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le 7 juin 1999

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N° 1665

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 juin 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (n° 1624) relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie,

PAR MME CATHERINE TASCA,

Députée.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

TOM et collectivités territoriales d'outre-mer.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

INTRODUCTION 5

I. - L'ABOUTISSEMENT D'UNE LONGUE ÉVOLUTION STATUTAIRE 6

A. LA POLYNÉSIE AVANT LE PROTECTORAT 7

B. LE PROTECTORAT (1842-1880) 9

C. LA COLONIE (1880-1945) 10

D. LE TERRITOIRE D'OUTRE-MER (1946-1999) 12

1. Le statut de 1946 : le processus de décolonisation 12

2. La loi-cadre Defferre et le statut de 1957 : la perspective éphémère de l'autonomie 12

3. Le statut de 1958 : le recul de l'autonomie 13

4. Le statut de 1977 : l'autonomie de gestion administrative et financière 14

5. Le statut de 1984 : l'autonomie interne 15

6. Le statut de 1996 : les limites du statut de territoire d'outre-mer 16

II. - LE PRÉALABLE CONSTITUTIONNEL 20

A. UNE QUESTION INCIDENTE : LA DÉFINITION DU CORPS ÉLECTORAL EN NOUVELLE-CALÉDONIE 20

1. La volonté des partenaires de Nouméa, du Constituant et du législateur 20

2. L'interprétation divergente du Conseil constitutionnel 24

3. La nécessité de rétablir la volonté du Constituant 24

B. VERS UNE AUTONOMIE RENFORCÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE AU SEIN DE LA RÉPUBLIQUE 25

1. Un pays d'outre-mer 25

2. Les transferts de compétence 27

3. Les institutions 29

4. Les lois du pays 30

5. Le représentant de l'Etat 31

6. La citoyenneté 31

7. L'exercice de compétences en matière internationale 33

III. - L'EXAMEN DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PAR LA COMMISSION 34

A. AUDITION DE M. JEAN-JACK QUEYRANNE, SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'OUTRE-MER 34

B. DISCUSSION GÉNÉRALE 43

C. EXAMEN DES ARTICLES 45

Article 1er (art. 77 de la Constitution) : Définition du corps électoral aux assemblées de province et au congrès de Nouvelle-Calédonie : 45

Article 2 : Titres XV, XVI et XVII de la Constitution : 46

Article 3 : Titre XIV de la Constitution portant « Dispositions relatives à la Polynésie française » : 46

Article 4 (art. 78 de la Constitution) : Dispositions relatives à la Polynésie française : 46

TABLEAU COMPARATIF 49

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 53

MESDAMES, MESSIEURS,

En adoptant le 6 juillet 1998 le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie, le Congrès du Parlement a conféré à ce territoire un statut inédit. La Nouvelle-Calédonie n'est plus un territoire d'outre-mer, ni une collectivité territoriale de la République. Elle dispose d'un statut propre qui lui permet de jouir d'une autonomie sans précédent. Cette évolution est évidemment liée au contexte politique calédonien, très particulier, puisqu'elle est née des discussions qui ont abouti à la signature de l'accord de Nouméa le 5 mai 1998, entre les deux partenaires des accords de Matignon.

Même si cette évolution institutionnelle est le fruit d'un contexte spécifique et si elle ne saurait nécessairement constituer un modèle pour d'autres territoires, rien n'interdit de voir en elle un précédent qui permette d'aborder la question de l'outre-mer d'une manière nouvelle. L'accord de Nouméa a conduit le Constituant à faire preuve d'une audace juridique qu'il ne faut pas hésiter à renouveler. Après la révision constitutionnelle de juillet 1998, il était évidemment difficile de ne pas s'interroger sur les adaptations dont pouvait bénéficier également le statut de la Polynésie française. L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie nous y invitait sans ambiguïté. N'y était-il pas écrit : « Une démarche analogue pourra être suivie afin de favoriser l'évolution institutionnelle d'autres territoires d'outre-mer » ? Les élus de ce territoire n'ont d'ailleurs pas manqué d'appeler de leurs v_ux une telle évolution, dès le début du processus calédonien. Le projet de loi constitutionnelle qui est soumis aujourd'hui à l'Assemblée nationale entend répondre à cette attente.

Reconnaître à la Nouvelle-Calédonie un statut particulier n'induisait pas nécessairement que la Polynésie bénéficie d'un tel processus, et ce de manière automatique. Le contexte politique, géographique, historique, social et culturel des deux territoires est extrêmement différent. Leur rapport à la métropole se distingue singulièrement. Néanmoins on observe, tant en Nouvelle-Calédonie qu'en Polynésie française, l'aspiration à une autonomie renforcée.

La solution adoptée pour la Nouvelle-Calédonie n'est pas strictement transposable à la Polynésie française. Le débat autour d'une éventuelle indépendance ou du maintien dans la République n'y a jamais connu les tourments calédoniens, heureusement apaisés depuis 1988. La Nouvelle-Calédonie s'inscrit dans une période transitoire au terme de laquelle elle devra choisir de demeurer ou non au sein de la République française. Tel n'est pas la perspective polynésienne, même s'il existe dans cet archipel un mouvement indépendantiste, dont l'ampleur n'est pas comparable à celle des organisations kanak. C'est pourquoi, tout naturellement, le dispositif proposé par le Gouvernement n'est pas strictement identique à celui adopté en 1998 pour la Nouvelle-Calédonie. Pourtant l'organisation que connaîtra, à brève échéance, la Polynésie repose sur des principes souvent comparables à ceux qui régissent aujourd'hui son lointain voisin.

Comme pour lui, il est nécessaire de réviser notre loi fondamentale. En effet le dernier statut de la Polynésie française a atteint les limites de ce que l'article 74 de la Constitution relatif aux territoires d'outre-mer autorise. Le Conseil constitutionnel l'a montré dans sa décision du 9 avril 1996 en annulant certaines dispositions du statut. Pour aller plus loin, vers une autonomie renforcée, il importe donc au législateur de revêtir son habit de Constituant. Il lui appartient ainsi de créer une nouvelle catégorie de collectivité publique : le Pays d'outre-mer.

Bien que différentes, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie seront réunies cette fois dans le même projet de loi constitutionnelle. Car si celui qui est proposé aujourd'hui à notre examen concerne principalement la Polynésie, il comporte également une disposition qui tend à préciser la définition du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de Nouvelle-Calédonie. En effet, le Conseil constitutionnel a donné, sur ce point, une interprétation de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie qui apparaît contraire à l'intention du pouvoir constituant et des partenaires de l'accord de Nouméa. Il faut donc revenir sur cette question.

Au total, au terme d'une longue évolution statutaire, la révision de la Constitution est un préalable nécessaire pour reconnaître à la Polynésie française un statut d'autonomie renforcée.

I. - L'ABOUTISSEMENT D'UNE LONGUE ÉVOLUTION STATUTAIRE

Le projet de loi constitutionnelle qui est aujourd'hui soumis à l'Assemblée nationale est l'aboutissement d'une longue évolution historique riche en événements, en conflits et en échanges. De 1842 à 1996, les statuts se sont succédés, deux périodes pouvant être nettement distinguées : tout d'abord celle au cours de laquelle l'Etat français a imposé sa domination sur ces archipels, du protectorat à la colonie ; puis, à partir de 1946, un second mouvement qui a consisté en un desserrement de l'étau colonial pour aboutir à une autonomie avancée.

A. LA POLYNÉSIE AVANT LE PROTECTORAT

A l'origine, rien ne laissait présager que se tisseraient entre la France et la Polynésie des liens si étroits. Même si Antoine de Bougainville aborde les îles en 1768, il a été précédé de l'Espagnol Alvaro Mendana de Neira, découvreur des Marquises en 1595, et par Samuel Wallis en 1767. James Cook explore, quant à lui, la Polynésie en 1766, ouvrant la voie à une implantation britannique dans cette région du monde. Les premiers pasteurs de la London Missionary Society débarquent en Polynésie en 1797 et s'installent durablement à Tahiti. Leur influence y sera importante et ils joueront un rôle essentiel dans la rivalité franco-britannique, à bien des égards structurante pour ce territoire, quelques cinquante ans plus tard.

On aurait tort d'imaginer la Polynésie de cette époque comme une terre vierge de toute pratique politique. Organisée autour des fenua
- territoires auxquels s'associe une communauté traditionnelle - et de leurs chefs, la Polynésie est, au milieu du XVIIIe siècle, un espace d'échanges. Des alliances interinsulaires sont nouées entre différents fenua et des monarques émergent peu à peu, imposant leur pouvoir sur des territoires sans cesse plus larges. C'est le cas, en particulier, de l'ancêtre de la dynastie Pomare.

L'arrivée des Européens apparaît à certains de ces chefs comme une possibilité d'étendre leur réseau de relations et des échanges importants s'établissent alors. Ce commerce nouveau semble favoriser un processus de centralisation déjà entamé dans ces archipels. Les Européens, en privilégiant leurs rapports avec certains chefs, renforcent le prestige et le pouvoir de ces derniers. Ainsi, en est-il des fameux révoltés du Bounty, qui, en s'installant à Tahiti en 1789, ont permis au chef du lieu, le futur Pomare Ier, de renforcer sa domination politique en lui fournissant des armes à feu. En 1791, Pomare II devient chef suprême de Tahiti Nui et de Moorea et sa dynastie bénéficie du retour du commandant Bligh, le capitaine du Bounty, qui ordonne aux Européens de se regrouper dans la principauté de Pomare. Le prestige de cette présence rejaillit sur Pomare II, perçu comme bénéficiant d'alliances solides avec les Européens. Appuyé par les pasteurs de la London Missionary Society à partir de 1797, il voit son pouvoir consacré, en 1802, par une suite de cérémonies en grandes pompes.

Cette centralisation du pouvoir ne va pas sans heurts. Des révoltes éclatent et Pomare II est contraint de se réfugier à Moorea en 1810 après une guerre, à la suite de la levée d'impôts royaux jugés excessifs. Cette période se révèle troublée car l'arrivée des Européens conduit à un phénomène d'acculturation qui porte gravement atteinte aux fondements de la société polynésienne. Outre l'accélération du phénomène de centralisation, les ravages de l'alcoolisme et les épidémies conduisent à la destruction de nombreux marae - « ces espaces souvent dallés pourvus chacun d'un nom particulier auquel se rattachait le nom héréditaire d'un lignage qui l'utilisait et qui renvoyait à un ancêtre fondateur » (1) - qui constituaient le c_ur de la communauté et du pouvoir aristocratique traditionnels. Celui-ci s'effondre, en particulier à Tahiti. Après avoir remporté une victoire sur les Teva et les Oropa'a en 1815, Pomare II s'impose comme monarque, cumulant pouvoir temporel et spirituel en se faisant protecteur de la « nouvelle religion » protestante. Il impose son protectorat aux Tuamotu et aux Australes, en s'appuyant sur les pasteurs protestants et les Polynésiens convertis. L'influence des missionnaires qui jouent aussi le rôle d'un véritable contre-pouvoir est, à cet égard, déterminante dans l'institution d'un code qui fixe les règles de fonctionnement des institutions des îles du Vent en 1818-1819, puis des îles Sous-le-Vent en 1820-1822.

Ce code met en place une forme d'assemblée composée des anciens chefs tahitiens. Ceux-ci vont tenter, avec succès, d'imposer leurs vues aux jeunes successeurs de Pomare II : Pomare III et Pomare Vahine IV. L'institution royale s'en trouve fortement affaiblie et les troubles se succèdent, aboutissant à deux années de guerre civile qui s'achèvent en 1834. Cette période est également marquée par la mise en cause des pasteurs britanniques accusés de s'enrichir aux dépens des Polynésiens avec la complicité des Pomare.

C'est aussi à cette époque que la présence française se fait plus active. Des missionnaires catholiques s'implantent dans des îles délaissées par la London Missionary Society, telles les Gambier en 1834, puis abordent Tahiti en 1836 et les Marquises en 1838. Des tensions apparaissent entre les catholiques français et les protestants anglais, ces derniers tentant de refouler les premiers. Ainsi, sous la pression du pasteur Pritchard, deux prêtres français sont expulsés de Tahiti par Pomare IV en 1836. Ces événements annoncent le protectorat français qui va être établi peu de temps après.

B. LE PROTECTORAT (1842-1880)

C'est dans cette atmosphère conflictuelle que, le 9 septembre 1842, le contre-amiral Dupetit-Thouars, sur son initiative personnelle, établit le protectorat de la France sur les îles de la Polynésie, après que le consul français M_renhout en eut convaincu Pomare IV et les principaux chefs des îles. Ce statut, ratifié par la métropole en avril 1843, reconnaît l'existence de deux Etats souverains liés par une convention. La reine Pomare IV, souveraine de Tahiti, conserve son pouvoir à l'égard de ses sujets alors que la France garantit la souveraineté du monarque ainsi que l'autorité des chefs. Elle reconnaît, par ailleurs, la possession des terres par les Tahitiens ainsi que le libre exercice de leur culte. Aux termes de l'accord, Tahiti dispose toujours d'un pavillon et d'un hymne et on observe, sur son territoire, la présence de consulats étrangers. En matière de justice, la souveraine continue à exercer sa compétence et sa juridiction sur les « naturels », c'est-à-dire les Polynésiens. En revanche, la France devient compétente pour tout ce qui concerne les étrangers, les relations extérieures, la garantie de la sûreté individuelle, des propriétés et de l'ordre public.

Il ne faudrait pas penser que le protectorat est immédiatement synonyme d'apaisement dans les relations franco-britanniques car cet accord a été signé lors de l'absence du pasteur Pritchard. Au retour de celui-ci, la situation s'envenime à tel point que le contre-amiral Dupetit-Thouars annexe purement et simplement l'archipel. S'ensuit une rébellion menée par la reine Pomare IV qui se réfugie dans les îles Sous-le-Vent puis négocie sa reddition en 1847. Le protectorat est alors rétabli et inclut, après cette date, les Australes et les Tuamotu.

