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le 2 décembre 1999

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N° 1951

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 novembre 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 1497) DE M. PAUL QUILÈS ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une délégation parlementaire pour les affaires de renseignement,

PAR M. Arthur PAECHT,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Parlement

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Arthur Paecht, Jean-Claude Sandrier, vice-présidents ; M.  Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Yves Fromion, Robert Gaïa, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne Bressand, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Emile Vernaudon, Jean-Claude Viollet, Michel Voisin, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 7

I. - LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR LA POLITIQUE ET LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT S'IMPOSE DANS UNE DÉMOCRATIE 11

A. L'INDISPENSABLE DÉVELOPPEMENT D'UNE CULTURE DU RENSEIGNEMENT 11

1. Une culture du renseignement à développer 12

2. Des conséquences lourdes pour un grand nombre de secteurs de la vie économique et sociale de la Nation 13

B. LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR LA POLITIQUE ET LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT : UNE DOUBLE NÉCESSITÉ 14

1. Améliorer l'image et les conditions d'intervention des services de renseignement 14

2. Contribuer à la revalorisation du rôle du Parlement 17

II. - UNE RÉFORME ENGAGÉE PAR LA PLUPART DES GRANDES DÉMOCRATIES 19

A. LES ÉTATS-UNIS OU LA TENTATION MAXIMALISTE 19

1. Historique de l'instauration des Commissions parlementaires de contrôle des services de renseignement 20

2. Le fonctionnement du contrôle parlementaire 22

a) Les principes communs aux deux Commissions 22

b) Les dispositions spécifiques à chaque chambre 24

B. L'ITALIE : UN SYSTÈME DÉJÀ ANCIEN 25

1. Les services de renseignement italiens 25

2. Le dispositif de contrôle 26

C. L'ALLEMAGNE : UNE LOGIQUE DE CONTRÔLE STRICTE 27

1. Les services de renseignement en Allemagne 27

2. Historique de l'instauration du contrôle parlementaire 28

3. Les modalités du contrôle parlementaire 29

D. L'AUTRICHE : À LA RECHERCHE D'UN SYSTÈME PLUS EFFICACE 29

1. Le renseignement en Autriche 29

2. Le dispositif autrichien de contrôle des services de renseignement 30

3. Les perspectives d'évolution du dispositif 31

E. LE ROYAUME-UNI : CONTRÔLE PARLEMENTAIRE OU CONTRÔLE PAR DES PARLEMENTAIRES ? 33

1. L'instauration d'un contrôle parlementaire : un aperçu historique 33

2. Le dispositif de contrôle parlementaire des services de renseignement au Royaume-Uni 34

F. LE CANADA : UN RÔLE ENCORE TRÈS TIMIDE DU PARLEMENT 37

1. Historique du système canadien de contrôle des services de renseignement 37

2. Le dispositif canadien de contrôle des services de renseignement 38

a) Le contrôle exercé par le Comité de Surveillance des Activités de Renseignement de Sécurité 39

b) Le Parlement canadien et les services de renseignement 40

III. - UN NOUVEAU CADRE JURIDIQUE POUR UNE RÉFORME EFFICACE 42

A. LES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES : DES ENSEIGNEMENTS PRÉCIEUX 42

1. Pour en finir avec les faux débats 43

2. Des problèmes juridiques à résoudre 45

B. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI : METTRE EN PLACE UN CONTRÔLE EFFICACE ET GARANTIR LA PRÉSERVATION DU SECRET 50

1. Un dispositif de contrôle efficace 50

a) Une structure permanente dans chaque chambre 50

b) Un mode de nomination adapté à l'objet traité 53

c) Des compétences et des pouvoirs bien définis 54

2. Garantir la préservation du secret 56

a) Des travaux confidentiels 57

b) La possibilité d'informer la représentation nationale 57

c) Des garanties adéquates 57

EXAMEN EN COMMISSION 59

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 69

ANNEXES 73

I. - LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT EN FRANCE : UN APERÇU
JURIDIQUE
73

A. LA COORDINATION 73

B. LES SERVICES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE 73

C. LES SERVICES DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR 76

D. LE RÔLE DES DOUANES DANS LE RENSEIGNEMENT 77

II. - LE RÉGIME JURIDIQUE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE 77

III. - LES EXEMPLES ÉTRANGERS D'ASSOCIATION DU PARLEMENT À LA POLITIQUE DE RENSEIGNEMENT 80

IV. - LES NOUVEAUX ENJEUX DU RENSEIGNEMENT : L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE 94

V. - LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS PAR LE RAPPORTEUR 97

A. EN FRANCE 97

B. À L'ÉTRANGER 98

1. Canada 98

2. États-Unis 98

3. Royaume-Uni 99

4. Autriche 99

5. Italie 99

MESDAMES, MESSIEURS,

L'action des services de renseignement français représente un pan majeur de la politique gouvernementale. A l'heure où se répandent de nouvelles menaces, souvent diffuses et d'autant plus déstabilisatrices pour les démocraties qu'elles s'inscrivent rarement dans le cadre étatique traditionnel, l'action des services de renseignement trouve de nouveaux champs d'intervention. Compétition commerciale et technologique qui souligne le rôle crucial de l'intelligence économique, terrorisme, systèmes criminels organisés, prolifération des armes de destruction massive... Ce sont autant d'acteurs non étatiques mobiles et transnationaux, autant de zones grises, autant de nouveaux champs de conflictualité qui se développent, conférant au renseignement un poids peut-être encore plus déterminant qu'au temps de la guerre froide. Par ailleurs, les tensions ethniques, les conflits identitaires, l'impact de la mondialisation économique, fragilisent les Etats, dont un grand nombre sont en crise, dans le monde en développement ou dans les pays en transition.

Confrontés à ces évolutions majeures, nos services de renseignement sont contraints de repenser l'ensemble de leurs objectifs, de leurs structures ainsi que leurs modes d'intervention, aujourd'hui largement obsolètes car résultant de quatre décennies de guerre froide.

*

Or, qui peut dire, à ce jour, dans quelles conditions cette adaptation se déroule ? Quels moyens mobilise-t-elle ? Est-elle achevée ? Plus que jamais, l'absence de diffusion d'une véritable culture du renseignement parmi les décideurs politiques, et, plus largement, chez nos concitoyens, se fait sentir avec une acuité particulière.

Sans doute le secret qui entoure ce volet de l'activité du pouvoir exécutif contribue-t-il à expliquer la très faible conscience collective de l'apport des services de renseignement à notre sécurité. Il n'est d'ailleurs nullement question de remettre en cause le rôle de cette nécessaire protection : le renseignement demeure un domaine tout à fait spécifique de l'action publique et ne saurait se voir appliquer sans conditions ni restrictions le principe de transparence désormais associé à la conduite des affaires publiques.

Faut-il pour autant exclure ce domaine du champ de la réflexion publique ? Car telle est aujourd'hui la réalité : confinée au cercle étroit de quelques spécialistes, l'activité de renseignement est largement méconnue de nos concitoyens, qui n'ont souvent à en connaître qu'au travers du prisme déformant de la caricature, voire du scandale, à l'occasion d'affaires sulfureuses ou présentées comme telles. Plus encore, la prégnance de ce qui s'apparente à un tabou culturel et institutionnel est telle que même la représentation nationale exclut de fait ce pan de l'activité gouvernementale de son domaine de compétence, à l'encontre des prérogatives constitutionnelles qui sont les siennes.

*

L'hiatus entre la perception du renseignement et sa réalité est préjudiciable tant aux services de renseignement eux-mêmes qu'à un fonctionnement sain de notre démocratie. Il est temps d'y mettre fin. C'est dans ce but que, depuis près de deux ans maintenant, une réflexion approfondie, qui associe tous les groupes politiques, est conduite au sein de la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale.

Ainsi, le 2 décembre 1997, a été institué un groupe de travail sur le renseignement, qui s'est donné comme mission d'élaborer des propositions tendant à revaloriser le rôle du Parlement en matière de politique du renseignement, en pleine connaissance du rôle des services chargés de cette politique pour la protection de la démocratie et des intérêts de la nation.

C'est dans ce même esprit non partisan qu'à l'issue des travaux de ce groupe de travail

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, une proposition de loi a été élaborée, cosignée par le Président de la commission de la Défense et par tous les membres du bureau de la commission, à une exception. Cette approche consensuelle, qui ne s'applique que rarement aux propositions de loi, mérite d'être saluée, en ce qu'elle constitue la marque de l'esprit de responsabilité des parlementaires qui, dès lors que des sujets touchant à l'intérêt supérieur de la nation et à la bonne marche de nos institutions démocratiques sont en jeu, savent faire abstraction des clivages politiques.

*

Après avoir mené, en France et à l'étranger, une cinquantaine d'entretiens qui lui ont permis de recueillir les points de vue des plus hauts responsables du pouvoir exécutif ainsi que des membres de ce qu'il est courant d'appeler la communauté du renseignement et, enfin, des membres de Parlements étrangers, votre rapporteur est plus que jamais convaincu de la nécessité de mettre en place, au sein du Parlement français, des organes de contrôle du renseignement.

La création de délégations parlementaires pour le renseignement, outre qu'elle permettrait l'instauration de relations de confiance entre les services de renseignement et le Parlement, devrait également donner à ce dernier la possibilité de rejoindre ce qui est aujourd'hui le droit commun des grandes démocraties et de combler, plus qu'un retard, une véritable carence de notre système démocratique.

I. - LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR LA POLITIQUE ET LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT S'IMPOSE DANS UNE DÉMOCRATIE

Longtemps a prévalu l'idée que les activités d'un pays en matière de renseignement, du fait de leur nature particulière, devaient faire l'objet d'un traitement lui-même particulier au regard du contrôle parlementaire.

Or, dans la société d'information qui est aujourd'hui la nôtre, l'intérêt national et la pérennité de notre modèle démocratique requièrent, tout autant que l'existence de services efficaces, la prégnance, ne serait-ce que parmi les décideurs politiques, d'une culture du renseignement, qui n'existe pas, notamment en France. Tous les acteurs, tant du côté des services que du côté des politiques, ont pourtant à gagner du développement d'une telle culture, que l'instauration d'un contrôle parlementaire du renseignement favoriserait.

A. L'INDISPENSABLE DÉVELOPPEMENT D'UNE CULTURE DU RENSEIGNEMENT

Il n'existe pas aujourd'hui de véritable culture du renseignement en France, c'est-à-dire une démarche d'esprit globale et systématique incluant le renseignement dans la prise de décision politique. En cela, notre pays diffère radicalement des Etats-Unis qui, en réaction au changement de contexte géostratégique issu de la fin de la guerre froide et à la globalisation des informations et des échanges, ont choisi de privilégier la défense de leurs intérêts nationaux, dans le domaine économique notamment, et ont intégré cet objectif dans l'action de leurs services de renseignement.

L'instauration d'un contrôle parlementaire des services favoriserait l'acquisition de cette culture du renseignement parmi les responsables politiques. Sans doute pourra-t-on objecter que, dépourvus d'une telle culture, les parlementaires ne pourront pas effectuer un contrôle efficace du renseignement. Votre rapporteur ne méconnaît pas que, dans un premier temps, c'est un véritable travail pédagogique que devront entreprendre les parlementaires dans ce domaine. Il s'agit en réalité d'enclencher un cercle vertueux, la mise en place d'un contrôle conduisant petit à petit à l'émergence d'une véritable culture du renseignement, qui, elle-même, viendra nourrir la réflexion des parlementaires et la pertinence de leur contrôle.

1. Une culture du renseignement à développer

La structure et les modalités de fonctionnement actuelles des services de renseignement sont héritées d'une longue période de lutte contre les totalitarismes. Tel est d'ailleurs ce contexte de menace directe et perçue comme existentielle qui a justifié, pendant de nombreuses décennies, une opacité complète de leur fonctionnement et de leurs moyens, budgétaires notamment.

A l'instar de tous les services de renseignement, les services français ont connu, avec la fin de la guerre froide, une forte déstabilisation. Structurés autour d'un objectif unique, ils se sont trouvés confrontés à une explosion des menaces, d'autant plus dangereuses qu'elles sont largement imprévisibles, la plupart d'entre elles s'inscrivant dans un cadre non étatique : trafics illicites, phénomènes mafieux, violences civiles, guerres tribales, terrorisme trouvent un terrain favorable dans l'ouverture des frontières, la fluidité des informations et la mondialisation.

L'explosion des flux et des supports d'informations, si elle rend leur collecte plus aisée et fragilise la frontière entre renseignement ouvert et renseignement fermé, en complique néanmoins considérablement l'exploitation et le traitement. L'évolution du contexte international modifie, en effet, le rôle de l'information : d'outil et de base de référence pour l'action, elle devient elle-même un enjeu de puissance. Pour reprendre les mots de l'Amiral Pierre Lacoste1, « l'enjeu d'aujourd'hui est celui de l'adaptation de la France aux exigences de la civilisation de l'information et, en particulier, de notre aptitude à relever les défis de l'« info-war » qui est la forme la plus moderne des affrontements entre les puissances, à l'aube du XXIème siècle ».

Le développement d'une culture du renseignement apparaît particulièrement complexe dans ce contexte, dans la mesure où le renseignement devient à la fois l'affaire de spécialistes de haut niveau et la préoccupation de tous. L'exemple du renseignement dans les domaines scientifique, industriel et technologique est, à cet égard, particulièrement révélateur : notre faiblesse dans ce secteur, soulignée par tous les experts, provient à la fois d'une formation insuffisante des personnels des services et d'un manque de sensibilisation de nos concitoyens, peu au fait des enjeux de ce secteur.

Elle est pourtant nécessaire. A cet égard, force est de constater que beaucoup reste à faire dans ce domaine, même si, dans les années récentes, quelques pas ont été accomplis. Il faut citer, par exemple, la création, en 1992, de la Direction du renseignement militaire, après les carences constatées pendant la guerre du Golfe. De même, le Livre Blanc sur la Défense, puis la loi de programmation militaire 1997-2002, qui, à l'encontre des réductions budgétaires qu'elle opère pour l'ensemble de la Défense, prévoit une augmentation de 20 % des crédits du renseignement, traduisent la prise de conscience du rôle renouvelé du renseignement dans le monde de l'après-guerre froide. Enfin, votre rapporteur salue l'entrée du renseignement dans la formation supérieure, qu'il s'agisse de celle des hauts fonctionnaires - le sujet a été introduit dans les programmes de l'Ecole nationale d'administration -- ou des étudiants : en 1995, le centre d'études scientifiques de Défense de l'université de Marne-la-Vallée, sous l'impulsion de l'Amiral Lacoste, ancien directeur de la DGSE, a créé un séminaire sur la culture du renseignement, à l'origine d'une production écrite d'une qualité d'autant plus remarquable qu'elle est la première sur le sujet.

Ce progrès est néanmoins encore insuffisant : le renseignement reste étroitement lié au concept de raison d'Etat et, comme tel, marqué par une culture du secret. Or, même si le secret doit demeurer un outil privilégié des services, la démystification de l'activité de renseignement est nécessaire, ainsi que sa meilleure intégration dans la décision politique. Car, à l'heure où l'information en circulation s'accroît de manière exponentielle, les responsables politiques doivent pouvoir traiter et utiliser l'information à des fins stratégiques. Plus les acteurs imprégnés de cette culture du renseignement, qui fait largement défaut à notre pays, seront nombreux, plus les tentatives de désinformation seront inopérantes.

2. Des conséquences lourdes pour un grand nombre de secteurs de la vie économique et sociale de la Nation

Le nouveau statut de l'information prend toute sa dimension dans le domaine économique : dans un contexte de concurrence exacerbée, le renseignement devient une arme. L'enjeu n'est pas mince, puisque c'est, en dernière analyse, la capacité des nations à préserver leurs choix de société qui est en cause. D'où la fortune de ce nouveau champ d'action du renseignement qu'est l'intelligence économique, anglicisme qui désigne « l'ensemble des actions coordonnées de recherche de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques2 ».

Il s'agit là d'un défi majeur devant lequel sont placés nos services de renseignement, qui, en l'occurrence, ne sont plus confrontés aux acteurs institutionnels d'une communauté internationale du renseignement qu'ils ont, avec le temps, appris à connaître. L'intelligence économique fait en effet intervenir des acteurs privés, les grandes entreprises recourant, pour parvenir à leurs fins, à des moyens de renseignement qui leur sont propres. Cette privatisation du renseignement est inquiétante dans la mesure où elle suppose des modes d'intervention radicalement différents de la part de services qui inscrivent, pour leur part, leur action dans le cadre de la souveraineté nationale.

Même si la France n'est pas restée inactive dans ce domaine, en créant par exemple, suite aux travaux réalisés par le Commissariat général au plan en 1994, un Comité interministériel pour la sécurité économique, elle est largement en retard sur les autres grandes puissances économiques. Sans doute pâtit-elle de la relation difficile qu'ont souvent entretenue les autorités politiques et les services de renseignement au cours de ce siècle. Mais c'est avant tout dans une absence de volonté politique forte, faute d'une conscience suffisante des enjeux, qu'il faut chercher les causes de cette situation. L'exemple a contrario du Japon, et plus récemment des Etats-Unis, est symptomatique du rôle du politique dans ce domaine.

B. LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR LA POLITIQUE ET LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT : UNE DOUBLE NÉCESSITÉ

L'instauration d'un contrôle parlementaire du renseignement contribuerait sans nul doute à revaloriser le rôle du Parlement, s'inscrivant en cela dans une évolution récente bénéfique pour notre démocratie. Tel est d'ailleurs le sens de la disposition contenue dans le document final du sommet de l'organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de Budapest, en 1994 : « Les Etats participants considèrent que le contrôle politique démocratique des forces militaires, paramilitaires et de sécurité intérieure ainsi que des services de renseignement et de police est un élément indispensable de la stabilité et de la sécurité ».

L'argument de la revalorisation du Parlement ne saurait suffire : si votre rapporteur estime nécessaire la mise en place d'un contrôle parlementaire du renseignement, c'est tout autant, voire peut-être davantage, parce qu'il estime que les services de renseignement auraient eux-mêmes beaucoup à y gagner.

1. Améliorer l'image et les conditions d'intervention des services de renseignement

· Il est peu courant de présenter la communauté du renseignement française, à tel point que cette expression est rarement employée pour désigner les hommes qui exercent cette activité. Ce sont pourtant quelque 12 779 personnes qui participent à cette mission, placés sous la responsabilité de trois ministères différents3.

Trois services sont placés sous l'égide du ministère de la Défense.

La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) est le premier d'entre eux, tant en termes budgétaires (1,5 milliard de francs inscrits au budget de la Défense dans le projet de loi de finances pour 2000, auxquels il faut ajouter environ 200 millions de francs provenant des fonds spéciaux) qu'en termes humains, puisqu'elle emploie officiellement 4 100 personnes. Aux termes du décret du 2 avril 1982 qui l'a créée, la DGSE est chargée, « au profit du Gouvernement et en collaboration étroite avec les autres organismes concernés, de rechercher et d'exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que de détecter et d'entraver, hors du territoire national, les activités d'espionnage contre les intérêts français ». Le même décret précise par ailleurs que la DGSE est chargée d'exécuter, pour l'exercice de ses missions, « toute action qui lui serait confiée par le Gouvernement ». Au vu des termes du décret, il est clair qu'« hébergée » administrativement par le ministère de la Défense, la DGSE est, en définitive, responsable devant les plus hautes autorités du pouvoir exécutif. La fluctuation de sa place dans l'organigramme de l'administration de l'Etat dans le passé en est d'ailleurs un signe. Rappelons en effet que, jusqu'en 1966, le service prédécesseur de la DGSE, le service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), était rattaché directement au Premier ministre.

En revanche, les deux autres services dépendant du ministère de la Défense inscrivent avant tout leur action dans le fonctionnement de ce ministère. Créée en 1992, la direction du renseignement militaire (DRM) fournit, grâce aux technologies les plus modernes, le renseignement militaire nécessaire aux armées. Elle compte 1 709 personnes et est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2000, d'un budget de fonctionnement (hors rémunérations et charges sociales) de 40 millions de francs et d'un budget d'investissement de 51 millions de francs. Quant à la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), qui a succédé en 1981 à l'ancienne sécurité militaire, elle assure la sécurité militaire interne du ministère de la défense, avec un budget de 69,6 millions de francs inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000, hors rémunérations et charges sociales, et un effectif de 1 620 personnes.

En plus de ces services spécialisés dans le renseignement, il faut rappeler que la Gendarmerie, forte du maillage territorial que tisse le réseau de ses brigades, effectue, entre autres attributions, une mission de renseignement quotidien, sur le terrain, notamment au profit des institutions civiles. Chaque légion de gendarmerie dispose ainsi d'une cellule de renseignement. L'arme est d'ailleurs conduite, au cours de cette mission, à collaborer avec certains services de renseignement, tels que les renseignements généraux.

Deux services sont placés sous la responsabilité du ministère de l'Intérieur.

Créée au sortir de la deuxième guerre mondiale, la direction de la surveillance du territoire (DST), forte d'un effectif de 1 500 personnes, « a compétence pour rechercher et prévenir, sur le territoire de la République française, les activités inspirées, engagées ou soutenues par des puissances étrangères et de nature à menacer la sécurité du pays, et, plus généralement, pour lutter contre ces activités ». Votre rapporteur ne dispose que d'informations très lacunaires sur le budget de la DST : il semblerait, d'après le témoignage d'un ancien directeur de l'institution4, que son coût financier global ait été, en 1995, légèrement inférieur à 400 millions de francs.

La direction centrale des renseignements généraux participe également à cette mission de sécurité intérieure puisqu'elle « est chargée de la recherche et de la centralisation des renseignements destinés à informer le Gouvernement ; elle participe à la défense des intérêts fondamentaux de l'Etat et concourt à la mission générale de sécurité intérieure ». 3 200 personnes mènent, en son sein, ces missions. Votre rapporteur ne dispose pas d'éléments précis sur le budget dévolu à ce service.

Le dernier volet de l'organisation institutionnelle du renseignement, la direction des douanes, dépend du ministère de l'Economie et des Finances. Le rôle de ce service dans la politique de renseignement est méconnu, alors qu'avec l'accroissement des flux commerciaux et financiers, son action est déterminante, notamment dans la lutte contre la fraude et les trafics illicites. En plus des actions opérationnelles menées par la direction nationale des enquêtes douanières, qui existe depuis 1969 et regroupe aujourd'hui 650 personnes, la direction du renseignement et de la documentation, récente puisqu'elle a été mise en place en 1988, assure une double mission d'analyse du renseignement à des fins stratégiques et opérationnelles et de soutien aux services de terrain. Elle gère en outre le fichier national informatisé de documentation (FNID).

· Que peut apporter aux services la création de délégations parlementaires pour le renseignement ?

« Métier de seigneurs » dans les pays anglo-saxons, le renseignement souffre dans notre pays d'une image de marque très défavorable qui trouve ses racines dans une histoire parfois tourmentée et dans la méconnaissance de son rôle par l'opinion publique. S'il revient aux historiens de mener l'analyse scientifique des causes qui ont pu conduire, à certaines époques, à un divorce entre les citoyens et les services, c'est au politique qu'il appartient de contribuer à remettre à l'honneur l'activité de renseignement et d'en souligner les enjeux. C'est dans cet esprit que devra s'inscrire le travail parlementaire. Il ne s'agit donc pas, en l'occurrence, d'instituer une commission d'enquête permanente ni d'instruire le procès des services.

