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le 25 février 2000

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N° 2190

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 février 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR :

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du protocole, établi sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relatif à l'interprétation, par la Cour de justice des Communautés européennes, de la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale,

PAR M. PAUL DHAILLE,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 384, 385 (1998-1999), 12 et T.A. 23, 24 (1999-2000)

Assemblée nationale : 1932, 1933

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - VERS UNE SÉCURITÉ JURIDIQUE ACCRUE : L'ÉDICTION D'UNE COMPÉTENCE DIRECTE EXCLUSIVE EN MATIÈRE MATRIMONIALE 7

A - LES CONSÉQUENCES DE L'ABSENCE DE COORDINATION
EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE MATRIMONIAL
7

B - UNE LONGUE NÉGOCIATION... 9

C - ...QUI ABOUTIT À UN TEXTE « DE TRANSITION » 9

1) Le champ d'application limité de la convention 10

2) L'édiction d'un principe de compétence directe assorti de critères
multiples 11

II - LES AUTRES ACQUIS DE LA CONVENTION DE BRUXELLES II 15

A - LA RECONNAISSANCE ET L'EXÉCUTION COORDONNÉES
DES DÉCISIONS DE JUSTICE DANS L'UNION
15

B - LA GARANTIE D'UNE INTERPRÉTATION UNIFORME DE LA
CONVENTION DANS LES ETATS MEMBRES
16

1) L'interprétation à titre préjudiciel 16

2) Le recours consultatif 16

III - LES CONSÉQUENCES DE LA COMMUNAUTARISATION DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE CIVILE RÉALISÉE PAR LE TRAITÉ D'AMSTERDAM 17

CONCLUSION 21

EXAMEN EN COMMISSION 23

Mesdames, Messieurs,

Lors de sa session des 28 et 29 mai 1999, le Conseil de l'Union européenne, dans sa formation « Justice-Affaires intérieures », a établi la convention sur la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale ainsi que le protocole conférant à la Cour de justice des Communautés européennes la compétence pour interpréter cette convention.

Votre Rapporteur rappellera que le Traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, avait inscrit la coopération judiciaire en matière civile parmi les questions considérées comme d'intérêt commun aux Etats membres afin de réaliser les objectifs de l'Union. L'article K.3 du traité conférait en effet aux Quinze de nouveaux moyens juridiques - l'établissement de conventions - pour coordonner les règles de compétence judiciaire internationale, ainsi que les règles de reconnaissance et d'exécution des jugements, tant d'ailleurs dans le domaine civil que dans le domaine pénal.

Les travaux sur le projet de convention ont été engagés à la suite du Conseil européen de Bruxelles réuni en décembre 1993, peu après l'entrée en vigueur du Traité de Maastricht. La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 avait organisé la reconnaissance des jugements et leur exécution en matière civile et commerciale : le Conseil européen a demandé que ces règles de reconnaissance soient étendues aux matières familiales, voire successorales.

La présente convention constitue donc une étape importante dans l'élaboration, lente et difficile, de l'espace judiciaire européen, dont chacun reconnaît la nécessité, étant donné le caractère d'extranéité de nombreux actes et comportements de la vie quotidienne des citoyens européens, vie professionnelle, industrielle ou commerciale, mais aussi et au premier plan, la vie privée. Le présent texte apparaît donc extrêmement utile, dans la mesure où l'absence de règles communes et la coexistence de règles nationales très différentes (tant sur le fond qu'en ce qui concerne les procédures), rend difficile, longue et donc coûteuse, l'élaboration de solutions juridiques en cas de divorce ou de séparation. Ces événements donnent lieu à des procédures parfois inextricables dont les enfants sont souvent les victimes.

Avant d'aborder l'analyse de la convention, votre Rapporteur mentionnera que l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le 1er mai dernier, a eu des répercussions sur les questions traitées par la convention : la coopération judiciaire civile a en effet été transférée de la partie intergouvernementale à la partie communautaire des traités, ce qui permet à la Commission européenne de présenter des initiatives soumises à la procédure d'adoption communautaire.

