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le 10 février 2000

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N° 2112

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Thaïlande,

PAR M. ROLAND BLUM,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 278, 370 et T.A. 142 (1998-1999)

Assemblée nationale : 1658

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

Mesdames, Messieurs,

Vous êtes aujourd'hui appelés à vous prononcer sur un projet de loi autorisant l'approbation d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, signée le 11 septembre 1997 à Paris, entre la France et la Thaïlande.

Les négociations de cette convention, commencées en 1977 - il y a donc plus de vingt ans ! - sur l'initiative de la partie thaïlandaise, se sont heurtées à beaucoup de difficultés tenant à certaines spécificités du droit thaïlandais. Un premier projet avait été paraphé à Paris au mois de juin 1981 mais a finalement été abandonné ; les négociations reprenaient en 1986 pour être à nouveau suspendues en 1992. Le texte finalement signé en 1997 s'inspire du texte type habituel, à savoir la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, mais comporte toutefois quelques dispositions particulières que nous présenterons plus spécifiquement dans ce rapport.

La justification d'une telle convention ne réside pas principalement dans le volume des demandes d'entraide entre la France et la Thaïlande, qui demeure limité. Selon les chiffres fournis à votre Rapporteur, au cours des trois années écoulées, la France a en effet saisi les autorités thaïlandaises seulement de quatre demandes par an. Néanmoins, ainsi que nous l'indiquions dans le récent rapport sur la mondialisation que votre Rapporteur a eu l'honneur de présenter devant vous (rapport d'information n°1963), l'internationalisation croissante de la criminalité rend utiles et nécessaires tous les efforts qui tendent à la construction d'un espace judiciaire international.

Avant toutefois d'examiner plus en détail le contenu de la présente convention, votre Rapporteur présentera l'état de l'économie thaïlandaise qui apparaît en bonne voie de guérison, plus de deux ans après avoir connu une spectaculaire récession, et fera le point sur les relations franco-thaïlandaises.

I - UNE ÉCONOMIE EN VOIE DE GUÉRISON

A - Une reprise économique réelle

Beaucoup d'entre vous s'en souviennent, la décision adoptée par la Thaïlande le 2 juillet 1997 de laisser flotter sa monnaie, le baht, fut le fait déclencheur direct de la crise asiatique de l'automne 1997. Elle entraîna les dévaluations en chaîne des devises régionales, la fuite des capitaux quittant en masse l'Asie et l'effondrement des flux commerciaux. En 1998, la Thaïlande a connu une régression de 10 % de son produit intérieur brut.

Aujourd'hui toutefois, l'important programme de réformes financières et économiques engagé sous la tutelle du FMI par le gouvernement libéral du Premier Ministre Chuan Leekpai semble porter ses fruits. La croissance est redevenue positive en 1999 -les premiers chiffres disponibles tournent autour de 3-4%- et les capitaux étrangers sont massivement revenus sur le marché.

Outre la poursuite d'une politique de libéralisation des échanges, l'un des aspects les plus importants des réformes mises en place par le nouveau gouvernement arrivé au pouvoir en novembre 1997, tient à l'ouverture, pour la première fois, de pans entiers de l'économie thaïlandaise aux investisseurs étrangers. Une nouvelle loi a été votée - dénommée « foreign business act » - qui devrait entrer en vigueur le 4 mars prochain afin de diminuer les restrictions aux participations étrangères dans le domaine financier, les travaux publics et les communications, dans la production de produits pharmaceutiques, de la soie, des chaussures ainsi que dans les secteurs de la confection et des boissons. De même, dans le domaine immobilier et foncier, une loi du 19 mai 1999, la «land code amendment act», libéralise l'acquisition de terrains à lotir et l'accès à la propriété immobilière.

Une attention particulière a été portée au secteur financier dans la mesure où les participations étrangères sont jugées nécessaires à l'amélioration de la situation de ces établissements. La restriction de 25 % vis-à-vis de l'actionnariat étranger a ainsi été relevé à 49 %.

Toutefois, il est peu probable que la Thaïlande retrouve rapidement sa croissance «miraculeuse » des années 80 et 90. Les infrastructures manquent pour pouvoir espérer qu'une crise d'une telle ampleur puisse être purgée en seulement un an ou deux. La restructuration des entreprises privées, fortement endettées, n'a pas encore été abordée. Et la Thaïlande demeure encore très vulnérable à d'éventuels chocs exogènes, par exemple une sérieuse correction de Wall Street, une dégradation de l'économie japonaise, voire une dévaluation du yuan chinois. En termes imagés, si la convalescente se porte de mieux en mieux, les dangers d'une rechute ne peuvent néanmoins être complètement écartés.

