N° 3101
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N° 347
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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

 

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 30 mai 2001

Annexe au procès-verbal de la séance
du 30 mai 2001

 

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

 

RAPPORT

SUR

Les possibilités d'entreposage à long terme de combustibles nucléaires irradiés

 

PAR M.Christian Bataille,

Député

 

__________________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Jean-Yves LE DÉAUT,
Premier
Vice-Président de l'Office

__________________

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Henri REVOL,
Président de l'Office.

 

Déchets, pollution et nuisances

 

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 5

1. Un nouveau problème se pose dans l'aval du cycle nucléaire : la gestion des combustibles irradiés non immédiatement retraités. 9

1.1. Les raisons du choix initial du « tout retraitement ». 9

1.1.1. Les risques de tension sur le marché de l'uranium incitaient à utiliser la totalité de son potentiel énergétique. 10

1.1.2. L'alimentation en plutonium de la filière des réacteurs à neutrons rapides constituait une priorité. 11

1.1.3. Le retraitement devait également permettre de ne pas envoyer de plutonium dans les installations de stockage définitif. 13

1.2. L'évolution du contexte économique et politique a imposé à EDF un changement de stratégie. 14

1.2.1. L'entrée d'EDF dans un marché concurrentiel de l'électricité conduit à s'interroger sur la compétitivité du retraitement et de l'utilisation du MOX. 15

1.2.2. L'extension de l'utilisation du MOX est également freinée par des oppositions socio-politiques. 20

1.2.3. La position d'EDF 22

1.2.4. La position de la COGEMA 26

1.3. Les combustibles irradiés excédentaires sont-ils en attente d'un futur retraitement ou d'un stockage définitif ? 27

1.3.1. Les arguments en faveur du retraitement différé. 28

1.3.2. Les recherches sur le stockage définitif du combustible irradié doivent toutefois être activement poursuivies. 32

2. L'entreposage à long terme d'une partie du combustible irradié est devenu inévitable. 34

2.1. Quelles seront les quantités et les caractéristiques des combustibles irradiés qui devront être entreposés à long terme ? 35

2.1.1. La majeure partie du combustible UOX irradié devrait continuer à être retraitée immédiatement. 35

2.1.2. Le retraitement des combustibles MOX n'est pas actuellement envisagé. 38

2.1.3. Certains combustibles hors normes sont difficilement retraitables et devront être entreposés à long terme. 40

2.1.4. La connaissance des stocks progresse mais leur évolution à long terme reste incertaine. 41

2.2. L'entreposage à long terme ne pourra toutefois pas se substituer au stockage souterrain. 44

2.2.1. Les incertitudes sur la faisabilité de la transmutation 45

2.2.2. Les verres déjà issus du retraitement doivent être stockés définitivement 48

2.2.3. L'évacuation des déchets B justifiera la création d'un centre de stockage souterrain 49

2.2.4. L'éventualité de l'envoi en stockage souterrain d'une partie du combustible irradié ne peut être exclue et les organismes concernés s'y préparent 50

3. Les critères auxquels devraient répondre les installations d'entreposage à long terme 52

3.1. La très forte activité des combustibles irradiés impose de prendre des mesures de confinement particulièrement strictes 53

3.1.1. Les combustibles irradiés constituent un risque potentiel pour la santé humaine et l'environnement 54

3.1.2 L'étude du comportement à long terme des combustibles irradiés 56

3.1.3 Les incidents qui pourraient affecter l'efficacité du confinement 58

3.2. La reprise du colis devra être possible à tout moment 60

3.2.1. La surveillance de l'évolution du combustible 60

3.2.2. Le conteneur : élément essentiel du dispositif d'entreposage à long terme 62

3.3 La surveillance et le contrôle des installations devra s'exercer jusqu'à la fin de l'entreposage 65

3.3.1. Pourra-t-il y avoir succession de phases d'exploitation actives et passives ? 66

3.3.2. Le risque d'abandon et d'oubli des installations 67

3.3.3 L'entreposage à long terme aura un coût 69

4. Quel concept d'entreposage devra-t-on retenir ? 70

4.1. L'augmentation des capacités d'entreposage des piscines des centrales 72

4.1.1. La technique du rerackage 73

4.1.2. Le statut juridique des piscines de centrales 74

4.2. L'entreposage à long terme dans les piscines des usines de retraitement 75

4.2.1. Les avantages de l'entreposage dans les piscines des usines de retraitement 76

4.2.2. L'évolution des capacités d'entreposage en piscine du combustible irradié 76

4.2.3. Les risques d'accidents et d'incidents liés au stockage en piscine 78

4.3. L'entreposage centralisé en piscine : l'exemple du CLAB suédois 79

4.4. L'entreposage à sec en surface sur le site des centrales 81

4.5. Le stockage souterrain réversible 84

4.6. L'entreposage en subsurface et l'entreposage/stockage sous collinaire 85

4.6.1. Avantages et inconvénients de l'entreposage en subsurface 86

4.6.2. Le projet de Yucca Mountain aux Etats-Unis 90

4.7. Les installations d'entreposage à sec en surface 92

4.7.1. Le centre d'entreposage CASCAD du CEA 94

4.7.2. Le ZWILAG suisse 96

4.7.3. L'entreposage à sec de Gorleben et d'Ahaus en Allemagne 97

5. Les préalables à la création d'installations d'entreposage à long terme 98

5.1. Toutes les décisions devront être préparées et prises dans la plus grande transparence 99

5.1.1. Les risques de création d'entreposages semi-clandestins 100

5.1.2. L'interdiction de transformer les installations d'entreposage en stockage définitif 101

5.1.3. Les modalités de sélection des sites d'implantation des installations d'entreposage 103

5.2. La gestion des installations d'entreposage devra être confiée à un organisme public français 104

5.2.1. L'organisation actuelle de la gestion de l'aval du cycle nucléaire n'est pas satisfaisante 105

5.2.2. Le financement de la construction et de l'entretien des installations d'entreposage à long terme 108

5.3. Les conditions de la circulation internationale des combustibles irradiés doivent être clarifiées 109

6. Les problèmes posés par la présence en France de combustibles irradiés étrangers 111

6.1. En aval du retraitement 111

6.2. La réexpédition à l'étranger du plutonium et des déchets étrangers 115

CONCLUSION 119

RECOMMANDATIONS 123

ANNEXES

Annexe 1 : Saisine

Annexe 2 : Compte-rendu de l'examen du rapport par l'Office le 16 mai 2001

Annexe 3 : Compte-rendu des auditions publiques du 3 mai 2001

INTRODUCTION

Depuis le 4 avril 1990, date à laquelle le Bureau de l'Assemblée Nationale nous a demandé pour la première fois de réfléchir aux problèmes posés par les déchets nucléaires, six rapports de l'Office se sont intéressés à la gestion de l'aval du cycle du combustible nucléaire.

Certains se sont d'ailleurs étonnés qu'un organisme politique comme l'Office consacre une partie aussi importante de son activité à un sujet considéré jusque là comme purement technique.

On aurait d'ailleurs pu aussi penser que la loi du 30 décembre 1991 sur la recherche sur la gestion des déchets radioactifs, très largement inspirée des conclusions de notre première étude, allait marquer la fin des réflexions du Parlement sur ce sujet.

Il n'en a rien été et la question de la destination finale de ces déchets a continué à alimenter les débats parlementaires qui ne faisaient en fait que relayer les controverses qui se développaient dans l'opinion publique.

C'est d'ailleurs grâce à ces interrogations sur l'aval du cycle du combustible que le Parlement français a enfin pu commencer à débattre de l'ensemble du nucléaire, sujet dont il avait été soigneusement tenu à l'écart par tous les Gouvernements qui se sont succédés depuis le lancement du programme électronucléaire français.

Il aura fallu près de 30 ans pour que le nucléaire devienne un sujet politique comme les autres dont on puisse discuter librement sans être soupçonnés de porter atteinte aux intérêts supérieurs de l'Etat.

Fallait-il pour autant accorder autant d'importance au seul problème du devenir des déchets produits dans ce secteur ?

Il est sûr que certains responsables de l'industrie nucléaire regrettent que l'on soit en train de créer un régime d'exception pour ces déchets en dérogeant aux règles communément admises en matière de prévention des risques industriels.

Les responsables politiques ne font en réalité que traduire les sentiments d'une grande partie de nos concitoyens qui considèrent, à tort ou à raison, qu'il y a effectivement une spécificité du risque nucléaire en général et que la gestion des déchets radioactifs pose des problèmes tout à fait particuliers qui exigent de prendre des précautions dépassant les normes communément admises pour les autres nuisances industrielles.

Pour ceux qui auront à décider de la destination ultime de ces déchets, il importe peu que cette peur soit en grande partie irrationnelle et entretenue sciemment par certains opposants au nucléaire ; à partir du moment où elle existe, elle doit être prise en compte dans le processus de décision. C'est désormais aux responsables politiques qu'il appartient de gérer ce dossier exceptionnel qui nécessitera un statut dérogatoire que seul le Parlement est habilité à décider, ainsi que l'a prévu la loi de 1991 qui a confié au Parlement et à lui seul le soin de décider en 2006 des solutions qui seront retenues. Bien entendu de multiples expertises techniques viendront éclairer les travaux des parlementaires, mais elles ne pourront en aucun cas se substituer à la volonté du législateur, il faut que cela soit bien clair et admis par tous ceux qui sont concernés par ce dossier.

La tâche du Parlement ne sera pas facile, car jusqu'ici, quand on statuait sur des problèmes de responsabilité civile ou pénale, on prenait en compte des dommages qu'il serait possible de déterminer et d'évaluer avec précision afin de réparer les torts causés à des victimes elles aussi clairement identifiables. Dans le cas de la gestion à long terme des déchets radioactifs, il faudra, cette fois, tenir compte de l'incertitude aussi bien sur les effets des radionucléides sur la santé humaine et l'environnement que sur l'époque où pourraient apparaître d'éventuels risques.

Toutes les analyses de sûreté dont on peut disposer reposent sur des connaissances très partielles des phénomènes en cause sans qu'il soit véritablement possible de faire une extrapolation totalement fiable du comportement des déchets au bout de quelques siècles ou de quelques millénaires.

Et pourtant, malgré toutes ces incertitudes, nous devons agir dès maintenant !

Retarder les échéances reviendraient en effet à reporter sur les générations qui suivront la charge de résoudre les problèmes que nous avons créés.

Les déchets nucléaires existent et commencent à s'accumuler dans de nombreux sites qui n'ont pas été conçus pour les abriter pendant de longues périodes. Il faut donc trouver des solutions adaptées, que celles-ci soient définitives ou temporaires.

La loi de 1991 prévoyait que les recherches, dont les résultats seront soumis au Parlement en 2006, doivent aussi porter sur : « l'étude de procédés de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface des déchets ».

Comme je l'avais déjà regretté dans un précédent rapport en 1996, « la loi de 1991, contrairement à ce qui s'est passé pour les deux autres voies, n'a pas entraîné, sur ce point, d'avancée significative de la recherche, ni de progrès technique véritablement marquant ».

Pendant longtemps, il faut bien reconnaître que les seuls véritables partisans de l'entreposage en surface étaient ceux qui mettaient en avant cette solution pour tenter de retarder ou même de bloquer les études sur le stockage géologique profond.

Depuis deux ans toutefois, le CEA a décidé de relancer cette voie de recherche et a, pour cela, engagé une soixantaine de personnes à plein temps sur le projet ETLD (Entreposage de très longue durée).

Ce projet conduit par la Direction du cycle du combustible a pour objectif de définir les caractéristiques spécifiques d'un entrepôt susceptible de durer pendant au moins trois cent ans.

Cette nouvelle orientation de la recherche sur la gestion de l'aval du cycle du combustible nucléaire a été décidée en décembre 1998 par un Comité interministériel regroupant des représentants des cinq ministères concernés.

Dans le même temps, l'annonce par EDF de ne plus retraiter l'intégralité du combustible irradié sortant de ses centrales a contribué à relancer l'intérêt sur l'entreposage à moyen et long terme, le concept de « retraitement différé » avancé par EDF supposant tout naturellement que le combustible concerné puisse être géré de façon sûre pendant toute la période d'attente.

Cette question de l'entreposage du combustible irradié n'avait pas été abordée dans les précédents rapports de l'Office puisque nous raisonnions alors en fonction du schéma du « tout retraitement » qui constituait, jusqu'à très récemment, une sorte de doctrine officielle du nucléaire français.

Le présent rapport sera donc principalement consacré à l'étude des conditions dans lesquelles il sera possible d'entreposer, pendant des durées qui pourraient atteindre trois siècles, des combustibles irradiés sortant des centrales et donc particulièrement dangereux, et cela dans des conditions de sûreté maximales et à des coûts économiquement supportables.

Si pour la dizaine d'années à venir, il ne devrait pas y avoir de problème pour conserver ces combustibles dans les installations d'entreposages existantes, piscines des centrales ou piscine de l'Usine de La Hague, cette situation ne saurait toutefois perdurer au-delà de cette durée sans qu'apparaissent des inconvénients majeurs. Il s'agit en effet d'installations d'attente qui n'ont été construites que pour servir d'annexe à l'usine de retraitement qui reçoit le combustible irradié dès que son refroidissement en permet le transport.

Certains objecteront peut-être qu'il n'y a donc pas d'urgence et que cette question pourrait attendre, bien qu'une telle attitude puisse générer des inquiétudes et contribuer à la rupture de la confiance.

Je considère, tout au contraire, que c'est dès aujourd'hui, et à froid, qu'il faut commencer à mettre en _uvre un dispositif adapté d'entreposage du combustible irradié excédentaire et à résoudre les multiples problèmes techniques, économiques et sociaux qui ne manqueront pas de se poser.

En raison des controverses qui se sont élevées récemment sur la présence prolongée de combustibles étrangers en attente de retraitement à La Hague, un chapitre du rapport sera spécialement consacré à la nécessaire clarification des conditions de circulation et d'entreposage sur le sol français de ces combustibles et des déchets qui résultent de leur retraitement.

Qu'il s'agisse de la gestion des combustibles français ou de celle des combustibles d'origine étrangère, il ne servira à rien de chercher à éluder les questions embarrassantes ; ne renouvelons pas l'expérience désastreuse des déchets radioactifs où l'on a attendu d'être confrontés aux difficultés pour commencer à rechercher sérieusement des solutions !

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Votre rapporteur tient à remercier tous ceux qui, à l'ANDRA, à la COGEMA et au CEA, lui ont fourni les renseignements nécessaires à la préparation de présent rapport. Il remercie également de leur excellent accueil les Responsables du Département de l'Energie américain, les dirigeants de ZWILAG Suisse et le Conseiller nucléaire français à Washington, M. Régis Babinet.

Votre rapporteur tient aussi à exprimer la satisfaction qu'il a eue à travailler à nouveau avec M. Pierre Barber, ancien Directeur des Relations internationales de l'ANDRA qui a bien voulu accepter de l'assister pendant toute la durée de l'étude.

1. Un nouveau problème se pose dans l'aval du cycle nucléaire : la gestion des combustibles irradiés non immédiatement retraités.

Dès qu'ils ont atteint leur limite d'irradiation, au bout de 3 ou 4 années, les combustibles nucléaires doivent être déchargés et évacués hors des réacteurs.

Dès le début de la mise en _uvre du programme électronucléaire, la France a choisi de retraiter ces combustibles irradiés, c'est-à-dire de séparer les 96 % d'uranium et les 1 % de plutonium réutilisables des 3 % de déchets qui devront être envoyés en stockage définitif.

Certains pays comme les Etats-Unis ou la Suède se sont, en revanche, montrés résolument hostiles à cette solution pour des raisons surtout théoriques et quelques fois même dogmatiques.

Jusqu'en 1996, la doctrine quasi-officielle a donc été celle du « tout retraitement », c'est-à-dire que chaque élément de combustible irradié devait être envoyé à l'Usine de la COGEMA de La Hague pour y être retraité dès que son refroidissement permettait de le transporter sans problème.

Ce principe aujourd'hui en partie abandonné par EDF reposait cependant à l'époque sur un certain nombre de réalités objectives qui pouvaient très largement justifier cette option.

1.1. Les raisons du choix initial du « tout retraitement ».

Lorsqu'on visite aujourd'hui l'Usine de La Hague, on ne manque par d'être pris d'un certain vertige devant l'importance des installations regroupées sur les 300 hectares de cet établissement de la COGEMA.

Dans les usines UP2 ET UP3 et leurs annexes, près de 6 000 personnes assurent le fonctionnement d'un complexe capable de retraiter chaque année 1 600 tonnes de combustible usé provenant d'une centaine de réacteurs appartenant à 29 compagnies d'électricité françaises et étrangères. Si dans certains milieux il est de bon ton désormais de critiquer les choix qui ont permis à notre pays de se doter d'une telle capacité de retraitement, un bref rappel du contexte de la fin des années 1970 permettra cependant de montrer que ces choix étaient alors parfaitement justifiés et répondaient bien aux besoins de l'époque.

1.1.1. Les risques de tension sur le marché de l'uranium incitaient à utiliser la totalité de son potentiel énergétique.

Après avoir produit de l'énergie pendant trois ou quatre années, le combustible usé contient encore une grande partie de matière énergétique valorisable.

Structure d'un assemblage de combustible d'un réacteur à eau légère

Avant irradiation

Après irradiation *

= 500 kg d'Uranium

475 à 480 kg d'Uranium

5 kg de Plutonium

15 à 20 kg de déchets non utilisables

 

* Ces pourcentages peuvent légèrement varier en fonction du taux d'irradiation.

Envoyer les combustibles irradiés en stockage définitif c'est donc ravaler au rang de déchets 95 à 96 % des matières énergétiques qui ont été initialement placées dans le réacteur.

Même si l'uranium naturel n'entre que pour une part relativement faible - de l'ordre de 10 % - dans la structure du prix de revient du kWh, on voit immédiatement que la valorisation des matières énergétiques présentes dans le combustible irradié a pu constituer une solution intéressante à une époque où les économies d'énergies constituaient un impératif absolu.

Et cela d'autant plus que certains pronostiquaient une pénurie mondiale d'uranium. Ainsi en 1981, le rapport « Castaing » indiquait : « qu'une relance des programmes électronucléaires dans le monde pourrait tendre le marché de l'uranium dans quelques années ou quelques décennies ».

Dans une étude publiée en 1982 par l'Agence pour l'Energie Nucléaire de l'OCDE, on estimait que la puissance électronucléaire nette des seuls pays à économie de marché serait en 2000 comprise entre 585 et 804 Gwe. Or actuellement, pour l'ensemble du monde, c'est-à-dire en comprenant cette fois les ex-pays de l'Est, la puissance électronucléaire installée n'est que de 357 Gwe.

Encore l'OCDE signalait-elle en 1982 que ces prévisions étaient très largement en baisse par rapport à celles qui avaient été publiées précédemment.

A partir de telles prévisions, il n'était donc pas totalement insensé de tabler sur une rapide augmentation de la consommation d'uranium naturel et par voie de conséquences, sur une hausse continue des cours de ce minerai.

En réalité, le prix de l'uranium1 qui était en 1980 de 349 FF/kg n'est plus aujourd'hui que de 160 FF/kg, mais qui pouvait prévoir, à la fin des années 1970, un tel renversement de tendance. En effet, outre la demande qui a été très largement inférieure aux prévisions, l'augmentation de l'offre, à la suite d'importantes découvertes en particulier au Canada, a contribué à déséquilibrer un peu plus le marché mondial de l'uranium.

Le recours massif au retraitement a donc été à l'origine justifié par une analyse de l'évolution de la demande mondiale d'énergie qui pouvait dans les années 1970 paraître tout à fait raisonnable.

Après 1973, l'ensemble des pays développés avaient pour objectif de réduire leur vulnérabilité vis-à-vis des sources d'énergie importées aussi bien pour des raisons strictement économiques que dans un souci d'assurer la sécurité de leurs approvisionnements.

La France, aujourd'hui, reste un des rares pays, avec le Japon, à se soucier de son indépendance énergétique. Certains événements récents semblent pourtant démontrer que cette position, qui n'est plus partagée par nos principaux partenaires, n'est peut-être pas dénuée de toute logique !

1.1.2. L'alimentation en plutonium de la filière des réacteurs à neutrons rapides constituait une priorité.

Depuis l'origine des recherches sur le nucléaire, le CEA s'est intéressé à la possibilité de construire des réacteurs à neutrons rapides ou surgénérateurs.

A partir du moment où on considérait le plutonium formé dans les réacteurs à eau pressurisée comme une ressource valorisable, les réacteurs à neutrons rapides apparaissaient comme la solution la mieux adaptée pour le brûler avec efficacité.

Aujourd'hui où cette filière a été mise en sommeil par la France, il est parfois difficile de comprendre l'attitude des responsables des années 1970 qui considéraient le surgénérateur comme la meilleure réponse à la raréfaction et au renchérissement des ressources énergétiques.

Ainsi en 1969 la Commission PEON (Commission consultative pour la Production d'Electricité d'Origine Nucléaire) qui a très largement inspiré la politique électronucléaire française recommandait au Gouvernement : « de consacrer la plus grande part de son effort de recherche et de développement aux surgénérateurs ».

Or, malgré leur pouvoir surgénérateur, les réacteurs à neutrons rapides n'auraient pu se développer au départ que grâce au plutonium fourni par les réacteurs des autres filières d'où la nécessité de procéder au retraitement du combustible irradié sortant des centrales.

L'intérêt que l'on portait dans les années 1970 au développement d'une filière à neutrons rapides reposait sur des données concrètes et n'était pas, comme on voudrait le faire croire aujourd'hui, un simple délire technocratique. Au lendemain du premier choc pétrolier, les tensions sur le marché des ressources énergétiques étaient très importantes et de nombreux « observateurs qualifiés » estimaient que ces tensions allaient être durables d'autant que les prévisions de croissance de la demande d'électricité étaient inquiétantes.

Comme l'avait souligné M. Christian Pierret, Secrétaire d'Etat à l'Industrie, devant la Commission d'enquête qui s'est tenue en 1998 à l'Assemblée Nationale : « la décision de développer une filière de réacteurs à neutrons rapides n'était pas, loin de là, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ».

Pour certains spécialistes, les réacteurs à neutrons rapides reviendront inéluctablement sur le devant de la scène pour la production d'énergie en cas de crise grave, mais aussi en raison du rôle qu'ils peuvent jouer dans la destruction des déchets radioactifs.

En mettant fin de façon quelque peu prématurée au fonctionnement de Superphénix, nous nous sommes privés d'une expérience qu'il faudra peut-être, un jour, acquérir auprès des pays qui continuent à développer cette technique comme le Japon ou la Russie.

Même s'il est désormais possible de recycler, grâce au MOX, le plutonium dans des réacteurs à eau sous pression, il faut bien reconnaître que c'étaient les réacteurs à neutrons rapides qui convenaient le mieux pour cette opération.

On ne peut donc pas reprocher aux responsables techniques et politiques des années 1970 d'avoir choisi la voie du retraitement pour assurer l'approvisionnement de ce qui devait alors constituer une nouvelle filière de la production électronucléaire.

1.1.3. Le retraitement devait également permettre de ne pas envoyer de plutonium dans les installations de stockage définitif.

Certains pays comme les Etats-Unis, la Suède, la Finlande ou le Canada ont choisi une option différente et ont décidé de renoncer au retraitement et se sont prononcés en faveur du cycle ouvert et du passage unique en réacteur. Dans ce cas, le combustible irradié est considéré comme un déchet destiné à être enfoui en couches géologiques profondes après un passage plus ou moins long en entreposage de surface afin d'assurer son refroidissement.

Cette solution qui a l'avantage de la simplicité, a cependant l'inconvénient d'enfouir la totalité du plutonium contenu dans les éléments de combustible irradié.

Si, comme on vient de le voir, cette solution peut être critiquée d'un strict point de vue énergétique, elle est également peu satisfaisante du point de vue écologique.

Le plutonium est un produit hautement toxique qui ne doit donc être stocké définitivement en tant que déchet ultime que si l'on n'a aucun moyen de le réutiliser.

Le plutonium est un émetteur de rayonnements alpha, très peu pénétrants et qui peut donc être approché sans risque même à très courte distance. Il est en revanche particulièrement dangereux s'il pénètre dans l'organisme par inhalation ou par ingestion.

Séparer puis isoler le plutonium contenu dans le combustible irradié contribue donc à réduire le volume et surtout la toxicité des déchets qui seront envoyés en stockage définitif comme le montrent les deux schémas de la page suivante.

Etant donné la très longue durée de vie de certains isotopes de cet élément (le Pu 239 a une demi-vie de 24 000 ans), il faudrait attendre plus d'un million d'années avant qu'il ne disparaisse complètement des stockages où auraient été placés des déchets non retraités.

C'est pourquoi le premier document de référence sur la gestion des combustibles irradiés, le rapport du Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire de novembre 1982, recommandait alors : « pour des raisons de sûreté à long terme, que les quantités d'émetteurs alpha et notamment de plutonium qui sont évacués dans les déchets stockés, soient considérablement réduites ».

On entend aujourd'hui très souvent dire que le choix du « tout retraitement » a été une erreur et qu'il aurait mieux valu, dès le départ, considérer les combustibles usés comme des déchets à envoyer directement en entreposage puis en stockage définitif. C'est oublier un peu vite qu'à l'époque où ce choix fût fait, il était communément admis que le nucléaire était appelé à un développement exponentiel qui devait inéluctablement conduire à une raréfaction accélérée des ressources en uranium. Chercher à réutiliser le plutonium sortant des REP devenait alors une solution logique admise par la quasi totalité des spécialistes.

Aujourd'hui avec le recul du temps, nous constatons que ce raisonnement reposait sur des prévisions qui ont été démenties par les faits, mais ne soyons pas trop sévères avec nos prédécesseurs, les erreurs de jugement que nous venons récemment de faire sur l'évolution du marché du pétrole doivent nous inciter à une très grande modestie en ce domaine.

1.2. L'évolution du contexte économique et politique a imposé à EDF un changement de stratégie.

C'est avec une certaine surprise que nous avons entendu en 1996 lors de la préparation d'un précédent rapport, les représentants d'EDF nous annoncer que le principe du « tout retraitement » était abandonné et que : « Si en moyenne chaque année, il sort des réacteurs d'EDF, 1 200 tonnes de combustible irradié, sur ces 1 200 tonnes, il a été décidé de n'en retraiter que 850 tonnes »2

C'était, à notre connaissance, la première fois que ce changement de stratégie était officiellement annoncé et il faut d'ailleurs noter que d'autres organismes auditionnés par l'Office se refusaient encore à accepter cette nouvelle donne.

On peut d'ailleurs remarquer à cet égard qu'une fois de plus les orientations déterminantes de notre politique énergétique ont été décidées sans aucune consultation ni même sans aucune information du Parlement qui venait pourtant de voter la loi de 1991 sur la recherche dans l'aval du cycle.

Les précédents rapports de l'Office ainsi que les discussions qui entouraient le vote de la loi de 1991 partaient du principe que tout le combustible irradié serait retraité et que le seul problème à régler concernait l'évacuation des déchets ultimes issus du retraitement.

Désormais, il faut également s'intéresser à la partie du combustible qui ne sera pas immédiatement retraité et qui devra être mis en attente de façon sûre et si possible économique, pour une durée qui pourrait éventuellement dépasser un siècle.

Pour le moment, tout laisse à penser qu'il s'agit là d'une décision qui ne devrait pas être remise en question dans les décennies à venir.

1.2.1. L'entrée d'EDF dans un marché concurrentiel de l'électricité conduit à s'interroger sur la compétitivité du retraitement et de l'utilisation du MOX.

Après plusieurs décennies de protection presque complète, le marché français de l'électricité devient un marché ouvert et concurrentiel.

L'application des Directives européennes a amené EDF à abandonner son marché captif comme l'avaient déjà fait les autres producteurs d'électricité en Europe et dans beaucoup d'autres pays à travers le monde.

Cette entrée dans le domaine difficile de la concurrence, même si elle est partielle, ne se fait pas sans mal et EDF a été dans l'obligation de revoir un grand nombre de ses stratégies afin de s'adapter aux nouvelles donnes.

Comme on pouvait l'imaginer et comme certains peuvent même le déplorer, EDF a désormais intérêt à privilégier le court et moyen terme et à réexaminer les investissements et les dépenses qui risquent de ne pas être immédiatement rentables.

Tout le problème est donc de savoir comment EDF pourra réduire ses coûts et en particulier ses coûts d'exploitation. Nous sommes en effet, en France, dans une situation où le plus gros des investissements a déjà été réalisé, et c'est donc pratiquement uniquement sur les coûts d'exploitation qu'EDF dispose d'une marge de man_uvre lui permettant de faire face aux attaques de ses concurrents.

Répartition des dépenses cumulées liées

au parc nucléaire existant

- dépenses d'exploitation 43 %

- investissement et amortissement 25 %

- amont du cycle 20 %

- aval du cycle dont démantèlement 12 %

Au début de l'année 2000, M. Bernard Esteve, vice-président et directeur du combustible à EDF a été amené à préciser, au cours d'une conférence de la Société Française d'Energie Nucléaire, les nouvelles orientations de la politique du producteur français d'électricité désormais confronté à la concurrence internationale : « Ma seule mission est de réduire les coûts du kWh » et cela pour se conformer aux instructions du Président qui a décidé qu'EDF devrait abaisser ses coûts de 15 à 30 % durant la période de 1999 à 2002.

Pour atteindre cet objectif : « EDF a l'obligation de réduire la part du combustible dans le prix du kWh » et M. Esteve a également tenu à préciser que le retraitement pourrait à cette occasion être remis en question : « Si le combustible MOX continue à enregistrer des performances inférieures à l'UO2, EDF ne sera plus motivé pour continuer à recycler ».

Ainsi se trouvait clairement posé le problème de l'avenir du MOX et par voie de conséquence de celui du retraitement dont il est désormais la principale justification.

En effet, à partir du moment où on a fini par admettre que la filière des réacteurs à neutrons rapides n'avait plus d'avenir immédiat, le maintien des opérations de retraitement ne repose plus que sur l'utilisation de ce type de combustible dans les REP.

Ce que l'on appelle le « moxage » des réacteurs à eau pressurisée consiste à remplacer une partie de l'uranium enrichi par de 5 à 7 % de plutonium extrait des combustibles irradiés lors des opérations de retraitement.

Il ne s'agit pas d'une technique nouvelle puisqu'elle avait déjà été étudiée dès les années 1950 aux Etats-Unis et mise pour la première fois en application en Belgique en 1963.

En France, il faudra attendre 1987 pour qu'un premier réacteur d'EDF soit rechargé avec du MOX. On peut, d'ailleurs, une fois de plus, remarquer que cette nouvelle orientation donnée à notre politique énergétique s'est faite subrepticement, et sans que le Parlement en soit réellement informé.

Certains commentateurs ont estimé qu'il s'agissait là d'un « lot de consolation »3 offert à l'industrie du retraitement pour tenter de compenser l'absence de perspectives dans le développement de la filière des réacteurs à neutrons rapides.

Il ne faut cependant pas croire que l'utilisation du MOX constitue une particularité française, les électriciens allemands, belges, suisses et japonais utilisent cette technologie souvent depuis bien plus longtemps qu'EDF.

Si le MOX permet une meilleure valorisation du combustible nucléaire et une réduction du plutonium à stocker, il est évident que l'adoption de cette stratégie a aussi été très largement motivée par le souci d'utiliser au mieux l'outil industriel existant dont les très lourds investissements devaient être amortis.

Ne pas recourir à la fabrication du MOX aurait inexorablement conduit la COGEMA à réduire drastiquement ses installations, les contrats passés avec les électriciens étrangers ne permettant pas d'assurer un plan de charge suffisant pour les deux unités de retraitement UP2 et UP3.

En tout état de cause, EDF se trouvait lié à la COGEMA par un contrat qui doit courir jusqu'en 2001 et qui prévoit que 850 tonnes de combustible irradié doivent être retraitées chaque année.