A cette époque, la société polynésienne n'est pas seulement malmenée par ces événements politiques violents. Elle est également bouleversée en profondeur par la présence croissante d'Européens. Ceux-ci affluent et les Français côtoient les Anglais et les Allemands. Des mariages mixtes sont célébrés, ce qui donne naissance à un embryon de classe sociale métissée (les demis). L'anthropologue Paul de Deckker constate que « l'émergence de cette société métissée autant sur le plan biologique que culturel » se distingue nettement de la situation calédonienne car elle affecte les espaces mentaux, ce qui n'est pas le cas sur la Grande Terre (2: les stratégies matrimoniales de certaines familles polynésiennes conduisant à des alliances avec des Européens leur permettent de s'enrichir dans le cadre de relations commerciales florissantes, notamment avec l'Australie. Tout au long du XIXe siècle, Tahiti devient un point de passage obligé pour les navires qui traversent le Pacifique Sud, au débouché du Cap Horn.

Autant de bouleversements politiques, économiques, sociaux et culturels imposent à la société tahitienne la construction d'un nouveau cadre de références, qui s'établit principalement autour des valeurs religieuses. Face au rôle sans cesse accru des églises et à l'emprise grandissante de l'administration française, qui a fermement repris en main le territoire après la guerre de 1846-1847, le pouvoir royal s'affaiblit.

Ainsi, le statut de protectorat connaît assez rapidement un caractère formel et, peu à peu, la France accroît considérablement ses compétences en généralisant la législation française et en restreignant le rôle des juridictions indigènes. En 1866, celles-ci voient leurs compétences réduites aux seuls litiges relatifs aux droits des terres entre « naturels ».

La logique coloniale, embryonnaire sous le Second Empire, se structure et acquiert toute sa cohérence avec la IIIe République. La Polynésie n'échappe pas à ce mouvement.

C. LA COLONIE (1880-1945)

A partir du moment où la France a intensifié son emprise sur la Polynésie, le maintien du statut de protectorat devient problématique. C'est pourquoi en 1880 sont fondés les Etablissements français de l'Océanie. La déclaration du roi Pomare V, le 29 juin 1880, consacre la réunion des îles de la Société et ses dépendances à la France. S'ouvre ainsi la période coloniale qui va s'achever après la Seconde guerre mondiale avec l'accès de la Polynésie au statut de territoire d'outre-mer.

La loi du 30 décembre 1880 ratifie la création des Etablissements français de l'Océanie et confère la nationalité française de plein droit à tous les sujets du roi Pomare V (3). Le passage du protectorat à la colonie conduit logiquement à la suppression des juridictions indigènes par la convention du 29 décembre 1887.

Au sein de cette colonie, le Gouverneur exerce des prérogatives importantes, les civils se substituant à ce poste aux officiers de marine. Leurs pouvoirs s'étendent aux domaines civil et militaire. Il leur appartient également de négocier des accords internationaux, selon les instructions reçues par le pouvoir central et sous réserve de ratification ultérieure par les autorités nationales compétentes.

Le Gouverneur est assisté d'un conseil privé, équivalent des conseils de préfecture de métropole, qui est en charge à la fois des questions administratives et de leur contentieux. Même si ses pouvoirs sont considérables, le Gouverneur doit composer avec les élus locaux, ce qui se révèle parfois difficile. On constate ainsi que les exécutifs de cette colonie restent peu de temps en poste, seize mois en moyenne, de 1881 à 1951. Comme on l'a vu, il existe effectivement une tradition aristocratique solidement établie en Polynésie, qui a toujours contesté les formes de pouvoir personnel. Les représentants de l'Etat doivent donc tenir compte de cette réalité fort différente de la situation que connaît alors l'autre grand territoire du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie.

Afin de faire participer au mieux l'élite locale, on institue un conseil colonial en 1881, chargé d'examiner les questions fiscales et budgétaires. Les membres de ce conseil sont élus au suffrage universel selon le principe du double collège. Ainsi, en 1881, 344 Européens élisent le même nombre de représentants que 2 188 indigènes. Puis, en 1884, le conseil colonial est remplacé jusqu'en 1903 par un conseil général dont les membres sont également élus au suffrage universel mais dans le cadre d'un collège unique. Il s'agit à l'époque de mener une politique d'assimilation à la République française en calquant au mieux les institutions des Etablissements français de l'Océanie sur celles existant en métropole. Le conseil général discute le budget ainsi que la création des impôts locaux, ce qui conduit à des débats souvent houleux à l'occasion desquels les élus polynésiens font montre d'une opposition virulente à toute fiscalité locale. La situation s'envenime de telle sorte que, par un décret du 19 mai 1903, le conseil général est dissous.

Ce même décret institue un conseil d'administration au sein duquel le Gouverneur exerce des prérogatives étendues. Ce conseil se contente d'émettre de simples avis sur les matières budgétaires et fiscales sous le contrôle très strict du Gouverneur. Face à ce retour en arrière, les Européens installés en Polynésie revendiquent constamment la possibilité de recouvrer les pouvoirs qui leur ont été reconnus avant 1903. Le mouvement connaît une certaine ampleur en 1921 et 1928 et aboutit, par un décret du 1er octobre 1932, à la création des délégations économiques et financières par le ministre des Colonies, Albert Sarraut. Ces délégations délibèrent sur le budget local qui est ensuite arrêté par le Gouverneur en conseil privé. Cette réforme n'est cependant pas le gage de l'émergence d'une vie politique normale au sein de la colonie puisque l'article 16 du décret interdit à ces délégations de débattre sur des sujets politiques et d'émettre des v_ux.

Il faut donc attendre 1945 pour que le statut de ces îles connaissent une évolution notable conforme à l'esprit des principes énoncés lors de la conférence de Brazzaville.

D. LE TERRITOIRE D'OUTRE-MER (1946-1999)

1. Le statut de 1946 : le processus de décolonisation

Par deux décrets du 31 août 1945 et du 25 octobre 1946 est créée une assemblée représentative de la Polynésie. Puis, conformément à l'article 77 de la Constitution du 27 octobre 1946, les Etablissements français de l'Océanie prennent le statut de territoire d'outre-mer. De ce fait, tous les habitants du territoire deviennent citoyens de la République française et sont représentés par un député, un sénateur ainsi qu'un conseiller au Haut conseil de l'Union française. L'assemblée territoriale, qui compte vingt-cinq élus en 1952, dispose de pouvoirs proches de ceux du conseil général de 1885. Elle vote le budget, fixe les dépenses facultatives et gère une partie des affaires intérieures du territoire. Néanmoins, elle demeure sous la tutelle du Gouverneur qui rend exécutoires ses délibérations.

Cette nouvelle organisation administrative aidant, on observe peu à peu l'éveil des Polynésiens à la vie politique avec, notamment, la création du Rassemblement démocratique des populations tahitiennes en 1949, après l'élection de Pouvanaa a'Oopa à l'assemblée territoriale. Ce mouvement réclame plus d'autonomie et de responsabilités décisionnelles pour les Polynésiens.

2. La loi-cadre Defferre et le statut de 1957 : la perspective éphémère de l'autonomie

La loi-cadre, dite « Defferre », du 23 juin 1956 et le statut pris en application de ce texte le 26 juillet 1957 mettent en place les conditions d'une nouvelle évolution de l'organisation administrative et politique du territoire. Après l'établissement d'une assemblée territoriale élue en 1946, est créé un véritable pouvoir exécutif local, le conseil de gouvernement, présidé par le Gouverneur mais dont la vice-présidence est assumée par un élu local. Ce conseil de gouvernement dispose d'attributions collégiales, ce qui n'empêche pas chacun de ses membres de bénéficier de compétences propres. Par ailleurs la loi du 26 juillet 1957 étend également les pouvoirs de l'assemblée territoriale qui, désormais, peut être assimilée à un organe législatif local intervenant dans une quarantaine de matières dont certaines sont, en métropole, du ressort du Parlement. C'est également à partir de 1957 qu'est abandonnée la dénomination surannée d'« Etablissement français de l'Océanie » pour celle, actuellement encore en vigueur, de « Polynésie française ».

3. Le statut de 1958 : le recul de l'autonomie

Cette avancée dans l'autonomie polynésienne est cependant de courte durée puisque la chute de la IVe République est aussi synonyme d'une remise en cause des liens entre la métropole et les territoires d'outre-mer. Il appartient à la Polynésie, comme aux autres territoires, de faire connaître son choix de se maintenir ou non au sein de la République française. Lors du référendum du 28 septembre 1958, le parti majoritaire en Polynésie, le Rassemblement démocratique des populations tahitiennes, appelle, par la voix de son leader, Pouvanaa'a Oopa, à voter non. La population ne suit pas ce mot d'ordre et vote à 65 % pour le maintien dans la République, ce qui entraîne des incidents violents, le 11 octobre 1958. A la suite de ces événements, le conseil de gouvernement est dissous. L'ordonnance du 23 décembre 1958 limite les pouvoirs de l'exécutif local à la demande de l'assemblée territoriale et supprime le poste de vice-président que Pouvanaa'a Oopa occupait jusqu'alors. Ce dernier est arrêté et interné en métropole après les événements d'octobre dont il est jugé responsable. Par ailleurs, il est mis fin aux attributions individuelles des conseillers du gouvernement.

Le début des années soixante est marqué par des difficultés économiques dans le territoire. Faute de moyens budgétaires, celui-ci est contraint de demander à l'Etat de reprendre certaines compétences qui lui avaient été confiées en 1957 : les postes et télécommunications, la lutte contre les grandes endémies, l'enseignement secondaire et la rémunération des agents publics territoriaux. Mais c'est aussi dans cette décennie que la Polynésie va connaître les plus grands bouleversements économiques de son histoire. Le tourisme commence à se développer grâce à la construction d'une piste d'atterrissage à Faaa qui permet aux avions à réaction de se rendre en Polynésie. Le tournage du film Les Révoltés du Bounty emploie plus de 2 000 Polynésiens de 1960 à 1962. Mais surtout, en 1963, est implanté sur le territoire le centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) afin de réaliser les essais nucléaires après l'indépendance de l'Algérie. Cette implantation est un facteur de développement puissant. La création d'infrastructures offre un emploi à de nombreux Polynésiens. En 1968, le CEP fait travailler 25 000 personnes sur place. Des activités tertiaires, inconnues jusqu'alors sur le territoire, apparaissent. La ville de Papeete s'étend pour atteindre 100 000 habitants à la suite d'un phénomène d'exode rural important. Le niveau de vie s'accroît substantiellement, l'économie polynésienne perdant son caractère colonial, qui reposait sur l'exportation de produits agricoles et l'importation de biens de consommation provenant de la métropole.

Mécaniquement, le budget du territoire devient plus important grâce aux nouvelles rentrées fiscales, en particulier douanières, et à l'aide métropolitaine. De fait, les revendications autonomistes, qui avaient été maintenues sous le boisseau après 1958, à la suite des événements d'octobre et des difficultés économiques, reprennent de la vigueur à partir de 1967. En découle une période où des tensions plus vives apparaissent. La loi du 24 décembre 1971 relative à la création et à l'organisation des communes dans le territoire de Polynésie française contraint l'assemblée territoriale à reverser une partie de ses recettes fiscales au budget des communes nouvelles. Cette situation ne contribue pas à apaiser les tensions. Après l'occupation par les autonomistes de l'assemblée territoriale de juin 1976 à avril 1977, un nouveau statut est voté afin d'instaurer une autonomie de gestion en Polynésie.

4. Le statut de 1977 : l'autonomie de gestion administrative et financière

Sans revenir au statut éphémère de 1957, la loi du 12 juillet 1977 constitue une étape importante dans l'évolution de la Polynésie française vers l'autonomie interne. Le haut-commissaire, qui remplace le Gouverneur (le changement de terme est important), président du conseil de gouvernement, est ordonnateur du budget local et exerce la tutelle administrative sur l'assemblée territoriale. Désormais celle-ci dispose d'une compétence de droit commun et intervient dans tous les domaines non réservés à l'Etat ou à l'exécutif territorial. Surtout, l'assemblée territoriale peut dissoudre cet exécutif en votant une motion de censure, ce qui constitue l'une des principales novations du statut de 1977. Cette évolution vers l'autonomie de gestion est renforcée par le fait que, très vite, le haut-commissaire décide d'abandonner la présidence du conseil de gouvernement au profit du vice-président élu. Par ailleurs, les forces vives du territoire sont associées aux institutions par la création d'un comité économique et social.

Il est clair que, si le statut de 1977 constitue un progrès du point de vue des autonomistes, il demeure un habit trop étroit pour leurs desseins. Alors qu'en France, après la victoire de François Mitterrand en 1981, le mouvement vers la décentralisation est en marche, les Polynésiens autonomistes souhaitent se libérer de la présence du haut-commissaire à la tête de l'exécutif local et de la tutelle a priori qu'il exerce sur les actes du territoire. Tant M. Gaston Flosse, alors député de Polynésie, que M. Francis Sanford, vice-président du conseil de gouvernement, prennent contact avec les gouvernements successifs dans ce but. C'est en 1984, après le vote des lois Defferre, qui font de la décentralisation une réalité en métropole, que le principe de l'autonomie interne de la Polynésie française se concrétise.

5. Le statut de 1984 : l'autonomie interne

Le statut de 1984 instaure donc, à l'initiative du ministre Georges Lemoine, une autonomie interne en Polynésie. L'élaboration de cette organisation nouvelle s'inscrit alors dans un contexte tendu dans le Pacifique Sud. Mais plus qu'à Tahiti, c'est à Nouméa que l'on observe des facteurs de tensions. Comme le souligne M. Georges Lemoine, il doit, à cette époque, avoir sans cesse à l'esprit la situation calédonienne lorsqu'il songe à la Polynésie et vice-versa. Il est en effet difficile d'envisager de conférer à l'un des territoires un statut plus avantageux qu'à l'autre (4). Or, l'état de crise que connaît la Grande Terre impose des avancées significatives vers l'autonomie, qui aboutissent au statut calédonien résultant de la loi du 6 septembre 1984. Les données des deux territoires étaient cependant fort différentes, la revendication indépendantiste en Polynésie n'atteignant nullement l'intensité du mouvement kanak.

