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le 8 juillet 1999

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N° 1757

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 juin 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière,

PAR M. FRANÇOIS LONCLE,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 162, 381 et T.A. 144 (1998-1999)

Assemblée nationale : 1660

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LES OBLIGATIONS DE L'ITALIE AU REGARD DE SON INTÉGRATION DANS L'ESPACE SCHENGEN 7

A - LES DIFFICULTÉS DE LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE 7

1) La pression migratoire aux frontières extérieures italiennes 7

2) Le Gouvernement italien face à l'immigration irrégulière 7

3) La situation dans la zone frontalière franco-italienne
dans la région frontalière franco-italienne 9

5) Le rôle de la coopération bilatérale 9

B - LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ET LA DÉLINQUANCE
DANS LA RÉGION FRONTALIÈRE FRANCO-ITALIENNE
11

1) La délinquance transfrontalière 11

2) Des divergences entre les services de douane
quant au maintien des contrôles 11

3) Les opérations d'observation et les poursuites transfrontalières 12

II - UN NOUVEAU CADRE POUR RELANCER
LA COOPÉRATION FRANCO-ITALIENNE
13

A - LES FUTURS CENTRES DE COOPÉRATION POLICIÈRE ET DOUANIÈRE 14

B - LA COOPÉRATION DIRECTE ENTRE UNITÉS DE PART ET
D'AUTRE DE LA FRONTIÈRE
16

C - L'ÉTABLISSEMENT DE RELATIONS MULTIFORMES ENTRE LES SERVICES 17

CONCLUSION 18

EXAMEN EN COMMISSION 19

Mesdames, Messieurs,

La convention d'application de l'accord de Schengen a été signée le 19 juin 1990 par cinq pays fondateurs : la France, l'Allemagne et les pays du Bénélux. L'Italie a rejoint la coopération Schengen le 27 novembre 1990.

Néanmoins, en vertu d'une particularité propre au système Schengen permettant de dissocier l'entrée en vigueur de la convention (dès la ratification par l'ensemble des Parlements des Parties à la convention) et la mise en application effective, l'Italie n'a intégré l'espace Schengen que plusieurs années après la signature, le 1er avril 1998, jour de la levée des contrôles aux frontières terrestres.

Une commission de visite composée de représentants des Etats Schengen s'était en effet rendue en février 1997 aux frontières extérieures italiennes pour constater les mesures prises par le Gouvernement et les moyens mis en _uvre pour assurer la surveillance et le contrôle de cette frontière extérieure, qui devient frontière extérieure à l'ensemble des pays Schengen. Suite à cette visite, le Comité exécutif réuni à Vienne, le 7 octobre 1997, autorisait la levée des contrôles aux frontières intérieures avec l'Italie et la pleine intégration de ce pays à l'espace Schengen.

Parallèlement, notre pays négociait une convention générale de coopération policière et douanière avec l'Italie, comme avec les autres pays limitrophes, afin de compenser la disparition des contrôles frontaliers par une coopération bilatérale accrue, bénéficiant de procédures renforcées. La négociation a abouti à la signature, le 3 octobre 1997 à Chambéry, de deux accords : celui examiné aujourd'hui et un accord de réadmission, déjà ratifié par le Parlement.

On rappellera que les accords de coopération bilatérale sont fondés sur l'article 39 de la convention d'application de Schengen, qui mentionne la conclusion d'arrangements administratifs, mais aussi d'accords bilatéraux plus complets entre parties contractantes ayant une frontière commune.

I - LES OBLIGATIONS DE L'ITALIE AU REGARD DE SON INTÉGRATION DANS L'ESPACE SCHENGEN

A - Les difficultés de la lutte contre l'immigration clandestine

1) La pression migratoire aux frontières extérieures italiennes

Les frontières extérieures italiennes sont confrontées à une forte pression migratoire et l'Italie demeure toujours, malgré les efforts entrepris par son Gouvernement pour maîtriser l'immigration clandestine, un pays de destination et de transit pour les clandestins en provenance de nombreuses régions du monde.