En l'absence du MOX, le plutonium se serait accumulé à raison de 2,7 tonnes supplémentaires par an, ce qui, outre les problèmes de sûreté et de sécurité d'entreposage, aurait posé des problèmes techniques, la qualité du plutonium « sur étagère » se dégradant rapidement en raison de sa transformation progressive en américium.

Le recours à la fabrication du MOX apparaissait donc comme une bonne solution de compromis mais était-ce pour autant une option économiquement intéressante ?

Selon les données que nous avions fournies dans un précédent rapport de l'Office4, la différence de coût entre l'option « retraitement » et l'option « stockage direct » est relativement faible et de l'ordre de quelques centimes par kWh.

Coût de la fin du cycle du combustible selon

l'Agence Européenne de l'Energie de l'OCDE

Centimes par kWh

Retraitement

Stockage direct

Transport du combustible usé

0,10

0,10

Entreposage du combustible usé

-

0,31

Retraitement-vitrification

1,20

-

Conditionnement du

combustible usé

-

0,69

Stockage des déchets

0,11

 

Sous-total fin de cycle

1,41

1,10

Crédit uranium

-0,18

-

Crédit plutonium

-0,07

-

Sous-total crédit

-0,25

0

COUT TOTAL

1,16

1,10

La DIGEC, quant à elle, estimait le coût du retraitement de 1 à 1,2 centimes par kWh contre 0,3 centime par kWh pour le stockage direct du combustible irradié.

Un rapport récent demandé par le Gouvernement au Commissariat au Plan 5 se montre beaucoup plus circonspect sur les avantages du retraitement dans un marché concurrentiel de l'électricité :

« Dans ces conditions, le surcoût lié au retraitement et à la fabrication du combustible MOX, par rapport à la fabrication directe du combustible UOX, neuf par enrichissement de l'uranium naturel n'est pas compensé par l'économie d'uranium naturel à travers l'utilisation du plutonium et par celle résultant de la réduction du coût direct du stockage des déchets ultimes. En d'autres termes, cette stratégie représente, du point de vue d'un électricien, une augmentation de son coût du kWh, ceci apparaissant comme un obstacle à sa compétitivité, élément de moins en moins supportable dans un marché qui s'ouvre à la concurrence ».

Le constat est sévère. Il ne faut cependant pas oublier qu'un au moins des trois rédacteurs est connu depuis longtemps pour ses positions peu favorables au nucléaire et que le retraitement a peut être fait les frais d'une alliance objective entre le marché et l'écologie !

Pour justifier ce jugement sévère sur le retraitement, les auteurs du rapport s'appuient notamment sur un scénario intitulé : quels auraient été les bilans matières et économiques dans le cas où le parc nucléaire français aurait été mis en place sans retraitement et donc sans fabrication de MOX ?

Ce scénario, S7, qui n'est bien entendu qu'une construction purement théorique, a été comparé à un scénario, S6, où du combustible MOX est utilisé dans 28 réacteurs pendant toute leur durée de vie et à un scénario, S4, où le retraitement s'arrêterait en 2010.

Les auteurs du rapport ont donc sélectionné :

- un scénario qui ne comporte aucune dépense d'investissement, de recherche et de fonctionnement liées au retraitement,

- un scénario où ces dépenses sont amorties sur la durée de vie du parc,

- et un scénario où ces dépenses sont amorties sur une durée plus courte d'utilisation.

Coût moyen du kWh (en centimes)

Scénario S7 : 13,65

Scénario S6 : 14,46

Scénario S4 : 14,27

Selon cette simulation, le retraitement aurait donc un bilan économique défavorable et la poursuite de l'utilisation de cette technique ne constituerait pas, pour EDF, une solution intéressante en terme de rentabilité.

Si les auteurs du rapport reconnaissent que la poursuite du retraitement pendant toute la durée du parc permettrait, par rapport à un arrêt en 2010 :

- d'économiser 5 % d'uranium naturel,

- de réduire de 12 à 15 % les quantités de plutonium et d'américium à envoyer en stockage définitif, ils soulignent néanmoins que cela se ferait au prix d'un surcoût total de 1 %, soit de 28 à 39 milliards de francs et d'un rallongement du temps d'entreposage des combustibles MOX irradiés, ceux-ci ne pouvant être envoyés en stockage qu'en 2150/2200 du fait de leur très fort dégagement thermique.

Depuis quelques mois, la question de l'avenir du retraitement ne semble plus être tabou à la direction d'EDF où on fait remarquer que les coûts du MOX devront s'aligner sur ceux des solutions alternatives, position qui va certainement influer sur les négociations en cours avec la COGEMA.

Toutefois, dans une note interne6 « dont l'AFP a eu la copie », le CEA estime que le retraitement est toujours un « procédé d'avenir ».

Selon le CEA, la poursuite du retraitement au-delà de 2010 devrait permettre d'économiser 5 % d'uranium naturel et de réduire de 12 à 15 % les quantités de plutonium à gérer alors que le surcoût pour le consommateur ne serait seulement de 1,3 % par KWh, soit environ 0,15 centime.

Toujours selon cette note interne, si la France avait opté pour le stockage direct des combustibles usés, le coût moyen du KWh d'origine nucléaire n'aurait baissé que de 5 %, soit 0,8 centime alors que le stock de plutonium aurait augmenté de 30 %.

Cela confirmerait donc, selon le CEA, « l'intérêt environnemental du retraitement/recyclage pour un impact économique faible ».

1.2.2. L'extension de l'utilisation du MOX est également freinée par des oppositions socio-politiques.

Pour le moment, EDF n'a « moxé » que 20 des 28 tranches qui pourraient théoriquement l'être.

Lors des auditions des représentants du producteur français d'électricité, il est clairement apparu qu'EDF ne souhaitait pas, pour les raisons économiques qui viennent d'être exposées, aller au-delà de ces 20 tranches.

La COGEMA quant à elle continue à militer pour l'extension de l'utilisation du MOX estimant, entre autres, que son usine MELOX qui fabrique ce type de combustible ne serait rentable qu'à partir de 28 tranches « moxées ».

Dans ces conditions, existe-t-il un quelconque espoir de voir augmenter la production et l'utilisation du MOX en France, ce qui réduirait d'autant les quantités de combustible irradié à mettre en entreposage ?

Pour le moment, il faut bien reconnaître que les réticences pratiques d'EDF sont très largement confortées par des oppositions cette fois de caractère dogmatique, à l'utilisation de ce nouveau combustible nucléaire.

Depuis quelques années, une partie de la classe politique, minoritaire mais très agissante, milite ouvertement pour un arrêt du retraitement et donc de la fabrication du MOX.

Les mouvements antinucléaires ont bien senti que le retraitement constituait le maillon le plus faible de l'ensemble du cycle du combustible nucléaire et ils ont très logiquement concentré leurs attaques contre l'usine de La Hague semant le doute dans une partie de la population sur la sûreté et même sur l'utilité de cette installation.

L'annonce par le Gouvernement allemand de l'arrêt, à terme, du retraitement de ses combustibles irradiés, est venue conforter la position de ceux qui dans notre pays, estiment qu'il est temps d'opter pour le stockage direct ou même pour la sortie programmée du nucléaire.

La réunion du 25 juin 2000 des quinze pays de la Convention OSPAR (Oslo-Paris) sur les rejets dans les océans a encore fragilisé la position des partisans du retraitement, la France et la Grande-Bretagne se trouvant isolées et mises en quelques sorte en accusation au sujet des rejets des usines de La Hague et de Sellafield.

Après avoir demandé aux pays signataires de s'engager à : « une réduction progressive et significative des rejets de substances radioactives », le texte adopté lors de la réunion du 25 juin 2000 précise que : « l'option du non-retraitement du combustible usé éliminerait les rejets et les émissions de substances radioactives qui découlent du retraitement ».

Sortant alors totalement du cadre de la Convention, certains pays ont même demandé l'interdiction pure et simple du retraitement. Devant l'opposition de la France et de la Grande-Bretagne, un texte de compromis a été adopté qui précise néanmoins que : « les parties décident que les autorisations de rejets radioactifs des installations de retraitement seront revues par les autorités nationales compétentes en vue de mettre en _uvre l'option du non-retraitement ».

Ainsi, subrepticement, par un biais détourné, un organisme qui n'avait aucune compétence ni aucune autorité pour le faire, a tenté d'imposer la fin du retraitement.

En effet, de deux choses l'une : ou la Convention OSPAR n'a pas de portée réelle, ou il s'agit d'un véritable engagement et le Gouvernement français doit commencer à réduire les autorisations de rejet de l'usine de La Hague jusqu'à ce qu'elle ne soit plus à même de fonctionner ?

Une fois de plus, comme cela est devenu l'habitude pour tout ce qui touche au nucléaire, les mesures les plus graves sont prises dans une quasi-clandestinité et en se gardant bien d'en informer les parlementaires.

Il est quand même curieux de constater que ceux qui réclament, à corps et à cris, une transparence totale pour l'industrie nucléaire, se gardent bien d'avoir les mêmes exigences dès qu'il s'agit de prendre des mesures défavorables à cette industrie.

La Ministre française de l'environnement a elle aussi manifesté clairement sa méfiance envers le retraitement et le MOX. Prenant la parole le 3 octobre 2000 lors d'un colloque à l'Assemblée Nationale, elle a en effet déclaré : « Le retraitement du combustible est une opération dont la logique économique n'est plus assurée. Au total, sur la durée de vie du programme français, cela pourrait coûter 164 milliards de francs pour retraiter simplement 150 tonnes de plutonium sur un total de l'ordre de 600 tonnes et au prix d'une complexification de la gestion des déchets. Plus on arrêtera rapidement cette opération, moins on perdra d'argent ».

Si, officiellement, le Gouvernement français n'est engagé ni par la résolution de la réunion OSPAR, ni par l'intervention de sa Ministre de l'Environnement, il n'en demeure pas moins que la France et la Grande-Bretagne se trouvent aujourd'hui isolées en Europe et que le statut quo sur la fabrication du MOX restera dans les années à venir la solution la plus acceptable à la fois pour l'exploitant et pour les responsables politiques qui ne souhaitent manifestement pas s'engager dans une controverse interne et externe sur le sujet.

Il n'en demeure pas moins que cette « non décision » laisse entier le problème de la gestion et de la destination finale de la part des combustibles irradiés qui ne seront pas retraités ou du moins pas immédiatement retraités.

1.2.3. La position d'EDF

L'avenir du retraitement, et par voie de conséquence celui du Mox, dépendra désormais presque exclusivement des décisions d'EDF qui risque, à terme, de se retrouver pratiquement le seul client de la COGEMA.

Les décisions de ne plus retraiter de l'Allemagne, de la Suisse et peut-être de la Belgique, et la construction d'une usine de retraitement au Japon, risquent en effet de priver la COGEMA de la quasi totalité de la clientèle étrangère qui alimentait une des deux usines de La Hague.

La position d'EDF est donc l'élément fondamental de la réflexion que les responsables politiques devraient mener sur ce dossier.

C'est pourquoi, l'Office a organisé le 3 mai 2001 une journée d'auditions publiques ouvertes à la presse où toutes les parties concernées ont pu faire connaître publiquement les positions qu'elles entendaient prendre vis-à-vis du retraitement et de l'utilisation du MOX.

Pour M. François Roussely, Président d'EDF, l'intérêt du retraitement doit s'analyser dans la durée en tenant compte des avantages que présente cette technique : valorisation du potentiel énergétique de l'uranium, meilleur conditionnement des déchets à haute activité et réduction de la quantité de combustible usé par concentration du plutonium dans les assemblages de MOX.

L'option retraitement permet donc à la fois de limiter les quantités de plutonium séparé et de ménager l'avenir énergétique à long terme.

Des centrales d'EDF sortent désormais chaque année :

- 1050 tonnes de combustibles UO2 irradiés,

- 100 tonnes de combustibles MOX irradiés.

Après un refroidissement de deux ans dans les piscines des centrales, le combustible UO commence à être envoyé à l'usine de la COGEMA de La Hague où 850 des 1050 tonnes déchargées seront retraitées dans un délai moyen de 8 ans, le plutonium obtenu étant ensuite recyclé sous forme de MOX alors que l'uranium récupéré reste pour le moment pratiquement sans utilisation.

Les 200 tonnes qui ne sont pas immédiatement retraitées sont alors entreposées dans les piscines de la COGEMA et augmentent d'autant les 10 000 tonnes déjà en réserve en vue : « d'une production ultérieure de MOX ».

Les 100 tonnes de combustible MOX sont également entreposées en piscine : « pour assurer leur refroidissement » sans que leur destination finale soit précisée.

L'accroissement continu des quantités de combustibles irradiés semblait donc inéluctable jusqu'à ce que EDF produise un nouveau schéma selon lequel ce stock finirait par se stabiliser pour ensuite décroître.

Pour cela, EDF table sur la poursuite de l'augmentation des taux moyens d'irradiation des combustibles.

Comme tous les autres producteurs d'électricité, EDF a réussi à augmenter le taux d'irradiation des combustibles ce qui conduit, soit à diminuer le nombre d'assemblages neufs à introduire à chaque rechargement (1/4 ou 1/5 au lieu d'1/3 initialement), soit à allonger la durée des campagnes (1/3 sur 18 mois au lieu de 1 an).

Cette augmentation du taux de combustion permet d'obtenir une même quantité d'électricité avec une quantité moindre de combustible, ce qui entraîne la réduction des tonnages de combustibles irradiés à sortir chaque année des réacteurs.

En ce qui concerne les combustibles UO2, l'augmentation du taux moyen d'irradiation des combustibles est d'ores et déjà de 27 % par rapport aux données initialement prévues.

Selon EDF, la poursuite des progrès dans ce domaine devrait permettre de stabiliser, vers 2015, le stock de combustible irradié en attente aux environs de 12 000 tonnes. A partir de cette date, ce stock commencerait même à diminuer ce qui permettrait de revenir, comme dans le passé, à un équilibre parfait entre les quantités déchargées des réacteurs et les quantités retraitées chaque année ainsi que le montre le tableau ci-après.

Votre rapporteur a pris note de ce nouveau scénario qui n'avait pas été présenté au début de la présente étude.

graphique

Source : EDF

Pour parvenir à cet équilibre, EDF devrait donc décharger annuellement 750 tonnes de combustible UOX et 100 tonnes de MOX, ce qui suppose la poursuite des progrès techniques à peu près au même rythme que celui qui a prévalu au cours de la précédente décennie.

Ce processus est à première vue séduisant puisqu'il permettrait, dans des délais assez courts, de trouver une solution définitive pour les combustibles irradiés excédentaires.

Les améliorations importantes qui ont été apportées au combustible lui-même, aux alliages des aiguilles ainsi qu'à l'architecture des c_urs de réacteurs ont en effet permis de passer d'un taux d'irradiation de 33 000 MégaWatt jour/tonne en 1970, à 43 000 MégaWatt jour/tonne aujourd'hui. EDF n'exclut pas de repousser cette limite à 52 000 MégaWatt jour/tonne, la limite actuellement autorisée n'étant que de 47 000 MégaWatt jour/tonne.

Mais comme nous le notions déjà dans un rapport de l'Office en 19987 : « La limite à respecter dans cette montée des taux de combustion est bien sûr celle fixée par des considérations de sûreté. En effet, l'enveloppe des aiguilles de combustible se fragilise quelque peu au fur et à mesure de l'irradiation. Par ailleurs, les produits de fission formés au cours des réactions s'accumulent dans la gaine, nuisent à sa tenue mécanique et dans une certaine mesure empoisonnent le combustible lui-même. Afin d'éviter des ruptures de gaine qui se traduiraient par une pollution radioactive du circuit primaire de refroidissement, des limites d'exploitation très précises sont imposées par les autorités de sûreté, en fonction du type de combustible et de réacteur.

Il semble bien qu'un autre facteur doive être pris en considération dans l'augmentation du taux de combustion, c'est celui de la montée des isotopes pairs du plutonium qui rend celui-ci de plus en plus difficile à recycler dans les réacteurs à eau pressurisée. »

Le isotopes pairs du plutonium qui auraient constitué un excellent combustible pour les réacteurs à neutrons rapides sont en revanche un véritable poison de la réaction en chaîne dans les réacteurs à eau pressurisée.

Le schéma, certes séduisant, proposé par EDF ne comporte donc pas que des avantages et entraîne toute une série de difficultés auxquelles il faudra apporter des réponses avant de s'engager plus avant dans la voie de l'augmentation des taux d'irradiation.

S'agissant des combustibles MOX irradiés, le Président d'EDF a indiqué qu'ils ne constituaient pas des déchets et qu'ils avaient : « vocation à être retraités », les contrats liant EDF et la COGEMA ne faisant d'ailleurs aucune distinction entre les combustibles UOX et les combustibles MOX.

Toutefois, et la nuance est importante, EDF retraitera prioritairement les assemblages : « les plus froids et contenant le plutonium de meilleure qualité », c'est-à-dire les combustibles UOX.

Compte tenu du stock de combustible UOX disponible dans les piscines de La Hague, le recyclage du MOX pourrait donc être reporté à une date que l'on peut sans exagération qualifier d'indéterminée, ce qui a certainement contribué à la naissance d'une rumeur, très largement répandue, même au sein de l'entreprise, selon laquelle EDF ne serait pas intéressé par le recyclage du MOX.

Il faut d'ailleurs bien admettre que le problème du recyclage du MOX ne se pose pas de façon urgente étant donné les très longs délais de refroidissement de ce combustible et la relativement faible importance des quantités en cause : 2 300 tonnes en 2020.

Après avoir affirmé que ces combustibles devaient être retraités, le représentant d'EDF a toutefois quelque peu nuancé son propos en précisant qu'à la date de la prise de décision on disposera certainement de données nouvelles et peut-être même de réacteurs nouveaux qui faciliteront les choix à faire et cela grâce aux recherches conduites dans le cadre de la loi de 1991. On n'exclut donc pas, en fin de compte, que ces combustibles MOX seront en définitive entreposés à long terme, transmutés ou encore envoyés tout simplement en stockage géologique profond.

1.2.4. La position de la COGEMA

La position de la COGEMA a le mérite de la clarté : La Hague n'est en aucun cas un site d'entreposage ou de stockage, conformément aux décrets qui ont autorisé le fonctionnement de ces usines et aux contrats passés avec les électriciens et notamment avec EDF, tous les combustibles reçus doivent donc être retraités.

Depuis le début de leur fonctionnement en 1976, les installations de la COGEMA ont procédé au retraitement de 16 300 tonnes de combustibles irradiés dont 7 000 tonnes appartenaient à EDF.

Quantités de combustibles usés traités à La Hague

(en tonnes)

graphique

Actuellement, dans les piscines des usines de La Hague sont entreposées 7 500 tonnes de combustibles irradiés dont 7 000 appartiennent à EDF.

Ce chiffre apparemment assez important est en partie justifié par la nécessité de laisser refroidir le combustible 5 ans au moins pour obtenir une baisse suffisante de la radioactivité, ce qui permet notamment de réduire les effluents sortant des usines. Toutefois, la durée moyenne de séjour des combustibles dans les piscines de La Hague avant retraitement est actuellement en moyenne de 8 ans.

Ce décalage entre les délais imposés par la technique et les délais réels s'explique en grande partie par la volonté d'EDF de ne pas stocker de plutonium « sur étagère » et donc d'aligner la vitesse de retraitement sur les capacités de fabrication du MOX.

L'augmentation des taux de combustion obtenu par EDF est également un facteur de retardement des opérations de retraitement, les combustibles ainsi exploités nécessitant un temps de refroidissement plus long.

Pour cet ensemble de raisons, il est évident que la tendance à l'allongement des durées d'entreposage avant retraitement ne peut que se confirmer.

Si l'outil industriel fonctionne bien et ne connaît pas de retards, contrairement à son concurrent anglais, son plan de charge est déterminé par la demande des clients et la COGEMA n'a que peu de marge de man_uvre face aux contraintes qui lui sont imposées de l'extérieur. Le rythme d'utilisation du MOX conditionnera, en l'absence de création de nouveaux réacteurs plutonivores, la vitesse de sortie des éléments de l'entreposage.

Dans les conditions actuelles de la réglementation, les installations de la COGEMA à La Hague ne peuvent pas servir à entreposer du combustible irradié qui ne serait pas destiné au retraitement et sa Présidente, Mme Anne Lauvergeon, a bien précisé lors des auditions de l'Office du 3 mai qu'elle ne souhaitait pas qu'on lui accorde la possibilité de se transformer en centre d'entreposage ce qui serait contraire, selon elle, à la vocation de son entreprise.

1.3. Les combustibles irradiés excédentaires sont-ils en attente d'un futur retraitement ou d'un stockage définitif ?

A partir du moment où EDF admet que seule une partie du combustible irradié sortant des centrales sera retraitée, va immanquablement se poser le problème de la destination finale qui sera réservée aux combustibles en excédent.

L'entreposage pour des raisons de sécurité et de sûreté mais aussi pour des raisons économiques, ne peut être que temporaire même si on admet désormais que ce temporaire pourrait durer quelques centaines d'années.

Deux options sont alors possibles pour assurer la sortie de l'entreposage :

- Soit l'envoi en stockage définitif, en principe en couches géologiques profondes.

- Soit le retraitement si la nécessité s'en fait sentir, on parle alors de « retraitement différé ».

Certains pays comme les Etats-Unis ou la Suède ont d'ores et déjà choisi le stockage direct. Après un entreposage permettant le refroidissement et surtout la construction des centres de stockage, les combustibles, assimilés à des déchets, seront définitivement enfouis dans des formations géologiques profondes. L'entreposage n'est donc, dans ce cas, qu'une phase préparatoire d'un processus d'élimination définitive de ces déchets.

Il est aussi possible de considérer que les combustibles non immédiatement retraités constituent néanmoins une source potentielle d'énergie qu'il sera, à un moment donné, possible d'exploiter si la conjoncture devient favorable.

Pour le moment, la France ne semble pas avoir officiellement tranché entre ces deux options. Il serait pourtant nécessaire, pour des raisons techniques mais aussi économiques et même politiques, de savoir dès maintenant à quoi va servir l'entreposage des nombreuses tonnes de combustible qui vont s'accumuler au fil des années.

1.3.1. Les arguments en faveur du retraitement différé.

Si le sort final des combustibles non immédiatement retraités n'a pas encore été officiellement arrêté, de nombreux arguments militent en faveur de solutions techniques qui permettront, au bout d'un temps plus ou moins long d'entreposage, de les reprendre et de les envoyer dans de bonnes conditions dans les usines de retraitement.

Trop d'incertitudes planent en effet sur l'évolution des marchés des énergies fossiles, sur les effets de la pollution atmosphérique ou sur le progrès des techniques, pour se priver, dès le départ, de ce qui ne constitue pas un déchet, mais une matière énergétique potentiellement valorisable.

Les incertitudes sur l'évolution de la demande d'énergie.

L'expérience des dernières années nous a enseigné que toutes les études prospectives en matière d'énergie ont une caractéristique essentielle commune : leur inexactitude. Il faut être humble en cette matière et admettre que nous ne savons pas ce que sera la demande d'énergie dans les années à venir.

L'évolution actuelle du monde et en particulier celle des pays à économie émergente tels que la Chine, l'Inde, le Vietnam ou encore l'Indonésie, laisse néanmoins penser que la consommation d'énergie ne peut que se développer.

Qu'on le veuille ou non, dans les conditions actuelles, le développement économique passe par la croissance de la consommation d'énergie et on ne voit pas en vertu de quel principe on interdirait à ces pays émergents d'utiliser les moyens dont nous avons nous-mêmes usé et même abusé.

1,2 Milliards d'habitants des pays développés, soit 20 % de la population mondiale, consomment 60 % de toutes les ressources énergétiques, alors que dans le même temps, les 5 autres milliards d'habitants des pays en voie de développement n'en consomment que 40 %.

Cette répartition extrêmement déséquilibrée, que viendra encore augmenter la croissance démographique des pays pauvres, va poser de graves problèmes économiques et politiques.

Les conditions dans lesquelles ces personnes et en particulier celles qui appartiennent aux pays à économie émergente, vont pouvoir accéder à des fournitures d'électricité fiables et abordables, sont loin d'être résolues. Il est d'ailleurs symptomatique que le dernier rapport du Conseil mondial de l'énergie présenté en Mai 2000 ne dise rien des tensions qui pourraient survenir dans le marché de l'énergie, si ce n'est que « les ressources énergétiques sont abondantes ». Globalement cette affirmation est exacte mais il faut aussi tenir compte de la mauvaise répartition régionale des ressources en énergie et de l'instabilité politique qui menace certains pays producteurs.

Se priver de la ressource potentielle que représentent les combustibles irradiés temporairement entreposés serait une erreur : l'uranium et le plutonium présents dans une tonne de combustible usé représentent la même valeur énergétique que 20.000 tonnes de pétrole et un seul gramme de plutonium recyclé dans du combustible MOX permet de produire autant d'électricité qu'une tonne de pétrole.

Les réserves actuellement connues de minerais d'uranium devraient permettre de faire fonctionner pendant une centaine d'années les réacteurs actuels à neutrons lents qui n'utilisent que de 0,5 à 1 % l'énergie contenue dans l'uranium naturel. Si la croissance de l'énergie nucléaire initialement prévue ne s'est pas réalisée, rien ne dit qu'on n'assistera pas, dans quelques décennies, sous la pression de la demande ou en raison d'impératifs environnementaux, à un redémarrage de cette industrie et par voie de conséquence à l'apparition de tensions sur le marché de l'uranium naturel.

L'utilisation ou la non-utilisation du potentiel énergétique contenu dans les combustibles irradiés mis en réserve dépendra d'une demande momentanée d'énergie qu'il est pour le moment totalement impossible de prévoir.

L'épuisement des ressources en énergie fossiles est inéluctable et dans l'état actuel de nos techniques, il est évident que les énergies renouvelables ne suffiront pas à répondre à l'accroissement de la demande en énergie des pays du tiers-monde.

Les ressources en uranium sont en revanche abondantes, réparties sur l'ensemble de la planète et ce qui est encore plus important, situées en grande partie dans des pays politiquement et économiquement stables. Si on ajoute à ces réserves naturelles, le plutonium et l'uranium issus du déstockage militaire et du retraitement, on peut considérer, même sans envisager de recours à la filière des surgénérateurs, qu'il serait possible de faire face à une importante accélération des programmes de constructions de centrales.

Cette relative abondance des réserves d'uranium naturel ne doit cependant pas servir de prétexte pour gaspiller celles qui seront conservées dans les entreposages de combustible irradié.

Les incertitudes tenant aux effets de la pollution atmosphérique.

La deuxième incertitude qui pourrait affecter la production d'énergie tient aux effets de la pollution provenant des combustibles fossiles.

Comme cela avait déjà été évoqué dans un précédent rapport8 de l'Office, la prise en compte des coûts externes liés à la production d'électricité donne une vision totalement différente de la répartition possible entre les différentes sources d'énergie. Même si cette approche nouvelle est encore très limitée du fait de la difficulté à évaluer les coûts liés aux externalités, il est évident que les dommages à l'environnement et sur la santé humaine auront un impact sur les prises de décision au même titre que les impératifs économiques.

Une étude réalisée pour la Commission européenne intitulée Externe et dont la dernière version a été publiée en 1998 propose une méthodologie pour évaluer les coûts environnementaux des différents modes de production d'électricité.

Même en tenant compte d'éventuels accidents et en incluant les coûts liés au stockage à court et moyen terme des déchets, il est évident que le nucléaire bénéficie de coûts externes relativement bas comparés au charbon, au fuel et au gaz.

Les dommages liés au stockage à long terme des déchets nucléaires sont en revanche encore très mal connus mais il n'est pas prouvé qu'ils se produiront, du moins dans le millénaire qui suivra l'ouverture des centres souterrains de stockage.

Pour le moment, tant qu'une énergie de substitution économiquement rentable et sans effets nocifs sur la santé humaine et l'environnement ne sera pas trouvée, le moyen le plus sûr d'obtenir de l'électricité en grande quantité et sans émissions de CO2 restera l'énergie nucléaire.

Il ne faut jamais oublier, comme le rappelait Mme Loyola de Palacio, vice-présidente de la Commission européenne, que la consommation de pétrole qui représente déjà 50 % du total du rejet de CO2 liés aux activités humaines, devrait augmenter de moitié d'ici 2020 et qu'il serait, dans ces conditions : « absolument imprudent de renoncer au nucléaire ».

Les incertitudes sur l'évolution technique des réacteurs.

En l'état actuel des techniques et depuis l'abandon de fait de la filière des surgénérateurs, les besoins en plutonium sont très largement couverts par le retraitement et dans certains pays par l'emploi, dans des réacteurs civils, du plutonium en excédant dans le secteur militaire.

La recherche dans le domaine nucléaire peut toutefois donner naissance, dans un avenir relativement rapproché, à de nouveaux réacteurs dont le combustible préférentiel pourrait être le plutonium.

Si les recherches actuelles portent sur des techniques dites « évolutionnaires », comme l'EPR (European Pressurized Reactor), simple amélioration des procédés existants, d'autres recherches visent à mettre au point des technologies dites « de rupture » destinées à créer des nouvelles générations de réacteurs ou de combustibles.

Plusieurs de ces technologies, aujourd'hui encore au stade des études théoriques, seraient consommatrices de plutonium comme par exemple les RHR (réacteurs à haut rendement de deuxième génération) ou les combustibles APA (Assemblage de plutonium avancé).

Les réacteurs à haut rendement de première et seconde génération qui seraient caractérisés par un meilleur rendement thermodynamique et un taux de combustion élevé, font l'objet de recherches au niveau international car ils seraient susceptibles de brûler une part du plutonium issu du déclassement des têtes nucléaires de l'ex-Union soviétique. Dans une utilisation limitée au parc français, ils pourraient également brûler du plutonium obtenu par le retraitement des combustibles UOX ou MOX.

Le combustible APA pour sa part, permettrait d'alimenter des réacteurs à eau pressurisée avec du plutonium ayant au besoin fait l'objet de multirecyclages.

Le CEA prépare d'ores et déjà activement le nucléaire du futur en conduisant des recherches sur de nouveaux modèles de réacteurs électrogènes qui permettraient d'économiser les ressources naturelles en réutilisant celles qui sont encore contenues dans le combustible irradié ce qui pourrait aussi avoir l'avantage de minimiser ou même de réduire l'accumulation des déchets radioactifs à haute activité.

Bien qu'il ne s'agisse là que de projets dont la faisabilité pratique n'a pas encore été démontrée, on voit bien qu'il existe d'ores et déjà une volonté d'utiliser dans les années à venir, le plutonium produit dans les centrales.

Ne pas laisser ouverte la voie du retraitement même ci celui-ci ne doit être pratiqué qu'après une longue période d'entreposage, reviendrait à faire l'impasse sur toutes les recherches actuellement en cours, destinées à mieux valoriser les ressources énergétiques contenues dans le combustible irradié.

La quantité de combustible usé qui sera retraitée dans un avenir plus ou moins lointain, dépendra de bien des facteurs et notamment du marché de l'uranium, de l'évolution de la pollution atmosphérique mais aussi des progrès techniques de l'industrie nucléaire.

Toute extrapolation au sujet des quantités de combustible irradié qui devraient être envoyées en stockage direct, serait entachée de trop d'incertitudes pour pouvoir être prise en compte.

Nous devons donc nous réserver un éventail de possibilités aussi ouvert que possible et, jusqu'à démonstration du contraire, agir comme si le retraitement différé devait être la règle applicable à l'intégralité du combustible irradié entreposé.

1.3.2. Les recherches sur le stockage définitif du combustible irradié doivent toutefois être activement poursuivies.

Même si l'entreposage provisoire constitue un outil indispensable de flexibilité et d'adaptation du cycle du combustible nucléaire, il ne peut en aucun cas se transformer en solution permanente et définitive.

