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le 4 décembre 2001

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N° 3421

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3293) de M. Jean-Pierre BRARD, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation du secteur des sociétés d'assurances françaises après les attentats aux États-Unis du 11 septembre 2001 et la catastrophe industrielle de Toulouse du 21 septembre 2001,

PAR M. Jacques GUYARD,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Assurances.

La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan est composée de : M. Henri Emmanuelli, président ; M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Yves Tavernier, vice-présidents ; M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Jacques Jégou, M. Michel Suchod, secrétaires ; M. Didier Migaud, Rapporteur Général ; M. Maurice Adevah-Poeuf, M. Philippe Auberger, M. François d'Aubert, M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. François Baroin, M. Alain Barrau, M. Jacques Barrot, M. Christian Bergelin, M. Éric Besson, M. Augustin Bonrepaux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, M. Christian Cabal, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Gilles Carrez, M. Henry Chabert, M. Jean-Pierre Chevènement, M. Didier Chouat, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Christian Cuvilliez, M. Arthur Dehaine, M. Yves Deniaud, M. Michel Destot, M. Patrick Devedjian, M. Laurent Dominati, M. Julien Dray, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Louis Dumont, M. Daniel Feurtet, M. Pierre Forgues, M. Dominique Frelaut, M. Gérard Fuchs, M. Gilbert Gantier, M. Jean de Gaulle, M. Hervé Gaymard, M. Jacques Guyard, M. Pierre Hériaud, M. Edmond Hervé, M. Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, M. Michel Inchauspé, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Marc Laffineur, M. Jean-Marie Le Guen, M. Maurice Ligot, M. François Loos, M. Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, M. Pierre Méhaignerie, M. Louis Mexandeau, M. Gilbert Mitterrand, M. Jean Rigal, M. Gilles de Robien, M. Alain Rodet, M. José Rossi, M. Nicolas Sarkozy, M. Gérard Saumade, M. Philippe Séguin, M. Georges Tron, M. Jean Vila.

Mesdames et Messieurs,

Votre Commission des finances, de l'économie générale et du plan est saisie d'une proposition de résolution (n° 3293) de M. Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation du secteur des sociétés d'assurances françaises après les attentats aux États-Unis du 11 septembre 2001 et la catastrophe industrielle de Toulouse du 21 septembre 2001.

Il ressort des dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale que la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions :

- la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ;

- les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires.

La première condition peut être considérée comme satisfaite. En effet, la proposition de résolution vise explicitement les faits qui pourraient donner lieu à enquête, à savoir la situation financière du secteur des sociétés d'assurances françaises après les attentats à l'encontre du World Trade Center et du Pentagone, ainsi qu'après la catastrophe industrielle de Toulouse. Compte tenu de la place du secteur des assurances dans l'ensemble de l'industrie financière, des multiples participations des sociétés d'assurance au capital des banques et de grandes entreprises, de leur rôle d'investisseurs sur les marchés financiers, enfin de leur rôle de garant des activités humaines, la question est légitime, lorsque l'on évalue le coût des seuls attentats de New York dans une fourchette oscillant entre 15 et 30 milliards de dollars (75 à 220 milliards de francs) répartis entre l'assurance et la réassurance. Ce coût est largement au-delà de toutes les indemnisations jusque là acquittées par les sociétés d'assurance à l'occasion de catastrophes naturelles ou d'origine technologique (tempêtes, marées noires...). À titre de comparaison, la tempête de décembre 1999 a coûté aux sociétés d'assurance et de réassurance 45 milliards de francs pour l'indemnisation des personnes et des biens.

La seconde condition est également satisfaite. Par lettre du 18 octobre 2001, Madame le Garde des Sceaux a indiqué, en réponse à la notification de dépôt de la proposition de résolution, qu'aucune procédure judiciaire n'était en cours en la matière.

*

* *

L'examen de la recevabilité de la proposition de résolution n'emporte cependant pas pour autant la conviction qu'il soit opportun de constituer une commission d'enquête. En effet, le Parlement dispose d'ores et déjà de toutes les informations nécessaires pour apprécier la situation financière des sociétés d'assurance et de réassurance.

