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le 24 juin 1998

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N° 990

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 juin 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LES PROJETS DE LOI, ADOPTÉS PAR LE SÉNAT,

- autorisant la ratification du protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs tel qu'il a été modifié le 3 mai 1996 (protocole II, tel qu'il a été modifié le 3 mai 1996), annexé à la convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination,

- autorisant la ratification de la convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction,

PAR MME CHRISTIANE TAUBIRA-DELANNON,

Députée

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 326, 355, 424, 454 et T.A. 106 et 149 (1997-1998)

Assemblée nationale : 29 et 964

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Laurence Dumont, M. René Rouquet, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, Jacques Blanc, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Mme Monique Collange, MM. Yves Dauge, Jean-Claude Decagny, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Jacques Desallangre, Paul Dhaille, Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean Espilondo, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Georges Hage, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Claude Lefort, François Léotard, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, MM. Jacques Myard, Dominique Paillé, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, MM. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LE LONG COMBAT POUR L’INTERDICTION TOTALE 6

A - UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE 6

1) Une arme devenue incontrôlable 6

2) Une arme longtemps négligée par le droit humanitaire international 9

B. LES OBSTACLES À L’INTERDICTION TOTALE DES MINES ANTIPERSONNEL 12

1) Des impératifs de sécurité de plus en plus contestés 12

2) La fabrication des mines : une activité économique. 14

II - LA MISE EN OEUVRE D’UNE INTERDICTION TOTALE 16

A - DEUX TRAITÉS COMPLÉMENTAIRES 16

1) Le protocole II révisé 16

2) Le traité d’Ottawa 18

B. LES CONDITIONS NÉCESSAIRES À UNE MISE OEUVRE UNIVERSELLE
    DE L’INTERDICTION TOTALE
20

1) L’adoption de mesures nationales 20

2) L’extension de l’interdiction totale 21

3) L’aide au déminage 22

CONCLUSION 23

EXAMEN EN COMMISSION 27

ANNEXE I 28

ANNEXE II 29

Mesdames, Messieurs,

Lorsqu’en 1995, j’ai déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale la première proposition de loi tendant à l’interdiction totale des mines antipersonnel, l’espérance même d’un accord international semblait interdite. Il ne restait plus que le rêve. Un rêve auquel ont bien voulu s’associer la quasi-totalité des députés de l’époque, qui ont accepté de co-signer cette proposition de loi. Le rêve d’un monde où, avec la fin de la guerre, cesserait le temps des blessés et des mutilés. Le rêve d’un monde délivré de celles que l’on a surnommé les armes des lâches, les sentinelles éternelles : les mines antipersonnel.

Aujourd’hui, ce rêve est en passe de devenir réalité, et ce sont les citoyens eux-mêmes qu’il nous faut féliciter. Deux textes sont présentement soumis à notre examen. Le premier est un texte de compromis, un texte obtenu à l’arraché au fil de conférences diplomatiques interrompues et reprises, un texte qui s’accommode de la coexistence avec les mines. Le second est le fruit de la volonté des peuples et de l’initiative de quelques hommes et femmes de bonne volonté qui se sont battus pour que les souffrances des blessés et mutilés ne soient pas oubliées, pour que nos enfants marchent sans béquilles et sans prothèses. Et, contre toute attente, ils ont réussi ! L’initiative populaire est entrée sur la scène diplomatique internationale. Cette victoire est celle de l’humanité. Elle est de celles qui aident à tenir contre la tentation du cynisme et du scepticisme. Il faut vivre debout !

I - LE LONG COMBAT POUR L’INTERDICTION TOTALE

La convention d’Ottawa est un peu le traité que l’on n’attendait plus. Nous nous étions presque habitués à voir les arguments mettant en avant les impératifs de sécurité l’emporter systématiquement sur toutes les considérations humanitaires. Le texte ouvert à la signature le 3 décembre 1997 est pourtant bel et bien un texte d’interdiction totale : la seule solution crédible et efficace aux problèmes posés par la dissémination des mines antipersonnel. Ce succès est d’autant plus éclatant qu’il était inattendu. La dynamique qui s’est créée lors des dernières semaines de négociations a permis de résister à toutes les tentatives de dénaturation du texte. A posteriori, cette victoire nous paraît presque facile. Il nous faut cependant nous souvenir du long combat qui l'a rendue possible.

A - Une prise de conscience tardive

Face aux menaces de destruction massive représentées par l’arme nucléaire ou l’arme chimique, les dangers entrainés par la dissémination des mines antipersonnel ont longtemps été sous-estimés.

1) Une arme devenue incontrôlable

a) Une arme de plus en plus destinée à semer la terreur parmi les populations civiles

Les mines antipersonnel ne sont pas une arme récente, même si les technologies les plus sophistiquées ont été sollicitées pour en multiplier les variétés et améliorer notamment les systèmes de mise en place à distance et d’allumage. Lors de la première guerre mondiale, elles étaient destinées à protéger les mines antichar contre les démineurs. Elles furent affectées par la suite, toujours dans un but défensif, à la protection des installations stratégiques et à la limitation des mouvements d’infanterie de l’ennemi.

Mais cette utilisation des mines antipersonnel a rapidement évolué. Leur faible coût - le prix de revient d’une mine peu sophistiquée peut être inférieur à 5 dollars -, la facilité de leur fabrication - elles peuvent être montées dans des ateliers improvisés, voire des cuisines ou des garages -, leur simplicité d’emploi, ont incité les armées régulières, et surtout les guérillas, à les utiliser comme une arme de terreur destinée à démoraliser et désorganiser l’adversaire. Les populations civiles devinrent les cibles principales et des zones très étendues étaient minées afin d’interdire l’accès aux terres agricoles et aux routes, de provoquer des famines et des mouvements d’exode massifs. Ce fut la tactique adoptée au Vietnam et au Laos par les Américains, et plus récemment - et plus massivement - en Afghanistan à l’instigation des Soviétiques. Des dizaines de millions de mines ont été larguées par hélicoptère ou par tir d’artillerie sur des régions entières de ces pays.

