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N° 1531

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 avril 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Cuba sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole),

PAR M. JOSEPH TYRODE,

Député

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 258, 315 et T.A. 101 (1997-1998)

Assemblée nationale : 786

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I – LES POTENTIALITÉS DE L'ÉCONOMIE CUBAINE 7

II – UN ACCORD CLASSIQUE 11

CONCLUSION 13

EXAMEN EN COMMISSION 15

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée nationale a été saisie, après le Sénat, d’un projet de loi visant à autoriser la ratification d'un accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé entre la France et Cuba le 25 avril 1997.

Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, Cuba a perdu à la fois son banquier, ses principaux fournisseurs de matières premières et ses principaux clients à l’exportation.

Pour autant, Fidel Castro, qui dirige Cuba depuis 1959, continue à proclamer sa fidélité à la stricte orthodoxie marxiste et son aversion pour le régime capitaliste. Lors de sa visite à Cuba en janvier 1998, le pape Jean-Paul II avait exhorté "le monde à s’ouvrir à Cuba et Cuba à s’ouvrir au monde". Le "lider maximo" lui avait répondu que "Cuba défend ses principes de manière inébranlable" et qu’il excluait toute idée de "transition".

De fait, les mesures de grâce intervenues à l’occasion de la visite papale, dont ont bénéficié près de 300 détenus - dont une centaine de prisonniers politiques -, sont demeurées exceptionnelles et ne peuvent être interprétées comme le premier signe d’une politique d’assouplissement du régime castriste. En témoigne la loi adoptée le 16 février 1999 par l’Assemblée nationale du pouvoir populaire qui, sous couvert de renforcer la lutte contre les crimes de droit commun, menace directement les dissidents et les journalistes indépendants. Certains observateurs estiment que le gouvernement souhaite, en accentuant sa mainmise policière et militariste, enrayer un certain affaiblissement politique.

La présence de matières premières et l’essor exponentiel du tourisme à Cuba, suscitent de plus en plus l’intérêt des investisseurs, notamment européens, à l’égard de la plus grande île des Caraïbes. Certains dirigeants cubains sont partisans d’une plus grande ouverture du pays et Mme Albright elle-même, commentant la levée partielle de l’embargo économique contre Cuba, estimait qu’il fallait commencer à penser "au-delà de Castro".

La signature de cet accord d’encouragement et de protection des investissements a comme objectif le développement des relations économiques franco-cubaines. Avant d’en rappeler les dispositions essentielles, nous dresserons en conséquence un tableau des potentialités de l’économie cubaine.

I - LES POTENTIALITÉS DE L’ÉCONOMIE CUBAINE

Officiellement, de 1990 à 1993, le produit intérieur brut (PIB) cubain a chuté de 35%, et la baisse a probablement été plus prononcée encore dans les faits. La suspension de l’aide de l’ancien bloc soviétique, qui représentait 80% du commerce extérieur de Cuba, est l’explication de cette récession. Pour y faire face, les autorités cubaines n’ont eu d’autres solutions que d’engager un cycle de réformes économiques : autorisation des transactions en dollars, réouverture de marchés libres paysans, restructuration des entreprises publiques... Une nouvelle loi sur les investissements, adoptée le 5 septembre 1995, a permis aux étrangers de prendre des participations, pouvant aller jusqu’à 100%, dans les sociétés cubaines. On a pu croire alors que Cuba s’engageait dans une phase de transition économique, à l’image de la Chine ou du Vietnam.

Un tel jugement s'est révélé un peu hâtif. Il est vite apparu que ces mesures de libéralisation, bien partielles, n’ont été adoptées que sous l’empire de l’urgence et de la nécessité, et non par conversion de Fidel Castro aux vertus de l’économie de marché. Par exemple, le secteur bancaire et financier demeure tout entier sous contrôle de l’Etat et le développement du secteur privé cubain reste soumis à d’étroites limites juridiques liées aux formalités d’enregistrement, aux modalités d’imposition... La croissance économique, redevenue positive à compter de 1994 et qui s’est établie à 2,5% en 1997 et 1998, demeure limitée par la contrainte financière extérieure : la dette extérieure de Cuba s’élève à plus de 10 milliards de dollars, et ce poids est d’autant plus lourd à supporter que, en raison de l’embargo américain, Cuba est exclu des mécanismes de financement du Fond monétaire international et de la Banque mondiale, et est contraint de recourir à des crédits à court terme à taux prohibitif. La relative faiblesse de la croissance s’explique également par une productivité insuffisante, la modestie des investissements étrangers et les aléas des récoltes de canne à sucre.

