans. Malheureusement même si sur le plan statistique ce serait une
technique facile, outre le fait que naturellement nous aurions des hurlements qui seraient
des Montagnier multipliés par cinquante, un deuxième problème se poserait.
Je ne veux pas faire de polémique politique, mais la période
Pompidou-Giscard a été une période particulièrement désastreuse en ce qui concerne le
recrutement des chercheurs et si nous prenions cette mesure, nous enlèverions quasiment
les seuls leaders dans un certain nombre de domaines sans avoir de remplacement. Sur le
plan scientifique, nous ne pouvons donc même pas envisager une telle mesure.
La seule mesure qui reste est de favoriser ces transferts vers
l'enseignement supérieur ou vers l'industrie. Mais comment le faire ? Faudra-t-il
une loi ?
Il faut dire que comme les chercheurs qui font grève et défilent dans
la rue, cela ne dérange pas beaucoup de monde, c'est moins que l'EDF ou que les
chauffeurs routiers, il faut se lancer dans une telle bataille frontale, mais nous allons
affaiblir la recherche scientifique ce qui ne sera pas très bon d'un autre côté.
Tout le monde dit qu'il faut faire preuve de conviction, mais je pense
que mes prédécesseurs n'ont pas été inactifs dans ce domaine. Ils ont multiplié les
mesures, mais il faut bien reconnaître que le succès de la mobilité est très limité.
Et je vous avoue que je suis extrêmement perplexe, que je n'ai pas beaucoup de solutions.
M. le Président - J'ai une autre question
qui touche les biotechnologies, qui est une question générale.
Depuis une quinzaine d'années, nous avons essayé de favoriser les
rapports entre le public et le privé au niveau de la recherche, je crois que c'est une
bonne chose. Vous avez même indiqué qu'il est souhaitable qu'il y ait une certaine
mobilité.
Aux Etats-Unis nous observons un phénomène qui devient inquiétant,
c'est-à-dire la privatisation totale du savoir. Non seulement les produits, mais aussi
les techniques d'expérience sont soumises à redevance.
Finalement, c'est ce que m'a dit le vice-président de la Banque
Mondiale, les pays du sud ont de plus en plus de difficultés à obtenir des transferts de
technologie. Même si cela se fait dans un certain nombre d'instituts, cette privatisation
totale du savoir dans les universités américaines devient inquiétante.
Y a-t-il ce risque éventuel en France ? Dans l'affirmative,
comment pouvons-nous essayer d'y remédier et essayer de favoriser le transfert ?
M. Allègre- D'abord, nous ne sommes pas du tout dans ce
risque car nous n'avons pas le mouvement de création d'entreprises, etc. que nous voyons
aux Etats-Unis.
M. le Président - Pas seulement création.
M. Allègre - Oui, mais nous ne sommes pas du tout dans ce
risque, de prise de brevet forcenée, etc..
Aux Etats-Unis il faut voir que la biologie est un exemple typique, la
chimie l'a été et l'est encore. A l'intérieur même d'un laboratoire les différents
élèves ne se parlent pas car chacun ou les groupes sont sur un sujet qui donnera lieu à
un brevet, par conséquent il ne faut pas qu'il y ait de fuites.
Cela devient épouvantable dans certains endroits. Il a par exemple
fallu au MIT qu'il y ait une décision de son président pour forcer certains professeurs
à faire des séminaires. Ils se refusaient à en faire, car ils considéraient qu'il ne
fallait pas ébruiter leurs recherches chez les collègues. Dans certaines universités,
certains universitaires sont partis pour ces raisons.
Aux Etats-Unis, il est vrai que dans le domaine de la biologie, cela a
atteint des limites très inquiétantes.
Il en est de même dans le domaine de l'informatique. Lorsque vous
dirigez une thèse, le problème est de savoir à qui appartient ce que la personne écrit
dans la thèse. Il y a des procès célèbres à propos de langages informatiques. Ces
langages informatiques ont été écrits par des élèves qui ont pris un brevet. Le
professeur qui dirigeait la thèse a dit qu'il s'agissait de ses idées, qu'il lui a dit
ce qu'il fallait faire.
Maintenant lorsque vous passez par exemple une thèse au California
Institute of Technology, vous signez un papier comme quoi la propriété de ce que vous
faites appartient à l'université.
Il est vrai que cela prend des allures qui ne sont pas très plaisantes
sur le plan universitaire. Nous n'en sommes pas du tout là en France, mais je ne dis pas
que cela ne viendra pas. Même en Europe, nous ne sommes pas dans ce domaine.
L'aide vis-à-vis des pays sous-développés se fait. Mais le problème
est que les technologies évoluent à une telle vitesse, que concernant cette idée un peu
élitiste que nous avons, nous autres Européens, de dire que nous sommes développés
intellectuellement et qu'il y a les pays sous-développés, etc., les pays dits
sous-développés envoient une escouade d'étudiants aux Etats-Unis dans des laboratoires
bien choisis et cinq ans après ils ont un laboratoire compétitif sur le plan
international.
Actuellement les laboratoires indiens sont compétitifs sur le plan
international. L'Inde n'est pas un pays sous-développé, elle est maintenant de
plain-pied dans la compétition internationale. Cela commence à être aussi vrai pour la
Corée, pour le Brésil et pour un certain nombre de pays.
Je dirai même plus, dans certains cas, ces pays n'étant pas bloqués
par des traditions universitaires sclérosantes, les nouvelles disciplines sont
enseignées tout à fait naturellement dans le cursus et plus vite que dans un certain
nombre de pays développés.
Par conséquent il faut faire très attention avec cette distinction.
L'idée consistant à dire que nous fabriquons des choses de grande qualité et que les
pays sous-développés font de la manufacture, etc. est totalement en train de s'estomper.
La compétition intellectuelle est une compétition mondiale. Si vous
lisez le palmarès des prix internationaux des dix dernières années, lorsque vous
identifiez les personnes, si indépendamment de leur nationalité, vous regardez d'où
elles viennent, y compris dans les prix Nobel américains, vous voyez des Pakistanais, des
Coréens, des Chinois, des Argentins. Et si vous regardez leur cursus, ils n'ont pas
forcément fait leurs études aux Etats-Unis.
Un prix Nobel indien a fait toute sa carrière en Inde et a juste été
aux Etats-Unis deux ans avant d'avoir le prix Nobel.
Je vais vous dire parfois l'affection et l'intérêt idéologique que
j'ai pour les pays sous-développés. Actuellement je me fais beaucoup de souci pour la
France, c'est ma préoccupation n° 1 ainsi que pour l'Europe.
Ce qui me soucie est d'essayer d'organiser notre recherche scientifique
pour faire face à cette offensive. Notre technique de financement de la recherche qui a
consisté pendant des années à donner de l'argent aux grands groupes
- rappelez-vous ce que dit le rapport Guillaume, 86 % du financement de la
recherche se répartit entre six groupes en France - ce financement qui est le reste
du Colbertisme n'est pas adapté aux nouvelles technologies, aux biotechnologies, aux
technologies de l'information.