La loi du 6 septembre 1984, qui date du même jour que celle relative à la Nouvelle-Calédonie, permet au territoire de s'administrer librement. A l'image de ce qui a été fait pour la métropole, la tutelle administrative du représentant de l'Etat disparaît. Désormais, les délibérations et actes des autorités du territoire sont directement exécutoires après leur transmission au haut-commissaire. Celui-ci n'est plus l'exécutif de la Polynésie française. Un président du gouvernement du territoire est désormais élu. Un conseil des ministres est créé (le terme a son importance). Quant à l'assemblée territoriale, elle dispose d'une compétence générale, l'Etat n'intervenant plus que dans des domaines qui lui sont expressément confiés : les relations extérieures, la monnaie et le crédit, la défense, l'état civil et la nationalité, la justice et l'organisation judiciaire, le droit civil, les principes fondamentaux des obligations commerciales, les principes généraux du droit du travail, l'enseignement supérieur, l'organisation communale, la communication audiovisuelle. Le haut-commissaire conserve la charge des intérêts nationaux ainsi que le contrôle administratif. Enfin - et ce n'est pas là la moindre des novations - la Polynésie dispose du droit de posséder un emblème, un drapeau, un hymne et un sceau.

Le statut de 1984 est complété une première fois par la loi du 12 juillet 1990 qui renforce les attributions du gouvernement territorial. Elle prévoit également l'autonomie financière de l'assemblée et augmente les effectifs de la commission permanente. Par ailleurs, est institué un contrôle préalable sur l'engagement des dépenses du territoire et de ses établissements publics. Conformément au principe d'autonomie interne, les conditions de ce contrôle préalable sont déterminées par le conseil des ministres et l'assemblée du territoire. Parallèlement, les comptes de la Polynésie sont désormais soumis à une chambre territoriale des comptes. Afin de tenir compte du caractère éclaté du territoire, on institue aussi les conseils d'archipel.

Dans ce cadre institutionnel, la figure du président du gouvernement émerge. Ses pouvoirs propres sont accrus, notamment en matière internationale, et la suppression du mécanisme de double investiture lui permet de ne plus avoir à soumettre à l'assemblée la composition de son gouvernement.

Après la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 (5), le statut de la Polynésie française est à nouveau modifié, à la marge, par une loi organique du 20 février 1995, dont l'objet principal concernait la Nouvelle-Calédonie. Des amendements parlementaires complètent ce dispositif pour mieux délimiter les compétences de l'Etat et du territoire, fixer la durée des sessions de l'assemblée, préciser le régime des amendes qu'elle peut instituer ainsi que la procédure de transmission des actes de l'assemblée au président du gouvernement et au haut-commissaire. Un amendement modifie aussi le régime des sociétés d'économie mixte du territoire.

On a pu croire que le statut de 1984 ainsi complété constituait une avancée telle vers l'autonomie qu'il était difficile d'aller plus loin dans cette direction. Pourtant, en 1996, le statut de la Polynésie française va faire l'objet d'une refonte globale.

6. Le statut de 1996 : les limites du statut de territoire d'outre-mer

Le statut de la Polynésie française est actuellement issu de deux lois, l'une organique, l'autre non, en date du 12 avril 1996. Cette réforme poursuit trois objectifs déjà mis en _uvre en 1984 : renforcer l'autonomie du territoire, accroître ses compétences et améliorer le fonctionnement de ses institutions. Le rapporteur des deux projets de loi pour la commission des Lois constate ainsi, à l'époque, que la loi organique « ressemble davantage à une constitution qu'à une loi » (6).

Dans l'ordre du symbole, la loi de 1996 reconnaît, tout d'abord, à la Polynésie le droit de créer une décoration spécifique, à côté des signes distinctifs déjà existants comme l'hymne et le drapeau. Des aménagements sont apportées, en outre, à la terminologie institutionnelle : le conseil des ministres prend le nom de Gouvernement de la Polynésie française et la Polynésie, elle-même, est désormais dénommée « territoire d'outre-mer autonome », ce qui, en droit strict, a peu de sens mais, politiquement, connaît une véritable résonance.

Le statut de 1996 élargit les compétences de la Polynésie française dans d'autres domaines ou lui permet d'exercer ses attributions de manière concurrente à celle de l'Etat, là où celui-ci est demeuré compétent. Ainsi, depuis 1996, la Polynésie exerce son autorité sur la quasi-totalité du domaine public maritime et dispose du droit d'exploration et d'exploitation des ressources de la mer. Pour un territoire archipellagique, où la pêche et la perliculture jouent un rôle essentiel, cette compétence nouvelle ne manque pas d'importance. En outre, les communications relèvent de la Polynésie française, seules les liaisons gouvernementales de défense et de sécurité demeurant dans le giron de l'Etat. Lorsque la Polynésie française est la seule escale française d'une desserte aérienne ou maritime, le territoire est compétent. Il approuve les programmes d'exploitation, délivre les autorisations correspondantes et agrée les tarifs aériens internationaux s'y rapportant. Par ailleurs, la Polynésie française réglemente la coopération et la mutualité et peut décider du placement de ses fonds libres.

Les matières où la Polynésie française exerce sa compétence concurremment avec l'Etat sont notamment : l'organisation de filières d'enseignement supérieur, la création d'une société de production et de diffusion audiovisuelle, la réglementation relative à la sécurité civile, la définition de règles relatives aux jeux de hasard.

En dehors des compétences expressément dévolues au territoire, le statut de 1996 prévoit aussi la consultation des institutions locales dans de nombreux cas. Le conseil des ministres doit émettre un avis sur les projets de décrets touchant à l'organisation particulière du territoire, sur la préparation des plans opérationnels de secours destinés à faire face aux risques majeurs et aux catastrophes naturelles, sur la desserte aérienne entre la Polynésie française et les autres points du territoire français. L'assemblée de la Polynésie française, quant à elle, se voit transmettre les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative relevant du champ d'application de la décision d'association des PTOM à l'Union européenne et ressortissant à des matières de compétence polynésienne.

Le rôle du président du gouvernement est particulièrement renforcé en matière internationale. Lorsque le pouvoir lui en est délivré par les autorités de la République, il peut négocier et signer au nom de l'Etat des accords avec les gouvernements ou les organismes internationaux lorsque la Polynésie française est seule concernée par ces accords. Si tel n'est pas le cas, il est associé à la délégation et prend part aux négociations. Par ailleurs, il lui est reconnu le droit de négocier des conventions de coopération décentralisée avec des collectivités territoriales étrangères.

Le conseil des ministres, instance plus permanente que l'assemblée territoriale, voit ses attributions étoffées dans les matières suivantes : autorisation d'investissements étrangers, concessions du droit d'exploration et d'exploitation des ressources maritimes naturelles, conventions de prêts ou d'avals, concours d'accès aux emplois publics du territoire, modalités d'application de la rémunération de la fonction publique territoriale, sécurité de la navigation et de la circulation dans les eaux intérieures, servitudes administratives.

Le statut de 1996 renforce donc nettement l'insertion de la Polynésie française dans le champ international et lui confère, sur le plan interne, des compétences extrêmement larges. De fait, il est aussi nécessaire, en 1996, d'adopter des dispositions visant à faciliter le fonctionnement des institutions polynésiennes.

L'assemblée territoriale est la principale concernée par cette modernisation. Outre une modification du rythme des sessions, la loi organique autorise l'assemblée à délibérer des questions relevant de la compétence gouvernementale lorsque celui-ci soumet un projet de délibération. Cela n'était pas possible jusqu'alors, la séparation entre le domaine de l'exécutif et celui du législatif étant stricte. La loi de 1996 reprend aussi les dispositions de la loi de 1990 concernant le contrôle préalable sur l'engagement des dépenses du territoire et de ses établissements publics. La commission permanente, dont l'effectif a été augmenté par la loi du 12 juillet 1990, peut désormais émettre, en dehors des sessions, des avis sur les textes soumis à l'assemblée de la Polynésie française. Cette disposition permet de répondre à l'exigence formulée à l'article 74 de la Constitution, qui prévoit la consultation des assemblées territoriales (même si, ici, il s'agit d'une formation restreinte). Par ailleurs, la commission permanente peut effectuer des virements de crédits atteignant le quart de la dotation initiale du chapitre, au lieu du dixième jusqu'alors.

Quelques dispositions portent sur le fonctionnement du gouvernement de la Polynésie française. Le nombre de ministres n'est plus plafonné à douze. Ils n'ont plus l'obligation de se réunir en conseil au moins trois fois par mois. Dans le cadre d'une transparence accrue de cette institution, le président du gouvernement et ses membres ont l'obligation de déposer une déclaration de situation patrimoniale dans les conditions fixées par la loi n° 88-227 du 11 mars 1988. Il en est de même pour le président de l'assemblée et les conseillers territoriaux.

Le conseil économique, social et culturel est maintenu. Il est créé, en outre, une commission de concertation Etat-territoire-communes pour prendre le relais du dispositif de la loi du 12 juillet 1990, créant des conseils d'archipel, qui, en fait, n'ont jamais vu le jour.

Ce statut ne constitue pas un bouleversement par rapport à celui de 1984. Il le renforce mais c'est le même sillon qui est creusé. Aller plus loin n'était guère possible dans le cadre constitutionnel actuel. Le Conseil constitutionnel l'a montré, sur un point particulier, dans sa décision 96-373 DC du 9 avril 1996 relative au statut de la Polynésie française. Annulant plusieurs dispositions de la loi organique pour inconstitutionnalité, il a ainsi notamment jugé que le conseil des ministres de la Polynésie française ne pouvait se voir reconnaître le pouvoir d'organiser un régime discrétionnaire d'autorisation préalable à la réalisation d'opérations de transfert de propriété. Un tel régime imposerait des limitations directes au droit de disposer de son bien, revêtant un caractère de gravité telle que l'atteinte au droit de propriété qui en résulterait dénaturerait le sens et la portée de ce droit garanti par l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel a également annulé la disposition limitant la compétence de l'Etat aux seules garanties fondamentales des libertés publiques. L'Etat doit assurer sur l'ensemble du territoire national les mêmes garanties des libertés publiques à tous, et non pas les seules garanties fondamentales. Dans le même esprit, le juge constitutionnel a dénié aux autorités polynésiennes le pouvoir de fixer les règles afférentes à la recherche des preuves des infractions aux réglementations territoriales, et des auteurs de ces infractions. Un tel pouvoir aurait conduit, là encore, à organiser des disparités sur le territoire de la République en matière de libertés publiques. Enfin, le Conseil constitutionnel a annulé deux autres dispositions, l'une qui portait atteinte au droit d'association, l'autre qui limitait le droit d'exercer un recours pour excès de pouvoir contre les actes pris en application des délibérations de l'assemblée de Polynésie française.

Les limites de l'autonomie ont donc été atteintes dans le cadre constitutionnel actuel. Les revendications des élus polynésiens en matière de réglementation de l'accession à la propriété foncière, d'accès à l'emploi et à l'exercice d'une activité économique, leur souhait de renforcer l'identité propre de la Polynésie française au sein d'une région Pacifique sous domination anglo-saxonne et de disposer d'un véritable pouvoir législatif ne peuvent être satisfaits dans le cadre de l'article 74 de la Constitution. Le projet de loi, proposé à l'examen de l'Assemblée nationale, organise donc un nouveau type de liens entre la République et la Polynésie française. De manière incidente, il revient également sur une disposition de l'article 77, applicable à la Nouvelle-Calédonie afin de permettre au Constituant d'expliciter sa volonté.

II. - LE PRÉALABLE CONSTITUTIONNEL

A. UNE QUESTION INCIDENTE : LA DÉFINITION DU CORPS ÉLECTORAL EN NOUVELLE-CALÉDONIE

1. La volonté des partenaires de Nouméa, du Constituant et du législateur

L'article 1er du projet de loi constitutionnelle prévoit l'ajout d'un alinéa à l'article 77. Celui-ci a été rétabli par la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie. Prenant place dans le titre XIII portant « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », l'article 77 de la Constitution détermine les matières dans lesquelles une loi organique doit intervenir pour fixer le statut de ce territoire. Il s'agit :

- des compétences de l'Etat transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie ainsi que l'échelonnement, les modalités de ces transferts et la répartition des charges qui en résulte ;

- des règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie ;

- des conditions de déféré, avant leur publication, des lois du pays devant le Conseil constitutionnel ;

- des règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;

- des conditions et des délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.

Conformément à ces dispositions, le Parlement a été saisi en décembre dernier de deux projets de loi, organique et ordinaire (7), portant statut de la Nouvelle-Calédonie. Ils ont été adoptés dans les mêmes termes par le Sénat et l'Assemblée nationale et promulgués le 19 mars 1999. Ces deux projets de loi sont l'expression juridique d'un équilibre politique trouvé entre le FLNKS et le RPCR, signataires, avec l'Etat, de l'accord de Nouméa.

Dans le cadre des négociations qui ont conduit à la signature de cet accord, un des points les plus sensibles fut celui de la définition du corps électoral pour le référendum final comme pour les élections provinciales. La restriction de ce corps est une revendication constante des forces politiques indépendantistes. Craignant un afflux massif de métropolitains en Nouvelle-Calédonie, le FLNKS a toujours souhaité préserver une situation démographique qui lui permette d'espérer, à terme, une population majoritairement mélanésienne en Nouvelle-Calédonie.

Déjà, en 1988, lors de la signature des accords de Matignon, la question avait été au centre des discussions. Un point d'équilibre ayant été trouvé, la loi référendaire, qui avait suivi, en novembre, avait alors prévu que, pour le scrutin d'autodétermination de 1998, seuls seraient admis à voter les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1988 (8). Il fallait donc résider au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie pour prendre part à ce référendum. Lors des négociations sur l'avenir du territoire, le FLNKS a souhaité, au printemps 1998, reconduire un dispositif de même nature, le RPCR préférant, quant à lui, une définition plus large du corps électoral.

Au terme de ces discussions, l'accord de Nouméa a, dans son point 2, prévu une telle restriction pour les élections provinciales. Ce fut l'une des raisons qui a conduit à la révision de la Constitution (9). Ce point 2 prévoit, en effet, que seules pourront voter les personnes suivantes : Les électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection, ainsi que les électeurs atteignant l'âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection.

