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le 7 octobre 1998

N° 1102

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er octobre 1998

AVIS

présenté

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES(1) SUR LES PROPOSITIONS DE LOI :

– (n° 88) DE M. JEAN-PIERRE MICHEL et plusieurs de ses collègues visant à créer un contrat d’union civile et sociale,

– (n° 94) DE M. JEAN-MARC AYRAULT et plusieurs de ses collègues relative au contrat d’union sociale,

– (n° 249) DE M. GEORGES HAGE et plusieurs de ses collègues relative aux droits des couples non mariés,

PAR M. Patrick BLOCHE,

Député.

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Droit civil.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; MM. René Couanau, Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, Maxime Gremetz, vice-présidents ; Mme Odette Grzegrzulka, MM. Denis Jacquat, Noël Mamère, Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; MM. Yvon Abiven, Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux, MM. André Aschieri, Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Baeumler, Pierre-Christophe Baguet, Jean Bardet, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Mmes Huguette Bello, Yvette Benayoun-Nakache, MM. Patrick Bloche, Alain Bocquet, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Jean-Claude Boulard, Bruno Bourg-Broc, Mme Christine Boutin, MM. Jean-Paul Bret, Victor Brial, Yves Bur, Alain Calmat, Pierre Carassus, Pierre Cardo, Roland Carraz, Mmes Véronique Carrion-Bastok, Odette Casanova, MM. Jean-Charles Cavaillé, Bernard Charles, Jean-Marc Chavanne, Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Georges Colombier, François Cornut-Gentille, Mme Martine David, MM. Bernard Davoine, Lucien Degauchy, Marcel Dehoux, Jean Delobel, Jean-Jacques Denis, Mme Monique Denise, MM. Franck Dhersin, Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, MM. Guy Drut, Nicolas Dupont-Aignan, Yves Durand, René Dutin, Christian Estrosi, Claude Evin, Jean Falala, Jean-Pierre Foucher, Jean-Louis Fousseret, Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, MM. Yves Fromion, Germain Gengenwin, Mmes Catherine Génisson, Dominique Gillot, MM. Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Jean Glavany, Gaëtan Gorce, François Goulard, Jean-Claude Guibal, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, M.  Francis Hammel, Mme Cécile Helle, MM. Pierre Hellier, Michel Herbillon, Guy Hermier, Mmes Françoise Imbert, Muguette Jacquaint, MM. Maurice Janetti, Serge Janquin, Armand Jung, Bertrand Kern, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Jacques Lafleur, Robert Lamy, Edouard Landrain, Pierre Lasbordes, Mme Jacqueline Lazard, MM. Maurice Leroy, Patrick Leroy, Maurice Ligot, Gérard Lindeperg, Patrick Malavieille, Mme Gilberte Marin-Moskovitz, MM. Didier Mathus, Jean-François Mattei, Mme Hélène Mignon, MM. Jean-Claude Mignon, Renaud Muselier, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Yves Nicolin, Bernard Outin, Dominique Paillé, Michel Pajon, Michel Péricard, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Bernard Perrut, Pierre Petit, Mme Catherine Picard, MM. Jean Pontier, Jean-Luc Préel, Alfred Recours, Gilles de Robien, François Rochebloine, Marcel Rogemont, Yves Rome, Jean Rouger, Rudy Salles, André Schneider, Patrick Sève, Michel Tamaya, Pascal Terrasse, Gérard Terrier, Mmes Marisol Touraine, Odette Trupin, MM. Anicet Turinay, Jean Ueberschlag, Jean Valleix, Emile Vernaudon, Philippe Vuilque, Jean-Jacques Weber, Mme Marie-Jo Zimmermann.

INTRODUCTION 5

I.- CONCUBINAGE ET HOMOSEXUALITÉ : DE LA TOLÉRANCE À LA RECONNAISSANCE 7

A. LA TOLÉRANCE : UNE EXCEPTION FRANÇAISE 7

1. 1791-1942 : La non-intervention de l’Etat dans le domaine de la sexualité 7

2. 1942-1982 : Les discriminations légales 8

B. LA RECONNAISSANCE : UNE REVENDICATION HOMOSEXUELLE QUI INTÉRESSE L’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ 14

1. L’apparition du couple, entre la personne et la famille 14

2. Les premières tentatives de formalisation législative 16

C. LES INITIATIVES PARLEMENTAIRES DEPUIS LE DÉBUT DE LA 11ÈME LÉGISLATURE 19

II.- LE PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ : LA MATÉRIALISATION D’UN LIEN SOCIAL MODERNE 21

A. LE COUPLE ET SON ÉVOLUTION 21

1. L’union libre, un choix qui se généralise 21

2. Du constat au contrat 22

B. POURQUOI ET COMMENT LÉGIFÉRER 23

1. Une loi nécessaire 23

2. Une loi de portée générale 25

C. LE TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES LOIS 27

D. QUELQUES COMPLÉMENTS NÉCESSAIRES 30

TRAVAUX DE LA COMMISSION 33

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 33

II.- EXAMEN DES ARTICLES : 42

Article 1er : Insertion des articles relatifs au pacte civil de solidarité dans le livre premier du code civil 42

Article 2 : Définition du pacte civil de solidarité 42

Article 3 : Empêchements à la conclusion d’un pacte civil de solidarité 43

Article 9 : Dissolution du pacte civil de solidarité 46

Article 13 : Abattement en matière de droits sur les successions et donations 47

Article 20 : Continuation du contrat de location 48

Article 21 : Droit de reprise du bailleur 49

Article 22 : Décret d’application 49

Article 23 : Compensation des pertes éventuelles de recettes 49

AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 51

ANNEXES 53

I.- LISTE DES AUDITIONS AUXQUELLES MM. JEAN-PIERRE MICHEL ET PATRICK BLOCHE ONT PROCÉDÉ 53

II.- TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES LOIS 55

INTRODUCTION

La loi peut-elle bloquer les évolutions de la société et des modes de vie, doit-elle au contraire tenter de les anticiper, ou bien encore se contenter de les accompagner ? La loi peut-elle être – par son silence – facteur d’inégalité et de discrimination, en traitant de manière très différentes des situations humaines identiques ? Doit-elle, au contraire, rétablir l’égalité ou établir des “ discriminations positives ” pour encourager – ou du moins faciliter – l’évolution de la société ?

D’un objet en apparence simple, les trois propositions de loi ayant abouti au texte proposé par la commission des lois, texte sur lequel la commission des affaires culturelles, familiales et sociales est appelée, au-delà des aspects sociaux qui motivent sa saisine pour avis, à émettre un avis d’ensemble, débouchent en fait sur d’importantes problématiques, qu’il n’est pas question d’éluder.

Il faut cependant, d’emblée, distinguer, au sein des débats suscités par ce texte, les interrogations sérieuses des questions que ce texte ne pose pas. Cette distinction conduit le rapporteur à souhaiter éviter les faux problèmes. Il convient donc d’éliminer des arguments totalement erronés s’agissant des enjeux et des objectifs de ces propositions. Ainsi, il ne s’agit pas d’instaurer un “ mariage au rabais ”, avec des droits identiques mais sans devoirs. Il ne s’agit pas, non plus, de mettre en place un quelconque “ succédané ” de mariage, de modifier, en quoi que ce soit, le droit de l’adoption ni de porter atteinte à la structure familiale telle qu’elle existe dans le code civil. Ces critiques sont sans fondement : la volonté de caricature qu’elles traduisent est telle que la réalité n’est plus perceptible.

La tolérance, dans le domaine des modes de vie et des choix sexuels, est une exception française. La Révolution a appliqué à ces questions les principes de respect de la sphère privée, hérités des Lumières. Si les conséquences démographiques de la première guerre mondiale ont conduit les Gouvernements qui se sont succédés à partir de 1920 à mener une politique familiale, à vrai dire extrêmement timide, elles les ont, parallèlement, conduit à justifier l’encadrement des comportements sexuels et des couples. Ce nouvel ordre moral a culminé sous le régime de Vichy, les dernières mesures discriminatoires étant abrogées au cours des années 1980. Il n’est pas inutile, pour éclairer le débat sur le pacte civil de solidarité, d’en réinsérer la problématique dans cette perspective historique.

Il convient, par ailleurs, d’analyser le mouvement qui a conduit d’une revendication d’homosexuels vivant en couple à une demande générale d’un statut pour les concubins, voire les duos ou les paires. Cette dynamique est très perceptible lorsque l’on étudie les initiatives parlementaires, dans ce domaine, depuis dix ans.

Si l’on fait litière des critiques, il importe de se concentrer sur les objectifs réels de ces propositions. En premier lieu, ceux-ci répondent à la volonté de combler une carence, à savoir l’absence totale de statut juridique du concubinage dans notre pays.

La matérialisation d’un lien social moderne apparaît, en effet, particulièrement nécessaire lorsque l’on analyse l’évolution du couple.

Le déclin du mariage est une réalité statistique. Elle n’a pas porté une atteinte substantielle au “ modèle ” qu’il représente, mais elle implique que cette forme d’union ne soit plus la seule et unique norme : le mariage est un choix de mode de vie à deux parmi d’autres. L’union libre, la cohabitation, qui peut être le prélude à un mariage ou une manière de vivre provisoire ou encore une union durable, est devenue une réalité.

Or, le droit – qu’il s’agisse du droit civil, fiscal ou social – n’appréhende que très marginalement l’union libre : celle-ci est un fait de société et non un sujet juridique. Les couples homosexuels, quant à eux, se voient refuser le fait même d’être considérés comme tels. C’est à cet écart croissant entre les faits, l’évolution des modes de vie, des choix des couples d’une part, et le silence de la loi, d’autre part, que ces propositions de loi entendent remédier.

Cet objectif de renforcement de la solidarité des couples non mariés et d’amélioration de tous les aspects de leur vie quotidienne justifiait pleinement la saisine de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur l’ensemble du dispositif législatif proposé.

I.- CONCUBINAGE ET HOMOSEXUALITÉ : DE LA TOLÉRANCE À LA RECONNAISSANCE

A. LA TOLÉRANCE : UNE EXCEPTION FRANÇAISE

1. 1791-1942 : La non-intervention de l’Etat dans le domaine de la sexualité

L’ensemble des textes normatifs issus de la Révolution française s’est caractérisé par une réelle indifférence en matière sexuelle, en dehors des relations matrimoniales. La diffusion des écrits des Lumières, libertins et philosophiques, avait répandu la réflexion sur le moral ou l’immoral, le naturel ou le non naturel et sur la nécessité ou l’étendue de l’intervention de l’Etat dans le domaine des moeurs. Ces questions sont donc progressivement apparues, entre adultes consentants, comme relevant de l’exercice de la liberté individuelle, telle qu’elle est définie par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “ La loi n’a le droit de défendre que ce qui est nuisible à la société ” (article 5).

L’adage repris lors de l’examen du code civil, “ les concubins ignorent la loi, la loi ignore les concubins ”, qui a été le fondement, pendant des décennies, du refus d’une quelconque prise en compte jurisprudentielle de cette forme de couple, doit cependant être apprécié comme une rupture significative avec les condamnations religieuses antérieures. Cet esprit du temps va donc bien au-delà de la seule intervention de juristes indulgents sur ces questions, comme Cambacérès. Le code pénal, dans ses versions successives de 1791 et de 1810, ne comportait aucune condamnation spécifique de l’homosexualité.

La Révolution a, là aussi, réalisé ce que l’Ancien régime n’avait pas pu ou pas voulu modifier. Quarante ans auparavant, en effet, au mois de janvier 1750, les gagne-deniers et cordonnier Jean Diot et Bruno Lenoir, pris de boisson, sont surpris par le guet, rue Montorgueil à Paris, en train de commettre ce qui aurait dû être considéré comme un banal outrage à la pudeur, comme il s’en produisait régulièrement, passible d’une mercuriale. Ils sont cependant condamnés à la peine maximum, sentence confirmée par le Parlement, et brûlés en place de Grève le 6 juillet 1750. C’est, en France, le dernier “ bûcher de Sodome ”.

Au début du dix-neuvième siècle, en Angleterre, il est arrivé que l’on pende, annuellement, plus d’homosexuels que d’assassins et l’on sait, à l’extrême fin du siècle, le sort que la justice victorienne allait réserver à Oscar Wilde. Le paragraphe 175 du code pénal de l’Empire allemand est un autre exemple d’une répression spécifique inconnue du dix-neuvième siècle français.

L’absence de condamnation légale ne veut pas dire que les jugements n’étaient pas aggravés, en cas d’actes jugés “ contre-nature ”, ni que la société accueillait, sans réserve, le troisième sexe, selon l’expression que reprend Balzac dans “ Splendeurs et misères des courtisanes ”, à un moment où la bourgeoisie triomphante redoutait, plus que tout, la liberté sexuelle. On se souvient du mot cruel de la comtesse Merlin sur Custine : “ Ce pauvre marquis, il est charmant, mais je ne peux pas le toucher, sa main me répugne ... elle colle! ”. Cette tolérance, fondée, pour les juristes de la Restauration, (Cheveau et Hélie, “ Théorie du code pénal ” 1837-1842), sur le fait que la révélation et la sanction d’actes commis en privé et n’impliquant que leurs auteurs consentants risqueraient, par l’exemple, de répandre ce que l’on voudrait réprimer, restait donc toute relative. Le concubinage était, quant à lui, doublement déprécié, moralement et socialement, les classes défavorisées étant les plus concernées par ce type de relations.

Cette absence d’intervention de la loi aurait dû conduire, dans la continuité des grandes lois libérales de la IIIème République, du respect de la liberté de penser au droit à la libre disposition de son corps.

2. 1942-1982 : Les discriminations légales

Or, les bouleversements historiques du vingtième siècle ont profondément perturbé cette évolution souhaitable. Le choc de la première guerre mondiale et la majorité Bloc national de la chambre élue à son issue sont à l’origine de toute une série de mesures restrictives qui culmineront sous le régime de Vichy. Les premières victimes de cette remise en cause sont les femmes, dont la politique nataliste, consécutive aux massacres de la guerre, veut faire, avant tout, des mères.

La loi du 31 juillet 1920 réprimant la provocation à l’avortement et à la propagande anticonceptionnelle interdit toute propagande dans ce domaine et la loi du 27 mars 1923 modifiant les dispositions de l’article 317 du code pénal sur l’avortement, transforme le crime en délit, dans l’espoir d’une sévérité plus grande des juges professionnels. En effet, les jurés des cours d’assises acquittaient dans une proportion de 80 % les inculpées, alors qu’entre 1925 et 1935, les acquittements ne sont plus que de 19 %. Pour autant, cette régression est avant tout institutionnelle. La comparution d’Henriette Alquier, une institutrice qui avait rédigé, au nom des Groupes féministes laïques, un rapport sur la maternité consciente, a suscité un tel mouvement d’opinion en sa faveur, qu’elle fut acquittée.