Ce n'est pas là que se font les choses, par conséquent il nous faut
rompre avec cette habitude. Ce n'est pas facile car les grands groupes sont bien
organisés, leur pouvoir de pression est très fort. Souvent ce sont les mêmes personnes
qui sont des deux côtés de la barrière, elles appartiennent aux mêmes familles
intellectuelles et administratives.
Par conséquent, briser ce fonctionnement du financement de la
recherche pour les grands groupes est difficile. Les Allemands avaient exactement le même
problème et ils l'ont cassé il y a deux ans sur le programme de biotechnologie en
faisant un programme extrêmement simple qui a été un appel d'offres à idées. Sans
s'occuper des laboratoires, il y avait un jugement sur les idées.
Les jeunes chercheurs touchaient de l'argent avec, vous y faisiez
allusions tout à l'heure, le principe du cofinancement. Les Länder se sont engagés dans
ce programme. Lorsqu'une équipe dépendant de leur Land avait de l'argent fédéral, ils
doublaient l'argent au niveau des Länder. C'est ce qui a permis de développer cela.
Actuellement l'Allemagne dépense dans ce fonds de développement de
biotechnologie pour les créations d'entreprises nouvelles, 2,5 milliards de francs.
Ils sont partis avec 500 millions de francs et dépensent maintenant
2,5 milliards de francs avec des fonds des Länder, des fonds privés, des fonds
divers. L'amorçage s'est fait avec 500 MF et maintenant ils en sont là.
Inutile de vous dire que nous sommes en train de regarder de près la
manière dont cela se passe, j'ai beaucoup parlé avec mon collègue allemand pour essayer
de voir ce mécanisme. Nous ne sommes donc pas en train de nous endormir sur nos affaires
dans ce domaine.
Je voudrais revenir à ce que j'ai dit au début.
Ces jours derniers, j'ai été extrêmement frappé car, avant de venir
à cette audition, j'ai consulté un certain nombre de scientifiques que je connais depuis
longtemps. J'ai été très frappé de voir qu'un bon nombre d'entre eux qui sont des
sommités scientifiques françaises n'avaient pas participé à un débat sur l'éthique
biologique depuis des années.
Ils me disaient que c'était des sujets de conversation de congrès,
mais ils n'avaient pas participé à un vrai débat.
Je pense que, sur ces problèmes d'éthiques, nous avons besoin d'avoir
dans chaque organisme de recherche et pas seulement à telle ou telle occasion, des
débats entre les chercheurs de manière à ce qu'ils prennent conscience de ces
problèmes, qu'ils débattent, discutent de manière contradictoire sur cette question car
c'est une question très importante.
M. le Président - Merci beaucoup, M. le
Ministre, je crois que cette suggestion est excellente de savoir que la biologie puisse se
faire en même temps qu'une réflexion sur les conséquences, son avenir et son
développement.
Audition de Mme Dominique Voynet, ministre de
l'aménagement du territoire et de l'environnement
M. le Président - Je suis très heureux
d'accueillir Dominique Voynet au terme de ces deux journées marathon, où nous avons
tenu les délais, d'audition sur les organismes génétiquement modifiés.
Ces journées nous ont permis d'avoir six tables rondes :
- une sur les enjeux agricoles et ceux de l'agro-alimentaire,
- une sur les enjeux en matière de recherche,
- une sur la réglementation de l'expertise et du contrôle,
- une sur les OGM et l'environnement, nous allons en parler
- une sur les OGM et la santé,
- une sur les problèmes de la consommation et du consommateur.
Nous avons eu également l'audition de cinq ministres. Madame la
Ministre, vous êtes la cinquième et vous allez clôturer ces travaux.
En parallèle avec cette confrontation collective contradictoire
d'experts, de ces auditions de ministres., nous préparons la conférence de citoyens avec
les deux week-ends de formation. Nous avons intégré de nombreux conseils qui nous ont
été donnés par ceux qui souhaitaient donner leur avis sur cette organisation.
A côté de l'avis des experts, nous allons également demander à un
groupe de citoyens son avis sur ce sujet complexe, passionné, passionnel dans notre pays,
nous l'avons vu au cours de ces deux jours.
Je rendrai au Parlement, mais je le transmettrai immédiatement au
gouvernement, un rapport le 30 juin.
Ce qui nous intéresse, c'est-à-dire l'environnement, a été au
centre de nos travaux au cours de cette journée. Un certain nombre de problèmes ont
été posés et nous avons vu le paradoxe qui existait.
Les organismes génétiquement modifiés sont un enjeu pour notre pays
en termes d'agriculture, d'agro-alimentaire, de recherche. Leur développement pose un
certain nombre de problèmes en termes d'environnement, peut en poser en termes de santé
et en termes de développement durable de notre agriculture.
Cela a été bien exprimé par plusieurs intervenants, il y a la
volonté de développer la recherche, ces technologies dans un certain nombre de cas, mais
de bien l'encadrer.
Le terme de l'organisation de la biovigilance a été très
nettement indiqué, mais plus que la biovigilance, un certain nombre d'intervenants ont
pensé que, et c'est un peu comme dans le nucléaire, notre système de contrôle et
d'expertise n'était peut-être pas satisfaisant.
A côté des experts qui doivent donner des avis techniques, par
l'intermédiaire d'un certain nombre de ses représentants, la société doit également
donner son avis sur un certain nombre de risques qui peuvent exister dans le
développement de ces techniques.
Enfin en fonction de la partie technique et expertise en matière de
risques, le gouvernement doit prendre un certain nombre de décisions.
Votre prédécesseur est venu dans une des tables rondes commenter les
décisions de 1997, celles de février comme celles de novembre. Nous avons parlé très
largement des incidences en termes d'environnement. Les problèmes, aussi bien
d'apparition de résistance chez des insectes, de flux de gènes, tout a été abordé et
aucune question n'a été éludée.
En fonction des responsabilités qui sont les vôtres, des décisions
prises, nous souhaiterions que vous nous indiquiez, Madame la Ministre, vos positions sur
ce sujet et que vous nous fassiez part de vos remarques.
Ensuite je vous poserai un certain nombre de questions complémentaires
ainsi qu'un certain nombre de personnes. Celles qui veulent poser des questions doivent,
c'est la règle lorsque les ministres viennent, les poser par écrit pour que nous
puissions les regrouper.
Mme Voynet - Merci, Monsieur le Président.
J'imagine que l'exercice sera pour vous un peu fastidieux, plus en tout
cas que pour moi, puisque vous avez assisté à deux journées d'échange d'arguments et
que je serai forcément amenée à redire certaines choses.
En tout cas c'est pour moi la première occasion depuis bien longtemps
de préciser de quelle façon j'aborde la question des plantes génétiquement modifiées
et je commencerai par les points qui concernent plus directement mon domaine de
compétence ministérielle.