La mine antipersonnel est devenue au cours de ces dernières années, avec la mutiplication des conflits internes dans les pays en développement, l’arme du pauvre, celle à laquelle ont recours les mouvements rebelles et les factions dans les guerres civiles. La carte des pays les plus touchés par les mines antipersonnel rappelle celle des principaux conflits internes des vingt dernières années : l’Angola (où l’on recense encore 15 millions de mines), l’Afghanistan (10 millions), le Cambodge (10 millions), l’Irak (10 millions, principalement au Kurdistan), la Bosnie (entre 3 et 6 millions), le Vietnam (3,5 millions), la Croatie (3 millions), le Mozambique (3 millions), la Somalie (1 million)... Au total, c’est plus de 110 millions de mines antipersonnel qui se trouveraient enfouies dans le sol de plus d’une soixantaine de pays.

b) Une arme qui ne tient pas compte de la fin des hostilités

Les mines antipersonnel sont devenues les seules armes de destruction massive encore en activité en temps de paix. Elles continuent en effet de frapper bien longtemps après la fin des hostilités. Une large proportion des 25 000 victimes annuelles des mines antipersonnel sont des civils, essentiellement des femmes et des enfants, tués ou blessés après la fin des combats. On estime, au cours des vingt-cinq dernières annés, à plus de 600 000 le nombre des civils à avoir été mutilés par une mine antipersonnel, une statistique derrière laquelle il est impossible d’imaginer la somme de souffrances individuelles qu’elle représente. L’impact d’une mine antipersonnel est équivalent à celui d’un train lancé à grande vitesse : le pied qui a heurté la mine est déchiqueté, l’autre jambe ainsi que l’aine, l’abdomen, parfois le visage, sont criblés de débris les plus divers. Si les secours ne sont pas suffisamment rapides - et nombre des personnes, paysans, bergers, nomades, enfants qui ramassent du bois, sont seules au moment de l’accident - , la victime meurt vidée de son sang. Soigné à temps et une fois écarté le risque de gangrène et de tétanos - dans des pays où la vaccination est généralement peu répandue - le blessé devra le plus souvent être amputé.

Votre Rapporteur, notamment à l’occasion des cérémonies de signature du traité d’Ottawa, a rencontré de nombreux représentants des ONG qui ont été à l’origine de la Campagne internationale contre les mines. Il convient ici de rendre hommage à leur action, qu’est venu justement récompenser le prix Nobel de la paix 1997. Non seulement ces organisations ont oeuvré en faveur de l’interdiction des mines antipersonnel, mais beaucoup d’entre elles, à l’exemple de Handicap international, sont également présentes sur le terrain pour soigner, appareiller et rééduquer les victimes des mines antipersonnel afin de leur permettre un jour de remarcher.

L’aide internationale est d’autant plus nécessaire que les victimes appartiennent à des pays dont le revenu moyen par habitant représente 10 à 15 dollars par mois. Il est très difficile pour ces personnes de pouvoir payer un membre artificiel dont le coût moyen s’élève à environ 125 dollars pièce. Une prothèse n’est au reste jamais définitive : elle doit être remplacée tous les six mois chez un enfant, et tous les trois ou cinq ans chez un adulte. Le calcul est simple : un enfant blessé à l’âge de dix ans qui peut espérer vivre encore 40 à 50 ans aura donc besoin, au cours de son existence, de 25 prothèses. Sans aide extérieure, c’est un luxe qu’il ne peut s’offrir et il doit se contenter d’une paire de béquilles. Le plus souvent incapable d’assurer sa propre subsistance ou celle de sa famille, il est condamné à mendier pour survivre.

Force est de reconnaître qu’il est très difficile pour les économies en développement de supporter les charges directes liées à des proportions d’amputés atteignant, comme au Cambodge une personne sur 384, ou comme en Angola, une personne sur 334 - des chiffres à comparer avec ceux des Etats-Unis où l’on compte un amputé pour 22 000 habitants. On comprend mieux dès lors, au-delà des souffrances humaines, l’obstacle déterminant que représentent les mines antipersonnel au retour à une vie économique et sociale normale.

c) Une arme qui représente un lourd handicap pour le développement

La présence de mines antipersonnel entrave le retour des réfugiés dans leur région d’origine et contribue à la stérilisation de vastes surfaces cultivables ainsi qu'à la désorganisation des réseaux de communications. Une étude réalisée par l’OXFAM en 1995 dans la province de Quang Tri au Vietnam estime que la présence de mines et de munitions non explosées empêche de cultiver 3 000 à 4 000 hectares de terre qui pourraient assurer la subsistance de 35 000 personnes. Selon d’autres études citées par Handicap international, on estime que la production agricole augmenterait, si les mines présentes étaient enlevées, de 88 à 200% dans différentes régions de l’Afghanistan, de 11% en Bosnie et de 135% au Cambodge.

2) Une arme longtemps négligée par le droit humanitaire international

a) Un droit international humanitaire peu efficace

Le droit conventionnel international est longtemps demeuré silencieux sur l’utilisation des mines antipersonnel. Jusqu’à l’adoption en 1980 de la "Convention des Nations Unies sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination", et plus précisément son protocole II sur "l’interdiction ou la limitation de l’emploi des mines, pièges et autres dispositifs", seuls s’appliquaient les principes généraux du droit international humanitaire contenus dans les Conventions dites de La Haye (de 1899 et de 1907) définissant les bases du droit de la guerre, et surtout dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 complétées par les deux Protocoles additionnels du 8 juin 1977 sur la protection des victimes de conflits armés internationaux et sur celle des victimes de conflits armés non internationaux.

De ce corpus juridique, deux principes de base nous intéressent plus particulièrement, à savoir d’une part l’obligation de distinguer les populations civiles et les combattants, et d’autre part, l’interdiction d’employer des armes ou des méthodes de guerre "de nature à causer des maux superflus". Ces deux principes ne visent certes aucune catégorie d’armes en particulier mais ils sont à l’évidence de nature à s’appliquer aux mines antipersonnel. C’est un euphémisme de dire que ce droit humanitaire a constitué un bien faible rempart contre les atrocités qui ont marqué toutes les guerres du vingtième siècle.

b) Une occasion ratée : la révision du protocole II

Le protocole II sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des mines, pièges et autres dispositifs annexé à la convention de 1980 est le premier texte international à imposer un début de réglementation à l’usage des mines antipersonnel. Ce texte, dans son contenu original, limitait l’emploi de ces mines aux seuls objectifs militaires et prévoyait un relevé obligatoire de leur emplacement. Il comportait de graves lacunes : son champ d’application ne concernait que les conflits internationaux et il ne prévoyait aucun régime de vérification et de sanction efficace.

La recrudescence du recours aux mines antipersonnel dans les années 80 - on estime à plus de 65 millions le nombre de mines posées à travers le monde pour la seule période 1980-1995 -, l’apparition de mines parfaitement antidétectables rendant les opérations de déminage encore plus complexes, l’augmentation du nombre des victimes - une toute les vingt minutes - ont provoqué une prise de conscience de la nécessité de renforcer la réglementation. Une telle perspective est évoquée pour la première fois par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1990.

