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le 10 juin 1998

graphique

972

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 juin 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (n° 937) relatif à la Nouvelle-Calédonie,

PAR MME CATHERINE TASCA,

Députée.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

D.O.M.–T.O.M.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Jean-Louis Borloo, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Ameline, MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, Michel Crépeau, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Bernard Derosier, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Renaud Dutreil, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Henri Nallet, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Gilbert Roseau, José Rossi, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

I. — LA LONGUE INCAPACITÉ À SAISIR PAR LE DROIT LA SOCIÉTÉ NÉO-CALÉDONIENNE 6

A. LA SOCIÉTÉ POLITIQUE NÉO-CALÉDONIENNE 6

1. Le fait colonial 6

2. Les aspirations kanakes 9

3. Une société pluri-communautaire 11

B. LES IMPASSES STATUTAIRES 1946-1988 14

1. Avant 1946, la Nouvelle-Calédonie est administrée par un Gouverneur 14

2. 1946, la Nouvelle-Calédonie accède au statut de territoire d’outre-mer 14

3. La loi-cadre du 23 juin 1956 donne au territoire une certaine autonomie 15

4. La loi statutaire du 21 décembre 1963 et les lois du 3 janvier 1969 rétablissent la tutelle de l’Etat 16

5. Le statut du 28 décembre 1976 assouplit, sans la supprimer, la tutelle de l’Etat 17

6. La loi du 4 mai 1984 confère au territoire une réelle autonomie 17

7. La loi du 23 août 1985 institue un statut transitoire pour répondre à une situation de crise 20

8. La loi du 17 juillet 1986, le référendum d’autodétermination du 13 septembre 1987 et la loi du 22 janvier 1988 ne permettent pas d’éviter le retour à la violence 21

II. — LES ACCORDS DE MATIGNON : UNE NOUVELLE CHANCE POUR LE TERRITOIRE 23

A. VERS LES ACCORDS 23

1. Le paroxysme de la violence 23

2. La négociation des accords 24

B. LE CONTENU DES ACCORDS 25

C. LE BILAN DES ACCORDS 28

1. L’équilibre des pouvoirs 29

2. L’amélioration de la vie dans l’île 32

3. Le développement économique 34

III. — L’ACCORD DE NOUMÉA POUR UNE ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE ORIGINALE 36

A. LA VOLONTÉ D’ÉVITER UN “ RÉFÉRENDUM-COUPERET ” 36

B. L’ACCORD DE NOUMÉA PREND EN COMPTE LA SPÉCIFICITÉ DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE 39

1. Le préambule 39

2. Le document d’orientation 41

C. LA RÉACTION DES ACTEURS LOCAUX : COMPTE-RENDU DES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION DE LA COMMISSION EN NOUVELLE-CALÉDONIE 49

IV.  —  LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE 64

A. LA NÉCESSITÉ DE RÉVISER LA CONSTITUTION 64

1. Créer une entité juridique originale 64

2. Autoriser le législateur à déroger à certains principes constitutionnels 65

3. Permettre l’organisation d’un référendum local en 1998 67

B. LA PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PAR LE MINISTRE À LA COMMISSION 68

C. LA DISCUSSION GÉNÉRALE EN COMMISSION 76

D. L’EXAMEN DU DISPOSITIF DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PAR LA COMMISSION 80

1. Une forme inédite 80

2. Le contenu du projet 81

TABLEAU COMPARATIF 89

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 93

ANNEXE 1 : Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 95

ANNEXE 2 : Evolution des statuts et des institutions du territoire de la Nouvelle-Calédonie 107

MESDAMES, MESSIEURS,

LA CONSTITUTION EST LE LIEU SYMBOLIQUE OÙ DROIT ET POLITIQUE SE RENCONTRENT. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À LA NOUVELLE-CALÉDONIE, DONT L’ASSEMBLÉE EST AUJOURD’HUI SAISIE, ILLUSTRE AVEC ÉCLAT CETTE RENCONTRE, QUI N’EST JAMAIS SIMPLE À ORGANISER. EN EFFET, DIX ANS APRÈS LA SIGNATURE DE L’ACCORD DE MATIGNON, QUI A MARQUÉ LA FIN D’UNE SITUATION DE QUASI-GUERRE CIVILE DANS LE TERRITOIRE, IL NOUS APPARTIENT DE STATUER SUR L’ACCORD DE NOUMÉA, SIGNÉ PAR LES PRINCIPAUX ACTEURS DE LA VIE POLITIQUE CALÉDONIENNE LE 5 MAI DERNIER.

PAR LE VOTE DE CE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE, IL NOUS EST DEMANDÉ, D’UNE CERTAINE MANIÈRE, DE RATIFIER CES ACCORDS ET D’EXPRIMER L’APPROBATION PAR LA REPRÉSENTATION NATIONALE DE CE NOUVEAU PAS ACCOMPLI DE CONCERT PAR LES CALÉDONIENS. CET ASSENTIMENT S’EXPRIMERA AVEC UNE SOLENNITÉ TOUTE PARTICULIÈRE, PUISQUE C’EST DANS NOTRE LOI FONDAMENTALE QU’IL VA TROUVER SA PLACE.

MAIS, AU-DELÀ, IL NOUS EST ÉGALEMENT DEMANDÉ DE FAIRE EN SORTE QUE CET ACCORD PUISSE VIVRE. PARCE QU’IL PREND EN COMPTE – DE MANIÈRE RÉALISTE – LES STRUCTURES ET LES RESSORTS D’UNE SOCIÉTÉ TOUTE PARTICULIÈRE, LE TEXTE DE NOUMÉA INTRODUIT DANS NOTRE DROIT DES ÉLÉMENTS NOUVEAUX, QUI TRANCHENT PARFOIS NETTEMENT AVEC CERTAINS DE NOS PRINCIPES JURIDIQUES. LA PAIX CIVILE EXIGE SOUVENT UN CERTAIN PRAGMATISME. SEULE LA CONSTITUTION PEUT AUTORISER CES DÉROGATIONS AU DROIT COMMUN. DE PLUS, L’ACCORD DE NOUMÉA FAIT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE UNE COLLECTIVITÉ À PART DANS LA RÉPUBLIQUE. LE TRANSFERT PROGRESSIF ET IRRÉVERSIBLE AU TERRITOIRE DE PRÉROGATIVES EN PRINCIPE DÉTENUES PAR L’ETAT, FERA DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE UNE ENTITÉ JURIDIQUE DISTINCTE DES TERRITOIRES D’OUTRE-MER, TELS QU’ILS SONT DÉFINIS À L’ARTICLE 74 DE LA CONSTITUTION. IL S’AGIT DONC, PAR L’ADOPTION DE CE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE, D’AUTORISER LE LÉGISLATEUR À METTRE EN ŒUVRE LES ORIENTATIONS DÉFINIES À NOUMÉA. AINSI, UNE FOIS LA CONSTITUTION RÉVISÉE, UNE LOI ORGANIQUE DEVRA ÊTRE ADOPTÉE PAR LE PARLEMENT POUR ORGANISER LE TERRITOIRE PENDANT LA PÉRIODE AU TERME DE LAQUELLE IL AURA À CHOISIR EN FAVEUR DE L’INDÉPENDANCE OU DU MAINTIEN DANS LA RÉPUBLIQUE.

L’ACCORD DE NOUMÉA A ÉTÉ SALUÉ PAR LA QUASI-UNANIMITÉ DES FORCES POLITIQUES CALÉDONIENNES ET MÉTROPOLITAINES. LA COMMISSION DES LOIS A PU JUGER, LORS DE LA MISSION QU’ELLE A EFFECTUÉE RÉCEMMENT DANS LE TERRITOIRE, QUE LE CLIMAT POLITIQUE DANS CETTE ÎLE ÉTAIT AUJOURD’HUI MARQUÉ AU SCEAU DE L’APAISEMENT ET DE L’ESPRIT DE CONCORDE. IL S’AGIT DE CONFORTER CETTE ÉVOLUTION NOUVELLE QUI, IL Y A QUELQUES ANNÉES ENCORE, SERAIT APPARUE COMME LA CHIMÈRE D’UN DOUX RÊVEUR. POURTANT, LA RÉALITÉ EST LÀ. LA NOUVELLE-CALÉDONIE SE DÉVELOPPE, LA PAIX CIVILE Y RÈGNE ET L’AVENIR PEUT Y ÊTRE ENVISAGÉ AVEC CONFIANCE.

I. — LA LONGUE INCAPACITÉ À SAISIR PAR LE DROIT LA SOCIÉTÉ NÉO-CALÉDONIENNE

A. LA SOCIÉTÉ POLITIQUE NÉO-CALÉDONIENNE

La société politique néo-calédonienne est, en première instance, marquée par une réalité historique qu’il ne faut pas craindre d’aborder avec lucidité : le fait colonial. Face à cette réalité, forgée à partir des années 1850, s’est construit dans la seconde moitié du XXème siècle un mouvement qui a conduit les populations autochtones de ce territoire à revendiquer la maîtrise de leur propre destin politique.

Société multicommunautaire, aux ressorts et aux enjeux complexes, la Nouvelle-Calédonie ne peut être observée avec un regard simplificateur et univoque. Comprendre cette société politique si particulière nous impose à tous quelques changements de perspectives dont – avouons-le – nous ne sommes pas toujours coutumiers.

1. Le fait colonial

A l’origine, la Nouvelle-Calédonie a connu le sort commun des îles du Pacifique “ découvertes ” par les navigateurs portugais, espagnols, français ou britanniques du XVIème au XVIIIème siècle. C’est James Cook qui, le 4 septembre 1774, aborde pour la première fois cette île du Pacifique Sud de belle dimension – environ 400 km sur 40 km – entourée elle-même de toute une série d’archipels et d’îlots comme l’Ile des Pins, les Belep ou les Iles Loyauté. Quelques années plus tard, en 1788, le navigateur français La Pérouse approche la Grande Terre, peu de temps avant de disparaître corps et biens au large de Vanikoro.

Pendant toute la première partie du XIXème siècle, la Nouvelle-Calédonie, qui doit son nom à James Cook, d’origine écossaise, ne fut pas l’objet d’un intérêt particulier de la part des grandes puissances occidentales. Seuls quelques navigateurs, découvreurs, aventuriers ou scientifiques s’approchèrent de cette terre protégée par des eaux que l’on disait dangereuses. Ainsi, c’est seulement en 1825 qu’est entrepris par Dumont d’Urville un relevé des côtes de Nouvelle-Calédonie et il faut attendre le 24 septembre 1853 pour que le contre-amiral Febvrier-Despointes prenne possession de l’île au nom de la France. C’est alors que débuta l’histoire politique proprement dite de la Nouvelle-Calédonie, qui fut essentiellement une histoire de domination pendant près un siècle.

En 1854, est fondée Port-de-France, qui deviendra en 1866 Nouméa. Malgré les incitations des autorités administratives locales, la situation géographique de l’île, aux antipodes de la métropole, et la dureté des conditions de vie firent que peu de colons s’y installèrent. Les rares Français qui décidèrent alors librement de vivre en Nouvelle-Calédonie se regroupèrent autour de Nouméa sur la côte ouest, au sud de la Grande Terre, là où, aujourd’hui encore, les populations d’origine européenne sont plutôt concentrées.

Le territoire se peupla néanmoins à partir des années 1860, et surtout 1870, mais pour une raison tout à fait particulière. La loi de 1854 relative à la transportation prévoyait l’exécution des peines de travaux forcés dans les établissements coloniaux. La Nouvelle-Calédonie constituait un lieu idéal pour appliquer cette législation dans toute sa rigueur. Vaste, peu peuplée, à l’autre bout du monde, elle fut alors perçue par les autorités politiques et administratives avant tout comme une prison sûre, sans que l’on se soucie nullement, conformément à l’esprit de l’époque, des populations indigènes.

Le premier convoi de deux cent cinquante bagnards accosta à Port-de-France en mai 1864. Les forçats furent employés aux grands travaux d’aménagement de l’île, comme la construction des routes, l’assèchement des marécages, l’édification des bâtiments au premier rang desquels... les établissements pénitentiaires destinés à les accueillir. Mais le premier gouverneur de l’île, Guillain (1862 – 1870), eut pour projet d’aider également ces réprouvés à se réhabiliter. Ses successeurs mirent en œuvre ce dessein en octroyant aux bagnards les plus méritants des concessions. Le peuplement de la côte ouest de la Grande Terre fut ainsi assuré par les premiers détenus de droit commun auxquels on concéda des terres en leur interdisant, à l’issue de leur peine, tout retour en France.

Après la Commune, la Nouvelle-Calédonie accueillit plus de quatre mille prisonniers politiques déportés, parmi lesquels la militante socialiste Louise Michel et le polémiste Henri Rochefort. Mais ceux de ces résidents forcés qui survécurent, ne demeurèrent pas sur le territoire et regagnèrent, pour la plupart, la métropole après les lois d’amnistie de 1879 et 1880.

A la fin du XIXème siècle, la Nouvelle-Calédonie comptait vingt mille habitants d’origine européenne, plus de la moitié d’entre eux étant des forçats. L’administration pénitentiaire est alors devenue la principale puissance foncière, politique et financière du territoire. En Nouvelle-Calédonie, l’Etat français se présentait donc sous son visage le plus dur et le plus répressif, celui de la prison. La société politique calédonienne, dans ce que l’on pourrait appeler sa préhistoire, revêtait ainsi une dimension réelle et symbolique avant tout violente.

Mais les populations qui subirent l’essentiel de cette violence ne furent pas celles issues de métropole, car la Nouvelle-Calédonie abordée par Cook ou La Pérouse n’était pas une terre déserte. Elle était évidemment peuplée d’hommes et de femmes, dont les droits et souvent l’existence même, furent niés par le colonisateur comme ce fut le cas dans la plupart des autres îles océaniennes.

Lorsque les premiers Européens accostèrent sur la Grande Terre et les îles environnantes, celles-ci étaient habitées par des populations kanakes, dont la présence en Nouvelle-Calédonie remontait à près de quatre mille ans. Ces communautés mélanésiennes venues d’Asie du Sud-Est lors des grandes migrations transocéaniques des navigateurs austronésiens, présentaient des cultures diversifiées, aux langues et dialectes nombreux, mais toutes articulées autour d’une coutume élaborée et d’un attachement particulier à la terre, fondement de toute l’organisation sociale. Pour ces premiers habitants, l’appropriation de la terre était avant tout collective et renvoyait à un lien au sol d’ordre historique. Pour reprendre le terme forgé par l’anthropologue Louis Dumont, la société kanake était, et elle l’est aujourd’hui encore, avant tout de nature “ holiste ”, ce qui signifie que la totalité prime sur les individus qui la composent. La solidarité communautaire est une valeur essentielle. En tout point, la culture et l’organisation sociale kanakes s’opposaient à la logique occidentale des colonisateurs. Celle-ci repose sur un processus de différenciation des individus dans leur fonction au sein du groupe. La mobilité sociale des acteurs y est fortement encouragée. A l’inverse, la culture traditionnelle kanake se fonde sur des rôles politiques, religieux, économiques, qui sont solidement fixés et voués à l’immuable pour assurer au groupe sa stabilité.

La confrontation de ces deux univers antinomiques va se dérouler dans des circonstances dramatiques à la fin du XIXème siècle, la communauté mélanésienne se trouvant totalement démunie face à la puissance matérielle coloniale.

La société indigène fut, en effet, simplement niée. L’impossibilité pour les Européens de l’époque de concevoir la cœxistence de modèles sociaux aussi distincts, la croyance inébranlable dans les vertus du progrès et la volonté d’apporter, y compris par la force, les “ lumières de la civilisation occidentale ” aux premiers habitants de ces territoires, conduisirent à un résultat catastrophique pour les communautés kanakes.

Elles virent leurs terres ancestrales confisquées. Spoliées de la sorte, les populations mélanésiennes se révoltèrent, comme en 1878 sous l’impulsion du chef Ataï. Mais ces révoltes n’aboutirent qu’à de nouvelles dépossessions. Le code de l’indigénat, qui s’applique aux populations autochtones de Nouvelle-Calédonie en 1887, renforça le caractère violent des rapports entre la puissance coloniale et les Kanaks. Le travail obligatoire, les impôts de capitation sur les réserves indigènes et un ensemble d’autres mesures répressives vont perdurer jusqu’en 1946, vouant la société calédonienne à une logique inextricable fondée sur une relation de dominant à dominé. Cette logique fut telle que, sans les efforts du pasteur-ethnologue Maurice Leenhardt, la société kanake aurait pu, au début du siècle, purement et simplement disparaître.

Il a fallu attendre après la Seconde guerre mondiale pour voir poindre un mouvement contestant le fondement inégalitaire de la société calédonienne, alors que les puissances européennes se désengageaient peu à peu des territoires qu’elles avaient colonisés au siècle précédent.

Pourtant, si la logique coloniale, par sa rigueur et son caractère parfois totalement inhumain, nous apparaît inacceptable, elle ne doit pas nous conduire à nier l’apport des populations européennes dans ce territoire. Le développement économique, la mise en valeur des ressources agricoles ou minières de l’île doit énormément à ces hommes et ces femmes, qui ont fait de ce territoire leur nouvelle patrie.

2. Les aspirations kanakes

En 1946, la Nouvelle-Calédonie accède au statut de territoire d’outre-mer. C’est à partir de cette date que, dans le territoire, émerge une vie politique à part entière avec des partis en concurrence lors des élections locales et nationales. L’accession à la qualité de T.O.M. coïncide avec la suppression du code de l’indigénat. Les Mélanésiens deviennent donc des citoyens français et acquièrent le droit de vote progressivement entre 1945 et 1957.

En 1946, est créée une première organisation politique locale : le Parti communiste calédonien. Puis rapidement suivent deux formations. L’une, d’obédience catholique, est l’Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l’ordre (U.I.C.A.L.O.). L’autre est d’inspiration protestante : l’Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (A.I.C.L.F.). Au début des années cinquante, ces deux groupements vont fusionner et aboutir à la constitution de l’Union calédonienne (U.C.) dont le programme vise à promouvoir la population kanake et la justice sociale autour d’un slogan “ Deux couleurs, un seul peuple ”. Dominant en Nouvelle-Calédonie au milieu des années cinquante, l’Union calédonienne, sous l’égide de son fondateur, Maurice Lenormand, recueille les suffrages d’un électorat multi-ethnique. Face à l’U.C., est créé en 1958 le Rassemblement calédonien par Henri Lafleur. Ce mouvement, proche des gaullistes, regroupe les Européens hostiles au projet autonomiste auquel l’U.C. s’est ralliée. L’U.C. maintient sa position dominante pendant toutes les années soixante et c’est seulement à l’issue de cette décennie que des tensions se font jour en son sein. Les Européens, qui militent dans ce parti à vocation multi-ethnique, vont peu à peu rejoindre les rangs du Rassemblement calédonien qui, en 1977, devient le Rassemblement pour la Calédonie et, en 1978, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (R.P.C.R.), regroupant ainsi cinq partis.

Il faut, en effet, constater que les revendications des populations kanakes se sont exprimées avec de plus en plus de force à partir de la fin des années soixante. En juillet 1969, l’un des grands chefs de Maré, Nidoish Naisseline, qui a été aussi le premier diplômé kanak de l’enseignement supérieur parisien, fonde le premier véritable mouvement indépendantiste : “ Les foulards rouges ”. Né des désillusions liées aux “ lois Billote ”, qui assurent en 1969 le contrôle par l’Etat des infrastructures minières, conforté par un mouvement mondial qui appelle à la décolonisation, les foulards rouges, suivi par le Groupe 1878 – en référence à la révolte du chef Ataï – rejettent la solution de compromis avancée par les Européens et par l’Union calédonienne.

Les années soixante-dix sont celles de la montée des tensions. L’exploitation du nickel, dont le sous-sol de Nouvelle-Calédonie recèle le quart des réserves mondiales, a suscité la venue de populations nombreuses sur le territoire. Métropolitains, Wallisiens et Futuniens, Néo-Hébridais, Tahitiens affluent sur la Grande Terre.

Cette immigration nouvelle, la construction de grands ensembles urbains, contraires à la tradition océanienne, l’exploitation minière, dont les retombées ne bénéficient pas aux populations kanakes, vont conduire à l’émergence d’une forme de frustration chez les descendants des premiers habitants de l’île. Ceux-ci vont alors exprimer une revendication indépendantiste, articulée autour de deux dimensions fortes : contestation d’une modernité urbaine doublée d’une exploitation économique et sociale des populations kanakes et affirmation d’une identité culturelle kanake, niée par le colonisateur.

En 1975, Jean-Marie Tjibaou, président de l’Union calédonienne depuis 1956, organise, avec d’autres, le festival Mélanésia 2000 où est exprimée pour la première fois de manière publique la revendication de cette identité culturelle. L’année suivante naît le Palika (Parti de la libération kanake) de la fusion des Foulards rouges et du Groupe 1878. L’Union calédonienne se rallie à la revendication indépendantiste en 1977 et, deux ans après, est créé un front indépendantiste, comprenant notamment l’U.C. et le Palika.

En 1984, le Front indépendantiste devient le Front de libération nationale kanak socialiste (F.L.N.K.S.) et la société politique calédonienne semble bel et bien s’organiser autour de deux pôles cohérents : l’un représenté par le F.L.N.K.S., aspirant à l’indépendance, l’autre autour du R.P.C.R., affirmant son attachement au maintien dans la République française.

C’est à partir de 1984 que s’installe dans le territoire, pour quatre années, un climat de violence où deux camps vont s’affronter, les gouvernements métropolitains semblant démunis face à une revendication indépendantiste et un mouvement loyaliste qui se radicalisent. Il faut dire que la réalité néo-calédonienne est complexe. Le poids du passé, les structures démographiques et les rapports de force entre les populations sont tels qu’appliquer à ce territoire des solutions juridiques qui ignorent plus ou moins ces réalités est le gage d’un échec certain.

La Nouvelle-Calédonie est avant tout une société pluri-communautaire, où aucun groupe ethnique ne peut revendiquer la majorité absolue. Cette situation est, à l’évidence, étrangère à l’histoire républicaine française qui, en principe, ignore les communautés.

3. Une société pluri-communautaire

Trop longtemps, la Nouvelle-Calédonie a été appréhendée avec un regard trop réducteur de la part des Français de métropole. La réalité historique et démographique de ce territoire ne se prête pourtant pas à une analyse succincte.

Comme c’est le cas en Australie, en Nouvelle-Zélande ou à Fidji, la population autochtone est minoritaire en Nouvelle-Calédonie. Mais, à la différence de ces exemples étrangers, les descendants des premiers occupants représentent une proportion importante de la population du territoire néo-calédonien.

Environ 200.000 personnes vivent en Nouvelle-Calédonie (1). La répartition de la population est la suivante :

COMMUNAUTÉS

POURCENTAGE DE LA POPULATION (2)

Mélanésiens

44,1 %

Européens

34,1 %

Wallisiens et Futuniens

9 %

Tahitiens

2,6 %

Indonésiens

2,5 %

Vietnamiens

1,4 %

Vanuatu

1,4 %

Autres Asiatiques

0,4 %

Autres

4,5 %

134.546 personnes vivent dans la province Sud, soit 68,4 % de la population ; 41.413 dans la province Nord, soit 21 % de la population et 20.877 dans la province des Iles, soit 10,6 % de la population du territoire. La ville de Nouméa accueille 38,8 % des Néo-Calédoniens et le Grand Nouméa (communes de Nouméa, Dumbéa, Païta et Mont-Dore) environ 60 %. La population du territoire est jeune puisque 40 % d’entre elle a moins de vingt ans.

Outre les Kanaks et les Européens, on constate que la Nouvelle-Calédonie connaît une multitude d’autres communautés qui, pour la plupart, immigrèrent vers la Grande Terre lors de l’expansion liée à l’exploitation du nickel dans les années cinquante et soixante.

A la différence de ce que l’on connaît sur le territoire métropolitain, la logique du melting-pot, caractérisée par un brassage des populations d’origine diverses et une assimilation par la constitution d’un modèle politique, social et économique unitaire, n’a jamais été réellement à l’œuvre en Nouvelle-Calédonie. Certes, la mixité des unions y existe et le métissage y est une heureuse réalité. Pourtant, les communautés culturelles sont demeurées juxtaposées les unes aux autres solidement assises sur des identités très différentes. Cette situation n’a pas permis la nette émergence d’une identité néo-calédonienne transcendant ces clivages culturels et ethniques.

Au total, on observe un assemblage de cultures étanches qui permet de comprendre la difficulté que rencontrèrent les forces politiques de l’île pour dégager des solutions consensuelles.

Tant que la population mélanésienne est démographiquement minoritaire, la question de l’accès à l’indépendance semble arithmétiquement insoluble. Certes, les taux de fécondité et de natalité des Kanaks sont nettement supérieurs à ceux des populations d’origine européenne (taux de natalité 35 ‰ contre 18,7 ‰ ; taux de fécondité 150 ‰ contre 73 ‰). Mais, comme l’observe le professeur Michel Miaille, même si les Mélanésiens deviennent majoritaires, “ il est clair qu’aucune communauté ne pourra décider de son destin sans les autres et surtout contre les autres ”. (3)

C’est donc à l’émergence d’une identité calédonienne qu’il faut aujourd’hui travailler, une identité qui respecte les spécificités de chacune des communautés qui peuvent légitimement revendiquer le droit de vivre sur cette terre du Pacifique.

Trop longtemps, cet équilibre n’a pu être trouvé faute de statut suscitant un accord de toutes les parties. Jusqu’en 1988, on est forcé d’observer que la Nouvelle-Calédonie a été confrontée à une véritable impasse statutaire.

B. LES IMPASSES STATUTAIRES 1946-1988

1. Avant 1946, la Nouvelle-Calédonie est administrée par un Gouverneur

Jusqu’en 1885, la Nouvelle Calédonie est administrée par un gouverneur qui dispose d’une grande liberté d’action face à des autorités métropolitaines lointaines. Ce fonctionnaire tout puissant est assisté par un conseil privé purement consultatif, le statut juridique du territoire étant des plus imprécis. D’abord rattaché administrativement aux établissements français de l’Océanie, c’est-à-dire de la Polynésie jusqu’en 1860, la Nouvelle-Calédonie est ensuite soumise à un statut transitoire inspiré de l’ordonnance du 27 août 1828 relative au gouvernement de la Guyane.

Il faut attendre le décret du 2 avril 1885 pour que le territoire soit doté d’un conseil général dont les pouvoirs se révèlent plus étendus que ceux des départements métropolitains. Quant à Nouméa, elle est, depuis 1879, une commune de plein exercice, la seule en Nouvelle-Calédonie jusqu’en 1969.

Cette situation statutaire va perdurer jusqu’en 1946, date à laquelle la Constitution de la IVème République va ériger les colonies françaises en territoires d’outre-mer dotés de statuts particuliers tenant compte de leurs intérêts propres (articles 60 et 74 de la Constitution du 27 octobre 1946).

2. 1946, la Nouvelle-Calédonie accède au statut de territoire d’outre-mer

L’accession au statut de T.O.M. ne révolutionne pas l’organisation administrative du territoire. Le gouverneur, représentant de l’Etat, est l’exécutif du conseil général qui est désormais élu au suffrage universel, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Néanmoins, elle s’accompagne de la suppression du code de l’indigénat c’est-à-dire que, concrètement, il est mis fin aux restrictions affectant les libertés de résidence de travail et de circulation des Kanaks, aux prestations et aux réquisitions imposées aux populations autochtones. La Nouvelle-Calédonie est désormais représentée au Conseil de la République. Les Mélanésiens accèdent petit à petit au droit de vote alors que la Constitution de 1946 a accordé la citoyenneté française à tous les ressortissants ultra-marins. L’ordonnance du 22 août 1945 avait déjà fait de certaines catégories de Kanaks des électeurs – anciens combattants, chefs coutumiers, pasteurs et moniteurs d’enseignement – soit 1.444 Mélanésiens sur 9.500 électeurs. La loi du 23 mai 1951, ouvrant le droit de vote à de nouvelles catégories, porte le nombre des électeurs kanaks à 8.930 pour un corps électoral de 19.761 personnes. Il faut attendre la loi du 26 juillet 1957 pour que la République accorde à l’ensemble de la population mélanésienne le droit de voter. C’est à cette époque qu’intervient la première législation reconnaissant à la Nouvelle-Calédonie une certaine autonomie institutionnelle.

3. La loi-cadre du 23 juin 1956 donne au territoire une certaine autonomie

La loi-cadre du 23 juin 1956, dite “ loi Defferre ”, propose une organisation nouvelle des territoires d’outre-mer autour de trois axes principaux : réorganiser les gouvernements généraux en vue de les transformer en organes de coordination ; créer des conseils de gouvernement chargés notamment de l’administration des services territoriaux ; étendre les compétences des assemblées locales élues dotées désormais d’un pouvoir délibérant élargi.

Ces principes novateurs sont déclinés pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie par le décret du 22 juillet 1957. Le territoire est ainsi organisé autour de trois institutions. Le chef du territoire, représentant de l’Etat, préside le conseil de gouvernement, composé de membres élus par l’assemblée territoriale, elle-même issue du suffrage universel, et portant le titre de ministre. Il a la faculté de démissionner quand il estime ne plus avoir la confiance de l’assemblée du territoire. Ce conseil de gouvernement est doté d’attributions collégiales étendues et chaque ministre dispose de compétences individuelles.

L’assemblée territoriale élue pour la première fois en 1957 bénéficie d’un champ de compétences élargi. Même s’il est limitativement défini par le décret de 1957, il porte sur des domaines importants tels l’enseignement primaire et secondaire, l’économie, la fiscalité, le régime foncier, la santé, le statut des fonctionnaires, l’urbanisme. Par ailleurs, le territoire partage également avec l’Etat certaines compétences relatives à la police administrative, le commerce ou les communications extérieures. Comme le note Claude Deslhiat : “ le changement statutaire de 1957 constitue bien plus qu’une simple décentralisation administrative et politique. Il vaut, pour les Mélanésiens, reconnaissance de leur dignité et de leur capacité à se gouverner. Il alimente, chez eux, la conviction qu’un processus d’évolution progressive vers un statut d’autonomie interne complète, associant les communautés canaque et européenne au sein de la République française, est désormais amorcé avec l’aide de la métropole et non contre elle. Les désillusions ultérieures seront à la mesure de cette espérance ”. (4)

Effectivement, après l’avancée de 1956-1957, l’évolution statutaire va se révéler pour le moins erratique.

4. La loi statutaire du 21 décembre 1963 et les lois du 3 janvier 1969 rétablissent la tutelle de l’Etat

Face à un mouvement qui n’est alors encore qu’autonomiste, le pouvoir étatique métropolitain adopte une position fermée qui aboutit à la loi statutaire du 21 décembre 1963 dite “ loi Jacquinot ”. Elle réforme le conseil de gouvernement créé en 1957 et en amoindrit notablement le rôle. Les membres de ce conseil perdent leurs attributions propres et leur titre de ministre. Cet organe n’a plus qu’un rôle consultatif et, en cas d’absence du gouverneur, il n’est plus présidé par un de ses membres élus mais par le secrétaire général, fonctionnaire d’Etat. En résumé le pouvoir exécutif revient au gouverneur, représentant de l’Etat et chef du territoire. On notera néanmoins que l’assemblée du territoire conserve un rôle important. Elle vote des délibérations qui, bien qu’ayant un caractère réglementaire, interviennent dans le domaine réservé par l’article 34 de la Constitution à la compétence du Parlement. Elle vote le budget et détermine le régime fiscal applicable au territoire.

Après le statut “ Jacquinot ” qui marque un retour de l’Etat dans les affaires néo-calédoniennes, la loi du 30 décembre 1965 renforce cette tendance en transférant au pouvoir central la compétence de l’enseignement public secondaire jusqu’alors exercée par le territoire. Puis interviennent les deux lois du 3 janvier 1969 dites “ lois Billotte ”. Elles amputent les compétences du territoire en matière d’investissement et de contrôle de la recherche minière à un moment où l’exploitation du nickel connaît un développement extraordinaire. Ensuite, elles généralisent les communes d’Etat soumises à la tutelle des autorités centrales et créent l’équivalent de sous-préfectures, ce qui renforce le pouvoir de l’administration d’Etat dans le territoire.

Cette reprise en main par l’Etat du sort de la Nouvelle-Calédonie est durement ressentie par la population mélanésienne. C’est à cette époque – nous l’avons souligné – que le mouvement indépendantiste émerge peu à peu.

5. Le statut du 28 décembre 1976 assouplit, sans la supprimer, la tutelle de l’Etat

Même s’il tranche avec la période précédente, ce statut n’a pas constitué un retour à celui de 1957. Il consiste en une restauration des pouvoirs du conseil de gouvernement où la fonction de vice-président élu réapparaît. Le conseil dispose désormais de prérogatives reconnues par la loi. Il est chargé de l’administration des intérêts territoriaux qu’il règle par ses délibérations. Par ailleurs, les membres du conseil retrouvent des pouvoirs individuels aux contours incertains. Par délibération du conseil, ils sont chargés d’une mission permanente de contrôle et d’animation d’un secteur de l’administration territoriale.

En revanche, pour ce qui est du champ des compétences reconnues au territoire, le changement de perspective est radical. Le territoire se voit conférer la compétence juridique de droit commun, l’Etat se contentant d’une compétence d’attribution, englobant, il est vrai, les matières essentielles.

La mise en place de ce statut s’inscrit dans un contexte politique local où indépendantistes et loyalistes s’affrontent électoralement. Le conseil de gouvernement connaît de réelles difficultés de fonctionnement et il est dissout en mars 1979, l’équilibre des forces en son sein empêchant de dégager une nette majorité. La loi modifie le 24 mai 1979 le “ statut Stirn ” et introduit un seuil de 7,5 % des suffrages exprimés en-deçà duquel on ne peut être admis à la répartition des sièges lors des élections territoriales. Le scrutin en question se déroule le 1er juillet 1979 et donne la victoire aux partisans du maintien dans la République avec plus de 65 % des voix. Mais malgré les apparences le débat sur l’accès à l’indépendance est loin d’être clos.

