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le 26 novembre 2001

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N° 3400

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES(1) SUR LA PROPOSITION DE LOI de M. Alain BOCQUET (n°  3370) tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans,

PAR M. Alain BOCQUET,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Retraites : généralités

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; M. Jean-Michel Dubernard, M. Jean-Paul Durieux, M. Maxime Gremetz, M. Édouard Landrain, vice-présidents ; Mme Odette Grzegrzulka, M. Denis Jacquat, M. Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; M. Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux-Bacquet, M. Léo Andy, M. Didier Arnal, M. André Aschieri, M. Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Pierre Baeumler, M. Pierre-Christophe Baguet, M. Jean Bardet, M. Jean-Claude Bateux, M. Jean-Claude Beauchaud, Mme Huguette Bello, Mme Yvette Benayoun-Nakache, M. Serge Blisko, M. Patrick Bloche, M. Alain Bocquet, Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Jean-Claude Boulard, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Christine Boutin, M. Jean-Paul Bret, M. Victor Brial, M. Yves Bur, M. Alain Calmat, M. Pierre Carassus, M. Pierre Cardo, Mme Odette Casanova, M. Laurent Cathala, M. Jean-Charles Cavaillé, M. Bernard Charles, M. Michel Charzat, M. Jean-Marc Chavanne, M. Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, M. René Couanau, Mme Martine David, M. Bernard Davoine, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Marcel Dehoux, M. Jean Delobel, M. Jean-Jacques Denis, M. Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, M. Guy Drut, M. Jean Dufour, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Yves Durand, M. Christian Estrosi, M. Michel Etiévant, M. Claude Evin, M. Jean Falala, M. Jean-Pierre Foucher, M. Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, M. Germain Gengenwin, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Marie Geveaux, M. Jean-Pierre Giran, M. Michel Giraud, M. Gaétan Gorce, M. François Goulard, M. Gérard Grignon, M. Jean-Claude Guibal, M. Francis Hammel, M. Pierre Hellier, M. Michel Herbillon, Mme Françoise Imbert, Mme Muguette Jacquaint, M. Serge Janquin, M. Jacky Jaulneau, M. Patrick Jeanne, M. Armand Jung, M. Bertrand Kern, M. Christian Kert, M. Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, M. Jacques Lafleur, M. Robert Lamy, M. Pierre Lasbordes, M. André Lebrun, M. Michel Lefait, M. Maurice Leroy, M. Patrick Leroy, M. Michel Liebgott, M. Gérard Lindeperg, M. Lionnel Luca, M. Patrick Malavieille, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Marius Masse, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, M. Didier Mathus, M. Jean-François Mattei, M. Pierre Menjucq, Mme Hélène Mignon, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, M. Renaud Muselier, M. Philippe Nauche, M. Henri Nayrou, M. Alain Néri, M. Yves Nicolin, M. Bernard Outin, M. Dominique Paillé, M. Michel Pajon, M. Vincent Peillon, M. Bernard Perrut, M. Pierre Petit, M. Jean-Luc Préel, M. Jacques Rebillard, M. Alfred Recours, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont, M. Yves Rome, M. Jean Rouger, M. Rudy Salles, M. André Schneider, M. Bernard Schreiner, M. Patrick Sève, M. Michel Tamaya, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, Mme Marisol Touraine, M. Anicet Turinay, M. Jean Ueberschlag, M. Jean Valleix, M. Alain Veyret, M. Philippe de Villiers, M. Philippe Vuilque, Mme Marie-Jo Zimmermann.

INTRODUCTION 7

I.- MALGRÉ L'EMPILEMENT DES DISPOSITIFS DE CESSATION ANTICIPÉE D'ACTIVITÉ, LA SITUATION DES TRAVAILLEURS ÂGÉS RESTE INSATISFAISANTE 9

A. LES DISPOSITIFS DE CESSATION ANTICIPÉE D'ACTIVITÉ 9

1. Le développement des systèmes de pré-retraite depuis 1972 9

2. Les dispositifs en vigueur 11

B. LA SITUATION DES TRAVAILLEURS ÂGES : EXCLUSION ET INÉGALITÉS 14

1. La fragilité de l'emploi des plus de 50 ans 14

2. Les inégalités devant l'espérance de retraite 15

3. Loin du compte : l'allocation équivalent retraite 16

II.- LA RETRAITE À TAUX PLEIN POUR LES SALARIÉS AYANT COTISÉ QUARANTE ANNUITÉS AVANT D'ATTEINDRE L'ÂGE DE 60 ANS 19

A. LES PERSONNES CONCERNÉES 19

Témoignages 21

B. LES CONDITIONS D'APPLICATION DE LA MESURE 24

1. La retraite à 60 ans : un droit acquis 24

2. Conditions d'application de la mesure proposée 26

AUDITIONS DU RAPPORTEUR 29

TRAVAUX DE LA COMMISSION 31

INTRODUCTION

Le groupe communiste a décidé d'utiliser la matinée qui lui est réservée pour soumettre à l'Assemblée nationale une proposition de loi courte, simple mais forte : l'ouverture du droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans.

Aujourd'hui, en France, 815 000 personnes âgées de 50 à 59 ans totalisent 160 trimestres de cotisation à l'assurance vieillesse sans avoir atteint l'âge de 60 ans. La moitié de ces personnes est concernée par des dispositifs de cessation anticipée d'activité qui assurent une transition d'un à trois ans avant le départ en retraite. Les plus jeunes sont nées en 1951, les plus âgées en 1942.

Permettre aux personnes qui totalisent 160 trimestres d'assurance de partir à la retraite sans attendre l'âge de 60 ans serait une mesure de justice élémentaire, sans que cela remette en question la garantie du droit à la retraite à taux plein à 60 ans pour tous, ni la nécessité de revenir aux 37 ans et demi de cotisation ainsi qu'au régime des dix meilleures années abrogés par la réforme de 1993, dite « Balladur ».

En effet, les caractéristiques des populations concernées sont notoires. Il s'agit de personnes qui ont commencé à travailler entre 14 et 16 ans et qui ont connu les conditions de travail les plus dures et, souvent, les plus précaires. Peu qualifiées, elles ont touché de petits salaires. Pour les hommes nés dans les années 1943 à 1947, ils ont connu la guerre d'Algérie.

Il s'agit de générations qui ont contribué à rendre riche la France d'aujourd'hui. Ce n'est pas pour autant qu'elles ont été épargnées par les crises successives des années 1970 et 1980. Elles ont même, en général, été concernées par les vagues massives de licenciement dans des secteurs tels ceux de l'automobile, la métallurgie, la sidérurgie, la construction navale et le textile.

En outre, les conditions de travail qui furent les leurs ont été génératrices de nombreuses maladies professionnelles dont un nombre non négligeable est resté méconnu pendant des années ; cela alors même que les intéressés sont globalement moins bien couverts contre le risque maladie que d'autres catégories socioprofessionnelles.

Dans leur majorité, ces personnes usées par le travail, bénéficient d'une espérance de vie après 60 ans moins longue que beaucoup de catégories.

Par ailleurs, elles appartiennent à des classes d'âge qui ne bénéficient guère de formation professionnelle puisque le retour sur investissement est considéré comme trop peu rentable lorsqu'il concerne la formation des travailleurs âgés. Ces travailleurs vivent alors de forts sentiments de dévalorisation et d'humiliation car ils voient qu'ils sont considérés comme dépassés au sein des entreprises ou hors du circuit économique et du monde du travail.

Il est temps de mettre un terme à cette situation.

Cela d'autant plus que le départ en retraite de ces personnes aurait un impact positif sur l'économie en libérant des emplois.

I.- MALGRÉ L'EMPILEMENT DES DISPOSITIFS DE CESSATION ANTICIPÉE D'ACTIVITÉ, LA SITUATION DES TRAVAILLEURS ÂGÉS RESTE INSATISFAISANTE

A. LES DISPOSITIFS DE CESSATION ANTICIPÉE D'ACTIVITÉ

1. Le développement des systèmes de pré-retraite depuis 1972

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a conduit un travail approfondi sur le thème de l'exclusion du travail des salariés âgés, l'historique présenté ici en est inspiré.

Les fins de carrière des salariés du secteur privé et des entreprises nationales depuis le début des années soixante-dix ont été tributaires du contexte économique et de l'évolution de la réglementation des préretraites. Entre les contraintes liées au marché du travail et celles portant sur l'âge minimal de liquidation des retraites, les sorties précoces d'activité ont progressé vers le chômage, la préretraite ou l'inactivité.

Les années soixante-dix voient un recul rapide de l'âge de cessation d'activité dans le secteur privé. Dès 1972, une garantie de ressources licenciement (GRL) est instituée par un accord interprofessionnel ; le salarié licencié après 60 ans bénéficie d'un revenu de remplacement égal à 70 % de son dernier salaire jusqu'à son départ à la retraite. En 1977, la garantie de ressources licenciement est étendue aux chômeurs indemnisés, tandis qu'une garantie de ressources démission est mise en place pour les salariés âgés de 60 ans ou plus.

