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le 15 février 1999

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1377

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 février 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE, MODIFIÉ PAR LE SÉNAT, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes,

PAR MME CATHERINE TASCA,

Députée.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 1ère lecture : 985, 1240 et T.A. 224.

2ème lecture : 1354.

Sénat : 1ère lecture : 130, 156 et T.A. 58 (1998-1999).

Femmes.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, Michel Crépeau, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Henri Nallet, Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Frantz Taittinger, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

I. - L'OBJECTIF POURSUIVI : ÉTABLIR ENFIN L'ÉGALITÉ RÉELLE DES FEMMES ET DES HOMMES ... 6

A. UNE APPROCHE PRAGMATIQUE... 6

B. ... SUBORDONNÉE À LA RÉVISION DE L'ARTICLE 3 DE LA CONSTITUTION 9

II. - ... DANS UNE RÉPUBLIQUE OÙ L'UNIVERSALISME PREND TOUT SON SENS 11

A. LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NE REMET PAS EN CAUSE LA RÉPUBLIQUE DANS SES FONDEMENTS 12

B. LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NE REMET PAS EN CAUSE LA LIBERTÉ DE CHOIX DE L'ÉLECTEUR 14

C. LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NE REMET PAS EN CAUSE LES RÔLES RESPECTIFS DU CONSTITUANT, DU LÉGISLATEUR ET DU JUGE CONSTITUTIONNEL 16

DISCUSSION GÉNÉRALE 19

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE 23

TABLEAU COMPARATIF 25

SOUS-AMENDEMENT NON ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 27

MESDAMES, MESSIEURS,

LE 15 DÉCEMBRE DERNIER, LORSQU'À L'ASSEMBLÉE NATIONALE LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES A ÉTÉ ADOPTÉ UNANIMEMENT, IL ÉTAIT DIFFICILE D'IMAGINER QUE LA SECONDE CHAMBRE POURRAIT REMETTRE EN CAUSE CE CONSENSUS. L'ASSEMBLÉE NATIONALE, ET EN PARTICULIER SA COMMISSION DES LOIS, AVAIT POURTANT EXAMINÉ AVEC MINUTIE LE PROJET PRÉSENTÉ CONJOINTEMENT PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET LE PREMIER MINISTRE. LA DISCUSSION AU SEIN DE LA COMMISSION, PUIS EN SÉANCE, AVAIT PERMIS DE DÉCELER CERTAINES FAIBLESSES DU TEXTE PROPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT ET D'EN AMÉLIORER NOTABLEMENT LA RÉDACTION COMME LA GARDE DES SCEAUX EN A D'AILLEURS CONVENU.

LE SÉNAT N'EN A PAS JUGÉ AINSI. EXAMINANT EN PREMIÈRE LECTURE LE PROJET, IL A ADOPTÉ LE 26 JANVIER UN TEXTE RADICALEMENT DIFFÉRENT DE CELUI PRÉSENTÉ PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET LE PREMIER MINISTRE, PUIS MODIFIÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE. ALORS QUE L'ASSEMBLÉE AVAIT INTRODUIT DANS L'ARTICLE 3 DE LA CONSTITUTION L'ALINÉA SUIVANT : " LA LOI DÉTERMINE LES CONDITIONS DANS LESQUELLES EST ORGANISÉ L'ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES AUX MANDATS ÉLECTORAUX ET FONCTIONS ÉLECTIVES ", LE SÉNAT A REMPLACÉ CETTE DISPOSITION PAR DEUX NOUVEAUX ALINÉAS PLACÉS À L'ARTICLE 4 DE LA CONSTITUTION RELATIF AUX PARTIS POLITIQUES, AUX TERMES DESQUELS :

" [LES PARTIS] FAVORISENT L'ÉGAL ACCÈS DES FEMMES ET DES HOMMES AUX MANDATS ÉLECTORAUX ET AUX FONCTIONS ÉLECTIVES.

LES RÈGLES RELATIVES À LEUR FINANCEMENT PUBLIC PEUVENT CONTRIBUER À LA MISE EN _UVRE DES PRINCIPES ÉNONCÉS AUX ALINÉAS PRÉCÉDENTS. "

LE TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT - ON LE MONTRERA - REMET EN CAUSE RADICALEMENT LE SENS DE CETTE RÉFORME. TANT ATTENDUE PAR LES FRANÇAIS, ELLE A ÉTÉ AINSI LARGEMENT VIDÉE DE SA SUBSTANCE PAR LE VOTE DE LA SECONDE CHAMBRE. IL NOUS APPARTIENT, EN DEUXIÈME LECTURE, DE REVENIR À L'ÉCONOMIE PREMIÈRE DU PROJET EN RAPPELANT TOUT D'ABORD QUEL EST L'OBJECTIF QU'IL POURSUIT ET DANS QUELLE MESURE LA RÉVISION DE L'ARTICLE 3 DE LA CONSTITUTION S'IMPOSE (I), PUIS EN MONTRANT COMBIEN LES CRAINTES EXPRIMÉES PAR CERTAINS RELÈVENT DE LA FANTASMAGORIE ET S'AVÈRENT SANS FONDEMENT SÉRIEUX (II).

I. - L'OBJECTIF POURSUIVI : ÉTABLIR ENFIN L'ÉGALITÉ RÉELLE DES FEMMES ET DES HOMMES ...

L'objectif poursuivi par le Gouvernement et l'Assemblée nationale est d'établir en France les conditions d'une égalité réelle des femmes et des hommes en matière politique. On ne reviendra pas sur le retard que connaît notre pays en la matière. Votre rapporteur croit avoir amplement démontré, dans son rapport, en première lecture, que la France est demeurée trop longtemps sous l'empire d'une loi salique qui, si elle a disparu en droit, s'est maintenue, vaille que vaille, dans notre inconscient et notre pratique politiques. Cinquante ans après avoir obtenu le droit de voter et d'être élues, les femmes n'ont toujours pas la possibilité d'exercer, à l'égal des hommes, la souveraineté nationale au Parlement.