Les statistiques provisoires pour l'année 1998 indiquent que les autorités italiennes ont prononcé près de 40 000 décisions de non-admission sur le territoire, dont 27 600 effectuées sur les frontières et près de 12 000 prises par les questures, qui jouent en la matière un rôle équivalent à celui des préfectures françaises. Ces autorités sont confrontées, depuis le début de cette année, à des arrivées en nombre très important de personnes de nationalité albanaise, turque (des kurdes en réalité), de ressortissants des pays du Maghreb et de serbes yougoslaves.

Le littoral maritime italien, surtout dans sa partie sud, représente un front particulièrement sensible pour le Service « Immigration et Police frontière » italien : les fonctionnaires de ce service ont intercepté au seul premier semestre plus de 122 000 étrangers en situation irrégulière dans la région des Pouilles. Ces clandestins sont presque tous des Albanais provenant directement de leur pays - la côte albanaise ne se trouve qu'à 60 kms de l'Italie, ou transitant par la Grèce - les ports de Brindisi et de Bari desservent principalement ce pays. Les autorités n'ont pu procéder au refoulement immédiat que dans 3698 cas. Les îles de Lampedusa et de Pantelleria sont également confrontées à un flux important d'immigrants en provenance du Maghreb, de Tunisie principalement : l'arrivée de 3326 personnes y a été recensée au premier trimestre 1998.

2) Le Gouvernement italien face à l'immigration irrégulière

L'Italie a longtemps fait l'objet de critiques de la part de ses partenaires européens pour le laxisme de sa politique d'immigration. Celle-ci a été réformée par la loi du 6 mars 1998, dont l'objectif est de lutter efficacement contre l'immigration clandestine et contre son exploitation par des réseaux de criminalité. Les nouvelles dispositions facilitent le refoulement immédiat des clandestins, renforcent les sanctions pénales et administratives du franchissement illégal de la frontière extérieure et créent des centres de rétention. Dans ce cadre, le Gouvernement a montré sa détermination en mettant en _uvre 54 000 expulsions en 1998. Ce revirement de l'attitude italienne ne peut qu'être approuvé.

Cependant, les « signaux » adressés par l'Italie aux candidats potentiels à l'immigration sont contradictoires : en même temps que le Gouvernement procédait à ces expulsions, il engageait une politique de régularisation des clandestins de grande ampleur. Le quota de régularisation a en effet été fixé à 58 000 personnes en 1998 et à 250 000 personnes pour 1999.

3) La situation dans la zone frontalière franco-italienne

La pression migratoire à la frontière franco - italienne est très importante et cette frontière reste l'une des plus difficiles à surveiller et à contrôler pour notre pays. La pleine intégration de l'Italie à l'espace Schengen le 1er avril 1998 a eu pour conséquence la levée des contrôles aux frontières terrestres intérieures et de ce fait l'impossibilité de prononcer la non-admission sur le territoire : seulement 825 non-admissions ont été prononcées en 1998 contre près de 8 000 en 1997.

Les interpellations de clandestins dans la zone de 20 kms où les contrôles d'identité peuvent être effectués hors de toute opération de police judiciaire sont en augmentation d'un peu plus de 30% en 1998 : 9147 personnes ont été interpellées, contre 6983 en 1997. Les personnes interpellées sont principalement de nationalité yougoslave, irakienne, roumaine, turque et égyptienne : il apparaît clairement que l'Italie constitue la porte d'entrée principale dans l'espace Schengen pour ces différentes nationalités. Des ressortissants d'Algérie, du Maroc et du Pakistan (300 personnes de ce dernier pays) ont également été interpellés dans cette zone frontalière.

L'activité des réseaux d'immigration est importante de part et d'autre de la frontière : 234 passeurs ont été interpellés en 1998, de nationalité yougoslave principalement, mais aussi turque, albanaise, italienne, française et irakienne.

Les statistiques relatives aux infractions à la police des étrangers en général présentent une diminution des infractions constatées d'environ 20% entre 1996 et 1997 dans les départements de Savoie, de Haute-Savoie et dans les Alpes-de-Haute-Provence. Ces infractions sont en augmentation de 24% dans les Hautes-Alpes et de près de 70% dans les Alpes-Maritimes.