Avec la forte montée du chômage du début des années 1980 et la réforme de 1982 sur l'abaissement de l'âge légal de la retraite (effective en 1983 en application de l'ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982 relative à l'abaissement de l'âge de la retraite des assurés du régime général et des assurances sociales des régimes agricoles), le cumul emploi-retraite est interdit et les sorties anticipées d'activité se déplacent, entre 55 et 59 ans.

Les garanties de ressources licenciement et démission qui concernent les 60 ans et plus seront supprimées après l'entrée en vigueur de l'abaissement de l'âge de la retraite. Mais, dès 1980, le dispositif des allocations spéciales du Fonds national pour l'Emploi (FNE) est réactivé : il permet aux salariés âgés de 56 ans et deux mois (55 ans par dérogation et même à partir de 50 ans dans le cas de la convention sociale de la sidérurgie), licenciés pour raisons économiques, de partir en préretraite avec un revenu de remplacement identique à celui des bénéficiaires de la garantie de ressources. Ce dispositif est rationalisé en 1983 avec des conditions sensiblement resserrées ; il est pris en charge financièrement par l'Etat aux termes de l'accord du 24 février 1984.

La prise en charge des départs anticipés conditionnés par de nouvelles embauches est instauré en 1982 avec les contrats de solidarité démission ou de préretraite progressive pour les salariés âgés de 55 ans et plus. Ces contrats, très coûteux, seront supprimés rapidement. Ce principe sera repris en 1995 dans un contexte de nouvelle aggravation du chômage, avec la création par les partenaires sociaux (accord interprofessionnel de septembre 1995) de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) à la charge de l'UNEDIC. Ce dispositif est limité aux salariés du secteur privé qui totalisent quarante années d'assurance à un ou plusieurs régimes de retraite et des embauches nouvelles doivent compenser les départs.

Les difficultés de réinsertion des chômeurs âgés conduisent l'UNEDIC à instaurer, à partir de 1985, un nouveau dispositif qui s'apparente à une nouvelle forme de préretraite : les chômeurs âgés de 57 ans et demi indemnisés par le régime de l'assurance chômage sont dispensés de recherche d'emploi ; la mise en place de la dégressivité de l'allocation et le raccourcissement des durées d'indemnisation ne concernent pas les chômeurs âgés de plus 55 ans et 3 mois.

Les dispositifs de préretraite depuis 1972

 

72

77

80

82

83

85

90

92

96

99

Tranches d'âge

graphique
GR-licenciement

                   

60-64 ans

graphique
GR-démission

60-64 ans

graphique
ASFNE

56 ou 50 ans

graphique
CS-démission

> 55 ans

graphique
CS-retraite progressive

> 55 ans

graphique
Dispense de recherche d'emploi

> 57,5 ou 55 ans

graphique
PPR

>55 ans

graphique
ARPE

> 58 ans

Lecture : GR : Garantie de ressources ; ASFNE : allocation spéciale du fonds national pour l'emploi ; CS : contrat de solidarité ; PRP : préretraite progressive ; ARPE : allocation de remplacement pour l'emploi.

A la fin des années 80 et au début des années 90, avec la reprise de la croissance et celle de l'emploi, on s'oriente vers une réduction du recours aux mesures d'âge et des mesures sont prises en faveur de l'emploi des travailleurs âgés. En 1987, est instituée la contribution Delalande, versée à l'Unedic en cas de licenciement d'un salarié âgé de plus de 55 ans. Avec le contrat de retour à l'emploi (CRE), l'embauche d'un chômeur de longue durée âgé de 50 ans ou plus entraîne une exonération définitive des cotisations patronales de sécurité sociale. En 1992, la contribution Delalande est fortement majorée et l'âge minimum à partir duquel elle est applicable est abaissé à 50 ans contre 55 auparavant.

Cependant, ces mesures n'empêchent pas le développement des cessations anticipées d'activité. Pour la majorité des salariés, la retraite est alors précédée d'une période sans emploi, qu'il s'agisse de chômage, de préretraite, de période d'invalidité ou de maladie de longue durée ou d'autres formes d'inactivité.

Le tableau suivant concerne la situation professionnelle des individus avant le départ en retraite en 1996. En %

 

Hommes

Femmes

Emploi

45,3

41,8

Chômage

13,5

17,7

dont : indemnisé

12,9

16,2

Préretraite

32,0

21,2

Autres formes d'inactivité

9,2

19,3

au foyer

0,3

8,4

invalidité, longue maladie

8,9

10,9

Ensemble

100

100

Champs : générations nées entre 1992 et 1936 ayant occupé un emploi après 49 ans.

2. Les dispositifs en vigueur

Selon une étude de la DARES réalisée en février 2000 l'écart entre l'âge de fin d'activité et l'âge de la retraite s'accroît. Cet écart est, pour les salariés nés entre 1932 et 1936, de 2,5 ans : il correspond à une cessation d'emploi vers 57 ans et demi pour une liquidation de retraite vers 60 ans. Dans la même période, on estimait à 202 600 le nombre des bénéficiaires des dispositifs de transition entre activité et retraite.

Le tableau suivant énumère ces dispositifs ainsi que leurs caractéristiques.

 

Bénéficiaires et âge minimal

Principales conditions

Initiatives et accords requis

Allocations et ressources

Remarques

Effectifs

Coût

Allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE)

UNEDIC

- Salarié d'une entreprise affiliée à l'assurance chômage

- 58 ans (salariés nés en 1942 ou avant), 56 ou 57 ans (début de carrière avant 15 ou 16 ans et 168 trim. Validés), 55 ans (172 trim.)

- Salariés : 160 trimestres validés à l'assurance vieillesse au minimum

- Embauche compensatrice (CDI sauf exception)

- Contribution financière de l'entreprise

Initiative du salarié/Assedic

- Accord express de l'employeur

- 65 % du salaire de référence (12 derniers mois)

- Min. : 170 F./jour au 1er janvier 2001

Convention conclue au plus tard le 1er janvier 2003 (salariés nés en 1942 ou avant)

88 000

10 MdF

(budget 2001)

Préretraite du FNE (AS-FNE)

Etat

- Salarié d'une entreprise du secteur marchand

- 57 ans (56 à titre dérogatoire)

Projet de licenciement économique et impossibilité du reclassement

- Salarié : au moins 10 ans d'activité (dont 1 an dans l'entreprise concernée)

- Convention préalable entre l'entreprise et la DDTEFP

- Adhésion volontaire du salarié à la convention

65 % du salaire de référence, puis 50 % sur la part entre 1 et 2 plafonds de la sécurité sociale

- Min. : 170 F./jour au 1er janvier 2001

- versement jusqu'à 60 ans et 160 trimestres validés

Dispositif réservé aux entreprises en très grande difficulté, aux PME mettant en _uvre un plan social, aux entreprises dans des bassins d'emploi en difficulté

90 000

4,8 MdF (1999)

2,230 MdF

budget 2001

Préretraite progressive

(PRP)

Etat

- Salarié d'une entreprise du secteur marchand

- 55 ans (ou davantage selon convention)

- Projet de licenciement économique (ou non

- Embauche compensatrice (ou non)

- Salarié : au moins 10 ans d'activité (dont 1 an dans l'entreprise concernée)

- Convention préalable entre l'entreprise et la DDTEFP

- Adhésion volontaire du salarié à la convention

- Avenant au contrat du salarié

- 30 % du salaire de référence, puis 50 % sur la part entre 1 et 2 plafonds de la sécurité sociale

- Min. : 85 F./jour au 1er janvier 2001

- versement jusqu'à 60 ans et 160 trimestres validés

Passage possible de la PRP à l'ARPE

39 000

1, 419 MdF

2001

 

Bénéficiaires et âge minimal

Principales conditions

Initiatives et accords requis

Allocations et ressources

Remarques

Effectifs

Coût

Allocation chômeur âgé

(ACA)

Unedic

- Chômeur indemnisé au titre du régime de base (AUD)

Pas d'âge minimal

Chômeur : 160 trimestres validés à l'assurance vieillesse

Démarche volontaire du chômeur/Assedic

AUD à taux plein

- Versement jusqu'à 60 ans

Plus d'entrées à compter du 1er janvier 2002

114 580

nd

Allocation spécifique d'attente (ASA)

Unedic

- chômeur indemnisé au titre du régime de solidarité (ASS) ou allocataire du RMI

- Pas d'âge minimal

Chômeur ou Rmiste : 160 trimestres validés à l'assurance vieillesse

- Démarche volontaire: Assedic (allocataire ASS) ou/CAF ou MSA (allocataire du RMI)