Les conséquences des attentats du 11 septembre, aux États-Unis, et de la catastrophe de Toulouse (dont les causes sont toujours indéterminées) sont susceptibles d'évaluation, dans les grandes lignes.

L'attentat contre le World Trade Center a coûté entre 30 et 70 milliards de dollars. L'amplitude de cette fourchette est due à l'imprécision du montant des futures indemnisations, qui couvriront :

- les dommages aux personnes (capital décès, blessures, incapacités de travail, qui concernent les passagers des avions et les personnes travaillant dans les tours ou à proximité) ;

- les dommages aux biens (destruction des tours, des biens mobiliers, des avions) ;

- les pertes d'exploitation économique, ce dernier point étant le plus difficile à chiffrer.

Les sociétés d'assurance et de réassurance, cotées pour la plupart sur les marchés financiers, ont communiqué le coût des attentats pour leur trésorerie.

COÛT DES ATTENTATS POUR LES SOCIÉTÉS D'ASSURANCE
ET DE RÉASSSURANCE

(en millions d'euros)

Sociétés

Coût

Swiss Re (Suisse)

2.000

Allianz (Allemagne)

1.000

Zurich Financial Services (Suisse)

1.000

ING Group (Pays-Bas)

612

Axa (France)

600

Hartford Re (États-Unis)

500

CNA Re (États-Unis)

400

Scor (France)

225

Munich Re (Allemagne)

195

Le Mans Re (France)

60

Copenhagen (Suisse)

47

AGF (France)

35

Lloyd's (Grande-Bretagne)

1,9

Source : WAG, dans le Figaro économie, 5 novembre 2001

Les sociétés ont précisé que ce coût ne remettait pas en cause leur solidité financière. Les sociétés françaises ont estimé pour leur part leurs pertes à 1,5 milliard de dollars environ. Le métier d'assureur et de réassureur consiste, pour le reste, à répartir les risques entre plusieurs sociétés (mutualisation des risques) et à les provisionner. Mais l'ampleur inégalée des dommages a fragilisé les comptes d'exploitation pour les exercices 2001-2002, ainsi que les bilans.

La réaction des sociétés d'assurance et de réassurance a été de deux ordres. Certaines sociétés, notamment américaines, ont procédé à une consolidation immédiate de leurs fonds propres par des augmentations de capital en bourse. Les analystes financiers estiment en effet que de telles augmentations sont judicieuses, dans la mesure où la réduction des capacités sur certains risques, associée à une plus grande prudence des sociétés sur la gestion de leur risque, permet d'espérer de bons rendements à court terme.

AUGMENTATIONS DE CAPITAL PRÉVUES SUR LE MARCHÉ AMÉRICAIN

(en milliards de dollars)

Sociétés

Capital

ACE Limited

1

XL Limited

0,7

Everest Re

0,57

Partner Re

0,35

Hartford Re

0,40

QBE

0,33

Arch Capital Group

0,25

Axis Speciality

1

White Mountains

1

AIG-Chubb-Goldman Sachs

1

Da Vinci Re

0,50

Source : Bloomberg

Les sociétés ont en second lieu revu une partie de leurs contrats dans des secteurs particulièrement exposés aux risques du terrorisme. Les résiliations les plus notables ont été opérées dans le transport aérien. Les contrats entre assureurs et compagnies aériennes comprennent en effet une clause de dénonciation sous un délai de huit jours. L'ensemble des sociétés d'assurances françaises a résilié les contrats, considérant qu'elles ne souhaitaient plus couvrir les risques de guerre sans contrepartie supplémentaire. Dans un second temps, elles ont partiellement rétabli leurs garanties, moyennant une augmentation de leurs primes d'assurances, l'État intervenant - via la caisse centrale de réassurance - en complément du marché pour reconstituer les garanties.