Il faut toutefois attendre une initiative de la France en 1993 pour qu’une Conférence des Etats parties à la Convention de 1980 soit convoquée pour réexaminer les dispositions du protocole II. Alors qu’elle apparaissait comme une occasion de modifier fondamentalement le droit en vigueur, cette Conférence de révision débouche sur des résultats décevants qui sont une cruelle illustration de la paralysie du sytème onusien.

Une première session se tient à Vienne à l’automne 1995 mais ne parvient pas à dégager un accord entre les Etats parties : la Conférence est alors ajournée. Elle reprend en janvier 1996, puis du 22 avril au 3 mai de la même année, date à laquelle elle aboutit à l’adoption du Protocole II révisé qui nous est soumis aujourd’hui et qui ne comporte que des restrictions minimales à l’emploi des mines antipersonnel. Nous reviendrons ci-dessous sur le contenu de ce texte.

c) Le succès du processus d’Ottawa

La déception provoquée par la révision du protocole II de la convention de 1980 est à la hauteur de l’espoir que son annonce avait suscité : le sentiment général est qu’une occasion historique a été manquée et qu’il faut la rattraper. Le gouvernement canadien prend alors l’initiative d’organiser à Ottawa une Conférence stratégique internationale ayant pour thème "Vers l’interdiction complète des mines antipersonnel". Cette conférence, qui réunit cinquante Etats, représente le véritable tournant de l’action menée en vue de l’interdiction des mines antipersonnel. C’est, si cette comparaison ne choque personne, un nouveau Serment du Jeu de paume : on jure de ne se séparer qu’en ayant donné au monde une convention internationale d’interdiction totale. Il ne s’agit plus de mener des négociations consensuelles qui tendent à privilégier la recherche du plus petit dénominateur commun, mais bien plutôt d’aller de l’avant, sans ambiguïté, en s’appuyant sur les initiatives d’ordre moral et politique des gouvernements concernés.

Cette initiative canadienne a tout d’abord été accueillie avec une certaine suspicion, voire condescendance, de la part de la communauté internationale, un sentiment qui se justifiait par un triple motif.

Tout d’abord, l’objectif fixé par M. Lloyd Axworthy, le Ministre canadien des Affaires étrangères, de la signature d’une convention d’interdiction totale avant la fin de l’année 1997 apparaît comme une gageure. Comment serait-il possible de réussir dans un délai à peine supérieur à un an ce que les négociateurs internationaux les plus chevronnés n’ont pu obtenir en deux ans de palabres sur la révision du protocole II ?

Un début de réponse à cette question est probablement contenu dans le deuxième motif de suspicion à l’égard du processus d’Ottawa. Celui-ci se déroule en dehors de l’enceinte classique des Nations Unies, et plus précisément en dehors de la Conférence de désarmement où se négocient habituellement les accords internationaux de désarmement. C’est dans cette enceinte qu’avaient été négociée et conclue la Convention d’interdiction des armes chimiques signée à Paris en janvier 1993, ou le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, ouvert à la signature le 24 septembre 1996. Ce refus d’un cadre traditionnel est un moyen de contourner ce qui est apparu lors de la négociation sur la révision du Protocole II comme un facteur essentiel de blocage : le principe du consensus, qui régit le fonctionnement de la conférence du désarmement. La démarche volontariste retenue s’est révélée la meilleure garantie contre l’enlisement des négociations.

Enfin, l’initiative canadienne, et c’est le troisième motif de suspicion, ne s’appuie pas sur les acteurs traditionnels de la diplomatie que sont les grandes puissances, comme les Etats-Unis et la Russie, qui apparaissent pour le moins réservés sur cette initiative. Elle repose sur un petit groupe d’une vingtaine d’Etats - dont les plus actifs furent le Canada, l’Autriche, la Belgique, la Norvège, l’Afrique du Sud, la Suisse et l’Allemagne - peu habitués à occuper le premier rang de la scène internationale, et sur la société civile. Le rôle des ONG, que votre Rapporteur a déjà eu l’occasion de saluer, fut déterminant dans la réussite du proccesus d’Ottawa. Elles ont contribué, par leur campagne de mobilisation, à sensibiliser les opinions publiques et à stigmatiser l’utilisation des mines antipersonnel.

Bravant ce scepticisme, une première Conférence internationale se tient à Bruxelles en juin 1997, qui permet aux Etats de confronter leur point de vue sur le contenu de la future convention et d’affirmer une nouvelle fois leur volonté d’arriver à un accord d’interdiction totale avant la fin de l’année 1997. Un premier projet de convention est rédigé sous la responsabilité de l’Autriche.

Une seconde Conférence se tient ensuite du 1er au 19 septembre 1997 à Oslo, qui s’achève par l’adoption d’un texte d’interdiction totale des mines antipersonnel par 98 Etats. Cette Conférence fut perturbée par l’attitude des Etats-Unis qui, après s’être ralliés in extremis au processus d’Ottawa, ont essayé d’introduire dans le projet de convention des exceptions concernant certaines catégories de mines antipersonnel et certaines régions géographiques, notamment la frontière entre les deux Corées. Ces tentatives de dénaturation du texte n’ont toutefois pas abouti et les négociations ont permis au contraire un renforcement substantiel du régime de vérification des dispositions de la convention.

121 pays ont finalement signé cette Convention le 3 décembre 1997 à Ottawa. Ce texte entrera en vigueur après sa ratification par quarante Etats.

B. Les obstacles à l’interdiction totale des mines antipersonnel

Le combat pour l’interdiction totale des mines antipersonnel s’est longtemps heurté à deux principaux obstacles : les impératifs de sécurité et la nécessité pour les pays producteurs de continuer à pouvoir disposer d’une arme économiquement et technologiquement accessible.

1) Des impératifs de sécurité de plus en plus contestés

a) Des mesures unilatérales d’interdiction

Au fil du temps, les arguments militaires en faveur de l’usage des mines antipersonnel sont devenus de moins en moins convaincants. A titre unilatéral, plusieurs Etats producteurs et utilisateurs de ces mines ont adopté progressivement une réglementation moins favorable à ce type d’armes.

En France, le Président de la République, M. François Mitterrand, décidait, lors d’un discours prononcé en février 1993 à Phnom Penh, un moratoire sur les exportations de mines antipersonnel. Ce moratoire était étendu en septembre 1995 à la production et, un an plus tard, le 3 octobre 1996, la France renonçait à l’emploi des mines antipersonnel sauf circonstances exceptionnelles justifiées par la sécurité des forces françaises. Encore une année plus tard, le 23 juin 1997, le Gouvernement annonçait que la France renoncerait définitivement et sans exception à toute forme d’emploi des mines antipersonnel dès l’entrée en vigueur d’un traité efficace et, au plus tard, fin 1999.

