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le 25 avril 2001

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N° 3000

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 avril 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES(1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 2858) DE M. ANDRÉ ASCHIÉRI ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une commission d'enquête sur le syndrome dit des Balkans ou l'impact sanitaire réel chez les militaires ayant effectué des opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999 et sur les responsabilités de l'Etat en la matière.

par M. Robert GAÏA,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Santé.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Jean-Claude Sandrier, Michel Voisin, vice-présidents ; M. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Marcel Cabiddu, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, Christian Franqueville, Pierre Frogier, Yves Fromion, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Jacques Heuclin, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Arthur Paecht, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Mme Michèle Rivasi, MM. Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Emile Vernaudon, Jean-Claude Viollet, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer.

MESDAMES, MESSIEURS,

Les médias se sont récemment fait l'écho, avec insistance, d'inquiétudes quant aux conséquences de l'usage d'armes incorporant de l'uranium appauvri. Bien que de nombreux documents, rapports ou articles, aient depuis plusieurs années révélé l'utilisation de ce type de munitions, c'est à la suite du constat d'un nombre relativement élevé de décès par leucémies et de pathologies cancérigènes chez les soldats engagés dans les Balkans depuis 1992, que des interrogations plus nourries se sont développées.

Les déclarations des Ministres de la Défense de plusieurs pays membres de l'OTAN et de certains responsables de l'Alliance atlantique, ainsi que les rapports d'institutions spécialisées de l'ONU, notamment ceux du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et de l'Organisation Mondiale pour la Santé (OMS), ont permis de mieux apprécier à la fois l'ampleur du phénomène et ses implications sanitaires potentielles.

Il ressort des informations actuellement disponibles que de nombreux soldats de pays européens ayant participé aux opérations de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo ont contracté des maladies graves ou sont décédés. Le tableau de la page suivante, retraçant le nombre des cas de cancers recensés à ce jour par chaque pays concerné, en fournit l'inquiétante illustration.

Bien qu'aucun lien de causalité n'ait été scientifiquement mis en évidence, de fortes présomptions se sont portées sur l'emploi, par les alliés, d'armes à uranium appauvri contre les chars serbes, les poussières de ce métal dégagées au moment de l'impact sur les cibles présentant plus particulièrement un risque d'exposition par inhalation.

CAS DE CANCERS RECENSÉS* PARMI LES SOLDATS
AYANT PARTICIPÉ AUX OPÉRATIONS EN EX-YOUGOSLAVIE

DÉCÉDÉS

MALADES

Italie

8

10

Belgique

5

10

Pays Bas

2

2

Espagne

2

2

Portugal

1

4

Allemagne

1

1

République Tchèque

1

0

Hongrie

1

0

Suisse

1

0

Danemark

1

0

France

0

6

Royaume-Uni

0

1

Grèce

0

1

* En janvier 2001.

Une grande quantité de munitions comportant de l'uranium appauvri, métal utilisé non pour ses propriétés radioactives mais pour ses capacités dynamiques, a effectivement été employée par l'aviation américaine en Bosnie, notamment aux alentours de Sarajevo en 1994 et 1995 (10 800 obus de 30 mm), ainsi qu'au Kosovo, entre Pec et Prizren, et en Serbie, lors de l'opération « Force Alliée » du 24 mars au début du mois de juin 1999 (31 000 obus de 30 mm).

Dans son rapport préliminaire rendu public le 5 janvier dernier, le PNUE a estimé à 112 le nombre de sites au Kosovo qui, parce qu'ils ont été bombardés par l'OTAN avec des obus à uranium appauvri, présentent des risques. De même, des traces de radioactivité ont été constatées sur huit des onze sites de la province où des prélèvements ont été effectués.

Par delà les données chiffrées, il convient de préciser la nature des risques sanitaires afférents à l'utilisation d'armements à base d'uranium appauvri.

La communauté scientifique s'accorde à reconnaître que le risque radiologique que présente l'uranium appauvri est assez faible : la radioactivité de l'uranium appauvri est en effet inférieure à celle de l'uranium naturel. Par ailleurs, seul un contact épidermique prolongé avec ce métal est susceptible de provoquer une contamination ; cette hypothèse se révèle improbable pour les faits dont il est question.