Ma responsabilité est en effet de veiller que les variétés
cultivées en France ne présentent pas de risques pour l'environnement.
A cet égard la situation diffère selon l'espèce concernée, le
transgène introduit, comme l'a analysé le Comité de Prévention et de Précaution lors
du débat qu'il a tenu sur les OGM le 5 septembre 1997.
Je rappelle que ce Comité de Prévention et de Précaution a été
saisi au cours de l'été par moi-même. Il a considéré nécessaire de répondre vite
comme je l'en avais prié et il a relativisé la qualité et l'ampleur du travail qu'il
pouvait fournir dans un laps de temps aussi réduit.
Pour compléter son travail, nous avions souhaité solliciter par
écrit un certain nombre d'organisations (associations, syndicats) qui, en quelques lignes
ou sous forme de volumineux apport, ont contribué aussi à éclairer l'avis de ce Comité
et ont été très utiles.
En ce qui concerne les espèces tout d'abord, certaines présentent des
risques avérés de fertilisation croisée avec des espèces non cultivées et donc de
dissémination indésirable des transgènes. C'est le cas de la betterave, identique à
l'espèce sauvage betta maritima présente dans certaines régions de France, mais
aussi du colza qui peut fertiliser des crucifères sauvages comme la ravenelle. En
revanche le maïs ne présente pas ce problème en France.
En ce qui concerne les transgènes introduits, ceux qui permettent la
sécrétion de toxines destinés à détruire des ravageurs sont a priori
susceptibles de sélectionner des souches de résistance à cette toxine. De même ils
risquent de détruire d'autres espèces que les espèces cibles.
Ces questions ne sont d'ailleurs pas à proprement parler spécifiques
aux plantes génétiquement modifiées, elles se posent pour tout produit phytosanitaire.
Toutefois, elles sont accrues pour les OGM par le caractère systématique de la
production de la toxine par la plante alors que les traitements phytosanitaires peuvent
être adaptés à la présence effective des ravageurs.
Il est donc indispensable qu'un dispositif de biovigilance permette de
déceler le plus tôt possible l'apparition éventuelle de ce type d'impacts
indésirables. Pour être crédible, un tel dispositif doit pouvoir conduire au retrait
immédiat des semences en cas de nécessité.
Ce n'est cependant pas toujours possible, c'est concevable pour les
variétés cultivées de maïs qui, non seulement ne repoussent pas, mais qui également
en tant qu'hybrides, ne peuvent être ressemées par l'agriculteur lui-même. Ça l'est
beaucoup moins pour les autres espèces qui disséminent.
Au-delà de ces préoccupations strictement environnementales, en tant
que médecin, en tant que consommatrice, je ne saurais rester indifférente aux risques
éventuels pour la santé publique, sur lesquels vous avez entendu mon collègue
Bernard Kouchner.
Le problème le plus discuté actuellement concerne la dissémination
de gènes de résistance à des antibiotiques.
Ces gènes ont été largement utilisés comme marqueurs des lignées
transgéniques, ils ne sont en rien indispensables à ces lignées. Or il y a suffisamment
de doutes parmi les experts sur les conséquences d'une telle dissémination pour la
santé publique pour que l'utilisation de ces marqueurs soit proscrite.
Le Comité de Prévention et de Précaution s'est d'ailleurs prononcé
sans ambiguïté sur ce point et le gouvernement a décidé de ne plus autoriser de tels
OGM à l'avenir.
D'autres inquiétudes sanitaires sont également soulevées par divers
experts, sur lesquelles je ne dispose pas d'assez d'éléments pour me prononcer, mais qui
me paraissent devoir être analysées. Je pense en particulier aux effets allergènes des
aliments issus d'OGM.
Si vous me le permettez, je souhaite maintenant aller au-delà de ces
considérations très techniques pour aborder des questions plus fondamentales que ce
dossier des OGM me paraît soulever.
Une proportion importante de la population de notre pays fait part
actuellement de grandes réticences - c'est un euphémisme - pour consommer des
aliments génétiquement modifiés.
Les raisons peuvent en être nombreuses et je vais essayer d'en lister
quelques-unes. Après les avoir listées, je pense que nous serons d'accord pour dire que
nous ne faisons pas pour autant le tour du problème.
L'essentiel en la matière ne me paraît pas être de nature technique.
Le problème est avant tout un problème d'éthique, de société, c'est un problème
politique au sens noble du terme.
En la matière il ne s'agit pas simplement de considérer que les
citoyens sont mal informés, qu'il faut développer des efforts pédagogiques, leur
expliquer, etc. Les arguments d'autorité ne tiennent pas, il faut bien en être
conscient.
C'est d'ailleurs un problème important pour des ministres qui ne sont
pas des experts. La tentation est grande d'objectiver le problème et de trancher sur la
base d'avis autorisés d'experts reconnus.
Une partie de notre travail est de résister à la tentation de
trancher sur la base de ces seuls avis et en quelque sorte d'avoir une approche d'honnête
homme, au sens des Lumières, ou d'honnête femme si nous pouvons élargir ce concept à
l'autre moitié de l'humanité, pour prendre en compte l'ensemble des arguments qui
s'expriment au sein de la société.
Quels sont ces arguments ?
Vous avez des arguments :
- d'ordre éthique, d'abord, partant d'un refus a priori de
toute manipulation du vivant qui relèverait d'une science sans contrôle jouant à
l'apprenti sorcier.
- découlant d'une inquiétude générale sur la perte de lien
direct entre les produits théoriquement sains que notre agriculture traditionnelle était
censée fournir et ce que nous retrouvons dans nos assiettes.
Nos concitoyens ne savent plus ce qu'ils mangent et la crise de la
vache folle ayant dès lors agi comme révélateur, les citoyens sont inquiets et ont
besoin d'avoir des éléments de plus en plus clairs et objectifs sur ce qu'il y a
vraiment dans leur assiette.
- D'ordre économique et social, ces arguments paraissent tout à
fait valides et en tant que citoyenne et personne politiquement engagée depuis longtemps,
j'ai envie de les placer au premier plan de mes préoccupations.
La généralisation des plantes génétiquement modifiées relève d'un
modèle agricole intensif qui vise à maximiser les rendements, qui conduit en outre à
une perte accrue d'indépendance des agriculteurs par rapport aux grands groupes de
l'agro-industrie qui leur vendent les semences, les produits phytosanitaires, etc. De
nombreux agriculteurs refusent cette évolution.
La question est également posée de savoir si la solution préconisée
par les grands groupes de l'agro-alimentaire est une solution qui ne risque pas de
s'imposer de façon tout à fait naturelle au détriment de l'examen d'alternatives moins
coûteuses, plus raisonnables pour l'environnement et plus rassurantes pour la santé
publique.
