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le 17 mars 2000

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N° 2247

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mars 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2168) DE M. PHILIPPE DE VILLIERS ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à la création d'une commission d'enquête ayant pour objet de faire le point sur les chiffres actuels de l'immigration,

PAR M. RAYMOND FORNI,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Etrangers.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Jean-François Mattei, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

MESDAMES, MESSIEURS,

Le 12 janvier dernier, le « groupe permanent chargé des statistiques » au sein du Haut conseil à l'intégration (HCI) a rendu public un rapport relatif aux entrées des étrangers en France en 1998 (1). Comme à l'accoutumée, cette problématique a suscité un intérêt certain. Dans ce contexte, MM. Philippe de Villiers, Jean-Jacques Guillet et Lionnel Luca ont déposé, dès le 10 février, une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur « les chiffres actuels de l'immigration ».

Cette initiative doit être appréciée en termes de recevabilité, d'une part, et d'opportunité, d'autre part.

Sur le plan juridique, il ressort de l'application conjointe de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1110 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale que la création d'une commission d'enquête est soumise au respect de deux conditions :

-  les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires. En l'occurrence, la garde des sceaux a fait savoir au Président de l'Assemblée nationale, par courrier en date du 13 mars dernier, que compte tenu du thème et de l'approche choisis, les travaux d'une telle commission ne sont pas de nature à interférer en quoi que ce soit avec une procédure judiciaire en cours ;

-  la résolution doit déterminer avec précision soit les faits sur lesquels la commission d'enquête orientera ses investigations, soit les services publics ou les entreprises nationales dont elle examinera la gestion. De ce point de vue, la portée de la proposition de résolution est incertaine, voire ambiguë. La commission d'enquête devra « faire le point sur les chiffres actuels de l'immigration » et examiner les données contenues dans le rapport précité du HCI, bien qu'il s'agisse d'un document public que chacun est libre de consulter. Mais il est précisé qu'elle devra également « étudier les causes et les conséquences de l'augmentation notable de l'immigration à vocation permanente dans notre pays » : cette mission est d'une toute autre nature et dépasse largement les limites du travail statistique précité, qui est pourtant présenté comme l'objet premier de la commission d'enquête.

Ainsi, la recevabilité de cette proposition de résolution n'est pas à l'abri de toute critique. Mais votre rapporteur entend surtout se placer sur le terrain de l'opportunité : qu'il s'agisse d'examiner les statistiques ou « les causes et les conséquences » de l'immigration, l'utilité d'une commission d'enquête est très contestable.

S'agissant des chiffres de l'immigration, le Haut conseil à l'intégration regrette, effectivement, l'absence « de dispositif unifié et fiable qui permette de produire des statistiques relatives aux phénomènes migratoires en France » :

- les chiffres de l'Office des migrations internationales (OMI) sont basés sur les procédures d'immigration gérées par cet organisme : ils ne prennent pas en compte les séjours des ressortissants de l'Union européenne et de l'espace économique européen ;

- l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) comptabilise de façon exhaustive les reconnaissances de qualité de réfugié, mais ne prend pas en compte les entrées nouvelles de mineurs étrangers ;

- le ministère de l'intérieur se fonde sur les délivrances des titres de séjour, à partir des chiffres exhaustifs enregistrés par son application informatique (« application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France », ou AGDREF), installée dans la totalité des préfectures françaises. Toutefois, ce système ne permet pas de distinguer les personnes qui se voient délivrer, comme premier titre, un titre de résident, de celles qui, changeant de statut, passent d'un titre d'un an ou moins à un titre de cinq ou dix ans : ces dernières sont donc comptabilisées comme des « entrants ». De plus, il comporte un certain nombre de biais : ainsi, les entrées sur le territoire de mineurs de nationalité étrangère, qui ne sont pas soumis à l'obligation de disposer d'un titre de séjour avant l'âge de 16 ans, ne sont pas appréhendées.

En conséquence, chacune de ces sources présente des faiblesses. Mais il n'y a pas lieu, pour autant, de surestimer l'ampleur des distorsions qui en résultent, ni d'occulter le travail qui est en cours pour y remédier.

L'intérêt majeur du rapport du HCI est, précisément, de rassembler les données existantes, en retenant, à chaque fois, les éléments statistiques qui semblent se rapprocher le plus de la réalité des flux : ceux de l'OFPRA pour les réfugiés, ceux de l'OMI pour les nouveaux séjours des ressortissants étrangers ne provenant pas du continent européen, et ceux du ministère de l'intérieur pour les ressortissants des pays de l'Union européenne ou de l'espace économique européen. Les résultats obtenus en matière d'« immigration à vocation permanente » sont présentés ci-après.