6. La loi du 4 mai 1984 confère au territoire une réelle autonomie

A la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt la tension est croissante dans le territoire. Les indépendantistes observent ce qui se passe dans le reste du Pacifique et ailleurs. La Papouasie-Nouvelle-Guinée accède à l’indépendance en 1975, les îles Salomon en 1978, Kiribati (les anciennes îles Gilbert) en 1979, les Comores en 1975, Djibouti en 1977 et les Nouvelles-Hébrides, devenues Vanuatu, en 1980.

Le 4 février 1982 une loi d’habilitation autorise le Gouvernement à prendre des ordonnances afin d’accélérer le train des réformes pour désamorcer la tension qui tiraille le territoire. Trois offices sont créés : un office foncier, un office culturel, scientifique et technique canaque et un office de développement de l’intérieur et des îles. Ces réformes conduisent à une recomposition des alliances dans l’assemblée du territoire et, en juin 1982, Jean-Marie Tjibaou est porté à la vice-présidence du conseil de gouvernement. Pour la première fois l’exécutif local est dirigé par un élu indépendantiste.

En juillet 1983, en présence de M. Georges Lemoine, secrétaire d’Etat aux D.O.M.-T.O.M., est ouverte la table ronde de Nainville-les-Roches qui accueille des représentants élus des diverses parties en présence. A l’issue de cette réunion, une déclaration commune que le R.P.C.R. a refusé de signer est publiée le 12 juillet 1983. Elle reconnaît :

—  l’abolition du fait colonial ;

—  la légitimité du “ peuple kanak ”, “ premier occupant ” du territoire, qui a un “ droit inné et actif à l’indépendance ”. L’exercice de ce droit “ doit se faire dans le cadre de l’autodétermination ” ouverte “ aux autres ethnies dont la légitimité est reconnue par les représentants du peuple kanak ”;

—  la nécessité d’élaborer un “ statut d’autonomie transitoire et spécifique ”.

Cette dernière clause du communiqué de Nainville-les-Roches est concrétisée par le vote par le Parlement du statut du 4 mai 1984 dit “ statut Lemoine ” qui confère au territoire une autonomie jamais atteinte jusqu’alors.

Le territoire se voit reconnaître une compétence de droit commun dont sont seules exclues les fonctions de souveraineté, les principes directeurs du droit du travail, l’enseignement du second cycle secondaire, l’enseignement supérieur et la communication audiovisuelle. Le conseil de gouvernement est remplacé par un gouvernement du territoire. Son président est élu par l’assemblée territoriale parmi ses membres. Celle-ci approuve la liste des ministres présentée par le président du gouvernement. Le conseil des ministres du territoire ainsi formé exerce un pouvoir réglementaire et nomme les chefs des services territoriaux. La tutelle de l’Etat sur les actes du gouvernement territorial est supprimée. En outre, innovation majeure, est créée une seconde chambre destinée à représenter institutionnellement la coutume kanake.

En dernière instance, le “ statut Lemoine ” prévoit la tenue d’un référendum d’autodétermination en 1989. Suscitant une cohorte d’oppositions de la part de tous les acteurs néo-calédoniens, cet édifice politique, juridique et institutionnel audacieux ne trouvera pas à s’appliquer.

Les organisations indépendantistes contestent la composition du corps électoral appelé à s’exprimer lors du référendum d’autodétermination. Créé en 1984, le F.L.N.K.S. demande que le scrutin devant aboutir à l’indépendance soit organisé avant 1986 et que seuls les Kanaks, les non-Kanaks nés dans le territoire ou ayant un ascendant né en Nouvelle-Calédonie puissent participer au scrutin. Le R.P.C.R., quant à lui, est radicalement opposé à ce statut qui, bien que conférant au territoire une large autonomie, semble ouvrir la porte à une possible séparation de la République française.

Les élections territoriales du 18 novembre 1984 marquent le succès du R.P.C.R. qui remporte plus de 70 % des suffrages exprimés. Mais l’abstention atteint 50 % des inscrits et le scrutin se déroule dans une atmosphère de violence sans précédent en particulier sur la côte est et dans les îles Loyauté où la population mélanésienne est dominante.

Ces mois de novembre et de décembre 1984 voient les événements s’accélérer. Aux barrages indépendantistes répondent les contre-barrages des anti-indépendantistes. La commune de Thio est occupée par le secrétaire général de l’Union calédonienne, Eloi Machoro, et ses partisans. Les Européens habitant les îles et l’intérieur de la Grande Terre (“ les broussards ”) affluent vers Nouméa. Le F.L.N.K.S. constitue le 1er décembre un gouvernement provisoire présidé par Jean-Marie Tjibaou. Le 5 décembre, à Hienghène, dix Mélanésiens trouvent la mort dans une embuscade ; parmi eux deux frères du président du F.L.N.K.S. Le lendemain, trois Caldoches disparaissent dans un incendie criminel à Bourail.

Face à cette situation d’une gravité exceptionnelle, le Gouvernement nomme Edgard Pisani délégué en Nouvelle-Calédonie. Il propose l’organisation d’un référendum d’autodétermination en juillet 1985 ouvert aux citoyens ayant trois ans de résidence en Nouvelle-Calédonie. Le choix laissé aux électeurs porterait sur le maintien dans la République ou la constitution de la Calédonie en un Etat indépendant associé à la France. L’annonce de ce plan n’apaise pas la situation. Celle-ci se dégrade même à un tel point que, après la mort d’un jeune Européen puis celle d’Eloi Machoro au cours d’une intervention du G.I.G.N., le 12 janvier 1985, l’état d’urgence est proclamé dans le territoire et un couvre-feu imposé.

La question statutaire paraît désormais subordonnée au rétablissement de l’ordre public dans le territoire. Le printemps 1985 est marqué par la poursuite des troubles et le couvre-feu n’est levé que le 14 juin. Le 25 avril, le Premier ministre, Laurent Fabius a présenté en conseil des ministres un dispositif institutionnel qui aboutit à la loi du 23 août 1985.

7. La loi du 23 août 1985 institue un statut transitoire pour répondre à une situation de crise

Complétée par l’ordonnance du 20 septembre 1985, la loi du 23 août pose le principe que les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie seront appelées à se prononcer, au plus tard le 31 décembre 1987, sur l’avenir du territoire au sein ou en-dehors de la République. Avant cette consultation, la Nouvelle-Calédonie est régie par un statut transitoire dont la principale caractéristique est la création de quatre régions représentées chacune par un conseil, la réunion des quatre conseils de région formant le Congrès qui remplace l’assemblée territoriale.

Les conseils de région sont élus au suffrage universel direct au scrutin proportionnel de liste. Ils désignent en leur sein un président qui assume les fonctions exécutives dans la région dont il prépare et exécute le budget et dont il dirige les services administratifs. Sont adjoints à chacun de ces conseils, un conseil consultatif coutumier. La réunion des quatre conseils coutumiers forme le conseil coutumier territorial qui peut être consulté sur toute question par le haut-commissaire.

Les compétences des régions sont étendues. Elles exercent les attributions conférées au territoire en vertu du “ statut Lemoine ” de 1984. Quant au territoire, représenté par le Congrès, ses compétences sont résiduelles. Elles correspondent à celles qui ne sont pas expressément attribuées aux régions et à l’Etat.

Le haut-commissaire redevient l’exécutif du territoire. Il prépare et exécute les délibérations du Congrès et a autorité sur l’ensemble des services publics.

Le statut “ Fabius-Pisani ” se caractérise donc par une régionalisation poussée et une nette remise en cause de l’autonomie organisée par le statut de 1984. Il organise une partition de fait entre le sud de la Grande Terre où les Caldoches sont majoritaires et le reste de la Nouvelle-Calédonie à dominante mélanésienne.

On peut considérer que les élections régionales du 29 septembre 1985 témoignent d’une adhésion à ce statut de la part des populations mélanésiennes. Elles enregistrent un taux de participation record, l’abstention restant circonscrite à moins de 20 % des électeurs inscrits, ce qui tranche avec les consultations précédentes boycottées par les indépendantistes. A l’issue de ce scrutin le F.L.N.K.S. dispose de 16 sièges au Congrès et détient la majorité dans les régions du centre, du nord et des îles Loyauté. Le R.P.C.R. obtient 25 sièges au Congrès et remporte la majorité des suffrages dans la région du sud.

La mise en œuvre de ce système institutionnel d’inspiration fédérale ne va pas durer très longtemps. Le changement de majorité parlementaire en France, après les élections législatives de mars 1986, va conduire à une remise en cause du statut de 1985.

8. La loi du 17 juillet 1986, le référendum d’autodétermination du 13 septembre 1987 et la loi du 22 janvier 1988 ne permettent pas d’éviter le retour à la violence

La majorité parlementaire issue du scrutin du 16 mars 1986 est, par nature, plus attentive aux positions du R.P.C.R. Le Gouvernement remet en cause le statut de 1985 et prévoit un plan d’action en trois temps : la mise en place d’un régime transitoire puis un scrutin d’autodétermination avant la fin de l’année 1987 et, in fine, l’élaboration d’un nouveau statut pour le territoire.

La première étape est l’adoption de la loi du 17 juillet 1986 (dite “ statut Pons I ”, du nom du ministre des D.O.M.-T.O.M.). Elle vise principalement à retirer aux régions instituées en 1985 la majeure partie de leurs compétences tout en maintenant le cadre régional.

Le Congrès du territoire retrouve une compétence générale et, par-là même, des attributions dévolues précédemment aux régions. Le haut-commissaire demeure l’exécutif du territoire.

Cette réforme institutionnelle s’accompagne d’un programme d’aide au développement dans le domaine touristique, de l’équipement et des infrastructures publiques, de l’habitat social et tribal ainsi que d’une réforme foncière.

Dans un deuxième temps, le référendum d’autodétermination est organisé le 13 septembre 1987. Après des discussions difficiles avec le F.L.N.K.S. sur la question essentielle de la composition du corps électoral, le Gouvernement décide d’admettre les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de la consultation et résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins trois ans à compter de la promulgation de la loi organisant le référendum. Grosso modo, seuls les fonctionnaires sont écartés du corps électoral.

La question posée à l’occasion de cette consultation est simple : “ Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance ou demeure au sein de la République française ? ” Le 13 septembre 1987, 98,3 % des votants se prononcent pour le maintien dans la République mais, le taux d’abstention atteint 40,9 % des inscrits après l’appel au boycott lancé par le F.L.N.K.S. Malgré tout, juridiquement, la question de l’indépendance semble donc définitivement tranchée.

Par la loi du 22 janvier 1988, dite “ statut Pons II ”, la Nouvelle-Calédonie se voit reconnaître une plus large autonomie alors que la régionalisation introduite en 1985 est remaniée substantiellement. Le territoire dispose d’une compétence générale en matière politique et normative, l’Etat ne conservant que les compétences de souveraineté classique (justice, monnaie, ordre public, défense, diplomatie), ainsi que quelques autres domaines par exemple en matière de droit du travail, de communication audiovisuelle ou d’enseignement supérieur.

Le Congrès du territoire demeure, ainsi que l’assemblée coutumière consultative. L’exécutif du territoire passe, quant à lui, du haut-commissaire à un conseil exécutif élu de dix membres. Les présidents du Congrès et des quatre régions en font partie de droit. Les cinq autres membres sont élus à la proportionnelle par le Congrès. Disposant de l’autorité hiérarchique sur les services territoriaux, le conseil exécutif se voit attribuer un vrai pouvoir de décision. Pour certaines d’entre elles, cependant, une majorité des deux tiers est requise – c’est le cas pour l’adoption du budget – faute de quoi, le haut-commissaire se substitue au conseil pour régler la question en suspens.

La régionalisation est renforcée par le statut de janvier 1988. Les conseils de région retrouvent ainsi la majeure partie des compétences que le premier “ statut Pons ” de juillet 1986 leur avait retiré.

Pourtant, le nouveau statut n’est pas de nature à introduire un équilibre politique durable en Nouvelle-Calédonie. En effet, il procède à un nouveau découpage régional en substituant à la répartition Nord-Centre-Sud-Loyauté, une division Est-Ouest-Sud-Loyauté qui a pour conséquence de renforcer la représentation du R.P.C.R. au détriment des indépendantistes.

Le scrutin territorial est fixé au 24 avril 1988, date du premier tour des élections présidentielles. Le F.L.N.K.S., par la voix de son président Jean-Marie Tjibaou, appelle à la mobilisation contre la tenue du scrutin.

Le printemps 1988 est marqué par une escalade de violence jamais atteinte en Nouvelle-Calédonie. Les échecs successifs des différents statuts proposés par la métropole, l’incapacité des deux forces en présence à penser un avenir qui puisse être commun, vont aboutir à un paroxysme violent. Paradoxalement, c’est de cette situation dramatique que va sortir, pour la première fois depuis 1853, une logique de dialogue entre les communautés calédoniennes sous l’égide des plus hautes autorités de l’Etat. Les accords de Matignon et d’Oudinot vont être l’expression de ce basculement d’une logique de guerre vers un esprit de paix.

II. — LES ACCORDS DE MATIGNON : UNE NOUVELLE CHANCE POUR LE TERRITOIRE

A. VERS LES ACCORDS

1. Le paroxysme de la violence

Trop souvent, c’est uniquement la proximité du pire qui conduit les acteurs à nouer un dialogue. Malheureusement, cette règle n’a pas trouvé de démenti en Nouvelle-Calédonie. Il aura fallu l’escalade violente du printemps 1988 pour aboutir aux accords de Matignon et d’Oudinot grâce auxquels le territoire s’engage dans une période d’apaisement sans précédent.

De la fin du mois de février 1988 à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, se multiplient des actes et des déclarations qui révèlent les tensions extrêmes qui tiraillent la Grande Terre. Le 22 février, plusieurs gendarmes sont brièvement pris en otage par des militants du F.L.N.K.S. à la suite d’un litige foncier. Comme le note Claude Desthiat : “ L’incident fait, rétroactivement, figure de coup de semonce et de répétition générale ” (5). Le 22 avril, dans l’île d’Ouvéa, un poste de gendarmerie est pris d’assaut par des indépendantistes. Cette fois, la prise d’otages est sanglante. Quatre gendarmes sont assassinés alors que vingt-sept autres sont kidnappés. Les indépendantistes, par la voix du secrétaire général de l’Union calédonienne, Léopold Jorédié, entendent conditionner la libération de ces otages à la satisfaction de trois revendications : l’annulation des élections régionales, l’évacuation de l’île d’Ouvéa par les forces de l’ordre, la nomination d’un médiateur “ pour discuter d’un véritable référendum d’autodétermination ”.

Les élections du 24 avril 1988 se déroulent dans un véritable climat de guerre civile. Puis, entre les deux tours de l’élection présidentielle, intervient la libération des gendarmes d’Ouvéa. A trois jours du second tour, l’opération militaire aboutit effectivement à la fin de la prise d’otages au prix d’un bilan particulièrement dramatique puisque deux militaires et dix-neuf Kanaks sont tués.

L’irréparable semble avoir été commis. Deux chemins s’ouvrent alors : la logique de guerre ou la voie du dialogue. La raison va heureusement l’emporter.

2. La négociation des accords

Les Caldoches perçoivent rapidement la situation inextricable dans laquelle ils risquent de s’enferrer en s’en tenant à des positions maximalistes. Dans la déclaration du 1er juin 1988, le R.P.C.R., par la voix de Jacques Lafleur, envisage un partage des responsabilités avec les indépendantistes. Quant aux Mélanésiens, les événements d’Ouvéa ne sont pas de nature à apaiser leur ire.

C’est dans ce contexte que le nouveau Premier ministre, Michel Rocard, confie au préfet Christian Blanc, ancien adjoint d’Edgard Pisani en 1984–1985, une mission destinée à renouer le dialogue entre les deux parties principales. La délégation qu’il conduit est composée de Monseigneur Guiberteau, de l’ancien grand maître du Grand-Orient, Roger Leray, du conseiller d’Etat Jean-Claude Périer, du sous-préfet Pierre Steinmetz et du pasteur Jacques Stewart. La composition très ouverte de cette mission est perçue comme garante de la volonté de médiation du Gouvernement d’alors. A l’issue d’un travail exceptionnel salué par tous, la mission conduite par Christian Blanc parvient à nouer des contacts entre le F.L.N.K.S. et le R.P.C.R. et, le 15 juin 1988, en présence du Premier ministre, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou acceptent de se rencontrer pour la première fois depuis cinq ans et la table ronde de Nainville-les-Roches. Les négociations se poursuivent jusqu’à l’adoption par les deux délégations d’un premier accord le 26 juin 1988. Dès lors, s’ouvre en Nouvelle-Calédonie une ère nouvelle.

B. LE CONTENU DES ACCORDS

Le texte de la déclaration commune de Matignon est le suivant :

“ Les communautés de Nouvelle-Calédonie ont trop souffert, dans leur dignité collective, dans l’intégrité des personnes et des biens, de plusieurs décennies d’incompréhension et de violence.

“ Pour les uns, ce n’est que dans le cadre des institutions de la République française que l’évolution vers une Nouvelle-Calédonie harmonieuse pourra s’accomplir.

“ Pour les autres, il n’est envisageable de sortir de cette situation que par l’affirmation de la souveraineté et de l’indépendance.

“ L’affrontement de ces deux convictions antagonistes a débouché jusqu’à une date récente sur une situation voisine de la guerre civile.

“ Aujourd’hui, les deux parties ont reconnu l’impérieuse nécessité de contribuer à établir la paix civile pour créer les conditions dans lesquelles les populations pourront choisir, librement et assurées de leur avenir, la maîtrise de leur destin.

“ C’est pourquoi elles ont donné leur accord à ce que l’Etat reprenne pendant les douze prochains mois l’autorité administrative sur le territoire.

“ En conséquence, le Premier ministre présentera un projet dans ce sens au Conseil des ministres du 29 juin 1988.

“ Les délégations se sont, par ailleurs, engagées à présenter et à requérir l’accord de leurs instances respectives sur les propositions du Premier ministre concernant l’évolution future de la Nouvelle-Calédonie. ”

Ce texte porte la signature du Premier ministre, M. Michel Rocard, de sept délégués du R.P.C.R., MM. Jacques Lafleur, Maurice Nenou, Dick Ukeiwé, Jean Lèques, Henri Wetta, Pierre Frogier, Pierre Brétégnier, de quatre délégués du F.L.N.K.S., MM. Jean-Marie Tjibaou, Yeiwéné Yeiwéné, Mme Caroline Machoro, M. Edmond Nékiriaï et du représentant du L.K.S., M. Nidoish Naïsseline.

La déclaration commune prend acte des positions antagonistes des deux parties mais constate aussi l’impérieuse nécessité de rétablir la paix civile. L’Etat intervient comme médiateur entre les deux camps en assurant directement l’administration du territoire pour une année. Ce dernier point va être très rapidement mis en œuvre par l’adoption de la loi n° 88-808 du 12 juillet 1988 qui transfère au haut-commissaire de la République les attributions que le “ statut Pons II ” de janvier 1988 confiait au conseil exécutif et à son président.

Pendant ce temps, le dialogue entamé à Matignon se poursuit jusqu’à la signature, le 20 août 1988, de l’accord Oudinot qui porte sur le principe d’une consultation au terme d’une période de dix ans sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie et la mise en place dans l’intervalle de nouvelles institutions. C’est donc dans une perspective à long terme que les protagonistes décident de se placer. Pour donner plus de poids au statut qui est destiné à régir le territoire pendant la période 1988-1998, il est décidé de le soumettre à un référendum national.

L’économie générale du projet de loi portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 est la suivante.

Tout d’abord, l’article premier énonce l’objet du projet de loi qui est de “ créer les conditions dans lesquelles les populations de Nouvelle-Calédonie éclairées sur les perspectives d’avenir qui leur sont ouvertes par le rétablissement et le maintien de la paix civile et par le développement économique, social et culturel du territoire, pourront librement choisir leur destin ”.

Puis, l’article 2 fixe le principe d’un scrutin d’autodétermination entre le 1er mars et le 31 décembre 1998 sur le maintien du territoire dans la République ou sur son accession à l’indépendance. En conséquence, il arrête également les contours du corps électoral appelé à se prononcer en 1998, ce point – on l’a vu – ayant été au cœur du débat tout au long des années quatre-vingt dès que la question de l’autodétermination était évoquée. L’article 2 dispose que “ seront admis à participer à ce scrutin les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de cette consultation et qui y ont leur domicile depuis la date du référendum approuvant la présente loi ”, c’est-à-dire in fine le 6 novembre 1988.

Le statut réorganise les institutions néo-calédoniennes. Trois provinces remplacent les régions nées du “ statut Fabius-Pisani ” : la province Nord, la province Sud et la province des îles Loyauté. Au cœur du dispositif institutionnel, ces circonscriptions nouvelles disposent, en vertu de l’article 7, d’une compétence générale. Sont élues, au scrutin proportionnel, au sein de chacune d’entre elles une assemblée de province qui désigne son président. Ce dernier a un rôle important. Il représente la province, prépare et exécute les délibérations de l’assemblée, et notamment son budget. Il est également chef de l’administration provinciale et dispose du concours des services de l’Etat et des services du territoire.

La réunion des trois assemblées de province forme le Congrès qui, dans ce système, tient la place, en quelque sorte, de l’instance parlementaire fédérale. Le Congrès règle par ses délibérations les affaires du territoire dont les compétences sont limitativement énumérées par l’article 9 du statut. Il s’agit entre autres des questions relatives aux impôts perçus dans le territoire, de la protection sociale, de la fonction publique territoriale, de la réglementation des prix, des marchés publics, du droit du travail, etc.

L’exécutif du territoire est assuré par le haut-commissaire qui est également représentant de l’Etat. Il prépare et exécute les délibérations du Congrès et de la commission permanente désignée en son sein à la proportionnelle.

L’Etat conserve, pour sa part, les compétences de souveraineté traditionnelle : les relations extérieures, le contrôle de l’immigration et des étrangers, les communications extérieures, la monnaie, le trésor, la défense, la nationalité, la justice, le droit civil à l’exception du droit coutumier, la communication audiovisuelle ... (article 8 du statut).

En dehors de ces dispositions statutaires classiques, le projet de loi référendaire prévoit l’indemnisation des victimes des actes de violence survenus entre le 16 avril 1986 et le 20 août 1988.

L’article 80 amnistie les infractions commises avant le 20 août 1988 “ à l’occasion des événements d’ordre politique, social ou économique en relation avec la détermination du statut de la Nouvelle-Calédonie ou du régime foncier du territoire ”. Toutefois le bénéfice de l’amnistie ne s’étend pas à ceux qui, par leur action directe et personnelle, ont été les auteurs principaux du crime d’assassinat.

Le projet de loi crée un institut de formation des personnels administratifs, une agence de développement de la culture kanake (A.D.C.K.) et une agence de développement rural et d’aménagement foncier (A.D.R.A.F.). Enfin, il organise des mesures d’accompagnement économiques, sociales et culturelles sous la forme de contrats de développement entre l’Etat et les provinces pour atteindre les objectifs suivants :

—  faciliter l’accès de tous aux formations initiales et continues et adapter celles-ci aux particularités du territoire ;

—  favoriser un rééquilibrage du territoire par rapport à l’agglomération chef-lieu ;

—  améliorer les conditions de vie des populations de toutes les parties du territoire ;

—  promouvoir le patrimoine culturel mélanésien et celui des autres cultures locales ;

—  encourager le développement des activités économiques locales ;

—  faire participer les jeunes au développement par des activités d’insertion ;

—  mettre en œuvre une politique foncière adaptée aux spécificités locales ;

—  susciter l’intensification des échanges économiques et culturels avec les Etats de la région Pacifique.

Ce projet de loi a donc été soumis au référendum le 6 novembre 1988. 80 % des électeurs l’ont approuvé. Dès lors, s’est ouverte une période de dix ans, qui vient juste de s’achever. Dix ans, ce n’est pas un répit mais un défi, observait Michel Rocard. Ce défi a-t-il été relevé ?

C. LE BILAN DES ACCORDS

Les accords de Matignon ne manquaient pas d’ambition. Il ne s’agissait pas moins que de maintenir le territoire dans la paix civile, tout en répartissant autrement les pouvoirs, en apportant des changements éminemment concrets dans la vie des Néo-Calédoniens et en relançant le développement de l’île.

1. L’équilibre des pouvoirs

Afin d’apaiser les esprits, le territoire a été tout d’abord placé sous un régime d’administration directe de juillet 1988 à juillet 1989. L’Etat s’est ainsi vu reconnaître son rôle naturel de médiateur impartial entre les intérêts des différents protagonistes. Le haut-commissaire a donc assumé, pendant une période limitée de douze mois, l’administration du territoire, assisté par un comité consultatif réunissant les partenaires des accords de 1988.

Cette période transitoire a permis de mettre en place, sans heurts, les nouvelles institutions néo-calédoniennes, territoriales, provinciales et communales. Les élections aux assemblées de province du 11 juin 1989 se sont déroulées dans des conditions de sérénité, dont on avait perdu le souvenir dans la Grande Terre. Leur renouvellement en 1995 eut lieu également tout à fait normalement.

L’installation des assemblées et des administrations provinciales n’a pas manqué de soulever des difficultés. Si la province du Sud a pu aussitôt bénéficier des infrastructures et des personnels de Nouméa, celles du Nord et des Iles Loyauté ont dû se constituer à partir d’un terrain largement vierge. Les premières années de la période 1988-1998 ont été celles de la construction des bâtiments administratifs et du recrutement de personnels contractuels pour se substituer au manque de fonctionnaires. Ces difficultés ont été peu ou prou surmontées et les provinces du Nord et des Iles Loyauté sont désormais munies des moyens propres à leur permettre d’assumer dans des conditions raisonnables leurs missions. Les provinces se sont vu reconnaître, par la loi référendaire, une compétence de droit commun. Pourtant, elles ne disposent que de peu de ressources propres. C’est pourquoi la loi a prévu un mécanisme de dotation du territoire vers les provinces auquel s’est ajoutée l’aide financière de l’Etat dans le cadre des contrats de développement. La mise en place de ces nouvelles institutions a permis de rompre avec la centralisation territoriale, qui avait, jusqu’alors, structuré l’espace néo-calédonien. Désormais, Nouméa n’est plus l’unique centre de pouvoir du territoire. Il faut compter avec Koné, le chef-lieu de la province Nord et We, celui de la province des Iles Loyauté.

Le territoire a, pour sa part, assumé des fonctions de régulation autour de trois axes : les moyens financiers, les normes, les missions communes à l’ensemble du territoire. Le Congrès fixe le régime fiscal applicable à la Nouvelle-Calédonie et redistribue près de 80 % des ressources ainsi perçues vers les provinces et les communes. Il définit également les règles applicables en matière de droit du travail, fonction publique, code de la route... qui doivent uniformément s’appliquer à tout le territoire. Enfin, il est l’organe naturel de tutelle de certains établissements publics chargés de missions communes à toute l’île, tels le centre hospitalier, l’agence pour l’emploi ou la Banque calédonienne d’investissement.

Les communes, traditionnellement soumises à la tutelle de l’Etat, ont vu ce régime de contrôle préalable supprimé par la loi du 29 décembre 1990. Leur situation juridique est désormais relativement voisine de celles de la métropole. Comme en disposait la loi référendaire, le haut-commissaire assure le contrôle de légalité a posteriori, s’appuyant, pour ce faire, sur le tribunal administratif et la chambre territoriale des comptes créée en 1988. Les communes bénéficient d’une péréquation financière destinée à leur assurer un niveau de ressources suffisant pour mener à bien leurs missions. C’est à travers le fond intercommunal de péréquation (F.I.P.) que s’opère cette forme de redistribution. La loi organique du 20 février 1995 a, par ailleurs, renforcé le domaine de compétence des communes en matière d’urbanisme et de concessions de distribution d’énergie électrique. Enfin, les personnels des administrations communales ont vu leur situation améliorée notablement. Le territoire a créé un statut de la fonction publique communale et les secrétaires de mairie ont bénéficié d’un programme de formation propre, organisé en métropole.

En dehors du volet purement institutionnel, qui s’est mis en place de manière satisfaisante, des efforts importants ont été entrepris pour permettre à la population kanake de voir reconnaître la spécificité de son identité au sein d’un ordre juridique français qui, a priori, est peu adapté à un tel accueil. En outre, la place de la Nouvelle-Calédonie au sein de la zone pacifique a fait l’objet d’une réflexion particulière, qui a été rapidement et concrètement suivie d’effets.

La loi référendaire du 9 novembre 1988 a reconnu huit aires coutumières, représentées chacune par un conseil : Hoot Ma Waap, Paici Camuki, Ajie Aro, Xaracuu, Djubea Kapone, Nengone, Drehu et Iaai. Les représentants de ces aires sont membres du conseil consultatif coutumier qui est consulté par les assemblées de province, notamment pour les textes relatifs au statut de droit civil particulier et au droit foncier.

La mise en œuvre de cette structure coutumière n’était pas un pari gagné a priori. Les statuts précédents celui de 1988 avaient déjà, en vain, tenté de donner à la coutume une forme institutionnelle. Dix ans après, on constate que ces conseils ont fonctionné de manière satisfaisante et que le conseil consultatif coutumier a été associé à plusieurs réflexions relatives à la santé publique ou au droit civil particulier. Il s’est également intéressé, de manière approfondie, aux questions foncières, à l’accès à la terre et au développement économique.

La loi du 15 février 1989 a, quant à elle, renforcé le rôle des assesseurs coutumiers qui, aux côtés des magistrats professionnels, participent à la résolution des litiges civils ou fonciers. Cette disposition a permis une meilleure perception des décisions de justice et, ce faisant, celles-ci sont mieux acceptées par les populations mélanésiennes.

La reconnaissance de l’identité kanake, à laquelle les Mélanésiens sont à juste titre très attachés, doit passer également par des initiatives fortes. C’est le sens que le président François Mitterrand a voulu donner au projet de centre culturel kanak à Nouméa. Cet édifice, conçu par l’architecte Renzo Piano et géré par l’agence pour le développement de la culture kanake, établissement public d’Etat présidé par Mme Marie-Claude Tjibaou, montre que, là encore, les accords de Matignon ont connu une suite dans les faits.

Enfin, pour ce qui est de la place de la Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique Sud, des efforts particuliers ont été menés pour convaincre les Etats voisins de la Nouvelle-Calédonie de la profondeur des changements qui s’accomplissent sur le territoire. Des succès diplomatiques notables ont été enregistrés, comme par exemple la décision de la Commission du Pacifique Sud de reconstruire son siège à Nouméa. La Nouvelle-Calédonie a été associée pleinement à un certain nombre de programmes de la Commission devenue Communauté du Pacifique : programme régional océanien de l’environnement (P.R.O.E.), commission du Pacifique pour les géo-sciences de la terre, conseil du tourisme du Pacifique Sud. Des liens ont été également renoués avec le Vanuatu, en particulier par la signature d’une convention-cadre le 19 novembre 1993, qui a été suivie de divers accords d’ordre technique.

Si on ajoute à ces initiatives des actions de coopération internationale décentralisées entre les provinces néo-calédoniennes et l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, on conclura que le territoire est en voie de pleine intégration dans cet espace du Pacifique Sud.

Les accords de Matignon ont eu également pour objectif d’apporter une amélioration de la qualité de vie des populations néo-calédoniennes.

2. L’amélioration de la vie dans l’île

Les efforts dans ce domaine se sont concentrés sur quatre objectifs :

—  permettre aux Néo-Calédoniens de bénéficier d’une formation scolaire, universitaire et professionnelle de qualité ;

—  faciliter l’accès des insulaires à la fonction publique ;

—  améliorer les conditions de vie ;

—  tenter de résoudre la question foncière.

Il a fallu tout d’abord développer l’enseignement secondaire pour répondre à un besoin réel. En dix ans trois collèges ont été construits par les provinces dans le Sud et le Nord et un dans les Iles. L’Etat a édifié quatre lycées. Le nombre d’établissements secondaires est passé ainsi de 34 à 46 et les effectifs scolarisés ont crû de 78% dans le Nord, de 57 % dans les Iles et de 13 % dans le Sud. Un effort particulier a été conduit pour rééquilibrer le rapport entre Nouméa et les autres parties du territoire au profit de ces dernières. Le nombre de bacheliers s’est accru notablement puisque, de 652 en 1992, on est passé à 1166 en 1997.

L’enseignement universitaire a également été soutenu. Ainsi en 1989 le centre de Nouméa de l’université française du Pacifique a été ouvert. 1.200 étudiants étaient inscrits en 1997 en droit, lettres ou sciences. Par ailleurs, en 1992 a été créé un Institut universitaire de formation des maîtres (I.U.F.M.).

Mais la formation n’est pas seulement initiale. Elle doit être aussi continue. Prévu par les accords de Matignon, un programme dit des “ 400 cadres ” a été conduit pour permettre à des Calédoniens, et plus particulièrement à des Mélanésiens, d’accéder à des fonctions de responsabilités dans les administrations, les entreprises et le secteur libéral. Depuis dix ans, 379 stagiaires ont bénéficié de formations qualifiantes dispensées en métropole, les Mélanésiens représentant 4/5ème des effectifs.

Une attention précise a également été portée à la formation des agents publics par le biais, par exemple, de l’Institut territorial de formation des maîtres, destiné à remettre à niveau des instituteurs remplaçants, le centre de formation des professions de santé (ancienne école d’infirmière), l’Institut de formation des personnels administratifs (I.F.P.A.) mentionné à l’article 82 de la loi référendaire. L’I.F.P.A. contribue à garantir la qualité et l’unité de la fonction publique du territoire. Il a accueilli entre 2.500 et 3.000 stagiaires par an depuis 1991.

Plus globalement, l’accès des Calédoniens, et plus spécifiquement des Mélanésiens, à la fonction publique était l’un des points essentiels des accords de 1988. Dans la perspective d’une maîtrise par la population insulaire de son propre destin, il va de soi que cette question revêt une importance toute particulière. Mais, dans le respect des règles qui régissent l’accès à la fonction publique et le principe du concours, des mesures ont été prises pour atteindre cet objectif. Par exemple, les demandes d’intégration de fonctionnaires d’Etat dans la fonction publique territoriale ont été examinées avec une grande rigueur afin de préserver un volant d’emplois disponibles pour les Calédoniens en formation. Il a été procédé à des intégrations de 450 agents insulaires dans la fonction publique communale créée en 1994 par le territoire en vertu de la compétence que la loi lui a reconnue. La place des Mélanésiens sous-représentés dans la fonction publique a été renforcée. Ainsi, alors que les services du territoire ne comptaient qu’un seul chef de service mélanésien en 1988, ils en accueillent aujourd’hui six sans compter les responsables des administrations provinciales, en particulier dans les collectivités où les Kanaks sont majoritaires.