Parallèlement, les services de police renforçaient leur surveillance des mœurs. Les fichiers ainsi constitués, remis aux nouvelles autorités nationales-socialistes dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle ont constitué la base de centaines de persécutions et de déportations d’homosexuels.

En 1942, sous l’influence de “ cette constitution ” qui “ devra garantir le droit du travail, de la famille et de la patrie ” (loi constitutionnelle du 10 juillet 1940) et pour la première fois depuis la Révolution, une loi introduisant une discrimination fondée sur le sexe des partenaires est adoptée. Darlan, qui en a l’initiative, constatait, pour le regretter, que dans une affaire d’homosexualité entre civils et marins, il lui était impossible de sanctionner les civils. L’alinéa 1er de l’article 334 du code pénal est donc modifié par l’acte dit loi n° 744 du 6 août 1942 qui porte à vingt-et-un ans la majorité sexuelle pour les relations homosexuelles, requalifiées de “ contre-nature ”.

Il convient de remarquer, cependant, que le régime de Vichy, qui fait de l’avortement un acte de nature à nuire au peuple français et condamne, pour avoir aidé à sa réalisation, 4 000 femmes par an entre 1942 et 1944, dont une qui sera guillotinée, n’a pas osé incriminé les relations homosexuelles elles-mêmes. Au même moment, l’Allemagne hitlérienne du “ Kinder-les enfants, Kirche-l’église, Küche-la cuisine ”, pour les femmes, organisait la déportation des homosexuels, les déportés au triangle rose étant particulièrement persécutés. L’URSS de Staline, après l’émancipation des années vingt, a déjà réintroduit de brutales mesures antihomosexuelles, parallèlement à une politique antiféminine.

La survie de l’ordre “ moral ” ambiant a permis à l’acte dit loi de 1942 de faire partie des textes maintenus par le Gouvernement de la Libération. L’exposé des motifs de l’ordonnance n° 45-190 du 8 février 1945 précise : “ L’acte de l’autorité de fait dit loi n° 744 du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du code pénal a réprimé les actes homosexuels dont serait victime un mineur de vingt-et-un ans. Cette réforme inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs ne saurait, en son principe, appeler aucune critique. Mais en la forme une telle disposition serait mieux à sa place dans l’article 331 ”... La politique de l’après-guerre ne s’est donc pas caractérisée par un retour à une approche de la sexualité plus conforme au respect des droits de l’homme, pourtant fortement réaffirmés dans le préambule de la constitution de 1946.

Les débuts de la Vème République se sont signalés par un renforcement de ces mesures discriminatoires.

Le 18 juillet 1960, le député UNR de la Moselle, Paul Mirguet, fait adopter un sous-amendement à un amendement du rapporteur, Mme Marcelle Devaud, sur un projet de loi autorisant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, toutes mesures propres à lutter contre l’homosexualité, assimilée à un fléau social (4° de l’article unique de la loi n° 60-773 du 30 juillet 1960 autorisant le Gouvernement à prendre, par application de l’article 38 de la Constitution, les mesures nécessaires pour lutter contre les fléaux sociaux).

Le débat est suffisamment illustratif d’un état d’esprit encore récent pour être rapporté. L’auteur du sous-amendement, après avoir souligné la gravité du fléau qu’est l’homosexualité “ contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants ”, rappelle “ qu’au moment où notre civilisation, dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution, devient si vulnérable, nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige. Dans ce domaine comme dans les autres, la France doit montrer l’exemple. ” Après que le président eût demandé, parmi les rires, l’avis de la commission, le rapporteur faisait remarquer qu’il ne trouvait pas l’amendement particulièrement drôle. “ Il y a là une situation que vous connaissez et que je connais aussi. (Nouveaux rires.) Oh! Messieurs, il est trop facile de rire d’un problème moral qui devrait vous préoccuper. (...) Nous ne sommes pas ici chez les chansonniers. (Applaudissements.) Soyez assurés que je ne suis nullement gênée de parler de ces choses puisqu’elles existent. Il est naturel qu’on en parle pour les combattre.– M. Pierre Comte-Offenbach : Bravo, Madame! ” Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée. Le sous-amendement, mis au voix, est adopté.

L’article 2 de l’ordonnance n° 60-1245 du 25 novembre 1960 relative à la lutte contre le proxénétisme (!) complète donc l’article 330 du code pénal par un alinéa prévoyant une aggravation des peines encourues pour outrage public à la pudeur, lorsqu’il consistera en un acte contre nature.

Cette intervention croissante de l’Etat dans un domaine considéré, par les républicains, comme relevant de la vie privée et du respect des droits de la personne, atteint là son sommet.

En effet, en réponse au développement des mouvements et des luttes pour l’émancipation, dans lesquels le Mouvement français pour le planning familial joue un rôle moteur, les femmes obtiennent la reconnaissance du droit à la contraception, par la loi n° 67-1176 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du Code de la santé publique (“ loi Neuwirth ”). La vente ou la fourniture des contraceptifs aux mineurs de dix-huit ans non émancipés et des contraceptifs inscrits au tableau spécial aux mineurs de vingt-et-un ans ne peuvent, cependant, être effectuées que sur ordonnance médicale constatant le consentement écrit de l’un des parents ou du représentant légal, les contrevenants étant frappés de peines aggravées. Le droit à l’avortement est, pour la première fois, explicitement, reconnu par la loi n° 75-17 relative à l’interruption volontaire de grossesse (“ loi Veil ”).

Ces deux textes présentent la particularité d’être adoptés grâce au soutien de l’ensemble des partis de gauche, la droite majoritaire se divisant systématiquement sur ces questions. Ce relais apporté aux revendications du droit à la libre disposition de son corps par les organisations réunies par le “ Programme commun de gouvernement ” ou par leur soutien à la candidature de François Mitterrand ne se démentira pas.

En 1978, le sénateur radical Henri Caillavet dépose une proposition de loi visant à abroger les discriminations légales dont les homosexuels font l’objet. Il s’en explique dans un entretien accordé en 1993 à MM. Gérard Bach-Ignasse et Jan-Paul Pouliquen en rappelant que la protection de l’indépendance de l’individu lui paraît être le premier des combats à mener dans la société, et que, rationaliste et penseur libre, il a pu constater que la tartufferie et l’hypocrisie étaient ce qu’il y avait de plus fréquent dans nos structures sociales, cette volonté d’arracher les masques s’accompagnant d’une prise en compte de l’injustice dont certains étaient victimes, à travers leurs moeurs.

Il saisit l’occasion du long examen par le Parlement du projet de loi relatif à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, pour engager la discussion sur ce point. Le Gouvernement, après avoir proposé l’abrogation des dispositions pénales antihomosexuelles, recule devant la pression du groupe principal de la majorité, le RPR, mené par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Jean Foyer. Le libéralisme avancé, ne rencontrant plus beaucoup d’écho, se replie sur ses bases conservatrices ; le texte de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 maintient l’ensemble des dispositions antérieures.

Le Conseil constitutionnel, saisi, considère que le principe d’égalité devant la loi pénale, tel qu’il résulte de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle se réfère le préambule de la Constitution de 1958, ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par la loi pénale entre agissements de nature différente. Un tel attendu, dans le domaine de la sexualité, ouvre d’étonnantes perspectives normatives. On remarquera que sur ce point, les juristes du dix-neuvième siècle tiraient des conclusions différentes des principes définis en 1789.

Enfin, ultime soubresaut de quarante ans de discrimination légale, la circulaire d’application de la loi n° 81-82 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, qui est l’un des derniers textes promulgués avant l’élection présidentielle, s’inquiète de savoir si les dispositions plus dures relatives au sursis doivent s’appliquer aux actes impudiques ou contre nature commis avec un mineur du même sexe.

François Mitterrand s’était clairement prononcé en faveur de l’abrogation des discriminations légales :  “ Il n’y a pas de raison de juger le choix de chacun qui doit être respecté, aucune discrimination ne doit être faite en raison de la nature des moeurs. J’en ai pris la responsabilité ” (Choisir du 28 avril 1980). Son élection à la présidence de la République conduit donc la nouvelle majorité  à adopter successivement deux projets de loi, présentés par M. Robert Badinter, ministre de la justice, tendant à rendre effectifs les engagements pris.

Le 12° de l’article 2 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie concerne à la fois les outrages publics à la pudeur aggravés pour homosexualité (article 330, alinéa 2 du code pénal) et les actes contre nature avec un mineur de dix-huit ans (article 331, alinéa 3). La circulaire d’application excluant les infractions contraires aux bonnes moeurs, l’homosexualité expressément amnistiée apparaît donc comme conforme à celles-ci.

Mais, c’est à l’automne de 1981 que s’engage le débat sur l’abrogation des discriminations légales à l’égard des homosexuels.

Le rapporteur, Mme Gisèle Halimi, rappelle que l’intelligence des libertés fondamentales aurait dû conduire les députés à respecter “ un choix individuel par essence et devant échapper à toute codification qui est celui de la sexualité. Il ne peut y avoir de morale sexuelle de tous qui s’impose à la morale sexuelle de chacun. Chacun connaît la nécessité, pour l’individu, de vivre en accord avec ce qui reste le plus profondément inexprimé, par peur, par honte, conditionnement social ou répression, à savoir sa sexualité. Et qu’il s’agisse d’hétérosexualité ou d’homosexualité, cette relation à l’autre ne peut jouer comme un facteur d’équilibre que débarrassée de la clandestinité ou de l’autocensure auxquelles contraint bien souvent notre environnement ”.

Le Garde des sceaux, M. Robert Badinter, souligne que “ l’Assemblée sait quel type de société, toujours marquée par l’arbitraire, l’intolérance, le fanatisme ou le racisme, a constamment pratiqué la chasse à l’homosexualité. Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d’un grand pays de liberté comme le nôtre. Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels, comme à tous ses autres citoyens dans tant d’autres domaines. La discrimination, la flétrissure qu’implique à leur égard l’existence d’une infraction particulière d’homosexualité les atteint – nous atteint tous – à travers une loi qui exprime l’idéologie, la pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire ”.

Pour l’opposition, M. Jean Foyer, à l’Assemblée nationale, estime “ les justifications de la proposition de loi inexistantes et scandaleuses, inexistantes lorsqu’on invoque de prétendues discriminations dont le Conseil constitutionnel a fait justice, scandaleuses lorsqu’on essaie de faire croire que l’anormal est la même chose que le normal, et que ce qui est contre nature est identique à ce qui est conforme à la nature ”.

Au Sénat, M. Etienne Dailly souligne que “ le gouvernement prête la main à la suppression de la seule et dernière discrimination qui existe et qui, lorsqu’elle aura disparu, pourra donner à penser à l’ensemble du pays que la pratique homosexuelle est devenue une pratique normale ”.

La proposition de loi, adoptée, après échec de la commission mixte paritaire, dans le texte de l’Assemblée nationale, devient la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331. Ce retour, en 1982, à la situation d’indifférence légale à l’égard de la sexualité, qui avait prévalu de 1791 à 1942 allait entraîner un certain nombre de mesures en matière de législation civile et de réglementation.

Dès 1981, le ministre de l’intérieur, Gaston Deferre, supprime le groupe de contrôle des homosexuels à la préfecture de police et les fichiers les concernant.

Les lois adoptées en 1982 et 1983 sur le logement ou le statut des fonctionnaires font disparaître la notion de bon père de famille ou de bonnes mœurs, des conditions requises respectivement pour la jouissance d’un bien immobilier ou l’accès aux emplois publics.

Enfin, la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d’ordre social complète le code pénal en introduisant des dispositions protégeant les personnes contre les discriminations liées à leurs moeurs et autorisant les associations proposant de les combattre à exercer les droits reconnus à la partie civile.

L’égalité en droit de l’individu est ainsi reconnue, indépendamment de ses choix sexuels. Les discriminations dont font l’objet les couples fondés sur ces choix vont alors apparaître d’autant plus vivement.

B. LA RECONNAISSANCE : UNE REVENDICATION HOMOSEXUELLE QUI INTÉRESSE L’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ

1. L’apparition du couple, entre la personne et la famille

Le militantisme homosexuel a su trouver, au début des années 70, un écho favorable et un soutien appréciable dans le mouvement pour les droits des femmes. La remise en cause de l’ordre social patriarcal rassemblait évidemment ceux qui le contestaient. Parallèlement, en admettant l’indemnisation de la concubine de la victime d’un dommage corporel, la Cour de cassation, dans un arrêt du 27 février 1970, ouvrait la voie à la reconnaissance du concubinage hétérosexuel.

En 1971, la création du FHAR, Front homosexuel d’action révolutionnaire, par Françoise d’Eaubonne, Guy Hocquenghem et Pierre Hahn, inaugure des actions spectaculaires et publie un rapport contre la normalité, au contenu volontairement provocateur. Les dissensions caractéristiques de l’époque conduisent assez rapidement à la disparition de ce mouvement.

Cependant, si les femmes obtenaient une égalité de plus en plus nette, comme individu et dans le couple, la persistance de discriminations légales et le besoin de reconnaissance du mode de vie homosexuel qui commence à apparaître, voient l’apparition successive du Groupe de libération homosexuelle (GLH) et en 1979, parallèlement à la revue hebdomadaire Gai Pied, du Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CUARH). Ce dernier coordonne l’activité de nombreux groupes disséminés dans toute la France, qui joueront un rôle important dans la prise de conscience par beaucoup de la situation choquante faite aux homosexuels. Il organise de nombreuses manifestations à l’occasion des débats sur l’abrogation des lois discriminatoires. Ces actions connaissent un sommet le 4 avril 1981, à un mois de l’élection présidentielle, avec une manifestation, à Paris, de plus de 10 000 personnes, qui annonce les futures “ Gay Pride ”, au moins autant que leurs modèles américains.

En 1982, le maire de Saint-Lumine-de-Clisson, en Loire-Atlantique, délivre un certificat de concubinage à un couple lesbien, mais celui-ci se voit refuser le bénéfice des dispositions concernant les ayants droit des concubins. Au même moment, les concubins hétérosexuels voient leur reconnaissance accrue par l’article 16 de la loi n° 82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs (“ loi Quillot ”) qui permet la continuation du bail par le concubin notoire du locataire titulaire disparu ou décédé, s’il vivait effectivement avec lui depuis au moins un an.

En mars 1983, le journal Homophonies publie un article d’Alain Leroi et Vincent Legret, membres de la Rencontre des homosexualités en Ile-de-France (RHIF), sur les “ gais concubins ”. Ces militants homosexuels sont les premiers à demander une reconnaissance du lien homosexuel.