De fait, une proposition de règlement reprenant, avec certaines adaptations, les stipulations de la convention, a été présentée par la Commission au Conseil de l'Union le 7 juin 1999. Le même texte est donc soumis à deux procédures d'adoption concurrentes : la convention initiale soumise à la ratification des Quinze, et la proposition de règlement, à présent négociée par le groupe de travail compétent, qui doit être adoptée à l'unanimité par le Conseil.

I - VERS UNE SÉCURITÉ JURIDIQUE ACCRUE : L'ÉDICTION D'UNE COMPÉTENCE DIRECTE EXCLUSIVE
EN MATIÈRE MATRIMONIALE

A - Les conséquences de l'absence de coordination européenne dans le domaine matrimonial

La présente convention se place en quelque sorte dans la lignée de la première convention de Bruxelles, dite « Bruxelles I », signée le 27 septembre 1968 sur la base de l'article 220 du Traité de Rome. En vertu de cette disposition toujours en vigueur, les Etats membres engagent entre eux des négociations « en vue d'assurer ... la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproque des décisions judiciaires ainsi que des sentences arbitrales ».

Cette première convention négociée en marge du cadre communautaire a un champ d'application limité : elle s'applique en matière civile et commerciale, dans le domaine des relations patrimoniales résultant d'obligations contractuelles ou extra-contractuelles. Les matières ayant trait au droit de la famille en sont expressément exclues, ainsi que l'état et la capacité des personnes physiques, les testaments et les successions.

Le fait pour les citoyens européens de voir le champ de leurs activités économiques et professionnelles étendu à l'espace de libre circulation communautaire a entraîné une augmentation importante des mariages entre ressortissants communautaires de nationalité différente. Mais en cas de désunion ou de remariage avec un conjoint européen, plusieurs juges peuvent être saisis de façon concurrente et des décisions de justice contradictoires peuvent être rendues. Il importe donc que les citoyens européens puissent savoir, grâce à des règles harmonisées, à quel juge s'adresser pour le règlement des conflits qui les touchent.

Les cas de conflit entre les décisions rendues par deux juridictions de pays différents, concernant par exemple l'exercice de l'autorité parentale sur les enfants du couple, sont nombreux. Dans les cas connus qui concernent un national, chaque parent français dispose d'une décision de justice en sa faveur, qui n'est pas reconnue au delà de la frontière. Si le parent en question n'a pas son enfant avec lui, il connaît les plus grandes difficultés à faire valoir ses droits.

Ces difficultés conduisent parfois l'un des parents à enlever son ou ses enfants : c'est le cas de la « soustraction internationale d'enfants », dans lequel un parent veut échapper à l'exécution de la décision rendue dans l'Etat de résidence habituelle et espère obtenir de son juge national une décision plus favorable. Notre pays connaît de nombreux cas de déplacements illicites d'enfants, dont les plus nombreux concernent l'Allemagne, les Etats-Unis, le Maroc, l'Algérie et le Royaume-Uni. Les Etats tentent de résoudre ces conflits sur la base des dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et la Convention de Luxembourg du 20 mai 1980 sur la reconnaissance des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants. La France est par ailleurs liée au Portugal par une convention bilatérale du 20 juillet 1983. Le recours à ces différents textes ne permet hélas pas toujours, loin de là, de régler les litiges.

Cinq conventions, dont quatre ont été signées dans une enceinte internationale et une sous l'égide du Conseil de l'Europe, interviennent dans le domaine que nous étudions. Cependant, il semble que ces instruments ne prennent en considération qu'un aspect des problèmes qui se posent, ou bien qu'ils ne permettent pas, en pratique, la solution des conflits de compétence.

Ainsi, la Convention de La Haye de 1961, ratifiée par huit Etats membres de l'Union seulement, dont la France, donne une compétence concurrente au juge de la nationalité et de la résidence de l'enfant pour statuer sur sa garde ; elle ne prévoit pas, en outre, de règlement de conflit positif de compétences. La Convention élaborée par la Commission internationale de l'état civil (CIEC) en 1967 n'a été ratifiée que par deux pays et, étant très spécialisée, n'apporte aucune amélioration sur les deux points mentionnés ci-dessus.