Tout en affirmant que le retraitement différé doit rester l'objectif normal, il faut cependant dès maintenant également envisager l'hypothèse où cette option devrait être abandonnée. Il serait alors nécessaire, pour dégager les installations d'entreposage, d'avoir recours au stockage définitif, qui selon toute vraisemblance, se ferait en couches géologiques profondes.

Il faut donc prévoir des modalités d'entreposage qui permettront, selon les décisions politiques ou industrielles qui seront prises dans le futur, d'envoyer dans de bonnes conditions, le combustible irradié en stockage, en tant que déchet.

L'Académie des sciences dans un rapport récent9 a attiré l'attention sur la nécessité de garantir la compatibilité entre un entreposage de longue durée et le stockage géologique profond.

L'Académie des sciences s'inquiète notamment de l'éventualité de transformations significatives et irréversibles du combustible pendant l'entreposage, qui modifieraient radicalement le relâchement à long terme des radionucléides en condition de stockage.

Le premier stade de recherche doit donc être de s'assurer qu'aucune transformation irréversible majeure ne se produira pendant la période d'entreposage.

Pour l'Académie des sciences, il convient donc dès maintenant de rechercher : « quels sont les paramètres clés contrôlant l'évolution du combustible qui sont raisonnablement accessibles à la mesure et qui permettent de comprendre l'évolution réelle du combustible, de garantir le maintien des fonctions et de prédire son évolution future ».

Tous les pays qui ont, dès l'origine, choisi la voie du stockage direct sans retraitement, devraient poursuivre des recherches en ce sens puisque leur combustible irradié se retrouvera fatalement, en l'état, dans des centres de stockage définitif.

Il ne semble pas toutefois que cet aspect du problème mobilise véritablement les efforts des chercheurs qui s'intéressent beaucoup plus au comportement à long terme des combustibles irradiés, dans les installations de confinement géologique.

S'il est tout à fait normal de se préoccuper du comportement des colis de déchets pendant les millénaires à venir, il faudrait aussi s'inquiéter de l'état dans lequel se trouveront les combustibles irradiés après quelques décennies ou quelques siècles d'entreposage.

Comme le souligne encore l'Académie des sciences : « le combustible irradié est l'un des systèmes physico-chimique les plus complexes qui soit du fait de la diversité des éléments chimiques qui le composent, des nombreuses hétérogénéités structurales qu'il présente et surtout de son déséquilibre latent ».

Actuellement, les recherches entreprises aussi bien en France par le CEA que dans les autres pays confrontés à ce problème, permettent d'affirmer que l'entreposage pendant une durée de 50 ans est réalisable, en piscine, sans avoir à prendre de dispositions particulières nouvelles.

Au-delà de cette période, la manipulation des assemblages dépendra de la bonne tenue de la gaine de combustible, ce qui nécessitera de passer à un entreposage à sec sous conteneurs spéciaux qui serviront à la fois au transport, à l'entreposage et finalement au stockage.

Si le retraitement différé constitue à l'heure actuelle la destination normale du combustible irradié qui sera provisoirement entreposé, on ne peut pas faire l'impasse sur la solution qui consisterait à renoncer à valoriser ces combustibles et à les traiter comme des déchets ultimes.

Les recherches doivent donc être conduites de façon à donner aux autorités compétentes, en temps utile, la faculté de choisir entre les deux voies possibles.

Il faut absolument éviter qu'au moment de la prise de décision, la dégradation des installations ou des assemblages conduisent à une irréversibilité de fait, transformant ainsi un entreposage provisoire en un stockage définitif non sûr.

2. L'entreposage à long terme d'une partie du combustible irradié est devenu inévitable.

La nécessité de concevoir puis de construire des installations d'entreposage de longue durée s'avère désormais impérieuse.

Les représentants d'EDF auditionnés pour la préparation du présent rapport ont été explicites sur le refus de leur société de ne retraiter que les combustibles irradiés correspondant aux quantités de plutonium nécessaires pour fabriquer le MOX destiné aux centrales prévues pour utiliser ce combustible.

Que le combustible excédentaire soit destiné en fin de parcours à être retraité ou envoyé en stockage définitif ne dispense pas d'étudier dès maintenant les moyens de le conserver en toute sécurité jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prise.

Nous faisons nôtre la définition de l'entreposage à long terme donnée par le CEA : « une option de longue durée mais bornée du cycle du combustible permettant d'attendre une solution technique ou une décision politique ultérieure ».

Même si la nécessité de l'entreposage à long terme semble désormais admise par tous, il reste néanmoins un certain nombre d'incertitudes en particulier sur les quantités ou sur les types de combustibles qui seront concernés.

2.1. Quelles seront les quantités et les caractéristiques des combustibles irradiés qui devront être entreposés à long terme ?

En 1998, dans son quatrième rapport, la Commission Nationale d'Evaluation chargée de suivre les recherches sur la gestion des déchets radioactifs s'était inquiété du fait que dans les évaluations qui lui avaient été fournies, ne figurait aucune indication : « sur les combustibles MOX ou UOX non retraités d'EDF, les combustibles divers et échantillons de combustibles du CEA ou encore ceux de la propulsion navale ».

Tout en reconnaissant que ces combustibles usés ne constituaient pas des déchets ultimes au sens de la loi de 1992 puisqu'ils contenaient encore des substances valorisables, la CNE demandait néanmoins de pouvoir, à l'avenir : « disposer d'un inventaire spécifique de ces combustibles pour une première évaluation des sites d'entreposage ou de stockage éventuel ».

A la suite de ces remarques appuyées par l'Office, le Gouvernement a demandé au Président de l'ANDRA de proposer au Gouvernement toute réforme visant à fiabiliser l'inventaire de ces déchets et afin que les décisions sur le stockage et l'entreposage puissent être prises en toute connaissance de cause.

2.1.1. La majeure partie du combustible UOX irradié devrait continuer à être retraitée immédiatement.

Actuellement, le combustible le plus utilisé en France est du type UOX, fabriqué à partir d'oxyde d'uranium « neuf » provenant directement des mines.

Depuis 1996 et jusqu'à présent, le flux annuel de combustible usé sortant des centrales est de 1200 tonnes, la partie retraitée immédiatement devrait être approximativement égale à 850 tonnes, ce qui supposait donc que 350 tonnes devaient en revanche entreposées chaque année en attente de leur destination finale.

Ces chiffres qui étaient en quelque sorte « officiels » peuvent cependant, dans l'avenir, être sujet à quelques modifications, le Président d'EDF ayant, au cours des auditions publiques, annoncé qu'on s'orientait désormais vers une sortie annuelle de 1 150 tonnes de combustibles usés dont 100 tonnes de MOX.

Tout d'abord parce que ces 850 tonnes de combustible à retraiter correspondent au « moxage » de 20 tranches de centrales. Or 28 tranches nucléaires peuvent techniquement recevoir du MOX.

Dans un précédent rapport de l'Office10 nous avions cru comprendre qu'EDF saisirait l'opportunité qui lui était offerte de moxer ces 28 tranches autorisées.

Toutefois lors de l'audition des représentants d'EDF pour la préparation du présent rapport, l'optique avait changé puisqu'il aurait été décidé que les 20 tranches actuellement chargées avec du MOX constitueront un maximum qu'EDF ne souhaiterait pas dépasser. EDF considère en effet qu'elle n'aurait « aucun avantage »11 à introduire du MOX dans les réacteurs des centrales de 1300 MW, cette solution étant réservée aux centrales de la seconde génération des 900 MW.

Le contrat entre EDF et la COGEMA qui vient à expiration à la fin de cette année devrait être renouvelé pour 10 ans sur des bases identiques, la quantité de combustible irradié envoyée en retraitement chaque année restant de l'ordre de 850 tonnes.

Selon toute vraisemblance, jusqu'au renouvellement des centrales du parc actuel, EDF va donc maintenir un système dual, certaines centrales recevant 30 % de combustible MOX alors que les autres fonctionneront uniquement avec du combustible UO2.

Qu'en sera-t-il après le début du renouvellement du parc actuel ?

Le « rapport Charpin »12 a envisagé deux groupes de filières différentes.

Le premier groupe de ces filières de production nucléaire impliquerait, au-delà de 2010, la poursuite du retraitement et donc de l'utilisation du combustible MOX dans les REP actuels puis dans la nouvelle génération de réacteurs EPR actuellement à l'étude chez Framatome et Siemens et même dans des réacteurs de deuxième génération plus performants qui ne sont encore pour le moment que des projets à peine ébauchés.

Mais le « rapport Charpin » évoque aussi la possibilité d'un désengagement progressif du retraitement jusqu'à un arrêt complet en 2010 et l'adoption ensuite d'un « cycle ouvert » où le combustible serait envoyé directement en stockage définitif.

Pour peu qu'on arrive à décrypter les différentes hypothèses envisagées par ce rapport, il apparaîtrait que le maintien du retraitement n'apporterait qu'un avantage économique extrêmement limité par rapport à l'adoption du cycle ouvert à compter de 2010.

En effet, selon les auteurs du rapport, la poursuite de la stratégie française de retraitement/recyclage, même si elle était étendue aux 28 tranches « moxables » n'apporterait, par comparaison avec un arrêt du retraitement en 2010 :

- qu'une économie des achats d'uranium naturel de l'ordre de 5 %,

- et qu'une réduction des quantités de plutonium à stocker d'environ 12 à 15 % selon la durée du parc de réacteurs,

et cela au prix d'un surcoût global de 1 % soit de 28 à 39 milliards de francs.

Mais ne doit-on prendre en considération, sur un tel sujet, que les aspects strictement économiques tels qu'on peut les connaître à l'heure actuelle ?

La masse cumulée des transuraniens (plutonium et actinides mineurs) varie du simple au triple selon le scénario retenu. Dans ces conditions, ne convient-il pas de prendre également en compte le fait de savoir si la réduction du plutonium qui sera envoyé en stockage définitif est ou non un objectif primordial ?

Malgré les récentes déclarations de la Ministre de l'Environnement13 qui considère que le retraitement des déchets nucléaires n'a pas d'avenir et qu'il : « ne sera pas possible d'échapper longtemps à un débat sur l'avenir du retraitement », la position officielle de la France reste celle qui a été exprimée en 1996 par la Direction générale de l'énergie et des matières premières14: « Si le plutonium représente 1 % du combustible usé, il est responsable de près de 90 % de sa radioactivité totale après cent mille ans. On cherche donc à réduire au maximum la quantité de plutonium à stocker définitivement. C'est pourquoi son taux d'extraction dans le combustible usé lors du retraitement est supérieur à 99,9 % faisant passer le rendement avant l'économie ».

Malgré toutes les attaques directes ou indirectes qui sont lancées depuis quelques temps contre le retraitement, on peut raisonnablement continuer à penser que la grande majorité des combustibles irradiés continuera à être envoyée à l'Usine de La Hague et que l'entreposage à long terme ne concernera qu'une part relativement faible, de 1/3 à 1/4 de ces combustibles.

Il n'en demeure pas moins qu'il serait indispensable et urgent de sortir de l'ambiguïté actuelle et que le Gouvernement fasse savoir d'une manière officielle quelle devra être la politique de la France en matière d'aval du cycle du combustible nucléaire pour les prochaines décennies.

Une prise de position à ce sujet serait la bienvenue aussi bien chez les travailleurs du nucléaire que chez nos partenaires étrangers. S'il devait y avoir un changement de stratégie, que cela soit annoncé clairement afin que les reconversions nécessaires puissent être préparées dès maintenant dans le calme et la sérénité.

2.1.2. Le retraitement des combustibles MOX n'est pas actuellement envisagé.

Si on peut estimer qu'il y a de fortes chances pour que le retraitement du combustible UO2 se poursuive au rythme actuel, il est aussi à peu près certain qu'EDF ne s'engagera pas, du moins dans un futur proche, dans le retraitement des combustibles MOX. En effet, selon les déclarations de ses représentants, EDF : « n'envisage pas de prendre de décision pour ce qui concerne le MOX avant 2040 ou 2050 ».

Une note interne précise d'ailleurs que : « c'est l'entreposage du MOX qui prime et qu'il est urgent de ne pas trancher aujourd'hui » (Sic).

Il ne s'agit pas d'un problème technique car s'il pose quelques problèmes spécifiques, le retraitement du MOX est selon tous les spécialistes tout à fait faisable.

Des essais pilotes ont été réalisés avec succès et la construction d'une unité de production pourrait se faire sans difficultés majeures compte tenu de la somme d'expériences accumulées par la COGEMA dans le retraitement du combustible UO2.

Il ne s'agirait toutefois pas d'une opération simple car au cours de l'irradiation en réacteur apparaissent, en plus du plutonium 239, des isotopes de masse plus élevée (Pu 240,241,242...). Or, ces isotopes qui ne sont pas séparables du plutonium 239, se comportent comme des absorbeurs de neutrons et rendent la fission plus délicate. En consommant des neutrons en grande quantité, ils se comportent en fait comme des inhibiteurs de la réaction nucléaire.

Au fur et à mesure des passages en usine de retraitement, la quantité de ces isotopes inutiles augmenterait, si bien que les spécialistes admettent aujourd'hui qu'il faudrait se limiter à un seul retraitement.

Second inconvénient : le combustible MOX exige un temps de refroidissement beaucoup plus long que l'UO2. A la sortie du réacteur, tous les combustibles sont entreposés dans des piscines pour « refroidir », c'est-à-dire laisser la radioactivité et par voie de conséquence, la puissance thermique, diminuer. Pour les combustibles UO2, le temps de refroidissement est de l'ordre de 3 à 5 années en moyenne. En ce qui concerne le MOX, le niveau de radioactivité étant beaucoup plus important, il faudrait attendre près d'une cinquantaine d'années pour que les éléments puissent être envoyés dans une usine de retraitement ou dans un centre de stockage.

Enfin, selon EDF, il faudrait également prendre en compte le fait qu'à même quantité d'énergie produite, le retraitement du MOX entraînerait, par rapport à l'UO2, une augmentation de l'ordre de 25 à 50 % du volume des déchets à envoyer en stockage définitif.

EDF s'est toutefois assurée de la retraitabilité des combustibles MOX et la COGEMA a travaillé, à titre expérimental, sur une douzaine de tonnes de MOX appartenant à des électriciens allemands et suisses. Selon la COGEMA, le coût du retraitement du MOX serait identique à celui des combustibles UO2, ce qui est surprenant quand on sait que le dimensionnement des chaînes de traitement du plutonium devrait être environ 5 fois plus important et qu'il faudrait renforcer les capacités de vitrification du fait de l'augmentation du volume des déchets.

Malgré toutes les réticences techniques des spécialistes, dont ceux d'EDF, la COGEMA se montre toujours très optimiste sur l'avenir du MOX : « les réacteurs actuels peuvent effectuer un deuxième recyclage et sans doute un troisième. ...des réacteurs REP évolués peuvent en outre assurer un multirecyclage continu soit en jouant sur la conception du c_ur ou celle des assemblages, soit en modifiant la composition isotopique du plutonium par laser ».

Cependant, comme l'a indiqué lors des auditions publiques le représentant du CEA, le plutonium qui serait obtenu par retraitement du MOX ne serait pour le moment pas utilisable dans les combustibles tels qu'il sont conçus aujourd'hui. Des études sont actuellement conduites pour tenter de réutiliser la part de ce plutonium, environ 50 %, qui n'est pas empoisonnée par des isotopes pairs, mais on est encore loin des solutions industrielles.

Toutefois, ce ne sont pas que ces difficultés d'ordre techniques qui semblent avoir été déterminantes dans le refus d'EDF d'envisager le recyclage du MOX dans un avenir proche : EDF ne souhaite pas, pour le moment, faire retraiter le combustible MOX parce que cela ne présenterait aucun intérêt économique.

Toujours selon une note interne d'EDF de 1998 : « il paraît à peu près inévitable que l'aval du MOX ne soit, le moment venu, c'est-à-dire sans doute pas avant une trentaine d'années, plus onéreux que celui de l'UO2 et ce tant pour la voie du retraitement que pour celle du stockage direct ».

La décision de fabriquer du MOX a été prise dans les années 1983/1985, or depuis cette époque, la chute des prix de l'uranium naturel est venue remettre en question les calculs économiques qui justifiaient l'intérêt de cette option.

Confrontée à un marché concurrentiel de l'électricité, EDF se doit aujourd'hui d'optimiser ses choix et de tenir compte de façon précise de l'évolution de ses coûts de production.

Il apparaît donc clairement que les engagements passés seront respectés mais qu'on n'ira pas au-delà, même si aucune décision n'est prise sur le très long terme.

Toutes les options, dont le retraitement du MOX, restent ouvertes mais pour le moment, tous les efforts de recherche se concentrent sur son entreposage à long terme qui devrait se faire en deux étapes : entreposage en piscine pendant une période de refroidissement de 10 à 30 ans suivi d'un entreposage à long terme à sec.

L'exemple du MOX montre bien que la France est désormais engagée dans une politique de l'aval du cycle nucléaire à long et même à très long terme, ce qui ne manquera pas de poser de nouveaux problèmes de rentabilité mais aussi de sûreté et de sécurité.

2.1.3. Certains combustibles hors normes sont difficilement retraitables et devront être entreposés à long terme.

Il existe toute une série de combustibles irradiés qui ne proviennent pas des centrales électronucléaires.

Il s'agit tout d'abord des réacteurs de recherche dont l'objectif était de fournir, dans des installations expérimentales, des flux de neutrons très élevés et très énergétiques. Pour cela, on utilise des combustibles dits « à plaque », des cadres métalliques enserrant un mélange d'uranium fortement enrichi. Les matériaux associés à l'uranium sont par conséquent très différents de ceux utilisés pour la production d'électricité, ce qui fait que les procédés de retraitement industriel de l'usine de La Hague se révèlent inadaptés.

Ces combustibles sont certainement « retraitables » mais les quantités en cause restent très limitées -quelques dizaines d'éléments combustibles par an - ce qui ne justifierait pas une éventuelle modification des installations industrielles de la COGEMA.

Il est en revanche toujours possible de faire retraiter ces types de combustible aux Etats-Unis à l'usine de Savannah River qui procède régulièrement à ce type d'opération pour des clients étrangers.

Les combustibles provenant de la propulsion navale, sous-marins et dans quelques années, porte-avions, connaissent une situation analogue.

Ces combustibles se présentent sous forme de « caramels » matrice frittée d'uranium insérés dans des plaques métalliques.

Comme pour les combustibles issus de la recherche, ces éléments, bien que retraitables, nécessiteraient de telles modifications des installations de La Hague, qu'il est pour le moment préférable de les laisser en attente.

Ces divers combustibles hors normes sont principalement entreposés dans des installations spéciales du Centre du CEA à Cadarache qui seront décrites ultérieurement dans le présent rapport.

2.1.4. La connaissance des stocks progresse mais leur évolution à long terme reste incertaine.

Il est d'ores et déjà évident que nous allons avoir à faire face à un problème qui n'avait pas été prévu initialement et que l'entreposage à long terme d'une masse relativement conséquente de combustible irradié doit être décidé et organisé dès maintenant.

Les solutions d'attente actuellement utilisées ne seront plus suffisantes dans quelques années et il faudra mettre en place une organisation et des installations adaptées à une nouvelle politique de l'aval du cycle nucléaire.

Pour ce faire, le premier travail sera de recenser avec précision, les quantités de combustibles irradiés actuellement en attente et d'évaluer celles qui seront susceptibles d'être envoyées en entreposage à long terme dans les prochaines décennies.

A la suite des remarques de la Commission Nationale d'Evaluation et de l'Office parlementaire d'évaluation, le Gouvernement a demandé à l'ANDRA, qui présentait déjà chaque année un inventaire des déchets radioactifs : « de proposer au Gouvernement toute réforme visant à fiabiliser l'inventaire de ces déchets et notamment l'extrapolation de cet inventaire à moyen et à long terme ».

Dans un document publié en Septembre 200015 le Président de l'ANDRA a exposé la méthodologie à mettre en _uvre pour répondre aux objectifs qui avaient été fixés par le Gouvernement.

En ce qui concerne les combustibles irradiés, la position du Président de l'ANDRA est claire : ceux-ci devront figurer dans l'inventaire national. Il est toutefois précisé qu'ils seront comptabilisés dans une rubrique distincte de celles des déchets.

Cette précision était nécessaire car il faut rappeler que tant qu'aucune décision définitive ne sera prise, les combustibles irradiés ne constitueront pas des déchets bien que leur réemploi ne soit pas programmé dans le temps.

Etant donné l'importance qu'ils représentent en terme de radioactivité, il était cependant tout à fait indispensable qu'ils figurent dans le futur inventaire de l'ANDRA.

Un premier pas a été franchi en ce sens puisque dans la dernière édition de l'inventaire des déchets radioactifs publié par l'ANDRA en Novembre 2000, figure un tableau récapitulant les quantités de combustibles irradiés actuellement entreposées.

Il faut toutefois remarquer que ce tableau ne fait que reprendre des indications fournies par différentes sources (Ministère de la Recherche, Direction générale de l'énergie et des matières premières du Secrétariat d'Etat à l'énergie...) sans que, semble-t-il, l'ANDRA se soit livrée aux opérations de vérification et de recoupement qui sont de mise pour les déchets nucléaires.

MATIERES

FLUX ANNUEL EN 1999

STOCK PRESENT

LIEUX

REMARQUES

1.Combustibles français EDF en attente de retraitement

a) et d)

850 tonnes/an

(usine UP2 800

de LA HAGUE)

Stock tampon

de 9 000 tonnes

Piscines de LA HAGUE

et celles des sites EDF

(6 647 tonnes à

LA HAGUE en juillet 1999)

Combustibles étrangers

en plus, de l'ordre de

2 000 tonnes

2.Combustibles usés

qu'il n'est actuellement pas prévu de retraiter

a)

330 tonnes/an

(dont 115 t. MOX)

1 480 tonnes

(dont 415 t. MOX)

Piscines des 17 réacteurs

autorisés à être « moxés »,

et celles de LA HAGUE

Stock au 31/12/1999

3. Combustibles spéciaux pour études expérimentales et propulsion navale

a)

?

80 tonnes

Diverses installations

dont CADARACHE

(INB 22 Pegasse et

Cascad)

- Crayons REP pour expériences

- Combustibles EL4 et RNR

- Combustibles UNGG

- Divers

Si on connaît désormais à peu près exactement l'état actuel des stocks de combustibles irradiés, la prévision des flux qui viendront à l'avenir grossir ces stocks se révèle beaucoup plus aléatoire.

Dans l'étude économique prospective de la filière électrique nucléaire remise au Premier Ministre par MM. Charpin, Dessus et Pellat16 les auteurs ont tenté de présenter un bilan matière prospectif correspondant à différents scénarios et pour une durée de vie du parc des centrales variant de 41 ou 45 ans.

En croisant les différentes hypothèses et les durées de vie du parc envisagées, on obtient six scénarios différents :

 

Durée de vie moyenne

des centrales :

41 ans

Durée de vie moyenne

des centrales :

45 ans

Arrêt du retraitement

en 2010

S1

S4

Retraitement partiel avec

20 tranches Moxées

S2

S5

Retraitement à 100 % avec

28 tranches Moxées

S3

S6

Les différentes options (retraitement partiel, retraitement total et arrêt du retraitement en 2010) se traduisent par de notables différences dans le bilan matière en aval du cycle, c'est-à-dire, sur les quantités de déchets à stocker et sur les quantités de combustibles irradiés en entreposage.

Bilans matières en 2050 des différents scénarios

 

Durée de vie moyenne

 

41 ans

45 ans

Production électrique en TWh

18 111

20 238

Besoins

S1

S2

S3

S4

S5

S6

Entreposage/stockage

S1

S2

S3

S4

S5

S6

Uranium appauvri en kt

361

353

344

401

389

379

URT des REP en kt

14,3

21,4

29,5

14,3

24,8

34,1

Combustible UOX en kt

36,2

28,0

18,4

41,0

28,6

17,6

Combustible MOX en kt

2,0

3,0

4,1

2,0

3,5

4,8

Stock Pu + Am non séparé en t

542

512

476

602

555

514

Déchets B en m3 (retraitement)

11 786

13 811

16 564

11 786

14 825

18 091

Déchets B en m3 (exploitation)

20 000

Déchets C en m3 (verres)

1 600

2 695

3 974

1 601

3 325

4 808

Source : groupe de travail « Le parc nucléaire actuel »

En cas d'arrêt du retraitement en 2010 (Scénario S1 et S4) les besoins en capacités d'entreposage ou de stockage du combustible UOX seraient pratiquement doublés par rapport aux scénarios retenant l'hypothèse du moxage des 28 tranches de 900 MW autorisées pour une durée de vie du parc de 41 ans et plus que doublés pour une durée de vie de 45 ans. Bien entendu, les capacités d'entreposage du MOX connaîtraient une évolution inverse de celle du combustible UOX.

Il faut également noter que selon cette étude, les quantités de plutonium et d'américium non séparés qui resteraient contenues dans les combustibles irradiés entreposés, ne varieraient que très peu en fonction des différents scénarios.

Dans le cas du scénario le plus favorable (S6) la diminution du stock de plutonium ne serait que d'environ 15 %, argument qui sera, comme on pouvait s'en douter, très largement utilisé par les adversaires du retraitement.

Il s'agit là « d'hypothèses d'école » qui ne tiennent pas compte des progrès techniques possibles mais elles ont l'avantage d'attirer l'attention sur les besoins en installations d'entreposage et éventuellement de stockage qui devront être envisagés en fonction de la stratégie retenue.

La nécessité de prévoir dès maintenant des installations d'entreposage à long terme de combustible irradié, aussi bien pour le combustible UOX que pour le MOX ou les combustibles hors norme, est désormais évidente. La capacité de ces installations dépendra en revanche des orientations qui seront données à la politique de l'aval du cycle nucléaire, politique qui pour le moment n'apparaît pas des plus claires, de nouvelles contraintes économiques mais aussi purement politiques venant compliquer un problème déjà très compliqué techniquement.

Une réflexion et des décisions sur ce sujet ne peuvent toutefois être évitées si on ne veut pas se retrouver dans l'impasse d'ici dix ans quand commenceront à s'accumuler les combustibles destinés à être entreposés.

2.2. L'entreposage à long terme ne pourra toutefois pas se substituer au stockage souterrain.

Comme on vient de le voir, l'entreposage à long terme d'une partie du combustible ordinaire, mais surtout de la totalité du combustible MOX, va très vite se révéler indispensable. Il ne faudrait toutefois pas en conclure, comme certains le font déjà un peu hâtivement, qu'on peut, dès lors, arrêter les recherches sur le stockage géologique définitif qui deviendrait alors non urgent si ce n'est totalement inutile.

Comme l'ont à plusieurs reprises rappelé le CEA et la Commission Nationale d'Evaluation : « L'objectif de l'entreposage de longue durée est la mise en attente pendant une période séculaire, dans des conditions de sûreté et d'économie viable, de colis, pour les orienter, à terme, vers le stockage ou le retraitement ».

L'entreposage à long terme s'inscrit donc dans une démarche d'ouverture des options futures et de flexibilité. Le stockage souterrain constituant, à l'évidence, une des deux options possibles, le programme de recherche sur l'entreposage à long terme doit donc être conduit en synergie avec les études sur le stockage géologique profond.

Si on conçoit aisément que l'entreposage à long terme puisse fournir l'occasion de réfléchir plus longuement et de retarder la prise de décisions, on ne peut que s'étonner de la volonté, à peine dissimulée, de certains opposants au nucléaire, de le transformer en solution définitive.

Comme le faisait remarquer la Commission Nationale d'Evaluation : « Il n'y a pas de raisons physiques ou techniques qui empêchent que cet entreposage, périodiquement renouvelé, ne se prolonge pendant des siècles ou même des millénaires. C'est en fait la question de la pérennité des sociétés humaines, de leurs institutions et de leurs technologies, en particulier de maintenance et de surveillance de tels entreposages, qui peut poser problème »17

Ce sont ceux qui expriment le plus de craintes vis-à-vis du nucléaire qui devraient normalement préconiser les solutions les plus sûres et refuser les solutions provisoires qui risquent de se transformer subrepticement - par suite de leur abandon - en stockage définitif, sans en avoir les caractéristiques de sûreté et de sécurité.

Dès aujourd'hui, on peut être à peu près certain qu'il subsistera toujours des « déchets ultimes » qu'il serait vain de vouloir reprendre pour un quelconque traitement nouveau.

L'entreposage à long terme pour des matériaux dont on sait déjà pertinemment qu'ils ne pourront pas être réutilisés, soit pour des raisons techniques, soit pour des motifs économiques, ne servirait qu'à retarder les échéances et à transmettre aux générations futures des problèmes que nous n'avons pas su ou pas voulu résoudre.

2.2.1. Les incertitudes sur la faisabilité de la transmutation

L'argument principal des tenant d'un entreposage à long terme qui se substituerait au stockage souterrain, est de dire que l'adoption dès maintenant d'une solution définitive, revient à faire l'impasse sur les avancées possibles de la science et de renoncer aux progrès scientifique et technique qui permettront un jour de détruire la radioactivité ou du moins d'en réduire considérablement la durée de vie.

Lors de la préparation de la loi de 1991, nous avons nous même souscrit à cette hypothèse puisque la transmutation des matériaux radioactifs constitue une des trois voies de recherche proposées.

Grâce, il faut le reconnaître, à l'impulsion qui a été donnée par la loi de 1991, les recherches sur la transmutation ont connu un développement certain et ont enregistré des avancées significatives.

Peut-on pour autant baser toute la stratégie de l'aval du cycle nucléaire sur des solutions qui permettraient de réduire à la source la quantité et la durée de vie des déchets radioactifs à vie longue ?

La transmutation qui n'existe pour le moment qu'à l'état de recherches en laboratoire consisterait à transformer des éléments très actifs et à vie très longue, en des éléments non radioactifs ou à vie beaucoup courte, en les soumettant à un flux de neutrons très puissant.

Si en théorie, le principe est relativement simple, sa mise en application industrielle se révélerait beaucoup plus compliquée puisqu'il faudrait maîtriser deux séries d'opérations :

- la séparation des différents radionucléides contenus dans les déchets,

- la transmutation de chacun de ces éléments grâce à une source intense de neutrons.

Les études sur la séparation constituent donc un préalable obligatoire à toute recherche sur la transmutation proprement dite.

Pour le moment, le CEA, responsable des recherches dans ce domaine, a choisi de concentrer ses efforts sur quelques éléments radioactifs :

. l'américium,

. le curium,

. le neptunium,

. l'isotope 135 du césium,

. l'isotope 135 de l'iode,

. le technétium 99.

L'opération dite de « séparation poussée » de ces radionucléides se ferait soit en adoptant le procédé PUREX déjà utilisé industriellement à l'usine de La Hague, soit en développant de nouveaux procédés d'extraction complémentaire en aval de PUREX.

Pour cela, il a fallu développer des molécules capables de séparer les différents radionucléides ; la faisabilité scientifique de ces opérations a déjà été démontrée mais il faut maintenant en prouver la faisabilité technique. Ces recherches sont actuellement en cours dans le laboratoire ATALANTE du CEA à Marcoule et les premiers résultats devraient être obtenus de 2002 à 2005.

Le problème de l'industrialisation de ces procédés n'a toutefois pas encore été abordé.

Une fois séparés les différents éléments en cause, qui, il faut le rappeler, ne constituent qu'une partie des radionucléides contenus dans les déchets, il faudra, pour procéder à la transmutation, disposer d'une source produisant des neutrons en grande quantité.

L'arrêt en France de la filière des réacteurs à neutrons rapides a considérablement compliqué la situation.

Désormais, il faudra recourir soit à des procédés utilisant la filière actuelle des réacteurs à eau sous pression, soit développer de nouveaux systèmes hybrides, innovants, mais qui n'existent pour le moment que sur le papier.

La première solution, simple évolution des réacteurs actuels, nécessite toutefois une expérimentation en vraie grandeur notamment en ce qui concerne l'insertion de combustibles spéciaux chargés en radionucléides à transmuter dans le cycle (fabrication, économie et gestion des neutrons, le retraitement spécifique de ces éléments...). Elle nécessite également des décisions d'investissements lourds pour obtenir un réel outil industriel.

