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le 20 novembre 2001

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N° 3393

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes,

PAR Mme BERNADETTE ISAAC-SIBILLE,

Députée

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 380, 439 (2000-2001) et T.A. 4 (2001-2002)

Assemblée nationale : 3329

Traités et conventions

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Philippe Briand, M. Bernard Brochand, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Jean-Claude Decagny, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Georges Frêche, M. Michel Fromet, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. Michel Grégoire, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Claude Lefort, M. François Léotard, M. Pierre Lequiller, M. Alain Le Vern, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. Jean Rigal, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, M. Dominique Strauss-Kahn, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I. « UNE EUROPE À LA CARTE POUR LA SUISSE » 7

A. DE SÉRIEUSES RÉTICENCES À ADHÉRER À L'UNION EUROPÉENNE 7

B. SEPT ACCORDS SECTORIELS OU UNE FORMULE À LA CARTE 8

1) Sept accords sectoriels mais un seul accord soumis à ratification
    par les Parlements nationaux 8

2) Trois accords relativement anodins 9

3) Deux accords relativement équilibrés 10

4) Deux accords complexes et délicats 12

II. UN COMPROMIS DÉSÉQUILIBRÉ À L'AVANTAGE DE LA SUISSE 17

A. LES RAISONS QUI MILITENT POUR UNE RATIFICATION 17

B. DES CONCESSIONS PLUS IMPORTANTES DE LA PART DE LA FRANCE 17

1) Une fausse réciprocité 17

2) La fin du libre choix de la couverture sociale
    pour les travailleurs frontaliers 19

3) Les griefs fondés des élus locaux 21

CONCLUSION 24

EXAMEN EN COMMISSION 26

ANNEXE I : Carte de la Suisse et des régions frontalières françaises 30

ANNEXE II : Tableaux relatifs à la situation juridique des frontaliers 32

ANNEXE III : Echange de lettres avec le ministère des Affaires étrangères 53

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale est saisie d'un accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur la libre circulation des personnes signé le 21 juin 1999 et adopté en Conseil des ministres le 13 juin 2001.

Pour expliquer ce délai de deux ans, le Gouvernement avance un argument fallacieux : il importait de prendre en compte la spécificité des modalités de couverture sociale des travailleurs frontaliers que recouvre cet accord, dans la mesure où ces derniers étaient peu favorables, ce que nous comprenons aisément, à la perspective d'une affiliation obligatoire au régime suisse d'assurance maladie découlant du présent accord.

Cela part d'un bon sentiment. Néanmoins, votre Rapporteure démontrera plus avant dans son propos que ce souci de défendre les intérêts des travailleurs frontaliers n'a pas porté ses fruits, ou en tout cas que partiellement et au détriment de ces mêmes intérêts.

Par ailleurs, elle ne peut que s'insurger une nouvelle fois contre la manière avec laquelle le Gouvernement bafoue la représentation nationale en exigeant dans un délai très court la ratification d'un accord préjudiciable aux intérêts français, alors qu'il a été signé il y a plus de deux ans déjà.

Si la Suisse est un pays ami - notre histoire a écrit nombre de pages communes et nous tenons à maintenir ce climat d'amitié constructif -, le problème actuel demeure son adhésion à l'Union européenne, souhaitée par les dirigeants mais refusée par le peuple lui-même. Les réticences suisses à adhérer à l'UE sont si fortes que seule « une Europe à la carte » semble possible, matérialisée par une série d'accords sectoriels. Votre Rapporteure présentera chacun de ces accords dans une première partie, avant de s'attacher à montrer que l'un d'entre eux, en l'occurrence l'accord sur la libre circulation, constitue un compromis déséquilibré à l'avantage de la Suisse et au détriment des intérêts français. Provocation ou naïveté, les Suisses le reconnaissent volontiers1 : « On peut se réjouir de ce que cet accord avec l'UE apportera un afflux prévisible de capitaux étrangers qui seront investis dans la pierre ! Notons qu'en Haute-Savoie et dans l'Ain les habitants sont mis devant le fait accompli ! Tant les élus que les responsables locaux ont appris l'existence des accords bilatéraux... lors de la signature ! La Commission européenne est mise en cause car elle n'aurait procédé à aucune concertation, ni même information alors que l'importance de ces accords est historique pour cette région ! Les négociateurs européens n'ont pas pris la peine d'étudier les incidences de ces accords sur la région frontalière. La plupart des superbes régions frontalières vont devenir une banlieue dorée de la cité genevoise repoussant les Français une trentaine de kilomètres à l'intérieur de leurs frontières, incapables de faire face à la montée des prix. »

I. « UNE EUROPE À LA CARTE POUR LA SUISSE »

A. De sérieuses réticences à adhérer à l'Union européenne

La légendaire neutralité suisse n'est pas un mythe. Déjà en 1986, l'adhésion à l'Organisation des Nations unies (ONU) avait été rejetée par le peuple lui-même puisque soumise à référendum. Depuis lors, le Parlement suisse a approuvé, le 19 septembre 2001, une initiative populaire visant à adhérer à l'ONU. Ainsi, une nouvelle consultation populaire pourrait être organisée en 2002.

Il en va de l'ONU comme de l'UE. La défiance du citoyen suisse à l'égard d'une Union européenne jugée trop technocratique est toujours d'actualité et les autorités, qui ont déposé une demande d'adhésion en mai 1992, ont bien du mal à le convaincre des avantages de ce grand marché économique.

Certes, dès 1960, la Suisse adhérait à l'AELE (Association européenne de libre échange) constituée par le Royaume-Uni pour regrouper les pays européens qui ne souhaitaient pas se joindre au Traité de Rome. Aujourd'hui il n'y a d'ailleurs plus que quatre membres dans cette association, la Suisse, l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège.

En 1972, l'AELE concluait un accord de libre-échange avec la CEE (Communauté économique européenne) afin d'améliorer leurs relations commerciales.

En décembre 1992, la CEE devenant économiquement très attrayante, l'AELE concluait un nouvel accord instituant l'EEE (Espace économique européen), mais le Traité de Porto, soumis à référendum, était rejeté le 6 décembre par 50,3 % des citoyens suisses contre 49,7 % et 18 cantons sur 26.

Depuis, la Confédération helvétique reste le seul Etat membre de l'AELE non membre de l'EEE, mais surtout on peut parler d'un véritable gel de la candidature suisse à l'UE. Un référendum d'initiative populaire a été organisé le 4 mars 2001 sur l'ouverture immédiate de négociations d'adhésion à l'UE (initiative « Oui à l'Europe »). Le non l'a emporté à plus de 76 % !

Prévoyant ces résultats, les autorités de la Confédération ne désarmaient pas puisqu'elles avaient demandé dès décembre 1994 que soient engagées avec l'UE des négociations portant sur un nombre limité de domaines, qui ont abouti, en marge du Conseil affaires générales de Luxembourg du 21 juin 1999, à la signature d'une série de sept accords sectoriels couvrant les domaines suivants :

- la libre circulation des personnes,

- les transports terrestres,

- les transports aériens,

- la recherche et le développement technique,

- les marchés publics,

- l'agriculture,

- la reconnaissance mutuelle en matière de conformité de divers produits industriels.

Certes les négociations ont été longues et difficiles. D'une part, elles ont été engagées en 1994 et se sont terminées par la signature à Luxembourg le 21 juin 1999. D'autre part, le Conseil fédéral a dû ajuster plusieurs fois en cours de route son mandat de négociations et la Commission, si elle n'a pas modifié son mandat, a dû finalement accepter des résultats qui le dépassaient au risque de mécontenter certains Etats membres. Quoi qu'il en soit, le peuple suisse semble avoir accepté que le rapprochement économique avec l'UE passe par la conclusion d'accords sectoriels puisque, le 21 mai 2000, 67 % des Suisses approuvaient l'ensemble des sept accords soumis à référendum. Bien sûr puisque les avantages obtenus avaient très peu de contreparties.