On le voit, le texte même de l'accord n'est pas dénué de complexité et a pu, de la sorte, susciter diverses interprétations. Le tableau suivant permet d'en éclairer la portée.

Conditions alternatives requises pour participer aux élections aux assemblées de province et au congrès

Soit une entrée sur le territoire

1. Etre électeur en 1998.

En 1988 au plus tard.

2. Etre inscrit au tableau annexe en 1998 (c'est-à-dire ne pas avoir été électeur pour le référendum de 1998) et

Avoir dix ans de résidence à la date de l'élection.

De 1989 à 1998.

3. Etre majeur après 1998 et

Avoir dix ans de résidence en 1998.

1988 au plus tard.

4. Etre majeur après 1998 et

Avoir un parent électeur en 1998.

1988 au plus tard pour le parent.

5. Etre majeur après 1998 et

Avoir dix ans de résidence à la date de l'élection et

Avoir un parent non électeur en 1998 (inscrit au tableau annexe de 1998).

De 1989 à 1998 pour le parent.

Le débat s'est, en particulier, porté sur la notion de « tableau annexe » visée par le point 2 de l'accord de Nouméa. Cette notion est apparue après la loi référendaire de 1988 relative à la Nouvelle-Calédonie : le tableau annexe correspond à la liste des personnes qui n'étaient pas admises à participer au scrutin d'autodétermination de 1998. Ce tableau a été obtenu par différence entre la liste électorale générale qui comprend les personnes qui ont pu participer à toutes les élections et la liste électorale spéciale qui comprend les seules personnes autorisées à voter au référendum de 1998. Le processus de Nouméa a substitué au scrutin d'autodétermination envisagé en 1988, une consultation sur l'accord de Nouméa du 5 mai 1998. Le deuxième alinéa de l'article 76 de la Constitution prévoit, à cet effet, que « sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ». Si la nature et l'objet du scrutin a changé, le corps électoral demeure dans sa composition arrêtée dix ans plus tôt. Il en va donc de même pour le tableau annexe.

Le dispositif est devenu plus complexe encore et sujet à interprétations divergentes lorsque le projet de loi organique a introduit, après le vote de la loi constitutionnelle, une référence à un autre tableau annexe. Il s'agit, à la différence du précédent, de la liste des personnes non admises à participer aux élections provinciales après 1998. Certains se sont alors demandé si la condition de domicile de dix ans à la date de l'élection, assortie de celle exigeant l'inscription au tableau annexe ne s'appliquait pas, en fait, à ce nouveau tableau tenu à jour après 1998. La question a son importance. Car, dans cette hypothèse, dès qu'une personne est domiciliée depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, elle devient électrice, la condition d'inscription au tableau annexe étant par définition remplie puisque cette personne jusqu'alors n'était pas électrice pour le scrutin provincial (10). Ainsi, pourraient voter, à partir de 2008, les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie après 1998. En revanche, si l'on prend en compte le tableau annexe de la consultation de 1998, seules seraient susceptibles de voter aux élections provinciales les personnes arrivées sur le territoire avant 1998.

Dans l'esprit du Constituant, rejoint en cela par les rédacteurs de la loi organique, le texte de l'accord de Nouméa fait, bel et bien, référence au tableau annexe établi pour la consultation référendaire de 1998. Le rapport fait au nom de la commission des Lois par M. René Dosière pour la loi organique est, en ce sens, sans ambiguïté :

« A quel tableau annexe fait-on référence dans l'Accord de Nouméa ? Il est clair qu'il s'agit du tableau qui a été constitué en vue de la consultation référendaire de 1998. Figurent sur ce tableau - et sont donc exclues de la liste électorale spéciale - les personnes qui ne respectent pas la condition fixée par l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1998, c'est-à-dire celles qui n'ont pas eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de la date du référendum du 9 novembre 1988 jusqu'à la date de la consultation, qui aurait dû être celle relative à l'autodétermination, de 1998. [...] Les personnes installées en Nouvelle-Calédonie, après le référendum de 1988 jusqu'à la consultation de 1998, pourront donc voter aux élections provinciales dès qu'elles auront rempli la condition de domicile. Les premières retrouveront ce droit de suffrage en 1999, les dernières à la fin de 2008 » (11).

Le rapport de M. Jean-Jacques Hyest, pour la commission des Lois du Sénat, semble tout aussi explicite : « l'intention sous-jacente à l'accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps électoral « glissant », s'enrichissant au fil du temps des personnes dont l'inscription serait progressivement portée au tableau annexe et qui en sortiraient pour devenir des électeurs au moment où elles pourraient justifier de dix ans de résidence » (12). Malgré cela, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi organique, a proposé une interprétation divergente de ce dispositif.

2. L'interprétation divergente du Conseil constitutionnel

Dans sa décision 99-410 DC en date du 15 mars 1999, le juge constitutionnel a considéré :

« qu'il ressort des dispositions combinées des articles 188 (13) et 189 que doivent notamment participer à l'élection des assemblées de province et du Congrès les personnes qui, à la date de l'élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l'article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ; qu'une telle définition du corps électoral restreint est au demeurant seule conforme à la volonté du pouvoir constituant, éclairée par les travaux parlementaires dont est issu l'article 77 de la Constitution et respecte l'accord de Nouméa, aux termes duquel font partie du corps électoral aux assemblées des provinces et au Congrès, notamment, les électeurs qui, « inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection ».

Cette interprétation a donc privilégié la théorie du corps électoral « glissant » en dépit de l'accord politique, difficile, trouvé entre le RPCR et le FLNKS signataires de l'accord de Nouméa. Sans intention d'ouvrir une polémique avec le juge constitutionnel, on ne peut manquer d'observer cependant qu'il n'a pas su intégrer l'idée que le processus de Nouméa était un équilibre fragile qui, certes, s'appuyait sur un dispositif juridique précis, mais reposait aussi sur une interprétation raisonnable de l'accord de Nouméa, qui sied aux deux parties. Le Conseil constitutionnel, en privilégiant une interprétation sur une autre, a pris le risque de remettre en cause ce processus, à tel point que l'un des partenaires a envisagé de ne pas participer aux élections provinciales de mai dernier. Si celles-ci ont pu se dérouler sans heurts, c'est parce que le Gouvernement s'est engagé à revenir devant le Constituant pour que l'esprit de Nouméa soit réaffirmé sur ce point précis. Tel est aujourd'hui le cas.

3. La nécessité de rétablir la volonté du Constituant

Le dispositif proposé par le Gouvernement dans l'article premier du projet de loi consiste à insérer à l'article 77 de la Constitution l'alinéa suivant :

« Le tableau auquel se réfère, pour la définition du corps électoral aux assemblées de province et au congrès de Nouvelle-Calédonie, l'accord mentionné au premier alinéa de l'article 76 (14) est le tableau des personnes non admises à participer à la consultation prévue à cet article ».

L'interprétation du Constituant et du législateur organique se trouverait ainsi ici rétablie. Les puristes pourront regretter qu'une disposition aussi précise figure dans notre loi fondamentale. D'autres solutions avaient d'ailleurs, semble-t-il, été envisagées comme l'adoption d'une disposition constitutionnelle, qualifiée d'interprétative, qui n'aurait pas été intégrée dans le corps même de la Constitution. Ce dispositif serait paru peut-être plus élégant mais aurait pu susciter aussi diverses interprétations sur sa valeur normative et sa conciliation avec le titre XIII de la Constitution. La solution choisie par le Gouvernement a le principal mérite d'être dénuée d'ambiguïté et de lever tout doute sur la composition du corps électoral pour les élections provinciales. Cette disposition contribuera à consolider le processus de Nouméa, un instant fragilisé après la décision du Conseil constitutionnel.

Pour autant, et malgré son importance, l'article premier ne constitue pas le c_ur du projet de loi. Comme nous l'avons déjà souligné, il s'agit, par ce texte, de renforcer l'autonomie de la Polynésie française afin de lui assurer un développement équilibré malgré l'éloignement de la métropole.

B. VERS UNE AUTONOMIE RENFORCÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE AU SEIN DE LA RÉPUBLIQUE

1. Un pays d'outre-mer

L'article 2 du projet de loi est d'ordre formel. Il prévoit simplement que les titres XIV, XV et XVI de la Constitution deviennent respectivement les titres XV, XVI et XVII. Ce décalage est la conséquence logique de l'insertion dans la Constitution d'un nouveau titre XIV portant « Dispositions relatives à la Polynésie française » (article 3). Cette solution est préférable à celle, peu élégante, qui a pu être envisagée, consistant à créer un titre XIII bis s'insérant juste après celui consacré à la Nouvelle-Calédonie. Ce nouveau titre XIV prend place juste avant celui relatif aux accords d'association. De la sorte - comme nous l'avons déjà observé à l'occasion de la révision constitutionnelle de juillet 1998 - on peut constater dans notre loi fondamentale une logique progressive aux termes de laquelle on aborde, en premier lieu, les collectivités territoriales de la République (Titre XII, articles 72 à 75), puis la Nouvelle-Calédonie (Titre XIII, articles 76 à 77) et la Polynésie française (Titre XIV, article 78), et enfin les accords d'association (Titre XV, article 88) (15). On passe ainsi des collectivités ayant avec la République les liens les plus étroits à celles qui ont les liens les plus distendus.

Le dispositif consacré à la Polynésie française comporte donc le seul article 78 (article 4 du projet de loi).

Au premier alinéa est, tout d'abord, affirmé le principe selon lequel « la Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement au sein de la République ». Cette rédaction diffère de celle de l'article 1er du statut de 1996 qui prévoyait que « la Polynésie française est, au sein de la République, un territoire d'outre-mer doté d'un statut d'autonomie, qui exerce librement et démocratiquement, par ses représentants élus, les compétences qui lui sont dévolues par la présente loi ». On observe donc ici un saut qualificatif notable. La Polynésie française n'exerce plus des compétences ; elle se gouverne. Le renvoi aux deux adverbes « librement » et « démocratiquement » s'inspire directement du texte originaire de la Constitution de 1958, dans son article 77 relatif à la Communauté : « Dans la Communauté instituée par la présente Constitution, les Etats jouissent de l'autonomie ; ils s'administrent eux-mêmes et gèrent démocratiquement et librement leurs propres affaires. »

Cette mention qui pourrait apparaître à certains purement déclaratoire nous semble, au contraire, essentielle. Elle fixe tout d'abord dans la Constitution le principe de l'autonomie auquel renvoie l'adverbe « librement ». Mais elle impose aussi que ce gouvernement respecte les principes démocratiques. Certes l'article 1er de notre Constitution fait de la France une république démocratique. Mais, s'agissant d'un texte qu'on peut qualifier de dérogatoire au droit commun constitutionnel, il importe de rappeler ce principe essentiel. Le statut de la Polynésie française est particulier mais, sur cette question, il est en accord avec le fondement de notre système politique. On remarquera que ces mentions n'apparaissent pas explicitement dans le titre XIII relatif à la Nouvelle-Calédonie, parce que celui-ci renvoie à l'accord de Nouméa. Or, celui-ci détermine, dans le détail, les principes qui président au fonctionnement des institutions calédoniennes, avec en particulier la présence d'un Congrès élu et d'un exécutif responsable devant lui.

La première phrase de l'article 78 rappelle également que si la Polynésie française se gouverne, elle le fait « au sein de la République ». Cette expression correspond à l'aspiration de la grande majorité des Polynésiens et de leurs élus. Il est important qu'elle apparaisse dans notre Constitution.

Le premier alinéa de l'article 78 introduit aussi une notion nouvelle, celle de pays d'outre-mer. C'est un terme générique qui permet de distinguer la Polynésie française d'un territoire d'outre-mer. Il renvoie, par ailleurs, à la notion de loi du pays, créée par l'accord de Nouméa. On observe que la Nouvelle-Calédonie n'est pas qualifiée de pays d'outre-mer. Ni le titre XIII de la Constitution, ni l'accord du 5 mai 1998, ni la loi organique ne font appel à cette catégorie nouvelle. On peut néanmoins considérer qu'elle peut également trouver à s'appliquer à la Nouvelle-Calédonie, tant les convergences entre les statuts constitutionnels des deux territoires sont grandes. Les pays d'outre-mer constitueraient donc une collectivité publique à mi-chemin entre les territoires d'outre-mer et les Etats associés dont les caractéristiques seraient :

- un statut constitutionnel complété par une loi organique ;

- une large autonomie avec des compétences transférées par l'Etat de manière définitive ou non ;

- la possibilité de devenir membre d'organisations internationales et de négocier des accords internationaux dans son domaine de compétence ;

- la possibilité de prendre des actes de nature législative - les lois du pays - échappant au contrôle du juge administratif, mais soumis, avant publication, au contrôle du Conseil constitutionnel ;

- une citoyenneté fondée sur une condition de résidence ou l'existence de liens particuliers avec le pays et entraînant, le cas échéant, des conséquences juridiques, différentes selon les pays d'outre-mer.

L'autonomie et les intérêts propres de la Polynésie française sont garantis par un statut défini par une loi organique. Cette loi est prise après avis de l'assemblée de Polynésie française. Le terme « autonomie » refait son apparition dans la Constitution après y avoir figuré jusqu'en 1995 dans l'ancien titre XIII consacré à la Communauté. La notion d' « intérêts propres » apparaît déjà, quant à elle, dans l'article 74. Le statut de la Polynésie française sera arrêté par une loi organique dans des conditions identiques à celles prévues pour la Nouvelle-Calédonie. On rappellera que le recours à la loi organique pour fixer les statuts des territoires d'outre-mer a été introduit par la révision constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992. Il est normal que les pays d'outre-mer soient soumis également à cette procédure, qui suppose, sans l'imposer, l'accord des deux assemblées ainsi que la saisine automatique du Conseil constitutionnel.