Contrairement à ce que certains feignent de craindre, la mise en _uvre de cette égalité n'appelle pas une mise en coupe réglée de la société politique par des pasionarias que - procédé classique - l'on présente ainsi pour mieux les discréditer. L'entreprise n'est pas simple à mener. Elle appelle des mesures pragmatiques dont la multiplication tous azimuts sera de nature à faire de notre démocratie un lieu réellement universel. Mais pour ce faire, il importe de réviser notre loi fondamentale. Deux raisons nous y incitent : l'une purement juridique, l'autre symbolique au sens fort du terme.

A. UNE APPROCHE PRAGMATIQUE...

L'égalité réelle des femmes et des hommes en matière politique suppose un changement de mentalité. Il est difficile de s'opposer à une culture et une histoire nationales qui ont si longtemps tenu les femmes écartées de l'exercice de la souveraineté. On ne peut changer la société par décret, a-t-on trop facilement l'habitude de dire, lorsqu'on ne veut pas agir. Si, selon sa définition même, la loi a évidemment une fonction normative, elle présente également des vertus incitatives. Elle ne se contente pas d'interdire ; elle peut également fixer des objectifs afin de construire la République, travail perpétuellement renouvelé.

Il est pourtant vrai que décréter l'égalité des femmes et des hommes ne suffit pas. Trop souvent la réalité a donné raison à ceux qui considèrent que le droit proclamé peut être le paravent d'injustices établies, qui se perpétuent malgré tout. Sans revenir à l'opposition classique entre démocratie réelle et formelle, on ne peut que constater les limites de l'égalité entre les hommes et les femmes, telle qu'elle est affirmée par le Préambule de 1946. L'ivresse des mots ne suffit plus aujourd'hui à masquer l'âpre réalité.

Comment peut-on alors faire en sorte que les femmes puissent, à leur juste place, porter leur part du fardeau des responsabilités ? Plusieurs mesures ont déjà été évoquées. Au premier rang d'entre elles, la mise en _uvre de la parité des candidatures aux scrutins de liste, qu'ils soient ou non strictement proportionnels. L'Assemblée nationale a voté une telle disposition dans la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux. La majorité sénatoriale l'a déférée au Conseil constitutionnel qui, en confirmant sa jurisprudence de 1982, l'a annulée dans sa décision DC 98-407 du 14 janvier dernier. On peut également envisager des mécanismes qui obligeraient les partis à présenter autant de femmes que d'hommes dans les élections au scrutin uninominal, c'est-à-dire aux législatives ou aux cantonales. Certes, une telle mesure ne garantirait pas la parité des élus. Mais, pour y inciter, elle pourrait être accompagnée de mesures financières contraignantes. C'est seulement sur cette dernière solution que les sénateurs se sont accordés, rejetant radicalement l'idée de parité dans les listes de candidats. Par ailleurs, des systèmes de tickets femmes-hommes dans des circonscriptions regroupées deux à deux ont été évoqués ; on ne saurait cependant dissimuler les difficultés que pourrait soulever un tel redécoupage.

Si le domaine électoral est, à l'évidence, celui qui constitue le levier le plus puissant pour améliorer la situation des femmes, il ne doit pas être exclusif d'autres démarches. La création de l'Observatoire de la parité en 1995 a permis de pointer du doigt l'injustice dont souffrent nos concitoyennes. Son action s'est révélée précieuse dans le processus qui conduit aujourd'hui à examiner ce projet de la loi constitutionnelle.

La nomination de Mme Nicole Péry en qualité de Secrétaire d'Etat aux droits des femmes, à la fin de l'année dernière, témoigne aussi de la volonté de traiter la question de l'égalité réelle des femmes et des hommes de manière volontaire au plan gouvernemental. Enfin, la création, que l'on peut espérer prochaine, d'une délégation parlementaire au sein de chaque assemblée, consacrée aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes permettra de considérer la question féminine d'un point de vue exhaustif et transversal au sein du Parlement (1).

Réussir dans cette voie ne suppose pas l'action du seul législateur. C'est aux organisations politiques de prendre aussi les décisions qui feront en sorte que les discours séducteurs tenus depuis si longtemps à l'attention des femmes aboutissent à des mesures efficaces.

C'est également aux femmes qu'il appartient de se montrer audacieuses et volontaires pour entrer plus nombreuses encore dans l'arène politique. Mais combien d'hommes les y incitent d'un côté pendant que, de l'autre, ils tiennent fermement closes les portes qui permettent d'accéder à cette arène ? Ouvrons ces portes aux femmes ; on constatera alors qu'elles ne craignent pas d'affronter le suffrage universel.

L'ouverture de notre société politique - synonyme de modernisation - passe par ces actions multiples, pragmatiques qui ne sont pas exclusives les unes des autres. Certains - au premier rang desquels nos collègues sénateurs - affirment que l'on ne pourra pas atteindre l'objectif fixé par l'accumulation de ces mesures qui, prises isolément, ne sauraient être décisives ; ils en concluent qu'il ne faut pas agir. On laisse entendre que la parité des candidatures pour les seules élections au scrutin proportionnel ne permettra pas d'assurer l'égalité des femmes et des hommes aux élections législatives et, moins encore bien sûr, à l'élection présidentielle ! C'est indubitable. Mais pourquoi faudrait-il se priver de cet instrument pour les autres élections qui se dérouleront selon un scrutin de liste ? Sans modifier le mode de scrutin des élections législatives - il n'en a jamais été question, le Premier ministre et la Garde des Sceaux l'ayant rappelé à plusieurs reprises solennellement -, il est possible d'envisager d'autres actions, comme on l'a vu précédemment. Par des mesures successives, il s'agit de constituer un nouvel état d'esprit et de permettre l'émergence d'un vivier féminin qui puisse mettre ses talents au service de la communauté républicaine. A chaque cas particulier doit s'appliquer une solution adaptée. Telle est la démarche claire à laquelle les partisans du projet de loi souscrivent.

Comme on l'a vu, la mise en pratique de ces diverses actions en faveur d'une démocratie réellement universelle suppose l'action du législateur. Mais celui-ci se doit d'agir dans le respect de notre Constitution qui fixe le cadre à la fois juridique et symbolique dans lequel notre démocratie est appelée à se construire.