Malgré ce constat un peu décevant, Cuba possède un potentiel réel de développement qui ne demande qu’à être mis en valeur. La population y est éduquée, et il existe des ressources en matières premières (notamment le nickel et le cobalt) et un potentiel touristique important.

De 300 000 en 1990, le nombre de touristes attirés par les plages, les vieilles rue de la Havane ou... les cigares, est passé à 1,4 million en 1998 et les prévisions pour l’an 2 000 tablent sur 2 millions de visiteurs. Cet afflux provoque des besoins d’infrastructures importants et génère de nombreux projets d’investissements dans le secteur touristique auquel la France prend sa part. A titre d’exemple, le Club Méditerranée a inauguré en 1997 un club à Varadero, une destination balnéaire très prisée et le groupe Accor a signé et aurait encore l’intention de signer plusieurs contrats de gestion d’hôtels.

On dénombrait à la fin de l’année 1998 environ 340 entreprises mixtes cubano-étrangères, le plus souvent des joint-ventures à 50-50. Le montant cumulé des investissements étrangers s’élevaient à près de 3 milliards de dollars, dont 600 millions pour le Canada, présent plus particulièrement dans le secteur minier.

Les pays de l’Union européenne se partagent à eux seuls 50% du capital étranger investi à Cuba. Les Espagnols arrivent en tête et sont particulièrement actifs dans le secteur du tourisme. Ainsi, le groupe hôtelier Sol Melia a préféré renoncer à son développement aux Etats-Unis plutôt que de quitter Cuba ; il exploite aujourd’hui 9 hôtels dans l’île et entend y renforcer ses investissements. L’Italie est également très présente, notamment avec la prise de participation de Telecom Italia dans la compagnie de téléphone cubaine.

D’un montant de 100 millions de francs, les investissements français accusent un léger retard par rapport à nos partenaires d’Europe du sud. Outre les investissements dans le secteur du tourisme déjà cités, les programmes les plus importants concernent le secteur énergétique et minier. Une association d’entreprises françaises - Babcock, Gemco et Spie-Enertrans - a remporté un important marché de rénovation des centrales thermiques de technologie russe. Dans le secteur pétrolier, le groupe Bourgoin a lancé sa première campagne de recherche. La France est également présente dans l’agro-alimentaire, et plus spécialement le secteur de la boulangerie. Pernod Ricard est associé à la distribution internationale du rhum cubain.

Dans ce contexte, certains lobbies américains, inquiets de voir un marché aussi proche et prometteur leur échapper, sont favorables à un assouplissement de l’embargo appliqué par les Etats-Unis depuis 1961 et renforcé par la loi Helms-Burton -loi sur la liberté de Cuba et la solidarité démocratique- entrée en vigueur le 12 mars 1996. La principale nouveauté de cette loi était de contenir des dispositions à caractère extra-territoriale : le titre III permet aux propriétaire américains de biens « confisqués » par le régime cubain depuis 1959 d’intenter aux Etats-Unis des actions judiciaires en dédommagement contre les personnes étrangères jouissant des biens en question ; le titre IV vise à refuser l’entrée sur le territoire américain aux dirigeants d’entreprises étrangères utilisant ces mêmes biens. L’Union européenne, qui a vivement contesté ces dispositions qu’elle juge contraire au droit international, a obtenu lors du sommet transatlantique du 18 mai 1998 que les entreprises européennes soient exemptés de ces sanctions. Toutefois cet arrangement doit être compris comme une solution politique temporaire car il ne règle pas le problème de fond : les propositions d’amendement concernant la loi Helms-Burton n’ont toujours pas été déposées au Congrès qui ne serait probablement pas disposé actuellement à les approuver.

Il est très difficile de mesurer précisément l’effet dissusif de la loi Helms-Burton d’autant que l’exécutif américain a pour l’instant suspendu, ainsi que la loi l’y autorise, l’application du titre III. Seule une entreprise mexicaine a fait officiellement connaître qu’elle s’était retirée du marché cubain pour pouvoir poursuivre ses activités aux Etats-Unis.