La Convention de La Haye de 1970 sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps, en vigueur entre huit Etats de l'Union, a un champ d'application réduit, n'incluant pas l'annulation du mariage ou les demandes accessoires, et ne comporte pas non plus de règle de compétence directe. La France n'a d'ailleurs pas ratifié ce texte jugé inacceptable au regard de notre droit national. Un champ d'application trop restrictif est également le défaut majeur de la convention du Conseil de l'Europe de 1980, qui met en place un régime lourd d'exécution internationale des seules décisions sur l'autorité parentale. Enfin, la Convention de La Haye de 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, que la France n'a pas signée, ne traite donc pas du divorce mais de la seule autorité parentale, et n'est pas encore entrée en vigueur.

Ce tableau des instruments existants permet d'en constater les lacunes et le caractère parcellaire, et donc d'apprécier l'utilité d'une convention plus complète, même si elle ne l'est pas autant que notre pays l'a souhaité tout au long des négociations. C'est en effet la France et l'Espagne qui ont longuement « plaidé » pour que la question de la résidence des enfants soit incluse dans le champ d'application de la convention, face à des Etats membres réticents à « étoffer » quelque peu ce projet de l'Union.

B - Une longue négociation...

La négociation de la convention s'est déroulée dans le cadre intergouvernemental du « troisième pilier » du Traité sur l'Union européenne : l'exigence de l'unanimité pour la décision explique en partie la lenteur de cette négociation, qui a duré presque cinq années. Cette négociation a parfaitement illustré la lenteur des progrès de la coopération judiciaire civile instaurée par le Traité de Maastricht. Le résultat de la négociation témoigne quant à lui de la difficulté à élaborer un instrument original et ambitieux, car la nécessité d'obtenir un compromis conduit souvent à des dispositions complexes permettant de multiples variantes qui correspondent aux notions en vigueur dans les différents Etats membres.

La négociation a longtemps « piétiné » du fait surtout de la division des Etats.

Les uns souhaitaient créer un système procédural européen ambitieux en se démarquant des négociations poursuivies à La Haye au même moment pour l'élaboration de la convention concernant la responsabilité parentale et les mesures de protection des enfants, signée en 1996 mais non encore ratifiée par notre pays. Ces Etats, parmi lesquels la France, considèrent qu'il convient d'élaborer, à court ou moyen terme, un système qui entrera en vigueur pour tous les pays européens, y compris ceux de l'Europe centrale et orientale, qui vont rapprocher leurs législations en prévision de leur adhésion. Sur un plan général, la cohérence européenne des systèmes procéduraux est en effet un enjeu très important de l'évolution du droit, qui doit accompagner l'instauration de l'espace économique et politique européen.

Les autres Etats, tenants du droit anglo-saxon, considéraient qu'il est préférable de garder un lien fort entre les travaux européens et la Conférence de La Haye, manifestant un certain esprit atlantiste plus attaché à la mondialisation du droit qu'à l'émergence d'un système juridique européen. La négociation a, en ce sens, reflété un débat classique entre deux conceptions de la construction européenne.

C - ...qui aboutit à un texte « de transition »

Le Conseil de l'Union a finalement abouti à un consensus lors de sa session des 28 et 29 mars. La Commission européenne et le Parlement européen avaient été associés aux travaux. Un protocole, adopté le même jour, soumet la convention à l'interprétation uniforme de la Cour de justice des Communautés européennes.

L'un des traits fondamentaux de la convention réside dans sa nature « double » : elle fixe à la fois des règles de compétence directe et des règles de reconnaissance et d'exécution. Il s'agit donc d'un système général dans lequel une décision prise par une juridiction d'un Etat membre est susceptible d'être reconnue et exécutée dans tous les autres suivant une procédure simplifiée.

