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le 23 juin 1998

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N° 989

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 juin 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'exploration et de l'utilisation de l'espace à des fins pacifiques (ensemble une annexe),

PAR M. MARC REYMANN,

Député

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 398, 421 et T.A. 141 (1997-1998)

Assemblée nationale : 919

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Laurence Dumont, M. René Rouquet, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, Jacques Blanc, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Mme Monique Collange, MM. Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Jacques Desallangre, Paul Dhaille, Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean Espilondo, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Georges Hage, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Claude Lefort, François Léotard, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, MM. Jacques Myard, Dominique Paillé, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, MM. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - UNE COOPÉRATION SPATIALE FRANCO-SOVIÉTIQUE
PUIS FRANCO-RUSSE FRUCTUEUSE
7

A - UNE COOPÉRATION DYNAMIQUE MOTIVÉE PAR DE
FORTS INTÉRÊTS POLITIQUES
7

B - UNE COOPÉRATION COUVRANT TOUTE L'ACTIVITÉ
SPATIALE PACIFIQUE
8

C - LES NOUVELLES APPLICATIONS INDUSTRIELLES ET
COMMERCIALES DE LA COOPÉRATION
9

II - LA PRISE EN COMPTE DES PARAMÈTRES ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS DANS LA COOPÉRATION SPATIALE FRANCO-RUSSE 11

A - L'IMPACT DES CHANGEMENTS EN RUSSIE SUR LA
COOPÉRATION SPATIALE FRANCO-RUSSE
11

1) L'affirmation de l'autorité civile sur les activités spatiales russes 11

2) La prise en compte de l'environnement international 12

3) La prépondérance des activités à caractère industriel et commercial 13

B - LES RÉPONSES DU NOUVEL ACCORD À CES ENJEUX 13

1) La prise en compte des coûts 14

2) Des modalités facilitant les échanges 15

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur un projet de loi adopté par le Sénat, autorisant l'approbation d'un accord signé le 26 novembre 1996 entre la France et la Fédération de Russie dans le domaine de l'exploitation et de l'exploration spatiales.

Cet accord a pour fondement juridique celui, très ancien, du 30 juin 1966, qui a jeté les bases d'une coopération bilatérale dans le domaine spatial et qui fut modifié par le protocole additionnel du 4 juillet 1989. Il s'inscrit dans le cadre plus général de l'accord de coopération scientifique et technologique entre la France et la Russie, signé le 28 juillet 1992 et s'efforce de répondre aux nouveaux besoins engendrés par les changements structurels et les développements technologiques de l'industrie spatiale comme aux évolutions politiques et économiques des deux parties.

Il tend à favoriser les nouvelles applications industrielles et commerciales de la coopération spatiale franco-russe par un cadre juridique mieux adapté aux nouveaux défis que représente l'utilisation de l'espace à des fins pacifiques.

La mise en oeuvre de cet accord technique est subordonnée à l'autorisation du législateur, conformément aux dispositions de l'article 53 de la Constitution car son article 9 exempte de droits et de taxes les marchandises importées de France "pour un lancement effectué dans l'espace extra-atmosphérique à partir de pas de tir utilisé par la Fédération de Russie" et réciproquement.

Votre Rapporteur rappellera les grandes orientations de la coopération spatiale franco-soviétique, puis franco-russe avant d'analyser le présent accord.

I - UNE COOPÉRATION SPATIALE FRANCO-SOVIÉTIQUE
PUIS FRANCO-RUSSE FRUCTUEUSE

A - Une coopération dynamique motivée par de forts intérêts politiques

C'est la visite du général de Gaulle en URSS qui fut le point de départ de la coopération spatiale entre la France et l'Union soviétique. Dans un contexte de rivalité Est-Ouest, celui-ci souhaitait affirmer l'indépendance de la France et entretenir une coopération équilibrée entre les deux pays. L'accord du 30 juin 1966, qui inaugure la coopération franco-soviétique dans le domaine spatial, répondait à ce double souci et permit à la France d'être le premier partenaire occidental de l'Union soviétique dans le domaine spatial.

A mesure que les possibilités de coopération se sont développées, elles ont été traduites par des actes leur conférant une certaine visibilité dans le cadre des relations bilatérales.

