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le 1er juillet 1999

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N° 1699

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juin 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat du Qatar sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble une annexe),

PAR M. RENÉ ANDRÉ,

Député

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 289, 355 et T.A. 137 (1997-1998)

Assemblée nationale : 915

Traités et conventions.

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

Mesdames, Messieurs,

L'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat du Qatar sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements a été signé à Doha le 8 juillet 1996.

Il s'agit d'un accord traditionnel, à l'image des quelque 70 accords d'investissements signés par la France. Son objet est d'offrir aux investisseurs français un cadre juridique sûr afin de favoriser l'activité des entreprises françaises.

Surtout, la France et le Qatar poursuivent de longue date une coopération étroite sur les plans politique, militaire et économique.

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L'accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Doha le 8 juillet 1996, entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat du Qatar, présente des caractéristiques générales classiques :

- la définition des principaux termes utilisés dans l'accord est traditionnelle à une précision près : l'Etat qatari a demandé que figure une disposition particulière incluant les gouvernements des deux pays dans la définition du terme « investisseur » (article 1er, alinéa 2). En effet, le gouvernement du Qatar a indiqué qu'un certain nombre d'investissements pourraient être effectués en son nom propre, et qu'il serait préférable, à ce titre, de les inclure dans le champ d'application de l'accord ;

- le principe de l'encouragement des investissements de chaque Partie sur le territoire et dans la zone maritime de l'autre Partie (article 2) ;

- le traitement juste et équitable des investissements conformément aux principes du droit international (article 3) ;

- plus précisément, traitement national et traitement de la nation la plus favorisée (article 4). Chaque Partie applique un traitement non moins favorable que celui qu'elle réserve aux investissements de ses propres investisseurs, ou de ceux de la nation la plus favorisée, si celui-ci est plus avantageux.

Deux exceptions subsistent cependant :

· ce traitement ne s'étend pas aux privilèges consentis par l'une ou l'autre des Parties par effet de sa participation à une zone de libre-échange, une union douanière, un marché commun ou toute autre forme d'organisation régionale ;

· les questions fiscales sont également exclues de ce traitement ;

- le principe d'une indemnisation prompte et adéquate en cas de dépossession (article 5). L'expropriation arbitraire ou discriminatoire est a priori exclue. Cependant, en cas de dépossession pour cause d'utilité publique, une indemnité prompte et adéquate est accordée. Les investisseurs ayant subi des dommages dus à des événements politiques (guerre, révolte...) bénéficieront du traitement national ou du traitement de la nation la plus favorisée ;

- la liberté des transferts. L'article 6 prévoit le libre transfert des diverses formes de revenus que peut générer l'investissement ;

- une garantie de l'Etat dont l'investisseur est un ressortissant peut être accordée aux investissements dûment agréés par l'Etat d'accueil (article 7) ;

- la possibilité de recourir à une procédure d'arbitrage international en cas de différend entre un investisseur et un Etat Partie (article 8). Si le règlement à l'amiable d'un différend ne peut être trouvé dans un délai de six mois à partir de sa notification écrite, le différend peut être soumis, à la demande de l'investisseur, au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ;

- la subrogation de l'un des Etats dans les droits et actions des bénéficiaires de la garantie qu'il a accordée à un investissement (article 9) ;

- les engagements particuliers pris en matière d'investissements prévalent sur l'accord si leurs dispositions sont plus favorables que celles de l'accord (article 10) ;

- le règlement par la voie diplomatique des différends entre Parties contractantes relatifs à l'interprétation et à l'application de l'accord (article 11) ;

- l'accord est conclu pour une durée initiale de dix ans, au-delà de cette période, il reste en vigueur tant qu'il n'a pas été dénoncé (article 12).

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· Indépendant depuis le 3 septembre 1971, le Qatar entretient avec la France un dialogue politique de confiance.

De fortes convergences de vues existent entre les deux Etats sur les principales questions régionales et internationales. Le Qatar s'est souvent reconnu dans les positions françaises sur la scène internationale, particulièrement sur les questions relatives au Proche- et Moyen-Orient (solution de la crise irakienne et réactivation du processus de paix), et apprécie que la France manifeste son indépendance à l'égard des Etats-Unis.