Ces alternatives plus modestes ont-elles la moindre chance d'être
seulement portées à la connaissance du public et des pouvoirs publics lorsqu'une
solution, celle des OGM, aussi largement médiatisée est portée et occupe la totalité
du débat ?
- D'absence d'utilité des OGM dans nos pays : si aucune
démonstration convaincante de leur intérêt pour le consommateur n'est apportée,
pourquoi celui-ci devrait-il accepter de courir le moindre risque, aussi faible
soit-il ?
Vu l'ampleur de ces réticences, il me semble que le moins que puisse
faire un Etat démocratique comme la France est de faire en sorte que les éléments d'un
choix aussi rationnel que possible soit débattu. Il est aussi de laisser le choix à ses
habitants de déterminer dans la plus parfaite transparence s'ils souhaitent ou non
consommer des produits issus d'OGM.
Cela passe en particulier par un étiquetage clair et exhaustif. A cet
égard, la présence dans nos supermarchés depuis plusieurs mois de produits issus d'OGM
non étiquetés est très dommageable.
Cette situation résulte pour une large part du temps considérable
qu'il a fallu aux pays membres de l'Union Européenne pour se mettre d'accord sur les
modalités d'étiquetage et je vois que vous en avez déjà largement discuté
aujourd'hui.
Cette lacune est maintenant comblée grâce aux efforts de la
présidence britannique qui ont permis de dégager un compromis moins mauvais que la
proposition initiale de la Commission en évitant une mention peut contenir qui
voulait à la fois tout dire et rien dire.
Pour le moment, ce compromis est satisfaisant : la liste négative
qu'il instaure de produits non soumis à obligation d'étiquetage est vide ! Il
faudra rester vigilant pour que les produits qui pourraient s'inscrire dans cette liste
soient les moins nombreux et les moins contestables possible...
Je voudrais à cet égard en dire un peu plus et vous m'arrêterez si
ces éléments avaient déjà été apportés au cours de la journée.
Il faut peut-être revenir sur les modalités de décision au niveau de
l'Union Européenne. En effet, la France a été amenée à se rallier à la proposition
de compromis de la présidence britannique pour éviter l'effet pervers des modalités de
décision au niveau communautaire.
Il faut savoir en effet que si une majorité qualifiée n'avait pas
été réunie sur le compromis de la présidence, par défaut la proposition de la
Commission se serait appliquée de fait, sans forcément que nous ne soyons obligés de
réunir une majorité sur cette proposition.
La proposition de la Commission était effectivement plus mauvaise,
celle de la présidence britannique l'est un peu moins. Je déplore pour ma part que les
produits qui ne seraient pas soumis à obligation d'étiquetage dans la liste négative,
soient présumés sans OGM.
Il me paraîtrait normal que nous présumions les produits non soumis
à obligation d'étiquetage comme étant des produits pouvant en contenir puisque nous ne
pouvons pas démontrer qu'il n'y en pas, cela me paraîtrait plus logique.
En même temps il n'y a aucun espace pour que des positions subtiles
soient débattues à ce stade : si nous ne votons pas pour le compromis de la
présidence britannique, c'est la proposition de la Commission qui est adoptée.
Au-delà même de cette question d'étiquetage, la transparence dans la
prise des décisions publiques est une nécessité absolue pour un tel sujet aussi
fondamentalement de société.
Comme je l'ai déjà dit, nous devons sortir du mécanisme
technocratique où seuls les experts parlent, les pouvoirs publics déduisant de leur
expertise des normes censées garantir à une population confiante l'absence de risque.
A l'évidence ce modèle ne fonctionne plus. Nous en avons déjà
parlé avec Jean-Yves Le Déaut à propos d'autres sujets sur lesquels il devra
effectivement nous éclairer peu de jours après avoir terminé ce rapport d'étape sur
les OGM.
Les crises de l'amiante, du sang contaminé, de la vache folle, mais
aussi, nous l'avons vu ces derniers jours, de la dioxine, de la fissure de Civeaux, etc.
ont contribué à engendrer une méfiance profonde de l'opinion envers la parole des
experts et les décisions des pouvoirs publics.
Le risque nul n'existe pas. La question de fond est donc de mettre en
place des mécanismes de décision permettant la définition du niveau de risque
socialement acceptable compte tenu des avantages apportés par les techniques et les
produits en cause.
Cet objectif guide en particulier la réflexion que mon ministère a
entreprise sur la notion d'utilité publique et la réforme des procédures en la
matière.
En ce qui concerne les OGM, le débat que vous organisez s'inscrit
parfaitement dans un tel cadre.
Je souhaite qu'il aide à mettre en place des structures consultatives
d'aide à la décision aussi ouvertes que possible et permettant un dialogue vrai entre
les spécialistes du domaine et les relais d'opinion que peuvent être, par exemple les
associations. Nous pourrions également prolonger notre réflexion sur la place que
doivent jouer les média.
Un sujet est-il plus grave, plus pressant plus urgent lorsque les
média s'en emparent ?
Je reprends l'exemple des dioxines dont on a beaucoup parlé ces
derniers jours et mon ministère a travaillé sur ce sujet de façon considérable ces
dernières semaines.
Ce n'est pas le jour où les média en prennent conscience que la
décision doit être prise. Nous devons simplement s'assurer qu'une démarche large,
réfléchie, concertée globale de réflexion puis ensuite de décision est menée avec
ensemble des partenaires concernés. Cela se fait rarement sous la pression d'un micro
tendu.
Ce souci de transparence devra également être intégré dans la
révision de la directive 90/220/CEE en cours d'étude.
Pour conclure, c'est à mon sens bien évidemment le principe de
précaution qui doit nous guider en la matière. Notre responsabilité est de ne pas
prendre de risques avec l'environnement et la santé, a fortiori s'il n'y a pas de
bénéfice pour les citoyens ou peu de bénéfices ou encore des bénéfices limités pour
une partie extrêmement limitée du corps social.
J'en ai terminé avec mes propos liminaires et me tiens maintenant à
votre disposition pour répondre à vos questions.
M. le Président - Merci, Mme la Ministre
de cet exposé clair qui rappelle un certain nombre de nécessités dans ce débat.
Il est vrai qu'il y a un progrès dans l'étiquetage par rapport à la
situation qui était bloquée avec le susceptible de contenir qui en aucun ne
permettait d'informer le citoyen.
Les associations de consommateurs ont dit de manière très claire au
cours de ces deux jours qu'il était nécessaire de savoir et qu'il fallait avoir le droit
de choisir.
Le droit de choisir est effectivement d'avoir une transparence totale,
ce n'était pas encore toujours le cas dans d'anciennes étiquettes. Il y avait des
appositions comme Nestlé Suisse où figurait "Produit par des biotechnologies
modernes". J'ai vu que cela a changé et je vous montre un produit de la même
société en France.
Ce pain en revanche est commercialisé en Suisse, il n'a pas moisi
depuis deux mois.
