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le 23 janvier 2001

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N° 2868

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 janvier 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES(1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 2607) DE MME MARIE-HÉLÈNE AUBERT ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences économiques, sociales, environnementales et sanitaires des essais nucléaires français.

par M. Bernard GRASSET,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Déchets, pollution et nuisances.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Jean-Claude Sandrier, Michel Voisin, vice-présidents ; M. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Marcel Cabiddu, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Yves Fromion, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Jacques Heuclin, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Million, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Arthur Paecht, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Mme Michèle Rivasi, MM. Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Emile Vernaudon, Jean-Claude Viollet, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer.

MESDAMES, MESSIEURS,

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Gouvernement français décida d'engager des recherches sur l'énergie atomique, n'excluant pas la possibilité pour la France de se doter de l'arme nucléaire. Dès 1952, des études montraient la faisabilité d'un programme militaire. Décision fut prise, en 1958, de mener des expérimentations en ce sens.

Le premier essai nucléaire a été réalisé le 13 février 1960, dans le Sahara algérien. Au total, quatre essais aériens ont été effectués au Centre Saharien d'Expérimentations Militaires (CSEM), situé à l'oasis de Reggane ; par ailleurs, treize essais souterrains ont eu lieu dans le massif du Tan Afela, au Centre d'Expérimentations Militaires des Oasis (CEMO).

La signature des accords d'Evian en 1962, tout en conférant l'indépendance à l'Algérie, signifia la fermeture des CSEM et CEMO. Après décontamination, démontage des installations techniques, nettoyage et obturation des galeries, les sites ont été rendus aux autorités algériennes en juin 1967.

Entre-temps, dès 1962, les atolls polynésiens de Mururoa et de Fangataufa furent choisis comme nouveaux sites d'essais pour tester la filière thermonucléaire. Le Centre d'Expérimentation du Pacifique (CEP) fut ainsi créé le 21 septembre 1962. Le premier essai aérien y a été réalisé le 2 juillet 1966. De cette date jusqu'au moratoire de 1992, puis de 1995 à 1996, quarante et un tirs aériens, suivis de cent quarante essais souterrains y ont été effectués.

Le but de ces expérimentations était de rendre la dissuasion nucléaire française crédible en validant, améliorant et renouvelant l'arsenal nucléaire et thermonucléaire national. Cet objectif a été atteint, contribuant par là à assurer la sécurité du territoire national depuis une quarantaine d'années.

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Avant d'aller plus avant dans l'analyse, il convient d'apporter quelques réponses à deux questions fondamentales.

_ Tout d'abord, qu'est-ce qu'un essai nucléaire ?

Une arme nucléaire est un assemblage complexe d'explosifs et de matières fusibles et fissiles, dont le fonctionnement multiplie par un million de milliards, en quelques microsecondes, l'énergie de l'impulsion électrique qui permet sa mise à feu.

La mise au point d'une arme de cette nature exige des expériences et des simulations extrêmement diverses :

- des expériences en laboratoire, destinées à l'étude des phénomènes de base dans des conditions qui se rapprochent le plus possible de celles rencontrées lors des explosions ;

- des expériences en vraie grandeur sur les explosifs, dans lesquelles la matière nucléaire est remplacée par des matériaux inertes dont le comportement est proche, afin de tester le comportement de ces matériaux lorsqu'ils sont soumis à des chocs intenses ;

- des modélisations mathématiques ;

- des simulations numériques ;

- des essais nucléaires en vraie grandeur destinés, jusqu'à 1996, à valider les hypothèses et les modèles, à acquérir des connaissances inaccessibles jusqu'alors en laboratoire, et à déterminer l'influence de matériaux difficilement modélisables.

C'est de cette dernière catégorie d'essais dont il est question.

_ Comment ont été réalisés les essais nucléaires ?