De nombreux échanges de visites à haut niveau illustrent l'importance de nos relations politiques. A l'occasion de la visite officielle du Ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine au Qatar les 6 et 7 mars 1999, une lettre d'intention a été signée pour renforcer la concertation politique entre nos deux pays sur les principales questions régionales, internationales et bilatérales.

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· La collaboration privilégiée instaurée depuis un quart de siècle se manifeste notamment par le biais des contrats d'armement très importants avec ce pays, dont la sécurité et la défense dépendent de la protection militaire que peuvent lui accorder les puissances occidentales. Le Qatar s'efforce d'ailleurs de mettre en concurrence ses alliés occidentaux en la matière : des accords de défense ont été signés avec les Etats-Unis en 1992 et avec le Royaume-Uni en 1996.

Quoi qu'il en soit, la coopération bilatérale avec la France en matière de défense a été renforcée par la signature d'un accord de défense en 1994. La France conseille et instruit l'armée qatarie forte de 9 000 hommes ; elle lui fournit également 80 % de ses équipements.

Des officiers français sont détachés auprès de l'armée de l'air en qualité d'assistants techniques. Une mission française de coopération militaire est implantée à Doha depuis 1991 et ses membres conseillent directement les responsables qataris. De même, des officiers qataris effectuent régulièrement des stages en France.

Le Mirage 2000-5 de défense aérienne de Dassault-Aviation est en service dans la Qatar Emiri Air-Force (QEAF) qui a acquis douze appareils en juillet 1994 pour un montant de 7 milliards de francs (neuf appareils monoplaces et trois appareils biplaces) associant d'autres partenaires comme la SNECMA, Thomson-CSF et Matra qui fournit les missiles air-air Mica et Magic 2. Des chars AMX-30, des missiles Milan et Hot, des Mirage F1, des appareils d'entraînement Alphajet et des hélicoptères Gazelle figurent également au nombre des équipements de l'armée qatarie.

En février 1999, des man_uvres militaires des troupes françaises et qataries ont eu lieu au Qatar destinées à « améliorer les capacités de combat » de l'armée de l'Emirat. A cette même date, le chef d'état-major des armées françaises, le général Jean-Pierre Kelche, a rencontré son homologue le général Hamad Ben Ali Al-Attiya. Enfin, du 9 mai au 9 juin 1999 se déroule une campagne d'évaluation des capacités du char Leclerc en terrain désertique et en climat chaud.

A l'occasion de la visite du Ministre de la Défense Alain Richard, l'accord de défense de 1994 a été complété le 24 octobre 1998 par la signature d'un accord visant à « renforcer l'engagement de la France en faveur de la sécurité du Qatar ». En fait, cet accord réaffirme l'engagement de la France à participer, sous certaines conditions, à la défense du Qatar contre une agression extérieure. Il précise le statut juridique des personnels français présents sur le sol qatari au titre de la coopération de défense et redéfinit le rôle des différents organismes civils ou missions militaires qui contribuent à l'entraînement et à l'équipement des forces qataries. A l'occasion de cette même visite du Ministre de la Défense, la France a cédé gratuitement douze chars AMX-30 d'occasion.

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· Enfin, l'importance de nos relations économiques bilatérales est loin d'être négligeable.

Le Qatar est l'un des Etats les plus riches du monde avec un PIB par habitant qui avoisine les 15 000 dollars. En 1997 son taux de croissance a été de 15,5 % !

La quasi-totalité de ses matières premières et l'essentiel de sa consommation alimentaire sont importés. Un désert semi-aride et plat occupe l'essentiel des 11 437 km² du territoire et le pays doit dessaler la quasi-totalité de son eau.

L'économie est fortement dépendante de la main-d'_uvre étrangère : les nationaux d'origine bédouine représentent 20 % des 522 000 habitants et les immigrés assurent l'ensemble de la force de travail (Egyptiens, Libanais et Palestiniens / Pakistanais, Indiens et Bengalis). Surtout, l'économie repose sur le dynamisme des raffineries et des entreprises de produits dérivés.