L'établissement d'une telle convention « double » présuppose donc l'existence d'un principe fondamental de confiance réciproque entre les systèmes juridiques et judiciaires des Etats. Le fait que la juridiction d'un autre Etat aurait pris une décision autre sur le fond ne peut entraîner un refus de reconnaissance ou une révision au fond. Ceci explique aussi les réticences des Etats membres au cours de la négociation et le caractère limité, à certains égards, de la convention, que d'aucuns auraient souhaité plus ambitieuse et plus complète.

1) Le champ d'application limité de la convention

La convention s'applique à deux types de procédures civiles :

- les procédures judiciaires relatives à la dissolution du lien matrimonial résultant du divorce, de la séparation de corps ou de l'annulation du mariage, mais aussi les procédures administratives applicables dans certains pays comme le Danemark et la Finlande. Mais les questions portant sur la faute des époux, les régimes matrimoniaux ne sont pas abordées. Les questions pécuniaires telle l'obligation alimentaire restent soumises aux dispositions de la convention de « Bruxelles I ». Les mesures accessoires comme le droit au nom n'entrent pas dans le champ d'application. Enfin, la médiation, comme moyen de résoudre les conflits familiaux n'est pas envisagée.

- les procédures relatives à la responsabilité parentale à l'égard des enfants communs des époux. La responsabilité parentale ne peut faire l'objet d'une décision que de façon liée à une demande de divorce ou de séparation : si une demande portait uniquement sur la garde des enfants, le demandeur devrait avoir recours aux mécanismes de la Convention de La Haye de 1996, dont on a vu que la France ne l'a pas encore ratifiée. En outre, le champ de la présente convention exclut les éventuels autres enfants nés d'une autre union de l'un des deux parents : là encore, c'est la Convention de La Haye qui est applicable.

On soulignera enfin que les problèmes qui affectent les familles naturelles ne sont pas pris en compte par la convention, or les concubins se heurtent à des difficultés semblables.

2) L'édiction d'un principe de compétence directe assorti de critères multiples

Les articles 2 et 3 de la convention fixent des règles obligatoires de compétence internationale qui s'imposent dès l'instance d'origine et se substituent aux règles nationales actuelles, sauf pour les litiges dits « extracommunautaires ». Il s'agit de critères alternatifs et non hiérarchisés, qui écartent les critères exorbitants qui figurent dans les droits nationaux, ainsi par exemple dans les articles 14 et 15 du Code civil, et qui font prévaloir la nationalité du demandeur.

La convention distingue les critères de compétence pour statuer sur le lien matrimonial, d'une part, et les critères pour statuer sur l'exercice de l'autorité parentale, d'autre part.

· En ce qui concerne la compétence pour statuer sur le lien matrimonial, elle est tout d'abord fondée sur la résidence habituelle des époux. Cette première règle admet des variantes parmi lesquelles le demandeur peut choisir : ce peut être le lieu de dernière résidence habituelle des époux si l'un d'eux y réside encore, la résidence habituelle du défendeur, en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l'un ou l'autre des époux, la résidence habituelle du demandeur s'il s'y trouve depuis au moins une année, enfin, la résidence habituelle du demandeur même s'il n'y réside que depuis six mois, lorsqu'il est ressortissant de l'Etat membre en question ou s'il y a son domicile.

La notion de résidence a été définie à plusieurs reprises par la Cour de justice des Communautés européennes comme étant le lieu où l'intéressé a fixé de façon stable le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Tous les éléments de fait qui constituent cette résidence sont pris en compte.

Deux critères ont encore été prévus, parmi lesquels les Etats membres devront choisir. Lorsque les deux époux ont la même nationalité, l'un d'eux peut se rendre dans leur Etat d'origine pour y introduire la demande, même s'ils n'y résident plus. Enfin, peut être retenu le critère du « domicile commun » au sens du droit britannique et irlandais : les législations de ces deux pays visent à ce que toute personne ait un domicile, fixé à la naissance et conservé même en cas de résidence à l'étranger, et n'en ait qu'un seul à tout moment.

