graphique

N° 1592

--

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 mai 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES(1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n°1493) de M. FRANÇOIS GOULARD visant à créer une commission d'enquête sur la Bibliothèque de France,

PAR

M. Patrick BLOCHE

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Culture.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; MM. René Couanau, Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, Maxime Gremetz, vice-présidents ; Mme Odette Grzegrzulka, MM. Denis Jacquat, Noël Mamère, Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; MM. Yvon Abiven, Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux, MM. André Aschieri, Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Baeumler, Pierre-Christophe Baguet, Jean Bardet, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Mmes Huguette Bello, Yvette Benayoun-Nakache, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Alain Bocquet, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Jean-Claude Boulard, Bruno Bourg-Broc, Mme Christine Boutin, MM. Jean-Paul Bret, Victor Brial, Mme Nicole Bricq, MM. Yves Bur, Alain Calmat, Pierre Carassus, Pierre Cardo, Roland Carraz, Mmes Véronique Carrion-Bastok, Odette Casanova, MM. Laurent Cathala, Jean-Charles Cavaillé, Bernard Charles, Jean-Marc Chavanne, Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Georges Colombier, François Cornut-Gentille, Mme Martine David, MM. Bernard Davoine, Lucien Degauchy, Marcel Dehoux, Jean Delobel, Jean-Jacques Denis, Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, MM. Guy Drut, Nicolas Dupont-Aignan, Yves Durand, René Dutin, Christian Estrosi, Claude Evin, Jean Falala, Jean-Pierre Foucher, Jean-Louis Fousseret, Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, MM. Germain Gengenwin, Mmes Catherine Génisson, Dominique Gillot, MM. Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Gaëtan Gorce, François Goulard, Jean-Claude Guibal, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, M.  Francis Hammel, Mme Cécile Helle, MM. Pierre Hellier, Michel Herbillon, Guy Hermier, Mmes Françoise Imbert, Muguette Jacquaint, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Bertrand Kern, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Jacques Lafleur, Robert Lamy, Edouard Landrain, Pierre Lasbordes, Mme Jacqueline Lazard, MM. Michel Lefait, Maurice Leroy, Patrick Leroy, Maurice Ligot, Gérard Lindeperg, Patrick Malavieille, Mmes Gilberte Marin-Moskovitz, Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Didier Mathus, Jean-François Mattei, Mme Hélène Mignon, MM. Jean-Claude Mignon, Pierre Morange, Hervé Morin, Renaud Muselier, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Yves Nicolin, Bernard Outin, Dominique Paillé, Michel Pajon, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Bernard Perrut, Pierre Petit, Mme Catherine Picard, MM. Jean Pontier, Jean-Luc Préel, Alfred Recours, Gilles de Robien, Mme Chantal Robin-Rodrigo, MM. François Rochebloine, Marcel Rogemont, Yves Rome, Jean Rouger, Rudy Salles, André Schneider, Bernard Schreiner, Michel Tamaya, Pascal Terrasse, Gérard Terrier, Mmes Marisol Touraine, Odette Trupin, MM. Anicet Turinay, Jean Ueberschlag, Jean Valleix, Philippe Vuilque, Jean-Jacques Weber, Mme Marie-Jo Zimmermann.

PRÉSENTATION GÉNÉRALE 5

TRAVAUX DE LA COMMISSION 15

ANNEXE : liste des rapports sur la Bibliothèque nationale de France 17

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

La proposition de résolution n° 1493 présentée par M. François Goulard tend à créer une commission d'enquête sur la Bibliothèque nationale de France (BNF). Selon l'exposé des motifs cette commission devrait avoir pour tâche de déterminer :

« 1° les origines des erreurs de conception et des dysfonctionnements ;

« 2° les conditions dans lesquelles des modifications structurelles pourraient être entreprises afin d'adapter cet édifice aux fonctions pour lesquelles il a été conçu, tout en réalisant des économies substantielles sur ses frais de fonctionnement ».

L'article unique de la proposition se borne à prévoir la création d'une commission d'enquête parlementaire de trente membres sur la Bibliothèque nationale de France.

L'exposé des motifs ne manque pas de puiser ses arguments dans les deux rapports récemment publiés sur la BNF, celui de la Cour des comptes, publié en janvier 1999 et celui fait par M. Albert Poirot, inspecteur général des bibliothèques, publié en mars 1999.