Le deuxième point, pour les cannelloni, figure : Protéines
issues de soja génétiquement modifié, c'est plus clair, mais c'est tout petit. Il
vaut mieux en arriver au système anglais où en noir sur fond jaune, nous voyons un
étiquetage qui est très clair.
Ma première question porte sur cette clarification en termes
d'étiquetage avec la liste vide dont vous venez de parler, c'est-à-dire qu'un certain
nombre de produits, liste négative, n'auront pas besoin d'étiquetage. C'est le cas
aujourd'hui d'un certain nombre d'additifs, d'enzymes produits par des méthodes de génie
génétique.
Si jamais nous arrivons à cet étiquetage, que pensez-vous de
l'obligation d'un seuil si nous mettons contient et ne contient pas ?
Nous avons abordé cette question très longuement hier avec les
différents ministres et également ce matin pendant cette table ronde et c'est un vrai
problème.
Au-delà du problème qu'il pourrait y avoir en matière de santé, je
pense que s'il y a un risque en matière de santé, il ne faut pas autoriser, c'est très
clair dans votre déclaration et tout le monde est d'accord à ce sujet.
Si jamais, comme aujourd'hui, après cette décision contient ou
ne contient pas, des contaminations arrivent, - malheureusement, nous l'avons vu
dans l'affaire de l'agriculture biologique du sud de la France que vous connaissez
bien - il y aura des procès et des responsabilités juridiques seront effectivement
mises en jeu ou en cause.
Aujourd'hui, lorsque des champs seront cultivés avec des produits
génétiquement modifiés à côté de champs de plantations sans modifications
génétiques, il y aura immanquablement des flux de pollen avec des grains dans le cas du
maïs ou d'autres plantes, avec des mélanges même s'ils sont faibles.
Deuxièmement la séparation des filières est un vrai problème, nous
en avons parlé ce matin et les personnes de cette table ronde n'ont pas répondu à mes
questions sur la séparation des filières. Elles sont toutes prêtes à le faire, mais
n'ont pas l'air très fanatiques pour l'organiser car cela pose un certain nombre de
questions.
Elles pensent plutôt que si de l'eau passe sous les ponts de la Seine
d'ici quelques années, elles n'auront pas forcément à l'organiser, c'est un peu l'avis
que j'ai eu après avoir posé ces questions restées sans réponse de la part d'un
certain nombre de responsables.
Si la séparation des filières ne se fait pas, avec la dizaine
d'étapes qui va de la fourche, c'est-à-dire du champ, à la fourchette, il y aura des
mélanges et un tout petit peu de contaminants y compris dans des filières sans OGM.
Mon avis est qu'il faut fixer un seuil qui soit sans doute assez bas,
mais il en faut obligatoirement un. Il faut le dire clairement, le seuil n'est pas fait
pour essayer de masquer une réalité, mais pour que d'un point de vue juridique nous
ayons quelque chose qui se tienne.
Sans seuil en effet, il aura de gros problèmes juridiques et je
souhaite avoir votre avis à ce sujet, Mme la Ministre.
Mme Voynet - Je vais forcément vous décevoir beaucoup
car j'ai peu travaillé sur cet aspect.
Comme vous l'avez fait, j'ai écouté Marylise Lebranchu, ses
doutes, ses difficultés à cet égard car cela relève directement de sa responsabilité.
Pour avoir vécu dans une autre vie, une expérience en apparence assez différente de
celle-ci, j'éprouve les plus grands doutes sur le fait que tout étiquetage quel qu'il
soit puisse apporter des garanties suffisantes au consommateur.
Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion d'avoir sous les yeux un
rapport fait par la Commission du Contrôle budgétaire du Parlement Européen qui
montrait comment après de multiples aventures les céréales contaminées par la
radioactivité de la région de Tchernobyl, s'étaient retrouvées étiquetées céréales
d'origine communautaire - je ne citerai pas le pays responsable car cela présente
peu d'intérêt, il était du sud de l'Europe.
Ceci tendait à montrer que nous éprouvions d'énormes difficultés à
garder la trace d'un produit qui passait des frontières, était vendu, revendu sur des
marchés plus ou moins opaques, etc.
Il me semble qu'à travers tous les circuits de l'alimentation du
bétail, tous les circuits en provenance d'Europe de l'Est, etc., il est quasiment
impossible d'apporter la moindre garantie et très vite des fabricants de bonne foi,
pourraient être tentés d'inscrire sur des produits alimentaires "Ne contient pas
d'OGM" alors qu'ils seraient de fait hors d'état de le garantir, une fois la
tête sur le billot.
M. le Président - De nombreuses questions
sont posées sur la prise de décision du 27 novembre, il y a eu une décision
collective.
Vous venez d'en parler en disant - et c'était indiqué dans le
compte rendu du Comité de Prévention et de Précaution - que vous n'étiez plus
favorable à l'avenir à l'autorisation de telles constructions.
Quelle sera votre position à ce sujet ? Comment expliquez-vous
que nous ayons pris une décision alors qu'un certain nombre de problèmes comme ceux des
gènes de résistance aux antibiotiques ont été posées aujourd'hui sans passion ?
Nous avons dit que la probabilité restait faible, mais que tout
pouvait exister au niveau de la nature. Un certain nombre de transferts de gènes peut se
faire, plusieurs chercheurs l'ont dit, car la nature peut tout faire, notamment dans le
domaine des conjugaisons bactériennes et du transfert de gènes.
Pouvez-vous commenter cela ? Qu'est-ce que cela veut dire pour les
décisions futures ? Quelle sera la position du Ministère de l'Environnement à ce
sujet ?
Mme Voynet - Il n'y a pas de mystère particulier.
Il est évident que dans une telle réunion, un ministre doit à la
fois porter la position du gouvernement définie en interministériel et en même temps
garder la liberté d'exprimer un avis plus particulier.
Je n'éprouve aucune difficulté à expliquer à nouveau ma position du
27 novembre. De notoriété publique, je n'étais pas favorable à l'autorisation
donnée au maïs Novartis. Mais en même temps, je soutiens complètement la position
dégagée en interministériel.
Il me semble en effet que le compromis auquel nous avons abouti après
plusieurs heures de discussions, tient compte de l'ensemble des aspects du problème,
notamment du contexte communautaire, des décisions prises de façon préalable par le
gouvernement précédent, dont je suis forcée de rappeler qu'elles manquaient de
cohérence.
C'est la France qui avait demandé la mise sur le marché et la mise en
culture de ce maïs, qui avait émis un avis favorable et qui, ensuite, avait adopté une
position un peu ambiguë avec d'une part l'autorisation de commercialisation et d'autre
part le refus de mise en culture. Paradoxalement c'est peut-être pour le maïs que le
problème de mise en culture était le plus modeste.
Il nous a semblé indispensable de tenir compte du contexte
communautaire, des gestes posés par la France et par le gouvernement précédent et en
même temps de nous doter des moyens de ne pas renouveler ce genre de problème en mettant
en place d'une part un dispositif de biovigilance, d'autre part un moratoire.
