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N° 1405

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 février 1999.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1) SUR LE PROJET DE LOI (N° 1365) autorisant la ratification du traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes,

PAR M. GUY-MICHEL CHAUVEAU,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Traités et conventions.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de : M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Jean-Claude Sandrier, Michel Voisin, vice-présidents ; MM. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Roger Franzoni, Yves Fromion, Robert Gaïa, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, François Huwart, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Pierre-Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Arthur Paecht, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Alain Veyret, Philippe de Villiers, Jean-Claude Viollet, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 5

I. — LA RÉORGANISATION DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ COMMUNE 7

A. DES PROCÉDURES DE DÉCISION CLARIFIÉES ET RÉORGANISÉES 7

B. UN CONSEIL MIEUX ASSISTÉ ET SOUTENU 9

II. — LES DISPOSITIONS EN MATIÈRE DE DÉFENSE 11

A. L’ABSENCE D’ORGANISATION D’UNE DÉFENSE COMMUNE 11

B. L’ATTRIBUTION À L’UNION DE RESPONSABILITÉS MILITAIRES DÉLIMITÉES : LE TRANSFERT DES MISSIONS DE PETERSBERG 12

C. LE DÉBUT D’UNE DYNAMIQUE D’AFFIRMATION ? 15

III. — L’ÉVOLUTION DES RELATIONS ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET L’UEO 19

A. L’INSTITUTIONNALISATION DU RECOURS À L’UEO 19

B. VERS LA SUBORDINATION DE L’UEO À L’UNION EUROPÉENNE ? 20

a) Une évolution commandée par la logique 20

b) Une action diplomatique aux développements rapides 21

EXAMEN EN COMMISSION 25

MESDAMES, MESSIEURS,

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, la construction européenne comporte trois piliers. Le premier pilier regroupe les dispositions régissant les Communautés européennes, le deuxième pilier traite de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et le troisième pilier est relatif à la justice et aux affaires intérieures de l’Union européenne.

S’agissant des deuxième et troisième piliers, il était beaucoup attendu de la Conférence intergouvernementale chargée de réviser le traité de Maastricht. On le sait, le traité d’Amsterdam, auquel elle a abouti, n’a pas été jugé en règle générale comme répondant aux espoirs tout d’abord formulés.

La Commission de la Défense nationale et des Forces armées a cependant jugé utile de se saisir pour avis du projet de loi autorisant la ratification de ce traité. Certes, dans le domaine de la compétence de la Commission, c’est-à-dire la politique étrangère et de sécurité commune et, plus précisément, les conditions d’usage de la force armée par l’Union européenne, l’évolution paraît modeste. Du reste, c’est pour permettre l’entrée en vigueur des dispositions nouvelles relevant du troisième pilier qu’a été entreprise la réforme constitutionnelle finalement votée le 18 janvier 1999. Les nouvelles dispositions relatives à la PESC n’emportaient, quant à elles, aucun transfert de compétence.

Cependant, les évolutions incluses dans le traité d’Amsterdam, pour modestes qu’elles soient, ont paru marquer suffisamment de ruptures et comporter assez de promesses pour justifier de la part de la Commission de la Défense un examen particulier.

Le présent rapport pour avis examinera donc successivement les apports du traité d’Amsterdam quant à la réorganisation générale de la PESC et à l’usage de la force armée par l’Union ainsi que les conséquences des dispositions nouvelles ainsi instaurées sur l’équilibre des autres organisations européennes, en particulier l’Union de l’Europe occidentale.

I. — LA RÉORGANISATION DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ COMMUNE

Les objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne ont été fixés par le traité de Maastricht. Ils sont d’abord relatifs à l’Union elle-même ; en font partie la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux et de l’indépendance de l’Union, ainsi que le renforcement de sa sécurité. Ces objectifs sont également formulés en termes d’action internationale : il s’agit du maintien de la paix et du renforcement de la sécurité internationale, de la promotion de la coopération internationale, du développement et du renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le traité précise que les actions de maintien de la paix et de renforcement de la sécurité internationale obéissent aux principes fixés par la Charte des Nations Unies et l’Acte final de la Conférence d’Helsinki ainsi qu’aux objectifs de la Charte de Paris.

Le traité d’Amsterdam n’apporte que des modifications d’ordre rédactionnel aux objectifs ainsi fixés. En revanche il règle plus précisément que ne le faisait le traité de Maastricht l’organisation de la décision dans le domaine de la PESC.

A. DES PROCÉDURES DE DÉCISION CLARIFIÉES ET RÉORGANISÉES

Pour l’expression de la politique étrangère et de sécurité commune, le traité de Maastricht avait institué deux outils, les actions communes et les positions communes. Le traité d’Amsterdam y ajoute les stratégies communes, précise les définitions de ces trois instruments, établit entre eux une hiérarchie et détermine des modalités précises pour leur adoption.

Aux termes de l’article J.3 du traité (1), les stratégies communes sont « mises en œuvre par l’Union dans des domaines où les Etats membres ont des intérêts communs importants. » Elles « précisent leurs objectifs, leur durée et les moyens que devront fournir l’Union et les Etats membres ».

De même que les principes et les orientations générales de la PESC, les stratégies communes sont de la compétence du Conseil européen, formé du Président de la Commission et des chefs d’Etat et de Gouvernement des Quinze, assistés de leur ministre des affaires étrangères.

Le Conseil de l’Union européenne — qui est, lui, la réunion des ministres des Quinze compétents pour les matières traitées — recommande ces stratégies communes au Conseil européen. Il met aussi en œuvre les stratégies ainsi décidées par le Conseil européen « notamment en arrêtant des actions communes et des positions communes ».

Ces deux instruments, on le voit, apparaissent donc comme des outils de mise en œuvre des stratégies communes, celles-ci se référant elles-mêmes aux orientations de la PESC.

Aux termes de l’article J.4, les actions communes concernent « certaines situations où une action opérationnelle de l’Union est jugée nécessaire ». Ces actions fixent elles-mêmes « leurs objectifs, leur portée, les moyens à mettre à la disposition de l’Union, les conditions relatives à leur mise en œuvre et, si nécessaire, leur durée ».