Pour les exercices 1998, 1999 et 2000, les primes nettes perçues par les sociétés d'assurances sur les principales compagnies aériennes se sont élevées à 2,7 milliards de dollars. Les sinistres sur cette période sont estimés à 7,9 milliards de dollars, soit un rapport entre les sinistres et les primes de 293 %. Les assureurs ont considéré qu'il fallait revaloriser leur chiffre d'affaires sur ce secteur à hauteur d'1,7 milliard de dollars supplémentaires. À la suite des attentats, ils ont estimé que le niveau des primes devait atteindre 4 milliards de dollars.

Les attentats de New York et de Washington représentent à eux seuls quatre fois le chiffre d'affaires annuel de l'ensemble de la branche aviation au plan mondial. Les sociétés d'assurance sont en mesure d'honorer leurs engagements, mais ne peuvent plus engager leurs fonds propres. Les risques liés au transport aérien comme aux attentats ne sont plus assurables si les avions civils sont utilisés comme des armes de guerre, créant des dommages au sol, matériels et corporels de grande ampleur.

La notification, pour les sociétés d'assurance, de la résiliation des contrats, est intervenue le 17 septembre 2001. Le maintien des garanties est désormais soumis aux conditions suivantes :

- en ce qui concerne la responsabilité civile, une surprime uniforme et unilatérale de 1,25 dollar par passager est imposée par les assureurs ;

- les garanties pour les dommages causés aux tiers sont limitées à hauteur de 50 millions de dollars, par événement et en tout, par période annuelle d'assurance et à 10 millions de dollars pour l'aviation d'affaires ;

- les compagnies aériennes devront payer une surprime de 0,05  % au titre de l'assurance corps, calculée sur les valeurs déclarées des aéronefs.

Le coût supplémentaire de ces garanties est déjà évalué, sur ces bases, à plus de 1  % du coût d'exploitation des entreprises.

Les compagnies d'assurance ont dénoncé cette révision de leurs contrats, soit directement (Air France), soit par l'entremise de leurs syndicats (FNAM, SCARA). Pour Air France, le coût des assurances s'établit désormais à 110 millions d'euros, contre 35 millions aujourd'hui.

Le Gouvernement a pour sa part annoncé le déblocage d'une aide d'un milliard de francs, servant d'une part à financer les mesures de sûreté supplémentaires, d'autre part à dédommager les pertes d'exploitation directes subies par les opérateurs à la suite de la fermeture partielle de l'espace aérien nord-américain et du renchérissement des primes d'assurance.

Les industriels qui doivent garantir leurs installations ont constaté qu'ils étaient en présence d'un risque de hausse des primes de contrats d'assurance de 80 % à 100 %. M. Philippe Detrez, président de l'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise a qualifié d'oukase la baisse du plafond des polices, l'augmentation des franchises et la restriction des garanties. « C'est tout le contrat d'assurance qui est vidé de sa substance, » a-t-il affirmé. Axa a ainsi décidé de réduire ses coûts de 10 % sur les frais généraux et d'appliquer des hausses de tarifs de 40 à 80 % pour les primes d'assurance et de réassurance grands risques pour 2002. Elle a également dénoncé son contrat avec la fédération internationale de football (FIFA) pour la couverture de la prochaine coupe du monde, craignant des attentats dans les stades de Corée ou du Japon.

*

* *

La situation financière des sociétés d'assurance est donc connue. Elle demeure relativement solide. A ce jour, seules deux sociétés sont en grandes difficultés. Il s'agit de Marsh et McLennan, premier courtier mondial, et d'Aon, second courtier mondial. Ces deux sociétés présentaient la particularité d'avoir leur activité dans le World Trade Center et ont perdu respectivement 295 et 131 employés. Leur bénéfice a évidemment chuté, mais elles estiment pouvoir pérenniser leur activité. Comme l'indique avec justesse M. Jean-Pierre Brard dans sa proposition de résolution, la solidité des sociétés d'assurance française n'est pas non plus menacée. L'absence de grandes catastrophes en 2000 a permis de renforcer les provisions techniques. D'après la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), les capitaux propres des sociétés françaises avoisinent 22 milliards d'euros et leurs provisions techniques s'élevaient à 87,2 milliards d'euros avant les attentats.