Etait associé à ce moratoire l'organisation d'un vaste débat public.
Ensuite il y avait la modification de la position française au niveau
communautaire puisque, à plusieurs reprises, nous avons été amenés à faire état de
notre volonté de ne pas soutenir la Commission dans sa démarche à l'égard de
l'Autriche et du Luxembourg.
Enfin vous aviez notre position concernant d'autres demandes pour des
maïs et des colza, au cours de la durée de cette consultation publique.
Aujourd'hui je dirais que j'attends beaucoup du travail auquel vous
êtes en train de vous livrer et de ces auditions publiques. J'attends beaucoup de la
consultation des citoyens et je sais que de nombreuses réserves ont été émises sur les
conditions de l'organisation de cette Conférence.
C'est un concept avec lequel nous ne sommes pas familiers en France,
mais il me semble que les précautions prises par l'Office parlementaire d'évaluation des
choix scientifiques et technologiques, même si elles ne rassurent pas complètement les
personnes les plus méfiantes, sont de nature à faire en sorte que cette Conférence de
citoyens se déroule dans de bonnes conditions et permette vraiment de poser toutes les
questions de la façon la plus ouverte possible.
Voilà la manière dont cela s'est passé. Faut-il en dire
davantage ? Je suis tout à fait disponible si vous le souhaitez.
M. le Président - Non, j'ai relaté un
certain nombre de questions. Il y a également une question sur le bénéfice pour le
citoyen à laquelle vous avez déjà répondu.
Finalement faut-il lier l'autorisation d'un certain nombre de cultures
à un bénéfice réel pour le citoyen et le consommateur ?
Vous y avez déjà répondu tout à l'heure, mais c'est une autre
question qui est également posée.
Mme Voynet - Il est difficile de trancher car les
intérêts des différentes catégories de citoyens ne sont pas forcément les mêmes en
la matière.
Un des éléments qui contribue à nourrir ma réticence est la
distorsion qui existe entre les modalités de mise sur le marché d'un produit que je
considère comme relativement faciles, simples et les grandes difficultés que nous
éprouvons ensuite à en décider le retrait.
Nous le voyons par exemple avec le débat sur l'éventuelle
responsabilité du "gaucho" dans la modification du comportement des abeilles.
C'est aux personnes qui se plaignent des effets secondaires d'un produit, de rassembler
les éléments de la preuve. Je pense que c'est horriblement lourd, très long, etc.
Il me semble que c'est un point sur lequel nous devrions également
nous pencher d'une façon plus générale. On met sur le marché des centaines, des
milliers de produits chaque année, avec des moyens sans doutes insuffisants pour évaluer
complètement les avantages, les inconvénients et approcher de façon fine le rapport
coût/bénéfice de tous ces produits.
Comment faire pour réserver la mise sur le marché aux seuls produits
constituant des avancées pour la société dans son ensemble ? Je crois que nous ne
sommes pas en mesure de trancher cette discussion.
M. le Président - Dans le domaine des
plantes transgéniques, le processus d'autorisation est quand même long. Nous avons
parlé hier de la mise sur le marché, de la réglementation et toute la procédure, CGB
et Europe, est très longue.
En revanche et cela sera la transition vers la question suivante que
vous avez également abordée - vous avez abordé de nombreuses questions - et
qui concerne l'articulation entre l'expertise scientifique et la décision politique.
Des associations, notamment des associations de protection de
l'environnement doivent-elles être associées au contrôle avant la décision ?
Dans l'affirmative, cela doit-il se faire dans le cadre de l'ancienne
Commission du Génie Biomoléculaire ou plutôt dans une autre ?
Je disais tout à l'heure que cela posait un certain nombre de
problèmes. Si nous mélangeons des experts avec des représentants d'associations de
protection de l'environnement, très souvent ils ont du mal à argumenter de manière
technique, à avoir un débat équilibré.
Ne vaudrait-il pas mieux avoir quelque chose à côté permettant de
donner un conseil avant la prise de décision politique ?
Pour vous qui doit faire partie de ce type de commission ?
Mme Voynet - Je tiens beaucoup et à l'indépendance
de l'expertise et à la responsabilité politique assumée lors de la phase de contrôle
et je pense qu'il ne faut pas mélanger les genres.
Simplement qu'est-ce qu'un expert ? Allons-nous considérer comme
expert seulement des ingénieurs agronomes, des généticiens, des biologistes ?
Allons-nous considérer aussi que l'ensemble des domaines des sciences peut être mis à
contribution ?
D'autre part, nous restons un peu infirmes en ce qui concerne le lien
entre science et société, entre santé et environnement. Sans doute de nouveaux types
d'experts habitués à manier et des sciences exactes et des sciences sociales devront
aussi être sollicités au cours des mois à venir sur des sujets dont la composante
éthique, d'acceptabilité sociale est majeure.
Par exemple le sujet des déchets nucléaires est aussi un sujet comme
celui-là.
Au Canada en ce moment, le gouvernement est en train de dresser un
constat de relative impossibilité de stockage de déchets nucléaires dans les couches
géologiques profondes au motif d'une inacceptabilité sociale et de problèmes éthiques.
C'est tout à fait inattendu compte tenu des discussions qui étaient en cours dans ce
pays, il y a encore quelques mois.
Nous devrons reparler de ceci qui n'est qu'en apparence hors sujet.
Nous ne pouvons pas opposer les arguments techniques aux arguments de société car c'est
intimement lié.
Je voudrais renvoyer dos à dos les associations qui ont du mal à
argumenter sur le terrain technique comme vous dites et les experts qui ont tellement
tendance à faire usage d'arguments d'autorité et à asséner des éléments
déconnectés de la réalité sociale.
Quelque part c'est aussi la responsabilité des politiques d'être à
la frontière des deux, de faire l'effort d'entendre les uns et les autres et de trancher,
d'assumer les choix. En tout cas c'est ainsi que je vois ma responsabilité de ministre.
Dans le domaine des OGM comme dans d'autres domaines, je ne crois pas
aux hautes autorités indépendantes assumant à la fois l'expertise et le contrôle, je
crois vraiment qu'il relève de la responsabilité de l'Etat d'assumer le contrôle, de
trancher politiquement, de rendre des comptes et que ce n'est pas celle des experts.
J'ai dû partir de la question et oublier la deuxième partie.
Pouvez-vous m'aider ?
M. le Président - Comment les associations
de protection de l'environnement se situeront dans le dispositif ?
Mme Voynet - Le moment est-il venu de parler de la
réforme de la Commission du Génie Biomoléculaire ? En avez-vous déjà
parlé ?
M. le Président - Non, je serais très
heureux d'avoir votre avis car ce sera un des points sur lesquels je n'aurai pas à
trancher. Je ne suis qu'un parlementaire et j'aurai à faire des propositions que le
gouvernement suivra ou non.
