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le 28 janvier 2000

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N° 2081

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 janvier 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de la convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé,

PAR Mme MARIE-HÉLÈNE AUBERT,

Députée

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 23, 289 et T.A. 143 (1998-1999)

Assemblée nationale : 1659

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - L'AGGRAVATION DE LA SITUATION DES PERSONNELS
PARTICIPANT AUX INTERVENTIONS DES NATIONS UNIES
7

A - DES PERSONNELS VULNÉRABLES OPÉRANT DANS
DES SITUATIONS CONFUSES
7

1) La multiplication du nombre de victimes d'incidents de sécurité 7

2) Des conflits internes générant une insécurité croissante 8

B - LA MULTIPLICATION DES INTERVENTIONS DES NATIONS UNIES 9

1) La multiplication des opérations de maintien de la paix 9

2) La multiplication des interventions humanitaires 10

II - UN INSTRUMENT DE PROTECTION UTILE MAIS LIMITĒ 13

A - UN CHAMP D'APPLICATION INCERTAIN 13

1) Une définition floue des opérations des Nations unies visées par la Convention 13

2) Une définition imprécise de la notion de personnels des Nations unies
et associés 15

B - UN INSTRUMENT DE LUTTE CONTRE L'IMPUNITÉ DES AGRESSIONS DES PERSONNELS INTERVENANT DANS LE CADRE DES NATIONS UNIES. 16

1) Les obligations réciproques de l'Etat hôte et de l'Etat de transit
et des personnels concernés 16

2) Des clauses pénales assurant la coopération des parties 17

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

ANNEXE I 23

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi soumis à votre examen vise à ratifier la convention sur la sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé.

Cet accord adopté le 9 décembre 1994 par l'Assemblée Générale des Nations unies a été signé par la France le 12 janvier 1995. Le Sénat en a autorisé la ratification en juin dernier. Signé par une cinquantaine d'Etats il est entré en vigueur le 15 janvier 1999 après le dépôt du 22ème instrument de ratification.

La commission, qui a entendu Mme Sadako Ogata, Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), M. Vincent Cochetel, directeur du bureau du HCR en Ossétie du Nord, M. Jacky Mamou, Président de Médecins du Monde et M. Paul Grossrieder, directeur général du Comité international de la Croix rouge (CICR), a pu mesurer les difficultés auxquelles doivent faire face les personnels des Nations unies et associés tant les problèmes de sécurité se sont multipliés et aggravés en dix ans. La convention soumise à votre examen constitue donc une réponse à ces difficultés. Mais celle-ci demeure imparfaite.

I - L'AGGRAVATION DE LA SITUATION DES PERSONNELS PARTICIPANT AUX INTERVENTIONS DES NATIONS UNIES

La multiplication des conflits internes dans un contexte de désagrégation des Etats est l'une des caractéristiques des tensions de l'après guerre froide. Les Nations unies sont donc conduites à intervenir dans des situations complexes évoluant de manière peu prévisibles ce qui accroît les risques courus par les personnels sur place.

A - Des personnels vulnérables opérant dans des situations confuses

1) La multiplication du nombre de victimes d'incidents de sécurité

Depuis le début des années quatre vingt dix, le nombre des victimes parmi les civils engagés par les Nations unies s'accroît. La bannière des Nations unies et l'emblème de la Croix rouge, respectés dans les conflits classiques, n'ont plus rien de dissuasif. Le matériel, comme l'aide elle-même, suscite parmi les belligérants des convoitises, devenant enjeu supplémentaire de lutte. Les intervenants de l'humanitaire et leur matériel deviennent la cible d'opérations de guérillas qui restent le plus souvent impunies dans des pays où l'Etat s'est désagrégé.

Des statistiques inquiétantes circulent ici et là mais il est difficile d'obtenir des renseignements précis et globaux tant les nationalités et le statut des personnels victimes, sont variables. Chacun se souvient de l'assassinat en Tchétchénie en décembre 1996 de six collaborateurs du CICR, de trois collaborateurs de Médecins du Monde au Rwanda en 1997 et cette liste n'est pas close...