Lors de sa visite à Cuba en janvier 1998, le pape avait qualifié l’embargo américain de "moralement inacceptable". Pour répondre à cet appel, et dans le but affiché d’atténuer "les souffrances humanitaires" de la population cubaine, les Etats-Unis ont pris en mars 1998 plusieurs mesures pour alléger cet embargo : reprise des vols directs entre les Etats-Unis et Cuba ; autorisation pour les Américains d’origine cubaine et les Cubains vivant aux Etats-Unis d’envoyer de l’argent à leur famille sur l’île à hauteur de 300 dollars tous les trois mois; accélération des formalités pour l’octroi de permis nécessaires à l’envoi de médicaments. L’esprit de ces mesures consiste à soutenir la population civile et les organisations indépendantes face à l’Etat. Elles ne sont pas présentées comme le prélude d’une normalisation avec Cuba. Depuis la loi Helms-Burton, seul le Congrès pourrait du reste remettre en cause l’embargo et cette hypothèse n’apparaît pas aujourd’hui dans ses intentions.

La situation des droits de l’Homme à Cuba demeure préoccupante. La liberté d’expression n’est reconnue que dans le cadre familial ou amical. La liberté de la presse est inexistante. La liberté de déplacement est limitée à l’intérieur de l’île et rendue très difficile à l’extérieur. Le système judiciaire est placé sous le contrôle étroit du pouvoir politique. On estime à 350 le nombre de prisonniers politiques.

La répression a aujourd’hui pris des formes moins brutales que par le passé mais tout aussi pesantes : harcèlements, arrestations temporaires et pressions à l’exil. Les ONG notent même un certain durcissement des autorités cubaines. Votre Rapporteur souhaite en conséquence que le renforcement de notre coopération soit étroitement subordonné à l’amélioration des droits de l’Homme.

II - UN ACCORD CLASSIQUE

Le présent accord se différencie peu de la convention-type qui a inspiré la soixantaine de conventions comparables signées par la France, si ce n’est par la présence d’un protocole annexé à la demande de la partie cubaine, qui vient préciser certaines dispositions.

On retrouve dans l’accord les principales dispositions habituelles en matière d’encouragement et de protection réciproques des investissements :

- tout d’abord, l’assurance d’un traitement juste et équitable à l’égard des investissements de l’autre Partie (article 3). Le protocole annexé précise que doivent être considérées comme des entraves de droit ou de fait au traitement juste et équitable toute restriction à l’achat et au transport de matières premières ainsi que de moyens de production et d’exploitation de tout genre ;

- ensuite, un traitement non moins favorable que celui accordé aux nationaux (article 4). Le protocole annexé précise que les nationaux autorisés à travailler sur le territoire de l’autre Partie doivent pouvoir bénéficier des facilités matérielles appropriées pour l’exercice de leurs activités professionnelles. Cette disposition donne aux expatriés l’assurance de pouvoir disposer des mêmes biens que les nationaux (par exemple, acheter une voiture), et avoir accès à tous les services publics tels que les hôpitaux le système éducatif, les transports en commun, la possibilité d’obtenir un permis de construire…

- enfin, le libre transfert des revenus de l’investissement, y compris du produit de sa liquidation (article 6).

L’article 10 de l’accord prévoit l’intervention d’un tribunal ad hoc pour le règlement des différends entre un investisseur et l’Etat hôte. Selon le protocole annexé, dès lors que Cuba deviendra partie à la Convention de Washington du 18 mars 1965, à laquelle la France adhère déjà, l’une ou l’autre des Parties pourra saisir le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) institué par ladite convention.

CONCLUSION

Cet accord apparaît comme un encouragement pour les entreprises françaises à s’installer à Cuba qui, outre son marché intérieur, peut constituer une tête de pont intéressante pour les Caraïbes et l’Amérique centrale. La politique d’embargo menée par les Etats-Unis avait pour but proclamé la chute de Fidel Castro ou pour le moins une libéralisation de son régime. Cet objectif n’a clairement pas été atteint et l’on peut s’interroger sur l’utilité du maintien de l’embargo. La voie du resserrement des liens commerciaux et économiques est sans doute préférable, dès lors qu’elle n’empêchera pas la France de continuer à dénoncer très clairement toute violation aux droits de l'Homme de la part du régime castriste.

C’est au vu de ces considérations que votre Rapporteur vous invite à adopter ce projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 7 avril 1999.

Après l’exposé du Rapporteur, M. Charles Ehrmann a ironisé sur les distinctions que font certains entre les bons et les mauvais dictateurs.

Le Président Jack Lang a estimé que la France ne pouvait partir en guerre contre tous les dictateurs mais qu'il espérait qu'un succès de l'intervention au Kosovo serait interprété comme un signe fort donné à leur encontre.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 786 ).

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La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de figure en annexe au projet de loi (n° 786 ).

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N° 1531.- Rapport de M. Joseph Tyrode (au nom de la commission des affaires étrangères) sur le projet de loi, adopté par le Sénat autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Cuba sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole) .