La seconde solution reste aujourd'hui du domaine de l'innovation. Si on se réfère à l'expérience de mise en _uvre industrielle de l'énergie nucléaire, 50 ans au moins seront nécessaires avant de disposer d'outils susceptibles d'apporter une aide et/ou des réponses industrielles à la question posée. Les travaux engagés présentent un grand intérêt et ne doivent pas être négligés mais ils ne permettent en aucun cas, l'économie d'un stockage définitif.

En d'autres termes, la transmutation quasi industrielle susceptible d'apporter une part de réponse à la gestion des déchets haute activité vie longue, ne pourra intervenir avant un laps de temps significatif. Ces nouvelles techniques, longues et difficiles, ne sont par ailleurs pas garanties.

Dans l'hypothèse souhaitable où ces techniques pourraient déboucher, l'importance des investissements doit être considérée. En termes financiers, plusieurs dizaines de milliards de francs seraient à engager, certes sur plusieurs années, pour construire à la fois une usine similaire à celle de La Hague ainsi que les lignes de fabrication de combustibles spéciaux et les réacteurs adaptés.

De plus, l'investissement humain en particulier en terme d'engagement de doses au personnel, serait également à considérer avec attention car, bien que les usines envisagées ne puissent être qu'automatisées, les personnels de maintenance et d'intervention risqueraient des expositions importantes.

Il faut également noter qu'on ne peut à la fois prétendre que la solution de la gestion des déchets à haute activité passe par la transmutation et demander l'arrêt des usines de retraitement qui sont seules capables de conduire les opérations de séparation poussée des radionucléides, préalable indispensable à toute tentative de transmutation.

En réalité, la transmutation des combustibles irradiés qui ne seraient pas retraités nécessiterait des opérations industrielles de séparation qui iraient bien au-delà de celles qui sont pratiquées pour le retraitement actuel.

Enfin, comme le note très justement la Commission Nationale d'Evaluation : « Quel que soit le résultat de ces recherches, il restera une quantité limitée de résidus ultimes qu'il conviendra de stocker ».

2.2.2. Les verres déjà issus du retraitement doivent être stockés définitivement

Les usines de retraitement de La Hague et de Marcoule ont pour objectif de récupérer dans les combustibles irradiés, les éléments réutilisables (plutonium et uranium) qui sont ainsi séparés des autres radionucléides qui constituent dès lors des déchets ultimes.

Ces déchets particulièrement radioactifs sont incorporés dans du verre qui est ensuite coulé dans des conteneurs étanches ou acier inoxydable. Ces conteneurs sont ensuite placés dans des puits ventilés à proximité des usines de retraitement.

Cet entreposage des verres est considéré comme temporaire et les compagnies d'électricité qui en demeurent propriétaires devront, un jour, leur trouver une destination finale sûre et définitive.

Les déchets vitrifiés existants et à venir ne présentent aucun intérêt technique, scientifique et économique et ne sont, dans l'état actuel des connaissances, en aucun cas réutilisables. Ils sont donc bien, au terme de la loi sur les déchets, des déchets ultimes dont il faut se débarrasser définitivement.

Le problème n'est pas simple car depuis le début du retraitement les stocks de verres s'accumulent et atteignent déjà un volume relativement important :

- 6759 conteneurs de verres à La Hague

- 2758 conteneurs de verres à Marcoule

Même si ces chiffres incluent dans ces conteneurs des déchets étrangers qui devraient être réexpédiés dans leurs pays d'origine, il est évident que le sort qui devra leur être réservé in fine est loin d'être actuellement réglé.

Les opposants au stockage souterrain estiment en effet qu'il pourraient être repris et, un jour peut-être, en fonction de l'évolution des techniques, incinérés ou transmutés. Même si elles devenaient scientifiquement possibles, de telles opérations ne pourraient, de toute façon, se faire qu'au prix d'efforts techniques et économiques considérables et il apparaît d'ores et déjà que le stockage définitif en couches géologiques profondes sera certainement la seule solution raisonnable.

Toutefois, dans l'hypothèse où l'incinération ou la transmutation deviendrait une réalité technique et économique, il y a fort à parier que cette solution ne s'appliquerait qu'aux nouveaux combustibles à traiter et que les stocks existants ne seraient pas repris.

La poursuite des recherches sur le stockage souterrain est donc une nécessité et les efforts dans ce domaine ne doivent pas être ralentis au prétexte que des découvertes scientifiques pourraient, un jour, permettre de passer de l'entreposage temporaire des combustibles irradiés à leur neutralisation ou à leur destruction.

Le principe de précaution souvent mis en avant depuis quelques temps doit s'appliquer aussi à ce domaine et on se doit de continuer à travailler sur des solutions alternatives au cas où, en définitive, les espoirs que certains placent dans les techniques de transmutation et d'incinération se révéleraient vains.

2.2.3. L'évacuation des déchets B justifiera la création d'un centre de stockage souterrain

Les opérations de retraitement génèrent, outre les verres contenant des éléments hautement radioactifs, des déchets de faible et de moyenne activité mais dont la teneur en émetteur à longue période, en général des émetteurs alpha, interdit le stockage dans des centres de surface tels que celui de l'ANDRA dans l'Aube.

Ces déchets technologiques produits lors des opérations de retraitement représentent un volume relativement important de l'ordre de 140 000 m3, sont mélangés à des liants hydrauliques ou à du bitume et placés dans des fûts et sont pour le moment conservés dans l'enceinte des usines de retraitement de La Hague et de Marcoule.

Il s'agit là aussi de déchets ultimes qui ne contiennent pas de matières valorisables.

Selon la Commission Nationale d'Evaluation 18 : « Le stockage définitif de ces déchets B est incontournable » après, bien entendu, une période d'entreposage pour assurer leur refroidissement.

Leur existence à elle seule suffirait à justifier la création de centres de stockage souterrains car on ne voit pas l'intérêt qu'il y aurait à poursuivre indéfiniment leur entreposage en surface. Comme le notait la CNE dans le rapport précité, la solution de l'entreposage en couches géologiques profondes « nous paraît la meilleure pour les déchets B ... la barrière géologique, par exemple une argile, étant amenée à jouer le rôle le plus important ».

2.2.4. L'éventualité de l'envoi en stockage souterrain d'une partie du combustible irradié ne peut être exclue et les organismes concernés s'y préparent

Il n'existe pas, à l'heure actuelle, d'éléments probants permettant de prévoir les décisions qui seront prises, à terme, sur la destination finale des combustibles irradiés.

Comme nous l'avons déjà indiqué, contrairement aux prévisions des années 70, le coût des minerais d'uranium reste peu élevé et la fin de la guerre froide à conduit à mettre sur le marché des quantités importantes de matières fissile d'origine militaire qui pourront être recyclées dans le domaine civil. Pour le moment, rien ne permet de prédire un changement de tendance et un redressement des cours de l'uranium.

D'autre part, la dérégulation du secteur de l'énergie va conduire à une concurrence exacerbée, autre élément qui ne conduira certainement pas à prendre des options où l'économie des matières premières constituera les préoccupations principales des futurs décideurs.

D'autres sources d'énergie viendront peut-être prendre le relais de l'énergie nucléaire avant la fin de ce siècle et les énergies renouvelables finiront, peut-être, par représenter une part non négligeable de la consommation.

Pour le moment, aucune de ces questions ne peut recevoir de réponse satisfaisante.

Si la sagesse conseille de laisser ouverte la possibilité de réutiliser, s'il en est besoin, les réserves énergétiques contenues dans les combustibles irradiés, on ne peut exclure que nous serions entrés dans une période longue au cours de laquelle ces mêmes combustibles n'auraient plus d'utilité réelle, ce qui devrait conduire, par souci de simplicité et de protection de la santé humaine et de l'environnement, à la décision de les stocker définitivement en couches géologiques profondes.

Par ailleurs, il faut également noter que la reprise éventuelle de combustibles irradiés entreposés depuis une longue période imposerait qu'ils aient conservé une intégrité suffisante pour permettre une manipulation sans risque de dissémination de la radioactivité. Bien qu'il semble prouvé que le maintien de l'intégrité de ces combustibles sur une période de 100 à 150 ans soit parfaitement envisageable, il existe certainement une limite de temps au-delà de laquelle ils ne pourraient plus avoir d'autre destination possible que l'entreposage souterrain.

Le stockage direct des combustibles irradiés est étudié en France mais aussi surtout dans les pays qui, comme les Etats-Unis ou la Suède, ont, dès le départ, renoncé au retraitement.

Les problèmes que poserait ce type de stockage définitif commencent à être connus et un rapport sur cette question a déjà été remis à la CNE en septembre 1996.

L'ANDRA, pour sa part, conduit ses propres études qui prennent en compte l'éventualité du stockage direct.

Les problèmes spécifiques que poserait la présence d'assemblages de combustibles irradiés dans les centres souterrains de stockage seront analysés dans la dernière partie du présent rapport.

Les recherches sur l'entreposage à long terme d'une partie du combustible irradié ne doivent donc pas servir de prétexte à un ralentissement, ou ce qui serait pire, à un abandon, des travaux relatifs à la création de centres souterrains de stockage définitif, ne serait ce que parce que certaines catégories de déchets ne peuvent raisonnablement trouver d'autres destination finale.

Votre rapporteur, bien qu'en général assez réticent sur le recours abusif au « principe de précaution », pense qu'il faut, dans ce cas, s'y référer à condition de reprendre sa définition légale19 à savoir : « l'absence de certitude, compte-tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommage grave et irréversible à l'environnement à un coût économique acceptable ».

A l'heure actuelle, personne n'est en mesure de dire s'il sera un jour possible de procéder à la transmutation ou à l'incinération des radionucléides contenus dans le combustible irradié. Un entreposage indéfini de ces combustibles conduirait, par la dégradation ou même par l'abandon des installations d'entreposage, à de graves atteintes à la santé humaine et à l'environnement. Dès lors, il convient donc de prendre immédiatement des « mesures effectives » pour pallier ce risque. Or, il se trouve que le stockage définitif en couches géologiques profondes constitue, pour tous les pays qui possèdent une industrie nucléaire, la solution la mieux adaptée pour se protéger durablement des effets de la radioactivité.

3. Les critères auxquels devraient répondre les installations d'entreposage à long terme

Jusqu'à maintenant, les combustibles irradiés sortant des centrales d'EDF ont été entreposés dans des piscines situées soit à proximité des centrales, soit dans l'enceinte de l'usine de retraitement de La Hague.

Ce mode d'entreposage ne pose pas, pour le moment, de problèmes particuliers aux autorités de sûreté mais il ne s'agit que de solutions tout à fait provisoires qui ne devraient en principe durer que le temps nécessaire à la préparation de leur retraitement.

Toutefois, la France dispose aussi d'une expérience d'entreposage à sec avec l'installation CASCADE du CEA à Cadarache où sont temporairement regroupés certains combustibles hors normes dits « exotiques » qui ne correspondent pas aux exigences des usines de retraitement.

Avec l'arrêt du retraitement immédiat de l'intégralité du combustible irradié, on entre dans une autre logique car il va falloir, cette fois, concevoir un entreposage de longue durée qui devrait permettre : « la mise en attente puis la reprise des colis pendant une période séculaire dans des conditions de sûreté et d'économie viable », si on s'en tient à la définition proposée par le CEA.

A partir du moment où on doit raisonner en terme de siècles et non plus en dizaine d'années, les critères qui devront être exigés des installations d'entreposage à long terme vont, bien évidemment, très largement différer de ceux qui étaient requis pour assurer la sûreté des piscines actuelles.

Quelle que soit la solution qui sera retenue pour la construction des installations d'entreposage à long terme, celles-ci devront pouvoir répondre aux mêmes impératifs de sûreté de manière à être en mesure :

- d'empêcher tout relâchement de radioactivité dans la biosphère,

- de garantir à tout moment la possibilité d'une reprise des assemblages pour les envoyer soit au retraitement, soit en stockage définitif,

- de permettre en permanence la surveillance et le suivi des colis entreposés.

Même s'il est souvent question de réversibilité des stockages souterrains, ceux-ci seront avant tout conçus comme une solution définitive où le problème principal sera de contrôler le relâchement des radionucléides sur des périodes qui dépasseront le millénaire. L'entreposage, au contraire, devra constituer un outil flexible permettant d'attendre, pendant une durée limitée, que soient prises les décisions sur le sort qui sera réservé, in fine, aux combustibles irradiés. A partir du moment où les colis devront en permanence rester disponibles, des contraintes de gestion particulièrement fortes devront être respectées pendant toute la durée de fonctionnement de l'installation.

L'entreposage à long terme des combustibles irradiés va dont être confronté à deux exigences quelque peu contradictoires : confiner la radioactivité pour éviter toute dissémination et laisser les installations facilement accessibles pour la surveillance des assemblages ou pour leur reprise.

3.1. La très forte activité des combustibles irradiés impose de prendre des mesures de confinement particulièrement strictes

La première des exigences sera d'obtenir des installations susceptibles de confiner, de façon sûre, les radionucléides contenus dans le combustible pour éviter leur dispersion dans l'environnement.

C'est déjà le cas pour les installations d'entreposage actuelles qui sont, elles aussi, conçues pour éviter le retour de la radioactivité dans la biosphère mais il faudra, dans le cas de l'entreposage à long terme, intégrer toutes les incertitudes liées au temps.

Ainsi, si la maîtrise de l'entreposage sur quelques dizaines d'années est déjà assurée, des recherches préalables à toute ouverture d'installation devront permettre de prouver qu'elles seront en mesure de fonctionner de façon sûre sur 50, 100 ans et peut-être même sur plusieurs siècles.

Comme l'a très bien résumé l'Académie des Sciences 20 : « pouvons-nous connaître et prédire le relâchement des radionucléides à partir d'un colis de combustibles irradiés et garantir qu'aucun ne sera relâché durant la première phase d'un stockage en scénario normal ? ».

Cette remarque de l'Académie des Sciences qui s'applique au stockage définitif concerne également, bien évidemment, l'entreposage temporaire où le relâchement de radionucléides aurait des conséquences encore plus graves.

3.1.1. Les combustibles irradiés constituent un risque potentiel pour la santé humaine et l'environnement

La quasi totalité des réacteurs nucléaires en service dans le monde utilisent comme combustible de l'uranium enrichi.

L'uranium naturel tel qu'il est extrait de la mine est composé de deux isotopes21 principaux :

- l'uranium 238 qui représente 99,3 % de la masse totale du minerai

- et l'uranium 235 qui ne représente que 0,7 % de ce même minerai.

Ces deux isotopes se distinguent avant tout par leurs propriétés nucléaires puisque seul l'uranium 235 est considéré comme fissile et donc comme susceptible de produire de l'énergie.

Pour obtenir un combustible utilisable il va donc falloir augmenter la proportion d'uranium 235, par des opérations d'enrichissement, jusqu'à 3 à 4 % de l'ensemble.

Une fois le minerai d'uranium enrichi, il est transformé en oxyde d'uranium, UO2, puis conditionné sous forme de pastilles qui seront ensuite placées dans des structures métalliques appelées éléments ou assemblages.

Ces assemblages sont introduits dans un ordre très précis dans le c_ur des réacteurs. Pour un réacteur de 900 MWe, il faudra environ 72 tonnes d'uranium enrichi.

Cet uranium enrichi, dont la fission va fournir la chaleur nécessaire au fonctionnement de la centrale, va demeurer de 3 à 4 années dans le c_ur du réacteur selon le taux de combustion choisi qui va, par voie de conséquence, déterminer les quantités de combustibles irradiés qui seront extraites chaque année.

Lors de son passage dans le réacteur, le combustible se transforme peu à peu sous l'effet du phénomène de fission :

- la teneur en uranium 235 diminue,

- une partie de l'uranium 238 se transforme en plutonium et en autres actinides dits mineurs tels que le neptunium, l'américium ou le curium,

- des éléments nouveaux, les produits de fission tels que le zirconium, le césium, le palladium, l'iode... apparaissent également.

A l'issue du passage en réacteur on obtient donc un combustible assez différent du combustible initial puisqu'il se compose de :

- 96 % d'uranium résiduel (U234, U235, U236 et U238),

- 1 % de plutonium (PU238, PU239, PU240, PU241, PU242), et d'autres actinides mineurs

- 3 % de produits de fission.

C'est la présence du plutonium et des produits de fission qui explique la très forte radioactivité du combustible irradié : 1017 Bq22 par tonne.

Ainsi, la quasi totalité de la radioactivité de l'ensemble du cycle nucléaire se trouve contenue dans le combustible irradié qui constitue donc une matière extrêmement dangereuse qui doit être manipulée avec les plus grandes précautions.

L'entreposage, en l'état, de combustibles irradiés va donc devoir prendre en compte deux dangers potentiels : dispersion de la radioactivité et le dégagement de chaleur.

Les éléments radioactifs présents dans le combustible irradié présentent des caractéristiques très différentes. En effet, certains radionucléides ont une très forte radioactivité mais avec une vie assez courte alors que d'autres éléments moins radioactifs ont, en revanche, une durée de vie qui se compte en millions d'années. Le césium, par exemple, qui a une très forte activité, de l'ordre de 3 200 milliards de Bequerels par gramme, a une période23 relativement courte de 30 ans. A l'opposé, l'uranium qui a une période très longue de 4,5 milliards d'années a, en revanche, une activité beaucoup plus faible qui n'est que de 1 200 Bequerels par gramme.

On ne peut donc pas, dans le cas d'un entreposage temporaire, compter sur la décroissance naturelle pour réduire le danger puisque même les éléments aux périodes relativement courtes tels que le césium (30 ans) ou curium (18 ans) seront encore très actifs au bout d'un siècle.

Le deuxième problème à gérer sera celui de la puissance thermique à évacuer. Dans une installation où seraient entreposés des combustibles irradiés, cette puissance thermique serait de plusieurs mégawatts, leur refroidissement devra donc être assuré pendant toute la période d'entreposage soit à l'aide d'une ventilation artificielle, soit par convection naturelle. Ce dégagement de chaleur, qui sera particulièrement important dans le cas du combustible MOX, pose la question du risque lié à l'échauffement des combustibles en cas d'arrêt volontaire ou accidentel des mécanismes de ventilation.

Etant donné la durée possible de l'entreposage et les aléas qui pourraient survenir, la présence d'une technique passive d'évacuation de la chaleur s'imposera obligatoirement même dans les installations dotées d'une ventilation mécanique forcée. En cas de perte totale ou partielle du réseau de ventilation, le CEA, dans un récent rapport au Gouvernement24 a estimé : « qu'un colis type de combustibles irradiés ayant dix ans de refroidissement en piscine peut voir sa température atteindre 500° C en quelques jours ».

3.1.2 L'étude du comportement à long terme des combustibles irradiés

La sûreté du confinement dans les installations d'entreposage dépendra principalement du comportement à long terme des assemblages de combustible irradié.

La France dispose déjà avec les installations CASCAD de Marcoule où sont entreposés les combustibles « hors norme » d'une certaine expérience en ce domaine mais qui ne sera toutefois pas suffisante dès lors que sont envisagées des durées d'entreposage dépassant le siècle.

Conduit par le CEA, le programme de recherche et de développement PRECCI devrait permettre d'acquérir les données scientifiques et techniques nécessaires pour maintenir des combustibles irradiés dans des installations prévues pour une longue durée, notamment :

- en définissant ce que doit être un colis de combustible irradié,

- en prévoyant l'évolution de son comportement à long terme au sein d'une installation d'entreposage,

- et enfin en définissant la conception de ces installations d'entreposage en fonction de la nature des colis et de leur comportement.

La Commission Nationale d'Evaluation, dans son dernier rapport de Juin 2000, estime que : « La problématique du comportement des combustibles usés est aujourd'hui bien posée ».

Ces études qui seront utiles pour l'élaboration du concept d'entreposage serviront également à améliorer les connaissances de l'ANDRA pour un éventuel stockage souterrain de combustibles irradiés.

Les phénomènes de relâchement des radionucléides contenus dans les assemblages dépendront en grande partie de l'évolution des propriétés mécaniques et physiques de la matière composée d'UO2 mais aussi de la gaine entourant ce combustible ainsi que des matériaux de structure tels que les grilles, les tubes guides et les embouts.

Il ne faut pas oublier que la gaine en Zircaloy qui entoure le combustible lui-même a déjà été soumise lors du séjour en réacteur à toute une série d'attaques qui l'ont fragilisée et on peut donc craindre, qu'au bout d'une certaine durée d'entreposage, elle se déforme et que les déformations conduisent même dans certains cas à sa rupture mécanique.

Dans ces conditions, il est tout à fait loisible de se demander, comme le fait l'Académie des Sciences25 dans son rapport sur les matériaux nucléaires : « S'il est possible de faire confiance à la gaine en tant que première barrière de confinement en entreposage de longue durée ? ».

Si la lixiviation des combustibles usés en présence d'eau, ce qui pourrait être le cas dans les stockages souterrains, a été assez largement étudiée, il conviendrait aussi d'accélérer les recherches sur le comportement à long terme de ces combustibles sans circulation importante d'eau ce qui devrait être, cette fois, la situation normale dans les installations d'entreposage. D'autres phénomènes que le fluage des alliages de zirconium pourraient, en effet, affecter l'évolution chimique et physique de l'UO2 : l'accumulation d'hélium, la migration des radionucléides, la formation de microbulles de gaz, le gonflement du combustible...

L'existence de futurs combustibles MOX irradiés viendra encore compliquer cette réflexion sur le comportement à long terme des assemblages du fait de leur très importante puissance thermique résiduelle (300 à 400°C au départ).

A ce sujet, la Commission Nationale d'Evaluation se montre assez pessimiste puisqu'elle demande que soit étudié spécialement le comportement à long terme du combustible MOX en soulignant : « qu'on peut prévoir de lourdes difficultés liées à sa très grande charge thermique ».

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3.1.3 Les incidents qui pourraient affecter l'efficacité du confinement

Etant donné l'importance du risque potentiel que présentera pour la santé humaine et l'environnement l'accumulation en un même lieu d'une importante quantité de matières hautement radioactives, toutes les précautions devront être prises pour que les responsables des installations d'entreposage puissent faire face aux multiples incidents qui pourraient affecter leur fonctionnement.

Il ne suffit pas, en effet, de prévoir les conditions d'un fonctionnement normal, il faut en plus, dès le départ, envisager toutes les solutions qui permettront de redresser des situations dégradées. Dans de telles installations, l'improvisation n'a pas sa place.

La perte d'efficacité des dispositifs de confinement comme le notait le CEA26 peut avoir une origine interne :

- défaillance du système d'évacuation de la puissance thermique résiduelle,

- présence d'eau d'infiltration ou de vapeur d'eau,

- agressions et accidents mécaniques, en particulier lors des opérations de transfert,

- agressions thermiques, incendies et explosions,

- agressions des rayonnements ionisants du fait du vieillissement des protections.

Mais l'origine des défaillances du confinement peut aussi avoir une origine externe :

- agressions mécaniques par un impact de missile ou une chute d'avion,

- dégât des eaux suite à des inondations,

- événements climatiques

- glissement de terrain

- séismes...

Pour cette seconde série d'incidents, les précautions à prendre seront beaucoup plus difficiles à mettre en _uvre puisque leur origine sera extérieure aux installations et ne dépendra pas directement de la volonté de leurs responsables.

La multiplicité des facteurs relatifs à la sûreté qui devront être pris en compte fait qu'une installation d'entreposage à long terme ne peut être confondue avec un simple entrepôt, il faut toutefois noter que la construction de ce nouveau type d'installation bénéficiera de l'expérience acquise avec les mesures de sûreté qui s'appliquent déjà à toutes les autres installations du cycle du combustible nucléaire.

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3.2. La reprise du colis devra être possible à tout moment

Le second critère auquel devra impérativement répondre toute installation d'entreposage à long terme, c'est celui de la réversibilité du dépôt des colis.

Cette question de la réversibilité a été très largement débattue à propos des stockages souterrains et a même fait l'objet d'un rapport particulier de la Commission Nationale d'Evaluation27. Dans ce cas, la reprise possible des colis stockés apparaît surtout comme une garantie technique et morale permettant aux générations futures de revenir sur les choix initiaux en cas d'avancée spectaculaire de la science ou en cas d'incident.

En revanche, à partir du moment où on raisonne en terme d'entreposage, même à très long terme, la garantie de pouvoir reprendre à tout moment les colis de combustible irradié devient la pièce essentielle du dispositif.

Un entreposage, même s'il doit durer plusieurs siècles, doit rester une phase transitoire de l'aval du cycle nucléaire. Comme on le verra plus loin dans le présent rapport, sera abordé le problème de la fixation de la durée maximale de l'entreposage qui devra être prévue dès le départ, au besoin dans une loi, pour éviter que des installations temporaires se transforment subrepticement en centres de stockage définitif.

L'entreposage doit être un outil flexible susceptible de s'adapter aux décisions qui seront prises sur le sort définitif qui sera réservé aux combustibles irradiés.

Les installations d'entreposage devront donc permettre, à tout moment :

- soit de reprendre le combustible pour l'envoyer dans un centre de stockage souterrain,

- soit de le ressortir pour le diriger vers une usine de retraitement.

Ces installations devront donc être conçues, dès le départ, pour que l'une ou l'autre de ces opérations puisse être réalisée sans difficultés excessives et surtout sans faire courir de risques aux travailleurs et aux populations voisines.

3.2.1. La surveillance de l'évolution du combustible

Après irradiation, l'état du combustible est très largement dégradé (fracturation, porosité, gonflement...) et on peut considérer qu'il y a déjà une très nette fragilisation des propriétés mécaniques de l'assemblage. Le problème qui se posera pendant la période d'entreposage sera donc de savoir si ce combustible ne va pas continuer à subir des transformations qui compromettraient, par la suite, sa reprise et surtout sa retraitabilité.

Il sera donc nécessaire de surveiller en premier lieu l'état de la gaine en zincaloy qui seule permettra de transporter et de manipuler le combustible dans des conditions de sûreté acceptables. Il faudra pour cela, en particulier, contrôler la température et éviter que la puissance thermique résiduelle, qui sera particulièrement élevée dans le cas du MOX, entraîne une déformation importante ou même une rupture de la gaine.

On dispose actuellement d'études sur le comportement mécanique des assemblages entreposés mais elles ne portent que sur quelques années ; il conviendrait donc de les compléter par des modélisations de ce comportement sur un très long terme. Comme le recommande l'Académie des Sciences28, il s'agit là : « d'un domaine novateur où des équipes de recherche doivent s'investir ».

L'évacuation de la chaleur va de toute façon constituer un impératif absolu qui conditionnera en grande partie les possibilités de reprise ultérieure, cela impliquera certainement de continuer à utiliser, en début de période, l'entreposage sous eau qui permet de mieux contrôler les dégagements thermiques.

La possibilité de procéder à un retraitement différé des combustibles irradiés sera également très largement conditionnée par son évolution chimique et isotopique. Or, comme le fait remarquer l'Académie des Sciences29 le retraitement est fortement dépendant de la nature des espèces chimiques présentes dans le combustible au moment du retraitement et cela aussi bien pour la phase préparatoire de dissolution que lors des opérations de séparation.

Or, quelle sera la composition chimique et isotopique d'un combustible irradié qui aura peut-être passé plusieurs centaines d'années en entreposage ? Là aussi nous ne possédons que des connaissances embryonnaires qui devraient être complétées avant l'ouverture des installations d'entreposage à long terme.

Quoi qu'il en soit, on peut d'ores et déjà se demander si le retraitement du « vieux combustible » ne posera pas des problèmes techniquement et surtout économiquement insurmontables. Si au bout d'une très longue période d'entreposage, la décision de retraiter est prise, il y a fort à parier que le choix portera en priorité sur le combustible le plus récemment entré : last in first out.

3.2.2. Le conteneur : élément essentiel du dispositif d'entreposage à long terme

Lors d'un colloque qui s'est tenu en janvier 1999 sous l'égide de l'ANDRA30, tous les participants, venus de sept pays différents, ont été unanimes pour considérer : « qu'il convient de ne pas faire jouer un rôle de barrière de confinement à la gaine qui entoure la matrice ».

Si la gaine qui entoure le combustible pendant la durée du fonctionnement en centrale ne peut assurer un confinement suffisant des radionucléides pendant l'entreposage, l'utilisation de conteneurs devient alors un des points essentiels du dispositif d'entreposage.

Le conteneur va donc véritablement être l'élément constitutif des colis et avoir plusieurs fonctions différentes :

- il va tout d'abord constituer une barrière de confinement pour limiter la dissémination des radionucléides,

- il va également protéger les assemblages contre les agressions extérieures, en particulier pendant le transport et les manipulations,

- il va faciliter l'évacuation de la chaleur,

- et surtout il va enfin permettre la préhension et la manipulation des combustibles.

Dès que l'on envisage un entreposage à sec, hors des piscines de refroidissement, le problème de la résistance à long terme des matériaux des conteneurs devient primordial. Pour le moment, le concept des conteneurs pour l'entreposage des combustibles irradiés n'a pas été arrêté. Le CEA étudie le comportement de différents alliages d'acier, comportant plus ou moins de nickel, et celui de l'acier inoxydable . Le concept suédois, de conteneurs de cuivre, que nous avions vu au CLAB31, semble ne pas être retenu par les autres pays en raison de son coût trop élevé.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, a priori, les conteneurs en acier faiblement allié semblent mieux adaptés à l'entreposage à long terme que ceux en acier inoxydable, beaucoup plus coûteux, et où la propagation de la corrosion se fait par des crevasses.

De toute manière, quelle que soit la composition du conteneur, les phénomènes de corrosion ne se produiront que s'il y a interaction entre le métal et le milieu où il est entreposé. Le problème sera donc de contrôler activement l'atmosphère des installations d'entreposage ce qui n'empêchera pas, parallèlement, de tenter d'obtenir les conteneurs les plus résistants à la corrosion dans toutes les situations possibles.

Pour renforcer la résistance des colis à la corrosion interne, il est également prévu de placer les assemblages dans des étuis qui assureraient un premier niveau de protection, chaque conteneur recevant plusieurs étuis. Bien étudiés, ces étuis devraient permettre de limiter les conséquences de l'évolution à long terme des gaines et des matières.

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Actuellement, le CEA et l'ANDRA travaillent sur le concept d'un conteneur multi-usages qui permettrait la manipulation, le transport, l'entreposage et, si le besoin s'en fait sentir, le stockage définitif souterrain.

De tels conteneurs dits TES (Transport, Entreposage, Stockage) devraient pouvoir garantir l'étanchéité des colis pendant une durée de 500 ans en stockage et donc une durée supérieure dans des installations d'entreposage, à partir du moment où elles feront l'objet d'une surveillance et d'une maintenance minimale.

Dans les premières réflexions qui avaient été conduites sur le stockage en couches géologiques profondes, la nécessité de placer les déchets dans des conteneurs ne s'était pas imposée. A partir du moment où un accord semble se faire sur la réversibilité des stockages, le conteneur devient là aussi un élément essentiel du dispositif. Dans ces conditions, il y aura tout intérêt à adopter la solution du conteneur multi-usages qui évitera toute manipulation lors du transfert entre les installations d'entreposage et le centre de stockage définitif.

La Commission Nationale de l'Evaluation, dans le rapport remis en juin 2000, a attiré l'attention des autorités sur la nécessité d'avoir, dès maintenant, une réflexion spécifique, globale, et coordonnée sur les colis et sur les conteneurs qui les envelopperont.

Les conteneurs qui devront être produits à plusieurs milliers d'exemplaires coûteront cher car il ne s'agit pas d'une simple boîte mais d'un outil multifonctions, très sophistiqué, et qui devra pouvoir résister plusieurs siècles à toutes les agressions.

Tous les pays qui possèdent une industrie nucléaire puissante se préoccupent du problème de la conception et de la fabrication des conteneurs pour le combustible irradié.