En novembre 1984, le conseil des prud’hommes de Paris assimile le refus d’Air France de consentir des billets à tarif réduit au concubin homosexuel d’un steward à une discrimination, mais la Cour d’appel de Paris le 14 octobre 1985, puis la Cour de cassation le 11 juillet 1989, rappellent dans leurs arrêts que le concubinage ne peut s’entendre que pour deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux, sans pour autant s’unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu’un couple constitué d’un homme et d’une femme.

L’apparition du Sida, qui va, en France, toucher d’abord une population homosexuelle masculine, se fait donc dans un milieu dont l’émancipation est récente.

Il est concevable de penser que la levée des discriminations a rendu possible le développement visible d’un mode de vie en couple que laisse apparaître l’enquête menée en 1982-1983 par MM. Cavailhès, Dutey et Bach-Ignasse. Le Sida aura sans doute amplifié un phénomène déjà présent.

La perception des homosexuels comme victimes de cette maladie ainsi que leur rôle dans sa prévention ont donné de ce type de relations amoureuses une image différente de celle véhiculée par les lieux communs produits par des siècles de marginalité légale ou sociale.

Le livre que vient d’éditer l’association de parents, familles et amis de gais et de lesbiennes, Contact, souligne l’ambiguïté d’une maladie refuge, conséquence suicidaire d’une exclusion familiale ou sociale, et, à l’inverse, des actions préventives franches menées, au profit de tous, par les homosexuels organisés. C’est, incontestablement, ce qui fonde la légitimité d’associations comme Aides, Arcat-Sida, Act up, Vaincre le Sida et beaucoup d’autres qui ont su ou savent se substituer à tel ou tel moment aux insuffisances ou aux déficiences des réponses sociales.

La réalité de l’épidémie a brutalement mis en lumière les inégalités de droits de ces couples homosexuels nouvellement émancipés. Un certain nombre de cas concrets ont frappé l’opinion, renouvelant d’ailleurs pour les intéressés, à la fin du vingtième siècle, une situation fréquente, jadis, chez les concubins hétérosexuels. On sait que le dépôt d’une première proposition de loi, à l’Assemblée nationale, a pour origine l’expulsion du logement commun du partenaire survivant d’un couple, par la famille de son ami, le jour même de sa mort.

Le droit positif et la jurisprudence ont, progressivement, depuis plus d’un siècle, reconnu des droits aux concubins. Les femmes concubines, condamnées légalement à des maternités non désirées, se voient, en contrepartie, accorder parcimonieusement par la jurisprudence, à travers leurs enfants, puis pour elles-même, quelques compensations. Celles-ci seront étendues à leurs compagnons, comme on l’a vu, encore plus récemment. Pourtant, de nombreuses inégalités demeurent, en matière d’imposition des revenus ainsi que pour les donations ou les successions et le rapprochement des partenaires, en même temps que se multiplient les structures familiales complexes.

C’est pourquoi, la revendication de groupes homosexuels face aux situations dramatiques créées par le Sida et à l’impossibilité d’une solution jurisprudentielle assimilant les couples homosexuels aux concubins, a finalement rencontré un écho parmi les couples hétérosexuels dont le concubinage était reconnu, mais les droits difficiles à établir et, de toute façon, insuffisants.

2. Les premières tentatives de formalisation législative

En 1990, une proposition de loi relative au partenariat civil est déposée au Sénat par M. Jean-Luc Mélenchon. Elle n’a pas été discutée.

Un groupe de travail réunissant MM. Jan-Paul Pouliquen, Gérard Bach-Ignasse, Pierre Dutey, Vincent Legret et Mme Françoise Renaud est constitué, en 1991, pour élaborer un statut des concubinages homosexuels et hétérosexuels et, plus largement, des cohabitations, qui conduit, sur proposition de M. Bach-Ignasse, à la notion de contrat d’union civile.

Un Collectif pour le contrat d’union civile est donc créé en 1992, autour des mêmes personnalités, bénéficiant du soutien du Mouvement français pour le planning familial. A la suite d’un article du “ Monde ”, la question connaît un premier “ succès ” médiatique. Un sondage laisse apparaître 72% d’avis assez ou très favorables au contrat d’union civile, présenté comme donnant à tous ceux qui vivent ensemble, en dehors du mariage, quel que soit leur sexe, les mêmes droits et leur imposant les mêmes devoirs.

En 1992, une proposition de loi, largement inspirée de ces réflexions, est déposée à l’Assemblée nationale par MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Pierre Michel, Jean-Michel Belorgey, Mme Huguette Bouchardeau, MM. André Labarrère, Jean-Marie Le Guen, Yves Vidal et Jean-Pierre Worms, tendant à créer un contrat d’union civile.

Si elle n’est pas discutée en tant que telle, deux dispositions vont être reprises, sous forme d’amendements, dans le dernier projet de loi portant diverses mesures d’ordre social de la neuvième législature.

La qualité d’ayant droit d’un assuré au titre de l’assurance maladie était étendue à la personne qui, sans vivre maritalement avec l’assuré, apporte la preuve qu’elle se trouve à sa charge effective, totale et permanente (article 78 modifiant l’article L. 161-14 du code de la sécurité sociale) dans des conditions fixées par décret, soit depuis au moins douze mois consécutifs (article R. 161-8-1 du même code). Le transfert du bail était assuré, en cas de décès du locataire, à toute personne qui vivait avec celui-ci depuis au moins un an (article 62). Ces deux dispositions visaient à répondre à des situations urgentes et choquantes, touchant, en particulier, des personnes atteintes du Sida. Le Conseil constitutionnel saisi par des sénateurs de la majorité du Sénat censura, pour des raisons liées aux limites inhérentes au droit d’amendement, les mesures relatives au logement.

L’homosexualité, pour être sortie, depuis dix ans, de la sphère de la condamnation légale, préalable nécessaire, n’était pas encore parvenue, pour certains législateurs, au stade de l’indifférence.

En effet, la commission des affaires sociales du Sénat, s’était prononcée contre l’extension de la qualité d’ayant droit d’un assuré au titre de l’assurance maladie. Elle constatait que la mesure s’inscrivait dans le projet plus général des propositions de loi tendant à créer un partenariat social et visait “ à ouvrir à certaines personnes ayant fait le choix de “ modes de vie alternatifs ” des droits dans le domaine civil, successoral, locatif et social ”, dont elle ne contestait cependant pas l’examen plus global.

La commission, “ sans vouloir porter une appréciation qui pourrait être interprétée comme moralisatrice ”, émettait “ ses très vives réserves quant aux risques qu’elle comporte au regard des structures traditionnelles et de la cohésion de notre société ”. Elle ne souhaitait donc pas “ qu’à l’occasion de l’adoption d’une telle disposition, une incitation puisse être donnée à ce qu’elle considère être une approche fondamentalement nouvelle des principes qui fondent notre droit ”.

Il faut se féliciter que la mesure n’ait pas été rapportée par la nouvelle majorité de l’Assemblée nationale, identique à celle du Sénat, élue trois mois plus tard. Les faits se montraient une nouvelle fois plus têtus que les timidités législatives. Cependant, la demande d’adoption d’une mesure d’urgence en matière de transfert de bail, présentée en 1994 au ministre du logement, n’aboutit pas.

La majorité de l’Assemblée nationale ayant adopté, en 1996, la suppression de la “ demi-part supplémentaire ” pour les contribuables vivant en concubinage, leur intérêt pour un contrat les autorisant à une imposition commune se trouva renforcé.

La dixième législature, dans un contexte politique, on le voit, peu propice, a vu le dépôt successif de trois propositions de loi : l’une, en 1993, par les députés du Mouvement des citoyens, relative au contrat d’union civile reprenant les termes de la proposition de loi de 1992 ; les deux autres, en 1997, par les députés socialistes, relative au contrat d’union sociale et par les députés communistes relative aux couples non mariés. Parallèlement, la “ Gay Pride ” de juin 1996 réunissait plus de 100 000 personnes autour de la revendication d’un contrat d’union sociale comme “ projet à caractère universel s’inscrivant dans la tradition française d’intégration ”.

Les propositions ne seront pas discutées mais seront reprises dans les engagements électoraux de l’opposition. Par ailleurs, le Garde des sceaux, M. Jacques Toubon, demandait au professeur Jean Hauser un rapport portant sur les conséquences financières de la séparation des couples. La partie concernant les couples non mariés, remise en avril 1998 au directeur des affaires civiles et du sceau développait la notion nouvelle de pacte d’intérêt commun (PIC), acte purement privé.

En 1997, la gauche redevenue majoritaire à l’Assemblée nationale, trois nouvelles propositions de loi étaient déposées par ses trois composantes au moment où elles accédaient ensemble au Gouvernement, dans des textes semblables à ceux de la précédente législature, à l’exception de celle présentée par le groupe Radical, citoyen et vert, qui a connu quelques modifications.

Dans la perspective d’une réflexion plus large, Mmes Elisabeth Guigou, ministre de la justice et Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité demandaient à Mme Irène Théry un rapport sur le couple, la filiation et la parenté aujourd’hui. Celui-ci, fondé sur la simple constatation de la “ possession d’état ” pour la reconnaissance de droits sociaux ou fiscaux aux concubins, était présenté en mai 1998.

C. LES INITIATIVES PARLEMENTAIRES DEPUIS LE DÉBUT DE LA 11ÈME LÉGISLATURE

La proposition de loi n° 249 de M. Georges Hage définit un certain nombre de droits : déclaration unique d’impôt sur le revenu (article 6), droits de mutation à titre gratuit (article 7), baux (article premier). En outre, son article premier va bien au-delà en faisant référence à l’ensemble des prestations sociales. Toutefois, elle s’éloigne des autres propositions s’agissant de l’existence juridique du pacte et de ses effets et retient l’idée de “ possession d’état ” se prouvant par tout moyen. Cette “ union de fait ”, qui, selon l’article premier, peut unir deux personnes par ailleurs mariées, entraîne automatiquement des droits très larges, puisqu’elle assimile le partenaire au conjoint pour tous les contrats civils, droits de successions, protection sociale, y compris la pension de réversion etc.

Cependant, la proposition ne précise ni les conditions de contrôle destinées à éviter des engagements multiples qu’elle prohibe, ni les effets de la rupture de l’union. En outre, cette proposition concerne largement les enfants nés hors mariage. Ce sujet important risque de voir s’instaurer une confusion des genres : il est question ici des problèmes de la cohabitation de deux personnes, et non de ceux de la famille, fut-elle “ naturelle ”.

Les deux propositions de loi n° 88 de M. Jean-Pierre Michel et n° 94 de M. Jean-Marc Ayrault, sont beaucoup plus proches, l’une et l’autre, de l’objectif recherché à travers la création du pacte.

Les deux propositions retiennent l’idée d’un contrat destiné à répondre à un “ projet commun de vie ”, ce qui implique une solidarité entre les contractants (article 2) et exclut la passation d’un tel contrat entre membres de la même famille (article 5 de la proposition n° 94, article 4 de la proposition n° 88) et, naturellement, les personnes mariées.

Cependant, outre la terminologie (qui a son importance et qui a fait préférer le terme “ pacte ” au mot “ contrat ”, car l’idée d’un pacte renvoie mieux à celle d’un projet de vie commune), il convient de souligner que les deux propositions retiennent l’idée d’une déclaration devant l’officier d’état civil et posent donc la question d’une éventuelle répercussion du “ contrat ” dans l’état civil des intéressés.

Si les droits ouverts par l’une et l’autre des propositions sont définis de manière très large, et méritent d’être mieux cernés, on observe une nette convergence en ce qui concerne :

- le droit au bail (articles 9 de la proposition de loi n° 88 et 10 de la proposition de loi n° 94) ;

- le code du travail (articles 10 et 11) ;

- l’assurance maladie (articles 11 et 12) ;

- l’assurance vieillesse et l’assurance décès (mêmes articles) ;

- l’imposition commune au titre de l’impôt sur le revenu (article 13) ;

- les dispositions relatives aux dons et legs (articles 14 et 15) ;

Par contre, seule la proposition de loi n° 88 de M. Jean-Pierre Michel retient l’idée d’une durée minimale de “ contrat ” pour bénéficier de certains des droits et traite des couples bi-nationaux.

Enfin, on notera que ces deux textes sont très proches l’un de l’autre s’agissant des conditions de rupture du contrat, par déclaration commune en cas d’accord, par le juge à défaut d’un accord des partenaires. Ici encore, les propositions font apparaître une volonté d’une distinction nette avec le mariage ; des modalités identiques et simples régissent la passation du contrat et sa cessation.

C’est pourquoi, Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois a souhaité que les signataires de ces propositions, relativement proches, puissent parvenir à élaborer un texte commun, MM. Jean-Pierre Michel pour la commission des lois et Patrick Bloche pour la commission des affaires culturelles, familiales et sociales étant mandatés à cet effet, puis nommés rapporteurs, à l’issue de leurs travaux, par leurs commissions respectives.

Ce texte commun, définissant un Pacte civil de solidarité, a été rendu public au mois de mai 1998 et a servi de base aux discussions préparatoires à l’examen des propositions de loi par chacune des deux commissions. Le 23 septembre, la commission des lois adoptait un texte soumis, pour avis, le 30 septembre et le 1er octobre, à la commission des affaires culturelles qui l’a, à la demande de son rapporteur, amendé.

II.- LE PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ : LA MATÉRIALISATION D’UN LIEN SOCIAL MODERNE

A. LE COUPLE ET SON ÉVOLUTION

1. L’union libre, un choix qui se généralise

Une approche, même succincte, des données statistiques sur le couple et la famille montrent la rapidité des évolutions observées depuis 30 ans. Le nombre de personnes cohabitant hors mariage passe de 900 000 en 1975 à 1 million et demi en 1982, pour atteindre aujourd’hui, sur une population de 30 millions de personnes vivant en couple, près de 5 millions. De même, les naissances hors mariage qui sont constamment restées inférieures à 10 % entre 1960 et 1980, avoisinent aujourd’hui 40 % et, pour le premier enfant, dépassent les 50 %. Enfin, le nombre de divorces connaît parallèlement une augmentation sensible, passant de 22,5 % en 1980 à 38,3 % en 1996.

Le sénateur Daniel Hoeffel, vice-président de l’Association des maires de France, rappelait aux rapporteurs, lors de l’audition par ceux-ci des responsables de cette association, la rapidité et la netteté des transformations dans ce domaine, dont il était témoin dans sa commune même et qu’il n’était pas possible d’ignorer.

Une récente étude réalisée dans une ville moyenne du Val-d’Oise montre ainsi qu’y sont délivrés annuellement davantage de certificats de concubinage, qui n’impliquent pourtant que des droits limités, que ne sont célébrés de mariages.