B. Sept accords sectoriels ou une formule à la carte

1) Sept accords sectoriels mais un seul accord soumis à ratification par les Parlements nationaux

S'il s'agit bien d'un ensemble de sept accords sectoriels, seul l'accord sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 entre l'UE et la Confédération suisse, est soumis à ratification par chacun des Parlements nationaux des Quinze (plus le Parlement suisse), car il est de nature «mixte» sur le plan juridique, c'est-à-dire qu'il porte sur un domaine qui relève à la fois de la compétence de la Communauté et de celle des Etats membres. Les six autres accords relèvent de la seule compétence communautaire.

Cependant, un dispositif est prévu permettant de lier l'entrée en vigueur et la durée des sept accords. Si la Suisse était dans l'incapacité d'appliquer un ou plusieurs de ces sept accords, l'ensemble cesserait d'être en vigueur dans les six mois suivant la notification de la non reconduction ou de dénonciation. Les sept accords sont donc liés par une clause d'entrée en vigueur simultanée et par une clause d'existence continue. Ils forment bien un tout.

Pour mémoire, votre Rapporteure signalera que le Parlement suisse a ratifié l'accord de libre circulation en octobre 2000, que douze des Etats membres de l'UE ont d'ores et déjà achevé leur ratification, que le Parlement européen a rendu le 4 mai 2000 l'avis conforme nécessaire à la conclusion de l'accord par le Conseil et que trois pays, la France, la Belgique et l'Irlande, sont sur le point de ratifier nous dit-on.

S'agissant du contenu de ces accords, votre Rapporteure en fera une description plus ou moins succincte conformément à l'importance qu'ils semblent revêtir et surtout aux problèmes respectifs qu'ils soulèvent.

2) Trois accords relativement anodins

· Avec l'accord sur la recherche et le développement technique, les scientifiques suisses pourront prendre part à droits égaux à tous les programmes de recherche européens. Jusqu'à présent, ils pouvaient uniquement se joindre à des programmes existants, mais ne pouvaient en lancer directement.

· L'accord sur les marchés publics offrira la possibilité à chacune des Parties de soumissionner pour les appels d'offres de l'autre Partie.

· L'accord ayant trait à la reconnaissance mutuelle en matière de conformité de divers produits industriels lève les obstacles techniques au commerce. Il s'agit de faciliter les échanges de produits industriels entre la Suisse et l'UE par la reconnaissance mutuelle des rapports d'essais, des certifications, des marques et des déclarations de conformité.

Sur ces points, votre Rapporteure a souhaité signaler les commentaires de l'Institut européen de l'Université de Genève2 : « Autre important potentiel de développement économique, la région (le Genevois) intéresse des entreprises de haute technologie aux produits à forte valeur ajoutée. L'accord bilatéral sur la coopération scientifique et technologique et celui sur la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité devraient renforcer l'attractivité de notre région pour des entreprises de ce secteur (le plus souvent des PME). Mais plus encore, ce sera l'ouverture du marché du travail qui permettra le cas échéant à ce secteur de se développer. En effet, les diplômés suisses dans ces secteurs sont en nombre insuffisant pour satisfaire une demande croissante et les quotas de permis de travail pour des nouveaux travailleurs étrangers sont épuisés par les besoins de main-d'_uvre générés par la croissance des entreprises déjà présentes dans la région. C'est ainsi à nouveau l'accord relatif à la libre circulation des personnes qui devrait pour ce secteur être le facteur le plus décisif. »

3) Deux accords relativement équilibrés

· L'accord sur l'agriculture répond principalement aux revendications de certains milieux agricoles communautaires.

Des concessions tarifaires ont été échangées concernant les produits laitiers, les spécialités de viande, certains fruits et légumes, l'horticulture. Un grand nombre de produits communautaires bénéficieront ainsi d'un accès préférentiel au marché suisse. Une libéralisation totale des échanges est prévue dans le secteur des produits laitiers. Concernant les fromages, le marché suisse sera complètement ouvert après cinq ans puisque tous les droits de douane seront supprimés, sauf pour le Roquefort, le Camembert, le Reblochon et le Cantal qui entreront en Suisse en franchise de tous droits à l'importation dès l'entrée en vigueur de l'accord. Les Suisses, quant à eux, pourront exporter leurs fromages à pâte molle beaucoup plus facilement qu'aujourd'hui, les droits de douane étant actuellement élevés. S'il est vrai qu'à la suite de la crise de la fièvre aphteuse, les autorités suisses avaient instauré différentes mesures de protection sanitaire identiques d'ailleurs à celles arrêtées au niveau communautaire (interdiction d'importer du fromage au lait cru en provenance du Royaume-Uni, d'Irlande, des Pays-Bas et des départements français de la Mayenne, de l'Orne, de la Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis et du Val d'Oise), ces mesures ont été assouplies le 23 mai 2001 pour les produits laitiers français. Seule est maintenue, pour toute importation en Suisse de fromages au lait cru venant de France, l'obligation de présenter un certificat sanitaire garantissant une plus grande traçabilité de ces produits et assurant, en particulier, qu'ils ne proviennent pas du Royaume-Uni ou des Pays-Bas.

Au total, il semble que le volume de commerce soit nettement en faveur de l'UE puisqu'il représente plus de 550 millions d'euros. Il ne s'agit toutefois pas d'un démantèlement du protectionnisme helvétique, la Suisse est encore loin d'une adhésion à la PAC (Politique agricole commune).

· L'accord sur les transports aériens semble profiter essentiellement à la Suisse puisque la compagnie nationale Swissair bénéficiera de la libéralisation du marché aérien, c'est-à-dire de nouvelles possibilités de desserte notamment en France et en Espagne, en dépit des réticences de ces pays il faut le souligner.

Toutefois depuis est apparue une interrogation liée aux difficultés rencontrées par Swissair et dont les incidences sur l'accord sectoriel sont la grande inconnue. A ce titre, le Gouvernement nous annonce que, dans la perspective de l'entrée en vigueur prochaine de l'accord, la Commission européenne a demandé aux autorités fédérales de lui transmettre les informations nécessaires à l'examen de la conformité au droit communautaire des aides publiques accordées pour la reprise de Swissair par Crossair, et que les autorités helvétiques ont répondu à cette demande le 22 octobre dernier. Le Gouvernement précise également que, dans le cadre de l'accord sectoriel relatif aux transports aériens, la Suisse reconnaîtra à la Commission un droit de surveillance et de contrôle en matière de concurrence (concentrations, abus de position dominante, ententes, aides d'Etat).

Il n'y a cependant aucune mention sur la gêne et les ennuis qu'entraînera inévitablement pour le Chablais le développement de l'aéroport de Genève. A nouveau votre Rapporteure souhaite citer l'Institut européen de l'Université de Genève : «... la présence d'un aéroport international à Genève fait que l'accord bilatéral sur le transport aérien aura un impact plus important sur notre région que sur d'autres cantons suisses dépourvus d'une telle infrastructure. Il est cependant à noter que contrairement à l'accord sur la libre circulation des personnes pour lequel les bénéficiaires sont des individus dont le comportement ne peut être modélisé qu'avec une part d'incertitude non négligeable, les acteurs du secteur du transport aérien sont peu nombreux, et leurs comportements relativement prévisibles. Il est ainsi à souligner que les stratégies de développement récentes du principal opérateur suisse dans le domaine du transport aérien ont conduit à une relative dévalorisation de l'aéroport international de Genève pour ce qui est de l'offre de destinations existantes à partir de Genève. Sans que des concurrents ne puissent, en raison du mode intergouvernemental et bilatéral de développement des lignes aériennes, combiné à la place particulière de Swissair dans la législation et les processus décisionnels au niveau fédéral, développer des prestations concurrentes.