Les expérimentations aériennes reposaient sur différents types de techniques :

- les largages à partir d'une tour (essais à Reggane exclusivement) ;

- les essais sur barges ancrées dans les lagons de Mururoa et Fangataufa (quatre en tout) ;

- les largages à partir d'avions en vol (trois expériences de ce type) ;

- les essais sous ballons captifs, en altitude, pour limiter les retombées radioactives (trente quatre essais).

Les essais souterrains ont été effectués, jusqu'en 1981, par des tirs dans des puits creusés verticalement et profondément dans la roche basaltique de Mururoa et Fangataufa, c'est à dire au-dessous de la couronne corallienne des atolls. Par la suite, l'espace limité disponible et le progrès des techniques de forage ont conduit à procéder à des essais nucléaires sous les lagons.

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* *

Les essais nucléaires ont fait l'objet de nombreuses contestations quant à leurs conséquences écologiques et sanitaires.

Les puissances nucléaires ont pris en compte ces critiques, en appliquant le traité de Moscou1 et le traité TTBT2 qui ont limité ce champ expérimental particulier, en interdisant les essais atmosphériques, extra-atmosphériques et sub-aquatiques pour le premier, et en prohibant les essais souterrains d'une puissance supérieure à 150 kilotonnes pour le second. Plus récemment, elles ont accepté l'interdiction complète de tout essai réel en adhérant au traité CTBT3.

La France a également signé les protocoles du traité de Rarogonta sur la zone dénucléarisée du Pacifique sud, et notamment le protocole n° 3, qui interdit tous les essais nucléaires en son sein.

Depuis le démantèlement définitif du CEP, les inquiétudes ne portent plus sur la tenue des expérimentations ; leurs conséquences, cependant, sont toujours au centre de débats.

En 1997, au nom de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, notre collègue Christian Bataille a rédigé un rapport très complet au sujet des déchets nucléaires militaires de haute activité et des conséquences des essais nucléaires français4. Résultat objectif des travaux d'un organisme parlementaire totalement indépendant du Gouvernement et des administrations, ce rapport a fait des propositions intéressantes tout en dressant un état des lieux sans complaisance des conséquences des expérimentations nationales.

Souhaitant aller plus loin, Madame Marie-Hélène Aubert et dix de nos collègues ont déposé une proposition de résolution « tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences économiques, sociales, environnementales et sanitaires des essais nucléaires français ».

C'est cette proposition n° 2607 que, conformément à l'article 140 du Règlement de notre Assemblée, il convient d'examiner maintenant.

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Selon les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées » ; de plus, « il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

L'article 140 du Règlement de notre Assemblée ajoute que la proposition « doit déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ».

L'objet de la proposition de résolution de nos collègues est bien de recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés, puisqu'il s'agit d'établir l'impact économique, social, environnemental et sanitaire de l'ensemble des essais nucléaires réalisés par la France au Sahara et en Polynésie, entre 1960 et 1996.

Au demeurant, les thèmes devant être abordés font l'objet d'une énumération précise, puisque sont mentionnés par l'exposé des motifs : la contamination des atolls et lagons, l'évaluation des risques émanant des déchets radioactifs accumulés dans les sous-sols des atolls, l'impact des essais atmosphériques, l'impact économique, social et culturel des essais sur les populations des archipels, la stabilité géologique des atolls.

Par ailleurs, par lettre en date du 5 octobre 2000, le Président de l'Assemblée nationale a interrogé Mme Elisabeth Guigou, alors Ministre de la Justice, conformément aux dispositions de l'article 141 de notre Règlement. Dans sa réponse écrite en date du 8 novembre 2000, la nouvelle Garde des Sceaux, Mme Marylise Lebranchu, a précisé qu'aucune poursuite judiciaire n'est en cours à ce jour sur les faits ayant motivé la proposition de résolution.

Cette dernière apparaît donc conforme aux conditions de recevabilité posées par les textes en vigueur.

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La suggestion de créer une commission d'enquête sur les conséquences des essais nucléaires français se heurte néanmoins à plusieurs objections sérieuses quant à son opportunité.