B. ... SUBORDONNÉE À LA RÉVISION DE L'ARTICLE 3 DE LA CONSTITUTION

La démarche entreprise par le Gouvernement a été dictée en partie par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui - est-il besoin de le rappeler - le 18 novembre 1982, a annulé d'office la disposition interdisant que les listes de candidats aux municipales comptent plus de 75 pour 100 de personnes du même sexe. Certains ont espéré que cette décision serait sans lendemain et que le Conseil constitutionnel pourrait procéder à un revirement de jurisprudence si lui était donnée à nouveau l'occasion de se prononcer sur cette question. Le rapporteur n'a jamais envisagé cette hypothèse, sachant que la décision de 1982 n'était pas de circonstance ; elle reposait, en effet, sur des principes forts et un raisonnement juridique fermement établi : rien ne permettait de penser que le Conseil puisse se déjuger. Il a confirmé effectivement ce point de vue, très récemment, dans sa décision du 14 janvier 1999 déjà mentionnée.

Le Conseil constitutionnel a considéré qu'" en l'état, et pour les motifs énoncés dans la décision (...) du 18 novembre 1982, la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus ni pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ni pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu, sans que puisse être opérée aucune distinction entre électeurs ou éligibles en raison de leur sexe ".

Il va de soi que l'expression " en l'état " n'est pas anodine. Le Conseil ne juge pas de manière sourde et aveugle. Il constate simplement l'existence de principes constitutionnels qui interdisent au législateur d'introduire dans notre droit la parité des listes. Mais notre système juridique ne connaît pas de normes supraconstitutionnelles. Le souverain, dans sa forme originaire - le peuple - ou dérivée - le Congrès - a toujours le pouvoir de modifier notre Constitution sous une seule condition de fond, qu'il ne remette pas en cause la forme républicaine du gouvernement, comme en dispose l'article 89 de la loi fondamentale. Si, ensuite, des principes constitutionnels peuvent sembler contradictoires, il appartient au Conseil constitutionnel de les concilier, sachant qu'en droit, la norme spéciale prévaut sur la règle générale. C'est cette démarche que nous suivons aujourd'hui et dont le Conseil constitutionnel évoque, au détour d'un considérant, l'existence.

Le choix a été fait de réviser l'article 3 de la Constitution. Plusieurs autres possibilités s'ouvraient au pouvoir constituant. L'hypothèse minimaliste aurait conduit à réviser l'article 34 pour donner au législateur la compétence d'établir l'égalité réelle des femmes et des hommes. Cette solution a été rejetée car l'article 34 vise seulement à distinguer le domaine matériel de la compétence du Parlement, distinct de celui du pouvoir exécutif qui est de nature résiduelle et générale. On a évoqué aussi l'article 1er selon deux modalités. La première aurait consisté à ajouter un alinéa disposant que la loi favorise l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Cette solution était envisageable : elle affirmait très fortement le principe ainsi défendu en s'inscrivant dans cet article qui fonde le socle de notre démocratie, et constitue, selon les termes du professeur Carcassonne, " les piliers du consensus républicain ". L'autre modalité consistait à prévoir dans cet article que : " [La France] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de sexe, de race ou de religion. " Loin de permettre d'atteindre l'objectif poursuivi, cette disposition aurait, au contraire, interdit, par exemple, d'instituer la parité des listes puisqu'elle prohiberait toute distinction fondée sur le sexe.

L'inscription, à l'article 4 de la Constitution relatif aux partis politiques, a été proposée par certains de nos collègues députés en première lecture et également, on le sait, par les sénateurs.

Une telle localisation n'est pas dénuée de sens. Elle offre la possibilité pour le législateur d'adapter le financement des partis au but recherché. En effet, le principe de libre activité des partis pourrait être considéré comme interdisant de moduler leur financement public selon la place faite aux femmes. Pourtant, si cette mesure est utile, elle n'est que très partielle et ne peut suffire, à elle seule, à mettre fin à la situation de monopole dont bénéficient les hommes actuellement dans notre société politique. Cette approche, par trop réductrice, ne rend pas compte de la signification symbolique de la réforme envisagée dont on rappellera plus loin la portée. Par ailleurs, comme l'a souligné la Garde des Sceaux au Sénat : " Inscrire cette révision à l'article 4 de la Constitution priverait celle-ci d'une grande partie de sa portée pratique. Laisser une telle responsabilité aux seuls partis reviendrait à s'en remettre entre leurs mains. Or c'est en raison de cette inaction que le Gouvernement a proposé la présente révision de la Constitution. "

La solution que l'Assemblée nationale a adoptée, conformément au projet de loi, a été de réviser l'article 3 de la Constitution. Cet article porte sur deux principes constitutifs de notre République : la souveraineté et le suffrage. Inscrire dans cette partie de la Constitution que " la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives " donne à cette disposition tout son sens.

Cela répond, tout d'abord, au Conseil constitutionnel qui a fondé principalement sur l'article 3 sa jurisprudence de 1982 et 1999. Par ailleurs, l'inscription à cet article permet, tout aussi clairement, au législateur de prendre des mesures financières à l'égard des partis pour les inciter à assurer une égalité réelle des femmes et des hommes. L'article 4 de la Constitution dispose que " les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage ", dont le principe est arrêté... à l'article 3. L'habilitation donnée par le constituant au législateur pour déterminer les conditions de cet égal accès aux mandats et fonctions serait ainsi générale. L'exercice du droit de suffrage devra se lire à la lumière de cette nouvelle disposition. La souveraineté nationale appartient au peuple, composé intrinsèquement d'hommes et de femmes. Celui-ci l'exercera désormais par des représentants, hommes ou femmes.