« En conséquence, une plus grande libéralisation du trafic aérien devrait logiquement conduire au développement de nouvelles liaisons aériennes au départ de Genève. D'un point de vue de la concurrence relative au sein de la Suisse, cette évolution devrait profiter plus à l'aéroport de Genève qu'aux deux autres places aéroportuaires suisses : Bâle, qui en raison de sa situation géographique et de son statut particulier profite déjà largement d'une intégration dans l'espace juridique communautaire. Et Zurich, qui d'une part est l'actuel bénéficiaire du protectionnisme exercé au bénéfice de Swissair par la Confédération et d'autre part est proche de son seuil critique de développement sans investissement infrastructurel lourd (actuellement ralenti par des actions de la population voisine de l'aéroport). »

4) Deux accords complexes et délicats

· L'accord sur les transports terrestres est un peu plus complexe.

Actuellement, les liaisons terrestres entre la région lyonnaise et la Ruhr par exemple doivent contourner la Suisse dont les dispositions en matière de circulation des poids lourds sont restrictives. Le trafic poids lourds, très polluant, se fait donc essentiellement par la France puisque seuls les camions de 28 tonnes sont autorisés à transiter par la Suisse.

L'accord prévoit d'abolir progressivement la limite des 28 tonnes pour les poids lourds circulant en Suisse. A partir du 1er janvier 2001, on devait passer à 34 tonnes et un contingent d'autorisations à 40 tonnes devait être accordé pour une période transitoire de cinq ans (jusqu'en 2005).

Dès l'entrée en vigueur du régime définitif, les camions de 40 tonnes seront admis moyennant une redevance (redevance poids lourds liée aux prestations ou RPLP) payée par les transporteurs routiers et calculée sur le poids total du véhicule et son niveau de pollution, rapportés au nombre de kilomètres parcourus. L'accord bilatéral autorise ainsi une redevance routière sur le trafic transit estimée à 200 euros par voyage en moyenne. La Suisse a donc fait passer sa conception selon laquelle les camions doivent être taxés en fonction de leur degré de pollution. En outre, l'importance de cette redevance risque d'avoir un caractère dissuasif chez les transporteurs et de maintenir un fort contournement du territoire helvétique.

Par ailleurs, une initiative adoptée par le peuple suisse le 20 février 1994 et devenue article 36 sexies de la Constitution oblige le Gouvernement suisse à transférer dans les dix ans le trafic de marchandise de la route au rail. Deux consultations populaires en 1998 ont approuvé le principe d'une offre ferroviaire performante (capacités de transport suffisante et concurrentielle par rapport à la route) qui nécessite la construction de deux tunnels ferroviaires (celui du Lötschberg pour 34 km et celui du Gothard pour 57 km) dont le coût est évalué à au moins 25 milliards d'euros. Pour des raisons géologiques, celui du Lötschberg est déjà retardé d'un an...

S'agissant des garanties que l'on est en droit de demander concernant la construction de ces tunnels, le Gouvernement nous annonce que la Suisse et l'UE se sont engagées respectivement à construire des nouvelles lignes ferroviaires alpines (c'est le projet NLFA dit également « Alptransit ») qui utiliseront ces deux tunnels.

Par ailleurs, le Comité mixte, que l'accord sectoriel sur les transports terrestres prévoit de mettre en place, sera chargé du suivi de la construction de ces infrastructures. S'agissant des dates, le projet « Alptransit » prévoit la construction du tunnel du Lötschberg à l'horizon de 2007 et celle du tunnel du Gothard à l'horizon de 2012.

En revanche, les modalités précises de financement et de mise en _uvre de la NLFA ne figurent pas dans l'accord mais dans un schéma de financement approuvé par le référendum de 1998, ce qui est avancé comme une garantie sérieuse.

Enfin, le projet « Alptransit » est couplé au projet « Rail 2000 » comprenant l'amélioration du réseau ferroviaire helvétique, le raccordement de la Suisse au réseau TGV et des mesures de protection contre le bruit occasionné par le transport ferroviaire. Ce projet global ainsi constitué devrait être financé à hauteur de 55 % par le produit de cette redevance poids lourds liée aux prestations, liant ainsi la construction des deux tunnels ferroviaires directement à l'entrée en vigueur de l'accord sectoriel sur les transports terrestres.

· L'accord sur la libre circulation assurera la libre circulation des personnes (travailleurs et leur famille, indépendants, personnes inactives) entre la France et la Suisse conformément aux règles de l'acquis communautaire et sur la base de la réciprocité.

Il accorde les mêmes conditions de vie, d'emploi, de séjour et de travail aux ressortissants de la Communauté et à ceux de la Suisse sur le territoire de chacune des Parties que celles qui sont accordées aux ressortissants nationaux (article 1er).

Il accorde les droits fondamentaux suivants :

- droit d'entrer (article 3),

- droit de résider (articles 4 et 6),

- droit de travailler (article 4),

- droit de s'établir comme indépendant (articles 4, 12 et suivants de l'annexe I),

- droit à un régime de sécurité sociale (article 8).

Ces droits fondamentaux sont fondés sur les principes de l'égalité de traitement et de la non-discrimination en fonction de la nationalité (article 2).

Il prévoit le droit d'acquérir une propriété immobilière (f de l'article 7).

Il prévoit la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres afin de faciliter l'accès aux activités salariées ou indépendantes (article 9).

La liberté de circulation des personnes sera progressivement étalée sur une période de douze ans (article 10).

Les modalités d'exercice des droits précédemment mentionnés permettant la libre circulation des personnes sont définies à l'annexe I : droit à la mobilité professionnelle et géographique (changement d'employeur, d'emploi ou de profession et changement de lieu de travail et de séjour) pour les travailleurs salariés ou non (cf. articles 8 et 14 de l'annexe I) et fin du titre de séjour pour les salariés, notamment les travailleurs frontaliers, engagés pour une période d'une durée inférieure à trois mois (cf. article 6 de l'annexe I).

Les modalités d'application du régime de sécurité sociale sont fixées à l'annexe II. Il est prévu l'extension au territoire suisse de l'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. En fait on applique le principe conforme à l'acquis communautaire d'une affiliation au régime fédéral de couverture maladie pour l'ensemble des travailleurs exerçant en Suisse, y compris les travailleurs frontaliers. Tout en conservant la possibilité de dérogations afin de tenir compte de la spécificité nationale de chaque Etat membre.

Les actes communautaires pertinents (directives) que les Parties contractantes s'engagent à appliquer dans le domaine de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles sont précisés à l'annexe III.

Selon les dispositions finales, l'accord est conclu pour une période initiale de sept ans, la reconduction est tacite et pour une période indéterminée sauf avis contraire des Parties (article 25). Il s'agit de permettre éventuellement l'organisation d'un nouveau référendum en Suisse sur la prolongation des accords. Votre Rapporteure est cependant d'avis que l'on encourage ainsi la Suisse à ne jamais adhérer à l'UE.

II. UN COMPROMIS DÉSÉQUILIBRÉ À L'AVANTAGE DE LA SUISSE

A. Les raisons qui militent pour une ratification

Le contenu de l'accord lui-même n'est pas inintéressant à terme, c'est-à-dire dans douze ans. Pour les ressortissants européens et français en particulier, c'est la fin des permis d'emplois délivrés en fonction des disponibilités éventuelles constatées dans les différentes branches professionnelles. Cet accord facilitera l'accès des travailleurs français au marché de l'emploi suisse en supprimant peu à peu tout contingentement. Est-il besoin de rappeler que le taux de chômage en Suisse est inférieur à 2 % et qu'il y a 74 000 Français - dont 35 000 pour la seule Haute-Savoie - qui travaillent en Suisse et qui pour l'instant sont obligés de regagner quotidiennement leur domicile en France ? Cet accord leur autorisera un retour hebdomadaire et permettra également la coordination des systèmes de sécurité sociale et notamment le maintien des droits acquis et la totalisation des périodes de cotisation.