Depuis son indépendance, le Qatar a confortablement vécu de sa rente pétrolière mais ses réserves s'épuisent. Aujourd'hui, le gaz a pris le relais du pétrole. Le gisement off-shore de North Dome Field est colossal : c'est le troisième gisement mondial de gaz naturel après la Russie et l'Iran (près de 10 % des réserves mondiales estimées soit une dizaine de trillions de mètres cubes, sur 6 000 km² d'étendue).

Un plan de développement industriel de plusieurs milliards de dollars sera financé d'ici l'an 2000 comprenant des usines de liquéfaction de gaz, ainsi que la mise en exploitation de nouveaux champs pétrolifères et gaziers. Mais les investissements massifs correspondants pèsent lourdement sur la trésorerie du pays : en 1998, le déficit budgétaire s'est élevé à 14 % du PIB, l'endettement extérieur a représenté 110 % du PIB et l'endettement public domestique 48 %. Pour mettre en _uvre ses projets liés à l'exploitation du gisement de North Field, le Qatar doit faire appel aux technologies et aux financements étrangers, notamment à la France. C'est la deuxième destination des investissements directs français dans la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient (2 milliards de francs depuis 1990) :

- Total et Technip figurent parmi les entreprises françaises les plus dynamiques sur le marché qatari. Par exemple, Total fait partie du consortium Qatargas chargé de l'une des phases d'exploitation du gisement du North Dome ;

- Elf avec sa filiale Atochem dispose d'intérêts dans la pétrochimie qatarie : partage avec Enichem (Italie) de 20 % des parts dans le capital de Qapco (Qatar Petrochemical Company détenue à 80 % par Qatar General Petroleum Company-QGPC qui produit de l'éthylène et du polyéthylène) ;

- Elf détient également un contrat de partage de production sur le gisement pétrolier d'Al Khalij.

Le Qatar serait d'ailleurs tout à fait disposé à considérer la France comme le distributeur des produits qataris pour l'Union européenne, en particulier pour le gaz et la pétrochimie dans la mesure où l'Union devra couvrir la moitié de ses besoins en gaz en l'an 2000 en recourant à l'importation.

On le voit, la France est un partenaire commercial important du Qatar. En 1997, les exportations civiles françaises s'élevaient à 3 milliards de francs et la France détenait 10 % de parts de marché. Mais nos exportations ont baissé de 28 % en 1998 par rapport à 1997 en dépit d'une reprise en fin d'année avec la commande ferme de six Airbus 320 pour 620 millions de francs et des contrats attribués à Alstom pour 231 millions de francs et à Alcatel pour 39 millions de francs. Quoi qu'il en soit la balance commerciale penche toujours en faveur de la France qui est l'un des premiers fournisseurs du Qatar, en particulier grâce aux ventes d'équipements notamment électriques liés à Qatargas et aux projets pétrochimiques. Mais les chiffres ne reflètent pas totalement l'importance de nos relations économiques bilatérales : ils n'intègrent pas les biens d'équipement et de consommation exportés dans les Emirats Arabes Unis qui sont redistribués au Qatar et qui représentent environ la moitié des échanges directs entre nos deux pays.

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CONCLUSION

Au bénéfice de ces observations, votre Rapporteur vous propose d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 16 juin 1999.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Michel Terrot a déclaré se réjouir de l'excellence de la coopération entre la France et le Qatar mais s'est inquiété de l'attention portée au respect des droits de l'Homme dans ce pays.

M. René André a déclaré que la question des droits de l'Homme devait être appréciée en tenant compte des traditions de la région, et que ce serait une erreur de porter un jugement fondé sur les seuls critères occidentaux.

M. Pierre Brana a rappelé qu'une récente convention interdisait le versement de commissions à des personnes extérieures sur les contrats de vente d'armes. Cette convention prévoit également une injonction pour les pays de sanctionner pénalement les auteurs de ces commissions. Or, le Qatar n'a pas de législation de cet ordre et la pratique serait même inverse.

M. René André a estimé qu'il était souhaitable, en la matière, que les contraintes que la France entend respecter soient appliquées aussi par les autres pays.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 915).

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NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 915).

N°1699. - RAPPORT de M. René ANDRÉ (au nom de la commission des affaires étrangères) sur le projet de loi, adopté par le Sénat (n° 915), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat du Qatar sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble une annexe).


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