Les adaptations successives de la législation concernant les couples mariés, qu’il s’agisse des régimes matrimoniaux, de l’égalité dans le couple, des conditions du divorce, de la fiscalité, au-delà de variations opportunistes qui restent marginales, ne semblent pas convaincre un nombre grandissant de femmes et d’hommes, en France, de la nécessité du mariage, même pour élever des enfants.

Que l’on pense nécessaire d’améliorer l’attractivité du mariage en en simplifiant les règles ou que l’on analyse cette évolution comme la traduction d’un couple plus électif, conçu comme la matérialisation d’un choix affectif de chaque instant qui serait dénaturé par une contrainte légale, l’inadaptation des textes législatifs à la situation observée est flagrante.

2. Du constat au contrat

En faveur de l’absence de tout formalisme, on trouve principalement l’idée selon laquelle un statut apparaît incompatible avec le caractère d’union libre que représente le concubinage, qui n’existe que par la volonté des partenaires et ne persiste pas au-delà de celle-ci. Cette idée de liberté d’action est en effet largement incompatible avec tout statut. Cette argumentation, classique chez les civilistes, est notamment reprise par Mme Irène Théry dans le rapport déjà cité. Elle consiste à affirmer que le concubinage est un simple fait, cette possession d’état ne pouvant s’accommoder d’un quelconque contrôle administratif ou d’un contrat formalisé, enregistré ou “ constaté ”. Dans cette perspective, le concubinage n’est défini que par la communauté de vie, en un moment donné, et se prouve alors par tout moyen, sans qu’il soit besoin d’en déclarer l’existence.

Mme Irène Théry voit dans cette option l’avantage d’“ ignorer totalement le droit des personnes et de s’en tenir à la seule organisation des biens ”. Mais on se heurte alors à un autre obstacle : il est difficile d’assortir la simple “ possession d’état ” de la reconnaissance de droits sociaux ou fiscaux – si minimes soient-ils – sans risque d’inciter à la fraude. Il est difficile en outre de dire à quel moment les droits cessent en cas de séparation, car celle-ci ne saurait être plus formalisée que l’union. Il est tout aussi délicat de ne rien prévoir quant au partage des biens. Une telle contradiction entre une conception “ sociologique ” du couple naturel et des éventuelles répercussions “ juridiques ” n’a pas échappé à Mme Irène Théry, laquelle propose d’assortir l’ouverture du bénéfice des droits sociaux d’une condition de durée minimale. Mais comment admettre que ces droits perdurent en cas de rupture de la communauté de vie ?

Dès lors, il faut bien se tourner du côté du contrat, qui formalise l’accord des volontés. Telle est, par exemple, la position du professeur Jean Hauser, ou encore celle des propositions de loi n° 88 de M. Jean-Pierre Michel et n° 94 de M. Jean-Marc Ayrault. Le principe du contrat laisse évidemment toute liberté à ceux qui souhaitent cohabiter “ librement ”, en dehors de tout statut. Mais il permet à ceux qui le désirent de disposer d’un cadre juridique adéquat.

Ici encore, le débat est largement ouvert. Les propositions du professeur Jean Hauser s’apparentent plus au droit commercial qu’au droit civil. Pour celui-ci, il s’agit simplement de permettre la passation de contrats d’un nouveau type, très largement ouverts, pouvant unir, par exemple, un frère et une soeur pour prévoir la dévolution d’un bien. Dans cette perspective, on se heurte à une double difficulté : certains des droits qu’il convient de reconnaître à un couple en concubinage – par exemple le droit au bail – n’ont de sens que s’il existe une communauté de vie. Il en va d’ailleurs de même de la vieille notion juridique de “ foyer fiscal ”. Il faudrait donc définir non pas un mais, en réalité, deux contrats dont les effets seraient très différents selon qu’existerait une communauté de vie ou non. Et, naturellement, l’écart serait grand entre le contrat du “ premier type ” ouvert à des personnes par ailleurs mariées ou à des membres d’une même fratrie et le contrat avec vie commune lequel ne pourrait concerner que des personnes vivant un union libre.

C’est pourquoi les rapporteurs, au cours du long travail préparatoire qu’il a pu mener, a résolument opté pour un contrat mieux défini ou plus “ ciblé ”, si l’on préfère cette expression, ne visant que des personnes souhaitant s’unir en dehors de tout lien familial. Plus que d’un contrat, il s’agit d’un pacte. Ceci exclut naturellement les personnes mariées, mais tout autant la passation simultanée de plusieurs “ pactes ” dont l’objet serait purement patrimonial.

Aucune confusion ne peut ainsi être faite entre mariage et parenté d’une part, pacte d’autre part : leur objet n’est pas le même, leur statut diffère donc.

Le rapporteur peut très régulièrement constater, lorsqu’il célèbre des mariages, combien l’attitude des futurs époux, à la lecture qu’il leur est faite des articles du code civil, traduit une attention insuffisante devant un cadre juridique pourtant extrêmement élaboré.

C’est au moment de la crise qu’une grande majorité des époux ou des concubins, jusque-là assez indifférents aux règles qui leur sont applicables et donc au statut juridique de leur couple, cherche à se réemparer du droit. Tout législateur ne peut que souhaiter un exercice moins passif de la citoyenneté. Ce réinvestissement de la loi par ceux auxquels elle s’applique suppose des adaptations et des créations, afin de répondre aux besoins largement exprimés tout en respectant les choix de chacun dans le domaine de sa vie privée.

B. POURQUOI ET COMMENT LÉGIFÉRER

1. Une loi nécessaire

La convergence décrite de la revendication de la reconnaissance du couple homosexuel et de la volonté très clairement exprimée de nombreux concubins de voir l’union libre créatrice de droits a conduit à proposer un cadre législatif nouveau pour le couple.

En effet, le concubinage reste, on l’a vu, largement ignoré du droit. Il existe, certes, quelques dispositifs juridiques qui reconnaissent le concubinage, sans d’ailleurs le nommer. Tel est le cas, rappelons-le, de l’article L. 161-14 du code de la sécurité sociale qui prévoit le cas de la “ vie maritale ” ouvrant droit au bénéfice de l’assurance maladie en faveur du concubin à la charge de l’assuré social, et le cas de la personne qui “ vit depuis une durée fixée par décret en Conseil d’Etat (fixée à douze mois consécutifs par l’article R. 161-8-1 du code de la sécurité sociale) avec un assuré social, et se trouve à sa charge effective, totale et permanente, à condition d’en apporter la preuve. ”. Ce texte ne peut s’appliquer qu’à une seule personne par assuré social et ne vise que l’ouverture des droits à prestations maladie et maternité.

On peut, en outre, citer, en matière de droit au bail, les articles 14 et 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, qui prennent en considération, pour le maintien d’un droit au bail comme pour le congé donné au locataire le “ concubin notoire ” vivant avec le locataire – s’agissant du droit au bail – ou avec le bailleur – s’agissant de la reprise du logement – depuis au moins un an à la date d’abandon du domicile ou du congé.

On peut également faire figurer dans cette brève énumération l’article 885 E du code général des impôts, qui fixe l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune en cas de “ concubinage notoire ”, privilège, on l’admettra, ambigu, mais, il convient de le remarquer, accordé sans délai.

On voit, à la lumière de ces exemples, que le concubinage n’est pris en compte que de manière très ponctuelle et fragmentaire par le droit. Encore cette présence, presque par effraction, dans le paysage juridique, est-elle interprétée de manière restrictive. Il faut rappeler, en effet, que la jurisprudence considère que les dispositions relatives au concubinage ne peuvent concerner que des personnes de sexes différents. Ainsi en est-il, par exemple, d’une disposition du statut du personnel d’Air France bénéficiant au “ conjoint en union libre ” (C.Cass. 11 juillet 1989) ou de la notion de “ vie maritale ” s’agissant du droit de la sécurité sociale (C. Cass, même date).

Ainsi en est-il, aussi et surtout, du transfert du droit au bail (C. Cass, Vileal c/ Mme Weil, 17 décembre 1997) où la Cour de Cassation juge “ que le concubinage ne pouvait résulter que d’une relation stable et continue ayant l’apparence du mariage, donc entre un homme et une femme ”. La jurisprudence, outre l’exclusion totale de l’homosexualité du champ des dispositifs légaux, tend à limiter autant que faire se peut la spécificité de l’union libre par rapport au mariage.

Au-delà de ces reconnaissances légales très fragmentaires, il faut surtout insister sur le silence général des lois à l’égard du concubinage.

Le code civil, le code du travail, le droit de la fonction publique ou celui de la nationalité ignorent donc les évolutions des modes de vie et ne font du concubinage – homosexuel comme hétérosexuel – qu’un sujet de non droit, vis-à-vis duquel la jurisprudence est très restrictive : elle ne considère pas, par exemple, qu’il existe une solidarité des dettes d’entretien du ménage entre les concubins, auxquels l’article 220 du code civil n’est pas applicable (C. cass, 1ère ch. civile, 11 janvier 1984), ou que la rupture du concubinage ouvre automatiquement droit à indemnisation (C. cass, 1ère ch.civile, 31 janvier 1978).

Un couple de concubins aux droits restreints, un couple d’homosexuels qui n’a pas même le droit de se nommer tel : il convenait de légiférer, c’est à dire de passer d’une situation de fait, réglée marginalement, a posteriori et de façon insatisfaisante par la jurisprudence, à une situation de droit, réglée globalement et a priori par la loi.

Les interlocuteurs du rapporteur, quelle que soit, par ailleurs, leur position sur la proposition de loi retenue, ont très largement convenu qu’il était nécessaire d’adapter la législation pour répondre aux discriminations les plus nettes entre couples mariés et non mariés, y compris homosexuels.

Les opposants au principe du pacte civil de solidarité les plus résolus admettent en effet l’aménagement des textes fiscaux, sociaux ou relatifs au logement, afin, en particulier, que le partenaire survivant du couple ne voit pas sa situation matérielle trop fortement bouleversée. Ainsi, l’Union nationale des associations familiales (UNAF), dans une résolution adoptée très majoritairement à son assemblée générale de Perpignan, en juin 1998, reconnaît la nécessité de mieux garantir la protection de chacun lors des ruptures de la vie commune hors mariage.

Il convient de remarquer que l’introduction de mesures parcellaires de ce type dans divers textes législatifs risquait, soit de s’exposer à la censure du Conseil constitutionnel – dont la saisine, en 1993, a été inspirée par ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, préconisent d’adapter un certain nombre de dispositions par ce biais, tout en combattant l’élaboration d’un cadre nouveau – soit de demander beaucoup de temps.

2. Une loi de portée générale

L’abandon successif par les opposants au pacte de la position de principe visant à laisser au mariage un monopole de droit, puis de l’argument du caractère marginal ou trop diversifié des situations considérées laisse pour le moins perplexe. Mais il est moins surprenant que confrontés à la description des conséquences de la situation inexistante en droit du couple homosexuel, les mêmes opposants aient, en dernier lieu fait part de leur préférence pour un texte concernant cette seule catégorie de couple.

Cette approche rejoint paradoxalement une attitude communautariste assez caractéristique des groupes homosexuels américains. Si elle traduit un sentiment de compassion ambigu, en ce qu’il assimile l’homosexualité à un handicap, elle ne correspond en rien, ni à l’approche des rapporteurs, ni à celle de la majorité des associations homosexuelles auditionnées.

Tout texte spécifique transformerait l’homosexualité de mode de vie choisi, personnel et privé, en appartenance imposée et publique à une communauté, conduisant à une régression vers un ordre corporatiste, à l’opposé de la tradition républicaine que la proposition de loi vise à renforcer.

En effet, le combat contre les discriminations et les inégalités subies, qui est un combat contre l’exclusion, vise précisément à éviter le repli communautaire qui en est le produit. Même s’il faut sans doute considérer comme durable que des femmes et des hommes retrouvent ou se réinventent des références, dans un cadre communautaire distinct du cadre républicain et sur des bases culturelles, cultuelles ou territoriales.

Cette manifestation de l’exclusion qui voit, dans une société sans repères autres qu’éphémères, la communauté devenir un refuge ou un bouclier, est à l’opposé de la volonté de défendre le principe d’égalité comme vecteur et comme finalité de l’action publique. Cette égalité des droits recherchée pour les couples, entre les droits de la personne et ceux de la famille, est à l’origine de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

Si les rapporteurs ont eu la volonté de resserrer le dispositif sur le couple ayant des liens affectifs, afin de préciser les données du débat, l’écriture juridique du pacte civil de solidarité – fondée sur une nette séparation de la sphère privée et de la sphère publique – envisage, on le sait, un partenariat plus large, paire ou duo, susceptible d’intéresser des amis, des personnes âgées ou non souhaitant partager un projet commun de vie.

L’exclusion des fratries de l’accès au pacte dans le texte de la proposition de loi adopté par la commission des lois n’est donc pas la traduction de l’esprit du texte, sa dématrimonialisation ayant été la préoccupation principale des rapporteurs, mais est née d’un désir d’en simplifier la lisibilité.

L’absence de dispositions concernant l’adoption, la filiation ou la procréation médicalement assistée marque tout d’abord le souci de ne pas interférer avec le droit de la famille. L’ouverture de ces droits aux couples homosexuels nécessiterait, par ailleurs, un débat dans la société qui n’a pas eu lieu. Il est donc logique que le pacte ne concerne pas les enfants.

Rappelons que la définition de la filiation exclut tout autre parent que les parents naturels. Pour autant, les séparations, les divorces, les adoptions conduisent parfois à ce que deux personnes de même sexe assument l’éducation d’enfants. Le libre épanouissement de l’enfant étant une préoccupation essentielle, il est nécessaire de ne pas diaboliser des situations qui sont la conséquence de choix de vie respectables. Lors des auditions, les associations de parents homosexuels ont rappelé que les enfants dont ils avaient la charge n’étaient pas issus d’un couple de même sexe.

Ces familles ne sont, il est vrai, le plus souvent, qu’un cas particulier de la situation beaucoup plus générale des familles recomposées. La définition de la famille retenue par l’UNAF, comme étant “ une unité de personnes fondée sur le mariage ou la filiation ou l’exercice de l’autorité parentale ” englobe d’ailleurs cet ensemble de situations très diversifiées.

“ Tout le monde s’accorde à reconnaître que, sans entraver la liberté individuelle de chacun, ni intervenir dans les rapports de couples, les besoins de l’enfant s’inscrivent dans une nécessaire durée ”, souligne Mme Dominique Gillot, dans son rapport au Premier ministre sur la rénovation de la politique familiale.