Selon les données recueillies auprès de l'OFPRA, 4 342 réfugiés ont été admis à séjourner en France, de façon permanente, en 1998, contre 4 112 en 1997 (+ 5,6%).

D'après les statistiques de l'OMI, 96 350 étrangers non européens ont été admis à séjourner en France, de façon permanente, en 1998, contre 61 980 en 1997 (+ 55,7 %). Cette forte hausse résulte, en grande partie, des « régularisations » opérées sur le fondement de la circulaire n° 97-204 du 24 juin 1997 (2). Le nombre de visas accordés à des conjoints de français a également progressé (18 925, contre 15 404 en 1997, soit + 22,9 %). Le regroupement familial évolue, lui aussi, à la hausse (16 727, contre 15 435 en 1997, soit + 8,4 %). A l'inverse, l'immigration pour motif de travail recule (4 149, contre 4 582 en 1997, soit - 9,5 %).

21 231 ressortissants de l'Union européenne ou de l'espace économique européen ont été admis à séjourner en France, toujours de façon permanente, en 1998, contre 25 706 en 1997 (- 17,4 %), selon les chiffres du ministère de l'intérieur. Le nombre de travailleurs permanents en provenance du continent européen est également orienté à la baisse : 8 497 en 1997, contre 7 986 en 1998 (- 6,0 %).

Votre rapporteur a rapproché ces indications des données fournies par le Gouvernement dans un récent rapport au Parlement sur « Les titres de séjour des étrangers en France en 1998 » (3). Selon le ministère de l'intérieur, les préfectures ont délivré, en 1998, 150 002 premiers titres de séjour à des étrangers nés hors de France (contre 158 809 en 1997, 130 275 en 1996, 124 980 en 1995 et 130 442 en 1994), dont 50 377 d'une validité supérieure à un an (titres longs) et 104 625 de moins d'un an (titres courts) ou accordés à des étudiants.

Au premier abord, le rapprochement de ces différents chiffres est délicat. Mais, les écarts s'expliquent et les tendances générales sont, finalement, plutôt concordantes.

En particulier, une comparaison à périmètre constant supposerait de retrancher du nombre des nouveaux titres recensés par le ministère de l'intérieur, soit 155 002, ou d'ajouter à celui des « séjours permanents » proposé par le Haut conseil à l'intégration, soit 121 923 (4), les statistiques afférentes aux étudiants et aux chercheurs, que le HCI classe, en toute hypothèse, dans la rubrique des « séjours temporaires ». Leur nombre étant estimé à 37 293 par le HCI (23 502 étudiants non européens et 13 791 étudiants provenant de l'Union européenne ou de l'espace économique européen) et à 31 509 par le ministère de l'intérieur, il apparaît, en définitive, que les écarts statistiques ne sont que de quelques points, ce qui n'est pas excessif.

Bien sûr, nul ne conteste l'intérêt qu'il y aurait à affiner encore la qualité et la cohérence de notre système statistique en matière d'immigration. Le Haut conseil à l'intégration a d'ailleurs avancé un certain nombre de propositions intéressantes. Elles tendent, en particulier, à améliorer la coordination de la collecte des informations par les différents ministères concernés, en vue d'aboutir à une nomenclature commune, et à renforcer les systèmes existants (adaptation du système AGDREF et comptabilisation du passage d'un titre de séjour à vocation temporaire à un titre à vocation permanente). De son côté, le ministère de l'intérieur, qui participe, d'ailleurs, aux travaux du « groupe statistiques » du HCI, a élaboré un plan d'action à court et moyen terme destiné à renforcer la fiabilité de ses données statistiques. Mais, le constat étant connu, les remèdes identifiés, et le travail en cours, on ne voit pas très bien quel serait l'intérêt de la constitution d'une commission d'enquête.