Il a également été envisagé que des obus en uranium appauvri aient été fabriqués à partir d'uranium enrichi (et non d'uranium naturel), et que, ce faisant, ils aient pu conserver des propriétés radioactives. Certes, des traces de plutonium et d'isotopes d'uranium 236 sur des sites bombardés par l'OTAN au Kosovo ont été mises en évidence par le PNUE ; de même, l'OTAN a confirmé le 19 janvier, par la voie de son porte parole, que les munitions à uranium appauvri contiennent de tels éléments. Néanmoins, il semble plus probable que ces traces résultent du processus de fabrication de l'uranium appauvri.

En effet, il existe deux méthodes d'élaboration de l'uranium appauvri :

- celui-ci peut être récupéré comme résidu des opérations d'enrichissement de l'uranium naturel en isotopes 235 (opérations nécessaires à la production de combustible nucléaire pour les centrales et pour les armes atomiques) ;

- il peut également provenir du retraitement des combustibles irradiés résiduels des réacteurs nucléaires, après séparation du plutonium ; en ce cas, cet uranium appauvri de retraitement comporte des traces d'éléments radioactifs formés lors de la réaction nucléaire (uranium 236, plutonium, autres actinides) décelables par analyse isotopique.

Compte tenu du fait que la teneur en isotopes radioactifs relevée par le PNUE (0,0028 % d'uranium 236) se révèle presque négligeable, on peut en déduire que les obus employés dans les Balkans n'ont pas incorporé d'uranium enrichi, mais bien de l'uranium appauvri, issu éventuellement, pour une petite partie seulement, d'un processus de retraitement. Ainsi, le risque radiologique est-il resté minime.

Le risque chimique de l'uranium appauvri, quant à lui, est plus certain et plus élevé ; effectivement, l'uranium appauvri possède la toxicité habituelle des métaux lourds. Sa très grande densité n'est nullement contestée, bien au contraire, puisqu'elle est mise en avant par les Etats-majors et les industriels pour expliquer la capacité des munitions qui en incorporent à percer les plus épais blindages et justifie ainsi leur emploi par les blindés et les avions, notamment les A 10 américains « tueurs de chars » qui sont intervenus en ex-Yougoslavie.

Or, au moment de l'impact de l'obus sur sa cible, le métal s'enflamme ; une partie se trouve disséminée sous forme de fines particules dans un rayon immédiat d'une dizaine de mètres, ou plus si les conditions météorologiques s'y prêtent. L'inhalation ou l'absorption prolongée de ces poussières par des populations ou des soldats se trouvant à proximité présentent alors un risque sanitaire réel, dans la mesure où ces poussières peuvent pénétrer dans le sang et poser des problèmes rénaux sérieux.

Par conséquent, c'est fort légitimement que des interrogations sont nées du rapprochement de ces données scientifiques avec le constat épidémiologique effectué au sein des contingents engagés sur le théâtre des Balkans de 1992 à 1999.

Elles ont amené cinq de nos collègues, membres du groupe RCV, MM. André Aschieri, Noël Mamère, Mme Marie-Hélène Aubert, MM. Yves Cochet et Jean-Michel Marchand, à déposer, le 10 janvier 2001, une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête « sur le syndrome dit des Balkans ou l'impact sanitaire réel chez les militaires ayant effectué des opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999 et sur les responsabilités de l'Etat en la matière ».

*

Selon les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1110 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et selon les articles 140 et 141 du Règlement de notre Assemblée, la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions :

- la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ;

- les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires.

L'objet de la proposition de résolution de nos collègues est bien de recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés, puisqu'il s'agit d'établir l'impact des armes utilisées pendant les opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999 (opération extérieure portant sur une période précise), sur la santé des personnels qui ont participé à cette opération et, en conséquence, d'évaluer la responsabilité de l'Etat dans la survenance des pathologies constatées chez ces militaires. L'exposé des motifs précise qu'il s'agit, au cas où l'impact serait avéré, de permettre aux soldats touchés de bénéficier des traitements adéquats et des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

En ce qui concerne la seconde condition imposée par les textes, le Président de l'Assemblée nationale a interrogé la Garde des Sceaux, Mme Marylise Lebranchu, en application de l'article 141 du Règlement de notre Assemblée. Il semble qu'aucune procédure judiciaire ne soit en cours, à ce jour, sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.