La stabilisation du lien de solidarité à l’intérieur du couple qu’autorise le pacte civil de solidarité, alors que s’accentue la précarisation sociale, est, à l’évidence, un élément supplémentaire à prendre en compte si l’on souhaite réellement renforcer l’existence d’un cadre sécurisant pour l’enfant lui-même.

C. LE TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES LOIS

Le titre premier de la proposition de loi introduit dans le code civil les neuf articles fixant le régime du pacte civil de solidarité. C’est la traduction de la définition d’un pacte comme convention solennelle. Elle répond à la volonté des rapporteurs de proposer une nouvelle définition du couple, qui ne soit plus seulement conçu comme “ ayant l’apparence du mariage ”, pour reprendre les termes utilisés par la jurisprudence de la Cour de cassation. L’article premier crée donc, dans le livre 1er “  Des Personnes ” du code civil, un titre XII traitant du pacte civil de solidarité.

L’acte, simple, ne s’oppose ni à l’union libre, ni au mariage, mais constitue une voie nouvelle, offrant ainsi aux couples hétérosexuels trois modes de vie commune. Les couples homosexuels se voient, quant à eux, ouvrir, pour la première fois, un cadre de reconnaissance légal, annonçant une modification de la jurisprudence à leur égard, et donc la reconnaissance parallèle du concubinage dans leur situation. En effet, le pacte civil de solidarité est susceptible d’intéresser deux personnes, quel que soit leur sexe, qui souhaitent organiser leur vie commune (article 2).

Ne peuvent conclure un pacte deux personnes dont l’une, au moins, est mariée ou déjà liée par un autre pacte, mais aussi les parents et leurs enfants, les beaux-parents et leurs beaux-enfants, les frères et les soeurs, les oncles et les tantes et leurs neveux et nièces. Ces dernières dispositions sont la traduction du souci de lisibilité qui a animé les rapporteurs lors du rapprochement des différentes propositions de loi. Les membres d’une même famille bénéficient d’un ensemble de droits et sont redevables d’un ensemble de devoirs qui risquent, en effet, d’entrer en concurrence avec ceux reconnus par le pacte civil de solidarité (article 3).

La déclaration de la volonté de se lier par un pacte civil de solidarité se fait à la préfecture (article 4). Ce lieu a été finalement retenu pour que la neutralité de l’Etat permette une application de la loi sans discrimination. A été ainsi pris en compte le souhait exprimé par plusieurs associations homosexuelles et lesbiennes, lors de leurs auditions.

L’enregistrement du pacte au tribunal de grande instance, qui aurait pu sembler le mieux adapté à régir ce nouveau type d’état des personnes, n’a rencontré que des oppositions de la part des associations auditionnées par les rapporteurs, quelle que soit leur approche du pacte par ailleurs. Le tribunal leur est apparu, en effet, comme symboliquement trop lié aux notions de conflit et de contentieux pénal.

La déclaration est donc remise à la préfecture du département dans lequel les partenaires établissent leur lieu de résidence d’un commun accord et est inscrite dans un registre. Elle figure parallèlement dans un registre tenu à la préfecture du lieu de naissance de chacun des partenaires, afin d’assurer la publicité et la transparence nécessaires.

Le pacte civil de solidarité prend fin par le décès, le mariage ou la volonté de l’un des partenaires (article 8). Les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences que la rupture du pacte entraîne à leur égard. A défaut d’accord, celles-ci sont réglées par le juge. Mention est portée de la rupture dans les deux registres préfectoraux où est mentionnée la déclaration de conclusion du pacte (article 9).

Suivant la volonté des rapporteurs, et afin de renforcer la cohésion du couple concluant le pacte, les droits accordés le sont en contrepartie d’obligations légales. Les partenaires se doivent une aide mutuelle et matérielle et sont tenus solidairement, à l’égard des tiers, des dettes contractées par l’un d’entre eux pour les besoins de la vie courante (article 5).

L’imposition commune pour l’impôt sur le revenu est prévue à compter des revenus de l’année du troisième anniversaire de l’enregistrement du pacte (article 10). Son incidence sur le montant de l’impôt, qui sera recouvré l’année du quatrième anniversaire est, évidemment, variable suivant les situations, mais n’est pas forcément avantageuse pour les partenaires, en particulier s’ils n’ont pas d’enfants et ont des revenus équivalents et faibles.

Les partenaires font également l’objet d’une imposition commune, pour l’imposition sur la fortune, ce qui est déjà le cas des concubins notoires (article 14).

Par ailleurs, les partenaires pourront bénéficier de droits nouveaux.

Les biens acquis postérieurement à la conclusion du pacte seront soumis au régime légal de l’indivision (articles 6 et 7). Cette disposition a pour objet d’assurer aux partenaires une réelle sécurité juridique pour la gestion de leurs biens. Le régime de la communauté réduite aux acquêts, initialement envisagé, a semblé, après l’audition de différents spécialistes, dont les représentants du Conseil supérieur du notariat, techniquement peu adapté à la souplesse requise par le pacte, et reste réservé aux conjoints.

La perception des droits de mutation à titre gratuit, successions et donations, prévoit un abattement de 250 000 francs sur la part du partenaire lié au prédécédé ou au donateur depuis au moins deux ans (article 13), et le tarif des droits de succession est abaissé à 40 % pour la part nette taxable n’excédant pas 100 000 francs et à 50 % au-delà, sous les mêmes conditions de délai (article 12).

Enfin, diverses dispositions, applicables aux concubins, sont étendues à tous les couples liés par un pacte, sans distinction de sexe. Il s’agit, en cas d’abandon de domicile par le locataire titulaire du bail, de la continuation de celui-ci par le partenaire justifiant d’un an de pacte, ou en cas de décès, de son transfert, dans les mêmes conditions (article 20). Symétriquement, le partenaire ou ses enfants peuvent bénéficier de la reprise du logement par le bailleur, sous la même condition de délai (article 21).

Le partenaire lié par un pacte à un assuré social peut avoir la qualité d’ayant-droit de l’assuré s’il se trouve à sa charge effective, totale et permanente, sans délai (article 15).

La législation du travail est modifiée afin que les partenaires puissent bénéficier de la prise en compte, pour la fixation par l’employeur de l’ordre des départs en congés payés annuels, des possibilités de congé de l’autre, dans les secteurs publics ou privés, ou du droit à un congé payé annuel simultané pour les partenaires travaillant dans la même entreprise. Il sera possible d’obtenir un congé exceptionnel, en cas de décès de l’un d’entre eux (article 16).

Le lien établi par le pacte civil de solidarité est également pris en compte dans un certain nombre de cas.

Les fonctionnaires liés par un pacte, séparés pour des raisons professionnelles, se voient reconnaître une priorité de rapprochement de leurs affectations (article 19).

Le fait, pour un étranger, d’avoir conclu un pacte est pris en compte, dans l’appréciation de ses liens personnels en France, pour la délivrance d’un titre de séjour (article 17). Si son partenaire est Français et que le lien qui les unit a au moins un an, le pacte devient un élément d’appréciation de son assimilation à la communauté française s’il fait une demande de naturalisation (article 18).

L’ensemble de ces dispositions devrait permettre aux personnes non mariées qui souhaitent conclure un pacte civil de solidarité de bénéficier d’un ensemble de mesures mettant fin aux aspects les plus précaires de leur vie à deux.

D. QUELQUES COMPLÉMENTS NÉCESSAIRES

L’élaboration commune, par les deux rapporteurs, du texte proposé à la commission des lois puis adopté par elle, a limité l’intervention du rapporteur dans son avis devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales à suggérer quelques ajustements, sous forme d’amendements, apparus, au cours des auditions, ou des débats en commission, comme nécessaires. Ces modifications ont visé soit à renforcer la protection du plus faible en cas de rupture, soit à rappeler que le pacte se réfère à la notion de solidarité.

Un premier amendement, à l’article 9, concerne la rupture unilatérale du pacte civil de solidarité. Il prévoit un délai de trois mois au moins entre la notification au partenaire et l’effet de la décision de rupture, afin d’en rendre les conséquences mieux maîtrisables par le partenaire non consentant.

Deux amendements aux articles 12 et 13 visent à supprimer le délai de deux ans de pacte pour bénéficier du calcul préférentiel des droits de mutation à titre gratuit pour les donateurs ou les défunts reconnus atteints d’une pathologie grave.

En l’absence de précédent, et afin d’éviter toute remise en cause du secret médical, la liste retenue est celle des affections de longue durée au sens des 3° et 4° de l’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale, c’est à dire “ comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, inscrites sur une liste établie après avis du haut comité médical ” (les 30 maladies définies à l’article D. 322-1 du même code) ou “ lorsque le bénéficiaire a été reconnu par le contrôle médical atteint d’une affection non inscrite sur la liste mentionnée ci-dessus, et comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse ” (la “ 31ème maladie ”).

Il a semblé en effet particulièrement souhaitable de ne pas opposer un délai, en matière de succession, à des personnes malades. Le représentant de la Lesbian and gay pride, comme celui d’Act up, lors de leurs auditions par les rapporteurs, ont souligné l’aspect humanitaire qu’aurait une telle mesure à l’égard des victimes du Sida.

Une série d’amendements aux articles 20 et 21, enfin, ont pour objet de supprimer le délai d’un an pour que le partenaire puisse bénéficier de la continuation ou du transfert du bail en cas de disparition ou de décès du locataire titulaire et, symétriquement, pour l’exercice du droit de reprise, par le bailleur, au profit de son partenaire ou de ses descendants. Ces amendements alignent la situation des partenaires d’un pacte sur les couples mariés, ce qui, compte tenu de la réalité de l’engagement qu’il matérialise, semble naturel. En outre, les difficultés rencontrées en matière de logement et l’exclusion que l’absence de solutions entraîne trop souvent, rendent particulièrement souhaitable leur adoption.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, pour avis, les conclusions de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les propositions de loi de M. Jean-Pierre Michel, visant à créer un contrat d’union civile et sociale (n° 88), de M. Jean-Marc Ayrault, relative au contrat d’union sociale (n° 94) et de M. Georges Hage, relative aux droits des couples non mariés (n° 249), au cours de ses séances des mercredi 30 septembre et jeudi 1er octobre 1998.

Le président Jean Le Garrec a souligné l’intérêt du texte relatif au pacte civil de solidarité (PACS) qui crée un droit nouveau en donnant un statut juridique minimal aux couples vivant en concubinage, c’est-à-dire à environ cinq millions de personnes. Le texte proposé par la commission des lois ne vise nullement à remettre en cause le droit du mariage et de la famille et n’interfère en rien avec les droits des enfants. Par contre, il illustre parfaitement le principe de neutralité qui doit guider l’action législative d’un Etat républicain. En effet, celui-ci n’a pas à porter de jugement sur des choix individuels de vie privée mais doit régulièrement réfléchir et faire le bilan de l’évolution de la société afin d’adapter le droit positif. Il est souhaitable, enfin, qu’à l’image de ce qui s’est passé lors de l’examen des différentes propositions de loi par la commission des lois, les débats de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur ce sujet se déroulent dans un esprit de tolérance et de sérénité.

Le rapporteur pour avis a tout d’abord situé historiquement la proposition faite aujourd’hui par trois groupes politiques de créer un statut pour les personnes souhaitant voir reconnaître juridiquement leur projet de vie en commun. Au début des années quatre-vingt dix, cette revendication a été portée par des associations homosexuelles qui, confrontées au développement de l’épidémie de sida, demandaient que l’existence d’un lien de solidarité au sein des couples homosexuels soit reconnue par le droit. Cette démarche pouvait clairement se lire comme un prolongement de la reconnaissance juridique de l’homosexualité opérée durant les années quatre-vingts (consécration du principe de non-discrimination en droit du travail ou du logement notamment).

La première proposition de loi relative au contrat d’union civile a ainsi été déposée en 1992. Deux des dispositions de ce texte (le transfert de la qualité d’assuré social et le transfert de droit au bail) ont été reprises dans le cadre d’un projet de loi portant diverses mesures d’ordre social (DMOS) et, si le transfert de droit au bail a été annulé par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure, le principe du transfert de la qualité d’assuré social a, dès cette époque, été inscrit dans le droit positif.

Désormais cependant, la revendication initiée par les associations homosexuelles est reprise par l’ensemble de la société et concerne tous les couples ayant un projet de vie en commun, ce dont on doit se féliciter.

Il a ensuite rappelé qu’il y a environ six mois, Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois, lui a demandé de travailler avec M. Jean-Pierre Michel sur l’efficacité et la précision juridiques des dispositifs développés par les différentes propositions de loi, afin de lever toute ambiguïté sur la nature du projet et d’apporter une réponse claire à la critique majeure d’instauration d’un “ faux mariage ”. Ce travail de réflexion juridique a également été mené par la Chancellerie, puisque, dès 1997, M. Jacques Toubon avait demandé au professeur Jean Hauser de conduire une réflexion sur les conséquences financières de la séparation des couples, ce qui a notamment abouti à la présentation d’un rapport développant la notion de “ Pacte d’intérêt commun ”. Par ailleurs, Mme Irène Théry a été chargée par Mmes Elizabeth Guigou et Martine Aubry de la rédaction d’un rapport portant sur les évolutions de la famille et les conséquences à en tirer en droit. Ce document, remis en juin dernier, propose notamment l’élargissement de la notion de concubinage à deux personnes du même sexe, ce que ne reconnaît pas, jusqu’à aujourd’hui, la jurisprudence de la Cour de cassation.

Il ne s’agit pas d’une révolution, sauf peut-être sur le plan juridique. Le PACS a simplement pour objet de traduire dans le droit des évolutions de la société qui prennent en compte la réalité de la vie quotidienne de quatre à cinq millions de nos concitoyens. Suivant l’adage que M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois, aime à reprendre :  le fait génère le droit .

Le traitement d’un sujet de société comme celui-ci par une proposition de loi contribue à revaloriser l’image du Parlement. Les conclusions de la Commission des lois sont l’aboutissement d’un long processus de réflexion mené depuis 1990. Si elles n’ont pas fait l’objet d’un avis du Conseil d’Etat, elles ont été précédées d’une concertation approfondie avec la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice. Il convient par ailleurs d’ajouter que les rapporteurs de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ont procédé, depuis le début du mois de septembre, à de nombreuses auditions et organisé une table ronde réunissant les associations familiales représentatives membres de l’UNAF, ce qui a permis d’ajuster les dispositions du texte de la proposition de loi.