Corrélativement à la diminution des non-admissions s'est produite une augmentation des cas de réadmission vers l'Italie : 9223 procédures de réadmission ont été menées à bien en 1998 contre 7159 durant l'année 1997, ce qui traduit une augmentation de 30% environ. Les services constatent toutefois que le nouveau mode de contrôle, qui privilégie la mobilité des agents dans une zone de 20 kms de part et d'autre de la frontière, est plus contraignante dans sa mise en _uvre et ne permet pas de compenser le solde observé avec les non-admissions.

4) les effectifs des forces de police affectés au contrôle dans la région frontalière franco-italienne

Les effectifs affectés par l'Italie à la surveillance et au contrôle dans la région frontalière franco-italienne sont de 260 fonctionnaires sur les 4865 constituant l'effectif de la Police de frontière italienne. Ils se répartissent de la façon suivante : 155 à Vintimille, 25 à Limone, 66 à Bardonecchia et 14 à Aoste.

La Police de l'air et des frontières française (P.A.F.) affecte quant à elle 273 fonctionnaires dans les cinq départements limitrophes de l'Italie, dont 251 actifs, 15 administratifs et 7 adjoints de sécurité.

5) Le rôle de la coopération bilatérale

Avant la signature de l'accord de Chambéry, il n'existait pas de convention générale de coopération transfrontalière entre la France et l'Italie. Des dispositions spécialisées avaient été établies par une convention de 1862 relative aux gares internationales de Modane et de Vintimille, convention modifiée en 1951 pour institutionnaliser les contrôles nationaux juxtaposés. Enfin, le dernier texte, toujours en vigueur, est la convention du 11 mars 1963 créant les bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) et permettant par ailleurs d'effectuer des contrôles à bord des trains.

Sur cette dernière convention se fonde la création du BCNJ de Vintimille, situé sur l'autoroute reliant les deux pays. Ce bureau est situé en territoire italien mais est soumis à la double souveraineté. Un autre BCNJ a été ouvert à proximité du tunnel du Mont-Blanc, du côté italien.

L'absence de base juridique explicite a freiné la coordination et la complémentarité qui doivent s'instaurer pour une surveillance efficace de la zone frontalière. Ainsi, dans le département des Alpes-Maritimes, les patrouilles sont réparties sur dix zones de manière aléatoire et procèdent aux contrôles 24 heures par jour. Les prévisions de contrôle sur les différents sites sont communiquées aux services homologues italiens chaque semaine.

Des contrôles embarqués conjoints avaient été initiés dans un premier temps sur une portion de la ligne ferroviaire allant de Vintimille à Menton, à raison de cinq contrôles quotidiens. Le contrôle conjoint comporte un avantage important en ce qui concerne la préparation du dossier de réadmission d'un étranger en situation irrégulière : dans la mesure où les agents des deux pays ont constaté ensemble la provenance de l'étranger, la nécessité de prouver son itinéraire en est allégée. Cependant les autorités italiennes ont suspendu provisoirement ces contrôles conjoints, notamment à cause d'incertitudes quant au fondement juridique de l'action des policiers italiens en France. L'entrée en vigueur de la présente convention devrait résoudre de telles difficultés.

Comme il a déjà été souligné, la lutte contre l'immigration clandestine revêt un aspect particulièrement difficile dans cette région frontalière. L'importance des flux, la limitation des effectifs, les obstacles qui rendent souvent la réadmission impossible contribuent à la démotivation des fonctionnaires chargés du contrôle, qui viennent à douter de l'efficacité de leur travail.

Dans ce contexte, l'accord de Chambéry conférera des moyens et des procédures nouveaux et indispensables à la coopération transfrontalière. On soulignera que l'entrée en vigueur prochaine du nouvel accord de réadmission entre les deux pays, également signé le 3 octobre à Chambéry et récemment ratifié, devrait faciliter la préparation des dossiers en supprimant les conditions très restrictives du précédent accord datant de 1990. Les statistiques relatives à la réadmission montrent que celle-ci s'opère surtout vers l'Italie et très peu vers la France. Or les policiers français se heurtaient fréquemment à des refus ou à des litiges : les personnes dont la réadmission était sollicitée devaient être présentées aux autorités italiennes moins de vingt-quatre heures après ce franchissement, ou avoir été interceptées à moins de dix kilomètres de la frontière. Le nouvel accord devrait permettre de mener à bien plus aisément la procédure de réadmission.

