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N° 1209

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 novembre 1998.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE(n° 1072), modifiant l'article 88-2 de la Constitution ,

PAR M. MICHEL VAUZELLE,

Député

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Union européenne

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, MM. Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Jacques Desallangre, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean Espilondo, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, M.  Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - UNE RÉVISION TRANQUILLE 7

A - UNE SAISINE ATTENDUE 7

B - UNE DÉCISION D'INCONSTITUTIONNALITÉ PARTIELLE
    ET SANS SURPRISE
8

C - UNE RÉVISION MINIMALE : UN CHOIX JUDICIEUX 12

1) Le choix d'une procédure tranquille 12

2) Elargir la révision à des sujets autres qu'européens ? 13

3) Donner à la Constitution une capacité d'adaptation
    à l'égard de l'Europe ? 15

II - VERS UN NOUVEAU CONTRAT FRANCO-EUROPÉEN 19

A - AMSTERDAM : DES AVANCÉES QUI VALENT
    L'EFFORT D'UNE RÉVISION
19

B - LES PRÉTENDUS ABANDONS DE SOUVERAINETÉ :
    UN FAUX DÉBAT TOUJOURS RECOMMENCÉ
23

C - UNE DOUBLE EXIGENCE EN MATIÈRE INSTITUTIONNELLE 26

CONCLUSION 29

EXAMEN EN COMMISSION 31

Mesdames, Messieurs,

La Commission des Affaires étrangères a, par lettre de son Président en date du 2 octobre 1998, informé le Président de notre Assemblée de son souhait de se saisir pour avis du projet de loi modifiant l'article 88-2 de la Constitution.

La matière de la révision proposée, - le transfert de compétences aux institutions européennes dans le domaine de l'entrée et du séjour des étrangers ainsi que de l'asile - et la nature même du texte justifient à l'évidence la compétence au fond de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, fixée par l'article 36 du Règlement de notre Assemblée.

La saisine pour avis de la Commission des Affaires étrangères ne répond à aucune obligation juridique. Aurait-on pu envisager que la Commission restât muette sur une révision qualifiée par M. Pierre Moscovici de "minimale", destinée à permettre la ratification d'un traité jugé "technique" ?

Même si le fond du Traité dit d'Amsterdam fera l'objet d'un débat spécifique à l'occasion de l'examen du projet de loi autorisant sa ratification il a semblé à la Commission des Affaires étrangères qu'un certain nombre de considérations politiques devaient être évoquées dès le débat sur la révision constitutionnelle.

Certaines sont liées au processus de révision lui-même.

La sérénité qui a entouré la saisine du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 54 incite tout d'abord à s'interroger sur la place de ce mécanisme dans le processus de ratification des traités, en particulier des traités européens. Ensuite on ne saurait évoquer la décision du Conseil constitutionnel sans analyser la part de loin la plus importante, c'est-à-dire les dispositions du Traité expressément validées. Par ailleurs, s'agissant d'une révision constitutionnelle relative aux questions de séjour et de circulation des personnes, on se doit évidemment de s'interroger sur le caractère nécessaire d'une compétence européenne, et a fortiori communautaire, dans ce domaine. Enfin, notre Commission ne peut rester silencieuse sur le champ de la révision dès lors que l'on touche au domaine des relations internationales.

D'autres considérations tiennent à l'évolution du cadre européen que permettra la révision constitutionnelle, et à celle du rôle que la France peut y jouer.

Outre les interrogations que l'on peut avoir sur l'utilité d'opérer une révision constitutionnelle pour permettre la ratification d'un traité souvent décrié, il a semblé à votre Rapporteur nécessaire de réfléchir sur le nouvel équilibre qu'instaurerait l'achèvement de ce processus.

Cette révision serait selon certains la première étape d'un "nouvel abandon de souveraineté". Tel n'est pas l'avis de votre Rapporteur et telle n'est pas la réalité.

En revanche, les transferts de compétences touchent à des matières toujours plus nombreuses et rend nécessaires certaines adaptations institutionnelles au plan national, mais aussi européen.

Tels sont les principaux points qui ont justifié aux yeux de la Commission des Affaires étrangères l'élaboration du présent avis.

I - UNE RÉVISION TRANQUILLE

La saisine du Conseil constitutionnel opérée le 4 décembre 1997, conjointement par le Président de la République et le Premier ministre, n'aura guère suscité d'émotion ou de surprise. N'en ont pas davantage provoqué la décision d'inconstitutionnalité partielle du Traité d'Amsterdam prononcée par le Conseil et le projet de révision préparé par le Gouvernement épousant étroitement les contours de cette décision.

Seuls la procédure et le champ de la révision peuvent susciter certaines passions, contre lesquelles la sagesse des options retenues nous garantit heureusement. Cette mesure ne doit cependant pas exclure la nécessaire réflexion sur le contrôle parlementaire en matière de politique extérieure.

A - Une saisine attendue

La saisine du Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de la nouvelle étape de la construction européenne que constitue le Traité d'Amsterdam était prévisible. L'avis rendu par la Commission des Affaires étrangères le 30 avril 1992 sur le projet de révision constitutionnelle préalable à la ratification du Traité sur l’Union européenne relevait ainsi : "il paraît probable qu'une nouvelle révision constitutionnelle risque d'être nécessaire après 1996".

Les avancées - certes inégales selon les domaines - réalisées dans le cadre de la Conférence intergouvernementale ont de fait paru suffisantes pour créer des doutes sur la totale compatibilité entre les deux normes. Les conditions dans lesquelles ces doutes ont été levés (ou confirmés pour certains) apparaissent satisfaisantes.

Le caractère conjoint de la saisine du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 54 de la Constitution illustre la double parenté politique du Traité d'Amsterdam. Les dispositions en ont pour l'essentiel été négociées par le précédent Gouvernement. Le Gouvernement actuel, issu du changement de majorité de juin 1997, soucieux du respect de la parole internationale de la France, a été conduit à signer, le 2 octobre 1997, le projet ainsi préparé, à en accepter les termes, tout en faisant valoir, hors du texte du traité lui-même, un certain nombre d'inflexions.

Cette saisine, par son caractère conjoint, ne pouvait donc être interprétée comme un geste de défiance politique ou une manoeuvre de politique intérieure.

Elle n'a eu pour but que la levée de tout doute sur la conformité du Traité d'Amsterdam à la Constitution. Alors que rien ne le rendait juridiquement nécessaire à ce stade, cet examen à titre préventif s'est déroulé dans un climat plus serein qu'il ne l'aurait été s'il avait dû être effectué lors d'une saisine du Conseil constitutionnel, en vertu de l'article 61 de la Constitution, sur la loi autorisant ratification du Traité.

Son annonce - comme ses résultats - a été accueillie avec calme. Nul n'y a vu une remise en cause du fond du Traité, de son contenu politique. On peut d'ailleurs noter qu'il n'y a pas eu, en dépit de la possibilité ouverte par la révision de l'article 54 de la Constitution effectuée en 1992, de saisine du Conseil constitutionnel d'origine parlementaire.

Consensuelle, fondée sur des préoccupations juridiques, la saisine à titre préventif du Conseil constitutionnel sur la conformité des Traités européens à la Constitution semble désormais s'apparenter à une étape "normale", à une figure imposée du processus de ratification de ceux-ci.

B - Une décision d'inconstitutionnalité partielle et sans surprise

Le texte qui nous est soumis aujourd'hui fait évidemment par sa nature ressortir les points du Traité d'Amsterdam en contradiction avec les dispositions de notre Constitution. On ne peut pour autant négliger l'avant-dernier considérant de la décision selon lequel :

"aucune des autres dispositions de l'engagement international soumis au Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'est contraire à celle-ci (...)" .

Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conforme à la Constitution l'essentiel des articles du Traité, puisque seuls trois d'entre eux entrent partiellement en contradiction avec la Constitution. Ont ainsi été jugées constitutionnelles certaines dispositions qui semblaient pouvoir poser difficulté.

A par exemple été mis en avant, de façon souvent provocatrice, l'article F1 du Traité. Cet article vise, notamment dans la perspective de l'élargissement, à conforter, garantir le caractère démocratique de l'Union européenne en prévoyant, en cas de violation grave et persistante des principes de liberté, de démocratie et de respect des droits de l'Homme par un Etat-membre de l'Union, la possibilité d'adopter des sanctions à son encontre. Celles-ci peuvent aller jusqu'à la suspension de ses droits de vote au sein du Conseil, l'Etat restant en revanche soumis au respect de l'ensemble de ses obligations.

Il convient de relever que, si la sanction peut être adoptée à la majorité qualifiée - sans même tenir compte du vote de l'Etat concerné - le constat de la violation doit en revanche être fait à l'unanimité par le Conseil réuni au plus haut niveau, après avis du Parlement européen et présentation de sa défense par l'Etat mis en cause. On n'a donc pas à craindre une mise au ban autoritaire d'un Etat de l'Union européenne par les autres. Telle est sans doute d'ailleurs la première raison - procédurale - pour laquelle le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire à cet article.

La seconde raison - de fond - est que cet article vise au renforcement des droits et garanties dont le respect est déjà partie intégrante de notre Constitution. Ne serait-il pas paradoxal que la France déclare contraire à sa Constitution un article en faveur des libertés et droits fondamentaux ?

Pouvaient également être regardées avec circonspection les modifications apportées au titre V du Traité sur l'Union européenne relatif à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Les avancées dans ce domaine ne sont pas telles que l'on a pu les espérer avant la Conférence intergouvernementale de 1996, puisque notre Commission avait vu en 1992 dans les progrès de la PESC l'un des motifs les plus probables de nouvelle révision constitutionnelle. Or, le Conseil constitutionnel n'a jugé inconstitutionnel aucun des progrès introduits dans ce domaine par le Traité d'Amsterdam.

Ainsi, l'élargissement du champ des décisions prises à la majorité qualifiée ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dès lors qu'il ne concerne que des mesures d'application de décisions adoptées à l'unanimité. Il ne justifie donc pas de modification de la position arrêtée par le Conseil constitutionnel sur l'article J 3-2 lors de l'examen du Traité sur l'Union européenne.

En outre, le Traité d'Amsterdam prévoit (à l'article J 13) la possibilité pour un Etat de s'opposer à la prise d'une décision à la majorité qualifiée "pour des raisons de politique nationale importante".

Quant à l'article J 14 du même Traité qui confie au Conseil la possibilité d'autoriser, à l'unanimité, la Présidence à engager des négociations internationales dans les domaines des deuxième et troisième piliers, il ne remet pas en cause le droit des Etats à lier l'entrée en vigueur d'un accord ainsi conclu au respect des procédures nationales. Il ne porte donc pas atteinte au droit du Parlement d'autoriser la ratification des traités entrant dans le champ de l'article 53 de la Constitution.

Les modifications apportées au titre VI du Traité sur l'Union européenne méritaient également d'être analysées du point de vue de leur conformité à la Constitution.

Elles autorisent en effet les Etats, afin de parvenir à un rapprochement des dispositions nationales et à la fixation de normes minimales en matière pénale, à adopter des "décisions-cadres". Celles-ci lient les Etats quant aux résultats à atteindre ; la liberté qui leur est laissée quant à la forme et aux moyens renforce l'idée de "directives du troisième pilier". L'unanimité requise pour l'adoption de ces décisions-cadres n'en laissait pas moins planer un doute sur leur constitutionnalité : le domaine, à l'évidence de nature législative, faisait jusque-là l'objet d'une coopération intergouvernementale prenant la forme de conventions soumises aux procédures nationales de ratification. Pouvait-on priver le législateur d'une compétence qui lui était expressément dévolue par la Constitution de 1958 ?

Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il ne s'agissait pas exactement de privation d'une juste compétence, en se fondant vraisemblablement sur le fait que ces décisions sont "dépourvues d'effet direct" et que leur transposition dans l'ordre interne découlera nécessairement d'une loi, elle-même soumise à contrôle de constitutionnalité.

Enfin, le Conseil constitutionnel a délivré un brevet de conformité à un sujet particulièrement sensible pour la France. L'Espagne, dans le but de ne plus voir les demandes d'extradition qu'elle formulait auprès de ses partenaires de l'Union européenne à l'encontre d'auteurs présumés - ou avérés - d'actes terroristes réduites à néant par l'octroi de l'asile politique à ceux-ci, a obtenu que soit annexé au Traité d'Amsterdam un "protocole sur le droit d'asile pour les ressortissants des Etats-membres de l'Union européenne". Il pose comme principe que les Etats-membres de l'Union sont "sûrs" : dès lors, l'examen d'une demande d'asile d'un ressortissant de l'Union européenne par un autre des Quinze n'est prévu en principe que dans une liste de cas précis et limitative.

Toutefois, un Etat peut toujours procéder à cet examen et conserve son plein pouvoir de décision : l'article 53-1 introduit dans la Constitution le 25 novembre 1993 n'est par conséquent en rien remis en cause par ce Protocole.

La déclaration d'inconstitutionnalité partielle rendue par le Conseil sur le Traité d'Amsterdam présente donc un caractère limité et porte de manière attendue sur le seul titre III A inséré par le Traité d'Amsterdam dans le Traité instituant la Communauté européenne, relatif aux visas, à l'immigration, à l'asile et aux autres politiques relatives à la circulation des personnes. Sans entrer de manière trop précise dans l'analyse de ces dispositions qui relève de la Commission des Lois, on en rappellera la teneur générale.

Pendant cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du Traité, les politiques relatives à la circulation des personnes continueront d'être régies par des décisions prises à l'unanimité. Mais, à l'issue de cette période, sur décision du Conseil prise à l'unanimité, celui-ci pourrait se voir habilité à prendre des décisions selon la procédure de codécision (article 189 B du Traité instituant la Communauté européenne) sur tout ou partie de ces matières. Sur certains points précis - conditions de délivrance des visas de court séjour et règles applicables en matière de visa uniforme - le passage à la codécision sera même automatique.

Sur ce dernier point, la rédaction extrêmement précise de l'article 88-2 de la Constitution, adopté le 25 juin 1992, ne laisse aucun doute quant à l'inconstitutionnalité des dispositions du Traité d'Amsterdam : la rédaction de l'époque est à l'évidence dépassée. Le Conseil a jugé que l'application de la procédure de codécision et le recours à la majorité qualifiée -constitutionnels dans leur principe - dans des domaines relevant de la souveraineté nationale étaient susceptibles de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de celle-ci.

Bref, le Conseil n'a critiqué qu'un faible nombre de dispositions du Traité d'Amsterdam et confirmé la constitutionnalité des autres. Sa décision n'a donc provoqué que peu de réactions et n'a guère fourni d'arguments aux opposants au Traité.

Une révision constitutionnelle ne s'en impose pas moins. Les considérations précédemment évoquées plaident pour une révision "mesurée", pour ainsi dire "minimale". Pourtant, la question de sa forme et de son champ donne matière à débat.

C - Une révision minimale : un choix judicieux

1) Le choix d'une procédure tranquille

Deux procédures sont envisageables pour mener à terme le processus de ratification du Traité d'Amsterdam.