Sur le plan politique, l'existence d'une Monarchie, institution unanimement respectée en Thaïlande, contribue d'une manière importante au maintien de la cohésion nationale et la stabilité du pays. Une nouvelle constitution, adoptée en 1997, s'est donné pour objectif un affermissement de la démocratie et un assainissement de la vie politique, dont certains observateurs notent qu'elle est trop souvent caractérisée, comme ailleurs en Asie, par le clientélisme et une profonde collusion entre le pouvoir et les affaires. La coalition gouvernementale, quoique très hétéroclite, a réussi à maintenir sa cohésion et repousser une motion de censure déposée en décembre 1999.

B - Les relations franco-thaïlandaises.

Les relations franco-thaïlandaises se sont améliorées ces derniers mois. Une mauvaise querelle tendant à accuser la France d'être à l'origine de mesures jugées protectionnistes à l'égard de produits agricoles thaïlandais, dont plus spécifiquement les crevettes, les fleurs et les fruits en boîte, avait conduit au boycottage des produits français en Thaïlande à la fin de l'année 1998. La situation s'est rétablie depuis lors, comme en témoignent les récentes et nombreuses visites bilatérales ministérielles entre les deux pays, notamment celle du Secrétaire d'Etat français au commerce extérieur à Bangkok en février 1999. M. Jacques Dondoux était accompagné de représentants de grandes entreprises françaises, parmi lesquelles Accor, Aérospatiale, Alcatel, EDF, France-Télécom et Thomson CSF.

Malgré la crise, la Thaïlande est perçue aujourd'hui comme «le bon risque en Asie» par les entreprises françaises. Le stock des investissements français est en augmentation et représentait en 1999 3,5 % des investissements étrangers en Thaïlande contre 2,5 % en 1998. L'accélération du programme de privatisations qui devraient prochainement concerner la Thaï Airways international, la Telephone authority of Thaïland et l'Electricity generating authority of Thaïland devrait être susceptible d'intéresser des partenaires français.

La communauté française en Thaïlande comprend 3 500 personnes, pour l'essentiel des salariés expatriés. Ce chiffre fait de cette communauté l'une des plus importantes d'Asie, après le Japon et à égalité avec Hong-Kong.

Notons enfin, pour nous en réjouir, qu'une maison d'édition de Bangkok a publié en novembre 1999, pour la première fois en thaïlandais, sept romans de Balzac à l'occasion du bicentenaire de la naissance de l'écrivain. La traduction de ces romans - le Père Goriot, Eugénie Grandet, La femme de trente ans, La peau de chagrin, Le colonel Chabert, Sarrazine et La femme abandonnée - a été assurée par une équipe de professeurs de l'université de Chalongkorn, l'une des plus réputées de Thaïlande. Cette première édition - tirée au total à 3 000 exemplaires - devrait toutefois rester assez confidentielle et limitée aux milieux universitaires, comme l'ensemble de la littérature française et étrangère en Thaïlande.

II - LE CONTENU DE LA CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE

Une convention d'entraide judiciaire a pour objet de poser un principe de coopération et d'établir une procédure précise afin d'accélérer le traitement des demandes. En l'absence de convention, la suite donnée aux demandes d'entraide judiciaire est appréciée au cas par cas et laissée à la discrétion des gouvernements.

· Le champ d'application de l'obligation d'entraide judiciaire est défini à l'article premier de la convention. Elle s'applique entre les parties de manière la plus large possible, en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites d'infractions pénales dont la sanction relève de la compétence de leurs autorités judiciaires respectives, au moment où la demande est formulée. Des exemples d'assistance sont énumérés dans l'article premier : recueil de témoignage et de dépositions ; remises d'actes et de documents, de dossiers et d'éléments de preuves ; exécution de demandes de perquisition et de saisie ; transfèrement de détenus aux fins de témoignage ; identification et localisation de personnes ; assistance dans les procédures de recherche, de saisie et de confiscation des produits et des instruments d'activité criminelle. Cette liste, et le Ministre a souligné devant le Sénat qu'il s'agissait là d'une concession au système juridique de la common law, n'est pas exhaustive.

L'obligation d'entraide judiciaire n'est pas soumise à une double incrimination puisque l'article premier précise qu'elle «sera accordée sans qu'il soit exigé que les faits soient considérés comme une infraction dans la législation de la partie requise».

Les conditions dans lesquelles s'exerce l'entraide judiciaire sont précisées dans les articles suivants.