La proposition de résolution pourrait donc être recevable au regard de l'absence de procédure judiciaire en cours, mais son opportunité paraît moins certaine, d'une part, parce que la Commission de la Défense nationale et des Forces armées a déjà décidé d'entreprendre par d'autres voies une investigation plus large sur le sujet, et d'autre part, parce que plusieurs objections sérieuses peuvent être émises sur le fond de l'argumentation développée.

*

La mise en cause du cadre d'engagement des militaires ayant effectué des opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999, dont l'objectif initial est la recherche d'informations à caractère militaire, relève assurément du champ de compétence de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de notre Assemblée.

A ce titre, cette dernière a déjà entrepris des travaux relatifs au syndrome dit des Balkans. En effet, elle a approuvé, le 10 janvier dernier, la proposition de son Président Paul Quilès d'étendre à la période des opérations en ex-Yougoslavie, le champ d'investigation de la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe, à des risques de pathologies spécifiques.

On considère traditionnellement qu'une commission d'enquête a plus de pouvoir, plus d'autorité dans ses travaux qu'une mission d'information d'une commission permanente. En effet, l'article 6-II de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires indique en effet que : « toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission. A l'exception des mineurs de seize ans, elle est entendue sous serment. Elle est, en outre, tenue de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Il ajoute que : « les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service (...) ».

La proposition de résolution soumise à notre examen reproduit ce type de raisonnement puisque que l'exposé des motifs indique que « la mission d'information créée par l'Assemblée nationale traitant de l'impact sanitaire du syndrome de la guerre du Golfe a un objet limité pour pouvoir établir un état des lieux satisfaisant à la fois en Irak et en ex-Yougoslavie ».

Ne partageant pas ce point de vue, votre rapporteur rappellera pour sa part qu'une mission d'information, émanation d'une ou plusieurs commissions permanentes, peut s'appuyer sur les dispositions de l'article 5 bis de la même ordonnance, qui prévoient qu'une commission permanente « peut convoquer toute personne dont elle estime l'audition nécessaire, réserve faite, d'une part, des sujets de caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, d'autre part, du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ». Le refus de répondre à la convocation est puni de 50 000 francs d'amende.

La mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques n'a pas hésité à recourir à cette procédure à l'encontre des représentants de l'association Avigolfe, lesquels ont finalement accepté de se présenter devant elle, le 16 janvier dernier. De la sorte, ses membres ont pu manifester leur détermination à établir la vérité et, pour ce faire, leur souci d'auditionner l'ensemble des protagonistes.

En tout état de cause, les pouvoirs spécifiques des commissions d'enquête ne valent pas non plus dans tous les domaines. L'article 6-II précise en effet que si les rapporteurs des commissions d'enquête sont bien « habilités à se faire communiquer tous documents de service », c'est là aussi « à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat ».

S'agissant d'une enquête sur l'armée française en campagne, et qui devra s'intéresser à son organisation, à ses matériels et armements, ainsi qu'à ses procédures et règles d'engagement opérationnel, on peut penser que nombre des documents intéressant une éventuelle commission d'enquête auront un caractère secret et qu'il sera difficile à ses membres d'accéder aux informations les plus pertinentes. Il faut du reste souligner le caractère justifié du secret dans ces domaines. En matière de règles, de procédures d'engagement ou de comportement, le maintien du secret est un élément essentiel de l'efficacité opérationnelle des forces et une garantie pour la sécurité des personnels. Les armées apparaissent donc fondées à s'opposer au dévoilement de ces informations sur la place publique.

Forte de ses relations de confiance avec le ministère de la Défense, la Commission de la Défense a mis au point une méthode pour traiter des documents ou informations classifiés : les documents secrets sont déclassifiés à l'attention des seuls présidents et rapporteurs des missions d'information de la Commission, pour qu'ils disposent de tous les éléments d'un bon établissement des faits, sans pour autant faire état publiquement de ceux qui sont classifiés. Ces principes, inaugurés en 1998 avec le rapport de la mission d'information sur les opérations menées au Rwanda de 1990 à 1994, ont récemment profité aux missions d'information de la Commission de la Défense sur le conflit du Kosovo et sur le contrôle des exportations d'armement, dont le sérieux des investigations a également été reconnu.