B - La lutte contre la criminalité et la délinquance dans la région frontalière franco-italienne

1) La délinquance transfrontalière

Si, comme il a été dit, le phénomène de l'immigration clandestine ne diminue pas, en revanche, on constatera avec satisfaction que les statistiques de la criminalité et de la délinquance connaissent un fléchissement en 1997 par rapport à 1996 (les chiffres concernant l'année dernière n'étant pas encore publiés). Le total des faits constatés diminue dans quatre départements limitrophes, de 1% à 10% selon les départements. Les vols à main armée régressent beaucoup dans tous les départements, les vols avec violence ont toutefois augmenté dans les Alpes-de-Haute-Provence et les vols d'automobiles diminuent significativement.

Les contrefaçons et les fraudes industrielles et commerciales ont beaucoup augmenté en Savoie, mais diminué dans les trois départements du sud de la région frontalière. Le trafic de faux documents d'identité et de séjour augmente aussi dans ce département alors qu'il diminue dans les autres. Les infractions à la législation sur les stupéfiants constatées sont aussi en diminution, et les saisies de drogue effectuées par les Douanes à la frontière franco-italienne diminuent voire même chutent pour ce qui concerne le cannabis et l'héroïne.

Les commissariats communs franco-italiens apportent une contribution très positive dans la recherche de ces infractions et le démantèlement des réseaux se livrant à ces trafics : ainsi, la coopération des différents service de police au sein du commissariat de Modane a permis de démanteler plusieurs filières d'importation en France de véhicules volés en Italie.

2) Des divergences entre les services de douane quant au maintien des contrôles

Des divergences d'analyse sont apparues entre les deux pays au lendemain de la levée des contrôles frontaliers, les services de police et la garde des finances italiens considérant que l'intégration de l'Italie à l'espace Schengen avait pour conséquence la suppression des contrôles douaniers sur une portion du territoire italien située non loin de la frontière, où ils étaient opérés en vertu des dispositions de la convention de 1963 déjà évoquée. La direction régionale des douanes de Nice a provisoirement suspendu les contrôles, ce qui est certainement néfaste à la lutte contre les trafics dans la région.

Une rencontre tenue au début de cette année par les services des deux pays a permis de constater que les dispositions de la convention de 1963 devaient rester en vigueur pour ce qui concerne les contrôles douaniers, qui n'ont nullement été supprimés par la convention de Schengen, mais restent plus que jamais d'actualité pour vérifier la conformité des flux de marchandises à la réglementation en vigueur.

3) Les opérations d'observation et les poursuites transfrontalières

La procédure prévue par l'article 40 de la convention de Schengen, permettant d'effectuer une observation sur le territoire du pays limitrophe (il s'agit de filatures, de constatations diverses, de recueillir des déclarations spontanées de témoins, de saisir des pièces remises volontairement, par exemple) est peu utilisée : les policiers italiens ont procédé à 9 observations en France en 1998, tandis que les policiers français n'ont effectué qu'une observation en territoire italien. On regrettera le faible recours à cette faculté, qui peut être très efficace pour lutter contre certains trafics, ainsi lorsque les policiers organisent une livraison surveillée de drogue. L'article 41 de la convention précitée autorise les policiers, dans le cas d'un flagrant délit, à poursuivre l'auteur de l'infraction sur le territoire du pays limitrophe si celui-ci franchit la frontière : aucune poursuite transfrontalière n'a cependant eu lieu en 1998.