En effet, l'exposé des motifs de la proposition de résolution de nos collègues repose sur un argumentaire qui soutient difficilement un examen approfondi.

La création d'une commission d'enquête est présentée comme le moyen de pallier les carences des évaluations effectuées par les organismes techniques. L'étude conduite par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) y est décrite comme « loin d'être globale, exhaustive et indépendante étant donné qu'elle ne se réfère que très partiellement aux essais atmosphériques ». Son objectivité est également mise en doute du fait « qu'une grande partie des données ont été fournies à l'AIEA par le ministère de la Défense ». De surcroît, les conclusions d'un autre rapport, émanant de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), seraient entachées par la présentation incomplète qu'en aurait fait le ministère de la Défense.

De tels considérants mettent en doute l'indépendance et le sérieux des organismes en cause, aux motifs que les informations qui leur ont été transmises auraient été partielles.

On peut s'interroger, dans de telles conditions, sur l'utilité à accorder à la création d'une commission d'enquête, dont l'essentiel des informations émaneraient elles-aussi du ministère de la Défense ou des instituts incriminés. De deux choses l'une :

- soit le ministère de la Défense a satisfait au souci de transparence affiché par le Ministre sur ce point, auquel cas les études menées par l'AIEA et l'INSERM sont suffisamment sérieuses et complémentaires pour dresser un bilan objectif des essais nucléaires français ;

- soit la dépendance vis-à-vis des informations du ministère de la Défense rend leur exploitation peu intéressante, auquel cas la création d'une commission d'enquête ne constitue pas le meilleur moyen d'investigation parlementaire, compte tenu notamment des limites inhérentes au « secret défense » et à la technicité scientifique d'un tel sujet auxquelles elle ne manquerait pas de se trouver confrontée.

Pour sa part, et s'en tenant aux faits, votre Rapporteur accorde plus de crédit au premier terme de l'alternative.

L'étude de l'AIEA s'est appuyée sur les programmes français de surveillance mais aussi sur les résultats d'échantillonnages terrestres et aquatiques réalisés en toute indépendance en juillet 1996. Elle a été menée par un groupe de cinquante-cinq scientifiques internationaux en provenance de dix-huit pays et de quatre organisations internationales. En parallèle, des études géologiques et géomécaniques ont été réalisées par la Commission Géomécanique Internationale (CGI) composée d'experts internationalement reconnus et présidée par le Professeur Fairhurst. L'AIEA a bien recueilli des données auprès du ministère de la Défense ; elle y était fondée parce que c'est la Direction des Centres d'Expérimentations Nucléaires (DIRCEN) qui était historiquement chargée de la sécurité et de la surveillance du champ de tir.

L'INSERM, quant à lui, a réalisé deux études : l'une sur la mortalité par cancers en Polynésie française entre 1984 et 1992 ; l'autre sur les incidences des cancers en Polynésie française entre 1985 et 1995. Aucune n'a permis d'établir un quelconque lien de causalité entre l'incidence ou les décès par cancers et la distance par rapport aux sites d'expérimentation français dans le Pacifique. Actuellement, l'INSERM effectue une étude épidémiologique sur les cancers de la thyroïde en Polynésie. Indépendants du ministère de la Défense, rien ne permet d'affirmer que les experts de l'INSERM n'aient pu travailler en toute objectivité.

S'agissant du défaut de disponibilité en France des documents en question, on peut regretter à bon droit que le rapport technique de l'AIEA ne soit accessible qu'auprès du siège de l'agence. On relèvera cependant que tous les documents qui ont été fournis aux experts de l'AIEA ainsi que le rapport du CGI sont disponibles à la Documentation française. De même, les rapports de l'INSERM peuvent être adressés à qui en fait la demande.