2. Les transferts de compétence

Le premier alinéa de l'article 78 fixe également les conditions dans lesquelles s'opèrent les transferts de compétence entre l'Etat et la Polynésie française. Il appartiendra à la loi organique de définir avec précision la liste des compétences transférées ainsi que le calendrier, les modalités de ces transferts, de même que la répartition des charges qui en résulte. Cette disposition est très proche de celle de l'article 77, alinéa 2, relatif à la Nouvelle-Calédonie. Le transfert des compétences ne sera ni nécessairement immédiat ni total. Le législateur aura ainsi la possibilité d'établir un calendrier raisonnable qui tiendra compte des capacités de la Polynésie française à exercer matériellement ces compétences. C'est ainsi qu'il a été procédé pour la Nouvelle-Calédonie, la loi organique prévoyant dans ses articles 21 à 27 les compétences de l'Etat, de la Nouvelle-Calédonie et les différentes étapes des transferts.

Mais le parallèle entre les deux territoires s'arrête à une différence essentielle : les transferts de compétences entre l'Etat et la Polynésie française ne sont pas définitifs. L'accord de Nouméa prévoyait le caractère intangible du transfert et l'article 77 de la Constitution a repris cette idée. Cette irréversibilité est néanmoins relative. Elle signifie que le législateur ne peut revenir sur ce qu'il a transféré. En revanche, le Constituant peut parfaitement décider de supprimer cette intangibilité des transferts. L'hypothèse demeure cependant largement théorique : on voit mal le Constituant opérer un tel retour en arrière qui serait inéluctablement synonyme de tensions graves en Nouvelle-Calédonie.

On ne peut manquer d'observer que les perspectives dans lesquelles la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie s'inscrivent sont radicalement différentes. Sur la Grande Terre la question du maintien dans la République suscite le débat que l'on sait. S'il a été décidé de suspendre les discussions sur ce sujet pendant la période transitoire organisée par l'accord de Nouméa, le débat n'est cependant pas clos. En Polynésie française, le maintien dans la République n'est pas en soi mis en cause par une fraction déterminante de la population. Les élus du territoire ont très majoritairement exprimé leur attachement à la France. Or, d'un point de vue autant symbolique que juridique, le caractère définitif du transfert de compétences s'inscrit dans une démarche ouverte à l'indépendance. C'est par un transfert successif et, finalement, complet des compétences de l'Etat vers la Nouvelle-Calédonie que celle-ci, après une consultation référendaire, pourrait accéder à l'indépendance. Comme le mentionne le point 5 de l'accord de Nouméa : « La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité ».

La Polynésie française ne s'inscrit pas dans cette logique ouverte, c'est pourquoi les transferts de compétence ne seront pas, en droit, irréversibles. Pourtant, dans les faits, il est clair qu'un effet « cliquet » va jouer inéluctablement. Une fois les compétences transférées avec les personnels et les moyens matériels et financiers, ces transferts pourront être considérés comme acquis. Simplement si la Polynésie française éprouvait, pour une raison quelconque, une difficulté à assumer une compétence nouvellement transférée, le législateur pourrait prévoir son retour dans le giron de l'Etat. Une telle situation demeure fortement improbable en particulier parce que l'article 78 impose que soient également prévus les transferts des moyens financiers correspondants. Il serait néanmoins dommage de se passer de cet élément de souplesse.

Les transferts ainsi opérés ne peuvent porter sur toutes les matières. L'Etat doit pouvoir continuer à exercer son autorité dans des domaines que l'on qualifie habituellement de régaliens même si le terme manque de précision. Le deuxième alinéa de l'article 78 prévoit que ne pourront être transférés : la nationalité, les garanties des libertés publiques, les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, les relations extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie, le crédit et les changes.

Cette liste ne signifie pas que l'Etat ne pourra exercer aucune autre compétence. La loi organique peut parfaitement prévoir que d'autres matières ne seront pas immédiatement transférées ou qu'elles ne seront pas du tout transférées. On peut d'ailleurs tout à fait imaginer que le législateur intervienne à nouveau, quelques années après avoir voté la première loi organique, pour compléter la liste des compétences exercées par la Polynésie française ou modifier le calendrier des transferts préalablement établi. Néanmoins, le projet de loi constitutionnelle apporte une nuance à ce dispositif. L'interdiction de transfert des matières dites régaliennes s'applique « sous réserve des compétences déjà exercées en ces matières par la Polynésie française ». Il serait effectivement pour le moins paradoxal que la révision constitutionnelle interdise le transfert de compétences que la loi a déjà organisé au profit de la Polynésie et que le Conseil constitutionnel a pu approuver.

De même le principe selon lequel la Polynésie française dispose d'une compétence de droit commun et l'Etat d'une compétence d'attribution demeurera. Même si le projet de loi constitutionnelle ne le prévoit pas expressément, la logique du transfert de compétences et de l'autonomie impose une clé de répartition de cette nature entre l'Etat et le pays d'outre-mer.

3. Les institutions

Il appartiendra également à la loi organique de définir les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Polynésie française. Cette disposition est classique et n'appelle pas de commentaire particulier. Elle reprend en cela le texte de l'article 77 relatif à la Nouvelle-Calédonie. Déjà précisément établies par le statut de 1996, ces règles ne devraient pas connaître de modifications substantielles à l'issue de cette révision constitutionnelle. On notera simplement que l'affirmation du caractère démocratique du gouvernement de la Polynésie française, inscrite au premier alinéa de l'article 78, impose nécessairement la présence d'une assemblée et d'un gouvernement responsable devant elle, ce qui est le cas aujourd'hui.

4. Les lois du pays

Répondant à une demande ancienne et constamment renouvelée des autorités locales, le projet de loi constitutionnelle dispose que la loi organique définira les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante, ayant le caractère de lois du pays, pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel. Ce dispositif reprend une des novations majeures du processus calédonien. Le terme de lois du pays n'apparaît pas dans le titre XIII consacré à la Nouvelle-Calédonie mais il est contenu dans l'accord de Nouméa auquel ce titre renvoie et confère une valeur constitutionnelle. La loi du pays est désormais une véritable catégorie de normes définie par la Constitution.

Cette disposition rompt définitivement avec le principe d'indivisibilité de la souveraineté nationale en faisant de l'assemblée de Polynésie française, après le Congrès de Nouvelle-Calédonie et évidemment le Parlement national, le troisième organe du pouvoir législatif en France. Ce triptyque législatif correspond à un autre triptyque, de nature constitutionnelle. A l'issue de cette révision, il existera trois blocs de constitutionnalité : l'un applicable à la métropole, aux départements d'outre-mer, aux collectivités territoriales d'outre-mer et aux territoires d'outre-mer, le deuxième à la Nouvelle-Calédonie et le troisième à la Polynésie française. Pour ces deux derniers blocs, il appartiendra au Conseil constitutionnel, ainsi qu'aux autres juridictions, d'appliquer les dispositions générales de la Constitution - que l'on pourrait qualifier de règles constitutionnelles de droit commun - sous réserve que les dispositions spécifiques des titres XIII ou XIV n'y dérogent pas. Dans ce cas, la règle spéciale doit prévaloir sur la règle générale puisqu'il n'existe pas de principes à valeur supraconstitutionnelle.

Le fait que le projet de loi précise que le contrôle du Conseil constitutionnel s'exerce avant publication de la loi du pays interdit toute procédure de contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, à l'occasion d'un litige. On remarquera qu'à cet égard le contrôle exercé aujourd'hui par le juge administratif sur les actes de la Polynésie française, qui demain seront des lois du pays, est plus protecteur des droits des personnes puisque ce juge peut être saisi, par voie d'un recours pour excès de pouvoir, par toute personne qui y a intérêt. Il appartiendra donc à la loi organique d'arrêter des dispositions qui ouvrent très largement ce droit de saisine, en particulier au profit des formations d'opposition représentées à l'assemblée de Polynésie française. Un tel dispositif est le gage du fonctionnement serein d'un Etat de droit. De même le représentant de l'Etat en Polynésie aura à exercer ce droit de saisine, comme cela est le cas en Nouvelle-Calédonie.

A titre incident, on peut supposer que les juridictions administratives auront aussi à se prononcer sur des litiges relatifs aux dommages engendrés par le vote de loi du pays, comme c'est le cas pour les lois nationales depuis la jurisprudence de Conseil d'Etat Ass., 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette ». Le régime juridique de ces lois du pays reste cependant à définir plus précisément. Il appartiendra au Parlement et aux juridictions d'y pourvoir dans le souci constant d'assurer la meilleure protection des droits des personnes, tout en préservant l'intérêt général et l'efficacité de l'action publique.

5. Le représentant de l'Etat

Le cinquième alinéa de l'article 78 dispose que la loi organique définira les conditions dans lesquelles le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois. Cette disposition n'apparaît pas dans l'article 77 relatif à la Nouvelle-Calédonie mais dans la mesure où l'accord de Nouméa mentionne la présence du représentant de l'Etat, il a pu paraître inutile d'ajouter une telle précision. Elle s'impose en revanche pour la Polynésie française, dont la statut constitutionnel ne peut s'adosser à un texte aussi complet que celui signé le 5 mai 1998 en Nouvelle-Calédonie. La Polynésie française, en qualité de pays d'outre-mer, ne sera plus soumise aux dispositions de l'article 72, 3e alinéa, qui détermine le rôle du délégué du Gouvernement dans les collectivités territoriales de la République. Il faut donc transcrire ce dispositif aux pays d'outre-mer. C'est ce que prévoit l'article 78. On notera que l'article 72 confère au préfet, outre les intérêts nationaux et le respect des lois, le contrôle administratif, ce qui n'est pas le cas dans l'article 78. Cette mention a paru obsolète et plus liée à une organisation déconcentrée de l'Etat, telle qu'elle existait avant 1982, qu'à un statut d'autonomie renforcé.

6. La citoyenneté

Il est créé une citoyenneté polynésienne dont la définition sera donnée par la loi organique. Cette citoyenneté n'est pas exclusive de la citoyenneté française ; c'est là toute l'originalité des pays d'outre-mer. Pour la Nouvelle-Calédonie, la citoyenneté est liée à la nationalité française comme en dispose l'article 4 de la loi organique du 19 mars 1999. Sont citoyens de la Nouvelle-Calédonie les nationaux français qui remplissent les conditions fixées à l'article 188 du statut, c'est à dire celles qui prévoient les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux assemblées de province et au Congrès. Ces restrictions sont fondées sur la durée de résidence en Nouvelle-Calédonie telle qu'elle est définie par l'accord de Nouméa. Pour la Polynésie française, on peut supposer que des conditions de même nature seront adoptées.

Néanmoins, et la nuance est de taille, la citoyenneté polynésienne n'engendrera pas de restriction du corps électoral comme cela est prévu en Nouvelle-Calédonie. Tous les citoyens français installés dans ce pays d'outre-mer pourront voter aux élections polynésiennes. En revanche, la notion de citoyenneté, qui n'est donc pas ici attachée à l'exercice du droit de vote, produira des effets dans d'autres domaines : l'accès à l'emploi, le droit d'établissement pour l'exercice d'une activité économique, l'accession à la propriété foncière. Selon l'article 78, il appartiendra à la loi organique d'en fixer l'étendue. Mais cette loi ne pourra cependant définir tous les détails de ces effets. Comme pour la Nouvelle-Calédonie, la loi organique pourra renvoyer à la loi du pays, votée ou non dans des conditions de majorité qualifiée et soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, pour en fixer l'exacte portée. Cette interprétation a été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars dernier relative au statut de la Nouvelle-Calédonie. Le Conseil a estimé qu' « il appartiendra aux " lois du pays " prises en application de l'article 24, et susceptibles d'être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, de fixer, pour chaque type d'activité professionnelle et chaque secteur d'activité, la " durée suffisante de résidence " mentionnée aux premier et deuxième alinéas de cet article en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l'emploi local, sans imposer de restrictions autres que celles strictement nécessaires à la mise en _uvre de l'accord de Nouméa ; qu'en tout état de cause, cette durée ne saurait excéder celle fixée par les dispositions combinées des articles 4 et 188 pour acquérir la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie ».

Le dispositif organisé par le cinquième alinéa de l'article 78 permettra au gouvernement polynésien de mettre en place les conditions d'une meilleure protection de l'emploi local et de l'activité économique. La question de l'accession à la propriété foncière est également dictée par des considérations économiques et sociales. La Polynésie française est un ensemble d'archipels où les terres exploitables sont rares. Il est donc vital d'en tirer le meilleur parti en contrôlant l'usage fait de ces terres par des acquéreurs étrangers à la Polynésie française. L'exemple de l'atoll acheté par l'acteur Marlon Brando et laissé, par lui, à l'abandon est, à ce titre, loin d'être purement anecdotique pour les Polynésiens. Cette question a d'ailleurs déjà fait l'objet de débats. Le projet de loi organique de 1996 avait organisé un régime discrétionnaire d'autorisation préalable à la réalisation d'opérations de transfert de propriété, autorisation donnée par le conseil des ministres polynésien, mais le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 96-373 du 9 avril 1996, que cette disposition était contraire au droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est pourquoi il est nécessaire que le Constituant autorise expressément ces restrictions au droit de propriété pour que la loi organique puisse en fixer les modalités.

7. L'exercice de compétences en matière internationale

Le dernier alinéa de l'article 78 porte sur les compétences reconnues à la Polynésie française en matière internationale. Ce dispositif est dérogatoire au deuxième alinéa de cet article qui fixe les domaines ne pouvant faire l'objet d'un transfert de compétences, domaines dans lesquels figurent la politique extérieure. Comme pour la Nouvelle-Calédonie et dans le prolongement du statut actuel de la Polynésie française, cette dernière pourra être membre d'une organisation internationale, disposer d'une représentation auprès des Etats du Pacifique et négocier avec ceux-ci, dans son domaine de compétence, des accords. Néanmoins le signature de ces accords et leur approbation ou leur ratification resteront soumises aux articles 52 et 53 de la Constitution. Le président de la République, pour la ratification, le Gouvernement pour l'approbation et le Parlement pour l'autorisation de ratification ou d'approbation, lorsque celle-ci est exigée par la Constitution, demeureront compétents. Cette disposition ne s'oppose pas cependant à ce que les autorités de la République délivrent pouvoir au président du gouvernement polynésien pour négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de l'Etat ou de la Polynésie française, comme l'article 40 du statut de 1996 l'a prévu.