Il reprend donc les principaux aspects des difficultés de fonctionnement de cet établissement public soulignant ainsi que « de multiples dysfonctionnements et de trop nombreux incidents techniques ne permettent malheureusement pas à la BNF de répondre aux espoirs qu'avait pu faire naître ce projet considérable».

L'exposé des motifs livre une liste non exhaustive des critiques et constatations figurant dans les rapports précités ; certains errements trouvant leur origine dans la conception même du bâtiment, dans la redéfinition intempestive des missions de l'institution avant son entrée en fonction et nuisant, par voie de conséquence, à son fonctionnement.

Il souligne encore que « pour les lecteurs une journée à la BNF tiendrait d'un roman de Kafka », auteur régulièrement convoqué lorsqu'il s'agit de décrire des situations semblant résulter de l'action du rejeton d'un autre prosateur non moins connu du monde administratif, mais français celui-là : le Père Ubu d'Alfred Jarry.

Il ne reste plus qu'à déplorer que les quatre tours du site François Mitterrand à Tolbiac, qui n'est, faut-il le rappeler, qu'un des éléments de l'ensemble que compose la BNF, ne comportent pas chacune neuf étages, ce qui aurait alors permis d'avoir recours à l'incontournable qualificatif de « dantesque ».

I.- La recevabilité de cette proposition de résolution doit s'apprécier au regard des dispositions conjointes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première condition de recevabilité est relative à la définition précise, soit des faits qui donnent lieu à enquête, soit des services publics ou entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion. L'article unique visant de façon explicite un établissement public, il est possible de considérer que cette condition est remplie.

La seconde condition concerne le respect du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre du ...mai 1999, la Garde des sceaux a fait connaître qu'à ce jour aucune procédure judiciaire n'était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution. Il y a donc lieu de considérer cette dernière comme parfaitement recevable.

II.- Il n'est évidemment pas question de nier la réalité des sérieuses difficultés rencontrées par la BNF et particulièrement par l'établissement situé à Tolbiac sur lequel porte la présente proposition de résolution. Les faits mentionnés par les auteurs sont, en effet, avérés; l'histoire même de la conception puis de la réalisation du projet, émaillée de rivalités entre administrations, voire entre personnes, l'ampleur du projet ainsi que la redéfinition souvent tardive des missions dévolues à l'établissement n'ont pu qu'en compliquer tant la construction que le fonctionnement. Les rapports de la Cour des comptes et de M. Albert Poirot ne laissent pas place à l'équivoque en ce domaine ; il convient de rappeler que ce dernier document est le fruit des travaux de neuf groupes de travail mis en place après un mouvement de grève du personnel de l'établissement et qu'il constitue, précise son auteur, un outil de proposition destiné à résoudre de façon concrète les problèmes rencontrés.

Aussi, l'opportunité de la constitution d'une commission d'enquête dont le but est de rechercher les erreurs et manquements qui ont présidé à la création de la BNF, mais encore de déterminer les mesures à prendre pour la rendre à même de remplir ses missions, peut être contestée, les quinze rapports faits au sujet de cet établissement satisfaisant largement à cette demande.

1.- Des conditions de conception et de réalisation désordonnées qui sont parfaitement connues

Le principe de la création de l'une des plus grandes bibliothèques du monde a été arrêté le 14 juillet 1988 par le Président de la République. Le nouvel établissement devait, de façon schématique, remplir les trois objectifs suivants :

- un enjeu encyclopédique par l'élargissement du champ couvert par la BN à Richelieu (sciences exactes et humaines pour les imprimés et ouverture à des collections audiovisuelles) ;

- l'utilisation des technologies les plus modernes dans le domaine des transmissions de données, les nouveaux supports permettant une meilleure ouverture sur l'extérieur ;

- la mise à la disposition de tous du savoir se traduisant par une capacité d'accueil d'un large public avec un grand nombre d'ouvrages en libre accès.

Le choix du site a été à l'origine d'âpres débats, à l'instar de ceux qui ont précédé la construction du Stade de France. En effet, au mois de janvier 1989 plusieurs options étaient proposées : l'emplacement de la gare d'Austerlitz, le fort de Vincennes ou encore La Plaine Saint-Denis.

Il faut, par ailleurs, rappeler que la réalisation de la Bibliothèque nationale de France a connu trois tutelles administratives successives :

. de janvier à décembre 1989, celle de l'Association pour la Bibliothèque de France (AFB) ;

. de janvier 1990 à décembre 1993, celle de l'Etablissement public de la Bibliothèque de France (EPBF) créé par décret du 13 octobre 1989 ;

. depuis le décret du 3 janvier 1994, celle de la Bibliothèque nationale de France (BNF), héritière de la Bibliothèque nationale et de l'EPBF.