Ainsi pour le seul CICR le nombre de victimes, parmi les personnels expatriés ou national, blessés ou tués intentionnellement lors de leur activité s'est élevé à 20 en 1994, 10 en 1995, 15 en 1996, 7 en 1997 et 11 en 1998. Signe des temps, le niveau de gravité des incidents faisant l'objet d'un rapport à la direction du CICR a largement augmenté, les incidents mineurs n'étant plus relatés.

A cet égard, il convient de relever que la question de la sécurité des personnels des ONG opérant dans des zones de conflits a été posée à plusieurs reprises. Une réunion sur ce thème s'est tenue à l'initiative du Ministère français des Affaires étrangères en mars 1998 et a abouti aux conclusions suivantes : la nécessité d'un échange d'informations sur les conflits en général et l'évolution des conditions de sécurité, le besoin d'améliorer la préparation des personnels d'ONG à la question des situations de crise et aux questions de sécurité, l'opportunité d'évaluer "à froid" des situations et de mesurer l'impact de l'arrivée d'une ONG sur un terrain. Pour l'ensemble des intervenants de l'humanitaire, la sécurité est donc devenue un enjeu majeur dans l'organisation d'une intervention.

L'absence de volonté d'intervention de la communauté internationale dans la guerre qui se déroule actuellement en Tchétchénie entraînant une catastrophe humanitaire n'est pas sans rapport avec les pertes en vies humaines et les prises en otage de personnels dont ont été victimes les intervenants humanitaires contraints, faute de garanties de sécurité suffisantes, de quitter la zone.

2) Des conflits internes générant une insécurité croissante

Les conflits de l'après guerre froide se caractérisent surtout par des combats dont les populations civiles sont les premières victimes. Comme le rappelait devant la Commission M. Jacky Mamou, Président de Médecins du monde, au début de ce siècle entre 5 à 10 % des victimes des guerres étaient des civils, elles sont plus de 90 % aujourd'hui.

La composante identitaire de nombreux conflits tend à faire prendre des populations civiles comme enjeu des affrontements et à effacer la distinction entre combattants et non-combattants. Au Rwanda comme dans l'ex-Yougoslavie, l'extermination de l'autre camp et la purification ethnique étaient le but de guerre. Dans un tel contexte, les civils sont devenus des moyens de faire la guerre, ils servent de boucliers humains tels les Chiites au sud de l'Irak en 1991 ou les Kosovars pendant le conflit du Kosovo. Ils sont affamés pour attirer l'aide humanitaire comme au Soudan ou en Somalie. Ils sont déplacés, déportés et expulsés. Les camps où ils trouvent refuge deviennent rapidement des cibles dangereuses pour les intervenants de l'humanitaire qui y sont fréquemment confrontés à des combattants infiltrés comme au Rwanda ou en RDC.

La plupart des conflits de l'après guerre froide sont internes et opposent parfois une armée régulière à des groupements de nature diverse : force de libération au Chiapas, ou mouvements infiltrés par les cartels de la drogue en Colombie. Dans de nombreux cas l'Etat disparaît ou n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions et d'endiguer la violence. La Somalie, le Liberia, la Sierra Leone, le Congo Brazzaville en sont la triste illustration.

Dans ces conflits complexes, de multiples acteurs interviennent et les alliances se font ou se défont au gré des circonstances, les prévisions étant aléatoires. Ainsi en RDC s'affrontaient une armée nationale, des milices, des mercenaires, des armées étrangères et un mouvement de libération.

La privatisation de la violence est une des données majeures de ces conflits : des mafias mais aussi des représentants d'intérêts économiques voire des officines de sécurité financées par des multinationales pétrolières ou minières deviennent les acteurs des conflits en raison des intérêts économiques en jeu. Selon M. Frédéric Joli, responsable de la diffusion et de la communication du CICR que votre Rapporteur a auditionné, la mort de six membres de l'équipe de la Croix rouge de l'Hôpital du CICR de Novy Atagi, en Tchétchénie en décembre 1996, a peut-être pour origine des luttes entre groupes mafieux. Selon lui, en Angola la présence de pétrole et de diamants n'est pas étrangère à la reprise des conflits financés par ces ressources, les compagnies de sécurité exerçant les pouvoirs régaliens d'un Etat en désagrégation.

Comme le soulignait M. Vincent Cochetel, les milieux criminels interagissent avec des militaires souvent des mercenaires peu disciplinés, mal formés qui recourent au pillage et utilisent armes et méthodes interdites. L'accès aux victimes est très souvent entravé et devient difficile et dangereux.

Les personnels des Nations unies et des ONG interviennent de plus en plus dans des zones d'après conflits caractérisées par des lignes de cessez-le-feu tendues, la présence de mines, de populations de réfugiés hostiles entre elles. Le développement de la criminalité et l'insécurité entravent les interventions et les risques encourus augmentent.

La nature des conflits a accru les demandes d'intervention des Nations unies.

B - La multiplication des interventions des Nations unies

Le personnel des Nations unies est intervenu dans le cadre d'opérations de maintien de la paix et/ou de missions plus strictement humanitaires.

1) La multiplication des opérations de maintien de la paix

Les personnels opérant dans le cadre de missions de maintien de la paix sont semble-t-il couverts par la convention ce qui est louable car ces opérations se sont multipliées depuis 1990. La liste complète est annexée au rapport. On compte une vingtaine d'opérations de maintien de la paix déployées et terminées depuis 1990 et dix sept opérations encore en cours. Des soldats français sont utilisés dans neuf d'entre elles. Ils ont payé un lourd tribut. Depuis 1945, 94 soldats français ont été tués dans le cadre de ces opérations, sur un total de 1527 morts.

La France participe au budget des opérations de maintien de la paix à hauteur de 80,6 millions de dollars en 1997, 62,08 en 1998 et 55 millions de dollars pour 1999 (montant provisoire qui ne tient pas compte du premier appel de fonds pour le Kosovo).

En pratique, ces opérations ont beaucoup évolué depuis la fin de la guerre froide. Jusqu'aux années 1990, elles s'inscrivaient dans la logique pacifique de l'article 14 de la Charte et devaient être acceptées par l'Etat-hôte et respecter le principe de neutralité et d'impartialité. Elles répondaient aux nécessités d'une diplomatie préventive.

Dans le cadre des opérations de maintien de la paix de ces dix dernières années, il ne s'agit plus seulement de s'interposer entre deux belligérants qui ont cessé leur hostilité mais bien de rétablir la paix en recourant à un dispositif coercitif. Ces opérations se déroulent dans des contextes locaux incertains et imprévisibles en raison de l'effondrement des Etats. Les forces multilatérales d'interposition ne séparent plus guère les combattants réguliers d'armées régulières mais s'insèrent entre milices rivales ou bandes armées. Les populations civiles, enjeux de ces combats, souffrent et ont besoin d'aide humanitaire. Aussi les forces d'intervention doivent-elles gérer des problèmes d'ordre civil : contrôle du cessez-le-feu, déminage, destruction des armes, rapatriement des personnes déplacées, mise en place et formation de nouvelles forces de police pour répondre aux besoins des civils. Tel est le rôle actuellement joué par la MINUBH en Bosnie-Herzégovine, de la MINUK au Kosovo, ou l'ATNUTO au Timor.

Ces opérations de maintien de la paix effectuées dans des conditions de sécurité aléatoire exigent des interventions humanitaires spécifiques.

2) La multiplication des interventions humanitaires

Les interventions humanitaires des Nations unies sont conduites par différentes agences : Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), le Fonds des Nations unies pour l'enfance, Programme alimentaire mondial (PAM), l'Organisation mondiale de la santé (OMS, etc...). Les actions sont coordonnées par un comité permanent interagences associant le comité international de la Croix rouge (CICR) ainsi que les principales agences non gouvernementales (Médecins du monde, Médecins sans frontière, Action contre la faim, Unicef...)

L'aide humanitaire est devenue un élément substantiel de la mission des Casques bleus qui fréquemment assurent la protection de sa distribution, ce qui génère des ambiguïtés qualifiées ici et là de "militarisation" de l'aide. Ce phénomène s'explique quand on examine la liste des pays qui ont obtenu une assistance humanitaire de l'ONU depuis 1997 : Afghanistan, Angola, Rwanda, Sierra Leone, Soudan, Tanzanie, Burundi, Ouganda, RDC, Tadjikistan, ex Yougoslavie, République populaire et démocratique de Corée, Timor oriental et Kosovo.