Au total, le projet de loi constitutionnelle présenté par le Gouvernement entend permettre à la Polynésie française de gérer au plus près ses affaires propres dans le respect de l'Etat de droit et de la démocratie. Il nous appartient aujourd'hui de donner à ce territoire les moyens juridiques de mener plus loin son autonomie au sein de la République française. Nous aurons ensuite à poursuivre notre tâche en adoptant un statut qui donne chair aux principes ainsi énoncés.

III. - L'EXAMEN DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PAR LA COMMISSION

A. AUDITION DE M. JEAN-JACK QUEYRANNE, SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'OUTRE-MER

Le jeudi 27 mai, la Commission a procédé à l'audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Présentant l'article premier du projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, concernant la définition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer a précisé qu'il s'agissait de définir les règles relatives à la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie en précisant le corps électoral pouvant participer aux élections au congrès et aux assemblées de province. Rappelant que ces dispositions avaient été un élément essentiel de l'accord de Nouméa, approuvé à une très large majorité par les électeurs calédoniens, et une des raisons de la révision opérée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, il a indiqué que le Conseil constitutionnel avait néanmoins formulé, sur la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, une réserve d'interprétation qui changeait la nature de l'accord, en indiquant que peuvent participer à l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection, sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date à laquelle ils s'y sont établis. Faisant référence aux intentions des signataires de l'accord de Nouméa et du constituant, qui ont entendu restreindre le corps électoral aux personnes établies en Nouvelle-Calédonie avant la date de la consultation du 8 novembre 1998 sur l'accord de Nouméa et remplissent, en outre, la condition de dix ans de résidence, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer a indiqué que la définition de ce « corps électoral fermé » était inspirée des dispositions prévues par les accords de Matignon de 1988, qui avaient réservé la participation au scrutin référendaire de 1998 aux personnes présentes sur le territoire en 1988.

Après avoir rappelé que cette définition du corps électoral était également celle donnée par le Premier ministre devant le Congrès réuni à Versailles en 1998, M. Jean-Jack Queyranne a précisé que la composition du corps électoral voulue par les négociateurs de l'accord de Nouméa comprenait les personnes inscrites sur les listes électorales en vue de la consultation du 8 novembre 1998, c'est-à-dire celles présentes depuis dix ans sur le territoire, ainsi que celles inscrites sur le tableau annexe des personnes non admises à participer à cette consultation lorsqu'elles atteindront une durée de résidence de dix ans, soit au plus tard en 2008. Le ministre a constaté que, selon cette définition et contrairement à l'interprétation du Conseil constitutionnel, le corps électoral ne pouvait inclure les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie après 1998. Constatant que la décision du Conseil constitutionnel se fondait sur une ambiguïté de référence aux tableaux annexes, il a indiqué que l'accord de Nouméa comprenait, dans son point 2.2.1, une référence au tableau annexe et que cette référence se rapportait nécessairement à celui prévu par le décret du 24 décembre 1990 pris en application de la loi du 9 novembre 1988, décret recensant les électeurs non admis à participer au scrutin d'autodétermination de 1998, et donc arrivés en Nouvelle-Calédonie entre 1988 et 1998. Confirmant que cette définition du corps électoral, établie pour toute la durée des accords de Nouméa apparaissait très clairement dans le rapport de M. René Dosière sur la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, le ministre a donc émis le souhait que soit inscrit dans la Constitution, compte tenu des réserves du Conseil constitutionnel, la définition de ce corps électoral en précisant clairement que le tableau annexe auquel se réfère l'accord de Nouméa est bien celui des personnes qui, établies avant le 8 novembre 1998 en Nouvelle-Calédonie, n'ont pas été admises à participer à la consultation du 8 novembre 1998. Le ministre a observé que serait dès lors pleinement respecté l'engagement pris par l'Etat auprès des partenaires calédoniens, contribuant ainsi à entretenir la paix civile qui règne désormais en Nouvelle-Calédonie grâce à un partage équilibré du pouvoir entre les différentes formations politiques.

Ajoutant que le projet comportait également des dispositions introduisant dans la Constitution un titre XIV consacré à la Polynésie française, à l'instar de celui introduit pour la Nouvelle-Calédonie, le ministre a évoqué le statut très original d'autonomie dont jouit déjà ce territoire, qui a permis aux élus d'exercer, dans le cadre de la loi organique du 12 avril 1996, de larges responsabilités. Estimant qu'il était temps de franchir une nouvelle étape dans l'affirmation, au sein de la République française, de la personnalité et l'autonomie de la Polynésie, le ministre a exposé les grandes lignes de ce projet, élaboré en concertation avec l'assemblée de la Polynésie française et son Conseil économique et social : décrivant le statut sui generis de pays d'outre-mer qui caractériserait désormais la Polynésie, le ministre a indiqué qu'il serait procédé à un transfert de compétences de l'Etat vers les institutions de la Polynésie française.

Le ministre a, en outre, précisé que cette nouvelle répartition des compétences se ferait dans la limite des compétences régaliennes qui relèvent de l'Etat, telles que la nationalité, la garantie des libertés publiques, les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, les relations extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie ou le crédit et les changes. Il a ajouté que la loi organique pourrait réserver à l'Etat d'autres compétences telles que la fonction publique, les marchés publics de l'Etat ou la procédure administrative contentieuse. Il a également précisé que la définition des compétences n'empiéterait pas sur celles exercées actuellement par la Polynésie française, telles que le droit réservé aux institutions locales de fixer des peines d'amendes et des peines complémentaires.

Le ministre a par ailleurs exposé les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions, en indiquant que certaines catégories d'actes, qualifiées de « lois du pays », auraient valeur législative et pourraient ainsi être soumises au Conseil constitutionnel et ajouté que la loi organique, prise en application de la loi constitutionnelle, préciserait les compétences du délégué du Gouvernement qui continuera d'exercer le contrôle de légalité.

Le ministre a également évoqué les dispositions relatives à la citoyenneté polynésienne, en constatant que celle-ci n'aurait pas la même dimension, notamment en ce qui concerne la définition du corps électoral, que la citoyenneté calédonienne. Précisant que la reconnaissance de cette citoyenneté n'aurait d'autre effet que de permettre d'accorder des avantages spécifiques aux Polynésiens en terme d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité économique et d'accession à la propriété foncière, M. Jean-Jack Queyranne a indiqué que les modalités de reconnaissance de cette citoyenneté, qui seront précisées par la loi organique, devraient retenir des durées raisonnables de résidence dans le territoire. A titre d'exemple, il a cité le délai de cinq ans qui existe déjà dans la loi organique du 12 avril 1996 concernant la durée de résidence nécessaire pour pouvoir accéder aux fonctions de membres du Gouvernement.

Par ailleurs, le ministre a exposé les compétences que pourra se voir attribuer la Polynésie dans le domaine international, sous réserve toutefois que la conduite des relations extérieures demeure de la compétence de l'Etat. Indiquant que les autorités locales pourront désormais négocier avec les Etats du Pacifique des accords internationaux portant sur des matières relevant de leurs attributions, qui seraient ensuite ratifier dans le respect des règles fixées par la Constitution, il a annoncé que la Polynésie pourrait aussi devenir membre d'organisations internationales lui permettant de s'intégrer encore davantage dans son environnement régional.

Enfin, le ministre a précisé que les modalités de consultation des institutions de la Polynésie française sur les lois de la république relatives à son organisation et sur les conventions internationales traitant de matières relevant de sa compétence seraient fixées dans la loi organique. Il a conclu en rappelant que la loi constitutionnelle ne pouvait être que le cadre de l'évolution de la Polynésie française et que, dans la perspective de la loi organique, il serait procédé à une large consultation des autorités locales et des principales forces politiques du territoire.

Après l'exposé du Ministre, plusieurs commissaires sont intervenus.

Après s'être réjoui que la Polynésie française puisse bénéficier à son tour des avancées statutaires déjà inscrites dans l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, M. François Colcombet s'est interrogé sur les difficultés soulevées par l'utilisation des langues régionales. Il a ainsi souhaité savoir si des mesures spécifiques étaient prévues pour permettre la présence d'interprètes, actuellement en nombre insuffisant, dans les juridictions et les administrations et si la charte européenne des langues régionales serait applicable dans l'archipel, avant de manifester son inquiétude sur les capacités de résistance de la langue française face à l'anglais. Il a estimé que les questions relatives à l'environnement ne devaient pas être traitées uniquement par les autorités territoriales, soulignant qu'il convenait de se montrer très prudent sur ce sujet essentiel pour l'avenir de la Polynésie française. Il s'est enquis des travaux de la commission chargée de faire un inventaire des lois applicables dans l'archipel, souhaitant que ce travail de clarification aboutisse rapidement. Il a enfin interrogé le Ministre sur les autorités qui seront compétentes pour soumettre les lois du pays au Conseil constitutionnel.

M. René Dosière s'est tout d'abord félicité de l'article premier du projet de loi constitutionnelle relatif à l'application de l'accord de Nouméa, souhaitant rappeler avec solennité que cette disposition était conforme à la volonté, clairement affirmée lors des débats parlementaires sur la loi organique, des deux assemblées du Parlement et du Gouvernement. Il s'est déclaré surpris des commentaires du secrétaire général du Conseil constitutionnel sur la décision de cette juridiction publiés récemment dans une revue juridique, soulignant que l'analyse quelque peu polémique de ce dernier contrevenait au devoir de réserve qu'un tel fonctionnaire se doit d'observer, avant de rappeler que la loi était faite par le Parlement et non par le Conseil constitutionnel. Abordant les dispositions relatives à la Polynésie française, il s'est interrogé sur l'urgence d'une réforme statutaire. Il a en effet, estimé que la priorité aurait dû aller à la modification du statut de Mayotte, rappelant que le Parlement avait déjà voté en 1996 une réforme institutionnelle de la Polynésie française, et a demandé si une étude faisant le bilan du statut actuel et justifiant les réformes proposées avait été faite. Il s'est étonné que le projet de loi constitutionnelle reprenne les dispositions adoptées pour la Nouvelle-Calédonie, alors même que ces dispositions ne sont pas encore entrées en application et ne peuvent donc faire l'objet d'une appréciation objective. Tout en ne se déclarant pas opposé au fait que d'anciens territoires d'outre-mer obtiennent davantage d'autonomie ou même accèdent à l'indépendance, il a considéré que cette évolution ne devait pas s'accompagner d'un affaiblissement du contrôle de l'Etat sur l'utilisation des fonds publics, souvent considérables, destinés à ces territoires et estimé qu'une indépendance totale n'était pas compatible avec le maintien des subventions métropolitaines au niveau antérieur. Il a souhaité que le Gouvernement réfléchisse à la manière dont les fonctionnaires métropolitains accomplissent leur mission dans ces territoires, jugeant que la présence de l'Etat ne pouvait pas être absolument identique en cas d'autonomie renforcée. Il a alors demandé le montant annuel des transferts financiers en provenance de la métropole destinés à la Polynésie française, s'interrogeant sur l'importance de ces transferts par rapport aux ressources locales. Evoquant enfin la question des communes de Polynésie, il a estimé qu'en raison de la configuration géographique de ce territoire, ces collectivités devaient avoir de réelles compétences, et jugé nécessaire qu'une réflexion soit engagée sur leurs liens avec l'Etat et le gouvernement territorial.

Après avoir exprimé sa gratitude au Gouvernement et au Ministre de l'outre-mer pour avoir interprété avec réalisme les aspirations politiques, économiques et sociales des Polynésiens, M. Michel Buillard a souligné que le projet de loi constitutionnelle ne faisait que poursuivre une démarche amorcée en 1984 avec l'adoption du premier statut d'autonomie et estimé que les avancées statutaires proposées permettaient de poser des limites claires à l'évolution institutionnelle du territoire. Il a regretté que les aspirations polynésiennes à une autonomie accrue soient interprétées comme une simple reprise des modifications statutaires obtenues par la Nouvelle-Calédonie, faisant valoir que les revendications de ses compatriotes en matière de préférence territoriale ou de protection de l'emploi et du patrimoine étaient très anciennes. Il a tenu à rappeler que la question foncière était une question récurrente, les Polynésiens ayant été dépouillés de leurs terres par la politique coloniale. Après avoir observé que les villes polynésiennes risquaient de se transformer en « villes blanches » - les nouveaux projets immobiliers donnant lieu à des acquisitions presque systématiquement réalisées par des métropolitains - et souligné que la libération du transport aérien rendait difficile la protection de l'emploi local, il a estimé que la réforme statutaire proposée permettrait de limiter ces difficultés. Il s'est inquiété de la pérennité de l'identité culturelle polynésienne, soulignant que les jeunes parlaient beaucoup moins le tahitien qu'il y a une dizaine d'années, et a considéré que le nouveau statut n'apportait que des réponses limitées à cette question. S'agissant du contrôle des fonds publics, il a rappelé que la Polynésie française était soumise à la même réglementation que la métropole et qu'elle n'échappait donc pas à des vérifications approfondies.

M. Jean-Yves Caullet a fait part de sa satisfaction à l'égard du projet de loi de révision constitutionnelle, estimant que la seule manière satisfaisante d'éviter les crises dans l'outre-mer passait par leur anticipation. Considérant que la question statutaire ne réglerait à elle seule, ni les problèmes sociaux, ni le développement économique et culturel, il a jugé indispensable la mise en place d'une véritable politique sociale au niveau territorial. Il s'est ensuite interrogé sur l'articulation entre les compétences transférées au territoire et le maintien de la compétence relative à l'ordre public dans le giron de l'Etat, soulignant que cette situation risquait d'entraîner un jeu de défausse entre les institutions polynésiennes et le représentant de l'Etat. Abordant le transfert de compétences relatif à la politique économique et à la citoyenneté, il a jugé qu'il était susceptible d'entraîner une situation de surprotection locale du fait des droits économiques rattachés à la reconnaissance de la citoyenneté polynésienne. Il a enfin souhaité interroger le ministre sur les conséquences du transfert de compétence en matière de coopération internationale, estimant qu'il pouvait poser un problème de cohérence entre les politiques menées par le pouvoir central et les autorités polynésiennes, notamment dans le domaine de l'environnement.