Cette attitude n’était pas unique en Europe. Trois autres Etats allèrent plus loin en adoptant de manière unilatérale des mesures législatives d’interdiction totale des mines antipersonnel, c’est-à-dire une interdiction de leur production, de leur emploi et de leur commerce : la Belgique par la loi du 9 mars 1995, l’Autriche par la loi du 13 décembre 1996 et l’Italie par une loi d’août 1997. De leur côté, les Etats-Unis ont décidé d’un moratoire sur les exportations de mines antipersonnel en 1992.

b) Une utilité militaire remise en cause

Parallèllement à l’adoption de textes réglementaires et législatifs restreignant l’utilisation des mines antipersonnel, diverses études ont installé le doute sur l’utilité militaire réelle de cette arme. Les partisans des mines antipersonnel avancent que celles-ci représentent un moyen déterminant en cas de guerre pour protéger une position ou marquer une ligne à ne dépasser sous aucun prétexte. "La question des mines antipersonnel est une fausse querelle", écrivait dans un journal du soir un ancien colonel reconverti en consultant militaire. "Elle rappelle l’ancienne dispute sur l’abolition de l’arbalète jugée inhumaine car trop meurtrière". Poser le problème dans ces termes revient à nier les spécificités techniques des mines antipersonnel - leur caractère aveugle et automatique - mais permet, et c’est l’objectif poursuivi, de déplacer le débat de la question de leur interdiction à celle de leur utilisation dont on veut bien regretter le caractère "indiscriminé". Cette logique, qui fut celle qui a présidé à la révision du protocole II, revient à défendre le retour au strict respect de la doctrine militaire traditionnelle et aux règles du droit international humanitaire.

Votre Rapporteur, - et personne sans doute ne sera surpris de cet aveu - n’a pas de compétence particulière en tactique militaire, même s’il lui arrive de s’étonner que la Guyane soit parfois tranformée en camp retranché. Cette incompétence est celle de la plupart des ONG, dont certaines toutefois ont accepté le dialogue sur le terrain militaire. En mars 1996, une étude du Comité international de la Croix rouge intitulée "Les mines terrestres antipersonnel - des armes indispensables" tentait une évaluation de ce type d’arguments en analysant la manière dont les mines ont réellement été utilisées - soit par des armées de métier, soit par des insurgés, soit lors d’opérations anti-insurrectionnelles - au cours des vingt-six conflits qui se sont déroulés depuis 1940. Le principal apport de cette étude tient à la conclusion suivante : il est impossible d’établir que les mines antipersonnel aient jamais joué un rôle déterminant par rapport à l’issue du conflit. Cette étude estime également qu’il est très difficile, dans les conditions du champ de bataille, d’utiliser les mines antipersonnel dans le respect des exigences du droit international humanitaire, et que d’ailleurs cela s’est rarement produit. Le CICR affirme en conséquence que la logique d'interdiction totale est la seule solution qui permette aux impératifs humanitaires de l’emporter sur une utilité militaire limitée.

Dans le même sens, en avril 1996, 15 généraux américains à la retraite ont pris position en faveur de l’interdiction totale des mines antipersonnel dans une lettre publiée par le New York Times. Parmi eux, figurent notamment le général Norman Schwarzkopf, qui s’était illustré au cours de la guerre du Golfe.

Pour leur part, les forces françaises ont utilisé pour la dernière fois des mines antipersonnel sur un théatre d’intervention extérieur en 1983 au Liban. Pour ce qui concerne les opérations les plus récentes, et tout particulièrement dans le cas de l’ex-Yougoslavie, aucune dotation en mine antipersonnel n’avait été prévue.

c) le développement de nouveaux systèmes d’alerte et de protection

La recherche, qui s’était longtemps concentrée sur le perfectionnement des mines antipersonnel, s'efforce de rattraper son retard sur les moyens de substitution de ces mines dans leur rôle d’alerte et de protection rapprochée des troupes en opération. Deux types de matériel sont en train d’être mis au point et devraient équiper les armées françaises dans le courant de l’année 1998 : le système MODER qui, sur commande manuel d’un opérateur, lance à distance des projectiles, et le système COUGAR, dont la base est assurée par des clôtures faiblement électrifiées associées à des radars. Ces systèmes ne peuvent être assimilés aux mines antipersonnel, qu'ils contribuent ainsi définitivement à disqualifier, en ce sens qu’ils ne fonctionnent ni aveuglément ni automatiquement.

2) La fabrication des mines : une activité économique.

Au cours des vingt-cinq dernières années, quelque 190 millions de mines antipersonnel ont été fabriquées par une centaine de sociétés installées dans une cinquantaine de pays. La production, qui se répartit entre plus de 360 catégories de mines antipersonnel d’un coût unitaire allant de 3 à 300 dollars, aurait atteint son apogée à la fin des années 1980 pour redescendre par la suite à un rythme moyen annuel de cinq millions de mines. Cent millions de mines sont aujourd’hui stockées dans les arsenaux de plus de cent pays.

Le commerce des mines ne joue qu’un rôle très limité dans le commerce mondial des armements; il représente par an 100 millions de dollars sur un total de 28 milliards, soit seulement 0,5%. La disponibilité quasi-universelle de ces armes s’explique par les efforts entrepris tant par les arsenaux d’Etats que par les fabricants du secteur privé pour trouver des acheteurs hors des frontières de leurs pays afin d'amortir les coûts de recherche, de conception et de mise au point des nouveaux modèles.

Les principaux producteurs de mines antipersonnel sont aujourd’hui la Chine, la Russie, l’Inde et les Etats-Unis auxquels il faut ajouter l’Egypte, le Pakistan, le Pérou. Presque toutes les mines placées dans des pays éprouvés par ce fléau ont été fournies par des sources étrangères. Ce fut notamment le cas au Cambodge, en Angola, au Mozambique ou au Soudan, qui ne produisent pas de mines.

Les mines antipersonnel chinoises sont parmi les moins chères du monde et s’exportent dans de nombreux pays... S’étant longtemps cantonnée à copier les mines soviétiques, la Chine a développé ces dernières années ses propres mines avec une priorité à la production des mines dispersables, c’est-à-dire des mines qui projettent lors de leur explosion des fragments métalliques dans un rayon de cinq à dix mètres, à une vitesse qui est parfois supérieure à celle d’une balle.

La liste des pays producteurs de mines antipersonnel recoupe en grande partie, nous le verrons ci-dessous, celle des non-signataires du traité d’Ottawa.