- allocation : 1 750 F./mois

- Montant minimal des ressources totales : 5 000F./mois

 

21 565

5,24 MdF

Cessation anticipée d'activité (CATS)

Branche, entreprise, Etat

- Salariés ayant, dans certaines conditions, soit, travaillé à la chaîne, en équipe successives, de nuit ou qui sont handicapés

- 55 ans ( participation financière de l'Etat au plus tôt à 57 ans)

- Employeurs : ceux qui passés à 35 h; appartiennent à des accords de branche ayant conclu un accord national spécifique

- Salarié : catégories éligible déterminées chaque année par l'entreprise (postes pénibles, difficultés d'adaptation)

- Contribution financière totale de l'entreprise jusqu'à 57 ans, majoritaire au-delà

- Accord professionnel de branche puis accord d'entreprise

- Adhésion volontaire du bénéficiaire

- Convention entreprise/Unedic et Etat/Unedic

- Avenant au contrat du salarié

- 65 % du salaire de référence, puis 50 % sur la part entre 1 et 2 plafonds de la sécurité sociale (idem AS-FNE)

- Versement jusqu'à 60 ans et 160 trimestres validés ou jusqu'à 60 ans

- indemnité de mise à la retraite

La participation financière de l'Etat va de 20 % ( adhésion à 55 ans) à 50 % (adhésion à 57 ans ou plus)

Un rappel dans l'entreprise peut être envisagé par l'accord de branche

6 387

4 MdF 2001

B. LA SITUATION DES TRAVAILLEURS ÂGES : EXCLUSION ET INÉGALITÉS

1. La fragilité de l'emploi des plus de 50 ans

Au cours des deux dernières décennies, les taux d'activité des hommes au-delà de 50 ans ont baissé d'un tiers, passant de 50 % en 1976 à 34 % en 1998. Du fait de l'allongement de la longévité et de la baisse du taux d'activité des quinquagénaires et des sexagénaires, les taux d'activité des 50-54 ans sont restés quasiment inchangés sur cette période, légèrement supérieurs à 90 %. En revanche, ils ont reculé d'un cinquième entre 55 et 59 ans (passant de 83 à 67 %). La baisse des taux d'activité est massive après 60 ans : entre 60 et 64 ans, l'activité a été divisée par un facteur supérieur à trois, ne touchant plus que 15 % des hommes et, au-delà de 65 ans, l'activité est devenue très marginale (4 % entre 65 et 69 ans).

Evolution de la structure des emplois occupés (salariés) selon la catégorie socioprofessionnelle

En %

 

Ensemble

< 50 ans

50-54 ans

55-59 ans

60-64 ans

1982

∙Cadres

∙Professions intermédiaires

∙ Employés

∙ Ouvriers

8,8

21,8

31,0

38,4

11,9

20,7

30,7

36,7

10,8

20,8

28,8

39,6

12,5

21,1

30,7

35,8

14,3

19,0

35,4

31,3

1990

∙Cadres

∙Professions intermédiaires

∙ Employés

∙ Ouvriers

11,4

22,6

32,2

33,8

14,8

22,4

30,2

32,6

14,8

23,7

28,3

33,2

13,3

21,4

30,5

34,8

19,2

17,7

38,1

25,0

1998

∙Cadres

∙Professions intermédiaires

∙ Employés

∙ Ouvriers

13,4

23,3

33,0

30,3

19,3

24,2

30,4

26,1

17,9

25,4

30,3

26,4

20,6

23

29,5

26,9

25,5

18,2

36,1

20,2

Sources : Enquête emploi de 1982, 1990 et 1998, INSEE

Les salariés de plus de 50 ans sont, en dépit du dispositif Delalande qui vise à faire payer une charge financière supplémentaire aux employeurs qui se séparent de travailleurs âgés, les plus concernés par le licenciement. Lorsqu'ils sont au chômage, ils sont, plus que les autres, menacés par le chômage de longue durée, lequel a recommencé à croître.

Ainsi, alors que l'ancienneté moyenne au chômage est de 14 mois pour les hommes et de 15,2 mois pour les femmes, parmi les chômeurs de plus de 50 ans, l'ancienneté est de 25 mois pour les hommes et de 23,7 mois pour les femmes. De même, si l'on considère la proportion de chômeurs de longue durée dans le chômage, la moyenne tous âges confondus se situe à 37,1 pour les hommes et 39,1 pour les femmes. Pour les plus de 50 ans, ces chiffres sont de 59,8 pour les hommes et 58,3 pour les femmes.

Enfin, les plus âgés sont moins concernés que la moyenne par l'accès aux stages de formation. Les plus de 45 ans représentent 26,2 % des bénéficiaires de stages alors qu'ils constituent 34,4 % de la population active. Ce décalage est encore plus accentué pour les femmes, puisque seulement 8,4 % des stagiaires sont des femmes de 45 ans alors que cette catégorie constitue 15,5 % des actifs.

Les entreprises semblent considérer que le retour sur l'investissement formation n'est pas rentable au-delà d'un âge situé entre 40 et 50 ans.

2. Les inégalités devant l'espérance de retraite

Il est courant de dire que la retraite n'est que le miroir de ce qu'ont été les années d'activité. A cet égard, dans la France d'aujourd'hui, ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt sont, pour la plupart, confrontés au risque de mourir les plus jeunes. C'est dire que leurs années de retraites sont moins nombreuses que pour d'autres catégories socioprofessionnelles.

Espérance de retraite par catégories socioprofessionnelles

     

Hommes

Espérance de vie à 60 ans

« Espérance de retraite »*

Cadres, professions libérales

22,5

21

Agriculteurs exploitants

20,5

18,5

Professions intermédiaires

19,5

17,5

Artisans, commerçants, chefs d'entreprise

19,5

17,5

Employés

19

16

Ouvriers

17

14,5

Ensemble (y compris ceux qui n'ont jamais travaillé)

19

16

*Espérance de vie au-delà de 60 ans pour une personne de 20 à 60 ans prise au hasard.

Parmi les hommes, les cadres et les membres des professions libérales ont l'espérance de vie la plus longue, suivis des agriculteurs puis des membres des professions intermédiaires. Les employés sont dans la moyenne, les artisans, commerçant et chefs d'entreprise en sont proches. Les ouvriers sont les plus défavorisés, particulièrement les ouvriers non qualifiés. Ainsi, les ouvriers ont, à 35 ans, une espérance de vie inférieure de six ans et demi à celle des cadres et membres des professions libérales : 38 ans contre 44,5 ans. Les décès d'ouvriers entre 30 et 75 ans sont supérieurs de 18 % à la moyenne. A l'inverse, pour les cadres et les membres des professions libérales, les décès dans cette tranche d'âge sont inférieurs de 40 % à la moyenne.

Si la position sociale n'est pas figée une fois pour toute, elle demeure assez stable. Parmi les hommes de 30 à 49 ans, plus de 60 % appartenaient en 1990 au même groupe socioprofessionnel qu'en 1982.

Les différences de mortalité observées sont dues à plusieurs facteurs. Certains tiennent aux conditions d'exercice du métier, plus ou moins pénible ou dangereux. D'autres sont d'ordre socioculturel : comportements individuels (tabagisme, alcool), habitudes alimentaires, accès aux soins. Les ouvriers sont ainsi particulièrement exposés à certaines tumeurs du larynx ou du pharynx, ils sont aussi plus souvent mal assurés contre le risque maladie.

Par ailleurs, le chômage accroît les risques de mortalité. Sur la période 1982-1987, les hommes au chômage avaient, à âge égal, une mortalité deux à trois fois plus forte que les hommes ayant un emploi à cette même date. L'interaction du chômage sur la santé joue dans les deux sens : un homme en mauvaise santé a plus de risque de se retrouver au chômage ; à l'inverse, la santé peut être altérée par le chômage. Celui-ci peut être temporaire mais les allers et retours entre le chômage et l'emploi peuvent se multiplier. Parmi les hommes de 30 à 49 ans, 55 % de ceux qui étaient chômeurs en 1982 occupaient un emploi en 1990, mais trois sur dix étaient de nouveau chômeurs et un sur sept inactif. Il faut enfin rappeler que la montée du chômage touche en premier les individus les moins qualifiés ou les plus fragiles.

3. Loin du compte : l'allocation équivalent retraite

Au cours de la séance du 26 octobre dernier, l'Assemblée nationale a adopté, sur l'initiative du Gouvernement, un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 instituant une garantie de ressources minimum pour les demandeurs d'emploi ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage et qui justifient d'au moins 160 trimestres validés avant 60 ans. Cette garantie de ressources devait être constituée d'une allocation spécifique de solidarité complétée par une allocation spécifique d'attente forfaitaire.