· La détermination de la compétence pour la responsabilité parentale suit le principe suivant : l'Etat membre où une demande concernant le lien matrimonial a été introduite est compétent pour examiner les questions de responsabilité parentale, à condition que l'enfant ait sa résidence dans cet Etat.

Si ce n'est pas le cas, il a cependant été prévu, pour que les juridictions d'un même Etat statuent, autant qu'il est possible, sur les deux aspects du conflit, que le tribunal du divorce sera également compétent si, cumulativement, l'un des époux exerce la responsabilité parentale à l'égard de cet enfant et si la compétence de cette juridiction a été acceptée par les deux époux et si elle est dans l'intérieur supérieur de l'enfant.

Cette compétence du juge du divorce sur la responsabilité parentale est limitée dans le temps, prenant fin lorsque la décision sur le lien matrimonial est passée en force de chose jugée. En conséquence, si un conflit sur la garde des enfants survient ultérieurement, la compétence n'est plus harmonisée, et le parent français pourra saisir le juge français, avec toutes les conséquences difficiles de non reconnaissance de la décision à l'étranger que nous avons déjà décrites.

· Enfin, dans le cas de l'enlèvement international d'enfants, la convention fait un renvoi au système de compétence organisé par la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants. Sans décrire ce système, on précisera qu'il fait aussi prévaloir, en principe, la compétence de l'autorité judiciaire de l'Etat de résidence habituelle de l'enfant. Néanmoins, l'application de ce principe est souvent faussée par l'évocation systématique de motifs qui justifient le non retour de l'enfant (ainsi par exemple l'existence d'un risque grave pour l'enfant en cas de retour). Le juge de l'Etat refuge a ainsi tendance, par le biais de l'appréciation de ce risque, à se réapproprier la connaissance du fond et à vider la convention de sa substance : c'est le cas souvent pour les juges allemands qui ne renvoient pas les enfants vers le parent français.

Chacun connaissant le mauvais fonctionnement de cette convention, l'on peut donc regretter que la négociation de la convention de Bruxelles n'ait pas été l'occasion d'harmoniser au plan européen la procédure applicable à ces cas.

La convention, en instituant une juridiction compétente unique, doit permettre d'éviter des décisions de justice contradictoires. Elle doit en outre dissuader de faire du forum shopping, c'est à dire de rechercher le juge compétent le plus favorable. Cependant, l'on peut se demander si le système prévu, admettant sept critères différents pour choisir le tribunal compétent, sera suffisamment efficace à cet égard.

Les négociateurs de la convention justifient cet éventail de possibilités par une nécessaire flexibilité, qui permettra à la personne qui veut introduire une demande de trouver la solution la plus simple et la plus proche. Ils font aussi valoir que les règles de litispendance prévues compenseront les éventuels inconvénients. On rappellera qu'en vertu de la litispendance, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont présentées devant des juridictions d'Etats différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer, jusqu'à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit bien établie. Cette règle a ici été étendue aux demandes qui n'auraient pas le même objet ni la même cause, comme par exemple une demande d'annulation présentée dans un Etat par un époux et une demande de divorce présentée par l'autre époux dans un autre Etat.

La rédaction finalement retenue illustre les difficultés du compromis entre les systèmes procéduraux de quinze Etats : fixer un ou deux critères aurait été impossible. Elle reflète aussi sans doute les situations très différentes dans lesquelles se trouvent les couples binationaux et leurs familles.

Par ailleurs, on regrettera que le champ d'application de la convention n'ait pas été élargi à d'autres questions liées à la dissolution du lien matrimonial, malgré les efforts des négociateurs français favorables à un instrument le plus complet possible. Enfin, on observera que les conditions requises pour établir la compétence sur la responsabilité parentale sont très strictes.

II - LES AUTRES ACQUIS DE LA
CONVENTION DE BRUXELLES II

A - La reconnaissance et l'exécution coordonnées des décisions de justice dans l'Union

Le principe est posé d'une reconnaissance automatique et directe d'une décision de justice rendue dans un Etat membre par les autorités d'un autre Etat membre. Aucune procédure ne sera exigée pour la mise à jour des actes d'état-civil dans un Etat membre alors qu'une décision de divorce, par exemple, a été rendue dans un autre Etat membre. La convention instaure ainsi la libre circulation des jugements dans l'Union.