Les policiers tant français qu'étrangers renoncent le plus souvent à recourir à ces procédures car certaines difficultés ont été rencontrées dans le passé, en raison de l'incompatibilité des moyens de transmission ou de la méconnaissance des textes en vigueur : commencer une poursuite suppose en effet de connaître parfaitement les infractions qui l'autorisent dans le droit interne du pays limitrophe, car il n'a pas été établi d'harmonisation en la matière. Or, en cas de franchissement de la frontière intempestif, la procédure peut être annulée par le procureur appelé à exercer son contrôle sur l'opération. De même, le recours à l'observation transfrontalière est encadré dans des conditions sans doute trop strictes qui devraient être élargies à la lumière de l'expérience de ces quatre années de mise en _uvre de la convention de Schengen.

II - UN NOUVEAU CADRE POUR RELANCER LA COOPÉRATION FRANCO-ITALIENNE

La mise en _uvre, à partir du 26 mars 1995, des différentes politiques contenues dans la convention d'application des Accords de Schengen entre les Parties à l'accord a rendu indispensable l'établissement de liens à caractère institutionnel entre les services de police, de gendarmerie et de douanes français et les services correspondants des pays limitrophes. Des arrangements bilatéraux ont été signés dès 1995 et 1996 avec la Belgique, l'Allemagne et l'Espagne, afin de créer des commissariats binationaux dotés de certaines compétences sur certains points frontaliers.

La mise en vigueur effective de la convention en Italie étant intervenue sept années après la signature des accords, les relations bilatérales franco-italiennes brûleront l'étape des arrangements administratifs signés avec les autres partenaires Schengen pour établir directement la coopération plus ambitieuse prévue par les conventions de coopération policière et douanière. De telles conventions ont été signées avec l'Allemagne et avec l'Espagne, également en 1997, et même avec la Suisse en 1998, bien que ce pays ne soit pas Partie à la convention de Schengen. On soulignera que les négociations entreprises avec la Belgique et le Luxembourg n'ont pas encore abouti.

Ces différentes conventions s'inspirent d'une convention modèle de coopération transfrontalière élaborée avec l'aide des différents ministères intéressés et mise au point par le comité de coordination de la politique européenne de sécurité intérieure en juillet 1996. Les variantes observées dans telle ou telle convention bilatérale reflètent les avancées auxquelles sont parvenus les services habitués à coopérer harmonieusement depuis plusieurs années, ou bien les préoccupations particulières liées au droit interne de l'une des Parties, comme c'est le cas pour la convention franco-allemande. La convention de Chambéry, quant à elle, est très proche du modèle interministériel : elle constituera une première étape pour une coopération plus approfondie entre les services des deux pays.

La convention de Chambéry comporte trois ensembles de dispositions. Le premier institue les Centres de coopération policière et douanière, le deuxième organise une coopération directe entre les unités affectées dans la zone frontalière, enfin, le troisième établit des échanges de différents types entre les services de part et d'autre de la frontière.

A - Les futurs centres de coopération policière et douanière

Les centres de coopération policière et douanière (CCPD) sont de nouvelles structures qui organiseront la participation et la compétence conjointe de la police nationale, de la gendarmerie (pour la partie française) et des douanes. Installés à proximité de la frontière commune, ils fourniront aux services des deux pays toute l'information utile ainsi que l'assistance nécessaire « aux fins de la prévention des menaces à l'ordre et à la sécurité publics, ainsi qu'en vue d'une lutte plus efficace contre la criminalité, notamment dans le domaine de l'immigration irrégulière et des trafics illicites », ainsi que le formule l'article 6 de la convention.

Deux centres sont actuellement prévus : l'un sera situé en territoire italien à Vintimille, en lieu et place de l'actuel commissariat commun, et l'autre à Modane-gare en territoire français. Dans ce dernier site avait été provisoirement installé, depuis octobre 1997, un autre commissariat commun, qui ne réunissait donc que les seuls services de police.

Le commissariat commun de Vintimille a été mis en place en 1990. Il est le lieu d'un échange quotidien d'informations entre les services français et italiens de la zone frontalière, mais aussi de contacts avec divers services de police étrangers au plan européen. Les fonctionnaires y ont accès aux informations contenues dans leurs fichiers nationaux, ce qui leur permet de répondre immédiatement à leur collègues étrangers. Ces recherches concernent les personnes, mais aussi l'identification des véhicules et les découvertes de véhicules volés. Enfin, les policiers procèdent aux recherches administratives et judiciaires, qui ont tendance à augmenter et exigent des recherches longues et complexes.