Ainsi, le protocole additionnel à l'accord précité de 1966, signé lors de la visite en France de Mikhail Gorbatchev le 4 juillet 1989 qui offrait aux spationautes français la possibilité de participer à des vols habités, ouvrait un nouveau volet industriel et commercial de coopération qui devient prépondérant dans l'accord intergouvernemental du 26 novembre 1996 soumis à ratification.

Cette continuité d'actes de nature politique tout au long de l'histoire de la coopération franco-soviétique, puis franco-russe, confirme qu'en dépit des changements apparus sur la scène internationale ces dernières années, l'espace demeure un enjeu de puissance pour les Etats qui entretiennent l'ambition de jouer un rôle majeur sur la scène internationale. De plus, la coopération avec l'Union Soviétique puis avec la Russie agit comme un contrepoids à la prééminence des Etats-Unis dans ce domaine et garantit un équilibre propice à l'éclosion des activités françaises et européennes. Jusqu'à ces dernière années, cet avantage significatif pour la France l'est devenu également pour la Russie.

Comme l'a observé M. Michel Doubovick, chargé des relations bilatérales avec la Fédération de Russie et les Etats-Unis à la Direction des relations extérieures du Centre national d'études spatiales (CNES), lors de son audition par votre Rapporteur, la coopération spatiale franco-russe bénéficie d'un intérêt constant de la part des pouvoirs politiques russes, tant au niveau de l'exécutif que du législatif. Soucieux d'assurer le développement de cette coopération, la Douma et le Conseil de la Fédération de Russie ont ratifié l'accord intergouvernemental de 1996. Ainsi, la Russie a accompli depuis octobre 1997 les procédures internes nécessaires à l'entrée en vigueur de l'accord, alors qu'en raison de la dissolution, mais surtout de dysfonctionnements administratifs, le projet de loi autorisant l'approbation de cet accord n'a été déposé au Sénat que le 22 avril dernier.

B - Une coopération couvrant toute l'activité spatiale pacifique

Dès ses débuts, la coopération franco-soviétique permit la réalisation de premières dans le cadre international. Aussi, la communauté scientifique française bénéficia-t-elle largement de conditions inégalées pour être directement associée à des missions spatiales d'envergure.

Dès 1967, des actions conjointes étaient menées dans le domaine des sciences de la terre (étude du champ magnétique à l'aide de fusées-sondes, étude, grâce à des instruments placés sur des satellites, de l'interaction entre le vent solaire et la magnétosphère terrestre : expérience ARCADE de 1973, étude en cours du rayonnement de la terre).

En 1970, l'association au programme lunaire soviétique offrit aux laboratoires français, la possibilité de travailler sur des échantillons de roches ramenés sur terre. C'est en 1970 qu'une sonde soviétique emporte pour la première fois des équipements occidentaux (réflecteurs laser) vers la lune pour réaliser des mesures entre la lune et la terre ; en 1972 un premier satellite technologique français (SRET 1) est lancé par une fusée soviétique.

En 1972, l'expérience française SIGNE installée sur un satellite soviétique enregistre pour la première fois une émission gamma-solaire lors d'une éruption, ce qui établit une longue coopération dans ce domaine de l'astronomie et permet à la France d'acquérir une renommée mondiale. La moisson de résultats exceptionnels recueillie par le satellite GRANAT à bord duquel était installé le télescope français SIGMA pour identifier les sources de ces rayonnements gamma, en est la dernière illustration.

Cette capacité à mener des activités ambitieuses en bénéficiant de l'énorme acquis soviétique s'est poursuivie également dans le domaine de la planétologie en participant aux missions VEGA d'étude de Vénus et de la comète de Halley, puis au programme martien avec la mission Mars 96 qui, malheureusement, a échoué lors de son lancement en octobre 1996.

Toutefois, le domaine où les laboratoires français ont sans aucun doute capitalisé une compétence reconnue et impossible sans la coopération franco-soviétique puis franco-russe, est celui des vols habités. Jean-Loup Chrétien sera le premier spationaute occidental à voler avec un équipage soviétique à bord de la station SALYOUT 7 en 1982. Depuis, les vols successifs de cosmonautes français (mission PVH, ARAGATS en 1988, ANTARES en 1992, ALTAIR en 1993, CASSIOPEE en 1996, PEGASE en février 1998) ont permis aux scientifiques français de progresser dans le domaine des neurosciences et de la physiologie cardio-vasculaire. Grâce à l'expérience accumulée lors des missions de vols habités réalisées avec les Russes, les compétences françaises sont maintenant utilisées par la NASA dans la réalisation de la station spatiale internationale.