Plus généralement, les sept accords provoqueront une intensification de la coopération et des échanges notamment avec la France, ce qui devrait être bénéfique pour toutes les Parties en particulier dans les régions frontalières.

Pour la France, l'accord sur les transports terrestres est loin d'être négligeable en termes de bénéfices dans la mesure où il devrait permettre de soulager le trafic poids lourds dans la vallée de Chamonix.

B. Des concessions plus importantes de la part de la France

1) Une fausse réciprocité

Si le compromis est clair pour la citoyens suisses et peut être résumé en une phrase, il est beaucoup plus complexe et déséquilibré pour les ressortissants de l'UE dans la mesure où des dispositions transitoires relativisent les avantages de cet accord pour les Etats membres de l'UE.

Pour les citoyens suisses, deux ans après l'entrée en vigueur des accords, ils pourront bénéficier du total libre établissement au sein de l'UE et de tous les droits et obligations qui y sont liés.

Pour les ressortissants de l'UE, ils devront attendre douze ans après l'entrée en vigueur des accords pour obtenir les mêmes droits d'établissement que les citoyens suisses dans l'UE. Peut-on dans ces conditions parler de réciprocité ?

Dans une première phase, la Suisse pourra maintenir pendant les cinq ans suivants l'entrée en vigueur de l'accord des limitations quantitatives concernant l'accès à une activité économique. Cependant, le nombre de titres de séjour délivrés ne pourra être inférieur au niveau des statistiques actuelles de présence de travailleurs communautaires sur le territoire suisse (15 000 pour les séjours d'une durée égale ou supérieure à un an et 115 500 pour les séjours d'une durée comprise entre quatre mois et un an). L'avancée réside donc dans le fait que les permis de travail, au lieu d'être délivrés pour un an comme c'est le cas actuellement, le seront pour cinq ans. En outre ils ne seront plus accordés pour un emploi donné dans un canton précis mais permettront une mobilité professionnelle au sein des zones frontalières. Enfin, la condition d'un séjour préalable de six mois dans la zone frontalière pour obtenir un permis de travail frontalier disparaîtra.

De plus, au plus tard après deux ans, la priorité donnée aux travailleurs indigènes et les contrôles discriminatoires des contrats de travail seront supprimés.

Pour les ressortissants de l'UE dits de courte durée (ayant cotisé pendant six mois), l'accord assurera le même traitement que les nationaux pour les allocations de chômage, les primes de formation et de reconversion (le montant est estimé à un minimum de 200 millions d'euros par année à la charge de la Suisse). L'accord prévoit également une libéralisation partielle et temporelle (maximum quatre-vingt-dix jours) de la prestation des services (cas d'un artisan français qui se rend en Suisse pour réparer une machine).

Dans une deuxième phase, dès la sixième année, la Suisse introduit le libre établissement des personnes. Au cours de cette période d'essai d'une durée de sept ans, la Suisse garde la possibilité de réintroduire, de manière unilatérale, des contingents, en cas de problèmes d'immigration (supérieure à 10 % de la moyenne des trois années précédentes), ce qui lui offre la possibilité de limiter l'accroissement éventuel du nombre de nouveaux titres de séjour délivrés permettant l'accès à une activité économique.

En outre, sept ans après la mise en vigueur des accords bilatéraux, la Suisse aura la possibilité de confirmer la reconduction de l'accord (cf. dispositions finales) et ainsi de remettre en cause de façon unilatérale le principe du libre établissement. Cela signifie qu'il sera éventuellement possible que la question d'une libéralisation ultérieure soit soumise à une votation populaire tout en courant le risque que l'UE dénonce alors l'ensemble des accords bilatéraux (cf. le fait que si un des accords est dénoncé, l'ensemble des sept accords cesse d'être en vigueur dans les six mois qui suivent).

Ce n'est que dans une troisième phase, au bout de douze ans, que la Suisse appliquera le même droit que l'UE et passera au libre établissement total, avec toutefois une clause de sauvegarde consensuelle.

Sans compter avec le fait que, sur le plan intérieur, la Suisse a dû accorder des concessions aux syndicats et à certaines tendances politiques en introduisant des législations contre le dumping social (mesures contre les travailleurs détachés, introduction éventuelle de salaires minimums dans les cantons frontaliers, extension partielle et facilitée des conventions collectives de travail). Toutes ces mesures ont pour objectif d'éviter un vote négatif lors d'un éventuel référendum sur cette question mais auront surtout pour effet de limiter l'établissement effectif de ressortissants de l'UE sur le territoire de la Confédération et de restreindre la flexibilité du marché du travail suisse. La Suisse ne se trompe pas sur l'intérêt de cet accord lorsque l'Institut européen de l'Université de Genève écrit : « L'entrée en vigueur de ces accords permet à Genève de maîtriser, en collaboration avec les autorités locales et régionales voisines, les conditions-cadre de son développement économique, dans le contexte européen, à un niveau encore jamais atteint. Il convient donc de se saisir des opportunités offertes par ces accords et de développer les outils analytiques, prospectifs et décisionnels permettant à tous les acteurs de la région de maximiser, en partenariat, l'utilisation des ressources existantes pour garantir un développement équilibré de la région dans son ensemble ».

Maigre consolation, ces dispositions transitoires ne s'appliqueront pas aux travailleurs salariés et indépendants qui, au moment où le texte entre en vigueur, sont déjà autorisés à exercer une activité économique sur le territoire de la Partie contractante. Il n'y aura donc pas de limitation quantitative opposable aux travailleurs frontaliers français actuels qui jouiront à terme de l'ensemble des droits liés à la libre circulation des personnes.

2) La fin du libre choix de la couverture sociale pour les travailleurs frontaliers

Conformément à la règle communautaire, l'accord prévoit que l'affiliation se fera au régime du pays d'emploi, y compris pour les travailleurs frontaliers, et que des dérogations (les résidents frontaliers qui travaillent en Suisse peuvent choisir entre le système suisse d'assurance maladie et celui de leur pays de résidence) afin de tenir compte de la spécificité nationale de chaque Etat membre sont possibles, à la condition que l'Etat membre exerce son droit d'option.

Malheureusement, le Gouvernement n'a pas eu la présence d'esprit de demander à exercer son droit d'option (ou ne l'a pas jugé nécessaire), ne tenant ainsi pas compte des besoins spécifiques des travailleurs frontaliers français et les obligeant à adhérer au régime général suisse. A la suite des réactions de contestation, fort justifiées d'ailleurs, de leurs représentants et des élus locaux notamment, le Gouvernement a annoncé en juin 2001 son intention de demander l'exercice de ce droit d'option dès l'entrée en vigueur de l'accord. Votre Rapporteure craint cependant que ces belles promesses ne soient pas tenues, comme à l'accoutumée. Chacun sait que la ratification d'un accord vaut application de tous les termes de l'accord et combien il est difficile ensuite de revenir sur tel ou tel point. D'où la nécessité de l'inscription d'une clause générale de révision au bout de trois ans.