Quant aux positions communes, elles « définissent la politique de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique » (article J.5).

Les procédures de vote ont elles aussi été rationalisées (article J.13) (2). Si la règle de l’unanimité reste fondamentale, deux éléments de souplesse ont été instaurés.

D’abord, à l’abstention simple, seule prévue jusqu’ici, est ajoutée l’abstention constructive. Cette procédure permet à un Etat de refuser de participer à la mise en œuvre d’une décision, sans pour autant interdire qu’elle soit menée au nom de l’Union.

Ensuite, une procédure de majorité qualifiée est instaurée pour les actions et positions communes lorsque celles-ci sont la mise en œuvre d’une stratégie commune (les stratégies communes étant, elles, obligatoirement décidées à l’unanimité).

Il est cependant expressément prévu que la règle de la majorité qualifiée ne s’applique pas aux décisions en matière de défense. En revanche, on le verra plus loin, l’introduction de l’abstention constructive est amenée à avoir dans ce domaine d’importantes conséquences.

Comme l’avait noté notre collègue M. Maurice Ligot dans son rapport d’information (n° 39) présenté, au nom de la Délégation pour l’Union européenne, sur la révision des traités après Amsterdam, avec ces trois instruments et la définition de leur articulation le traité d’Amsterdam fournit à l’Union une « véritable méthode de travail » pour parvenir à exprimer et à faire vivre une politique étrangère et de sécurité commune dans les domaines où les Quinze « auront su définir leurs intérêts communs et où une approche commune sera jugée plus efficace qu’une action nationale ».

B. UN CONSEIL MIEUX ASSISTÉ ET SOUTENU

Le traité d’Amsterdam ne se limite pas à doter la PESC de nouveaux instruments juridiques. Il instaure aussi de nouveaux leviers institutionnels.

L’apport le plus marquant du traité est sans doute la création d’un poste permanent de Haut Représentant pour la PESC. Aux termes de l’article J.8 (3), c’est le Secrétaire général du Conseil qui en exercera les fonctions. Si les décisions en matière de PESC restent ainsi de la compétence du seul Conseil, elles seront désormais préparées et mises en œuvre sous l’autorité du plus haut fonctionnaire de l’Union. Le Secrétaire général, qui participe aux réunions du Conseil, et qui est en relation avec la Commission et le Parlement européens, agira sous le contrôle de la Présidence et au nom du Conseil et sera, si le Conseil le souhaite, l’interlocuteur politique privilégié des tiers pour les questions relatives à la PESC. Par ailleurs, du fait de l’attribution de ces nouvelles fonctions au Secrétaire général, la gestion administrative du Conseil sera désormais confiée à un Secrétaire général adjoint.

Un autre apport du traité d’Amsterdam est la création, par une déclaration annexée à l’Acte final, d’une unité de planification et d’alerte rapide. Cette structure d’expertise sera placée sous l’autorité du Secrétaire général et renforcera ainsi sa main en matière de PESC. Elle élaborera des analyses, recommandations et projets de stratégies à l’attention de la présidence ou à sa demande, développant ainsi la capacité de décision de l’Union dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité.

Le traité d’Amsterdam, en dotant la politique européenne et de sécurité commune d’instruments plus cohérents, de mécanismes de décision plus souples et d’une structure fonctionnelle permanente, crée ainsi des bases solides pour en assurer une meilleure visibilité et en renforcer les contenus.

L’action de l’Union, dont le cadre est ainsi renforcé, est cependant d’abord diplomatique. En effet, en matière de sécurité internationale, elle n’a jamais dépassé l’envoi d’observateurs (en Bosnie-Herzégovine, depuis 1991), l’administration (à Mostar), les missions humanitaires (missions de déminage) ou l’aide aux processus électoraux (en Bosnie-Herzégovine en juin 1996 ou en Russie en 1998). Les positions communes les plus contraignantes concernent des restrictions et des embargos, comme celui sur les exportations d’armes (à destination de l’ex-Yougoslavie, depuis février 1996) ou l’interdiction des liaisons vers la Communauté européenne par les transporteurs yougoslaves.

En revanche, les actions de l’Union n’ont guère abordé le domaine militaire, et ce bien que la politique militaire soit expressément mentionnée à l’article J.4 du traité de Maastricht. Les apports du traité d’Amsterdam amènent donc à étudier tout particulièrement ce champ.

II. — LES DISPOSITIONS EN MATIÈRE DE DÉFENSE

A. L’ABSENCE D’ORGANISATION D’UNE DÉFENSE COMMUNE

En matière de défense, le traité paraît, au premier abord, comporter des avancées réelles par rapport au traité de Maastricht. Alors que, selon l’article J.4 du traité de Maastricht, la PESC incluait « la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire le moment venu à une défense commune », le traité d’Amsterdam apparaît plus volontariste, puisque l’article J.7 (4), alinéa 1, dispose que la PESC inclut « la définition progressive d’une politique de défense commune (...) qui pourrait conduire à une défense commune si le Conseil en décide ainsi ». Avec le traité d’Amsterdam, la référence à un avenir éloigné apparaît ainsi remplacée par une décision d’action.

Il s’agit cependant là très largement d’un effet d’annonce. Le traité d’Amsterdam ne comporte en fait aucune disposition positive d’intégration de la défense des pays membres de l’Union. Cela ressort clairement des dispositions du troisième alinéa de l’article J.7, qui reprend celles du paragraphe 4 de l’article J.4 du traité de Maastricht.

En effet, celles-ci précisent que :

« La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres ».

On reconnaîtra là une référence à la politique nucléaire de la France et de la Grande-Bretagne, et plus précisément à la politique de dissuasion nucléaire de la France. Ces politiques sont donc exclues du champ du traité.

L’alinéa se poursuit ainsi : « (La PESC) respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ».

Cette fois, c’est l’organisation par certains pays membres (en fait la plupart) de leur défense dans le cadre de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN qui est ainsi écartée du domaine de la PESC.

Enfin, le traité ne comporte aucune disposition concernant la défense des actuels pays neutres membres de l’Union européenne (Irlande, Suède, Finlande et Autriche).