Outre les activités à caractère scientifique, la France a également été le premier partenaire occidental de l'Union soviétique, puis de la Russie à engager des échanges industriels et commerciaux dans le domaine spatial.

C - Les nouvelles applications industrielles et commerciales de la coopération

Prévue par le protocole additionnel de 1989, à l'accord intergouvernemental, le développement de cet axe de la coopération s'est accéléré à partir de 1992, raison pour laquelle le Centre national d'études spatiales (CNES) avait créé à cette époque une filiale, la société DERSI, destinée à développer les échanges industriels et commerciaux bilatéraux. Depuis la prépondérance de la coopération de nature industrielle et commerciale s'est affirmée.

Les principaux succès franco-russes touchent aux télécommunications : ALCATEL ESPACE et son partenaire russe NPO PM ont remporté en 1996 un appel d'offres EUTELSAT pour la fourniture d'un satellite couvrant la partie occidentale de la Russie. Ce consortium avec le concours de l'AEROSPATIALE a été dernièrement sélectionné pour la fourniture de trois satellites aux télécommunications russes .

Le domaine des lanceurs est également le terrain d'activités conjointes comme en témoigne la création de la société STARSEM pour commercialiser le lanceur russe SOYOUZ. ARIANESPACE et AEROSPATIALE pour la partie européenne, le Groupe SAMARA et l'Agence spatiale russe RKA pour la partie russe, sont les actionnaires de STARSEM. Le marché naissant des petits satellites à lancer en orbite basse ou intermédiaire en complément des lanceurs ARIANE, principalement dans le cadre des projets de constellations liées au multimédia, offre à STARSEM des perspectives de développement intéressantes.

L'observation de la terre par satellite constitue un nouveau volet de la coopération commerciale franco-russe. La France, qui dispose, grâce aux satellites SPOT d'un savoir-faire d'importance peut répondre aux besoins de la Russie. Depuis deux ans, une station de réception près de Moscou reçoit des données issues de SPOT, la mise en place d'une autre station est prévue à Novosibirsk.

II - LA PRISE EN COMPTE DES PARAMÈTRES ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS DANS LA COOPÉRATION SPATIALE
FRANCO-RUSSE

L'attrait de la coopération avec l'URSS a longtemps résidé dans la possibilité d'utiliser des moyens exceptionnels et coûteux mis à la disposition des équipes françaises. Cependant dès que les évolutions politiques et économiques ont remis en question le système soviétique, l'aspect financier est devenu un paramètre prépondérant de la coopération scientifique et technique.

A - L'impact des changements en Russie sur la coopération spatiale franco-russe

Avec 85% du potentiel soviétique, la Russie ne connaît qu'une dépendance cruciale à l'égard des anciennes républiques dans le domaine spatial, celle du site de lancement de Baïkonour pour lequel elle a négocié, avec la République du Kazakhstan, un statut de quasi-extraterritorialité le plaçant sous juridiction russe. Il n'empêche que la disparition de l'URSS a largement accéléré la transformation des activités spatiales qui, désormais gérées par les autorités civiles, s'efforcent d'être plus rentables.

1) L'affirmation de l'autorité civile sur les activités spatiales russes

Dans l'ex-URSS, les activités spatiales étaient intégrées au complexe militaro-industriel, en raison de leur caractère stratégique et de leur prestige. Elles étaient gérées et contrôlées par le Ministère de la Défense, opérateur responsable de l'infrastructure terrestre de lancement et de gestion en orbite des systèmes spatiaux et utilisateur car les lancements étaient, pour la plupart, effectués dans un cadre militaire.

La création de l'Agence spatiale russe (RKA) au début de l'année 1992 a consacré l'extension du pouvoir civil sur les activités spatiales russes. Depuis les prérogatives de cette Agence, dirigée par M. Youri Koptiev, se développent au détriment du pouvoir des militaires. Elle constitue en fait un quasi-ministère, et bénéficie de la confiance des différents acteurs de la vie politique russe, tous attachés au développement des activités spatiales.