Mme Voynet - Aujourd'hui nous avons longuement
discuté de la façon dont nous allions rénover la Commission du Génie Biomoléculaire.
Comme cette Commission n'a plus de président depuis
février 1997, elle n'a pu ni se réunir ni être réunie sur la base antérieure.
Nous ressentons le besoin d'ouvrir une telle structure à d'autres personnes que des
experts reconnus d'un point de vue scientifique.
Deux idées ont été débattues.
La première consistait à dire que nous élargissions de façon très
importante cette Commission à l'ensemble des acteurs de la société concernés par ce
genre de sujets. Nous donnions en outre à cette structure très large la possibilité de
faire appel à des experts pour éclairer ses choix sur le plan technique.
La deuxième solution consistait à garder une Commission du Génie
Biomoléculaire essentiellement composée d'experts et de techniciens et de mettre en
place à côté, une structure plus représentative des différentes attentes de la
société.
Aujourd'hui la discussion n'est pas complètement tranchée. Pour ma
part, je préférerais de beaucoup que nous séparions les deux aspects et que nous
clarifions les modalités de la discussion entre ces deux structures, la décision finale
devant, à mon sens, revenir à la structure qui tiendrait compte des différentes
préoccupations sociétales.
D'autre part je l'ai apporté ici et je le remets solennellement au
président de l'Office qui l'a déjà, ce sera également l'occasion de faire part de mon
souhait, qu'il soit peut-être largement rendu public et distribué aux personnes
assistant à cette audition.
Je suis très impressionnée par la façon dont a travaillé le Comité
de Prévention et de Précaution, je ne le suis pas par les moyens dont il a disposé car
il a un bureau dans mon ministère et une personne à temps plein pour lui permettre de
relayer son travail sur le plan du secrétariat.
Ce Comité associe des médecins, des chercheurs, des universitaires,
mais aussi des sociologues, des associatifs, des personnalités du monde des sciences
sociales, je crois même qu'il y a un psychiatre dedans.
En quelques mois, il s'est chargé d'émettre des avis extrêmement
rigoureux d'un point de vue scientifique et complet du point de vue des préoccupations de
la société sur l'impact du gas-oil sur la santé, les dioxines, les solvants, etc., sur
les OGM.
Je pense que de telles structures très souples, très légères
d'écoute des préoccupations de la société, capables de s'autosaisir, dotées de la
plus large autonomie possible par rapport à des mises de tutelles, sont extrêmement
précieuses et que nous devrions nous en servir pour d'autres structures.
Je voudrais aussi donner l'exemple de la Commission nationale du Débat
public mise en place récemment.
Là encore, l'idée est d'avoir des personnalités extrêmement
variées pour que l'approche multidisciplinaire soit garantie, capables d'animer un débat
où le citoyen a une très grande place et où il est considéré comme porteur de
préoccupations dépassant sa capacité à formuler des avis d'une façon technocratique
ou experte.
M. le Président - J'ai reçu le président
du Comité de Prévention et de Précaution, nous avons parlé d'un certain nombre de
points et il souhaitait effectivement avoir davantage de moyens pour pouvoir avoir des
études peut-être mieux argumentées.
Sur un certain nombre de points, il y a eu des contestations lors des
auditions. Nous avons notamment parlé de l'allergie tout à l'heure, avec le
Docteur Moneret-Vautrin, toujours présente dans la salle, pour laquelle ils ont eu
une position très alarmiste.
Autant il faut mettre en place, peut-être un système
d'allergo-vigilance autant ce qui était dit là était considéré comme un tableau un
peu sombre par rapport à ce que des experts ont pu nous dire soit dans les auditions,
soit aujourd'hui.
Il est important de continuer, il faut donner des moyens à ces groupes
si nous voulons que les avis ne soit ni contestés ni contestables.
Cela ne correspond sans doute pas à ce que je dirai dans mon rapport
car les experts que j'ai entendus n'ont pas dit, pratiquement à l'unanimité, la même
chose. Il n'y avait peut-être pas eu ce jour-là de spécialiste de cette question.
C'est un des points, sur d'autres points ils ont posé de vraies
questions et il faut faire fonctionner ces comités auprès des ministres qui ont une
grande importance.
Mme Voynet - En fait ils n'affirment pas qu'il y a un
risque allergique, ils disent que le risque ne doit être pris que si le bénéfice
attendu est supérieur aux risques.
Je me souviens que lors de cette réunion du Comité de Prévention et
de Précaution, il avait été discuté de ce problème à partir d'un article américain
faisant état de la possibilité de problèmes allergiques lors de l'utilisation de soja
dont une protéine avait été modifiée avec une protéine de noix du Brésil.
Nous savons que de nombreuses personnes allergiques utilisent le soja
traditionnellement.
M. le Président - C'est un vrai faux
problème. Lorsque vous transférez une protéine allergique de la noix du Brésil dans un
autre organisme, elle restera allergique.
Mme Voynet - C'est exactement ce qu'a dit le Comité
de Prévention et de Précaution.
Il a simplement souligné que les personnes souffrant d'allergies
utilisaient en général le soja sans se poser de questions et avec beaucoup de confiance,
notamment comme substitut à des allergènes notoires. Je pense par exemple au lait de
soja utilisé en substitution au lait de vache par certains.
M. le Président - Votre ministère est
impliqué dans la mise en place de la Commission de Biovigilance, quelle est votre
appréciation sur son fonctionnement ?
Quelle politique vont mener les représentants du Ministère de
l'Environnement dans cette Commission de Biovigilance ?
Là aussi, elle a été appelée de tous les voeux à condition que
cela fonctionne, qu'il y ait des moyens, que nous sachions qui aura ses responsabilités
et que les responsabilités et les missions de cette commission soient bien clarifiées
par rapport à celles du Génie Biomoléculaire.
Si nous demandons en aval de faire la même chose que ce qui a déjà
été fait en amont, nous arriverons à un système d'expertise mauvais. Il faudra bien le
clarifier, mais je crois que c'est une bonne chose.
Comment le Ministère de l'Environnement s'y impliquera ?
En complément, pensez-vous que la prise en compte de l'environnement
est le maillon faible - je pose volontairement la question - de l'expertise sur
les OGM en France ?
Il y a eu un débat fort ce matin à ce sujet.
Mme Voynet - Je ne suis pas sûre d'avoir compris les
enjeux.
M. le Président - D'abord il y a la
Commission de Biovigilance.
Ensuite les problèmes d'environnement - le terme maillon -
ne sont-ils pas ceux qui ont été sous-estimés ?
Cela ne veut pas dire que le Ministre de l'Environnement n'a pas
travaillé, au contraire, vous avez posé les questions. Mais n'est-ce pas là qu'il y a
le plus de problèmes dans le domaine des OGM ?
Vous en avez parlé en exposé introductif, mais je voudrais que vous
le reprécisiez un peu.