Ce commissariat a connu un développement constant de ses activités, parvenant en 1998 à traiter plus de 13 000 dossiers. On soulignera que cet échange rapide de renseignements de police, par échange personnel direct, est un moyen essentiel de lutte contre la petite et moyenne délinquance.

Cette structure a permis une coordination des actions dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine et les réseaux de passeurs : des patrouilles conjointes ont pu fonctionner un certains temps pour les contrôles ferroviaires, des opérations coordonnées ont été conduites pour identifier les passeurs et démanteler les filières, enfin pour faire face à l'arrivée massive de clandestins en provenance d'Italie.

Le commissariat commun est en outre constamment sollicité par le traitement des dossiers de réadmission vers l'Italie : la réadmission fonctionne à 90 % vers l'Italie dans cette région frontalière. Les difficultés liées à cette activité ont déjà été mentionnées. Un effectif de dix fonctionnaires de la PAF est affecté à ces tâches. La structure et le fonctionnement du commissariat de Modane sont très similaires à ce qui vient d'être décrit ; l'effectif y est plus réduit, s'élevant à quatre fonctionnaires, et autant pour la partie italienne. La Gendarmerie nationale a commencé son installation, en affectant au commissariat un capitaine et deux gendarmes.

L'activité des CCPD ne se limitera pas à ce rôle d'information, car ils contribueront à coordonner les mesures conjointes de surveillance dans la zone frontalière  et à préparer les opérations communes décidées par les services opérationnels ; ils interviendront aussi pour faciliter le recours à l'observation et à la poursuite transfrontalière.

L'étude d'impact transmise par le Gouvernement pour l'information des parlementaires précise que la coopération entre les services répressifs des deux pays sera conduite « notamment dans les CCPD, sans que pour autant des créations d'emploi soient prévues. Des agents de ces services pourront être détachés en tant que fonctionnaires de liaison auprès de l'autre partie dans le cadre de l'accord ».

Il serait au contraire souhaitable d'engager une réflexion sur l'état des effectifs affectés par notre pays au contrôle en région frontalière. Il a déjà été souligné que le contrôle mobile dans la zone des 20 kms est plus exigeant que l'ancien contrôle statique et n'est efficace que si le déploiement des effectifs est suffisant, en outre les fonctionnaires des futurs CCPD doivent pouvoir faire face au traitement des dossiers de réadmission en nombre croissant, comme on l'a déjà souligné. Votre Rapporteur estime en conséquence que le budget 2000 du Ministère de l'Intérieur devra tenir compte des exigences d'efficacité et attribuer des moyens nouveaux à ces structures.

Il est par ailleurs important que le BCNJ de Vintimille-autoroute ne soit pas remis en cause dans la future organisation, car ce dernier est bien situé pour surveiller et contrôler la circulation des marchandises afin de découvrir certains trafics (la fraude de cigarettes, les stupéfiants, la contrefaçon) et aussi pour lutter contre l'immigration clandestine. L'expérience des policiers affectés dans cette région a montré que les activités illicites découvertes sur l'axe routier étaient différentes de celles qui peuvent avoir lieu sur l'axe ferroviaire. Le maintien d'une structure en cet endroit est à même de faciliter grandement la travail des douaniers.

B - La coopération directe entre unités de part et d'autre de la frontière

Les articles 10 à 14 de l'accord organisent les modalités d'une coopération directe entre les services de police et de douanes dans les zones frontalières. Pour la France, il s'agit des cinq départements limitrophes avec l'Italie, et de l'autre côté de la frontière, il s'agit des territoirres des provinces d'Aoste, Cunéo, Impéria et Turin.

Les objectifs de la coopération consistent à coordonner les actions afin de mieux couvrir la zone frontalière et éviter les « doubles emplois » ainsi qu'à recueillir et échanger l'information entre les services.