M. Henry Jean-Baptiste a fait part à la Commission de son grand intérêt pour la révision constitutionnelle relative au statut de la Polynésie française. Jugeant que la question institutionnelle était une condition nécessaire, mais non suffisante, du développement économique, social et culturel, il a estimé que le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française confortait l'ensemble de l'outre-mer dans sa volonté d'une évolution institutionnelle diversifiée. A cet égard, il a considéré qu'il était nécessaire de définir un tronc commun, valable pour l'ensemble des territoires d'outre-mer, assorti d'adaptations particulières tenant compte des spécificités locales. Approuvant la célérité du Gouvernement en matière de modification statutaire pour la Polynésie française, il a rappelé que Mayotte attendait un statut depuis 23 ans. Il a ainsi souhaité que la mission préparatoire à la consultation prévue par la loi de 1976, en vue de sortir du statut provisoire, soit réactivée rapidement. Rappelant que Mayotte jouait le rôle de pôle de stabilité dans l'archipel des Comores, il a jugé nécessaire de lui donner les moyens d'organiser une véritable coopération au niveau local. Il a ainsi estimé que Mayotte apporterait une contribution bénéfique à la République française.

En réponse aux questions des commissaires, le Ministre a apporté les éléments d'information suivants.

-  La Polynésie française connaît un statut d'autonomie depuis 1984. Le statut de 1996 a buté sur des limites constitutionnelles puisque certaines de ses dispositions ont été annulées par le Conseil constitutionnel qui les a considéré contraires à l'article 74 de la Constitution relatif aux territoires d'outre-mer. Si l'on souhaite faire évoluer le statut de la Polynésie, il est donc indispensable de passer au préalable par une révision de notre loi fondamentale.

-  Le statut de 1996 fonctionne de manière satisfaisante, notamment pour ce qui concerne la répartition des compétences, comme l'a souligné le rapport de M. Jean-Jacques Hyest au Sénat lors de l'examen du budget des territoires d'outre-mer pour 1999. Néanmoins, il subsiste quelques difficultés, en particulier la question de la protection de la propriété foncière, qui correspond à une demande forte des Polynésiens, depuis que le Conseil constitutionnel, en 1996, a annulé la disposition du statut qui y était relative. L'emploi local reste également une préoccupation constante, notamment parce qu'il constitue un point de litige avec l'Union européenne. La France est en effet menacée du paiement d'astreintes à cause d'un texte pris par l'assemblée de Polynésie française qui limite l'accès à certaines professions. On observera que ce type de dispositif existe pourtant dans d'autres PTOM comme les Antilles néerlandaises.

-  Le problème de la présence de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie au sein des organisations internationales de la zone Pacifique est posé. Il s'agit de permettre à ces territoires de continuer de participer à part entière aux travaux de ces organisations sans se trouver, en raison d'une trop faible autonomie, dans une position inférieure par rapport aux autres membres. A cet égard, l'exemple des îles Cook, qui bénéficient d'un statut de très large autonomie vis-à-vis de la Nouvelle-Zélande, mérite d'être relevé. Il est important que les territoires français puissent s'inscrire dans le mouvement pacifique qui - à l'exception peut-être de la Papouasie Nouvelle-Guinée - a caractérisé l'évolution des anciennes colonies dans cette région.

-  Il est nécessaire également d'insister sur les différences qui existent entre les situations politique et géographique de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. A la différence de la première, la seconde est formée d'un archipel éclaté qui a les dimensions de l'Europe et compte seulement 200 000 habitants.

-  L'inscription dans notre Constitution de la spécificité de ces territoires démontre la volonté de notre pays d'aborder, après la décolonisation, ces questions statutaires dans un esprit positif.

-  Concernant la langue polynésienne, l'assemblée du territoire avait souhaité que le projet de loi constitutionnelle en fasse mention. Le Gouvernement a choisi de ne pas la suivre sur ce point parce que l'article 2 de la Constitution fait du français la langue de la République et que le polynésien n'est pas la seule langue pratiquée dans ces archipels. Par ailleurs, la charte européenne sur les langues régionales et minoritaires doit prendre en compte cette diversité linguistique de la Polynésie française. Il existe d'ores et déjà des interprètes dans les tribunaux du territoire. Si leur nombre apparaissait insuffisant, il serait utile que l'attention de la Garde des sceaux soit attirée sur cette question.

-  La codification des textes applicables à la Polynésie française s'opère dans de bonnes conditions, comme en témoigne l'actuel code pénal, le code de procédure pénale ou le code de la propriété intellectuelle. Un code des communes a d'ailleurs été publié au Journal officiel de la Polynésie française, la codification des textes polynésiens étant du ressort du gouvernement local. Il est vrai cependant que certaines difficultés apparaissent pour la recension des textes anciens applicables en Polynésie.

-  La protection de l'environnement est aujourd'hui une compétence du territoire, ce qui n'empêche pas l'Etat d'insister sur ce point dans les contrats de développement qu'il signe avec le territoire. Des problèmes cruciaux demeurent, par exemple, en matière d'assainissement ou de traitement des déchets. Il faudra donc procéder à des investissements dans les années à venir. Une mission récente de la protection civile a été conduite, à l'initiative de Mme Dominique Voynet, pour étudier la question des risques naturels. Cette mission a conclu à la nécessité de donner au haut-commissaire de plus grands pouvoirs pour faire face à de tels risques.

- Pour ce qui est de la saisine du Conseil constitutionnel, il appartiendra à la loi organique d'arrêter la liste des autorités qui se verront reconnaître cette faculté.

-  En ce qui concerne le contrôle des comptes du territoire de la Polynésie, la scission de la Chambre territoriale des comptes siégeant à Nouméa au profit d'une chambre sise en Polynésie et d'une autre en Calédonie devrait accroître l'efficacité des vérifications.

-  Les modalités du contrôle de légalité des actes pris sur le territoire polynésien seront précisées par la loi organique.

-  Le total des crédits versés par l'Etat au territoire, y compris les traitements et pensions, dépasse 5 milliards 250 millions de francs. Il convient de préciser que, si certains versements sont automatiques, d'autres dépendent de la signature de conventions trop nombreuses dont il est envisagé de simplifier le mécanisme, ou du contrat de développement, lequel donne lieu actuellement à des discussions, notamment en ce qui concerne les moyens consacrés au logement social.

-  Un projet de loi relatif à l'organisation des communes, déposé au Sénat, qui n'a pu encore être examiné en raison de l'encombrement de l'ordre du jour, devrait être repris en partie par la loi organique et en partie par la loi ordinaire, afin de régler principalement le problème du personnel communal et celui de la suppression de la tutelle.

-  En ce qui concerne les problèmes liés au maintien de l'ordre, s'il est vrai que le président du Gouvernement territorial doit être informé des mesures prises en ce domaine, les compétences correspondantes relèvent de l'Etat, par l'intermédiaire du haut-commissaire.

-  Les modalités d'exercice des droits économiques pourraient s'inspirer des mesures adoptées pour la Nouvelle-Calédonie afin de protéger l'emploi local, qui ont été validées par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la loi organique.

-  Le développement de la francophonie dans le Pacifique à partir du territoire polynésien est un enjeu essentiel qui passe, notamment, par la diffusion des émissions de RFO et l'augmentation des inscriptions d'étudiants étrangers à l'université du Pacifique, inscriptions jusqu'ici trop peu nombreuses.

-  En ce qui concerne Mayotte, il est vrai qu'une réflexion pourrait être engagée puisque l'on admet aujourd'hui que la définition du statut des collectivités d'outre-mer puisse faire l'objet d'une approche diversifiée. Cela étant, la situation actuelle de cette collectivité est très difficile compte tenu de la fragilité sociale des Comores conduisant à une très forte immigration qui pose de graves problèmes financiers et d'ordre public.

Après avoir confirmé qu'une délégation de la commission des Lois se rendrait effectivement en septembre à Mayotte et à La Réunion, Mme Catherine Tasca, présidente, a souligné que la réforme relative à la Nouvelle-Calédonie avait un heureux effet d'entraînement et apparaissait comme une solution porteuse d'avenir. Elle a observé que ce n'était pas un hasard si cette évolution touchait les territoires d'outre-mer les plus éloignés de la métropole, situés dans un contexte régional particulier. Elle a considéré que l'évolution statutaire constituait une première étape, mais souligné qu'elle ne réglait pas toutes les difficultés et ne préjugeait nullement des relations qui se construiraient entre ces territoires et la République. Elle a estimé également que ces relations dépendraient pour beaucoup de l'engagement des habitants de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. Elle a indiqué que la Commission serait attentive à la mise en place des institutions nouvelles dans ces territoires, ainsi qu'au résultat de la politique menée, au-delà même de la seule question institutionnelle, en matière sociale et internationale. Considérant qu'il ne pouvait plus être question, à l'égard de ces îles, d'une tutelle trop directive, elle a jugé que l'évolution vers l'autonomie des territoires d'outre-mer nous contraignait également à nous interroger sur le sens de la République. Elle a insisté, en particulier, sur la question de la langue, qu'elle a jugée essentielle. Enfin, elle a conclu en indiquant que si l'évolution positive de ces territoires passait par une relation très régulière avec le pouvoir exécutif, la représentation nationale devait aussi prendre toute sa part dans ces relations.

B. DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission a procédé à l'examen du projet de loi constitutionnelle le mercredi 2 juin 1999. A cette occasion, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale après l'exposé de la rapporteur.

M. Dominique Perben a estimé qu'il n'était pas convenable que le Gouvernement présente dans un même projet de loi constitutionnelle deux séries de dispositions n'ayant aucun lien entre elles, soulignant qu'il aurait été préférable que la discussion s'organise autour de deux textes distincts. Rappelant que l'opposition était très réservée sur l'article premier, qui consiste à revenir sur une décision du Conseil constitutionnel, il a considéré que l'insertion de cet article pouvait être interprétée comme une manipulation destinée à obliger la majorité sénatoriale, pour adopter les modifications statutaires polynésiennes qui font l'objet d'un relatif consensus, à retenir également les restrictions de vote en Nouvelle-Calédonie, à l'égard desquelles elle a toujours été réservée. Il a regretté cette man_uvre du Gouvernement, faisant valoir que, jusqu'à présent, les discussions sur l'avenir institutionnel de l'outre-mer dépassaient les simples conceptions partisanes au nom de l'intérêt national.

Rappelant que l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie avait donné lieu à une consultation de la population locale, M. Jérôme Lambert a regretté que la réforme statutaire de la Polynésie française ne fasse pas l'objet d'une consultation similaire, soulignant que l'absence de référendum risquait de fragiliser les institutions.

Après avoir rendu hommage à la qualité de l'exposé de la rapporteur, M. Dominique Bussereau a indiqué que le groupe Démocratie libérale était favorable aux modifications statutaires proposées pour la Polynésie française, soulignant que ces modifications s'inscrivaient dans la logique de l'évolution institutionnelle outre-mer, qui vise à mieux prendre en compte les spécificités locales. Observant que c'était la première fois qu'un projet comportant des modifications statutaires concernaient deux territoires différents, il s'est associé aux propos tenus par M. Dominique Perben, dénonçant le piège tendu à l'opposition. Il a rappelé que cette dernière avait approuvé l'accord de Nouméa, par souci de conciliation et pour tenir compte des aspirations de la population calédonienne, alors même qu'elle avait été très réservée sur certains aspects de cet accord et notamment sur la question des restrictions apportées au droit de vote. Estimant, comme M. Dominique Perben, qu'il n'était pas convenable de revenir sur une disposition censurée par le Conseil constitutionnel, juridiction suprême, il a indiqué que l'opposition ne pourrait pas voter l'article premier et donc le projet de loi, ce qui risquait de bloquer l'évolution institutionnelle de la Polynésie française.

Après avoir rappelé que la situation actuelle était due au fait que le Conseil constitutionnel n'avait pas voulu prendre en compte les travaux préparatoires, M. Gérard Gouzes a fait observer que le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht avait, à l'initiative de l'opposition, été complété par une disposition relative aux lois organiques outre-mer qui n'avait donc aucun lien avec le texte en discussion.

Précisant qu'il ne se prononcerait pas sur le bien-fondé de l'article premier, M. Michel Buillard a souligné que la situation polynésienne était très différente de celle de la Nouvelle-Calédonie puisqu'il s'agit simplement pour ce premier territoire de renforcer son autonomie, tout en demeurant au sein de la République française. Il a estimé que, dans ces conditions, une consultation référendaire n'était pas nécessaire.

En réponse aux interventions de MM. Dominique Perben et Dominique Bussereau, la rapporteur a souligné que le texte du projet de loi constitutionnelle relevait, aux termes de l'article 89 de la Constitution, de l'initiative du Président de la République, qui semblait particulièrement tenir à cette réforme, ce qui ne devrait pas être indifférent à l'opposition. Elle a indiqué également que les autorités de Nouvelle-Calédonie, consultées sur la question, ne s'étaient pas opposées à la démarche du Gouvernement. Rappelant que le Parlement n'avait jamais caché les difficultés juridiques liées à la définition du corps électoral, elle a, cependant, insisté sur le fait que les travaux parlementaires étaient suffisamment clairs pour qu'apparaissent nettement les intentions du Constituant, même si le Conseil constitutionnel n'en avait pas jugé ainsi. A cet égard, elle a observé qu'un travail très consensuel avait été mené entre les deux assemblées sur la question du corps électoral, tant lors de la discussion de la loi constitutionnelle qu'à l'occasion de celle de la loi organique, illustrant son propos par une référence au rapport de M. Jean-Jacques Hyest au nom de la commission des Lois du Sénat, selon lequel « l'intention sous-jacente à l'accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps électoral "glissant", s'enrichissant au fil du temps des personnes dont l'inscription serait progressivement portée au tableau annexe et qui en sortiraient pour devenir des électeurs au moment où elles pourraient justifier de dix ans de résidence ». Soulignant qu'il n'existait donc aucune divergence entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur l'interprétation de ce point particulier, elle a souhaité que les assemblées assurent la continuité du processus initié par la signature de l'accord de Nouméa et la révision constitutionnelle de 1998 et jugé que l'introduction d'une disposition précisant la définition du corps électoral pour les élections provinciales dans l'article premier du projet de loi constitutionnelle paraîtrait nécessairement légitime à ceux qui sont convaincus que l'équilibre de l'accord de Nouméa mérite d'être préservé. D'un point de vue juridique, elle a estimé que le Conseil constitutionnel ne pouvait être considéré comme l'autorité suprême, comme certains semblaient, à tort, le suggérer, son pouvoir étant évidemment limité par celui du Constituant. Elle a donc souhaité que le Parlement exerce sa responsabilité de Constituant et ne laisse pas au juge constitutionnel le soin de définir, à lui seul, le cadre de notre norme fondamentale. Elle a jugé, enfin, que laisser en suspens la question de la définition du corps électoral au-delà de l'été ne serait pas le meilleur signe adressé aux autorités calédoniennes qui se mettent aujourd'hui en place.