Mme Voynet - Je ferai le parallèle entre l'édifice
proposé pour les OGM et celui proposé pour les médicaments, où personne ne confond les
procédures d'autorisation de mise sur le marché avec les dispositifs de vigilance
permettant de faire remonter les accidents thérapeutiques, etc. et de mettre en place les
stratégies pour les prévenir ou éventuellement retirer les produits qui en seraient
responsables.
Il nous appartient de bien préciser la place relative de la Commission
du Génie Biomoléculaire et de la Commission de Biovigilance.
L'une doit instruire des dossiers, donner un avis sur les nombreuses
demandes d'autorisation qui ne concernent d'ailleurs pas toutes des OGM, je crois qu'il y
a de nombreuses demandes pour des médicaments ou pour des filières de production dans le
domaine de la santé.
L'autre aura pour tâche de mettre en place les modalités de suivi sur
le terrain et de faire remonter éventuellement les événements indésirables qui
pourraient être constatés.
Je ne suis pas très inquiète sur le fonctionnement de ce comité au
niveau central. La diversité de ses partenaires, la qualité des discussions au sein de
ce comité très ouvert peuvent garantir la rigueur de ce qui sera proposé, en revanche
je suis plus inquiète par ce qui peut se passer sur le terrain.
Sommes-nous totalement certains que toutes les parcelles mises en
culture sont connues des pouvoirs publics ?
Sommes-nous sûrs que nous disposons de tous les moyens pour assurer le
respect des préconisations qui seront faites par ce Comité de Biovigilance dans chaque
point du territoire ? Aujourd'hui je n'en suis pas sûre.
D'autre part, mon ministère a effectivement posé un certain nombre de
questions concernant l'impact environnemental des OGM. Il ne dispose pas des moyens de
mettre en place les programmes de recherche qui lui permettrait de répondre lui-même à
ces questions.
M. le Président - J'ai posé cette
question.
Mme Voynet - Qu'il s'agisse de la faiblesse du budget
civil de recherche et de développement du Ministère de l'Environnement ou de sa
capacité à influencer les grands programmes menés ailleurs, par l'INRA par exemple,
notre responsabilité est de poser des questions et de nous assurer en concertation avec
les autres ministères que nous allons nous doter des moyens d'y répondre.
Ce n'est cependant pas ce ministère qui pourra le faire, je crois que
les choses sont claires.
M. le Président - J'ai posé la question
à Claude Allègre tout à l'heure. Il a indiqué qu'il comptait développer des
programmes de recherche, notamment dans ces domaines qui touchent au rapport entre les
sciences du vivant et l'environnement.
Dans la salle - Il a dit cela ?
M. le Président - Oui, il a dit qu'il
fallait développer l'écologie.
Dans la salle - L'écologie ?
M. le Président - Oui, l'écologie est une
relation entre les sciences du vivant et l'environnement.
Mme Voynet - Un problème est posé et rejoint celui
que j'évoquais tout à l'heure en parlant de la possibilité d'examiner les alternatives
possibles à telle ou telle solution préconisée par de grands groupes.
Si je fais le parallèle avec ce qui se passe dans le domaine des
transports, la loi d'orientation des transports intérieurs préconise que lorsqu'on
propose une grande infrastructure de transports, on doit dans le même dossier évaluer la
possibilité de réaliser des alternatives au moins aussi utiles et si possible moins
coûteuses pour répondre à la question à laquelle souhaite répondre l'infrastructure.
Dans le domaine de la recherche en agriculture et de l'environnement,
cette possibilité n'existe pas et les moyens de la recherche publique ne sont évidemment
pas à la hauteur de ce que peuvent consacrer les grands groupes de l'agro-alimentaire.
J'aurais envie de dire que même avec un fort soutien de
Claude Allègre, nous consacrerons quelques dizaines de millions à des programmes de
recherche là où les grands groupes agro-alimentaires peuvent consacrer des milliards.
Pourrons-nous répondre à toutes les questions qui nous serons
posées ? Je ne sais pas.
M. le Président - Dans un processus
d'autorisation, il est évident que lorsqu'il y a un dossier industriel, il peut y avoir
des études d'impacts en termes de conséquences sur l'environnement. C'est celui qui
présente le dossier qui doit avoir précédemment fait les études.
Cela apparaît important. En tout cas c'est un des points importants
pour nous, nous demanderons que les recherches soient développées.
Pour être plus précis, Claude Allègre a dit qu'il manquait de
personnes formées dans un certain nombre de domaines. Il ne tient qu'à nous de
développer ces formations ce qui a été le message d'un certain nombre de chercheurs
ici. La CGB avait proposé cette Commission de Biovigilance depuis quelques temps.
J'ai quand même un souci après ce que vous venez de nous dire. La CGB
a fait un travail important, on va la réformer, vous en avez parlé. Mais si on la
réforme, dans l'état de mes réflexions, je suis plutôt aujourd'hui pour deux
commissions séparées. Nous allons donc dans le même sens.
Avant que cela ne se mette en place, il se passera du temps. Ma
position est personnelle, mais puisque nous avons abordé cela, il faudrait que pour une
période transitoire, on nomme une CGB qui aura son travail à faire car, aujourd'hui et
c'est vous qui l'avez dit, elle est paralysée.
Si jamais nous continuons à la paralyser, nous arriverons à un
blocage du fait de son non fonctionnement.
Ma position personnelle - et si cela n'a pas été tranché au
moment de la parution de mon rapport, je le dirai - est que peut-être pour six, huit
mois ou moins, le temps qu'il faudra au gouvernement pour proposer une réforme, il
faudrait nommer une CGB provisoire.
Mme Voynet - Mes conseillers vont être furieux car
ce genre de "petite cuisine" ne devrait jamais être avoué publiquement.
Figurez-vous qu'il y a eu de nombreuses discussions sur cette question
depuis des mois dans les ministères. La discussion ne bloque pas sur les concepts, les
contenus, les missions, il faut le savoir.
Aujourd'hui ce qui bloque, c'est que nous n'arrivons pas à trouver un
président à la CGB car il n'y a que des coups à prendre dans une telle structure.
Monsieur Le Déaut, je sais que ce genre de chose ne se dit
pas, mais quand même... Il faut savoir aussi que c'est un sujet difficile et que bien des
nobles personnalités pressenties sont aussi conscientes du fait qu'il y a des attentes
sociales très lourdes à assumer et que ce sera difficile.
M. le Président - J'ai entendu parler de
cela et je sais que la CGB ne s'occupe pas seulement de plantes transgéniques, mais
également de thérapie génique.
Cette commission a un rôle très important et, aujourd'hui, on est en
train de bloquer un certain nombre de dossiers.
Un président cela se trouve, on en trouve toujours et la France est le
pays où il y en a le plus.
Merci de cette franchise ! Je crois que ce n'était pas un
exercice facile, toutes les questions ont été posées. Merci de vos réponses. Ce sera
certainement très utile car je crois que nous sommes en phase sur un certain nombre de
points.
© Assemblée nationale
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