Ainsi, le traité d’Amsterdam énonce clairement que ses dispositions ne sauraient avoir de conséquences sur les choix de méthodes ou d’alliances faites par les Etats membres pour l’organisation de leur défense. Le traité n’établit donc en aucun cas les principes d’une défense commune aux pays de l’Union européenne. Sur ce point, il ne comporte aucune avancée par rapport au traité de Maastricht.

B. L’ATTRIBUTION À L’UNION DE RESPONSABILITÉS MILITAIRES DÉLIMITÉES : LE TRANSFERT DES MISSIONS DE PETERSBERG

En matière militaire, la véritable nouveauté apportée par le traité d’Amsterdam concerne l’attribution à l’Union d’une capacité d’action armée à l’appui des décisions (stratégies, positions et actions communes), qu’elle peut être amenée à prendre en matière de politique étrangère commune et de sécurité internationale.

Ces dispositions font l’objet du paragraphe 2 de l’article J.7 :

« 2.  Les questions visées au présent article incluent les missions humanitaires et d’évacuation, les missions de maintien de la paix et les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix ».

Elles signifient d’abord que l’Union se trouve désormais habilitée par ses membres à mener en son nom propre des actions allant jusqu’à l’envoi de forces de combat, donc de forces militaires armées. C’est le sens de la mention des missions non seulement de maintien de la paix mais aussi de rétablissement de la paix. En effet, ces missions sont exercées pour l’essentiel en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, dans le cadre duquel le recours à la force armée, pour permettre l’accomplissement de la mission et assurer la sécurité des troupes, est non pas laissé à la responsabilité du pays hôte, celui-ci étant en général hors d’état d’agir, mais attribué par la résolution du Conseil de sécurité à la force armée internationale envoyée sur le terrain.

Le traité attribue ainsi à l’Union européenne la capacité de mener de telles missions avec des forces dont l’envoi relève de sa décision.

Cependant, on voit bien qu’en termes de liberté d’action militaire et politique ce libellé comporte des limites : les opérations d’évacuation de ressortissants sont par définition des opérations ponctuelles qui n’emportent aucune tentative d’influence de la force ainsi envoyée sur les événements qui se déroulent dans le pays concerné : on l’a vu avec les opérations Pélican au Congo-Brazzaville ou même Amaryllis au Rwanda. Quant aux opérations de maintien ou de rétablissement de la paix, si elles peuvent être beaucoup plus lourdes, elles requièrent un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Les prérogatives nouvelles ainsi conférées à l’Union concernent de ce fait le seul domaine des interventions extérieures en matière de sécurité, dans le respect et en application des dispositions de la Charte de l’ONU.

Il s’agit donc là d’une avancée relativement modeste même si, pour les années à venir, ces interventions constituent les hypothèses les plus vraisemblables de recours à la force, et si, dans le nouveau contexte stratégique, et par exemple dans l’affaire de la crise du Kosovo, des interprétations plus souples qu’il y a quelques années de la notion de « mandat » du Conseil de sécurité sont régulièrement formulées.

Qui plus est, les missions transférées à l’Union européenne faisaient déjà l’objet d’une entente politique européenne, mais cette fois dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale.

C’est en effet par la déclaration de Petersberg du Conseil des ministres de l’UEO du 19 juin 1992, prise pour l’application du traité de Maastricht, que ces missions sont définies pour la première fois.

Or, on connaît bien la composition de l’UEO. Celle-ci est d’abord formée des dix Etats signataires du traité de Bruxelles, tous membres de l’Union européenne et de l’OTAN. S’y ajoutent cinq observateurs, les quatre membres neutres de l’Union européenne, donc non membres de l’OTAN, ainsi que le Danemark, membre de l’une et de l’autre organisation, mais qui récuse toute idée de défense européenne hors de l’OTAN, trois associés, membres de l’OTAN mais non de l’Union européenne (l’Islande, la Norvège et la Turquie) et dix associés partenaires, pays d’Europe de l’Est membres du CPEA (Conseil de partenariat euro-atlantique), ayant vocation à entrer dans l’Union européenne et dans l’OTAN.

Les dispositions du paragraphe 2 de l’article J.7 peuvent ainsi s’analyser comme une opération de transfert vers l’Union européenne par les quinze Etats membres de l’Union européenne, soit les dix Etats membres et les cinq Etats observateurs de l’UEO, des missions militaires de sécurité autrefois consenties par eux dans le cadre de l’UEO.

Conseil des ministres de l’UEO

Déclaration de Petersberg

(Bonn, 19 juin 1992)

« II. —  SUR LE RENFORCEMENT DU RÔLE OPÉRATIONNEL DE L’UEO

1. — Conformément à la décision de développer l’UEO en tant que composante de défense de l’Union européenne et comme moyen de renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique figurant dans la Déclaration des Etats membres de l’UEO rendue publique à Maastricht le 10 décembre 1991, les Etats membres de l’UEO ont poursuivi l’examen et la définition des missions, structures et moyens appropriés, couvrant en particulier une cellule de planification de l’UEO et des unités militaires relevant de l’UEO, afin de renforcer son rôle opérationnel.

2. — Les Etats membres déclarent qu’ils sont prêts à mettre à la disposition de l’UEO des unités militaires provenant de tout l’éventail de leurs forces conventionnelles en vue de missions militaires qui seraient menées sous l’autorité de l’UEO.

3. — Toute décision de recourir aux unités militaires relevant de l’UEO sera prise par le Conseil de l’UEO conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. La décision de participer à des opérations spécifiques restera du ressort national et sera prise par les Etats membres conformément à leurs Constitutions spécifiques.

4. — Outre une contribution à la défense commune dans le cadre de l’application de l’article 5 du Traité de Washington et de l’article V du Traité de Bruxelles modifié, les unités militaires des Etats membres de l’UEO, agissant sous l’autorité de l’UEO, pourraient être utilisées pour :

— des missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants ;

— des missions de maintien de la paix ;

— des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix.

5. — La planification et l’exécution de ces missions seront pleinement compatibles avec les dispositions militaires nécessaires pour assurer la défense collective de tous les alliés. (...)

