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N° 1533

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 avril 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la République française et la République de Géorgie ,

PAR M. PAUL DHAILLE,

Député

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 399, 453 (1997-1998) et T.A. 43 (1998-1999)

Assemblée nationale : 1320

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis tend à autoriser la ratification du traité d’entente, d’amitié et de coopération conclu le 21 janvier 1994 entre la France et la République de Géorgie.

Les grandes lignes de ce traité sont conformes à celles des traités du même type que la France a conclus avec toutes les républiques de la CEI, à l’exception de la Biélorussie et du Tadjikistan. Les dispositions de ce traité sont au demeurant peu originales puisqu’elle ne font que décliner tous les principes qui doivent présider aux bonnes relations entre deux Etats démocratiques respectueux du droit international et énumérer les différents domaines où une coopération, par définition mutuellement profitable, doit se développer.

Il prévoit ainsi un mécanisme de consultations régulières, notamment au niveau des ministres des Affaires étrangères, qui doivent se rencontrer au moins une fois par an, et des consultations exceptionnelles dans les situations de menace contre la paix ou de mise en cause d’intérêts majeurs de sécurité.

La France s’engage à favoriser le développement des liens entre la Géorgie et les Communautés européennes. Cette clause se retrouve dans les autres traités d’entente qui lient la France aux républiques de la CEI. Elle est en deçà des clauses similaires qui figurent dans les traités d’entente conclus avec les pays d’Europe centrale et orientale et les pays baltes qui évoquent la perspective de leurs adhésions. En effet, l’Union européenne n’a pas vocation à s’élargir au-delà de ces derniers pays.

L’article 9 du Traité souligne l’importance des accords de désarmement et prend acte que la Géorgie a renoncé à l’arme nucléaire.

Les autres dispositions du Traité énumèrent les secteurs où la coopération bilatérale doit se développer : défense, agriculture, investissements, relations interparlementaires, relations entre collectivités territoriales, enseignement, culture, sciences, médias, environnement, relations consulaires, entraide judiciaire, coopération humanitaire.

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* *

Fort heureusement, la France et la Géorgie n’ont pas attendu la ratification de ce traité pour développer leurs relations bilatérales même si celles-ci attendent une nouvelle impulsion.

La France a été parmi les premiers Etats qui ont reconnu la Géorgie en 1992 et a reçu le Président Chevarnadzé en 1994. Mais, par la suite, les contacts ministériels ont été interrompus jusqu’en 1996. Les conflits du Caucase et la situation intérieure de la Géorgie étaient à l’origine de cette interruption.

Depuis, les relations ont été relancées : le Président Chevarnadzé a rencontré le Président de la République à Paris en 1997 ; les rencontres de niveau ministériel se sont multipliées. La Géorgie attend une visite du Chef de l’Etat français en 1999 mais il est possible qu’elle ne puisse avoir lieu à cette date. En effet, le Chef de l’Etat peut difficilement se rendre en visite officielle en Géorgie sans se déplacer également en Arménie et en Azerbaïdjan. La persistance du contentieux entre ces deux derniers pays à propos de la question du Karabagh est sans doute un obstacle à cette visite. Il paraît important que des contacts plus suivis soient établis au niveau des ministres des Affaires étrangères.

La Géorgie a su établir les fondations d’une démocratie en dépit d’un contexte local et régional peu propice. A ce titre, elle a été admise le 25 mars 1999 au Conseil de l’Europe ce qui en fait le premier Etat du Caucase à obtenir ce brevet de démocratie. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a assorti son avis favorable de certaines conditions : la ratification d’un certain nombre de conventions, notamment la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et l’adoption de lois diverses : création d’une deuxième chambre, statuts d’autonomie des territoires, profession d’avocat, retour des Meskhètes déportés par le régime soviétique, statut des minorités, élection des maires, réforme du système judiciaire et du système pénitentiaire, etc.

On se souvient du cours particulièrement inquiétant qu’avait adopté la Géorgie sous la houlette de son premier président, le nationaliste Zviad Gamsakhourdia. Depuis qu’Edouard Chevarnadzé occupe cette fonction, en mars 1992, la situation politique s’est stabilisée. Certes, la vie politique géorgienne a les caractéristiques que l’on retrouve malheureusement dans beaucoup d’autres républiques de la CEI : violence endémique, corruption, développement des mafias. En 1998, le Président a échappé à une tentative d’assassinat et à une tentative de coup d’Etat. Cependant, l’existence d’une opposition qui dispose de tous les moyens d’expression et l’authentique liberté dont jouit la presse sont des critères qui permettent de penser que la démocratie a un avenir dans ce pays. Plus de 400 textes législatifs ont été adoptés ces quatre dernières années. Une réforme de la justice est en cours. Les premières élections locales se sont tenues en 1998. Des élections législatives doivent avoir lieu en novembre 1999.