Si l'amélioration de l'image des services passe par une meilleure connaissance de leur rôle, elle suppose également une responsabilisation et une efficacité accrues de ceux-ci, que seul le renforcement du contrôle exercé sur leur activité est à même de favoriser. Car il ne faut pas craindre de l'affirmer : c'est, à l'heure actuelle, un contrôle lacunaire qui s'exerce sur ce pan de l'action publique, l'enfermement culturel des services étant avant tout préjudiciable à l'exercice de ce contrôle de base qu'est le contrôle hiérarchique.

Les risques liés à la carence du contrôle sont connus : outre que l'efficacité de la dépense publique s'en trouve amoindrie, dans quelle mesure un service qui n'est soumis qu'à un contrôle limité n'est-il pas appelé à orienter son action en fonction des sources dont il dispose et des domaines qui lui sont familiers ? Cette question du risque potentiel de l'auto-orientation des services se pose de manière particulièrement cruciale, à l'heure où ceux-ci doivent s'adapter à de nouvelles menaces et à de nouveaux ennemis. Elle porte en germe une inertie préjudiciable à l'efficacité des services.

En définitive, ni juges, ni policiers, les parlementaires souhaitent se poser en interlocuteurs responsables des services, voire en aiguillons de leur action, le contrôle commandant l'efficacité.

2. Contribuer à la revalorisation du rôle du Parlement

Du rapide tableau du rôle des services qu'il a brossé, votre rapporteur tire un enseignement principal : il est impossible, aujourd'hui, de fournir une estimation précise de l'effort financier que consacre la France à sa politique de renseignement, sauf à se résoudre à une imprécision... de quelques milliards de francs. Dans ces conditions, que signifie le vote des crédits des services concernés que le Parlement adopte lors de l'examen du projet de loi de finances ?

Sans doute, pour prendre l'exemple du budget de la Défense dont votre rapporteur est familier, notamment pour en avoir été le rapporteur spécial au sein de la commission des Finances, les documents budgétaires font-ils état d'un agrégat « renseignement », qui s'élève, par exemple, dans le projet de loi de finances pour 2000, à 1,66 milliard de francs. Mais on ne peut manquer d'être frappé par le caractère pour le moins lacunaire de cet agrégat, qui n'inclut pas la DRM ni la totalité, tant s'en faut, des dépenses de rémunérations et de charges sociales des agents. Il faut ajouter que, par définition, il n'inclut pas les fonds spéciaux rattachés au Premier ministre affectés, pour une grande partie, à la DGSE pour faciliter l'accomplissement de sa mission. Votre rapporteur ne remet pas en cause ce système qui procède d'une raison d'Etat qui n'a rien perdu de sa pertinence dans le contexte actuel. Mais il relève que, aux Etats-Unis par exemple, ses interlocuteurs se sont montrés particulièrement surpris d'une telle procédure.

Par ailleurs, en accroissant l'information des parlementaires, le contrôle du renseignement permettrait au Parlement d'exercer de manière plus pertinente ses fonctions dans les domaines de la défense et de l'action extérieure de la France, par exemple.

Il faut citer, là encore, l'exemple du vote de la loi de finances : ne connaissant pas exactement le montant des crédits votés destinés à l'activité de renseignement, le Parlement n'est pas en mesure d'en commenter l'évolution ni la pertinence. Nos services disposent-ils des moyens d'investissement suffisants pour adapter leur capacité de collecte des informations à la croissance exponentielle des flux dans ce domaine ? Ont-ils les moyens de rémunérer, et donc de recruter, les spécialistes en matière de cryptologie, d'informatique ou de lutte contre le crime organisé ? Autant de questions majeures qui restent sans réponse, le Parlement votant à l'aveuglette les moyens destinés à un pan de l'action gouvernementale pourtant essentiel à la préservation des intérêts nationaux et à la préservation de la capacité de la France à faire entendre sa voix sur la scène internationale.

Votre rapporteur souligne enfin, qu'en contrôlant les services de renseignement, et notamment les moyens dont ils disposent, le Parlement ne ferait qu'exercer les compétences constitutionnelles qui lui sont reconnues dans les domaines du vote de la loi et du contrôle de l'activité du pouvoir exécutif.

II. - UNE RÉFORME ENGAGÉE PAR LA PLUPART DES GRANDES DÉMOCRATIES

En instituant, au sein du Parlement, une structure permanente pour le renseignement, notre pays s'engagerait dans une voie où la plupart des autres démocraties l'ont déjà précédé.

L'existence de structures parlementaires spécifiques de contrôle du renseignement est aujourd'hui la règle dans toutes les démocraties. Votre rapporteur présentera notamment les dispositifs existant aux Etats-Unis, en Autriche, en Grande-Bretagne, au Canada, pays dans lesquels il s'est rendu pour l'établissement du présent rapport5. Font également l'objet d'une présentation les systèmes mis en place en Italie6, ainsi qu'en Allemagne.

Il s'agit là d'un choix, l'exhaustivité étant difficile au regard de la multiplicité des systèmes existant. Ne sont ainsi pas présentés les dispositifs instaurés en Australie ou encore en Pologne, démocratie qui, bien que récente, dispose depuis le début des années quatre-vingt-dix d'un mécanisme de contrôle parlementaire du renseignement. Il faut enfin citer le contrôle parlementaire exercé par la Knesset, en Israël, cas symbolique dans un pays où les enjeux de sécurité sont si importants.

A. LES ÉTATS-UNIS OU LA TENTATION MAXIMALISTE

Modèle de contrôle parlementaire pour les uns, machine de harcèlement des services pour les autres, le dispositif américain est sans doute le plus poussé de tous les mécanismes existants. Sans doute la maturité du système, le premier mis en place, explique-t-elle en partie le poids du contrôle. Cet argument mérite toutefois d'être considéré avec réserve : l'instauration du dispositif de contrôle italien est contemporain, de même que le système allemand. Et nul ne songe pourtant à les comparer... C'est donc avant tout dans la culture institutionnelle américaine qu'il faut chercher les racines du fonctionnement du contrôle parlementaire américain des services de renseignement.

1. Historique de l'instauration des Commissions parlementaires de contrôle des services de renseignement

Même si le contrôle parlementaire des services de renseignement n'a été formellement institué qu'en 1976 et 1977, des liens existent de longue date entre le Congrès américain et les services de renseignement. Ainsi, dès sa création, en 1947, et bien que la loi sur la sécurité nationale ne désigne pas le Congrès comme un utilisateur spécifique du renseignement, la CIA (Central Intelligence Agency) se dote d'un conseiller législatif chargé de traiter les requêtes des parlementaires.

Pour autant, la surveillance exercée par le Congrès sur les services n'est encore qu'embryonnaire. A l'époque, quatre Commissions sont compétentes au Congrès dans ce domaine : d'une part, à la Chambre des Représentants, les Commissions des Finances et des Forces armées ; d'autre part, leurs deux homologues au Sénat. Le choix est fait d'une autolimitation des pouvoirs du Congrès. Dans ces conditions, les parlementaires n'ont à connaître que d'un stock très limité d'informations sensibles, la mission de contrôle parlementaire n'étant exercée que de façon très libérale par les différentes Commissions. Elle est, en outre, circonscrite à des contacts limités entre le Director of Central Intelligence (DCI ou directeur central du renseignement), qui chapeaute la communauté américaine du renseignement7 et est également, organiquement, le directeur de la CIA, et une poignée de parlementaires.

A partir de 1966 toutefois, les difficultés liées à la guerre du Vietnam, ainsi que les négociations menées entre les Etats-Unis et la Russie sur le traité ABM conduisent à un accroissement de la pression des congressistes pour disposer d'informations plus complètes. Les parlementaires estiment que les informations dont ils disposent ne leur permettent pas d'exercer de manière satisfaisante leurs prérogatives en matière de politique étrangère. Par ailleurs, la montée en puissance de la communauté du renseignement, ainsi que la prise en compte budgétaire globale de ses activités au début des années 1970, sous l'impulsion de Richard Nixon (mise en place du programme national de renseignement extérieur) favorisent également cette évolution. L'augmentation des contacts entre les chambres et les services est telle que la CIA met en place un service spécifique de conseil législatif (Office of Legislative Counsel) : en 1969, la CIA dénombre 1 400 contacts, qui vont des auditions devant les commissions aux appels téléphoniques des parlementaires.

La crise qui éclate en 1973-1974, avec la révélation par la presse de scandales liés notamment au rôle de la CIA au Chili, s'inscrit donc dans un contexte favorable et permet aux tentatives des parlementaires pour contrôler efficacement les services de prendre corps.

La première réponse législative, l'Amendement Hughes-Ryan de 1974, vise les activités clandestines de la CIA. Il dispose que, désormais pour être autorisées, les opérations doivent être jugées indispensables pour la sécurité des Etats-Unis par le Président, qui est lui-même tenu d'en rendre compte « dans des délais raisonnables » aux six Commissions spécialisées du Congrès.

L'année suivante, le Sénat décide la mise en place d'une Commission d'enquête spéciale, la Commission Church, chargée de compléter l'action de la Commission Rockefeller, nommée par le Président Ford et qui venait d'achever son enquête sur les agissements des services. Il est suivi peu après par la Chambre des Représentants qui met en place la Commission Pike, dans une perspective identique.

En février 1976, l'Administration Ford publie l'Executive Order n° 11905, premier décret encadrant les activités de renseignement. Sans fixer avec précision les obligations de la communauté du renseignement vis-à-vis du Congrès, il impose pour la première fois des restrictions aux activités des services, notamment en matière de contre-espionnage.

Prenant acte de la limitation des mandats des Commissions Church et Pike et à la suite de nouvelles allégations de mauvaise conduite visant, entre autres, la CIA, le Sénat décide, le 19 mai 1976, d'instaurer une Commission permanente qui est toujours en fonction aujourd'hui : la Commission spéciale du Sénat sur le Renseignement (Senate Select Committee on Intelligence ou SSCI). L'année suivante, le 17 juillet 1977, la Chambre des Représentants lui emboîte le pas en créant la Commission spéciale permanente de la Chambre sur le Renseignement (House Permanent Select Committee on Intelligence ou HPSCI).

Ces deux Commissions, dont l'existence est confirmée par la loi sur le contrôle du Renseignement de 1980 (Intelligence Oversight Act), sont désormais les deux structures parlementaires majeures investies des tâches d'autorisation et de supervision des activités de la communauté du renseignement. Cependant, compte tenu du rôle joué par ailleurs par les Commissions des Finances (Appropriations Committees), l'on peut considérer que ces dernières constituent une extension, majeure, du système de contrôle ainsi instauré. Les deux commissions nouvellement créées partagent également leurs compétences avec les autres commissions permanentes qui sont d'ailleurs représentées en leur sein : les Commissions de la Défense (Armed Services Committees), des Affaires Judiciaires et des Affaires étrangères.

La commission du renseignement du Sénat exerce en outre un rôle particulier dans la procédure de confirmation de la nomination de certains hauts responsables par le Président (le DCI, son adjoint et l'Inspecteur Général de la CIA), ainsi que dans le processus conduisant à la signature de certains traités dans le domaine de la limitation et du contrôle des armements.

2. Le fonctionnement du contrôle parlementaire

Si, dans la démarche initiale qui les a suscitées, comme dans leurs grands principes, la SSCI et la HPSCI sont deux structures comparables, elles obéissent toutefois à des critères d'organisation et de fonctionnement différents.

a) Les principes communs aux deux Commissions

· La première règle commune tient à l'étendue de leurs pouvoirs : les commissions parlementaires de contrôle sont habilitées à conduire toutes sortes d'enquêtes et d'audits dans le champ des activités de renseignement. Le déclenchement de ces actions peut provenir d'articles de presse, de confessions d'individus appartenant ou ayant appartenu à la communauté du renseignement, d'éléments d'informations recueillis lors des enquêtes ou des auditions et du contenu des rapports d'activités d'organismes, tels que le Bureau de l'Inspecteur Général de la CIA. Pour mener à bien leur mission, elles ont accès aux informations les plus confidentielles, qu'elles sont libres d'utiliser comme elles le souhaitent dès lors que ne sont compromises ni la sécurité nationale ni celle des individus impliqués dans les opérations.

En théorie, la loi de 1980 impose aux Services de « fournir toute information et/ou toute preuve matérielle concernant les activités de renseignement », y compris les informations sur les sources et les procédures opérationnelles... sans limites. Dans les faits, un modus vivendi s'est établi, qui privilégie la notion d'utilité absolue, les responsables des commissions étant conscients du danger représenté par la manipulation et la divulgation de certaines informations. Les parlementaires considèrent qu'il est de leur devoir de respecter les agents de renseignement comme leurs sources et de ne pas compromettre sans nécessité les montages opérationnels en cours. Le cas échéant, ils appliquent une procédure d'information restreinte au sein même des commissions. La plupart des membres des commissions sont d'anciens hauts fonctionnaires qui ont déjà eu à traiter d'affaires très confidentielles dans leur carrière.

Avant d'exercer leur droit statutaire à publier des informations, les parlementaires doivent préalablement statuer en ce sens sous la forme d'un vote puis soumettre leur dossier au pouvoir exécutif, en l'occurrence au Président qui vérifie la compatibilité de l'action projetée avec l'exigence de sécurité nationale et qui peut, le cas échéant, opposer son veto. Dans ce cas, un nouveau vote en commission est exigé. Dans les faits, les choses sont réglées en amont à l'amiable avec le pouvoir exécutif.

Les commissions au renseignement disposent d'un large pouvoir tant législatif (projet de lois de finances, projets de loi intéressant le renseignement) que de contrôle. Elles établissent des rapports réguliers sur les activités des services.

· Au-delà des fluctuations du nombre des membres des commissions dans le temps (par exemple, la Commission sénatoriale, qui compte actuellement 19 membres, hormis le Président et le vice-président, en comptait à l'origine 15 en tout), le principe d'un relatif effacement des clivages partisans a toujours été mis en _uvre. Certes, la majorité conserve son statut au sein de ces commissions. Néanmoins, l'écart entre majorité et minorité est beaucoup plus faible que dans les autres commissions parlementaires : la majorité dispose d'un siège supplémentaire au Sénat et de deux à la Chambre des Représentants.

· Les règles régissant la protection du secret des travaux des commissions sont très strictes. Dans les deux Chambres, il est considéré, en effet, que seule la confiance entre les services et le Parlement permet de garantir l'efficacité des procédures de contrôle. En conséquence, divers mécanismes ont été instaurés : les réunions des commissions se tiennent dans des salles sécurisées ; tous les documents confidentiels sont conservés dans une salle strictement réservée à cet effet et sont soumis à des règles de consultation extrêmement strictes. Par exemple, la commission du Sénat pratique un contrôle quotidien des documents retenus dans ses locaux et enregistre les moindres mouvements dont ils font l'objet au sein de la commission. Par ailleurs, la divulgation des informations recueillies n'est pas de droit, un vote spécifique de la commission étant nécessaire pour l'autoriser. Enfin, dans les deux Chambres, une commission d'éthique est chargée d'enquêter sur toute violation d'une information classifiée, qu'elle émane d'un membre ou d'un employé de l'assemblée concernée. Si, à l'issue de son enquête, elle établit qu'il y a eu violation grave de la confidentialité, elle fait rapport devant la Chambre concernée et recommande la sanction, qui peut aller jusqu'à l'expulsion de la Chambre ou, pour les employés, au licenciement.

· Les parlementaires appartenant aux Commissions ne sont pas soumis à enquête préalable et reçoivent automatiquement une habilitation les autorisant à avoir accès aux informations classifiées. En revanche, le personnel administratif fait l'objet d'une enquête du FBI dont le résultat est soumis au Président de la Commission concernée. Celui-ci, à son tour, recherche un avis de sécurité (« security opinion ») auprès du DCI et du Secrétaire à la Défense. En général, les Commissions respectent cet avis. En outre, ces mêmes personnels administratifs doivent signer un document dans lequel ils s'engagent, sous peine de poursuites, à respecter leur devoir de réserve (non-disclosure agreements).

b) Les dispositions spécifiques à chaque chambre

· Les deux commissions n'ont pas le même nombre de membres :

- la commission sur le renseignement du Sénat compte actuellement 21 membres, dont deux membres de droit qui sont les responsables de la majorité et de la minorité et ne disposent pas du droit de vote. Elle ne compte donc en réalité que 19 membres de plein exercice, soit 10 pour la majorité et 9 pour la minorité ;

- la commission du renseignement de la Chambre des représentants compte 18 membres, dont 16 de plein exercice en vertu de dispositions similaires à celles qui existent au Sénat. Sur les 16 sièges, 9 reviennent à la majorité.

· La procédure de désignation diffère dans les deux chambres.

Les membres de la SSCI sont nommés pour 8 ans par le Président du Sénat, sur proposition des deux leaders de la majorité et de la minorité politiques, tandis qu'à la Chambre des représentants, les membres sont nommés pour 6 ans par le Speaker qui reçoit les propositions du leader de la minorité. Dans les deux cas toutefois, l'appartenance d'une partie des membres à d'autres commissions traitant des affaires de sécurité nationale (Commissions de la Défense et des Affaires étrangères et sous-commission de la Défense de la Commission des Finances) est requise. Cette disposition est liée au double souci du législateur, d'une part, d'optimiser le contrôle qui est, de fait, exercé par des parlementaires bien informés des sujets traités, et, d'autre part, de créer des passerelles entre ces commissions d'un type particulier et les autres commissions, de façon à ce que ne se crée pas un sentiment d'inégalité de traitement entre les parlementaires.

· Par ailleurs, si la présidence de chaque commission est, dans les deux cas, généralement dévolue au plus ancien, le Président de la SSCI appartient à la majorité et le vice-président à la minorité tandis que ces postes reviennent seulement à la majorité à la Chambre des Représentants.

· De manière générale, le travail effectué par la Commission de la Chambre des Représentants présente d'ailleurs un caractère plus « politique », essentiellement lié à la pression électorale quasi permanente qui pèse sur cette chambre. Cet élément structurel de la démocratie parlementaire américaine a une incidence très nette sur la nature des éléments traités par les commissions. Tandis que les Représentants sont particulièrement sensibles aux dossiers brûlants d'actualité, les Sénateurs ont la faculté d'aborder des thématiques plus diversifiées.

B. L'ITALIE : UN SYSTÈME DÉJÀ ANCIEN

L'Italie est le premier pays européen à s'être doté d'un organe de contrôle parlementaire des services de renseignement. Dès 1969, en effet, est créé le comité parlementaire pour les services de renseignement et de sécurité et pour le secret d'Etat. Toutefois, c'est seulement à partir de 1977 qu'il exerce un véritable contrôle.

1. Les services de renseignement italiens

Il existe deux grands services de renseignement en Italie, qui ont l'obligation de collaborer et de s'entraider mutuellement :

- le Service pour l'Information et la Sécurité Militaire (SISMI), dépendant du ministère de la Défense ; il doit communiquer au Ministre et au comité exécutif tous les renseignements collectés et analysés ainsi que les situations qu'il analyse et les opérations effectuées ;

- le Service pour le Renseignement et la Sécurité de l'Etat Démocratique (SISDE), dépendant du ministère de l'Intérieur.

Le renseignement militaire opérationnel est assuré par le SIOS (Servizio Informazione Operative Segrete), dépendant du ministère de la Défense. Depuis 1991 existe en outre au sein du ministère de l'Intérieur une direction d'investigations anti-mafia (DIA).

2. Le dispositif de contrôle

La loi n° 801 du 24 octobre 1977 relative à l'institution et à l'organisation des services de renseignement et de sécurité et à la réglementation du secret d'Etat8 précise les conditions du contrôle parlementaire sur les services de renseignement.

· Le Gouvernement est, d'une part, tenu de rendre compte au Parlement, dans des rapports trimestriels, de la politique de renseignement et de sécurité qu'il conduit et des résultats obtenus dans ce cadre (article 11, premier paragraphe de la loi précitée).

· D'autre part, un Comité parlementaire pour les services de renseignement et de sécurité et pour le secret d'Etat est compétent pour connaître du contrôle de l'application de la loi du 24 octobre 1977 (article 11, paragraphes 2 à 5).

 Ce Comité est composé de quatre députés et quatre sénateurs nommés, selon un critère proportionnel, par les Présidents de la Chambre des députés et du Sénat de la République sur la base des désignations des groupes. Depuis 1998, son Président est élu parmi les membres de l'opposition. Cette disposition a été introduite compte tenu de la position du Comité au sein des institutions et de son rôle majeur en matière de garantie de leur bon fonctionnement. Ce Comité peut, dans le cadre de ses fonctions, demander au Président du Conseil et au Comité interministériel du renseignement et de la sécurité9 des informations sur les « lignes essentielles » des structures et des activités des services de renseignement et de sécurité et formuler des propositions en la matière.

En en donnant les raisons principales dans une « motivation synthétique », le président du Conseil, qui est l'interlocuteur institutionnel du Comité, peut lui opposer le secret d'Etat s'il considère que les éléments demandés excèdent le cadre des informations susceptibles de lui être délivrées en application de la loi. Dans cette hypothèse, le Comité parlementaire, s'il considère, à la majorité absolue de ses membres, que l'opposition du secret d'Etat n'est pas fondée, en réfère à chacune des assemblées.

La loi n'attribue au Comité aucun pouvoir d'autorité dans l'acquisition de documents pas plus qu'elle ne lui confère de pouvoirs d'enquête sur place.

Les membres du Comité parlementaire italien sont tenus au respect du secret s'agissant des informations dont ils ont connaissance dans ce cadre et des propositions que le Comité peut formuler. De façon plus générale, la loi précise que « les actes du Comité sont couverts par le secret ».

Cependant, le Comité parlementaire dispose de la possibilité d'établir des rapports d'information sur son activité. Il n'est pas prévu de procédure spécifique d'examen de ce rapport au sein du Comité. On relèvera toutefois que, pour la première fois depuis la mise en place du Comité, ces rapports ont donné lieu les 9 et 10 mars 1998 à une discussion en séance publique, avec adoption d'une résolution.

Le Comité parlementaire est, par ailleurs, compétent pour connaître de l'application de l'article 202 du Code de procédure pénale qui interdit aux fonctionnaires de déposer sur des faits couverts par le secret d'Etat. Si le témoin oppose le secret d'Etat, le juge est alors tenu d'en informer le Président du Conseil qui doit lui en donner confirmation dans les soixante jours suivant la notification de la requête. En cas de confirmation de l'opposition de secret d'Etat, l'article 16 de la loi du 24 octobre 1977 oblige alors le Président du Conseil à en donner les motivations essentielles au Comité parlementaire. Si celui-ci, à la majorité absolue de ses membres, estime alors infondée l'opposition du secret d'Etat, il en réfère à chacune des assemblées.

C. L'ALLEMAGNE : UNE LOGIQUE DE CONTRÔLE STRICTE

Le contrôle parlementaire des services de renseignement, qui répond à une préoccupation de longue date en Allemagne, a pu, en certaines occasions, revêtir un caractère extrêmement précis et susciter quelques tensions avec les services.

1. Les services de renseignement en Allemagne

Trois institutions assurent des missions de renseignement en Allemagne :

- le service de renseignement fédéral (Bundesnachrichtendienst ou BND), subordonné à la Chancellerie Fédérale, est chargé de recueillir des informations concernant l'étranger. Organe militaire à l'origine, le BND a été progressivement démilitarisé dans les années 1970 pour devenir civil ;

- l'office fédéral pour la protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz) agit dans le domaine de la sécurité intérieure ;

- le service de protection des ondes (militärischer Abschirmdienst) est une institution de l'armée fédérale (Bundeswehr), donc subordonné au ministère de la Défense, qui a pour mission de protéger l'armée contre des actions perturbatrices relatives à son domaine de compétence.