II - LA MISE EN OEUVRE D’UNE INTERDICTION TOTALE

Il convient, à ce stade de notre réflexion, d’étudier plus précisément le contenu des deux conventions soumises à notre examen, pour s’interroger ensuite sur les conditions à satisfaire afin d'assurer la mise en oeuvre universelle de l’interdiction totale des mines antipersonnel.

A - Deux traités complémentaires

1) Le protocole II révisé

Votre Rapporteur a rappelé ci-dessus les circonstances qui ont conduit à l’adoption le 3 mai 1996 d’une nouvelle rédaction du deuxième protocole à la Convention de 1980. Ce protocole marque indéniablement quelques progrès par rapport à la situation préexistante mais laisse subsister de graves lacunes.

a) Une réglementation accrue de l’utilisation des mines antipersonnel

Le protocole II révisé interdit l’emploi des mines les plus dangereuses, parmi lesquelles les mines non détectables (article 4 du protocole). Les exigences en matière de marquage et de cartographie des emplacements minés sont considérablement renforcées (article 5). Les mines employées en dehors des zones clôturées, marquées et surveillées doivent être dotées d’un mécanisme d’autodestruction dans les 30 jours suivant la mise en place (avec un taux de fiabilité exigé de 30%) et d’un mécanisme complémentaire d’autodésactivation conçu de telle sorte que les mines ne fonctionnent plus au bout de 120 jours (avec un taux de fiabilité exigé de 99,9%) (article 5). Cette dernière obligation a pour objectif d’essayer de limiter la durée de vie des mines antipersonnel à celle des besoins militaires. Enfin, le principe de l’enlèvement des mines par la Partie au conflit qui les a posées est clairement affirmé (article 3) même si a priori cette obligation pourra difficilement être respectée par les Etats ne disposant ni des ressources ni des compétences techniques nécessaires pour assurer le déminage.

b) Une réponse qui demeure insatisfaisante

Si la révision du protocole II marque une avancée par rapport au droit existant, elle laisse subsister de graves lacunes qui empêchent de le considérer comme une réponse satisfaisante au problème des mines antipersonnel.

Tout d’abord, ce protocole introduit, dans son article 2, une définition pour le moins ambiguë de la mine antipersonnel entendue comme "principalement concue pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’une personne...". L’adverbe employé : "principalement" permet d’exclure du champ du protocole toute mine antipersonnel à double usage, dont il serait possible de prétendre qu’elle a un autre usage principal. Alors que l’on voit de plus en plus apparaître des matériels comportant des éléments à la fois antipersonnel et antichar, il est essentiel que toute mine suceptible de blesser des personnes soit considérée comme une mine antipersonnel et que son utilisation soit réglementée en conséquence, qu’elle ait été ou non principalement concue comme telle.

La France a émis une déclaration interprétative qui a été reprise par tout les Etats européens. Cette déclaration précise que "les mines concues pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’un véhicule, par opposition à une personne, et qui sont équipées de dispositifs anti-manipulation, ne sont pas considérées comme des mines antipersonnel au motif qu’elles sont ainsi équipées". Cette interprétation a donc pour principal objet d’ exclure les mines antichars du champ de la réglementation plutôt que de lever l’ambiguïté dénoncée ci-dessus.

Il est possible également de reprocher au Protocole de continuer à autoriser l’utilisation de mines antipersonnel mises en place à distance, dont l’emplacement est de fait quasiment impossible à enregistrer de manière précise, dès lors que celles-ci sont dotées d’un mécanisme d’autodestruction et d’un dispositif complémentaire d’autodésactivation. Cette disposition revient à encourager de fait la production de mines dite "intelligentes" par opposition aux mines "bêtes" dont la durée de vie n’est pas limitée, ainsi que la poursuite de la commercialisation de disperseurs de mines. Les mines mises en place à distance le sont en général en grandes quantités et sur de vastes étendues; leur emploi risque en conséquence de provoquer un accroissement du nombre de victimes civiles.

L’extension du champ d’application du Protocole II aux conflits armés de caractère non international a du reste été intégrée de manière assez ambiguë. Le principe "sacro-saint" de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays a conduit à rejeter l’application du Protocole en toutes circonstances, et à établir une subtile distinction entre troubles et conflits internes. Le paragraphe 2 de l’article 1er du Protocole modifié prévoit que ce dernier ne s’applique pas "aux situations de tensions et de troubles intérieurs, telles que émeutes, actes de violence isolés et sporadiques et autres actes de caractère similaire, qui ne sont pas des conflits armés" alors que le paragraphe 3 de ce même article prévoit que les interdictions et restrictions s’appliquent aux "conflits armés qui ne revêtent pas un caractère international et se produisent sur le territoire de l’une des ... Parties". Cette subtile distinction, concevable au titre du respect de la souveraineté des Etats sur leurs conflits internes à caractère social, apparaît pourtant bien difficile à mettre en oeuvre et revient dans les faits à laisser à chaque Etat le soin de déterminer si le Protocole est applicable ou pas.

Le Protocole modifié ne définit aucun mécanisme de vérification des restrictions à l’utilisation des mines antipersonnel, et aucune sanction n’est prévue en cas de leur violation. Seul un mécanisme général de suivi de l’application de la convention et de ses protocoles est institué avec des réunions annuelles des Etats parties (article 13).

Enfin, ce Protocole n’est pas d’application immédiate. Une période de transition de neuf ans à compter de l’entrée en vigueur du Protocole a été accordée aux Etats qui ne pourraient pas se conformer immédiatement à ces dispositions.

Ces carences permettent de mieux comprendre le jugement de M. Boutros Boutros-Ghali selon lequel le Protocole modifié "ne peut que décevoir l’opinion publique internationale et, en particulier, les centaines de milliers de victimes des mines dans le monde entier".

2) Le traité d’Ottawa

La convention signée le 3 décembre 1997 à Ottawa par 121 Etats -devenus 125 depuis lors- représente le texte d’interdiction totale et sans exception qui constitue la seule solution acceptable au problème des mines antipersonnel.

a) Un principe d’interdiction totale

Le traité d’Ottawa pose tout d’abord un principe d’interdiction totale puisqu’aux termes de l’article premier sont interdits l’emploi, la mise au point, la fabrication, le stockage et le transfert des mines antipersonnel.

Il impose ensuite aux Etats signataires l’obligation de détruire leurs stocks de mines antipersonnel dans un délai de quatre ans après l’entrée en vigueur de la convention (article 4) et de retirer dans un délai de dix ans toutes les mines antipersonnel dont l’existence sur leur territoire est avérée ou soupçonnée (article 5). En attendant, les périmètres concernés devront être signalés et protégés. Par souci de réalisme, il est toutefois prévu que le délai de déminage puisse être prolongé sur décision à la majorité des Etats parties statuant sur une demande argumentée.