Il n'apparaît donc pas nécessaire de constituer une commission d'enquête sur des faits connus et analysés dont les répercussions excèdent largement le champ d'une enquête, dureront plus de six mois et qui auront des incidences sur tous les secteurs de l'économie mondiale. S'il existe une forte marge d'incertitude sur l'avenir du secteur des assurances et ses relations avec les autres secteurs de l'économie, la commission d'enquête n'est pas l'instrument pertinent pour le Parlement, n'étant pas par nature une instance de prospective.

La motivation de M. Jean-Pierre Brard et de ses collègues, auteurs de la proposition de résolution, relève en fait d'une démarche consistant à informer le Parlement de l'état des sociétés d'assurance, afin de mieux analyser les demandes des sociétés d'assurance de déductions fiscales pour renforcer leur trésorerie.

Il est de notoriété publique que la FFSA a formulé de telles demandes auprès du ministère de l'Économie et des Finances peu de temps après les attentats. L'article 19 du projet de loi de finances rectificative pour 2001 traduit le résultat de cette négociation, le Gouvernement ayant accepté l'aménagement du régime des provisions d'égalisation et de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d'assurances et de réassurances de dommages. Il s'agit de permettre aux sociétés de constituer en franchise d'impôt des provisions d'égalisation, afin de faire face aux fluctuations de sinistralité exceptionnelles afférentes à la couverture des risques d'attentats, de terrorisme et de transport aérien.

Là encore une commission d'enquête n'est pas opérante pour analyser la pertinence de la mesure. Le déroulement normal de la procédure législative, à l'occasion de la discussion du collectif budgétaire, permettra au Parlement d'être informé de la portée de cet article.

Votre Rapporteur relève par ailleurs que l'article 19 du projet de loi de finances rectificative pour 2001 ne constitue pas une mesure de réparation d'événements passés, mais vise à permettre aux sociétés d'assurance de faire face à de nouveaux sinistres d'ampleur comparable à l'attentat du World Trade Center. Une récente analyse de François Ewald, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, éclaire le débat :

« Parmi les conséquences des terribles événements du 11 septembre, certaines concernent l'univers des risques et sa transformation. Cela tient d'abord au désastre extrême des Twin Towers. Si, jusqu'alors, pareille catastrophe ne semblait pouvoir relever que d'un imaginaire hollywoodien débridé, elle est devenue la plus sinistre réalité de l'histoire de l'assurance. Elle fait malheureusement partie d'un réel avec lequel il faut désormais compter. Entrée dans la statistique, elle infléchit les courbes de probabilité et conduit à déplacer la limite du pire.

... Le terrorisme, qui s'annonce comme le nouveau visage de la guerre mondialisée au XXIème siècle, déstabilise profondément l'univers des risques, qui se trouve en quelque sorte dédoublé par celui de la menace. Les deux notions de risque et de menace sont de fait exclusives : autant la menace est diffuse, sournoise, indéfinie, indiscernable, présente et absente à la fois, autant le risque, à l'inverse, se doit d'être identifié, délimité, calibré, évalué. Ce qui fait que si la menace intimide, pétrifie, conduit à la rétraction des activités, sa mise en risque au contraire rassure, stabilise, permet le calcul et la décision. Le terrorisme cherche à nous faire revenir de l'univers du risque, dont la naissance accompagne la sortie du Moyen Âge et qui se diffuse au cours des Lumières, vers un monde où nous ne pourrions plus savoir quelle valeur lui donner. Il introduit de l'incertitude dans le risque. Par quel facteur multiplier l'évaluation actuelle des risques, en particulier ceux qui semblent les plus exposés : compagnies aériennes, aéroports, Coupe du monde de football ? Comment probabiliser la menace d'une attaque aérienne sur une centrale nucléaire ? C'est ainsi que l'assurance, elle dont la fonction sociale est d'apprécier les risques, se trouve particulièrement affectée par les événements du 11 septembre dans les deux dimensions de l'appréhension du risque : sa face objective et statistique - les mutualités assurancielles doivent intégrer la probabilité de risques toujours plus intenses - et sa face subjective d'aversion au risque, qui augmente d'autant plus que le risque se rapproche de la menace. » (Les Échos, 20 novembre 2001).