La première étape est commune aux deux procédures. Il s'agit de la soumission à chacune des deux Assemblées d'un projet de loi de révision constitutionnelle visant à mettre fin à l'incompatibilité partielle entre Traité et Constitution : tel est le stade où nous en sommes aujourd'hui.

Après l'accord des deux Assemblées sur un même texte, le Président de la République aura le choix entre une procédure exclusivement parlementaire (réunion des deux Assemblées en Congrès pour approbation définitive du projet de révision) ou le recours au référendum. Certains appellent de leurs voeux cette seconde solution.

D'aucuns l'ont fait pour des motifs louables, même si leur demande trahit une certaine confusion entre les diverses étapes de la construction européenne.

Une loi référendaire autorisant la ratification du Traité d'Amsterdam - et a fortiori un référendum visant simplement à achever la procédure de révision constitutionnelle préalable à la ratification - ne constitue pas une réponse adaptée aux interrogations légitimes sur le sens de la construction européenne et n'est pas un moyen de promouvoir les inflexions nécessaires.

Le processus de révision-ratification d'Amsterdam ne peut pas être l'occasion de rouvrir le débat sur l'euro et la participation de la France à son lancement. La question a été réglée quant à son principe par le référendum relatif au Traité sur l'Union européenne, les modalités en ont été arrêtées par le Conseil européen les 2 et 3 mai dernier. Le passage à l'euro a en outre fait l'objet d'un large débat parlementaire. L'euro sera une réalité quotidienne à compter du 1er janvier prochain. Nous en constatons déjà aujourd'hui les bienfaits face aux turbulences financières internationales. Ce n'est certes pas par idéologie que le gouvernement britannique vient de présenter un plan de transition du Royaume-Uni vers l'euro, mais parce qu'il en perçoit bien l'intérêt. Enfin, le Traité d'Amsterdam ne comporte aucune disposition nouvelle sur la monnaie unique ou la discipline financière des Etats-membres.

Pour des raisons de calendrier comme de fond, faire de la ratification du Traité d'Amsterdam un référendum pour ou contre une Europe prétendument libérale serait donc un anachronisme, pire un contresens historique (d'autant que le Traité fait de l'emploi l'une des politiques de la Communauté et qu'il fait référence de manière inédite à des notions comme le développement durable et le service public).

Un référendum paraîtrait en outre disproportionné s'agissant d'un Traité dont on a souvent déploré les insuffisances et les avancées politiques peu convaincantes. La procédure de la Conférence intergouvernementale - la CIG - a accouché au terme de mois de négociations entre experts d'un texte "modeste" selon le mot de Jack Lang, dont le Président de la République lui-même disait, au sortir du Conseil européen d'Amsterdam, qu'il ne lui semblait "pas être d'une importance telle qu'il justifie le recours au référendum". Pierre Moscovici, ministre délégué en charge des Affaires européennes, n'exprimait pas d'autre sentiment en soulignant que la voie parlementaire semblait la mieux adaptée à des "questions extraordinairement techniques".

Cependant, des voix opposées à la construction européenne continuent de s'élever pour réclamer un référendum, espérant en faire une consultation globale sur l'Europe et placer au centre de celle-ci des sujets de nature à éveiller les passions, transformer en consultation sur l'immigration et la nationalité, avec les dérives démagogiques possibles que l'on sait, le recours au peuple.

Votre Rapporteur estime que la révision proposée par le Gouvernement ne mérite ni l'honneur d'un référendum ni l'indignité d'un détournement de celui-ci. Selon l'aveu même de Pierre Moscovici, il s'agit d'une "révision minimale".

Cependant, on doit à l'honnêteté de reconnaître que ce caractère minimal prête à débat et qu'il fait l'objet d'interrogations légitimes.

2) Elargir la révision à des sujets autres qu'européens ?

La Commission des Affaires étrangères s'est longuement interrogée sur ce point. Ne fallait-il pas profiter d'une révision liée aux obligations internationales de la France pour réfléchir aux modalités du contrôle parlementaire sur celles-ci ?

Plusieurs pistes s'ouvraient ainsi.

L'actualité internationale fournit malheureusement d'incessantes occasions de s'interroger sur le contrôle parlementaire à mettre en place sur les opérations militaires menées à l'étranger par des troupes françaises. La Commission de la Défense nationale a d'ailleurs engagé une réflexion sur ce point.

De même, il est permis de s'interroger sur le contrôle de l'action gouvernementale opérée par le Parlement en vertu de l'article 53 : ne faudrait-il pas rendre le champ d'application de cet article plus précis ? Les délais de soumission des traités devant faire l'objet d'une autorisation de ratification par le Parlement ne rendent-ils pas ce contrôle parfois purement formel ?

Un troisième sujet de réflexion nous semble découler de la révision constitutionnelle de 1992. On se souvient que le Conseil constitutionnel a interdit dès 1959 la pratique des résolutions parlementaires l'estimant contraire à la Constitution. L'article 88-4 introduit dans la Constitution en 1992 a rendu au Parlement cette possibilité, s'agissant des actes communautaires à caractère législatif.

La mise en oeuvre de cet article 88-4 n'a pourtant pas provoqué de bouleversement de l'équilibre institutionnel et a, au contraire, pu dans certains cas servir le gouvernement dans les négociations européennes. Dès lors, le vote de résolutions en matière de politique internationale ne serait-il pas de nature à améliorer le contrôle du Parlement sur la conclusion de traités qu'il n'est, de façon compréhensible, pas autorisé à amender ?

On voit que les questions sont nombreuses, sérieuses et de nature à modifier l'équilibre de nos institutions. Dès lors, il n'a pas semblé opportun de profiter de la présente révision pour les mettre en débat. Un tel exercice ne peut en effet être mené de manière accessoire. Il impose une réflexion approfondie et suppose l'accord de l'ensemble des acteurs concernés, Parlement, Gouvernement et Président de la République, soit un accord particulièrement délicat en période de cohabitation.

Cette large concertation et les délais de réflexion qu'elle implique sont incompatibles avec un calendrier de ratification extrêmement serré. En effet, s'il a semblé inopportun de faire coïncider le débat sur l'euro du printemps dernier avec la ratification du Traité d'Amsterdam, il paraît encore moins opportun de provoquer des interférences entre celle-ci et la campagne des élections européennes. Par ailleurs, la France est désormais l'un des derniers pays à ne pas avoir ratifié un traité dont les insuffisances ne doivent pas masquer l'utilité. Notre intérêt à tous réside dans une entrée en vigueur rapide du Traité d'Amsterdam.

Il a donc semblé plus sage de conserver à la révision sa cohérence, de la limiter aux questions européennes. C'est également dans cet esprit que le Gouvernement n'a pas souhaité, contrairement à ce qui avait paru un temps envisageable, joindre à la présente révision constitutionnelle d'autres thèmes : parité hommes/femmes, indépendance du Parquet, cumul des fonctions.

Cependant, notre Commission n'a pas renoncé à son désir d'améliorer le contrôle du Parlement sur la politique extérieure et a, à cette fin, entamé une étude sur la pratique de ce contrôle par les parlements étrangers.

Par ailleurs, la limitation du champ de la révision aux questions européennes n'épuise pas les interrogations sur celui-ci

3) Donner à la Constitution une "capacité d'adaptation" à l'égard de l'Europe ?

La rédaction "datée" de la loi constitutionnelle de 1992 a rendu inévitable une nouvelle révision six ans plus tard alors même que le Traité d'Amsterdam n'était que la suite du Traité sur l’Union européenne, son application pour ainsi dire dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. A nouveau, le Gouvernement a choisi de mentionner dans la rédaction de l'article 88-2 qui nous est proposée le texte précis appelant des transferts de compétences au profit des institutions européennes.