Des motifs de non reconnaissance peuvent être soulevés ; ils sont cependant limités par la convention : ainsi par exemple, la décision ne sera pas reconnue dans l'Etat membre requis si elle est manifestement contraire à l'ordre public. De même, il n'y aura pas de reconnaissance si :

- les droits de la défense n'ont pas été respectés,

- la reconnaissance serait inconciliable avec une décision rendue par une autorité de l'Etat requis ou elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre Etat membre ou dans un Etat tiers.

Des garanties supplémentaires sont prévues lorsqu'il s'agit de la reconnaissance d'une décision quant à la responsabilité parentale. La reconnaissance peut alors aussi être refusée si la décision est contraire à l'ordre public eu égard aux intérêts supérieurs de l'enfant, si l'enfant ou si l'un des parents n'a pu être entendu au cours de la procédure.

Un point essentiel réside dans le fait que le droit national différent d'un Etat membre, qui n'admet pas le divorce, par exemple, ne pourrait autoriser cet Etat à refuser la reconnaissance ou l'exécution d'une décision. L'ordre public ne peut être invoqué en ce cas.

L'exécution d'une décision de justice, qui concerne en pratique la responsabilité parentale, a lieu selon une procédure harmonisée simple et rapide. L'article 20 de la convention stipule que les décisions sont exécutées dans un autre Etat membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de l'une des parties auprès de l'une des juridictions énumérées par la convention. En France, la requête doit être présentée au président du Tribunal de grande instance. Un recours contre une décision d'exécution ou de rejet devrait être porté devant la Cour d'appel.

B - La garantie d'une interprétation uniforme de la convention dans les Etats membres

Un protocole, également soumis au Parlement pour ratification, a été établi au même moment que la convention. Son contenu est devenu « classique » eu égard aux protocoles accompagnant les précédentes conventions conclues dans le cadre du troisième plier du traité de Maastricht, comme la convention de 1997 sur la signification et la notification des actes ou la convention Europol de 1998.

On soulignera que la convention de « Bruxelles I » avait également été dotée d'un protocole conférant à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) une compétence d'interprétation. Ce protocole, dit de Luxembourg, avait été adopté le 3 juin 1971 et avait contribué au développement uniforme et cohérent des jurisprudences rendues par les juridictions des Etats membres sur la base de la convention.

1) L'interprétation à titre préjudiciel

Comme pour les autres négociations antérieures, le compromis entre les Etats membres n'a pu être obtenu qu'en ouvrant à ceux-ci deux possibilités pour la saisine de la Cour. La saisine de la Cour peut être faite par toutes les juridictions nationales lorsque celles-ci statuent en appel, ou bien elle peut être réservée aux plus hautes juridictions, dont les décisions ne sont pas susceptibles d'appel (en France, la Cour de cassation et le Conseil d'Etat). C'est le premier système qui a été retenu par la France sur le modèle du système de saisine fixé pour l'interprétation de la Convention "Bruxelles I". Toutes les cours d'appel, ainsi que les juridictions suprêmes, pourront saisir la CJCE en vue de l'interprétation d'une disposition de la convention à titre préjudiciel.

Dans le premier cas, la saisine ne sera que facultative, alors que dans le second cas, elle sera obligatoire pour la haute juridiction confrontée à un problème d'interprétation.

2) Le recours consultatif

Le recours consultatif peut être utilisé par les procureurs généraux près les cours de cassation des Etats membres. Mais il peut être ouvert beaucoup plus largement à tous les magistrats si un Etat le souhaite. Le magistrat sollicite ainsi l'avis de la Cour en cas de décisions divergentes ou contradictoires intervenues entre juridictions, ou entre la Cour de justice et une juridiction nationale.

Le protocole entrera en vigueur après que le troisième Etat membre aura déposé ses instruments de ratification.