Cela est particulièrement important pour les pays qui, comme les Etats-Unis ou la Suède, ne retraitent pas le combustible et qui ont donc dû, dès le départ, recourir à l'entreposage.

Toutes les solutions sont actuellement envisagées :

- conteneurs pour le transport uniquement,

- conteneurs « dual purpose » pour le transport et l'entreposage 

- Nuhoms aux Etats-Unis

- TN 24 en Allemage, Suisse, Belgique

- Castor

- conteneurs « multipurpose » pour le transport, l'entreposage et le stockage définitif

- Pollux en Allemagne,

- TES en France

- conteneurs réservés au stockage souterrain

- conteneurs en cuivre suédois

- conteneurs de stockage type Yucca Moutain aux Etats-Unis

Le projet français de conteneurs à triple usage TES (Transport, Entreposage et Stockage), dérivé du modèle allemand POLLUX mais qui devrait présenter, par rapport à ce dernier, d'assez profondes modifications, devrait être constitué de deux enveloppes concentriques en acier ou en fonte dans lesquelles seraient disposées 8 assemblages de combustible de centrale REP.

La solution du « colis universel » qui permettrait de transférer le combustible irradié de la sortie de la piscine jusqu'aux galeries souterraines du centre de stockage ou jusqu'à l'usine de retraitement, est séduisante mais ne risque-t-on pas de vouloir exiger d'un même matériel des performances contradictoires ?

La gestion en continuité, sans aucun reconditionnement, aurait des avantages certains en matière de radioprotection et certainement sur le plan économique mais il faudrait que soit démontrée, également, la possibilité d'une reprise sûre en fin de retraitement pendant toute la durée de l'entreposage. L'existence, par exemple, d'un étui soudé n'entraînerait-elle pas des contraintes de gestion supplémentaires en cas de choix du retraitement différé ?

Des choix stratégiques devraient être faits dans des délais relativement courts, or il n'est pas certain que l'organisation actuelle de la recherche et le manque évident de coordination dans la définition de la politique de l'aval du cycle nucléaire permettent d'avancer dans ce domaine aussi vite que cela serait souhaitable.

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3.3 La surveillance et le contrôle des installations devra s'exercer jusqu'à la fin de l'entreposage

Contrairement au stockage définitif en couches géologiques profondes qui ne requière une surveillance active que pendant la période d'exploitation, les installations d'entreposage de longue durée nécessiteront le maintien de procédure très stricte de suivi et de contrôle pendant toute leur existence.

Même si l'homologation de départ apportera, en principe, la démonstration que les installations pourront se maintenir en bon état pour une durée qui pourrait aller jusqu'à trois cent ans, celles-ci ne seront jamais à l'abri d'incidents ou d'accidents qui pourraient remettre en question leur capacité à confiner les radionucléides quelles contiendront.

Si la sûreté des installations d'entreposage à longue durée reposera elle aussi sur un concept de défense en profondeur multibarrières, il manquera toujours, par rapport au stockage souterrain, la protection ultime qu'apporte la formation géologique.

Il sera donc nécessaire, tout au long de l'exploitation de ces installations, de détecter les risques éventuels et d'être, à tout moment, en mesure d'y apporter des actions correctives.

En effet, outre les risques inhérents aux colis de combustible qui ont été évoqués dans un chapitre précédent, les structures des installations pourront, elles aussi, être affectées par des agressions externes telles que :

- les chutes d'avion et de météorites,

- les intrusions et attaques malveillantes,

- les frappes de missiles,

- les inondations et la montée des eaux,

- les glissements de terrain,

- les séismes...

Quelles que soient les précautions prises au départ, des événements extérieurs seront à tout moment susceptibles de conduire à une perte de sûreté progressive ou instantanée. L'expérience montre, en effet, qu'il est impossible de se prémunir contre certains accidents hors norme ou hors dimensionnement dont il faut quand même pouvoir réparer les conséquences.

Comme le faisait remarquer la Commission Nationale d'Evaluation dans son 6ème rapport, si la décision de stockage en profondeur est basée sur la volonté de ne pas engendrer de sujétions de surveillance aux générations futures, il n'en va pas de même pour l'entreposage à long terme et : « le choix entre stockage et entreposage est donc un choix par la société et c'est au politique et non au technicien... de trancher »32.

3.3.1. Pourra-t-il y avoir succession de phases d'exploitation actives et passives ?

Si tout porte à croire que les concepteurs d'installations d'entreposage à long terme auront à c_ur de les concevoir de façon à minimiser les risques éventuels d'agression externe, il faut bien admettre que la possibilité de maintenir l'intégrité des structures et des équipements de sécurité sur une durée de plusieurs siècles sera difficile à démontrer.

Or, dans les recherches actuelles33 on envisage un fonctionnement qui reposerait sur l'alternance de phases de sécurité active et de phases de sécurité passive.

Pendant les périodes de chargement et de reprise du combustible irradié, s'appliqueraient les règles de sécurité habituelles pour toutes les exploitations nucléaires mais on pourrait ensuite passer à une période de sécurité dite passive où la surveillance serait induite et où on ferait avant tout confiance à « la robustesse du système » qui permettrait de gérer les installations en « maximisant la passivité ».

Cette position qui tendrait à accréditer l'idée qu'un entreposage à long terme ne poserait, au bout d'un certain temps, pas plus de problèmes qu'un stockage souterrain, nous paraît pernicieuse.

Une installation d'entreposage à long terme, quelles que soient ses modalités de conception, restera une installation fragile qu'il faudra protéger des agressions externes et dont il faudra, en permanence, contrôler le vieillissement.

Plusieurs visites au centre d'entreposage des combustibles exotiques CASCAD à Marcoule, nous ont bien montré que cette installation ne pouvait fonctionner de façon sûre que parce qu'elle était située au sein d'un centre nucléaire actif et bien surveillé où on peut, à tout moment, disposer de toutes les compétences voulues.

Ce concept d'entreposage à long terme ne peut se concevoir que dans l'hypothèse du maintien d'une industrie nucléaire forte. Tenter d'accréditer qu'il serait possible, un jour, de se contenter d'une surveillance légère et non spécialisée comme ce sera le cas après la fermeture du centre de l'ANDRA dans l'Aube, n'est ni réaliste, ni honnête. Une installation d'entreposage restera, tant qu'elle contiendra du combustible irradié, une INB potentiellement dangereuse dont il est difficile de prévoir, a priori, l'évolution. Il faut donc souhaiter, comme la Commission Nationale d'Evaluation que les recherches sur l'entreposage à longue durée : « mettent bien en lumière les éléments d'appréciation des incertitudes de nature scientifique liés à la surveillance et à la maintenance des colis et des installations d'entreposage ».

3.3.2. Le risque d'abandon et d'oubli des installations

La durée de l'entreposage à long terme qui n'est pas officiellement définie mais qui pourrait atteindre plusieurs siècles pose le problème de la continuité, à travers les générations, de l'efficacité de la surveillance et du contrôle.

Il ne faudrait pas, en effet, que sous la pression d'événements qu'il est impossible de prévoir dès maintenant, des installations d'entreposage, conçues au départ comme provisoires, soient peu à peu abandonnées et transformées, dans les faits, en centre de stockage définitif.

Les friches industrielles qui parsèment encore de nombreuses régions sont là pour rappeler que le délaissement, l'abandon et l'oubli d'installations parfois dangereuses n'est pas une hypothèse d'école.

Comme le faisait remarquer l'Agence de l'Energie Nucléaire de l'OCDE : « Les solutions d'entreposage provisoires qui sont synonymes de surveillance et de transmission de responsabilité à long terme des déchets aux générations futures peuvent finalement être négligées par les sociétés de demain dont on ne peut préjuger de la stabilité »34

Il convient donc de s'interroger sur la façon dont on pourra transmettre non seulement la mémoire du site mais aussi le savoir-faire qui rendent possible le maintien de la sécurité. Il y a donc là une question de confiance dans les générations qui nous succéderont : « celle de transmettre non seulement le risque mais également les moyens qui permettent la coexistence entre l'homme et ce potentiel de danger que représente le site de stockage »35.

Cette remarque faite à propos des stockages souterrains s'applique, a fortiori, aux entreposages qui nécessitent une surveillance active et un contrôle continu.

L'étude précitée cherche à montrer qu'il est possible de transmettre un patrimoine de sécurité et prend pour cela exemple de l'Inspection générale des carrières de la Ville de Paris qui, depuis 1777 et à travers tous les bouleversements de notre histoire, continue à gérer et prévenir les risques créés par l'exploitation souterraine de la pierre pendant 10 siècles au-dessous de la Ville de Paris.

Tout doit être fait dans la conception des installations d'entreposage pour minimiser les contraintes qui pèseront sur les générations futures en raison des options prises par les générations contemporaines ; il faut donc, dès maintenant, prévoir les modes de gestion qui assureront un niveau de sûreté le plus élevé possible au moindre coût.

Le choix du dispositif de contrôle et de surveillance chargé d'assumer la transmission de l'information à travers les siècles sera primordial et ne relève pas de critères scientifiques ou techniques : c'est avant tout un choix politique qui devra être assumé par notre génération.

La mise en place de ce dispositif de contrôle et de surveillance passe par la création d'une institution, ou par la confirmation d'une institution existante, étroitement dépendante de l'Etat.

Le recours à des organismes privés, toujours susceptibles de disparaître ou de changer d'activité, tels qu'ils existeront ou tels qu'ils sont envisagés dans plusieurs pays, ne pourraient assurer que la gestion du risque continuera à se faire dans les conditions prévues au départ. A l'heure actuelle et jusqu'à preuve du contraire, seuls les états assurent la permanence et la stabilité nécessaire pour susciter la confiance du public dans des installations qui seront, à tort ou à raison, perçues comme particulièrement dangereuses.

3.3.3 L'entreposage à long terme aura un coût

Actuellement, en France, les combustibles irradiés après un court passage dans les piscines des centrales sont envoyés à la COGEMA qui en assure l'entreposage dans ses propres piscines de l'usine de La Hague.

Tous les combustibles irradiés entreposés à La Hague étant considérés comme : « en attente de retraitement », le coût de l'entreposage est dès lors inclus dans le coût total des opérations de retraitement.

A partir du moment où une partie de ces combustibles va être considérée comme : « non immédiatement retraitable », les frais afférents à l'entreposage vont devoir être identifiés et individualisés.

Que cette activité d'entreposage continue à être effectuée par l'usine de La Hague ou qu'il soit décidé de créer des installations spécifiques, le coût réel de l'entreposage devra faire l'objet de prévisions qui devront également comprendre les dépenses à prévoir pour les opérations de reprise des colis en fin d'exercice.

Même s'il est encore difficile de faire une évaluation précise, il apparaît de façon évidente que la solution de l'entreposage temporaire sera plus coûteuse que celle du stockage direct définitif.

La surveillance, le contrôle, la maintenance d'installation de type industriel devront être financés sur une durée qui pourrait atteindre trois siècles, ce qui ne serait pas le cas pour les centres de stockage souterrains après leur fermeture. Cette donnée devra être prise en compte par les décideurs politiques lors du choix entre entreposage provisoire ou stockage définitif des combustibles irradiés.

De même qu'il faudra prévoir au mieux la permanence des institutions chargées de l'entreposage, il faudra aussi s'inquiéter, dès le départ, de la permanence de leur financement.

Dans le monde deux systèmes existent actuellement. Certains pays comme la Suède ont créé un fonds spécialisé qui accumule les sommes qui seront, dans le futur, nécessaire au démantèlement des centrales et au traitement des déchets. Dans d'autres pays comme la France, la gestion des déchets, dont feront partie les combustibles non retraités, fait l'objet de provisions inscrites dans les comptes des producteurs d'électricité.

La solution française, qui peut se justifier quand il n'existe qu'un seul producteur d'électricité, consiste à faire un pari sur le maintien de la situation actuelle et, en réalité, à faire supporter par les futurs consommateurs d'électricité les frais générés par leurs prédécesseurs.

A partir du moment où, faisant peu de cas de l'avis du Parlement, des responsables d'EDF déclarent eux-mêmes : « Est-il inscrit quelque part qu'EDF restera un établissement public à caractère industriel et commercial jusqu'à la fin du troisième millénaire ? »36, il paraît tout à fait normal de s'interroger sur la pertinence du système de provision interne qui a existé jusqu'ici.

Si une libéralisation totale devait se réaliser, il conviendrait d'en tirer les conclusions sur le plan de la gestion des déchets radioactifs de l'entreposage à long terme des combustibles irradiés et d'envisager la création d'un fonds indépendant des producteurs d'énergie nucléaire comme cela se fait dans la majorité des pays étrangers.

4. Quel concept d'entreposage devra-t-on retenir ?

Si tous les experts et les responsables du secteur nucléaire semblent désormais d'accord pour estimer que l'entreposage à long terme est devenu une nécessité « incontournable », la définition des modalités techniques selon lesquelles cette opération pourra se réaliser ne semble pas encore faire l'objet d'un consensus, même si les études sur ce sujet ont très largement progressé depuis le précédent rapport de l'Office publié en 1996.

Pourtant le temps presse : si on se réfère à la loi de 1991, d'ici 2006 les études sur les entrepôts destinés à l'entreposage du combustible irradié devront faire la preuve que ceux-ci pourront accueillir de façon sûre, et au besoin pendant plusieurs siècles, des colis hautement radioactifs particulièrement dangereux pour l'environnement et la santé humaine. Ces études devront également démontrer qu'il sera possible, à tout moment, de récupérer les combustibles irradiés soit pour les retraiter, soit pour les envoyer en stockage définitif.

Différents concepts d'entreposage sont proposés, chacun d'entre-eux à ses avantages et ses inconvénients mais, comme le reconnaît la Commission Nationale d'Evaluation malgré les études en cours : « Un certain nombre de points durs restent à instruire ».

D'ici 2006, date à laquelle le Parlement devra se prononcer sur les solutions à mettre en _uvre, il ne reste, en fait, que très peu de temps pour définir et concevoir ces entrepôts très spécialisés destinés à durer très longtemps et pour lesquels nous ne disposons que de très peu d'expérience.

Il existe bien actuellement en France et dans d'autres pays utilisant l'énergie nucléaire des installations qui accueillent des combustibles irradiés, mais elles n'ont été conçues que pour une cinquantaine d'années au maximum.

Les chercheurs et les experts vont avoir maintenant à s'engager sur des recommandations de conception et de fonctionnement pour des infrastructures qui dépasseront très largement la durée d'une vie humaine.

La fiabilité de l'entreposage sur le long terme dépendra, en effet, non seulement de la conception initiale mais aussi des possibilités de surveillance et de maintenance que pourront offrir les installations.

Comme le faisait remarquer le CEA : « Un entreposage c'est comme une voiture : sa durée de vie dépend non seulement de sa conception mais aussi de sa surveillance et de sa maintenance »37.

Comme cela a été dit précédemment, la sûreté de l'entreposage de longue durée reposera sur deux volets indissociables : la fiabilité des conteneurs et celle des entrepôts.

En ce qui concerne la conception des entrepôts, de nombreuses solutions peuvent être retenues, certaines s'adresseront spécifiquement à l'entreposage du combustible irradié, d'autres, en revanche, seraient susceptibles de s'adapter à tous les colis de déchets radioactifs existants. Toutes les options découlent cependant d'un choix technique de base entre :

- l'entreposage sous eau en piscine, que celle-ci ait été conçue spécifiquement pour cet usage ou non,

- et l'entreposage à sec dans des conteneurs adaptés placés soit en surface, soit en sub-surface.

Même sur cette orientation, pourtant fondamentale, aucune décision n'a été prise. Si on estime qu'une installation d'entreposage devra être opérationnelle d'ici une vingtaine d'années, il devient urgent de pouvoir disposer d'éléments d'appréciation assez précis, compte tenu des délais nécessaires à la prise de décision, au choix du site, à la construction et à la mise en service, éventuellement précédée d'une démonstration, des installations industrielles.

4.1. L'augmentation des capacités d'entreposage des piscines des centrales

L'entreposage en piscine à proximité des réacteurs est une technique utilisée dans toutes les centrales et dans le monde entier.

A chaque réacteur d'EDF est associé une piscine qui a été à l'origine conçue pour :

- préparer et accueillir le combustible neuf avant son entrée dans le réacteur,

- recevoir le combustible usé à la sortie du réacteur pour une première phase de refroidissement,

- recevoir, en cas d'incident ou d'accident, le combustible présent dans le c_ur qu'il faudrait décharger rapidement.

A la sortie du réacteur, le combustible irradié est entreposé dans la piscine des centrales pendant environ deux années afin d'obtenir un refroidissement suffisant pour permettre les opérations de transfert.

A l'issue de ces deux années, le combustible est envoyé à l'usine de retraitement de La Hague qui dispose elle aussi de piscines d'entreposage.

Les piscines des centrales sont donc essentiellement utilisées pour entreposer très provisoirement le combustible irradié, c'est la raison pour laquelle elles ont été conçues, à l'origine, de taille relativement modeste. D'une manière générale, on ne trouve dans ces piscines que le dernier tiers du c_ur déchargé, le volume nécessaire à un déchargement d'urgence d'un c_ur entier de réacteur devant à tout moment rester disponible pour des raisons évidentes de sécurité.

Les éléments de combustible sont disposés verticalement à l'intérieur de caissons « les racks » solidaires de la structure de la piscine. Ce sont ces caissons qui assurent la rigidité de l'ensemble. Ils permettent, en outre, de fixer la distance de sécurité entre les éléments de combustible car il ne faut pas oublier que les matières fissiles qu'ils contiennent, si elles étaient entreposées dans un volume trop limité, pourraient créer une « masse critique » générant une réaction nucléaire incontrôlée.

Un des rôles essentiels des racks est donc de maintenir les matières fissiles suffisamment éloignées pour éliminer tout risque de réaction nucléaire spontanée et incontrôlée. La sous-criticité est donc assurée par la distance de séparation des racks (41 cm) mais aussi par la présence de bore dilué dans l'eau de la piscine dont les qualités neutrophages renforcent la sécurité.

La piscine n'est pas un accessoire mais un élément essentiel de fonctionnement d'une centrale mais elle n'apporte qu'une solution très provisoire au problème de l'entreposage des combustibles irradiés.

Si la sortie, au bout de deux ou trois ans, de ce combustible se révèle impossible, ce qui est le cas dans certaines installations américaines ou allemandes, la centrale est condamnée à s'arrêter très rapidement.

La saturation des piscines, en empêchant le départ des combustibles vers les usines de retraitement ou vers un centre de stockage, est d'ailleurs un des moyens employés par les groupements antinucléaires pour tenter d'obtenir l'abandon de l'énergie nucléaire.

Cela est d'autant plus facile que la capacité disponible pour le combustible irradié se déduit de la capacité totale de la piscine à laquelle on doit retrancher la place nécessaire pour décharger un c_ur complet de réacteur, pour recevoir une recharge de combustible neuf et pour entreposer divers déchets radioactifs comme les commandes de grappes usagées.

Les capacités d'entreposage de combustibles irradiés dans les piscines des centrales d'EDF sont donc très limitées et correspondent à environ deux ans de fonctionnement, ce qui explique qu'elles soient actuellement saturées, mises à part celles des centrales les plus récemment ouvertes comme Chooz ou Civaux.

4.1.1. La technique du rerackage

Confrontés à l'impossibilité d'évacuer les combustibles usés, les producteurs d'électricité américains ont décidé d'augmenter la capacité d'entreposage de leurs piscines. Depuis le début des années 1970, aux Etats-Unis, près de 150 opérations de densification de l'entreposage ont été conduites, parfois à deux ou trois reprises dans la même piscine.

Cette technique de densification qui porte le nom de rerackage (de l'anglais reracking) consiste à modifier les caissons réceptacles des éléments combustibles afin de réduire les distances de séparation et par voie de conséquence à augmenter le nombre d'éléments susceptibles d'être entreposés dans un volume identique.

Pour faire face au risque accru de criticité, cette technique implique d'avoir recours à des matériaux neutrophage soit entre les caissons, soit dans les parois même des caissons. C'est ainsi qu'au lieu de l'intervalle de 41 cm entre les râteliers prévu initialement, on peut passer à « un pas de stockage » de 24 cm seulement mais en utilisant un matériau absorbant les neutrons du bore ou du cadmium en général.

La transformation des installations relativement simple à mettre en _uvre est très largement utilisée aux Etats-Unis et est désormais envisagée en Europe et au Japon. Elle permet d'augmenter les capacités d'entreposage de façon appréciable. En effet, si on prend l'exemple des piscines des centrales françaises de 900 MW (pallier CP1/CP2), on pourrait, après rerackage, introduire :

- dix râteliers de 8 X 8, soit 640 alvéoles

- deux râteliers de 8 X1, soit 176 alvéoles

ce qui conduirait à avoir 816 alvéoles disponibles, soit 16/3 de c_ur. La capacité utile de la piscine se trouverait donc triplée.

EDF a déjà réalisé le rerackage de la tranche 2 de la centrale de 1300 MW de Penly.

4.1.2. Le statut juridique des piscines de centrales

Si la faisabilité technique des opérations de rerackage ne semble pas poser de problèmes, il n'en va pas de même du statut juridique des installations ainsi transformées.

Comme cela a été indiqué précédemment, les piscines situées dans l'enceinte des centrales nucléaires ont été, à l'origine, conçues comme des moyens d'entreposage tout à fait temporaires et limités.

En augmentant les capacités d'accueil de ces piscines, on modifierait profondément leur raison d'être en en faisant un lieu d'accueil quasi-permanent d'éléments combustibles à divers stades de refroidissement qui auraient dû être transférés dans d'autres structures.

Sur le plan de la sûreté de ces opérations, l'accord formel des Autorités de sûreté, qui constitue un préalable à l'engagement de tout travaux, apporte une garantie suffisante.

Mais il existe aussi un impératif d'ordre légal. Si, à la suite du rerackage, des combustibles sont destinés à séjourner un temps relativement long dans les piscines, celles-ci deviennent des INB (Installations Nucléaires de Base) spécifiques, destinées à l'entreposage au sein d'une autre INB destinée, quant à elle, à la production d'énergie.

Par le biais de cette opération, on assiste dans les faits à la création d'une INB Nouvelle. Dans ce cas, toutes les dispositions relatives au contrôle des INB doivent s'appliquer, ce qui ne manquera pas de poser de nombreuses difficultés techniques telles que la délimitation d'installations fortement imbriquées les unes dans les autres.

La réouverture d'enquête d'utilité publique sur des dossiers aussi techniques et aussi ponctuels risque, en outre, de générer des réactions des populations concernées et de perturber le fonctionnement de l'ensemble des centrales.

D'autre part, les dispositions relatives au contrôle des matières nucléaires et à la non prolifération devraient également s'appliquer, ce qui rendrait beaucoup plus compliquée la gestion quotidienne des installations.

L'augmentation des capacités d'entreposage du combustible irradié par le rerackage des piscines des centrales ne peut constituer qu'un pis aller dans l'attente de solutions véritablement adaptées au long terme. Cette technique, même si elle permet de gagner quelques années, n'est pas à la dimension du problème posé par le non-retraitement immédiat d'un tiers du combustible irradié sortant des centrales françaises. Malgré ses avantages pratiques, elle ne devra être utilisée qu'avec beaucoup de circonspection et ne pourra en aucun cas servir d'alibi pour retarder la recherche d'une véritable solution à l'entreposage à long terme.

4.2. L'entreposage à long terme dans les piscines des usines de retraitement

Pour ses besoins propres, l'usine de retraitement de la COGEMA à La Hague dispose de piscines où le combustible irradié provenant des piscines des centrales peut rester en attente jusqu'au début des opérations industrielles.

Initialement, ces piscines constituaient des réserves de combustible en attente de retraitement et permettaient d'éviter les ruptures d'approvisionnement.

La capacité de ces piscines est beaucoup plus importante que celle des centrales puisqu'elles permettraient d'entreposer environ 18 000 tonnes de combustible irradié, l'autorisation des autorités de sûreté limitant toutefois, pour le moment, la capacité d'accueil à 14 000 tonnes.

Selon la COGEMA, l'extension de l'entreposage à 18 000 tonnes, si elle était autorisée par la DSIN (Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires), ne poserait pas de problèmes techniques. Les éléments combustibles séjournent dans les piscines de La Hague de 3 à 5 ans afin de parfaire leur refroidissement.

Le volume du retraitement du combustible d'EDF ayant, depuis 1995, été fixé à 850 tonnes par an, ce sont d'ores et déjà de l'ordre de 7 000 tonnes de combustible irradié qui sont entreposées à La Hague, ce qui représente environ 50 % de la capacité utile des piscines de la COGEMA. Il faut également noter que ces piscines reçoivent aussi du combustible étranger en attente de retraitement dans le cadre des contrats passés avec des producteurs d'électricité européens et japonais.

4.2.1. Les avantages de l'entreposage dans les piscines des usines de retraitement

L'entreposage en piscine ne constitue certainement pas une solution adaptée au très long terme.

Toutefois, en ce qui concerne le court et le moyen terme comme c'était le cas jusqu'ici, il est indéniable qu'un entreposage centralisé dans les installations des usines de retraitement est de loin préférable au maintien du combustible dans les piscines des centrales même réadaptées.

Il est tout d'abord plus économique d'avoir de grandes installations centralisées et spécialisées plutôt que de multiplier les petites unités sur l'ensemble du territoire.

Mais c'est surtout en matière de sûreté que les piscines des usines de retraitement présentent des avantages indéniables sur celles des électriciens. On a en effet enregistré, dans le monde, plusieurs cas de contamination de piscines de centrales, ce qui s'explique par le nombre de man_uvres qu'on est obligé d'y effectuer. Les piscines des usines de retraitement, uniquement destinées à l'entreposage, très contrôlées offrent en revanche un niveau de sûreté beaucoup plus élevé.

Enfin, les responsables des usines de retraitement ont doté leurs piscines, uniquement destinées à assurer le refroidissement du combustible, d'appareillages très sophistiqués de contrôle des températures dont il serait difficile d'équiper toutes les piscines situées dans l'enceinte des centrales.

La solution actuelle qui consiste à évacuer le plus tôt possible le combustible irradié des piscines des centrales vers celles de La Hague est donc de loin la plus satisfaisante, du moins pour ce qui concerne les combustibles français.

4.2.2. L'évolution des capacités d'entreposage en piscine du combustible irradié

Si les prévisions de sortie du combustible nucléaire irradié des centrales d'EDF, environ 1 150 tonnes par an, et le rythme de retraitement, environ 850 tonnes par an, restent stables, il sera alors possible de prévoir l'évolution de l'encombrement des piscines d'entreposage pour les années à venir.

Pour établir ses prévisions, EDF a pris en compte une stabilisation de la production d'électricité d'origine nucléaire à environ un peu moins de 400 Twh par an, associé à une augmentation de l'irradiation du combustible (+ 2 % par an), ce qui réduit d'autant les quantités de combustible qui sortiraient chaque année des centrales. En revanche, EDF a tenu compte d'une augmentation des déchets irradiants entreposés dans ses piscines (+ 3 %) qui diminuera d'autant le volume disponible pour le combustible irradié.

Dans ces conditions et toujours dans l'hypothèse d'un retraitement de 850 tonnes par an, les capacités d'entreposage en piscine seraient suffisants jusqu'en 2020.

Si le volume de retraitement devait être réduit à 650 tonnes par an, la saturation des piscines interviendrait alors dès 2015.

Pour établir ces prévisions, il a été tenu compte des demandes d'entreposage des combustibles étrangers en attente de retraitement qu'on peut estimer à quelque 2 ou 3 milliers de tonnes.

Ainsi, avec une marge de 15 à 20 ans, on pourrait donc considérer que la situation est encore loin d'être critique. Il ne faut cependant pas oublier :

- que le temps « nucléaire », c'est-à-dire l'intervalle entre la prise de décision et la réalisation d'une installation, est d'au moins dix ans,

- et que pour le moment la COGEMA n'est autorisée à entreposer que le combustible irradié en attente de retraitement, ce qui laisse entier le problème du combustible destiné au « retraitement différé » et du combustible MOX s'il ne devait pas, en définitive, être retraité.

Même si techniquement le retraitement du combustible MOX irradié est faisable au moins une fois, EDF estime qu'économiquement cette solution n'aurait pas d'intérêt à l'heure actuelle. Ces combustibles devront donc rester entreposés pendant plusieurs années en piscine ou à sec pour assurer leur refroidissement, beaucoup plus long que pour le combustible UOX, et pour attendre soit un très hypothétique retraitement, soit un stockage définitif en site profond. Pour les combustibles MOX, il faudra attendre une centaine d'années pour que la puissance thermique résiduelle soit équivalente à celle des combustibles UOX au bout de 5 à 6 ans.

Affirmer que les piscines actuellement en service suffiront pour assurer l'entreposage à long terme reviendrait donc :

- à faire fi de la réglementation actuelle qui interdit de les utiliser pour cet usage,

- à vouloir ignorer que le retraitement différé d'un tiers du combustible UOX ne se fera, s'il se fait, peut-être qu'au bout de plusieurs siècles,

- à passer sous silence les conséquences du non-retraitement éventuel du combustible MOX.

L'augmentation de la capacité d'entreposage de l'usine de La Hague pourrait être obtenue soit par rerackage des piscines comme dans les centrales, soit en en construisant de nouvelles. Si la construction de nouveaux équipements ne poserait, semble-t-il, pas de problèmes techniques importants, le rerackage constituerait une opération beaucoup plus compliquée que dans les piscines des centrales puisqu'il faudrait alors changer l'ensemble des paniers dans lesquels sont disposés les assemblages, ce qui conduirait à redisposer la totalité du combustible présent dans la piscine.

Dans l'un et l'autre cas, les travaux devraient recevoir l'autorisation des autorités de sûreté après avoir au préalable fait l'objet d'une enquête d'utilité publique ce qui, si on se réfère aux exemples récents, ne serait pas une simple formalité et déclencherait très certainement des man_uvres d'obstruction ou de retardement de la part des opposants à l'extension des activités de l'usine de La Hague.

4.2.3. Les risques d'accidents et d'incidents liés au stockage en piscine

Si on dispose désormais d'une expérience relativement longue du fonctionnement des piscines, la connaissance du comportement réel des gaines des éléments combustibles dans l'eau reste limitée. Certes, des expériences sur des quantités non significatives de combustible sont en cours et atteignent, pour certains éléments particuliers, des durées de l'ordre de 120 ans, il n'en demeure pas moins que toute extrapolation sur plusieurs centaines d'années resterait très problématique.

Certains spécialistes semblent cependant assez confiants et évoquent des durées de résistance en milieu aqueux supérieures à 500 ans avec des tenues de gaines suffisantes pour assurer la reprise des combustibles.

Des études sur le vieillissement accéléré des gaines de combustible devraient apporter des éléments de réponse à cette question qui devient fondamentale. Il serait, en outre, intéressant de connaître le résultat des recherches réalisées sur le comportement des matériaux irradiés sous eau entreprises dans d'autres pays comme la Suède ou les Etats-Unis qui conservent des assemblages entreposés sous eau depuis plus longtemps que la France (30 ans aux Etats-Unis).

En ce qui concerne les installations des piscines elles-mêmes, l'expérience montre qu'elles ne sont pas à l'abri de perturbations et d'incidents qui restent toutefois la plupart du temps mineurs :

- perte de l'alimentation électrique et donc perte du refroidissement,

- défaillance des matériaux,

- fuites et perte d'eau,

- erreurs de manipulations,

- contamination de l'eau par des éléments devenus défectueux...

L'accident le plus grave qui pourrait survenir serait certainement la perte totale de l'eau, à la suite par exemple d'un séisme, ce qui a conduit à prendre toute une série de précautions lors de la conception des piscines.

En cas de perte totale des capacités de refroidissement, cas extrêmement rare car les systèmes d'alimentation sont multiples et redondants, on disposerait en principe d'un temps largement suffisant pour prendre des mesures correctives mais à la condition, bien entendu, que les installations soient surveillées en permanence.