Une nouvelle révision constitutionnelle s'imposera donc dès lors que la construction européenne accomplira un pas supplémentaire suffisamment significatif, par exemple dans le domaine de la PESC ou dans celui de la réforme des institutions (d'ores et déjà explicitement prévue par le Traité dans la perspective du prochain élargissement).

Ne pouvait-on envisager d'anticiper sur cette révision nécessaire afin d'éviter la répétition trop fréquente des modifications de la Constitution, de nature à affaiblir son rôle de norme fondamentale ?

Certains de nos partenaires de l'Union ont fait ce choix : Allemagne, Portugal, Espagne notamment.

Il convient de relever qu'aucune des dispositions nationales prévoyant de larges transferts de compétences au profit des institutions européennes n'équivaut à un blanc-seing, à un total dessaisissement des Etats, à la transformation de l'Union en un pouvoir constituant.

Ainsi, l'article 34 de la Constitution belge prévoit que : "L'exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit international public". Le Conseil d'Etat belge n'en a pas moins jugé - en dépit de cette délégation large - que la Constitution devait être révisée dans la perspective de l'approbation du Traité sur l’Union européenne.

De même, la "clause d'intégration" espagnole n'a pas paru au juge constitutionnel suffisante pour permettre de façon implicite la révision constitutionnelle imposée par le Traité sur l’Union européenne. Il a fallu pour cela le vote de la révision constitutionnelle du 27 août 1992.

Même le Portugal maintient dans le sixième alinéa de l'article 7 de sa Constitution introduit lors de la révision de 1992 un certain nombre de limites : réserve de réciprocité, respect de la subsidiarité, objectif de renforcement de la cohésion économique et sociale, mise en commun et non transfert de pouvoirs. Le manquement à ces limites imposerait une nouvelle révision constitutionnelle ou interdirait la ratification du Traité.

L'exemple le plus intéressant est celui de l'Allemagne. Le nouvel article 23 de la Loi fondamentale a parfois été présenté comme un modèle de clause d'intégration. De fait, outre le nécessaire respect par l'Union des libertés et droits fondamentaux, les transferts de compétences au profit de l'Union considérés comme changement de la loi fondamentale doivent recueillir l'accord de chacune des deux Chambres, à la majorité des deux tiers. Or, le Tribunal constitutionnel fédéral considère tout transfert de compétence comme une modification de la loi fondamentale. Tout progrès important de la construction européenne appelle donc une approbation dans des formes comparables à une révision constitutionnelle.

Toutes les "clauses d'intégration" permettent des adaptations mineures ou des interprétations des dispositions constitutionnelles favorables à la construction européenne. Mais, de fait, soit par les limites textuelles, soit en raison de restrictions jurisprudentielles, les transferts de compétences importantes continuent de faire l'objet de révisions constitutionnelles explicites ou implicites (mais soumises dans ce dernier cas à des contraintes de procédures comparables).

Elles ont donc surtout une valeur d'engagement politique en faveur de l'Europe. Le fait que l'article "européen" de la loi fondamentale allemande ait été inséré dans celle-ci à la place de l'ancien article sur l'unification allemande est de ce point de vue extrêmement symbolique.

On peut s'interroger : la France n'aurait-elle pas dû adopter un tel type d'engagement politique ? Il semble à votre Rapporteur que la timidité du Traité conclu à Amsterdam ne plaide guère en faveur d'une démarche aussi symbolique. Il lui paraît en outre nécessaire de ne pas risquer ce que le Président de la République a appelé "des transferts de souveraineté subrepticement arrachés", et de conserver un verrou constitutionnel contraignant.

II - VERS UN NOUVEAU CONTRAT FRANCO-EUROPÉEN

La révision constitutionnelle proposée est l'adaptation minimale d'un traité qui ne l'est pas moins. Si cette double modestie permet d'opérer sans difficultés la révision nécessaire de notre Constitution, elle n'exclut pas pour autant de nourrir des ambitions pour l'évolution future du cadre européen.

Pour minimale qu'elle soit, cette révision est non seulement imposée mais souhaitable. Les avancées d'Amsterdam sont insuffisantes mais réelles, et ne doivent pas être sacrifiées, comme le souhaiteraient certains contempteurs de l’Union européenne, dans une fausse querelle autour de la notion de souveraineté. L'évolution de celle-ci implique en revanche des adaptations institutionnelles.

A - Amsterdam : des avancées qui valent l'effort d'une révision

Votre Rapporteur ne se livrera pas ici à une analyse détaillée des dispositions du Traité d'Amsterdam, de ses insuffisances réelles ou supposées, mais se contentera d'un bref exposé des raisons qu'il fournit de procéder à une révision de la Constitution. La dissection du Traité trouvera sa place dans le débat sur la loi autorisant sa ratification.

Le domaine de la Justice et des Affaires intérieures, au coeur du présent projet de révision, a également été au centre des négociations menées au sein de la Conférence intergouvernementale. Il n'est donc guère surprenant qu'il ait donné lieu à quelques-unes des avancées majeures du Traité d'Amsterdam.

Rien que sur ce plan, la révision constitutionnelle se justifie.

Depuis les premières ébauches de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure (on n'évoquera que pour mémoire les groupes TREVI ou Pompidou), les progrès accomplis ont été considérables : Schengen, la levée des contrôles fixes aux frontières intérieures de la plupart des pays de l'Union, le renforcement constant de la coopération en matière de terrorisme ou de lutte contre la drogue, ou encore la simplification des procédures d'extradition.

Que l'on songe aux réactions indignées qu'aurait provoquées il y a vingt ans la possibilité donnée aux policiers et magistrats d'Etats-membres différents de communiquer directement, de se transmettre des dossiers et de se relayer dans des procédures sans passer par le canal diplomatique ou la voie d'Interpol. En dépit de son utilité, ce dernier organisme illustre bien le décalage croissant entre les procédures classiques de coopération de police et de justice et la promptitude de réaction qu'implique la liberté de circulation des personnes, objectif de la construction européenne depuis l'adoption de l'article 7A de l'Acte Unique.

Cet objectif appelle de toute évidence une coordination étroite des politiques des Etats-membres afin d'éviter que les différences dans le niveau de contrôle des frontières ne provoque des détournements des flux migratoires vers les pays les plus libéraux.

Mise en oeuvre au sein de Schengen, elle a également été développée par l'ensemble des Etats de l'Union au sein du troisième pilier, et notamment de ce qu'il est convenu d'appeler le groupe directeur I.

Il s'agit d'harmoniser autant que possible la liste des pays soumis à visa, d'imposer aux demandeurs les mêmes procédures, la fourniture des mêmes pièces justificatives, d'instaurer des contrôles de niveau comparable à toutes les frontières extérieures. Il s'agit aussi d'affirmer la responsabilité de chaque Etat à l'égard des personnes entrées sur le territoire de l'Union par ses frontières, mais aussi d'éviter qu'un refus de visa prononcé par lui ne soit "déjugé" par un autre Etat-membre.

La définition d'un niveau commun de contrôle des frontières tend à devenir une réalité dans l'espace Schengen. Elle constitue un objectif de l'Union, depuis 1992, mais les travaux du troisième pilier accusent un net retard. Or, les flux migratoires deviennent de plus en plus complexes à maîtriser.

L'afflux brutal de réfugiés kurdes aux frontières italiennes au début de l'année 1998, les filières d'expatriations kossovares, la structuration du flux d'immigration par des réseaux organisés illustrent un phénomène récent : l'adaptation de plus en plus rapide des mouvements migratoires à l'environnement réglementaire et matériel. Certes, l'immigration répond toujours à des considérations historiques : les immigrants maghrébins choisissent plutôt la France, les Turcs l'Allemagne, les Pakistanais le Royaume-Uni. Mais il s'agit là de destinations finales. En revanche, les points d'entrée sur le territoire de l'Union changent considérablement, les filières d'immigration choisissant le point jugé le plus vulnérable ou le plus attrayant à un moment donné.