III - LES CONSÉQUENCES DE LA COMMUNAUTARISATION DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE CIVILE RÉALISÉE PAR LE TRAITÉ D'AMSTERDAM

Le Traité d'Amsterdam a transféré les "mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire en matière civile" dans le pilier communautaire des traités européens, ce qui entraîne un changement de la nature juridique des actes qui seront adoptés dans ces domaines : il ne s'agit plus de conventions mais des directives et règlements classiques de la construction communautaire. Ces domaines sont à présent soumis à la procédure d'adoption mentionnée à l'article 67 § 1 du Titre IV du traité instituant la Communauté européenne selon laquelle "Pendant une période transitoire de cinq ans, le Conseil statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre et après consultation du Parlement européen".

Ainsi qu'elle l'avait annoncé dès avant la conclusion du Traité d'Amsterdam, la Commission européenne a présenté, le 14 mai 1999, une proposition de règlement reprenant les dispositions de la convention de Bruxelles II. La proposition comporte cependant des différences, qui ont été analysées par M. Alain Barrau, Rapporteur d'information de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, dans son rapport périodique sur les propositions d'actes communautaires soumises au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution.1

Votre Rapporteur mentionnera brièvement ces différences, qui relèvent soit de l'adaptation à la nouvelle nature de l'acte - le règlement, soit de la prise en compte de la mise à jour de la Convention de « Bruxelles I », qui vient également d'être reprise dans un règlement.

La première différence entre les deux textes concerne le protocole relatif à la compétence et au rôle de la Cour de justice : le règlement supprime ces dispositions qui n'ont plus lieu d'être, la Cour étant naturellement compétente en vertu des articles 220 et 68 du traité instituant la Communauté européenne.

La deuxième différence est formelle : les réserves sous forme de déclaration faites par l'Irlande, l'Italie et les pays nordiques sont prises en compte par la proposition de règlement dans deux articles qui précisent le régime applicable à ces pays. (Ainsi les pays nordiques sont liés depuis 1931 par une convention intervenant dans ces domaines : le jeu de cette convention sera analysé comme une coopération restreinte de l'article K.7 du traité, si elle n'est pas incompatible avec le règlement communautaire.)

La troisième différence est la plus importante. L'article 43 de la convention permet aux Etats membres de signer des accords bilatéraux avec des Etats tiers, en vertu desquels un tribunal français, par exemple, ne reconnaîtrait pas une décision rendue par un tribunal d'un Etat de l'Union concernant un ressortissant du pays tiers avec lequel la France est ainsi liée. Le jeu des compétences exorbitantes, liées à la nationalité, inscrites dans les articles 14 et 15 du Code civil s'exerce alors. La France a négocié une telle convention bilatérale avec le Canada.

Le passage au règlement supprime la possibilité pour les Etats de négocier de tels accords bilatéraux. On rappellera que la jurisprudence AETR de la Cour de justice (arrêt du 31 mars 1971) prévoit que lorsque la Communauté s'est dotée de règles communes dans un domaine communautaire donné, les Etats membres ne peuvent plus prendre d'engagements avec les pays tiers dans ces domaines. Il appartiendrait donc à la Commission européenne de négocier les accords avec les pays tiers, et aussi de négocier à la place des Quinze à la Conférence internationale de La Haye, lorsque des questions touchées par les règlements « Bruxelles I » ou « Bruxelles II » seraient abordées.

Si la négociation du règlement au sein du groupe de travail a tout d'abord progressé assez rapidement, dans la mesure où il s'agissait de reprendre l'équilibre instauré par la convention, un blocage est cependant apparu sur la dernière question, qui pose un problème politique important et à caractère « transversal », qui est celui de la compétence externe de la Communauté. Le même problème est d'ailleurs posé pour le règlement transposant « Bruxelles I ».

Une majorité d'Etats membres serait opposée à la suppression de la faculté préservée par l'article 43 de la convention, le Royaume-Uni y étant probablement le plus hostile. Notre pays n'aurait pas encore déterminé sa position.