Refusant toute démarche communautariste contraire au modèle républicain, le texte présenté n’a pas pour objet de créer un statut spécifique pour les couples homosexuels mais propose un cadre juridique unique applicable à deux partenaires, que ceux-ci soient de même sexe ou de sexe différent et visant à préciser et conforter certaines dispositions sociales applicables aux concubins. Ce faisant, la législation française se mettra en conformité avec le droit communautaire interdisant les discriminations en matière de sexualité. Après l’adoption du texte, les couples hétérosexuels disposeront d’une liberté de choix entre le mariage, l’union libre ou le pacte civil de solidarité. Il est très probable, parallèlement, que la création du PACS entraînera une évolution de la jurisprudence qui permettra d’accorder aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux reconnus aux concubins de sexe différent.

Il faut également souligner que la proposition de loi ne touche en aucune manière le droit de la famille et les droits des enfants. Mais le PACS constituant un élément de stabilisation du couple, les relations entre parents et enfants s’en trouveront renforcées. Le PACS est donc un moyen de reconnaître un nouveau lien social et d’organiser une solidarité active entre deux personnes.

Il a enfin rappelé les principales dispositions de la proposition de loi.

L’article premier introduit le pacte civil de solidarité, qui s’adresse aux couples composés de deux personnes physiques, dans le livre premier du Code civil. L’enregistrement du PACS sera effectué en préfecture.

La proposition de loi énumère les devoirs résultant de la conclusion d’un PACS : ils consistent en l’aide mutuelle et matérielle et en la solidarité à l’égard des biens pour les dettes contractées par l’un des partenaires pour les besoins de la vie commune. La gestion des biens communs est assurée dans le cadre du régime de l’indivision, les partenaires du PACS ayant toutefois la possibilité de choisir un autre système par un acte notarié. La rupture du PACS peut résulter du mariage, du décès, de la volonté de l’un des partenaires ou bien d’une décision commune. Le contentieux de la rupture relève du juge civil. En cas de rupture abusive, le partenaire lésé pourra, en application de l’article 1382 du Code civil et d’une jurisprudence bien établie concernant le concubinage, se voir attribuer des dommages et intérêts.

Le PACS ouvre droit à l’imposition commune des revenus des partenaires à compter de l’imposition des revenus de l’année du troisième anniversaire de l’enregistrement du pacte. En matière de droits sur les successions ou les donations, un abattement de 250 000 francs sera effectué, les droits d’enregistrement sur les 100 000 francs suivants seront imposés au taux de 40 %, et au-delà, au taux de 50 %. Par ailleurs, les dispositions du code du travail relatives au droit aux congés payés sont étendues aux partenaires de PACS. L’article 17 relatif à la prise en compte du pacte pour l’attribution d’un titre de séjour ne modifie pas la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers et au droit d’asile mais a simplement pour objet d’éclairer son application : la conclusion d’un pacte constituera simplement un des éléments d’appréciation pour l’obtention d’un titre de séjour. En outre, des dispositions visent à permettre l’attribution immédiate de la qualité d’ayant-droit par l’un des partenaires lorsque l’autre est assuré social et la continuation du bail.

A la suite de l’exposé du rapporteur pour avis, plusieurs intervenants se sont exprimés.

M. Bernard Accoyer, tout en reconnaissant une certaine diversité de sensibilités parmi les membres du groupe RPR, a fait part de l’opposition de la majorité de son groupe au Pacte civil de solidarité. Plusieurs raisons expliquent cette opposition :

- Etant posée la nécessité du respect absolu du droit de chacun à vivre comme il l’entend mais aussi de la protection de la famille, de la femme et des enfants, la proposition de loi, en ce qu’elle a pour objet essentiel de reconnaître juridiquement le couple homosexuel, touche à l’équilibre même de la société.

- De nombreux sujets de législation concernant notamment le domaine social et la lutte contre la précarité sont bien plus prioritaires que ce texte.

- La proposition de loi constitue en fait une remise en cause du mariage qui est un des fondements essentiels de notre société. La volonté de légiférer sur la liberté de chacun à se comporter comme il l’entend doit être repoussée.

- Le texte fait l’objet d’une présentation falsifiée alors que la proposition de loi a pour objectif premier d’accorder un statut au concubinage homosexuel, celle-ci est désormais présentée comme un moyen d’améliorer la situation des concubins hétérosexuels.

- La totalité des autorités religieuses et de nombreuses autorités philosophiques et scientifiques incontestables se sont opposées à la proposition de loi et près de 20 000 maires, consultés par pétition, ont d’ores et déjà refusé l’enregistrement des pactes dans les mairies.

- Les conséquences sur les finances publiques et sociales, qui n’ont pas été évaluées, seront supportées par les couples mariés, les concubins hétérosexuels et les célibataires.

- La protection des plus faibles, c’est à dire de la femme et de l’enfant, n’est pas assurée.

- Les conséquences du PACS en matière de mutation pour les fonctionnaires et de prise de congé dans les entreprises ne sont pas acceptables.

En conclusion, après avoir constaté que les caricatures faites sur les positions des opposants au PACS montraient que l’esprit de tolérance n’est pas aussi répandu qu’on le croit, M. Bernard Accoyer a déclaré que si le groupe RPR ne conteste bien évidemment pas le droit à la différence et la liberté de chacun de conduire sa vie comme il l’entend, il exprime un avis cependant défavorable à une proposition de loi qui lui apparaît dangereuse pour l’équilibre social de la nation.

Le président Jean Le Garrec, après avoir rappelé le droit de chacun à exprimer son opinion, a demandé aux membres de la commission de faire preuve de tolérance les uns envers les autres.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a déclaré faire partie du groupe de parlementaires qui s’est intéressé à cette question de société depuis longtemps. Elle a indiqué rechercher si ce nouveau texte était en accord avec ses réflexions tant personnelles que partagées avec d’autres sur les évolutions de notre société, et en particulier, s’il prenait en compte trois types de publics : les couples hétérosexuels qui ne se sentent pas concernés par le mariage, les couples homosexuels et les couples ne fondant pas leur vie commune sur la sexualité ou la procréation. Elle a ensuite formulé différentes observations :

- Le PACS et le mariage ne doivent pas être confondus ; bien que l’enregistrement en mairie ne la choque pas, la préfecture lui semble une solution raisonnable.

- Le PACS doit être ouvert aux frères et sœurs et aux membres d’une même famille afin de satisfaire aux situations du troisième type de public, cela permettrait notamment de créer un nouveau mode de prise en charge des personnes handicapées.

- Le PACS ne remet nullement en cause les droits à l’adoption ou à l’insémination artificielle qui demeurent des droits liés à l’individu.

- Les droits corrélatifs aux devoirs ouverts par le mariage et par le PACS doivent être nettement délimités.

- Le PACS, en tant que nouvelle structure juridique, est fondé sur un concept global de solidarité de vie, ce que ne sauraient régler des mesures parcellaires répondant à certaines situations de détresse.

- Il convient de réfléchir aux conséquences du PACS, en termes de droits sociaux. Le droit aux avantages vieillesse, même si la demande n’est pas illégitime, n’est pas opportun au moment où les systèmes de retraite sont en voie d’explosion. Pour ce qui est des prestations familiales, le droit à celles-ci étant centré sur l’enfant, le PACS n’a pas à traiter de ce problème. En revanche, la reconnaissance juridique de certains couples est de nature à diminuer les charges de la branche famille.

- En dernier lieu, si l’entrée dans le PACS est bien délimitée, la sortie mériterait d’être mieux encadrée, par exemple par l’introduction de la notion de préavis en cas de rupture unilatérale du contrat, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres domaines.

Sous réserve de ces observations, Mme Roselyne Bachelot-Narquin s’est déclarée favorable à la proposition de loi.

M. Pierre-Christophe Baguet s’est interrogé sur la protection du partenaire le plus faible dans un tel type de contrat ainsi que sur les risques d’inégalité entre les enfants nés dans le mariage et ceux nés dans le PACS. Par ailleurs, le PACS accroîtra certainement les risques de fraude fiscale et de fraude en matière de séjour des étrangers et d’accès à la citoyenneté. Ce texte est donc plus porteur de conflits que de solidarité.

Mme Catherine Génisson a déclaré qu’elle voterait avec fierté et sérénité la proposition de loi et a affirmé sa volonté d’introduire, parmi les publics bénéficiaires, les couples de personnes ne partageant pas une vie sexuelle ou affective.

M. Bernard Perrut, après avoir rappelé que la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule que la “ famille est l’élément fondamental de la société ” s’est opposé à l’idée que “ le fait génère le droit ”, en soulignant que, par exemple, si tous les Français se mettaient à rouler à 200 à l’heure ou à voler, les règles en matière de limitation de vitesse ou de protection des biens ne devraient pas en être changées pour autant. Il est vrai que la vie affective et privée de chacun doit être respectée mais le PACS crée dans le code civil un sous-mariage et tend à ériger un nouveau modèle de couple. Le professeur Hauser, cité par le rapporteur, a d’ailleurs déclaré dans la presse sa préférence pour un contrat de droit privé et non un contrat public et officiel. Enfin, le PACS recèle trois inconvénients majeurs :

- les fichiers de contractants tenus à la préfecture pourraient représenter une atteinte à la liberté individuelle ;

- les enfants sont les principales victimes de ce contrat ;

- des risques de fraude existent (fraude fiscale ou de fonctionnaires souhaitant accélérer une mutation).

Mme Christine Boutin a indiqué que son groupe avait adopté une position de principe contre ce texte mais qu’il laissait la liberté de vote à ses membres. Cette opposition est justifiée par le fait que l’Etat se doit de protéger le plus faible, à savoir l’enfant dans le cadre de la famille. On ne peut pas justifier le PACS par la neutralité de l’Etat républicain car l’Etat n’est jamais neutre même lorsqu’il décide de l’être. En fait, le PACS est une nouvelle attaque de la majorité actuelle contre la famille.

Mme Dominique Gillot a considéré qu’il n’était plus possible de parler de la famille uniquement sur une base patrimoniale. Les familles non-mariées sont de fait de plus en plus nombreuses. Il a été reconnu, lors de la conférence nationale sur la famille en juin dernier, que c’était l’enfant qui était à la base de la famille. Or le PACS ne concerne pas l’enfant. Il vise uniquement à apporter des réponses concrètes à des situations d’exclusion de droit commun.

Adapter le droit à l’évolution des mœurs au moyen du PACS ne remet en cause ni le mariage ni l’union libre. Il s’agit d’organiser une solidarité réciproque sur la base d’un projet de vie commune inscrit dans la durée, sans poser le problème de la filiation. Chacun conserve donc sa liberté de vie individuelle et peut choisir entre mariage, union libre ou PACS. A cet égard, la proposition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin visant à n’écarter personne du bénéfice possible du PACS doit être soutenue. Il serait également souhaitable que la mairie, qui est le lieu identifié par tous pour l’exercice de la vie citoyenne, soit le lieu d’enregistrement administratif du PACS.

M. Noël Mamère a affirmé qu’il était du devoir de l’Etat d’adapter le droit à l’évolution de la société. Il faut bien reconnaître que le mariage n’est plus aujourd’hui le seul garant de la famille. Aucune autorité, même religieuse n’est par ailleurs incontestable en démocratie et on doit s’inscrire en faux contre la prétendue pétition des maires mentionnée par M. Bernard Accoyer car celle-ci s’appuyait sur des informations parfaitement erronées.

La proposition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin visant à élargir le PACS aux personnes seules ayant des liens de solidarité entre elles, les frères et sœurs par exemple, est une bonne initiative qui doit être soutenue car elle apportera notamment un élément de cohésion sociale dans le monde rural. Les députés verts souhaitent que le choix soit possible, pour l’enregistrement du PACS, entre la préfecture et la mairie. Ils sont également favorables à la suppression des délais nécessaires pour bénéficier d’une imposition commune adoptés par la commission des lois.

M. Gérard Lindeperg a précisé que la question qui avait été posée aux maires sur le mariage des homosexuels n’avait rigoureusement rien à voir avec le texte du PACS discuté au Parlement. Il s’agit uniquement d’une caricature grossière et d’une opération de désinformation comme il y en eut sur d’autres textes de société comme la contraception ou l’interruption volontaire de grossesse. Il ne faut pas perdre de vue la perspective historique qui s’ouvre au législateur aujourd’hui de prendre ses responsabilités au vu des évolutions de la société. Le débat doit donc être à la hauteur de l’enjeu. Concernant le problème de l’enregistrement du PACS, le choix de la préfecture permet d’éviter tout fantasme fondé sur de telles ambiguïtés et donc d’avoir un véritable débat de fond.

M. Jean-Claude Boulard a évoqué la mémoire de Jean-Louis Bory, professeur à Henri IV, qui lui avait indiqué, il y a déjà de cela vingt ans, combien il était très difficile à des personnes de milieux sociaux défavorisés d’exercer leur liberté individuelle et d’assumer leur choix de vie différent de ceux de la majorité. Le PACS permet de répondre à ses attentes.

Le rapporteur pour avis a ensuite apporté aux différents orateurs les réponses suivantes :

- Affirmer que le pacte civil de solidarité ne concernerait que les homosexuels est une erreur dans la mesure où il est expressément prévu qu’il peut être conclu entre deux personnes physiques, quel que soit leur sexe. La société s’est bien appropriée une revendication d’associations homosexuelles. Beaucoup de couples hétérosexuels sont, en effet, à la recherche d’un cadre juridique nouveau qui contribue à stabiliser leur relation et dont pourront profiter leurs enfants. Selon le professeur Hauser les couples qui souscriront un PACS acquerront les notions de droits et d’obligations qui échappent trop souvent aux couples mariés, malgré la lecture des articles 212 à 214 du code civil par le maire au cours de la cérémonie du mariage.

- Il est clair que la mise en place du PACS pourra globalement avoir pour conséquence une diminution de recettes fiscales. En revanche il n’en sera pas de même pour les dépenses sociales puisque certaines allocations attribuées sous condition de ressources, voire d’isolement, pourront ne plus être versées.

- On ne peut pas ramener la protection du plus faible à celle de la femme ou des enfants. Les évolutions actuelles du monde professionnel et de la société montrent que cette question est autrement plus complexe.

- Le PACS ne traite pas du statut des enfants mais de celui du couple. Il n’aborde donc ni les questions de filiation ni de l’exercice de l’autorité parentale, qui est un aspect essentiel de notre vie sociale, Ce sujet cependant, qui peut être rapproché des phénomènes d’exclusion et des cas de déshérence familiale mériterait d’être examiné dans un cadre législatif approprié.

- Les mairies semblaient être naturellement l’instance privilégiée d’enregistrement du PACS, ne serait-ce que parce qu’elles peuvent exercer un contrôle efficace. Toutefois, il apparaît souhaitable d’éviter que cette question ne devienne un éventuel enjeu de campagne électorale. En outre, les conséquences de la campagne auprès des maires font redouter le risque d’éventuelles discriminations à l’égard des couples homosexuels.