Les exceptions au principe d’interdiction générale sont strictement limitées (article 3).

D’une part, la conservation d’un nombre minimum de mines antipersonnel est autorisée pour la mise au point de techniques de détection des mines, de déminage ou de destruction des mines, et pour la formation à ces techniques. Les négociateurs n’ont pu s’accorder sur un plafond quantitatif mais il est précisé que le nombre de ces mines ne doit pas excéder le minimum absolument nécessaire aux fins ainsi rappelées. La France et la Grande-Bretagne ont respectivement estimé à 5 000 et 4 000 mines la quantité nécessaire à cet effet.

D’autre part, est également autorisé le transfert des mines antipersonnel aux fins de destruction. Cette dérogation devrait permettre aux pays ne disposant pas de capacités de destruction de faire appel aux services des autres Etats parties.

b) Un mécanisme de contrôle des obligations

Un aspect très important du traité d’Ottawa consiste en l’introduction, notamment à la demande de la France et de l’Allemagne, d’un mécanisme permettant de vérifier le respect de ses dispositions. Il est en effet prévu (article 7) que chaque Etat partie présentera annuellement au Secrétaire général des Nations Unies un rapport contenant les renseignements suivants : les mesures prises à titre national pour l’application de la convention; le total de ses stocks de mines antipersonnel; la localisation de toutes les zones minées; un état précis des mines antipersonnel conservées ou transférées, conformément à la convention, pour la mise au point de techniques de détection, de déminage ou de destruction des mines; un état des programmes de reconversion ou de mise hors service des installations de production des mines antipersonnel; les types et quantités de toutes les mines antipersonnel détruites.

Le dispositif prévoit également un mécanisme de vérification internationale qui peut aller, si les éclaircissements demandés sont jugés insuffisants, jusqu’à la constitution et l’envoi d’une mission d’établissement des faits, dotée d’un mandat fixé à la majorité des Etats parties (article 8). Ce mécanisme s’inspire de celui qui existe déjà dans le cadre de la convention sur les armes chimiques. La procédure prévue s’efforce de ménager à la fois la nécessité d’accéder à toutes les zones et installations suspectes, et celle de respecter la souveraineté de l’Etat inspecté.

Certaines ONG ont estimé souhaitable de ne pas se limiter à la diffusion des seules informations recueillies auprès des gouvernements au titre de l’article 7. Elles ont en conséquence travaillé pour mettre en place un réseau indépendant de surveillance de l’application de la convention d’Ottawa qui serait à l’origine d’un rapport annuel sur le respect de ses dispositions. Ce projet, qui pourrait faire appel à des financements publics, apparaît comme un dispositif complémentaire séduisant dès lors que seront assurés la fiabilité des données diffusées et la crédibilité du dispositif de surveillance.

c) Une coopération et assistance internationale dans le domaine du déminage

Enfin, la convention d’Ottawa ne s’est pas contentée d’édicter une norme d’interdiction totale pour l’avenir. Elle a tenu compte du désastre humanitaire des années passées et prévoit des dispositions visant à renforcer la coopération et l’assistance internationale dans le domaine du déminage (article 6).

B. Les conditions nécessaires à une mise oeuvre universelle de l’interdiction totale

1) L’adoption de mesures nationales

Il appartiendra à chaque Etat partie de déterminer son propre calendrier de la mise en oeuvre de la convention d’Ottawa. La France n’a guère perdu de temps. Les opérations de déstruction du stock de mines antipersonnel, qui se monte à 1,4 million d’unités, ont d’ores et déjà commencé. Il est prévu que la moitié de ce stock soit détruit à l’été 1998 et que les opérations de destruction totale soit achevées avant la fin de l’an 2000, soit bien avant le délai prévu dans le traité d’Ottawa.

D’ores et déjà également, la France a engagé une procédure législative en vue d’accélérer la mise en oeuvre du traité d’Ottawa sur le plan national, notamment en prévoyant des sanctions pénales en cas d’infractions aux obligations posées par la convention. Une proposition de loi déposée à l’initiative d’un groupe de députés a été adoptée par l’Assemblée nationale le 24 avril 1998, et par le Sénat le 4 juin dernier, c’est-à-dire avant même que l’autorisation de ratification du traité d’Ottawa ne soit accordée par le Parlement. Cette procédure un peu inhabituelle montre la volonté de la France d’aller en ce domaine à pas forcés.

A titre de comparaison, la Grande-Bretagne a annoncé que la totalité de son stock de mines antipersonnel, dont le niveau atteint un million d’unités, serait détruit d’ici l’an 2000.

2) L’extension de l’interdiction totale

Le nombre de 125 Etats signataires du traité d’Ottawa est un résultat que l’on peut considérer comme inespéré. Ce chiffre est un réel succès. Mais ainsi que votre Rapporteur l’a déjà fait remarquer, les plus gros producteurs et utilisateurs de mines antipersonnel n’apparaissent pas sur cette liste. Les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan, Israël, la Turquie, le Liban, la Syrie, la République fédérative de Yougoslavie, les deux Corées, le Vietnam, l’Afghanistan ou bien encore l’Iran ou l’Irak n’ont pas signé le traité d’Ottawa. La Finlande est le seul Etat de l’Union européenne à ne pas être signataire, ce qu’elle explique par la nécessité de protéger sa frontière commune avec la Russie.

Les Etats-Unis ont justifié leur refus de signer le traité d’Ottawa en mettant en avant la nécessité de défendre les 37 000 soldats américains stationnés en Corée du Sud qui font face à une armée communiste de plus d’un million d’hommes et par le fait que certains types de mines anti-chars sont combinées avec des mines antipersonnel. Ces excuses techniques ne sont guère convaincantes et ont du mal à expliquer que les Etats Unis se retrouvent aujourd’hui sur la même liste que les pays qu’ils dénoncent comme les plus dangereux pour la paix mondiale : l’Iran, l’Irak ou la Libye.

Le combat de l’universalité de l’interdiction des mines antipersonnel reste donc encore à mener. Deux types d’action sont possibles. La première consiste à continuer de faire appel aux opinions publiques nationales pour que les gouvernements concernés soient incités à rejoindre le traité d’Ottawa. La seconde serait de renouer le dialogue dans le cadre plus traditionnel de la Conférence du désarmement de Genève, dont sont membres la plupart des Etats non signataires du traité d’Ottawa. L’objectif serait d’organiser un processus progressif de ralliement au principe d’interdiction totale des mines antipersonnel, dont la première étape pourrait consister, ainsi que l’a déjà suggéré le ministre des Affaires étrangères M. Hubert Védrine, en la négociation d’un accord universel d’interdiction des transferts (exportations et importations) de mines antipersonnel, ce qui contribuerait à assècher le marché auquel s’approvisionnent les Etats et les acteurs non gouvernementaux.