Certains de ces pays sont des zones de conflits endémiques où la concentration d'interventions d'ONG est elle-même source de difficultés. Ces circonstances ont conduit les Nations unies et les ONG opérant pour elles à réfléchir au problème de sécurité. Devant la multiplication des incidents graves, le CICR a mis en place un système de sécurité précis, un programme de prise en charge du stress et du soutien des collaborateurs en mission et mené des actions de formation. Des grandes ONG ont fait de même. Mais ces réflexions utiles ne concernent qu'une partie des personnels intervenants. Bien souvent des personnels travaillant pour de petites ONG se laissent surprendre par la nature des conflits, d'autant que la multiplication des intervenants sur une même zone est source de difficultés et de risques pour les équipes.

Face à ces évolutions la convention sur la sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé est une réponse utile malgré ses ambiguïtés et ses lacunes.

II - UN INSTRUMENT DE PROTECTION UTILE MAIS LIMITĒ

Les personnels intervenant dans le cadre des Nations unies souhaitent la ratification de cet Accord. Même s'il est imparfait, il représente une étape importante dans la reconnaissance des risques qu'ils encourent et dans la lutte contre l'impunité des agressions dont ils sont victimes.

En effet le préambule de la Convention qui qualifie "d'inacceptables" et "injustifiables" les atteintes et autres mauvais traitements contre les personnels qui agissent au nom des Nations unies reconnaît implicitement l'insuffisance des mesures de protection prises et le caractère délibéré des attaques dont ils sont victimes. Malgré un champ d'application imprécis cet instrument permet de sanctionner les responsables d'agressions contre les personnels agissant dans le cadre des Nations unies.

A - Un champ d'application incertain

Les négociations qui ont conduit à l'adoption de la Convention ont pour origine un mémorandum élaboré par la Nouvelle-Zélande en juin 1993. Face à une insécurité croissante, il visait à permettre la poursuite d'auteurs d'atteinte à la sécurité des personnels des Nations unies. Ouvert à la participation de tous les Etats membres, un comité ad hoc chargé de rédiger un projet de convention, constitué dès mars 1994, termina ses travaux en octobre 1994. La rapidité des négociations peut donc expliquer certaines lacunes. Le 29 septembre 1998 s'est tenu un débat au Conseil de sécurité des Nations unies sur la protection des activités d'assistance humanitaire aux réfugiés et autres personnes touchées par un conflit. La France s'est déclarée très préoccupée par la dégradation des conditions de travail du personnel humanitaire. A l'issue de ce débat, le Président du Conseil de sécurité a vigoureusement condamné les attaques contre les personnels humanitaires. Mais peu de mesures concrètes ont été prises.

1) Une définition floue des opérations des Nations unies
visées par la Convention

L'article premier de portée générale semble viser toutes les opérations des Nations unies établies par un organe compétent ayant pour but de maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationale. Or, le paragraphe 2 de l'article 2 exclut du champ d'application de l'accord les opérations des Nations unies autorisées par le Conseil de sécurité en tant qu'action coercitive en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Dans ce dernier cadre, le personnel est engagé comme combattant contre des forces organisées et se voit appliquer le droit des conflits armés internationaux. On comprend que soient exclues du champ d'application de la Convention des opérations qui, seulement autorisées par le Conseil de sécurité, sont menées non par des Casques bleus mais par des organisations régionales (OTAN en Bosnie-Herzégovine avec l'IFOR, entre 1996 et 1997, puis la SFOR, et au Kosovo avec le KFOR) ou des coalitions d'Etats (Force Alba 1997 en Albanie). Il est logique qu'il en soit de même des opérations de combat, couvertes par les règles coutumières et conventionnelles du droit de la guerre (conventions de Genève). Ce type d'opération est rarement mené par des personnels des Nations unies, même si le Conseil de sécurité donne son autorisation (Opération Tempête du Désert en 1991 en Irak et au Koweït).

Cependant, le caractère hybride des opérations récentes de maintien de la paix auxquelles participent des personnes intervenant à la fois à titre militaire et à titre humanitaire conduit à s'interroger.