De l'aveu même des professionnels, les sociétés de réassurance ne pourraient faire face à une seconde catastrophe de l'ampleur du World Trade Center. Seul les États disposent, par la masse financière de leur budget, d'une capacité de réaction.

Votre Rapporteur propose en définitive de ne pas créer de commission d'enquête, considérant que le Parlement dispose de toutes les informations nécessaires à l'évaluation de la situation financière des sociétés d'assurance. Le c_ur du débat n'est d'ailleurs pas dans leur réaction face à un événement qui appartient à un passé douloureux, mais dans leur capacité à réagir face à un nouvel événement de même échelle. Symbolisant la fragilité de nos sociétés, la réponse est connue et elle est négative pour le secteur de la réassurance, sauf à renforcer les provisions techniques des compagnies.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa première séance du 28 novembre 2001, la Commission des finances, de l'économie générale et du plan a examiné la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation du secteur des sociétés d'assurances françaises après les attentats aux États-Unis du 11 septembre 2001 et la catastrophe industrielle de Toulouse du 21 septembre 2001 (n° 3293).

Votre Rapporteur a d'emblée indiqué que la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard était juridiquement recevable dans la mesure où aucune procédure judiciaire n'était en cours en la matière et qu'elle visait des faits précis.

Votre Rapporteur a évoqué les conséquences des attentats du 11 septembre, aux États-Unis, et de la catastrophe de Toulouse, dont les causes sont toujours indéterminées, mais qui sont susceptibles d'évaluation. En effet, les incidences de l'attentat contre le World Trade Center sont estimées de 30 à 70 milliards de dollars. L'amplitude de cette fourchette est due à l'imprécision du montant des futures indemnisations, qui couvriront :

- les dommages aux personnes (capital décès, blessures, incapacités de travail, qui concernent les passagers des avions et les personnes travaillant dans les tours ou à proximité) ;

- les dommages aux biens (destruction des tours, des biens mobiliers, des avions) ;

- les pertes d'exploitation économique, ce dernier point étant le plus difficile à chiffrer.

Les sociétés ont précisé que ce coût ne remettait pas en cause leur situation financière. Les sociétés françaises ont estimé leurs pertes à 1,5 milliard de dollars, environ. Le métier d'assureur et de réassureur consiste, en effet, à répartir les risques entre plusieurs sociétés et à les provisionner. Mais l'ampleur inégalée des dommages a fragilisé les comptes d'exploitation pour les exercices 2001-2002, ainsi que les bilans.

La réaction des sociétés d'assurances a été de deux ordres : d'une part l'augmentation des primes d'assurances, de 40 à 80 % selon les secteurs, d'autre part, la diminution des garanties apportées. Le secteur du transport aérien a particulièrement été touché par ces mesures. Ainsi, le coût des assurances pour Air France est passé de 35 à 110 millions d'euros. De manière générale cependant, les compagnies d'assurance et de réassurance sont capables d'absorber le coût des suites des attentats et de faire face à leurs obligations, mais si de nouvelles catastrophes d'ampleur survenaient, elles ne pourraient être couvertes par le secteur de la réassurance.

Votre Rapporteur a considéré qu'il n'était pas nécessaire de constituer une commission d'enquête sur des faits déjà connus. Il a rappelé que le problème essentiel résidait plus dans l'avenir du secteur des assurances et qu'une commission d'enquête, à cet égard, n'était pas l'instrument pertinent d'analyse. En outre, l'article 19 du projet de loi de finances rectificative pour 2001 permettra au Parlement de débattre des conséquences des attentats du 11 septembre pour le secteur des assurances.