Au total, l’objectif de rééquilibrage ethnique contenu dans les accords de 1988 a été poursuivi avec un certain succès, même s’il reste évidemment beaucoup d’efforts à faire en la matière.

La mise en œuvre des accords de Matignon est passée également par une politique active en matière de logement, rendue nécessaire par la croissance démographique que connaît ce territoire et par les problèmes d’équilibre de populations entre les différentes provinces. Les outils privilégiés mis en œuvre par l’Etat pour mener à bien cette politique ont été les contrats de développement signés avec chacune des trois provinces. Ces contrats ont atteint 818 millions de francs, financés à parité par l’Etat et les provinces, et répartis à 26 % pour le Nord, 10 % pour les îles et 64 % pour le Sud. A ces fonds contractualisés, se sont ajoutés des prêts octroyés par des organismes tels que la Banque calédonienne d’investissement. Ces aides financières ont permis la réalisation de petits ensembles locatifs dans le nord de la Grande Terre et dans les communes du Grand Nouméa. Dans la province des îles, l’accent a été mis sur les prêts pour l’accession à la propriété et sur le maintien d’un habitat traditionnel.

Il était également nécessaire de remettre à niveau le système sanitaire calédonien. Pendant la période 1988-1998, 105 millions de francs ont été employés dans cette optique, la répartition de ces subsides étant la suivante : 56 % dans le Nord, 28 dans le Sud et 16 % dans les îles. Il a été ainsi créé un S.A.M.U. L’hôpital de Koumac a été rénové ; celui de Poindimié a été achevé et mis en service. Par ailleurs, des campagnes de prévention ont été menées avec des résultats significatifs, notamment dans la lutte contre la mortalité infantile et la prise en charge des personnes âgées et des handicapés. Le Congrès a adopté en 1994 un plan de promotion de la santé et de maîtrise des dépenses de soins. En outre, l’un des objectifs des accords de Matignon était d’organiser une couverture sociale unifiée dans le territoire. Mais la dérive des dépenses de santé qu’a connue la Nouvelle-Calédonie n’a pas permis de satisfaire cet objectif, qui reste l’un des chantiers à venir.

Enfin, la question foncière, sur laquelle s’étaient focalisés les mouvements indépendantistes dans les années soixante-dix a été traitée par la création d’un établissement public d’Etat, l’agence de développement rural et d’aménagement foncier (A.D.R.A.F.). Cet organisme est chargé de faciliter l’acquisition de terres par les communautés mélanésiennes. Financée par l’Etat, l’agence achète des terres, puis les cède à des particuliers ou au bénéfice d’un groupement de droit particulier local (G.D.P.L.), personne morale qui représente la propriété collective traditionnelle. Depuis 1989, l’A.D.R.A.F. a acquis 26.000 hectares, qui se sont ajoutés aux 86.600 hectares qui lui ont été remis lors de sa création. De la sorte, cette agence a attribué 89.000 hectares en moins de dix ans, dont 77.000 à des Mélanésiens sous forme de G.D.P.L. Ainsi, en neuf ans, le foncier mélanésien s’est accru de 38,5 % sur la Grande Terre. Ces attributions, réalisées par l’agence au bénéfice de particuliers ou de G.D.P.L., ont été affectées pour moitié à des productions vivrières traditionnelles et pour l’autre moitié à des projets économiques, en particulier dans le secteur de l’élevage.

Le troisième axe principal de la mise en œuvre des accords de 1988 porte sur le développement économique du territoire.

3. Le développement économique

Les accords de Matignon et les articles 84 et 85 de la loi référendaire ont fait des contrats de développement les principaux instruments du financement du rééquilibrage. On peut distinguer deux générations de contrats, l’une couvre la période 1990-1992. Elle a permis la réalisation d’équipements d’infrastructure, tels la route Koné-Tiwaka, le centre culturel de Maré et la voie de dégagement ouest. Dans la période 1993-1997, comme on l’a vu, l’accent a été mis sur l’amélioration des conditions de vie des habitants du territoire et, en particulier, leur formation.

Au total, l’Etat a apporté 2,25 milliards de francs, les provinces et le territoire 1,95 milliard de francs et les autres partenaires, tels les communes et les établissements publics, 0,75 milliard de francs. En dix ans c’est ainsi 4,95 milliards de francs qui ont été injectés dans l’économie calédonienne sous la forme de contrats de développement. Ces contrats ont permis d’œuvrer dans le sens d’un rééquilibrage du territoire, puisque la proportion des sommes affectées à la province Sud a été de 27 et 35 % pour les périodes respectives de 1990-1992 et 1993-1997, à la province des îles 19 et 19 % pour les mêmes périodes, à la province Nord 54 et 46 %.

Le fonds intercommunal de péréquation, créé par la loi du 4 janvier 1993, a permis également de combler des retards d’équipement que connaissaient les communes, et en particulier celle de Nouméa, atteinte par une croissance démographique rapide. La capitale de l’île a conclu avec l’Etat un contrat de ville le 18 février 1993 pour une durée de cinq ans, le montant total de ce contrat portant sur 454 millions de francs, financés par l’Etat, la commune et la province Sud.

La Nouvelle-Calédonie a également bénéficié de financements d’origine européenne, par l’intermédiaire des concours du fonds européen de développement.

Enfin, des structures financières et économiques adaptées ont été instituées. Ainsi, la Banque calédonienne d’investissement a été créée en 1989. Elle intervient en qualité de banque de développement et réalise entre trois et quatre mille prêts par an, répartis pour moitié dans l’immobilier, un tiers dans le secteur productif et le solde dans l’équipement des ménages. La même année, l’institut calédonien de participation a vu le jour sous la forme d’une société d’Etat. Sa vocation est de prendre des participations au capital de sociétés afin de leur faciliter l’accès au crédit bancaire. Par ailleurs, un G.I.E. Nouvelle-Calédonie Tourisme a été constitué afin de fédérer les actions de promotion touristique hors du territoire. En 1995, enfin, l’Etat, le territoire et les provinces ont formé l’association pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie, afin de permettre aux investisseurs extérieurs de s’installer sur le territoire.

Le développement économique s’est manifesté de manière très concrète en Nouvelle-Calédonie par la création d’un certain nombre d’équipements publics qui ont tenté de remédier au déséquilibre du territoire, dont souffre notamment la province Nord et de province des îles. Ainsi à Koné, chef-lieu du Nord, ont été installés les services provinciaux, un tribunal ainsi qu’un bureau de R.F.O. Pouembout a vu s’ouvrir un lycée agricole d’Etat et à Poindimié a été édifié un second hôpital provincial. En outre, la province Nord a décidé de devenir un acteur du secteur minier et métallurgique, notamment par la création de la SOFINOR, société de financement de la province Nord, qui a racheté, en 1990, au groupe Lafleur, la société minière du Sud Pacifique. Enfin, cette province s’est également engagée dans une politique visant à développer l’industrie du tourisme par l’ouverture de villages de vacances et d’hôtels.

La province des îles a, elle aussi, bénéficié d’un certain développement économique depuis 1988. Wé, capitale de la province, a accueilli un lycée et un tribunal. A Maré, le centre culturel Yeiwéné Yeiwéné a été ouvert. Mais c’est surtout par l’amélioration concrète de la vie quotidienne des habitants de la province que se sont manifestés les efforts en faveur de développement économique. Une trentaine de tribus bénéficient désormais d’une desserte téléphonique. Des investissements importants ont été réalisés pour améliorer l’adduction d’eau dans de nombreux points de la province et les marchés de Wé et de Maré ont été aménagés.

La province Sud a également fait l’objet d’une attention réelle en matière de développement, avec le souci d’éviter un déséquilibre excessif entre la capitale, Nouméa, et le reste de la province. Un certain nombre d’équipements prestigieux ont été édifiés au sud de la Grande Terre : le nouveau siège de la Commission du Pacifique Sud, le centre culturel Jean-Marie Tjibaou, le campus universitaire de Nouville, l’hôtel de la province Sud...

Au total, voulue par les signataires des accords de Matignon et d’Oudinot, la politique de rééquilibrage politique, économique, social et culturel a été entreprise de manière très volontaire. Les résultats obtenus après dix ans d’efforts sont encourageants. Ils ont contribué à renforcer l’esprit de dialogue entre les communautés en apaisant les peurs et les frustrations. Reste que ces dix années se sont vite écoulées et qu’aujourd’hui le cap esquissé depuis 1988 doit être maintenu. C’est le sens de l’accord de Nouméa signé le 5 mai dernier.

III. — L’ACCORD DE NOUMÉA POUR UNE ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE ORIGINALE

A. LA VOLONTÉ D’ÉVITER UN “ RÉFÉRENDUM-COUPERET ”

L’article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 prévoyait que les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie auraient à se prononcer, entre le 1er mars et le 31 décembre 1998, par un scrutin d’autodétermination, conformément aux dispositions de l’article 53 de la Constitution, sur le maintien du territoire dans la République ou son accession à l’indépendance.

Si l’échéance semblait suffisamment lointaine lors de la conclusion des accords de Matignon, il est, cependant, très vite apparu que la période transitoire de dix ans serait, en définitive, trop courte pour permettre aux partenaires de ces accords de parvenir à rapprocher leurs points de vue sur la réponse à apporter à un référendum d’autodétermination.

M. Jacques Lafleur avait, dès 1991, souligné les inconvénients qu’il y aurait à procéder à la consultation prévue, qu’il qualifiait de “ référendum-couperet ”. Un scrutin sur l’autodétermination n’aurait pu, en effet, aboutir qu’à la constatation d’un désaccord fondamental sur l’avenir du territoire, se traduisant par la séparation des électeurs en deux camps hostiles, de force à peu près équivalente. Aucun des deux protagonistes n’y avait intérêt, pas plus celui qui l’aurait emporté que celui qui aurait été vaincu. A cet égard, le souvenir du référendum du 18 septembre 1987 était édifiant. Sans doute avait-il pu apparaître, dans un premier temps, comme un succès pour les loyalistes, puisqu’il concluait au rejet de l’indépendance. Mais il avait très rapidement conduit à un paroxysme de violence que personne ne pouvait souhaiter voir se reproduire dans le territoire.

Très rapidement, les indépendantistes parvenaient également à la conclusion qu’ils n’auraient rien à gagner d’un référendum, qui ne pouvait aboutir à l’indépendance. Contrairement aux espérances qu’ils avaient pu former au moment de la conclusion des accords de Matignon, l’évolution démographique, favorable à la population d’origine mélanésienne, n’avait pas suffi à leur acquérir une majorité.

Les conditions se trouvaient donc réunies pour qu’une négociation puisse s’engager afin de sortir de cette impasse. Cependant, les premières discussions faisaient apparaître que le F.L.N.K.S. posait à toute négociation sur l’avenir institutionnel du territoire un préalable : la conclusion d’un accord sur le nickel qui donnerait sa viabilité au projet de construction d’une usine de traitement dans la province Nord.

On doit rappeler que le nickel représente la principale richesse du territoire, puisqu’il correspond à 11,5 % de son produit intérieur brut et assure 90 % de ses exportations. La Nouvelle-Calédonie fournit 12,3 % de la production mondiale et possède une part très importante des ressources mondiales connues. Cependant la valeur ajoutée par le territoire reste faible puisque 45 % du métal extrait seulement est traité localement, le reste étant exporté sous forme de minerai brut vers le Japon, les Etats-Unis et l’Australie.

A la suite des accords de Matignon, en 1990, la société minière du Sud Pacifique (S.M.S.P.) a été rachetée au groupe Lafleur par la société de financement de la province Nord (SOFINOR), qui a également racheté la société Nouméa-Nickel, en 1991. De ce fait la province Nord possède une part importante des ressources minières du territoire.

Cependant, le seul site de traitement du nickel, dont la capacité de production est d’environ 54.000 tonnes par an, géré par la société Le Nickel (S.L.N.) – détenue à 90 % par le groupe Eramet, dont l’Etat est actionnaire à hauteur de 55 % – est situé à Doniambo, à quelques kilomètres de Nouméa. Depuis longtemps, la province Nord demande la construction d’une autre usine de traitement dans le Nord, qui avait déjà été promise par le Général de Gaulle, dans les années soixante.

Dans cette perspective, elle a mis au point, en mars 1996, par l’intermédiaire de la S.M.S.P. et avec le groupe canadien Falconbridge, un projet de construction d’une usine pyrométallurgique située dans le Nord, dont la production annuelle pourrait être de 54.000 tonnes de nickel, soit la capacité actuelle de la S.L.N., et qui serait susceptible de créer 700 à 800 emplois.

Or, le groupe Falconbridge subordonnait sa participation à l’investissement requis, évalué à 1.3 milliards $, à l’octroi d’une garantie d’accès à un gisement de qualité pendant au moins vingt-cinq ans, ce que la S.M.S.P. ne pouvait lui assurer qu’en effectuant un échange de gisements avec Eramet. C’est au règlement de cette question que le F.L.N.K.S. subordonnait la reprise de négociations sur l’avenir institutionnel du territoire.

L’Etat, soutenant le projet d’implantation d’une usine dans le Nord et souhaitant qu’avant l’échéance prévue par la loi référendaire du 9 novembre 1988 un accord puisse être trouvé pour éviter l’organisation d’un référendum sur l’autodétermination, s’est efforcé de trouver une solution au préalable minier. C’est ainsi que, le 9 juillet 1997, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a chargé M Philippe Essig d’une mission d’évaluation sur la faisabilité financière et industrielle du projet S.M.S.P. – Falconbridge. Un pré-rapport était remis le 15 septembre, puis des conclusions finales rendues publiques le 30 octobre, tendant au rachat par une entité indépendante des titres des massifs miniers de Koniambo et de Poum.

Sur ces bases, le 1er février 1998, un protocole d’accord était signé entre l’Etat, la S.M.S.P. et Eramet prévoyant l’échange du massif minier de Koniambo, détenu par Eramet, et du massif de Poum appartenant à la S.M.S.P. Dans ses grandes lignes ce protocole, couramment appelé “ accord de Bercy ”, dispose que l’entité indépendante cédera les titres miniers de Koniambo à la S.M.S.P. et ceux de Poum à Eramet, lorsque la décision de construire l’usine dans la province Nord sera arrêtée. L’échéance prévue est fixée à 2005, un point sur l’état d’avancement du dossier devant être fait en 2002.

Le préalable minier étant levé, les négociations pouvaient, enfin, s’engager, en février, sur l’avenir institutionnel du territoire. Après quelques péripéties et grâce à la volonté de dialogue, à l’ouverture d’esprit et à la détermination de tous les participants, elles aboutissaient le 21 avril à un accord, signé le 5 mai par le F.L.N.K.S., le R.P.C.R. et, au nom de l’Etat, par le Premier ministre, qui s’est rendu dans le territoire pour assister à l’inauguration du centre culturel Tjibaou et parapher l’accord.

B. L’ACCORD DE NOUMÉA PREND EN COMPTE LA SPÉCIFICITÉ DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

L’accord de Nouméa constitue indéniablement un texte original, qui tient pleinement compte de la spécificité de la Nouvelle-Calédonie, par sa rédaction et par les solutions qu’il propose. Il comporte deux parties, la première qualifiée de préambule et la seconde de document d’orientation.

1. Le préambule

Le préambule représente, sans aucun doute, la partie la plus originale de l’accord de Nouméa. S’il comporte effectivement une reconnaissance de ce qu’il qualifie lui-même d’“ ombres de la période coloniale ”, il ne constitue pas, cependant, une simple déclaration de repentance. Il est bien davantage l’affirmation d’un peuple en devenir, qui tire sa réalité d’un passé multiforme, sur la base duquel il entend construire son avenir.

Le préambule rappelle d’abord que la Nouvelle-Calédonie a été soumise à la colonisation. Il constate que la prise de possession du territoire par la France a été un acte unilatéral, qu’elle a représenté pour la population d’origine un traumatisme durable. Evoquant la culture kanake, ses traditions, notamment son lien particulier avec la terre, il souligne la perte d’identité et de dignité, la désorganisation sociale qu’a provoquée la colonisation, au travers notamment des dépossessions foncières, des déplacements de population, de la négation de la culture kanake. Il ajoute que les libertés publiques ont longtemps été niées, les droits politiques refusés aux Kanaks, malgré le tribut qu’ils avaient payé à la France, notamment lors de la Première guerre mondiale.

Tout en exprimant la nécessité de faire mémoire des souffrances qui ont ainsi été endurées par le peuple kanak, de lui restituer son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à reconnaître sa souveraineté, cette reconnaissance étant un préalable à la fondation d’une nouvelle souveraineté partagée dans un destin commun, le préambule ne fait pas abstraction des autres communautés vivant sur le territoire. Il constate que les nouvelles population arrivées sur le territoire ont participé, dans des conditions souvent difficiles à la mise en valeur, au développement, à l’aménagement de la Nouvelle-Calédonie. Il reconnaît que les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre, qu’elles sont indispensables à son équilibre social et au fonctionnement de son économie et de ses institutions sociales.

Le préambule juge que le moment est venu pour la Nouvelle-Calédonie de poser les bases d’une nouvelle citoyenneté permettant au peuple d’origine, qui doit voir sa part à l’exercice des responsabilités accrue, de constituer avec les hommes et les femmes qui vivent dans le territoire une communauté humaine affirmant un destin commun. Une formule du préambule résume assez bien l’aperçu à la fois historique et prospectif qu’il dresse : “ Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun. ”

Puis, le préambule évoque rapidement, puisqu’ils sont développés dans le document d’orientation les aspects essentiels de la nouvelle organisation politique de la Nouvelle-Calédonie, qui justifient une modification de la Constitution. Il s’agit :

—  de la pleine reconnaissance de l’identité kanake, qui conduit à préciser le statut coutumier et ses rapports avec le statut civil de droit commun ;

—  de la possibilité pour le Congrès du territoire d’adopter des délibérations ayant valeur législative, préparées et mises en oeuvre par un Exécutif élu ;

—  de la définition de signes de citoyenneté, qui pourront se transformer, au terme de la période transitoire, en nationalité ;

—  de la limitation du corps électoral aux personnes établies en Nouvelle-Calédonie depuis une certaine période ;

—  de restrictions en matière d’accès à l’emploi destinées à favoriser l’emploi de personnes établies durablement dans le territoire ;

—  du partage des compétences entre l’Etat et le territoire témoignant d’une souveraineté partagée, le transfert de compétences présentant un caractère irréversible.

Enfin, le préambule évoque l’aide que l’Etat devra apporter à la Nouvelle-Calédonie pour mettre en place sa nouvelle organisation et prévoit qu’au terme d’une période de vingt ans le choix sera proposé aux populations de faire accéder le territoire à un statut international de pleine responsabilité, c’est-à-dire à l’indépendance.

2. Le document d’orientation

Le document d’orientation, qui constitue, en quelque sorte, le dispositif de l’accord, comprend six parties. Il traite successivement de l’identité kanake, des institutions, du partage des compétences entre l’Etat et le territoire, du développement économique et social, de l’évolution de l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire des perspectives qui s’ouvriront au territoire au terme de la période transitoire, et de l’application de l’accord, donc des textes qui conditionnent sa mise en oeuvre, des consultations qui doivent intervenir dans le territoire et du suivi de l’accord.

·  L’identité kanake

Corollaire de la reconnaissance par le préambule des atteintes qui ont été portées à l’identité kanake, le texte de l’accord prévoit qu’elle doit mieux être prise en compte dans l’organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.

—  C’est ainsi que le statut civil de droit particulier, qui prendra le nom de statut coutumier, pourra être revendiqué par ceux qui l’ont perdu, cette mesure, dérogatoire au principe défini par l’article 75 de la Constitution, constituant l’une des justifications de la révision constitutionnelle.

—  La place de la coutume devra être pleinement reconnue, dans le domaine de la justice, d’abord, avec la définition d’un statut juridique du procès-verbal de palabre, pour lequel une procédure d’appel sera prévue, et le renforcement du rôle des autorités coutumières dans la médiation pénale et sociale ; dans le domaine de l’aménagement de l’espace, au travers d’une meilleure prise en compte des aires coutumières, notamment dans la délimitation des limites communales ; dans le domaine institutionnel, enfin, la place des autorités coutumières étant reconnue, en particulier grâce à la création d’un Sénat coutumier.

—  Le patrimoine culturel kanak sera valorisé, par le recensement des noms de lieux, qui se sont parfois perdus, par le retour, dans toute la mesure du possible, des objets culturels kanaks dispersés dans le monde, par la reconnaissance des langues kanakes, notamment dans l’enseignement et les médias, par la valorisation de la culture kanake, le centre culturel Tjibaou, auquel l’Etat s’engage à apporter une aide financière et technique durable, jouant, à cet égard, un rôle essentiel.

—  Compte tenu de la place déterminante de la terre dans l’identité kanake, un effort particulier devra être fait dans le domaine foncier, le rôle et les conditions de fonctionnement de l’agence de développement rural et d’aménagement foncier faisant l’objet d’un bilan approfondi, les terres coutumières étant cadastrées et la réforme foncière, orientée vers la restitution des terres coutumières à leurs occupants légitimes, étant poursuivie.

—  Enfin, des signes identitaires du pays, tels que drapeau, hymne, devise, devront être recherchés en tenant compte de l’identité kanake, mais aussi du futur partagé entre les différentes communautés vivant dans le territoire.

·  Les institutions

L’accord dresse les grandes lignes des institutions qui seront mises en place dans le territoire. Elles devraient lui donner un statut de large autonomie, grâce à la possibilité donnée au Congrès d’adopter des lois du pays , par l’institution d’un exécutif élu - qui se substituerait au haut-commissaire exerçant actuellement cette fonction, aux termes de la loi référendaire du 9 novembre 1988 - et au travers de la reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui se traduirait par la définition d’un corps électoral restreint à ceux qui ont une véritable attache avec le territoire.

—  En ce qui concerne les assemblées, il faut noter que les trois assemblées de provinces seront maintenues, de même que leur regroupement pour former le Congrès du territoire. Toutefois, outre leurs sept, quinze et trente-deux membres actuels, les assemblées de la province des Iles Loyauté, de la province Nord et de la province Sud éliront respectivement sept, sept et huit membres supplémentaires, non membres du Congrès, lors de la mise en place des institutions, leur nombre pouvant être réduit pour les mandats suivants. La durée du mandat des membres des assemblées de province et des membres du Congrès sera maintenue à cinq ans.

Innovation essentielle, certaines délibérations du Congrès auront le caractère de lois du pays, c’est-à-dire qu’elles échapperont au contrôle de légalité a posteriori de la juridiction administrative pour n’être soumises qu’au contrôle préalable du Conseil constitutionnel, dans des conditions comparables à celles prévues par l’article 61 de la Constitution pour les lois votées par le Parlement .

Un Sénat coutumier se substituera à l’actuel conseil consultatif coutumier. Composé de seize membres, deux par aires coutumières, il sera obligatoirement saisi des lois du pays portant sur l’identité kanake, le Congrès devant à nouveau délibérer lorsque l’avis qu’il émettra ne sera pas conforme.

Parallèlement, un conseil économique et social, comprenant notamment des représentants du Sénat coutumier, sera mis en place, qui sera consulté sur les délibérations du Congrès présentant un caractère économique et social.

—  Des restrictions seront apportées à la définition du corps électoral, d’une manière différenciée selon qu’il s’agit des consultations sur l’avenir du territoire ou des scrutins pour l’élection des assemblées de province et du Congrès.

S’agissant de la consultation prévue au terme de la période transitoire, pourront y participer, les électeurs inscrits sur les listes électorales à la date de cette consultation, déjà inscrits en 1998 et résidant sur le territoire depuis le référendum du 6 novembre 1988, cette condition de résidence étant néanmoins écartée si les interruptions dans la continuité de leur domicile résultent de raisons professionnelles ou familiales ou si, de statut coutumier ou nés en Nouvelle-Calédonie ou ayant un parent né sur le territoire, ils y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux. S’y ajouteront les jeunes ayant atteint leur majorité électorale, à la condition qu’ils aient eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998, s’ils sont nés avant 1988, ou que l’un de leurs parents ait rempli les conditions pour voter en 1998, dans le cas contraire. Enfin, toute personne pouvant justifier de vingt ans de domicile continu dans le territoire en 2013 pourra également voter.

Pour les élections aux assemblées de province et au Congrès, pourront participer au vote, outre les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 et résidant sur le territoire depuis le 6 novembre 1988, ceux qui rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection ainsi que ceux qui, atteignant leur majorité après 1998, auront été domiciliés en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998, ou auront un parent admis à voter en 1998 ou domicilié dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection.

On doit constater que, comme c’était le cas depuis 1988, il y aura toujours lieu de tenir, en plus de la liste électorale de droit commun pour les consultations à caractère national - élection présidentielle et élections législatives -, une liste électorale pour les consultations sur l’avenir du territoire et un tableau annexe pour les élections locales.

Pour les élections municipales, ce sera le corps électoral de droit commun qui pourra y participer, sauf si les communes recevaient une organisation propre à la Nouvelle-Calédonie.

Il faut souligner, enfin, que l’accord de Nouméa prévoit, pour favoriser le fonctionnement des assemblées locales en évitant une dispersion des suffrages, que le seuil de 5 %, pris en compte pour la répartition des sièges, s’appliquera aux électeurs inscrits et non aux suffrages exprimés.

—  La fonction exécutive sera assurée par un Gouvernement collégial, élu par le Congrès à la représentation proportionnelle, à partir de listes de candidats, appartenant ou non au Congrès, présentées par les groupes politiques. Sa composition sera déterminée par le Congrès, devant lequel il sera, par ailleurs, responsable. Les fonctions de membres du Gouvernement seront incompatibles avec celles de membres du Congrès. Toutefois les membres du Congrès nommés au Gouvernement, remplacés par leur suivant de liste, pourront retrouver leur siège, s’ils cessent d’appartenir au Gouvernement. Le représentant de l’Etat sera informé des réunions du Gouvernement et pourra assister à ses délibérations. Il pourra demander une deuxième délibération de ses décisions, qui lui seront transmises avant leur publication.

·  La répartition des compétences entre l’Etat et le territoire

L’accord prévoit une nouvelle répartition des compétences, distinguant celles qui seront transférées de l’Etat au territoire, celles qui seront partagées et les compétences régaliennes, qui resteront de la compétence exclusive de l’Etat jusqu’au terme de la période transitoire. S’agissant des compétences transférées, les signataires de l’accord font preuve d’un grand pragmatisme, puisqu’ils prévoient un transfert progressif, distinguant les compétences qui seront immédiatement exercées par le territoire de celles qui ne le seront que dans une deuxième étape, dont ils ne fixent pas d’emblée la date. En revanche, ils précisent que les transferts seront irréversibles, afin d’éviter les allers et retours qui ont trop souvent caractérisé l’histoire institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

—  Dès l’installation des nouvelles institutions, un certain nombre de compétences seront immédiatement transférées au territoire. Il s’agit d’abord de la réglementation de l’accès à l’emploi, domaine dans lequel des mesures pourront être prises pour garantir les droits de la population locale. Cette disposition est l’une de celles qui justifient une révision constitutionnelle. Seront également de la compétence du territoire, le droit au travail des ressortissants étrangers, le commerce extérieur, les communications extérieures en matière de postes et de télécommunications, sauf pour ce qui concerne les communications gouvernementales et la réglementation des fréquences radioélectriques, la navigation, les dessertes maritimes internationales, les dessertes aériennes lorsqu’elles ne concernent que la Nouvelle-Calédonie, l’exploration, l’exploitation, la gestion et la conservation des ressources naturelles de la zone économique, les principes directeurs du droit du travail et de la formation professionnelle, la médiation pénale coutumière, la définition des peines contraventionnelles pour les infractions aux lois du pays, les règles relatives à l’administration provinciale, l’enseignement primaire, le domaine public maritime, enfin, pour lequel, la compétence reviendra aux provinces.

—  Dans une deuxième étape, qui pourra prendre place au cours du deuxième ou du troisième mandat du Congrès, de nouvelles compétences seront transférées. Elles concerneront l’état-civil, à l’exclusion cependant de sa réglementation, la police et de la sécurité de la circulation maritime et aérienne intérieure, sous réserve d’un droit de contrôle de l’Etat, le régime comptable et financier et le contrôle administratif des collectivités publiques et de leurs établissements publiques, le droit civil et commercial, les principes directeurs de la propriété foncière et des droits réels, la législation relative à l’enfance délinquante et à l’enfance en danger, les règles relatives à l’administration communale, l’enseignement du second degré et les règles applicables aux maîtres de l’enseignement privé sous contrat. L’échéancier prévu pour ces transferts de compétence pourra être modifié par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes.

—  Certaines compétences seront partagées entre l’Etat et le territoire, dans toute la mesure où elles s’exercent à l’égard du territoire. Il s’agit d’abord du domaine des relations internationales et régionales, dans lequel les intérêts particuliers de la Nouvelle-Calédonie devront être pris en compte, le territoire étant associé à certaines négociations, pouvant participer à certaines organisations internationales et étant représenté dans les pays de la région et auprès de l’Union européenne. Le partage de compétences s’exercera également en ce qui concerne la réglementation de l’entrée et du séjour des étrangers en France, la politique de communication audiovisuelle, le maintien de l’ordre, la réglementation minière, les dessertes aériennes pour ce qui ne relèvera pas de la compétence exclusive du territoire, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, enfin.

—  Quant aux compétences régaliennes, c’est-à-dire la justice, l’ordre public, la défense, la monnaie, y compris le crédit et les changes, et les affaires étrangères, sous réserve du partage de compétences déjà évoqué, elles resteront de la compétence exclusive de l’Etat jusqu’au terme de la période transitoire. Un effort de formation des Néo-calédoniens à l’exercice de ces responsabilités, prenant en compte les nécessités du rééquilibrage au bénéfice des Kanaks, sera cependant fait au cours de cette période.

·  Le développement économique et social

Le développement économique et social, qui constituait un axe majeur des accords de Matignon, dont on a vu que le bilan était significatif, reste une préoccupation importante des signataires de l’accord de Nouméa. Il est évident qu’il conditionne l’avenir harmonieux et pacifique du territoire.

—  C’est d’abord dans le domaine de la formation que les efforts devront être poursuivis, avec toujours le souci du rééquilibrage, mais aussi une réelle volonté de prendre en compte les réalités locales. Tandis que des actions seront conduites pour favoriser la reconnaissance mutuelle des formations et des diplômes avec les Etats voisins, l’Université du Pacifique Sud devra répondre aux besoins spécifiques de formation et de recherche de la Nouvelle-Calédonie. Quant à l’Institut de formation des personnels administratifs, il sera rattaché au territoire. Parallèlement, la formation de cadres moyens et supérieurs, notamment dans les domaines techniques et financiers, sera soutenue par l’Etat à travers les contrats de plan. Un programme spécifique destiné à former les Kanaks à l’exercice des responsabilités prendra la suite du programme “ 400 cadres ” mis en place par les accords de Matignon.

—  De même, la procédure des contrats de développement conclus par l’Etat avec le territoire, les provinces et les communes sera maintenue. Un schéma de mise en valeur des ressources minières sera élaboré, sa mise en route relevant de la compétence du territoire, et la politique énergétique sera conduite dans une perspective d’autonomie et de rééquilibrage. S’agissant du financement de l’économie, qui devra être modernisée, l’Institut calédonien de participation sera maintenu.

—  En matière de politique sociale, l’effort en faveur du logement social sera poursuivi, avec l’aide de l’Etat, et une couverture généralisée sera mise en place.

—  Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie devra être mise en mesure de disposer d’une maîtrise suffisante des principaux outils de son développement, ce qui signifie qu’elle pourra prendre le contrôle d’établissements publics nationaux n’intervenant que sur le territoire, comme l’Office des postes et télécommunications, la Société néo-calédonienne de l’énergie, l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier, l’Agence de développement de la culture kanake.

·  L’évolution de l’organisation politique du territoire

L’accord de Nouméa ne règle pas de manière définitive l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. A la suite des accords de Matignon qui couvraient la période 1988-1998, il institue une nouvelle période transitoire avant qu’un choix définitif ne soit offert aux habitants du territoire. La durée de cette période n’est pas précisément définie puisqu’elle pourra être de quinze à vingt ans.

C’est en effet au cours du quatrième mandat du Congrès, la durée du mandat étant de cinq ans, qu’une consultation sera organisée, à une date fixée par le Congrès, par une délibération adoptée à la majorité des trois cinquièmes, ou, à défaut, par l’Etat au cours de la dernière année de ce quatrième mandat.

La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes exercées jusqu’alors par l’Etat, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité. Bien que ce concept ne soit pas mentionné, il s’agira bien, en fait, pour les Néo-calédoniens de se prononcer sur l’accession à l’indépendance du territoire.

En cas de réponse négative, l’accord prévoit qu’un tiers des membres du Congrès pourra provoquer une nouvelle consultation, dans la deuxième année suivant la première. Il pourra être procédé, toujours en cas de réponse négative, à une ultime consultation, selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si celle-ci aboutit à un rejet, les partenaires politiques seront appelés à se réunir pour examiner la situation ainsi créée.

Le principe d’irréversibilité des transferts de compétences se trouve réaffirmé, puisque l’accord dispose qu’au cas où les consultations n’auraient pas abouti à l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, l’organisation politique résultant de l’accord de Nouméa restera en place à son dernier stade d’évolution.

Il est enfin précisé qu’une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté, quels que soient les résultats de la consultation dans les différentes régions. La scission éventuelle du territoire en plusieurs entités se trouve ainsi écartée.

·  L’application de l’accord

Dans une ultime partie, l’accord précise les conditions de sa mise en oeuvre.

—  Il prévoit d’abord que l’Etat préparera les textes nécessaires à son application et d’abord la révision de la Constitution dont l’Assemblée est saisie aujourd’hui. Cette première étape devra être suivie du vote d’une loi organique et d’une loi simple qui préciseront le cadre institutionnel du territoire, la répartition des compétences entre l’Etat, le territoire, les provinces et les communes et mettront en place les instruments du développement économique et social de la Nouvelle-Calédonie.