2. Historique de l'instauration du contrôle parlementaire

Dans les années 1950, le Chancelier Adenauer propose aux partis d'enquêter sur les missions de renseignement et sur leur mise en _uvre en raison de l'importante extension prise par les activités des services de renseignement pour assurer la sécurité de l'Etat. Ainsi, en 1956, est créé l'organe parlementaire des « hommes de confiance » (parlamentarisches Vertrauensmännergremium), qui fonctionne sur le fondement d'un accord entre les partis et le Chancelier fédéral.

Dans les années 1970, des incertitudes croissantes pèsent sur cet organe : ses membres, issus d'une fraction du Parlement, ne sont pas représentatifs du Bundestag ; par ailleurs, cet organe ne s'appuie que sur des accords informels entre le gouvernement fédéral et le Bundestag, sans fondement légal de son activité. Un contrôle parlementaire spécialisé est donc demandé, qui conduit à l'institution de la commission parlementaire de contrôle (parlamentarische Kontrollkommission) en 1979 et à la dissolution de l'organe des « hommes de confiance ».

La commission parlementaire de contrôle ne détient cependant pas le monopole du contrôle parlementaire : les droits de l'ensemble du Bundestag et de ses commissions demeurent intacts. La commission de contrôle est donc un organe de soutien du Bundestag puisqu'elle n'a pas l'exclusivité du contrôle des services de renseignement. Elle n'exerce pas un contrôle préventif et permanent. Elle rend rapport de ses activités en milieu et en fin de mandat.

La mission principale de cet organe est d'empêcher qu'à travers des mesures appliquées par les services de renseignement, ne soit porté atteinte aux droits des citoyens. Depuis 1992, la compétence de la commission a été élargie. La commission peut exiger du gouvernement fédéral des informations étendues sur les activités des services de renseignement.

3. Les modalités du contrôle parlementaire

Il appartient au Bundestag de fixer lui-même le nombre des membres, la composition et le mode de fonctionnement de la commission de contrôle. En 1996, cette commission se composait de huit membres, qui sont généralement les présidents des groupes politiques.

Si la confidentialité des travaux est la règle, une divulgation publique des travaux effectués par la commission de contrôle est possible depuis 1992.

Les services de renseignement ont obligation de fournir toute information nécessaire au contrôle. Une instruction sur des affaires particulières peut cependant être refusée dans un objectif de protection des personnes ou d'informations devant rester secrètes. Dans ce cas, la commission de contrôle peut exiger une justification du refus. A la majorité des deux tiers, la commission de contrôle peut lever la protection du secret.

D. L'AUTRICHE : À LA RECHERCHE D'UN SYSTÈME PLUS EFFICACE

Relativement récent, le système de contrôle autrichien des services de renseignement n'a pas encore trouvé son point d'équilibre, comme en témoignent les nombreux projets pour le compléter ou l'amender.

1. Le renseignement en Autriche

L'Autriche dispose de trois services de renseignement :

- un service de renseignement civil relevant du ministère de l'Intérieur (Staatspolizei) ;

- deux services de renseignement militaires relevant du ministère de la Défense, le Nachrichtendienstliche Abwehr ou service de contre-espionnage et le Nachrichtendienstliche Aufklärung ou service de recueil du renseignement, qui intervient davantage hors des frontières.

La loi de 1991 sur la police (Sicherheitspolizeigesetz), entrée en vigueur le 1er mai 1993, restreint l'activité de maintien de la sécurité publique à la prévention des actes criminels. La Staatspolizei n'a donc pas compétence pour contrer des activités présumées dangereuses pour la sécurité de l'Etat. Le service relevant du ministère de la Défense n'est régi par aucun texte spécifique : il s'agit d'une organisation interne au ministère de la Défense.

2. Le dispositif autrichien de contrôle des services de renseignement

Si l'existence de services de renseignement est ancienne en Autriche, l'instauration d'un contrôle parlementaire sur ces services est récente. Elle est née des travaux de deux commissions d'enquête parlementaires sur les affaires Lucona et Noricum (1989), scandales politico-financiers qui avaient mis en cause les services de renseignement.

· Formellement, le contrôle a été institué par un amendement à l'article 52 A de la Constitution qui prévoit la création de deux sous-commissions permanentes dans chacune des commissions parlementaires compétentes, c'est-à-dire la Commission de la Défense et la Commission des Affaires intérieures. La sous-commission dépendant de la Commission de l'Intérieur vérifie que les services assurent leur mission de protection des institutions constitutionnelles et de la capacité d'action de ces dernières. Quant à la sous-commission dépendant de la Commission de la Défense, elle examine les mesures prises par les services pour garantir la défense du territoire.

· Le nombre de membres des sous-commissions n'est pas déterminé à l'avance. Sous la précédente législature, les sous-commissions comptaient dix-sept membres et étaient composées selon le principe de proportionnalité. Au regard du résultat des élections du 3 octobre dernier, chaque sous-commission devrait compter quatorze membres, soit cinq issus du parti social-démocrate (SPÖ), quatre du parti libéral (FPÖ), quatre du parti populaire (ÖVP) et un du parti écologiste. La pratique s'était instaurée, avec la grande coalition, de confier la présidence de la sous-commission au parti de cette coalition qui ne dispose pas de la présidence dans la commission de rattachement. Durant la précédente législature, le président de la sous-commission dépendant de la Commission de la Défense était SPÖ (le ministère de la Défense étant traditionnellement issu de l'ÖVP) tandis que le président de l'autre sous-commission était ÖVP (le ministre de l'Intérieur étant issu du SPÖ).

· Les membres de la sous-commission sont désignés par les groupes politiques. Outre le serment que prêtent tous les députés en début de mandat, il s'astreignent, par un serment spécifique, à respecter la confidentialité des travaux des sous-commissions, devant le Président de l'Assemblée présent à la première réunion de la Commission. C'est l'impossibilité de prévoir une procédure d'habilitation qui a conduit à introduire cette procédure d'assermentation.

· Chaque sous-commission se réunit obligatoirement quatre fois par an. En outre, chaque membre ou le Ministre de la Défense, a la possibilité de demander une convocation de la sous-commission. Dans tous les cas, celle-ci est tenue de se réunir dans les deux semaines qui suivent la demande de convocation.

L'ordre du jour des réunions est fixé par le Président de chaque sous-commission, après prise en compte des motions déposées par ses membres et par l'exécutif.

· Chaque membre d'une sous-commission a le droit de demander tous les renseignements pertinents au Ministre fédéral compétent dans le cadre des réunions de la sous-commission. La demande de documents au ministère fait l'objet d'une décision de la sous-commission. Le Ministre est libre de refuser de répondre dès lors qu'il estime que la divulgation d'une information auprès des parlementaires présenterait un risque pour la sécurité nationale ou pour la sécurité des personnes.

· Les réunions des sous-commissions sont confidentielles. Il n'est pas dressé de procès-verbal de la réunion, sauf si le Président l'estime nécessaire. L'obligation de respect de la confidentialité des travaux est rappelée par le Président au début de chaque réunion. Si des députés non-membres souhaitent participer aux réunions de la sous-commission, une décision d'autorisation spécifique est prise par celle-ci avant la réunion.

En cas de violation de la confidentialité des travaux, c'est la Commission de l'immunité qui examine le cas, après quoi un vote a lieu en séance plénière.

3. Les perspectives d'évolution du dispositif

Le système existant actuellement en Autriche ne satisfait aucun des acteurs concernés. Depuis trois ans se développe donc un mouvement en faveur de la révision de la législation existante et du renforcement du contrôle parlementaire.

· S'agissant de la révision de la législation existante, un projet de loi gouvernemental sur les services de renseignement militaire prévoit d'encadrer leur activité, qui ne repose pour l'instant que sur les décisions prises par le Ministre de la Défense. Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur la police en effet, une pression croissante s'exerce pour doter le service du ministère de la Défense d'une base juridique. Toutefois, le projet n'a pas trouvé de majorité sous la précédente législature.

En parallèle, les unités de la Staatspolizei souhaiteraient voir leurs compétences élargies aux activités des groupements présentant un danger potentiel pour la sécurité de l'Etat.

· S'agissant de l'évolution du contrôle parlementaire, il est susceptible de nombreuses améliorations. Tous les interlocuteurs de votre rapporteur, quels qu'ils soient, en ont souligné les limites lors des entretiens qu'il a menés à Vienne les 4 et 5 novembre derniers, l'un d'eux allant jusqu'à comparer ces organes à des « tigres sans dents ». Trois voies d'amélioration sont à l'étude, qui suscitent de nombreux débats.

Le premier axe de réflexion porte sur la pertinence du maintien de deux sous-commissions, dont les compétences sont calquées sur celles de leurs commissions de rattachement. Outre qu'un tel dispositif perpétue le cloisonnement entre les services et ne permet pas d'acquérir une vision globale du renseignement, il affaiblit la portée même du principe de contrôle parlementaire.

La deuxième voie d'évolution porte sur le champ du contrôle lui-même. A cet égard, l'absence de contrôle budgétaire est ressentie comme un obstacle considérable à la crédibilité du dispositif.

C'est dans cette optique qu'en novembre 1996, des députés du SPÖ ont soumis au Parlement deux motions prévoyant, d'une part, le regroupement des deux sous-commissions en une seule et, d'autre part, l'instauration d'un contrôle budgétaire des services de renseignement. Parallèlement, était prévu un renforcement de la confidentialité des travaux de ces organes.

Le troisième axe de réflexion porte sur l'élargissement de l'accès des sous-commissions aux documents classifiés. En effet, la pratique actuelle n'a pas permis, semble-t-il, l'instauration de relations de confiance permettant l'échange d'informations sensibles. Il serait donc envisagé de créer un poste de médiateur auprès de la sous-commission chargée du contrôle de la police secrète qui serait en quelque sorte l'interface entre le Parlement et les services de renseignement. Mandaté par la sous-commission, ce nouvel organe disposerait d'un accès total à tous les dossiers de la Police secrète (Staatspolizei) dont il rendrait compte devant la sous-commission chargée de contrôler ce service de renseignement, sous réserve de ne pas mettre en cause la sécurité de la Nation ou des sources impliquées. Outre qu'elle constituerait un contrepoids à l'éventuel élargissement des pouvoirs de la Police secrète, l'institution du médiateur marquerait selon certains parlementaires le point de départ d'un nouveau système. Il faut toutefois souligner que cette proposition, débattue au cours de la précédente législature, n'a pas trouvé de majorité, certains y voyant une dépossession des pouvoirs de contrôle du Parlement et in fine l'aveu de l'échec de l'instauration d'un contrôle parlementaire des services de renseignement.

E. LE ROYAUME-UNI : CONTRÔLE PARLEMENTAIRE OU CONTRÔLE PAR DES PARLEMENTAIRES ?

Dans un pays dont la culture d'ouverture des services de renseignement est assez similaire à celle de leurs homologues français, c'est-à-dire quasi inexistante, l'instauration d'un contrôle parlementaire de leurs activités représente une évolution majeure qu'ils ont d'ailleurs perçue, à bien des égards, comme une véritable révolution.

Il n'est pas facile de définir la nature du contrôle exercé par les parlementaires britanniques dans ce domaine. Du fait de la spécificité du cadre juridique élaboré à cette occasion, certains, notamment parmi les parlementaires non-membres de cette commission, contestent même qu'il s'agisse d'un contrôle parlementaire, arguant du fait qu'il ne suffit pas que la commission qui exerce le contrôle soit composée de parlementaires pour que le contrôle soit de nature parlementaire.

1. L'instauration d'un contrôle parlementaire : un aperçu historique

L'instauration d'un contrôle parlementaire des services de renseignement est récente au Royaume-Uni puisqu'elle est intervenue en 1994, avec l'édiction de la loi sur les services de renseignement (Intelligence Services Act) du 26 mai 1994.

La création de cet organe de contrôle n'est pas liée à un fait clairement identifiable ; c'est bien plutôt dans un faisceau de facteurs qu'il faut rechercher les racines de cette réforme. L'analyse des débats préalables, qui ont été rappelés à votre rapporteur par les différents acteurs qu'il a rencontrés à Londres le 30 septembre dernier, fait apparaître quatre raisons majeures.

La première est à relier à l'évolution de l'environnement géopolitique : dans le monde complexe de l'après-guerre froide, marqué par une prolifération de l'information, le renseignement devient lui-même une entreprise complexe qui requiert des pratiques et des métiers très diversifiés. Or, cet impératif d'adaptation ne va pas de soi après les quatre décennies de la guerre froide. Il comporte pourtant des enjeux majeurs au regard de la sécurité nationale.

Le deuxième facteur est également d'ordre général. Les responsables politiques ont pris conscience de la double dimension du renseignement : si les services jouent, certes, avant tout un rôle de collecte d'informations, ils doivent également être en mesure de conseiller le politique, Ministre ou parlementaire. De fait, comme leurs homologues américains quelque vingt années auparavant, les parlementaires britanniques ont ressenti avec acuité le besoin d'être informés afin de prendre en conscience les décisions qui leur reviennent, tant dans le domaine international qu'en ce qui concerne la sécurité intérieure.

Le troisième facteur tient à la culture du renseignement particulièrement opaque des services de renseignement britanniques jusqu'à une époque récente. Il faut attendre en effet la loi sur le service de sécurité (Security Service Act) du 27 avril 1989 pour que le Security Service ou M I 5, en charge de la protection de la sécurité nationale et notamment de la lutte contre les menaces liées à l'espionnage, au terrorisme, au sabotage et à la subversion des institutions, reçoive une reconnaissance légale. Plus encore, l'Intelligence service ou M I 6, chargé du renseignement à l'extérieur des frontières, ne voit son existence officiellement reconnue qu'en 1992, soit quelque 83 ans après sa création... L'Intelligence Services Act de 1994, qui officialise également le rôle du GCHQ (Government's Communications Headquarters) en matière d'écoutes de sécurité, consacre l'encadrement des services par la loi.

Enfin, les autorités politiques britanniques ont souhaité, par la création de ce dispositif de contrôle parlementaire, entrer dans ce qui apparaît déjà en 1994 comme le droit commun des grandes démocraties, qu'il s'agisse des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie ou, en Europe, de l'Italie et de l'Allemagne.

2. Le dispositif de contrôle parlementaire des services de renseignement au Royaume-Uni

La Commission sur le renseignement et la sécurité (ISC ou Intelligence and Security Committee) a été créée par la loi de 1994 sur les services de renseignement.

· Cette Commission est composée de neuf membres, issus des deux Chambres, nommés par le Premier ministre après consultation du Leader de l'opposition. Dans les faits, les membres sont issus en majorité de la Chambre des Communes. Le clivage partisan est largement gommé, au profit de critères de compétence et d'intégrité : ainsi, le changement de majorité n'a eu aucune incidence sur le choix du Président de l'ISC qui est, depuis le début de sa création, l'ancien Ministre de la Défense conservateur, M. Tom King.

Commission composée de parlementaires, la Commission sur le renseignement et la sécurité n'est pas une commission parlementaire classique, ainsi qu'en témoignent par exemple les modalités de désignation de ses membres. C'est dans cette mesure que certains parlementaires non-membres de l'ISC considèrent qu'il s'agit d'une commission composée de parlementaires, certes, mais dépendante de l'exécutif et que sa fonction de contrôle diffère de celle qui est exercée par le Parlement.

Pourquoi l'instauration d'un tel système, dont la subtilité toute britannique ne manque pas de frapper les observateurs étrangers ? C'est dans le souci du gouvernement britannique de prendre toutes les garanties de confidentialité possibles qu'il faut chercher la réponse. En dépit du caractère relativement limité de la mission dévolue à cette commission, chargée d'examiner le budget, l'organisation et la ligne de conduite générales du M I 5, du M I 6 et du GCHQ10, les responsables politiques britanniques ont en effet jugé que l'accès à des informations confidentielles justifiait la création d'un cadre juridique spécifique, dont le pivot est le Premier ministre. Celui-ci, outre son pouvoir de nomination - et, de facto, de révocation du fait du parallélisme des formes -, est également le destinataire du rapport annuel établi par la Commission, sur lequel il dispose d'un pouvoir de censure préalable. C'est, plus spécifiquement, l'organe de coordination du renseignement au cabinet du Premier ministre (Joint Intelligence Organization) qui juge de ce qui est publiable ou non dans le rapport établi par l'ISC.

· Il est difficile d'évaluer le degré de confidentialité des informations transmises à la Commission, le critère qui est appliqué aux parlementaires différant de celui qui existe au sein de l'exécutif. En effet, bien qu'existe un système de classification à plusieurs niveaux assez semblable à celui qui a cours en France, fondé sur la notion de secret, un classement spécifique a été créé pour les informations transmises à l'ISC. Les informations communiquées aux parlementaires le sont donc, non pas en vertu de leur caractère confidentiel, secret ou très secret, mais au regard de leur caractère sensible ou non. Ce système, subtil et complexe, présente l'avantage d'écarter la délicate question de l'habilitation des parlementaires. En effet, au Royaume-Uni comme en France, d'une part, seules les personnes habilitées peuvent accéder aux informations classifiées et, d'autre part, on ne peut imaginer de soumettre les parlementaires à la procédure d'habilitation. Cet obstacle juridique est contourné par l'instauration d'un critère de classement spécifique des informations.

Sont considérées comme sensibles les informations :

- qui pourraient conduire à une identification des sources d'information ou des méthodes opérationnelles utilisées par le Security Service, l'Intelligence Service ou le GHCQ ;

- relatives à une opération qui a été, est ou est sur le point d'être conduite ;

- fournies par un gouvernement ou par un service étranger qui ne souhaite pas sa divulgation.

C'est au directeur du service concerné qu'il revient de juger du caractère sensible d'une information, la décision pouvant remonter en cas de conflit avec la commission jusqu'au cabinet du Premier ministre.

Les représentants des services de renseignement que votre rapporteur a rencontrés ont assuré que l'ISC était destinataire d'informations confidentielles nombreuses. Toutefois, la création, en 1998, d'un poste d'enquêteur (investigator), sur proposition de la Commission laisse penser que la commission ne s'estimait pas suffisamment informée. En effet, cet enquêteur, issu des services, mais responsable devant la Commission, peut être mandaté par la Commission pour vérifier la pertinence et la justesse des informations fournies à la Commission par les services. Il rend compte du résultat de ses recherches devant la Commission, à laquelle il peut opposer le secret s'il le juge nécessaire. Du fait de la mise en place très récente de ce système, il n'est pas encore possible d'en faire un bilan.

· En vertu du Official Secrets Act de 1911, la violation du secret est passible de poursuites. Il est toutefois difficile de poursuivre d'emblée un parlementaire au nom de cette loi. La procédure serait plutôt la suivante : le directeur du service concerné fait rapport au Premier ministre qui met fin au mandat exercé par le parlementaire au sein de l'ISC. Au-delà des sanctions pénales, la vraie sanction serait, en réalité, l'atteinte durable à la crédibilité de la Commission. Après cinq années de fonctionnement de la Commission, aucun incident de ce type n'a été enregistré.

F. LE CANADA11 : UN RÔLE ENCORE TRÈS TIMIDE DU PARLEMENT

Le cas du Canada est paradoxal : alors qu'il est l'un des premiers à s'être posé la question du contrôle des services de renseignement, il se refuse à mettre sur pied un véritable contrôle parlementaire, contournant cette question par la création de multiples organismes indépendants qui forment, en définitive, un dispositif qui frappe par sa complexité.

1. Historique du système canadien de contrôle des services de renseignement

Le contrôle des services de renseignement canadiens est né en 1984 de la crise liée aux actes de terrorisme commis au Québec12. Suite à la mise en cause de la Gendarmerie royale canadienne, accusée de n'avoir pas joué son rôle de service de renseignement dans les années 1970, deux commissions d'enquête, l'une fédérale, la commission MacDonald, l'autre provinciale furent créées.

La commission MacDonald a publié ses conclusions en 1981. Après l'échec d'un premier texte qui suscita un tollé, du fait de la très grande autonomie laissée aux services, le service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) fut créé en 1984 sous la tutelle du ministère de l'Intérieur. Quatre missions lui furent confiées : lutte anti-terroriste, contre-espionnage, prévention du renversement de l'Etat par la violence et lutte contre la subversion venant de l'étranger. Une réflexion est actuellement menée sur l'extension de sa mission aux problèmes économiques.

S'agissant du contrôle, la commission MacDonald proposait un système reposant sur quatre piliers :

- exécutif : il s'agit en fait du contrôle hiérarchique normal;

- judiciaire : le juge devait autoriser l'interception des communications ;

- parlementaire : une commission mixte Sénat - Chambre des Représentants était proposée ;

- indépendant : le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS).

Dans l'esprit de ses promoteurs, le système reposait sur des piliers complémentaires. Or, les deux derniers furent rapidement perçus comme alternatifs : la commission MacDonald ayant découvert que les services avaient menti devant la représentation nationale, l'idée d'une commission mixte parlementaire fut écartée car susceptible d'exercer un contrôle par trop lacunaire.

Actuellement, trois types de contrôle sont donc exercés sur les services de renseignement canadiens :

- le contrôle judiciaire ;

- le contrôle interne, par un inspecteur général, qui est en quelque sorte les yeux et les oreilles du solliciteur général (ministre de l'Intérieur). Il appartient d'ailleurs au personnel du Ministère13 . Il est chargé d'établir des rapports sur le service et de lui décerner des certificats de bonne conduite. C'est au Ministre qu'il revient de décider de la publication de ce rapport ;

- le contrôle externe, exercé par le CSARS.

Pour résumer, on peut dire que des quatre modèles existants de contrôle des services de renseignement (contrôle parlementaire, contrôle par une commission administrative, contrôle interne et contrôle judiciaire), le Canada en a retenu trois. Dans ce système, le Parlement n'intervient qu'en cas de crise, par exemple si l'Inspecteur général refuse de décerner un certificat de bonne conduite au Service. Il n'existe donc pas au Canada de délégation parlementaire permanente au renseignement, hormis, depuis 1998, le comité sénatorial créé à l'initiative de cette Chambre.

2. Le dispositif canadien de contrôle des services de renseignement

Le contrôle canadien des services de renseignement forme un dispositif institutionnel complexe. Il n'existe aucun organe unique qui contrôle les deux services dépendant du ministère de la défense (un service de renseignement militaire et un service d'écoutes et de communication) et du ministère de l'Intérieur (SCRS essentiellement)14. Plus encore, chacun de ces services est soumis à des organes de contrôle aux statuts extrêmement variés.

S'agissant des services du ministère de la défense, seul le service d'écoutes électroniques et de communication est soumis à un contrôle s'ajoutant à celui, de nature hiérarchique, exercé par le Ministre de la Défense. Depuis 1996, il revient en effet à un inspecteur général indépendant de vérifier la conformité des activités du Comité pour la surveillance des télécommunications aux lois canadiennes.

Quant au SCRS, il est, pour l'essentiel, contrôlé par le CSARS, le pouvoir judiciaire, ainsi que par un vérificateur général dépendant du ministère de l'Intérieur.

Depuis 1998, le Sénat a, de sa propre initiative, créé un embryon de contrôle, dans le cadre du comité spécial sur la sécurité et les services de renseignement.

a) Le contrôle exercé par le Comité de Surveillance des Activités de Renseignement de Sécurité

Le contrôle sur les services de renseignement peut s'effectuer selon deux critères : l'efficacité ou la déontologie. Le contrôle exercé par le CSARS porte essentiellement sur la déontologie des services secrets, cet organe cherchant à faire en sorte que l'équilibre entre droits de l'homme et sécurité de l'Etat soit respecté.