Cette révision permettrait de lever l'obstacle posé par le Conseil constitutionnel en 1982 et 1999. Elle a donc un objet juridique. Elle revêt aussi une valeur symbolique dans la mesure où elle fait apparaître, dans notre Constitution, l'humanité dans sa mixité irréductible. Certes, le troisième alinéa du Préambule de 1946 reconnaît déjà l'égalité des femmes et des hommes, mais c'est ici une lecture nouvelle de la notion de souveraineté qui est proposée. L'irruption de la femme dans le champ symbolique et politique est de nature à perturber des modes de pensée solidement établis dans notre pays. Ainsi, sous prétexte d'idéalisme, certains, soit à leur corps défendant, soit fort consciemment, font le jeu d'un conservatisme qui ne dit pas son nom. Les craintes exprimées par ceux qui se considèrent comme les seuls gardiens de l'idéal républicain relèvent trop souvent du fantasme. Il convient donc de dissiper ces doutes injustifiés.

II. - ...DANS UNE RÉPUBLIQUE OÙ L'UNIVERSALISME PREND TOUT SON SENS

Selon ses contempteurs, la révision proposée présente trois risques principaux. Elle porterait atteinte aux principes les plus sacrés de notre République : l'universalisme, l'indivisibilité et l'égalité. Par ailleurs, elle remettrait en cause le libre choix de l'électeur. Enfin, elle laisserait au Conseil constitutionnel un pouvoir d'appréciation trop large, le constituant ayant confié au législateur le soin d'agir sans objectif clair. Il convient de reprendre chacune de ces objections pour les réfuter l'une après l'autre.

A. LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NE REMET PAS EN CAUSE LA RÉPUBLIQUE DANS SES FONDEMENTS

La première lecture du projet de loi au Sénat a été l'occasion d'une remise en cause profonde de la réforme proposée, jugée attentatoire aux fondements mêmes de la République.

Lors des auditions organisées par la Commission des lois du Sénat, Mme Elisabeth Badinter, professeur à l'Ecole polytechnique, a estimé que " la constitutionalisation du concept de parité marquerait l'échec de la République universelle ". Elle a mis en garde les sénateurs " contre une telle démarche qui, conduisant à l'éclatement du concept d'universalisme, ouvrirait la boîte de pandore de tous les communautarismes ". Mme Elisabeth Badinter s'est, par ailleurs, exprimée dans la presse pour étayer une réflexion élaborée depuis de longues années, qui a le mérite de la constance. On regrettera pourtant qu'elle ait refusé de participer à la table ronde organisée par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, comme elle y avait été conviée en octobre dernier, pour indiquer ensuite que l'examen du projet au Palais Bourbon n'avait pas fait l'objet " d'une discussion vraiment sérieuse ".

Les adversaires de la parité considèrent, trop rapidement, que les partisans de cette réforme conçoivent nécessairement la société selon deux points de vue fondés exclusivement sur le critère sexuel. Il y aurait pour eux - affirment certains - une manière féminine et masculine de voir le monde et de faire de la politique. Organiser la parité, ce serait donc rompre avec l'universalisme qui fonde notre République, en introduisant une différenciation sexuelle dans notre société démocratique. A partir de là, pourquoi, selon les adversaires de la parité, d'autres minorités - les Noirs, les Beurs, les handicapés... - ne revendiqueraient-ils pas, au nom de la justice, le droit d'être représentés en tant que tels dans nos assemblées ? D'un modèle universel républicain, on sombrerait ainsi dans une société communautaire à l'américaine à laquelle, évidemment, nous n'aspirons pas.

On le voit, le débat n'est pas mince et il appelle un examen approfondi de la question paritaire dans ses fondements et ses implications. On regrettera pourtant que, dans le cadre de cette discussion démocratique, certains se laissent emporter par leur passion au point, parfois, de jeter une forme d'anathème sur leurs adversaires. Il nous semble ainsi excessif de laisser entendre que les partisans de la parité pourraient être les héritiers de l'idéologie vichyste ou du racialisme différentialiste. Cette filiation intellectuelle rapidement tracée nous paraît sans fondement et n'appelle guère de développement tant elle est outrancière.

Les objections opposées au projet de révision sont vigoureuses. Il convient donc de les réfuter avec précision.

La position du Sénat renvoie à une conception idéaliste de la République. Nous sommes tous attachés à ces principes qui, depuis la Révolution Française, ont permis de construire dans notre pays un régime démocratique ouvert, capable d'accueillir des influences et des populations diverses, tout en préservant son unité et son identité. Pour autant, l'universalisme républicain a longtemps été un édifice imparfait, décliné uniquement au masculin. Cela ne choquait pas les hommes. Cet universalisme leur convenait. L'idéal républicain est profondément ancré en nous. C'est pourquoi il faut tout mettre en _uvre pour lui donner une réalité tangible. La République n'est pas une construction éthérée, dont on évoque l'âge d'or mythique avec nostalgie. Faut-il en effet vraiment regretter une République dont les femmes furent totalement exclues pendant plus de cent cinquante ans ? Elle est, au contraire, une réalité à bâtir quotidiennement et les femmes ont leur part à prendre dans l'édification de ce " vivre ensemble ".

Prévoir la parité dans les listes aux élections serait ouvrir la voie au communautarisme, entend-on. Mais les femmes ne sont pas une communauté, c'est-à-dire " un groupe social ayant des caractères, des intérêts communs ". Elles ne constituent pas non plus une minorité, puisqu'elles sont - en France - majoritaires. Comme l'a rappelé fort justement Mme Elisabeth Guigou, lors des débats au Sénat, " le sexe est un état de la personne, il ne saurait se réduire à une catégorie, car il transcende tous les groupes ". M. Guy Cabanel, rapporteur du texte au Sénat, a repris fort justement ce constat fait par la constitutionnaliste Mme Francine Demichel : " Tous les attributs qu'une personne peut posséder sont soit contingents - nom, profession, situation matrimoniale, appartenance à une classe ou à un groupe social - soit mouvants - âge - soit encore irrecevables dans un droit démocratique - race, couleur de peau - et le sexe, seul élément qui contribue à définir l'identité même de l'individu, doit pour cela être pris en compte pour la théorie de la représentation ". C'est parce que les hommes ont maintenu depuis toujours les femmes en dehors des affaires publiques que la question de leur place dans nos institutions se pose. M. Robert Badinter a insisté, au Sénat, sur le concept d'humanité : elle est ce qui est commun à tous les êtres humains. Or, ce qui est commun à tous les êtres humains, c'est bien la distinction sexuelle. Il est évident - comme le montrait la philosophe Sylviane Agacinski - que la dualité des sexes constitue une différence universelle. La société politique doit accepter cette mixité et non plus la nier aveuglément car la mixité ne porte pas atteinte au principe d'égalité. Au contraire, elle en est la mise en _uvre apaisée. Reconnaître la mixité, y compris dans notre loi fondamentale, c'est reconnaître une différence qui ne justifie pas - comme ce fut trop longtemps le cas - la domination masculine. La discrimination positive, dont certains semblent craindre la venue, existe déjà. N'est-elle pas mise en _uvre par les partis politiques qui privilégient les candidatures masculines ?