—  Après le vote de la présente loi constitutionnelle, qui en autorise l’organisation, une consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie aura lieu sur l’organisation politique du territoire telle qu’elle est prévue par l’accord de Nouméa. Cette consultation se substituera à celle prévue par l’article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988 qui devait, en application de l’article 53 de la Constitution, porter sur l’autodétermination.

—  Puis, dans les conditions prévues par la loi organique, qui devrait être soumise au Parlement au début de l’année 1999, et dans les six mois suivant son adoption, des élections aux assemblées de province et au Congrès auront lieu, le mandat des membres actuels de ces assemblées prenant fin à la date de ces élections. Les nouvelles institutions seront alors en place et la période transitoire de quinze à vingt ans pourra s’ouvrir, pour s’achever entre 2014 et 2019.

—  L’accord prévoit enfin la mise en place d’un comité des signataires, chargé du suivi de son application. Il sera d’abord consulté sur le projet de loi organique, ce qui lui permettra de s’assurer qu’il est fidèle à l’esprit de l’accord. Ce sera une structure de concertation très précieuse pour éviter d’éventuels conflits.

C. LA RÉACTION DES ACTEURS LOCAUX : COMPTE-RENDU DES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION DE LA COMMISSION EN NOUVELLE-CALÉDONIE

Avant que l’Assemblée ne soit saisie du projet de loi constitutionnelle, une délégation de la Commission, réunissant des représentants de tous les groupes politiques (6), s'est rendue dans le territoire.

Elle a jugé nécessaire d’y effectuer des déplacements afin de prendre dans les trois provinces la mesure concrète du bilan des accords Matignon, notamment dans le domaine des infrastructures routières, scolaires, hospitalières. C'est ainsi que la délégation s'est rendue dans la province des Iles Loyauté, à Maré et à Lifou, ainsi que dans la province Nord, à Koné, Poindimié et Touho. Elle a également séjourné à Nouméa, où elle a pu assister à l’inauguration du centre culturel Tjibaou et à la signature de l’accord du 5 mai. Il n’est pas indifférent – soulignons-le – que l’inauguration du centre, en présence de Mme Marie-Claude Tjibaou, ait précédé la signature de l’accord. Cette reconnaissance de l’identité culturelle kanake, comme héritage du peuple d’origine, mais aussi comme moteur de la projection vers l’avenir d’un peuple calédonien en devenir, est, à l’évidence, le fil conducteur de l’accord et sa profonde originalité.

La délégation a évidemment tenu à avoir des contacts avec l’ensemble des acteurs locaux pour recueillir leurs observations sur l’avenir du territoire à la suite de la signature de l’accord de Nouméa. Elle a, en particulier, rencontré :

—  au titre des forces politiques du territoire, M. Jacques Lafleur, président du R.P.C.R., député et président de l’Assemblée de la province Sud, qui était accompagné de M. Pierre Frogier, secrétaire général du R.P.C.R., député, et de M. Simon Loueckhote, sénateur, ainsi que M. Roch Wamytan, président du F.L.N.K.S., entouré de Paul Néaoutyine, Charles Pidjot, Victor Tutugoro, Bernard Lepeu, René Porou, André Nemia, Jean-Louis d’Angletermes, Moleana Atelemo et Wassissi Konyi, membres du bureau politique du F.L.N.K.S. ;

—  pour les autorités du territoire, M. Harold Martin, président du Congrès et M. Pierre Maresca, président de la commission permanente ;

—  s'agissant des provinces, les présidents des trois assemblées, M. Jacques Lafleur, déjà mentionné, pour la province Sud, M. Léopold Jorédié, pour la province Nord et M. Nidoish Naisseline, pour la province des Iles Loyauté ;

—  parmi les élus locaux, M. Jean Lèques, maire de Nouméa, M. Paul Néaoutyine, maire de Poindimié, président de l’association des maires de Nouvelle-Calédonie, M. Jean-Pierre Taïeb Aïfa, maire de Bourail, M. Louis Mapéri, maire de Thio, M. Bernard Marant, maire de Dumbéa, M. Hubert Newedou, maire de Yaté, M. Robert Frouin, maire de Koumac, M. Alain Levant, maire de Kaala-Gomen, M. Marcel Nedia, maire de Koné, M. Daniel Poingoune, maire de Touho, M. Jules Paala, maire de Maré et M. Robert Xowie, maire de Lifou ;

—  concernant les autorités coutumières, M. Bergé Kawa, président du conseil consultatif coutumier, M. Gabriel Païta et plusieurs des membres du conseil, ainsi que de nombreux chefs coutumiers dans les Iles Loyauté, notamment M. Etoroi Etoroi, M. Nidoish Naisseline, également président de la province des Iles, M. Paul Sihaze, M. Pierre Zéoula ;

—  dans le domaine culturel, économique et social, Mme Marie-Claude Tjibaou, présidente de l’association pour le développement de la culture kanake, M. Bernard Paul, président du comité économique et social et plusieurs des membres du comité, M. Kotra Ureguei, président de l’U.S.T.K.E., principal syndicat du territoire, et plusieurs de ses membres, la délégation ayant, par ailleurs visité l’usine de traitement du nickel de Doniambo ;

—  pour les autorités juridictionnelles, M. Olivier Aimot, Premier président de la Cour d’appel, M. Gérard Nédellec, Procureur général et M. Foté Trolue, unique magistrat d’origine mélanésienne ;

—  au titre, enfin des responsables administratifs, M. Dominique Bur, délégué du Gouvernement pour la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, haut-commissaire pour la Nouvelle-Calédonie et ses principaux collaborateurs à Nouméa, M. Martin Jaeger, commissaire délégué pour la province des Iles et M. Bernard Guérin, commissaire délégué pour la province Nord ainsi que leurs collaborateurs.

La délégation tient à remercier l’ensemble de ses interlocuteurs qui, chacun à leur manière, l’ont aidée à mieux comprendre la réalité de la Nouvelle-Calédonie et ses spécificités, qui justifient les mesures dérogatoires au droit commun que l’application de l’accord de Nouméa suppose et que le projet de loi constitutionnelle a pour objet de permettre.

Sans prétendre rendre compte de manière exhaustive de l’ensemble des entretiens fort nombreux et très denses auxquels la délégation a procédé, votre rapporteur souhaiterait en dégager les principaux éléments qui lui paraissent de nature à éclairer les travaux de l’Assemblée.

—  Le premier constat qui s'impose réside dans la persistance d’une approche radicalement différente sur l’avenir à terme de la Nouvelle-Calédonie. Il est tout à fait indiscutable que le R.P.C.R. souhaite le maintien du territoire dans la République. Tous ses dirigeants l’ont dit à la délégation et d’abord M. Jacques Lafleur, qui l’a très clairement affirmé dans le discours qu'il a prononcé, lors de la signature de l’accord de Nouméa : “ Je suis persuadé que, dans vingt ans, les Calédoniens choisiront de demeurer au sein de la République dans le cadre de ces relations refondées, rénovées et approfondies. ” Pour le F.L.N.K.S., au contraire, il ne fait pas de doute que la période transitoire de vingt ans ouverte par l’accord doit déboucher sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Egalement lors de la signature de l’accord de Nouméa, M. Roch Wamytan déclarait : “ Je voudrais m'adresser au peuple kanak pour lui dire que ces accords de Nouméa verront la mise en place progressive de notre droit à la souveraineté et à l’indépendance comme ciment d’un peuple en émergence ... L’indépendance ce n'est pas pour dans 20 ans, elle commence à se construire dès aujourd’hui. ”

Paradoxalement, l’existence même de ce désaccord est porteur d’espoir. D’abord, on doit souligner qu'il est la cause première de la signature de l’accord de Nouméa. C'est, en effet, sa prise en compte, la volonté de ne pas figer des positions antagonistes dans un “ référendum couperet ”, selon les termes mêmes de Jacques Lafleur,– qui n’aurait pu aboutir, quel que soit son résultat, qu'à désespérer une moitié de la population, au risque de la plonger, à nouveau dans la violence – qui a conduit les deux principales forces politiques à rechercher une solution de compromis acceptable pour tous.

En outre, dès lors que les divergences sont connues, que la conclusion de l'accord ne repose sur aucun malentendu, il est finalement rassurant de constater que les différent acteurs calédoniens sont néanmoins disposés à construire ensemble l’avenir du territoire. Ils témoignent ainsi de leur maturité politique, de leur souci prioritaire de l’intérêt commun, de leur confiance dans l’avenir. Toujours lors de la signature de l’accord de Nouméa, M. Roch Wamytan déclarait : “ Chacun y a mis de la bonne volonté malgré des divergences de fond et cela sans se renier ou se compromettre. Des concessions importantes ont été faites, de part et d’autre, pour préserver la paix et l’harmonie dans ce territoire. Comme le disait Saint Thomas d’Aquin, “ La concorde ne naît pas de l’identité des pensées, mais de l’identité des volontés ”. Il y a eu effectivement identité des volontés pour arriver à une solution qui partait initialement de positions diamétralement opposées ... Le F.L.N.K.S. fait le pari qu'au bout de la durée (de vingt ans) les options seront non plus opposées ou contradictoires, mais parallèles, prélude à l’émergence de ce futur peuple en devenir. ” Et M. Jacques Lafleur : “ Cet accord n'a été rendu possible que par les concessions parfois douloureuses, faites de part et d 'autre, mais il ne traduit aucun renoncement des partenaires locaux à leurs convictions profondes. Il est, en revanche, l’expression sincère d’un désir de vivre et de construire ensemble une Nouvelle-Calédonie dans laquelle chacun se reconnaisse. ” Et

—  Dans le même sens, il faut se féliciter de l’évolution de l’opinion publique. M. Jean Lèques, maire de Nouméa, rappelait à la délégation que, lors du référendum qui a suivi les accords Matignon-Oudinot, il y a dix ans, la majorité de la population de la ville, d’origine européenne, avait voté en faveur du non. Le sentiment de crainte, le manque de confiance, prédominait alors parmi les partisans du R.P.C.R., ce qui, soulignons-le, augmente le mérite de ses dirigeants, et notamment de M. Jacques Lafleur, d’avoir néanmoins, aux côtés du F.L.N.K.S. dirigé par Jean-Marie Tjibaou, fait le pari de l’avenir et de la paix. Aujourd’hui, la situation a changé. Tous les dirigeants du R.P.C.R. l’ont souligné, l’accord de Nouméa suscite un consensus et répond à l’attente de l’ensemble de la population. Sa conclusion a, en effet, apporté un grand soulagement à tous ceux qui craignaient que les hostilités entre les deux principales communautés ne reprennent, si un référendum sur l’autodétermination venait cristalliser les oppositions.

M. Harold Martin, président du Congrès, a exprimé ce sentiment en indiquant à la délégation que l’on était sorti d’une logique d’affrontement. Quant à M. Jacques Lafleur, il a souligné que cette évolution des mentalités résultait des dix ans passés, qui ont permis à tous les Calédoniens d’apprendre à se connaître en travaillant ensemble dans les institutions territoriales et provinciales. De fait, la délégation, lors des différents entretiens qu'elle a eus avec des élus issus des différentes communautés et des différentes forces politiques, a toujours eu le sentiment qu'au-delà des divergences de vue, il y avait une réelle volonté d’écoute et un respect des positions des uns vis-à-vis des autres. Tel est certainement le premier acquis de la période transitoire de dix ans qui vient de s'achever, dont il faut rappeler qu’elle fut tragiquement marquée, un an après les accords Matignon, par l’assassinat des deux dirigeants du F.L.N.K.S., Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné.

—  Le consensus qui existe sur l’accord de Nouméa semble s'étendre à ses dispositions les plus originales, c'est-à-dire à son préambule, qui comporte une reconnaissance du fait colonial et précise notamment que “ la colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a privé de son identité. ” On relèvera que l’accord constate cependant parallèlement que “ les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis, par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie, une légitimité à y vivre et à continuer à participer à son développement. ”

Ce sont, bien sûr, d’abord les Mélanésiens qui ont exprimé leur satisfaction devant la reconnaissance des “ ombres de la période coloniale ”, qu’ils considèrent comme un élément essentiel de l’accord. M. Roch Wamytan a rappelé à la délégation que les Kanaks étaient là avant 1853, date de la prise de possession du territoire par le contre-amiral Febvrier-Despointes au nom de la France. Soulignant ainsi la primauté de leur présence, il a observé qu'en outre ils n'avaient pas d’autre endroit où aller et a donc considéré que cette situation leur donnait un droit à l’autodétermination. Insistant sur le fait que les Kanaks représentaient pour la Nouvelle-Calédonie la pierre angulaire, il a néanmoins précisé que cette affirmation ne revêtait aucun caractère raciste. M. Bernard Lepeu a, pour sa part, estimé que la France ne devait pas avoir peur de ce qui se passait en Nouvelle-Calédonie, qui représente un exemple de décolonisation pour d’autres territoires. Dans les Iles Loyauté, les interlocuteurs de la commission ont souligné que, s'ils n'avaient pas eux-mêmes directement souffert de spoliations de terres, ils se sentaient néanmoins solidaires de celles qui s'étaient produites sur la Grande Terre, parce que le peuple kanak était un. L’un d’entre eux a insisté sur le fait que le mot kanak, qui avait longtemps été considéré comme une insulte, était désormais synonyme de dignité et d’honneur et s'est félicité qu'il figure explicitement dans le texte de l’accord de Nouméa.

Quant au R.P.C.R., il a également accepté cet aspect de l’accord, même s'il n'a pas pour lui les mêmes implications. Sans doute quelques réserves se sont-elles exprimées sur la portée des dispositions figurant dans le préambule. M. Harold Martin a déclaré à la délégation qu'il n'y avait pas, à ses yeux, de clivages noirs-blancs en Nouvelle-Calédonie et a considéré que le partage s'effectuait plutôt entre indépendantistes et anti-indépendantistes. Certains interlocuteurs de la délégation, notamment dans la province Nord, ont exprimé le souhait que la reconnaissance de l’identité du peuple kanak ne se fasse pas au détriment de celle des autres communautés. Mais M. Jacques Lafleur, lui-même, a considéré que les accords Matignon-Oudinot, d’une part, et l’accord de Nouméa, d’autre part, représentaient l’exemple d’une décolonisation réussie.

—  Dans le prolongement de la reconnaissance des torts que la colonisation a porté à l’identité du peuple kanak, l’accord de Nouméa fait une place à la coutume, qui en est un élément constitutif essentiel. La délégation a d’abord constaté la place qu’elle occupe dans la société mélanésienne, sa réalité vivante, sa profonde richesse. A cet égard, la cérémonie coutumière de l’inauguration du centre culturel Tjibaou a constitué un moment fort de la mission. C'est également à l’occasion de ses déplacements, notamment dans les Iles Loyauté, que la délégation a mesuré l’importance que conserve la coutume dans la vie sociale et en a peut-être un peu mieux compris l’âme.

Outre les nombreux chefs coutumiers qui ont évidemment insisté sur la portée des dispositions de l’accord de Nouméa, M. Robert Xowie, maire de Lifou, a souligné la satisfaction que ressentaient les Kanaks à voir la coutume pleinement reconnue. Il a considéré que c'était un corollaire incontournable de la décolonisation.

Les membres du conseil consultatif coutumier, ont exprimé le même sentiment et jugé très positif la création, dans le cadre des institutions à venir, d’un Sénat coutumier. Ils ont souhaité qu'en plus des attributions expressément prévues par l’accord de Nouméa, un pouvoir de proposition lui soit reconnu. Ils ont également indiqué à la délégation qu'il leur paraîtrait nécessaire de lui rattacher l’état civil coutumier et de lui donner une majorité de blocage au sein de l’Agence de développement rural et de l’aménagement foncier (A.D.R.A.F.), compte tenu de l’importance de la coutume dans les affaires foncières. Enfin, l’un des membres du conseil a regretté que le Sénat coutumier soit une instance purement consultative, que le Congrès puisse passer outre à son avis négatif sur les lois de pays et a émis le voeu qu'une procédure du type de celle de la commission mixte paritaire soit mise en place en cas de désaccord. Une telle solution aurait, sans doute l’inconvénient de retarder la procédure d’adoption des délibérations de l’assemblée territoriale et va, en tout état de cause, au-delà de ce qu'ont souhaité les signataires de l’accord de Nouméa.

La prise en compte de la coutume apparaît comme un élément essentiel pour l’avenir et le développement de la Nouvelle-Calédonie. M. Bernard Paul, président du comité économique et social, a rappelé que c'était une condition nécessaire pour pouvoir réaliser des investissements en terre coutumière, évoquant les incidents qui ont conduit à la destruction d’hôtels en cours de construction, à Ouvéa et dans l’Ile des Pins. La réalisation d’une structure hôtelière à Maré, d’une part, et à Lifou, d’autre part, a été, au contraire, présentée comme une réussite résultant de la négociation avec les autorités coutumières.

L’articulation de la coutume avec la justice a été évoquée par les magistrats que la délégation a rencontrés. M. Gérard Nédellec, procureur général près la Cour d’appel a jugé que l’institution des assesseurs coutumiers avait été très positive. Il a insisté sur la nécessité de les choisir avec soin, en associant le procureur et les autorités coutumières. M. Olivier Aimot, premier président a, quant à lui, souligné la nécessité de concilier les règles de procédure. A titre d’exemple, il a estimé que, lorsqu'au cours d’une instance civile, l’une des parties demande l’application du droit coutumier, il serait souhaitable qu'elle fasse connaître à l’avance de quelle aire coutumière elle se réclame, pour respecter le principe du contradictoire.

La nécessité de faire évoluer la coutume a été évoquée par plusieurs interlocuteurs de la délégation. M. Jean Lèques, maire de Nouméa, a estimé que l’élaboration d’un cadastre des terres coutumières d’ailleurs évoquée dans l’accord de Nouméa, était indispensable, pour faciliter les investissements et parce que de plus en plus de jeunes souhaitent devenir propriétaires de leurs terres. M. Robert Frouin, maire de Koumac, a exprimé le même point de vue, évoquant les difficultés qui surgissent lorsque des revendications sont présentées sur des terrains stratégiques, donnant par exemple accès aux nappes phréatiques. Un membre du comité économique et social, enfin, a souligné l’intérêt qu'il y aurait à mettre la coutume par écrit.

—  Parmi les éléments essentiels de l’accord de Nouméa, figure la référence à une citoyenneté calédonienne, avec son corollaire qui est la définition d’un corps électoral restreint. La crainte des Mélanésiens, qui a été exprimée par plusieurs interlocuteurs de la délégation, est qu'une immigration massive fasse perdre toute possibilité aux habitants originaires du territoire d’y être un jour majoritaires. Il faut rappeler que la colonisation utilisa, à maintes reprises, l’immigration pour repousser les Kanaks hors de leur terre et les mettre en minorité.

Pour répondre à cette préoccupation, la loi référendaire du 9 novembre 1988, conformément aux termes des accords Matignon-Oudinot, avait déjà, en quelque sorte, gelé le corps électoral en précisant que les populations intéressées, au sens de l’article 53 de la Constitution, qui pourraient participer au référendum d’autodétermination, prévu pour 1998, seraient constituées des électeurs inscrits sur les listes électorales à la date de la consultation qui y auraient leur domicile depuis la date du référendum de 1988. L’accord de Nouméa prévoit la reconduction de ces dispositions pour la consultation qui aura lieu sur l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie au terme de la période d’application de l’accord. Il précise également que le corps électoral qui pourra participer aux scrutins organisés pour l’élection des assemblées de province et du Congrès sera restreint, de manière cependant moins drastique que pour le référendum d’autodétermination. Les mêmes dispositions s'appliqueraient aux élections municipales, si les communes avaient une organisation propre à la Nouvelle-Calédonie, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Ces mesures dérogatoires au droit commun constituent une raison majeure de la révision constitutionnelle dont l’assemblée est saisie. Elle semble faire, en Nouvelle-Calédonie l’objet d’un large consensus. M. Jean Lèques, maire de Nouméa a, en effet observé qu'elles permettraient de réserver la participation aux élections aux personnes véritablement installées sur le territoire, à l’exclusion de celles qui ne font qu'y passer. Quant à M. Roch Wamytan, président du F.L.N.K.S., il a considéré qu'à partir du corps électoral restreint, c'était un peuple calédonien qui pourrait émerger.

—  La même unanimité semble se dégager en faveur des restrictions que l’accord de Nouméa prévoit d’apporter en matière d’accès à l’emploi. De nombreux interlocuteurs ont fait valoir à la délégation que les Kanaks souffraient d’un handicap en matière de formation, qu'il était indispensable de combler par une forme de discrimination positive. Il convient de rappeler que ce n'est qu'en 1962 que, pour la première fois, un Kanak a obtenu le baccalauréat, qu'il n'existe qu'un magistrat d’origine mélanésienne et deux médecins. La crainte que des métropolitains “ bardés de diplômes ” viennent concurrencer les jeunes Calédoniens s'est souvent exprimée.

Le souhait que l’accès à l’emploi local soit réglementé ne s'est d’ailleurs pas seulement manifesté parmi les partisans du F.L.N.K.S. M. Harold Martin, président du Congrès, a notamment évoqué les difficultés qui résultaient de l’afflux des Wallisiens en Nouvelle-Calédonie, soulignant que l’institution du R.M.I. à Wallis-et-Futuna permettrait, sans doute, de régler ce problème. Par ailleurs, les présidents de l’ordre des médecins et des chirurgiens-dentistes ont fait valoir qu'il y avait déjà dans le territoire 460 médecins et 100 chirurgiens-dentistes pour 200.000 habitants, cette situation ayant entraîné un gel des conventionnements.

—  La question du développement économique et social du territoire, et son corollaire qui est le rééquilibrage entre les régions, a été très fréquemment évoquée.

M. Jean Lèques, qui a évoqué les efforts réalisés à Nouméa en matière d’habitat social, grâce à un contrat de ville, qui doit se transformer en un contrat d’agglomération, a cependant jugé indispensable qu'un pôle de développement se crée dans, la région Nord, pour retenir des populations qui ont actuellement tendance à affluer à Nouméa.

Lors de son déplacement dans la province Nord, la délégation a pu constater que des efforts importants avaient déjà été réalisés en matière d’équipements collectifs. Elle a visité le lycée polyvalent de Poindimié, inauguré par le Premier ministre au cours de son séjour, qui représente un investissement de 89.400.000 F de l’Etat. Cet établissement accueille 354 élèves en externat et 240 en internat, cette capacité étant susceptible d’être augmentée de 144 élèves par la construction d’un nouveau bâtiment dont l’emplacement est déjà prévu. Elle a également visité le lycée professionnel de Touho, qui reçoit 400 élèves qu'il prépare à des métiers très divers, comme la comptabilité, les filières du bois, l’électrotechnique, l’hôtellerie et la restauration, le secrétariat, l’équipement technique énergie, option froid et climatisation.

Elle a, par ailleurs, visité l’hôpital de Poindimié, qui comporte une partie hospitalisation de 44 lits, un bloc opératoire, un bloc obstétrical, un service d’urgence et des locaux techniques, comme une salle de radiologie ainsi qu'un laboratoire de développement avec machine automatique. La délégation a emprunté la route transversale Koné-Tiwaka, qui relie la côte Ouest à la côte Est sur une distance de 67 km. Les travaux, qui ont commencé en 1990, sont pratiquement achevés puisqu'il ne reste plus qu'un tronçon de 27 km en cours de réalisation. Leur coût s'est élevé à 333.700.000 F, dont 131.065.000 F pris en charge par l’Etat, le reste étant financé par la province.

La réalisation de tels équipements constituait une condition nécessaire à la constitution d’un pôle de développement dans la province Nord. Elle est, cependant, fort loin d’être suffisante pour concurrencer l’attraction qu'exerce Nouméa. Il est tout à fait évident qu'au-delà de la réalisation d’équipements collectifs, c'est la création d’emplois qui est maintenant nécessaire. A cet égard, en dehors de l’activité minière qui se poursuit, il existe davantage de projets que de réalisations.

Les deux projets majeurs de construction d’usines métallurgiques dans la province Nord ont évidemment été évoqués. Le premier – largement médiatisé puisque ce sont les conditions de sa réalisation, c'est-à-dire le transfert à la province Nord d’une partie des ressources minières, qui ont constitué le préalable à l’engagement des négociations ayant abouti à la conclusion de l’accord de Nouméa – associe la Société minière du sud Pacifique (S.M.S.P.), appartenant à la province Nord, au groupe canadien Falconbridge. Il a pour objet la création d’une plate forme capable de produire annuellement 54.000 tonnes de nickel, par un traitement pyrométallurgique de garniérites. Il suppose un investissement de 1,3 milliards $ et devrait se traduire par la création de 400 emplois directs et autant dans la sous-traitance. La S.M.S.P. s'est engagé à lancer ce projet, dont les études de pré-faisabilité démarrent cette année, avant le 1er février 2005. Le deuxième projet, conduit par la Société Le Nickel (S.L.N.) et le groupe australien Queensland Nickel Resources porte sur la construction d’une usine hydrométallurgique de traitement des latérites. Il fait également l’objet d’une étude de pré-faisabilité qui doit déboucher prochainement. Si elle était positive, la réalisation de l’usine pourrait commencer à la mi-1999. A ces deux grands projets est associé celui, récurrent, de la construction d’un port en eau profonde à Népoui. On voit qu'en tout état de cause, il ne s'agit pas de solutions à court terme au problème de l’emploi dans la province Nord.

Parallèlement, d’autres réalisations, moins ambitieuses mais plus immédiates, sont en cours ou envisagées. Des efforts sont faits dans le domaine du tourisme. Deuxième activité économique du territoire, elle profite actuellement de manière très prédominante à Nouméa. Les interlocuteurs de la délégation lui ont indiqué que la province Nord pourrait en prendre sa part, à la condition que les problèmes fonciers soient résolus et que le calme se maintienne. Il existe également divers projets dans le domaine du développement rural et de la pêche.

Quoi qu'il en soit, tous les interlocuteurs de la délégation l’ont souligné, la création d’emplois constitue une priorité absolue pour l’avenir de la province Nord. Il ne sert à rien, en effet, de faire des efforts de formation, si les jeunes n'ont aucune perspective de trouver du travail à l’issue de leurs études.

Les mêmes problèmes se posent, avec plus d’acuité encore, dans les Iles Loyauté. Là également, l’application des accords Matignon-Oudinot a permis de réaliser des progrès importants dans le domaine des équipements collectifs. La majorité des tribus disposent de l’adduction d’eau et de l’électricité, ce qui était très loin d’être le cas il y a dix ans. La voirie a été considérablement améliorée, même si toutes les tribus ne sont pas encore desservies par des routes bitumées. Il existe un collège à Ouvéa, deux collèges à Maré ainsi qu'une antenne du lycée professionnel des îles, trois collèges à Lifou et un lycée polyvalent des îles. Des dispensaires peuvent, dans chaque île, donner les soins les plus courants, même si les cas les plus délicats exigent une évacuation sanitaire sur Nouméa.

En revanche, l’activité économique reste embryonnaire. Une personne sur six est active dans les îles, étant précisé que la population y est extrêmement jeune, puisque l’âge médian est de dix-huit ans. Les ressources directes sont peu importantes. L’agriculture reste essentiellement vivrière, bien qu’elle commence à s'ouvrir vers le marché de la Grande Terre, où elle demeure handicapée par les coûts de transports. La délégation, qui a visité un verger, a assisté à la fête de l’avocat, ce qui lui a permis de constater que cette réunion annuelle faisait venir des personnes de tout le territoire. La pêche artisanale reste insuffisamment développée, mais la province investit dans la pêche industrielle, en laquelle elle nourrit de grandes ambitions. Le tourisme commence à se développer, grâce à la réalisation de deux structures hôtelières de qualité à Maré et à Lifou, où la délégation a d’ailleurs séjourné. Comme dans la province Nord, il est évident que le développement de ce secteur, très prometteur compte tenu des richesses naturelles des Iles, suppose que l’insécurité foncière, qui dissuade les investisseurs potentiels, soit résolue. De ce point de vue, les autorités coutumières ont un rôle fondamental à jouer.

Reste que l’essentiel des ressources dans les îles Loyauté proviennent des aides publiques et des transferts en provenance de Nouméa. La population des îles émigre traditionnellement d’une manière importante sur la Grande Terre. En 1996, pour 20.877 habitants résidents, on comptait, dans l’ensemble du territoire, 34.732 personnes se réclamant d’une tribu des îles. L’île de Tiga constitue, à cet égard, l’exemple le plus frappant, puisqu'elle n'abrite que 150 habitants, pour une communauté de 500 personnes à Nouméa. Le solde migratoire annuel des îles est de l’ordre de 600 personnes, ce qui représente près de 3 % de leur population. Sans qu'il soit sérieusement possible d’envisager mettre un terme à ce mouvement, au moins à brève échéance compte tenu notamment de l’âge moyen de la population des îles, sans doute serait-il souhaitable de le freiner. Beaucoup des interlocuteurs de la délégation, en particulier parmi les chefs coutumiers, ont souligné les problèmes de déracinement auxquels se trouvaient confrontés les jeunes des îles transplantés à Nouméa. Ils ont insisté sur les ravages de l’alcoolisme et de la toxicomanie qui résultait de cette situation, avec comme corollaire le développement de la délinquance.

—  La question de la répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales, qui n'est pas sans lien avec le rééquilibrage entre les régions, a également été fréquemment évoquée. Même si les provinces avaient, dans le statut résultant de la loi référendaire du 9 novembre 1988, une compétence de droit commun, le territoire n'ayant qu'une compétence d’attribution, elles se sont trouvées confrontées à certaines limites.

Le premier problème qui a été mis en lumière par les élus de la province Nord, comme par ceux de la province des Iles Loyauté, concerne les moyens en personnels. Dès l’élection des assemblées de province, les agents territoriaux ont été répartis entre les collectivités. Les incitations mises en place n'ont pas suffi, cependant, pour que l’ensemble des postes créés dans la province Nord et dans la province des îles Loyauté soient pourvus. Pour la province Nord, 678 agents seulement ont été affectés pour 830 postes transférés. Pour la plupart, ces agents étaient des spécialistes de l’enseignement (280 instituteurs), de la santé (187), du développement économique (101) ou des services de l’aménagement (170). En revanche, la province a bénéficié de peu de compétences en matière d’administration générale ou de services financiers. Elle a donc été obligée de recruter en dehors des règles de la fonction publique pour combler les postes vacants.

Les élus de la province Nord ont également regretté que plus d’efforts n'aient pas été faits pour favoriser les recrutements de fonctionnaires territoriaux en dehors de Nouméa, soulignant que le rééquilibrage passait aussi par là. Ils ont notamment observé que c'est seulement la dernière année d’application du statut transitoire que, pour la première fois, des concours territoriaux ont été ouverts dans la province Nord. Ils ont déploré qu'en matière de formation, malgré la mise en place d’un établissement public de l’Etat, le dispositif reste excessivement centralisé sur Nouméa. Ils ont, enfin, relevé que l’absence d’organisation des mouvements d’agents avait conduit à faire du Nord le principal fourvoyeur d’agents formés, les transferts de personnels ayant une certaine ancienneté s'effectuant très systématiquement du Nord vers le Sud. Des constatations similaires ont été faites dans les îles Loyauté.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, les effets induits par les efforts réalisés en matière d’équipement, dans le cadre des contrats de plan, ont été soulignés. La charge représentée par les personnels a été mise en lumière, de même que le poids des dépenses d’enseignement, dans des provinces où la population d’âge scolaire représente au moins 50 % de la population. Par ailleurs, le fait que la majeure partie des dépenses de fonctionnement du territoire soient réalisées à Nouméa a été relevé.

En ce qui concerne les recettes, les élus de la province Nord ont souligné qu'en permettant aux provinces de disposer d’une fiscalité assise sur le niveau de développement (patentes, postes de téléphone, valeur du foncier), un déséquilibre avait été réintroduit entre les provinces. M. Léopold Jorédié, président de l’assemblée de la province Nord a estimé que, dans ces conditions, la clé de répartition des ressources – soit 40 % pour la province Sud, 40 % pour la province Nord et 20 % pour la province des îles Loyauté – devrait être revue, parce qu'elle ne permettait pas d’assurer un rééquilibrage entre les provinces.

On notera quand même, pour que ce bilan ne paraisse pas excessivement négatif, que, dans une note remise à la délégation lors de sa visite à l’assemblée de la province Nord, il est précisé que “ la provincialisation s'est accompagné du plus important rapprochement du centre de décision de l’endroit où elle s'exerce que n'ait jamais connu le territoire, même si on considère les communes qui ne disposent que de moyens limités. ”

S'agissant précisément des communes, plusieurs maires l’ont souligné, elles ont un peu été les oubliées des réformes statutaires. Il est vrai que, sur un territoire qui compte moins de 200.000 habitants, il est difficile de faire vivre pleinement trois niveaux d’administration territoriale, en plus de l’Etat.

D’abord, il faut rappeler que les communes sont d’institution récente, puisqu'elles ont été créées par la loi n° 69-5 du 3 janvier 1969. Leur organisation et leurs compétences, à l’exception notable de l’urbanisme et de l’intervention économique qui relèvent des provinces, sont très similaires à celles des communes métropolitaines. Depuis 1990, elles ne sont plus soumises qu'à un contrôle de légalité a posteriori, ce que certains maires de la province Nord semblent presque regretter, insistant, en tout cas, sur l’importance de l’assistance technique des services de l’Etat, compte tenu de la faiblesse des moyens administratifs des communes.

Le problème principal des communes tient au fait qu'elles n'ont pratiquement aucune maîtrise de leurs ressources. Les recettes de fonctionnement se répartissent à raison de 42 % pour le Fonds intercommunal de péréquation (F.I.P.), 26 % pour la dotation globale de fonctionnement (D.G.F.), 5 % pour les autres subventions de l’Etat, et 23 % de recettes internes, dont 13 % de recettes fiscales. Quant aux recettes d’investissement, elles sont constituées pour 58 % de recettes externes provenant de l’Etat, du territoire ou des provinces, pour 8 % d’autres recettes externes, telles que les aides de la Communauté européenne ou des indemnisations, pour 24 % par des emprunts et pour 10 % par des recettes internes.