M. Jean-Pierre Brard a estimé qu'il était indispensable de mesurer de façon fiable la réalité des dommages financiers subis par les compagnies d'assurances dans la mesure où le ministère des finances a d'ores et déjà accepté un certain nombre de revendications de la fédération française des sociétés d'assurances, alors que M. Denis Kessler, président de cette fédération, n'a guère habitué le Parlement à des comportements de réciprocité. Les dispositions prévues par le projet de loi de finances rectificative pour 2001 sont loin d'être anodines, le Gouvernement ayant accepté l'aménagement du régime des provisions d'égalisation et de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d'assurance et de réassurance de dommages. S'il est nécessaire d'accompagner financièrement les secteurs de l'économie qui ont subi les conséquences des événements du 11 septembre, il faut en revanche avoir une connaissance précise des pertes financières des compagnies d'assurance, mais il n'est pas possible de s'en remettre à ces seules compagnies pour l'évaluation des dommages. En effet, la fourchette du coût des sinistres est extrêmement large, les sociétés ont déjà relevé les tarifs de leurs primes et enfin, la Commission européenne les soupçonne d'une éventuelle entrave aux règles de la concurrence. La légitimité de l'article 19 du projet de loi de finances rectificative est très discutable et répond aux jérémiades d'un secteur qui a les moyens de surmonter les crises.

M. Jean-Pierre Brard a ensuite cité l'exemple du groupe de réassurance SCOR qui a enregistré une augmentation de 45 % de son chiffre d'affaires pendant les neuf premiers mois de l'année 2001 (25 % de hausse à périmètre constant) et qui a annoncé sa capacité à faire face aux sinistres qu'il doit réassurer. Il semble que l'intervention de l'État, par le biais de dispositions fiscales de caractère général, réclamée par les plus grands libéraux, lesquels, par ailleurs, vilipendent cette intervention, ne serait donc pas nécessaire pour l'ensemble des groupes d'assurance. Les sociétés d'assurance doivent prendre leur part dans le coût des catastrophes. En revanche, est-il normal que les contribuables financent, par le montant de leur police d'assurance une première fois, puis par le biais des impôts qu'ils paient, une seconde fois, les dividendes versées aux actionnaires des sociétés d'assurance ?

Mme Nicole Bricq a indiqué qu'une partie notable des questions posées par M. Jean-Pierre Brard était couverte par les travaux en cours de la commission d'enquête sur les risques industriels, présidée par M. Jean-Yves Le Déaut. Une audition récente de M. Denis Kessler a permis de constater que certaines grandes sociétés, dont Total Elf Fina, assuraient leurs activités soit par le biais de filiales se livrant elles-mêmes à l'activité d'assurance, soit par des pratiques d'auto assurance, ce qui pose à l'évidence un risque de sous-évaluation.

M. Gérard Saumade a déclaré que cette proposition de résolution mettait en lumière un problème politique constant, à savoir que les libéraux souhaitent l'intervention de l'État pour augmenter leurs profits mais refusent de contribuer aux pertes enregistrées dans les secteurs économiques et sociaux et tentent de les faire assumer par le contribuable.

M. Jean-Pierre Brard a jugé qu'une commission d'enquête sur le secteur des assurances serait utile pour analyser certains comportements de ce secteur, par ailleurs familier des paradis fiscaux, et qu'il serait utile qu'une commission d'enquête soit constituée.

En réponse aux intervenants, votre Rapporteur a confirmé qu'aucune société d'assurance n'était menacée financièrement par les conséquences des attentats du 11 septembre et que le problème concernait surtout la réassurance, qui serait incapable de faire face à un nouveau risque d'ampleur similaire. Une commission d'enquête serait inutile dans la mesure où le Parlement dispose déjà de tous les éléments d'évaluation nécessaires. Le débat est donc politique et l'article 19 du projet de loi de finances rectificative sera l'occasion, pour le Parlement, de prendre sa décision.

La Commission a ensuite rejeté la proposition de résolution.

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