On accuse ainsi finalement les femmes de corrompre la République, d'organiser son enterrement. Ce procès d'intention qui leur est fait n'est pas nouveau. Geneviève Fraisse l'a montré dans son ouvrage, La muse de la Raison. Lors de la Révolution française, au nom d'une République idéale, rationnelle et vertueuse, on a exclu les femmes, nécessairement corruptrices puisque mues par leurs passions et étrangères à la Raison. On peut s'étonner qu'il y ait des femmes qui perpétuent, aujourd'hui, ce discours.

Il ne s'agit pas non plus d'affirmer la primauté d'un sexe sur un autre et de renverser les discours tenus si longtemps par les hommes, en proclamant la supériorité des femmes. Comme nous y invite Geneviève Fraisse, il est temps aujourd'hui de " poser la question de la différence sexuelle dans une perspective où la valeur, le plus ou le moins, serait mise de côté ".

Loin de mettre à bas la République et l'universalisme, il nous appartient d'établir une nouvelle conception de la souveraineté nationale représentée par des hommes et des femmes, à part égale, dans leur différence. L'apartheid, que craignent certains, qui séparerait les hommes et les femmes, n'est qu'un fantasme. Il n'est nullement question de distinguer, au sein du corps électoral, les deux sexes. Les femmes élues représenteront aussi les hommes qui auront voté pour elles comme elles furent elles-mêmes, pendant très longtemps, représentées par les hommes qu'elles élisaient. A-t-on jamais entendu quelqu'un affirmer que les hommes élus ne représentaient que la population masculine française ? Une telle assertion aurait semblé absurde. Pourquoi la prononce-t-on alors aujourd'hui quand on évoque la parité ? Les femmes n'entendent pas s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale comme une section du peuple. Affirmer cela, c'est dramatiser à dessein un débat qui mérite mieux.

B. LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NE REMET PAS EN CAUSE LA LIBERTÉ DE CHOIX DE L'ÉLECTEUR

L'argument a également souvent été avancé selon lequel l'organisation de listes paritaires porterait atteinte au libre choix des électeurs. Il a fait florès au Sénat. Le doyen Vedel a exprimé devant la Commission des lois de la seconde chambre, ses craintes que la révision proposée n'ait pour conséquence que le résultat des élections ne dépende plus du choix des électeurs. Le rapport du Sénat reprend cet argumentaire en notant que :

" La révision constitutionnelle éventuelle n'affecterait certes pas la liberté de chaque électeur, telle qu'elle est définie par la loi. Le choix de l'électeur s'effectuerait, comme actuellement, entre les candidatures présentées.

En revanche, la possibilité pour chaque personne de se présenter sur une liste déterminée pourrait être conditionnée par le sexe des autres candidats de cette liste, ce qui réduirait d'autant le choix de l'électeur. "

A notre sens, cette manière d'apprécier cette question n'est pas juste. Aujourd'hui, les électeurs disposent de la liberté de choix... dans la limite des candidatures qui leur sont présentées. Pour les scrutins de liste, les partis arrêtent l'ordre des candidats sans que l'électeur puisse, sauf exception, le modifier. En quoi introduire la parité dans ces listes porterait-il plus atteinte à la liberté des électeurs que l'état actuel du droit. Le professeur Carcassonne l'a clairement indiqué lors de son audition au Sénat : " En l'absence de la possibilité de panachage, l'électeur [est] d'ores et déjà privé de liberté dans la plupart des scrutins. " En fait, comme il l'a souligné fort justement alors, c'est la liberté des partis qui serait la plus contrainte par une telle disposition. Faute d'avoir su prendre, de leur propre chef, la décision d'ouvrir plus largement leurs listes aux femmes, les partis politiques obligent le Constituant à intervenir.

On avance aussi l'idée que l'électeur serait obligé de porter son choix sur des femmes incompétentes, désignées comme candidates uniquement en considération de leur sexe. En effet, selon certains, les partis auraient toutes les difficultés du monde pour trouver des candidates dignes de ce nom. Les personnes qui opposent cet argument à la parité ajoutent généralement que la situation des femmes s'en trouverait fragilisée et que les faveurs ainsi offertes ne feraient que les discréditer. Ces objections sont irrecevables. Tous les candidats hommes seraient-ils désignés pour leur seule compétence, évidemment irréprochable ? N'y a-t-il pas en France suffisamment de femmes qui accepteraient de s'engager, sachant que désormais les obstacles insurmontables qui leur étaient opposés dans les partis seraient levés ?

Au total, on ne peut affirmer raisonnablement que l'instauration de listes paritaires porterait atteinte à la démocratie en limitant le libre choix des électeurs. Cet argument est avancé sans fondement sérieux, comme tant d'autres, les adversaires du projet ayant choisi de faire feu de tout bois.

C. LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NE REMET PAS EN CAUSE LES RÔLES RESPECTIFS DU CONSTITUANT, DU LÉGISLATEUR ET DU JUGE CONSTITUTIONNEL

Sur le plan strictement juridique, des interrogations ont été portées sur la manière dont le projet de loi constitutionnelle organiserait les pouvoirs respectifs du constituant, du législateur et du Conseil constitutionnel en la matière. Evoqué longuement lors de la discussion à l'Assemblée, ce qui a conduit à modifier le texte proposé par le Gouvernement, c'est sous la plume du doyen Vedel que cette argumentation a été développée de la manière la plus vive.