Les impôts communaux prennent la forme de centimes additionnels aux impôts territoriaux et ont un très faible rendement. La moyenne de 13 % est peu représentative, puisque, si l’on exclut Nouméa, elle est en réalité inférieure à 3 %. Plusieurs maires de la province Nord ont regretté cette situation. Sans témoigner d’un optimisme excessif sur une possibilité de la modifier à court terme, ils ont néanmoins insisté sur la nécessité de faire preuve, en la matière, de conviction et de pédagogie. Quoi qu'il en soit, l’importance des ressources externes place les communes dans une situation de très grande dépendance et leur interdit pratiquement de réaliser une programmation de leurs investissements, faute d’être assurées du niveau de leurs recettes.

La plupart des maires que la délégation a rencontrés se sont plaints de l’insuffisance des crédits du F.I.P. fonctionnement, bloqué à 15 % des impôts, droits et taxes perçus par le territoire, faisant valoir que l’assiette avait été artificiellement minorée par le territoire. M. Jules Paala, maire de Maré, soulignant l’incidence des infrastructures réalisées sur le budget de fonctionnement des communes a indiqué que sa commune n'avait pas les moyens d’entretenir les routes qui sont à sa charge.

Quant aux recettes d’investissement, M. Paul Néaoutyine a observé que les accords Matignon-Oudinot les avaient fait diminuer, puisque les contrats de plan, qui sont principalement conclus avec les provinces, ont entraîné la suppression du F.I.D.E.S. (Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer). D’une manière générale, les maires ont insisté sur l’importance de l’aide que l’Etat devait continuer à apporter aux communes.

—  L’importance du rôle de l’Etat, dans la nouvelle période transitoire de quinze à vingt ans qu'ouvre l’accord de Nouméa, a d’ailleurs été évoquée par de nombreux interlocuteurs de la délégation.

M. Jacques Lafleur a souligné que, lors de la signature de l’accord de Matignon, avec Jean-Marie Tjibaou, ils avaient tenu à ce que la question des richesses naturelles demeure de la compétence de l’Etat, jugeant que les intérêts en jeu étaient trop importants pour être confiés à des personnes qui ne sauraient pas nécessairement résister aux pressions susceptibles de s'exercer. Soulignant que la Nouvelle-Calédonie se trouvait entourée de 25 millions d’anglo-saxons, il a insisté sur le rôle de l’Etat pour résister à l’influence qu'ils exercent. M. Jacques Lafleur a également estimé que l’Etat avait pour mission d’aider ceux qui ne la possèdent pas encore à acquérir l’expertise nécessaire pour gérer les affaires du territoire. Evoquant la question du rééquilibrage entre les provinces, il a relevé le poids de l’Etat, exprimant la conviction que, dans le cadre d’une fédération, les îles Loyauté, qui sont actuellement très défavorisées, seraient laminées.

L’aide que l’Etat peut apporter en matière d’acquisition de l’expertise a également été évoquée par d’autres interlocuteurs de la délégation. Lors des réunions qu’elle a tenues à la mairie de Maré et de Lifou, plusieurs intervenants ont souligné l’insuffisance de formation juridique de la plupart des Kanaks et la crainte corrélative que leurs positions ne soient mal traduites dans les textes. Ils ont exprimé leur confiance en l’Etat, et particulièrement au Parlement, pour que l’accord de Nouméa soit transcrit de manière fidèle dans les textes constitutionnels et législatifs qui doivent le suivre. L’un d’entre eux a ajouté que l’engagement de l’Etat dans l’accord de Nouméa était essentiel, exprimant sa satisfaction que la France soit prête à modifier sa “ sacro-sainte ” Constitution pour la Nouvelle-Calédonie.

Parallèlement, constatant que le rééquilibrage entre les régions était loin d’être achevé et faisant, en la matière, davantage confiance à l’Etat qu'au territoire, la plupart des interlocuteurs de la délégation ont jugé qu'il était indispensable que l’Etat poursuive, au cours de la nouvelle période transitoire de quinze à vingt ans, les efforts qu'il a consentis, au cours des dix ans écoulés, notamment au travers des contrats de plan. Les programmes de formation, du type de celui des 400 cadres, ont également été évoqués, l’idée que la Nouvelle-Calédonie, et tout particulièrement ses habitants d’origine mélanésienne, disposait d’un temps limité pour surmonter ses handicaps étant, à l’évidence, très présente.

La responsabilité de l’Etat est donc grande, compte tenu des attentes qui se manifestent. Dans un premier temps, c'est au travers de la révision constitutionnelle qu'elle doit s'exercer.

IV.  — LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

A. LA NÉCESSITÉ DE RÉVISER LA CONSTITUTION

La mise en œuvre des orientations fixées dans l’accord de Nouméa du 5 mai dernier exige une révision de notre Constitution pour trois raisons.

1. Créer une entité juridique originale

En premier lieu, cet accord prévoit la création d’une entité juridique d’une nature nouvelle qui n’est plus un territoire d’outre-mer, selon les termes définis à l’article 74 de la loi fondamentale. L’accord de Nouméa prévoit d’importants transferts de compétence de l’Etat vers le territoire néo-calédonien. Selon un processus gradué et irréversible, la Nouvelle-Calédonie se verra in fine attribuer une compétence générale dans tous les domaines, excepté la justice, l’ordre public, la défense, la monnaie et, pour l’essentiel, les affaires étrangères. A l’issue de la période de transition, ces dernières prérogatives étatiques pourront être transférées à la Nouvelle-Calédonie après approbation des populations intéressées.

Le caractère irréversible de ce transfert est le principe le plus novateur des accords. C’est lui qui distingue la Nouvelle-Calédonie de demain des territoires d’outre-mer régis par l’article 74 de la Constitution. En effet, le principe d’indivisibilité de l’Etat – c’est-à-dire, en droit strict, d’indivisibilité de la souveraineté de l’Etat – se fonde sur un critère simple. Les collectivités secondaires ne peuvent disposer d’un pouvoir normatif initial qui ne soit pas susceptible d’être remis en cause par la collectivité supérieure. Le législateur national détermine le domaine d’intervention des autorités normatives locales, conformément au deuxième alinéa de l’article 74 de la Constitution. Comme l’a admis le Conseil constitutionnel dans sa décision 155 DC du 30 décembre 1982, le législateur peut, à tout moment, se substituer à l’autorité délibérante locale. Celle-ci n’est donc pas détentrice d’un pouvoir normatif autonome. Le principe d’indivisibilité est ainsi respecté.

Aux termes de l’accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie se trouverait placée dans un tout autre cas de figure. Les institutions du territoire seront véritablement dotées d’un pouvoir législatif autonome, puisque le législateur national ne pourra plus intervenir dans les domaines de compétences reconnus au législateur calédonien. De plus, certaines délibérations du Congrès du territoire auront le caractère de “ loi du pays ”. De ce fait, elles ne pourront être contestées que devant le Conseil constitutionnel, avant leur publication, dans des conditions proches de celles définies par l’article 61 de la Constitution pour les lois votées par le Parlement. Le pouvoir de saisine du Conseil appartiendra au représentant de l’Etat, à l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie, aux présidents de province, au président du Congrès et à un tiers des membres du Congrès.

La reconnaissance d’un pouvoir normatif autonome au profit des institutions calédoniennes est ainsi en contradiction directe avec l’article premier de la Constitution, qui définit la France comme une “ République indivisible ”. La mise en œuvre de l’accord de Nouméa impose donc une révision constitutionnelle.

2. Autoriser le législateur à déroger à certains principes constitutionnels

La deuxième raison qui rend nécessaire une révision constitutionnelle réside dans le fait que certaines orientations de l’accord de Nouméa entrent en contradiction avec des principes de valeur constitutionnelle. Les dérogations touchent les domaines du droit électoral, de la citoyenneté, de l’emploi et du statut civil coutumier.

—  L’accord de Nouméa, dans son point 2, prévoit la reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. Il indique que, pour la période de quinze à vingt ans qui aboutira au scrutin d’autodétermination, “ la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays et pour la consultation finale ”.

Pour ce qui concerne les élections aux assemblées de province et au Congrès, le droit de vote sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998. Pourront également voter les personnes qui rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection ainsi que celles atteignant l’âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe, justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection.

Le point 2.2. restreint davantage encore le corps électoral de Nouvelle-Calédonie pour les consultations relatives à l’organisation politique du territoire intervenant à l’issue du délai d’application de l’accord du 5 mai. Plus précisément, il prévoit que le corps électoral comprendra alors exclusivement les électeurs inscrits sur les listes électorales aux dates des consultations sur l’autodétermination prévues au point 5. et qui ont été admis à participer au scrutin de 1998 prévu à l’article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988, ou qui remplissaient les conditions pour y participer. Seront également admis à voter ceux qui pourront justifier que les interruptions dans la continuité de leur domicile en Nouvelle-Calédonie étaient dues à des raisons professionnelles ou familiales. Il en sera de même pour ceux qui, de statut coutumier ou nés en Nouvelle-Calédonie, y ont eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux et ceux qui ne sont pas nés en Nouvelle-Calédonie mais dont l’un des parents y est né et qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux.

Le point 2.2.1 de l’accord de Nouméa ajoute également à cette liste les jeunes atteignant la majorité électorale, inscrits sur les listes électorales et qui, s’ils sont nés avant 1988 auront eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ou, s’ils sont nés après 1988, ont eu un de leurs parents qui remplissait ou aurait pu remplir les conditions pour voter au scrutin de la fin 1998. Enfin, seront admis dans le corps électoral, les personnes qui pourront justifier, en 2013, de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie.

Ces dispositions sont manifestement dérogatoires aux termes de l’article 3 de la Constitution qui, dans son quatrième alinéa, indique que “ sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ”. La mise en œuvre de ce point essentiel de l’accord suppose donc que la Constitution prévoie expressément cette dérogation.

—  En matière économique, le texte de Nouméa évoque la nécessité de préserver l’emploi local en se référant, pour ce faire, à la notion de “ citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie ”. Il s’agit donc de mettre en place un mécanisme qui permette aux citoyens de Nouvelle-Calédonie de bénéficier d’une priorité à l’embauche. Cette perspective est évidemment contraire à la tradition républicaine et au principe d’égalité. Elle n’en est pourtant pas moins essentielle dans le dispositif équilibré et longuement négocié de l’accord de Nouméa. Là encore, il faut que la Constitution autorise, en quelque sorte, le législateur à poursuivre cet objectif de préservation de l’emploi local sans risquer la censure du Conseil constitutionnel.

—  Enfin, l’accord du 5 mai 1998 prévoit que “ toute personne pouvant relever du statut coutumier et qui y aurait renoncé, ou qui s’en serait trouvée privée à la suite d’une renonciation faite par ses ancêtres, ou par mariage ou par toute autre cause pourra le retrouver ”. Comme l’observe très clairement le texte de l’accord lui-même, cette possibilité ainsi ouverte est dérogatoire à l’article 75 de la Constitution qui dispose que : “ Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ”. La loi de révision constitutionnelle doit donc autoriser cette dérogation.

3. Permettre l’organisation d’un référendum local en 1998

La mise en œuvre de l’accord de Nouméa suppose aussi que la population de Nouvelle-Calédonie exprime son approbation à l’égard de ce texte. C’est ici qu’intervient la troisième raison qui justifie le recours à une loi constitutionnelle.

Le point 6.3. de l’accord impose la tenue d’un référendum local avant la fin de l’année 1998, avec un corps électoral – on l’a vu – identique à celui prévu à l’article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988. Selon la Constitution de 1958, il ne peut y avoir que trois hypothèses où intervienne une consultation référendaire. La première est celle prévue par l’article 11. Le référendum est alors national. La deuxième ressort de l’article 89 en matière de révision constitutionnelle. La troisième est visée au dernier alinéa de l’article 53, aux termes duquel : “ Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ”. C’est le seul cas où un référendum peut être organisé pour consulter une partie seulement de la population française. En l’espèce, les citoyens de Nouvelle-Calédonie seront appelés à se prononcer sur un accord qui ne porte ni sur la cession, ni sur l’échange, ni sur l’adjonction de leur territoire. Il ne s’agit pas non plus d’une démarche, pour l’heure, sécessionniste à la différence du scrutin organisé en septembre 1987. La consultation prévue dans l’accord de Nouméa ne ressortit donc ni à l’article 11 de la Constitution, ni à l’article 89, ni à l’article 53. Il faut, en conséquence, prévoir ce cas de figure inédit dans un texte constitutionnel. C’est ce à quoi s’emploie le projet de loi présenté par le Gouvernement dont la teneur a été approuvée par les principales forces politiques de l’île.

B. LA PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PAR LE MINISTRE À LA COMMISSION

Avant d’examiner le projet de loi constitutionnelle, la Commission a procédé à l’audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d’Etat à l’outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne a jugé inutile de rappeler aux membres de la commission des Lois l’histoire institutionnelle et politique de la Nouvelle-Calédonie au cours de ces vingt dernières années, nombre d’entre eux connaissant personnellement cette terre du Pacifique, où, d’ailleurs, une mission de la commission des Lois, conduite par Mme la Présidente Catherine Tasca, s’est rendue en mai dernier, afin de constater le chemin parcouru depuis les accords de Matignon. Il a observé que bien qu’elle soit moins spectaculaire que les nombreux investissements publics réalisés dans ce territoire, l’évolution des esprits pour faire vivre le rééquilibrage et pour permettre aux communautés d’imaginer ensemble un destin partagé n’en était pas moins évidente. Il a rappelé ainsi la position de M. Jacques Lafleur, qui, dès 1991, rejoint sur ce point par le F.L.N.K.S., avait appelé à rechercher une solution consensuelle, pour éviter le “ référendum couperet ” prévu à l’article 2 de la loi référendaire de 1988 et déterminer une question à laquelle le R.P.C.R. et le F.L.N.K.S. pourraient appeler ensemble à répondre “ oui ”. Il a souligné que donner à cette ambition politique un aspect concret, n’avait pas été une chose simple puisqu’il avait notamment été nécessaire de lever le préalable minier posé par le F.L.N.K.S. en réglant la question de l’accès à la ressource pour rendre possible un projet d’usine métallurgique en province Nord, la mission confiée sur ce point à M. Philippe Essig ayant été menée à bien jusqu’à la signature des accords de Bercy le 1er février 1998. Il a indiqué que les négociations avaient alors pu être reprises le 24 février sous l’autorité du Premier ministre, aboutissant le 5 mai dernier à la signature de l’accord de Nouméa par le Chef du gouvernement et les présidents du F.L.N.K.S. et du R.P.C.R.

Le ministre a ensuite constaté que pour mettre en oeuvre cet accord, une révision constitutionnelle était nécessaire et souhaitable. Observant, en effet, qu’un certain nombre de points essentiels de ce texte politique étaient probablement contraires à notre loi fondamentale, il a, en outre, souligné que l’inscription dans la Constitution de ses orientations essentielles était à même de donner aux signataires une plus grande assurance de stabilité. A cet égard, il a rappelé que les accords de Matignon avaient, en leur temps, reçu la garantie d’une ratification par la voie d’un référendum national. Il a précisé qu’au plan formel le projet de loi constitutionnelle était un texte autonome qui ne s’incorporait pas dans les titres existants de la Constitution, justifiant ce choix original par le caractère très spécifique de ce texte qui ne s’applique qu’à la Nouvelle-Calédonie et surtout par la nature transitoire de ses dispositions. Il a ajouté qu’il ne s’agissait pas de créer une nouvelle catégorie de collectivités de la République, mais de rendre possible une construction originale limitée dans le temps et l’espace.

Puis le ministre a décrit les principales dispositions du projet de loi constitutionnelle. Il a tout d’abord indiqué que le premier point important du projet était la garantie que l’évolution de la Nouvelle-Calédonie s’inscrirait dans les orientations définies par l’accord de Nouméa signé le 5 mai et publié le 27 mai au Journal Officiel. Il a précisé que ces orientations étaient principalement une plus grande prise en compte de l’identité kanake, la reconnaissance d’une citoyenneté, des institutions rénovées, un transfert progressif et irréversible de compétences de l’Etat vers le territoire, un développement économique et social équilibré et, dans quinze à vingt ans, une consultation locale permettant d’accéder à la pleine souveraineté.

Puis il a noté que le second article du projet de loi constitutionnelle organisait la consultation locale prévue par les accords de Matignon avant le 31 décembre 1998, insistant sur le fait que cette consultation ne porterait pas sur une éventuelle accession à l’indépendance, comme le prévoyait les accords de 1988, mais sur l’approbation de l’accord de Nouméa qui se verrait ainsi conféré une légitimité politique élargie. Il a remarqué que le corps électoral spécial défini en 1988 était maintenu, précisant que sur 112.000 électeurs potentiels, les restrictions apportées par les accords de Matignon concernaient environ 8.000 personnes. Quant aux modalités d’organisation du scrutin, il a indiqué qu’elles seraient déterminées par décret délibéré en Conseil des ministres.

Il a présenté ensuite le troisième et dernier article du projet de loi qui habilite le Parlement à déroger à la Constitution pour mettre en oeuvre l’accord de Nouméa, soulignant que ces dérogations seraient inscrites dans une loi organique prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie. Il a observé que quatre domaines étaient visés par le projet de loi constitutionnelle :

—  les modalités du transfert des compétences de l’Etat aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, sachant que ces transferts se feraient de manière définitive et échelonnée et que les seules compétences conservées par l’Etat à la fin de la période de 20 ans seraient celles relatives à l’ordre public, la défense, la justice, la monnaie et l’essentiel des relations diplomatiques ;

—  les nouvelles institutions locales, avec en particulier la mise en place d’une assemblée délibérante dotée d’un pouvoir quasi législatif pour certaines catégories d’actes qui pourront être soumis au contrôle préalable du Conseil Constitutionnel ;

—  les effets de la citoyenneté en matière de droit électoral pour les élections locales autres que communales, ainsi qu’en matière d’accès à l’emploi et de statut civil coutumier ;

—  enfin, l’organisation de la consultation locale qui, dans vingt ans, ou plus tôt entre quinze et vingt ans à l’initiative de l’assemblée délibérante, pourrait conduire la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, cette consultation portant sur le transfert au territoire des dernières compétences exercées par l’Etat.

Insistant sur le fait que les règles ainsi définies par les trois articles du projet de loi constitutionnelle avaient reçu l’approbation des principales forces politiques locales, “ partenaires historiques ”, des accords de Matignon, le R.P.C.R. et le F.L.N.K.S, il a considéré qu’elles constituaient les éléments de ce consensus tant recherché depuis 1988 pour éviter le “ référendum couperet ” prévu pour 1998. Il a jugé qu’elles permettaient de fonder un avenir partagé de paix et de progrès pour la Nouvelle-Calédonie.

Le ministre a ensuite insisté sur le rôle déterminant que le Parlement aurait à jouer dans l’évolution du territoire souhaité par le Gouvernement et les Calédoniens eux-mêmes. Il a exprimé sa confiance dans les débats parlementaires qui pourront enrichir et améliorer le projet de loi. Il a souligné la continuité historique et politique qui va des accords de Matignon à l’accord de Nouméa, puis au projet de loi constitutionnelle soumis à l’Assemblée nationale qui permettra l’organisation d’un scrutin local, certainement au mois de novembre 1998, sur les orientations fixées à Nouméa.

Il a ajouté que la loi organique organisant les pouvoirs en Nouvelle-Calédonie pourrait être adoptée en février ou mars 1999, son entrée en vigueur effective se faisant au lendemain des élections aux assemblées de provinces, en avril ou mai prochain. Il a considéré qu’ainsi, en une année, la Nouvelle-Calédonie aurait retrouvé la stabilité institutionnelle et la clarté de l’avenir à laquelle elle aspire.

Enfin, il a observé que l’accord de Nouméa avait été favorablement accueilli par l’ensemble des partis politiques, tant en métropole qu’en Nouvelle-Calédonie, relevant qu’il avait été également salué par la plupart des pays du Pacifique. Constatant que cet accord avait suscité des interrogations et des attentes dans d’autres collectivités de l’outre-mer français, il a estimé qu’il ne constituait pas cependant un modèle intégralement transposable, puisqu’il n’avait de sens que dans le contexte qui l’a rendu possible et nécessaire. Il a néanmoins observé que la méthode qui avait permis sa conclusion, faite de patience, d’écoute et de dialogue, pouvait inspirer des évolutions institutionnelles dans d’autres territoires.

En conclusion de ses propos, le Ministre a souligné qu’au-delà des aspects institutionnels qui peuvent être réglés par des textes, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie reposait sur ses perspectives de développement. Il a insisté sur la place que le territoire occupait dans la région, évoquant la présence à Nouméa du siège de la commission du Pacifique Sud, devenue Communauté du Pacifique.

Evoquant la mission de la Commission en Nouvelle-Calédonie, Mme la Présidente, rapporteur du projet de loi constitutionnelle, a fait part de l’adhésion des différents acteurs locaux à l’accord de Nouméa qui ouvre pour le territoire une longue période d’évolution institutionnelle dans la paix politique. Elle a souligné le consensus qui existe sur l’importance de la reconnaissance de l’identité kanake, indiquant que l’inauguration du centre culturel Jean-Marie Tjibaou avait été un temps fort, perçu par la population moins comme une référence au passé que comme un symbole de l’avenir à construire en commun. Ayant constaté l’inégalité entre la province Sud, d’une part, et les provinces Nord et des Iles d’autre part, tant en matière d’investissement que d’infrastructure ou de formation de cadres, elle a estimé souhaitable que la période ouverte par les accords de Matignon soit l’occasion de procéder au rééquilibrage dont tout le monde reconnaît la nécessité.

M. Dominique Perben a jugé que le débat sur le futur projet de loi organique serait essentiel, soulignant la nécessité de respecter l’esprit des accords de Nouméa, malgré leur caractère peu juridique notamment pour ce qui concerne le transfert de compétences. Il a demandé au ministre si ce projet serait déposé avant ou après le référendum organisé en Nouvelle-Calédonie. Evoquant l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, qui fait référence à une démarche analogue pour les autres territoires d’outre-mer, il a souhaité savoir si la disposition qui confère un caractère législatif à certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie pourrait être étendue à la Polynésie française, conformément au souhait exprimé par son assemblée, et demandé si le gouvernement envisageait de traiter cette question dans le cadre du présent projet de loi constitutionnelle. Après avoir rappelé que l’accord de Nouméa était le fruit d’une profonde évolution des deux partenaires qui l’ont signé avec l’Etat, il a insisté sur le fait que son préambule ne se limitait pas à un simple mea culpa de la puissance coloniale, comme certains le laissent entendre, mais évoquait la refondation d’un lien social durable entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, dont la légitimité se trouvait ainsi reconnue.

M. Jean-Jack Queyranne a souligné que le préambule de l’accord de Nouméa n’était pas une simple déclaration de principe mais l’aboutissement d’un cheminement commun, marquant la détermination des parties signataires à construire l’avenir. Il a considéré qu’il ne s’identifiait pas à une déclaration de repentance, sa signature, facilitée par l’accord de Matignon, constituant la concrétisation de la reconnaissance d’identités et de cultures. Après avoir indiqué qu’il était nécessaire de prévoir que la consultation locale, devant avoir lieu avant la fin de l’année 1998, porterait sur l’approbation de l’accord de Nouméa et s’appuierait sur le corps électoral défini par la loi référendaire de 1988, il a précisé que l’option d’un texte constitutionnel limité renvoyant la mise en œuvre de l’accord à une loi organique avait été jugée préférable à celle d’un texte constitutionnel plus important. Ajoutant que l’accord prévoyait l’institution d’un comité des signataires pour veiller au suivi de son application, il a souligné que celui-ci se réunirait en juillet et en septembre prochains pour examiner le projet de loi organique, appelé à traduire en termes juridiques le contenu, essentiellement politique, de l’accord. Précisant que le contenu du projet de loi organique devrait être connu avant le scrutin sur l’approbation de l’accord de Nouméa, il a admis que si le Parlement, comme il en a légitimement le droit, l’amendait d’une manière telle que l’esprit de l’accord n’était plus respecté, il conviendrait de reprendre le dossier à son début. Rejoignant M. Dominique Perben pour estimer que l’accord de Nouméa marquait une étape significative, il en a néanmoins souligné la fragilité.

Le secrétaire d’Etat à l’outre-mer a, par ailleurs, constaté que l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle prévoyait qu’une démarche analogue pourrait être suivie pour favoriser l’évolution institutionnelle d’autres territoires d’outre-mer. Il a rappelé que l’assemblée territoriale de la Polynésie française s’était d’ailleurs déjà prononcée pour demander que soit transposé à ce territoire le dispositif applicable en Nouvelle-Calédonie, relatif au contrôle des actes des assemblées délibératives ainsi qu’à l’accès à l’emploi et au droit du travail. Il a ajouté que le président du territoire de la Polynésie française devait être reçu sur ce sujet par le Chef de l’Etat et le Gouvernement la semaine prochaine. Rappelant que l’évolution institutionnelle de la Polynésie française s’était opérée selon une démarche différente, puisqu’une loi organique avait été adoptée en 1996 sans le préalable d’une loi constitutionnelle, M. Jean-Jack Queyranne a déclaré que le Gouvernement était cependant ouvert à la transposition à ce territoire de certaines dispositions applicables à la Nouvelle-Calédonie, soulignant que cette question avait d’ailleurs été évoquée hier en conseil des ministres par le Président de la République. S’il a considéré qu’il serait difficile de traiter du cas de la Polynésie dans le cadre de la présente révision constitutionnelle, compte tenu de la référence explicite à l’accord de Nouméa, il a cependant insisté sur le fait que dans un proche avenir le Parlement serait conduit à examiner d’autres textes constitutionnels, notamment celui relatif au Conseil supérieur de la magistrature.

S’associant aux propos de M. Dominique Perben sur le chemin parcouru depuis 1988, notamment dans la période récente, et insistant sur les efforts accomplis tant par le R.P.C.R., que le F.L.N.K.S., pour aboutir à l’accord de Nouméa, Mme la Présidente a fait part des craintes formulées par les responsables politiques locaux sur une éventuelle remise en cause par le Parlement de ce fragile équilibre. Elle a souligné l’importance de concilier la volonté du Parlement d’approuver une solution juridique cohérente et l’existence d’un accord politique qui satisfait toutes les parties. Se réjouissant du processus de suivi annoncé par le ministre, elle a conclu en mettant l’accent sur la nécessité d’expliquer à la représentation nationale et à l’opinion publique l’importance de l’accord de Nouméa, pour justifier l’existence d’un statut dérogatoire aux principes traditionnels de notre droit.

Après s’être associé au propos de M. Dominique Perben sur le caractère exemplaire de l’accord de Nouméa, notamment de son préambule, M. Henry Jean-Baptiste a considéré qu’il devait être analysé d’un point de vue politique et d’un point de vue juridique.

Du point de vue politique, il a rappelé que depuis les accords de Matignon, qu’il avait approuvés, ce qui n’allait pas de soi à l’époque, les choses s’étaient accélérées. Faisant état des propos de la présidente sur l’adhésion de la population à l’accord de Nouméa, qu’elle avait pu percevoir lors de son récent voyage sur le territoire, il a observé que cette adhésion était le fondement même des rapports entre la République et l’outre-mer, le lien colonial n’existant heureusement plus, c’est pourquoi il a insisté sur l’intérêt du projet de loi constitutionnelle, qui prévoit différentes consultations de la population de Nouvelle-Calédonie, à travers les référendums et les élections. Tout en reconnaissant la fragilité de cet accord, il a exprimé sa confiance en l’avenir. Il a ensuite souligné la nécessité pour l’Etat de respecter ses engagements dans leur principe et dans les dates proposées, rappelant à ce propos que le Président de la République s’était engagé à consulter la population mahoraise sur le statut de l’île avant l’an 2000.

Du point de vue constitutionnel, il a fait observer que l’accord de Nouméa constituait une innovation fondamentale, la Nouvelle-Calédonie constituant désormais un cas unique dans l’outre-mer. Il a indiqué que les parlementaires, lors du débat, auraient à jouer un rôle de relais auprès de l’opinion publique. Il a ensuite souhaité savoir si la notion de territoires d’outre-mer évoqué dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle devait être interprétée au sens juridique ou au sens géographique, faisant référence à la distinction établie par le Conseil Constitutionnel. Il a regretté que le Gouvernement n’ait pas saisi l’occasion de cet accord pour mener une réflexion d’ensemble sur l’outre-mer, afin de mettre fin à l’organisation absurde qui superpose dans les départements un conseil général et un conseil régional, soulevant ainsi des problèmes de répartition de compétences et de coût. Il a conclu en indiquant que l’adhésion supposait que chaque collectivité approuve son statut, estimant que le processus lancé par le projet de loi constitutionnelle ne devait être qu’une première étape vers une évolution de l’ensemble de l’outre-mer.

Le Ministre a reconnu que l’accord de Nouméa constituait une novation juridique dans la mesure où, contrairement à la tradition française jacobine qui tend à insérer la réalité dans des catégories juridiques prédéfinies, les négociateurs s’étaient appuyés sur la réalité pour élaborer un nouveau statut. Il a souligné que la démarche suivie illustrait la possibilité d’anticiper des évolutions à venir, alors que le cadre de la Communauté défini par la Constitution de 1958 pour organiser les adaptations statutaires outre-mer s’était avéré inadapté et, devenu caduc, avait été finalement supprimé en 1993. Evoquant ensuite l’éventualité d’une démarche comparable pour le reste de l’outre-mer, le Ministre a mis en exergue la spécificité de la Nouvelle-Calédonie, notamment au regard des rapports de force démographiques. Il a néanmoins admis qu’une réflexion s’imposait, notamment sur l’avenir des départements d’outre-mer, dès lors que ces derniers, après avoir accédé à la liberté grâce à l’abolition de l’esclavage, puis à l’égalité par la départementalisation, pouvaient prétendre désormais à la responsabilité et au respect de leur identité. Rappelant que les liens entre ces départements et la France étaient extrêmement forts, il a envisagé l’éventualité d’adaptations, y compris institutionnelles, dans le cadre de la Constitution, à condition que celles-ci surviennent selon des rythmes différents de manière à tenir compte de la spécificité de chacune des collectivités.

Relevant que l’accord de Nouméa faisait référence à l’irréversibilité des transferts de compétences de l’Etat au territoire, Mme Nicole Feidt a souhaité que le ministre explicite la raison d’être et la portée de ce principe.

Après avoir rappelé que la Nouvelle-Calédonie avait connu neuf statuts au cours des trente dernières années, le Ministre a évoqué les préoccupations du F.L.N.K.S. craignant que l’accord de Nouméa ne soit remis en cause à l’occasion d’une éventuelle alternance, faisant valoir que le recours à une loi constitutionnelle permettait de consacrer le caractère irréversible du processus, seules les compétences régaliennes restant à transférer à l’échéance de la période transitoire de vingt ans. Il a par ailleurs insisté sur la nécessité de faire comprendre à l’opinion publique l’intérêt de l’accord de Nouméa et de montrer ainsi que les différences culturelles ne doivent pas être considérées comme une remise en cause de l’unité de la République, mais davantage comme un moyen de l’enrichir.

M. Michel Buillard a indiqué que la Polynésie française avait suivi avec beaucoup d’intérêt l’accord de Nouméa, rappelant l’importance de la communauté polynésienne sur ce territoire et les difficultés rencontrées par l’archipel à la suite des mouvements de population engendrés par les événements de 1984 et de 1988. Après avoir interrogé le ministre sur la qualification juridique du futur statut, il a souhaité connaître les modalités d’acquisition de la citoyenneté kanake. Il a alors observé que la Polynésie française, à la différence de la Nouvelle-Calédonie, ne connaissait qu’une citoyenneté, la citoyenneté maori, et ne parlait qu’une seule langue en dehors du français, ce qui devrait lui permettre d’avoir également sa propre citoyenneté. Faisant valoir la situation d’antériorité de la Polynésie française en matière d’autonomie et évoquant la situation des quartiers sensibles qui veulent que la métropole prenne mieux en compte la spécificité du territoire, il a indiqué que la Polynésie française était prête pour une évolution statutaire. Il a enfin souligné la nécessité d’un travail de pédagogie sur les spécificités de l’outre-mer aussi bien auprès des parlementaires métropolitains que de l’opinion publique.

Le Ministre a fait observer que l’accord de Nouméa consacrait une citoyenneté calédonienne et non pas seulement kanake, au profit de l’ensemble des personnes qui résidaient en Nouvelle-Calédonie avant 1988, soulignant que les Kanaks, qui se définissent comme le peuple d’origine en Nouvelle-Calédonie, reconnaissaient ainsi explicitement l’apport déterminant pour la Nouvelle-Calédonie, des personnes venues progressivement enrichir le territoire. Il a cependant précisé que, dans le cadre de la citoyenneté calédonienne, le F.L.N.K.S. souhaitait que le statut coutumier puisse être reconnu et qu’il puisse, le cas échéant, y être fait retour moyennant un droit d’option, par dérogation aux prescriptions de l’article 75 de la Constitution. Il a estimé que cette revendication devait être perçue comme reflétant la nature du droit coutumier, traduction d’une appartenance à la terre et à un clan, et illustrant une démarche identitaire éloignée de l’image négative que peuvent en avoir, à tort, une partie de l’opinion publique en métropole.

C. LA DISCUSSION GÉNÉRALE EN COMMISSION

Avant que la Commission ne procède à l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

Après avoir évoqué les excellentes conditions dans lesquelles s’était effectué le déplacement de la délégation de la commission des Lois, conduite par sa présidente, en Nouvelle-Calédonie, M. Dominique Bussereau a insisté sur le fait que les accords de Nouméa reflétaient une profonde évolution des esprits, notamment au regard de la situation qui existait dans le territoire à la fin des années soixante-dix ou au milieu des années quatre-vingt.

Il a ensuite fait part de la position du groupe Démocratie libérale, soulignant que certains de ses membres, tout en approuvant l’esprit des accords de Nouméa et le principe du projet de loi constitutionnelle, avaient exprimé un certain nombre de réticences. A cet égard, il a d’abord évoqué certaines formules du préambule, dont il a cependant reconnu qu’il constituait un ensemble indissociable. Il a également mentionné les dispositions destinées à favoriser l’emploi local, soulignant que certains considéraient qu’elles s’apparentaient indirectement à une forme de préférence nationale qu’ils condamnaient par ailleurs et, enfin, la pérennisation des restrictions apportées au corps électoral par les accords de Matignon. Il a conclu en précisant qu’en dépit de ces réserves formulées par certains de ses membres, le groupe Démocratie libérale voterait le projet de loi constitutionnelle.