On retrouve là un problème déjà signalé dans les chapitres précédents : les piscines sont des installations industrielles, où la sécurité doit être assurée de façon active, et qui ne pourraient donc pas être délaissées comme pourront l'être les dépôts souterrains après leur fermeture.

Les piscines d'entreposage doivent faire partie d'un ensemble d'installations nucléaires en activité et on ne voit pas comment ce mode d'entreposage pourrait subsister en cas d'abandon total de l'énergie nucléaire.

La possibilité de créer dans le périmètre de l'usine de retraitement de nouvelles piscines dédiées à l'entreposage hors circuit de retraitement est toujours envisageable. Les plans existent et les modalités de construction déjà définies ont été acceptées par les autorités de sûreté.

Il n'en demeure pas moins que cette solution ne pourrait être que très provisoire et ne saurait se substituer à la réalisation d'installations mieux adaptées à l'entreposage à long terme.

4.3. L'entreposage centralisé en piscine : l'exemple du CLAB suédois

Les suédois qui, dès le départ, ont décidé de ne pas retraiter le combustible irradié, ont opté pour un entreposage intérimaire, sous eau, mais en centralisant tout le combustible de leurs 4 centrales dans une seule installation : le CLAB.

Votre rapporteur doit à la courtoisie de la SKB (Société suédoise pour la gestion des déchets radioactifs) d'avoir pu visiter longuement cet équipement situé au bord de la mer à Oskarshamm au sud de Stockholm.

La SKB a choisi l'option de la subsurface et a fait creuser, dans le granite, une cavité de 120 m de long à -30 m de la surface. Cette installation comprend, outre les équipements de réception et de transfert, 5 piscines dont 4 sont consacrées à l'entreposage et 1 à la réception du combustible. Il s'agit d'un centre d'entreposage techniquement très élaboré ou de multiples précautions de sûreté ont été prises, en particulier contre d'éventuels aléas sismiques. Cette sophistication des équipements s'est traduite dans les coûts d'investissement, 3 500 MF, et dans les frais de fonctionnement qui devraient représenter jusqu'en 2060, 3 200 MF auxquels viendront s'ajouter, à partir de cette date, 250 MF de dépenses liées aux opérations de démantèlement.

La capacité maximum de ce dépôt est de 8 000 tonnes mais se sont en réalité 9 900 tonnes de combustible irradié qui devraient passer dans cette installation, ce qui suppose qu'une partie des assemblages les plus anciens devraient être désentreposés et envoyés en stockage définitif pour laisser la place à de nouveaux assemblages.

Un centre souterrain de stockage définitif devait être ouvert en 2020 mais le programme a pris du retard en raison de l'opposition, par référendum local, d'une partie de la population de la commune où il devait être implanté.

Comme la Suède a pris, en principe, la décision d'arrêter à terme la production d'énergie nucléaire, le CLAB devrait avoir une capacité suffisante pour recevoir la totalité du combustible sorti et à sortir des centrales.

La visite de cette installation laisse l'impression d'une très grande maîtrise technique et de la recherche d'une sûreté maximale. Le choix de la subsurface qui apporte une protection supplémentaire entraîne, néanmoins, une certaine complexité des opérations de transfert des installations de réception en surface vers la section d'entreposage en souterrain.

La chaîne de transfert est constituée d'un chariot au niveau du bâtiment de réception assurant le déplacement des casiers jusqu'à une position de levage. Un plateau tournant assure ensuite la rotation et la mise à l'aplomb du panier de levage, dans lequel se trouve le casier, en vue de sa descente dans le puits d'accès aux piscines. Au niveau des piscines d'entreposage, le panier et son casier sont déposés dans un chariot semblable à celui du niveau supérieur qui amène le casier en position de reprise par la machine desservant les piscines. Un amortisseur de chute est placé à la verticale du puits de descente.

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Entré en service en 1985, le CLAB n'a toutefois pas connu de défaillance notable et ses responsables pensent qu'il en sera de même pendant les 60 ans que durera l'entreposage.

On retire de la visite du CLAB une appréciation quelque peu contradictoire. D'un côté la qualité des équipements et la très grande sûreté de l'ensemble du dispositif ne peuvent qu'impressionner favorablement. En revanche, on peut aussi se demander si l'option de la subsurface, coûteuse et compliquée, est bien justifiée par le surcroît de sûreté et de sécurité qu'elle apporte. Pour le moment, il semble que cette solution n'ait été retenue par aucun autre pays connaissant des problèmes de gestion du combustible irradié.

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4.4. L'entreposage à sec en surface sur le site des centrales

Comme on l'a vu précédemment, l'entreposage en piscine atteint rapidement ses limites. Certains propriétaires de centrales, en particulier aux Etats-Unis, ont été confrontés, en l'absence de toute solution de stockage, à l'impossibilité de continuer à entreposer sous eau le combustible qu'ils déchargeaient des réacteurs et ont dû se résoudre à le stocker à sec dans des conteneurs spéciaux, dits châteaux, sur un terrain dans l'enceinte de la centrale.

Techniquement, il est admis que le combustible irradié, après une première période de refroidissement en piscine, peut être entreposé quelques temps à sec sous atmosphère inerte sans que cela pose de problèmes de sûreté.

En 1990, la NRC (Nuclear Regulatory Commission) a ainsi admis dans un document intitulé Waste Confidence Décision Review que des combustibles irradiés pourraient être entreposés de manière sûre pendant au moins 100 ans. La NRC estime que ce mode d'entreposage par sa simplicité, sa passivité et sa facilité de maintenance comporte moins de risques que l'entreposage en milieu aqueux, même si les accidents dans les piscines restent extrêmement rares. On peut se demander s'il ne s'agit pas, de la part de la NRC pourtant en général très sévère, d'un jugement de circonstance pour justifier une situation de fait qu'elle ne peut plus maîtriser.

Dans la plus grande discrétion, et sans aucun plan, les centrales américaines ont peu à peu ainsi accumulé 37 000 tonnes de matières hautement radioactives sur les terrains qu'elles possèdent et qui jouxtent leurs installations. Certains des conteneurs en béton ou métalliques qui contiennent les assemblages de combustibles irradiés se retrouvent ainsi à proximité d'autoroutes, d'agglomérations ou de captages d'eau potable.

A leur décharge, il faut reconnaître que les producteurs d'électricité américains n'avaient jamais eu l'intention de procéder ainsi. C'est la défaillance du DOE (Département Of Energy), qui n'a pas réussi à créer ni un stockage définitif, ni un entreposage intérimaire, qui les a conduits à adopter cette solution de fortune. 31 centrales sur 110 entreposent déjà le combustible irradié sur site alors qu'elles avaient contribué à doter le DOE d'un fonds de plus de 12 milliards de dollars destiné à la prise en charge de ce combustible. Actuellement, le DOE a déjà dépensé 5 de ces 12 milliards en études diverses sans aucun résultat tangible, ce qui a conduit les producteurs d'électricité à engager des poursuites judiciaires.

L'opposition forcenée de certains Etats et des opposants au nucléaire à toute implantation d'un centre de stockage ou d'entreposage a donc conduit à la situation paradoxale actuelle où on renonce à des modes de gestion bien étudiés et sûrs au profit d'un véritable bricolage qui n'offre aucune garantie de sûreté et surtout de sécurité.

De façon quelque peu surprenante, certains opposants au nucléaire se montrent d'ailleurs favorables à cette solution qui aurait l'avantage, selon eux, de supprimer les risques liés au transport.

Ce mode d'entreposage, il faut le reconnaître, qui est simple, peu coûteux et qui ne provoque que peu de réactions dans la population, constitue-t-il cependant une voie d'avenir à encourager ou au contraire un simple pis-aller adopté à la hâte par des électriciens qui allaient, sans cela, devoir se résoudre à fermer leurs centrales ?

Actuellement, des milliers d'assemblages de différents types sont entreposés depuis parfois plus de 30 ans et les responsables de ces dépôts estiment que le combustible irradié ainsi conservé est dans un état satisfaisant. Il faut toutefois noter que cet aspect du problème ne revêt pas une importance primordiale dans les pays qui ont décidé, dès le départ, de ne pas procéder au retraitement. En effet, dans ce cas, en fin d'entreposage, les conteneurs sont transportés tels quels vers les centres de stockage définitif sans avoir à être réouverts et sans que la question de l'état des gaines de combustible se pose véritablement. Il en irait tout autrement en France, en cas de retraitement différé, où il importera de savoir, dès le départ, si l'état du combustible en fin d'entreposage autorisera sa reprise et toutes les manipulations imposées par le retraitement.

Les châteaux d'entreposage qui sont, en fait, d'énormes cylindres de béton de 130 tonnes, ont été conçus pour résister aux ouragans ou au choc d'une automobile projetée contre eux mais certains ont connu des défaillances, des crevasses étaient apparues dans les soudures des couvercles qui assurent la fermeture.

Bien que des systèmes d'alarme assez sophistiqués aient été en général prévus, la principale objection que l'on peut faire porte avant tout sur les conditions de sécurité de ce mode d'entreposage qui laisse des quantités importantes de matières hautement radioactives sans réelle protection contre les intrusions et éventuellement contre les agressions.

Votre rapporteur, avec M. Henri Revol, Président de l'Office, a eu l'occasion de constater près d'une centrale américaine (voir photo ci-après) qu'il était relativement facile de s'approcher de ces dépôts qui ne sont protégés que par un simple grillage. La multiplication des sites d'entreposage, un par centrale, rend la surveillance très difficile et multiplie les risques, alors qu'un dépôt unique centralisé pourrait certainement bénéficier d'une protection efficace.

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Si la présente étude a une justification, c'est bien d'alerter à temps les responsables politiques français sur le devenir des combustibles irradiés pour éviter qu'EDF se retrouve, un jour, dans l'obligation d'adopter l'entreposage à sec sur le site des centrales. L'échec du DOE démontre qu'il faut beaucoup de temps et une grande détermination pour venir à bout de ce problème, raison de plus pour s'y attaquer dès maintenant !

4.5. Le stockage souterrain réversible

L'entreposage de longue durée en surface ou en subsurface, tel qu'il est envisagé pour les combustibles irradiés non immédiatement retraités, a pour lui l'avantage de la flexibilité mais a, en revanche, l'inconvénient, pour nous mais aussi pour les générations futures, de reposer sur des installations relativement fragiles, coûteuses et qui ne résolvent pas définitivement le problème du sort définitif des combustibles qu'elles contiennent.

D'où la tentation d'allier les garanties de sécurité offertes par le stockage en couches géologiques profondes à la flexibilité de l'entreposage en prévoyant que le stockage souterrain pourrait être « réversible ».

Il s'agirait en fait de créer un entreposage en profondeur convertible, le cas échéant, en stockage définitif.

La distinction entre le stockage et l'entreposage peut parfois paraître assez ténue mais la loi du 13 juillet 1992 sur les déchets industriels a pourtant bien précisé l'usage qui doit être fait de ses deux termes : le stockage définitif, qui se traduit en fait par un abandon, ne peut concerner que des déchets ultimes qui ne sont pas « susceptibles d'être traités dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par l'extraction de la part valorisable... ».

Or, il est évident que les combustibles irradiés sont, dans les conditions techniques et économiques actuelles, des matériaux potentiellement valorisables. Il ne pourrait donc pas être question d'un stockage réversible comme pour certains déchets mais d'un entreposage provisoire transformable en stockage.

Il est certain que la couche géologique apporterait une barrière protectrice supplémentaire qui éliminerait une grande partie des risques de sûreté (chutes d'avion, séisme...) mais qui résoudrait également la plupart des problèmes de sécurité (intrusions, attaques terroristes...).

A la demande du Gouvernement, l'ANDRA38 ainsi que la Commission Nationale d'Evaluation39 ont longuement réfléchi sur les aspects scientifiques et techniques ainsi que sur le rôle de la réversibilité.

L'avis de la CNE est clair : « l'entreposage de longue durée en surface ou en subsurface semble le mieux adapté à la volonté de reprendre les combustibles usés pour les valoriser ou les transformer ».

De fait, si la réversibilité des colis disposés dans des galeries profondes semble techniquement possible, ce ne sera jamais une opération facile même pendant la période où le centre de stockage sera en activité.

La réversibilité des stockages souterrains doit donc être envisagée comme une mesure de précaution laissant aux générations qui nous suivront la possibilité de revenir sur nos choix et non comme un mode de gestion des combustibles irradiés.

Il ne faut pas oublier que toute manipulation de matière hautement radioactive comporte des risques pour la santé humaine et l'environnement ; il faut donc rendre le désentreposage le plus sûr et le plus facile possible, ce qui ne serait pas le cas pour des opérations se déroulant dans des galeries situées à très grande profondeur.

Il n'en n'irait pas de même s'il apparaissait dans quelques temps que le combustible irradié, et surtout le combustible MOX, ne devait manifestement pas faire l'objet d'un retraitement. Ce combustible passerait alors du statut de matière potentiellement valorisable à celui de déchet et rien ne s'opposerait plus alors à son stockage souterrain qui pourrait être prévu comme réversible, au moins dans un premier temps, à titre de précaution.

4.6. L'entreposage en subsurface et l'entreposage/stockage sous collinaire

A partir du moment où on considère que le passage en piscine ne peut concerner qu'une phase relativement brève de l'ensemble du processus et que l'entreposage à sec sur le site des centrales n'est qu'un pis-aller qu'il ne convient pas d'imiter dans notre pays, la nécessité de créer une ou plusieurs installations spécifiques destinées à centraliser l'ensemble du combustible irradié en attente va se faire sentir très rapidement.

Ces installations d'entreposage de longue durée pourront être situées en surface ou en subsurface, c'est-à-dire à quelques dizaine de mètres en-dessous du niveau du sol.

Lors du comité interministériel du 2 février 1998, le Gouvernement a demandé au CEA d'étudier la faisabilité d'un centre d'entreposage en subsurface en comparant les avantages et les inconvénients de cette solution par rapport à ceux de l'entreposage en surface.

Dans la lettre adressée à l'Administrateur général du CEA, les ministres concernés ont souhaité que soit exploré : « le concept de l'entreposage en subsurface qui n'est pas explicitement prévu dans le champ des recherches prévues par la loi de 1991 ». Le Gouvernement était conscient : « qu'un tel concept est de nature à soulever d'importantes difficultés, tant d'ordre technique que juridique et que la faisabilité et l'intérêt réel d'un entreposage en subsurface doivent être appréciés sur une base scientifique objective ».

Le CEA avait donc à étudier puis à évaluer l'intérêt de cette solution par rapport à l'entreposage en surface et à proposer plusieurs concepts de réalisation de ce type d'installations.

4.6.1. Avantages et inconvénients de l'entreposage en subsurface

Pas plus que l'entreposage en surface, l'entreposage en subsurface n'est pas destiné à devenir définitif, il ne doit donc pas y avoir de confusion avec le stockage souterrain actuellement étudié par l'ANDRA.

La subsurface n'est donc qu'une modalité parmi les centres d'entreposage à long terme, la seule différence notable étant que les installations seraient situées à quelques dizaines de mètres de profondeur dans le cas d'un creusement en plaine et à quelques dizaines de mètres au-dessus du sol dans l'éventualité d'un creusement à flanc de relief dit sous-collinaire.

Autre différence avec le stockage souterrain, la sûreté des installations ne reposerait pas sur les propriétés de confinement des formations géologiques, celles-ci ne jouant pas le rôle de « barrière » mais assurant une simple protection physique contre certains impacts extérieurs (chute d'avion, de météorites, attaque par missiles ou armes lourdes...).

La surveillance et le gardiennage se trouveraient également facilités en raison du faible nombre d'accès au site.

En ce qui concerne les aléas sismiques, on estime généralement que leur amplitude est plus faible en profondeur qu'en surface mais on ne dispose, apparemment pas de données suffisantes pour évaluer l'importance de la diminution des dommages, d'autant que cela doit dépendre en grande partie des caractéristiques de la roche et du site.

L'analyse conduite par le CEA a permis de dégager 7 concepts principaux d'entreposage en subsurface mais en fait deux configurations distinctes se dégagent, les installations pouvant être situées :

- soit en plaine, les combustibles étant placés dans une excavation à quelques dizaines de mètres de la surface, l'accès se faisant par des puits verticaux

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- soit dans des galeries creusées horizontalement sous une colline ou en rebord d'un plateau

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Selon l'étude du CEA, l'entreposage en subsurface entraînerait des surcoûts par rapport aux installations de surface. Ces surcoûts pourraient cependant être limités par le choix d'un site dans des roches très résistantes, la formation géologique assurant alors les fonctions de protection assumées en surface par le béton.

Dans ces conditions, quel intérêt y aurait-il à privilégier la subsurface ?

La réponse doit être nuancée en fonction du type de solution qui serait choisie.

Il est certain que le creusement d'une excavation, en plaine, entre 30 et 50 mètres sous la surface du sol, risquerait de cumuler un grand nombre d'inconvénients :

- le coût des travaux de l'excavation et de la descenderie,

- la complexité des moyens de manutention et de transfert des assemblages,

- les difficultés pour évacuer la chaleur et le risque d'avoir une très forte élévation de la température à proximité des colis,

- et surtout les risques d'inondation des installations qui imposeraient d'isoler l'entreposage des arrivées d'eau et de prévoir de puissants moyens de pompage.

Techniquement, ce genre d'installations ne présenterait pas de difficultés insurmontables mais on peut se demander si les quelques avantages qu'elles présenteraient compenseraient bien toutes complications qu'il faudrait supporter pendant peut-être deux ou trois siècles.

Il n'en va pas de même pour l'entreposage sous-collinaire qui permettrait d'éviter la plupart des inconvénients exposés ci-dessus et qui aurait, en outre, de nombreux avantages spécifiques.

L'implantation dans un massif en relief conduirait à prévoir des accès à l'horizontal, ce qui faciliterait les manutentions, les camions pouvant accéder directement jusqu'au lieu de l'entreposage. En choisissant des roches dures, granite ou calcaires, il serait possible d'éviter les travaux de soutènement des galeries, ce qui réduirait d'autant les coûts.

Comme pour tous les dépôts de combustibles irradiés, le principal problème à résoudre serait celui de l'évacuation de la chaleur mais, dans ce cas, la disposition sous-collinaire faciliterait la circulation de l'air par convection naturelle ainsi que le montrent les schémas 6-2, 6-3 et 6-4.

Autre avantage de ce concept d'entreposage, c'est son implantation au-dessus des nappes avec la possibilité de prévoir un drainage par gravité pour l'élimination des eaux d'infiltration sans aucun recours à des moyens mécaniques.

Le concept d'entreposage à longue durée basé sur une implantation du dépôt dans un massif de roches dures en relief avec accès à l'horizontale présente à l'évidence de nombreux avantages. La protection naturelle apportée par la formation rocheuse compenserait certainement une partie des surcoûts qu'entraîneraient les travaux de creusement par rapport à une installation de surface.

Il y a donc tout intérêt à ce que des recherches, peut-être mieux articulées entre le CEA et l'ANDRA, soient poursuivies activement dans ce domaine et qu'un premier recensement des sites possibles commence à être effectué malgré tous les risques de désinformation et d'agitation que provoque ce type de recherches.

4.6.2. Le projet de Yucca Mountain aux Etats-Unis

Les Etats-Unis qui ont pris la décision de ne pas retraiter ont désormais à gérer environ 30 000 tonnes de combustible irradié entreposées dans les piscines des centrales ou à proximité de celles-ci, à sec, dans des châteaux et en surface.

La situation devient critique et le Département de l'Energy est dans l'incapacité de prendre en charge le combustible irradié pour lequel les producteurs d'électricité avaient pourtant payé d'assez lourdes taxes destinées à couvrir les frais de stockage.

En 1987, le Congrès avait décidé de concentrer les études sur un site unique, celui de Yucca Mountain, dans le Névada, à 160 km de Las Vegas et dans les terrains de l'ancien Test Site où avaient été expérimentées les premières bombes atomiques.

Le projet de Yucca Mountain, qui ne concerne en principe que le stockage définitif des combustibles irradiés, présente néanmoins un grand nombre d'analogies avec ce que pourrait être un entreposage à long terme sous-collinaire :

- les colis devraient y être transportés assez rapidement ce qu'imposera de gérer un fort dégagement de chaleur,

- pendant une première phase qui pourrait durer jusqu'à 300 ans, les combustibles seront entreposés sous surveillance avec une possibilité de reprise à tout moment,

- l'installation consiste en un tunnel creusé à flanc de montagne et accessible par une rampe.

Toute la zone désertique où est située Yucca Mountain est constituée de cendres volcaniques solidifiées, le « tuff », dont l'épaisseur dépasse 1 600 m.

L'avantage principal de cette localisation, outre l'absence totale de population, est sa sécheresse : le site reçoit, en effet, moins de 15 centimètres d'eau par an, ce qui fait que seule une très faible partie de cette eau devrait atteindre la zone de stockage située à 450 m en-dessous de la surface.

Comme c'est le cas pour toutes les installations nucléaires aux Etats-Unis, le projet à dû faire face à de multiples recours judiciaires basés sur les motifs les plus divers : risques d'infiltration, risques de remontée des eaux, éventualité de la reprise des éruptions volcaniques... ! Cette multiplication des recours a entraîné par voie de conséquence la multiplication des études dont certaines peuvent apparaître comme carrément ubuesques !

Une galerie, quasi horizontale, d'environ 20 kilomètres de longueur, creusée à flanc de colline, permet un transfert aisé des colis vers le c_ur de la structure. Creusées dans le « tuff », à partir de cette galerie de pénétration, des chambres permettraient d'accueillir des conteneurs de combustible ou de déchets.

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Place des conteneurs dans les galeries

Le site de stockage définitif qui devrait représenter au total 120 km de galeries devrait être terminé en 2006 pour une ouverture en 2010.

L'ensemble du projet est évalué à 50 milliards de dollars dont 23 millions pour les coûts de construction eux-mêmes.

Votre rapporteur qui a pu visiter à deux reprises le chantier grâce à l'excellente coopération du DOE ne souhaite pas rentrer dans le débat sur la qualité du site mais il est persuadé que le principe de construction adopté est très prometteur, en particulier pour ce qui concerne la simplicité de transfert des colis. La voie d'accès horizontale facilite les manutentions aussi bien pour l'arrivée des colis que pour une éventuelle reprise si le besoin s'en faisait sentir.

Le problème de Yucca Mountain est aujourd'hui purement politique, les opposants, et notamment l'Etat du Névada, continuent à multiplier les recours, mais le dénouement de cet imbroglio dépend de la volonté du Président et du Congrès.

La raison va-t-elle l'emporter et va-t-on préférer une solution bien étudiée, bien réalisée et sûre pour des dizaines de siècles, à des solutions de fortune n'offrant, à moyen et long terme, aucune garantie sérieuse ?

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4.7. Les installations d'entreposage à sec en surface

A l'heure actuelle, dans le monde, des milliers d'assemblages de combustibles irradiés sont entreposés dans des installations spécialisées, parfois depuis plus de 30 ans.

L'industrie nucléaire dispose donc d'une expérience certaine en ce domaine mais il s'agit d'une expérience limitée puisque ces installations ont été prévues pour accueillir des colis pour une durée relativement courte, ainsi les référentiels de sûreté de l'installation française CASCAD ne prévoient une durée d'autorisation d'exploitation que de 50 ans.

Il va donc falloir transposer les données acquises dans les installations existantes pour que les futurs centres d'entreposage permettent d'envisager un fonctionnement qui s'étendra sur au moins 300 ans.

A la demande du Gouvernement français, afin de mieux structurer la recherche, le CEA a mis en place en 1997 le projet ETLD (Entreposage de Très Longue Durée).

L'objectif du projet ETLD est d'offrir au Gouvernement la possibilité de présenter en 2006 au Parlement un rapport détaillé lui permettant de faire un choix motivé aussi bien sur les sites que sur les concepts d'entreposage à retenir.

A l'heure actuelle, les grandes options qui devraient pourtant déterminer le type d'installations sur lequel devront se concentrer les recherches n'ont toujours pas été prises :

- entreposage à sec ou extension de la capacité des piscines,

- installation en surface, en subsurface ou sous-collinaire,

- centralisation de tous les combustibles irradiés en un même site ou multiplication des lieux d'entreposage,

- continuité forte ou faible par rapport au stockage définitif,

- adaptation des solutions existantes ou recherche de voies totalement innovantes... ?

Telles sont quelques unes des questions qui se posent et auxquelles il serait urgent de répondre si on veut engager des études techniques réalistes.

En ce qui concerne l'entreposage à sec en surface, trois options différentes sont actuellement envisagées dans le cadre du projet ETLD :

1) Une casemate en béton éventuellement semi-enterrée :

- pour un entreposage centralisé,

- acceptant plusieurs types de matières radioactives,

- bénéficiant du retour d'expérience des installations existantes,

- contenant des modules de grande capacité,

- refroidie par ventilation naturelle pour chaque module,

- protection radiologique assurée par le béton.

2) Une casemate en béton éventuellement semi-enterrée :

- pour un entreposage centralisé,

- acceptant tous les objets irradiants et chauds,

- minimisant l'emprise au sol par la densification de l'entreposage,

- à forte densité thermique,

- reposant sur un concept innovant de manutention des étuis placés ensuite dans des casiers fixes intégrés à l'entrepôt,

- continuité faible avec le stockage car un reconditionnement sera nécessaire,

- refroidissement évolutif au départ par thermoconvection d'eau puis par convection naturelle seule.

3) Des entrepôts modulaires :

- régionaux,

- strictement en surface,

- reposant sur des modules élémentaires d'entreposage assurant la protection radiologique mais aussi la reprise en fin d'entreposage pour l'envoi en stockage,

- refroidissement par ventilation naturelle,

- de conception simple inspirée des solutions existantes et par voie de conséquence d'un coût relativement modéré.

Comme le note la Commission Nationale d'Evaluation dans son rapport n° 6, l'ensemble des études conduites dans le cadre ce de projet : « forme un tout cohérent dont la réussite nécessite que tous les éléments du plan d'étude soient menés au même rythme et avec les moyens prévus ».

Or, la question est bien là : sera-t-on capable, avec l'organisation actuelle de la gestion de l'aval du cycle nucléaire et avec les moyens existants, de tenir le rythme prévu à l'origine ?

Il est tout à fait normal que des scientifiques veuillent explorer toutes les pistes possibles et fassent des recherches « tous azimuts » mais n'est-ce pas aussi de la compétence des autorités responsables de leur demander de concentrer leurs efforts sur les options les plus crédibles dans le contexte politique, économique et culturel de l'époque ?

Il existe, à l'heure actuelle, plusieurs installations d'entreposage qui fonctionnent correctement, la solution raisonnable serait certainement de s'inspirer de ces réalisations existantes sans chercher à tout prix les solutions les plus sophistiquées.

4.7.1. Le centre d'entreposage CASCAD du CEA

Située à l'intérieur du centre du CEA de Cadarache, la casemate CASCAD est une installation d'entreposage à sec de combustibles irradiés.

Mise en exploitation en Juin 1990, CASCAD a été prévue pour fonctionner pendant 50 ans, ce qui en fait donc une installation d'entreposage à moyen terme. L'analyse des principaux facteurs qui limiteraient la durée potentielle d'exploitation de CASCAD, comme la tenue du béton ou le vieillissement de l'acier des puits, servira à déterminer les axes de recherche pour passer du moyen terme au long terme en matière d'entreposage.

Un projet de construction d'une nouvelle installation d'entreposage à sec destinée à succéder à CASCAD quand cette dernière arrivera à saturation, a été lancé, ce qui pose d'ailleurs la question de la coordination de cette initiative avec le projet ETLD. Il en va de même pour un projet dénommé CEVEN lancé en 1999 qui aurait pour but de concevoir un entreposage de durée séculaire.

Votre rapporteur doit avouer qu'il a du mal à voir quelle est la logique qui sous-tend ces différents projets qui apparaissent être en contradiction avec d'autres études conduites elles aussi par le CEA !

La capacité d'entreposage de CASCAD repose sur 315 puits en acier de 8 mm d'épaisseur et de 7,7 mètres de hauteur.

Sont entreposés dans 143 de ces puits des éléments de combustible que leurs caractéristiques n'ont pas permis de retraiter dans des conditions techniques et économiques acceptables et qui proviennent :

- de la centrale de Brennilis

- de la propulsion navale

La protection biologique est assurée par les conteneurs, les parois des puits mais aussi par l'épaisseur des murs de la casemate. La chaleur dégagée par les combustibles est évacuée par la circulation naturelle de l'air.

Cinq personnes sont nécessaires pour assurer l'ensemble des opérations de maintenance.

Depuis son ouverture, cette installation n'a pas connu de problèmes majeurs concernant la sûreté.

Votre rapporteur a cependant pu constater sur place que certaines des solutions alors retenues ne le seraient certainement plus après un retour d'expérience d'un peu plus de 10 ans. C'est ainsi que l'absence de cellule blindée fait que pendant le chargement ou le déchargement des éléments du combustible, toute la salle de manutention devient inaccessible ce qui ne manquerait pas de poser des problèmes en cas d'avarie grave des mécanismes de transferts.

La France dispose donc d'ores et déjà d'une installation centralisée d'entreposage du combustible irradié, il faut donc désormais étudier une évolution du concept existant pour l'adapter à un entreposage de très longue durée.

Pour certains : « un tel objectif ne peut pas être atteint par un réajustement continu du référentiel de sûreté de l'installation au vu du comportement constaté dans la durée »40. Il faudrait donc redéfinir un ensemble de principes de sûreté adaptés à une installation séculaire.

On peut toutefois se demander si une simple extrapolation des règles méthodologiques actuellement en vigueur suffirait pour évaluer la faisabilité d'un entreposage à long terme à partir du moment où, comme c'est le cas pour CASCAD, l'installation serait implantée dans un centre nucléaire en activité. Cet entreposage à long terme, surveillé par des personnels qualifiés, pourrait alors, en cas de besoin, être adapté et modifié en permanence et même, si le besoin s'en faisant véritablement sentir, être remplacé par une nouvelle installation.

Le renouvellement périodique d'installations de courte durée ne paraît pas être une solution d'entreposage à long terme envisageable mais pourrait, en revanche, constituer un recours en cas d'avarie grave à condition qu'on accepté l'idée que l'entreposage à très long terme devra rester sous contrôle permanent d'autorités qualifiées ce qui pose, bien entendu, le problème du maintien d'une industrie nucléaire forte et bien structurée.

4.7.2. Le ZWILAG suisse

Votre rapporteur a eu la possibilité de visiter, avant sa mise en service, le centre suisse d'entreposage de déchets radioactifs en surface situé à Wurenlingen dans le canton d'Argovie.

Cette installation, remarquable à tous égards, est constituée d'un bâtiment de 68 m de long et de 41 m de large conçu pour accueillir 200 conteneurs, soit 50 ans de production de déchets des 5 centrales suisse mais aussi, dans l'avenir, les combustibles qui sont jusqu'ici retraités à La Hague ou à Sellafield.

Selon les autorités suisse, ce nouveau centre d'entreposage offrirait à la Suisse la possibilité de renoncer au retraitement et de mettre à l'abri le combustible irradié jusqu'à l'ouverture d'un centre de stockage définitif.

La société ZWILAG est une société privée dont le capital appartient au 4 compagnies d'électricité possédant des centrales nucléaires.

Peut-être rassurées par la qualité des installations et le sérieux de ses promoteurs, les populations concernées n'ont, semble-t-il, pas manifesté une très forte opposition à l'implantation de cet entreposage dans une région pourtant fortement peuplée.

L'expérience de cette installation, de taille relativement modeste, qui peut accueillir tous les déchets (faible et moyenne activité, haute activité, combustible irradié) n'est pas directement transposable dans notre pays mais elle peut certainement nous apporter des enseignements précieux, ne serait-ce que sur les délais de réalisation : décidée en Août 1996, elle a été mise en service en Avril 2000 !