Le texte du projet de loi constitutionnelle impose-t-il au législateur une obligation de résultat, le contraignant à agir immédiatement pour que, dès demain, la parité soit une réalité effective ? Ne laisse-t-il pas au contraire trop de marge d'appréciation au législateur avec un objectif finalement peu précis ? Si tel est le cas, quel sera le rôle du Conseil constitutionnel ? Dans une situation de porte-à-faux, devra-t-il sanctionner une loi qui ne va pas assez vers la parité ou, à l'inverse, annuler celle qui va trop loin dans ce sens ? Sur un mode plaisant, le doyen Vedel écrit que " la parité mérite mieux qu'un marivaudage législatif " (2). Selon lui, tout d'abord, le texte adopté par l'Assemblée ne trancherait pas entre des " paritaristes modérés " et des " paritaristes radicaux ". Les premiers " veulent une égalité de moyens et donnent l'aval à toute mesure permettant aux femmes de se mesurer sans infériorité aux hommes dans les compétitions électorales ou administratives (...). Mais ils ne garantissent pas le résultat. " Les seconds voudraient, " au contraire, que le résultat désiré soit obtenu au besoin par l'application de règles de parité ou de quota à l'intérieur desquelles seulement l'électeur pourrait manifester son choix. "

Cette distinction paraît des plus artificielles et à cent lieues de la réalité du combat paritaire. Comme on l'a souligné plus haut, il faut faire _uvre de pragmatisme. La parité n'est pas un but ultime, tant cette égalité purement mathématique paraît irréaliste. La vie sociale, politique, individuelle ne saurait se résoudre à un simple exercice d'arithmétique. Le projet de loi ne tranche effectivement pas entre ces deux positions, tout simplement parce qu'il n'y a pas à choisir. Les deux attitudes sont nécessaires. Atteindre l'égalité réelle des femmes et des hommes suppose l'utilisation d'instruments juridiques variés, que ce soient un quota paritaire, une meilleure formation des femmes ou des mesures financières à l'attention des partis.

Le doyen Vedel ajoute que le " constituant parle pour ne rien dire, sinon pour laisser au législateur ordinaire le soin de décider à sa place ". Or, tel n'est évidemment pas le cas. Le projet de loi constitutionnelle a un objectif clair : lever l'obstacle né de la jurisprudence constitutionnelle de 1982. Désormais, le Parlement pourra voter des lois introduisant des quotas paritaires en droit électoral. Il pourra aussi moduler le financement des partis politiques en fonction du respect ou non de l'égalité des sexes. Il n'appartient pas, par ailleurs, au constituant de fixer, dans le détail, les modalités de ces principes ; c'est pourquoi, tout naturellement, la compétence en est donnée au législateur. Contrairement à ce qu'affirme le professeur Vedel, les travaux du Parlement, agissant en qualité de pouvoir constituant, sont sans ambiguïté. On ne comprendrait pas que le Conseil constitutionnel ne se sente pas lié par ces travaux qui éclairent parfaitement le projet de loi. Il lui appartiendra, comme il en a l'habitude, de concilier les principes constitutionnels qui pourraient être contradictoires, en faisant prévaloir la norme spéciale sur la norme générale. C'est ainsi que les dispositions constitutionnelles qui ont permis la ratification des traités de Maastricht ou d'Amsterdam se sont insérées dans notre norme suprême.

On le voit, l'examen de ce projet de loi constitutionnelle suscite un débat qui n'est pas dénué d'intensité et de vigueur. Il est heureux qu'une question aussi importante, puisqu'elle est en lien avec notre conception de la République, puisse être pleinement discutée au sein du Parlement. Les arguments des adversaires de la parité montrent aussi combien les résistances à cette idée sont encore fortes. Cette situation ne peut que nous renforcer dans notre conviction. Comme il a été souligné, le texte adopté par le Sénat n'est pas de nature à donner au principe de l'égalité réelle des femmes et des hommes sa pleine portée juridique et symbolique ; c'est pourquoi votre rapporteur vous propose de rétablir la rédaction votée en première lecture par l'Assemblée nationale.

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Intervenant dans la discussion générale, M. Gérard Gouzes a fait part de sa déception sur la façon dont le Sénat avait choisi d'aborder le débat sur la parité, soulignant qu'à cette occasion il avait donné une image quelque peu archaïque.

Précisant d'emblée que le groupe Démocratie libérale, attaché au principe de parité, n'entendait pas revenir sur son vote initial, M. Claude Goasguen a regretté que les sénateurs, quelle que soit leur tendance politique, aient pu mal comprendre la décision unanime de l'Assemblée nationale. Il a souligné le retard de la France en ce qui concerne la participation des femmes à la représentation politique, observant que le Conseil constitutionnel y avait pris sa part, en adoptant une interprétation restrictive du préambule de la Constitution. Pour tenter de faire mieux comprendre la rédaction adoptée par le Sénat, il a relevé que le choix de faire porter la révision sur l'article 4 de la Constitution, relatif au rôle des partis dans l'expression du suffrage, n'était pas absurde, rappelant qu'il avait inspiré un amendement présenté par son groupe à l'Assemblée nationale en première lecture. Mais il a souligné que le texte retenu par le Sénat était en revanche contestable, voire inapplicable, puisqu'il ne faisait peser l'obligation de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions que sur les partis politiques, alors qu'ils n'ont pas l'exclusivité de la présentation de candidats aux élections. Il a ensuite vivement déploré que le Gouvernement ait faussé le débat devant le Sénat par la menace d'une réforme électorale, appuyée par divers propos excessifs, observant qu'une telle attitude ne pouvait que susciter l'inquiétude de sénateurs, par ailleurs souvent animés par les mêmes préoccupations que les députés quant à l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions publiques. Présentant alors son sous-amendement tendant à prévoir que c'est par une loi organique qu'est organisé l'égal accès à ces fonctions, il a expliqué que son objet était de signifier qu'aucune remise en cause de la légitimité de l'une des deux chambres ne devait utiliser le prétexte d'une réforme sur la parité. Enfin, à l'adresse des sénateurs, il a fait remarquer que les arguments sur les discriminations positives n'étaient pas recevables, dans la mesure où la Constitution comporte déjà de telles discriminations, depuis la révision constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie.