M. François Colcombet a tout d’abord fait part du soutien du groupe socialiste à l’ensemble du projet de loi constitutionnelle. Il a ensuite mis en exergue l’histoire chaotique de la Nouvelle-Calédonie, observant qu’elle avait connu une alternance de périodes de développement et de fortes tensions. Rappelant que ce territoire avait connu huit statuts jusqu’à la signature des accords de Matignon, il a souligné que par leur conclusion, les parties en présence avaient fait le pari de la vie en commun et de la paix. Il a cependant fait valoir qu’en dépit de ces accords, la situation avait semblé incertaine au début de l’année 1998, incitant les différents acteurs, notamment à l’initiative de M. Jacques Lafleur, à reprendre les discussions.

Evoquant le contenu de l’accord de Nouméa signé par le R.P.C.R., le F.L.N.K.S. et l’Etat, il a indiqué que celui-ci prévoyait un transfert progressif de la souveraineté au cours d’une période de vingt ans au maximum, à l’issue de laquelle les populations intéressées auraient à se prononcer sur la question de l’accession à l’indépendance. Après avoir considéré que cet accord, a priori irréversible, permettrait à une génération de vivre en paix, il a insisté sur le fait que toutes les parties prenantes souhaitaient que la France reste très présente pour accompagner le développement de la Nouvelle-Calédonie.

Il a ensuite fait le point sur les principales novations juridiques, observant qu’elles se traduisaient par l’institution de lois du pays, par la possibilité de revenir au statut coutumier et par la pérennisation des restrictions apportées au corps électoral par les accords de Matignon. S’agissant de la question de l’emploi local, il a considéré que le risque d’extension des dispositions proposées ne concernait que les autres collectivités d’outre-mer.

M. François Colcombet a enfin insisté sur le contenu culturel des accords, évoquant notamment l’inauguration du centre Jean-Marie Tjibaou. Soulignant que la culture kanake était bien vivante, il a cependant considéré qu’elle ne demandait qu’à se mêler aux autres cultures présentes sur le territoire, notamment par le vecteur de la langue française. En conclusion, il a estimé que le projet de loi constitutionnelle traduisait la nécessité de tenir compte de la spécificité de chacune des collectivités d’outre-mer et constituait une illustration concrète du souci de privilégier la recherche de la paix.

Rappelant qu’une des raisons d’être du groupe communiste était la lutte contre le colonialisme, M. Jacques Brunhes a tout d’abord fait part de son soutien à un texte, dont il a considéré qu’il représentait un pari sur l’intelligence. Estimant que le préambule des accords de Nouméa avait une forte charge symbolique, il a jugé que l’émergence d’une citoyenneté calédonienne constituait une nouvelle étape par rapport aux accords de Matignon, la France acceptant désormais de conduire la Nouvelle-Calédonie vers l’indépendance. Après avoir rappelé le climat des années 1984-1988, il a rendu hommage aux négociateurs des accords de Nouméa, précisant que leur discussion avait duré plus de deux cents heures.

Soulignant l’assentiment de toutes les formations politiques locales au contenu des accords, il a estimé que le Parlement devait être attentif à ne pas apporter au projet de loi constitutionnelle des modifications qui en remettraient en cause l’équilibre. Il a enfin indiqué que le groupe communiste soutiendrait les amendements du rapporteur tendant à réinsérer le projet de loi dans le corps de la Constitution.

M. Dominique Perben a tenu à rendre hommage aux responsables politiques du territoire qui ont su instituer le climat de consensus qui règne en Nouvelle-Calédonie depuis 1990, soulignant que la démarche était d’autant plus méritoire pour ceux qui ont accepté de négocier alors qu’ils savaient qu’ils représentaient la majorité. Déclarant souscrire au contenu du préambule de l’accord de Nouméa, il a estimé qu’il était remarquablement équilibré. Faisant notamment référence à deux phrases de ce texte, la première qui affirme que les communautés vivant sur le territoire ont acquis par leur participation à son édification une légitimité à y vivre et la seconde, qui insiste sur la nécessité de poser les bases d’une nouvelle citoyenneté, permettant au peuple d’origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun, il a observé que de telles déclarations auraient été inimaginables en 1987.

Il a considéré qu’après dix ans d’absence de conflit, cet accord dessinait la perspective de vingt ans de paix supplémentaire, ajoutant qu’il souhaitait que la population au terme de ce délai opte pour le maintien du territoire dans la République. Tout en ne négligeant pas les problèmes juridiques que soulevait ce document qui heurte nos traditions, il a fait observer que la cristallisation du corps électoral sur la base de celui de 1988 était consubstantielle à cet accord. S’agissant de l’institution de lois du pays, il a considéré que l’on ne pouvait envisager de solution pérenne dans les territoires du Pacifique sans recourir à de telles formules. Il a également estimé que les discriminations opérées dans l’accès à l’emploi en faveur des habitants du territoire pouvaient se justifier, si l’on prenait en compte le sentiment de fragilité et de faiblesse démographique des ressortissants des territoires du Pacifique qui, n’étant que 200.000 en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie, se considéraient, sans doute à tort, menacés par la masse des 300 millions d’Européens. Se réjouissant de l’issue des négociations et considérant que leur aboutissement suscitait un sentiment de fierté, tant à l’égard de la Nouvelle-Calédonie que de la métropole, M. Dominique Perben a conclu son propos en déclarant que le groupe R.P.R. voterait le projet de loi constitutionnelle.

Après avoir également rendu hommage aux négociateurs de l’accord, Mme Nicole Catala a cependant fait part des réserves, tant politiques que juridiques, qu’il lui inspirait. Evoquant le cas de la Polynésie et de la Guyane, elle a exprimé la crainte qu’il ne constitue un précédent pour d’autres territoires, qui pourraient être tentés de bénéficier de dispositions comparables. Elle s’est également interrogée sur le risque de transposition en métropole du statut coutumier à certaines communautés. Elle a reconnu que les restrictions apportées à la définition du corps électoral avaient été admises dès 1988. S’agissant des discriminations susceptibles d’être apportées dans l’accès à l’emploi aux ressortissants français et étrangers, elle a jugé qu’elles seraient contraires aux conventions de l’O.I.T. ratifiées par la France, qui prohibent toute différence de traitement entre un Français et un étranger en situation régulière. Elle s’est également interrogé sur leur compatibilité avec nos engagements européens.

M. Pierre Albertini a fait observer que ce texte pouvait être perçu par les uns comme une fantaisie juridique, par d’autres comme une innovation constitutionnelle. Considérant que s’il n’appelait pas de certitude, il suscitait néanmoins un espoir, il a souligné que l’objectif poursuivi par l’accord de Nouméa et le projet de loi constitutionnelle devait l’emporter sur toute considération juridique, le délai de quinze à vingt ans prévu par l’accord pour l’accession à l’indépendance devant être mis à profit pour approfondir le processus engagé. Il a conclu en indiquant que le projet de loi constitutionnelle recevrait l’approbation du groupe U.D.F.

Après s’être félicité de ce que l’ensemble des orateurs considèrent, comme les Calédoniens eux-mêmes, que l’accord de Nouméa était la seule voie possible vers la paix, Mme le Rapporteur a rappelé que ce texte se fondait sur l’expérience du travail en commun acquise au cours des dix dernières années.

Tout en reconnaissant qu’il était difficile, faute de précédents, d’appréhender avec certitude les conséquences des innovations juridiques contenues dans l’accord, elle a estimé que les risques d’extension à la métropole étaient limités, les populations susceptibles de revendiquer de telles innovations n’ayant pas la même histoire et donc pas la même légitimité. Elle a ajouté que le statut coutumier ne s’appliquait qu’au peuple d’origine sur son propre territoire.

Elle a en revanche considéré que l’accord de Nouméa constituerait sans doute une référence pour l’évolution de l’outre-mer dans les années à venir, soulignant que la situation de ces territoires au regard de l’emploi, notamment en termes démographiques, n’avait rien de comparable avec celle qui existe en métropole.

Elle a rappelé que la limitation du corps électoral figurait déjà dans les accords de 1988, et insisté sur la nécessité de maintenir le contrat de confiance entre les différentes communautés qui ont fait, de part et d’autre, des concessions. Après avoir indiqué que la loi statutaire et les lois du pays devront tenir compte de l’environnement international sur la question de l’accès à l’emploi, elle a considéré que les réalités du territoire justifiaient les restrictions envisagées : elle a notamment cité la tradition d’immigration massive, qui a suscité la méfiance des populations kanakes, ainsi que le retard historique dans la formation des cadres et rappelé que l’objet de l’accord était le rééquilibrage économique et humain du territoire.

Elle a conclu en observant que l’intégration du dispositif proposé dans la Constitution écarterait toute contestation sur sa valeur juridique et ferait tomber les objections présentées par certains juristes qui s’interrogeaient sur la nature exacte d’une loi constitutionnelle sui generis.

D. L’EXAMEN DU DISPOSITIF DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PAR LA COMMISSION

1. Une forme inédite

Le Gouvernement a pris le parti de présenter au Parlement un projet de loi constitutionnelle qui ne s’insère pas dans le corps de la Constitution du 4 octobre 1958. Cette démarche est pour le moins originale, puisqu’elle n’a jamais été employée sous la Ve République. Des précédents existent cependant dans notre histoire constitutionnelle. Ainsi la IIIe République a été fondée juridiquement par l’adoption de trois lois constitutionnelles distinctes les unes des autres. Plus récemment, la loi du 3 juin 1958 a révisé la procédure de révision prévue à l’article 90 de la Constitution du 27 octobre 1946 et a posé les principes qui devaient présider à la création de la Ve République. Cette loi constitutionnelle, elle non plus, n’a pas trouvé formellement sa place dans le corps même de la Constitution de 1946.

On peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à emprunter cette voie inédite. L’exposé des motifs apporte une réponse à cette question. Le caractère circonscrit de ce texte constitutionnel, tant dans le temps que dans l’espace, serait de nature à justifier sa place singulière dans l’édifice constitutionnel. Un texte aussi spécifique, applicable à une partie seulement du territoire de la République et pour une période transitoire, n’aurait pas sa place dans le corps de la Constitution de 1958.

Le projet de loi constitutionnel relatif à la Nouvelle-Calédonie, s’il était adopté, côtoierait donc la Constitution du 4 octobre 1958. Cette place, que l’on peut qualifier de marginale par rapport à la norme constitutionnelle générale, ne pose pas a priori de difficulté particulière.

Pourtant, on peut estimer plus judicieux de ne pas disloquer le bloc de constitutionnalité en faisant coexister des textes de valeur normative égale. L’intégration du projet de loi constitutionnelle dans l’un des titres de la Constitution du 4 octobre 1958 est possible. Il semble même qu’une place naturelle soit préservée au sein de la norme suprême pour accueillir le texte relatif à la Nouvelle-Calédonie. En effet, le titre XIII, relatif à la Communauté, qui était devenu sans objet, a été abrogé par la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995. Il suivait le titre XII relatif aux collectivités territoriales où sont notamment mentionnés les territoires d’outre-mer. Il précédait le titre XIV relatif aux accords d’association entre la République et les Etats qui désirent s’associer avec elle pour développer leurs civilisations.

Le rétablissement du titre XIII, pour accueillir le dispositif du projet de loi constitutionnelle, peut apparaître comme une solution formelle, certes moins novatrice, mais plus conforme à la procédure de l’article 89 de la loi fondamentale, utilisée en l’espèce, qui parle de “ révision de la Constitution ”. Insérer le texte relatif à la Nouvelle-Calédonie dans le titre XIII est, au sens propre, une révision, ce qui n’est pas précisément le cas dans l’hypothèse où l’on vote une loi constitutionnelle qui côtoie simplement le texte du 4 octobre 1958 sans y prendre place.

Cette mise en forme n’affecterait pas le fond du projet de loi constitutionnelle dont l’adoption par l’Assemblée nationale, le Sénat puis le Congrès sera de nature à maintenir et à renforcer l’esprit de concorde que les acteurs locaux semblent, depuis dix ans, souhaiter voir régner en Nouvelle-Calédonie.

Lors de l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle, la Commission a adopté plusieurs amendements présentés par le rapporteur visant à rétablir le titre XIII qui serait intitulé “ Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ” et à y intégrer le dispositif du projet de loi (amendements nos 5, 6, 8, 9, 10, 11 et 12)

2. Le contenu du projet

·  L’article premier présente l’objet du projet de loi constitutionnelle. Il doit assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie selon les orientations définies par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié au Journal officiel le 27 mai dernier. Cet accord n’est pas de nature juridique même s’il s’avère fort précis sur certains points. Sa traduction dans le domaine normatif passe par la présente loi constitutionnelle ainsi que par la loi organique et la loi simple qui suivront. De plus, faire référence à cet accord dans un texte constitutionnel permet de lui conférer une assise solide et une forme de pérennité.

La Commission a tout d’abord rejeté l’amendement n° 4 de M. Lionnel Luca tendant à la suppression de cet article. Elle a ensuite été saisie d’un amendement du rapporteur visant à rétablir le titre XIII de la Constitution et à l’intituler : “ Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ”. M. Dominique Bussereau s’est interrogé sur la notion de “ rétablissement ” du titre et s’est demandé s’il ne serait pas plus approprié d’utiliser le terme de “ création ”. Mme Nicole Catala a, quant à elle, exprimé ses doutes sur la possibilité d’introduire dans la Constitution des dispositions d’ordre transitoire. Elle s’est ensuite demandé si les dispositions du titre XII de la Constitution, relatives à l’administration des collectivités territoriales, continueraient à s’appliquer à la Nouvelle-Calédonie, jugeant qu’il serait regrettable qu’il en aille autrement. M. Pierre Frogier s’est également inquiété de la référence au caractère transitoire des dispositions introduites dans la Constitution, soulignant qu’au terme de la période de quinze à vingt ans qui s’ouvre aujourd’hui, si la consultation prévue ne débouchait pas sur l’indépendance du territoire, le statut actuel deviendrait de ce fait même définitif. Il a par ailleurs souhaité que soit précisée la nature juridique du territoire de Nouvelle-Calédonie à l’issue de la révision constitutionnelle, se demandant notamment s’il demeurerait un territoire d’outre-mer, au sens de l’article 74 de la Constitution. M. Pierre Albertini a estimé que la nature de l’accord de Nouméa, et donc des dispositions constitutionnelles qui en découlent, était évidemment transitoire puisqu’à l’issue de la période considérée un vote interviendrait dont le résultat ne peut être présagé aujourd’hui. Il a ajouté que toutes les constitutions contenaient des dispositions transitoires, soulignant que, dans sa rédaction initiale, le titre XIII de la Constitution concernant la Communauté, était de fait très rapidement devenu sans objet mais était néanmoins resté dans le corps de la Constitution jusqu’en 1995. Il a par ailleurs souligné que, dès que la révision constitutionnelle aurait été adoptée par le Congrès, la Nouvelle-Calédonie ne serait plus un territoire d’outre-mer mais une collectivité répondant à sa propre logique juridique. M. Jacques Brunhes a estimé, pour sa part, que l’utilisation du terme “ transitoire ” dans le titre XIII ne changeait rien au texte négocié entre les principales forces politiques néo-calédoniennes, observant que ce terme était d’ailleurs repris dans l’exposé des motifs.

En réponse à ces interrogations, Mme le rapporteur a d’abord indiqué que l’accord de Nouméa prévoyait, au cas où la consultation sur l’indépendance aboutirait à un rejet, à l’issue de la période de quinze à vingt ans, que les acteurs politiques néo-calédoniens auraient à se réunir pour examiner la situation ainsi créée. Elle a donc considéré que le statut dont la Nouvelle-Calédonie allait être dotée pour cette période n’était pas définitif. Elle a ajouté qu’en tout état de cause, le texte introduit dans la Constitution était transitoire dans la mesure où il mentionnait, par exemple, le principe de la consultation référendaire locale qui doit être organisée à la fin de 1998. Elle a également rappelé que, dans sa rédaction initiale, la Constitution du 4 octobre 1958 comportait un titre XV regroupant des dispositions transitoires, qui n’avait été abrogé qu’en 1995. Elle a, par ailleurs, indiqué qu’après le vote de la loi constitutionnelle, la Nouvelle-Calédonie ne serait plus un territoire d’outre-mer, sa nature juridique étant tout à fait particulière, précisant cependant que, si les dispositions constitutionnelles propres à la Nouvelle-Calédonie s’appliquaient en priorité, les autres dispositions contenues dans la loi fondamentale, lorsqu’elles n’étaient pas contradictoires avec le nouveau titre XIII, s’appliqueraient également.

La Commission a adopté l’amendement du rapporteur (amendement n° 5) et l’article premier ainsi modifié.

·  L’article 2 porte sur l’organisation du référendum local, qui devra se tenir avant le 31 décembre 1998 et à l’occasion duquel la population de Nouvelle-Calédonie se prononcera sur l’accord de Nouméa. Le référendum se substitue ainsi à la consultation prévue par les accords de Matignon de 1988 et l’article  2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988. Comme on l’a souligné précédemment, ce type de référendum organisé sur une seule partie du territoire de la République et en dehors des hypothèses définies à l’article 53 de la Constitution n’est pas prévu par la norme suprême. L’article 2 comble donc cette lacune pour le cas ponctuel de la Nouvelle-Calédonie en 1998.

Le deuxième alinéa de cet article restreint le corps électoral, comme le prévoit l’accord du 5 mai dernier. Ainsi, seules les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 pourront voter lors de cette consultation. Cette restriction du corps électoral avait été l’un des points-clés des négociations de 1988. Les indépendantistes craignaient qu’une politique d’immigration de grande ampleur ne vienne modifier substantiellement les rapports de force démographiques. Il faut dire qu’au début des années 70, l’Etat avait tenté de conduire une politique de cette nature. En conséquence, l’article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988 n’admettait à participer au scrutin de 1998 que “ les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de cette consultation [celle de 1998] et qui y ont leur domicile depuis la date du référendum approuvant la loi du 9 novembre 1988 ”. De la sorte, sur 112.000 électeurs, environ 8.000 personnes se voient retirer le droit de participer au scrutin qui portera – non plus sur l’indépendance ou non du territoire, ce qui était le sens du texte de 1988 – mais sur l’approbation de l’accord de Nouméa.

Les modalités pratiques pour l’organisation de ce scrutin sont renvoyées, aux termes du dernier alinéa de l’article 2, à un décret en Conseil d’Etat délibéré en Conseil des ministres.

La Commission a adopté trois amendements de Mme le rapporteur : le premier faisant de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle un nouvel article 76 de la Constitution ouvrant le titre XIII nouveau (amendement n° 6) ; le deuxième apportant à cet article une amélioration d’ordre rédactionnel (amendement n° 7) ; le troisième, conséquence de la modification apportée à l’article premier, introduisant dans l’article 76 nouveau de la Constitution la référence à l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française (amendement n° 8).

La Commission a ensuite adopté l’article 2 ainsi modifié.

·  L’article 3 du projet de loi prévoit qu’une loi organique déterminera :

—  les compétences de l’Etat, qui seront transférées aux institutions de la Nouvelle-Calédonie de façon définitive ainsi que l’échelonnement, les modalités de ces transferts et la répartition des charges résultant de ceux-ci ;

—  les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de Nouvelle-Calédonie, et en particulier les conditions d’examen par le Conseil constitutionnel de certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante ;

—  les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier ;

—  les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté.

Enfin, le dernier alinéa de l’article 3 renvoie à la loi simple pour l’adoption des autres mesures nécessaires à la mise en œuvre de l’accord de Nouméa.

Cet article a, en réalité, deux objets.

Tout d’abord, il détermine le champ d’une loi organique ce que seule la Constitution peut faire. En premier lieu, cette loi organique va fixer le statut de la Nouvelle-Calédonie pour la période de vingt ans qui s’ouvre, celle-ci pouvant être réduite en vertu du cinquième point de l’accord de Nouméa. Par statut, on entend les compétences des institutions locales, leur mode d’organisation ainsi que la nature des actes pris par ces institutions. A cet égard, l’article 3 évoque les conditions d’examen par le Conseil constitutionnel de certains de ces actes. Il s’agit là d’une innovation importante dans notre ordre juridique. Il existera désormais deux hiérarchies des normes en France. L’une concernera la France métropolitaine et ultra-marine à l’exception de la Nouvelle-Calédonie. L’autre sera propre à la Nouvelle-Calédonie ; pour les domaines échappant à la compétence de l’Etat, les actes administratifs pris par les autorités locales seront soumis aux lois du pays, elles-mêmes soumises à la Constitution de 1958 dans ses dispositions générales, sous réserve cependant de ses dispositions spécifiques relatives à la Nouvelle-Calédonie. Il appartiendra au Conseil constitutionnel de préciser, par sa jurisprudence, la manière exacte dont cette double hiérarchie parallèle des normes s’ajustera.

Le deuxième objet de la loi organique sera de fixer les modalités selon lesquelles les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie se prononceront sur l’accession à la souveraineté. Le texte de l’accord de Nouméa est, à ce titre, tout à fait précis sur les principes qui régiront cette consultation. Elle sera organisée au cours du quatrième mandat de cinq ans du Congrès, celui-ci déterminant la date exacte de ce scrutin à la majorité des trois cinquièmes. La consultation, qui interviendra donc d’ici quinze à vingt ans, portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté à la nationalité. L’accord de Nouméa prévoit également qu’en cas de vote négatif une nouvelle consultation pourra être organisée dans la deuxième année suivant le premier scrutin. De la même manière, si le vote est à nouveau négatif, une troisième consultation aura lieu selon la même procédure et les mêmes délais. Le texte du 5 mai 1998 précise aussi qu’une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la souveraineté. De la sorte, la position qui avait été adoptée en 1974 pour les Comores et qui a permis à Mayotte de rester un territoire français est écartée.

La loi organique fixera aussi les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier.

On observera enfin que l’article 3 fixe pour partie le calendrier et la forme présidant à l’adoption de la loi organique. Celle-ci n’interviendra qu’après la consultation mentionnée à l’article 2 et l’approbation de l’accord de Nouméa. Il appartiendra alors à l’assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie de faire connaître son avis sur le projet de loi organique. Le Secrétaire d’Etat à l’outre-mer, entendu par la commission des Lois, a indiqué que la loi organique pourrait être adoptée en février ou mars 1999.

Dans un deuxième temps, l’article 3 introduit la possibilité pour le législateur de déroger à un certain nombre de principes constitutionnels. La simple lecture de ce texte ne permet pas, à première vue, d’en prendre très nettement conscience. C’est le premier alinéa de l’article qui donne à ces dispositions tout leur sens. L’adoption de la loi organique par le Parlement s’inscrit dans une perspective : la mise en œuvre des orientations de l’accord de Nouméa. Celui-ci n’a pas de contenu formellement juridique. C’est avant tout un texte politique. Néanmoins il est suffisamment précis pour que l’on puisse juger du caractère dérogatoire de son contenu par rapport à la Constitution. La mise en oeuvre de l’accord du 5 mai par la loi organique implique que cette dernière contienne nécessairement des dispositions contraires à la Constitution de 1958.

Comme on l’a vu, ces dérogations touchent la notion de citoyenneté, la composition du corps électoral, la possibilité de revenir au statut civil particulier que l’on appelle désormais statut coutumier, le principe d’égalité en matière d’emploi.

En France, il n’existe pas de normes à valeur supra-constitutionnelle. Le pouvoir constituant, même dérivé, est donc souverain et il lui est loisible d’introduire dans la Constitution des dispositions contradictoires avec d’autres principes à valeur constitutionnelle. Ces dérogations peuvent être expresses ou implicites. C’est alors la disposition constitutionnelle spéciale qui doit être appliquée face à la règle constitutionnelle générale. Le Conseil constitutionnel qui aura à examiner une loi du pays, comme l’article 3 du présent projet de loi le prévoit, devra en apprécier la constitutionnalité au regard, en priorité, des dispositions constitutionnelles spécifiques à la Nouvelle-Calédonie. La Constitution peut donc ainsi connaître une forme de dualité. Il appartient au juge constitutionnel de concilier au mieux les éléments antagoniques de notre loi fondamentale en recherchant la volonté du constituant. Elle est ici clairement établie : faire en sorte que l’accord de Nouméa, aboutissement de longues négociations, puisse être appliqué sans entrave afin que toutes les parties en présence puissent continuer, en confiance, à forger ensemble l’avenir du territoire.

La Commission a adopté trois amendements présentés par Mme le rapporteur : le premier rétablissant un article 77 de la Constitution (amendement n° 9) ; le deuxième de conséquence (amendement n° 10) ; le troisième visant à préciser de manière plus explicite le fait que l’accord de Nouméa est à la fois le cadre dans lequel la loi organique s’appliquera et l’objectif vers lequel elle doit tendre (amendement n° 11). Soulignant que les signataires de l’accord de Nouméa avaient exprimé leur souci que le texte de loi organique prise en application de la Constitution respecte les dispositions de l’accord, le rapporteur a indiqué que l’objet de son amendement était de garantir que la loi organique puisse effectivement comporter les dérogations à certains principes de valeur constitutionnelle exigées pour l’application de l’accord.

Puis la Commission a rejeté trois amendements nos 1, 2 et 3 présentés par M. Lionnel Luca.

Enfin, elle a adopté un amendement de conséquence présenté par le rapporteur (amendement n° 12).

M. Pierre Frogier s’est interrogé sur ce qu’il a considéré comme une incertitude du texte constitutionnel pour ce qui est de la compensation financière des transferts de compétences à la Nouvelle-Calédonie. Il a observé que la rédaction de l’article 3 du projet de loi constitutionnelle s’écartait sur ce point du texte même de l’accord de Nouméa. En réponse à cette inquiétude, Mme Catherine Tasca a indiqué que l’amendement qu’elle avait proposé à la Commission et que celle-ci venait d’adopter, visant à préciser le lien entre la loi organique et l’accord de Nouméa, devait être de nature à répondre à l’interrogation exprimée par M. Pierre Frogier. Elle a ajouté que la discussion en séance publique serait l’occasion d’insister sur l’importance de l’accord de Nouméa y compris dans ses aspects financiers.

La Commission a adopté l’article 3 ainsi modifié.

Elle a ensuite adopté l’ensemble du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi constitutionnelle (n° 937) modifié par les amendements figurant au tableau comparatif ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte de référence


___

Texte du projet de loi
constitutionnelle

___

Propositions de la Commission


___

 

Article premier

Article premier

Texte de l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 – Cf. annexe.

La présente loi constitutionnelle a pour objet d’assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie selon les orientations définies par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998.

Le titre XIII de la Constitution est rétabli et intitulé : “ Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie. ”

(amendement n° 5)

 

Article 2

Article 2

   

Dans le titre XIII de la Constitution, il est rétabli un article 76 dans la rédaction suivante :

(amendement n° 6)

Loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988

portant dispositions statutaires et

préparatoires à l’autodétermination

de la Nouvelle-Calédonie en 1998

Les populations de la Nouvelle-Calédonie seront appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l’accord visé à l’article 1er.

“ Art. 76. —  Les ... ... Nouvelle-
Calédonie sont appelées ...

... accord signé à
Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française.

(amendements nos 7 et 8)

Art. 2. —  Entre le 1er mars et le 31 décembre 1998, les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront appelées à se prononcer par un scrutin d’autodétermination, conformément aux dispositions de l’article 53 de la Constitution, sur le maintien du territoire dans la République ou sur son accession à l’indépendance.

Seront admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988.

Les mesures nécessaires à l’organisation du scrutin seront prises par décret en Conseil d’Etat délibéré en Conseil des ministres.

“ Sont admises ...

... scrutin sont prises
...

(amendement n° 7)

Seront admis à participer à ce scrutin les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de cette consultation et qui y ont leur domicile depuis la date du référendum approuvant la présente loi. Sont réputées avoir leur domicile dans le territoire, alors même qu’elles accomplissent le service national ou poursuivent un cycle d’études ou de formation continue hors du territoire, les personnes qui avaient antérieurement leur domicile dans le territoire.

   
 

Article 3

Article 3

   

Dans le titre XIII de la Constitution, il est rétabli un article 77 dans la rédaction suivante :

(amendement n° 9)

 

Après approbation de l’accord mentionné à l’article 1er lors de la consultation prévue à l’article 2, la loi organique, prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, dans la mesure nécessaire à la mise en œuvre de cet accord :

“ Art. 77. —  Après ... ... accord
lors de la consultation prévue à l’article 76
, la loi ...

... détermine, pour
assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités
nécessaires à sa mise en œuvre :

(amendements nos 10 et 11)

 

—  les compétences de l’Etat qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l’échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ;

—  (Sans modification).

 

—  les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et notamment les conditions dans lesquelles certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante pourront être soumises au contrôle préalable du Conseil constitutionnel ;

—  (Sans modification).

 

—  les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier ;

—  (Sans modification).

 

—  les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté.

—  (Sans modification).

 

Les autres mesures nécessaires à la mise en œuvre de l’accord mentionné à l’article 1er sont définies par la loi.



... l’article 76 sont ...

(amendement n° 12)

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article premier

Amendement n° 4 présenté par M. Lionnel Luca :

Supprimer cet article.

Article 3

Amendements nos 1, 3 et 2 présentés par M. Lionnel Luca :

•  Dans le deuxième alinéa de cet article, supprimer les mots : “ , de façon définitive, ”.

•  Dans le quatrième alinéa de cet article, supprimer les mots : “ à la citoyenneté ”.

•  A la fin du quatrième alinéa de cet article, substituer au mot : “ coutumier ”, le mot : “ particulier ”.

ANNEXE 1


Accord sur la Nouvelle-Calédonie

signé à Nouméa le 5 mai 1998

PRÉAMBULE

1.  LORSQUE LA FRANCE PREND POSSESSION DE LA GRANDE TERRE, QUE JAMES COOK AVAIT DÉNOMMÉE “ NOUVELLE-CALÉDONIE ”, LE 24 SEPTEMBRE 1853, ELLE S'APPROPRIE UN TERRITOIRE SELON LES CONDITIONS DU DROIT INTERNATIONAL ALORS RECONNU PAR LES NATIONS D'EUROPE ET D’AMÉRIQUE, ELLE N'ÉTABLIT PAS DES RELATIONS DE DROIT AVEC LA POPULATION AUTOCHTONE. LES TRAITÉS PASSÉS, AU COURS DE L'ANNÉE 1854 ET LES ANNÉES SUIVANTES, AVEC LES AUTORITÉS COUTUMIÈRES, NE CONSTITUENT PAS DES ACCORDS ÉQUILIBRÉS MAIS, DE FAIT, DES ACTES UNILATÉRAUX.

OR, CE TERRITOIRE N'ÉTAIT PAS VIDE.

LA GRANDE TERRE ET LES ILES ÉTAIENT HABITÉES PAR DES HOMMES ET DES FEMMES QUI ONT ÉTÉ DÉNOMMÉS KANAKS. ILS AVAIENT DÉVELOPPÉ UNE CIVILISATION PROPRE, AVEC SES TRADITIONS, SES LANGUES, LA COUTUME QUI ORGANISAIT LE CHAMP SOCIAL ET POLITIQUE. LEUR CULTURE ET LEUR IMAGINAIRE S'EXPRIMAIENT DANS DIVERSES FORMES DE CRÉATION.

L'IDENTITÉ KANAK ÉTAIT FONDÉE SUR UN LIEN PARTICULIER À LA TERRE. CHAQUE INDIVIDU, CHAQUE CLAN SE DÉFINISSAIT PAR UN RAPPORT SPÉCIFIQUE AVEC UNE VALLÉE, UNE COLLINE, LA MER, UNE EMBOUCHURE DE RIVIÈRE, ET GARDAIT LA MÉMOIRE DE L'ACCUEIL D'AUTRES FAMILLES. LES NOMS QUE LA TRADITION DONNAIT À CHAQUE ÉLÉMENT DU PAYSAGE, LES TABOUS MARQUANT CERTAINS D'ENTRE EUX, LES CHEMINS COUTUMIERS STRUCTURAIENT L'ESPACE ET LES ÉCHANGES.

2.  LA COLONISATION DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE S'EST INSCRITE DANS UN VASTE MOUVEMENT HISTORIQUE OU LES PAYS D'EUROPE ONT IMPOSÉ LEURS DOMINATIONS AU RESTE DU MONDE.

DES HOMMES ET DES FEMMES SONT VENUS EN GRAND NOMBRE, AUX XIXE ET XXE SIÈCLES, CONVAINCUS D'APPORTER LE PROGRÈS, ANIMÉS PAR LEUR FOI RELIGIEUSE, VENU CONTRE LEUR GRÉ OU CHERCHANT UNE SECONDE CHANCE EN NOUVELLE-CALÉDONIE. IL SE SONT INSTALLÉS ET Y ONT FAIT SOUCHE. IL ONT APPORTÉ AVEC EUX LEURS IDÉAUX, LEURS CONNAISSANCES, LEURS ESPOIRS, LEURS AMBITIONS, LEURS ILLUSIONS ET LEURS CONTRADICTIONS.

PARMI EUX CERTAINS, NOTAMMENT DES HOMMES DE CULTURE, DES PRÊTRES OU DES PASTEURS, DES MÉDECINS ET DES INGÉNIEURS, DES ADMINISTRATEURS, DES MILITAIRES, DES RESPONSABLES POLITIQUES ONT PORTÉ SUR LE PEUPLE D'ORIGINE UN REGARD DIFFÉRENT, MARQUÉ PAR UNE PLUS GRANDE COMPRÉHENSION OU UNE RÉELLE COMPASSION.

LES NOUVELLES POPULATIONS SUR LE TERRITOIRE ONT PARTICIPÉ, DANS DES CONDITIONS SOUVENT DIFFICILES, EN APPORTANT DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES, À LA MISE EN VALEUR MINIÈRE OU AGRICOLE ET, AVEC L'AIDE DE L'ETAT, À L'AMÉNAGEMENT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. LEUR DÉTERMINATION ET LEUR INVENTIVITÉ ONT PERMIS UNE MISE EN VALEUR ET JETÉ LES BASES DU DÉVELOPPEMENT.

LA RELATION DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE AVEC LA MÉTROPOLE LOINTAINE EST DEMEURÉE LONGTEMPS MARQUÉE PAR LA DÉPENDANCE COLONIALE, UN LIEN UNIVOQUE, UN REFUS DE RECONNAÎTRE LES SPÉCIFICITÉS, DONT LES POPULATIONS NOUVELLES ONT AUSSI SOUFFERT DANS LEURS ASPIRATIONS.