Selon le Ministère des Affaires étrangères, la référence au chapitre VII ne signifierait pas nécessairement que le personnel est engagé comme combattant contre des forces armées organisées et sort du champ de la Convention. De plus en plus de résolutions du Conseil de sécurité sont placées sous chapitre VII, souvent sous la pression des autorités militaires qui pensent offrir ainsi une meilleure protection aux troupes engagées dans une opération de maintien de la paix. Ces opérations restent pourtant des opérations de maintien de la paix au plein sens du terme, et rentrent à ce titre dans le champ de la Convention car il n'y a pas d'ennemi désigné. Le recours à la force y est prévu pour assurer la sécurité et la liberté de mouvement du personnel et éventuellement l'accomplissement de la mission. C'est le cas notamment pour la MINUK au Kosovo ou l'ATNUTO à Timor. Une résolution sous chapitre VII n'autorise pas nécessairement le recours à la force. Le chapitre VII traite des mesures coercitives en général, c'est-à-dire décidées sans le consentement de l'Etat visé. Ces mesures peuvent impliquer le recours à la force armée (art. 42 :opération d'imposition de la paix, blocus) mais aussi ne pas l'impliquer (art. 41 : sanctions).

Placer une force de maintien de la paix sous chapitre VI ne signifie pas non plus qu'elle ne pourra jamais ouvrir le feu. Elle pourra toujours le faire en cas de légitime défense et, pour peu que le texte de la résolution le prévoie, pour assurer sa liberté de mouvement dans l'exécution du mandat. Plus que la référence au chapitre VI ou au chapitre VII, c'est, d'après le Ministère des Affaires étrangères, le contenu de la résolution créant l'opération qui est déterminant. Toutes trois placées sous chapitre VI, les résolutions créant la FINUL au Liban, la MINUAR au Rwanda ou, plus récemment la MINURCA en Centrafrique, prévoient explicitement le recours à la force pour assurer la sécurité et la liberté de mouvement du personnel et éventuellement l'accomplissement de la mission. C'est donc en fonction de la résolution et de la nature du conflit qu'il conviendra de raisonner, ce qui est source d'ambiguïtés.

De plus, selon l'article premier et notamment son paragraphe c) ii, relève des procédures de droit commun, la protection du personnel des Nations unies ou du personnel associé en mission de cette Organisation, pour des opérations autres que le maintien ou le rétablissement de la paix non déclarées comme présentant des risques exceptionnels par les autorités compétentes des Nations unies. Or, jusqu'à présent, le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale n'ont jamais déclaré qu'une opération présentait un "risque exceptionnel" au sens de cette disposition et une telle déclaration paraît difficile à obtenir. On voit mal le Secrétaire général des Nations unies requérir de l'Assemblée générale ou du Conseil de sécurité une telle déclaration sans se heurter à la pression et au refus des Etats concernés.

L'existence préalable d'une opération des Nations unies paraît justifier l'application de la Convention. Celle-ci ne serait pas semble-t-il appliquée au cas de M. Vincent Cochetel qui dirigeait le bureau du HCR en Ossétie du Nord quand il fut pris en otage. Il n'existait pas d'opération des Nations unies en Ossétie du Nord et le Caucase n'a pas été déclaré comme induisant un risque exceptionnel.

Lors de la réunion précitée du Conseil de sécurité en 1998, la France avait souligné les insuffisances de cet Accord qui ne couvre pas toutes les catégories de personnels de l'humanitaire et prend insuffisamment en compte les ambiguïtés de leur mission.

Les atteintes portées aux personnels qui ne rentrent pas dans le champ de la convention sont réprimées suivant les procédures de droit commun. C'est l'entrée en vigueur des statuts de la Cour pénale internationale qui constituera pour eux une réelle avancée.

2) Une définition imprécise de la notion de personnels des Nations unies et associés

Il semblerait que la notion de personnels des Nations unies et de personnels associés doive s'entendre au sens large et concernerait les personnels en mission ponctuelle. Selon l'article premier paragraphe a), les personnels des Nations unies couverts sont à la fois ceux qui sont déployés au sein de l'opération et ceux qui, appartenant à l'Organisation ou à l'une de ses institutions spécialisées ou à l 'AIEA, sont envoyés en mission officielle sur le terrain.