· Nommés pour cinq ans sur proposition du gouvernement après consultation des chefs des partis, les cinq membres du CSARS doivent auparavant avoir été assermentés membres du Conseil privé, condition largement formelle. Les cinq membres du CSARS exercent leurs activités à temps partiel. Ce ne sont pas des élus : le Parlement, lors de l'adoption de la loi de 1984 sur le SCRS, a préféré en exclure tout parlementaire actif. Il peut en revanche inclure d'anciens parlementaires. Leur mandat peut être renouvelé une fois. Les membres du CSARS, tout en ayant des liens ouverts avec les partis politiques, sont nommés par consensus et sont totalement indépendants.

· Pour remplir sa mission, le CSARS dispose de ses propres moyens budgétaires et humains. Le Comité emploie 14 personnes, dont la moitié sont des experts de niveau universitaire supérieur (avocat, spécialiste de sciences politiques). Ce personnel change régulièrement afin que ne se créent pas de liens avec les services15.

C'est le CSARS qui établit lui-même un programme d'activités au début de chaque année, qui le conduit à être en contact avec les services au jour le jour.

Juridiquement, le CSARS a accès à tous les documents classifiés produits par le SCRS16.

· Les membres du CSARS sont liés par une obligation de confidentialité. Ils décident en conscience des éléments qu'ils peuvent dévoiler dans le rapport annuel qu'ils établissent et lors de leurs auditions devant les parlementaires. En effet, le comité se rend une fois par an devant le Parlement pour y présenter le rapport qu'il a établi et que le Ministre de l'Intérieur transmet sans exercer de droit de regard.

· Le CSARS dispose enfin également du pouvoir de recevoir des plaintes de citoyens à l'encontre de ce service. Aux yeux de ses membres, ce double mandat, d'investigation et de jugement, permet une meilleure mise en _uvre de chacune de ses missions. Ainsi, les plaintes formulées à l'encontre du SCRS peuvent éclairer le CSARS sur les dysfonctionnements du service.

Tous les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur au Canada ont souligné la qualité du contrôle exercé par le CSARS, dont le rôle préventif a été souligné. D'aucuns rapprochent même cet organisme d'une commission d'enquête virtuelle permanente, qui ne souffrirait pas toutefois de l'excès de médiatisation des commissions d'enquête parlementaire. Certains spécialistes canadiens estiment que le contrôle exercé par le CSARS fonctionne mieux que ne le ferait un contrôle strictement parlementaire, l'accès aux documents des services de renseignement ne pouvant être donné, selon eux, qu'à un organe administratif. Votre rapporteur n'a pas manqué d'être frappé par cette approche pessimiste du travail parlementaire.

b) Le Parlement canadien et les services de renseignement

Si le Canada s'est engagé très tôt sur la voie d'un contrôle véritable sur les services de renseignement, la question de l'instauration d'un contrôle parlementaire reste en débat. A ce jour, seul existe le comité spécial créé en 1998 par le Sénat, de sa propre initiative.

Les responsables des services estiment que les parlementaires disposent d'ores et déjà de moyens de contrôle, ou au moins d'informations, sur les services de renseignement : sont cités les mécanismes généraux de responsabilité ministérielle devant le Parlement, le rapport que le Ministre de l'Intérieur a obligation de remettre annuellement au Parlement ou le rapport du CSARS.

Ces mêmes responsables n'ont toutefois pas nié que le Canada restait aux prises avec le problème du contrôle parlementaire des services de renseignement, qui manifestent globalement de la réticence face aux questions des parlementaires, notamment des membres des Commissions de la Justice, de la Défense, des Comptes publics de la Chambre des communes.

Dans un tel contexte de méfiance des services à l'égard des parlementaires, la création d'un comité sénatorial qui se donne pour ambition de contrôler les services intervenant dans la sécurité du pays représente un pas non négligeable.

Le comité compte sept membres, choisis pour leur compétence sur ces questions. Il existe d'ailleurs une commission de sélection qui évalue l'expérience du candidat dans les domaines juridiques et militaires.

Les séances du comité ont lieu à huis clos. Au cours de celles-ci, le comité entend les responsables des services sur les orientations générales de leur activité. Les agents en opération ne sont pas convoqués.

Le comité publie un rapport communiqué aux services avant sa publication.

Faut-il, dans le cas du Canada, parler d'un contrôle parlementaire ? Aux yeux de votre rapporteur, une telle affirmation est excessive, en dépit du travail de qualité effectué par le Comité spécial du Sénat. Faut-il rappeler, tout d'abord, que le Sénat canadien est désigné et non élu, les sénateurs ne pouvant être révoqués, avant leur départ en retraite à 75 ans ? Par conséquent, aucun représentant de la souveraineté nationale n'intervient dans le processus. En outre, ce comité est né de l'initiative propre du Sénat, le 26 mars 1998. Il ne s'agit donc pas d'une démarche à laquelle tous les acteurs politiques et institutionnels intervenant dans ce domaine ont été associés.

Il est difficile d'expliquer cette très forte réticence, qui émane parfois des parlementaires eux-mêmes, à instaurer un véritable contrôle parlementaire. Sans doute les pratiques du contrôle américain fonctionnent-elles comme un contre-modèle dont la « brutalité » a d'ailleurs été soulignée par les interlocuteurs de votre rapporteur, tant au sein des services que par le Sénateur Kelly, qui, au contrôle (« oversight », terme employé dans les lois américaines instaurant le contrôle parlementaire) a dit préférer l'information (« review »).

III. - UN NOUVEAU CADRE JURIDIQUE POUR UNE RÉFORME EFFICACE

A. LES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES : DES ENSEIGNEMENTS PRÉCIEUX

Les dispositifs étrangers qui viennent d'être présentés ne sont certainement pas transposables. En menant cette étude comparative, votre rapporteur n'entend nullement dresser une sorte de palmarès des systèmes de contrôle parlementaire du renseignement ni s'inspirer d'un modèle qui, en l'occurrence, n'existe pas.

Que l'on songe, d'une part, à la diversité des contextes institutionnels et des cultures politiques dans lesquels s'inscrit une telle démarche. Ainsi, le système adopté par les Etats-Unis porte la marque du caractère présidentiel des institutions américaines. Au contraire, celui auquel a recours le Royaume-Uni s'inscrit dans le cadre institutionnel d'un régime parlementaire certes, mais caractérisé par une forte prédominance du pouvoir exécutif. Quant aux systèmes allemand et italien, ils obéissent l'un et l'autre, selon des modalités particulières, à une logique de contrôle strict, parfois tatillon, du Parlement sur l'exécutif.

D'autre part, les mécanismes d'intervention du Parlement dans le domaine du renseignement font également entrer en ligne de compte la spécificité des intérêts nationaux du pays où ils sont mis en _uvre. Incontestablement, une puissance mondiale, comme les Etats-Unis, ou même des puissances moyennes mais aux responsabilités mondiales, consacrées notamment par leur siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, comme le Royaume-Uni ou la France, ne peuvent avoir la même approche que des Etats dont l'action extérieure revêt une dimension essentiellement européenne comme l'Allemagne ou l'Italie.

Par ailleurs, l'examen des dispositifs existants est révélateur de la difficulté à trouver, dans ce domaine, un point d'équilibre satisfaisant, souvent acquis avec l'expérience et la pratique.

Les expériences étrangères, tant par leurs réussites que par leurs lacunes ou leurs imperfections, sont toutefois extrêmement riches d'enseignement, ne serait-ce que parce qu'elles permettent de faire la part entre les vraies difficultés juridiques que pose l'instauration de ce type de structures et ce qui s'apparente à de faux débats. Il est, en effet, frappant de constater qu'au-delà de la diversité des systèmes institutionnels, au-delà de la variété des modes de relations politiques, au-delà de la différence dans l'organisation des services, petites, moyennes ou grandes puissances, Etats neutres ou interventionnistes sur la scène internationale, tous se sont posé les mêmes questions quant aux modalités de ce type de structures et de procédures.

1. Pour en finir avec les faux débats

Que la création de délégations parlementaires pour le renseignement, révolution culturelle autant qu'évolution institutionnelle, suscite quelques interrogations, quoi de plus normal ? Il est même souhaitable, dans un pays démocratique, que l'instauration d'un dispositif de contrôle des services, et, en définitive, de la politique de renseignement, provoque des débats. A cet égard, votre rapporteur estime parfaitement compréhensibles les réactions parfois empreintes de réticence de certains responsables des services français - une minorité, à dire vrai - lorsqu'il leur a présenté ce projet. Pourrait-il en être autrement, dès lors que depuis leur création, aucun de ses services n'a eu d'autre interlocuteur que son administration de tutelle ou, pour certains, les plus hautes autorités du pouvoir exécutif ?

· Faut-il pour autant rejeter le principe même d'un contrôle parlementaire du renseignement au nom d'un handicap culturel français, voire d'une exception culturelle qui, en la matière, nous conduirait à abaisser nos standards démocratiques par rapport aux autres pays ?

Aux yeux de votre rapporteur, l'argument « culturel » procède d'une triple erreur d'analyse.

Il repose, tout d'abord, sur une vision du Parlement pour le moins étonnante. De tels arguments perpétuent, en effet, l'image d'une institution par nature incapable d'assumer ses responsabilités, image véhiculée par les tenants de l'antiparlementarisme dont l'histoire a montré les dérives. Car, en filigrane, l'argument « culturel » présuppose l'impossibilité pour les parlementaires d'être destinataires d'informations sensibles relatives au renseignement, sous prétexte qu'une telle communication ferait peser un risque sur les intérêts vitaux de la Nation. Comment expliquer, dans ces conditions, que les Etats-Unis, dont les citoyens ont une conscience souvent exacerbée de la notion de sécurité nationale, aient mis en place un système, à nos yeux, inquisitorial ? Plus encore, comment justifier la mise en place de tels mécanismes en Israël, dont on ne souligne plus le rôle éminent des services ?

Par ailleurs, cet argument ne résiste pas à l'examen de la pratique du contrôle dans les grandes démocraties. Hormis un cas aux Etats-Unis, jamais un parlementaire n'a été mis en cause pour avoir trahi la confidentialité des travaux de l'organisme dont il faisait partie. Il faut, en outre, rappeler que le phénomène des « fuites » est largement indépendant de l'existence d'un contrôle parlementaire.

L'affirmation d'un handicap culturel de la France en matière de contrôle du renseignement repose également sur une méconnaissance des services. Pour les avoir rencontrés, votre rapporteur peut confirmer que les membres de la communauté du renseignement, en France comme à l'étranger, comprennent parfaitement l'intérêt qu'ils auraient à disposer d'interlocuteurs informés au sein du Parlement, notamment à un moment déterminant de leur existence, qui leur impose de s'adapter aux nouvelles technologies et aux nouvelles formes de menaces qui en découlent. D'ailleurs, dans tous les pays étrangers qu'il a visités, les responsables du renseignement ont indiqué à votre rapporteur qu'ils ne souhaiteraient en aucune manière revenir à la situation antérieure à l'institution du contrôle parlementaire. Qu'il soit permis à votre rapporteur de citer, avec son accord, M. John Moseman, Directeur du service des affaires parlementaires (Office of Legislative Affairs) à la CIA : « Je vois aujourd'hui toute la valeur que peut avoir une telle commission17. Je n'imagine pas le retour à la situation qui prévalait avant 1976. L'opinion ne nous accorderait pas sa confiance ». Témoignage pour le moins intéressant au vu de la charge de travail que le contrôle parlementaire impose aux services, puisqu'en moyenne 1 300 contacts sont établis annuellement entre le Congrès américain et la CIA, qui vont des conversations téléphoniques aux auditions devant les commissions.

Enfin, aux yeux de votre rapporteur, la mise en avant d'un fait culturel français dans ce domaine procède d'une troisième erreur d'analyse, en ce qu'elle repose sur une sacralisation de la notion de secret, aujourd'hui contredite par l'état du droit et l'évolution des mentalités. Depuis une vingtaine d'années, en effet, la forte demande du corps social en faveur de la transparence des pratiques administratives, en même temps que l'exigence de la protection de secrets publics ou privés ont conduit au développement d'un édifice juridique, parfois complexe, qui sort le secret de l'administration du quasi non-droit dans lequel il avait toujours évolué. Cette évolution du droit positif procède du principe selon lequel « entre l'espace de transparence et celui du secret, il est impossible de se passer d'un « sas » qui soit aussi un filtre, permettant de favoriser les échanges tout en assurant les étanchéités nécessaires »18. Citons, par exemple, la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, la mise en place de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) par la loi du 10 juillet 1991, la refonte des dispositions du code pénal sur ce thème en 1994 ou, plus récemment, la mise en place de la Commission consultative du secret de la défense nationale (loi du 8 juillet 1998).

Sur le long terme se dessine donc un mouvement tendanciel visant tant à refonder la légitimité du secret qu'à en sanctionner la violation par des règles applicables, donc susceptibles d'être appliquées. Dans cette perspective, la prise de connaissance d'informations secrètes par des parlementaires, dans des limites strictement délimitées par la présente proposition de loi, ne vient en rien remettre en cause cet outil parfois nécessaire de l'action gouvernementale qu'est le secret.

· Faut-il, enfin, pour reprendre un argument qui a parfois été opposé à votre rapporteur, voir dans l'instauration d'un contrôle parlementaire du renseignement une source de conflits potentiels entre les pouvoirs exécutif et législatif ? Dans une certaine mesure, on rejoint là le problème du secret, domaine dans lequel le Parlement dispose traditionnellement de pouvoirs limités. A cette objection, deux réponses peuvent être faites.

En premier lieu, le contrôle d'une institution sur une autre est, par nature, source de divergences d'appréciation potentielles entre les deux instances concernés. Toutefois - et c'est là une seconde réponse qui peut être apportée à cet argument - la pratique quotidienne du contrôle n'est pas, dans les institutions de la Vème République, conflictuelle en règle générale. Elle repose en effet, le plus souvent, sur des relations de confiance mutuelles et de coopération. Pourquoi en irait-il autrement du contrôle du renseignement, d'autant que votre rapporteur, à l'instar de ses collègues, est bien conscient qu'au-delà du dispositif technique, l'instauration de relations de confiance entre les parlementaires et les services est essentielle à la réussite d'un tel projet ?

2. Des problèmes juridiques à résoudre

Il est indéniable, en revanche, que la mise en place de mécanismes de contrôle parlementaire du renseignement soulève de réelles difficultés juridiques. Peut-être est-ce d'ailleurs pour cette raison, en vertu d'une certaine inertie de notre réflexion institutionnelle, que, jusqu'alors, la France n'a jamais traité ce sujet comme il le méritait.

L'analyse des exemples étrangers le confirme : toutes les démocraties qui ont voulu se doter de tels mécanismes ont dû au préalable imaginer des dispositifs souvent novateurs pour surmonter ces difficultés juridiques. Il faut noter d'emblée qu'elles n'ont pas pour autant renoncé, le volontarisme politique permettant de trouver en la matière les solutions susceptibles de pallier les limites ou les carences du droit positif.

· La principale difficulté tient aux relations délicates entre Parlement et secret. C'est une tautologie de rappeler que, par nature, le Parlement est un lieu de parole et de débat, bien loin des hommes de l'ombre que doivent être les membres des services de renseignement. Comme le souligne le professeur Bertrand Warusfel19, « les rapports des parlements avec les questions de secret ont toujours été délicats pour la simple raison qu'un Parlement est un lieu, par excellence, du débat public, de l'information démocratique et du contrôle de l'exécutif, avec tout ce que cela comporte comme désir de transparence de l'action administrative ».

L'histoire parlementaire, dans tous les pays, est là pour témoigner de la récurrence de conflits entre le Parlement et le pouvoir exécutif sur ce point. Car, « depuis l'origine des Parlements, ceux-ci ont toujours eu des difficultés à convaincre de leur aptitude à prendre connaissance d'informations secrètes ». On rappellera ici la réponse de Michel Debré, alors ministre de la Défense nationale, aux sénateurs qui, lors de la discussion du budget pour 1972, avaient déposé un amendement visant à obliger le Gouvernement à faire un rapport détaillé sur l'organisation et le fonctionnement du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage)20 devant une commission parlementaire mixte ad hoc : « je suis prêt à venir devant la commission de la défense nationale pour expliquer les grandes lignes de l'organisation du service ; je suis même prêt à indiquer les missions générales du service ; ce n'est pas du domaine du secret. (...) Vais-je ouvrir les dossiers ? En aucune façon. Je préfère vous dire tout de suite que je resterai silencieux et que quiconque ayant le sens de l'Etat, je dirais même le sens du respect que l'on doit à certains agents, ne pourrait que rester silencieux. Dès lors, qu'attendez-vous de moi ? Que je vienne - je suis prêt à le faire - devant la commission compétente, expliquer les grandes lignes de ce service ? Je peux même expliquer les grandes lignes de son travail, puisque cela ne touche en aucune façon, ni à la défense nationale, ni à la vie des individus. Ne m'en demandez pas plus »21.

· Se greffe sur cette difficulté conceptuelle une question d'ordre technique : sachant que, dans tous les régimes juridiques, l'accès aux informations classifiées est soumis à des dispositions restrictives, celles-ci peuvent-elles être appliquées à un parlementaire ? On aborde là la délicate question de l'habilitation des parlementaires à connaître d'informations classifiées.

Dans le droit français, qui, dans son esprit, rejoint les autres systèmes juridiques, l'obligation d'habilitation au secret de la défense nationale trouve son fondement dans la combinaison des articles 413-9, 413-10 et 413-11 du nouveau code pénal : nul ne peut avoir accès à des renseignements présentant un caractère de secret de la défense nationale sans y être habilité au préalable. Il s'agit là d'une obligation légale, donc universelle, les seules exceptions concernant les ministres, habilités ès qualités, et les parlementaires membres d'autorités administratives indépendantes telles que la Commission nationale des interceptions de sécurité ou la Commission consultative du secret de la défense nationale, habilités de par la loi.

L'autorisation d'accéder à des informations classifiées ne peut être délivrée qu'au terme d'une procédure de sélection définie par le décret du 17 juillet 1998 relatif à la protection des secrets de la défense nationale et par une instruction interministérielle. Cette sélection repose sur deux principes :

- l'habilitation, procédure de contrôle préalable des personnes qui, pour les besoins de leur travail, doivent avoir accès à des informations classifiées. Cette procédure inclut en particulier une enquête approfondie sur les personnes devant être habilitées, enquête menée par la DST pour l'accès au « Très secret défense » et par les renseignements généraux dans les autres cas. A la fin de la procédure d'habilitation, les personnes autorisées à avoir accès à des informations classifiées font l'objet d'une décision d'admission, d'une durée variable, mais ne pouvant pas dépasser cinq ans pour le « Secret défense » et dix ans pour le « Confidentiel défense », sous certaines conditions. Pour le « Secret défense », la procédure d'habilitation est obligatoire pour tous. Pour le « Confidentiel défense », les fonctionnaires titulaires et les militaires de carrière sont dispensés de procédure d'habilitation. Les stagiaires, contractuels, etc. doivent au contraire subir cette procédure. Une personne ayant fait l'objet d'une décision d'admission ou d'agrément au « Secret défense » peut accéder au « Confidentiel défense », sous réserve du « besoin d'en connaître » ;

- le « besoin d'en connaître » : il s'agit d'une règle de contrôle permanent de la destination des informations classifiées. Nul ne peut avoir accès à ces informations s'il n'a pas besoin d'en prendre connaissance pour accomplir sa mission, même s'il est habilité. Cette règle ne connaît aucune exception. Un secrétariat saisi d'une demande de communication d'un document classifié doit toujours en référer à l'autorité hiérarchique qui appréciera, sous sa responsabilité, le « besoin d'en connaître ». L'accès aux informations classifiées n'est donc jamais un droit.

Par ailleurs, l'accès à des informations classifiées comporte diverses obligations. Lors de leur prise de fonctions, les personnes habilitées sont tenues de signer une attestation de reconnaissance de responsabilité. Cette signature n'est pas une simple formalité administrative : elle doit être accompagnée par la lecture des textes cités et par une sensibilisation aux mesures de sécurité à respecter. Elles doivent en outre dresser un inventaire des documents « Secret défense » en présence de la personne partante et changer les combinaisons des meubles de sûreté. Par ailleurs, au cours de leur travail quotidien, elles doivent appliquer des mesures de sécurité très strictes et rendre compte au chef de service ou à l'agent de sécurité de toute anomalie concernant les documents classifiés (emballage détérioré, disparition - même temporaire - d'un document) ou de toute demande de renseignement de la part de personnes - étrangères ou françaises - sur ses activités ou sur des informations classifiées. Enfin, en quittant leurs fonctions, les personnes habilitées sont tenues de dresser un inventaire des documents « Secret défense » en présence de la personne arrivante et de signer le second volet de l'attestation de reconnaissance de responsabilité, cette signature étant un engagement de ne pas divulguer les informations dont elles ont eu connaissance au cours de leurs fonctions.

Ce dispositif de protection des informations, que l'on retrouve peu ou prou dans toutes les démocraties, conduit à une double interrogation, dès lors qu'on le confronte à la question du contrôle parlementaire du renseignement.

En premier lieu, est-il concevable que l'exercice par un parlementaire de son mandat soit subordonné, en France, au résultat d'une enquête de la DST ou des Renseignements généraux ? A l'évidence, l'esprit du principe de séparation des pouvoirs conduit à répondre par la négative à une telle question. Il s'agit d'ailleurs là d'une réponse qui vaut dans tous les pays.

En second lieu, en admettant qu'un parlementaire accède à des informations classifiées, dans quelle mesure pourraient éventuellement s'appliquer les sanctions qui s'attachent à la violation de ce type de documents, au regard du principe constitutionnel d'irresponsabilité ?

· Nous touchons là à la troisième difficulté majeure liée à la mise en place d'un contrôle parlementaire du renseignement. Comment concilier la protection du secret avec cette immunité de rang constitutionnel, qui conduit, dans certains cas, à rendre inopérant tout système de sanction ? En effet, aux termes du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution, « aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ». Cette protection, qui garantit la liberté d'expression et de décision du parlementaire, est permanente puisqu'elle s'étend au-delà de la durée du mandat.

Il faut noter, là encore, que cette difficulté n'est pas propre à la France, bien au contraire, ce principe étant inhérent à l'existence même de l'institution parlementaire.

· La dernière difficulté juridique posée par l'instauration d'un contrôle parlementaire du renseignement tient à l'objet même du contrôle. Car, que sont les services de renseignement, en France du moins, sinon des services internes rattachés à une administration centrale, régis comme tels par des textes de niveau réglementaire22 ? Si l'on ajoute à ces éléments le fait que les textes régissant ces services sont extrêmement généraux, on comprend dès lors que la question de l'objet du contrôle mérite d'être posée. Sur ce point, le cas du Royaume-Uni est particulièrement intéressant dans la mesure où, jusqu'en 1989 pour le Security Service et en 1994 pour l'Intelligence Service, les services de renseignement britanniques n'avaient aucune existence officielle, ce qui rendait de facto toute velléité de contrôle impossible...

On notera d'ailleurs la concomitance entre la reconnaissance du service de renseignement extérieur britannique et l'instauration du contrôle parlementaire, concomitance qui va jusqu'à l'adoption d'une loi unique pour ces deux éléments. En cela, le Royaume-Uni n'est pas un cas isolé : l'Italie, le Canada ou encore l'Autriche ont également adopté cette double démarche de législation sur les services et de création de mécanismes de contrôle, même si, dans le cas autrichien, les services dépendant du ministère de la défense échappent encore à la loi, faute d'accord politique sur le dispositif.

B. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI : METTRE EN PLACE UN CONTRÔLE EFFICACE ET GARANTIR LA PRÉSERVATION DU SECRET

Pour importantes qu'elles soient, ces difficultés ne sauraient constituer des obstacles insurmontables. Qu'il soit permis, là encore, à votre rapporteur d'invoquer les expériences menées dans les grandes démocraties, dont il a montré qu'elles s'étaient heurtées aux mêmes difficultés et qu'elles cherchaient même encore, pour certaines d'entre elles, le moyen de les pallier. C'est donc à nous, parlementaires français, qu'il revient de mettre en place un dispositif original, qui réponde aux difficultés techniques, tout en s'inscrivant dans notre pratique institutionnelle et dans notre culture politique.

La proposition présentée a cette ambition. Elle vise à instaurer un équilibre entre deux exigences. D'une part, il s'agit de mettre en place un contrôle efficace, susceptible de conduire à une transparence adaptée à l'activité des services de renseignement, dont le défaut s'est, en dernière analyse, avéré préjudiciable à ces services eux-mêmes, dans la mesure où seules leurs erreurs ont pu être portées à la connaissance de tous alors que leur contribution à la sécurité du pays restait ignorée du public. D'autre part, il est nécessaire de prévoir des dispositifs de protection, non seulement des informations vitales pour la sûreté de l'Etat, mais aussi des hommes qui le servent dans des conditions difficiles, voire dangereuses.

1. Un dispositif de contrôle efficace

a) Une structure permanente dans chaque chambre

La présente proposition de loi prévoit l'instauration, dans chaque chambre, d'une délégation parlementaire pour le renseignement.

· Pourquoi ce choix ? Après tout, les commissions compétentes pour la défense et pour l'administration générale de l'Etat n'auraient-elles pas pu, de leur propre chef, faire entrer les services de renseignement, sous tutelle du ministère de la Défense pour la première, de l'Intérieur pour la seconde, dans leur champ de compétences ? Ou, tout au contraire, n'eût-il pas mieux valu créer une nouvelle autorité administrative indépendante, ces « magistratures du secret » s'étant notamment développées dans les domaines touchant à la question sensible du secret ?

Votre rapporteur s'élève avec vigueur contre ce qui lui apparaît constituer de fausses alternatives.

Il est tout à fait illusoire de croire que les commissions de la Défense ou des Lois pourraient aujourd'hui s'autosaisir de ces questions, le droit commun parlementaire excluant du champ de compétence des députés et des sénateurs les informations classifiées. Par ailleurs, les tentatives entreprises en ce sens dans le passé se sont systématiquement soldées par un échec. Ainsi, en 1985, après l'affaire du Rainbow Warrior, le Premier ministre avait déclaré qu'il donnait « instruction au ministre de la Défense et au ministre de l'Intérieur d'adresser désormais aux présidents de la commission de la Défense de nos deux assemblées parlementaires un compte rendu annuel détaillé des activités des services de renseignement placés sous leur responsabilité ». Il n'est nul besoin de préciser que cette démarche resta lettre morte. Ajoutons enfin que l'éclatement du contrôle entre deux commissions manquerait l'un des objectifs de la réforme, à savoir l'acquisition par les parlementaires d'une culture du renseignement qui présuppose une connaissance globale des questions qu'elle concerne. Le cas de l'Autriche est, sur ce point, tout à fait révélateur : tous les interlocuteurs que votre rapporteur y a rencontrés, qu'ils soient parlementaires ou membres des services, ont regretté l'éclatement du contrôle autrichien entre deux sous-commissions.

Votre rapporteur rejette également la fausse solution d'un contrôle du renseignement par une autorité administrative indépendante ou par tout autre organisme extraparlementaire dans lequel siégeraient quelques parlementaires, qui ne seraient, en l'occurrence, ni plus ni moins que des alibis. Sans doute cette solution est-elle valable dans le cas de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Mais il faut rappeler qu'il s'agit d'un organisme tout à fait spécifique qui intervient dans le cadre d'une procédure judiciaire. Par ailleurs, l'institution de ce type d'organes ne contribuerait en rien à la revalorisation du rôle du Parlement et pourrait, tout au contraire, créer des tensions en son sein. Votre rapporteur a pu constater que la commission pour le renseignement et la sécurité mise en place au Royaume-Uni, qui, par son statut et ses modalités de fonctionnement, s'apparente à un organisme extraparlementaire, bien qu'elle soit composée exclusivement de parlementaires, suscite certaines critiques de la part des membres des commissions permanentes compétentes sur ces sujets qui y voient l'expression d'un contrôle parlementaire tronqué, voire confisqué.

· Seul un organe du type de la délégation est donc susceptible de permettre un suivi permanent de la politique et des services de renseignement par le Parlement.

A ce jour, il existe huit structures de ce type dans notre système, dont quatre sont communes à l'Assemblée nationale et au Sénat :

- les délégations parlementaires pour l'Union européenne, instituées dans chaque assemblée par la loi du 6 juillet 1979 ;

- la délégation parlementaire pour les problèmes démographiques, instituée par la loi du 31 décembre 1979 ;

- les délégations parlementaires pour la planification, instituées dans chaque assemblée par la loi du 29 juillet 1982 ;

- l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, institué par la loi du 8 juillet 1983 ;

- l'office parlementaire d'évaluation de la législation, institué par la loi du 14 juin 1996 ;

- l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, institué par la loi du 14 juin 1996 ;

- les délégations parlementaires à l'aménagement et au développement durable du territoire, instituées dans chaque assemblée par la loi du 25 juin 1999 ;

- les délégations parlementaires aux droits des femmes, instituées dans chaque chambre par la loi du 12 juillet 1999.

Votre rapporteur n'a pas souhaité créer une délégation parlementaire mixte commune à l'Assemblée nationale et au Sénat sur les questions de renseignement, même s'il propose que les deux chambres puissent tenir des réunions conjointes, procédure qui devrait rester exceptionnelle et n'être mise en _uvre que dans les cas justifiés. Cette position de principe se fonde, non sur les enseignements tirés des expériences étrangères, inexistants sur ce point, mais sur des considérations d'ordre institutionnel et technique.

Il estime en premier lieu que rien ne justifierait cette exception au bicamérisme. Certes, il existe des délégations communes aux deux chambres. Les offices d'évaluation sont, en particulier, constitués sous cette forme. Mais on observera que, pour la plupart d'entre elles, ces structures répondent à un souci de rationalisation, les offices devant souvent, pour conduire leur mission, recourir à des moyens d'expertise spécifiques.

En deuxième lieu, les impératifs liés à la protection du secret requièrent la constitution de délégations à effectif restreint. Or, il est difficile d'atteindre cet objectif lors de la constitution d'une délégation commune aux chambres, si l'on veut, par ailleurs, respecter le principe d'une représentation de chaque groupe politique. Il paraît, en outre, nécessaire de donner à la majorité gouvernementale une place prééminente dans une délégation au moins, celle de l'Assemblée nationale.

Enfin, comment inscrire l'action de telles délégations dans la continuité que le sujet requiert, dès lors que les modalités de renouvellement de chaque assemblée diffèrent totalement, le Sénat étant renouvelé par tiers tous les trois ans tandis que l'Assemblée nationale l'est, sauf dissolution, tous les cinq ans ?

b) Un mode de nomination adapté à l'objet traité

La spécificité du domaine de compétence des délégations chargées du renseignement confère une importance décisive au choix des membres qui la composent et requiert la définition de modalités de composition adaptées.

A partir des systèmes existants à l'étranger, on peut dresser la typologie suivante :

- dans certains pays, le texte constitutif de l'organisme chargé du contrôle des services de renseignement se contente de fixer le nombre de membres, sans préciser les critères de choix de ceux-ci. Tel est le cas en Grande-Bretagne, où les neuf membres sont, dans la pratique, désignés selon des critères de compétence, d'intégrité et d'indépendance d'esprit, sans que soit prioritairement prise en compte la composition politique de la délégation ;

- dans une deuxième catégorie de pays, la désignation des membres des organes de contrôle repose sur un système mixte, qui associe un critère quantitatif - le nombre de membres est préétabli - et qualitatif, essentiellement politique. C'est le cas en Italie : le nombre de membres est défini, la représentation politique se faisant selon un principe de proportionnalité. Telle est également la situation aux Etats-Unis, où la prise en compte d'un critère politique se traduit, non par un système proportionnel, mais par une légère prééminence de la majorité ;

- dans le dernier cas de figure, le seul aspect qualitatif est pris en compte. Aucun nombre n'est fixé, le seul souci étant d'assurer une représentation de chaque groupe et/ou de prendre en compte l'équilibre politique général de l'assemblée concernée. C'est le cas de l'Allemagne : le nombre de membres de l'actuelle commission de contrôle correspond au nombre de présidents de groupe. L'Autriche relève également de ce modèle, le nombre de membres des sous-commissions découlant exclusivement de l'application d'un principe de proportionnalité.

Le dispositif de la présente proposition de loi relève de cette dernière approche, les modalités de nomination des membres des délégations visant à prendre en compte la configuration politique de chacune des deux assemblées ainsi que la participation de tous les groupes politiques représentés en leur sein.

Votre rapporteur propose ainsi que les délégations soient composées, d'une part des présidents des commissions compétentes pour les forces armées, la politique extérieure et les lois, d'autre part d'un membre de chaque groupe politique, désigné, sur proposition du président de l'assemblée concernée, après consultation des présidents de groupe, par l'assemblée dans son ensemble, selon les dispositions habituelles du règlement de chaque assemblée.

c) Des compétences et des pouvoirs bien définis

· La détermination des compétences des délégations s'inscrit dans le droit commun parlementaire, puisqu'elles exercent leur mission dans le but d'assurer l'information respective de leur assemblée. Elles répondent en cela aux conditions fixées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 27 juillet 1982 (DC 82-142), a estimé, à propos de la création de délégations parlementaires pour la planification, qu'« il n'est pas interdit au législateur, dans le cadre de l'organisation du travail législatif, de créer des organismes qui seront associés à la préparation du plan et fourniront tant au Gouvernement qu'au Parlement des informations et des suggestions, dès lors qu'en aucun cas leurs avis n'auront force obligatoire ».

· Sur le fond, la mission attribuée aux délégations parlementaires pour le renseignement de suivi des activités générales des services ne crée aucune entrave à leur bon fonctionnement et respecte le principe de séparation des pouvoirs. Chaque délégation examinerait, en effet, l'organisation, les missions générales, les compétences et les moyens des services.

Entrent dans le champ de compétence de la délégation les services visés par l'article 13 de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, à savoir les « services de documentation et de renseignement » dans leur ensemble, expression dont on relèvera le caractère d'autant plus laconique que c'est la seule allusion, dans les textes de niveau législatif, aux services de renseignement dans leur ensemble. L'ensemble de la communauté du renseignement est donc incluse dans le champ de compétence des délégations.

· Pour mener à bien leur mission, les délégations pourront entendre les ministres ainsi que les directeurs des services, ou toute autre personne extérieure aux services et disposant en la matière de compétences spécifiques. Votre rapporteur songe par exemple à des juristes ou des ingénieurs, à l'heure où le renseignement doit faire face à des formes de délinquance liées à l'apparition des nouvelles technologies.

· Afin d'exercer en pleine connaissance de cause la mission qui leur est dévolue par la présente proposition de loi, les délégations parlementaires pour le renseignement doivent pouvoir connaître d'informations classifiées.

Le dispositif autrichien, qui permet aux ministres auditionnés par les sous-commissions de ne pas répondre aux questions de parlementaires dès lors qu'ils estiment que la divulgation d'une information pourrait mettre en cause la sécurité nationale ou celle des agents montre, s'il en était besoin, le caractère nécessairement tronqué du contrôle parlementaire exercé dans de telles conditions. De même, les réflexions dans ce pays sur l'instauration d'un médiateur qui jouerait en quelque sorte un rôle d'interface entre les services et les parlementaires, ainsi que la nomination au Royaume-Uni d'un enquêteur qui joue ce rôle, témoignent de la nécessité de donner d'emblée aux parlementaires l'autorisation de connaître d'informations classifiées dans le cadre de leur mandat. Toutefois, comment résoudre l'aporie, dès lors qu'il faut être habilité pour accéder à des informations classifiées mais que, comme votre rapporteur l'a montré, l'exercice par un parlementaire de son mandat ne peut être subordonné à une procédure d'habilitation ?

Seule l'habilitation ès qualités de par la loi permet de surmonter cet obstacle. Du fait du caractère légal de l'obligation d'habilitation, il est, en effet, parfaitement concevable qu'une loi prévoie l'habilitation de parlementaires.

L'instauration par la loi du 10 juillet 1991 de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui compte parmi ses membres deux parlementaires, a ouvert la voie dans ce domaine, non sans ambiguïté, il est vrai. On peut, en effet, s'interroger, dans le silence du texte, sur le fait de savoir si les parlementaires membres de cette commission sont habilités au secret de la défense nationale23. S'ils le sont, s'agit-il d'une habilitation ès qualités, liée à leur statut de membre de la Commission, habilitation générale portant sur tous les niveaux de protection (« Très secret défense », « Secret défense », « Confidentiel défense ») et, au sein du « Très secret défense », sur toutes les catégories afférentes ? Ou bien, au contraire, y a-t-il une procédure d'habilitation selon les cas d'espèce ?

Le rapport d'activité de la CNCIS pour 1996 entretient l'ambiguïté sur ces questions. Décrivant la composition actuelle de la Commission - le Président, membre du Conseil d'Etat, ainsi qu'un représentant de chaque assemblée -, le rapport mentionne qu'en outre « deux magistrats de l'ordre judiciaire assistent désormais la Commission », qu' « ils ont été habilités « Secret défense » et qu'ils « participent avec voix consultative aux délibérations de la Commission » (page 10). Il semble, dès lors, qu'il faille conclure à une habilitation ès qualités des membres de la Commission, par opposition à l'application de la procédure d'habilitation aux magistrats.

En dépit de ces ambiguïtés, votre rapporteur conclut de l'exemple de la CNCIS que l'habilitation d'un parlementaire ès qualités est possible, donc sans mise en _uvre préalable de la procédure ordinaire d'habilitation. Il s'appuie, pour étayer sa conclusion, sur le nouveau pas qui a été franchi dans ce domaine avec la création de la Commission consultative du secret de la défense nationale, dans laquelle siège un parlementaire de chaque assemblée. L'article 5 de la loi du 9 juillet 1998 instituant cette commission l'autorise en effet à connaître toute information classifiée dans le cadre de sa mission.

2. Garantir la préservation du secret

S'il apparaît aujourd'hui nécessaire de réintégrer le renseignement dans le droit commun du suivi parlementaire des activités de l'exécutif, il ne saurait être question de méconnaître la nécessaire spécificité de ses moyens et de ses méthodes, requise par les exigences de la protection de l'intérêt national. Cette spécificité imposera aux délégations parlementaires de fortes contraintes de secret, seules susceptibles de permettre l'instauration de relations de confiance entre le Parlement et les services. En aucun cas l'argument de la transparence ne saurait être avancé pour justifier une mise en cause de cette protection indispensable.

Sans doute, comme le souligne avec justesse le professeur Bertrand Warusfel, le choix est difficile entre l'exclusion des parlementaires du secret et leur assujettissement au secret, si difficile d'ailleurs que c'est largement pour cette raison que n'existe pas à ce jour de contrôle parlementaire des services de renseignement.

a) Des travaux confidentiels

Plus qu'une modalité de leur fonctionnement parmi d'autres, la confidentialité des travaux des délégations est la condition de leur crédibilité et, en dernière analyse, de leur efficacité. C'est pourquoi l'obligation de respecter le secret est absolue, sous réserve des dispositions restrictives relatives à la publicité des travaux de ces délégations. Elle n'est toutefois pas permanente, même si l'importance du délai de confidentialité -trente ans- lui confère un caractère très protecteur.

L'obligation de confidentialité s'analyse comme une forme particulière de secret professionnel. En témoigne la référence, pour les cas éventuels de violation de cette obligation, à l'article 226-13 du code pénal, régissant les atteintes au secret professionnel. Aux termes de cette disposition du code pénal, « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende ».

b) La possibilité d'informer la représentation nationale

Au moins une fois par an, les délégations établissent un rapport d'activité permettant de présenter les évolutions générales de leurs travaux et les sujets sur lesquels elles ont entrepris de concentrer leurs analyses.

Elles doivent également pouvoir consigner dans des rapports non publics, transmis directement au Président de leur assemblée qui les remet ensuite au Président de la République et au Premier ministre, les observations qu'elles estimeront nécessaires à la bonne marche des services de renseignement, ainsi que les éventuels dysfonctionnements qu'elles auront pu observer dans ce domaine au cours de leurs travaux.

c) Des garanties adéquates

L'assujettissement des parlementaires au secret resterait lettre morte si n'étaient pas prévues des sanctions permettant un respect effectif de ces contraintes. Le texte prévoit donc l'application des sanctions pénales applicables aux cas de violation des intérêts fondamentaux de la nation et du secret de la défense nationale.

Sans doute, comme l'a souligné précédemment votre rapporteur, l'irresponsabilité limite de facto la portée de tout système de sanctions pénales. Il convient toutefois de rappeler que le champ des actes couverts par le principe constitutionnel d'irresponsabilité n'est pas illimité, bien au contraire. La jurisprudence a, en effet, adopté une conception restrictive de l'irresponsabilité, à l'encontre de la conception extensive défendue par une partie de la doctrine, selon laquelle le député reste dans le domaine de son mandat législatif quel que soit le lieu dans lequel il s'exprime, par oral ou par écrit.

Ainsi, le Conseil constitutionnel, par sa décision DC 89-262 du 7 novembre 1989, a censuré une disposition prévoyant que ne donnerait lieu à aucune action le rapport d'un parlementaire établi pour rendre compte d'une mission confiée par le gouvernement en application de l'article L. O. 144 du code électoral. Le juge constitutionnel a considéré qu'« en exonérant de façon absolue de toute responsabilité pénale et civile un parlementaire pour des actes distincts de ceux accomplis par lui dans l'exercice de ses fonctions », la loi en cause méconnaissait « le principe constitutionnel d'égalité devant la loi ».

Si donc tous les actes de la fonction parlementaire -interventions et votes en séance publique et en commissions, initiatives telles que propositions de loi et amendements, rapports déposés au nom d'une commission, questions écrites et orales, actes accomplis dans le cadre d'une mission confiée par les instances parlementaires- sont couverts par cette immunité, il n'en va pas de même des propos tenus par un parlementaire au cours d'un entretien radiodiffusé ou dans le cas évoqué ci-dessus d'une mission confiée par le Gouvernement à un parlementaire.

Le dispositif des sanctions proposées ne se limite cependant pas au volet pénal. Car, comme l'a souligné à votre rapporteur le professeur Jean-Paul Brodeur, Professeur de criminologie à l'université de Montréal, il existe en fait deux manières de faire respecter le secret : la crainte des sanctions et la culture de la honte. C'est essentiellement sur cette deuxième solution que repose le système américain, l'opprobre encourue par un parlementaire soumis à une enquête du comité d'éthique de chaque chambre étant telle qu'aucun n'oserait violer les règles du secret.

C'est également de cet esprit que relève l'introduction d'un mécanisme d'exclusion de la délégation, disposition sans doute délicate à mettre en _uvre, mais nécessaire à l'établissement de véritables relations de confiance avec les services. Sur ce point, votre rapporteur propose de respecter le parallélisme des formes : les membres des délégations étant, formellement, nommés par leur assemblée, sur proposition du président de celle-ci et après consultation du président de leur groupe, ils doivent pouvoir être exclus selon la même procédure. Le président de chaque assemblée proposerait, de manière motivée, à l'assemblée en cause d'exclure un membre, après avoir consulté le président du groupe concerné.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission de la Défense a procédé, le 23 novembre 1999, à l'examen de la proposition de loi de M. Paul Quilès et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une délégation parlementaire pour les affaires de renseignement (n° 1497).

A la suite des quelque trente entretiens qu'il a menés depuis sa nomination, le 9 juin dernier, comme rapporteur de la proposition de loi n° 1497, et qui lui ont permis de faire progresser notablement sa réflexion sur des points importants du texte, M. Arthur Paecht a présenté à la commission des propositions de modifications de certaines dispositions du texte.

Article unique (art. 6 octies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958) : Création des délégations parlementaires pour le renseignement

Après l'article 6, relatif aux commissions d'enquête, de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, six articles ont été ajoutés depuis vingt ans, témoignant de la multiplication des délégations et offices. Les derniers organismes parlementaires créés de ce type sont les délégations à l'aménagement et à la protection durable du territoire (article 6 sexies), le 25 juin 1999, et les délégations aux droits des femmes et à l'égalité des chances, le 12 juillet (article 6 septies). La proposition de loi ayant été déposée le 25 mars dernier, la Commission a adopté au premier alinéa un amendement rédactionnel du rapporteur visant à tenir compte de la création dans l'intervalle de ces nouvelles délégations.

M. Pierre-André Wiltzer a alors estimé que la multiplication des délégations parlementaires pouvait apparaître comme une conséquence de la limitation constitutionnelle du nombre des commissions permanentes et s'est demandé si ces organismes de nature hybride constituaient un instrument efficace.

Le Président Paul Quilès a fait remarquer que les travaux de la Commission de la Défense étaient peu affectés par la limitation du nombre des commissions permanentes, étant donné le caractère limité et bien défini du domaine sur lequel ils portaient. Il a par ailleurs observé que la Commission de la Défense n'avait jusqu'à présent pas fait appel à l'instrument de la délégation parlementaire pour améliorer son information.

M. René Galy-Dejean a estimé que la Commission de la Défense nationale pouvait entendre les responsables des services de renseignement et développer son activité de contrôle en ce domaine sans qu'il soit nécessaire de créer une nouvelle instance.

Paragraphe I : Institution d'une délégation parlementaire pour le renseignement dans chaque assemblée

Au paragraphe I, la Commission de la Défense nationale a adopté successivement trois amendements du rapporteur :

- le premier à caractère rédactionnel ;

- le deuxième tendant à retenir l'appellation de « délégation parlementaire pour le renseignement » ;

- le troisième supprimant la dernière phrase du paragraphe, les dispositions relatives à la composition de la délégation faisant l'objet du paragraphe suivant.

Paragraphe II : Composition des délégations et modalités de désignation de ses membres

La Commission a ensuite examiné un amendement présenté par le rapporteur précisant que chaque délégation parlementaire devait être composée des présidents des commissions compétentes pour l'organisation générale de la défense, la politique extérieure et l'administration générale des territoires de la République et des collectivités locales membres de droit ainsi que d'un membre de chacun des groupes politiques, sur proposition de leur président respectif.

Estimant que toutes les sensibilités politiques des assemblées devaient être représentées, le rapporteur a proposé que chaque groupe désigne un représentant et a renvoyé aux dispositions générales des règlements relatives aux nominations personnelles pour la désignation de ces membres.

Il a également fait valoir que les présidents des commissions les plus concernées par les questions de renseignement devaient être membres de droit des délégations pour le renseignement de manière à assurer la présence en leur sein de parlementaires à l'autorité reconnue et à permettre à la majorité de disposer d'une représentation adéquate.

Il a ensuite plaidé pour la limitation de l'effectif des délégations afin de garantir l'efficacité de leur travail et de permettre l'établissement de relations de confiance avec les services de renseignement.

Enfin, il a considéré que la présidence de la délégation devait revenir de droit au Président de la Commission de la Défense.

Faisant remarquer que le nombre de groupes politiques pouvait varier, M. Robert Gaïa s'est déclaré préoccupé des fluctuations de l'effectif et de la composition des délégations, préférant le recours à un mode de représentation proportionnelle. Par ailleurs, insistant sur l'importance prise par le renseignement économique, il a proposé que le président de la Commission des Finances soit également membre de droit de la délégation pour le renseignement.