Conscient des risques d'annulation de cette mesure par le Conseil constitutionnel en raison de son absence de rapport avec l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, le Gouvernement a fait adopter, au cours de la séance du 6 novembre 2001, par l'Assemblée nationale, un texte différent dans le cadre de la loi de finances pour 2002 (après l'article 70). Ce nouveau dispositif, qui rédige l'article L. 351-10-1 du code du travail, remplace et annule le précédent.

Le Gouvernement a indiqué que l'amendement reprenait le dispositif adopté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale en le simplifiant. Il fusionne, dans une allocation spécifique nommée « allocation équivalent retraite », les deux constituants ASS majorée et ASA, pour mieux l'identifier par rapport à ses attributaires, l'ASS bénéficiant, par ailleurs, à d'autres chômeurs dans une situation différente qui n'ont pas cotisé quarante ans pour leur retraite.

L'allocation à taux plein est au moins équivalente à l'ASS à taux plein majorée, augmentée de l'ASA. Un décret en Conseil d'Etat doit fixer les plafonds de ressources ouvrant droit à l'allocation, qui sera versée de façon dégressive jusqu'à un plafond de 9 000 francs pour une personne seule et de 13 000 francs pour un couple.

Ces plafonds sont relevés par rapport à ceux qui figurent dans l'amendement du Gouvernement adopté en PLFSS − respectivement 7 300 et 12 000 francs − qui auraient produit un effet de seuil trop important. Avant la réforme, ces plafonds étaient respectivement de 70 et 110 fois le montant journalier de l'ASS, soit 6 013 et 9 449 francs. L'allocation équivalent retraite sera donc une allocation spécifique.

Le Gouvernement a, en outre, estimé que l'allocation équivalent retraite devrait toucher plus de personnes que le premier dispositif et leur offrir une garantie de ressources supérieure au régime antérieur de l'ASA.

A la question posée par M. Maxime Gremetz sur le nombre de bénéficiaires, Mme la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle a répondu que les « personnes autorisées » envisageaient 50 000 bénéficiaires dans un premier temps et 100 000 dans une deuxième étape.

Cette mesure, si elle est positive, ne répond pas pleinement au problème posé, ne serait-ce que par le trop petit nombre insuffisant de personnes concernées.

II.- LA RETRAITE À TAUX PLEIN POUR LES SALARIÉS AYANT COTISÉ QUARANTE ANNUITÉS AVANT D'ATTEINDRE L'ÂGE DE 60 ANS

A. LES PERSONNES CONCERNÉES

Il est clair que les dispositifs de pré-retraite ne répondent pas aujourd'hui à la situation des travailleurs âgés. En particulier, à ceux qui relèvent de la solidarité alors qu'ils ont acquis une durée de droits à la retraite suffisante, ils laissent un sentiment d'injustice et d'incompréhension.

Les personnes entrées dans la vie active alors qu'elles étaient jeunes (14 ou 16 ans) au cours des années 1958, 1959 ou 1960, par exemple, totalisent aujourd'hui un nombre de trimestres d'assurance supérieur ou égal aux 160 requis pour l'ouverture du service d'une retraite à taux plein.

Le tableau suivant donne le nombre des personnes concernées en projection pour 2002.

Assurés (toutes catégories confondues)

Réunissant les 160 trimestres et + tous régimes avant 60 ans

Au 31/12/2002

(projection)

Hommes et femmes

Avec MDA

Sans MDA*

Génération Âge

Assurés

160 tr. et +

tous régimes

Assurés

160 tr. et +

tous régimes

1952

1951

1950

1949

1948

1947

1946

1945

1944

1943

50 ans

51 ans

52 ans

53 ans

54 ans

55 ans

56 ans

57 ans

58 ans

59 ans

6 672

13 897

27 386

40 907

67 697

101 906

128 187

130 366

157 158

185 018

0

0

20

2 434

22 031

54 588

84 844

100 570

128 944

157 440

Total

859 194

550 871

Sources : CNAVTS *Majorations de durée d'assurance pour enfant

D'après la CNAVTS, au 31 décembre 2002, 550 871 assurés du régime général, nés après 1940, réuniraient au moins 160 trimestres d'assurance tous régimes, compte non tenu des majorations de durée d'assurance pour enfant accordée aux femmes (MDA), 430 925 assurés de sexe masculin et 119 946 de sexe féminin.

Compte tenu des MDA, la population réunissant les 160 trimestres d'assurance tous régimes avant 60 ans serait de l'ordre de 859 194 assurés environ, dont 428 269 femmes.

La mesure proposée consisterait donc à ouvrir le droit à une pension de retraite à taux plein à 859 194 personnes si l'on prend en compte l'ensemble des personnes concernées âgées de 50 (nées en 1952) à 59 ans (nées en 1943) à cette date.

Pour l'année en cours (2001), ce nombre est estimé à 815 064 (compte tenu de la MDA) pour des personnes nées entre 1951 et 1942.

Ces chiffres doivent être affinés. En effet, deux facteurs distincts peuvent expliquer ces situations. De nombreux assurés ont commencé à travailler très jeunes dans les générations qui partent aujourd'hui à la retraite. Par ailleurs, la durée d'assurance validée par les régimes ne se confond pas avec la stricte durée de l'activité professionnelle : 200 heures rémunérées au SMIC permettent de valider un trimestre au régime général ; les périodes d'interruption de l'activité pour cause de chômage ou d'éducation des enfants par exemple font l'objet de validation et sont décompensées dans la durée d'assurance. Pour une grande partie de ces assurés, un allongement de la durée d'assurance requise est donc sans incidence sur leur âge de cessation d'activité qui demeure 60 ans.

Il est possible de considérer que les assurés concernés sont nés entre 1943 et 1952, ils ont entre 50 et 59 ans aujourd'hui. Pour la plupart ce sont des salariés dont l'ensemble de la carrière s'est déroulée dans l'industrie ou, dans une proportion moindre, dans les services.

Il faut rappeler qu'ils ont connu des situations d'emploi particulièrement difficiles. Dans la métallurgie, le textile ou l'habillement, par exemple, la semaine, au début des années soixante pouvait être de 48 heures. Nombreux sont ceux qui ont effectué du travail posté.

Enfin, les conditions de travail qui furent les leurs ont été dures et ne connurent, pour partie, d'évolution positive qu'après 1968 et, après 1981, avec l'institution de la semaine de trente neuf heures. Les risques sanitaires n'étaient souvent ni reconnus ou perçus. Chacun connaît les ravages de la silicose chez les mineurs, les effets des cabines de peinture sur l'appareil respiratoire et l'on est effaré devant les délais qui ont été nécessaires à la reconnaissance des dangers dus à l'amiante. Ces populations sont donc souvent concernées par la maladie et les accidents professionnels.

TÉMOIGNAGES

Marcel, 55 ans, sidérurgiste à Sollac-Mardyck

« J'ai commencé en poste en 1972, en 3X8 à l'usine des Dunes », raconte Marcel, il se sent d'autant plus concerné par le revendication d'une retraite à 55 ans qu'il a passé le cap de cet âge cette année. Il a connu les 7X7, les semaines de 42 heures en feu continu : « sept matins, sept après-midi, sept nuits, vachement crevant ».

Muté à Mardyck, il a poursuivi en feu continu - 2X8, 4X8 discontinues - « souvent sept jours d'affilée pour deux jours de repos. Posté, tu n'as quasiment pas de vie de famille. Quand il fait nuit, tu rentres pour dormir. Le loisir ne fait pas partie de ta vie. Tu ne vois pas grandir tes enfants ».

Marcel a fait un infarctus à l'âge de 34 ans. Depuis, il est suivi par un cardiologue, mais« on ne m'a jamais trouvé un poste de travail aménagé. Je ne suis pas le seul dans ce cas. Mais tu dois fermer ta gueule. Aujourd'hui, nous faisons les trente-cinq heures en quatre équipes plus une. C'est-à-dire que la cinquième équipe est répartie sur les quatre autres sans embauche, avec augmentation de la charge de travail. L'ambiance est très mauvaise, les gens en ont marre » constate Marcel.

« Au laminoir 5 cages, la moyenne d'âge se situe entre 45 et 54 ans. La plupart ont des maladies neurologiques et beaucoup se retrouvent en longue maladie. Il y a beaucoup de travail sur écran, c'est pénible. La boîte fait appel à des « pex » (personnels extérieurs). Du coup, la moyenne d'âge est redescendue à 29 ans sur ces postes ».

Madame P.

J'ai commencé ma vie de travail à 14 ans pour aider la famille à manger (père gravement malade, décédé très tôt, mère qui travaille dans les champs pour améliorer l'ordinaire, frère malade). Donc dans ces conditions, on ne se pose pas de questions, on va travailler.