Souhaitant apaiser cette crainte, le Gouvernement annonce qu'il demandera l'exercice de ce droit d'option au Comité mixte compétent (créé par l'accord sectoriel sur la libre circulation) immédiatement après l'entrée en vigueur de l'accord, laissant ainsi la possibilité aux frontaliers qui en feront la demande de ne pas adhérer au régime fédéral suisse d'assurance maladie. Les autorités suisses ont déjà indiqué à plusieurs reprises que cette demande ne rencontrerait aucune difficulté de leur part et, à cette fin, se sont montrées disposées à réunir le Comité mixte aussi rapidement que possible après l'entrée en vigueur de l'accord. Ainsi, aux termes de celui-ci, l'ouverture du droit d'option sera d'application immédiate après la décision du Comité mixte.

Mais, si le choix est laissé aux frontaliers d'opter entre le régime suisse et le régime français, un nouveau problème surgit. En France, la loi sur la CMU exclut du régime général les travailleurs frontaliers actifs (l'article 83 exclut sur critère de résidence les travailleurs frontaliers actifs qui résident en France et qui ont la faculté d'être affiliés à un régime d'assurance maladie dans l'Etat où ils exercent leur activité, si cette affiliation leur permet d'obtenir la couverture des soins reçus en France).

Toutefois un dispositif transitoire est prévu à l'article 19 de la loi CMU en faveur des frontaliers affiliés au régime de l'assurance personnelle au 31 décembre 1999. Ces personnes peuvent, sauf refus de leur part, être affiliées au régime général sous condition de résidence jusqu'au 30 septembre 2002.

Par ailleurs, en 1976 avait été mis en place un système d'assurance privée pour pallier les carences de la convention franco-suisse de sécurité sociale et répondre aux besoins des frontaliers. Ce système n'a pas coûté un centime aux Etats. Depuis lors, pour 75 % des travailleurs frontaliers qui résident en France et travaillent en Suisse la couverture maladie est ainsi dispensée au premier franc par des opérateurs privés d'assurance (auparavant il n'existait pas de régime d'assurance maladie en Suisse).

Ils pourront conserver leur liberté de choix entre le régime d'assurance suisse, le régime de base français et les couvertures offertes par les compagnies d'assurance françaises. Sauf pour les frontaliers retraités au titre du droit suisse que l'on appelle les « rentiers ». La majeure partie d'entre eux se fait soigner en Suisse avec une couverture privée. S'ils ne peuvent plus choisir leur couverture, ils seront contraints de se faire soigner uniquement en France. Ils sont représentés par le Groupement transfrontalier européen d'Annemasse.

Il n'en demeure pas moins que, dans sept ans, les frontaliers devront aussi opter pour la CMU, c'est-à-dire une protection sociale au titre du droit français. Ce qui est certes favorable à l'Etat français mais réduit la liberté de choix de ces personnes qui depuis le 1er janvier 2000 et la généralisation de la CMU étaient les seules à bénéficier d'une assurance privée au premier franc. Si le Gouvernement nous affirme que « ce dispositif répond, pour l'essentiel, aux demandes de la grande majorité des associations de frontaliers », on aurait pu cependant conserver le libre choix d'assurance (régime général suisse, régime général français, assurance auprès d'une compagnie privée) jusqu'à l'adhésion totale et effective de la Suisse à l'UE.

3) Les griefs fondés des élus locaux

Les élus locaux en Haute-Savoie (qui est contiguë avec les cantons de Vaux, du Valais et de Genève), dans l'Ain (bassin bellegardien et pays de Gex, l'aéroport de Cointrin -Genève- a été aménagé pour partie en France à Ferney-Voltaire) et la Franche-Comté ont bien perçu toutes les conséquences néfastes et très concrètes que cette série d'accords va générer au niveau local. Ils ont surtout fortement regretté l'absence d'information préalable et de concertation s'agissant des négociations qui ont porté sur ces conventions bilatérales.

Le développement harmonieux et équilibré de la région que ces élus ont su établir risque d'être fortement remis en cause par cet accord.

Ainsi, la Haute-Savoie par exemple ne souhaite en aucune manière devenir la « banlieue de Genève ». Des tensions sont déjà apparues sur le marché foncier et du logement : depuis 1998 les ressortissants suisses peuvent légalement s'établir sur le territoire français mais l'annonce de la signature de cet accord a provoqué un afflux important de travailleurs à fort pouvoir d'achat provoquant une forte hausse du coût de la vie.

Que va-t-il se passer lorsque les ressortissants des quatorze autres Etats membres vont venir s'installer en France pour travailler en Suisse ? Comment réussira-t-on à faire respecter la loi française alors qu'elle a déjà été bafouée par certaines familles étrangères (la famille royale d'Arabie Saoudite, du Qatar, etc.) qui ont réussi à obtenir des permis de construire au bord du lac Léman pour y édifier des propriétés dont l'aspect extérieur est loin de s'intégrer aux constructions savoyardes traditionnelles alentours, et ce au mépris de la loi sur le littoral4 ?

Comment va-t-on financer les nouvelles infrastructures nécessaires à ces personnes ? Plus particulièrement, pourquoi a-t-on annulé purement et simplement la construction de l'autoroute qui devait relier Annemasse à Saint-Gingolph, et ainsi désengorger la vallée de Chamonix ? Alors que le réseau routier du Chablais est complètement asphyxié, l'Etat ne semble pas prêt à s'engager financièrement puisqu'il a déjà refusé de construire cette autoroute. Fera-t-il à nouveau de même au moment ou le besoin en nouvelles écoles, en installations sportives et autres infrastructures se fera sentir ?

Comment va-t-on réussir à sauvegarder une main-d'_uvre formée en France et qui déjà actuellement s'échappe vers l'eldorado suisse ? La pénurie qui sévit actuellement dans le domaine de la santé risque fortement de s'étendre à d'autres secteurs puisqu'à peine formés, les jeunes partiront en Suisse. D'ores et déjà, les horlogers du Jura sont extrêmement inquiets car ils ne trouvent plus personne à embaucher.

En restant hors de l'UE, la Suisse conserve sa monnaie. Quel sera alors l'impact des fluctuations en zone frontalières entre le franc suisse et l'euro ?

A certaines de ces questions, le Gouvernement répond que le Conseil d'Etat a annulé la Déclaration d'Utilité Publique de la section Annemasse-Thonon du projet d'autoroute Annemasse-Thonon-Saint-Gingolph en mars 1997 en raison du coût trop élevé de l'opération au regard des avantages attendus.

En outre, des études ont été menées, ainsi qu'une consultation des élus et des milieux socio-économiques et associatifs pour définir un schéma de désenclavement du Chablais. L'Etat, la région et le département sont convenus d'affecter 1 200 millions de francs à ce projet entre 2000 et 2006.

S'agissant du financement des dépenses d'infrastructures et de formation supportées par les collectivités locales où résident des frontaliers, le canton de Genève continuera d'y participer en alimentant les « fonds frontaliers » à proportion du nombre de ressortissants français travaillant dans le canton.

En définitive, les ministères compétents, en liaison avec les préfectures et les collectivités locales concernées, s'engagent à suivre attentivement la mise en _uvre et l'impact de ces accords sectoriels sur les territoires frontaliers français de manière à ce que l'Etat puisse prendre toutes les mesures nécessaires afin de corriger d'éventuels déséquilibres. A cet effet, le Comité régional franco-genevois a décidé de mettre en place un observatoire statistique dont les rapports seront examinés par un groupe de travail ad hoc composé d'élus locaux et de représentants de l'Etat.

CONCLUSION

Si les craintes suisses liées à la mise en _uvre de ces sept accords sectoriels sont fondées et concernent essentiellement des questions de dumping social, de nuisances pour la population provoquées par un plus fort trafic poids lourds, de « recentralisation » au niveau fédéral de certaines compétences cantonales ou encore une certaine intrusion par ce biais des « grands pays » dans la marche des affaires nationales, les concessions notamment françaises sont sans commune mesure, et, après tout, la Suisse ne saurait continuer à passer des accords à finalité économique avec l'UE sans en devenir un partenaire à part entière.