S'agissant du personnel associé, il semble que tout le personnel des ONG humanitaires, international ou local, soit couvert par la Convention, à condition que l'ONG en question ait signé un accord avec le Secrétaire général des Nations unies, une institution spécialisée ou l'AIEA. Les volontaires des Nations unies sont rattachés au PNUD qui est un démembrement des Nations unies. En l'absence d'accord entre l'ONG et les Nations unies, les personnels ne bénéficient pas de la protection de la Convention.

B - Un instrument de lutte contre l'impunité des agressions des personnels intervenant dans le cadre des Nations unies.

1) Les obligations réciproques de l'Etat hôte et de l'Etat de transit et des personnels concernés

Les personnels des Nations unies et les personnels associés sont tenus de porter sur eux des documents d'identification. Les éléments militaires et de police d'une opération des Nations unies (personnels et véhicules, navires et aéronefs) doivent porter une marque distinctive d'identification sauf décision contraire, ce qui n'a jamais été le cas (article 3). Les personnels sont invités à se conformer aux lois et règlements de l'Etat de transit et de l'Etat-hôte, et à respecter le caractère impartial de leur mission.

L'Etat de transit a pour obligation de faciliter le passage du personnel des Nations unies et du personnel associé, ainsi que de leur matériel, à destination et en provenance de l'Etat hôte.

L'Etat hôte est invité à conclure avec les Nations unies un accord sur le statut de l'opération et de l'ensemble du personnel, précisant notamment les dispositions relatives aux privilèges et immunités des éléments militaires et de police (article 4). Il lui incombe de prendre "toutes les mesures appropriées pour assurer la sécurité des personnels" engagés dans une telle opération (article 7.2).

Il lui appartient de relâcher promptement les membres du personnel des Nations unies et du personnel associé qui auraient été capturés et détenus dans l'exercice de leurs missions, et dont l'identité aurait été établie, de s'abstenir de les soumettre à un interrogatoire, et de les traiter conformément à l'esprit des conventions de Genève de 1949.

Il lui faut coopérer avec l'ONU et avec les autres Etats parties s'il n'était pas en mesure de prendre lui-même les mesures requises (article 7.3).

2) Des clauses pénales assurant la coopération des parties

Les clauses pénales confèrent une base juridique à la coopération des parties en matière pénale. Elles permettent l'exercice de l'extradition contre les auteurs présumés d'infraction et la répression des auteurs de meurtres, d'enlèvement, de menaces et leurs complices. Selon les personnels concernés, ces coupables ont joui jusqu'ici d'une totale impunité, bien des auteurs de crimes n'ont pas été arrêtés alors qu'ils sont connus.

La prévention des infractions, la coopération pénale entre les parties par l'échange de la communication d'éléments de preuve sont assurés par les articles 11 à 16 de la Convention. Le Secrétaire général des Nations unies transmet les résultats d'éventuelles poursuites qui lui sont obligatoirement notifiées, aux autres parties. L'article 21 de la Convention semble restreindre le droit de légitime défense.

L'article 22 invite de manière classique les parties à soumettre leurs éventuels différends concernant l'interprétation ou l'approbation de la Convention à un arbitrage et en cas d'échec à la Cour internationale de justice. Cette disposition autorise les parties à formuler des réserves à cet égard. Un projet de réserve désormais classique et critiquable est joint au présent projet de loi. Cependant, le Ministère des Affaires étrangères a confirmé à votre Rapporteur que la France ratifiera cet instrument sans déposer cette réserve. La positon française a évolué sous l'influence sans doute de la Commission des Affaires étrangères et de son Président. La France ne devrait plus désormais décliner la compétence de la Cour internationale de justice, ce dont on ne peut que se féliciter.

CONCLUSION

Cette Convention constitue une étape certes imparfaite dans la lutte contre l'impunité dans les conflits. Seule, la Cour pénale internationale pourra mener à bien ce combat.

Cependant, la Commission se doit de la ratifier. Elle constitue un progrès dans la protection des personnels des Nations unies et associés car elle permet de poursuivre et de sanctionner pénalement ceux qui agissent contre ces personnes et leur mission.