Au demeurant, l'important n'est pas d'« attribuer un code barre aux étrangers, comme certains démographes le suggèrent, pour harmoniser les statistiques du Haut conseil à l'intégration et celles du ministère de l'intérieur », selon les termes utilisés, récemment, à l'Assemblée nationale, par le ministre de l'intérieur (5), mais de dégager des tendances de fond. Et de ce point de vue, nul ne conteste le bilan général établi par le HCI : « Le rapprochement des données issues de l'OMI et de l'OFPRA fait apparaître en 1998 une progression de l'immigration à vocation permanente, hors Union européenne (UE) et Espace économique européen (EEE), liée principalement aux effets de la circulaire de 1997 permettant le réexamen de la situation des personnes ne pouvant attester d'un séjour régulier en France. A contre-courant de cette évolution, les séjours de travailleurs étrangers, et l'immigration en provenance des pays de l'UE et de l'EEE mesurée par le ministère de l'intérieur, sont en baisse ».

Dès lors, sur le fond, aucune évolution brutale et inexpliquée du nombre des entrées d'étrangers en France n'apparaît qui pourrait justifier une enquête sur « les causes et les conséquences de l'augmentation notable de l'immigration à vocation permanente », pour reprendre les termes utilisés par la proposition de résolution. La hausse, en 1998, du nombre des « séjours à vocation permanente » ou des « nouveaux titres de séjour délivrés » traduit, essentiellement, comme on l'a vu, l'impact d'une « opération de régularisation » voulue et revendiquée par la majorité parlementaire, tendant à admettre au séjour, par dérogation à la législation en vigueur, des étrangers qui répondent à un certain nombre de critères tels que leurs liens familiaux en France, leur degré d'intégration, ou les risques qu'ils supporteraient en cas de retour dans leur pays d'origine.

La création d'une commission d'enquête n'est donc aucunement justifiée. Au demeurant, cette demande ne semble avoir été formulée que pour provoquer un débat : le caractère opportuniste de l'utilisation de cette procédure a d'ailleurs été renforcé, sinon démontré, par le fait que les auteurs de cette proposition de résolution, auxquels s'est joint M. Jacques Myard, ont également déposé, sur le même sujet, le 1er mars dernier, une proposition de loi (n° 2203) « relative à la création d'un institut national permettant de regrouper et de connaître les chiffres de l'immigration en France ».

Pour l'ensemble de ces raisons, votre rapporteur ne peut que vous inviter à rejeter la proposition de résolution qui vous est soumise.

*

* *

Après l'exposé du rapporteur, M. Michel Hunault s'est prononcé pour la création de cette commission d'enquête. Il a admis que les statistiques relatives à l'immigration ne seraient jamais d'une précision absolue, mais a considéré qu'une meilleure connaissance des flux permettrait, paradoxalement, de renforcer la légitimité de la présence sur le sol français des étrangers en situation régulière au regard du droit au séjour, qui sont une source de richesse incontestable pour notre pays.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution.

1 () Créé par le décret n° 89-912 du 19 décembre 1989 (modifié par les décrets nos 96-622 du 11 juillet 1996 et 99-211 du 17 mars 1999), le Haut Conseil à l'intégration a pour mission « de donner son avis et de faire toute proposition utile, à la demande du Premier ministre ou du Comité interministériel à l'intégration, sur l'ensemble des questions relatives à l'intégration des résidents étrangers ou d'origine étrangère ». Il est composé au plus de vingt membres nommés par décret du Président de la République, sur proposition du Premier ministre. Son président est nommé en son sein dans les mêmes conditions.

2 () Le ministère de l'intérieur indique que le nombre d'autorisations de séjour délivrées sur le fondement de la circulaire du 24 juin 1997 (cartes de séjour temporaires, autorisations provisoires de séjour et regroupement familial) était de 75 063 au 31 décembre 1998, auxquelles s'ajoutent 4 486 récépissés de cartes de séjour, soit 79 549 situations légales au regard du droit au séjour.

3 () Rapport au Parlement, 4ème trimestre 1999, établi en application de l'article 45 de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, qui dispose que « Le Gouvernement dépose chaque année un rapport au Parlement retraçant le nombre de titres délivrés en distinguant par catégorie de titres et par nationalité des bénéficiaires ».

4 () Le chiffre de 121 923 séjours à vocation permanente résulte de l'addition des 4 342 réfugiés, 96 350 étrangers non européens et 21 231 ressortissants de l'Union européenne ou de l'espace économique européen. Toutefois, il convient de signaler que le Haut conseil à l'intégration se refuse, pour sa part, à procéder à ce calcul, compte tenu de la diversité des sources et de leurs recoupements possibles, voire probables.

5 () J.O. Assemblée nationale, 2e séance du 25 janvier 2000, page 329.