Les délais impartis pour la construction du site de Tolbiac ont été fixés par le Président de la République dans une lettre du 23 mars 1989 au Premier ministre qui précise : « Je suis très attaché à ce que cette réalisation puisse être achevée, au moins pour la première tranche significative, dans les cinq ans à venir. Ceci impose d'ouvrir le chantier en 1991 et de choisir l'architecte dès cet été ».

Diverses péripéties ont ensuite contribué à retarder le début des travaux qui ne purent démarrer qu'au terme du contentieux (six mois) relatif à l'attribution du marché concernant la construction du « clos-couvert », puis d'une interruption de onze semaines du terrassement due à l'occupation par des squatters d'un terrain contigu au chantier.

La brièveté des délais a conduit le maître d'_uvre et le maître d'ouvrage à faire fi d'un certain nombre de règles relatives à la précession des études de programmation et de maîtrise d'_uvre aussi bien que de l'application des procédures légales et réglementaires relatives à la commande publique et à la passation des marchés. A cet égard le rapport de la Cour des comptes souligne que : « La fonctionnalité de l'ouvrage s'en est ressentie tandis que le parti architectural retenu en l'absence d'une définition précise des besoins et contraintes liées à l'utilisation de l'ouvrage s'est révélée générer un coût de fonctionnement particulièrement élevé ».

Au cours de l'été 1989 le projet de M. Dominique Perrault a été choisi. C'est à cette époque qu'intervint le revirement sur la césure des collections initialement envisagées entre le nouvel équipement qui devait recevoir les seuls documents publiés après 1945 et la BN conservant les documents antérieurs, revirement qui eut pour conséquence de transférer de la BN à Tolbiac 10 à 11 millions d'imprimés et de périodiques au lieu des quatre millions annoncés dans l'esquisse du programme. Cependant, la conception du bâtiment n'a pas été modifiée en conséquence, ceci explique une part des difficultés de fonctionnement de la bibliothèque qui n'avait pas été conçue pour recevoir un tel volume.

Au titre des indécisions et controverses qui ont porté l'ouvrage sur les fonds baptismaux, il faut encore mentionner la polémique relative à l'ouverture de la bibliothèque à tous les publics (ce qui n'est pas le cas à Richelieu), qui inspirait l'esquisse du programme. Ce débat eut pour résultat de faire varier le nombre de places assises envisagées entre 4 000 et 6 000 ; une lettre du Président de la République, en date du 15 octobre 1990, institua une distinction entre public des chercheurs et celui de tous les lecteurs, invitant l'EPBF à appliquer des critères d'accès distincts (libre pour le niveau tous publics, avec carte pour les chercheurs). Cette décision, modifiait ainsi sensiblement l'organisation de l'espace conçu par le maître d'_uvre : il fallait marquer la séparation entre les niveaux de lecture et revoir la conception des accès et des circulations. Ces hésitations se trouvent à l'origine d'une partie des difficultés rencontrées dans la mise en _uvre du projet informatique.

Les contestations liées à la conception architecturale d'ensemble aboutirent à la saisine du Conseil supérieur des bibliothèques dont le rapport (quatrième de la quinzaine de rapports dont a fait l'objet la BNF et dont la liste figure en annexe au présent rapport) inspira les modifications du projet et de sa conduite demandées par le Président de la République aux ministres de tutelle en février 1992.

2.- Le bâtiment : un choix contestable peu compatible avec le fonctionnement d'une bibliothèque

C'est un bâtiment vide qui a été inauguré par le Président de la République le 26 mars 1995, c'est à dire, dans les délais prévus. Il devait rester totalement puis partiellement inaccessible au public pendant trois ans et demi, l'échéancier fixé pour les différentes étapes du projet après la réception du bâtiment enregistrant de grands retards.

Le niveau « haut de jardin » a été ouvert à la fin de l'année 1996. Il offre 1.600 places, tous les jours sauf le lundi, aux lecteurs âgés de plus de seize ans ; 230.000 volumes y sont en libre accès, ce nombre devant être porté à 400.000 à terme.

Les salles du « rez-de-jardin », réservées aux chercheurs ont été ouvertes en octobre 1998. Elles comptent 2.000 places, soit quatre fois plus que la salle Labrousse du site Richelieu.