4.7.3. L'entreposage à sec de Gorleben et d'Ahaus en Allemagne

L'Allemagne dispose déjà de deux installations centralisées d'entreposage du combustible irradié en service à Ahaus et à Gorleben.

L'installation de Gorleben consiste en un bâtiment de surface de 196 m de long sur 38 m de large, d'une capacité de 3 800 tonnes.

La durée de vie de ce dépôt, ouvert en 1995, a été fixé à 40 ans maximum. Les dépenses d'investissement se sont élevées à 250 MF et le coût total du fonctionnement, sur 40 années, devrait être de 2 535 MF (1998).

Comme la sûreté repose totalement sur les conteneurs, ceux-ci, très élaborés, devraient coûter plus de 3 100 MF `1998). Ces conteneurs de type « Castor » qui servent aussi au transport du combustible sont refroidis à l'intérieur de l'entrepôt par simple convection naturelle.

A l'issue de l'entreposage, les assemblages devraient être reconditionnés dans de nouveaux conteneurs du type « Pollux » avant d'être envoyés dans un centre de stockage définitif souterrain.

En plus de ces réalisations européennes en matière d'entreposage à moyen terme, il faut également indiquer qu'aux Etats-Unis une société privée se propose de construire et de gérer une installation qui serait située dans la réserve des indiens Goshute dans l'Etat de l'Utah.

La capacité de cette installation serait de 40 000 tonnes d'uranium répartis dans 4 000 conteneurs d'acier et de béton.

La société Private fuel Storage a demandé une autorisation de fonctionnement de 20 ans qui pourrait cependant être renouvelée, ce qui serait en théorie suffisant pour attendre l'ouverture du centre de stockage de Yucca Mountain.

Comme il fallait s'y attendre, ce projet a entraîné de très vives oppositions, en particulier de l'Etat de l'Utah qui craint que cet entreposage transitoire ne se transforme en stockage définitif si l'ouverture de Yucca Mountain n'était pas autorisée.

Les expériences françaises ou étrangères ont démontré qu'un combustible pouvait être entreposé, de façon sûre, à sec dès que sa radioactivité a décru suffisamment pour qu'elle puisse être évacuée sans difficultés par simple convection naturelle.

Il reste à démontrer que ce mode d'entreposage actuellement prévu pour 40 ou 50 ans pourrait, moyennant certaines adaptations, se poursuivre pendant un, deux ou trois siècles.

Les études théoriques et méthodologiques doivent, bien entendu, être poursuivies mais il importe, si on veut respecter le rendez-vous devant le Parlement de 2006, de les concentrer sur les solutions, en partie déjà éprouvées, qui paraissent déjà les plus raisonnables.

Comme la Commission Nationale d'Evaluation, nous estimons que certains programmes de recherche sont très ambitieux et : « qu'il serait souhaitable qu'un choix d'études prioritaires sur des objectifs plus limités soit fait afin de disposer de résultats utilisables en 2006 ».

Des choix déterminants peuvent et doivent être faits dès maintenant :

- entreposage en piscine ou à sec,

- en surface, en subsurface, en profondeur ou sous-collinaire,

- installation unique centralisée ou maintien de combustible près des centrales,

- installation dans des centres nucléaires existants ou recherche de nouveaux sites,

- liaison plus étroite ou non avec le futur stockage souterrain... ?

Ces choix appartiennent plus aux autorités de tutelle qu'aux chercheurs eux-mêmes, mais encore faudrait-il qu'il y ait une autorité de tutelle véritablement compétente pour définir la politique à suivre dans le domaine de l'aval du cycle du combustible nucléaire.

5. Les préalables à la création d'installations d'entreposage à long terme

Quelles que soient les solutions techniques qui seront retenues à la fin des études et des recherches, la création de capacités d'entreposage à long terme du combustible irradié devra, au préalable, répondre à un certain nombre de critères d'ordre sociétal.

Avant d'envisager la réalisation de tout projet dans ce domaine, il faudra en effet être en mesure de faire face aux questions légitimes qui ne manqueront pas de se poser dans la société en général mais surtout chez les populations directement concernées par l'implantation de cette ou de ces installations.

Même si ses responsables tentent de la banaliser, il faut bien admettre que l'industrie nucléaire est différente, du moins dans la perception qu'en a la population, des autres industries.

Comme le notait récemment l'ancien Directeur de l'Agence pour l'Energie Nucléaire de l'OCDE : « il est naturel de s'interroger sur les contraintes hors du commun qu'impose, pour certains déchets, la maîtrise d'un risque élevé de radiotoxicité pendant une très longue durée »41.

Même si l'entreposage de combustible irradié ne doit être que provisoire, sa gestion devra se fonder sur des règles d'exception qui transcendent les normes généralement admises pour la prévention des nuisances et des accidents que peuvent causer les autres produits d'origine industrielle. Quelles que soient les techniques utilisées, l'éventualité d'une contamination radioactive ne pourra jamais être totalement écartée. Sans vouloir céder à une surprésentation purement émotionnelle des risques potentiels, il est indéniable que des précautions tout à fait particulières devront être prises pour que les populations concernées acceptent la présence dans leurs régions de matières radioactives qu'un premier réflexe conduirait à vouloir interdire ou du moins à repousser chez les voisins.

Ainsi que le notait également l'ancien Directeur de l'AEN dans l'article précité : « il est inévitable que le facteur temps introduise des incertitudes dans l'évaluation des performances de sûreté physique et encore davantage dans celles des actions humaines qui y sont associées. Ces incertitudes ne sont pas niables mais les précautions prises pour y parer appellent une explication accessible au public ».

Pour la création d'installations d'entreposage des combustibles irradiés, comme d'ailleurs pour l'implantation de centres de stockage définitif, le strict respect de toutes les normes scientifiques et techniques de sûreté sera une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faudra en effet apporter également à nos concitoyens un certain nombre de garanties réglementaires et légales, l'acceptabilité de ce type d'installations reposant autant sur la légitimité démocratique des décisions que sur les démonstrations des experts.

5.1. Toutes les décisions devront être préparées et prises dans la plus grande transparence

Quelques exemples récents dans le domaine du retraitement ont montré qu'il ne suffisait pas d'avoir raison réglementairement et techniquement et que l'opacité de certaines opérations contribuait à créer un sentiment de suspicion préjudiciable à l'ensemble de l'industrie nucléaire.

Mieux vaut un débat même très vif avant la prise de décision plutôt que la contestation après coup d'installations réalisées ou en cours de réalisation.

Ainsi que le notaient deux chercheurs de l'Ecole des Mines dans un mémoire sur le stockage des déchets radioactifs : « il apparaît aujourd'hui à la lumière de l'expérience de tous les pays nucléaires, que toutes les décisions... ne seront vécues comme légitimes par les populations que si celles-ci se sentent véritablement associées au processus de décision, si elles ont en main tous les paramètres des décideurs et si elles peuvent s'approprier le projet au travers d'une communication suffisante et d'une concertation ouverte »42.

5.1.1. Les risques de création d'entreposages semi-clandestins

A l'évidence, l'entreposage de conteneurs de combustibles irradiés se prête moins à la clandestinité et à l'oubli que les dépôts de petites quantités de déchets radioactifs tels que l'ANDRA a pu en identifier dans son inventaire. Les organismes susceptibles de posséder des combustibles irradiés ont toujours été jusqu'ici considérés comme responsables et conscients de leurs responsabilités. Il n'en demeure pas moins qu'il existe un risque de voir se créer des entreposages semi-clandestins, en particulier lorsque les transports sont retardés et que les conteneurs restent par la force des choses bloqués de manière indue sur un site qui n'est pas prévu pour ce genre d'opération.

L'exemple américain, avec les conteneurs dont on s'est débarrassé à la hâte sur des terrains jouxtant les centrales, montre bien que ce risque est bien réel. Des autorisations ont certes été accordées aux électriciens concernés mais la création de ces entreposages de fait s'est faite sans véritable concertation préalable, ce qui est tout à fait paradoxal quand on connaît la multiplicité et la longueur des recours contre l'ouverture des centres de stockage de déchets radioactifs où toutes les précautions seraient pourtant prises. En France, toute la polémique qui s'est instaurée sur la présence de plus en plus permanente de déchets de retraitement puis d'assemblage d'origine étrangère montre que la frontière entre les opérations de retraitement et l'entreposage est parfois assez difficile à cerner.

Si l'absence d'intention et également d'autorisation de retraiter certains de ces combustibles devait se confirmer, nous serions bien en présence d'un entreposage ou d'un stockage illégal en application des dispositions de l'article 3 de la loi du 30 décembre 1991 qui interdit : « le stockage en France de déchets radioactifs importés... ».

En effet, qu'est-ce qu'un combustible irradié qui n'est pas destiné à être retraité, si ce n'est un déchet !

Lors des auditions publiques du 3 mai, M. André Lacoste, Directeur de la Sûreté des Installations Nucléaires, a tenu à rappeler qu'un combustible usé ne devient pas un déchet tant qu'il a « vocation à être retraité » mais que cette notion, comme celle du « retraitement différé », était bien floue.

Pour le Directeur de la DSIN, un combustible entreposé à La Hague pendant un siècle ne mériterait à l'évidence plus la qualification de combustible usé en attente de retraitement.

En ce qui concerne les combustibles irradiés appartenant à EDF, il n'y a pas, pour le moment, de craintes à avoir, les capacités d'entreposage autorisées sont suffisantes pour au moins une dizaine d'années. Mais qu'en sera-t-il ensuite si les décisions de créer de nouvelles capacités d'entreposage ne sont pas prises à temps ? Le recours à des solutions de fortune, autorisées sous la pression des événements, ne serait certainement pas à exclure.

Pour éviter d'en arriver à ce genre de situation, il est indispensable de traiter dès aujourd'hui, à froid, ce problème pour que les décisions puissent être prises dans la transparence la plus totale.

L'existence de petites unités d'entreposage tampon sur les sites de production est inévitable mais les quantités de matières radioactives qui pourront y être contenues devront être strictement limitées afin de conserver à ce type d'installations son caractère tout à fait transitoire.

Des dispositions précises devront être publiées sur ce sujet pour éviter tout risque de dérive éventuelle ou simplement pour couper court à toute controverse inutile.

5.1.2. L'interdiction de transformer les installations d'entreposage en stockage définitif

Si pour le moment la distinction entre entreposage temporaire et stockage définitif semble claire, il n'est pas certain qu'au fil des années il ne s'instaure pas une certaine confusion entre deux modes de gestion des combustibles irradiés.

A partir du moment où le « transitoire » pourrait durer deux ou trois siècles, il importe de prendre en compte les risques d'oubli ou de négligence des générations futures qui n'auraient peut être pas la volonté ou la possibilité de traiter les problèmes que nous allons leur transmettre.

Il ne faut pas oublier, en effet, qu'opter pour la solution du retraitement différé au lieu du stockage définitif direct revient à transférer une lourde charge aux générations qui vont suivre.

Dans une opinion collective émise en 1995, les pays membres de l'AEN avaient pris parti très nettement en faveur de l'évacuation des déchets radioactifs à vie longue dans les formations géologiques profondes en soulignant notamment que : « du point de vue de l'éthique et de la sûreté à long terme, l'évacuation à long terme nous permet de mieux nous acquitter de nos responsabilités à l'égard des générations futures que des solutions d'entreposage provisoires qui sont synonymes de surveillance et de transmission de la responsabilité à long terme des déchets aux générations futures et peuvent, finalement être négligées par les sociétés de demain dont on ne peut préjuger de la stabilité »43.

L'une des questions essentielles que posera l'entreposage porte sur le risque de voir se pérenniser des installations au départ temporaires, qui, compte tenu du temps d'exploitation relativement long, perdront peu à peu leur caractère transitoire et acquerront subrepticement de fait un statut permanent.

Dès la création de telles installations, il faudra donc prévoir des dispositifs pour éviter qu'elles se transforment en stockage définitif.

La garantie la plus évidente résidera dans l'existence d'un centre de stockage définitif dont la création devrait être concomitante avec celle des installations d'entreposage.

En effet, à partir du moment où il existera une possibilité d'envoyer en stockage définitif le combustible irradié qu'on déciderait de ne pas retraiter, on ne voit pas ce qui retiendrait les responsables de l'entreposage d'utiliser cette possibilité.

L'existence d'un centre de stockage définitif constituera certainement la meilleure garantie contre la tentation de transformer subrepticement des installations provisoires en installations permanentes.

C'est pourquoi, les recherches actuellement engagées sur le stockage en couches géologiques profondes doivent être menées à leur terme dans les délais prévus par la loi de 1991. En aucun cas la création de capacités d'entreposage temporaire ne doit servir de prétexte pour retarder ou arrêter ces recherches, l'entreposage ne pouvant en effet se concevoir qu'en association avec des moyens de gestion des déchets ultimes qui lui servirait éventuellement d'exécutoire.

Même si on ne dispose pas pour le moment d'analyse de sûreté permettant de prévoir la durée maximale techniquement acceptable pour un entreposage de combustible irradié, il conviendrait néanmoins que la loi ou les dispositions réglementaires autorisant l'ouverture d'une installation de ce type fixe une date au-delà de laquelle une décision sur le sort final des colis entreposés devra obligatoirement être prise.

Bien entendu, ce qu'une loi aura prévu pourra toujours être modifié par une autre loi mais cela nécessitera une démarche quelque peu solennelle et un débat qui serait obligatoirement entouré d'une certaine publicité. La lutte contre l'oubli ou la négligence qui pourrait s'instaurer au bout de deux ou trois siècles imposera, en quelque sorte, de lier, dès aujourd'hui, les générations futures par des obligations fortes qu'il sera difficile d'ignorer ou de contourner.

5.1.3. Les modalités de sélection des sites d'implantation des installations d'entreposage

Avec la sélection des sites d'implantations des éventuelles installations d'entreposage, nous abordons certainement le problème le plus difficile à résoudre.

Si un accord très large peut en effet être facilement trouvé sur la nécessité d'entreposer à long terme le combustible usé, il en ira certainement tout autrement des choix des régions qui seront concernées.

Il est tout à fait probable qu'une partie des personnes qui préconisent aujourd'hui l'entreposage comme substitut au stockage définitif seront à la pointe du combat pour s'opposer à l'implantation des installations nécessaires à cet entreposage !

Votre rapporteur qui a eu à conduire la mission de médiation sur l'implantation des laboratoires de recherches souterrains en 1993 est bien placé pour savoir qu'il s'agira d'une tâche difficile qui doit être menée dans la plus grande transparence et en prenant un maximum de précautions.

Quelques échecs récents montrent bien qu'on ne peut pas improviser dans ce domaine et que les erreurs de tactiques ne sont pas rattrapables.

Ainsi que je le notais dans mon rapport de médiation au Premier Ministre44, il faut à la fois :

- informer largement et sans aucune restriction,

- offrir aux populations concernées des garanties sérieuses et non susceptibles d'être remises en cause,

- et mettre sur pied dès le départ, une organisation permanente, crédible et disponible.

5.2. La gestion des installations d'entreposage devra être confiée à un organisme public français

L'exploitation des installations d'entreposage pourrait s'étendre sur une période de 300 ans, quel est l'organisme privé qui pourrait prétendre à une telle longévité ?

Seul l'Etat, ses représentants et les organismes publics sont susceptibles de se perpétuer sur des durées de cet ordre sans rupture et sans abandon des objectifs initiaux.

Le CEPN (Centre d'Etude sur l'Evaluation de la Protection dans le Domaine Nucléaire), dans une étude réalisée en 1996 sur la surveillance institutionnelle des stockages de déchets radioactifs, a bien montré que le contrôle de ce genre d'installation sur une longue durée passe par la création ou le choix d'une institution existante apte à assurer les missions de base que sont :

- la surveillance des activités humaines autour du site,

- la surveillance technique des installations,

- la maintenance et éventuellement la réévaluation du niveau de sécurité en fonction des éventuelles évolutions,

- la gestion de l'acceptabilité par les différents acteurs locaux, nationaux et internationaux concernés,

- la préservation et la transmission du savoir-faire et des connaissances aux générations qui prendront le relais.

A notre avis, de telles tâches ne peuvent être assumées, à long terme, que par une institution publique à l'abri des aléas économiques, financiers et sociaux.

Le CEPN, pour illustrer son propos, donne l'exemple de l'Inspection générale des carrières de la Ville de Paris, institution publique créée en 1777 qui s'est maintenue et qui a assuré ses fonctions malgré les bouleversements institutionnels qu'a connu la France depuis cette date. On peut également citer aux Pays-Bas le Watershap qui assure depuis le Moyen-Age la construction et l'entretien des digues.

Comme le fait remarquer M. Pierre Strohl, ancien Directeur adjoint de l'AEN, dans l'article des Annales des Mines précité : « L'expérience montre que des organismes publics dont la mission est de protéger un intérêt vital, tel que la sécurité et la santé des populations, sont capables de fonctionner efficacement sans interruption irrémédiable, pendant longtemps, même en cas de bouleversements sociaux ou en temps de guerre, à condition que la mémoire du risque et de la mission de prévention reste fortement inscrite dans la conscience collective ».

Le rappel de ce principe n'est pas de pure forme. De nombreux partisans d'un libéralisme total et sans réserves préconisent en effet un passage de la gestion de l'aval du cycle nucléaire du public vers le privé. La lettre de l'Agence de l'Energie Nucléaire de l'OCDE a ainsi publié au début de l'année 2001 un article signé entre autres par l'un de ses anciens consultants qui estime qu'à l'issue du processus de déréglementation des marchés de l'électricité : « des fournisseurs privés devraient faire leur entrée dans la partie aval du cycle du combustible qui, traditionnellement, était entre les mains d'entreprises publiques....l'issue pouvant être une privatisation totale du secteur de la gestion des déchets. ...entre autres avantages la concurrence pourrait entraîner l'abandon de certaines exigences réglementaires peu efficientes... ».

L'un des auteurs de cet article après avoir quitté l'AEN est devenu responsable de l'assurance-qualité dans une centrale nucléaire de Corée !

Comme on le voit, les risques de dérive ne sont pas illusoires, des intérêts privés s'intéressent un peu partout dans le monde à un marché qu'ils estiment particulièrement juteux du moins dans l'immédiat car on peut se demander si ces sociétés manifesteraient le même intérêt pour la gestion des déchets ou des combustibles irradiés au bout de deux ou trois siècles, à condition d'ailleurs qu'elles existent encore.

Le stockage des déchets et l'entreposage à long terme des combustibles irradiés doit impérativement rester entre les mains d'entreprises dépendant étroitement de la puissance publique qui, jusqu'à preuve du contraire, reste la seule capable d'assurer sur de très longues durées le maintien des structures nécessaires au respect absolu des règles de sûreté.

Ne laissons pas des spéculateurs pénétrer dans un secteur qu'ils n'auraient ni la volonté, ni les capacités de gérer sur le très long terme.

5.2.1. L'organisation actuelle de la gestion de l'aval du cycle nucléaire n'est pas satisfaisante

L'existence de combustibles irradiés non immédiatement retraités est venue encore compliquer une gestion de l'aval du cycle du combustible nucléaire qui n'était déjà pas très satisfaisante.

Depuis son premier rapport, la Commission Nationale d'Evaluation insiste chaque année sur la nécessité d'une coordination scientifique et technique des organismes participant aux recherches sur l'aval du cycle nucléaire.

Ses appels ont été en partie entendus, et la définition et la mise en _uvre des programmes de recherches donnent désormais lieu à une réflexion dont la coordination est assurée par le Ministère de la Recherche.

En avril 2000, est paru un important document45 préparé par les organismes publics chargés des recherches sur la gestion des déchets nucléaires et validé par un Comité de suivi des recherches sur l'aval du cycle qui rassemble toutes les parties prenantes dans ce domaine (ANDRA, CEA, CNRS, COGEMA, EDF, Framatome et les Ministères concernés).

Même si ce document ne constitue en réalité qu'une compilation des travaux effectués par ailleurs, on ne peut que se féliciter de cet effort de rationalisation et de coordination.

Mais cela ne concerne que la recherche proprement dite, alors que dans la réalité se posent déjà des problèmes concrets qui doivent être résolus et des décisions qui doivent être prises. Or, dans ce domaine, on constate malheureusement une absence de cohérence et de flottements inquiétants.

En ce qui concerne par exemple l'entreposage des combustibles irradiés, il est pour le moment impossible de savoir quelle est l'autorité véritablement compétente pour élaborer une politique dont les premiers éléments devraient pourtant être mis en place dès maintenant.

EDF travaille à l'extension de ses piscines, la COGEMA, en accueillant des combustibles qui ne sont pas destinés à être immédiatement retraités, risque de se lancer dans une activité d'entreposage, et l'ANDRA, de son côté, travaille sur la possibilité de stockage souterrain définitif de ces mêmes combustibles.

Il semble cependant qu'il n'existe pas de ligne directrice et même de réflexion commune pour résoudre un problème qui se posera obligatoirement aux responsables d'ici peu. La Commission Nationale d'Evaluation dans son 6ème rapport présenté en Avril 2000 notait d'ailleurs qu'elle souhaite : « un déroulement harmonieux de tout le programme d'étude sur l'entreposage de longue durée dont l'aboutissement offrant des options techniques industrialisables à l'échéance de 2006 constitue un enjeu essentiel dans le plan d'ensemble de la loi ».

S'il nous semble absolument impératif de confier l'entreposage de longue durée à un organisme public, quel doit être cet organisme ?

Madame Michèle Rivasi, dans un récent rapport présenté à l'OPECST46 propose d'étendre le rôle de l'ANDRA à qui il reviendrait notamment : « de mettre au point et de lancer des solutions d'entreposage à long terme tant pour les déchets de haute ou moyenne activité à vie longue que pour les combustibles irradiés ».

La COGEMA qui dispose d'une longue expérience dans le domaine de la gestion des combustibles irradiés serait tout à fait apte à assurer cette nouvelle activité et à augmenter en conséquence la capacité de ses piscines.

Enfin, EDF qui reste légalement propriétaire des combustibles irradiés qui sortent de ses centrales, pourrait également prétendre en assurer l'entreposage, cette activité étant d'ailleurs assurée dans plusieurs pays étrangers par les électriciens eux-mêmes ou par des sortes de coopératives qu'ils ont constituées.

D'autres solutions peuvent certainement être envisagées mais qui prendra la décision et fera le choix entre les différentes options ? Ainsi que nous le regrettions déjà dans notre rapport de 1997 sur l'évaluation de la recherche sur la gestion des déchets nucléaires, force est de constater qu'il n'y a pas, dans notre pays, d'autorité chargée de définir et de faire appliquer une politique globale et cohérente de l'aval du cycle nucléaire.

Nous avons, à l'époque, proposé la création auprès du Premier Ministre d'une Délégation interministérielle à l'aval du cycle nucléaire. Cette Délégation aurait autorité sur tout ce qui concerne les déchets nucléaires quels qu'ils soient, les combustibles non retraités, le démantèlement des installations déclassées et l'assainissement des anciens sites nucléaires, autant de sujets qui constituent des enjeux politiques, économiques et sociaux majeurs.

Qu'on le veuille ou non, la population considère que l'aval du cycle nucléaire n'est pas un dossier comme les autres et qu'il convient donc de rechercher, pour le traiter, des solutions spécifiques et adaptées à la charge émotionnelle que nos concitoyens y attachent. La situation est d'ailleurs à peu près la même dans tous les pays qui ont ou qui ont eu une industrie nucléaire.

Une organisation souple du type de la DATAR à sa grande époque regroupant un nombre très limité de collaborateurs mais ayant un droit de tirage sur les organismes compétents (DSIN, IPSN, OPRI, ANDRA...) pourrait définir la politique d'ensemble et à long terme qui fait actuellement défaut.

Cette solution d'une Délégation interministérielle n'est certainement pas la seule envisageable mais ce qui importe c'est de trouver rapidement une solution à des problèmes qui obèrent l'avenir de notre politique énergétique et qui empoisonnent la vie politique en général.

5.2.2. Le financement de la construction et de l'entretien des installations d'entreposage à long terme

Quel que soit l'organisme qui sera chargé de construire puis de gérer les installations, l'entreposage à long terme aura un coût qui ne sera certainement pas négligeable.

Contrairement au stockage définitif où les frais s'arrêteront de courir dès la fermeture du centre, les installations d'entreposage devront être surveillées et maintenues en l'état tout au long de leur existence.

Le problème du financement et surtout de la permanence sur le long terme de ce financement de l'entreposage va se poser.

Aux Etats-Unis, dès le départ, il a été créé un fonds auquel participent tous les propriétaires de centrales nucléaires. Ce fonds est géré par le Département de l'Energie auquel, en contrepartie de la redevance payée, les électriciens transfèrent la responsabilité de la gestion du combustible irradié.

Le DOE ayant été dans l'incapacité de créer les structures susceptibles d'accueillir ce combustible à leur sortie des réacteurs, les responsables des centrales nucléaires se retournent aujourd'hui contre le DOE qui a encaissé leur argent et qui ne peut fournir en retour les prestations dues.

En France, en revanche, l'existence d'un seul producteur de combustible irradié ayant servi à la production d'électricité a fait qu'on a préféré imposer un système de provisionnement interne à EDF qui doit permettre de couvrir les dépenses futures de retraitement et de gestion des déchets. Le montant de ces provisions, environ 100 milliards de francs, pourrait également servir à l'entreposage à long terme du combustible irradié dont le retraitement sera différé.

Ce système de provision interne peut effectivement se comprendre tant qu'il n'y a qu'un seul producteur de combustible irradié en France et que celui-ci est sous le contrôle encore étroit de la puissance publique.

Qu'en sera-t-il demain et pourra-t-on continuer à se passer d'un fonds s'il y a multiplicité de propriétaires de centrales nucléaires ?

La libéralisation totale des marchés de l'électricité voulue par les instances communautaires mais à laquelle certains responsables ne d'EDF semblent pas opposés va immanquablement poser le problème du financement de l'aval du cycle nucléaire : « Dans une situation de monopole, les compagnies d'électricité où les régulateurs répartissent les risques et les charges financières comme ils l'entendent, souvent en les répercutant sur les consommateurs captifs. A mesure que le secteur deviendra concurrentiel, ces risques et charges devront inévitablement être réaffectés. Se pose alors la question de savoir s'il faudra concevoir de nouveaux dispositifs financiers adaptés aux risques et charges liés à l'énergie nucléaire47 ».

De toute manière, comme le fait également remarquer l'AEN, que le financement soit assuré par un fonds ou par des provisions internes, la véritable question sera de savoir si les ressources prévues seront suffisantes pour faire face aux besoins alors qu'on ne cesse de multiplier les contraintes qui pèsent sur la gestion de l'aval du cycle nucléaire.

5.3. Les conditions de la circulation internationale des combustibles irradiés doivent être clarifiées

Jusqu'à une époque très récente, l'électricité était généralement produite par des sociétés publiques ou bénéficiant d'une position de monopole. La déréglementation du marché de l'électricité des pays développés ne sera pas sans conséquences sur la gestion des activités nucléaires.

Selon les tenants du libéralisme, cette ouverture des marchés à la concurrence étrangère aura des effets bénéfiques sur le fonctionnement des centrales en augmentant leur productivité et en abaissant leurs charges.

Reste à savoir si cette amélioration de la compétitivité de l'énergie nucléaire ne se traduira pas, à terme, par un affaiblissement de la culture de sûreté qui régnait jusqu'ici dans la quasi totalité des pays qui avaient recours à ce type d'énergie ?

Poussant l'application des principes libéraux jusqu'à leurs extrêmes, certains commencent même à demander la « mondialisation » de l'aval du cycle nucléaire, les déchets et les combustibles irradiés n'étant pour eux qu'une marchandise comme les autres qu'il convient de traiter au meilleur prix possible et donc de privatiser et d'internationaliser.

Face à l'hostilité d'une partie de leur population qui refuse toute solution d'entreposage des combustibles nucléaires et de stockage des déchets radioactifs, certains pays souhaitent se désengager de l'aval du cycle nucléaire et confier à des entreprises privées, quelle que soit leur nationalité, la gestion de ce secteur.

En application du fameux principe NIMBY (pas dans mon jardin), certains défenseurs de l'écologie sur leur territoire verraient très bien leurs combustibles irradiés et leurs déchets partir vers des pays que les nécessités financières rendent prêt à assurer n'importe quelle activité.

Périodiquement, apparaissent des projets de stockage et d'entreposage internationaux, que ce soit dans les îles du Pacifique, dans les déserts du Chili, ou en Afrique.

Jusqu'ici, les différentes tentatives d'exportation des matières nucléaires inutilisées émanaient de sociétés plutôt douteuses que personnes ne prenaient véritablement au sérieux.

Il en va désormais tout autrement avec le projet russe d'un grand centre d'entreposage des combustibles irradiés qui devrait, selon ses défenseurs, permettre le financement de « programmes écologiques spéciaux » qui seraient en fait des opérations de décontamination d'installations ou de terrains et de réduction de risques radiologiques pour les populations les plus exposées.

Un projet de loi qui vient d'être adopté modifie la loi sur l'environnement naturel en prévoyant que : « l'importation sur le territoire de la Fédération de Russie et en provenance d'Etats étrangers d'assemblages irradiés de combustible pour réacteurs nucléaires, à des fins de stockage temporaire et/ou de retraitement est autorisée... ».

Ainsi, un pays qui n'a manifestement pas la capacité de gérer convenablement ses propres déchets nucléaires se trouverait contraint, pour des raisons financières, d'accepter sur son sol les combustibles irradiés provenant de centrales nucléaires étrangères. Sur le papier, tout est parfait comme l'indique l'exposé des motifs de ce projet de loi : « La comparaison des caractéristiques des assemblages russes et étrangers induit l'absence de réelles difficultés à adapter technologies, moyens de transport, sites de stockage et de production russe au travail avec du combustible étranger ». En lisant attentivement cette note de présentation du projet, on s'aperçoit que les opérations prévues ne concernent pas un entreposage temporaire avec retour dans le pays d'origine mais qu'il s'agit bien d'une possibilité pour les futurs clients de se débarrasser définitivement de leurs combustibles irradiés sans emploi : « Le développement de nouvelles technologies et la mise en exploitation de réacteurs à neutrons rapides permettra l'utilisation effective de l'uranium et du plutonium extraits du combustible irradié mais aussi de retraiter de manière sûre et écologique les produits de fission et de les enfouir... ».

Cette possibilité d'utiliser l'uranium et le plutonium issus des combustibles irradiés étrangers dans des réacteurs à neutrons rapides ou de les enfouir dans le sol russe montre bien qu'il s'agit d'une transaction à sens unique même si le projet de loi indique que ces importations ne pourront se faire : « qu'en prenant en compte le caractère prioritaire du droit à retourner ou à assurer le retour vers l'état d'origine des matières radioactives et des déchets radioactifs fournis à la suite d'un retraitement ».

Il y a fort à parier que les russes n'ont avancé une telle proposition qu'après avoir pris des contacts discrets avec d'éventuels clients qui seraient particulièrement heureux de se débarrasser, même en payant très cher, d'un problème qu'ils ne savent pas et surtout qu'ils ne veulent pas résoudre.

En ce qui concerne la France, j'attire l'attention de tous les responsables sur le caractère profondément immoral d'une solution qui conduirait à reporter sur un autre pays les problèmes que nous avons créés et que nous avons donc l'obligation de régler nous-mêmes sur notre propre territoire. Si quelques personnes en France devaient un jour être tentées de céder aux propositions d'exportation de nos combustibles irradiés, j'espère que les responsables politiques, et en premier lieu les Parlementaires, s'y opposeraient avec force et détermination.

6. Les problèmes posés par la présence en France de combustibles irradiés étrangers

Les multiples plaintes déposées contre la COGEMA par des associations antinucléaires ont attiré l'attention sur la présence, dans l'usine de La Hague, de quantités relativement importantes de combustibles irradiés d'origine étrangère en attente de retraitement.