J'ai donc commencé comme on disait à l'époque en service (boniche). Le matin, vous avez votre longue liste pour la journée ; là que vous soyez une gosse ne compte pas. Il y avait aussi bien du ménage, de la cuisine, porter des parpaings ou des choses trop lourdes pour vous et en bas de la feuille le traditionnel « s'il vous reste du temps », etc.

Ensuite, j'ai travaillé dans une usine de textile à la chaîne, aux pièces et dans une chaleur étouffante. J'était dans la section « presse » ; chaleur et vapeur toute la journée, à en tomber en syncope l'été.

Maintenant, je travaille dans un équipement social du Valenciennois, ce qui n'est pas toujours facile non plus ; stress, menaces en tous genres, etc.

Conjointement à tout cela, j'ai élevé deux enfants avec mon mari qui a été licencié économiquement en 1983 et qui, depuis, travaille en tant qu'intérimaire au gré des demandes. Cela nécessite donc à chaque fois une nouvelle organisation.

Personnellement, je suis fatiguée. J'espérais tant qu'un geste allait être fait dans notre direction.

Pourquoi existe-t-il en France diverses catégories de Français ? Pensez-vous que la fonction publique soit plus fatiguée que le monde ouvrier ?

Nous n'avons pas eu la chance de poursuivre des études ; alors en nous faisant travailler de nombreuses années supplémentaires, vous nous pénalisez encore.

Pourquoi ne pas nous laisser partir après 160 trimestres et faire en sorte qu'un jeune prenne notre place ?

Monsieur Hubert L.

Je suis actuellement âgé de 56 ans et je travaille dans une entreprise métallurgique de la banlieue lilloise. Il me reste aujourd'hui 4 ans a travailler pour prétendre au droit à la retraite.

J'ai d'ores et déjà cotisé 42 ans ; cela veut donc dire que j'aurai cotisé 46 annuités à l'âge de 60 ans. Je travaille actuellement pour rien puisque mon niveau de retraite ne variera pas.

Je précise que nous sommes quatre dans ce cas là dans cette usine de 500 salariés et une trentaine qui ont déjà cotisé pendant près de 40 ans. Si une mesure était prise rapidement, pour permettre à tous ceux qui ont travaillé très jeune comme moi, de bénéficier de la retraite à 60 ans après avoir cotisé pendant 160 trimestres, ce serait pour moi une vraie libération comme pour plusieurs de mes collègues d'ailleurs.

Pour ma part, je suis au bout du rouleau.

*  Je travaille depuis l'âge de 14 ans.

*  J'ai été embauché le 11 janvier 1960 dans une imprimerie de la commune de Wavrin dans l'arrondissement de Lille. A l'époque, j'ai commence comme apprenti ; je commençais à 7 heures le matin, je finissais a 17 heures ; de plus je suivais des cours du soir à Lille ; je faisais le trajet en mobylette et je rentrais chez moi le soir vers 21 heures. Cela a duré trois ans.

*  A l'âge de 17 ans, j'ai travaillé de 7 heures le matin a 19 heures le soir, y compris le samedi de 7 heures à 13 heures, soit près de 50 heures par semaine.

*  En février 1971, j'ai été licencié de cette entreprise et dès le mois suivant, j'ai retrouvé un travail dans une entreprise de Loos, qui fabriquait des ponts roulants et du matériel de levage. Je me levais des 6 heures le matin et devais parcourir 15 km en mobylette, été comme hiver, pour commencer mon travail à 7 heures. Je finissais ma journée à 17 heures et je travaillais le samedi matin. Là aussi, je travaillais près de 50 heures par semaine ;

*  Le 17 février 1972, j'ai changé d'entreprise pour me retrouver dans celle où je suis depuis 29 ans, un équipementier pour les usines d'aluminium. Dès le début, j'ai travaillé 55 heures par semaine. J'étais obligé de me lever à 5 H 30 le matin pour être à l'usine à 7 heures. J'exerçais la profession d'aléseur ; mais usé par le travail, j'ai demandé à être transféré dans un service un peu plus allégé.

*  Je me retrouve aujourd'hui au magasin. Je pense d'ailleurs parfois que je suis au magasin des accessoires. En effet, je me sens quasiment diminué alors qu'il ne me reste que 4 ans à travailler. Il est vraiment temps de faire quelque chose pour permettre à des jeunes de prendre la relève et pour nous, qui avons été particulièrement exploités, de souffler un peu.

B. LES CONDITIONS D'APPLICATION DE LA MESURE

1. La retraite à 60 ans : un droit acquis

La loi n° 82-3 du 6 janvier 1982, d'orientation autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d'ordre social a institué le principe du droit à la retraite à taux plein, dès lors que sont remplies des conditions suffisantes de durée de cotisation. L'ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982 relative à l'abaissement de l'âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles a créé ce droit.

A l'époque, même si des variations notables étaient constatées selon les régimes d'assurance vieillesse ainsi que, dans chaque régime, en fonction des catégories d'assurés, l'âge de la retraite était fixé à 65 ans. Cependant, certaines catégories d'assurés bénéficiaient dès 60 ans d'une retraite complète.

Il s'agissait des régimes des exploitants agricoles et des professions libérales. Le régime général sur lequel étaient alignés le régime des salariés agricoles et, depuis 1973, les régimes des artisans et commerçants, ouvrait théoriquement droit à la retraite dès l'âge de 60 ans. Mais le taux de pension n'était alors que de 25 % de la rémunération de base, taux qui augmentait ensuite de 5 % par an, tandis que la retraite complémentaire des salariés faisait l'objet d'abattements analogues jusqu'à 65 ans. Aussi, les ressortissants de ces régimes étaient-ils conduits à différer leur demande de pension jusqu'à l'âge de 65 ans.

Dans le régime général, des exceptions au seuil des 65 ans existaient déjà qui concernaient notamment : 

∙ les inaptes au travail, travailleurs justifiant d'un taux d'incapacité de 50 % et se trouvant dans l'incapacité de travailler

∙ les déportés et internés politiques ou de la Résistance

∙ les travailleurs manuels justifiant de 41 ans de cotisation et ayant exercé un travail manuel au cours des quinze années précédant leur demande de pension et qui cessaient leur activité antérieure

∙ les mères ouvrières de trois enfants comptant au moins trente sept années et demi de cotisation

∙ les anciens combattants et victimes de guerre justifiant d'une certaine durée de service ou de captivité.

Le principe de l'attribution d'une retraite à taux plein, égale à 50 % du salaire annuel moyen des dix meilleures années, soumise à la double condition de 150 trimestres d'assurance et de l'âge de 60 ans a donc été acquis en 1982.

De fait, la réforme de 1993, dite « Balladur », a prévu le passage progressif, en fonction de l'âge, à une durée de cotisation de 40 ans ainsi que le calcul du montant de la pension sur les vingt-cinq meilleures années. Le principe de la retraite à 60 ans demeure un acquis social fondamental sur lequel, cependant certains, dont le MEDEF, songent aujourd'hui à revenir.

Une étude de la DREES, réalisée en 1997, montre que 3 % seulement des retraités ont liquidé leur droit direct avant 55 ans. Par ailleurs, certains métiers du secteur public revêtent un caractère d'insalubrité ou de forte pénibilité (égoutiers de la CNRACL, personnels roulants de la SNCF et de la RATP, mineurs de fond). Les agents ayant accompli un certain nombre d'années dans ces services peuvent partir à la retraite dès l'âge de 50 ans. Parmi les hommes unipensionnés des régimes spéciaux, près d'un sur cinq a bénéficié de ce droit du fait de son appartenance à une de ces catégories. La proportion des départs avant 55 ans est de 13,4 % parmi les femmes retraitées unipensionnées de ces régimes, mais ces départs sont plus certainement à mettre au compte de liquidations dues au fait d'avoir eu trois enfants ou plus.

Le tableau qui figure page suivante donne la répartition des départs à la retraite selon l'âge des individus au moment de la liquidation des droits directs et le type de carrière effectuée.

Répartition des départs à la retraite selon l'âge des individus au moment de la liquidation des droits directs et le type de carrière effectuée

Ensemble des retraités âgés de 65 ans ou plus en %

Âge au moment de la liquidation

Types de carrières

Avant 55 ans

De 55 ans à moins de 60 ans

De 60 ans à moins de 65 ans

65 ans ou plus

Unipensionnés : un seul régime de base obligatoire

Salariés du privé

Fonctionnaires civils de l'Etat

Fonctionnaires militaires

Salariés des régimes spéciaux*

Autres pluripensionnés

0,0

9,8

65,5

19,9

0,0

0,0

35,2

29,0

53,9

0,0

56,1

47,5

5,2

24,5

66,8

43,9

9,3

0,0

4,7

33,2

Pluripensionnés : plusieurs régimes de base obligatoires

Pluripensionnés passés par le public

Autres pluripensionnés

18,9

0,0

34,6

0,0

38,2

68,0

8,3

31,5

Unipensionnés et pluripensionnés

Ensemble des retraités

2,9

6,6

57,3

33,2

Sources : DREES 1997

*CNRACL, SNCF, RATP, Banque de France, Mines, Marine

Champ ensemble des retraités de 65 ans ou plus

2. Conditions d'application de la mesure proposée

La présente proposition de loi prévoit que l'assurance vieillesse du régime général garantit une pension de retraite à taux plein à l'assuré qui en demande la liquidation lorsqu'il justifie de la durée requise d'assurance ou de périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires avant 60 ans.