Il convient de relever que c'est le choix, figurant dans le projet d'origine, de ne pas fermer temporairement l'accès à la consultation des ouvrages aux chercheurs qui a présidé à la décision d'ouvrir aussi rapidement les salles à la consultation (pour mémoire, il est rappelé que la British Library est restée close pendant un an).

Le déménagement des fonds, à partir de mars 1998, et le transfert progressif des personnels ont immédiatement mis au jour les difficultés liées à l'inadaptation du bâtiment aux tâches qui lui étaient dévolues.

Le choix du stockage des ouvrages dans les tours se révèle être une lourde erreur, d'une part parce qu'il a nécessité leur protection contre la lumière, ce que le projet architectural n'avait pas prévu (dès la plus haute antiquité les rouleaux et parchemins étaient mis à l'abri), d'autre part parce que cette disposition géographique entraîne un long parcours pour faire parvenir à son destinataire le document commandé.

Malgré son immensité (365.000 m2 de surface de plancher, 160.000 m2 de surface utile) le bâtiment ne comporte pas l'espace nécessaire aux personnels des services, amenés à travailler dans des conditions d'inconfort caractérisées.

Les quatre tours du bâtiment lui valent d'être classé quatre fois immeuble de grande hauteur, qualité qu'il ajoute à celle de bâtiment recevant du public. Ce statut lui donne droit à un important dispositif de sécurité décrit dans son rapport par M. Poirot.

La distance entre les deux tours (275 m sur le plus long côté) implique une perte considérable de temps en déplacement.

L'impérieuse nécessité d'assurer un acheminement rapide des ouvrages vers leurs destinataires à conduit l'ensemble du site à voir son fonctionnement suspendu à la bonne marche d'un système informatique particulièrement sophistiqué et, partant, fort long à mettre en _uvre.

3.- Un système informatique centralisé trop tôt mis à l'épreuve

Le choix d'un système informatisé gérant tant la circulation des ouvrages que les cartes magnétiques d'accès, la paie ou la cantine des personnels ne s'est pas révélé pertinent. En effet, la centralisation dans ce domaine peut conduire à créer des structures inutilement complexes et singulièrement fragiles puisqu'un seul incident, même mineur, en un point du réseau est susceptible de paralyser l'ensemble.

De fait, le système mis en _uvre par le concessionnaire retenu n'était pas en état de fonctionner de façon satisfaisante à la date attendue. En accord avec la direction de l'établissement, la société Cap Gémini a été amenée à adopter des solutions provisoires afin de satisfaire dans les meilleures conditions possibles à la demande des chercheurs qui n'ont pas manqué de manifester leur impatience.

Cette situation est, elle aussi, largement due aux hésitations et revirements qui émaillèrent la conception comme la réalisation du projet. A cet égard, le rapport de la Cour des comptes souligne que, par leur caractère provisoire, ces solutions n'ont permis de juger ni de la faisabilité ni des performances du futur système d'information. Ce même document conclut sur ce chapitre de la façon suivante : « On a là une illustration des difficultés de la BNF à concilier les missions qui lui ont été confiées en fusionnant l'EPBF et la BN, à savoir, d'une part la préparation de l'avenir et, d'autre part, la gestion du présent ».

Au demeurant et même si un recours contentieux de la BNF à l'encontre de cette société n'est pas à exclure à terme, la question de l'informatique peut être résolue, tant il est vrai que, dans ce domaine, une période de rodage est inévitable.

4.- Héritière d'une conception déficiente, la BNF dispose des moyens de surmonter ses handicaps de départ

A l'instar de toute construction culturelle ou de prestige la BNF a un coût : la Cour des comptes notamment n'a pas manqué de se pencher sur cette question.

Elle indique dans son rapport que : « L'enveloppe budgétaire allouée à l'opération a été arrêtée par les pouvoirs publics en juin 1990, à la somme de 7,2 milliards de francs (en valeur décembre 1989) répartie entre 5,2 milliards de francs pour la construction du bâtiment et 2 milliards de francs pour son contenu. Comparée aux sommes consacrées aux autres grands travaux jusqu'ici les plus coûteux, actualisés à décembre 1989, l'enveloppe budgétaire allouée au projet de la BNF représente un montant supérieur de plus de 35,5 % à celle de la cité des sciences et de l'industrie, de plus de 28,2 % à celle des deux tranches du Grand Louvre et de plus de 177,9 % à celle de l'Opéra Bastille ». La Cour des comptes estime plus loin que le bilan global d'exécution des travaux montre un dépassement global provisoire de 8,3 % du coût initial desdits travaux, chiffre par ailleurs contesté par la direction de l'établissement de Tolbiac entendue par le rapporteur.