La convention de Chambéry prévoit l'intensification des contacts entre les services, dont les responsables devront se réunir régulièrement pour échanger des données statistiques sur les différentes formes de criminalité relevant de leur compétence, pour élaborer des schémas d'intervention commune ou des plans de recherche, programmer des exercices frontaliers communs et surtout organiser des patrouilles communes. Les pouvoirs de police des fonctionnaires de police au sein de ces patrouilles ne seront pas égaux : un policier français qui assistera des policiers italiens sur le territoire italien n'aura qu'un rôle d'information et de conseil.

Ces dispositions devraient permettre de le développement des actions en commun, qui ont été très restreintes jusqu'à présent. Dans le secteur des Alpes-Maritimes, les services préparent un renforcement de la surveillance et de l'interception de part et d'autre de la frontière, dans la « zone filtrante », sur les grandes voies de circulation comme dans les transports tels que les poids lourds et les autobus. Des contrôles terrestres coordonnés et conjoints doivent se mettre en place en fonction des itinéraires de l'immigration clandestine. Il est envisagé, par exemple, qu'un fonctionnaire français se joigne aux patrouilles italiennes en qualité d'observateur.

Des contrôles routiers conjoints sont organisés en Savoie depuis le début de cette année, et des contrôles ferroviaires entre Bardonneche et Modane doivent recevoir la participation de la police ferroviaire italienne. En revanche, la topographie des Alpes-de-Haute-Provence ne semble pas se prêter à l'organisation d'opérations communes.

La convention donne ensuite une base juridique spécifique à l'échange d'officiers de liaison, échanges que la France a initiés dès 1992. La PAF a détaché un officier de liaison à Rome, un officier de police italien est en poste au Ministère de l'intérieur à Paris, un autre enfin se trouve auprès de l'antenne de police judiciaire de Nice. Les tâches des officiers de liaison sont multiples : centraliser et diffuser au profit des pays concernés (auxquels on ajoutera l'Allemagne) toutes informations utiles concernant les flux migratoires et le travail clandestin, se déplacer aux frontières, contribuer à améliorer les instructions données aux services chargés du contrôle, par exemple.

C - L'établissement de relations multiformes entre les services

Les commissariats communs avaient déjà engagé à l'intention de leurs fonctionnaires des actions de formation propres à mieux faire connaître l'organisation administrative et judiciaire du pays limitrophe. Les dispositions finales de la convention ont l'ambition d'instaurer des relations très régulières afin de favoriser une certaine intégration de l'action menée par les services de part et d'autre de la frontière et en commun. A ce titre, sont prévus :

- la réunion, au moins deux fois par an, des responsables des unités ainsi que des CCPD, afin de dresser le bilan de la coopération et de préparer la mise en _uvre de stratégies coordonnées ;

- la mise à disposition d'agents auprès du service correspondant de l'autre pays pendant 48 heures au plus pour les besoins d'une affaire donnée ;

- la formation linguistique pour les agents susceptibles de servir dans les CCPD ou dans les unités territoriales ;

- des visites réciproques d'information et des échanges d'agents pour des périodes déterminées afin de développer leur connaissance de l'organisation et des procédures existant dans l'autre pays.

CONCLUSION

Le présent accord comporte des dispositions non seulement ambitieuses, mais aussi indispensables pour que l'action des services de police et de douane puisse être suffisamment efficace dans une région soumise à des flux très importants d'immigration clandestine reposant sur l'activité de réseaux de passeurs, une région qui connaît en outre des activités illégales dans le domaine de la fraude, de la contrefaçon et un important trafic de drogue.

Les nouvelles dispositions, qu'il s'agisse des centres de coopération policière et douanière ou de la coopération directe entre les unités, renforceront et adapteront les moyens de nos services au contexte actuel. C'est pourquoi Votre Rapporteur vous propose d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 30 juin 1999.

Après l'exposé du Rapporteur, et suivant ses conclusions, la Commission a adopté le projet de loi (no 1660).

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* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 1660).

___________

N° 1757.- Rapport de M. François Loncle (au nom de la commission des affaires étrangères) sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière.


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