Prenons deux exemples. L'Italie fait l'objet d'un afflux de migrants particulièrement important ces derniers mois, avant la mise en oeuvre d'une législation plus rigoureuse, et avant la mise en vigueur de la Convention de Schengen, les candidats à l'immigration jugeant - à tort ou à raison - plus facile d'accéder ainsi à l'espace Schengen.

La différence d'attractivité entre Etats-membres est particulièrement frappante dans le domaine de l'asile : l'exemple français et le contre-exemple britannique montrent bien qu'une instruction des dossiers dans des délais rapides et l'absence de dispositions favorables à l'intégration pendant cette période (droit au travail par exemple) découragent les demandes d'asile fondées sur des motifs économiques.

L'organisation et la réactivité accrues des flux migratoires imposent donc une meilleure coordination des politiques des Etats-membres de l'Union. Dans un objectif de libre circulation des personnes (incluant notamment le libre établissement dans n'importe quel Etat de l'Union), cette coordination doit porter sur le court, mais aussi sur le long séjour, ainsi que sur l'asile. Que celle-ci puisse se faire à l'unanimité ou à la majorité qualifiée, le délai de transition de cinq ans servira à le déterminer, mais on ne saurait nier le progrès et la nécessité que constitue le Traité d'Amsterdam dans la maîtrise des flux migratoires.

Le refus de la révision proposée nous priverait non seulement des progrès réalisés et réalisables dans ce domaine, mais également des avancées réelles ou potentielles dans de nombreux autres, contenues dans le Traité.

Certes, le Traité d'Amsterdam reste essentiellement technique, un ensemble de dispositions parcellaires sans visibilité politique forte. Il n'en contient pas moins de réelles avancées concrètes, comme la reconnaissance de la notion de service d'intérêt économique général (incluant celle de service public), celle de la notion de "développement durable", de sa prise en compte dans l'ensemble des politiques de la Communauté.

De même, sans offrir de véritable avancée conceptuelle, il prend acte de l'élargissement constant de l'Union et de la volonté de certains membres d'aller plus loin dans certaines matières, quitte à renoncer à la participation de tous les partenaires à ces coopérations renforcées.

Le meilleur exemple des potentialités offertes par le Traité d'Amsterdam est celui de l'emploi.

L'emploi constituait déjà l'une des missions de la Communauté, mais elle était dépourvue de moyens d'action et restait de la compétence des Etats-membres. Le Traité d'Amsterdam confirme qu'un "niveau d'emploi élevé" est l'un des objectifs de l'Union, établit un lien entre emploi et activité économique et crée une action spécifique de la Communauté consistant en "la promotion d'une coordination entre les politiques de l'emploi des Etats-membres en vue de renforcer leur efficacité par l'élaboration d'une stratégie coordonnée pour l'emploi". Est également inséré un titre VI A relatif à l'emploi.

Toutes ces dispositions pourraient sembler purement formelles, s'apparenter à un catalogue de bonnes intentions. Le Traité offrait un cadre pour une action concrète, le Gouvernement français a oeuvré pour que celle-ci prenne forme. Le Conseil européen de Luxembourg consacré à l'emploi a été la première manifestation concrète de cette volonté. L'élaboration des "lignes directrices pour l'emploi", puis des "plans nationaux pour l'emploi" - on notera d'ailleurs que la France s'est vue complimenter pour sa contribution - montre quelle portée la volonté politique peut donner aux dispositions formelles contenues dans le Traité d'Amsterdam. Encore s'agissait-il essentiellement de la volonté d'un Etat. La nouvelle donne politique en Europe, la conjonction de gouvernements favorables à une meilleure coordination des politiques d'emploi, ouvrent des possibilités plus vastes encore.

Dès lors, il paraît utile que la France mène à terme le plus rapidement possible le processus de ratification du Traité d'Amsterdam dont cette révision constitue une étape majeure. L'échec de la révision, et donc de la ratification, conduirait en outre à une crise européenne majeure, alors que de nouveaux élargissements se profilent à l'horizon. Il importe dans cette perspective de disposer d'un socle de normes s'imposant à tous les Etats de l'Union le plus large possible.

Refuser la révision au motif que le Traité est insuffisant serait paradoxal, cela reviendrait à en négliger les avancées réelles et à restreindre a priori l'influence de la volonté politique, l'usage que celle-ci peut faire de ce cadre institutionnel.

Refuser cette révision en arguant de l'inutilité, voire du caractère dangereux des dispositions relatives au transfert de compétences afférentes à la libre circulation des personnes irait à l'encontre de la position constamment défendue par les gouvernements français successifs au sein de la Conférence intergouvernementale. Une telle attitude serait en outre contreproductive : la France n'est pas dans la situation géographiquement protégée du Royaume-Uni et de l'Irlande, une approche européenne commune de la circulation des personnes lui est indispensable.

Enfin, ce serait faire preuve d'archaïsme que de vouloir la refuser en raison de la possible "communautarisation" d'une partie des politiques liées à la libre circulation des personnes. Ce sera l'une des avancées majeures d'Amsterdam que de permettre enfin d'avancer vers l'évacuation de la fausse querelle autour de la notion de "souveraineté".

B - Les prétendus abandons de souveraineté : un faux débat toujours recommencé

La question de la souveraineté domine le débat français sur la construction européenne. Celle-ci tendrait à déposséder progressivement les Etats de leur souveraineté. On se souvient que le Conseil constitutionnel s'est, pendant quelques années, livré à des distinctions byzantines entre "limitations" et "transferts" de compétences afin de calmer les polémiques que ceux-ci pouvaient susciter.

La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel s'est recentrée sur le concept moins épidermique d' "atteintes aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté", utilisant pour qualifier celles-ci un faisceau de critères : degré de transferts de compétences, domaine concerné, procédure de décision applicable.

Le fait est que les progrès de la construction européenne conduisent à des interventions croissantes de l'Union dans des domaines de compétence relevant traditionnellement de la souveraineté, interventions dont le rythme s'est accéléré ces dernières années.

Depuis le début de la décennie, la question de la souveraineté s'est posée à quatre reprises : lors de l'examen de la Convention d'application des Accords de Schengen, lors de l'adoption du Traité sur l'Union européenne, au cours de la révision constitutionnelle de 1993 relative à l'exercice du droit d'asile, enfin, aujourd'hui, à l'occasion de l'examen du Traité d'Amsterdam. La question d'une perte éventuelle de sa souveraineté par la France n'est donc pas purement rhétorique. Peut-on pour autant dire qu'elle l'a abandonnée à l'Europe ?

La réponse, pour la construction européenne, comme pour toute autre question posée à ce propos est claire : la souveraineté de la France est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible. C'est un principe absolu qui est à ranger aux côtés du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Pour autant, l'une des caractéristiques de la souveraineté est précisément le pouvoir qu'a un Etat de renoncer "souverainement" à certaines de ses prérogatives. La Cour permanente de justice internationale, dès 1923, faisait de cette faculté la pierre angulaire du droit international : sans elle, il n'est plus aucune possibilité pour les Etats de contracter des engagements internationaux.