C. LE DÉBUT D’UNE DYNAMIQUE D’AFFIRMATION ?

Le transfert à l’Union européenne des missions de Petersberg comporte cependant plusieurs éléments significatifs.

D’abord, la déclaration de Petersberg faisait mention des seuls membres de l’UEO, à l’exception des observateurs et associés. Le paragraphe 2 de l’article J.7 concerne, lui, l’ensemble des membres de l’Union européenne, soit les dix membres de l’UEO et les cinq observateurs. L’article J.7 consacre donc le ralliement des Etats neutres membres de l’Union européenne et du Danemark à la conduite collective par l’Union des missions de Petersberg. Cette évolution de la position de ces pays est un élément essentiel, qui crée dans ce domaine et pour la première fois l’unité des Etats membres de l’Union.

De fait, alors même que la garantie de l’article V du traité de Bruxelles n’est pas étendue à ces pays, le paragraphe 3 de l’article J.7, qui traite des relations entre l’Union européenne et l’UEO, prévoit expressément la participation de ceux-ci aux missions de Petersberg :

« 3. — L’Union aura recours à l’UEO pour élaborer et mettre en œuvre les décisions et les actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense (...)

« Chaque fois que l’Union a recours à l’UEO pour qu’elle élabore et mette en œuvre les décisions de l’Union relatives aux missions visées au paragraphe 2, tous les Etats membres de l’Union sont en droit de participer pleinement à ces missions. Le Conseil, en accord avec les institutions de l’UEO, adopte les modalités pratiques nécessaires pour permettre à tous les Etats membres apportant une contribution aux missions en question de participer pleinement et sur un pied d’égalité à la planification et à la prise de décision au sein de l’UEO ».

Cet article prévoit ainsi le droit pour les observateurs de l’UEO de participer aux missions effectuées pour le compte de l’Union européenne au même titre que les membres pleins, qu’il s’agisse de leur exécution, de leur planification ou de leur décision.

Ensuite, et c’est un élément fondamental, une procédure de décision réaliste est instituée. L’article J.13 du traité (5), ou plutôt son paragraphe 1, seul applicable en matière de décisions « ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense », dispose en effet que :

« 1. — Les décisions relevant du présent titre sont prises par le Conseil statuant à l’unanimité. Les abstentions des membres présents ou représentés n’empêchent pas l’adoption de ces décisions.

« Tout membre du Conseil qui s’abstient lors d’un vote peut, conformément au présent alinéa, assortir son abstention d’une déclaration formelle. Dans ce cas, il n’est pas tenu d’appliquer la décision, mais il accepte que la décision engage l’Union ».

Aux termes de l’alinéa premier, la procédure normale de décision est ainsi l’unanimité des suffrages exprimés.

Cependant, il faut attirer l’attention sur l’élément de souplesse introduit par l’alinéa 2. Aux termes de l’alinéa premier, en effet, tout désaccord de l’un des Etats membres, en empêchant l’unanimité, bloque la décision.

Les dispositions de l’alinéa 2 permettent de tourner cette difficulté. Le dispositif permet en effet à un Etat en désaccord avec la mesure proposée de ne pas y être associé et de ne pas l’appliquer, sans pour autant que cette décision empêche la mise en œuvre de la mesure, au nom de l’Union, par les pays qui n’y sont pas défavorables. C’est le principe de « l’abstention constructive » déjà évoqué dans la première partie du présent rapport pour avis. Le fait qu’il s’applique aussi aux questions militaires est un changement fondamental pour la capacité d’action de l’Europe en ce domaine. En effet, ni l’UEO, ni l’OTAN ne connaissent l’abstention constructive. Or si, à l’OTAN, la prééminence américaine est telle que le besoin de cette procédure ne se fait pas actuellement sentir, il est arrivé au sein de l’UEO que des actions souhaitées par la quasi-totalité des membres n’aient pu être mises en place pour la seule raison qu’un des partenaires ne souhaitait pas y participer. Tel fut le sort de l’opération Alba au printemps 1997 en Albanie, qui, de ce fait, dut être placée dans le cadre d’une structure spécifique.

Le principe de l’abstention constructive a cependant ses limites. Ainsi, poursuit l’alinéa 2 :

« Si les membres du Conseil qui assortissent leur abstention d’une telle déclaration représentent plus du tiers des voix affectées de la pondération prévue à l’article 148, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne (6), la décision n’est pas adoptée ».

Toute décision au nom de l’Union européenne nécessite ainsi un vote positif des deux tiers des voix pondérées.

Cependant, compte tenu de la pondération des voix, la défection d’un seul pays, ou même de deux, ne suffit pas à empêcher la mise en œuvre d’une action. Il faut au moins trois défections de pays représentant chacun 10 voix, ou plus encore dans le cas de pays plus petits.

La fixation de ce seuil est là aussi de très bon augure pour l’application effective des dispositions de l’article J.7. En effet, il signifie que les grands partenaires européens membres de l’OTAN et de l’UEO, et tout particulièrement l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ont accepté de mettre en place une procédure où des actions pourront être lancées sans qu’eux-mêmes les approuvent.

PONDÉRATION DES VOIX AU CONSEIL

(Article 148, paragraphe 2 du traité
instituant la Communauté européenne)

Belgique 5

Danemark 3

Allemagne 10

Grèce 5

Espagne 8

France 10

Irlande 3

Italie 10

Luxembourg 2

Pays-Bas 5

Autriche 4

Portugal 5

Finlande 3

Suède 4

Royaume-Uni 10

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87

Limites de l’abstention constructive : 29 voix

III. — L’ÉVOLUTION DES RELATIONS ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET L’UEO

Les assouplissements acceptés dans les procédures de vote au sein de l’Union européenne par les principaux pays contributeurs de forces sont aussi du meilleur augure quant à l’application des décisions de l’Union européenne par l’UEO, qui, elle, ne connaît pas l’abstention constructive.

A. L’INSTITUTIONNALISATION DU RECOURS À L’UEO

En effet, les limites du dispositif instauré par le traité d’Amsterdam sont doubles. On a vu d’abord que le domaine ouvert par le traité était restreint. La seconde limite est que le dispositif n’est pas autonome. Cela ressort très clairement des paragraphes 1 (alinéas premier et 2) et 3 de l’article J.7.