Le Président Paul Quilès a souligné que l'application du principe de représentation proportionnelle pour la composition des délégations supposait, soit de leur attribuer un effectif trop élevé, soit d'écarter certains groupes, ce qui ne paraissait pas souhaitable.

M. Arthur Paecht a fait valoir que, sur la base de l'actuelle composition de l'Assemblée nationale, la solution proposée par son amendement permettait à la délégation de compter trois représentants des groupes de la majorité, trois présidents de commissions appartenant également à la majorité et trois représentants des groupes de l'opposition. Il a par ailleurs considéré que le renseignement économique entrait dans le champ d'investigation des délégations, notamment en raison du rôle de la DST en ce domaine.

Craignant que l'on s'éloigne de l'habituelle démarche consensuelle de la Commission de la Défense, particulièrement nécessaire dans le domaine du renseignement, M. René Galy-Dejean, a estimé que la présence de présidents d'autres commissions au sein des délégations risquait d'introduire dans leurs travaux des affrontements politiques dommageables.

Soulignant les difficultés pratiques de réunir les présidents de plusieurs commissions, M. François Lamy s'est en outre interrogé sur l'intérêt de leur participation dans la mesure où ils ne pourront rendre compte de leurs travaux à leur commission en raison de l'obligation de secret à laquelle ils seront astreints.

Exprimant la crainte d'un affaiblissement du lien entre la Commission de la Défense et la délégation pour le renseignement, M. Pierre-André Wiltzer a proposé que les représentants des groupes soient choisis parmi les membres de la commission compétente en matière de défense dans chacune des deux assemblées.

M. Yves Fromion a également considéré que l'ouverture de la délégation à des parlementaires appartenant à d'autres commissions risquerait de rompre le lien entre cette délégation et la Commission de la Défense.

Rappelant que la Constitution ne permettait pas de créer des sous-commissions, M. Arthur Paecht a estimé que la délégation devait être une émanation de l'Assemblée nationale et non de la seule Commission de la Défense.

MM. François Lamy et Robert Gaïa se sont déclarés favorables à ce que les parlementaires choisis par les présidents de groupes soient issus de la Commission compétente en matière de Défense.

M. François Lamy a en outre insisté sur la nécessité pour la délégation de compter un effectif réduit afin qu'un climat de confiance puisse facilement s'instaurer dans ses relations avec les services de renseignement.

Le Président Paul Quilès a également souligné la nécessité de restreindre l'effectif des délégations afin de créer des conditions plus favorables à la confidentialité de leurs travaux.

Rappelant qu'aucune délégation existante n'était l'émanation d'une seule commission, M. Arthur Paecht a insisté sur le fait que la délégation pour le renseignement compterait parmi ses membres des présidents d'autres commissions permanentes. Il a par ailleurs accepté une disposition imposant aux présidents de groupes de ne proposer que des parlementaires appartenant à la commission compétente pour la défense.

Le Président Paul Quilès a fait remarquer que l'extension de sa composition aux présidents d'autres commissions permanentes permettrait à la délégation de s'intéresser à des questions que la Commission de la Défense n'est pas habilitée à traiter, telles que celles relatives au renseignement intérieur, qui sont de la compétence de la Commission des Lois.

La Commission a alors adopté un sous-amendement présenté notamment par M. Pierre-André Wiltzer, accepté par le rapporteur et prévoyant que les membres de la délégation proposés par les présidents de groupes devaient appartenir à la commission permanente compétente en matière de défense. La Commission a ensuite adopté l'amendement du rapporteur ainsi modifié.

La Commission a ensuite adopté un amendement de conséquence du rapporteur supprimant le dernier alinéa du paragraphe II.

Paragraphe III : Durée du mandat des membres de la délégation

Le rapporteur a présenté un amendement visant à modifier les modalités d'exclusion des membres des délégations. Il a proposé que cette exclusion résulte d'une proposition motivée du Président de l'Assemblée nationale après consultation du président du groupe concerné. Il a précisé que les sanctions pénales relatives à la violation du secret professionnel et, s'il s'agit d'informations classifiées, à la violation du secret de la défense nationale, s'appliquaient sous réserve du principe constitutionnel d'irresponsabilité.

M. Robert Gaïa a fait remarquer que les dispositions prévues pour garantir la confidentialité des travaux des délégations pouvaient apparaître contradictoires avec la mission d'information de leur assemblée respective qui leur était impartie par la proposition de loi.

M. Arthur Paecht a indiqué que les délégations établiraient un rapport d'activité public, rien ne leur interdisant par ailleurs de transmettre des rapports confidentiels au Président de l'Assemblée nationale et au Premier ministre.

M. René Galy-Dejean a exprimé son inquiétude à l'égard de la possibilité d'une divulgation d'éléments des rapports confidentiels des délégations.

Exprimant sa confiance dans l'esprit de responsabilité des parlementaires appartenant à la délégation, M. Arthur Paecht a estimé que la situation qui interdisait au Parlement tout accès à l'information dans des domaines d'importance essentielle n'était pas satisfaisante.

Le Président Paul Quilès a observé que la prestation de serment et les conséquences pénales qui découlaient du dispositif prévu par la proposition de loi étaient de nature à prévenir les risques de divulgation.

M. Pierre-André Wiltzer a estimé que la disposition proposée par le rapporteur était plus acceptable que la formule initiale n'impliquant que le Président de l'Assemblée nationale dans le processus de destitution des membres de la délégation.

Le Président Paul Quilès a précisé que, dans le dispositif proposé, le Président de l'Assemblée nationale n'avait pas un pouvoir de décision mais simplement une faculté de proposition de destitution.

M. François Lamy s'est demandé quelle était l'autorité qui décidait de l'exclusion des membres de la délégation.

M. Yves Fromion s'est interrogé sur le respect des droits de la défense dans une telle procédure.

M. Didier Boulaud a indiqué qu'il reviendrait à l'assemblée de se prononcer.

M. Pierre-André Wiltzer a estimé qu'en dehors des violations caractérisées de la confidentialité et du secret des travaux, les situations intermédiaires pouvaient soulever des difficultés.

La Commission a alors adopté l'amendement du rapporteur prévoyant que le mandat des délégués pouvait prendre fin sur proposition motivée du Président de leur assemblée après consultation du président du groupe concerné.

Elle a ensuite adopté un amendement de conséquence du rapporteur supprimant le quatrième alinéa du paragraphe.

Au dernier alinéa, la Commission a enfin adopté trois amendements du rapporteur, l'un visant à assurer le remplacement des députés membres de la délégation dont le mandat prendrait fin, pour quelque raison que ce soit, les deux autres de cohérence.

Paragraphe IV : Missions et compétences des délégations

Au premier alinéa, le rapporteur a présenté un amendement remplaçant dans la définition des missions des délégations la notion de suivi des activités des services par celle d'examen de leur organisation et de leurs missions générales, de leurs compétences et de leurs moyens. Il a fait valoir que cet amendement avait pour objet d'écarter toute immixtion du Parlement dans les activités opérationnelles des services de renseignement et de préciser que les travaux des délégations porteraient sur les aspects généraux du fonctionnement de ces services et sur leurs moyens budgétaires, dont il a souligné qu'ils étaient actuellement très mal connus.

M. René Galy-Dejean a considéré que la nouvelle rédaction conduirait tout autant que la première formulation à la même immixtion du Parlement dans un domaine relevant de l'exécutif.

M. François Lamy a exprimé la crainte qu'une définition trop générale des missions des délégations ne leur donne accès qu'à des informations sans grand intérêt.

M. Guy-Michel Chauveau s'est déclaré en désaccord avec des dispositions restrictives qui auraient pour effet de donner au Parlement des informations sur les activités des services de renseignement moins complètes que celles dont peut disposer le monde des médias. Il s'est pour cette raison déclaré favorable au maintien du texte initial.

Insistant sur le fait que l'efficacité des services de renseignement reposait sur un rapport de très grande confiance entre les agents et leurs correspondants, M. Yves Fromion s'est déclaré préoccupé des conséquences de l'intervention du Parlement dans le détail de l'activité de renseignement. Il s'est par ailleurs déclaré hostile à la possibilité pour la délégation d'entendre des interlocuteurs aux compétences non établies.

Indiquant que le contrôle très attentif du Sénat des Etats-Unis sur les activités de la CIA n'entraînait pas pour autant la révélation de secrets opérationnels, M. Bernard Grasset a considéré que l'octroi aux délégations d'une mission de suivi des activités des services de renseignement, se résumant pour l'essentiel à l'audition des ministres et des principaux directeurs, ne comporterait pas de risque réel pour l'efficacité de leur action.

Le rapporteur a fait valoir que la délégation devait d'abord être capable de poser des questions pertinentes, ce qui supposait qu'elle reçoive une information de nature générale sur l'activité des services de renseignement, et sur la qualité de leurs moyens, de leurs équipements et de leurs méthodes, notamment par référence avec les services étrangers. Il a par ailleurs estimé que la délégation devait pouvoir entendre des interlocuteurs divers n'appartenant pas aux services de renseignement.

M. François Lamy ayant estimé qu'il ne pouvait y avoir de réel contrôle de l'action d'un service de renseignement sans informations comportant des éléments opérationnels, le rapporteur a rappelé qu'il entendait le suivi des activités dans un sens restrictif.

Après que le Président Paul Quilès eut souligné qu'il fallait choisir entre l'argumentation déclarant la proposition de loi inutile et celle qui visait à dénoncer les risques de destruction des services de renseignement qu'elle recèlerait, la Commission a adopté sur la proposition du rapporteur une nouvelle rédaction du paragraphe IV précisant que les délégations procéderaient au suivi des activités des services de renseignement « en examinant leur organisation et leurs missions générales, leurs compétences et leurs moyens », les membres du groupe RPR votant contre.

La Commission a également adopté un amendement du rapporteur complétant le deuxième alinéa du paragraphe IV et précisant que les délégations parlementaires pour le renseignement peuvent entendre des personnes placées sous l'autorité des ministres et des directeurs des services de renseignement et déléguées par eux.

Paragraphe V : Accès des membres des délégations aux informations classifiées

La Commission a rejeté un sous-amendement présenté par M. René Galy-Dejean et tendant à soumettre les membres des délégations à une procédure d'habilitation, le Président Paul Quilès et le rapporteur soulignant que cette disposition serait contraire au principe de séparation des pouvoirs. Elle a ensuite adopté sur proposition du rapporteur une nouvelle rédaction du paragraphe V reprenant les dispositions du paragraphe VII de la proposition de loi et précisant que les membres des délégations parlementaires pour le renseignement sont autorisés ès qualités à connaître d'informations classifiées dans l'exercice de leur mandat et qu'ils sont astreints au respect du secret de la défense.

Paragraphe VI : Règles relatives à la publicité des travaux des délégations

La Commission a adopté un amendement du rapporteur à caractère rédactionnel. Elle a ensuite examiné un deuxième amendement du rapporteur prévoyant, dans un alinéa additionnel, une procédure de prestation de serment pour les membres des délégations parlementaires pour le renseignement. Serment : calqué sur celui de la Haute Cour de Justice et de la Cour de justice de la République. « cérémonie dont on ne peut que souligner le caractère rarissime en droit parlementaire (à l'exception de la prestation de serment des juges à la Cour de justice de la République et des personnes entendues par la commission d'enquête) » (P. Avril)

M. René Galy-Dejean a émis la crainte qu'une telle prestation de serment, identique à celle instaurée pour les membres de la Haute Cour de Justice, ne fasse assimiler les délégations parlementaires pour le renseignement à des instances d'instruction. M. Yves Fromion a alors suggéré que les membres des délégations s'engagent par écrit à ne pas divulguer les informations de nature secrète dont ils auraient connaissance. Le Président Paul Quilès a considéré que la rédaction du texte permettait de prévoir cet engagement sous forme écrite. Le rapporteur a pour sa part précisé que la prestation de serment aurait lieu devant les délégations et non en séance publique.

La Commission a alors adopté l'amendement du rapporteur relatif à la prestation de serment.

Paragraphe additionnel après le paragraphe VI : Désignation d'un rapporteur spécial et rapport d'activité des délégations

La Commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant que chaque délégation nomme un rapporteur spécial pour maintenir un contact suivi avec les services de renseignement et établit un rapport public annuel de ses activités, transmis au Président de l'Assemblée concernée, au Président de la République et au Premier ministre.

Paragraphe additionnel après le paragraphe VI : Possibilité de réunions conjointes des délégations pour le renseignement de l'Assemblée nationale et du Sénat

La Commission a adopté un amendement du rapporteur permettant aux délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat de tenir des réunions conjointes.

La Commission a alors adopté l'article unique de la proposition de loi ainsi modifié.

Article additionnel après l'article unique : Dispositions transitoires

La Commission a adopté, sur proposition du rapporteur, un article additionnel tendant à prévoir à titre transitoire que les délégations seraient désignées dès la promulgation de la loi les instituant.

Titre

La Commission a adopté un amendement du rapporteur modifiant le titre de la proposition de loi, de façon à prendre en compte la modification de la dénomination des délégations.

M. René Galy-Dejean a indiqué que les commissaires du groupe RPR, opposés à l'esprit de la proposition de loi, voteraient contre. Il a considéré que la culture du renseignement en France n'avait rien de commun avec celle que connaissent d'autres pays et que les exemples étrangers n'étaient, par conséquent, pas transposables.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires pour le renseignement, qu'elle vous demande d'adopter dans le texte ci-après.

*

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE LOI TENDANT A LA CRÉATION
DE DÉLÉGATIONS PARLEMENTAIRES POUR LE RENSEIGNEMENT

Article premier

Il est inséré après l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires un article 6 octies ainsi rédigé :

« I. -  Il est institué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation parlementaire pour le renseignement.

« II. -  Chaque délégation parlementaire pour le renseignement est composée :

- des présidents des commissions permanentes compétentes pour l'organisation générale de la défense, la politique extérieure et l'administration générale des territoires de la République et des collectivités locales, membres de droit ;

- d'un membre appartenant à la commission compétente pour l'organisation générale de la défense de chacun des groupes politiques de l'assemblée concernée, sur proposition de leurs présidents respectifs.

Le président de la commission permanente compétente pour l'organisation générale de la défense est président de droit de la délégation parlementaire pour le renseignement de son assemblée.

« III. -  La délégation de l'Assemblée nationale est désignée au début de chaque législature.

« La délégation du Sénat est désignée après chaque renouvellement partiel de cette assemblée.

« Le mandat des délégués prend fin avec leur mandat parlementaire, leur démission ou sur proposition motivée du Président de leur assemblée, après consultation du président du groupe concerné.

« Les délégués dont le mandat a pris fin en raison de l'expiration de leur mandat parlementaire, de leur démission ou d'une proposition motivée du Président de leur assemblée sont remplacés dans les conditions prévues au paragraphe II du présent article.

« IV. -  Les délégations parlementaires pour le renseignement ont pour mission de suivre les activités des services visés à l'article 13 de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, en examinant leur organisation et leurs missions générales, leurs compétences et leurs moyens, afin d'assurer, dans les conditions prévues au présent article, l'information de leur assemblée respective.

« Elles entendent les ministres ayant autorité sur ces services et les directeurs de ces services ou toute autre personne placée sous leur autorité et déléguée par eux.

« Elles entendent également toute personne susceptible de les éclairer et ne relevant pas de ces services.

« V. -  Les membres des délégations parlementaires pour le renseignement sont autorisés ès qualités à connaître d'informations classifiées dans le cadre de leur mandat.

« Ils sont astreints au respect du secret de la défense nationale protégé en application des articles 413-9 et suivants du code pénal pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leur mandat.

« VI. -  Les travaux des délégations parlementaires pour le renseignement sont secrets, sous réserve des dispositions du paragraphe VII du présent article.

Dès leur désignation, les membres de chaque délégation prêtent serment dans les conditions fixées par le règlement intérieur prévu au paragraphe IX du présent article. Ils jurent et promettent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de garder le secret des délibérations.

« Sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne, qui, dans un délai de trente ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux d'une délégation parlementaire pour le renseignement, sauf si un rapport publié par cette délégation en a préalablement fait état.

« VII. -  Chaque délégation pour le renseignement nomme un rapporteur spécial. Elle établit, au moins une fois par an, un rapport public de ses activités.

Ce rapport est transmis au Président de l'assemblée concernée qui le remet au Président de la République et au Premier ministre.

« VIII. -  La délégation de l'Assemblée nationale et celle du Sénat peuvent décider de tenir des réunions conjointes.

« IX. -  Chaque délégation parlementaire pour le renseignement établit son règlement intérieur. Celui-ci est soumis à l'approbation du Bureau de son assemblée. »

Article 2

A titre transitoire, chaque délégation parlementaire pour le renseignement est désignée dès la promulgation de la présente loi.

ANNEXES

I. - LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT EN FRANCE : UN APERÇU JURIDIQUE

A. LA COORDINATION

Extrait du décret n° 78-78 du 25 janvier 1978
fixant les attributions du Secrétaire général
de la défense nationale

Art. 4 - Le secrétaire général de la défense nationale assure le secrétariat du comité interministériel du renseignement.

En exécution des plans, orientations et décisions arrêtés en conseil de défense ou en comité interministériel du renseignement, il notifie les objectifs en matière de renseignement. Il anime la recherche du renseignement dans les domaines intéressant la défense et il en assure l'exploitation au profit du gouvernement et des organismes concernés.

B. LES SERVICES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

Décret n° 81-1041 du 20 novembre 1981
fixant les attributions de la direction de la protection
et de la sécurité de la défense et portant suppression
de la direction de la sécurité militaire24

Art. 1er : La direction de la protection et de la sécurité de la défense est le service dont dispose le ministre de la défense pour assumer ses responsabilités, telles qu'elles sont définies dans les textes législatifs et réglementaires susvisés, en matière de protection et de sécurité du personnel, des informations, des matériels et des installations sensibles.

Art. 2 : La direction de la protection et de la sécurité de la défense est placée sous l'autorité d'un directeur relevant directement du ministre de la défense et nommé par décret en conseil des ministres.

Art. 3 : La direction de la protection et de la sécurité de la défense est à la disposition des différents échelons du commandement pour l'exercice de leurs responsabilités en matière de sécurité.

A ce titre, elle est chargée de :

- participer à l'élaboration et à l'application des mesures à prendre en matière de protection et de sécurité ;

- prévenir et rechercher les atteintes à la défense nationale telles qu'elles sont définies aux articles 70 à 85, 100 et 418-1 du code pénal ;

- contribuer à assurer la protection des personnes susceptibles d'avoir accès à des informations protégées ou à des zones, des matériels ou des installations sensibles. En particulier, elle met en _uvre la procédure d'habilitation prévue par l'article 8 du décret n° 81-514 susvisé.

En outre, la direction de la protection et de la sécurité de la défense participe à l'application des dispositions du décret-loi de 1939 susvisé concernant la répression du commerce illicite des matériels de guerre, armes et munitions.

Pour remplir ces missions, la direction de la protection et de la sécurité de la défense établit les liaisons nécessaires avec les autres services concourant à la sécurité de défense.

Art. 4 : La direction de la protection et de la sécurité de la défense coordonne les mesures nécessaires à la protection des renseignements, objets, documents ou procédés intéressant la défense, au sein des forces et services des armées ou des organismes qui leur sont rattachés ainsi que dans les entreprises titulaires de marchés classés de défense nationale passés par le ministère de la défense conformément aux dispositions de l'article 238 du code des marchés publics.

Art. 5 : Les crédits de personnel et de matériel nécessaires au fonctionnement de la direction de la protection et de la sécurité de la défense sont inscrits à la section commune du budget du ministère de la défense.

Art. 6 : Un inspecteur de la protection et de la sécurité de la défense, directement rattaché au ministre de la défense, assure l'inspection de l'ensemble du service.

Il peut se voir confier par le ministre de la défense toute étude ou enquête touchant à la sécurité des moyens de défense.

Art. 7 : L'organisation et le fonctionnement de la direction de la protection et de la sécurité de la défense sont fixés par arrêté du ministre de la défense.

Art. 8 : Le décret n° 79-1117 du 17 décembre 1979 fixant les attributions de la direction de la sécurité militaire est abrogé.

Art. 9 : Le ministre de la défense est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Décret n° 82-306 du 2 avril 1982 portant création
et fixant les attributions de la direction générale
de la sécurité extérieure25

Art. 1er : Il est créé une direction générale de la sécurité extérieure, placée sous l'autorité d'un directeur général relevant directement du ministre de la défense et nommé par décret en conseil des ministres.

Art. 2 : La direction générale de la sécurité extérieure a pour mission, au profit du Gouvernement et en collaboration étroite avec les autres organismes concernés, de rechercher et d'exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que de détecter et d'entraver, hors du territoire national, les activités d'espionnage dirigées contre les intérêts français afin d'en prévenir les conséquences.

Art. 3 : Pour l'exercice de ses missions, la direction générale de la sécurité extérieure est notamment chargée :

- d'assurer les liaisons nécessaires avec les autres services ou organismes concernés ;

- d'effectuer, dans le cadre de ses attributions, toute action qui lui serait confiée par le Gouvernement ;

- de fournir les synthèses des renseignements dont elle dispose.

Art. 4 : L'organisation et le fonctionnement de la direction générale de la sécurité extérieure sont fixés par arrêté du ministre de la défense.

Art. 5 : Le décret du 4 janvier 1946 portant création d'un service de documentation extérieure et de contre-espionnage est abrogé.

Art. 6 : Le Premier ministre et le ministre de la défense sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Décret n° 92-523 du 16 juin 1992
portant création de la direction du renseignement militaire

Art. 1 : Il est créé au sein du ministère chargé des armées une direction du renseignement militaire.

Le directeur du renseignement militaire assiste et conseille le ministre chargé des armées en matière de renseignement d'intérêt militaire nécessaire à l'exercice des responsabilités qui sont confiées à celui-ci par l'article 16 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 susvisée.

Art. 2 : La direction du renseignement militaire relève du chef d'état-major des armées dont elle satisfait les besoins en renseignement d'intérêt militaire.

Elle satisfait, en outre, en ce domaine les besoins des autorités et organismes du ministère, des commandements opérationnels et des commandements organiques ainsi que ceux des autorités et des organismes gouvernementaux concernés.

Art. 3 : Pour l'accomplissement des missions définies aux articles 1er et 2 du présent décret, la direction du renseignement militaire dispose du concours de l'ensemble des organismes contribuant au renseignement d'intérêt militaire, notamment de ceux qui relèvent de la gendarmerie nationale et de la délégation générale pour l'armement.

Art. 4 : La direction du renseignement militaire élabore et met en _uvre les orientations en matière de renseignement d'intérêt militaire.

Elle exerce en ce domaine une fonction d'animation et de coordination.

Elle définit en liaison avec les états-majors et les autres organismes concernés du ministère la formation spécialisée du personnel concourant directement à la fonction de renseignement ; elle participe à la gestion de cette formation.

Art. 5 : Le Premier ministre, le ministre d'Etat, ministre de la fonction publique et des réformes administratives, et le ministre de la défense sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

C. LES SERVICES DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Décret n° 82-1100 du 22 décembre 1982
fixant les attributions de la direction de la surveillance du territoire26

Art. 1er : La direction de la surveillance du territoire a compétence pour rechercher et prévenir, sur le territoire de la République française, les activités inspirées, engagées ou soutenues par des puissances étrangères et de nature à menacer la sécurité du pays, et, plus généralement, pour lutter contre ces activités.

A ce titre, la direction de la surveillance du territoire exerce une mission se rapportant à la défense.