Une telle ratification montre tout l'intérêt que la représentation nationale porte au maintien de la paix et à l'action humanitaire et au travail remarquable accompli en faveur des nombreux civils victimes de conflits.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 18 janvier 2000.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Pierre Brana s'est étonné du délai de près de cinq ans entre la signature de l'accord et sa ratification sans que des explications satisfaisantes ne soient données.

Il a critiqué la réserve déclinant la compétence de la Cour internationale de justice.

M. Jean-Bernard Raimond a rappelé que la Commission des Affaires étrangères avait débattu du problème et que son Président avait écrit pour protester contre l'existence d'une réserve que la Commission réprouve.

Mme Marie-Hélène Aubert a déploré que l'on ratifie tardivement les conventions signées ce qui nuit à leur suivi. On ratifie ainsi parfois des textes tombés dans l'oubli sans obtenir d'explication quant au délai.

Elle a expliqué que le ministère des Affaires étrangères avait indiqué qu'il renonçait au dépôt de la réserve figurant pourtant dans le projet de loi.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 1659).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1659).

ANNEXE I

Opérations de maintien de la paix

Opérations de maintien de la paix des Nations unies, au sens de l'article 1er c), déployées depuis 1990 et terminées :

En Afrique : UNAVEM II (Angola, 1991-1995), UNAVEM III (1995-1997), UNASOG (Tchad, 1994), ONUC (Congo, 1960-1964), MONUL (Liberia, 1993-1997), ONUMOZ (Mozambique, 1992-1994), MINUAR (Rwanda, 1993-1996), MONUAR (1993-1994), ONUSOM I (Somalie, 1992-1993), ONUSOM II (1993-1995).

En Amérique : ONUSAL (Salvador, 1991-1995), MINUGUA (Guatemala, 1997), MANUH (Haïti, 1996-1997), MITNUH (1997).

En Asie : MIPRENUC (Cambodge, 1991-1992), APRONUC (1992-1993).

En Europe : ONURC (Croatie, 1995-1996), ATNUSO (Croatie, 1996-1998), FORPRONU (Ex-Yougoslavie, 1992-1995).

Opérations lancées depuis 1990 et toujours en cours (données au 31 octobre 1999 ; les Nations unies ne fournissent de relevé régulier que pour leurs personnels) :

- ONUST (Palestine) 142 hommes

- UNMOGIP (Inde-Pakistan) 46 hommes

- FINUL (Liban) 4652 hommes

- FNUOD (Golan) 1034 hommes

- MONUIK (Irak-Koweït) 1095 hommes

- MONUA (Angola) 89 hommes

- MONUT (Tadjikistan) 40 hommes

- MONUG (Géorgie) 100 hommes

- MINURSO (Sahara occidental) 316 hommes

- MINUBH (Bosnie-Herzégovine) 1843 hommes

- MIPONUH (Haïti) 286 hommes

- MINURCA (Centrafrique) 1232 hommes

- MINUSIL (Sierra Leone) 207 hommes

- MINUK (Kosovo) 1762 hommes

- ATNUTO (Timor Oriental) 304 hommes

- MONUC (RDC) 37 hommes

- MINUGUA (Guatemala) 70 hommes

Les troupes françaises sont utilisées dans neuf opérations :

- ONUST (Palestine) 4 hommes (observateurs militaires)

- FINUL (Liban) 244 hommes (membres de forces armées)

- MONUIK (Irak-Koweït) 11 hommes (observateurs militaires)

- MONUG (Géorgie) 5 hommes (observateurs militaires)

- MINURSO (Sahara occidental) 25 hommes (observateurs militaires)

- MINUBH (Bosnie-Herzégovine) 106 hommes (membres de forces de police)

- MIPONUH (Haïti) 36 hommes (membres de forces de police)

- MINUK (Kosovo) 78 hommes (membres de forces de police)

- MONUC (RDC) 3 hommes (observateurs militaires)

- MINUSIL (Sierra Leone) 3 hommes (observateurs militaires)

- MINUGUA (Guatemala) 1 homme (policier civil)

Une dizaine d'experts de l'AIEA sont en outre engagés dans le cadre de "l'Action Team" pour constater le désarmement nucléaire de l'Irak.


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