« 1.  La politique étrangère et de sécurité commune inclut l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune, conformément au deuxième alinéa, qui pourrait conduire à une défense commune, si le Conseil européen en décide ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux Etats membres d’adopter une décision dans ce sens conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives.

« L’Union de l’Europe occidentale (UEO) fait partie intégrante du développement de l’Union en donnant à l’Union l’accès à une capacité opérationnelle, notamment dans le cadre du paragraphe 2. Elle assiste l’Union dans la définition des aspects de la politique étrangère et de sécurité commune ayant trait à la défense, tels qu’ils sont établis dans le présent article. En conséquence, l’Union encourage l’établissement de relations institutionnelles plus étroites avec l’UEO en vue de l’intégration éventuelle de l’UEO dans l’Union, si le Conseil européen en décide ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux Etats membres d’adopter une décision dans ce sens conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives. (...)

« 3.  L’Union aura recours à l’UEO pour élaborer et mettre en œuvre les décisions et les actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense.

« La compétence du Conseil européen pour définir des orientations conformément à l’article J.3 vaut également à l’égard de l’UEO en ce qui concerne les questions pour lesquelles l’Union a recours à l’UEO. »

La mise en œuvre de la PESC, dès lors qu’elle fait intervenir les forces armées, passe ainsi obligatoirement par l’UEO.

B. VERS LA SUBORDINATION DE L’UEO À L’UNION EUROPÉENNE ?

a) Une évolution commandée par la logique

Or, bien que l’abstention constructive n’existe pas à l’UEO, on voit mal comment un Etat qui accepterait de s’en tenir à une telle abstention lors de la décision d’une action par l’Union européenne, plutôt que d’opposer son veto, droit qu’il conserve en tout état de cause, déciderait de ne le faire que pour réserver ce veto à la mise en œuvre de la décision de l’Union européenne par l’UEO.

On ne saurait alors mettre suffisamment l’accent sur l’effet de structure que produirait ce qui n’est a priori qu’une simple affaire de cohérence pour chaque pays. Cette simple règle de méthode aurait tout simplement pour conséquence, s’agissant des missions dites de Petersberg, de provoquer le basculement du lieu de décision lui-même de l’UEO vers l’Union européenne, les décisions prises au sein de l’Union européenne n’étant en pratique plus susceptibles d’être remises en cause à l’UEO.

Si tel était le cas, il s’agirait d’une avancée majeure en matière d’identité européenne de sécurité et de défense.

En effet, ce qu’on peut noter à propos de l’UEO depuis plusieurs années - et ce point a été récemment souligné par notre collègue Bernard Cazeneuve dans l’avis annuel qu’il formule au nom de la commission de la Défense sur les crédits des Affaires étrangères et de la Coopération - c’est le paradoxe entre le renforcement de ses moyens et de ses capacités techniques, et son incapacité de décision.

Depuis le début des années 1990, l’UEO s’est progressivement dotée d’un centre d’analyse, d’un centre de renseignement satellitaire, d’un comité des chefs d’état-major, présidé par le Chef d’Etat-major des Armées du pays présidant l’UEO ; les pays européens ont identifié en leur sein des « FRUEO », forces relevant de l’UEO et prêtes à être utilisées pour des missions décidées par celle-ci. Parallèlement, on le sait, l’articulation entre l’UEO et l’OTAN a été réorganisée. Au sein de l’OTAN, une chaîne de commandement européenne est en cours d’identification, sous l’autorité du SACEUR adjoint européen, pour des missions décidées par la seule UEO.

Or, en même temps, l’UEO a été incapable de se doter de la capacité de décider l’emploi de ces forces. Le plus bel exemple de cette impuissance est, on l’a vu, l’opération Alba.

Si l’UEO devenait l’organe d’application des décisions politico-militaires de l’Union européenne, il y aurait là le début d’une réponse à la question de l’impuissance institutionnelle de l’Europe dans ce domaine, celle-ci se trouvant désormais dotée, avec le Conseil européen, et compte tenu des règles qui y président, d’un organisme de décision effectif.

b) Une action diplomatique aux développements rapides

Or, on assiste à un développement rapide des initiatives diplomatiques allant dans ce sens.

·  Il faut d’abord citer la déclaration adoptée par le Conseil des ministres de l’UEO le 22 juillet 1997. Le Conseil y indique clairement sa volonté de faire de l’UEO l’organisme d’exécution des décisions de l’Union européenne en matière de défense.

« 4.  Dans la "déclaration sur le rôle de l’Union de l’Europe occidentale et sur ses relations avec l’Union européenne et avec l’Alliance atlantique" du 10 décembre 1991, les Etats membres de l’UEO s’étaient fixé pour objectif "d’édifier par étapes l’UEO en tant que composante de défense de l’Union européenne". Ils réaffirment aujourd’hui cette ambition, telle qu’elle est développée par le traité d’Amsterdam.

« 5.  Lorsque l’Union aura recours à elle, l’UEO élaborera et mettra en œuvre les décisions et les actions de l’Union ayant des implications dans le domaine de la défense.

« Afin d’élaborer et de mettre en œuvre les décisions et les actions de l’Union européenne pour lesquelles l’Union a recours à l’UEO, celle-ci agira conformément aux orientations définies par le Conseil européen. »

·  Cette évolution est confirmée par la déclaration faite par le Conseil des ministres de l’UEO à l’issue de sa réunion de Rome des 16 et 17 décembre 1998.

Figurent notamment dans cette déclaration des propos très clairs sur l’élargissement du champ de capacité offert à l’Union européenne par l’UEO.

« 3.  Après la fin de la guerre froide, les pays de l’UEO ont pris l’engagement politique de développer cette organisation pour en faire l’un des instruments du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Lors de la réunion de Petersberg, en 1992, ils ont défini le rôle particulier de l’UEO concernant les aspects militaires de la gestion de crise.

« Les ministres ont réaffirmé aujourd’hui la responsabilité de l’Europe dans ces domaines et ont mis l’accent sur les spécificités de la contribution de l’UEO à la gestion des crises en Europe :

« — le renforcement de ses relations avec l’Union européenne, qui permet d’adjoindre aux instruments politiques et économiques de l’Union les capacités politico-militaires de l’UEO pour gérer les crises ; (...).