Les contraintes imposées aux pays de l'Europe de l'Est sont bien plus draconiennes. La Suisse procède en outre par chantage puisqu'elle conditionne la poursuite de négociations en parallèle sur un projet de directive européenne sur la fiscalité de l'épargne qui devrait être adopté à la fin 2002 et auquel la France est très attachée. Cet accord prévoit de demander à la Suisse d'imposer l'argent des ressortissants des Quinze déposé en Suisse selon le système de l'agent payeur (impôt prélevé dans l'établissement bancaire servant d'intermédiaire) et non plus selon le système suisse plus laxiste de l'agent débiteur (impôt retenu au siège des sociétés émettant un emprunt).

Si au final ces sept accords soulèvent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses, votre Rapporteure est convaincue que la solution serait de persuader le peuple suisse d'adhérer à l'UE et regrette de ne pouvoir subordonner l'adoption par le Parlement du présent projet de loi autorisant la ratification de l'accord sur la libre circulation à l'inscription d'une clause générale de révision au bout de trois ans. En effet la Suisse estimant qu'au bout de deux ans elle doit jouir de tous les avantages de cet accord, le terme de trois ans pour une clause générale de révision permettant une évaluation s'avère indispensable.

Toutefois, il paraît également indispensable, avant de soumettre la ratification du présent projet de loi au vote de notre Assemblée, d'obtenir des réponses à nos questions. C'est pourquoi la Commission des Affaires étrangères devrait surseoir à tout vote dans l'attente d'obtenir ces réponses. Votre Rapporteure, à titre personnel, ne peut en effet émettre un avis favorable sans qu'une clause générale de révision au bout de trois ans ait été acceptée. Celle-ci permettrait une évaluation indispensable pour le bien de deux pays amis.

Au vu de ces considérations, votre Rapporteure s'en remet à la sagesse de la Commission des Affaires étrangères et de ses commissaires.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 6 novembre 2001, sur le rapport de Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Après l'exposé de la Rapporteure, le Président François Loncle a cité le cas de la Norvège comme exemple de pays qui, comme la Suisse, souhaite profiter de tous les avantages de l'Union européenne, sans y adhérer. Il a appelé de ses v_ux une conviction européenne plus forte afin de susciter ces adhésions.

M. Paul Dhaille a estimé qu'il ne pouvait voter en faveur d'un accord par trop déséquilibré au détriment de l'Union européenne et dont le contenu pose problème. Il a regretté que notre diplomatie ait fait preuve d'autant de faiblesse face aux exigences des Suisses.

M. Joseph Parrenin a estimé que pour connaître le sentiment des Suisses à l'égard d'une éventuelle adhésion à l'Union européenne, il était préférable de prendre en compte les résultats très serrés du référendum d'adhésion à l'Espace économique européen (EEE) plutôt que ceux du référendum de mars dernier, organisé par des adversaires de l'Union.

Il a déclaré partager les critiques de la Rapporteure sur le caractère déséquilibré de cet accord. Il a rappelé que l'attraction exercée par la Suisse sur les Français désavantageait certaines entreprises françaises frontalières, même si cela avait pour corollaire un taux de chômage très bas dans des régions, de l'ordre de 3 ou 4 %.

Il a insisté sur l'importance que représentait pour les frontaliers la possibilité de pouvoir continuer à bénéficier d'une protection sociale française et de ne pas être obligés d'adhérer aux assurances suisses. Ces assurances obligatoires sont de création récente et elles n'ont pas encore fait leur preuve.

M. Marc Reymann a souhaité connaître l'opinion des associations des travailleurs frontaliers qui constituent une force d'expression importante en Alsace.

Rappelant l'importance que revêtent aux yeux des travailleurs frontaliers ces questions d'adhésion obligatoire au régime de sécurité sociale suisse, Mme Bernadette Isaac-Sibille a proposé que la Commission des Affaires étrangères insiste auprès du Gouvernement pour qu'il prenne les mesures qui s'imposent en la matière.

M. Pierre Brana, Président, a proposé de reporter le vote de la Commission dans l'attente d'informations complémentaires de la part du Gouvernement.

Conformément à cette proposition, la Commission des Affaires étrangères a décidé de reporter son vote sur le présent projet de loi.

Au cours de sa réunion du 20 novembre 2001, la Commission a poursuivi l'examen du présent projet de loi, en entendant d'abord M. Pierre Moscovici, Ministre délégué chargé des Affaires européennes, sur les accords sectoriels entre l'Union européenne et la Suisse.

Le Président François Loncle a rappelé que c'était la deuxième fois que la Commission des Affaires étrangères se réunissait pour examiner le contenu de cette convention sur la libre circulation des personnes. Un premier examen avait suscité un certain nombre d'interrogations et demandes d'informations complémentaires auxquelles M. Pierre Moscovici se propose de répondre.

M. Pierre Moscovici a tout d'abord rappelé qu'à la suite de l'échec du référendum de décembre 1992 et du gel de la candidature de la Confédération helvétique à l'Union, la Suisse et l'UE avaient engagé de nouvelles négociations, en décembre 1994, dans un nombre limité de domaines. Celles-ci ont abouti à la signature de sept accords à Luxembourg, le 21 juin 1999. Le projet de loi de ratification de l'accord relatif à la libre circulation des personnes, qui conditionne l'entrée en vigueur des six autres, a été adopté par le Sénat, le 11 octobre dernier, à l'unanimité moins deux voix.

Le contenu de ces accords étant connu de tous, il a estimé plus utile de se concentrer sur quelques points essentiels, notamment afin de répondre à un certain nombre d'interrogations apparues lors de la réunion de la Commission des Affaires étrangères du 6 novembre dernier. Si elles semblent légitimes, un examen sérieux et approfondi des accords permet, toutefois, de montrer qu'ils ne comportent pas les défauts qui leur sont reprochés.

En premier lieu, certains se sont demandés si ces accords n'étaient pas déséquilibrés, s'ils ne faisaient pas la part trop belle à nos voisins helvétiques. Il est exact que même si ces accords reposent sur le principe de réciprocité, ils comprennent certaines dispositions qui ne sont pas parfaitement identiques pour les deux parties, mais il ne faut pas pour autant juger l'accord « déséquilibré ». Certaines différences, outre qu'elles sont toujours limitées et temporaires, se justifient par les différences objectives de situation entre une Union de 370 millions d'habitants et un Etat enclavé, qui ne compte qu'un peu moins de 7 millions de citoyens.

Ainsi, au titre des dispositions transitoires de l'accord sur la libre circulation des personnes, la Suisse pourra maintenir, pendant les cinq années suivant l'entrée en vigueur du texte, des limitations quantitatives concernant l'accès à une activité économique. Il convient de signaler toutefois qu'elle n'aura pas le droit de fixer un seuil inférieur aux statistiques actuelles, et que ces limitations ne sont pas opposables aux travailleurs déjà autorisés à exercer une activité en Suisse. Par la suite, après la cinquième année et jusqu'à douze années après l'entrée en vigueur de l'accord, les autorités suisses auront la faculté, si elles le souhaitent, de limiter l'accroissement éventuel du nombre de nouveaux titres de séjour délivrés.

Cette asymétrie s'explique évidemment par la différence de poids démographique entre l'UE et la Suisse, et par le fait qu'un plus grand nombre de citoyens de l'UE demandent à s'installer en Suisse que l'inverse. Après la suppression des contingents, il est normal que la Suisse ait la possibilité, pendant un certain temps, de mettre en _uvre une clause de sauvegarde afin de contrôler un éventuel afflux massif de migrants - ce n'est pas le plus probable, mais nul ne connaît l'avenir et notamment l'effet de cet accord sur les mouvements migratoires. Au-delà de cette période, ne trouverait plus à s'appliquer qu'une clause de sauvegarde, cette fois-ci réciproque, pour les cas de « difficultés sérieuses d'ordre économique ou social ».