- Pour ce qui concerne les fichiers, la proposition de loi prévoit que la CNIL sera consultée à leur sujet afin que les libertés individuelles soient totalement respectées.

Rendant hommage à Mme Roselyne Bachelot-Narquin pour son engagement personnel sur la proposition de loi, le rapporteur pour avis a ensuite indiqué que l’extension du PACS aux fratries mérite réflexion. La proposition de loi déposée par M. Jean-Pierre Michel prévoyait d’ailleurs d’en faire bénéficier les collatéraux. S’agissant de l’encadrement du droit de rupture unilatérale, c’est un sujet auquel il convient de réfléchir afin de ne pas entrer en contradiction avec le droit des contrats, qui privilégie la liberté des parties.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a précisé qu’il n’était pas question de maintenir le contrat mais, dans le but de protéger le cocontractant qui n’a pas souhaité la rupture, d’éviter de mettre brutalement fin au soutien dont il bénéficiait, en prolongeant, pendant une durée limitée, les obligations liées au PACS.

II.- EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Insertion des articles relatifs au pacte civil de solidarité dans le livre premier du code civil

La commission a examiné un amendement présenté par Mme Christine Boutin visant à supprimer l’article premier de la proposition de loi.

Le rapporteur pour avis a souligné qu’un tel amendement tendait à placer le dispositif du pacte civil de solidarité en dehors du Code civil. Or les dispositions du titre premier de la proposition se rattachent toutes au livre premier du code civil qui s’intéresse aux personnes, la proposition de loi créant un titre XII à la fin du livre premier spécifiquement consacré au PACS. Il ne saurait être question de remettre en cause cet ordonnancement.

La commission a rejeté l’amendement, puis a donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, de l’article 1er.

Article 2

Définition du pacte civil de solidarité

Le rapporteur pour avis a émis un avis défavorable sur un amendement déposé par Mme Christine Boutin, visant à supprimer l’article 2, en faisant valoir que celui-ci constituait un dispositif essentiel de la proposition de loi.

La commission a rejeté l’amendement, puis a donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, de l’article 2.

Article 3

Empêchements à la conclusion d’un pacte civil de solidarité

La commission a examiné un amendement de Mme Roselyne Bachelot-Narquin supprimant l’interdiction de conclure un PACS entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus.

Le rapporteur pour avis a observé que cet amendement visait le “ troisième public ” que sont les couples qui ne sont pas fondés sur la sexualité. Il s’agit de permettre à des membres d’une même famille, y compris aux ascendants et descendants en ligne directe, de bénéficier de la possibilité de conclure un PACS. Cet amendement confère une dimension différente au débat, le dispositif retenu ayant été recentré, dans ce cadre juridique nouveau, sur le couple. Le travail mené avec M. Jean-Pierre Michel, rapporteur au nom de la commission des lois, a consisté à détacher la discussion du PACS des questions touchant la famille et les enfants. L’amendement présenté par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, en ouvrant le PACS à la famille, conduit à aborder d’autres thèmes, comme ceux de l’adoption ou de la procréation médicalement assistée, qui n’ont pas fait l’objet de débats dans la société et qui ne figurent pas dans la proposition de loi.

En outre, il introduit un certain nombre de difficultés en matière de droits de succession. Il convient de rappeler que les frères et les sœurs ont un droit légal à l’héritage. Or les taux des droits de mutation auxquels ils sont soumis sont plus favorables que ceux prévus dans le cadre du PACS. Les frères et soeurs ayant contracté un pacte civil de solidarité pourraient se trouver paradoxalement lésés dans leurs intérêts par rapport aux autres.

Mais le débat sur cette question n’est pas clos et se prolongera jusqu’au 9 octobre. La réunion de la commission des lois, saisie au fond au titre de l’article 88 du Règlement de l’Assemblée nationale devrait permettre de prolonger et d’affiner cette discussion.

M. Claude Goasguen a fait remarquer que les arguments invoqués pour s’opposer aux amendements consistant à intégrer les fratries dans le dispositif du PACS différaient d’une commission à l’autre. En commission des lois, l’argumentaire avancé a d’abord porté sur des problèmes de droit pénal et sur la question, pour le moins incongrue, de l’inceste.

Contrairement à ce que certains ont pu affirmer, les membres de l’opposition ne sont nullement fermés à l’idée de prendre en compte l’évolution des rapports sociaux. Le législateur doit donc être capable d’adapter les lois aux grandes mutations de la société. L’exclusion des collatéraux au dispositif du PACS ne se comprend pas dans le cadre proposé.

Il faut par ailleurs relever que le PACS ne comporte pas d’obligations juridiques d’assistance entre les contractants ; les droits et les devoirs ne peuvent être assimilés à ceux prévus dans le cadre d’un contrat de mariage. Il s’agit d’un contrat restreint qui permet aux intéressés de bénéficier, notamment, de certains avantages d’ordre social, fiscal ou en matière de logement. Du point de vue fiscal, il ne serait pas équitable d’interdire à deux éléments d’une même famille ayant choisi de vivre ensemble de bénéficier de certains avantages, notamment si ces personnes sont à la fois isolées et financièrement défavorisées, alors que dans le même temps deux individus se connaissant à peine se verraient accorder le droit de signer un PACS et de bénéficier d’avantages fiscaux après une période de trois ans.

S’agissant des droits de succession, il existe deux voies possibles pour remédier à l’obstacle soulevé par le rapporteur pour avis : la première consisterait à adopter un amendement visant à ce que les collatéraux ayant passé un PACS ne soient pas lésés dans leurs droits par rapport à la situation qui eût prévalu en l’absence de celui-ci. La deuxième résulte de l’étude de la jurisprudence : d’éventuelles difficultés en la matière se régleraient en effet aisément devant les tribunaux qui feraient prévaloir les liens familiaux sur le fait d’avoir contracté un PACS.

Ainsi tant du point de vue juridique que du point de vue politique, les arguments développés par le rapporteur pour avis ne sont pas convaincants.

M. François Goulard a souligné que si aucune obligation juridique n’est prévue dans le texte, les avantages fiscaux apparaissent de fait comme la contrepartie d’un certain devoir de solidarité liant les deux contractants. Il n’est pas possible de refuser à deux personnes d’une même famille, parfois âgées et s’entraidant d’un point de vue financier, de bénéficier, elles aussi, de ce dispositif. Le fait, pour certaines d’entre elles, de vivre ensemble leur permet de bénéficier d’une solidarité familiale renforcée, évitant ainsi leur prise en charge par la société. Le refus d’intégrer les collatéraux ne s’explique que par le souci du ministre des finances de ne pas étendre le champ d’application du dispositif pour des raisons budgétaires, mais n’est pas justifiable du point de vue de l’équité.

M. Alfred Recours, après avoir déclaré récuser toute approche idéologique en la matière, a indiqué que le dispositif du PACS tendait à permettre des avancées importantes dans le domaine des droits et des libertés individuelles, en prenant en compte la volonté de vivre ensemble de personnes différentes. La question des collatéraux doit être prise en considération de façon sérieuse et les arguments d’ordre technique avancés par MM. Claude Goasguen et François Goulard ne sont pas dénués d’importance. Il convient de réfléchir à la façon dont ces obstacles techniques pourraient être levés à l’avenir. Au cours des débats, il serait utile d’indiquer quelles dispositions du droit de la famille, par exemple, pourraient être amendées afin de prendre en compte tous les aspects de cette question dans la législation.

M. Roland Carraz a rappelé que le cas des collatéraux avait été initialement intégré dans les premières propositions visant à créer un contrat de ce type, de M. Autexier en 1992 et du Mouvement des citoyens en 1993, comme dans celle déposée par des députés du groupe RCV en 1997. Le débat est aujourd’hui relancé par l’amendement de Mme Roselyne Bachelot-Narquin. Il convient de prendre en compte cette question dans le texte qui sera voté.

Le rapporteur pour avis, après s’être déclaré en accord avec l’intervention de M. Alfred Recours, a estimé que le débat ne devait pas être fermé sur cette question et que les divers obstacles de nature technique mentionnés au cours des discussions devraient, à terme, trouver une solution. La proposition de M. Claude Goasguen tendant à résoudre la question des successions par l’adoption d’un simple amendement au texte sur le PACS ne peut être retenue car le problème posé s’avère d’une grande complexité et implique de traiter très précisément l’ensemble des difficultés relatives aux taux, aux abattements et aux délais se posant en matière successorale.

Le président Jean Le Garrec a indiqué que l’amendement de Mme Roselyne Bachelot-Narquin ne pouvait être adopté en l’état. Mais son examen a permis d’amorcer un débat sur cette question essentielle et sensible. Des problèmes techniques doivent être préalablement levés avant d’envisager d’intégrer le cas des collatéraux dans le dispositif. Le débat n’est nullement clos.

La commission a rejeté l’amendement et a donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, de l’article 3.

Elle a également donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, des articles 4 - Réception, inscription et conservation du pacte civil de solidarité, 5 - Obligations résultant du pacte civil de solidarité, 6 et 7 - Régime des biens acquis postérieurement à la conclusion d’un pacte civil de solidarité, et 8 - Dissolution du pacte civil de solidarité.

Article 9

Dissolution du pacte civil de solidarité

La commission a examiné, en discussion commune :

- un amendement de Mme Roselyne Bachelot-Narquin prévoyant que la décision du partenaire qui souhaite rompre unilatéralement le pacte civil de solidarité prendra effet, non plus dès sa notification, mais après un délai de trois mois pendant lequel les partenaires restent tenus à l’aide mutuelle et matérielle prévue par le PACS ;

- un amendement de conséquence du même auteur précisant que pendant le délai précité le mariage des anciens partenaires n’est pas autorisé ;

- un amendement du rapporteur pour avis prévoyant que la rupture unilatérale du PACS doit avoir été notifiée au partenaire qui n’en n’a pas pris l’initiative trois mois au moins avant qu’il n’informe les services de la préfecture de sa décision.

Le rapporteur pour avis, après avoir souligné que Mme Roselyne Bachelot-Narquin souhaitait, à juste titre, protéger le partenaire le plus “ faible ”, c’est-à-dire celui qui ne prend pas l’initiative de la rupture unilatérale, a souligné que la solution qu’elle proposait équivalait à maintenir l’obligation d’aide qui lie les partenaires pendant les trois mois qui suivent la rupture du PACS ; or cette solution se concilie mal avec la nature contractuelle du PACS et le principe qui veut qu’un contrat cesse de produire ses effets dès sa rupture.

Il a estimé que son amendement prenait en compte la préoccupation de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, tout en respectant le principe précité, en précisant que la formalité déjà prévue de la notification à l’autre partenaire ait lieu au moins trois mois avant la prise d’effet de la rupture du PACS. Par ailleurs, l’amendement de conséquence présenté également par Mme Roselyne Bachelot-Narquin ne paraît pas opportun en tant qu’il crée un nouveau cas d’empêchement au mariage.

M. Claude Goasguen a souligné la complexité de la situation patrimoniale qu’entraînerait la rupture d’un PACS suivie d’un mariage, notamment du point de vue de l’épouse, mal informée, de l’ancien partenaire. Par ailleurs, il a estimé souhaitable que la notification de la rupture du PACS se fasse par acte authentique afin d’éviter que certains puissent prétendre n’avoir pas reçu ladite notification.

Le rapporteur pour avis, après avoir souligné que le problème évoqué par M. Claude Goasguen existait déjà en cas de divorces successifs ou de rupture d’unions libres et que les juges étaient en mesure de le traiter sans innovation jurisprudentielle, a indiqué que la procédure de notification d’une rupture unilatérale serait définie par décret.

Le président Jean Le Garrec a estimé que l’amendement du rapporteur pour avis paraissait mieux adapté pour atteindre l’objectif de protection du partenaire le plus faible poursuivi par Mme Roselyne Bachelot-Narquin et qu’en conséquence celle-ci devrait pouvoir s’associer au dit amendement.

La commission a adopté l’amendement du rapporteur pour avis rendant ainsi sans objet les deux amendements de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, puis elle a donné un avis favorable à l’adoption de l’article 9, ainsi modifié.

Elle a également donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, des articles 10 - Imposition commune au titre de l’impôt sur le revenu, 11 - Application générale des règles liées à l’imposition commune en matière d’impôts directs et 12 - Tarif des droits sur les successions et donations.

Article 13

Abattement en matière de droits sur les successions et donations

La commission a examiné un amendement du rapporteur pour avis prévoyant que les dispositions réservant le bénéfice de l’abattement de 250 000 francs sur les droits de mutation à titre gratuit au partenaire survivant d’un PACS conclu depuis au moins deux ans ne s’appliquaient pas pour les donateurs ou les défunts reconnus atteints d’une affection de longue durée visée aux 3° et 4° de l’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale.

Le rapporteur pour avis, après avoir rappelé qu’il n’avait pas été jugé possible de faire droit à la demande de prise en compte générale de la durée de vie commune antérieure à l’adoption de la proposition de loi pour la computation des délais ouvrant droit à certains des avantages du PACS, a souligné qu’il paraissait en revanche justifié de ne pas soumettre au délai applicable à l’abattement sur les droits de mutation les personnes atteintes d’une affection longue et coûteuse au sens du code de la sécurité sociale.

M. Roland Carraz a souligné que, fort heureusement, toutes les personnes atteintes d’une telle affection n’étaient pas appelées à disparaître à brève échéance.

Le rapporteur pour avis a estimé que la formule retenue avait l’avantage de préserver le secret médical.

La commission a adopté l’amendement et a, ensuite, donné un avis favorable à l’adoption de l’article 13, ainsi modifié.

Elle a également donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, des articles 14 - Imposition commune au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune, 15 - Droits dérivés en matière d’assurance maladie, 16 - Droits à congés, 17 - Prise en compte du pacte civil de solidarité pour l’attribution d’un titre de séjour, 18 - Prise en compte du pacte civil de solidarité dans l’examen d’une demande de naturalisation et 19 - Priorité de mutation des fonctionnaires.

Article 20

Continuation du contrat de location

La commission a adopté un amendement du rapporteur pour avis visant à ouvrir au partenaire lié au locataire par un PACS le droit à la continuation du bail en cas d’abandon du domicile par le locataire, sans exiger un délai d’un an de cohabitation, le rapporteur pour avis ayant souligné que ce droit au transfert du bail était déjà ouvert aux concubins hétérosexuels justifiant d’un an de vie commune et que la gravité des problèmes de logement actuellement constatés expliquait que le délai d’un an ne soit pas appliqué aux personnes liées par un PACS.

La commission a ensuite adopté un amendement de conséquence du rapporteur pour avis supprimant le délai d’un an de cohabitation pour la continuation du bail par le partenaire, en cas de décès du locataire en titre, puis elle a donné un avis favorable à l’adoption de l’article 20, ainsi modifié.