De plus, pour la première fois, la validation de deux actions concrètes vaut prise d’acte de la nouvelle organisation des décisions.

« 5.  Les ministres ont noté avec satisfaction que le cadre institutionnel général et les conditions de la mise en œuvre du rôle opérationnel de l’UEO se renforcent régulièrement. Les ministres ont confirmé au cours de cette réunion que l’UEO était prête à organiser une mission d’assistance au déminage en Croatie en réponse à une demande faite par l’Union européenne en application de l’article J..4.2. du traité de Maastricht, et se sont félicités de la récente décision, au titre de ce même article, de faire appel au Centre satellitaire de l’UEO en vue de contribuer à la surveillance de la situation au Kosovo. Les travaux effectués par l’Union européenne et l’UEO sur des "scénarios illustratifs" permettront de déterminer plus clairement comment l’UEO peut contribuer à l’avenir à répondre aux besoins de l’Union européenne et compléter les activités de l’Union en matière de gestion de crise. Dans le même temps, l’UEO examine avec l’OTAN comment mobiliser et gérer les moyens et capacités que l’OTAN mettrait éventuellement à sa disposition pour des missions menées sous le contrôle politique et la direction stratégique de l’UEO. »

·  C’est dans la perspective ainsi définie qu’il convient de replacer la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, qui intervient moins de trois semaines après la déclaration de Rome. Les paragraphes sur l’organisation militaire sont particulièrement significatifs :

« 1.  (...) Le Conseil doit être en mesure, sur une base intergouvernementale, de prendre des décisions portant sur tout l’éventail des actions prévues par le titre V du traité de l’Union européenne.

« 2.  A cette fin, l’Union doit avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales (...)

« 3.  Pour pouvoir prendre des décisions et, lorsque l’Alliance en tant que telle n’est pas engagée, pour approuver des actions militaires, l’Union européenne doit être dotée de structures appropriées. Elle doit également disposer d’une capacité d’évaluation des situations, de sources de renseignement, et d’une capacité de planification stratégique, sans duplication inutile, en prenant en compte les moyens actuels de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et l’évolution de ses rapports avec l’Union européenne. A cet égard, l’Union européenne devra pouvoir recourir à des moyens militaires adaptés (moyens européens pré-identifiés au sein du pilier européen de l’OTAN, ou moyens nationaux et multinationaux extérieurs au cadre de l’OTAN) (...) ».

·  En fait, la déclaration de Saint-Malo a ouvert la perspective d’une fusion effective des organismes techniques de l’Union européenne et de l’UEO.

La question de doter l’Union européenne d’outils tels qu’un centre de renseignement ou d’une cellule de capacité d’évaluation de situation ou encore de planification stratégique fait actuellement, semble-t-il, l’objet d’un examen de faisabilité par les principaux partenaires de la France, dans une optique ouverte et avec une ferme volonté d’aboutir. L’idée aurait été évoquée, dans un climat favorable, de constituer la cellule de planification stratégique à partir de la cellule de planification de l’UEO. Par ailleurs, le Chancelier allemand, M. Gerhard Schröder, a proposé, le 6 février dernier, à la conférence de Munich, de confier « en union personnelle » le poste et la fonction de secrétaire général de l’UEO, qui sera vacante à la fin de l’année, au secrétaire général du Conseil, Haut Représentant pour la PESC. Le Chancelier a expliqué que, par cette mesure, l’Allemagne entendait donner un signe visible en vue de l’intégration de l’UEO dans l’Union européenne.

*

Au bout du compte, il faut noter le paradoxe des dispositions du traité d’Amsterdam. De portée positive modeste, elles donnent lieu au développement d’une remarquable dynamique d’initiatives. C’est pourquoi il ne paraît pas déraisonnable de conclure que les timides dispositions du traité d’Amsterdam pourraient bien, en débloquant l’actuelle impasse de la décision politico-militaire européenne actuelle, constituer la première pierre d’une construction cohérente de l’identité européenne de sécurité et de défense.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 17 février 1999, la commission de la Défense nationale et des Forces armées a procédé à l’examen du projet de loi (n° 1365) autorisant la ratification du traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

Le Président Paul Quilès, après avoir rappelé que le traité d’Amsterdam marquait quelques progrès dans la construction de l’Europe de la défense, a estimé que, pour modestes qu’ils puissent paraître, ces progrès témoignaient d’une dynamique nouvelle qui a récemment conduit, par exemple, à la déclaration franco-britannique de Saint-Malo ou à l’acceptation par les principaux pays européens de responsabilités importantes dans la formation d’une éventuelle force de paix au Kosovo.

Après avoir fait valoir que les modalités d’application des dispositions du traité d’Amsterdam concernant la sécurité permettraient de déterminer si l’Europe était capable d’assumer, de manière autonome, de plus grandes responsabilités pour sa défense, il a souligné que cette question était au cœur des préoccupations de la Commission et des réflexions qu’elle avait engagées à propos des négociations relatives au nouveau concept stratégique de l’OTAN.

M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur pour avis, a tout d’abord exposé qu’en ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), entendue de façon générale, le traité d’Amsterdam comportait deux avancées par rapport au traité de Maastricht, d’abord une meilleure visibilité de cette politique, puisqu’elle sera désormais confiée à une institution identifiable, le Secrétaire général du Conseil, ensuite une meilleure systématisation, puisqu’elle obéira à des «stratégies communes » que décidera le Conseil européen et qui serviront de cadre aux « actions communes » et aux « positions  communes » déjà instituées par le traité de Maastricht.

En ce qui concerne les dispositions en matière militaire, le rapporteur pour avis a estimé que si, au premier abord, le traité d’Amsterdam apparaissait plus volontariste que le traité de Maastricht, il s’agissait très largement là d’un effet d’annonce, aucune disposition positive d’intégration de la défense des pays membres de l’Union n’étant en fait prévue. Il a ajouté que le traité d’Amsterdam précisait que la politique de l’Union n’affectait ni le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, cette formule visant la dissuasion nucléaire, ni les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour les Etats membres qui considèrent que leur défense commune est actuellement réalisée dans le cadre de l’OTAN. Il a souligné que le traité ne comportait aucune disposition concernant la défense des actuels pays neutres membres de l’Union européenne, c’est-à-dire l’Irlande, la Suède, la Finlande et l’Autriche.