Ces principes sont d'ailleurs appliqués, à la satisfaction générale, par la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques. Les documents qui lui ont été transmis par le ministère de la Défense sont nombreux et rien ne permet d'affirmer qu'une commission d'enquête pourrait en obtenir davantage.

Au titre de la pertinence du choix retenu par la Commission de la Défense, il faut aussi souligner l'avantage que la souplesse dans la durée peut conférer à une mission d'information. En effet, une commission d'enquête est constituée pour six mois au plus, et il ne peut en être créée d'autre sur le même objet avant un an. On voit bien quelle utilité peut présenter le fait de pouvoir échapper, même de façon marginale ou limitée, à cette très stricte règle, notamment pour la coordination avec le groupe d'experts médicaux et scientifiques nommés par le Ministre de la Défense et la précédente Secrétaire d'Etat à la Santé. Dès lors, là aussi, c'est le principe de la mission d'information qui paraît le mieux adapté.

Enfin, votre rapporteur souhaite également préciser que les travaux déjà entrepris par la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques sont fort avancés. N'est-ce pas à son initiative que le ministère de la Défense a dû rendre publics, le 1er février dernier, les rapports isotopiques des obus français contenant de l'uranium appauvri ? Plusieurs personnalités qualifiées de la Délégation générale à l'Armement ou du Service de Protection Radiologique de la Direction centrale du Service de santé des Armées ont été entendues sur le sujet spécifique des munitions à uranium appauvri ; de même, un rapport d'étape est attendu dans les semaines qui viennent. Opter pour la création d'une commission d'enquête reviendrait à dénier toute valeur aux efforts déployés par l'ensemble des membres de la mission d'information, ce qui apparaît ni juste, ni justifié.

*

Sur le fond des arguments retenus dans l'exposé des motifs, plusieurs objections sérieuses peuvent être soulevées.

La première tient sans doute à une conception étroite des causes possibles du syndrome, si tant est qu'il soit possible d'employer cette expression pour définir un ensemble de pathologies diverses, à l'image de celles que déclarent éprouver nombre de vétérans de la guerre du Golfe. En fixant pour objet à la commission d'enquête « le syndrome dit des Balkans ou l'impact sanitaire réel chez les militaires ayant effectué des opérations en ex-Yougoslavie », les auteurs de la proposition visent entre autres l'utilisation de munitions à uranium appauvri.

L'exposé des motifs l'indique très clairement : « aux Etats-Unis des programmes d'enquête (...) montrent que certaines pathologies peuvent avoir trouvé leurs causes et origines à l'occasion de ces opérations militaires, notamment lors de l'utilisation par les forces alliées de projectiles contenant de l'uranium appauvri ».

Or, les études épidémiologiques reconnues ne mettent pas du tout l'uranium appauvri au premier rang des causes des pathologies cancérigènes observées chez les vétérans des opérations en ex-Yougoslavie.

Les premiers résultats des analyses médicales réalisées auprès des soldats malades n'ont pas permis d'étayer la présomption de causalité pesant sur l'uranium appauvri. Tel est du moins ce qui ressort des conclusions de la réunion du comité médical de l'OTAN qui s'est tenue le 15 janvier dernier, exposées en ces termes par le Général belge Roger Van Hoff, Président du comité : « on ne peut pas identifier une augmentation des cas de leucémies ou de décès parmi les soldats déployés par rapport aux soldats non déployés dans les Balkans ».

Confortant cette conclusion, le ministère français de la Défense a publié, le même jour, un communiqué annonçant que les premiers tests de recherche d'uranium appauvri dans les urines de cinq des six militaires français hospitalisés pour des leucémies et ayant participé aux opérations en ex-Yougoslavie, étaient négatifs, ce résultat rendant improbable le lien de cause à effet soupçonné. Les recherches de contamination des sols en uranium appauvri effectuées au Kosovo par l'Agence fédérale belge de contrôle nucléaire se sont elles-aussi révélées négatives, tout comme l'analyse que le Service de Protection Radiologique a réalisée en décembre 1999 sur une carcasse de char touchée par un A 10, au nord du Kosovo.