Certes, un surcroît d'information d'origine indépendante, s'il n'apparaît pas véritablement nécessaire, ne serait pas inutile. Votre Rapporteur ne conteste pas la pertinence d'un droit de regard parlementaire sur ces questions. Il n'en demeure pas moins qu'une commission d'enquête ne disposerait ni du temps nécessaire, sa durée de vie étant limitée à six mois, ni de l'appui scientifique indispensable pour mener à bien de telles investigations.

En revanche, l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, dont plusieurs signataires de la proposition de résolution n° 2607 sont membres, semble être une structure parlementaire plus appropriée pour ce faire. En effet, aux termes de l'article 6 ter de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il « recueille des informations, met en _uvre des programmes d'études et procède à des évaluations » ; il est également assisté par un « Conseil scientifique composé de vingt quatre personnalités choisies en raison de leurs compétences dans les domaines des sciences et de la technologie » ; enfin, il dispose de pouvoirs importants, susceptibles d'être identiques à ceux d'une commission d'enquête « en cas de difficultés dans l'exercice de ses missions ». Le recours à l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques apparaît donc, en l'espèce, plus judicieux que la création d'une commission d'enquête.

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L'exigence de transparence soulignée avec force dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution repose sur trois motivations : « une énorme incertitude, due à l'accès difficile aux rapports et aux conditions d'élaboration desdits rapports », ce qui conduit à une « demande d'ouverture des archives » relatives aux essais ; deuxièmement, « le principe de précaution en matière d'environnement, de santé et de sécurité alimentaire », afin de suivre les populations avoisinant les atolls de Mururoa et de Fangataufa ; enfin « l'intérêt des populations concernées (...), le fait que le gouvernement des Etats-Unis ait reconnu ses responsabilités vis-à-vis de l'atoll de Bikini rend(ant) peu crédible que les essais français n'aient eu aucune influence sur l'environnement et la santé des habitants » de Polynésie.

Les Etats-Unis ont certes déclassifié certains documents, mais ils appliquent strictement le Nuclear Act qui protège par le secret les documents concernant les armements nucléaires. La France ne fait qu'adopter une attitude similaire en protégeant les documents intéressant la défense nationale. Les archives classées « secret » sont soumises aux termes de la loi de 1979 pour une durée de soixante ans.

Toutefois, comme en attestent l'ensemble des études scientifiques, sanitaires et épidémiologiques, les données relatives à la protection des personnes et de l'environnement ont été rendues accessibles. Sur ce point, il convient d'ajouter que le Ministre de la Défense a annoncé à notre Assemblée, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2001 en séance publique5, qu'un projet de décret favorisant la transparence sur les informations utiles en matière de santé publique et d'environnement est en cours d'élaboration.

Pour le reste, votre Rapporteur tient à apporter des précisions de nature à démontrer que les préoccupations formulées dans l'exposé des motifs sont déjà largement prises en considération par les autorités compétentes.

Est-il besoin de rappeler que le contrôle et le suivi de la radioactivité en Polynésie française sont réalisés de différentes manières, sur la base d'analyses complémentaires ? Ainsi, aux études régulières des services du ministère de la Défense et du Commissariat à l'Energie Atomique, se sont ajoutées les recherches de missions scientifiques françaises et étrangères (missions Tazieff en 1982, Atkinson en 1983, Cousteau en 1987), ainsi que des analyses comparatives de prélèvements par des laboratoires nationaux et étrangers (en 1991 et en 1994 notamment). Des laboratoires australiens, néo-zélandais, allemands, suédois, anglais et américains ont participé à la dernière de ces missions.

Il ressort de ces analyses qu'une proportion marginale des quelque 5 000 personnes ayant participé directement à la mise en _uvre des expérimentations souterraines depuis 1975, ont effectivement été exposées à des rayonnements ; aucune dose n'a atteint la norme annuelle à ne pas dépasser pour les travailleurs affectés et seul un petit nombre de doses annuelles au total ont dépassé la limite autorisée pour le public6.