3.  LE MOMENT EST VENU DE RECONNAÎTRE LES OMBRES DE LA PÉRIODE COLONIALE, MÊME SI ELLE NE FUT PAS DÉPOURVUE DE LUMIÈRE.

LE CHOC DE LA COLONISATION A CONSTITUÉ UN TRAUMATISME DURABLE POUR LA POPULATION D'ORIGINE.

DES CLANS ONT ÉTÉ PRIVÉS DE LEUR NOM EN MÊME QUE DE LEUR TERRE. UNE IMPORTANTE COLONISATION FONCIÈRE A ENTRAÎNÉ DES DÉPLACEMENTS CONSIDÉRABLES DE POPULATION, DANS LEQUEL DES CLANS KANAK ONT VU LEURS MOYENS DE SUBSISTANCE RÉDUITS ET LEURS LIEUX DE MÉMOIRE PERDUS. CETTE DÉPOSSESSION A CONDUIT À UNE PERTE DES MOYENS IDENTITAIRES.

L'ORGANISATION SOCIALE KANAK, MÊME SI ELLE A ÉTÉ RECONNUE DANS SES PRINCIPES, S'EN EST TROUVÉE BOULEVERSÉE. LES MOUVEMENTS DE POPULATION L'ONT DÉSTRUCTURÉE, LA MÉCONNAISSANCE, OU DES STRATÉGIES DE POUVOIR, ONT CONDUIT TROP SOUVENT À NIER LES AUTORITÉS LÉGITIMES ET À METTRE EN PLACE DES AUTORITÉS DÉPOURVUES DE LÉGITIMITÉ SELON LA COUTUME, CE QUI A ACCENTUÉ LE TRAUMATISME IDENTITAIRE.

SIMULTANÉMENT, LE PATRIMOINE ARTISTIQUE KANAK ÉTAIT NIÉ OU PILLÉ.

A CETTE NÉGATION DES ÉLÉMENTS FONDAMENTAUX DE L'IDENTITÉ KANAK SE SONT AJOUTÉES DES LIMITATIONS AUX LIBERTÉS PUBLIQUES ET UNE ABSENCE DE DROITS POLITIQUES, ALORS MÊME QUE LES KANAK AVAIENT PAYÉ UN LOURD TRIBUT À LA DÉFENSE DE LA FRANCE, NOTAMMENT LORS DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.

LES KANAK ONT ÉTÉ REPOUSSÉS AUX MARGES GÉOGRAPHIQUES, ÉCONOMIQUES ET POLITIQUE DE LEUR PROPRE PAYS, CE QUI NE POUVAIT, CHEZ UN PEUPLE FIER ET NON DÉPOURVU DE TRADITIONS GUERRIÈRES, QUE PROVOQUER DES RÉVOLTES, LESQUELLES ONT SUSCITÉ DES RÉPRESSIONS VIOLENTES, AGGRAVANT LES RESSENTIMENTS ET LES INCOMPRÉHENSIONS.

LA COLONISATION A PORTÉ ATTEINTE À LA DIGNITÉ DU PEUPLE KANAK QU'ELLE A PRIVÉ DE SON IDENTITÉ . DES HOMMES ET DES FEMMES ONT PERDU DANS CETTE CONFRONTATION LEUR VIE OU LEURS RAISONS DE VIVRE. DE GRANDES SOUFFRANCES EN SONT RÉSULTÉES. IL CONVIENT DE FAIRE MÉMOIRE DE CES MOMENTS DIFFICILES, DE RECONNAÎTRE LES FAUTES, DE RESTITUER AU PEUPLE KANAK SON IDENTITÉ CONFISQUÉE, CE QUI ÉQUIVAUT POUR LUI À UNE RECONNAISSANCE DE SA SOUVERAINETÉ, PRÉALABLE À LA FONDATION D'UNE NOUVELLE SOUVERAINETÉ, PARTAGÉE DANS UN DESTIN COMMUN.

4.  LA DÉCOLONISATION EST LE MOYEN DE REFONDER UN LIEN SOCIAL DURABLE ENTRE LES COMMUNAUTÉS QUI VIVENT AUJOURD'HUI EN NOUVELLE-CALÉDONIE, EN PERMETTANT AU PEUPLE KANAK D'ÉTABLIR AVEC LA FRANCE DES RELATIONS NOUVELLES CORRESPONDANT AUX RÉALITÉS DE NOTRE TEMPS.

LES COMMUNAUTÉS QUI VIVENT SUR LE TERRITOIRE ONT ACQUIS PAR LEUR PARTICIPATION À L'ÉDIFICATION DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE UNE LÉGITIMITÉ À Y VIVRE ET À CONTRIBUER À SON DÉVELOPPEMENT. ELLES SONT INDISPENSABLE À SON ÉQUILIBRE SOCIAL ET AU FONCTIONNEMENT DE SON ÉCONOMIE ET DE SES INSTITUTIONS SOCIALES. SI L'ACCESSION DES KANAK AUX RESPONSABILITÉS DEMEURE INSUFFISANTE ET DOIT ÊTRE ACCRUE PAR DES MESURES VOLONTARISTES, IL N'EN RESTE PAS MOINS QUE LA PARTICIPATION DES AUTRES COMMUNAUTÉS À LA VIE DU TERRITOIRE LUI EST ESSENTIELLE.

IL EST AUJOURD'HUI NÉCESSAIRE DE POSER LES BASES D'UNE CITOYENNETÉ DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, PERMETTANT AU PEUPLE D'ORIGINE DE CONSTITUER AVEC LES HOMMES ET LES FEMMES QUI Y VIVENT UNE COMMUNAUTÉ HUMAINE AFFIRMANT SON DESTIN COMMUN.

LA TAILLE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET SES ÉQUILIBRES ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX NE PERMETTENT PAS D'OUVRIR LARGEMENT LE MARCHÉ DU TRAVAIL ET JUSTIFIENT DES MESURES DE PROTECTION DE L'EMPLOI LOCAL.

LES ACCORDS DE MATIGNON SIGNÉS EN JUIN 1988 ONT MANIFESTÉ LA VOLONTÉ DES HABITANTS DE NOUVELLE-CALÉDONIE DE TOURNER LA PAGE DE LA VIOLENCE ET DU MÉPRIS POUR ÉCRIRE ENSEMBLE DES PAGES DE PAIX, DE SOLIDARITÉ ET DE PROSPÉRITÉ.

DIX ANS PLUS TARD, IL CONVIENT D'OUVRIR UNE NOUVELLE ÉTAPE, MARQUÉE PARLA PLEINE RECONNAISSANCE DE L'IDENTITÉ KANAK, PRÉALABLE À LA REFONDATION D'UN CONTRAT SOCIAL ENTRE TOUTES LES COMMUNAUTÉS QUI VIVENT EN NOUVELLE-CALÉDONIE, ET PAR UN PARTAGE DE SOUVERAINETÉ AVEC LA FRANCE, SUR LA VOIE DE LA PLEINE SOUVERAINETÉ.

LE PASSÉ A ÉTÉ LE TEMPS DE LA COLONISATION. LE PRÉSENT EST LE TEMPS DU PARTAGE, PAR LE RÉÉQUILIBRAGE. L'AVENIR DOIT ÊTRE LE TEMPS DE L'IDENTITÉ, DANS UN DESTIN COMMUN.

LA FRANCE EST PRÊTE À ACCOMPAGNER LA NOUVELLE-CALÉDONIE DANS CETTE VOIE.

5.  LES SIGNATAIRES DES ACCORDS DE MATIGNON ONT DONC DÉCIDÉ D'ARRÊTER ENSEMBLE UNE SOLUTION NÉGOCIÉ, DE NATURE CONSENSUELLE, POUR LAQUELLE ILS APPELLERONT L'ENSEMBLE LES HABITANTS DE NOUVELLE-CALÉDONIE À SE PRONONCER.

CETTE SOLUTION DÉFINIT POUR VINGT ANNÉES L'ORGANISATION POLITIQUE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET LES MODALITÉS DE SON ÉMANCIPATION.

SA MISE EN ŒUVRE SUPPOSE UNE LOI CONSTITUTIONNELLE QUE LE GOUVERNEMENT S'ENGAGE À PRÉPARER EN VUE DE SON ADOPTION PAR LE PARLEMENT.

LA PLEINE RECONNAISSANCE DE L'IDENTITÉ KANAK CONDUIT À PRÉCISER LE STATUT COUTUMIER ET SES LIENS AVEC LE STATUT CIVIL DES PERSONNES DE DROIT COMMUN, À PRÉVOIR LA PLACE DES STRUCTURES COUTUMIÈRES DANS LES INSTITUTIONS, NOTAMMENT PAR L'ÉTABLISSEMENT D'UN SÉNAT COUTUMIER, À PROTÉGER ET VALORISER LE PATRIMOINE KANAK, À METTRE EN PLACE DE NOUVEAUX MÉCANISMES JURIDIQUES ET FINANCIERS POUR RÉPONDRE AUX DEMANDES EXPRIMÉES AU TITRE DU LIEN AVEC LA TERRE, TOUT EN VALORISANT SA MISE EN VALEUR, ET À ADOPTER DES SYMBOLES IDENTITAIRES EXPRIMANT LA PLACE ESSENTIELLE DE L'IDENTITÉ KANAK DU PAYS DANS LA COMMUNAUTÉ DE DESTIN ACCEPTÉE.

LES INSTITUTIONS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE TRADUIRONT LA NOUVELLE ÉTAPE VERS LA SOUVERAINETÉ : CERTAINES DES DÉLIBÉRATIONS DU CONGRÈS DU TERRITOIRE AURONT VALEUR LÉGISLATIVES ET UN EXÉCUTIF ÉLU LES PRÉPARERA ET LES METTRA EN ŒUVRE.

AU COURS DE CETTE PÉRIODE, DES SIGNES SERONT DONNÉ DE LA RECONNAISSANCE PROGRESSIVE D'UNE CITOYENNETÉ DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, CELLE-CI DEVANT TRADUIRE LA COMMUNAUTÉ DE DESTIN CHOISIE ET POUVANT SE TRANSFORMER, APRÈS LA FIN DE LA PÉRIODE, EN NATIONALITÉ, S'IL EN ÉTAIT DÉCIDÉ AINSI.

LE CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS AUX ASSEMBLÉES LOCALES PROPRES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE SERA RESTREINTS AUX PERSONNES ÉTABLIES DEPUIS UNE CERTAINE DURÉE.

AFIN DE TENIR COMPTE DE L'ÉTROITESSE DU MARCHÉ DU TRAVAIL, DES DISPOSITIONS SERONT DÉFINIES POUR FAVORISER L'ACCÈS À L'EMPLOI LOCAL DES PERSONNES DURABLEMENT ÉTABLIES EN NOUVELLE-CALÉDONIE.

LE PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE L'ETAT ET LA NOUVELLE-CALÉDONIE SIGNIFIERA LA SOUVERAINETÉ PARTAGÉE. IL SERA PROGRESSIF. DES COMPÉTENCES SERONT TRANSFÉRÉS DÈS LA MISE EN ŒUVRE DE LA NOUVELLE ORGANISATION. D'AUTRES LE SERONT SELON UN CALENDRIER DÉFINI, MODULABLE PAR LE CONGRÈS, SELON LE PRINCIPE D'AUTO-ORGANISATION. LES COMPÉTENCES TRANSFÉRÉES NE POURRONT REVENIR À L'ETAT, CE QUI TRADUIRA LE PRINCIPE D'IRRÉVERSIBILITÉ DE CETTE ORGANISATION.

LA NOUVELLE-CALÉDONIE BÉNÉFICIERA PENDANT TOUTE LA DURÉE DE MISE EN ŒUVRE DE LA NOUVELLE ORGANISATION DE L'AIDE DE L'ETAT, EN TERMES D'ASSISTANCE TECHNIQUE ET DE FORMATION ET DES FINANCEMENTS NÉCESSAIRES, POUR L'EXERCICE DES COMPÉTENCES TRANSFÉRÉES ET POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL.

LES ENGAGEMENTS SERONT INSCRITS DANS DES PROGRAMMES PLURIANNUELS. LA NOUVELLE-CALÉDONIE PRENDRA PART AU CAPITAL ET AU FONCTIONNEMENT DES PRINCIPAUX OUTILS DU DÉVELOPPEMENT DANS LEQUEL L'ETAT EST PARTI PRENANTE.

AU TERME D'UNE PÉRIODE DE VINGT ANNÉES, LE TRANSFERT À LA NOUVELLE-CALÉDONIE DES COMPÉTENCES RÉGALIENNES, L'ACCÈS À UN STATUT INTERNATIONAL DE PLEINE RESPONSABILITÉ ET L'ORGANISATION DE LA CITOYENNETÉ EN NATIONALITÉ SERONT PROPOSÉES AU VOTE DES POPULATIONS INTÉRESSÉES.

LEUR APPROBATION ÉQUIVAUDRAIT À LA PLEINE SOUVERAINETÉ DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

DOCUMENT D'ORIENTATION

1.  L’IDENTITÉ KANAK

L'ORGANISATION POLITIQUE ET SOCIALE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE DOIT MIEUX PRENDRE EN COMPTE L'IDENTITÉ KANAK.

1.1.  LE STATUT CIVIL PARTICULIER

CERTAINS KANAK ONT LE STATUT CIVIL DE DROIT COMMUN S'EN L'AVOIR SOUHAITÉ.

LE STATUT CIVIL PARTICULIER EST SOURCE D'INSÉCURITÉ JURIDIQUE ET NE PERMETS PAS DE RÉPONDRE DE MANIÈRE SATISFAISANTE À CERTAINES SITUATIONS DE LA VIE MODERNE.

EN CONSÉQUENCE, LES ORIENTATIONS SUIVANTES SONT RETENUES :

– LE STATUT CIVIL PARTICULIER S'APPELLERA DÉSORMAIS “ STATUT COUTUMIER ” ;

– TOUTE PERSONNE POUVANT RELEVER DU STATUT COUTUMIER ET QUI Y AURAI RENONCÉ, OU QUI S'EN SERAI TROUVÉE PRIVÉ À LA SUITE D'UNE RENONCIATION PAR SES ANCÊTRES OU PAR MARIAGE OU PAR TOUT AUTRE CAUSE (CAS DES ENFANTS INSCRIS EN MÉTROPOLE SUR L'ÉTAT CIVIL) POURRA LE RETROUVER. LA LOI DE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE AUTORISERA CETTE DÉROGATION À L'ARTICLE 75 DE LA CONSTITUTION ;

–  LES RÈGLES RELATIVES AU STATUT COUTUMIER SERONT FIXÉE PAR LES INSTITUTIONS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, DANS LES CONDITIONS INDIQUÉES PLUS LOIN ;

–  LE STATUT COUTUMIER DISTINGUERA LES BIENS SITUÉS DANS LES “ TERRES COUTUMIÈRES ” (NOUVEAU NOM DE LA RÉSERVE), QUI SERONT APPROPRIÉS ET DÉVOLUS EN CAS DE SUCCESSION SELON LES RÈGLES DE LA COUTUME ET CEUX SITUÉS EN DEHORS DES TERRES COUTUMIÈRES QUI OBÉIRONT À DES RÈGLES DE DROIT COMMUN.

1.2.  DROIT ET STRUCTURES COUTUMIÈRES

1.2.1.  LE STATUT JURIDIQUE DU PROCÈS-VERBAL DE PALABRE (DONT LE NOM POURRAIT ÊTRE MODIFIÉ) DOIT ÊTRE REDÉFINI POUR LUI DONNER UNE PLEINE FORCE JURIDIQUE, EN FIXANT SA FORME ET EN ORGANISANT UNE PROCÉDURE D'APPEL PERMETTANT D'ÉVITER TOUTE CONTESTATION ULTÉRIEURE. LE RÔLE DE SYNDIC DES AFFAIRES COUTUMIÈRES, ACTUELLEMENT TENU PAR LES GENDARMES, SERA EXERCÉ PAR UN AUTRE AGENT, PAR EXEMPLE DE LA COMMUNE OU DE L'AIRE COUTUMIÈRE.

LA FORME DU PROCÈS-VERBAL DE PALABRE SERA DÉFINIE PAR LE CONGRÈS EN ACCORD AVEC LES INSTANCES COUTUMIÈRES (VOIR PLUS BAS). L'APPEL AURA LIEU DEVANT LE CONSEIL D'AIRE ET L'ENREGISTREMENT SE FERA PAR LE CONSEIL D'AIRE OU LA MAIRIE.

1.2.2.  LE RÔLE DES AIRES COUTUMIÈRES SERA VALORISÉ, NOTAMMENT EN CONFIANT AUX CONSEILS D'AIRES UN RÔLE DANS LA CLARIFICATION ET L'INTERPRÉTATION DES RÈGLES COUTUMIÈRES. PLUS GÉNÉRALEMENT, L'ORGANISATION SPATIALE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE DEVRA MIEUX TENIR COMPTE DE LEUR EXISTENCE. EN PARTICULIER LES LIMITES COMMUNALES DEVRAIENT POUVOIR TENIR COMPTE DE LA LIMITE DES AIRES.

1.2.3.  LE MODE DE RECONNAISSANCE DES AUTORITÉS COUTUMIÈRES SERA PRÉCISÉ POUR GARANTIR LEUR LÉGITIMITÉ. IL SERA DÉFINI PAR L'INSTANCE COUTUMIÈRE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE (VOIR PLUS BAS) NOTIFICATION EN SERA FAITE AU REPRÉSENTANT DE L'ETAT ET À L'EXÉCUTIF DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE QUI NE POURRONT QUE L'ENREGISTRER. LEUR STATUT SERA PRÉCISÉ.

1.2.4.  LE RÔLE DES AUTORITÉS COUTUMIÈRES DANS LA PRÉVENTION SOCIALE ET LA MÉDIATION PÉNALE SERA RECONNU. CE DERNIER RÔLE SERA PRÉVU DANS LES TEXTES APPLICABLES EN NOUVELLE-CALÉDONIE EN MATIÈRE DE PROCÉDURE PÉNALE.

LES AUTORITÉS COUTUMIÈRES POURRONT ÊTRE ASSOCIÉES À L'ÉLABORATION DES DÉCISIONS DES ASSEMBLÉES LOCALES, À L'INITIATIVE DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE OU DES COMMUNE.

1.2.5.  LE CONSEIL COUTUMIER DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE DEVIENDRA UN "SÉNAT COUTUMIER", COMPOSÉ DE SEIZE MEMBRES (DEUX PAR AIRE COUTUMIÈRE), OBLIGATOIREMENT CONSULTÉ SUR DES SUJETS INTÉRESSANT L'IDENTITÉ KANAK.

1.3.  LE PATRIMOINE CULTUREL

1.3.1.  LES NOMS DE LIEUX

LES NOMS KANAK DES LIEUX SERONT RECENSÉS ET RÉTABLIS. LES SITES SACRÉES SELON LA TRADITION KANAK SERONT IDENTIFIÉS ET JURIDIQUEMENT PROTÉGÉS, SELON LES RÈGLES APPLICABLES EN MATIÈRE DE MONUMENTS HISTORIQUES.

1.3.2.  LES OBJETS CULTURELS

L'ETAT FAVORISERA LE RETOUR EN NOUVELLE-CALÉDONIE D'OBJETS CULTURELS KANAKS QUI SE TROUVENT DANS DES MUSÉES OU DES COLLECTIONS, EN FRANCE MÉTROPOLITAINE OU DANS D'AUTRES PAYS. LES MOYENS JURIDIQUES DONT DISPOSE L'ETAT POUR LA PROTECTION DU PATRIMOINE NATIONAL SERONT MISE EN ŒUVRE À CETTE FIN. DES CONVENTIONS SERONT PASSÉES AVEC CES INSTITUTIONS POUR LE RETOUR DE CES OBJETS OU LEUR MISE EN VALEUR.

1.3.3.  LES LANGUES

LES LANGUES KANAK SONT, AVEC LE FRANÇAIS, DES LANGUES D'ENSEIGNEMENT ET DE CULTURE EN NOUVELLE-CALÉDONIE. LEUR PLACE DANS L'ENSEIGNEMENT ET LES MÉDIAS DOIT DONC ÊTRE ACCRUE ET FAIRE L'OBJET D'UNE RÉFLEXION APPROFONDIE.

UNE RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET UN ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE SUR LES LANGUES KANAK DOIVENT ÊTRE ORGANISÉS EN NOUVELLE-CALÉDONIE. L'INSTITUT NATIONAL DES LANGUES ET CIVILISATIONS ORIENTALES Y JOUERA UN RÔLE ESSENTIEL. POUR QUE CES LANGUES TROUVENT LA PLACE QUI DOIT LEUR REVENIR DANS L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET SECONDAIRE, UN EFFORT IMPORTANT SERA FAIT SUR LA FORMATION DES FORMATEURS.

UNE ACADÉMIE DES LANGUES KANAK, ÉTABLISSEMENT LOCAL DONT LE CONSEIL D'ADMINISTRATION SERA COMPOSÉ DE LOCUTEURS DÉSIGNÉS EN ACCORD AVEC LES AUTORITÉS COUTUMIÈRES, SERA MISE EN PLACE. ELLE FIXERA LEURS RÈGLES D'USAGE ET LEUR ÉVOLUTION.

1.3.4.  LE DÉVELOPPEMENT CULTUREL

LA CULTURE KANAK DOIT ÊTRE VALORISÉE DANS LES FORMATIONS ARTISTIQUES ET DANS LES MÉDIAS. LES DROITS DES AUTEURS DOIVENT ÊTRE EFFECTIVEMENT PROTÉGÉS.

1.3.5.  LE CENTRE CULTUREL TJIBAOU

L'ETAT S'ENGAGE À APPORTER DURABLEMENT L'ASSISTANCE TECHNIQUE ET LES FINANCEMENTS NÉCESSAIRES AU CENTRE CULTUREL TJIBAOU POUR LUI PERMETTRE DE TENIR PLEINEMENT SON RÔLE DE PÔLE DE RAYONNEMENT DE LA CULTURE KANAK.

SUR L'ENSEMBLE DE CES QUESTIONS RELATIVES AU PATRIMOINE CULTUREL, L'ETAT PROPOSERA À LA NOUVELLE-CALÉDONIE DE CONCLURE UN ACCORD PARTICULIER.

1.4.  LA TERRE

L'IDENTITÉ DE CHAQUE KANAK SE DÉFINIT D'ABORD EN RÉFÉRENCE À UNE TERRE.

LE RÔLE ET LES CONDITIONS DE FONCTIONNEMENT DE L'AGENCE DE DÉVELOPPEMENT FONCIER (ADRAF) DEVRONT FAIRE L'OBJET D'UN BILAN APPROFONDI. ELLE DEVRA DISPOSER DE MOYENS SUFFISANTS POUR INTERVENIR DANS DES ZONES SUBURBAINES. L'ACCOMPAGNEMENT DES ATTRIBUTIONS DE TERRE DEVRA ÊTRE ACCENTUÉ POUR FAVORISER L'INSTALLATION DES ATTRIBUTAIRES ET LA MISE EN VALEUR.

LES TERRES COUTUMIÈRES DOIVENT ÊTRE CADASTRÉES POUR QUE LES DROITS COUTUMIERS SUR UNE PARCELLE SOIENT CLAIREMENT IDENTIFIÉS. DE NOUVEAUX OUTILS JURIDIQUES ET FINANCIERS SERONT MIS EN PLACE POUR FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT SUR LES TERRES COUTUMIÈRES, DONT LE STATUT NE DOIT PAS ÊTRE UN OBSTACLE À LA MISE EN VALEUR.

LA RÉFORME FONCIÈRE SERA POURSUIVIE. LES TERRES COUTUMIÈRES SERONT CONSTITUÉES DES RÉSERVES, DES TERRES ATTRIBUÉES AUX “ GROUPEMENTS DE DROIT PARTICULIER LOCAL ” ET DES TERRES QUI SERONT ATTRIBUÉES PAR L'ADRAF POUR RÉPONDRE AUX DEMANDES EXPRIMÉES AU TITRE DU LIEN À LA TERRE. IL N'Y AURA PLUS AINSI QUE LES TERRES COUTUMIÈRES ET LES TERRES DE DROIT COMMUN. DES BAUX SERONT DÉFINIS PAR LE CONGRÈS, EN ACCORD AVEC LE SÉNAT COUTUMIER, POUR PRÉCISER LES RELATIONS ENTRE LE PROPRIÉTAIRE COUTUMIER ET L'EXPLOITANT SUR LES TERRES COUTUMIÈRES. LES JURIDICTIONS STATUANT SUR LES LITIGES SERONT LES JURIDICTIONS DE DROIT COMMUN AVEC DES ASSESSEURS COUTUMIERS.

LES DOMAINES DE L'ETAT ET DU TERRITOIRE DOIVENT FAIRE L'OBJET D'UN EXAMEN DANS LA PERSPECTIVE D'ATTRIBUER CES ESPACES À D'AUTRES COLLECTIVITÉS OU À DES PROPRIÉTAIRES COUTUMIERS OU PRIVÉS, EN VUE DE RÉTABLIR DES DROITS OU DE RÉALISER DES AMÉNAGEMENTS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL. LA QUESTION DE LA ZONE MARITIME SERA ÉGALEMENT EXAMINÉE DANS LE MÊME ESPRIT.

1.5.  LES SYMBOLES

DES SIGNES IDENTITAIRES DU PAYS, NOM, DRAPEAU, HYMNE, DEVISE, GRAPHISME DES BILLETS DE BANQUE DEVRONT ÊTRE RECHERCHÉS EN COMMUN POUR EXPRIMER L'IDENTITÉ KANAK ET LE FUTUR PARTAGÉ ENTRE TOUS.

LA LOI CONSTITUTIONNELLE SUR LA NOUVELLE-CALÉDONIE PRÉVOIRA LA POSSIBILITÉ DE CHANGER CE NOM, PAR “ LOI DU PAYS ” ADOPTÉE À LA MAJORITÉ QUALIFIÉE (VOIR PLUS BAS).

UNE MENTION DU NOM DU PAYS POURRA ÊTRE APPOSÉE SUR LES DOCUMENTS D'IDENTITÉ, COMME SIGNE DE CITOYENNETÉ.

2.  LES INSTITUTIONS

L'UN DES PRINCIPES DE L'ACCORD POLITIQUE EST LA RECONNAISSANCE D'UNE CITOYENNETÉ DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. CELUI-CI TRADUIT LA COMMUNAUTÉ DE DESTIN CHOISIE ET S'ORGANISERAIT, APRÈS LA FIN DE LA PÉRIODE D'APPLICATION DE L'ACCORD, EN NATIONALITÉ, S'IL EN ÉTAIT DÉCIDÉ AINSI.

POUR CETTE PÉRIODE, LA NOTION DE CITOYENNETÉ FONDE LES RESTRICTIONS APPORTÉES AU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS AUX INSTITUTIONS DU PAYS ET POUR LA CONSULTATION FINALE. ELLE SERA AUSSI UNE RÉFÉRENCE POUR LA MISE AU POINT DES DISPOSITIONS QUI SERONT DÉFINIES POUR PRÉSERVER L'EMPLOI LOCAL.

LA LOI CONSTITUTIONNELLE LE PERMETTRA.

2.1.  LES ASSEMBLÉES

2.1.1.  LES ASSEMBLÉES DE PROVINCES SERONT COMPOSÉES, RESPECTIVEMENT POUR LES ÎLES LOYAUTÉ, LE NORD ET LE SUD, DE SEPT, QUINZE ET TRENTE-DEUX MEMBRES, ÉGALEMENT MEMBRES DU CONGRÈS, AINSI QUE SEPT, SEPT ET HUIT MEMBRES SUPPLÉMENTAIRES, NON MEMBRES DU CONGRÈS LORS DE LA MISE EN PLACE DES INSTITUTIONS. LES ASSEMBLÉES DE PROVINCE POURRONT RÉDUIRE, POUR LES MANDATS SUIVANTS, L'EFFECTIF DES CONSEILLERS NON-MEMBRES DU CONGRÈS.

2.1.2.  LE MANDAT DES MEMBRES DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE SERA DE CINQ ANS.

2.1.3.  CERTAINES DÉLIBÉRATIONS DU CONGRÈS AURONT LE CARACTÈRE DE LOI DU PAYS ET DE CE FAIT NE POURRONT ÊTRE CONTESTÉES QUE DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL AVANT LEUR PUBLICATION, SUR SAISINE DU REPRÉSENTANT DE L'ETAT, DE L'EXECUTIF DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, D'UN PRÉSIDENT DU CONGRÈS OU D'UN TIERS DES MEMBRES DU CONGRÈS.

2.1.4.  A)  LE SÉNAT COUTUMIER SERA OBLIGATOIREMENT SAISI DES PROJETS DE LOI DU PAYS ET DE DÉLIBÉRATION LORSQU'ILS CONCERNERONT L'IDENTITÉ KANAK AU SENS DU PRÉSENT DOCUMENT. LORSQUE LE TEXTE QUI LUI SERA SOUMIS, AURA LE CARACTÈRE DE LOI DU PAYS ET CONCERNERA L'IDENTITÉ KANAK, LE CONGRÈS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE DEVRA À NOUVEAU DÉLIBÉRER SI LE VOTE DU SÉNAT COUTUMIER N'EST PAS CONFORME. LE VOTE DU CONGRÈS S'IMPOSERA ALORS.

B)  UN CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL REPRÉSENTERA LES PRINCIPALES INSTITUTIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. IL SERA OBLIGATOIREMENT CONSULTÉ SUR LES DÉLIBÉRATIONS À CARACTÈRE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DU CONGRÈS. IL COMPRENDRA DES REPRÉSENTANTS DU SÉNAT COUTUMIER.

2.1.5.  LES LIMITES DES PROVINCES ET DES COMMUNES DEVRAIENT COÏNCIDER, DE MANIÈRE QU'UNE COMMUNE N'APPARTIENNE QU'À UNE PROVINCE.

2.2.  LE CORPS ÉLECTORAL ET LE MODE DE SCRUTIN

2.2.1.  LE CORPS ÉLECTORAL

LE CORPS ÉLECTORAL POUR LES CONSULTATIONS RELATIVES À L'ORGANISATION POLITIQUE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE INTERVENANT À L'ISSUE DU DÉLAI D'APPLICATION DU PRÉSENT ACCORD (POINT 5) COMPRENDRA EXCLUSIVEMENT : LES ÉLECTEURS INSCRITS SUR LES LISTES ÉLECTORALES AUX DATES DES CONSULTATIONS ÉLECTORALES PRÉVUES AU 5 ET QUI ONT ÉTÉ ADMIS À PARTICIPER AU SCRUTIN PRÉVUE À L'ARTICLE 2 DE LA LOI RÉFÉRENDAIRE, OU QUI REMPLISSAIENT LES CONDITIONS POUR Y PARTICIPER, AINSI QUE CEUX QUI POURRONT JUSTIFIER QUE LES INTERRUPTIONS DANS LA CONTINUITÉ DE LEUR DOMICILE EN NOUVELLE-CALÉDONIE ÉTAIENT DUES À DES RAISONS PROFESSIONNELLEMENT OU FAMILIALES, CEUX QUI, DE STATUT COUTUMIER OU NÉS EN NOUVELLE-CALÉDONIE, Y ONT EU LE CENTRE DE LEURS INTÉRÊTS MATÉRIELS ET MORAUX ET CEUX QUI NE SONT PAS NÉS EN NOUVELLE-CALÉDONIE MAIS DONT L'UN DES PARENTS Y EST NÉ ET QUI ONT LE CENTRE DE LEURS INTÉRÊTS MATÉRIELS ET MORAUX.

POURRONT ÉGALEMENT VOTER POUR CES CONSULTATIONS LES JEUNES ATTEIGNANT LA MAJORITÉ ÉLECTORALE, INSCRITS SUR LES LISTES ÉLECTORALES, ET QUI, S'ILS SONT NÉS AVANT 1988 AURONT EU LEUR DOMICILE EN NOUVELLE-CALÉDONIE DE 1988 À 1998 OU, S'ILS SONT NÉS APRÈS 1988, ONT EU UN DE LEURS PARENTS QUI REMPLISSAIT OU AURAIT PU REMPLIR LES CONDITIONS POUR VOTER AU SCRUTIN DE LA FIN DE 1998.

POURRONT ÉGALEMENT VOTER À CES CONSULTATIONS LES PERSONNES QUI POURRONT JUSTIFIER, EN 2013, DE VINGT ANS DE DOMICILE CONTINU EN NOUVELLE-CALÉDONIE.

COMME IL AVAIT ÉTÉ PRÉVU DANS LE TEXTE SIGNÉ DES ACCORDS DE MATIGNON, LE CORPS ÉLECTORAL AUX ASSEMBLÉES DES PROVINCES ET AU CONGRÈS SERA RESTREINT : IL SERA RÉSERVÉ AUX ÉLECTEURS QUI REMPLISSAIENT LES CONDITIONS POUR VOTER AU SCRUTIN DE 1998, À CEUX QUI, INSCRITS AU TABLEAU ANNEXE, REMPLIRONT UNE CONDITION DE DOMICILE DE DIX ANS À LA DATE DE L'ÉLECTION, AINSI QU'AUX ÉLECTEURS ATTEIGNANT L'ÂGE DE LA MAJORITÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS APRÈS 1998 ET QUI, SOIT JUSTIFIERONT DE DIX ANS DE DOMICILE EN 1998, SOIT AURONT EU UN PARENT REMPLISSANT LES CONDITIONS POUR ÊTRE ÉLECTEUR AU SCRUTIN DE LA FIN DE 1998, SOIT AYANT EU UN PARENT INSCRIT SUR UN TABLEAU ANNEXE, JUSTIFIERONT D'UNE DURÉE DE DOMICILE DE DIX ANS EN NOUVELLE-CALÉDONIE À LA DATE DE L'ÉLECTION.

LA NOTION DE DOMICILE S'ENTENDRA AU SEN DE L'ARTICLE 2 DE LA LOI RÉFÉRENDAIRE. LA LISTE DES ÉLECTEURS ADMIS À PARTICIPER AU SCRUTIN SERA ARRÊTÉE AVANT LA FIN DE L'ANNÉE PRÉCÉDANT LE SCRUTIN.