Contrairement à certaines interprétations, le texte de l'accord contient des clauses de révision et de dénonciation qui s'appliquent dans les mêmes conditions à l'Union et à la Suisse. L'Union, comme la Suisse, peut ainsi dénoncer l'accord à tout moment sous la réserve d'un préavis de six mois, les seules différences à cet égard tenant aux règles internes propres aux deux parties. On ne peut donc dire que la Suisse jouit seule du droit de remettre en cause les accords unilatéralement.

Pour terminer sur ce point, M. Pierre Moscovici a souhaité insister sur un fait essentiel, et à son avis un peu perdu de vue. Comme rappelé initialement, ces accords font suite au gel, imposé par les électeurs suisses, de la candidature de la Suisse à l'Union. Leur objet consiste fondamentalement à élargir à la Suisse, malgré tout, une partie de l'acquis communautaire. D'ailleurs, en pratique, on sait bien que notre voisin sera conduit, dans ces différents domaines, non seulement à reprendre l'acquis actuel, mais aussi à se conformer aux développements futurs du droit européen, sauf exception. A cet égard, l'effort d'adaptation apparaît donc plus grand de la part de la Confédération que de l'Union.

Il ne faut donc pas seulement regarder la ligne d'arrivée mais se souvenir du point de départ de chacun. A cette aune, la balance, si elle doit pencher, ne le fait pas toujours du côté que l'on croirait de prime abord. Naturellement, chaque partie, chaque Etat membre, attache plus ou moins d'intérêt à tel ou tel de ces sept accords, mais ils forment un tout équilibré et indissociable.

En second lieu, et en fait cette critique prolonge la première, certains se sont interrogés sur le risque, en concédant graduellement aux Suisses tous les avantages liés à l'appartenance à l'Union, d'affaiblir l'incitation à y adhérer.

Tout d'abord, M. Pierre Moscovici a estimé que l'on ne pouvait faire cette lecture des accords ; ils entraînent également de nouvelles contraintes pour la Suisse. Ensuite, il a souligné que ces accords s'inscrivaient dans une stratégie globale de rapprochement progressif de la Suisse et de l'Union européenne, et que l'un de ces objectifs était bien de faciliter l'adhésion de la Suisse à l'Union.

Une remarque est essentielle à cet égard. L'on ne saurait préjuger de l'avenir et des choix fondamentaux que fera le peuple suisse. L'hypothèse d'une nouvelle candidature ne sera de toute façon pas examinée avant plusieurs années, a priori plutôt à la fin de la législature suisse 2003-2007. Dans ces conditions, il nous appartient d'améliorer autant que possible nos rapports au quotidien avec un pays qui est un de nos plus proches voisins et un de nos principaux partenaires économiques. Au surplus, M. Pierre Moscovici a estimé que la meilleure manière de convaincre la population de la Confédération de l'opportunité de l'adhésion de celle-ci à l'Union était de l'acclimater à cette perspective, de lui montrer les avantages de la coopération européenne, en même temps que de démythifier et parfois, de « dédiaboliser » l'Union et son fonctionnement aux yeux d'une partie d'entre elle. L'Histoire peut faire son chemin ainsi.

Il ne s'agit pas de « forcer » la Suisse à adhérer à l'Union, ce qui pourrait d'ailleurs avoir l'effet inverse du but recherché, mais de l'y inciter positivement.

Enfin, le Ministre a voulu revenir sur une difficulté rencontrée par la ratification de cet accord dans notre pays, une difficulté, certes réelle, mais aujourd'hui derrière nous et qu'on ne peut plus mettre en avant. Il s'agit du dossier de l'assurance-maladie des travailleurs frontaliers. La solution que le Gouvernement a trouvée par la concertation, et que le Ministre a exposée lors de l'examen du projet de loi au Sénat, constitue un compromis satisfaisant entre les règles communautaires, les principes qui fondent notre sécurité sociale nationale et les revendications de nombreux travailleurs frontaliers. En attestent les réactions positives des associations, qui demandent à l'Assemblée nationale de ratifier dans les mêmes termes que le Sénat, et des élus concernés : ils saluent, en particulier, la possibilité reconnue aux frontaliers d'être assurés, comme aujourd'hui, auprès de la compagnie privée de leur choix, pendant une période de sept ans.

C'était une question importante et épineuse. Le choix fait au départ n'avait rien d'absurde ; il était cohérent avec l'objet de ces accords qui, comme il a été dit, consiste à rapprocher la Suisse de la norme européenne. Or, en l'espèce, la règle communautaire est bien celle de l'affiliation dans le pays d'emploi. Mais le Gouvernement a entendu les revendications des personnes concernées et pris ses responsabilités ; et ce n'est pas un secret de dire que la formule finalement retenue par le Premier ministre, à la demande de M. Pierre Moscovici, s'écarte de la position défendue par le ministère principalement concerné. Il ne serait donc pas sensé, maintenant, d'en demander plus que les intéressés eux-mêmes.

Ces accords entre l'UE et la Suisse constituent donc des avancées précieuses et prometteuses, qu'il faut s'efforcer de mettre en _uvre le plus rapidement possible, dans l'intérêt de l'Union européenne, de la France et de ses régions frontalières - à cet égard, M. Pierre Moscovici a rappelé qu'il était lui-même élu d'une circonscription frontalière avec la Suisse. Notre pays compte, avec la Belgique et l'Irlande, parmi les trois derniers Etats membres à n'avoir pas ratifié l'accord de libre circulation des personnes. Le moment est maintenant venu de le faire, et dans le souci de faire partager cette conviction à tous les commissaires, le Ministre s'est dit prêt à répondre à leurs questions.

Le Président François Loncle a informé la Commission de l'intention du groupe UDF de déposer une motion d'ajournement sur ce texte.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a rappelé que lors de sa réunion du mardi 6 novembre dernier consacrée à l'examen du projet de loi autorisant la ratification de l'accord entre l'Union européenne et la Suisse sur la libre circulation des personnes, la Commission des Affaires étrangères avait décidé de reporter sa décision sur cet accord car celui-ci pose une série de questions sur lesquelles M. Pierre Moscovici a apporté des réponses qui ne fournissent pas d'explications.

La première question est la suivante : cet accord est-il équilibré entre l'Union européenne et la Suisse ?

La deuxième est : au sein des concessions faites par l'Union européenne, la répartition entre les Etats membres a-t-elle été équitable ? En toute franchise, la Rapporteure a dit avoir quelques doutes ; les intérêts de la France ont été mal défendus. Le sentiment est très net que tant les populations frontalières que les collectivités territoriales, notamment du Pays de Gex et du Chablais, ont été tout simplement oubliées ou sacrifiées, et que ces accords vont avoir des conséquences en cascade dont personne ne mesure les graves effets.

La troisième est une question de fond. Cet accord constitue-t-il un premier pas de la Suisse dans la bonne direction, c'est-à-dire vers l'adhésion à l'Union européenne que la Rapporteure souhaite ou bien l'inverse, nombreux étant ceux qui pensent que les Suisses ayant désormais obtenu tous les avantages des Etats membres refuseront définitivement l'adhésion puisqu'ils seront obligés d'accepter ces contraintes. De plus, la Communauté européenne a signé un accord avec l'Europe des Quinze, quelle sera son attitude avec l'élargissement de l'Europe dont elle devra accepter les ressortissants ? C'est pourquoi le vote de la Commission des Affaires étrangères devrait dépendre de l'assurance de l'inscription d'une clause générale de révision au bout de trois ans.