Il a conclu que le traité d’Amsterdam établissait clairement qu’il ne saurait avoir de conséquences sur les choix de méthodes ou d’alliances faits par les Etats membres pour l’organisation de leur défense et qu’en conséquence il n’établissait donc, pas plus que le traité de Maastricht, les principes d’une défense commune aux pays de l’Union européenne.

Le rapporteur pour avis a ajouté qu’il en était de même dans le domaine de coopération européenne en matière d’armement, qui était laissée à la liberté d’appréciation des Etats membres. Il a relevé que l’OCCAR (organisme conjoint de coopération en matière d’armement) n’était pas cité, alors qu’il représentait l’institution la plus prometteuse dans ce domaine, observant toutefois que son renforcement était récent.

M. Guy-Michel Chauveau a alors jugé qu’en matière militaire, la véritable nouveauté concernait l’attribution à l’Union d’une capacité d’action armée à l’appui des décisions qu’elle pouvait être amenée à prendre en matière de politique étrangère et de sécurité internationale, puisqu’étaient insérées dans le champ du traité d’Amsterdam les missions humanitaires et d’évacuation, les missions de maintien de la paix et les missions d’emploi de la force pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix.

Il a estimé que ces dispositions habilitaient l’Union à mener en son nom propre des actions allant jusqu’à l’envoi de forces de combat, les missions de rétablissement de la paix étant exercées pour l’essentiel en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

Il a cependant considéré que, dans la mesure où les opérations d’évacuation de ressortissants sont, par définition, des opérations ponctuelles qui n’emportent aucune tentative d’influence de la force ainsi envoyée sur les événements qui se déroulent dans le pays concerné, et où les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix requièrent un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies, les prérogatives nouvelles ainsi conférées à l’Union restaient limitées, d’autant que ces missions faisaient déjà l’objet d’une politique européenne, dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale. Il a remarqué qu’il s’agissait en fait des « missions de Petersberg », définies par la déclaration du même nom du Conseil des ministres de l’UEO du 19 juin 1992 et qu’en conséquence le traité d’Amsterdam pouvait s’analyser comme une simple opération de transfert vers l’Union européenne des missions militaires de sécurité autrefois consenties dans le cadre de l’UEO.

Le rapporteur pour avis a cependant insisté sur plusieurs éléments significatifs qui accompagnaient ce transfert. Il a d’abord fait remarquer que, alors que la déclaration de Petersberg concernait les seuls membres pleins de l’UEO, les nouvelles dispositions concernaient l’ensemble des membres de l’Union européenne, c’est-à-dire non seulement les dix Etats qui sont membres à part entière de l’UEO, mais aussi les cinq qui y sont observateurs. Il a conclu que ce ralliement des Etats neutres membres de l’Union européenne et du Danemark à la conduite collective des missions de Petersberg créait dans ce domaine, et pour la première fois, une possibilité d’unité d’action des pays de l’Union.

Il a ensuite exposé que si l’article J.13 du Traité disposait que les décisions touchant à la défense étaient normalement prises par le Conseil à l’unanimité des suffrages exprimés, il prévoyait aussi qu’un Etat membre pouvait s’abstenir lors d’un vote tout en assortissant son abstention d’une déclaration formelle, et que dans ce cas, cet Etat, tout en n’étant pas tenu d’appliquer la décision, acceptait qu’elle engage l’Union. Il a estimé que l’instauration de ce principe d’« abstention constructive » était un élément de très bon augure pour la mise en œuvre des nouvelles dispositions en matière d’intervention militaire, et cité a contrario l’impossibilité de placer sous l’égide de l’UEO l’opération Alba, menée en Albanie au printemps 1997, du fait de l’absence de cette procédure.

Il a néanmoins précisé que, pour conserver un caractère représentatif aux décisions de l’Union européenne, le champ de l’abstention constructive avait été limité au tiers des voix pondérées au sein du Conseil.

Le rapporteur pour avis a alors abordé la question des relations entre l’Union européenne et l’UEO, le traité exposant très clairement que la partie de la PESC qui a trait à la défense devait passer par l’UEO.

Sur ce point, il a fait remarquer que la procédure d’abstention constructive n’existait toujours pas à l’UEO, mais fait valoir qu’il était peu vraisemblable qu’un Etat, après avoir accepté, en choisissant d’avoir recours à cette procédure, qu’une mesure soit décidée par l’Union européenne, s’empresse de la bloquer au stade de sa mise en oeuvre dans le cadre de l’UEO.

Il en a conclu qu’en matière de missions de Petersberg, le cadre réel des choix et des décisions serait désormais l’Union européenne, l’UEO devenant simplement l’organisme d’application de ces décisions.

Il a jugé que, même si le domaine d’action ainsi défini était limité, il s’agissait là d’une avancée sérieuse en matière d’identité européenne de sécurité et de défense.

A ce propos, il a rappelé que, depuis le début des années 1990, l’UEO avait progressivement renforcé ses capacités opérationnelles, en se dotant d’un centre d’analyse, d’un centre de renseignement satellitaire, d’un comité des chefs d’état-major, et en identifiant des « FRUEO », forces européennes relevant de son autorité et prêtes à être utilisées pour des missions décidées par elle, mais souligné qu’elle avait été incapable de se doter de la capacité effective de prendre la décision d’employer ces forces. Il a fait valoir que, dans la mesure où l’UEO deviendrait l’organe d’application des décisions politico-militaires de l’Union européenne, il y avait là le début d’une réponse à la question de l’impuissance institutionnelle de l’Europe dans le domaine de la défense. Il a également estimé que c’était bien la direction qui était maintenant prise.