Un second argument propre à la construction européenne est que les transferts de compétences opérés ne constituent pas un abandon de souveraineté. Les adversaires de l'Europe communautaire se plaisent à rappeler que le maintien de l'exigence de l'unanimité préserve la souveraineté des Etats. En réalité, les termes du débat ne se résument pas à une opposition simpliste entre "communautarisation" et "maintien de l'intergouvernementalité", assimilée à une distinction entre "vote à la majorité qualifiée" et "vote à l'unanimité".

Tout d'abord, on ne saurait évoquer les compétences de l'Union sans relever que des représentants des Etats sont associés au processus de décision, dans la préparation de ces décisions (notamment par le recours aux experts nationaux et les discussions menées en amont du Conseil), dans leur adoption elle-même (par leur représentant au Conseil, mais aussi par leurs représentants au Parlement européen) ainsi que dans leur mise en oeuvre. Les décisions européennes, même dans des domaines communautaires, ne résultent pas de la seule volonté de la Commission.

Par ailleurs, les décisions européennes doivent en principe se conformer au principe de subsidiarité et n'intervenir que dans la mesure où l'échelon européen semble plus adapté que celui des Etats, ceux-ci disposant des voies de recours ordinaires en cas de méconnaissance de ce principe.

Enfin, il faut en finir avec l'opposition entre pilier communautaire d'une part, symbole aux yeux de certains de l'allégeance, de l'inféodation de la France à l'eurocratie, et second et troisième piliers d'autre part. La réforme opérée dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures devrait de ce point de vue mettre fin à une distinction moins caricaturale que certains ne veulent le faire croire.

La prétendue "communautarisation" de la libre circulation des personnes opérée par Amsterdam est une image à nuancer fortement.

Elle était déjà pour partie communautarisée (cf. l'article 100 du Traité CE relatif aux visas). Le passage à la procédure de co-décision ne vaudra pas forcément pour l'ensemble du domaine puisqu'il résultera d'un vote à l'unanimité, chaque Etat gardant ainsi un droit de veto. Quand bien même une telle évolution serait décidée, les droits des Etats et la sécurité de l'espace de liberté ainsi créé seraient respectivement protégés par une procédure ad hoc, limitant le rôle du Parlement européen et de la CJCE et le maintien de la possibilité de recourir à une clause de sauvegarde. La principale modification concerne le droit d'initiative confié à la Commission. Or, celui-ci ne peut constituer une atteinte à la souveraineté des Etats : il n'est pas d'exemple de proposition émanant d'un Etat que la Commission aurait refusé de relayer auprès des autres Etats-membres.

Parallèlement, le maintien de l'intergouvernementalité dans le troisième pilier mérite également d'être relativisé : le Parlement européen et la Commission s'y voient reconnaître un rôle, certes réduit ; l'intervention de la CJCE est désormais explicitement prévue par le Traité (même si elle ne peut se faire que sur la base d'une acceptation volontaire par chaque Etat) ; le processus de décision est réformé, notamment par l'introduction de décisions-cadres non dépourvues d'une certaine ressemblance avec les directives.

Dans les matières concernées par la présente révision, le souci était triple : créer un véritable espace de liberté dans l'Union, renforcer l'efficacité des mesures compensatoires destinées à assurer la sécurité de cet espace (et de son voisinage immédiat, notamment, dans la perspective de l'élargissement), s'assurer par un contrôle juridictionnel et démocratique que l'on avait affaire à un espace "policé" et non à un espace "policier".

Il ne s'agissait donc pas d'abandonner la souveraineté dans ces matières, mais de l'utiliser plus efficacement par des compétences exercées en commun ; la France, sous l'impulsion de l'ancienne majorité, a d'ailleurs été le plus ardent défenseur de la "communautarisation" durant la Conférence intergouvernementale.

On ne peut plus opposer compétence européenne et compétence nationale : l'une et l'autre ne sont pas exclusives, mais complémentaires. Il faut toutefois aller jusqu'au bout de cette complémentarité : l'existence d'une compétence européenne dans un espace relevant traditionnellement de la souveraineté ne signifie pas que les Etats doivent renoncer à leur droit d'initiative. Au contraire, l'existence de procédures aptes à vaincre les inerties nationales permet à l'Etat porteur d'une véritable initiative, d'une volonté politique forte, d'exercer pleinement sa souveraineté au niveau européen.

Bref, la France n'abandonnera en rien sa souveraineté dans cinq ans dès lors qu'elle aura à faire valoir une vision forte de ce que doit être une politique européenne d'immigration et d'asile. La souveraineté des Etats réside moins dans la détention de prérogatives exclusives que dans l'usage qu'ils font de leurs compétences, y compris lorsqu'elles sont partagées.

De ce point de vue, la France a manifesté sa volonté d'exercer pleinement la sienne en modifiant sa législation sur l'entrée et le séjour des étrangers, au printemps dernier. Il nous appartiendra de veiller à ce que le Gouvernement fasse preuve de la même imagination, d'une force de proposition comparable dans les années à venir auprès de ses partenaires. La réflexion sur la politique de codéveloppement, par exemple, gagnerait à être menée de manière collective.

C - Une double exigence en matière institutionnelle

Le partage croissant de compétences par la France avec ses partenaires au sein de l'Union implique des adaptations constitutionnelles.

Le renforcement du contrôle du Parlement français, détenteur de la souveraineté, sur l'action de l'Union est indispensable, d'autant qu'il se voit dépossédé d'une partie de ses compétences au profit de l'exécutif par la construction européenne.

Le bilan du contrôle mené par le Parlement français est globalement satisfaisant. La procédure instituée par l'article 88-4 introduit dans la Constitution en 1992 fonctionne bien, même si elle est perfectible.

Sans entrer dans les détails des propositions de réforme de cet article qui ont pu être faites tant devant la Délégation de l'Assemblée nationale pour l’Union européenne que par la Commission des Lois, il semble à votre Rapporteur que ce nécessaire renforcement du contrôle des actes de l'Union par le Parlement doit reposer sur le principe d'efficacité.

De ce point de vue, il est inutile, et il serait même contreproductif, de l'encombrer avec l'ensemble des actes à caractère réglementaire (ou pire encore, de l'ensemble des documents intermédiaires, préparatoires aux décisions). Ceci ne pourrait que nuire à la rapidité du contrôle et à sa nature politique.

Il est en revanche indispensable que puissent lui être transmis et qu'il puisse voter des résolutions sur certains actes n'ayant pas de caractère législatif, mais dotés d'une valeur politique significative : Agenda 2000 par exemple. Pourrait ainsi, au terme de la période de transition de cinq ans, faire l'objet d'une résolution du Parlement le passage à la majorité qualifiée dans le domaine de l'immigration et de l'asile.

Ce renforcement du contrôle parlementaire ne doit pas ralentir l'élaboration des actes de l'Union par la mise en place de procédures lourdes, tatillonnes, telles celles parfois évoquées d'un contrôle de constitutionnalité a priori des actes dérivés des Communautés et de l'Union. Il appartient au Gouvernement, en amont de la finalisation d'un tel acte, de déceler un cas d'inconstitutionnalité, dont la possibilité apparaît en outre très théorique (en tout cas inédit depuis quarante ans).

Cette adaptation des institutions nationales doit s'accompagner d'une évolution des institutions européennes. Le partage croissant des compétences ne repose pas sur une approche théologique de la construction européenne, mais sur la conviction que l'échelon européen est plus adapté au règlement de certains problèmes. Encore faut-il qu'il ne soit pas rendu moins efficace par des dysfonctionnements institutionnels : on peut s'interroger de ce point de vue sur les conséquences du dernier élargissement et s'inquiéter des conséquences du prochain.

Dès lors, une réforme profonde des institutions européennes est une condition essentielle de l'accord du Parlement sur de nouveaux transferts de compétences. Notre Commission s'est déjà exprimée en ce sens et aura l'occasion de le faire de nouveau lors du débat politique sur la ratification qui suivra l'étape technique que constitue la présente révision.