Depuis son origine, la COGEMA a travaillé pour des clients étrangers mais cette activité s'est encore accrue avec l'ouverture de l'usine UP3. Liée par des contrats passés avec des électriciens étrangers (Allemands, Japonais, Belges Suisses...), la COGEMA reçoit régulièrement des combustibles irradiés que ceux-ci souhaitent faire retraiter.

Les producteurs d'électricité étrangers restent propriétaires de ces combustibles et les contrats, sauf quelques très anciens d'entre eux, prévoient que tous les éléments obtenus grâce au retraitement devront retourner dans leur pays d'origine soit sous forme de déchets, soit sous forme de matières valorisables.

Depuis l'ouverture de l'usine MELOX, la COGEMA propose que le plutonium soit renvoyé à ses propriétaires sous forme de MOX.

6.1. En aval du retraitement

Pour exercer ses activités d'entreposage du combustible en attente de retraitement, la COGEMA dispose, bien entendu, d'autorisations qui lui sont accordées par le Secrétariat d'Etat à l'Industrie et par la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires qui dépend à la fois des Ministères de l'Industrie et de l'Environnement.

Ces autorisations sont de deux types : les premières concernent le contrôle des matières nucléaires alors que les suivantes sont relatives à la sûreté nucléaire proprement dite.

Les autorisations concernant le contrôle des matières nucléaires ont pour objet la protection physique de ces matières contre d'éventuelles malveillances mais elles ont aussi pour objectif de lutter contre le risque de prolifération nucléaire. Quand il s'agit de combustible irradié provenant de l'étranger, ces autorisations délivrées par le Ministère chargé de l'Industrie rendent possibles les opérations de transport et d'importation.

Ces procédures de contrôle s'apparentent donc à des mesures de police et permettent de s'assurer que le combustible étranger entre bien en France de façon légale, ces importations étant d'ailleurs souvent prévues dans des accords internationaux comme, par exemple, l'échange de lettres entre les Gouvernements français et australien du 12 janvier 1999 ou l'accord avec le Gouvernement allemand du 25 avril 1990.

Une fois le combustible admis sur le territoire français, la COGEMA va devoir disposer de deux autres autorisations avant de pouvoir procéder à son retraitement.

Ces autorisations accordées par la DSIN ont un caractère beaucoup plus technique et ont, cette fois, pour objectif de vérifier que les opérations de retraitement vont bien se dérouler dans des conditions de sûreté satisfaisantes.

La première est une autorisation de principe accordée par décret qui donne une liste de matières dont le retraitement est autorisé ou interdit dans chacune des différentes installations de la COGEMA.

Une fois l'installation ainsi autorisée à retraiter un type de combustible, la COGEMA doit néanmoins également demander une autorisation dite « opérationnelle » pour chacune des opérations de retraitement qui permet à la DSIN de donner son accord aux dispositions de sûreté proposées par l'opérateur.

Dans le cas, le plus général, où un laps de temps notable existe entre la réception des combustibles dans les piscines de refroidissement de La Hague et leur traitement effectif, la pratique actuelle est de scinder cette autorisation opérationnelle en deux autorisations successives : une autorisation pour la réception, le déchargement et l'entreposage des combustibles, suivie d'une autorisation pour le retraitement proprement dit. Chacune de ces autorisations est délivrée après examen du dossier de sûreté présenté par l'industriel pour les opérations correspondantes. La présentation du dossier de sûreté concernant le retraitement proprement dit peu avant la date souhaitée pour celui-ci permet de prendre en compte les caractéristiques précises du combustible et l'état de la technique à ce moment.

Les opérations d'importation qui font actuellement l'objet de controverses, qu'elles concernent le MOX en provenance de l'usine allemande de Hanau ou le combustible à uranium très enrichi australien, ont été effectuées en respectant parfaitement la lettre de la réglementation en vigueur.

Les mouvements de matières nucléaires sont certainement les opérations industrielles les plus surveillées et il ne peut être question de considérer qu'il s'agit là d'importations illégales ou clandestines. Mais selon les termes mêmes du Directeur de la DSIN lors des auditions publiques de l'Office « à l'évidence le processus est complexe et il y a matière à simplifier ces procédures peut-être en les unissant car il faut tenir compte du retour d'expérience ».

Comme le montre le tableau ci-dessous, il y avait au 31 janvier 2000, 366 tonnes de combustible étranger en attente de retraitement dans les piscines de La Hague.

Ce tonnage est certes important mais il faut le comparer avec celui des combustibles déjà retraités qui s'élevait au 31 janvier 2000 à 16 296 tonnes.

 

Cumul du traitement

Au 31/12/00

Stock en piscine

Au 31/12/00

France

Allemagne

Japon

Belgique

Suisse

Pays-Bas

Total étranger

Total

7458

4449

2944

627

592

226

16296

7004

204

0

45

80

37

366

7370

Aujourd'hui, certaines associations considèrent que l'importance et la durée de cet entreposage contreviennent à l'esprit, sinon à la lettre, de l'article 3 de la loi du 30 décembre 1991 qui stipule que : « le stockage en France de déchets radioactifs importés, même si leur retraitement a été effectué sur le territoire national, est interdit au-delà des délais techniques imposés par le retraitement ».

Votre rapporteur qui était l'initiateur et le rapporteur de cette loi de 1991 reconnaît que la rédaction de cet article n'est pas assez précise d'autant qu'elle n'a pas été accompagnée de décrets d'application.

Ce que voulait le législateur de l'époque était pourtant fort clair : permettre la poursuite des activités de retraitement, tout en évitant que l'usine de La Hague devienne « la poubelle nucléaire » de l'Europe.

Bien que cela ne soit pas spécifiquement indiqué dans la loi, cette exigence du législateur, soutenue par le Gouvernement de l'époque, implique que les matières nucléaires d'origine étrangère ne puissent être entreposées en France, que ce soit en amont ou en aval du retraitement, que pour le temps techniquement nécessaire au bon déroulement de cette opération.

Or, que constate-t-on actuellement ?

En amont, c'est-à-dire avant les opérations de retraitement, il est évident que certaines catégories de combustibles irradiés continuent à s'accumuler dans les piscines de La Hague sans que leur retraitement soit programmé. Ainsi, plus de 50 tonnes d'assemblages de MOX allemand dont certains sont arrivés en 1988 sont toujours en attente à La Hague alors que la COGEMA n'a jusqu'ici procédé qu'à deux expériences de retraitement de ce type de combustible, en 1992 et en 1998, et sur des quantités très limitées, 9 tonnes environ.

La direction de la COGEMA qui ne souhaite plus utiliser son ancienne usine UP2 400 reconnaît d'ailleurs que les demandes d'autorisation de principe pour UP2 800 et UP3 n'ont pas encore été accordées. Pour les rebuts de fabrication non irradiés de l'usine de Hanau ou pour les 1500 éléments de combustible à l'uranium très enrichi qui doivent venir d'Australie, aucun calendrier de retraitement n'est prévu.

Il est certain, sur le plan technique, que ces catégories de combustibles exigent un long temps de refroidissement et qu'il faut un délai de plusieurs années entre leur sortie du réacteur et leur retraitement ; mais pourquoi cette période d'attente doit-elle s'effectuer en France ?

Ces combustibles auraient très bien pu rester dans leur pays d'origine pendant leur temps de refroidissement et n'être transportés à La Hague qu'au moment où la COGEMA aurait été techniquement et légalement en mesure de les retraiter et où on aurait été absolument certains que leurs propriétaires étaient bien décidés à faire procéder à cette opération.

Alors que certains groupes d'opposants au retraitement, de mieux en mieux organisés, saisissent toutes les opportunités pour tenter de paralyser l'usine de La Hague, il faut à tout prix éviter de donner l'impression qu'on accepte l'arrivée de combustibles irradiés dont on ne connaît ni la date, ni les modalités de retraitement.

Les contrats qui ont été passés avec les électriciens étrangers concernent le retraitement et uniquement le retraitement. La COGEMA n'a pas à offrir de services annexes d'entreposage, même si certains pays sont manifestement prêts à payer pour se débarrasser de problèmes qu'ils ne savent pas ou ne veulent pas régler.

Sur ce point, les responsables politiques doivent aussi faire leur mea culpa, il aurait sans aucun doute fallu préciser les conditions d'application de l'article 3 de la loi de 1991 et définir les délais à respecter entre l'importation d'un combustible étranger et sa mise effective en retraitement.

6.2. La réexpédition à l'étranger du plutonium et des déchets étrangers

Bien que cela n'entre pas tout à fait dans le cadre du présent rapport, on ne peut manquer d'évoquer les problèmes qui se posent en aval une fois que le retraitement des combustibles étrangers a été effectué.

Si on s'en tient aux contrats passés avec les électriciens étrangers, aux accords signés avec les pays étrangers et aux dispositions de l'article 3 de la loi de 1991, les matières énergétiques réutilisables aussi bien que les déchets issus du retraitement doivent impérativement repartir dans leur pays d'origine dès que cela est techniquement possible.

Or, ce n'est malheureusement pas le cas, les déchets étrangers continuent à s'accumuler à La Hague et les pays étrangers, à l'exception jusqu'ici du Japon, ne manifestent pas beaucoup d'empressement à tenir leurs engagements.

Ainsi, comme le montre le tableau ci-dessous, la production cumulée de plutonium d'origine étrangère au 31 décembre 2000 représentait 68 tonnes sur lesquelles seules 38,7 tonnes avaient quitté l'usine de La Hague pour servir à la fabrication de MOX, ce qui ne signifiait donc pas qu'elles avaient toutes quitté la France.

Production, Expédition pour fabrication, stock provenant du retraitement à La Hague

Combustibles Eau légère de 1976 au 31/12/2000 (plutonium en tonnes)

 

Production cumulée

Au 31/12/00

Expéditions pour fabrication

31/12/00

Stock de plutonium

31/12/00

EDF

Etranger

Total

68

68

136

45,6

38,7

84,3

22,4

29,3

51,7

Le fait que près de 30 tonnes de plutonium appartenaient à des électriciens étrangers demeurent entreposés à La Hague pose, à l'évidence, un problème, même si cet entreposage se fait dans le respect de la réglementation actuelle.

Une étude de l'agence d'information sur le nucléaire Wise48 estimait qu'au 31 décembre 1998 il y avait 35,6 tonnes de plutonium étranger sur le sol français.

En ce qui concerne l'uranium issu des opérations de retraitement des combustibles étrangers, nous ne disposons d'aucune information, ni sur les quantités, ni sur les conditions de reprise.

Selon l'étude précitée de Wise Paris, le taux de recyclage de l'uranium issu de l'ensemble des combustibles retraités en France, y compris les combustibles étrangers, serait de l'ordre de 7 %. Toujours selon Wise Paris, il y aurait actuellement environ 7300 tonnes d'uranium étranger sur le sol français. La question du devenir de cet uranium, qui ne nous appartient pas, devra être posée.

Le problème de retour des « verres » contenant les déchets C se pose avec encore plus d'acuité.

Sur 730 m3 de verres qui ont été produits au 31 décembre 2000, 106 ont été réexpédiés à leurs propriétaires, encore faut-il noter que sur ces 106 m3, 81 appartenaient au seul Japon.

Estimation des volumes de verres contenant des déchets C produits et présents à La Hague au 31/12/2000 (en m3)

 

Volume total

Au 31/12/00

Volume expédié

Au 31/12/00

Volume stock

Au 31/12/00

France

Allemagne

Japon

Belgique

Suisse

Pays-Bas

Total étranger

Total

673

373

233

60

48

15

1402

15

81

10

106

673

358

152

50

48

15

1296

Alors que de nombreux verres sont en état techniquement d'être réexpédiés, la France se heurte à la mauvaise volonté de certains états qui ne veulent pas, pour des raisons politiques, ou qui ne peuvent pas faute de capacité d'entreposage, reprendre les déchets qui leur appartiennent.

Ainsi, les gouvernements allemands successifs cédant à la pression des mouvements antinucléaires ont cherché tous les prétextes, même les plus futiles, pour retarder le retour vers les centres de stockages de leurs déchets et des combustibles retraités.

On comprend très bien la démarche de ces mouvements antinucléaires : en bloquant le retour des produits de retraitement ils espèrent que la France finira par refuser l'importation des combustibles irradiés allemands, ce qui conduira inexorablement à la fermeture accélérée de certaines centrales dont les piscines sont déjà pratiquement pleines.

Il s'agit d'un problème propre à l'Allemagne dont nous n'avons pas à subir les conséquences. Si ce pays s'avère incapable d'imposer à une infime partie de sa population le respect de ses engagements internationaux, nous devons demander à la COGEMA d'arrêter d'accueillir de nouveaux éléments de combustible irradié en provenance des centrales allemandes, même si cela doit entraîner des répercussions dommageables sur le niveau d'activité de l'usine de La Hague.

Faute de vouloir traiter sérieusement des problèmes de calendrier qui se posent en amont et en aval du retraitement des combustibles étrangers, c'est toute l'activité de ce secteur qui risque d'être remise en question alors que la France bénéficie d'une avance technique dans cette activité qui pourrait, dans quelques décennies, se révéler indispensable au maintien du progrès économique et social.

Conclusion

Si on veut bien regarder au-delà d'une certaine agitation antinucléaire très largement amplifiée par les médias, on constate qu'il y a un peu partout dans le monde un regain d'intérêt pour l'énergie nucléaire et cela même dans des pays comme les Etats-Unis où on aurait pu penser que cette voie était définitivement abandonnée.

Une fraction importante de l'opinion publique mais aussi des décideurs estiment, en effet, que l'industrie nucléaire, malgré ses inconvénients évidents, est un mal nécessaire qu'il faudra continuer à accepter tant qu'on n'aura pas trouvé une ressource énergétique abondante, économiquement viable et non dangereuse pour l'environnement.

S'il existe un très large consensus sur le maintien en France d'une industrie nucléaire forte, de plus en plus de personnes s'interrogent sur l'opportunité du retraitement des combustibles irradiés qui sortent des centrales.

La motivation des opposants aux retraitements étaient à l'origine d'ordre éthique mais de plus en plus les critiques portent sur le coût économique du cycle fermé du combustible tel que l'a adopté la France, contrairement aux pays qui, comme la Suède ou les Etats-Unis, ont fait dès le départ l'impasse sur cette voie.

Nous sommes manifestement entrés dans une période d'incertitude quant à l'avenir du retraitement qui se traduit par une solution bâtarde où seule une partie du combustible continuera à être immédiatement traité, le reste devant être entreposé à plus ou moins long terme dans l'attente d'un éventuel « retraitement différé ».

L'existence d'une masse croissante de combustible irradié en attente nous impose de prendre dès maintenant les mesures nécessaires pour assurer un entreposage n'entraînant aucun risque sur le plan de la sûreté et permettant, en outre, de récupérer en fin de période des éléments aptes à être retraités ou envoyés en stockage définitif dans de bonnes conditions.

Un combustible irradié qui aura été entreposé pendant plus d'un siècle méritera-t-il encore le qualificatif de « combustible en attente de retraitement » ?

Toutes ces interrogations justifient la poursuite et même le renforcement des recherches sur l'entreposage à long terme.

Comme le faisait remarquer lors des auditions publiques le Directeur de la DSIN : « Il y a là à l'évidence un sujet qui mérite d'être traité, c'est un point tout à fait majeur ... ».

Ne recommençons pas l'erreur des déchets nucléaires où nous avons attendu d'être gravement confrontés au problème pour commencer à rechercher des solutions, l'opinion publique beaucoup plus sensibilisée que par le passé aux risques du nucléaire ne nous pardonnerait pas une nouvelle imprévoyance.

Techniquement, des solutions satisfaisantes peuvent être rapidement trouvées parmi toutes celles qui ont été exposées dans le présent rapport ; il en est qui ne demanderaient que des études relativement légères car nous disposons, dans le domaine de l'entreposage, d'une expérience déjà relativement ancienne.

Le plus important, mais aussi le plus difficile, va être, en définitive, de savoir pourquoi nous allons entreposer temporairement des combustibles irradiés.

La question de l'exutoire de cet entreposage doit être posée dès maintenant.

Dans l'hypothèse d'un arrêt programmé de l'utilisation de l'énergie nucléaire tel que cela a été décidé en Allemagne ou en Suède, l'entreposage à long terme est dénué de sens. Pourquoi, en effet, conserver à grands frais disponibles des combustibles qui, de toute façon, n'auraient plus d'utilité, si ce n'est pour reporter sur les générations futures des problèmes qu'on ne veut ou qu'on n'ose pas traiter immédiatement ?

La création de capacités d'entreposage à long terme ne se conçoit donc que dans la perspective du maintien d'une industrie nucléaire forte, le combustible entreposé constituant une véritable réserve stratégique de matière première utilisable dès que les conditions économiques ou politiques le justifieront.

L'expérience nous montre en effet que toutes les prévisions passées en matière d'énergie se sont révélées fausses et que l'application du fameux « principe de précaution » devrait nous inciter à conserver un gisement de matière énergétique considérable et bon marché.

Le maintien d'une industrie nucléaire forte est toutefois une condition nécessaire mais pas suffisante, une disparition ou même une réduction des capacités de retraitement rendrait l'entreposage à long terme dénué de tout intérêt.

Sans le maintien d'une capacité suffisante de retraitement, l'existence d'un entreposage à long terme constitue une solution illusoire destinée simplement à repousser les échéances. L'argument de l'attente des solutions miracles que pourraient découvrir les générations futures pour détruire ou réduire la radioactivité est un aveu de lâcheté et d'impuissance à affronter les difficultés.

Avant de s'engager dans la voie du retraitement différé, et par voie de conséquence de l'entreposage à long terme, notre société doit donc s'interroger sur la place qu'elle veut réserver à l'énergie nucléaire.

Nous disposons de multiples études proposant des scénarios prospectifs envisageant toutes les éventualités possibles mais il faudra bien un jour, au niveau politique, trancher et prendre des décisions comme avaient su le faire nos prédécesseurs quand ils ont lancé le programme nucléaire.

Si le choix reste ouvert sur l'avenir de l'industrie nucléaire, nous n'avons pas, en revanche, à tergiverser sur les décisions à prendre en matière de stockage définitif. Un recours éventuel à l'entreposage à long terme ne doit pas servir de prétexte pour arrêter ou même pour retarder les recherches en ce domaine.

Le laboratoire de Bure doit être conforté par un deuxième laboratoire et, dès lors, aucune raison sérieuse ne justifie que l'on écarte le site prévu dans le Gard, que les experts géologues avaient jugé excellent.

Des déchets qui existent déjà, que ce soit les « verres » ou les déchets dits déchets B, n'ont pas d'autre destination possible que le stockage définitif en couches géologiques profondes, toutes les autorités compétentes en France et dans le monde s'entendent pour reconnaître qu'il n'y a pas d'autres solutions raisonnables possibles.

A partir du moment où on optera pour l'entreposage à long terme de tout ou partie du combustible irradié, il faudra également envisager l'éventualité du stockage souterrain définitif des assemblages car rien ne nous assure que les générations futures souhaiteront retraiter ce combustible et qu'il faudra bien, dès lors, disposer d'un autre exutoire à l'entreposage.

Comme l'a encore souligné la Commission Nationale d'Evaluation dans son dernier rapport, les problèmes liés à l'interface entre l'entreposage et le stockage doivent faire l'objet d'une collaboration scientifique accrue et étroite entre toutes les parties concernées : les deux voies de recherche prévues par la loi de 1991 sont indissociablement liées et doivent être étudiées conjointement.

L'application rigoureuse de la loi de 1991 s'impose et rien ne doit retarder l'échéance de 2006 où le Parlement aura l'opportunité de se prononcer sur le principe de stockage définitif tout en espérant qu'il aura aussi d'ici là l'opportunité de se prononcer enfin sur la politique énergétique et sur l'avenir de l'industrie nucléaire.

La médiatisation extrême du dossier nucléaire ne doit pas entraîner une crispation des acteurs du nucléaire. Sans doute peuvent-ils ressentir les interrogations publiques comme une exigence irritante par rapport à l'indulgence dont bénéficient les industries pétrolières, gazières, charbonnières ou encore l'industrie chimique et regarder avec condescendance l'éblouissement naïf de l'opinion publique devant les énergies renouvelables.

Parce qu'elle représente une réponse volontariste dans laquelle s'est investi le meilleur de notre recherche et notre industrie, l'énergie nucléaire doit être à la hauteur d'une exigence supérieure de transparence.

Une évolution significative avait été enregistrée ces dernières années. La décennie 2000 ne doit pas marquer le retour d'une certaine arrogance technocratique. Les vérités révélées il y a trente ans ne sont pas des vérités immuables.

L'humanisme, dont se réclament les tenants du progrès, suppose une capacité à se remettre en cause. C'est bien au pouvoir politique qu'il appartient de faire les grands choix. La décision de retraiter les combustibles irradiés, de ne plus les retraiter ou, peut-être un jour, de recommencer à les retraiter, ne relève pas des chefs d'entreprises qui vont réagir selon les aléas du marché et du court terme. C'est une responsabilité de long terme, d'ordre gouvernemental.

En dernier lieu, parce qu'ils sont interpellés quotidiennement par les citoyens, les parlementaires ne doivent pas être seulement des témoins mais des législateurs fixant des règles stables conformes à l'intérêt général et à la démocratie.

Comme il y a dix ans, la transparence, la responsabilité et la démocratie doivent rester nos repères essentiels.

Recommandations

Une loi sur l'aval du cycle du combustible nucléaire

En l'absence d'une grande loi sur le nucléaire, comme il en existe déjà dans plusieurs pays, il semble aujourd'hui indispensable que la France se dote d'un appareil législatif qui encadre les activités de l'aval du cycle du combustible nucléaire.

La préparation du présent rapport nous a montré qu'il était indispensable et urgent de donner un caractère législatif à un certain nombre de règles qui doivent régir ces activités qui commencent au moment du déchargement des combustibles irradiés et se poursuivent par le retraitement, l'entreposage, le recyclage et voire même par le stockage définitif.

La loi du 30 décembre 1991 qui organisait la recherche sur les déchets à haute activité conserve toute sa pertinence et sa validité et n'a pas à être modifiée avant 2006, date à laquelle le Parlement aura à se prononcer sur le résultat des recherches conduites dans le cadre de cette loi.

La loi de 1991 ne concernait toutefois qu'un aspect bien précis de l'aval du cycle nucléaire et il y aurait donc tout intérêt à prévoir désormais un dispositif d'ensemble couvrant l'intégralité de ce secteur.

Comme en 1991, certains objecteront qu'il ne serait peut-être pas indispensable de recourir à la loi pour contrôler des opérations d'ordre essentiellement technique.

L'expérience montre que la gestion de l'aval du cycle du combustible nucléaire est désormais ressentie comme une activité qui entraîne des risques et des contraintes hors du commun, aussi bien en raison de la très forte radiotoxicité de ces combustibles que de la très longue durée de vie de certains des éléments qui s'y trouvent.

Dès lors, dans l'esprit de nos concitoyens, la gestion de ce secteur doit obéir à des règles d'exception qui transcendent les normes généralement admises pour la prévention des autres risques industriels.

Les responsables de l'industrie nucléaire qui souhaiteraient banaliser leurs activités acceptent parfois mal ce qu'ils considèrent comme de la suspicion à leur égard. Ils doivent pourtant comprendre que ce n'est qu'en acceptant de donner des garanties solennelles, comme celles qu'apporte la loi, qu'ils pourront continuer à travailler sans être en permanence en but aux attaques, aux dénonciations et aux recours en justice.

L'adoption d'une loi sur l'aval du cycle du combustible nucléaire donnerait donc l'occasion de réaffirmer un certain nombre de principes et solenniser certaines règles :

1) La création d'une Délégation interministérielle à l'aval du cycle nucléaire

Reprenant une proposition faite dans un précédent rapport, je propose que soit créée par la loi une Délégation interministérielle chargée de faire appliquer au quotidien une politique globale et cohérente de l'aval du cycle nucléaire ce qui n'est pas la cas à l'heure actuelle.

Cette Délégation, qui ne serait pas une haute autorité et qui n'aurait donc pas à se substituer aux Pouvoirs publics pour tout ce qui concerne la définition de la politique, serait placée auprès du Premier Ministre, ce qui permettrait de rationaliser et d'organiser des activités actuellement trop dispersées en offrant ainsi à nos concitoyens la possibilité d'avoir enfin une meilleure lisibilité de la politique suivie dans ce secteur.

Le pouvoir doit en dernier lieu rester au Chef du Gouvernement, expression de la démocratie et de la volonté populaire.

2) La gestion par pays des matières radioactives

Chaque pays doit rester responsable des éléments produits en aval du cycle, ce qui impose :

- de ne pas chercher à exporter ses déchets ou ses combustibles irradiés,

- de fixer des règles très précises à l'entrée et au séjour sur le sol français des combustibles étrangers destinés à être retraités en précisant notamment les conditions dans lesquelles ces combustibles et les déchets qu'ils génèrent doivent repartir dans leur pays d'origine.

3) Le rôle de l'ANDRA

L'ANDRA doit s'affirmer en qualité d'opérateur unique pour la gestion de tous les déchets nucléaires sans exception. Il doit être clairement affirmé que cette activité ne peut en aucun cas faire l'objet d'un transfert au secteur privé. Ce renforcement devrait toutefois aller de pair avec une certaine clarification de ses responsabilités et une redéfinition de ses missions dans une direction plus opérationnelle et en évitant une forme redondante de réflexions ne débouchant pas sur des actions concrètes.

4) La clarification du financement des dépenses liées aux déchets et à l'aval du cycle

L'évolution récente du marché mondial de l'électricité peut laisser craindre que l'organisation actuelle du financement du stockage des déchets, de l'entreposage des combustibles irradiés, et du démantèlement des installations hors d'usage par de simples provisions inscrites dans les comptes d'EDF ne constitue plus, à long terme, une solution satisfaisante et qu'il conviendrait donc, pour l'avenir, de s'orienter vers une autre solution du type de celles qui ont été adoptées par d'autres pays disposant d'une industrie nucléaire importante.

Il conviendrait également de clarifier à cette occasion les conditions dans lesquelles le CEA et le Ministère de la Défense pourront faire face aux frais entraînés par le démantèlement de leurs installations.

3101 - Rapport de M. Christian Bataille sur Les possibilités d'entreposage à long terme de combustibles nucléaires irradiés (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques)

1 Prix moyen mensuel des échanges SPOT

2 L'évolution de la recherche sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité. Tome 1 : les déchets civils. Christian Bataille, OPECST - 1996

3 Jean-Paul Schapira. La Recherche n° 226 - Novembre 1990

4 L'aval du cycle nucléaire. Tome II : les coûts de production de l'électricité. Par MM. Christian Bataille et Robert Galley, OPECST - 1999

5 Etude économique prospective de la filière électrique nucléaire par MM. Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, Benjamin Dessus, Directeur du programme Ecodev - CNRS et René Pellat, Haut Commissaire à l'Energie Atomique. Juillet 2000

6 AFP 271851 - Mars 2001

7 L'aval du cycle nucléaire - Tome I : étude générale. MM. Christian Bataille et Robert Galley - OPECST 1998

8 L'aval du cycle nucléaire. Tome II : les coûts de production de l'électricité. Par MM. Christian Bataille et Robert Galley, OPECST - 1999

9 Rapport sur la science et la technologie. Tome 5. Académie des Sciences. Juillet 2000

10 L'aval du cycle nucléaire. Tome 1 : étude générale. Par MM. Christian Bataille et Robert Galley, OPECST - 1998

11 Nuclear Fuel. N° 6 - 23 Mars 1998

12 Etude économique et prospective de la filière électrique nucléaire. Rapport au Premier Ministre. MM. Jean-Michel Charpin, Benjamin Dessus et René Pellat. Juillet 2000

13 Les Echos. Mardi 31 octobre 2000

14 L'énergie nucléaire en 110 questions. Sous la direction de M. Claude Mandil, Directeur de la DGEMP - 1996

15 Pour un inventaire national de référence des déchets radioactifs. Yves Le Bars, Président de l'ANDRA. La Documentation française - Septembre 2000

16 Etude économique prospective de la filière électrique nucléaire. Rapport au Premier Ministre. Juillet 2000. Op. déjà cité

17 Rapport n° 6 de la Commission Nationale de l'Evaluation. Juin 2000

18 CNE : Réflexions sur la réversibilité des stockages (juin 1998)

19 Loi sur la protection de l'environnement dite Loi Barnier du 2 février 1995

20 Matériaux du nucléaire. Rapport sur la science et la technologie n° 5 - Académie des Sciences - Juillet 2000

21 Isotopes : éléments qui ne différent que par leur nombre de neutrons dont le comportement chimique est identique mais qui se distinguent par de légères différences dans leurs propriétés physiques

22 Le Becquerel (Bq) : unité légale de mesure de la radioactivité correspond à une désintégration par seconde

23 La période correspond au temps nécessaire pour qu'un radionucléide ait sa radioactivité divisée par 2 ; il faut donc attendre 10 périodes pour qu'elle soit divisée par 1000, soit 300 ans dans le cas du césium.

24 Faisabilité d'un entreposage en sub-surface. Rapport au Gouvernement. CEA 17 novembre 1998

25 Matériaux du Nucléaire - Académie des Sciences - Juillet 2000 - Op. déjà cité

26 Faisabilité d'un entreposage en sub-surface CEA - Rapport au Gouvernement 1998 - Op. déjà cité

27 Réflexions sur la réversibilité des stockages - Commission Nationale d'Evaluation - Juin 1998

28 Matériaux du nucléaire - Académie des Sciences - Juillet 2000 - Op. déjà cité

29 Matériaux du nucléaire - Académie des Sciences - Juillet 2000 - Op. déjà cité

30 Spent fuel workshop - ANDRA - janvier 1999 - document non publié

31 CLAB : Centre d'entreposage à long terme en piscine souterraine en fonctionnement en Suède depuis 1985

32 Rapport d'évaluation n° 6 - Commission Nationale d'Evaluation - Juin 2000 - Op. déjà cité

33 Stratégie et programmes des recherches au titre de la Loi du 30 décembre 1991 - Ministère de la Recherche - Avril 2000

34 Fondements environnementaux et éthiques de l'évacuation géologique - Comité de la gestion des déchets radioactifs - AEN - OCDE 1995

35 Enjeux sociaux de la surveillance institutionnelle des stockages profonds de déchets radioactifs - Centre d'étude sur l'évaluation de la protection dans le domaine nucléaire - octobre 1996

36 L'usine Nouvelle - 1er février 2001

37 Zoom sur les entrepôts au long cours - Les défis du CEA - Mars 1999

38 Réversibilité du stockage en formations géologiques profondes - ANDRA - Mars 1998

39 Réflexion sur la réversibilité des stockages - CNE - Juin 1998

40 L'étude de l'entreposage à long terme des déchets radioactifs - Contrôle revue de la DSIN - Avril 2000

41 Quelle éthique pour la gestion des déchets radioactifs à vie longue - Pierre Strohl - Annales des Mines (octobre 1999) n° 16-17

42 La gestion des déchets radioactifs civils à vie longue en France. Quelle stratégie pour quelle légitimité ? - Mémoire de l'Ecole des Mines de Paris présenté par MM. Jérémie Averous et Xavier Bravo - Juin 1997

43 Fondements environnementaux et éthiques de l'évacuation géologique. Opinion collective du Comité de la gestion des déchets radioactifs de l'AEN - OCDE 1995

44 Mission de médiation sur l'implantation de laboratoires de recherches souterrains - Rapport au Premier Ministre présenté par M. Christian Bataille - Documentation française - Mars 1994

45 Stratégie et programmes des recherches au titre de la Loi du 30 décembre 1991-2000-2006- Ministère de la Recherche Direction de la Technologie - Avril 2000

46 « Les conséquences des installations de stockage des déchets nucléaires sur la santé publique et l'environnement » - Madame Michèle Rivasi - Députée. Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques - Mars 2000

47 L'énergie nucléaire face à la concurrence sur les marchés de l'électricité - Agence pour l'Energie Nucléaire OCDE 2000.

48 Recyclage des matières nucléaires Mythes et réalités - Wise - Paris - Avril 2000


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