La RKA exerce désormais une tutelle administrative et budgétaire sur les 43 sociétés industrielles prépondérantes du secteur spatial. Au cours de l'année 1997, elle obtient la responsabilité technique et programmatique de l'ensemble des programmes spatiaux, y compris militaires. A terme, la totalité du cosmodrome de Baïkonour sera géré par la RKA tandis que celui de Plessetsk demeurerait un site stratégique pour les besoins militaires.

Ainsi l'emprise de la RKA sur les activités spatiales civiles comme son intervention dans le développement et la mise en oeuvre des systèmes dévolus au ministère de la Défense est admise, si les entreprises auxquelles il est fait appel, dépendent de son autorité. La réduction du budget de la Défense et la recherche de débouchés sur les marchés commerciaux, notamment à l'exportation, favorise ce processus.

2) La prise en compte de l'environnement international

La prise en compte plus large de l'environnement international dans la mise en oeuvre de la politique spatiale russe s'est révélée nécessaire pour conforter l'image de super-puissance de la Russie sur le plan international et conférer une rentabilité aux activités spatiales.

L'environnement international influence la politique russe sur le court et moyen terme, et explique le renversement des priorités du programme spatial russe décidé en 1993 en faveur des vols habités et de la station spatiale internationale. La manifestation de règles de bonne conduite, dont les premières ont été l'arrêt du transfert à l'Inde de technologies considérées comme sensibles, et l'adhésion aux règles du régime de contrôle des technologies de missiles, ont conditionné l'institutionnalisation de la coopération américano-russe sous l'égide de la commission Gore-Tchernomyrdine. La signature de l'accord américano-russe, qui a permis le vol d'astronautes américains à bord de la station russe MIR contre 400 millions de dollars et la conclusion de contrats industriels au bénéfice de sociétés russes pour fournir des éléments de la station spatiale internationale, montrent l'ampleur de cette coopération.

La coopération avec les Etats-Unis dans le domaine spatial reste essentielle pour la Russie en raison de l'importance de cette puissance spatiale sur la scène mondiale, mais les agents de la puissance publique russe chargés de cette politique souhaitent ne pas s'enfermer dans une relation univoque. Etablir un contrepoids motive de longue date l'attention portée à la coopération avec l'Europe spatiale et en premier lieu avec la France.

3) La prépondérance des activités à caractère industriel et commercial

Jusqu'à la fin des années quatre-vingts, les activités spatiales bénéficiaient de larges subventions pour pouvoir rivaliser avec les Etats-Unis dans le domaine de la maîtrise technologique.

Mais le développement du marché des produits et services spatiaux et la volonté croissante des dirigeants russes de rechercher une utilité et une efficacité accrues aux investissements budgétaires, ont conduit les acteurs du spatial russe, à vendre leur production car les subventions de l'Etat ne suffisaient plus à couvrir les charges.

Ainsi, les sociétés industrielles dont les produits trouvent des débouchés sont les mieux loties, ce qui est le cas pour les sociétés produisant et exploitant les lanceurs comme la société Khroumithev avec le PROTON, le Centre Samara avec le SOYOUZ, et la société RKK Energia pour la station spatiale MIR qui est la seule à réaliser des vols de longue durée de spationautes dans l'espace.

Le développement des activités spatiales russes est de plus en plus conditionné par la recherche d'un retour conséquent sur investissement. C'est pourquoi, les acteurs industriels veulent pénétrer sur les différents marchés des produits et services spatiaux. Dans le domaine des services de lancement, les sociétés russes s'efforcent de promouvoir leurs fusées qui, du fait de leurs caractéristiques techniques ou de leur coût, sont tantôt des moyens complémentaires tantôt des concurrents sérieux par rapport aux systèmes européens, tels qu'ARIANE IV et ARIANE V. A cet égard, lors de son audition par le Rapporteur, M. Michel Doubovick, de la Direction des Relations extérieures du CNES a souligné que la base spatiale Sea Launch construite par un consortium américano-russe avec la participation de sociétés ukrainiennes et norvégiennes, sera un concurrent sérieux de la base de Kourou. De plus les systèmes automatiques rapides et peu coûteux mis en place pourraient concurrencer Ariane V s'ils fonctionnent correctement.