La rapporteur a estimé, par ailleurs, que la question posée par M. Jérôme Lambert à propos de la consultation des Polynésiens sur leur avenir statutaire était légitime dans la mesure où la réforme proposée était d'importance. Elle a considéré néanmoins qu'il était concevable de ne pas procéder à une consultation référendaire qui s'inspirerait du modèle calédonien, dès lors que la perspective d'évolution de la Polynésie semblait fondamentalement différente de celle de l'autre territoire du Pacifique.

La Commission est ensuite passée à l'examen des articles du projet de loi constitutionnelle.

C. EXAMEN DES ARTICLES

Article premier

(art. 77 de la Constitution)

Définition du corps électoral aux assemblées de province
et au congrès de Nouvelle-Calédonie

La Commission a adopté deux amendements rédactionnels présentés par la rapporteur (amendements nos 5 et 6).

Avant de passer au vote sur l'article, M. Dominique Bussereau a souhaité préciser qu'il n'avait pas été convaincu par les arguments développés par la rapporteur. Il s'est interrogé sur l'exposé des motifs du projet de loi qui laisse entendre que le Constituant doit intervenir pour interpréter la loi organique, ce qu'il a jugé, pour le moins, paradoxal. Enfin, il a relevé que le calendrier arrêté par le Gouvernement pour l'adoption de ce texte coïncidait de manière étrange avec la tenue des élections européennes. En réponse à cette intervention, la rapporteur a rappelé que l'introduction de ce dispositif dans la Constitution était imposée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et ajouté qu'une telle démarche n'était pas inédite. M. Gérard Gouzes a confirmé ce point en rappelant qu'en 1993, avait été adopté l'article 53-1 de la Constitution relatif au droit d'asile pour revenir sur une disposition de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, annulée par le Conseil constitutionnel.

La Commission a ensuite adopté l'article premier ainsi modifié, M. Michel Buillard ayant indiqué qu'il s'abstiendrait.

Article 2

Titres XV, XVI et XVII de la Constitution

La Commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 3

Titre XIV de la Constitution portant
« Dispositions relatives à la Polynésie française »

La Commission a adopté l'article 3 sans modification.

Article 4

(art. 78 de la Constitution)

Dispositions relatives à la Polynésie française

La Commission a rejeté l'amendement n° 1 présenté par M. Michel Buillard tendant à ce que les transferts de compétences de l'Etat vers la Polynésie française soient irréversibles. M. Michel Buillard a indiqué que la Polynésie souhaitait bénéficier des mêmes dispositions que celles applicables à la Nouvelle-Calédonie afin, notamment, d'éviter que le Parlement n'empiète sur le domaine de compétences de la Polynésie. La rapporteur a considéré que le caractère définitif des transferts, tel qu'il est prévu pour la Nouvelle-Calédonie, était lié à la logique ouverte dans laquelle s'inscrit ce territoire, soulignant qu'à l'issue de la période transitoire, les Calédoniens auraient à choisir entre l'indépendance ou le maintien dans la République. Elle a observé que la Polynésie française ne s'inscrivait pas actuellement dans une telle perspective puisque, pour l'heure, elle souhaitait demeurer dans un statut de large autonomie sans s'engager dans un processus d'indépendance. En conséquence, elle a jugé qu'il était important de ne pas donner à ces transferts de compétences un caractère définitif, ajoutant que la possibilité pour l'Etat de reprendre une partie de ses compétences transférées constituait plus une hypothèse d'école qu'un risque réel. Elle a précisé cependant que, si pour une raison quelconque, la Polynésie française n'était pas en mesure d'assumer une compétence transférée, elle pourrait toujours négocier son retour à l'Etat et a donc considéré qu'il ne fallait pas, à l'avance, s'interdire d'user d'un tel élément de souplesse.

La Commission a ensuite adopté deux amendements rédactionnels de la rapporteur (amendements nos 7 et 8). Elle a, en revanche, rejeté l'amendement n° 2 de M. Michel Buillard renvoyant aux lois du pays la détermination des règles relatives à l'accès à l'emploi, à l'activité économique et à l'accession à la propriété foncière, dans le cadre de la citoyenneté polynésienne. M. Jean-Yves Caullet a estimé que la rédaction du projet de loi était claire sur ce point, puisqu'elle donnait à la loi organique compétence pour établir des règles en la matière, qui seront ensuite déclinées par des lois du pays. Mme Catherine Tasca a fait part de son accord avec cette interprétation, soulignant qu'effectivement, la loi organique ne pourrait déterminer toutes les conséquences de la citoyenneté polynésienne en matière d'emploi, d'activité économique ou d'accession à la propriété foncière. Observant que des lois du pays, soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, auraient donc à intervenir en la matière, elle a souligné qu'il n'était pas nécessaire que la Constitution le prévoie expressément. Rappelant que le Conseil constitutionnel en avait convenu, le 15 mars dernier, dans sa décision relative au statut de la Nouvelle-Calédonie, elle a conclu en considérant que ces modalités d'application de la loi organique pourraient varier dans le temps et qu'il appartenait aux institutions de la Polynésie d'en assurer la traduction concrète.

La Commission a ensuite rejeté l'amendement n° 3 présenté par M. Michel Buillard prévoyant que les autorités polynésiennes signeront les accords internationaux dans les domaines de leurs compétences. Notant que le dispositif prévu dans le projet de loi constitutionnelle reprenait celui de la Nouvelle-Calédonie, la rapporteur a rappelé que, si la signature des accords internationaux n'était pas une compétence générale des territoires, les autorités de la République pouvaient donner pouvoir au président du gouvernement de la Polynésie française pour négocier et signer de tels accords. Elle a ajouté que le projet de loi constitutionnelle n'interdisait pas de reconduire ce dispositif existant déjà depuis 1996, tout en indiquant néanmoins que le pouvoir de signer les traités devait demeurer une compétence du Président de la République, même si celui-ci pouvait la déléguer. Elle a conclu que ce dispositif était la conséquence logique de l'évolution statutaire de la Polynésie française ayant, comme perspective, le maintien dans la République.

La Commission a, enfin, rejeté l'amendement n° 4 de M. Michel Buillard prévoyant une clause d'application territoriale pour les accords internationaux conclus par la République dans les matières relevant de la compétence de la Polynésie française. La rapporteur a jugé qu'une telle disposition n'avait pas lieu d'être dans la Constitution. Elle a considéré qu'il appartenait aux autorités de la République, qui négocient et signent les accords internationaux, de prévoir, le cas échéant, un dispositif de réserve, pour organiser la consultation de l'assemblée polynésienne, avant que ces accords ne s'appliquent à elle. Elle a estimé que cet avis ne pouvait être un avis conforme car, sinon, le maintien de la compétence de l'Etat en matière de politique extérieure serait vidé d'une grande partie de sa substance. Elle a enfin jugé qu'un tel dispositif de consultation pourrait et devrait être organisé par la loi organique.

La Commission a adopté l'article 4 ainsi modifié.

*

* *

La Commission a ensuite adopté l'ensemble du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié, après que M. Dominique Bussereau eut fait savoir que son groupe s'abstiendrait sur ce texte, compte tenu de son opposition à la jonction dans le texte d'une disposition relative à la Nouvelle-Calédonie.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter le projet de loi constitutionnelle (n° 1624), modifié par les amendements figurant au tableau comparatif ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte en vigueur

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Texte du projet de loi constitutionnelle

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Propositions de la Commission

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Constitution du 4 octobre 1958

Art. 77. -  Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en _uvre :

Article 1er

Il est ajouté, avant le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution, l'alinéa suivant :

Article 1er

(Alinéa sans modification).

- les compétences de l'Etat qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ;

   

- les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et notamment les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel ;

   

- les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;

   

- les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.

   
 

« Le tableau auquel se réfère, pour la définition du corps électoral aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie, l'accord mentionné au premier alinéa de l'article 76 est le tableau des personnes non admises à participer à la consultation prévue à cet article. »

« Pour la définition du corps électoral aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie, le tableau auquel se réfère l'accord ...

... 76
est celui des ....

(amendements nos 5 et 6)

Les autres mesures nécessaires à la mise en _uvre de l'accord mentionné à l'article 76 sont définies par la loi.

Article 2

Article 2

Titre XIV. -  Des accords d'association.

Titre XV. -  Des Communautés européennes et de l'Union européenne.

Titre XVI. -  De la révision.

Titre XVII. -  Abrogé.

Les titres XIV, XV et XVI de la Constitution deviennent respectivement les titres XV, XVI et XVII.

Article 3

Le titre XIV de la Constitution est rétabli et intitulé : « Dispositions relatives à la Polynésie française. »

(Sans modification).

Article 3

(Sans modification).

 

Article 4

Dans le titre XIV de la Constitution, il est rétabli un article 78 dans la rédaction suivante :

Article 4

(Alinéa sans modification).

Art. 78. -  Abrogé.

« Art. 78. -  La Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement au sein de la République. Son autonomie et ses intérêts propres de pays d'outre-mer sont garantis par un statut que définit la loi organique après avis de l'assemblée de la Polynésie française ; ce statut détermine les compétences de l'Etat qui sont transférées aux institutions de la Polynésie française, l'échelonnement et les modalités des transferts ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci.

« Art. 78. -  

... modalités
de ces
transferts ...

(amendement n° 7)

 

« Les transferts définis à l'alinéa précédent ne peuvent porter, sous réserve des compétences déjà exercées en ces matières par la Polynésie française, sur la nationalité, les garanties des libertés publiques, les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, les relations extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie, le crédit et les changes.

« Ces transferts ne ...

(amendement n° 8)

 

« La loi organique définit également :

(Alinéa sans modification).

 

« - les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Polynésie française et notamment les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante, ayant le caractère de lois du pays, pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel ;

(Alinéa sans modification).

 

« - les conditions dans lesquelles le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois ;

(Alinéa sans modification).

 

« - les règles relatives à la citoyenneté polynésienne et aux effets de celle-ci en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité économique et d'accession à la propriété foncière ;

(Alinéa sans modification).

 

« - les conditions dans lesquelles la Polynésie française peut, par dérogation au deuxième alinéa, être membre d'une organisation internationale, disposer d'une représentation auprès des Etats du Pacifique et négocier avec ceux-ci, dans son domaine de compétence, des accords dont la signature et l'approbation ou la ratification sont soumises aux dispositions des articles 52 et 53. »

(Alinéa sans modification).

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article 4

(art. 78 de la Constitution)

Amendements nos 1, 2, 3 et 4 présentés par M. Michel Buillard :

·  Dans le premier alinéa de cet article, après le mot : « transférées », insérer les mots : « de manière définitive ».

·  Dans l'avant-dernier alinéa de cet article, substituer aux mots : « et aux effets de celle-ci en matière », les mots : « , les lois du pays déterminent les conditions ».

·  Après le mot : « négocier », rédiger ainsi la fin du dernier alinéa de cet article : « et signer des accords internationaux dans les domaines de sa compétence, la ratification intervenant dans les conditions prévues aux articles 52 et 53. »

·  Compléter cet article par l'alinéa suivant :

« -  les conditions d'extension des accords internationaux conclus par la République dans les matières relevant de la compétence de la Polynésie française ».

N°1665. - RAPPORT de Mme Catherine TASCA (au nom de la commission des lois) sur le projet de loi constitutionnelle (n° 1624) relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie

() Jean-Pierre Doumenge, « La Polynésie française », Encyclop_dia Universalis, tome 18, p. 663.

() Paul de Deckker, « Organisation de la cité et relations avec la France dans l'espace mental polynésien », in Jean-Yves Faberon (dir.), Le statut du territoire de Polynésie française. Bilan de dix ans d'application : 1984-1994, Economica - Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1996, p. 39.

() On observe qu'en 1881 le territoire qui devient ainsi colonie française comprend Tahiti et Moorea, les Tuamotu et Mangareva ainsi que les Marquises et Rapa. Les îles Sous-le-Vent, Rimatara et Rurutu seront annexés ultérieurement.

() Georges Lemoine, « Les intentions des auteurs du statut de 1984 », in Jean-Yves Faberon (dir.), op. cit., p. 63-68.

() Cette révision a prévu que le statut des territoires d'outre-mer fait désormais l'objet d'une loi organique.

() Rapport n° 2509 de M. Jérôme Bignon, au nom de la commission des Lois, p. 16.

() Le dernier alinéa de l'article 77 dispose que les autres mesures nécessaires à la mise en _uvre de l'accord de Nouméa sont définies par la loi.

() Article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988.

() Sur ce point, on se reportera au rapport (n° 972) fait, au nom de la commission des Lois, pour le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie.

() On peut alors s'interroger sur l'intérêt d'introduire cette condition pour le moins tautologique.

() Rapport de M. René Dosière, au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, n° 1275, p. 190-191.

() Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des Lois du Sénat, n° 180, p. 222.

() L'article 188 de la loi organique définit le corps électoral pour les élections provinciales. L'article 189 détermine les conditions d'établissement des tableaux annexes après 1998.

() Il s'agit évidemment de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998.

() Les articles 79 à 87 demeurent abrogés.


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