Il importe désormais d'avancer rapidement sur le contenu concret et le calendrier des réformes institutionnelles réalisables sans nouvelle modification des traités, et sur les perspectives de nouvelles modifications des Traités décrites comme "inévitables" le 3 octobre dernier par le Premier ministre.

CONCLUSION

Cette révision constitue à bien des égards une source de satisfaction. L'enjeu en est clair : il s'agit d'adapter notre texte constitutionnel de sorte que notre pays puisse honorer sa signature sur l'intégralité du Traité d'Amsterdam, y compris trois articles litigieux sur le plan de leur constitutionnalité. Cette révision reste donc modeste, et, si le sujet en est hautement politique, l'adaptation proposée n'est que technique et n'engage pas à ce stade la souveraineté de la France. La procédure suivie et le choix opéré d'une révision minimale du texte constitutionnel répondent parfaitement à cet objectif.

Pourtant, cette révision ne constitue pas non plus un acte anodin, à balayer d'un revers de main.

D'abord, elle est une étape indispensable à la poursuite de la construction européenne : un rejet créerait une crise, non seulement sur un plan national, mais pour l'ensemble de l'Union.

Deuxièmement, parce qu'elle touche à des questions au coeur de la souveraineté nationale, elle peut être l'occasion d'avancer vers un terme à la confusion faite à tort entre "compétence européenne" et "abstention nationale". L'Europe ne se grandit pas de la faiblesse des Etats, bien au contraire.

Enfin, par cette révision mesurée, mais sans ambiguïté, la France conserve la maîtrise, sans les entraver, des développements futurs de la construction européenne contenus en germe dans le Traité d'Amsterdam et ce grâce à une triple protection :

- l'existence de verrous à la "communautarisation" de la libre circulation des personnes ;

- l'absence de clause générale de transfert qui maintient le verrou constitutionnel à chaque progrès important de l'intégration européenne ;

- un contrôle parlementaire accru.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné, pour avis, le présent projet de loi constitutionnelle au cours de sa réunion du 18 novembre 1998.

Après l’exposé du Rapporteur pour avis, M. Pierre Lequiller a relevé à la fois les lacunes et les progrès que comporte le Traité d'Amsterdam.

Il a tout d'abord déploré l'absence de réforme des institutions et, en particulier, le déséquilibre entre pouvoir politique et pouvoir de la Commission. Un président de la commission responsable devant le Parlement européen verra sa situation politiquement renforcée par rapport au Conseil des Ministres.

Il s'est félicité qu'on s'oriente vers les positions défendues par la France quant à la nature politique du poste de Haut Représentant pour la PESC. Il a souhaité une avancée beaucoup plus forte en matière de PESC avec, notamment, l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne.

Une deuxième insuffisance grave concerne le principe de subsidiarité affirmé depuis Maastricht mais non entré dans les moeurs. La tendance de la Cour de justice des Communautés européennes la conduit généralement à donner raison aux autorités bruxelloises plutôt qu'au pouvoir des Etats. Un contrôle plus démocratique serait souhaitable, par exemple grâce à une structure composée de parlementaires nationaux et européens.

La troisième lacune concerne les coopérations renforcées dont l'existence, prévue par les textes, est entourée de tant de conditions qu'elle est rendue pratiquement impossible.

En revanche, M. Lequiller s'est félicité des avancées importantes en matière de justice et d'affaires intérieures. Le délai de 5 ans proposé par la France permettra de vérifier l'ampleur des progrès accomplis et les consolidations nécessaires. Le deuxième aspect très positif concerne l'affirmation de l'Etat de droit, nouveau principe posé par Amsterdam, qui aura des prolongements tout à fait intéressants. La mise en place du Haut Représentant constitue un progrès sensible en matière de politique étrangère.

A propos du débat entre l'élargissement et l'approfondissement, la mise en place d'un Comité des Sages est tout à fait indispensable. Conscient des qualités et des défauts du Traité et compte tenu des avancées significatives qu'il permet, M. Lequiller s'est déclaré au nom de son groupe, favorable à la révision constitutionnelle proposée.

M. Roland Blum a estimé que, même si le débat sur la procédure de révision constitutionnelle avait été tranché en faveur de la voie parlementaire, il aurait été préférable de soumettre la révision à référendum. En effet, le Conseil Constitutionnel a jugé que le Traité d'Amsterdam portait atteinte à la souveraineté nationale. Surtout, ce traité ne contient pas seulement des dispositions techniques mais engage le passage d'une union économique à une union politique.

Par ailleurs, la révision est restreinte ce qui obligera à des révisions répétées à chaque étape du développement futur de l'Union européenne.

Le Président Jack Lang a regretté que ce qui est possible en Allemagne ne le soit pas en France. Une révision plus large aurait pu, pour l'avenir, engager notre pays plus résolument et plus symboliquement.

M. Pierre Brana s'est déclaré en accord avec les conclusions du Rapporteur pour avis et a souligné qu'il conviendrait de rédéfinir les modalités du contrôle démocratique de l'Union, notamment en renforçant le rôle des parlements nationaux et du Parlement européen.

Il a demandé, à propos des dispositions relatives au droit d'asile et de l'extradition vers les pays "sûrs", quelle était l'instance compétente en cas de litige entre deux Etats.

M. François Guillaume a estimé que le Traité d'Amsterdam avait pour objectif de communautariser une partie du 3ème pilier et engageait un autre débat, la communautarisation du 2ème pilier, portant ainsi atteinte aux deux souverainetés essentielles : diplomatie et défense. Il n'était pas forcément indispensable de mettre en place ce Traité privant la France de l'une de ses prérogatives, celle de rendre la justice ; or, on y vient progressivement.

M. François Guillaume a souligné un problème de procédure : celle prévue par la Constitution est le référendum. La voie parlementaire est dérogatoire.

En ce qui concerne le texte soumis aux députés, il a marqué sa préférence pour une délégation de compétences plutôt qu'un transfert, qui maintiendrait le principe d'un possible retour en arrière.

Il s'est inquiété du passage automatique à la majorité qualifiée, dans un délai de cinq ans, pour les règles concernant les problèmes de circulation et les visas. Il a dénoncé la méthode européenne qui, insidieusement, conduit à un grignotage des attributs essentiels de la souveraineté des Etats.

Il a souligné à terme un risque de neutralisation de la Constitution française et une communautarisation sans frein de l'ensemble des activités politiques, économiques et sociales. Pour le moment, nous n'en sommes pas là. La délégation pour l'Union européenne s'est penchée sur les modifications possibles de l'article 88-4. Elle souhaite étendre son examen aux deuxième et troisième piliers. Elle souhaite également que les problèmes de subsidiarité se réglent différemment, afin que nous ne subissions pas les décisions sans y participer. Voilà quelques éléments qui paraissent intéressants pour sensibiliser le Parlement aux problèmes communautaires.

M. Charles Millon a fait valoir que le débat n'était pas "pollué" par la question de la souveraineté mais plutôt dominé par elle. Depuis le début de la construction européenne, l'Europe progresse, mais de façon tellement empirique qu'elle paraît avancer masquée. Il est donc indispensable de mieux cerner les questions de souveraineté, de transfert, de délégation ou d'abandon de compétences. Il convient de distinguer clairement l'abandon de compétences impliquant un transfert de souveraineté de celui qui n'en provoque aucun.

S'agissant de l'application du principe de subsidiarité imparfaitement défini par le Traité de Maastricht, il a estimé nécessaire que la Constitution consacre ce principe. Il a donc décidé de déposer un amendement portant sur l'article 88-1 de la Constitution, afin de permettre au Conseil Constitutionnel d'en contrôler le respect.