B - Les réponses du nouvel accord à ces enjeux

L'accord du 26 novembre 1996 modernise le cadre juridique de la coopération spatiale franco-russe et l'adapte au nouvel enjeu que constitue la coopération industrielle et commerciale. Son préambule comme son article premier insiste sur la nécessité de développer un partenariat susceptible de favoriser cette ambition. Les autres dispositions favorisent la rentabilité et facilitent les modalités de la coopération spatiale franco-russe.

1) La prise en compte des coûts

Soucieux d'assurer le développement de la coopération industrielle et commerciale dans le domaine rentable à court et moyen terme des systèmes et services de lancement, l'article 2 de l'accord étend le champ de la coopération spatiale franco-russe à des domaines en mutation, que des nouvelles technologies peuvent bouleverser.

A titre d'exemple, les innovations introduites dans le développement et l'exploitation des constellations de satellites en orbite basse pour les applications liées aux multimédia, renouvellent les conceptions traditionnelles. Il n'est pas impossible qu'elles soient porteuses d'enjeux nouveaux requérant d'autres domaines de coopération.

Comme ce fut le cas précédemment (accord de 1989), le Centre national d'études spatiales (CNES) 11) , établissement public et commercial créé en 1961 est chargé de la mise en oeuvre et du développement des activités spatiales françaises, pour la partie russe, l'Agence spatiale russe (RKA) (1) créée en 1992 est l'homologue du CNES. Les deux institutions sont les "organismes compétents" au sens de l'article 3 de l'accord pour développer et mettre en oeuvre la coopération spatiale. Elles se voient confier un rôle clé dans l'application de l'accord. L'alinéa 3 de cette disposition prévoit la possibilité d'effectuer certains projets avec des transferts de fonds, ce qui prend clairement en compte les évolutions décrites. En effet, la mutation de la coopération sans échanges de fonds, en une coopération où les prestations sont facturées, a débuté avec les vols habités communs du début des années 90. Depuis, les différentes missions franco-russes ont été l'objet d'accords ayant une forme contractuelle. Les engagements financiers sont de l'ordre de 80 millions de francs pour un vol de trois semaines à bord de la station MIR.

Dans le contexte actuel, la coopération n'a de chance d'être menée à son terme que dans la mesure où elle se solde par des recettes. La réalisation d'expériences en micropesanteur à bord de capsules récupérables PHOTON, moyen d'expérimentation unique au monde, fait l'objet de contrats qui prévoient que le CNES paye un "ticket de vol" comme pour des services de lancement de satellites. Aussi, la part la plus dynamique de la coopération spatiale franco-russe est-elle actuellement constituée par les initiatives industrielles et commerciales.

L'approbation des axes de coopération est du ressort d'un accord marquant l'intérêt de la puissance tutélaire russe, en l'occurrence la RKA. La définition précise des projets et des modalités de leur réalisation est renvoyée à des engagements contractuels conclus au niveau des entités russes directement impliquées. C'est pourquoi l'article 4 de l'accord formalise le rôle de promoteur des actions de coopération du CNES et de la RKA auprès des entreprises industrielles et commerciales.

Pour que la coopération spatiale soit stimulée dans ses aspects industriels et commerciaux, l'article 9-1 de l'accord prévoit une exonération douanière de tous droits et taxes sur les marchandises importées de France pour un lancement effectué à partir de pas de tir russe et réciproquement. Cette exemption est conforme au droit commun issu de la réglementation communautaire et son application est primordiale dans la période actuelle afin que les exportations françaises en Russie ne soient pas lourdement taxées. C'est la raison pour laquelle l'entrée en vigueur de cet accord revêt un intérêt considérable dans la conjoncture actuelle.

En effet, actuellement, l'importation par STARSEM des équipements nécessaires pour les opérations de lancement à Baïkonour est soumise à des prélèvements fiscaux de l'ordre de 40% des montants. Les systèmes techniques produits par AEROSPATIALE pour le compte de STARSEM, importés en Russie et destinés à améliorer la compatibilité du lanceur SOYUZ avec les demandes du marché, sont frappés des mêmes surcoûts en l'absence de l'application de l'accord franco-russe. Dans le même temps, la société russo-américaine ILS, commercialisant le lanceur PROTON concurrent d'ARIANE, bénéficie des conditions d'exonération prévues dans le cadre des accords russo-américains, ce qui est préjudiciable aux intérêts français et européens, et milite largement pour la ratification de l'accord.