Rappelons également que le rapport Atkinson conclut que les doses de radiations auxquelles sont soumis les quelques 2 500 habitants vivant dans un rayon de 500 kilomètres autour des atolls de Mururoa et de Fangataufa, en raison du rayonnement naturel et des retombées des essais, sont plus basses que les niveaux moyens mondiaux. Des contrôles radiologiques des denrées alimentaires ont été effectués et deux stations de référence de la Direction des Centres d'Expérimentations Nucléaires à Tahiti et Mururoa ont continué de surveiller l'environnement physique des sites d'essais après 1996, en vérifiant la radioactivité de l'air, celle de l'eau de pluie et celle de l'irradiation ambiante.

Sauf à engager de nouvelles études scientifiques qu'il n'appartient pas à une commission d'enquête parlementaire de mener, les objectifs de la proposition de résolution apparaissent ainsi déjà largement satisfaits. Une saisine de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques pourrait néanmoins utilement compléter ce suivi, l'assistance d'un Comité scientifique lui permettant d'émettre un point de vue scientifiquement argumenté et indépendant.

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Les thèmes d'investigation que l'exposé des motifs propose d'assigner à la commission d'enquête dont la création est soumise à l'examen de notre Assemblée sont nombreux et justifient également que l'on s'y attarde.

_ Le premier d'entre eux a trait à l'examen de « la contamination des atolls et des lagons par l'uranium ou d'autres éléments radioactifs ». A l'appui de cette préoccupation, il est fait état d'études contredisant les conclusions de l'AIEA, dont les références ne sont pas indiquées. Or, les analyses nationales et internationales précitées soulignent que :

- les concentrations de plutonium ou de césium dans l'eau du lagon de Mururoa (qui sont des traces des anciens essais aériens), représentent un millième des limites admises pour l'eau potable ;

- la radioactivité naturelle est deux à cinq fois plus faible en Polynésie qu'en France ;

- la radioactivité artificielle en Polynésie est équivalente à celle du territoire hexagonal.

Ces conclusions ne présentent pas un quelconque caractère alarmant. Au demeurant, une commission d'enquête ne disposerait pas du temps nécessaire pour mener son propre programme d'évaluation, l'ordonnance du 17 novembre 1958 fixant à six mois, la durée maximale de ses travaux.

_ Le second de ces thèmes, consiste en une « évaluation des risques émanant des déchets radioactifs accumulés dans les sous-sols des atolls », l'objectif étant de se prononcer sur l'éventuel classement des sites en « installations nucléaires de base » soumises à une surveillance continue.

Sur ce point, votre Rapporteur rappelle que les essais souterrains ont été réalisés dans la roche basaltique des atolls de Mururoa et Fangataufa, qui reposent sur des volcans éteints depuis plus de dix millions d'années ; les produits radioactifs créés par explosion ont été confinés dans les cavités créées au sein du basalte, et pour leur totalité, dans la lave liquéfiée qui se solidifie rapidement en une sorte de verre insoluble. De fait, cette radioactivité profondément enfouie est sans conséquence pour l'environnement et l'homme au regard des normes de radioprotection et des normes sanitaires en vigueur.

Par ailleurs, le rapport de M. Christian Bataille sur les déchets nucléaires à haute activité, au nom de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, reconnaît que l'enfouissement des déchets dans deux puits de forage était techniquement « la moins mauvaise solution »7. Cet objet, au demeurant largement traité par le rapport en question, ne justifie donc pas la création d'une commission d'enquête.

_ La proposition de résolution évoque, en troisième lieu, la levée du « voile sur l'impact des essais atmosphériques ». Il est suggéré en conséquence de poursuivre « des études épidémiologiques (...) auprès des personnels polynésiens et métropolitains - civils comme militaires - qui ont travaillé sur les sites d'essais et doivent être considérés comme des groupes à risques ».

Le rapport principal de l'AIEA précité explique que « les quantités de matières radioactives résiduelles déposées (...) à la suite d'un essai atmosphérique dépendent de la hauteur de l'explosion. En général, plus l'altitude de l'essai est élevée, plus les matières sont rejetées dans la troposphère ou la stratosphère, d'où elles sont largement réparties tout autour de la planète. Les explosions à faible altitude, au cours desquelles la boule de feu peut interagir avec la surface de la terre, donnent lieu à davantage de retombées locales »8.