Le mode de contrôle des parlements nationaux qui a fait l'objet de débats passionnés est insuffisant. Il convient, comme c'est le cas en Allemagne, de leur permettre d'exprimer une volonté politique par le vote de résolutions lors de l'adoption d'un traité européen ce qui implique la modification de l'article 88-4 de la Constitution.

Il a regretté que l'on puisse ratifier le Traité d'Amsterdam avant la réforme des institutions. L'Europe continue de mettre en oeuvre des politiques sans respecter le primat du politique, ce qui crée une fracture entre les institutions européennes et les citoyens des différentes nations. Il a suggéré que la Commission des Affaires étrangères réfléchisse à la réforme des institutions européennes. A côté du Parlement européen, il serait souhaitable d'instituer une vraie Chambre des Etats. Le Conseil européen qui se réunit à Bruxelles ne peut avoir une influence politique suffisante sur la Commission européenne, ce qui crée des déséquilibres de fait.

Le Président Jack Lang a estimé que confier le contrôle du principe de subsidiarité au Conseil Constitutionnel reviendrait à permettre le contrôle de la conformité des lois aux traités, ce que le Conseil Constitutionnel refuse malheureusement de faire jusqu'à présent.

Il s'est déclaré personnellement favorable à une extension du contrôle du Parlement sur la politique étrangère.

M. René André a regretté l'obscurité et la timidité du Traité d'Amsterdam. Le groupe RPR le ratifiera si certaines conditions sont réunies ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le groupe RPR proposera d'ajouter un article additionnel ou un préambule au Traité d'Amsterdam, à propos, notamment, de la subsidiarité.

Le débat sur la procédure de révision a été clos par le Président de la République. Le groupe RPR conditionne l'approbation de cette révision à une extension du contrôle du Parlement sur les affaires européennes ce que le gouvernement refuse à en juger par les propos de Mme la Garde des Sceaux devant la Commission des Lois. Il conviendrait de réformer l'article 88-4 de la Constitution afin d'étendre le contrôle non seulement aux actes des deuxième et troisième piliers mais aussi aux actes préparatoires de la Communauté et aux accords interinstitutionnels de l'Union. En outre, la circulaire relative à la réserve parlementaire devrait être intégrée à la Constitution. Le Parlement doit pouvoir également exercer une veille constitutionnelle. Enfin, le Parlement devrait être consulté lors du passage au vote à la majorité qualifiée pour les décisions relatives à la circulation des personnes.

S'exprimant en son nom personnel, M. Jean-Claude Lefort a estimé que le Rapporteur avait offert des possibilités cohérentes d'opposition. Il a fait valoir que la révision de la Constitution était nécessaire parce que le Conseil constitutionnel avait constaté des atteintes à la souveraineté. Le droit d'asile doit rester souverain.

Selon lui, le débat sur le renforcement du rôle du Parlement exprime un certain malaise. Il a rappelé qu'en 1977, l'Assemblée nationale avait voté une mâle résolution précisant que le renforcement éventuel des pouvoirs du Parlement européen ne concernerait pas la France. Plus récemment, lors de la discussion sur le passage à l'euro, l'Assemblée a également voté une résolution sur le contrôle de l'activité de la Banque centrale européenne par le Parlement. Qu'en est-il de l'application de ces textes ?

Pour lui, la Constitution devrait affirmer clairement que le recours à la procédure référendaire est obligatoire dès que la souveraineté de la France est mise en cause.

Il a déploré les allusions à la négociation du Traité d'Amsterdam par l'ancienne majorité, car elles impliquent que l’Union européenne est le seul espace démocratique où l'alternance est impossible. Une telle rigidité est de nature à fragiliser l'Europe.

Le Président Jack Lang a estimé que le nécessaire renforcement du contrôle démocratique de l'Union européenne pouvait passer par la création d'une deuxième chambre.

M. Charles Ehrmann a constaté que le débat sur l'Europe transcendait les clivages politiques. L'Europe avance lentement mais sûrement. Cependant, elle est encore un nain politique. Le renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune est donc une excellente chose. Le délai de cinq ans prévu pour le passage à une nouvelle étape est suffisant pour préparer les nouvelles évolutions. L'élargissement de l'Union est inéluctable mais il convient qu'il soit précédé d'un approfondissement.

M. Georges Hage a rappelé la valeur originale, dans la Constitution, de la voie référendaire, bien que les constituants n'aient pas prévu tout ce qu'on pourrait lui soumettre.

En dépit de l'absence de référendum, cette modification a le mérite de la clarté et constitue un nouvel abandon dans le domaine de la souveraineté nationale.

M. Georges Hage a annoncé son intention de voter contre la modification constitutionnelle et son refus de se prêter à la discussion et au vote d'amendements qui ne correspondent à aucune nécessité mais seulement à des préoccupations d'opportunité. Cela ne signifie pas qu'une réforme de l'article 88-4 n'est pas nécessaire mais elle devrait avoir lieu à l'occasion d'une autre réforme constitutionnelle.

Il a contesté les propos du Rapporteur qui voit une preuve de souveraineté dans l'abandon d'une part de cette souveraineté. Il a promis de livrer ses réflexions sur ce sophisme ou ce paradoxe lors du débat.

Le Président Jack Lang a observé que la Cour internationale de Justice avait elle-même considéré que la marque de l'expression de la souveraineté d'un Etat consistait au pouvoir de déléguer ou d'abandonner une partie de sa souveraineté.

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis, a ensuite répondu aux questions des commissaires.

Quel que soit l'avis que l'on porte sur la procédure à suivre pour l'adoption de la présente révision, le choix définitif appartient au Président de la République, qui semble plutôt favorable à la voie du Congrès.

La question de la souveraineté est centrale, même si elle ne doit pas être utilisée à mauvais escient dans le débat européen. La souveraineté est entre les mains du peuple français et non d'un quelconque "peuple européen". On ne peut pas consentir à des "abandons de souveraineté", mais seulement à des "délégations de compétences". De ce point de vue, il n'est pas mauvais que toute atteinte, même minime, au texte constitutionnel, fasse, par la voie certes lourde de la révision, l'objet d'une surveillance jalouse.

S'agissant du Protocole annexé au Traité relatif au droit d'asile, si le principe est qu'une demande émanant d'un ressortissant d'un Etat de l'Union, jugé a priori "sûr", n'est pas examinée, chaque Etat conserve, au cas par cas, la possibilité d'y déroger.

Il existe une volonté collective des parlementaires de développer le contrôle du Parlement sur la politique extérieure. Il convient cependant de veiller à l'équilibre des institutions en la matière et de ne pas entraver l'exécutif dans la phase de négociation des traités. En outre, une telle réforme ne peut être engagée à la sauvette, à l'occasion d'une révision limitée. Toutefois, une réflexion doit être menée sur cette question

Enfin, le Rapporteur a confirmé qu'il fallait songer à une meilleure représentation des parlements nationaux dans la construction européenne.

Le Président Jack Lang a estimé que le contrôle des parlements nationaux s'exercerait plus efficacement à travers la création d'une deuxième chambre, composée de délégués de ces parlements.

Il a regretté que l'on n'ait pas saisi l'occasion de cette révision ponctuelle pour procéder à une révision plus large qu'il faudra bien réaliser un jour, sans attendre un hypothétique "grand soir".

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi constitutionnelle (n° 1072).

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N°1209.- Avis de M. Michel Vauzelle (au nom de la commission des affaires étrangères) sur le projet de loi constitutionnelle (n°1072) modifiant l’article 88-2 de la Constitution.