Le fonctionnement de la BNF, qui emploie aujourd'hui 2.800 personnes, est estimé à 1 milliard de francs par an, montant correspondant d'ailleurs à l'enveloppe prévisionnelle.

A ce stade il convient de rappeler que la BNF ne se résume pas au site François Mitterrand à Tolbiac mais qu'elle comprend, en outre, les sites suivants : Richelieu, Arsenal, Opéra, Marne-la-Vallée CTL, Provins, Sablé-sur-Sarthe et Avignon.

Ainsi, le rééquilibrage des moyens au bénéfice du site Richelieu est partie prenante de l'ensemble du projet BNF. L'Institut national d'histoire de l'art (INHA) y a été installé et un redéploiement des collections de la BNF ayant vocation à y demeurer entrepris. Ce site contient désormais les estampes et la plus importante collection de photographies anciennes au monde, les manuscrits orientaux et occidentaux, les monnaies et médailles, les cartes et plans ainsi que les collections des arts du spectacle ; l'ensemble de ces collections représente plus de vingt millions de pièces.

A ce jour, le site de Tolbiac a délivré 11.000 cartes contre 8.500 pour l'ancien site de Richelieu et les salles ouvertes au grand public sont régulièrement saturées, ce qui prouve que cette bibliothèque n'est pas boudée par les lecteurs.

Par ailleurs, un des aspects les plus innovants du projet BNF est la mise en réseau par le truchement de la numérisation et de la diffusion sur l'internet.

Cet élément revêt plusieurs aspects :

- la possibilité pour les consultants de réserver vingt-quatre heures à l'avance le ou les documents souhaités ;

- la possibilité de consulter en ligne, notamment à l'attention des scolaires âgés de moins de seize ans, des dossiers thématiques illustrés établis ou non à partir d'expositions visibles sur le site lui-même ;

- la BNF entretient des liens étroits avec les grandes bibliothèques étrangères américaines ou européennes, comme la bibliothèque du Congrès, la New York public library, la British library ; elle développe également ses relations avec les bibliothèques du bassin méditerranéen ;

- la mise en réseau de l'ensemble de la BNF avec les bibliothèques de province se trouve à l'origine d'un maillage qui concerne aujourd'hui quatre-vingt pôles associés partageant le dépôt légal de l'imprimeur et la numérisation, le Catalogue collectif de France (CCFR) recensant aujourd'hui 5.000 établissements en France ;

- ce maillage est lié au catalogue numérique mis en ligne et qui comporte 7 millions de notices ;

- 50.000 ouvrages libres de droits sont désormais consultables en ligne.

A cet égard, le rapporteur, qui a remis au Premier ministre le 7 décembre 1998, le rapport intitulé : « Le désir de France, la présence internationale de la France et la francophonie dans la société de l'information », rappelle qu'une des propositions figurant dans ce document porte sur la création de « l'Encyclopédie numérique virtuelle du XXIéme siècle », tant il est vrai que si Diderot et d'Alembert devaient entreprendre aujourd'hui leur grande _uvre, ils ne manqueraient pas d'utiliser l'internet. Il est attristant de constater que le projet d'édition en ligne de l'Encyclopédie est en cours sur un site universitaire américain payant. Le projet figurant dans le rapport précité est proche de l'idée que M. Jacques Attali avait lancée, dès 1982, à savoir la création d'une véritable bibliothèque virtuelle et universelle.

Il apparaît donc éminemment souhaitable que cet élément qui est partie intégrante de la définition originelle du projet n'en devienne pas le parent pauvre.

En conclusion, il apparaît que les erreurs ont été commises à la naissance de la BNF et donc du site de Tolbiac, sont suffisamment connues pour rendre inutiles les six mois de travail d'une commission d'enquête parlementaire. Un outil culturel incomparable existe aujourd'hui et il importe de le faire vivre. Les problèmes liés au système informatique sont en voie de résolution. Pour ce qui concerne la situation des personnels, les travaux des neuf groupes de réflexion et de proposition mis en place au lendemain de la grève par le protocole d'accord du 6 novembre 1998, ouvrent des pistes suffisantes que le rapport fait par M. Albert Poirot met en perspective.