Treize essais aériens ont été effectués dans le Sahara de 1960 à 1962 ; ils furent quarante et un dans le Pacifique sud, de 1966 à 1974. Comme le relève l'AIEA, « à l'exception des quatre essais sur barge » effectués à Mururoa et Fangataufa, « les dispositifs utilisés pour les essais atmosphériques français ont tous explosé à une altitude suffisamment élevée au dessus des atolls pour que la boule de feu résultant de l'explosion ne touche pas le sol »9. Et l'AIEA de conclure : « les essais menés en altitude n'auront donc guère contribué à la présence de matières radioactives résiduelles à Mururoa et Fangataufa »10.

Les faits tendent à conforter ces conclusions. A partir de 1970, les systèmes de commandement, les moyens techniques du CEA et même les logements des personnels furent installés sur les sites. Si les personnels avaient été gravement exposés aux conséquences des essais atmosphériques, jamais la décision de transférer les installations des navires à terre aurait été prise. Et quand bien même des pathologies graves auraient été subies dans une proportion anormalement élevée par ces derniers, l'attention du ministère de la Défense ou des représentants de la nation aurait sans aucun doute été attirée sur cette situation, comme l'illustre l'exemple des vétérans victimes de ce que l'on appelle communément « le syndrome de la guerre du Golfe », sujet dont la commission de la Défense nationale et des Forces armées a décidé de se saisir en créant une mission d'information le 2 octobre dernier.

L'apport des essais atmosphériques en radioactivité artificielle était évalué, en 1995, à un pour cent par le laboratoire de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) à Tahiti ; les essais souterrains n'ont conduit à aucune exposition supplémentaire des populations. A titre de comparaison, le niveau d'activité en césium 137 déposé au sol à Mururoa est plus de cent fois inférieur à celui mesuré sur l'atoll de Bikini. De surcroît, chaque année, l'IPSN a fourni un rapport de surveillance radiologique à l'ONU (UNSCEAR).

En Algérie, sur le site de Reggane, les choses pourraient être tout autres, compte tenu des conditions expérimentales initiales. Mais comme le relève M. Christian Bataille dans son rapport déjà cité, « la puissance des vents sahariens et les phénomènes d'érosion ont dû disperser les éléments radioactifs sur une très grande surface, ce qui rendrait aujourd'hui les contrôles pratiquement inopérants »11.

Il n'apparaît donc pas d'opacité particulière, s'agissant des essais réalisés dans l'atmosphère en Polynésie. Tout au plus l'évaluation pourrait-elle être scientifiquement affinée. A cet égard, la proposition de faire réaliser un bilan de santé à tous les personnels du CEP qui le souhaiteraient, bien qu'ils aient fait l'objet de visites annuelles obligatoires, ne suscite pas d'objection particulière de la part de votre Rapporteur ; cependant, la création d'une commission d'enquête apparaît nullement nécessaire pour le permettre.

_ L'« impact économique, social et culturel » des essais nucléaires français est également au nombre des thèmes relevant du champ des investigations de la commission d'enquête proposée par nos collègues. Votre Rapporteur est bien conscient que l'installation du CEP s'est traduite par des bouleversements économiques et sociaux pour la région polynésienne, notamment en raison des créations d'emplois qui en ont résulté.

Sans contester l'intérêt d'un examen attentif des mutations culturelles, économiques et sociales de la région depuis la création du CEP, force est de reconnaître que les difficultés sont bien plus nombreuses depuis l'arrêt définitif des essais. Au demeurant, il paraît difficile de voir dans le choix du site des essais un facteur déstructurant de l'identité polynésienne, l'atoll de Fangataufa n'ayant jamais été habité, alors que les cocoteraies de l'atoll de Mururoa n'étaient plus exploitées depuis le cyclone qui a dévasté la région en 1903.