Article 21

Droit de reprise du bailleur

La commission a adopté un amendement du rapporteur pour avis visant à supprimer le délai d’un an de cohabitation exigé pour qu’un bailleur puisse exercer son droit de reprise du logement loué au profit du partenaire auquel il est lié par un PACS ou de ses enfants, puis elle a donné un avis favorable à l’adoption de l’article 21, ainsi modifié.

Article 22

Décret d’application

La commission a donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, de l’article 22.

Article 23

Compensation des pertes éventuelles de recettes

La commission a rejeté un amendement de suppression de l’article, gageant la proposition de loi, présenté par Mme Christine Boutin, le rapporteur pour avis ayant fait remarquer que cet article conditionnait la recevabilité et donc l’examen même de la proposition de loi ; puis elle a donné un avis favorable à l’adoption, sans modification, de l’article 23.

Sous réserve des amendements qu’elle a adoptés, la commission a donné un avis favorable à l’adoption de la proposition de loi dans le texte adopté par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article 9

(Art. 515-8 du code civil)

Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa de cet article, après le mot : “ procédé, ”, insérer les mots : “ au moins trois mois auparavant, ”.

Article 13

Compléter le deuxième alinéa de cet article par la phrase suivante :

“ Toutefois, ce délai ne s’applique pas pour les donateurs ou les défunts reconnus atteints d’une affection de longue durée au sens des 3° et 4° de l’article L. 322-3 du code de la sécurité sociale. ”

Article 20

Rédiger ainsi le I de cet article :

“ I.- Après le troisième alinéa de l’article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, insérer l’alinéa suivant :

“ - au profit du partenaire lié au locataire par un pacte civil de solidarité ; ”.

Article 20

Rédiger ainsi le II cet article :

“ II.- Après le septième alinéa de l’article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, insérer l’alinéa suivant :

“ - au partenaire lié au locataire par un pacte civil de solidarité ; ”.

Article 21

A la fin du I de cet article, après le mot : “ enregistré ”, supprimer les mots : “ depuis au moins un an ”.

ANNEXES

I.- LISTE DES AUDITIONS AUXQUELLES MM. JEAN-PIERRE MICHEL ET PATRICK BLOCHE ONT PROCÉDÉ

Act Up – Paris

Aides - Fédération nationale

Association des maires de France (A.M.F.)

Association des parents gays et lesbiens (A.P.G.L.)

Centre Gay et Lesbien (C.G.L.)

Collectif pour le contrat d’union sociale et le pacte civil de solidarité

Comité pour la reconnaissance sociale des homosexuels (C.R.S.H.)

Conférence des bâtonniers

Coordination nationale lesbienne

Conseil supérieur du notariat (C.S.N.)

Contact – Parents, familles et amis de gays et lesbiennes

Homosexualités et socialisme

Lesbian and gay pride - Paris

M. Philippe MALAURIE, professeur émérite à l’Université de Paris II

Mouvement français pour le planning familial

Ordre des avocats à la Cour de Paris

Syndicat des avocats de France (S.A.F.)

Union des familles laïques (U.F.A.L.)

Union nationale des associations familiales (U.N.A.F.)

M. Patrick BLOCHE a également organisé une table ronde regroupant six associations familiales membres de l’U.N.A.F. : la Confédération des associations familiales catholiques, les Associations familiales protestantes, Familles de France, la Confédération syndicale des familles, la Confédération nationale des associations familiales laïques et Familles rurales, à laquelle assistait Mme Dominique GILLOT, auteur du rapport au premier ministre “ Pour une politique de la famille rénovée ” et rapporteur, pour la branche famille, du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

II.- TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES LOIS

PROPOSITION DE LOI

relative au pacte civil de solidarité

TITRE PREMIER

DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE CIVIL

Article premier

Le livre premier du code civil est complété par un titre XII intitulé : “ Du pacte civil de solidarité ” et comportant les articles 515-1 à 515-8.

Article 2

L’article 515-1 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-1. —  Un pacte civil de solidarité peut être conclu par deux personnes physiques, quel que soit leur sexe, pour organiser leur vie commune. ”

Article 3

L’article 515-2 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-2. —  A peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité :

“ 1°  entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus ;

“ 2°  entre deux personnes dont l’une au moins est engagée dans les liens du mariage ;

“ 3°  entre deux personnes dont l’une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité ”.

Article 4

L’article 515-3 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-3. —  Le pacte civil de solidarité fait l’objet, à peine de nullité, d’une déclaration écrite conjointe des partenaires organisant leur vie commune et remise par eux à la préfecture du département dans lequel ils établissent leur résidence d’un commun accord.

“ Les services de la préfecture l’inscrivent sur un registre et en assurent la conservation.

“ Ils font porter mention de la déclaration sur un registre tenu à la préfecture du lieu de naissance de chaque partenaire ou, en cas de naissance à l’étranger, à la préfecture de Paris.

“ L’inscription sur le registre du lieu de résidence confère date certaine au pacte.

“ Les partenaires annexent au pacte une copie de leur acte de naissance et un certificat de la préfecture de leur lieu de naissance attestant qu’ils ne sont pas déjà liés par un pacte.

“ Les modifications du pacte font l’objet d’un dépôt, d’une inscription et d’une conservation à la préfecture qui a reçu l’acte initial.

“ A l’étranger, la réception, l’inscription et la conservation du pacte, liant deux partenaires dont l’un au moins est de nationalité française, sont assurées par les agents diplomatiques et consulaires français. Le dépôt, l’inscription et la conservation des modifications du pacte sont également assurées par ces agents. ”

Article 5

L’article 515-4 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-4. —  Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’apportent une aide mutuelle et matérielle. Les modalités de cette aide sont fixées par le pacte.

“ Les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante. ”

Article 6

L’article 515-5 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-5. —  A défaut de stipulations contraires de l’acte d’acquisition, les biens des partenaires acquis postérieurement à la conclusion du pacte sont soumis au régime de l’indivision. Les biens dont la date d’acquisition ne peut être établie sont également soumis au régime de l’indivision. ”

Article 7

L’article 515-6 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-6. —  Les dispositions des articles 832 à 832-4 sont applicables au partenaire survivant. ”

Article 8

L’article 515-7 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-7. —  Le pacte civil de solidarité prend fin par la volonté, le mariage ou le décès de l’un des partenaires. ”

Article 9

L’article 515-8 du code civil est ainsi rédigé :

“ Art. 515-8. —  Lorsque les partenaires liés par un pacte civil de solidarité décident en commun d’y mettre fin, ils remettent une déclaration conjointe écrite à la préfecture du département dans lequel l’un d’entre eux au moins a sa résidence. Les services de la préfecture l’inscrivent sur un registre et en assurent la conservation. Ils en font porter mention sur l’acte initial, en marge du registre sur lequel a été enregistré celui-ci, ainsi qu’en marge du registre prévu au troisième alinéa de l’article 515-3.

“ Lorsque l’un des partenaires décide de mettre fin au pacte civil de solidarité, il notifie à l’autre sa décision. Il informe également de sa décision, ainsi que de la notification à laquelle il a procédé, les services de la préfecture qui ont reçu le pacte pour qu’il en soit porté mention sur celui–ci, en marge du registre sur lequel cet acte a été inscrit, ainsi qu’en marge du registre prévu au troisième alinéa de l’article 515-3. En cas de mariage, il adresse également une copie de son acte de naissance sur lequel est porté mention du mariage.

“ Lorsque le pacte civil de solidarité prend fin par le décès de l’un au moins des partenaires, le survivant ou tout intéressé adresse copie de l’acte de décès à la préfecture qui a reçu l’acte initial pour qu’il en soit porté mention sur celui-ci, en marge du registre sur lequel ce pacte a été inscrit, ainsi qu’en marge du registre prévu au troisième alinéa de l’article 515-3.

“ A l’étranger, la réception, l’inscription et la conservation de la déclaration, de la décision ou de la copie de l’acte mentionnés aux premier, deuxième et troisième alinéas ainsi que leur mention en marge de l’acte initial sont assurées par les agents diplomatiques et consulaires français.

“ Les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences que la rupture du pacte entraîne à leur égard. A défaut d’accord, celles-ci sont réglées par le juge. ”

TITRE II

DISPOSITIONS MODIFIANT
LE CODE GÉNÉRAL DES IMPÔTS

Article 10

I. — Le 1 de l’article 6 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :

“ Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l’article 515-1 du code civil font l’objet, pour les revenus visés au premier alinéa, d’une imposition commune à compter de l’imposition des revenus de l’année du troisième anniversaire de l’enregistrement du pacte. L’imposition est établie à leurs deux noms, séparés par le mot : “ ou ”. ”

II. — Après le 6 de l’article 6 du code général des impôts, il est inséré un 7 ainsi rédigé :

“ 7.  Chacun des partenaires liés par un pacte civil de solidarité est personnellement imposable pour les revenus dont il a disposé l’année au cours de laquelle une déclaration de rupture du pacte est enregistrée à la préfecture dans les conditions prévues à l’article 515-8 du code civil.

Lorsque les deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité et soumis à imposition commune contractent mariage, les dispositions du 5 ne s’appliquent pas.

En cas de décès de l’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité et soumis à imposition commune, le survivant est personnellement imposable pour la période postérieure au décès. ”

Article 11

Les règles d’imposition et d’assiette, autres que celles mentionnées au dernier alinéa du 1 et au 7 de l’article 6 du code général des impôts, les règles de liquidation et de paiement de l’impôt sur le revenu et des impôts directs locaux ainsi que celles concernant la souscription des déclarations et le contrôle des mêmes impôts prévues par le code général des impôts et le livre des procédures fiscales pour les contribuables mentionnés au deuxième alinéa du 1 de l’article 6 du code général des impôts s’appliquent aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité qui font l’objet d’une imposition commune.

Article 12

I. — Il est inséré, après le tableau III de l’article 777 du code général des impôts, un tableau IV ainsi rédigé :

“ TABLEAU IV

“ Tarif des droits applicables entre non-parents

FRACTION DE PART NETTE TAXABLE

TARIF APPLICABLE

 

%

Entre partenaires liés depuis au moins deux ans par un pacte civil de solidarité :

 

N’excédant pas 100.000 F

40

Supérieure à 100.000 F

50

graphique
 ”

Entre autres personnes non parentes

60

II — Dans l’intitulé du tableau III de l’article 777 du code général des impôts, les mots : “ et entre non-parents ” sont supprimés. Dans la dernière ligne de ce tableau, les mots : “ et entre personnes non parentes ” sont supprimés.

Article 13

L’article 779 du code général des impôts est complété par un III ainsi rédigé :

“ III. —  Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement de 250.000 F sur la part du partenaire lié au défunt depuis au moins deux ans par un pacte civil de solidarité défini par l’article 515-1 du code civil. ”

Article 14

I — Après le quatrième alinéa de l’article 885 A du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

“ Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini par l’article 515-1 du code civil font l’objet d’une imposition commune. ”

II — Au II de l’article 885 W du code général des impôts, après les mots: “ Les époux ”, sont insérés les mots: “ et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini par l’article 515-1 du code civil ”.

III — A l’article 1723 ter-00 B du code général des impôts, après les mots: “ Les époux ”, sont insérés les mots: “ et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini par l’article 515-1 du code civil ”.

TITRE III

DISPOSITIONS MODIFIANT
LE CODE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Article 15

Le premier alinéa de l’article L. 161-14 du code de la sécurité sociale est complété par la phrase suivante :

“ Il en est de même du partenaire lié à un assuré social par un pacte civil de solidarité lorsqu’il ne peut bénéficier de la qualité d’assuré social à un autre titre ”.

TITRE IV

DISPOSITIONS DIVERSES

Article 16

Les dispositions des articles L. 223-7, L. 226-1, troisième alinéa, et L. 784-1 du code du travail sont applicables aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité.

Article 17

La conclusion d’un pacte civil de solidarité constitue l’un des éléments d’appréciation des liens personnels en France, au sens du 7° de l’article 12 bis de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, pour l’obtention d’un titre de séjour. 

Article 18

Le fait pour un étranger d’être lié à un Français depuis au moins un an par un pacte civil de solidarité, tel que défini par les articles 515-1 à 515-8 du code civil, est pris en compte pour apprécier son assimilation à la communauté française au sens de l’article 21-24 du code civil.

Article 19

I. —  Dans la deuxième phrase du quatrième alinéa de l’article 60 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, après les mots : “ raisons professionnelles, ”, sont insérés les mots : “ aux fonctionnaires séparés pour des raisons professionnelles du partenaire avec lequel ils sont liés par un pacte civil de solidarité ”.

II. —  Dans le deuxième alinéa de l’article 54 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, après les mots : “ raisons professionnelles ”, sont insérés les mots : “ , les fonctionnaires séparés pour des raisons professionnelles du partenaire avec lequel ils sont liés par un pacte civil de solidarité ”.

III. —  Dans l’article 38 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, après les mots : “ raisons professionnelles ”, sont insérés les mots : “ , les fonctionnaires séparés pour des raisons professionnelles du partenaire avec lequel ils sont liés par un pacte civil de solidarité ”.

Article 20

I. —  Dans le quatrième alinéa de l’article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, après le mot : “ ascendants, ”, sont insérés les mots : “ du partenaire lié au locataire par un pacte civil de solidarité, ”.

II. —  Dans le huitième alinéa de l’article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, après le mot : “ ascendants, ”, sont insérés les mots : “ au partenaire lié au locataire par un pacte civil de solidarité, ”.

Article 21

I. —  Dans la deuxième phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, après les mots : “ bailleur, son conjoint, ”, sont insérés les mots : “ le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré depuis au moins un an à la date du congé, ”.

II. —  Dans la deuxième phrase du premier alinéa du paragraphe I de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, après les mots : “ ceux de son conjoint ”, le mot : “ ou ” est remplacé par les mots : “, de son partenaire ou de son ”.

Article 22

Les conditions d’application de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d’Etat, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Article 23

Les pertes éventuelles de recettes pour l’Etat engendrées par les dispositions prévues ci-dessus sont compensées à due concurrence par une majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Les pertes éventuelles de recettes pour la sécurité sociale engendrées par les dispositions prévues ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 885 U et 575 A du code général des impôts affectée aux organismes de sécurité sociale.

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N° 1102.– Avis de M. Patrick Bloche (au nom de la commission des affaires culturelles), sur les propositions de loi :
- de M. Jean-Pierre Michel et plusieurs de ses collègues visant à créer un contrat d’union civile et sociale (n° 88),
- de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative au contrat d’union sociale (n° 94),
- de M. Georges Hage et plusieurs de ses collègues relative aux droits des couples non mariés (n° 249).