Il n'y a donc pas lieu de laisser accroire, comme tendent à le faire certaines campagnes par ailleurs entachées d'erreurs et d'approximations, qu'à l'instar de ce qu'avait imaginé Borges dans La bibliothèque de Babel : « le non-sens est la règle dans la Bibliothèque et que les passages raisonnables, ou seulement de la plus humble cohérence, constituent une exception quasi miraculeuse ». Le centre Georges Pompidou, qui en son temps a fait l'objet de bien des sarcasmes, ne s'est pas fait en un jour et bien des équipements lourds n'atteignent pas leur vitesse de croisière dès les premiers essais.

Ainsi donc, pour prendre cette fois une référence empruntée à la littérature populaire, il n'y a pas de « mystères de la bibliothèque nationale ». Les erreurs du passé ont été minutieusement comptabilisées à travers la somme de rapports officiels consacrés au sujet. Ces rapports font apparaître clairement les responsabilités des uns et des autres. Les solutions sont, en outre, assez précisément décrites.

Au bénéfice de ces observations, le rapporteur conclut au rejet de la proposition de résolution n° 1493.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné la proposition de résolution au cours de sa séance du mercredi 12 mai 1999.

Après l'exposé du rapporteur, M. Edouard Landrain a regretté que M. Biasini, alors ministre chargé des grands travaux n'ait pas exercé avec suffisamment d'efficacité la surveillance de la construction de cette _uvre « pharaonique » dont on aurait pu faire l'économie et dont les défauts ainsi que l'inadaptation aux besoins avaient, dès l'origine, été dénoncés par un certain nombre de scientifiques. La mise en réseau des documents de la Bibliothèque, solution qui avait été également retenue alors en Grande-Bretagne est, en revanche, un élément positif. Il est vrai que toutes les données sont bien connues à travers les quinze rapports déjà établis et qu'une commission d'enquête ne s'impose pas. Encore faudrait-il ne pas avoir la mémoire courte au sujet des responsables de ces erreurs.

M. Bernard Perrut a exposé qu'un grand nombre de citoyens s'interroge sur le fonctionnement de la Bibliothèque de France. Il appartient donc bien au Parlement d'exercer son pouvoir de contrôle et d'en tirer les enseignements pour l'avenir. L'analyse faite par le rapport ne porte que sur les aspects techniques des dysfonctionnements de la Bibliothèque. Il faut, tout en étant conscient que la commission d'enquête ne saurait remédier aux problèmes d'informatisation, de classement des ouvrages ou de conditions de travail qui ne répondent pas aux besoins, déterminer les responsabilités de chacun.

M. Yves Nicolin a indiqué que la création de la BNF est l'origine d'une situation ubuesque dont les contribuables ont fait les frais tout en portant préjudice à d'autres réalisations qui étaient indispensables tant en province qu'à Paris. Il paraît curieux que si les lacunes et les malfaçons ont pu être mises en évidence, les responsabilités des concepteurs, notamment des architectes, n'ont toujours pas été déterminées, leur permettant ainsi de poursuivre leurs activités.

La commission d'enquête devrait permettre notamment d'établir le coût du rattrapage des erreurs commises lors de la réalisation de la Bibliothèque. Il serait donc dommage de conclure trop rapidement au rejet de sa constitution.

En réponse, le rapporteur a rappelé que la création d'une commission d'enquête ne pouvait se justifier que dans le cadre d'une recherche spécifique en particulier pour lever des secrets ou déterminer de nouvelles responsabilités, ce que les quinze rapports déjà existants ont déjà en fait, tout en proposant des solutions aux problèmes posés par le fonctionnement de la Bibliothèque, largement répertoriés.

On peut donc affirmer que le public est largement informé de ces difficultés. Par ailleurs, au plan des dépenses publiques, un certain nombre de procédures contre les entreprises responsables de surcoûts font l'objet de poursuites judiciaires qui devraient permettre d'en récupérer une partie.

La création d'une commission d'enquête apparaît moins utile, dans ces conditions qu'un suivi régulier du dossier à l'occasion de l'examen de la loi de finances.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

N°1592. - RAPPORT de M. Patrick BLOCHE (au nom de la commission des affaires culturelles) sur la proposition de résolution (n° 1493) de M. François Goulard visant à créer une commission d'enquête sur la Bibliothèque de France.