Art. 2 : Pour l'exercice de ses missions, et dans le cadre des instructions du Gouvernement, la direction de la surveillance du territoire est notamment chargée :

- de centraliser et d'exploiter tous les renseignements se rapportant aux activités mentionnées à l'article 1er et que doivent lui transmettre, sans délai, tous les services concourant à la sécurité du pays ;

- de participer à la sécurité des points sensibles et des secteurs clés de l'activité nationale, ainsi qu'à la protection des secrets de défense ;

- d'assurer les liaisons nécessaires avec les autres services ou organismes concernés.

Art. 3 : L'organisation et le fonctionnement de la direction de la surveillance du territoire sont fixés par arrêté du ministre chargé de la police nationale.

Art 4 : Le Premier ministre, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de la décentralisation, et le secrétaire d'Etat auprès du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de la décentralisation, chargé de la sécurité publique, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Décret n° 85 - 105727 du 2 octobre 1985 relatif à l'organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur
et de la décentralisation28

Art. 12 : La direction centrale des renseignements généraux est chargée de la recherche et de la centralisation des renseignements destinés à informer le Gouvernement ; elle participe à la défense des intérêts fondamentaux de l'Etat ; elle concourt à la mission générale de sécurité intérieure.

Elle est chargée de la surveillance des établissements de jeux et des champs de courses.

D. LE RÔLE DES DOUANES DANS LE RENSEIGNEMENT

Arrêté du 17 août 1998 portant organisation de l'administration centrale de la direction générale des douanes et droits indirects

Art. 3. - La sous-direction D, Affaires juridiques et contentieuses et lutte contre la fraude, est chargée des études juridiques pour les services douaniers, de l'élaboration des textes législatifs et réglementaires et traite tous les aspects du contentieux douanier. Elle définit la politique des contrôles. Elle élabore les stratégies opérationnelles et oriente l'action des services en matière de lutte contre la fraude et les trafics illicites.

Elle prépare et organise la coopération avec les autres administrations nationales et étrangères dans le domaine de la lutte contre la fraude et les trafics illicites.

La sous-direction E, Union douanière et coopération internationale, participe, avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à la mission d'analyse de risques et d'orientation des contrôles (MAROC), chargée d'améliorer et d'accentuer la coopération entre cette direction et la douane pour le contrôle des produits industriels soumis à réglementation technique et pour la lutte contre les contrefaçons.

II. - LE RÉGIME JURIDIQUE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE

Code pénal

titre premier - des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation

Art. 410-1 : Les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel.

chapitre III - des autres atteintes à la défense nationale

section ii - Des atteintes au secret de la défense nationale

Art. 413-9 : Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion.

Peuvent faire l'objet de telles mesures les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale.

Les niveaux de classification des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et (L. n° 94-89 du 1er février 1994) « les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection » sont déterminés par décret en Conseil d'Etat.

Art. 413-10 : Est puni de sept ans d'emprisonnement et de 700 000 F d'amende le fait, par toute personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ou permanente, d'un renseignement, procédé, objet, document, donnée informatisée ou fichier qui a un caractère de secret de la défense nationale, soit de le détruire, détourner, soustraire ou de le reproduire, soit de le porter à la connaissance du public ou d'une personne non qualifiée.

Est puni des mêmes peines le fait, par la personne dépositaire, d'avoir laissé détruire, détourner, soustraire, reproduire ou divulguer le renseignement, procédé, objet, document, donnée informatisée ou fichier visé à l'alinéa précédent.

Lorsque la personne dépositaire a agi par imprudence ou négligence, l'infraction est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende.

Art. 413-11 : Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende le fait, par toute personne non visée à l'article 413-10 de :

1° S'assurer la possession d'un renseignement, procédé, objet, document, donnée informatisée ou fichier qui présente le caractère d'un secret de la défense nationale ;

2° Détruire, soustraire ou reproduire, de quelque manière que ce soit, un tel renseignement, procédé, objet, document, donnée informatisée ou fichier ;

3° Porter à la connaissance du public ou d'une personne non qualifiée un tel renseignement, procédé, objet, document, donnée informatisée ou fichier.

Décret n° 98-608 du 17 juillet 1998 relatif à la protection
des secrets de la défense nationale29

Art. 1er :  Les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale sont dénommés dans le présent décret : « informations ou supports protégés ».

Art. 2 :  Les informations ou supports protégés font l'objet d'une classification comprenant trois niveaux :

1° Très Secret-Défense ;

2° Secret-Défense ;

3° Confidentiel-Défense.

Art. 3 : Le niveau Très Secret-Défense est réservé aux informations ou supports protégés dont la divulgation est de nature à nuire très gravement à la défense nationale et qui concernent les priorités gouvernementales en matière de défense.

Le niveau Secret-Défense est réservé aux informations ou supports protégés dont la divulgation est de nature à nuire gravement à la défense nationale.

Le niveau Confidentiel-Défense est réservé aux informations ou supports protégés dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale classifié au niveau Très Secret-Défense ou Secret-Défense.

Art. 4 : Les informations ou supports protégés portent la mention de leur niveau de classification.

Les modifications ou suppressions des mentions sont décidées par les autorités qui ont procédé à la classification.

Art. 5 : Le Premier ministre détermine les critères et les modalités d'organisation de la protection des informations ou supports protégés classifiés au niveau Très Secret-Défense.

Pour les informations ou supports protégés classifiés au niveau Très Secret-Défense, le Premier ministre définit les classifications spéciales dont ils font l'objet et qui correspondent aux différentes priorités gouvernementales.

Dans les conditions fixées par le Premier ministre, chaque ministre, pour ce qui relève de ses attributions, détermine les informations ou supports protégés qu'il y a lieu de classifier à ce niveau.

Art. 6 : Dans les conditions fixées par le Premier ministre, les informations ou supports protégés classifiés au niveau Secret-Défense ou Confidentiel-Défense, ainsi que les modalités d'organisation de leur protection, sont déterminées par chaque ministre pour le département dont il a la charge.

Art. 7 : Nul n'est qualifié pour connaître des informations ou supports protégés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation et s'il n'a besoin de les connaître pour l'accomplissement de sa fonction ou de sa mission.

Art. 8 : La décision d'habilitation précise le niveau de classification des informations ou supports protégés dont le titulaire peut connaître. Elle intervient à la suite d'une procédure définie par le Premier ministre.

Elle est prise par le Premier ministre pour le niveau Très Secret-Défense et indique notamment la ou les catégories spéciales auxquelles la personne habilitée a accès.

Pour les niveaux de classification Secret-Défense et Confidentiel-Défense, la décision d'habilitation est prise par chaque ministre pour le département dont il a la charge.

Art. 9 : Le présent décret est applicable dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte.

Art. 10 : A l'article R. 413-6 du code pénal, les mots : « le décret n° 81-514 du 12 mai 1981 relatif à l'organisation de la protection des secrets et des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l'Etat » sont remplacés par les mots suivants : le décret n° 98-608 du 17 juillet 1998 relatif à la protection des secrets de la défense nationale ».

Art. 11 : Le décret n° 81-514 du 12 mai 1981 relatif à l'organisation de la protection des secrets et des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l'Etat est abrogé.

Art. 12 : Le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l'intérieur, le ministre de la défense et le secrétaire d'Etat à l'outre-mer sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

III. - LES EXEMPLES ÉTRANGERS D'ASSOCIATION DU PARLEMENT À LA POLITIQUE DE RENSEIGNEMENT

Dans les pages qui suivent sont présentées des fiches synthétiques sur le contrôle parlementaire du renseignement dans les pays suivants :

- Etats-Unis

- Italie

- Allemagne

- Autriche

- Royaume-Uni

- Canada

Un tableau synoptique compare enfin ces différents systèmes.

ÉTATS-UNIS

_ Services de renseignement

L'ensemble des organes de renseignement américains, la communauté de renseignement (Intelligence Community), est placée sous la direction du Director of Central Intelligence. Elle comprend la CIA, la National Security Agency (NSA), la Defense Intelligence Agency (DIA), les services du Department of Defense spécialisés dans la recherche de renseignements, les éléments de renseignement de chaque armée, le Bureau of Intelligence and Research (INR) du Département d'Etat, la division du renseignement du FBI, du Department of the Treasury, du Department of Energy et de la Drug Enforcement Administration.

_ Historique de l'instauration du contrôle parlementaire

En 1975, est créée dans chaque chambre une commission spéciale d'enquête (commission Church au Sénat et commission Pike à la Chambre des Représentants) dont l'objectif est la mise en place d'un contrôle systématique sur les activités de renseignement.

En février 1976, le Président Ford prend un executive order instituant un contrôle des activités de renseignement dont la philosophie est, non de créer des obligations aux services de renseignement mais d'apporter des restrictions à l'exercice de leurs activités.

En mai 1976, le Sénat crée la Commission restreinte sur le renseignement. Il est suivi, en juillet 1977, par la Chambre des Représentants.

_ Modalités du contrôle parlementaire

Désignation des membres : au Sénat, nomination de 21 membres par le Président sur proposition des leaders des partis majoritaires et minoritaires ; à la Chambre des Représentants, nomination par le Speaker de la Chambre des 18 membres, parmi lesquels 8 membres sont désignés sur proposition du leader de la minorité.

Règles de sécurité : les membres s'engagent à respecter le secret. En cas de non-respect de cette obligation, ils comparaissent devant la commission éthique de chaque chambre.

Liens avec les services de renseignement : les services de renseignement ont l'obligation de fournir toute information demandée, de rendre rapport sur les activités. Aucune limite à ces divulgations sauf si « conséquences désastreuses sur la sécurité des Etats-Unis ». En pratique, la commission évite de demander certaines informations (nom des agents engagés dans telle opération etc.).

_ Champ et domaines du contrôle parlementaire

Champ du contrôle : ces deux commissions sont seules à contrôler la CIA. Elles exercent avec les commissions aux services armés, un contrôle sur les activités de renseignement de la défense, hors renseignement militaire tactique par la Commission du Sénat, relevant de la compétence des commissions aux services armés.

Domaine du contrôle :

- Autorisation d'approuver les crédits aux renseignements, rassemblés depuis Nixon dans un « programme des renseignements nationaux et étrangers ;

- initiative législative (lois de 1991 sur le contrôle du renseignement, de 1992 sur l'organisation du renseignement) ;

- investigations, audits, enquêtes ;

- évaluation des événements mondiaux ;

- approbation des candidatures des présidents nommés dans les organes de renseignement ;

- vérification des traités ayant trait au contrôle de l'armement ou sujets similaires.

ITALIE

_ Services de renseignement

Il existe deux grands services de renseignement en Italie :

- le Service pour l'Information et la Sécurité Militaire (SISMI), dépendant du ministère de la Défense ; il doit communiquer au Ministre et au comité exécutif tous les renseignements collectés et analysés ainsi que les situations qu'il élabore et les opérations effectuées ;

- le service pour le Renseignement et la Sécurité de l'Etat Démocratique (SISDE), dépendant du ministère de l'Intérieur ; mêmes principes de fonctionnement que le SISMI.

Ces deux services doivent collaborer et s'entraider mutuellement.

Le renseignement militaire opérationnel est assuré par le SIOS (Servizio Informazione Operative Segrete), dépendant du ministère de la Défense. depuis 1991 existe en outre au sein du ministère de l'Intérieur une direction d'investigations anti-Mafia (DIA).

_ Contrôle non parlementaire

La structure de gestion des services de renseignement italiens a été instaurée par la loi du 24 octobre 1977. La responsabilité de la planification et de l'engagement des services de renseignement incombe au Premier ministre, qui dispose de deux instruments : le Comité Interministériel pour le Renseignement et la Sécurité (CIIS) et le Comité Exécutif pour les Services de Renseignement et de Sécurité (CESIS). Le CIIS, placé sous la présidence du Président du Conseil est composé des Ministres des Affaires étrangères, de l'Intérieur, de la Justice, de l'Industrie et des Finances, assure la planification stratégique du renseignement et a des prérogatives de consultation et de proposition. Le CESIS, placé sous la Présidence du Président du Conseil ou d'un sous-secrétaire d'Etat et composé de fonctionnaires, a pour mission d'assurer la coordination des services, d'élaborer des situations et de coordonner les opérations entre les services italiens et les services étrangers. Il exerce un contrôle administratif et opérationnel sur les services de renseignement.

La mise en évidence en octobre 1993 des liens entre le renseignement et la Mafia a conduit à un renforcement du contrôle sur les services : un Centre Unitaire de Sécurité a été créé, dépendant du Premier ministre tandis que les pouvoirs du CIIS ont été étendus (notamment en matière de contrôle du recrutement des agents).

_ Historique de l'instauration du contrôle parlementaire

Le contrôle est organisé par la loi du 24 octobre 1977, même si, dès 1969, une commission, le Comitato Parlamentare di Controllo sui Servizi Segreti e il Segreto di Stato, se voit doter d'un rôle de surveillance très suivi.

_ Modalités du contrôle parlementaire

Désignation des membres : la commission parlementaire est constituée de huit membres, quatre députés et quatre sénateurs, nommés par le Président des Chambres selon un critère de proportionnalité.

Règles de sécurité : le Président du Conseil peut, en le motivant, opposer le secret d'Etat aux membres de la Commission s'il estime que des renseignements ne doivent pas être divulgués.

Liens avec les services de renseignement : l'opposition du secret d'Etat est plus théorique que réelle. Les partis politiques, y compris ceux qui participent au gouvernement, n'hésitent pas à harceler le pouvoir exécutif dès qu'ils en ont la possibilité.

_ Objet et champ du contrôle parlementaire

La commission peut demander au Président du Conseil et au CESIS les informations concernant les traits essentiels de l'organisation et de l'activité des services de renseignement.

Elle peut également formuler des propositions et observations.

ALLEMAGNE

· Services de renseignement

Trois institutions assurent des missions de renseignement en Allemagne :

- le service de renseignement fédéral (Bundesnachrichtendienst ou BND), subordonné à la Chancellerie fédérale, est chargé de recueillir des informations concernant l'étranger. Historique : en 1955, l'organisation Gehlen dite l'Org, héritée des structures de la guerre, devient officiellement un organe fédéral et reçoit en 1956 la désignation de Bundesnachrichtendienst. Dans les années 1970, le BND est progressivement démilitarisé et devient civil ;

- l'office fédéral pour la protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz) agit dans le domaine de la sécurité intérieure ;

- le service de protection des ondes (der militärische Abschirmdienst) est une institution de l'armée fédérale (Bundeswehr), donc subordonné au ministère de la Défense, qui a pour mission de protéger l'armée contre des actions perturbatrices relatives à son domaine de compétence.

· Historique de l'instauration du contrôle parlementaire

Dans les années 1950, le chancelier Adenauer propose aux partis d'enquêter sur les missions des services de renseignement et sur leur mise en _uvre en raison de l'importante extension prise par les activités des services de renseignement pour assurer la sécurité de l'Etat (contexte de guerre froide). Ainsi, en 1956, est créé l'organe parlementaire des hommes de confiance (parlamentarisches Vertrauensmännergremium), qui fonctionne sur le fondement d'un accord entre les partis et le Chancelier fédéral.

Dans les années 1970, des incertitudes croissantes pèsent sur cet organe : ses membres, issus d'une fraction du parlement, ne sont pas représentatifs du Bundestag ; cet organe ne s'appuie que sur des accords informels entre le gouvernement fédéral et le Bundestag, sans fondement légal de son activité. Un contrôle parlementaire spécialisé est demandé. En 1979, la commission parlementaire de contrôle (parlamentarische Kontrollkommission) est légalement fondée, ce qui a pour conséquence la dissolution de l'organe des hommes de confiance.

La commission parlementaire de contrôle ne détient cependant pas le monopole du contrôle parlementaire : les droits du Bundestag et de ses comités demeurent intacts.

· Modalités du contrôle parlementaire

Désignation des membres : il appartient au Bundestag de fixer lui-même le nombre de ses membres, la composition et le mode de fonctionnement de la commission de contrôle. En 1996, cette commission se composait de huit membres, qui sont généralement les présidents de fractions politiques ;

- Règles de sécurité : une divulgation publique des travaux effectués par la commission de contrôle est possible depuis 1992 ;

- Liens avec les services de renseignement : obligation de fournir toute information nécessaire au contrôle. Une instruction sur des affaires particulières peut cependant être refusée dans un objectif de protection des personnes ou d'informations devant rester secrètes. Dans ce cas, la commission de contrôle peut exiger une justification du refus. A la majorité des deux tiers, la commission de contrôle peut lever la conservation du secret.

· Objet et domaine du contrôle parlementaire

La commission de contrôle est un organe de soutien du Bundestag puisqu'elle n'a pas l'exclusivité du contrôle des services de renseignement.

La mission principale de cet organe est d'empêcher qu'à travers des mesures appliquées par les services de renseignement on ne porte atteinte aux droits des citoyens ; Depuis 1992, la compétence de la commission a été élargie. La commission peut exiger du gouvernement fédéral des informations étendues sur les activités des services de renseignement.

La commission de contrôle n'exerce pas un contrôle préventif et permanent.

Elle rend un rapport de ses activités en milieu et en fin de mandat.

AUTRICHE

_ Services de renseignement

Il existe trois services de renseignement en Autriche :

- Un service de renseignement civil relevant du ministère de l'Intérieur (Staatspolizei), régi par la loi de 1991 sur la police et chargé de maintenir la sécurité publique par la prévention des actes criminels ;

- Deux services de renseignement militaire relevant du ministère de la Défense, Nachrichtendienstliche Abwehr ou service militaire de contre-espionnage, et le Nachrichtendienstliche Aufklärung ou service de recueil de renseignements, qui intervient davantage hors des frontières du pays. Un projet de loi régissant ces services est actuellement en discussion.

_ Contrôles non parlementaires et rapports entre les différents contrôles

Le seul contrôle non parlementaire sur ces services est d'ordre hiérarchique.

_ Historique de l'instauration du contrôle parlementaire

L'instauration d'un contrôle parlementaire sur les services de renseignement autrichiens date de 1991. Elle est née des travaux de deux commissions d'enquête parlementaires sur les affaires Lucona et Noricum (1989), scandales politico-financiers qui avaient mis en cause les services ;

Formellement, le contrôle a été institué par un amendement à l'article 52A de la Constitution autrichienne qui prévoit la création de deux sous-commissions permanentes au sein de la Commission de la Défense d'une part et de la Commission des Affaires intérieures d'autre part.

_ Modalités du contrôle parlementaire

Désignation des membres : le nombre des membres de chaque sous-commission résulte de l'application de la proportionnelle. Sous la précédente législature, les sous-commissions comptaient 17 membres. Après les élections du 3 octobre dernier, elles devraient compter 14 membres, soit 5 représentants du SPÖ, 4 du FPÖ, 4 de l'ÖVP et un du parti écologiste ;

Règles de sécurité : les membres des sous-commissions s'engagent par serment, devant le Président de l'Assemblée, à respecter strictement la confidentialité des travaux. Celle-ci est rappelée au début de chaque réunion (4 réunions obligatoires par an au minimum). En cas de non-respect de cette obligation, c'est la commission de l'immunité qui examine le cas après quoi un vote a lieu en séance première.

_ Objet ou domaine du contrôle parlementaire

Champ du contrôle : chaque sous-commission est compétente pour le service rattaché au ministère sur lequel la commission dont elle dépend exerce son contrôle ;

Etendue des pouvoirs : la sous-commission dépendant des Affaires intérieures vérifie que les services exercent leurs missions de protection des instituions constitutionnelles et de leurs capacités d'action. La sous-commission dépendant de la Commission de la Défense examine les mesures prises par les services pour garantir la défense du territoire ;

Chaque membre d'une sous-commission a le droit de demander tous les renseignements pertinents au Ministre fédéral compétent, dans le cadre des réunions de la sous-commission. Possibilités pour le Ministre de refuser de répondre s'il estime que la divulgation d'une information ferait peser un risque national ou sur la sécurité des personnes.

ROYAUME-UNI

_ Services de renseignement

Il existe quatre principaux services de renseignement en Grande-Bretagne :

- Le service militaire de renseignement (DIS ou Defense Intelligence Staff) responsable du renseignement militaire au ministère de la Défense ;

- Le service secret de renseignement (SIS ou Secret Intelligence Service) ou M I 6, responsable devant le Ministre des Affaires étrangères, qui a pour mission de fournir des informations se rapportant aux actions ou aux intentions de personnes résidant hors des îles britanniques ;

- Le service de sécurité (the Security Service) ou M I 5, placé sous la tutelle du Ministre de l'Intérieur agit en matière de sécurité intérieure ;

- Le siège social des communications du gouvernement (GCHQ ou the Governement's Communication Headquarters), responsable devant le Ministre des Affaires étrangères, qui a pour mission d'intercepter ou de fournir des informations transmises par des ondes acoustiques, électromagnétiques.

_ Contrôles non parlementaires et rapports entre les différents contrôles

Avant 1994, le contrôle était exclusivement ministériel. Il existe trois organes de contrôle ;

- un comité mixte de renseignement qui chapeaute l'ensemble des services de renseignement ;

- un comité ministériel chargé de vérifier la ligne de conduite des services de sécurité et de renseignement ;

- un comité permanent des Ministres (the Permanent Secretaries' Committee on Intelligence Services ou PSIS) qui examine les dépenses prévisionnelles annuelles des agences de renseignement ainsi que leurs programmes de gestion. Le PSIS est l'instrument majeur permettant aux Ministres d'évaluer les résultats des services de renseignement.

_ Historique de l'instauration du contrôle parlementaire

- Raisons ayant présidé à l'établissement d'un contrôle parlementaire : distorsion inquiétante entre la conduite quasi-autonome des opérations secrètes par les agences elles-mêmes et le pouvoir politique, le plus souvent tenu à l'écart de ces opérations ; évolution de la situation internationale, comparaison avec la situation existant entre d'autres démocraties ;

- 1989 : officialisation du statut et du fonctionnement du M I 5 ; l'idée d'un contrôle parlementaire est soulevée pour la première fois. En avril 1994, les dépenses des services de sécurité et de renseignement sont désormais approuvés par un vote. En décembre 1994, la loi sur les services de renseignement entre en vigueur : est ainsi créé un comité parlementaire de contrôle, appelé « comité de renseignement et de sécurité » (The Intelligence and Security Committee).

_ Modalités du contrôle parlementaire

- Désignation des membres : le comité comprends neuf membres issus des deux chambres, ne pouvant en aucun cas être Ministres, nommés par le Premier ministre après consultation du Leader de l'opposition, selon leurs compétences, leur grande intégrité et leur indépendance politique dans le respect de l'intérêt public ;

- Règles de sécurité : le Premier ministre dispose d'un droit de veto sur les informations qu'il jugerait trop confidentielles. Le rapport annuel est soumis au Premier ministre avant publication. La commission de renseignement et de sécurité n'a pas le même statut que les autres commissions parlementaires, dont les membres sont nommés par le parlement lui-même et qui rendent compte de leurs activités directement au parlement.

_ Objet ou domaine du contrôle parlementaire

Le comité est chargé d'examiner, plus que de contrôler, les dépenses, l'administration, la ligne de conduite des services30, mais pas les opérations qu'ils mènent.

CANADA

_ Services de renseignement

La communauté du renseignement canadien se compose de :

- des organes de renseignements du Département de la Défense nationale (Defense Intelligence Division (DID), le plus grand service de renseignement canadien, responsable du renseignement militaire et le Communication Security Establishment (CSE), responsable du renseignement électronique (SIGINT) et de la sécurité électronique (SIGSEC) ;

- des organes de renseignement du ministère de l'Intérieur (le service canadien de renseignement de sécurité, ou SCRS, responsable de la collecte et de l'exploitation de renseignements concernant le contre-espionnage et la contre-subversion, et les services de la police montée canadienne, qui interviennent également dans la lutte antiterroriste).