Le parti du Président - l’Union des citoyens – devra affronter une opposition, éclatée en une demi-douzaine de partis allant des nationalistes aux communistes, qui lui reproche la situation économique du pays et une trop grande complaisance à l’égard de la Russie.

Après une chute vertigineuse de la production (-80% entre 1990 et 1994 !) et une forte reprise en 1997 (+11%), l’économie subit le contrecoup de la crise russe et les conséquences d’une situation financière extrêmement critique. Aux maux traditionnels des économies post-soviétiques, s’ajoutent les effets des conflits internes et ceux de l’application de réformes libérales dans un pays qui ne dispose pas encore d’un cadre juridique et administratif cohérent. La situation des finances publiques est très préoccupante. On ne voit pas comment les autorités pourraient introduire des réformes radicales et les institutions financières internationales se refusent, pour le moment, à soutenir davantage ce pays.

Pourtant, la Géorgie dispose de certains atouts, en particulier dans le domaine de l’acheminement des produits pétroliers. Un premier oléoduc devrait bientôt relier Bakou à Supsa et un second pourrait s’ouvrir entre Bakou, Tbilissi et Ceyhan. La Géorgie peut espérer devenir un important point de passage pour l’exportation des hydrocarbures de la Caspienne.

Il est probable cependant que la Géorgie ne pourra pleinement exploiter les potentialités de la coopération régionale tant que le Caucase connaîtra une situation aussi troublée, notamment tant que les divers mouvements sécessionnistes ou autonomistes qui traversent le territoire géorgien n’auront pas adopté une attitude plus raisonnable.

La Géorgie est en effet une mosaïque ethnique. Sur un territoire de 69 700 km2, la population se compose de huit nationalités : 3,8 millions de Géorgiens, 437 000 Arméniens, 340 000 Russes, 308 000 Azéris, 164 000 Ossètes, 100 000 Grecs, 99 000 Abkhazes, 52 000 Ukrainiens, d’après le recensement soviétique de 1989.

A l’époque de l’Union soviétique, elle était composée de deux républiques autonomes – Abkhazie et Adjarie – et d’une région autonome, l’Ossétie du Sud.

L’Ossétie du Sud a été la première province à remettre en cause son statut en demandant celui de république autonome ce qui pouvait la conduire à l’indépendance et au rattachement à l’Ossétie du Nord. Mais le président Gamsakhourdia a supprimé son statut d’autonomie en 1990. Après une guerre particulièrement meurtrière, un cessez-le-feu est intervenu en 1992 et des négociations se sont ouvertes. Les relations sont aujourd’hui plus sereines mais le retour des réfugiés géorgiens n’a toujours pas été réellement mis en œuvre par les Ossètes et le statut de la province n’est pas encore établi.

L’Abkhazie a proclamé son indépendance de fait ce qui a provoqué une guerre civile. Ce conflit avait toutes les caractéristiques des conflits "modernes" : déplacements de population, phénomène des bandes armées, insécurité du personnel humanitaire... Un cessez-le-feu a pu être obtenu en 1994 avec l’interposition des forces de la CEI et la mise en place d’une mission d’observation des Nations Unies, la MONUG. Les autorités abkhazes persistent à refuser le statut fédéral proposé par la Géorgie et les hostilités ont repris en mai 1998 pendant quelques semaines. L’Abkhazie est aujourd’hui dans une situation d’insécurité générale.

L’Adjarie, quant à elle, sans revendiquer l’indépendance, a désigné une forte personnalité au sommet de ses institutions - le milliardaire Aslan Abachidze -, qui se pose en rival de M. Chevarnadzé et finance vraisemblablement les partis d’opposition. Cette république ne reverse pas ses recettes douanières à l'Etat central et n’applique pas les lois géorgiennes, forte d’une situation économique plus favorable.

La Djavakhétie revendique elle aussi une forte autonomie par rapport à Tbilissi. Cette province, peuplée à 90% d’Arméniens qui ne parlent pas le géorgien, est soumise à la tentation sécessionniste.

Sans doute, ces tendances centrifuges n’auraient pas pris autant d’ampleur si le Président Gamsakhourdia n’avait mis en œuvre une politique centralisatrice, peu respectueuse des diverses identités ethniques. Mais on voit mal comment des républiques indépendantes pourraient acquérir une quelconque viabilité dans un cadre géographique aussi réduit. Il est probable qu’elles deviendraient rapidement des satellites de la Fédération de Russie. Par ailleurs, en Abkhazie, les Géorgiens étaient largement majoritaires.

Il importe en conséquence que les pays occidentaux soutiennent cet Etat et les diverses initiatives destinées à résoudre ces conflits.