A l’appui de ses propos, il a cité deux déclarations du Conseil des ministres de l’UEO, celle du 22 juillet 1997 qui précise notamment que, pour mettre en oeuvre les décisions et les actions pour lesquelles l’Union a recours à l’UEO, cette dernière agira conformément aux orientations définies par le Conseil européen, et celle faite à Rome le 17 décembre 1998, aux termes de laquelle le renforcement des relations de l’UEO « avec l’Union européenne permet d’adjoindre aux instruments politiques et économiques de l’Union les capacités politico-militaires de l’UEO pour gérer les crises (...) » et où, pour la première fois, il est pris acte de la nouvelle organisation institutionnelle pour la mise en oeuvre de deux actions concrètes, en réponse à une demande faite par l’Union européenne, une mission d’assistance au déminage en Croatie et un recours au Centre satellitaire de l’UEO.

Il a également évoqué la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, ainsi que celle faite par le ministre allemand des affaires étrangères le 6 février dernier dans le cadre de la conférence de Munich sur la sécurité, aux termes de laquelle l’Union européenne doit développer la capacité de gérer elle-même les crises, chaque fois qu’il existe un besoin d’action du point de vue européen.

En conclusion, estimant qu’en matière d’identité européenne de sécurité et de défense, le traité d’Amsterdam était un petit pas, mais un vrai pas, le rapporteur pour avis a souligné le caractère novateur pour l’Union européenne de ses dispositions. Il a ajouté qu’aujourd’hui, les instruments de la construction de l’identité européenne de sécurité et de défense (IESD) étaient effectivement disponibles et que leur mise en œuvre était désormais une affaire de volonté politique. Evoquant la question du Kosovo, il a souligné les progrès faits par l’Europe depuis les premiers combats en Bosnie-Herzégovine, puisque les pays européens du Groupe de contact avaient pu, grâce à leur action commune, favoriser de manière décisive la tenue de la conférence de Rambouillet.

Estimant que la Conférence de Rambouillet représentait un progrès considérable dans la recherche du règlement du conflit du Kosovo, M. René Galy-Dejean a demandé si le Rapporteur ou le Président disposaient d’informations relatives à une éventuelle intervention militaire de l’OTAN en cas d’échec des négociations.

Le Président Paul Quilès a d’abord souligné le caractère novateur de la démarche franco-britannique à l’origine de la conférence, faisant référence à la prééminence américaine au cours de la réunion de Dayton qui a mis un terme au conflit bosniaque. Il a ensuite rappelé que la priorité restait à la recherche d’une solution diplomatique mais qu’une action militaire de l’OTAN était inévitable en cas d’échec politique. Des frappes aériennes d’avertissement paraissent probables dans cette hypothèse pour maintenir la crédibilité de l’OTAN face au régime autoritaire de Belgrade. Mais ces frappes de sommation devront être suivies rapidement par une reprise de la démarche diplomatique, l’action militaire seule ne permettant pas d’aboutir à une solution.

M. Georges Lemoine s’est inquiété de l’attitude de la Russie, estimant qu’elle jouait de ses relations avec la Serbie pour affirmer son influence face à l’élargissement de l’OTAN et soulignant qu’une solution pacifique nécessitera son adhésion.

Le Président Paul Quilès a indiqué que l’OTAN était désormais prête à agir militairement au Kosovo. Il a estimé que la situation actuelle de la Russie l’empêcherait probablement d’adopter une attitude d’opposition radicale aux actions de l’OTAN, même si Moscou a visiblement peur que ne se crée au Kosovo une jurisprudence qui pourrait ultérieurement être appliquée ailleurs, voire sur son territoire même. Il a en outre indiqué qu’en cas de constitution d’une force de paix de l’OTAN au Kosovo, la Russie pourrait participer à ses états-majors et rappelé qu’il était envisagé de l’inviter au prochain sommet de l’Alliance à Washington.

M. René Galy-Dejean a ensuite interrogé le Président Paul Quilès sur une éventuelle action militaire terrestre au Kosovo.

Le Président Paul Quilès, après avoir souligné que les forces aériennes étaient prêtes à agir rapidement, a estimé qu’une action de déploiement de troupes terrestres pourrait demander, en revanche, un délai de plusieurs semaines, même si les préparatifs semblent bien avancés.

M. Georges Lemoine s’est inquiété de la situation des observateurs de l’OSCE, à la merci de représailles en cas de frappes aériennes de l’OTAN.

Le Président Paul Quilès a répondu que la nécessité de leur évacuation préalable semblait évidente. Il a précisé qu’elle devrait être extrêmement rapide, dans la mesure où elle donnerait un signal aux belligérants.

M. Bernard Grasset s’est interrogé sur la capacité de la force d’extraction à intervenir de la Macédoine, où elle est installée, et sur le caractère suffisant de sa dotation en hélicoptères.

M. Guy-Michel Chauveau a souligné que le relief montagneux du Kosovo ne faciliterait effectivement pas l’intervention éventuelle de la force d’extraction, celle-ci ne disposant que de quelques dizaines d’hélicoptères alors que le nombre d’observateurs à évacuer était d’environ 800.

Il a relevé que le regroupement des observateurs de l’OSCE en un même lieu pouvait faire partie de la « gesticulation de crise » au cours des négociations. Il a enfin noté que le problème d’éventuelles prises d’otages ne devait pas être sous-estimé, notamment à l’égard de l’opinion publique.

Le Président Paul Quilès a observé que les événements du Kosovo constituaient un cas d’application pratique du Traité d’Amsterdam, avant même la ratification de celui-ci.

La Commission de la Défense nationale et des Forces armées a alors donné, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption du projet de loi autorisant la ratification du traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

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N° 1405.- Avis de M. Guy-Michel Chauveau (au nom de la commission de la défense) sur le projet de loi (n° 1365) autorisant la ratification du Traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

() Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, cet article deviendra l’article 13 du traité sur l’Union européenne modifié.

() Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, les articles J.4, J.5 et J.13 deviendront respectivement les articles 14, 15 et 23 du traité sur l’Union européenne modifié.

() Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, cet article deviendra l’article 18 du traité sur l’Union européenne modifié.

() Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, cet article deviendra l’article 17 du traité sur l’Union européenne modifié.

() Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, cet article deviendra l’article 23 du traité sur l’Union européenne modifié.

() Après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, cet article prendra le n° 205.