Le protocole additionnel mentionné à l'article 9-2 est en cours de négociation. Il devrait traiter des marchandises provenant d'un pays tiers et importées en France ou en Russie pour un lancement à partir d'un pas de tir utilisé par l'un ou l'autre pays.

2) Des modalités facilitant les échanges

Le CNES et la RKA se voient confier la mission de faciliter les échanges de personnels (article 10). Il s'agit de favoriser les missions de spécialistes russes en France et réciproquement. Une mission franco-russe dans le domaine des vols habités implique la présence permanente en Russie de deux spationautes français pour une période d'un an à un an et demi avant la mission et l'envoi d'une soixantaine de spécialistes français dans ce laps de temps pour une durée moyenne de deux jours, sur le site de lancement de Baïkonour ou dans d'autres lieux. Réciproquement, la préparation d'une telle mission nécessite en moyenne la venue en France de 70 à 100 spécialistes russes. Près de 200 spécialistes russes ont été accueillis en France en 1997 sur invitation du CNES.

Le CNES et son homologue doivent également faciliter la circulation des informations relatives aux programmes communs et garantir l'accès aux résultats, tout en veillant à protéger les droits de propriété intellectuelle des chercheurs (article 6, 7 de l'accord et annexe sur la propriété intellectuelle). Sont ainsi protégés par des droits de propriété intellectuelle, le brevet d'invention, la marque de fabrique de commerce et de service, les dessins et modèles industriels, les droits d'auteur dans lesquels sont inclus les logiciels.

Compte tenu du manque de stabilité de la Russie, cette protection, assez délicate à garantir, paraît répondre convenablement aux exigences françaises. Elle est organisée par des "accords ou contrats spécifiques". Aux termes du paragraphe 4 de la section 2 de l'annexe précitée, quand un objet de propriété intellectuelle ne peut être protégé par la législation de l'Etat de l'une des Parties, celle dont la législation prévoit la protection l'effectue sur son territoire. De ce fait, les scientifiques français se trouvent protégés. Plusieurs accords privés entre industriels des deux parties ont été conclus selon cette norme : notamment entre l'AÉROSPATIALE, ALCATEL ESPACE et NPOPM pour les satellites.

S'agissant des droits d'auteur sur les logiciels développés dans le cadre de la coopération, les Russes choisissent généralement de laisser la partie française effectuer les dépôts de brevet en demandant à en être copropriétaires.

CONCLUSION

L'Assemblée nationale se doit d'autoriser l'approbation de l'accord franco-russe de coopération dans le domaine de l'exploration et de l'utilisation de l'espace à des fins pacifiques pour trois raisons majeures.

Il renforce la coopération spatiale entre la France et la Russie, élément important des relations bilatérales entre ces deux pays, qui en tirent des avantages mutuels conséquents.

Il contribue à accroître la compétitivité des entreprises françaises grâce aux exonérations douanières réciproques qu'il met en oeuvre.

Il permet au niveau international de contrebalancer la prééminence américaine et d'assurer l'émergence d'un pôle spatial européen à laquelle la France est très attachée.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi, sur le rapport de M. Charles Ehrmann, suppléant M. Marc Reymann, empêché, au cours de sa réunion du mercredi 17 juin 1998.

Après l’exposé du Rapporteur, M. René André s'est inquiété de la concurrence que constituera, pour le centre de lancement de Kourou, la base spatiale flottante Sea Launch financée par un consortium rassemblant Américains, Norvégiens, Russes et Ukrainiens.

M. Charles Ehrmann a expliqué que l'existence de ce projet, concurrent très sérieux de la base de Kourou selon le CNES, justifiait pleinement le développement de la coopération bilatérale franco-russe.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 919).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 919).

N° 989.- Rapport de M. Marc Reymann (au nom de la commission des affaires étrangères), sur le projet de loi, adopté par le Sénat (n° 919), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'exploration et de l'utilisation de l'espace à des fins pacifiques (ensemble une annexe).

1 1) Une fiche technique détaillée sur ces deux organismes transmise par le Gouvernement pour l'information des parlementaires figure en annexe 1 et 2 du Rapport du Sénat n° 421 (1997-1998) sur le présent projet de loi