Mme Nicole Catala a insisté sur l'ambiguïté fondamentale de la position du Gouvernement, regrettant qu'il n'ait jamais dit si son objectif était de parvenir à une représentation strictement égale des femmes et des hommes, ou bien seulement, selon la position plus nuancée de Mme Catherine Tasca, à un plus large accès des femmes aux fonctions politiques. Elle a ajouté que le Gouvernement n'avait pas davantage explicité les voies qu'il entendait emprunter pour parvenir à cet objectif incertain : " méthode des quotas ", réforme du mode de scrutin pour les élections sénatoriales et éventuellement législatives, modulation des règles de financement des partis politiques, ou combinaison de plusieurs de ces instruments. Pour sa part, elle a estimé que la meilleure méthode consisterait en une réforme du financement des partis. Afin de modérer l'ardeur de certaines critiques formulées à l'encontre de la position du Sénat, elle a rappelé que la plupart des arguments qui la fondaient avaient déjà été évoqués à l'Assemblée nationale, sans provoquer une tempête de protestations. Quant à la méthode, elle a exprimé une interrogation forte sur la nécessité d'une révision préalable de la Constitution, considérant qu'il serait suffisant de recourir à une loi simple si la modulation du financement des partis politiques permettait d'assurer la parité. Elle a rappelé, en conclusion, sa préférence pour l'adoption d'un texte très incitatif, voire contraignant, quelle qu'en soit la nature juridique.

Mme Nicole Feidt a rappelé que l'effort en faveur de la parité avait fait partie des principaux engagements du Premier ministre et de la majorité, et, plus généralement, de l'ensemble des formations politiques, lors des élections législatives de 1997. Constatant que, de l'avis unanime, les progrès en faveur de la parité réalisés par les différentes formations politiques n'étaient pas suffisants, elle a estimé que, dans ces conditions, il n'était pas possible de s'en remettre à l'initiative des partis politiques. C'est pourquoi elle a jugé que le choix du Sénat était condamnable et a donc marqué sa préférence pour la solution retenue par l'Assemblée nationale en première lecture, soulignant qu'elle avait le mérite d'assurer le résultat en renvoyant au Parlement le soin de fixer les règles électorales.

Insistant sur le fait qu'il ne fallait pas caricaturer l'attitude du Sénat sur le sujet, M. Richard Cazenave a jugé que les débats sénatoriaux avaient été d'un grand intérêt, évoquant notamment l'intervention de M. Robert Badinter. Rejoignant ce qui avait été dit au Sénat, il a observé que beaucoup de jeunes femmes ne semblaient pas convaincues par un système qui, imposant une parité, paraissait, à certains égards, vexatoire. Il a estimé que les divergences entre les deux assemblées portaient moins sur le principe lui-même que sur la manière de parvenir à la parité. Il a jugé indispensable que le Gouvernement clarifie ses intentions en la matière, notamment sur les conséquences qu'une telle réforme pourrait avoir sur les systèmes électoraux. Déplorant que les parlementaires ne disposent pas sur le sujet de davantage de précisions, il a plaidé pour la rédaction retenue par le Sénat, jugeant qu'une modification de l'article 4 de la Constitution, qui concerne le rôle des partis politiques, était préférable à une modification de l'article 3 qui porte sur la souveraineté indivisible.

M. Jean-Luc Warsmann a rappelé qu'en première lecture, le groupe R.P.R. avait soutenu le texte. Estimant inutile de revenir sur le constat de la place insuffisante des femmes dans la vie publique, il a tenu à souligner que beaucoup des arguments défendus au cours des débats au Sénat avaient déjà été évoqués au sein de la commission des Lois de l'Assemblée. C'est pourquoi il a considéré qu'il n'était pas justifié de susciter des oppositions factices entre les deux assemblées. Il a souhaité que le Gouvernement fasse preuve de loyauté envers les parlementaires et donne davantage de précisions sur l'application qu'il entend donner à la réforme et notamment ses conséquences sur les systèmes électoraux. Il a estimé qu'une telle attitude favoriserait l'apparition d'un consensus entre le Sénat et l'Assemblée.

M. Dominique Bussereau s'est déclaré réservé sur le principe de la révision constitutionnelle. Rappelant qu'il n'y avait pas eu de vote solennel sur le projet de loi constitutionnelle en première lecture, il a regretté que l'on fasse état du vote unanime de l'Assemblée qui n'était, en réalité, que celui des députés présents. Par ailleurs, il a jugé que la modification apportée par le Sénat était positive parce que, en complétant, non pas l'article 3, mais l'article 4 de la Constitution, elle renforçait l'importance des partis politiques, dont il a regretté que l'influence soit insuffisante en France.

M. Pascal Clément a déploré la pression politique qui était en train de s'exercer sur le Sénat. Il a considéré que les députés devaient légiférer en respectant le bicamérisme, sauf à se prononcer pour la suppression de la seconde chambre. Tout en convenant que les Français s'accordaient sur le constat de la place insuffisante des femmes dans la vie politique, il a estimé que l'affirmation du principe de la parité ne devait pas se traduire par des lois contraignantes. Il a insisté sur le fait que le Gouvernement devait faire connaître au plus tôt ses intentions quant à l'application de ce principe, s'il souhaitait qu'un consensus se dégage, ajoutant que les pressions qui se faisaient de plus en plus fortes pour réformer le mode de scrutin sénatorial contribuaient à fausser le débat sur la parité.

M. Jacques Floch a considéré que la position du Sénat sur la question des conditions d'accès des femmes à la vie publique soulevait le problème de son pouvoir d'obstruction sur des débats aussi essentiels. Soulignant que le Sénat ne représentait qu'imparfaitement la Nation, il a jugé que, dans le cadre de leurs relations avec le Gouvernement, les sénateurs semblaient surtout préoccupés de leur propre mode d'élection. Compte tenu de cette attitude, il s'est déclaré favorable à un retour pur et simple au texte adopté par l'Assemblée. Observant, par ailleurs, que le sous-amendement présenté par M. Claude Goasguen prévoyait que les conditions d'application du principe de la parité devraient être déterminées par une loi organique, il a souligné que cette mesure permettrait en fait au Sénat de freiner l'application de la réforme.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  L'analyse des arguments évoqués au Sénat ne doit pas conduire à un débat sur la place de la seconde chambre dans nos institutions, sujet sans lien avec le projet de loi constitutionnelle dont l'objet est d'instaurer un égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques. Par ailleurs, il convient de se garder de propos caricaturaux sur l'institution sénatoriale, y compris à l'encontre de ceux de ses membres qui ont contesté de façon virulente la réforme.