LE CORPS ÉLECTORAL RESTREINT S'APPLIQUERAIT AUX ÉLECTIONS COMMUNALES SI LES COMMUNES AVAIENT UNE ORGANISATION PROPRE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

2.2.2.  POUR FAVORISER L'EFFICACITÉ DU FONCTIONNEMENT DES ASSEMBLÉES LOCALES, EN ÉVITANT LES CONSÉQUENCES D'UNE DISPERSION DES SUFFRAGES, LE SEUIL DE 5 % S'APPLIQUERA AUX INSCRITS ET NON AUX EXPRIMÉS.

2.3.  L'EXÉCUTIF

L'EXÉCUTIF DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE DEVIENDRA UN GOUVERNEMENT COLLÉGIAL, ÉLU PAR LE CONGRÈS, RESPONSABLE DEVANT LUI.

L'EXÉCUTIF SERA DÉSIGNÉ À LA PROPORTIONNELLE PAR LE CONGRÈS, SUR PROPOSITION PAR LES GROUPES POLITIQUES DE LISTES DE CANDIDATS, MEMBRES OU NON DU CONGRÈS. L'APPARTENANCE AU GOUVERNEMENT SERA INCOMPATIBLE AVEC LA QUALITÉ DE MEMBRE DU CONGRÈS OU DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE. LE MEMBRE DU CONGRÈS OU DE L'ASSEMBLÉE DE PROVINCE ÉLU MEMBRE DU GOUVERNEMENT EST REMPLACÉ À L'ASSEMBLÉE PAR LE SUIVANT DE LA LISTE. EN CAS DE CESSATION DE FONCTION, IL RETROUVERA SON SIÈGE.

LA COMPOSITION DE L'EXÉCUTIF SERA FIXÉE PAR LE CONGRÈS.

LE REPRÉSENTANT DE L'ETAT SERA INFORMÉ DE L'ORDRE DU JOUR DES RÉUNIONS DU GOUVERNEMENT ET ASSISTERA À SES DÉLIBÉRATIONS. IL RECEVRA LES PROJETS DE DÉCISIONS AVANT LEUR PUBLICATION ET POURRA DEMANDER UNE SECONDE DÉLIBÉRATION DE L'EXÉCUTIF.

2.4.  LES COMMUNES

LES COMPÉTENCES DES COMMUNES POURRONT ÊTRE ÉLARGIES EN MATIÈRE D'URBANISME, DE DÉVELOPPEMENT LOCAL, DE CONCESSIONS DE DISTRIBUTION D'ÉLECTRICITÉ ET DE FISCALITÉ LOCALE. ELLES POURRONT BÉNÉFICIER DE TRANSFERTS DOMANIAUX.

3.  LES COMPÉTENCES

LES COMPÉTENCES DÉTENUES PAR L'ETAT SERONT TRANSFÉRÉES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE DANS LES CONDITIONS SUIVANTES :

–  CERTAINES SERONT TRANSFÉRÉES DÈS LA MISE EN ŒUVRE DE LA NOUVELLE ORGANISATION POLITIQUE ;

–  D'AUTRES LE SERONT DANS DES ÉTAPES INTERMÉDIAIRES ;

–  D'AUTRES SERONT PARTAGÉES ENTRE L'ETAT ET LA NOUVELLE-CALÉDONIE ;

–  LES DERNIÈRES, DE CARACTÈRE RÉGALIEN, NE POURRONT ÊTRE TRANSFÉRÉES QU'À L'ISSUE DE LA CONSULTATION MENTIONNÉE AU 5.

LE CONGRÈS, À LA MAJORITÉ QUALIFIÉE DES TROIS CINQUIÈMES, POURRA DEMANDER À MODIFIER L'ÉCHÉANCIER PRÉVU DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES, À L'EXCLUSION DES COMPÉTENCES DE CARACTÈRE RÉGALIEN. L'ETAT PARTICIPERA PENDANT CETTE PÉRIODE À LA PRISE EN CHARGE FINANCIÈRE DES COMPÉTENCES TRANSFÉRÉES. CETTE COMPENSATION FINANCIÈRE SERA GARANTIE PAR LA LOI CONSTITUTIONNELLE.

3.1.  LES COMPÉTENCES NOUVELLES CONFÉRÉES
À LA NOUVELLE-CALÉDONIE

3.1.1.  LES COMPÉTENCES IMMÉDIATEMENT TRANSFÉRÉES

LE PRINCIPE DU TRANSFERT EST ACQUIS DÈS L'INSTALLATION DES INSTITUTIONS ISSUES DU PRÉSENT ACCORD : LA MISE EN PLACE S'EFFECTUERA AU COURS DU PREMIER MANDAT DU CONGRÈS :

–  LE DROIT À L'EMPLOI : LA NOUVELLE-CALÉDONIE METTRA EN PLACE, EN LIAISON AVEC L'ETAT, DES MESURES DESTINÉES À OFFRIR DES GARANTIES PARTICULIÈRES POUR LE DROIT À L'EMPLOI DE SES HABITANTS. LA RÉGLEMENTATION SUR L'ENTRÉE DES PERSONNES, NON ÉTABLIES EN NOUVELLE-CALÉDONIE, SERA CONFORTÉE.

POUR LES PROFESSIONS INDÉPENDANTES, LE DROIT D'ÉTABLISSEMENT POURRA ÊTRE RESTREINT POUR LES PERSONNES NON ÉTABLIES EN NOUVELLE-CALÉDONIE.

POUR LES SALARIÉS DU SECTEUR PRIVÉ ET POUR LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE, UNE RÉGLEMENTATION LOCALE SERA DÉFINIE POUR PRIVILÉGIER L'ACCÈS À L'EMPLOI DES HABITANTS.

–  LE DROIT AU TRAVAIL DES RESSORTISSANTS ÉTRANGERS ;

–  LE COMMERCE EXTÉRIEUR, DONT LA RÉGLEMENTATION DES IMPORTATIONS ET L'AUTORISATION DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS ;

–  LES COMMUNICATIONS EXTÉRIEURES EN MATIÈRE DE POSTE ET DE TÉLÉCOMMUNICATIONS, À L'EXCLUSION DES COMMUNICATIONS GOUVERNEMENTALES ET DE LA RÉGLEMENTATION DES FRÉQUENCES RADIOÉLECTRIQUES ;

–  LA NAVIGATION ET LES DESSERTES MARITIMES INTERNATIONALES ;

–  LES COMMUNICATIONS EXTÉRIEURES EN MATIÈRE DE DESSERTE AÉRIENNE LORSQU'ELLES N'ONT POUR ESCALE EN FRANCE QUE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET DANS LE RESPECT DES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FRANCE ;

–  L'EXPLORATION, L'EXPLOITATION, LA GESTION ET LA CONSERVATION DES RESSOURCES NATURELLES, BIOLOGIQUES ET NON BIOLOGIQUES DE LA ZONE ÉCONOMIQUE ;

–  LES PRINCIPES DIRECTEURS DU DROIT DU TRAVAIL ;

–  LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ;

–  LA MÉDIATION PÉNALE COUTUMIÈRE ;

–  LA DÉFINITION DE PEINES CONTRAVENTIONNELLES POUR LES INFRACTIONS AUX LOIS DU PAYS ;

–  LES RÈGLES RELATIVES À L'ADMINISTRATION PROVINCIALE ;

–  LES PROGRAMMES DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE, LA FORMATION DES MAÎTRES ET LE CONTRÔLE PÉDAGOGIQUE ;

–  LE DOMAINE PUBLIC MARITIME, TRANSFÉRÉ AUX PROVINCES.

3.1.2.  LES COMPÉTENCES TRANSFÉRÉES DANS UNE SECONDE ÉTAPE

DANS UNE ÉTAPE INTERMÉDIAIRE, AU COURS DU SECOND ET TROISIÈME MANDAT DU CONGRÈS, LES COMPÉTENCES SUIVANTES SERONT TRANSFÉRÉES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE :

–  LES RÈGLES CONCERNANT L'ÉTAT CIVIL, DANS LE CADRE DES LOIS EXISTANTES ;

–  LES RÈGLES DE POLICE ET DE SÉCURITÉ EN MATIÈRE DE CIRCULATION AÉRIENNE ET MARITIME INTÉRIEURE ;

–  L'ÉLABORATION DES RÈGLES ET LA MISE EN ŒUVRE DES MESURES INTÉRESSANT LA SÉCURITÉ CIVILE.

TOUTEFOIS, UN DISPOSITIF PERMETTRA AU REPRÉSENTANT DE L'ETAT DE PRENDRE LES MESURES NÉCESSAIRES EN CAS DE CARENCE.

–  LE RÉGIME COMPTABLE ET FINANCIER DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES ET DE LEURS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS ;

–  LE DROIT CIVIL ET LE DROIT COMMERCIAL ;

–  LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE ET DES DROITS RÉELS ;

–  LA LÉGISLATION RELATIVE À L'ENFANCE DÉLINQUANTE ET À L'ENFANCE EN DANGER ;

–  LES RÈGLES RELATIVES À L'ADMINISTRATION COMMUNALE ;

–  LE CONTRÔLE ADMINISTRATIF DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES ET DE LEURS ÉTABLISSEMENTS PUBLICS ;

–  L'ENSEIGNEMENT DU SECOND DEGRÉ ;

–  LES RÈGLES APPLICABLES AUX MAÎTRES DE L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ SOUS CONTRAT.

3.2.  LES COMPÉTENCES PARTAGÉES

3.2.1.  LES RELATIONS INTERNATIONALES ET RÉGIONALES

LES RELATIONS INTERNATIONALES SONT DE LA COMPÉTENCE DE L'ETAT. CELUI-CI PRENDRA EN COMPTE LES INTÉRÊTS PROPRES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE DANS LES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES CONDUITES PAR LA FRANCE ET L’ASSOCIERA À CES DISCUSSIONS.

LA NOUVELLE-CALÉDONIE POURRA ÊTRE MEMBRE DE CERTAINES ORGANISATIONS INTERNATIONALES OU ASSOCIÉ À ELLES, EN FONCTION DE LEURS STATUTS (ORGANISATIONS INTERNATIONALES DU PACIFIQUE, ONU, UNESCO, OIT, ETC.). LE CHEMINEMENT VERS L'ÉMANCIPATION SERA PORTÉ À LA CONNAISSANCE DE L'ONU.

LA NOUVELLE-CALÉDONIE POURRA AVOIR DES REPRÉSENTATIONS DANS DES PAYS DE LA ZONE PACIFIQUE ET AUPRÈS DE CES ORGANISATIONS ET DE L'UNION EUROPÉENNE.

ELLE POURRA CONCLURE DES ACCORDS AVEC CES PAYS DANS SES DOMAINES DE COMPÉTENCE.

ELLE SERA ASSOCIÉE À LA RENÉGOCIATION DE LA DÉCISION D'ASSOCIATION EUROPE-PTOM.

UNE FORMATION SERA MISE EN PLACE POUR PRÉPARER DES NÉO-CALÉDONIENS À L'EXERCICE DE RESPONSABILITÉS DANS LE DOMAINE DES RELATIONS INTERNATIONALES.

LES RELATIONS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE AVEC LE TERRITOIRE DES ÎLES WALLIS-ET-FUTUNA SERONT PRÉCISÉES PAR UN ACCORD PARTICULIER. L'ORGANISATION DES SERVICES DE L'ETAT SERA DISTINCTE POUR LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET CE TERRITOIRE.

3.2.2.  LES ÉTRANGERS

L'EXÉCUTIF DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE SERA ASSOCIÉ À LA MISE EN ŒUVRE DE LA RÉGLEMENTATION RELATIVE À L'ENTRÉE ET AU SÉJOUR DES ÉTRANGERS.

3.2.3.  L'AUDIOVISUEL

L'EXÉCUTIF EST CONSULTÉ PAR LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL AVANT TOUTE DÉCISION PROPRE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

UNE CONVENTION POURRA ÊTRE CONCLUE ENTRE LE C.S.A. ET LA NOUVELLE-CALÉDONIE POUR ASSOCIER CELLE-CI À LA POLITIQUE DE COMMUNICATION AUDIOVISUELLE.

3.2.4.  LE MAINTIEN DE L'ORDRE

L'EXÉCUTIF SERA INFORMÉ PAR LE REPRÉSENTANT DE L'ETAT DES MESURES PRISES.

3.2.5.  LA RÉGLEMENTATION MINIÈRE

LES COMPÉTENCES RÉSERVÉES À L'ETAT POUR LES HYDROCARBURES, LES SELS DE POTASSE, LE NICKEL, LE CHROME ET LE COBALT SERONT TRANSFÉRÉES.

LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉLABORATION DES RÈGLES SERA CONFÉRÉE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE, CELLE DE LA MISE EN ŒUVRE DES PROVINCES.

UN CONSEIL DES MINES, COMPOSÉ DE REPRÉSENTANTS DES PROVINCES ET AUQUEL ASSISTE LE REPRÉSENTANT DE L'ETAT, SERA CONSULTÉ SUR LES PROJETS DE DÉLIBÉRATION DU CONGRÈS OU DES PROVINCES EN MATIÈRE MINIÈRE. SI SON AVIS N'EST PAS CONFORME OU SI LE REPRÉSENTANT DE L'ETAT EXPRIME UN AVIS DÉFAVORABLE, L'EXÉCUTIF DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE SE PRONONCERA.

3.2.6.  LES DESSERTES AÉRIENNES INTERNATIONALES

L'EXÉCUTIF SERA ASSOCIÉ AUX NÉGOCIATIONS LORSQUE LA COMPÉTENCE N'EST PAS ENTIÈREMENT CONFIÉE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

3.2.7.  L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

L'ETAT ASSOCIERA L'EXÉCUTIF À LA PRÉPARATION DES CONTRATS QUI LE LIENT AUX ORGANISMES DE RECHERCHE IMPLANTÉS EN NOUVELLE-CALÉDONIE ET À L'UNIVERSITÉ, AFIN DE PERMETTRE UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES BESOINS SPÉCIFIQUES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE EN MATIÈRE DE FORMATION SUPÉRIEURE ET DE RECHERCHE. LA NOUVELLE-CALÉDONIE POURRA CONCLURE DES CONVENTIONS D'OBJECTIFS ET D'ORIENTATION AVEC CES INSTITUTIONS.

3.3.  LES COMPÉTENCES RÉGALIENNES

LA JUSTICE, L'ORDRE PUBLIC, LA DÉFENSE ET LA MONNAIE ( AINSI QUE LE CRÉDIT ET LES CHANGES ), ET LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (SOUS RÉSERVE DE DISPOSITION DU 3.2.1) RESTERONT DE LA COMPÉTENCE DE L'ETAT JUSQU'À LA NOUVELLE ORGANISATION POLITIQUE RÉSULTANT DE LA CONSULTATION DES POPULATIONS INTÉRESSÉES PRÉVUE AU 5.

PENDANT CETTE PÉRIODE, DES NÉO-CALÉDONIENS SERONT FORMÉS ET ASSOCIÉS À L'EXERCICE DE RESPONSABILITÉS DANS CES DOMAINES, DANS UN SOUCI DE RÉÉQUILIBRAGE ET DE PRÉPARATION DE CETTE NOUVELLE ÉTAPE.

4.  LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

4.1.  LA FORMATION DES HOMMES

4.1.1.  LES FORMATIONS DEVRONT, DANS LEUR CONTENU ET LEUR MÉTHODE, MIEUX PRENDRE EN COMPTE LES RÉALITÉS LOCALES, L'ENVIRONNEMENT RÉGIONAL ET LES IMPÉRATIFS DE RÉÉQUILIBRAGE. DES DISCUSSIONS S'ENGAGERONT POUR LA RECONNAISSANCE MUTUELLE DES DIPLÔMES ET DES FORMATIONS AVEC LES ETATS DU PACIFIQUE. LE NOUVEAU PARTAGE DES COMPÉTENCES DEVRA PERMETTRE AUX HABITANTS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE D'OCCUPER DAVANTAGE LES EMPLOIS DE FORMATEUR.

L'UNIVERSITÉ DEVRA RÉPONDRE AUX BESOINS DE FORMATION ET DE RECHERCHE PROPRE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

L'INSTITUT DE FORMATION DES PERSONNELS ADMINISTRATIFS SERA RATTACHÉ À LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

4.1.2.  UN PROGRAMME DE FORMATION DE CADRES MOYENS ET SUPÉRIEURS, NOTAMMENT TECHNIQUES ET FINANCIERS, SERA SOUTENU PAR L'ETAT À TRAVERS LES CONTRATS DE DÉVELOPPEMENT POUR ACCOMPAGNER LES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES RÉALISÉS ET À VENIR.

UN PROGRAMME SPÉCIFIQUE, QUI PRENDRA EN COMPTE LA SUITE DU PROGRAMME “ 400 CADRES ” ET CONCERNERA LES ENSEIGNEMENTS SECONDAIRES, SUPÉRIEUR, ET PROFESSIONNEL TENDRA À LA POURSUITE DU RÉÉQUILIBRAGE ET À L'ACCESSION DES KANAK AUX RESPONSABILITÉS DANS TOUS LES SECTEURS D'ACTIVITÉS.

4.2.  LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

4.2.1.  DES CONTRATS DE DÉVELOPPEMENT PLURIANNUELS SERONT CONCLUS AVEC L'ETAT. ILS POURRONT CONCERNER LA NOUVELLE-CALÉDONIE, LES PROVINCES ET LES COMMUNES ET TENDRONT À ACCROÎTRE L'AUTONOMIE ET LA DIVERSIFICATION ÉCONOMIQUES.

4.2.2.  LES MINES

UN SCHÉMA DE MISE EN VALEUR DES RICHESSES MINIÈRES DU TERRITOIRE SERA ÉLABORÉ. SA MISE EN ŒUVRE SERA CONTRÔLÉE PAR LA NOUVELLE-CALÉDONIE GRÂCE AU TRANSFERT PROGRESSIF DE L'ÉLABORATION ET DE L'APPLICATION DU DROIT MINIER.

4.2.3.  LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE CONTRIBUERA À L'OBJECTIF D'AUTONOMIE ET DE RÉÉQUILIBRAGE : RECHERCHE DE SITES HYDROÉLECTRIQUES, PROGRAMMATION DE L'ÉLECTRIFICATION RURALE TENANT COMPTE DES COÛTS DIFFÉRENCIÉS LIÉS À LA GÉOGRAPHIE DU TERRITOIRE. LES OPÉRATEURS DU SECTEUR SERONT ASSOCIES À LA MISE EN ŒUVRE DE CETTE POLITIQUE.

4.2.4.  LE FINANCEMENT DE L'ÉCONOMIE DEVRA ÊTRE MODERNISÉ :

L'EXÉCUTIF SERA CONSULTÉ SUR LES DÉCISIONS DE POLITIQUE MONÉTAIRE.

LA NOUVELLE-CALÉDONIE SERA REPRÉSENTÉE DANS LES INSTANCES COMPÉTENTES DE L'INSTITUT D'ÉMISSION.

POUR FINANCER LE DÉVELOPPEMENT, L'INSTITUT CALÉDONIEN DE PARTICIPATION SERA MAINTENU DANS SON RÔLE ET SES ATTRIBUTIONS. IL SERA CRÉÉ UN FOND DE GARANTIE POUR FACILITER LE FINANCEMENT DES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT SUR LES TERRES COUTUMIÈRES.

DES OBJECTIFS D’INTÉRÊT PUBLIC EN FAVEUR DU DÉVELOPPEMENT SERONT FIXÉS POUR LA BANQUE CALÉDONIENNE D'INVESTISSEMENT. LES COLLECTIVITÉS, DANS LA LIMITE DE LEURS COMPÉTENCES, POURRONT SOUTENIR LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES EN COLLABORATION AVEC LE SECTEUR BANCAIRE.

UN DISPOSITIF SPÉCIFIQUE SERA MIS EN PLACE POUR FACILITER LE RESTRUCTURATION ET LE REDRESSEMENT DES ENTREPRISES.

4.3.  LA POLITIQUE SOCIALE

4.3.1.  L'EFFORT EN FAVEUR DU LOGEMENT SOCIAL SERA POURSUIVI AVEC LE CONCOURS DE L'ETAT. L'ATTRIBUTION DES FINANCEMENTS ET LES CHOIX DES OPÉRATEURS DEVRONT CONTRIBUER À UN ÉQUILIBRE GÉOGRAPHIQUE. UNE DISTINCTION SERA EFFECTUÉE ENTRE LES RÔLES DE COLLECTEUR, DE PROMOTEUR ET DE GESTIONNAIRE DU PARC SOCIAL.

4.3.2.  UNE COUVERTURE SOCIALE GÉNÉRALISÉE SERA MISE EN PLACE.

4.4.  LE CONTRÔLE DES OUTILS DE DÉVELOPPEMENT

LA NOUVELLE-CALÉDONIE SERA MISE À MÊME, AU COURS DE LA NOUVELLE PÉRIODE QUI S'OUVRE, DE DISPOSER D'UNE MAÎTRISE SUFFISANTE DES PRINCIPAUX OUTILS DE SON DÉVELOPPEMENT. LORSQUE L'ETAT DÉTIENT DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT LA MAÎTRISE PARTIELLE OU TOTAL DE CES OUTILS, LA NOUVELLE-CALÉDONIE LES REMPLACERA SELON DES MODALITÉS ET DES CALENDRIERS À DÉTERMINER. LORSQUE LA NOUVELLE-CALÉDONIE LE SOUHAITERA, LES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS NATIONAUX INTERVENANT SEULEMENT EN NOUVELLE-CALÉDONIE DEVIENDRONT DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

SONT NOTAMMENT CONCERNÉS : OFFICE DES POSTES ET TÉLÉCOMMUNICATIONS, INSTITUT DE FORMATION DES PERSONNELS ADMINISTRATIFS, SOCIÉTÉ NÉO-CALÉDONIENNE DE L'ÉNERGIE ENERCAL, INSTITUT CALÉDONIEN DE PARTICIPATION, AGENCE DE DÉVELOPPEMENT RURAL ET D'AMÉNAGEMENT FONCIER, AGENCE DE DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE KANAK...

LORSQUE LES ORGANISMES N'INTERVIENNENT PAS SEULEMENT EN NOUVELLE-CALÉDONIE, CELLE CI DEVRA DISPOSER DES MOYENS DE FAIRE VALOIR SES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES EN CE QUI CONCERNE LA NOUVELLE-CALÉDONIE PAR UNE PARTICIPATION DANS LE CAPITAL OU LES INSTANCES DIRIGEANTES.

5.  L’ÉVOLUTION DE L’ORGANISATION POLITIQUE
DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

AU COURS DU QUATRIÈME MANDAT (DE CINQ ANS) DU CONGRÈS, UNE CONSULTATION ÉLECTORALE SERA ORGANISÉE. LA DATE DE CETTE CONSULTATION SERA DÉTERMINÉE PAR LE CONGRÈS, AU COURS DE CE MANDAT, À LA MAJORITÉ QUALIFIÉE DES TROIS CINQUIÈMES.

SI LE CONGRÈS N'A PAS FIXÉ CETTE DATE AVANT LA FIN DE LA L'AVANT DERNIÈRE ANNÉE DE CE QUATRIÈME MANDAT, LA CONSULTATION SERA ORGANISÉE, À UNE DATE FIXÉE PAR L'ETAT, DANS LA DERNIÈRE ANNÉE DU MANDAT.

LA CONSULTATION PORTERA SUR LE TRANSFERT À LA NOUVELLE-CALÉDONIE DES COMPÉTENCES RÉGALIENNES, L'ACCÈS A UN STATUT INTERNATIONAL DE PLEINE RESPONSABILITÉ ET L'ORGANISATION DE LA CITOYENNETÉ EN NATIONALITÉ.

SI LA RÉPONSE DES ÉLECTEURS À CES DISPOSITIONS EST NÉGATIVE, LE TIERS DES MEMBRES DU CONGRÈS POURRA PROVOQUER L'ORGANISATION D'UNE NOUVELLE CONSULTATION QUI INTERVIENDRA DANS LA DEUXIÈME ANNÉE SUIVANT LA PREMIÈRE CONSULTATION. SI LA RÉPONSE EST À NOUVEAU NÉGATIVE, UNE NOUVELLE CONSULTATION POURRA ÊTRE ORGANISÉE SELON LA MÊME PROCÉDURE ET DANS LES MÊMES DÉLAIS. SI LA RÉPONSE EST ENCORE NÉGATIVE, LES PARTENAIRES POLITIQUES SE RÉUNIRONT POUR EXAMINER LA SITUATION AINSI CRÉÉE.

TANT QUE LES CONSULTATIONS N'AURONT PAS ABOUTI À LA NOUVELLE ORGANISATION POLITIQUE PROPOSÉE, L'ORGANISATION POLITIQUE MISE EN PLACE PAR L'ACCORD DE 1998 RESTERA EN VIGUEUR, À SON DERNIER STADE D'ÉVOLUTION, SANS POSSIBILITÉ DE RETOUR EN ARRIÈRE, CETTE “ IRRÉVERSIBILITÉ ” ÉTANT CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIE.

LE RÉSULTAT DE CETTE CONSULTATION S'APPLIQUERA GLOBALEMENT POUR L'ENSEMBLE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. UNE PARTIE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE NE POURRA ACCÉDER SEULE À LA PLEINE SOUVERAINETÉ OU CONSERVER SEULE DES LIENS DIFFÉRENTS AVEC LA FRANCE, AU MOTIF QUE LES RÉSULTATS DE LA CONSULTATION ÉLECTORALE Y AURAIENT ÉTÉ DIFFÉRENTS DU RÉSULTAT GLOBAL.

L'ETAT RECONNAÎT LA VOCATION DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE À BÉNÉFICIER, À LA FIN DE CETTE PÉRIODE, D'UNE COMPLÈTE ÉMANCIPATION.

6.  L’APPLICATION DE L’ACCORD

6.1.  TEXTES

LE GOUVERNEMENT ENGAGERA LA PRÉPARATION DES TEXTES NÉCESSAIRES À LA MISE EN ŒUVRE DE L'ACCORD ET NOTAMMENT DU PROJET DE LOI DE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE EN VUE DE SON ADOPTION AU PARLEMENT. SI CETTE RÉVISION NE POUVAIT ÊTRE MENÉE À BIEN ET SI LES MODIFICATIONS CONSTITUTIONNELLES NÉCESSAIRES À LA MISE EN APPLICATION DES DISPOSITIONS DE L'ACCORD NE POUVAIENT ÊTRE PRISES, LES PARTENAIRES SE RÉUNIRAIENT POUR EN EXAMINER LES CONSÉQUENCES SUR L'ÉQUILIBRE GÉNÉRAL DU PRÉSENT ACCORD.

6.2.  CONSULTATIONS

DES CONSULTATIONS SERONT ORGANISÉES EN NOUVELLE-CALÉDONIE AUPRÈS DES ORGANISATIONS POLITIQUES, COUTUMIÈRES, ÉCONOMIQUES ET SOCIALES SUR L'ACCORD CONCLU, À L'INITIATIVE DES SIGNATAIRES.

6.3.  SCRUTIN DE 1998

UN SCRUTIN SERA ORGANISÉ AVANT LA FIN DE L'ANNÉE 1998 SUR L'ORGANISATION POLITIQUE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE OBJET DU PRÉSENT ACCORD.

LA LOI CONSTITUTIONNELLE POUR LA NOUVELLE-CALÉDONIE PERMETTRA QUE NE CE PRONONCENT QUE LES ÉLECTEURS ADMIS À PARTICIPER AU SCRUTIN PRÉVU À L'ARTICLE 2 DE LA LOI DU 9 NOVEMBRE 1998.

6.4.  ELECTIONS AUX ASSEMBLÉES DE PROVINCE ET AU CONGRÈS

DES ÉLECTIONS AUX ASSEMBLÉES DE PROVINCE ET AU CONGRÈS AURONT LIEU DANS LES SIX MOIS SUIVANT L'ADOPTION DES TEXTES RELATIFS À L'ORGANISATION POLITIQUE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

LES MANDATS DES MEMBRES DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE PRENDRONT FIN À LA DATE DES ÉLECTIONS.

6.5.  COMITÉ DES SIGNATAIRES

UN COMITÉ DES SIGNATAIRES SERA MIS EN PLACE POUR:

–  PRENDRE EN COMPTE LES AVIS QUI SERONT FORMULÉS PAR LES ORGANISMES LOCAUX CONSULTÉS SUR L'ACCORD ;

–  PARTICIPER À LA PRÉPARATION DES TEXTES NÉCESSAIRES POUR LA MISE EN ŒUVRE DE L'ACCORD ;

–  VEILLER AU SUIVI DE L'APPLICATION DE L'ACCORD.

LES DOCUMENTS CI-DESSUS, PRÉAMBULE ET DOCUMENT D'ORIENTATION ONT RECUEILLI L'APPROBATION DES PARTENAIRES DES ACCORDS DE MATIGNON, TRADUISANT LA FIN DE LA NÉGOCIATION QUI S'EST DÉROULÉE EN PRÉSENCE DE M. DOMINIQUE BUR, DÉLÉGUÉ DU GOUVERNEMENT, HAUT-COMMISSAIRE DE LA RÉPUBLIQUE.

A NOUMÉA, LE MARDI 5 MAI 1998.

LE PREMIER MINISTRE,

LIONEL JOSPIN

LE SECRÉTAIRE D’ETAT À L’OUTRE-MER

JEAN-JACK QUEYRANNE

POUR LE FLNKS : POUR LE RPCR :

ROCH WAMYTAN JACQUES LAFLEUR

PAUL NÉAOUTYINE PIERRE FROGIER

CHARLES PIDJOT SIMON LOUECKHOTE

VICTOR TUTUGORO HAROLD MARTIN

JEAN LÈQUES

BERNARD DELADRIÈRE

ANNEXE 2

ÉVOLUTION DES STATUTS ET DES INSTITUTIONS
DU TERRITOIRE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

Date

Statut

Représentant de l’Etat

Exécutif du Territoire

Assemblée délibérante

1853

Possession
coloniale incluse

Gouverneur des Etablissements français du Pacifique (Tahiti)

   

1860

Colonie autonome

Gouverneur

 

Conseil général et
Commission coloniale
(entre les sessions)

1946

Territoire d’outre-mer (Constitution de 1946)

Gouverneur

Gouverneur

Conseil général élu
au suffrage universel

1957

D. 22 juillet 1957

Gouverneur de la
Nouvelle-Calédonie
Chef du Territoire

Conseil de Gouvernement, présidé par le chef
du Territoire

Assemblée territoriale

1963

L. 21 décembre 1963
(loi “ Jacquinot ”)

Gouverneur de la
Nouvelle-Calédonie
Chef du Territoire

Pouvoirs du Conseil
amoindris

Assemblée territoriale

1969

L. 3 janvier 1969 (lois “ Billotte ”)

Gouverneur de la
Nouvelle-Calédonie
Chef du Territoire

 

Pouvoirs de l’Assemblée amoindris

1976

L. 28 décembre 1976
(statut “ Stirn ”)

Haut-Commissaire assisté d’un secrétaire général

Conseil de gouvernement présidé par
le Haut-Commissaire
Vice-Président élu

Pouvoirs de l’Assemblée amoindris

1984

L. 6 septembre 1984 (statut “ Lemoine ”)

Haut-Commissaire assisté d’un secrétaire général

Gouvernement du Territoire Président élu par l’Assemblée territoriale
6 à 9 ministres investis

Assemblée
territoriale

1985

L. 23 août 1985 Ord. 20 septembre 1985 (statut “ Fabius-Pisani ”)

Haut-Commissaire assisté d’un secrétaire général

Haut-Commissaire assisté d’un Conseil exécutif (présidents des Conseils de région et du Congrès)

Congrès formé
par la réunion
des Assemblées de région

1986

L. 17 juillet 1986 (statut “ Pons ” I)

Haut-Commissaire assisté d’un secrétaire général

Haut-Commissaire assisté d’un Conseil exécutif (présidents des Conseils de région et du Congrès)

Congrès formé
par la réunion
des Assemblées de région

1988

L. 22 janvier 1988 (statut “ Pons ” II)

Haut-Commissaire assisté d’un secrétaire général

Conseil exécutif (président et 5 membres élus par le Congrès + présidents de région)

Congrès formé
par la réunion
des Assemblées de région

1988

L. 12 juillet 1988 (administration
directe)

Haut-Commissaire assisté d’un secrétaire général

Haut-Commissaire assisté d’un comité consultatif (mem-bres nommés par décret)

Congrès formé
par la réunion
des Assemblées de région

1988

L. 9 novembre 1988
(loi référendaire)

Haut-Commissaire assisté d’un secrétaire général

Haut-Commissaire assisté d’un comité consultatif (président + un vice-président du Congrès et de chaque province)

Congrès composé
par la réunion de trois
Assemblées de province

Source : Guy AGNIEL, “ L’expérience statutaire de la Nouvelle-Calédonie ”, in Jean-Yves Faberon (dir.), L’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie, La documentation française, 1997, p. 56.

_________________

N°  972.– Rapport de Mme Catherine Tasca (au nom de la commission des lois), sur le projet de loi constitutionnelle (n° 937) relatif à la Nouvelle-Calédonie.

1

) 196.836 habitants lors du recensement du 16 avril 1996 et 164.173 en 1989.

2

) Source : Secrétariat d’Etat à l’outre-mer.

3

) Michel Miaille, “ L’évolution politique de la Nouvelle-Calédonie sous la souveraineté française ” in Jean-Yves Faberon, l’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie, la Documentation française, “ Notes et études documentaires ”, 16 juin 1997, p. 37.

4 ) Claude Deslhiat, “ Nouvelle-Calédonie : 40 ans d’histoire politique ”, Regards sur l’actualité, 1988, p. 10.

5 ) Claude Desthiat, “ Nouvelle-Calédonie : 40 ans d’histoire politique ”, Regards sur l’actualité, 1988, p. 33

6

) La délégation, conduite par Mme Catherine Tasca, présidente de la Commission et rapporteur du présent projet de loi constitutionnelle, était, en outre, constituée de MM. Jacques Brunhes, Dominique Bussereau, François Colcombet, Michel Crépeau, René Dosière et Didier Quentin. Elle était accompagnée par Mme Corinne Luquiens, conseillère à la Commission des lois.