On peut donc s'interroger sur l'opportunité de faire porter une nouvelle étude sur les éventuelles conséquences économiques et sociales des essais nucléaires français.

S'agissant de l'accompagnement de l'arrêt des expérimentations, il convient de rappeler que lors de la suspension des essais en avril 1992, un certain nombre de mesures avaient déjà été prises dans le cadre du pacte de progrès de janvier 1993, puis de la loi d'orientation pour le développement économique, social et culturel du territoire, adoptée le 5 février 1994. La Polynésie était ainsi engagée dans un développement moins dépendant à l'égard des transferts publics, lorsqu'a été prise la décision de démanteler le CEP.

En 1996, le Président de la République a décidé le maintien pendant dix ans des flux financiers résultant de l'activité du CEP. A ce titre, le ministère de la Défense contribue au financement du développement du territoire, dans le cadre d'un plan de reconversion, au moyen d'un fonds d'intervention ; il concourt également à l'équilibre territorial en compensant les recettes douanières affectées par la fin des essais. A titre d'illustration, il convient de noter que des crédits d'un montant de 600 millions de francs ont été inscrits à cet effet au budget du ministère de la Défense, dans le projet de loi de finances initiale pour 2001. Par ailleurs, des reconversions ont été proposées au personnel local du CEP.

_ Dernier objet d'enquête sur les conséquences des essais nucléaires français, l'évaluation de la « stabilité géologique des atolls » vise à faire connaître les résultats du programme de surveillance radiologique et géomécanique mis en place depuis quelques mois par la France.

Une telle démarche d'information du grand public n'est pas inutile. On peut cependant objecter qu'une commission d'enquête ne constitue pas le cadre le plus approprié à cette fin, ses travaux ne pouvant excéder six mois alors que le programme en question porte sur une dizaine d'années. Selon toute vraisemblance, les données recueillies au cours des six prochains mois ne seraient pas totalement exploitables, ni vraiment pertinentes pour en tirer des conclusions conformes au principe de précaution. S'il faut souhaiter que ces études reçoivent un large écho auprès de l'opinion publique, il ne semble pas qu'une commission d'enquête en valoriserait comme il se doit les conclusions.

En revanche, les précédentes considérations relatives à la pertinence d'une saisine de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques s'avèrent tout à fait adaptées pour satisfaire les préoccupations exprimées par les signataires de la proposition de résolution soumise à notre examen.

D'ailleurs, une délégation composée du Sénateur Henri Revol, Président, et des Députés Christian Bataille, Claude Birraux, Jean-Claude Lenoir, s'est rendue à Mururoa au début du mois de septembre 2000. Les participants à ce déplacement ont reconnu que l'essentiel des recommandations du rapport de M. Christian Bataille sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité12 étaient satisfaites par la surveillance maintenue par les autorités françaises. Dans un courrier adressé au Président Paul Quilès le 17 octobre 2000, le Vice-Président de l'Office, M. Jean-Yves Le Déaut, a rappelé la vigilance de l'ensemble des membres de cette délégation parlementaire sur le sujet, ainsi que leur disposition à compléter, si besoin, l'étude de M. Christian Bataille.

Il semble donc plus pertinent de confier la tâche de ce contrôle parlementaire à l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientiques et Technologiques, d'autant que cet organisme commun à l'Assemblée nationale et au Sénat a toujours su dépasser les clivages partisans pour examiner des questions relevant de l'intérêt de la nation. De plus, il dispose de la durée et du recul qu'une commission d'enquête ne peut avoir.

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Pour l'ensemble de ces raisons, votre Rapporteur considère que la création d'une commission d'enquête sur les conséquences économiques, sociales, environnementales et sanitaires des essais nucléaires français ne se justifie pas. Une saisine de l'Office d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques par la Commission de la Défense, conformément à l'article 6 ter paragraphe V de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, lui paraît préférable. Cette saisine porterait sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires réalisés par la France entre 1960 et 1996.