La Géorgie bénéficie d’un soutien important des Etats-Unis et de l’Allemagne essentiellement en raison de sa place stratégique pour le transit du pétrole de la Caspienne. Les Etats-Unis, en particulier, soutiennent les projets de l’Azerbaïdjan qui privilégient les projets d’oléoducs contournant le Caucase russe.

Cependant, la Russie joue un rôle essentiel dans la région.

Ce sont les forces russes qui ont permis au Président Chevarnadzé de réduire les milices de l’ancien président Gamsakhourdia en 1993. La Géorgie en a tiré les conséquences en adhérant à la CEI et en acceptant l’installation de bases militaires russes sur son territoire. En 1994, la Russie a tout d’abord soutenu les sécessionnistes abkhazes, puis, après l’envoi d’une force d’interposition, a décidé des sanctions contre ces mêmes sécessionnistes et s’est posée en arbitre.

Les Occidentaux ont opté pour une gestion du conflit abkhaze en partenariat avec la Russie et dans le respect de l’intégrité territoriale de la Géorgie. Sur l’initiative de la France, un "groupe des amis de la Géorgie" a été constitué qui participe au processus destiné à définir une solution politique. A chaque étape du conflit, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté des résolutions, non assorties de sanctions. Mais la Russie conserve le premier rôle en tant que principal fournisseur de troupes et grâce à son rôle de "facilitateur" officiel.

Les Géorgiens ne se sont toujours pas résignés à cette influence de la Russie. Ils la soupçonnent volontiers de n’avoir pas renoncé à ses ambitions impérialistes. En outre, le projet d’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan est en concurrence directe avec le projet russe trans-Tchétchénie. Ils ont le sentiment que la Russie entretient en sous-main les conflits afin de maintenir son emprise.

Aussi, la Géorgie souhaite que l’ONU joue un rôle plus actif dans la gestion des crises.

La présence de la France n’est pas à la hauteur de ces enjeux.

La France joue un rôle politique dans la région du Caucase mais son aide bilatérale en faveur de la Géorgie est à la mesure de sa faible présence économique. Les Etats-Unis fournissent une aide financière élevée (100 millions de dollars), ainsi que l’Allemagne (100 millions de marks). Entre 1991 et 1995, l’aide européenne s’est élevée à 296 millions d’écus. En 1994, la France a accordé une aide de 10 millions de francs, sous la forme d’un don du Trésor, consacré à la création de la monnaie nationale, le lari. Suivie en 1997, d’une nouvelle aide de 3,3 millions de francs. Les crédits de la coopération culturelle et technique pour 1998 s’élevaient à 2,5 millions de francs.

Sans doute, les relations culturelles sont bonnes. La culture française est très appréciée en Géorgie. Les liens ont été confortés par la création d’un centre culturel franco-géorgien à Tbilissi, l’action de Canal France International dans l’audiovisuel et la coopération entre Paris VIII et l’Université technique de Tbilissi. Il serait souhaitable que soit créée une filière francophone dans le secteur éducatif.

Les relations économiques se sont intensifiées mais demeurent modestes.

Les échanges commerciaux ont atteint le niveau de 165 millions de francs en 1997 - dont 158 millions d’exportations françaises – et de 120 millions de francs en 1998. La France exporte pour l’essentiel des biens de consommation et se place au rang de 117ème vendeur à la Géorgie. Elle est largement devancée par l’Allemagne, les Pays Bas et la Turquie, qui savent exploiter la faiblesse des barrières douanières. Néanmoins, une partie des exportations turques en Géorgie sont réalisées par des entreprises françaises.

Les investissements français en Géorgie sont estimés à 50 millions de dollars. Ce résultat est encourageant car il place la France au premier rang des investisseurs étrangers hors pétrole. Sur 400 millions de dollars d’investissements étrangers, 300 ont été investis par le consortium de construction de l’oléoduc Bakou – Kupsa. Les investissements français sont principalement le fait de la brasserie Castel et de la société Pernod Ricard qui rencontrent d’ailleurs des difficultés du fait de la crise russe. De nombreux projets restent en l’état faute de garanties suffisantes de la COFACE en raison du climat d’insécurité ambiant.

Les futures privatisations géorgiennes pourraient permettre aux entreprises françaises d’acquérir des positions fortes dans certains secteurs comme l’énergie, les transports, l’électricité et les infrastructures portuaires. Cependant, il est difficile pour les intérêts français de remporter des appels d’offre tant les liens des autorités géorgiennes avec les Américains sont étroits.

Au bénéfice de ces observations, votre Rapporteur vous propose d’adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 7 avril 1999.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 1320 ).

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La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de figure en annexe au projet de loi (n° 1320 ).

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N° 1533.- Rapport de M. Paul Dhaille (au nom de la commission des affaires étrangères) sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la République française et la République de Géorgie .