Les demandes d'entraide judiciaire sont transmises entre autorités centrales désignées dans la convention, c'est-à-dire pour la France, le Ministère de la justice, et pour la Thaïlande, le Procureur général ou une personne désignée par lui. Les autorités centrales adressent ensuite ces demandes à leurs autorités compétentes.

L'entraide ne peut être refusée, conformément aux stipulations de la convention européenne, que pour des considérations fondées sur des atteintes à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de la partie requise ; le refus est également de droit lorsque la demande se rapporte à une infraction politique. Il est prévu également à l'article 4 que l'exécution d'une demande peut être différée lorsqu'elle interfère avec une procédure en cours dans la partie requise.

Tout refus d'entraide doit être motivé et notifié à la Partie requérante qui doit être également consultée sur les conditions dans lesquelles la demande pourrait être finalement acceptée (article 4).

Les demandes doivent être écrites et comporter un certain nombre de renseignements utiles à l'exécution de la demande qui sont précisés à l'article 5 de la convention. Leur exécution est effectuée dans les conditions prévue par la législation de la partie requise ou compatible avec cette législation si une forme particulière d'exécution est demandée (article 6).

Les règles de confidentialité et de spécialité des demandes, des informations et des éléments de preuve sont conformes à la convention européenne. L'article 8 de la présente convention rappelle notamment que toutes ces données ne peuvent être utilisées à d'autres fins que celles énoncées dans la demande, sans le consentement préalable de la partie requise.

Plus originale est la disposition qui contraint, selon la législation de la partie requise, les personnes appelées à témoigner, à déposer ou à produire des documents sur le territoire de la Partie requise (article 9). Les citations à comparaître doivent être adressées cinquante jours au moins avant la date de comparution (article 10). En tout état de cause, toute personne qui ne se conforme pas à un acte de procédure qui lui est remis par la partie requise ne peut être passible d'aucune mesure de contrainte en vertu de la législation de la partie requérante (article 10).

Les conditions prévues de transfèrement aux fins de témoignage de personnes détenues sont identiques aux dispositions de la convention européenne. Ce transfèrement est notamment soumis au consentement de la partie requise et à celui de la personne détenue (article 13).

L'immunité fixée par l'article 15 de la convention est générale pour les témoins et experts qui comparaissent devant les autorités compétentes de la partie requérante. Elle est soumise en revanche pour les personnes poursuivies, en ce qui concerne les faits non visés par la demande, aux limites de la loi de la partie requérante. Voilà pourquoi, en l'absence d'une telle immunité, la partie requise dispose de la faculté de refuser la remise de la citation (article 15).

Les demandes tendant à la recherche et à la saisie d'instruments et de produits d'une infraction sont exécutées en fonction de la législation de la partie requise (article 16).

Est enfin prévu (article 19) le cas où l'une des parties compétentes souhaiterait que l'instance pénale soit effectuée par l'autre partie, dans l'hypothèse où celle-ci serait également compétente : dans ce cadre, l'autorité centrale de la partie requérante communique officiellement à l'autorité centrale de la partie requise les éléments se rapportant à l'infraction. Cette dernière saisit alors les autorités compétentes, qui rendent leur décision conformément aux lois de leur pays.

CONCLUSION

Cette convention devrait permettre de faciliter le déroulement des enquêtes et des procédures d'instruction entre la France et la Thaïlande. Elle contribue également à renforcer les relations entre ces deux pays, ce qu'il convient d'encourager en raison de l'importance accrue de la Thaïlande en Asie du Sud-est. Voilà pourquoi, au bénéfice de ces observations, votre Rapporteur vous convie à adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 26 janvier 2000.

Après l'exposé du Rapporteur, Mme Bernadette Isaac-Sibille a demandé des précisions sur la notion de transfèrement. Elle s'est par ailleurs inquiétée des conditions de détention en Thaïlande et aurait souhaité que la convention introduise la notion des droits de l'Homme.

Le Président Jack Lang a précisé que le terme de "transfèrement" était le terme consacré pour désigner l'action de transférer un prévenu, un prisonnier d'un lieu de détention à un autre.

M. Roland Blum a souligné que cette convention portait sur une entraide judiciaire en matière pénale et que son objet ne comprenait pas l'amélioration des conditions de détention en Thaïlande.

M. Pierre Brana a reconnu que les conditions de détention en Thaïlande étaient particulièrement dures mais a estimé que ce problème ne relevait pas de la présente convention et devait être réglé dans le cadre de la souveraineté de la Thaïlande.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n°1658).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1658).


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