Plus récemment, le 6 mars dernier, les experts de la Commission de l'article 31 du traité Euratom ont conclu qu'il est peu probable que l'exposition des soldats engagés dans les Balkans à l'uranium appauvri puisse produire un effet sur leur santé, compte tenu des doses considérées et des délais de latence précédant l'apparition de maladies. De même, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement a-t-il estimé, dans son rapport définitif publié le 13 mars, que les risques radiologiques et chimiques sont négligeables.

En l'espèce, il ne faut donc pas cantonner les investigations, comme la proposition de résolution n° 2858 y invite, au seul uranium appauvri ; les solvants ou toxiques chimiques tels que le benzène (utilisé pour le nettoyage des armes) sont également au nombre des pistes de réflexion à envisager.

C'est pourquoi, en tout état de cause, le champ des faits donnant lieu à enquête qui a été retenu par la Commission de la Défense pour la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques semble bien plus pertinent que celui que la proposition de résolution entend attribuer à une commission d'enquête. En outre, il n'écarte pas tout lien entre les pathologies subies par certains anciens combattants de la guerre du Golfe et celles de certains participants aux opérations des Balkans, lien qu'une commission d'enquête spécialement dédiée à l'impact sanitaire réel chez les militaires ayant effectué des opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999 ne pourrait pas, compte tenu de son objet, envisager.

*

Par ailleurs, selon les auteurs de la proposition de résolution, la commission d'enquête devrait avoir pour objectif, au cas où « une contamination serait avérée », d'établir « les responsabilités de l'Etat » et, en conséquence, de proposer des dispositifs de soin et d'indemnisation, notamment en matière de pensions d'invalidité. De plus, l'exposé des motifs indique que même si la contamination n'était pas avérée, « au regard des risques » que pourrait mettre en lumière la commission d'enquête, « une enquête épidémiologique pourrait être diligentée ».

Dans son rapport n° 2598 sur la proposition de résolution (n° 2562) de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête sur l'impact sanitaire réel chez les vétérans de la guerre du Golfe des armes utilisées durant l'opération Daguet et sur les responsabilités de l'Etat en la matière, notre collègue Claude Lanfranca déduisait des propos que le Ministre de la Défense avait tenu devant la Commission de la Défense, le 13 septembre 2000, « l'institution d'un nouveau mode d'examen des dossiers individuels ». Compte tenu du fait que les pathologies et affections contractées par les militaires français dans les Balkans sont au moins aussi graves, il y a tout lieu de penser que la même attention sera portée aux cas des soldats malades ayant participé aux opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et aujourd'hui.

Il est clair que, si la justification apparaît à la mission d'information et au groupe des experts, il pourrait y avoir lieu de réviser, le cas échéant, le statut de ces pathologies présentées par les anciens combattants du Golfe et des Balkans, et de rendre possible leur reconnaissance comme pathologies de guerre.

Sur ces points les objectifs de la proposition de résolution rencontrent donc l'approbation de votre rapporteur. Ils pourraient être poursuivis dans le cadre de la mission d'information.

*

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime que la création d'une commission d'enquête n'est pas appropriée au sujet visé et que la poursuite des travaux de la mission d'information créée au sein de la Commission de la Défense nationale lui est préférable.

*

* *

La Commission de la Défense a procédé à l'examen de la proposition de résolution n° 2858 de M. André Aschiéri et plusieurs de ses collègues lors de sa réunion du 18 avril 2001.

Dans la discussion générale qui a suivi l'exposé de votre rapporteur, plusieurs membres de la Commission sont intervenus.

S'exprimant au nom du groupe UDF, M. Jean-Louis Bernard a approuvé les conclusions du rapporteur, considérant qu'une commission d'enquête ferait double emploi avec les travaux de la mission d'information en cours et ceux du groupe d'experts indépendants présidé par le Professeur Roger Salamon.

M. Robert Poujade, au nom du groupe RPR, a approuvé les conclusions du rapport qu'il a jugé complet, précis et pertinent.

M. André Vauchez, au nom du groupe socialiste, a exprimé son accord avec le rapporteur.

M. Antoine Carré, au nom du groupe DL, a déclaré qu'il approuvait également les conclusions du rapporteur.

La Commission a alors rejeté à l'unanimité la proposition de résolution n° 2858.

3000 - Rapport de M. Robert Gaïa :commission d'enquête sur le syndrome dit des Balkans ou l'impact sanitaire réel chez les militaires ayant effectué des opérations en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1999 (commission de la défense)