Un autre point de désaccord subsisterait, concernant la date d'entrée en vigueur du règlement ; si les pays les plus « volontaristes », tels la France, souhaitent une date rapprochée : le 1er janvier 2001, d'autres, moins motivés par la perspective d'appliquer le système précis et obligatoire qui a été élaboré, souhaiteraient une date plus éloignée.

La proposition de règlement devrait être soumise au Conseil « Justice-Affaires intérieures » tenu sous Présidence portugaise le 23 mars prochain. Son adoption est possible, mais l'on ne peut savoir si l'hypothèque à caractère politique que nous avons soulignée sera levée.

Dans ce contexte encore incertain (on rappellera que l'unanimité est nécessaire), la procédure de ratification ne doit donc pas être abandonnée, même si l'entrée en vigueur d'un règlement communautaire paraît chose beaucoup plus rapide et plus simple.

Le Gouvernement a souhaité que la ratification de la convention intervienne dans le meilleur délai possible. La Ministre de la Justice, Mme Elisabeth Guigou, ainsi que son homologue allemand, ont en effet pris, dès octobre 1998, l'engagement de mener à bien rapidement le processus de ratification dans les deux pays. Si le processus touche à sa fin en France, il est toutefois moins avancé en Allemagne, où la convention doit être soumise à l'approbation des Länder avant le vote du Parlement. D'autres Etats membres ont engagé la procédure de ratification, mais aucun ne l'a achevée pour l'instant.

La convention pourrait en effet être appliquée assez rapidement, au moins entre la France et l'Allemagne, son article 47 permettant une application anticipée entre deux ou plusieurs pays ayant achevé la ratification. Or, les deux ministres ont annoncé, il y a déjà plusieurs mois, leur volonté d'utiliser cette faculté, afin de remédier rapidement aux conflits bilatéraux inextricables dans lesquels se trouvent certains couples franco-allemands.

CONCLUSION

Même si la Convention de « Bruxelles II » s'avère un texte de compromis moins complet et moins ambitieux que ne l'auraient souhaité nos négociateurs, il s'agit néanmoins d'un progrès incontestable dans la réalisation de l'espace judiciaire européen que les citoyens appellent de leurs v_ux.

Votre Rapporteur souhaite que les dispositions de la convention puissent entrer en vigueur rapidement, que ce soit sous la forme qui nous est soumise aujourd'hui ou sous la forme du règlement communautaire d'application directe entre les quinze Etats membres. Il est conscient qu'il appartiendra au Gouvernement de convaincre certains de ses partenaires réticents, afin que des actes concrets touchant la vie quotidienne des citoyens européens fassent suite aux déclarations faites par leurs représentants lors des Conseils européens, ainsi le Sommet extraordinaire de Tampere du mois de décembre dernier.

Il est en effet à craindre que certains Etats membres n'abordent la phase conduisant à l'entrée en vigueur qu'avec lenteur : lenteur classique des ratifications (aucune n'est encore intervenue), blocage au Conseil pour des motifs pas toujours directement liés au texte lui-même, report de la date d'entrée en application du règlement, par exemple.

Par ailleurs, les travaux dans le domaine du droit de la famille ne doivent pas s'arrêter avec l'élaboration de cet instrument : les régimes matrimoniaux pourraient être abordés, en lien avec la question du divorce. Il serait également souhaitable d'aborder la réflexion sur la loi applicable au divorce. Les lois nationales revêtant, sur le fond, des disparités très importantes, la question de la compétence devient cruciale, dans la mesure où chaque membre du couple a tendance à rechercher la loi la plus favorable.

Ces domaines appellent donc de nouvelles réflexions et de nouveaux progrès.

En conséquence, votre Rapporteur vous propose d'adopter les deux projets de loi soumis à l'examen de la Commission.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 23 février 2000.

Après l'exposé du Rapporteur, et suivant ses conclusions, la Commission a adopté les projets de loi (nos 1932 et 1933).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du protocole figure en annexe au projet de loi (n° 1932) ; le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1933).

1 Rapport d'information n°1869 déposé le 14 octobre 1999, pages 159 à 170.


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