Ce sont les trois questions essentielles qui doivent déterminer notre vote sur cet accord.

M. Pierre Moscovici a estimé avoir répondu aux interrogations de la Rapporteure même si ses arguments ne l'ont pas convaincue. Un accord qui n'est pas identique de part et d'autre n'est pas forcément un accord déséquilibré, en raison notamment de la différence démographique entre les Parties. Il a déclaré assumer les négociations de cet accord sur lequel il a passé beaucoup de temps. Les frontaliers attendent sa ratification. Le Sénat l'a déjà autorisée à une majorité de 317 voix contre 2.

Il est heureux que le Parlement ne demande pas pour rédiger ses rapports le temps que l'on accorde pour préparer une thèse : le rythme de l'activité législative en serait considérablement ralenti.

Il est impossible aujourd'hui de modifier cet accord, il faut l'accepter ou le refuser. La question du lien entre ces accords et l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne est une bonne question. Certains estiment qu'ils peuvent s'y substituer, d'autres qu'ils la préparent. Dans tous les cas, ils traduisent que la porte reste ouverte pour une future adhésion. Il faudrait au demeurant s'interroger si la France souhaite l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne.

La ratification de cet accord est attendue avec impatience par les Suisses, le retard pris dans la procédure a suscité un grand émoi à Berne. La sagesse est de l'approuver.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a remercié le Ministre d'avoir enfin accédé aux désirs des associations de travailleurs frontaliers en permettant à ces derniers pendant encore sept années de pouvoir choisir entre les différentes options d'assurance maladie. Mais elle a regretté toutefois que ce libre choix ne figure pas dans la convention elle-même, signifiant ainsi que cela restera au bon vouloir des Ministres qui lui succéderont.

Le Président François Loncle s'est félicité du dialogue entre le Ministre Pierre Moscovici et la Rapporteure. Il a estimé que les arguments du Ministre sont de nature à justifier l'adoption de cet accord, même si les appréhensions de la Rapporteure étaient légitimes.

Après l'audition de M. Pierre Moscovici, la Commission a repris, sur le rapport de Mme Bernadette Isaac-Sibille, l'examen du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (n° 3329).

Mme Bernadette Isaac-Sibille a insisté sur le fait qu'elle n'était pas contre le principe d'autoriser la ratification de cet accord mais qu'elle estimait nécessaire de retarder cette adoption dans l'attente de disposer de toutes les informations nécessaires à une étude approfondie.

L'enthousiasme des Suisses à faire voter cette série d'accords est en effet inquiétant. Beaucoup de parutions en Suisse, en particulier celles de l'Institut européen de l'Université de Genève, ont produit énormément de documentation sur ces accords alors qu'en France une seule source de renseignement est disponible, et il s'agit de la thèse d'un étudiant qui se penche sur la question depuis maintenant dix-huit mois alors que le Parlement ne dispose que de trois semaines.

Par ailleurs, si un seul accord est soumis au vote du Parlement, il y en a également six autres dont les avantages pour la Suisse sont indéniables. En ratifiant cette série de sept accords, on ne mesure absolument pas les inconvénients pour les régions frontalières qui vont en découler en cascade.

La Rapporteure a également souligné que la Suisse n'adhérera jamais à l'Union européenne étant donné que la votation, qui est la base de sa démocratie, ne pourra jamais être acceptée par l'UE dans le cas d'une adhésion de la Suisse, or celle-ci ne renoncera jamais à la votation. Avec ces accords, on offre ainsi à la Suisse les avantages de l'UE sans que celle-ci cotise au budget européen. Si l'on veut ratifier ces accords, il apparaît donc indispensable d'introduire une clause générale de révision au bout de trois ans. Si nous sommes « suissophiles », nous sommes également « europhiles » et chacun doit trouver sa place dans le respect des spécificités de l'autre.

C'est pourquoi la Rapporteure s'en est remise à la sagesse de la Commission des Affaires étrangères et de ses commissaires.

M. Pierre Brana s'est déclaré convaincu par les arguments du Ministre. Il a demandé quelles étaient les associations qui se sont déclarées contre l'accord et sur quels arguments.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a répondu qu'une association de frontaliers s'était prononcée pour et qu'en revanche plusieurs autres étaient violemment contre.

M. Joseph Parrenin a rappelé que les réserves qu'il avait pu exprimer sur cette convention lors de la précédente séance étaient justifiées non par des clauses de cet accord mais en raison de certains manques. Cette convention est de nature à améliorer certaines situations mais pas toutes. Les associations des frontaliers se sont exprimées en ce sens.

Il a rappelé que les grandes formations politiques suisses étaient favorables à l'adhésion à l'Union européenne, mais que le peuple suisse y était réticent. La pression foncière existe et continuera d'exister, avec ou sans cet accord. En revanche, cet accord ouvre la possibilité d'étendre la zone de résidence des travailleurs frontaliers, ce qui est positif pour la France.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a tenu à souligner que lors du référendum d'initiative populaire organisé le 4 mars 2001 intitulé « Oui à l'Europe », le non l'avait emporté à plus de 76 %.

M. Joseph Parrenin a répondu que le référendum en question n'avait pas été soutenu par les formations politiques et qu'il avait recueilli une très faible participation. Il ne peut donc être considéré comme représentatif.

M. Bernard Bosson a déclaré qu'il votera contre cette convention.

Il a regretté tout d'abord l'indifférence dans laquelle cet accord a été négocié. Ce contexte explique le triomphe de la diplomatie suisse sur le contenu de ce texte.

Il a estimé ensuite qu'il était inconcevable, dès lors que l'on avait de cette convention une conception d'accord de partenariat, que l'on fasse porter les contraintes davantage sur une Partie que sur l'autre.

Enfin, il a prédit que l'adoption de cet accord ferait resurgir à moyen terme une atmosphère dangereuse entre Français et Suisses en Haute-Savoie. En effet, en permettant aux travailleurs suisses et frontaliers européens travaillant en Suisse de s'installer librement en France, cet accord va conduire à une flambée des prix sur l'immobilier. Les Français ne pourront pas suivre et devront reculer devant cette nouvelle forme de colonisation, ce qui attisera les ressentiments.

M. Bernard Bosson aurait souhaité pour cette convention l'introduction de paliers quantitatifs pour éviter ce brutal déséquilibre.

M. Charles Ehrmann a rappelé qu'il existait une opposition entre la Suisse romande et alémanique. Il a estimé que la Suisse avait pour stratégie de bénéficier des avantages de l'Union européenne sans vouloir y entrer. L'intérêt de la France est à l'évidence de retarder cet accord.

La Commission a adopté le projet de loi (n° 3329).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 3329).

ANNEXE I :
CARTE DE LA SUISSE ET DES RÉGIONS FRONTALIÈRES FRANÇAISES

ANNEXE II :
TABLEAUX RELATIFS à la situation juridique des frontaliers

(Source : Evaluation de l'impact des accords bilatéraux,
Institut européen de l'Université de Genève, avril 2000)

ANNEXE III :
ÉCHANGE DE LETTRES AVEC LE
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

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1 www.naef.ch

2 Evaluation de l'impact des accords bilatéraux, Institut européen de l'Université de Genève, avril 2000

3 En application de l'article 8 de la loi du 27 juillet 1999 portant création de la CMU (art. L.380-3, 3° du code de la sécurité sociale), ne peuvent relever de la CMU « les personnes résidant en France qui, au titre d'une activité professionnelle exercée par elles-mêmes ou par un membre de leur famille sur le territoire d'un Etat étranger, ont la faculté d'être affiliés à titre volontaire à un régime d'assurance maladie, conformément à la législation de cet Etat, si cette affiliation leur permet d'obtenir la couverture des soins reçus sur le territoire français ».

4 Loi 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.


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