-  La parité n'est pas un prétexte ou un alibi pour justifier d'éventuelles réformes des modes de scrutins, la volonté du Gouvernement de promouvoir le rôle des femmes dans la vie politique étant totalement indépendante de son intention de réformer le mode d'élection des sénateurs. Dès lors, ceux-ci ne sont pas fondés à utiliser le refus de la parité comme un bouclier contre une réforme de leur régime électoral.

-  Au-delà de cette inquiétude quant au mode de scrutin, la nature des arguments de fond opposés par le Sénat au projet de loi constitutionnelle ne permet pas, en l'état, aux deux assemblées de se rejoindre.

-  Une révision de la Constitution est nécessaire à la fois pour franchir l'obstacle que constitue la jurisprudence du Conseil constitutionnel et pour faire évoluer la manière dont est appréhendée la notion de souveraineté. L'initiative politique de cette réforme revient au Gouvernement et aux formations de la majorité plurielle, les partis politiques n'ayant pas su d'eux-mêmes favoriser la parité. Même si celle-ci doit entrer dans les m_urs politiques par paliers, une démarche volontariste, symbolisée par la révision de notre loi fondamentale, est indispensable.

-  Le Conseil constitutionnel ayant récemment réaffirmé l'inconstitutionnalité de toute disposition législative favorisant la parité, le recours à une loi organique n'est pas l'outil adéquat pour déterminer les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

-  Le débat sur l'opportunité de modifier soit l'article 3, soit l'article 4 de la Constitution n'est pas sans intérêt, l'Assemblée s'étant d'ailleurs interrogée avant de se prononcer à l'unanimité, pour des raisons juridiques et philosophiques, en faveur d'un ajout dans l'article 3.

-  La garde des sceaux et le rapporteur ont la même interprétation du concept de " l'égal accès " : l'objectif est de parvenir à l'égalité entre les hommes et les femmes dans notre société, la parité étant l'instrument pour y arriver, notamment au travers des scrutins de liste et de l'alternance des sexes dans la composition des listes. Cette technique incitative a pour objet de faire naître un vivier de candidates permettant, à terme, la disparition des mesures contraignantes en faveur de la mixité.

-  Comme l'a évoqué le Sénat, des dispositions financières incitant les partis à présenter davantage de candidates féminines, peuvent avoir leur utilité. Cela étant, la rédaction proposée par l'Assemblée pour l'article 3 n'y fait pas obstacle et le Conseil constitutionnel ne pourra pas objecter le principe de la libre organisation des partis. De même, l'argument de la division de la souveraineté n'est pas recevable, puisque des hommes ou des femmes représenteront indifféremment des hommes et des femmes.

-  Si le vote du projet de loi constitutionnelle n'a pas donné lieu à un scrutin solennel, c'est parce qu'aucun groupe politique ne l'a demandé alors qu'il est loisible à tout président de groupe de le faire.

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La Commission est ensuite passé à l'examen de l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

La Commission a été saisie d'un amendement (amendement n° 1) présenté par le rapporteur proposant une rédaction de l'article rétablissant le texte voté par l'Assemblée nationale en première lecture ainsi que d'un sous-amendement de M. Claude Goasguen prévoyant qu'il appartiendrait à la loi organique de déterminer les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Elle a d'abord rejeté ce sous-amendement. M. Claude Goasguen a alors fait savoir que, malgré le rejet de son sous-amendement, il voterait pour le texte proposé par le rapporteur. Il a précisé, à l'attention de ses collègues du Sénat, qu'il souhaitait que les deux assemblées parviennent à un accord sur la révision constitutionnelle qui devrait constituer un progrès de la démocratie ; il a également formulé le v_u que le Gouvernement s'engage, pour apaiser le débat, à ne modifier ni le mode de scrutin du Sénat, ni celui de l'Assemblée nationale. M. Gérard Gouzes a souligné que, quels que soient les engagements du Gouvernement en la matière, l'Assemblée nationale restait souveraine, les députés ayant la faculté de présenter des propositions s'ils le jugeaient bon.

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La Commission a ensuite adopté, dans la rédaction proposée par le rapporteur, l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter le projet de loi constitutionnelle, modifié par le Sénat, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes (n° 1354), compte tenu de l'amendement figurant au tableau comparatif ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte adopté par l'Assemblée nationale
en première lecture

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Texte adopté par le Sénat
en première lecture

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Propositions de la Commission

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Article unique

Il est ajouté à l'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 un alinéa ainsi rédigé :

Article unique

L'article 4 de la Constitution est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

Article unique

L'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

" La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. "

" Ils favorisent l'égal ...

... et aux fonctions ...

" Les règles relatives à leur financement public peuvent contribuer à la mise en _uvre des principes énoncés aux alinéas précédents. "

Reprise du texte
adopté par
l'Assemblée nationale

(amendement n° 1)

SOUS-AMENDEMENT NON ADOPTÉ
PAR LA COMMISSION

Article unique

Sous-amendement présenté par MM. Claude Goasguen et José Rossi à l'amendement de Mme Catherine Tasca, rapporteur :

Dans le deuxième alinéa de cet amendement, après les mots : " La loi ", insérer le mot : " organique ".

N°1377. - Rapport de Mme Catherine TASCA (au nom de la commission des lois) sur le projet de loi constitutionnelle, modifié par le Sénat (n° 1354), relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes

1 ) A ce titre, on renverra au rapport n° 1363 de M. Jacques Floch relatif à la proposition de loi présentée par M. Laurent Fabius, appelant à la création de cette délégation.

2 ) Le Monde, 8 décembre 1998.


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