Il n'existe pas de services de renseignement extérieur canadiens. Toutefois, une dizaine de diplomates en poste à l'étranger ont, entre autres attributions, pour mission de recueillir des renseignements auprès de services de renseignement « amis ». Le bureau du renseignement extérieur dépendant du ministère des Affaires étrangères est chargé d'analyser les données collectées et de les transmettre à qui de droits dans les différents ministères.

_ Contrôles non parlementaires et rapports entre les différents contrôles

En plus du contrôle hiérarchique exercé par les différentes autorités de tutelle des services, trois types de contrôle sont exercés sur les services de renseignement canadiens :

- un contrôle interne exercé, au ministère de l'Intérieur, par un inspecteur général nommé par le Ministre de l'Intérieur est chargé d'établir des rapports sur SCRS et de lui décerner des certificats de bonne conduite ;

- le contrôle judiciaire ;

- le contrôle externe, exercé par un organisme indépendant, compétent pour le SCRS uniquement. Ce comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), composé de 5 membres indépendants nommés pour cinq ans sur proposition du gouvernement, après consultation des chefs de partis, a pour mission de contrôler toutes les activités du service de renseignement intérieur. Il est habilité à se faire communiquer toutes les informations qu'il souhaite.

_ Le parlement canadien et les services de renseignement

- il n'existe pas de contrôle parlementaire exercé par la Chambre des Communes. Toutefois, le CSARS rend compte de son rapport annuel devant les commissions compétentes, qui n'ont pas accès aux informations classifiées ;

- le Sénat canadien, désigné et non élu, a, de son propre chef, instauré un comité au renseignement, composé de 7 membres et dont les réunions ont lieu à huit clos. Ce comité dispose toutefois de pouvoirs très limités et reçoit essentiellement une information sur les orientations générales de l'activité des services.



TABLEAU SYNOPTIQUE

Pays et date de
création des organes de contrôle

Désignation et
composition de l'organe de contrôle parlementaire

Mission et champs
de compétence

Accès aux informations classifiées

Sanctions en cas
de violation

Modalités de publicité des travaux

Etats-Unis
1976-1977

- Deux commissions dans chaque chambre :

_ 21 membres au Sénat (11 majorité-10 minorité) nommés par le Président sur proposition des leaders des partis majoritaires et minoritaires ;

_ 18 membres à la Chambre des Représentants (10 majorité-8 minorité) nommés par le leader de la minorité pour les 8 membres).

- Contrôle des commissions des Finances et des Forces armées sur les domaines qui relève de leur compétence.

- Contrôle de toute la communauté du renseignement (sauf renseignement militaire tactique au Sénat).

- Pouvoir d'initiative législative.

- Contrôle budgétaire ex ante et ex post.

- Approbation de la candidature des plus hauts postes des services par le Sénat.

Sans limite. En pratique, auto-censure des parlementaires sur les questions éminemment confidentielles.

- Sanctions pénales sauf irresponsabilité.

- Sanctions disciplinaires par la commission d'éthique (possibilité d'exclusion de la Chambre).

- Confidentialité des travaux .

- Mais rapports budgétaires ou législatifs et rapports d'information sur des sujets particuliers.

Italie
1977

Comité parlementaire pour les services de renseignement et de sécurité et pour le secret d'Etat :

· Commun aux deux chambres

· Composé de 4 députés et 4 sénateurs nommés, selon un critère proportionnel, par les Présidents de chaque Assemblée sur proposition des groupes

· Président d'opposition depuis 1992

- Pouvoir de demander au Président du Conseil et au comité interministériel du renseignement et la sécurité des informations sur les lignes essentielles des structures et des activités des services.

- Pouvoir de formuler des propositions.

- Pas de pouvoirs d'enquête sur pièce et sur place.

- Pas de pouvoir budgétaire.

Possibilité pour le Président du Conseil d'opposer le secret d'Etat en motivant sa décision.

Oui (pas de données précises)

- Confidentialité des travaux.

- Mais possibilité d'établir des rapports d'information.

Allemagne
1979

- Commission parlementaire de contrôle au Bundestag

- Pas de règles fixes sur le nombre, la composition et la désignation des membres. En 1996, huit membres, qui sont pour la plupart des Présidents des fractions politiques .

- Compétence des commissions permanentes du Bundestag sur leurs domaines respectifs.

- Compétences larges

- Vérification que les mesures prises par les services ne portent pas atteinte aux droits de citoyens.

Possibilité d'exiger du gouvernement fédéral des informations étendues sur les activités des services de renseignement.

Oui (pas de données précises).

Possibilité depuis 1992 de divulgation des travaux : rapport sur les activités de la Commission.

Autriche
1991

- Deux sous-commission au sein des Commissions de la Défense et de l'Intérieur.

- Membres désignés à la proportionnelle sur proposition des groupes (variable : 14 actuellement).

- La sous-commission de la Défense examine les mesures prises par les services pour garantir la défense du territoire.

- La sous-commission de l'Intérieur vérifie que les services assurent leur mission de protection des institutions constitutionnelles.

- Pas de pouvoir budgétaire.

Limité aux informations dont la divulgation ne présente pas de risque pour la sécurité nationale ou des agents.

Sanctions pénales.

Réunions strictement confidentielles.

Royaume-Uni
1994

Commission sur le renseignement et la sécurité composée de neuf membres nommés par le Premier ministre après consultation du Leader de l'opposition.

- Examen de l'organisation et des missions générales de tous les services, sauf du service de renseignement militaire.

- Contrôle budgétaire ex post.

Limité aux informations qui ne sont pas jugées sensibles par les services.

- Sanctions pénales.

- Exclusion de la Commission par le Premier ministre.

Rapport annuel revu par le Premier ministre avant sa publication.

Canada
1998

Comité spécial du Sénat de sept membres choisis en fonction de leur compétence.

Examen des orientations générales des services.

Non.

Sanctions pénales.

Rapport annuel revu par le pouvoir exécutif avant publication (disposition informelle).

IV. - LES NOUVEAUX ENJEUX DU RENSEIGNEMENT : L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE 

Votre rapporteur reproduit ici, avec son aimable autorisation, le témoignage de M. Henri Plagnol, député, ancien élève de l'ENA, membre du Conseil d'Etat, Professeur agrégé de sciences sociales.

« A la suite de la succession de hasards narrée par Guillaume Dasquié dans son ouvrage, j'ai été amené, alors que j'étais un jeune haut fonctionnaire, à accomplir une mission de contre-espionnage de quelques mois en 1993 pour déjouer les tentatives d'infiltration de la CIA lors des difficiles négociations franco-américaines sur les accords du GATT. Depuis, les circonstances de ma mission ont été rendues très largement publiques à la suite de la crise diplomatique ouverte par la demande française du départ de cinq agents de la CIA en 1995. Je suis donc autorisé à tirer les enseignements de cette expérience pour l'efficacité de notre système de renseignement économique, étant entendu que je n'aborderai pas les problèmes spécifiques de l'espionnage industriel pour lesquels je n'ai aucune compétence. Je crois d'autant plus utile de le faire que je suis depuis devenu parlementaire et que j'ai donc eu l'occasion de prolonger ma réflexion de haut fonctionnaire sur le difficile équilibre à trouver entre la nécessité de protéger les libertés du citoyen et les intérêts de l'Etat.

Le premier constat qui s'impose est que les données de base du renseignement ont été totalement bouleversées par la fin de la guerre froide. Le court épisode auquel j'ai été associé démontre que ce sont souvent avec nos partenaires occidentaux, en l'occurrence les Américains, que nous livrons cette « guerre » du renseignement économique. Il y a là une difficulté majeure, car bien entendu cela ne remet pas en cause notre solidarité stratégique fondamentale avec nos partenaires de l'Alliance Atlantique. Difficulté d'autant plus sérieuse, que s'agissant de renseignements économiques, la frontière entre ce qui relève de l'espionnage et ce qui constitue de simples échanges d'informations est extrêmement ténue. Ainsi à propos des négociations du GATT, en réalité tout était très largement du domaine public et les fonctionnaires de la DST m'ont souvent confié leur incapacité à faire le tri dans les multiples contacts franco-américains, entre ce qui était stratégique et ce qui ne l'était pas. En bref, dans un monde ouvert, dominé par le libre échange et la confrontation d'idées, il est vain de prétendre mettre des barrières. Dans le domaine économique, il y a une grande perméabilité des réseaux d'information avec nos principaux concurrents, ne serait-ce qu'en raison de nos traditions démocratiques et du rôle considérable des media dans le monde occidental.

En revanche, il est essentiel de sensibiliser tous les acteurs de la diplomatie économique à l'importance de la collecte de renseignements, même mineurs. Mon exemple est à cet égard très révélateur. Jusqu'à ce que je sois informé par la DST de la nature des activités de la fondation franco-américaine qui m'invitait de temps à autre à produire mes analyses, j'étais bien loin de soupçonner que celles-ci pouvaient avoir un quelconque intérêt. Il serait d'ailleurs stupide de prétendre contrôler, encore pire interdire, ce type d'échanges. Mais il serait souhaitable que tous ceux qui s'y prêtent en raison de leur activité (hauts fonctionnaires, chercheurs, diplomates...) soient sensibilisés à l'intérêt, pour nos services de renseignement, d'en être informés. S'agissant des décideurs, il faudrait les informer très en amont des enjeux du renseignement économique, en particulier au moment de leur scolarité dans les grandes écoles, type ENA ou Polytechnique.

Cette forme de collaboration minimale des décideurs à la collecte des données indispensables au monde du renseignement est nécessaire mais pas suffisante. J'ai pu constater en effet à quel point, pour ce type de mission paradiplomatique, nos services de renseignement avaient un besoin vital du concours de personnes extérieures aux services, à même de mesurer l'extrême complexité des dossiers techniques. S'agissant des négociations du GATT, les fonctionnaires de la DST, en dépit de leurs compétences et de leur disponibilité, ne pouvaient pas, parce qu'ils n'avaient pas été formés pour cela, maîtriser les enjeux du conflit franco-américain sur la libéralisation du commerce international. L'apport essentiel de ma mission était donc de leur permettre de mieux mesurer les enjeux d'une part, et d'avoir à leur disposition quelqu'un qui soit suffisamment qualifié pour être crédible comme source aux yeux des Américains. Ce type de collaboration est de l'ordre de l'exception aujourd'hui et pour le développer, il faut rien moins qu'une révolution culturelle dans le monde du renseignement français.

J'ai en effet été frappé du ghetto culturel dans lequel, bien malgré eux, sont encore enfermés les fonctionnaires de la DST, dont l'activité est à tort considérée comme « sale » à l'extérieur. A la différence des systèmes de renseignement britanniques ou américains, il n'y a aucune synergie réelle entre le professionnel du renseignement et notre appareil diplomatique ou de gouvernement. J'étais stupéfait par exemple de constater que, alors que la DST accomplissait avec une grande efficacité une mission importante au service de notre diplomatie, il était très difficile pour le chef de mission d'obtenir des instructions claires de la part de ceux qui menaient les négociations institutionnelles avec les Américains. La création d'un Conseil de sécurité autour du Président de la République, en liaison avec les services du Premier ministre, et au sein duquel seraient représentés les différents services de renseignement, et tous ceux qui contribuent aux orientations stratégiques de notre diplomatie, serait un immense progrès.

Il faut aussi mettre en place les règles de déontologie rigoureuses pour encourager la collaboration ponctuelle de personnes extérieures aux services de renseignement à leurs missions. Dans le système actuel, il n'existe en effet aucune protection pour ceux qui veulent bien servir leur pays à leurs risques et périls. Que ce soit pour des hauts fonctionnaires ou des cadres d'entreprises, rien n'est prévu pour les protéger en cas de publicité inopinée donnée à leur mission. Ils ne peuvent même pas se défendre puisqu'ils sont naturellement soumis au respect du secret d'Etat. C'est ainsi que lorsque ma mission est devenue publique, je n'avais aucun moyen de me défendre si mon honneur avait été mis en cause, ce qui n'a heureusement pour moi pas été le cas. On pourrait très bien imaginer la rédaction d'une charte de déontologie, avec une lettre-type de mission, de façon à ce que les bonnes volontés prêtes à travailler pour leur pays soient encouragées au lieu d'être dissuadées. Nos services auraient tout à gagner à cet apport extérieur qui les obligerait aussi à se réformer pour s'adapter à un monde beaucoup plus complexe qui ne se divise plus en des catégories manichéennes avec d'un côté les méchants et de l'autre les bons. La réflexion sur l'efficacité de notre système de renseignement doit aussi s'accompagner d'un renforcement des contrôles à mettre en place pour garantir leur caractère démocratique et la protection des citoyens. En raison du contexte lié à la décolonisation d'une part et à la guerre froide d'autre part, nos services ont jusqu'à maintenant échappé à tout contrôle du Parlement. Je crois que nous sommes maintenant arrivés à un stade de maturité de nos institutions suffisant pour permettre l'instauration d'un minimum de contrôle parlementaire sans que cela nuise à l'efficacité des services. J'ai même tendance à penser qu'un droit de regard des élus éviterait des dérives telles que celles qui se sont produites avec la triste affaire du Rainbow Warrior. La proposition actuellement à l'étude à l'Assemblée nationale qui consisterait à associer des parlementaires astreints sous serment au respect du secret-défense, au contrôle de nos activités d'espionnage me paraît à la fois raisonnable et équilibrée. Il y a bien longtemps que dans les démocraties allemandes, canadiennes ou américaines, il existe un organe de contrôle parlementaire sans que cela ait affaibli l'efficacité de leur système de renseignement.

Enfin, en ce qui concerne les libertés publiques, il est bien évident que l'essor des nouvelles technologies rend de plus en plus difficile la protection du secret de la vie privée. De ce point de vue, le combat courageux mené par les victimes de l'affaire dite des « écoutes de l'Elysée » à l'époque de François Mitterrand a permis un grand progrès dans la jurisprudence et dans l'état de droit avec la création d'une Commission des écoutes qui veille à ce qu'il n'y ait pas d'abus. Mais cela n'est pas encore suffisant et je crois qu'il faudra aller plus loin, à l'image de ce qui se pratique au Canada, en permettant à ceux qui s'estiment victimes de manipulations ou d'intrusions dans leur vie privée de saisir un organe composé de hauts fonctionnaires et de parlementaires chargé de trier les plaintes suffisamment fondées pour être recevables.

La France a la chance d'avoir des services de renseignement efficaces avec des hommes infiniment dévoués à leur pays tout en étant une grande démocratie respectueuse de la liberté des citoyens. Je suis profondément convaincu, à la suite de ma modeste expérience, que nos services ont tout intérêt, pour s'adapter aux nouveaux enjeux du renseignement économique, à s'ouvrir sur l'extérieur en acceptant l'évolution irréversible vers toujours plus de transparence. Il appartient donc au législateur de les aider à accomplir cette mutation en adoptant de nouvelles règles de déontologie, en instaurant une meilleure coordination au stade des décisions gouvernementales et en associant le Parlement. Le renforcement de l'efficacité va de pair avec le développement des libertés publiques. »

V. - LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS PAR LE RAPPORTEUR

Au total, 50 entretiens ont été menés depuis la création du groupe de travail sur le renseignement, soit :

- 28 en France et 22 à l'étranger ;

- 21 au titre de coordonnateur du groupe de travail et 29 au titre de rapporteur au nom de la commission de la défense.

A. EN FRANCE

- Présidence de la République

· Chef d'Etat-major particulier du Président de la République

- Premier ministre

· Conseiller chargé de la défense et conseiller parlementaire

- Secrétariat général de la Défense nationale

· Secrétaire général de la Défense nationale

- Cour des comptes

· Premier Président

- Ministère de la Défense

· Conseillers techniques

· Directeur des affaires juridiques

· Directeur de la DGSE

· Directeur de la DRM

· Directeur de la DPSD

- Ministère de l'Intérieur

·  Directeur de cabinet du ministre

· Conseillers chargés du renseignement

· Directeur de la DGRG

· Directeur de la DST

- Ministère de l'Economie et des Finances

· Directeur des douanes

- Personnes qualifiées

· M. Bertrand Warusfel, professeur de droit

B. À L'ÉTRANGER31

1. Canada

- Premier ministre

· Responsable de la coordination

- Ministère de l'Intérieur

· Directeur de la sécurité publique

- Ministère des Affaires étrangères

· Sous-ministre adjoint

- Parlement

· Sénateur Kelly, Président du comité spécial pour le renseignement et la sécurité

- Personnes qualifiées

· M. Jean-Paul Brodeur, Professeur à l'Université de Montréal

· Madame Paule Gauthier, Présidente du CSARS

· M. Claude Bisson, Inspecteur général du comité pour la sécurité des télécommunications

2. États-Unis

- Parlement

· Trois membres de la Chambre des Représentants membres de la commission permanente de la chambre pour le renseignement

· Directeur législatif assistant le Sénateur Kerrey, vice-président du comité pour le renseignement et la sécurité

· Sénateur Shelby, président du comité pour le renseignement et la sécurité

- Services de renseignement

· Directeur et directrice adjointe de l'Office of Congressionnal affairs de la CIA

3. Royaume-Uni

- Parlement

· M. Tom King et plusieurs membres de la commission pour le renseignement et la sécurité

- Services de renseignement

· Responsables des liens avec le Parlement au Security Service (M I 5)

· Responsables des liens avec le Parlement à l'Intelligence Service (M I 6)

- Premier ministre

· Coordinateur à la Joint Intelligence Organization

4. Autriche

- Parlement

· M. Anton Gaal, président de la sous-commission de la commission de la défense chargée du renseignement

· M. Paul Kiss, président de la sous-commission de la commission de l'intérieur chargée du renseignement

· M. Hans Scheibner, président de la commission de la Défense

- Services de renseignement

· Chef du service des affaires juridiques au ministère de la défense

· Chef du service des affaires juridiques au ministère de l'intérieur

5. Italie

- Parlement

· Membres de la commission parlementaire chargée du renseignement

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N° 1951.- Rapport de M. Arthur Paecht,au nom de la commission de la défense, sur la proposition de loi de M. Paul Quilès et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une délégation parlementaire pour les affaires de renseignement.

1 Amiral Pierre Lacoste (dir.), Approches françaises du renseignement, FED, 1997, p. 155.

2 Telle est la définition donnée par le rapport Martre réalisé sur ce sujet par le Commissariat  général au plan,
en 1994.

3 Voir annexe I « Les services de renseignement en France : un aperçu juridique ».

4 Marcel Chalet, « La DST, service français de contre-espionnage », in Amiral Pierre Lacoste (dir.), Le renseignement à la française, Economica, 1998.

5 Voir en annexe V « Liste des entretiens réalisés par le rapporteur ». Les données sur les systèmes étrangers existant dans les pays dans lesquels votre rapporteur n'a pu se rendre sont tirés notamment du mémoire de Diane Himpan-Sabatier, Le contrôle parlementaire des services de renseignement, Ecole des hautes études internationales, juin 1996.

6 Le Président et les membres de la commission parlementaire au renseignement du Parlement italien ont été reçus par la commission de la Défense de l'Assemblée nationale au mois de septembre 1998.

7 Le terme de communauté du renseignement (United States Intelligence Community ou USIC) est défini par la loi sur l'organisation du renseignement du 24 octobre 1992. L'USIC inclut le DCI et ses services, la CIA, l'Agence de sécurité nationale, l'Agence du renseignement militaire, l'autorité centrale d'imagerie du ministère de la Défense, le bureau de reconnaissance nationale, les services de renseignement des Armées, le FBI (Bureau d'enquête fédéral), les services de renseignement du ministère de l'énergie, le bureau du renseignement et de la recherche du ministère de l'Intérieur et tout autre service désigné comme tel par le Président des Etats-Unis ou par le DCI.

8 Gazzetta Ufficiale n° 303 du 7 novembre 1977.

9 Ce Comité, rattaché à la présidence du Conseil des Ministres, exerce des fonctions de consultation et de proposition sur les orientations et objectifs principaux en matière de politique de renseignement et de sécurité. Présidé par le Président du Conseil, ce Comité réunit les ministres des Affaires étrangères, de l'Intérieur, de la Justice, de la Défense, de l'Industrie et des Finances, auxquels peuvent se joindre, sur demande du Président du Conseil, les directeurs des services de sécurité et de renseignement, des experts ou encore des autorités civiles et militaires.

10 La loi de 1994 dispose que la commission examine « the expenditure, administration and policy » des trois services cités. Le Defence Intelligence Staff (DIS), service de renseignement militaire du ministère de la Défense, n'est pas considéré comme un service secret. Son contrôle parlementaire relève de la Commission de la Défense.

11 L'analyse du système canadien repose essentiellement sur deux sources : les entretiens menés par votre rapporteur au Canada du 12 au 14 septembre ainsi que les travaux du Professeur Jean-Paul Brodeur sur le sujet. On citera notamment l'article publié dans les Cahiers de l'IHESI n° 30, « En être ou ne pas en être : telle n'est pas la question », 1997.

12 En 1972, une agence de presse fut cambriolée. La responsabilité de la GRC et de la police municipale de Montréal dans ce cambriolage fut établie.

13 Depuis juillet 1999, c'est M. Maurice Archdeacon qui occupe ce poste.

14 On notera avec intérêt qu'il n'existe pas de service de renseignement extérieur canadien. Toutefois, une dizaine de diplomates en poste à l'étranger ont, entre autres attributions, pour mission de recueillir des renseignements auprès d'agences de renseignement « amies ». Le Bureau du renseignement extérieur (Federal Intelligence Bureau) dépendant du ministère des affaires étrangères est chargé d'analyser les données collectées et de les transmettre à qui de droit dans les différents ministères susceptibles d'être intéressés par ces informations.

15 Des tentatives d'infiltration du personnel ont pu exister, de même que des tentatives d'intimidation.

16 Sont cependant exclues les « confidences » du Cabinet.

17 A ce moment de l'entretien, qui a eu lieu le 16 septembre 1999 au siège de la CIA, en Virginie, M. John Moseman évoque la commission spéciale du Sénat américain.

18 Etudes et documents du Conseil d'Etat, Rapport public 1996, La documentation française, 1996.

19 Bertrand Warusfel, Le secret de la défense nationale - Protection des intérêts de la nation et libertés publiques dans une société d'information, Thèse pour le doctorat d'Etat, Université Paris-Descartes, 1994, pp.435 sqq.

20 Il s'agit de l'ancêtre de la DGSE.

21 JORF, Débats, Sénat, Séance du 2 décembre 1971, p. 2623.

22 Voir annexe I : « les services de renseignement en France : un aperçu juridique ».

23 On remarquera que la pratique n'a pas permis de lever cette ambiguïté. Ainsi, sur l'affaire des « écoutes de l'Elysée », c'est le Président de la CNCIS qui a été saisi à titre personnel, les membres de la Commission n'ayant pas voix au chapitre.

24 Journal officiel du 24 novembre 1981- page 3191.

25 Journal officiel du 4 avril 1982- page 1034.

26 Journal officiel du 26 décembre 1982 - page 3864.

27 Le décret n° 99-57 du 29 janvier 1999 a abrogé, en son article 14, le décret du 16 janvier 1995 et réintroduit certaines de ses dispositions à l'article 12 du décret du 2 octobre 1985.

28 Journal officiel du 30 janvier 1999 - page 1549.

29 J.O. Numéro 165 du 19 juillet 1998 page 11118.

30 M I 5, M I 6 et GHCQ, mais pas le service interne au Ministère de la Défense.

31 Présentation par ordre chronologique.


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