Il vous demande donc de rejeter la proposition de résolution n° 2607.

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La Commission de la Défense a examiné la proposition de résolution n° 2607 lors de sa réunion du 17 janvier 2001.

Dans la discussion générale qui a suivi l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus.

Le Président Paul Quilès a remercié le rapporteur pour la qualité et la précision de son analyse.

Soulignant à son tour l'excellente qualité du rapport, M. Antoine Carré a déclaré que son groupe en acceptait toutes les conclusions.

Désapprouvant les attitudes tendant à cultiver les psychoses, M. Jean Briane s'est déclaré en accord avec les conclusions du rapporteur et a estimé qu'il était de bonne politique de s'en remettre à l'organisme parlementaire disposant des moyens d'expertise scientifique appropriés.

Tout en admettant que le délai de six mois prévu pour le fonctionnement des commissions d'enquête était trop court pour mener une enquête sérieuse, M. Aloyse Warhouver a exprimé son soutien aux objectifs de la proposition de résolution dont il est co-signataire. Il a toutefois reconnu l'intérêt d'une saisine de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques sur les questions faisant l'objet de cette proposition de résolution.

Après avoir félicité M. Bernard Grasset pour l'étendue des recherches qu'il avait menées dans la préparation de son rapport, M. Michel Voisin a rappelé qu'à chaque fois qu'il s'était rendu sur le site des essais nucléaires français, démonstration lui avait été faite que toutes les précautions étaient prises, comme l'a d'ailleurs confirmé le rapport de l'AIEA. Il a également jugé que la proposition du rapporteur de soumettre de nouveau la question des conséquences éventuelles de ces essais à l'organisme parlementaire adapté allait dans le bon sens, tout en rappelant que le sujet avait d'ores et déjà fait l'objet de très nombreux débats. Il a à ce propos évoqué les controverses ayant entouré en 1995 la reprise des essais nucléaires et la levée de boucliers qu'ils avaient provoquée, notamment dans les partis de l'actuelle majorité parlementaire.

M. Jean-Yves Le Drian a indiqué que le groupe socialiste approuvait les conclusions d'un rapport qu'il a jugé complet et pertinent.

M. Bernard Grasset a estimé qu'il pourrait être intéressant de demander à l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques de procéder également à des investigations sur les conséquences des essais britanniques en Australie ainsi que des essais chinois.

M. Michel Voisin a alors évoqué les conséquences des essais soviétiques.

A l'issue de ce débat, la Commission de la Défense a rejeté la proposition de résolution n° 2607.

La Commission a décidé à l'unanimité de saisir l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques d'une demande d'étude sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996.

2868 - Rapport de M. Bernard Grasset d'une commission d'enquête sur les conséquences économiques, sociales, environnementales et sanitaires des essais nucléaires français (commission de la défense)

1 Traité du 5 août 1963, ratifié par la France en 1975.

2 Threshold Test Ban Treaty du 3 juillet 1974.

3 Comprehensive Test Ban Treaty du 24 septembre 1996, ratifié par la France en 1998.

4 L'évolution de la recherche sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité, Rapport n°541 de M. Christian Bataille au nom de l'office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, 15 décembre 1997.

5 Séance du 6 novembre 2000, première lecture.

6 L'exposition naturelle moyenne en Polynésie est de 1 millisiviert (mSv) ; l'exposition à ne pas dépasser pour le public est de 5 mSv ; celle à ne pas dépasser pour les travailleurs est de 50 mSv.

7 L'évolution de la recherche sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité, Rapport n°541 de M. Christian Bataille au nom de l'office parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, 15 décembre 1997, p.112.

8 Situation radiologique sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, rapport principal d'un comité consultatif international, AIEA, 1998, p.41.

9 Ibidem.

10 Ibidem.

11 Ibidem, p.98.

12 Ibidem.