Dans une proposition de loi n° 1172, déposée le 4 novembre 1998, le groupe parlementaire socialiste avait défini un ensemble de mesures envisageant « la cessation d'activité des salariés ayant acquis 160 trimestres de cotisation d'assurance vieillesse, en contrepartie d'embauches ».

Considérant le caractère préoccupant de la situation de l'emploi des jeunes ; considérant également que « les salariés qui ont travaillé 40 ans et assuré 160 trimestres de cotisation aux régimes de base ont amplement participé au développement de la Nation et aspirent à être remplacés dans leur activité » cette proposition de loi se donnait l'objectif d'apporter une réponse à l'aspiration qui est aujourd'hui celle de centaines de milliers d'hommes et de femmes arrivés au terme de carrières longues, éprouvantes, le plus souvent insuffisamment rémunérées, et injustement confrontées à ces difficultés.

Cette proposition n'a pas connu de carrière outrepassant le stade du dépôt.

Faut-il rappeler qu'un amendement proposant la même mesure a été adopté le 17 octobre dernier, par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 ? S'il n'a pu être examiné en séance publique, c'est uniquement parce qu'il est tombé sous le coup de l'article 40 de la Constitution, il n'en reste pas moins que la volonté parlementaire était au rendez-vous.

A cet égard, le discours du Gouvernement n'est pas sans enseignement puisque, le lendemain, dans une déclaration à la presse, Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, a souligné la portée de la mesure adoptée par la commission en estimant qu'elle constituait l'un des points essentiels d'une réforme générale de la sécurité sociale, le pilier d'une réforme globale des retraites. Elle a, par ailleurs souligné que cette question avait été évoquée par le Premier ministre lors de sa déclaration du 21 mars 2001 sur les retraites. De fait celui-ci avait alors déclaré « Il faut mettre fin, dans les années qui viennent, à la situation qui a conduit de nombreux travailleurs à connaître une période de chômage et une cessation anticipée d'activité non souhaitée avant de prendre leur retraite ».

La présente proposition de loi vient donc combler une lacune de notre droit social et propose une mesure de justice.

Ce n'est du reste pas une innovation de prévoir des dérogations en faveur de certaines catégories d'assurés dont la situation et la carrière peuvent justifier une liquidation anticipée des droits. La loi n °75-1279 du 30 décembre 1975 relative aux conditions d'accès à la retraite de certains travailleurs manuels avait ainsi prévu que la pension de retraite des travailleurs manuels et des mères de familles ouvrières remplissant certaines conditions pouvait être calculée au taux normalement applicable à 65 ans, et l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale comporte des dispositions permettant à certaines catégories d'assurés de bénéficier du taux plein sans totaliser la durée requise d'assurance.

Au demeurant, il va de soi que la mesure proposée perdrait beaucoup de son intérêt si elle ne s'accompagnait pas d'une démarche similaire dans le domaine des retraites complémentaires. Cette décision relève de la négociation entre les partenaires sociaux. A cet égard, le rapporteur rappelle que selon le point I.5 de l'accord du 10 février 2001 relatif aux retraites complémentaires AGIRC et ARRCO, l'une des réformes qu'il revient au législateur de diligenter consiste à rendre possible la liquidation de la retraite avant l'âge de 60 ans pour les salariés ayant commencé à travailler tôt et/ou ayant accompli des travaux particulièrement pénibles.

Il n'en demeure pas moins vrai que cette proposition a un coût. Dans la perspective de son adoption, il serait nécessaire que l'Etat puisse intervenir par le biais d'un mécanisme d'aide exceptionnel aux caisses des régimes obligatoires. Une contribution sur les revenus financiers est, de même, à envisager. Par ailleurs, des économies seraient réalisées puisqu'elle aurait un effet bénéfique sur l'emploi en libérant des postes et que les dispositifs de cessation d'activité concernant environ 410 000 personnes n'auraient plus lieu d'être.

Enfin, il n'est pas inutile de rappeler que la mesure concernerait dans le temps de moins en moins de personnes puisque les âges des bénéficiaires se répartissent entre 180 000 personnes de 59 ans, 150 000 de 58 ans, 131 000 de 57 ans, 100 000 de 56 ans et 98 000 de 55 ans.

AUDITIONS DU RAPPORTEUR

Une réunion de travail, organisée le mardi 20 novembre 2001 à l'Assemblée nationale, a permis d'examiner, avec des représentants des grandes confédérations syndicales, la proposition de loi ouvrant le droit à la retraite à taux plein avant l'âge de soixante ans.

Participaient à cette rencontre:

∙ Solange Morgenstern, secrétaire nationale et Claude Talowski, pour la CFE-CGC ;

∙ Françoise Vagner et Pierre Chanu pour la CGT 

∙ Bernard Devy pour la confédération CGT-FO ;

∙ Michel Moïse-Migeon pour la CFTC.

L'ensemble des participants s'est félicité de la concertation ainsi mise en _uvre, laquelle constitue, selon eux, une première, en amont de la mise en _uvre d'une telle proposition de loi.

L'ensemble des intervenants s'est également déclaré en accord avec les constats d'ordre économique et social, dans le contexte desquels s'établit cette proposition de loi.

Pour tous, il est indispensable que le problème posé - celui de l'accès à la retraite de personnes ayant dépassé la durée de cotisation que prévoit la loi française, sans avoir atteint l'âge légal de liquidation des pensions - soit abordé sur le fond et traité par le législateur et par les partenaires sociaux, cela d'autant plus après la disparition de l'ARPE.

Au cours de la discussion qui a permis de prendre acte des préoccupations et interrogations exposées par les divers intervenants, plusieurs nécessités ont été rappelées :

∙ Celle de préserver le principe de l'âge légal de départ en retraite que la loi de 1983 a fixé à 60 ans, face aux remises en cause et contestations du MEDEF et à son projet de refondation sociale.

∙ Celle du principe de solidarité sur lequel est construit, depuis 1945, notre système de protection sociale.

∙ Celle de resserrer les liens qui doivent nécessairement attacher le régime général aux divers régimes de retraite complémentaire, eux-mêmes objets de pressions et contestations des employeurs et du patronat.

∙ Celle du financement contributif des entreprises comme un élément indispensable d'amélioration de notre système de protection sociale, dont la proposition de loi présentée envisage de dépasser une des plus criantes déficiences actuellement imposée à des centaines de milliers de salariés.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné en première lecture, sur le rapport de M. Alain Bocquet, la présente proposition de loi, au cours de sa séance du mercredi 21 novembre 2001.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Serge Janquin, après avoir indiqué qu'il s'exprimait en son nom personnel et aussi au nom de Mme Brigitte  Douay, MM. Michel Lefay, Jean Delobel et Marcel Dehoux, a justifié son implication dans le sujet abordé par cette proposition de loi par le souci de rendre justice et de rester fidèle, en raison de son histoire personnelle qui est aussi celle du Nord et du Pas-de-Calais. Il a, en effet, expliqué que son père avait commencé à travailler à 12 ans, était ensuite descendu dans la mine dès l'âge de 13 ans pour que sa mère, veuve, puisse continuer à bénéficier du logement minier qui lui avait été attribué. En raison d'un accident de trajet qui a rendu son travail impossible au fond de la mine, il a travaillé « au jour ». Après 47 ans d'activité, il a pendant quelques semaines bénéficié de la retraite, ce qui n'a pas été le cas de ses frères qui victimes de la silicose sont morts bien avant la survenue de celle-ci.

Cette condition ouvrière, au-delà de la mine, est aussi celle des professions du textile, de la sidérurgie ou des chantiers navals. Et ce sont dans les régions où ces industries étaient implantées que les conséquences sociales se font encore sentir : écarts considérables de l'espérance de vie avec le reste de la France, carence de la formation et taux de chômage de 15 à 20  %.

Le précepte « mitterrandien » selon lequel il convient de rester soi-même s'impose. Les raisonnements de nature économiques et politiques doivent bien sûr aussi être pris en compte. Mais on cherche en vain la cohérence économique quand une compagnie maritime remise à flot par un apport de 6,5 milliards de francs est revendue pour quelques millions de francs ou quant la collectivité nationale va être conduite, à travers la Caisse des dépôts et consignations, à prendre en charge les actifs douteux du Crédit lyonnais pour 11 milliards d'euros.

En conclusion, M. Serge Janquin a déclaré que, malgré le caractère inachevé de cette proposition de loi qui n'aborde pas la question de la retraite complémentaire et dont le gage est incertain, il soutiendrait ce texte qui rejoint d'ailleurs sa propre proposition de loi car rien ne pourrait lui faire renier ce qui est le sens même de son engagement.

M. Pierre Hellier a souligné que le fait d'avoir cotisé pendant quarante ans justifiait le droit à la retraite, la pénibilité du travail effectué pendant ces années n'étant pas discutée. Dès lors la question du financement devient secondaire et trouver les moyens nécessaires serait une _uvre de solidarité. Le mode de financement proposé n'est pas satisfaisant mais, en la matière, le Gouvernement a fait bien pire.

M. Pascal Terrasse a observé que la question de l'accès à la retraite à taux plein avant l'âge de 60 ans était une question récurrente portée par les groupes de la majorité plurielle. Le débat a eu lieu au sein du groupe socialiste qui a discuté d'une proposition de loi ayant cette finalité en 1998 à la signature de laquelle il s'était lui-même associé. Le Premier ministre avait alors indiqué qu'il convenait, sur la question des retraites, de ne pas réformer petit bout par petit bout. Il convient d'appliquer la méthode retenue par le Premier ministre, dite « des trois D » : d'opérer un diagnostic, d'engager le dialogue avant de prendre les décisions nécessaires.

Un diagnostic partagé a été effectué grâce au rapport du Commissariat général au plan et du Conseil économique et social. Le dialogue s'est ensuite engagé au Comité d'orientation des retraites notamment. Tous les acteurs de ce dialogue conviennent que la réforme des retraites doit être opérée de façon globale. Il faut, en effet, prendre en compte d'autres problèmes comme celui des pensions de réversion, des conjoints survivants, de la pénibilité de certaines tâches qui conduit de fait à une inégalité devant la retraite ou celui de l'évolution du taux de remplacement car celui-ci diminue d'année en année. Il faut surtout prendre en compte la question essentielle qui est celle du financement. La cotisation de 2 % mise en place en 1997 n'est pas suffisante pour financer la proposition discutée aujourd'hui. C'est l'assiette des cotisations qui doit être revue en se posant la question de savoir si elle doit continuer à reposer sur les seuls salaires.

Après le diagnostic et la concertation, on entre aujourd'hui dans la phase de décision. La remise des propositions du COR devrait être l'occasion pour le Premier ministre d'annoncer les réformes envisagées dont la retraite à taux plein avant l'âge de 60 ans pour ceux qui ont cotisé quarante annuités devrait faire partie. Cette réforme ne peut cependant être envisagée que dans le cadre d'une réflexion globale.

Mme Muguette Jacquaint, après avoir rappelé que le groupe communiste avait déjà défendu la même disposition lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, a également souligné sa sensibilité à cette proposition de loi en raison de son expérience professionnelle commencée à 15 ans dans l'industrie de l'électroménager. Des adolescentes ont travaillé dans ces usines à la chaîne pendant dix heures par jour pour des salaires de misère. Aujourd'hui il est médicalement établi que le travail à la chaîne et le stress qui en découle débouchent sur des maladies professionnelles.

Devant la nécessité de rendre justice à ces travailleurs qui ont effectué pendant des années des tâches pénibles, les arguments tenant au financement ne sont pas recevables. Nous sommes aujourd'hui en face d'une urgence sociale et le financement devrait pouvoir être trouvé que ce soit grâce aux rentrées supplémentaires de cotisations qui ont eu lieu cette année ou que ce soit par la mise à contribution des revenus financiers.

M. Jean-Paul Durieux, après s'être déclaré personnellement très touché par les mots très forts utilisés à la fois par le rapporteur de la proposition de la loi, M. Alain Bocquet, et par M. Serge Janquin, a rappelé que les conditions dans lesquelles certains ouvriers ou mineurs ont travaillé durant de très longues années sont aujourd'hui difficiles à imaginer tant la vie quotidienne de ces personnes a été rude. Il convient de rendre hommage à ces ouvriers et d'aborder le débat sur la question posée par la proposition de loi avec la plus grande dignité.

Il faut néanmoins tenir compte du calendrier parlementaire. Si la proposition de loi était adoptée en première lecture, rien ne permet de certifier, étant donné la charge de travail de l'Assemblée nationale avant la suspension des travaux parlementaires due aux échéance électorales prochaines, que le texte pourrait aller au bout de la navette parlementaire et aurait donc une chance d'être adopté avant la fin de la présente législature.

Il faut certes déplorer que la méthode dite « des trois D » ait été affectée d'un coefficient « L » comme lenteur. Le livre blanc paru alors que M. Michel Rocard était Premier ministre puis les divers rapports concernant la réforme des retraites se sont succédé depuis une dizaine d'années sans que des décisions fortes soient prises pour assurer l'avenir des retraites et en réformer l'architecture. Néanmoins, serait-il raisonnable de ne pas aborder dans leur globalité les problèmes des retraites ? Parmi ces problèmes, il faut citer la durée de cotisations à l'assurance vieillesse nécessaire à la liquidation des pensions de retraite à taux plein. Cette durée est en effet passée de trente-sept ans et demi à quarante ans. Quant aux pensions de réversion, leur taux est resté à 54 % alors que cela ne permet pas dans de nombreux cas aux personnes concernées de disposer d'un niveau de vie acceptable. On peut donc mettre en doute une approche aussi partielle que celle de la proposition de loi.

Les moyens peuvent toujours être trouvés dès qu'une véritable politique est affirmée. Ainsi le problème n'est-il pas de nature budgétaire mais ressortit de l'ordre des choix politiques. Il est scandaleux que des personnes rémunérées au SMIC durant toute leur vie professionnelle touchent, une fois arrivées à l'âge de la retraite, des pensions de montants ridicules. La faiblesse des ressources que la collectivité accorde à ces personnes n'est pas admissible. Mais la majorité a déjà apporté une première réponse à cette situation.

Dans le cadre de la discussion en première lecture du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale pour 2002, un amendement a été adopté pour mettre en place une allocation équivalent retraite (AER) fixée à 5 750 Francs par mois pour toute personne sans emploi ayant cotisé pendant quarante ans au régime d'assurance vieillesse sans avoir atteint l'âge de soixante ans. Comme la ministre de l'emploi et de la solidarité s'y était engagé, cette disposition - qui ne pouvait avoir sa place dans le projet de loi précité - a été reprise par un amendement du Gouvernement adopté le 6 novembre 2001 lors de l'examen sur le budget de l'emploi. Il faut se réjouir de l'adoption de cette mesure forte qui sera probablement très appréciée d'un certain nombre de personnes que cherche également à viser la proposition de loi.

M. Maxime Gremetz a fait les observations suivantes :

- L'intervention de M. Serge Janquin doit être saluée pour le grand humanisme qui l'a caractérisée. De même, les propos de Mme Muguette Jacquaint ne peuvent laisser insensible toute personne aspirant à davantage de justice sociale. Aujourd'hui les élus sont à juste titre interpellés par des travailleurs âgés, usés par des conditions de travail particulièrement pénibles, qui souhaiteraient pouvoir enfin pendre une retraite bien méritée après quarante années de dur labeur. Parmi les travailleurs âgés ayant quarante annuités à leur actif, 380 000 ont été ou sont des travailleurs postés. Ces personnes, qui ont souvent commencé à travailler très jeunes, aspirent légitimement à se reposer avant l'âge de soixante ans.

- Si la majorité plurielle ne vote pas avant la fin de la législature le texte de cette proposition de loi, il est certain que les électeurs lui en tiendront rigueur. Le Premier ministre lui-même, M. Lionel Jospin, s'est engagé sur cette question. Toutes les composantes de la majorité plurielle ont déposé des textes de proposition de loi allant dans ce sens. Le texte proposé par le groupe communiste et défendu par son président, M. Alain Bocquet, va d'ailleurs moins loin que la proposition de loi déposée par M. Serge Janquin et des membres du groupe socialiste en 1998.

- Le coût de la mesure proposée n'est pas aussi élevé que certains le prétendent. Des travaux d'évaluation, demandés par le président de la commission des finances, M. Henri Emmanuelli, l'attestent et ramènent ce coût à 23 milliards de francs au lieu des 50 souvent annoncés. D'ailleurs, le fait de permettre à des personnes de partir à la retraite avant l'âge de soixante ans ne comporte pas qu'un coût pour la société : il est aussi favorable à l'économie du pays puisque des emplois seraient ainsi susceptibles de se créer et les régimes de sécurité sociale bénéficieraient globalement de l'arrivée de nouveaux cotisants.