3) L’aide au déminage

Selon les Nations Unies, 2 à 5 millions de nouvelles mines sont mises en place chaque année, s'ajoutant aux 110 millions présentes. Ce chiffre apparait d'autant plus élevé si on le compare à celui des 100 000 mines qui sont enlevées chaque année. Le nombre total de mines continue donc d'augmenter. Même si les mines antipersonnel étaient interdites demain, il resterait urgent d'entreprendre des opérations de déminage massives et intensives.

Un Service d’action contre les mines a été créé au sein de l’ONU au lendemain de la signature du traité d’Ottawa. Ce nouveau service a pour ambition de jouer un rôle moteur en matière de coordination de l’action internationale dans le domaine du déminage humanitaire et de l’assistance aux victimes. Une base de données exhaustive devrait au reste recueillir l’état des lieux des zones minées ainsi que les informations sur la nature et l’état d’avancement des principaux programmes en cours. Le coût du déminage total de la planète est estimé à 30 milliards de dollars.

La France pour sa part a annoncé qu’elle entendait poursuivre son action en matière de déminage humanitaire auquel elle a déjà consacré 50 millions de francs depuis 1994. Les forces armées françaises ont acquis une grande expérience dans le domaine de l’enlèvement des engins explosifs, et ont effectué depuis 1978 une vingtaine d’opérations extérieures de déminage et de formation au déminage, notamment au Liban, au Tchad, au Cambodge, en Somalie, en ex-Yougoslavie, au Mozambique et en Angola.

Il appartient à l’ensemble des pays développés de soutenir et conforter cet effort en faveur du déminage de la planète. Une terre sans mines antipersonnel : c’est le plus bel héritage à laisser à nos enfants.

CONCLUSION

Qui saurait expliquer par quel mystérieux précipité, l'imprévisible alchimie, brassant ensemble la guerre des ONG contre le guerre des lâches, la silencieuse ténacité d'une opinion publique pétitionnaire, les tentatives parlementaires dispersées mais convergentes, les sursauts gouvernementaux vertueux ou audacieux, les textes nationaux rigoureux mais discrets, la curiosité intermittente des médias, les accords en pointillé dans les palais de verre, a transformé une marche poussive et morose vers la restriction de l'usage des mines antipersonnel en un traité sensible et fier, adulé par plus de cent vingt pays dans le froid sec et revigorant d'Ottawa ?

Magie d'une rencontre fortuite entre la force du bon sens, le contact inattendu et fécond d'univers étanches, la lucide perception d'intérêts en mue, un opportun compromis de logiques, l'irruption en diplomatie de la générosité ? Sans doute ! Un événement d'une telle dimension ne saurait échapper ni à la rationalité des parties ni au bonheur du hasard. Il se trouvera des exégètes éclairés pour jauger l'influence de chacun des mobiles.

Pour l'heure, le fait est.

Il y avait, dans la ronde vertigineuse des approximations sur les mines enfouies, les victimes décédées et mutilées, les stocks et les marchés, les coûts et les profits, à la fois une pressante exigence d'en finir avec ces sentinelles éternelles et monstrueuses, et une sourde désespérance sur l'incommensurable immensité de la tâche de déminage, sur la sournoise absurdité de l'oeuvre à l'échelle humaine. En même temps que grondait une révolte fulgurante face à ces projets belliqueux dont les conséquences sont consubstantielles aux finalités : démoraliser en blessant, frapper aveuglément les civils, geler des terres fertiles, bref, hors de tout sens de l'honneur et de toute dignité, apporter chacun sa part à la détresse et à la pauvreté.

Aujourd'hui, nous nous acheminons vers un processus de ratification qui devrait se révéler plus facile que celui de nombreux traités internationaux. Du fait du nombre de ratifications nécessaires, mais aussi du fait de la nature des pays qui font la locomotive et qui ont toutes les raisons de recentrer leurs efforts sur le développement ou sur l'aide au développement.

La France s'enorgueillit de ses initiatives. Elle a raison. Même s'il lui est arrivé de traîner un peu, de se laisser distancer par moments par des puissances moyennes qui ne jouissent pas d'une réputation de patrie des droits de l'Homme, même s'il se trouvera toujours des esprits grincheux pour ne pas reconnaître de bonne grâce l'effet symbolique et entraînant de ses seules déclarations. Elle se glorifie de ses décisions unilatérales, à juste titre. Elle y a gagné en prestance, en crédibilité, en fidélité à ses valeurs.

Il lui reste encore quelques rôles à jouer. En défendant la conception d'un "déminage de proximité conduisant à l'enlèvement de tous les engins explosifs dans les zones indispensables à la vie et au développement", comme nous l'a déclaré M. Alain Richard, Ministre de la Défense lors du débat parlementaire du 24 avril dernier, la France prend clairement l'option de la solidarité contre l'assistanat. En privilégiant "les programmes intégrés en faveur des populations civiles, par la sensibilisation des populations au danger des mines, le marquage des zones dangereuses, l'enlèvement des engins, la formation de démineurs locaux, l'assistance technique à la mise sur pied d'institutions nationales pour gérer des programmes de long terme, la mise en place d'ateliers d'appareillage et de traitement de la douleur", elle choisit l'accompagnement contre l'ingérence.

Il restera à concevoir et à mettre en oeuvre des politiques d'aide au développement qui assimilent les configurations nouvelles. Car les mines antipersonnel sont significatives du clivage entre le Nord et le Sud, ces deux points cardinaux devenues concepts géopolitiques. Cette arme a proliféré, en effet, en dehors des armées régulières. Elle est disséminée dans les pays pauvres d'Afrique, d'Asie, d'Europe de l'Est. Elle fournit, à bon compte, une réelle capacité de destruction, nourrit l'illusion d'une force de frappe, caresse l'impression d'une aptitude à défier les puissants, à défaut d'un voisinage glorieux dans leurs auditoriums ou d'une admission dans leurs clubs. Elle provoque des coûts sociaux insurmontables, alimentant la spirale de l'exclusion, de la misère et de la rancoeur. Elle donne consistance aux crispations ethniques là où la cohésion nationale a échoué, aux intolérances religieuses là où la laïcité n'a pas assèché les inégalités, aux fantasmes de sécession là où les infrastructures n'ont pas créé la continuité territoriale. Elle livre des millions de vies humaines à l'arbitraire de cheffaillons nombrilistes. Elle pullule partout où manquent les contre-pouvoirs et les espaces d'expression d'une opinion publique qui, dans les pays du Nord, a su se constituer garante de la démocratie, tandis que les schémas traditionnels de consultation, de concertation et de contrôle populaire explosaient au Sud, sous l'étreinte venimeuse des conquêtes coloniales et dans le carcan des constructions nationales forgées par des tracés de lignes géostratégiques sur des cartes longtemps censurées de leurs réalités humaines.