- L'argument selon lequel il conviendrait d'attendre patiemment les conclusions devant être remises par le Conseil d'orientation sur les retraites (COR) est fallacieux. Nul ne sait en effet quand la réforme des retraites pourra intervenir dans les faits. Elle est pourtant indispensable. Les mesures prises en 1993 - à savoir l'allongement de la durée de cotisation de trente-sept ans et demi à quarante ans, la prise en compte des vingt-cinq meilleures années au lieu des dix meilleures années, l'indexation du montant des pensions non plus sur les prix mais sur les salaires - ont eu pour conséquence une diminution du montant de très nombreuses pensions aujourd'hui si faibles. En outre, actuellement, les salariés qui cotisent au-delà des quarante annuités travaillent pour rien puisque ces cotisations ne sont pas portées à leur compte.

- Il faut en outre se méfier des conclusions auxquelles le COR risque de parvenir. Dans le projet de rapport, deux propositions sont notamment avancées : soit allonger la durée de cotisation à quarante-deux ans et demi, soit retarder l'âge de le retraite d'au moins un an.

Mme Brigitte Douay a tenu à rendre hommage aux ouvrières du textile de sa circonscription notamment, qui ont travaillé durant quarante ans et parfois plus, dans des conditions très éprouvantes, et qui attendent aujourd'hui une mesure leur permettant de partir à la retraite sans attendre l'âge de soixante ans. Elle a fait part de son intention de se prononcer en faveur de la proposition de loi.

M. Germain Gengenwin a déclaré qu'il était susceptible de voter les articles de la proposition de loi car l'importance du problème posé ne peut être mise en cause. Nul en effet ne saurait contester la nécessité de telles dispositions. Cependant, il faut s'interroger sur le sort que la proposition de loi est susceptible de connaître. Il n'est pas certain que cette dernière puisse être votée avant la fin de la législature compte tenu des délais inhérents à la navette parlementaire.

Mme Chantal Robin-Rodrigo s'est déclarée favorable à cette proposition compte tenu de la pénibilité des conditions de travail des salariés entrés dans la vie active très jeunes. Certes, elle pose un problème financier, mais le choix entre construire un nouveau porte-avions ou donner un droit à la retraite à nos concitoyens usés par le travail est évident, il s'agit d'un choix politique.

Après avoir rappelé que le département de l'Eure où se trouve sa circonscription était le deuxième département ouvrier de France après le Pas-de-Calais, M. Alfred Recours a considéré que donner la retraite avant soixante ans à des travailleurs ayant cotisé quarante annuités était une nécessité dans la mesure où les travailleurs concernés relèvent de métiers très pénibles notamment en travail posté. Cependant la proposition de loi du groupe communiste arrive à la fois trop tôt comme l'a démontré M. Jean-Paul Durieux, et trop tard. Trop tôt, sachant que le rapport du COR sera connu le 6 décembre. Trop tard car, en première lecture du projet de loi de finances, un dispositif a été voté concernant les travailleurs devenus inactifs, ayant cotisé quarante annuités mais dont l'âge est inférieur à soixante ans.

Ce dispositif est nettement plus avantageux que la proposition de loi examinée aujourd'hui. En effet, un salarié au SMIC ayant cotisé quarante ans sans interruption de carrière perçoit une retraite de 3 050 F par mois. A cette retraite de base vient s'ajouter une retraite complémentaire de 1 115 F dans le meilleur des cas si le problème des retraites complémentaires est réglé, grâce à l'éventuel accord des partenaires sociaux sur ce sujet. Ainsi, le salarié qui prendra sa retraite avant soixante ans percevra une retraite complète d'environ 4 200 F, en supposant qu'il ait cotisé au taux facultatif de 6  % de l'ARCO, le taux obligatoire étant de 4,5  %. En revanche, le dispositif voté lors de la première lecture de la loi de finances à l'Assemblée nationale prévoit que, pour un foyer fiscal ayant des ressources inférieures à 13 000 F par mois, un travailleur ayant cotisé quarante annuités et se trouvant dans une situation d'inactivité ou au RMI ou dans le FNE percevra une retraite de 7 750 F. Ainsi tout chômeur pourra, après le vote définitif de la loi de finances, bénéficier de ce montant de retraite. Mais ce dispositif est aussi ouvert aux travailleurs qui feraient le choix de cesser leur activité. Il a de surcroît l'avantage pour ces travailleurs d'éviter la précarité qui caractérise l'emploi des plus de cinquante-cinq ans.

Sur le plan des principes, il n'est pas souhaitable qu'à l'âge légal de la retraite soit substituée une autre notion, celle du nombre d'annuités, proposition qui est celle du MEDEF. Pour régler le problème de ces travailleurs entrés précocement dans la vie active, il convient de s'orienter vers des mesures d'âge en fonction de la pénibilité de certains métiers et non, vers des mesures comptabilisées en annuités. Cette solution a été retenue, par exemple, pour les mineurs. De surcroît, la retraite de ces personnes ayant cotisé 41, 42 voire 44 annuités devrait être revalorisée en conséquence, c'est-à-dire en tenant compte de ces trimestres acquis. Il s'agit de deux pistes à explorer sérieusement.

En conclusion, M. Alfred Recours a proposé que la commission ne présente pas de conclusions sur la présente proposition de loi.

En réponse aux intervenants, M. Alain Bocquet, rapporteur, a fait les observations suivantes :

- L'objectif de ce texte n'est pas de modifier définitivement les règles de liquidation des retraites mais d'apporter une solution temporaire pour une génération de personnes ayant commencé à travailler entre 14 et 16 ans. Certaines personnes, au sein de cette génération, ayant déjà cotisé plus de quarante ans, continuent à cotiser pour la solidarité nationale sans se constituer des droits à pension complémentaires, alors que c'est plutôt la solidarité nationale qui devrait les aider.

- Il n'est jamais trop tard pour bien faire, surtout lorsqu'il s'agit de répondre à une forte aspiration populaire qui correspond à une vraie demande sociale. Il n'est donc pas possible de reporter cette mesure à d'autres échéances. Avant que le Gouvernement ne propose une réforme d'ensemble des retraites à partir du rapport du Conseil d'orientation des retraites et que cette réforme soit mise en _uvre beaucoup de temps risque de s'écouler alors qu'il y a urgence à régler le problème de la génération concernée.

- Le coût net de la mesure est certes de 25 milliards de francs mais, comme M. Jean-Paul Durieux l'a noté, il y a toujours des moyens pour financer une décision politique lorsqu'elle a été prise. Il ne faut pas oublier les enjeux : les créations d'emplois, la réponse aux angoisses des travailleurs et de leurs familles et la crédibilité de la gauche plurielle. L'adoption de la proposition de loi permettrait de créer un climat de confiance, indépendamment des réticences technocratiques du Gouvernement sur un tel sujet, et ce signal fort pourrait ensuite trouver sa concrétisation quelles que soient les contraintes du calendrier parlementaire.

Le président Jean Le Garrec a rappelé qu'un engagement politique correspondait toujours à une histoire personnelle et qu'il pourrait très bien faire lui aussi référence à son histoire familiale. Il a ajouté qu'il n'avait jamais renié ses convictions et qu'il ne le ferait pas en proposant, à son tour, à la commission de ne pas adopter de conclusions sur la proposition de loi.

Il ne s'agit pas d'une décision d'opportunité. Il faut affirmer clairement que l'adoption de cette proposition de loi ne répondrait pas de manière adéquate à un problème réel. Tout le monde connaît des personnes concernées qui ont travaillé dans des conditions souvent très difficiles pendant les prétendues « trente glorieuses ». Pour apporter une réponse à leur situation, il a fallu batailler ferme afin de mettre en place l'allocation équivalent retraite. La pression doit être maintenue sur le Gouvernement pour que le décret d'application soit préparé avant la fin de cette année. Mais il est préférable de faire en sorte qu'un nouveau dispositif déjà voté entre en application au plus vite plutôt que d'adopter un texte pour donner l'impression fallacieuse de régler le problème des travailleurs âgés.

Pour les non actifs, la proposition de loi n'apporte rien par rapport à l'allocation équivalent retraite. Pour les actifs, les retraites complémentaires sont un élément du revenu indispensable, or la question de la retraite complémentaire ne peut pas être réglée rapidement. Il ne sera donc pas possible pour un smicard de partir à la retraite avec un revenu limité à 3 050 francs. Les conditions particulières de pénibilité du travail doivent aussi être prises en compte, le cas échéant avec un bonus. La proposition de loi n'apporte pas non plus de réponse sur ce point.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a décidé de suspendre l'examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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3400. - M. Alain Bocquet (commission des affaires culturelles, familiales et sociales) sur la proposition de loi de M. Alain BOCQUET (n°  3370) tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans


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