Les poseurs de mines au Sud ne s'en trouvent pas absous. Ils en récolteraient plutôt des circonstances aggravantes. Pour autant, les acteurs du commerce international, les concepteurs de catalogue, les génies du marketing, les convoyeurs de technologie, et l'improbable communauté internationale demeurent pleinement responsables de leur part de complicité, prise en toute lucidité, par action ou par omission.

Déjà, deux mondes ont appris à se connaître et à se respecter. Les militaires ne sont plus, sans doute, aux yeux des militants humanitaires les va-t-en-guerre obtus et insensibles de leurs caricatures. Si tant est que cela fut. Les humanitaires ne sont plus, espérons-le, aux yeux des hommes de la sécurité du territoire, de bucoliques énergumènes. Si tant est là aussi...

Les uns ont de l'expertise, des réseaux, des moyens, l'expérience de l'intervention. Les autres ont de l'enthousiasme, de la détermination, des sentinelles, des supporters, l'expérience de la solidarité. Et chacun un peu de tout ce que possède l'autre. Quelle merveilleuse promesse si ces talents s'enlaçaient durablement...

Ce sera la grandeur des femmes et des hommes politiques que nous sommes d'y oeuvrer inlassablement.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les deux projets de loi (n° 29 et 264), au cours de sa réunion du mercredi 17 juin 1998.

Après l’exposé de M. François Loncle, suppléant Mme Christiane Taubira-Delannon, empêchée, le Président Jack Lang a rappelé que le Parlement a déjà examiné en première lecture une proposition de loi qui prévoit notamment des sanctions pénales en cas d'infraction aux obligations posées par le traité d'Ottawa. Cette rapidité témoigne de la volonté de la France d'aller de l'avant.

M. Pierre Brana a regretté que l'aide internationale pour le déminage des pays particulièrement touchés par les mines antipersonnel, notamment la Bosnie et le Cambodge, ne soit pas plus importante.

Le Président Jack Lang a déclaré partager cet avis et a souhaité que le Rapporteur fasse part de cette préoccupation au Gouvernement lors de la séance publique.

M. René André a demandé des précisions sur la liste des Etats signataires du traité d'Ottawa.

M. François Loncle a précisé que le traité d'Ottawa avait, certes, été signé par 125 pays, mais que, parmi les pays non signataires, se trouvaient notamment les Etats-Unis, la Russie et la Chine.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les deux projets de loi (nos 29 et 264).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, les deux projets de loi (n° 29 et 264).

NB : Les textes du protocole et de la convention figurent respectivement en annexe aux projets de loi (nos 29 et 964).

ANNEXE I

LISTE DES ETATS AYANT RATIFIÉ OU ADHÉRÉ A LA

CONVENTION DE 1980 ET AYANT NOTIFIÉ LEUR

CONSENTEMENT A ETRE LIÉS PAR LE PROTOCOLE II

(Les Etats signalés en gras sont ceux qui n'ont pas signé la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et des transferts des mines anti-personnel et sur leur destruction)

Afrique du Sud Laos

Allemagne Lettonie

Argentine Liechtenstein

Australie Luxembourg

Autriche Macédoine

Biélorussie Malte

Belgique Maurice

Bosnie-Herzégovine Mexique

Brésil Mongolie

Bulgarie Niger

Cambodge Norvège

Canada Nouvelle-Zélande

Chine Ouganda

Chypre Pakistan

Croatie Panama

Cuba Pays-Bas

Danemark Pologne

Equateur Portugal

Espagne Roumanie

Etats-Unis Royaume-Uni

Finlande Russie

France Slovaquie

Géorgie Slovénie

Grèce Suède

Guatamela Suisse

Hongrie République tchèque

Inde Togo

Irlande Tunisie

Israël Ukraine

Italie Uruguay

Japon Yougoslavie

ANNEXE II

Liste des Etats signataires de la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et des transferts des mines antipersonnel

et sur leur destruction

(Les Etats signalés en gras sont ceux qui ont déposé leur instrument de ratification)

Afrique du Sud Côte d'Ivoire Kenya Rép. tchèque
Algérie Croatie Lesotho Roumanie
Allemagne Danemark Liechtenstein Royaume-Uni
Andorre Djibouti Luxembourg Rwanda
Angola Dominique Madagascar Saint-Kitts et Nevis
Antigua et Barbade Equateur Malawi Sainte-Lucie
Argentine El Salvador Malaisie Saint-Siège
Australie Espagne Mali Saint-Martin
Autriche Ethiopie Malte Samoa
Bahamas Fidji Maurice Sénégal
Barbade France Mauritanie Seychelles
Belgique Gabon Mexique Slovaquie
Belize Gambie Monaco Slovénie
Bengladesh Ghana Mozambique Soudan
Bénin Grèce Namibie Suède
Bolivie Grenade Nicaragua Suisse
Bosnie-Herzégovine Grenadines Niger Surinam
Botswana Guatemala Ile Niue Swaziland
Brésil Guinée Norvège Thaïlande
Brunei Darussalam Guinée-Bissau Nouvelle-ZélandeTogo
Bulgarie Guyana Ouganda Trinité et Tobago
Burkina Fasso Haïti Panama Tunisie
Burundi Honduras Paraguay Turkménistan
Cambodge Hongrie Pays-Bas Uruguay
Cameroun Iles Marshall Pérou Vanuatu
Canada
Iles Salomon Philippines Vénézuela
Cap-Vert Indonésie Pologne Yémen
Chili Irlande Portugal Zambie
Chypre Islande Qatar Zimbabwe
Colombie Italie République dominicaine

Iles Cook Jamaïque République de Moldavie
Costa Rica Japon Républ. unie de Tanzanie

___________

N° 990.– Rapport de Mme Christiane Taubira-Delannon (au nom de la commission des affaires étrangères), sur les projets de loi, adoptés par le Sénat,
- autorisant la ratification du protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs tel qu'il a été modifié le 3 mai 1996 (protocole II, tel qu'il a été modifié le 3 mai 1996), annexé à la convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination,
- autorisant la ratification de la convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction.