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le 23 mai 2000

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N° 2369

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 mai 2000.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR :

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay,

PAR Mme MARTINE AURILLAC,

Députée

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 33, 34, 121 et T.A. 81, 82 (1999-2000)

Assemblée nationale : 2171, 2172

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Dominique Baudis, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Yves Dauge, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Georges Frêche, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. François Guillaume, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. André Labarrère, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. François Léotard, M. Pierre Lequiller, M. Alain Le Vern, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jean-Claude Mignon, M. Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle, M. Philippe de Villiers.

couverture :

Entraide judiciaire en matière pénale et extradition avec l'Uruguay

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LA NÉCESSITÉ DE RESSERRER LES LIENS ENTRE
LA FRANCE ET L'URUGUAY
7

A - UNE SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE STABILISÉE 7

1) Une démocratie bien ancrée 7

2) Une économie fragile 8

B - UNE RELATION AVEC LA FRANCE ANCIENNE MAIS DÉCLINANTE 8

1) Une sympathie traditionnelle à l'égard de la France 8

2) Des liens économiques encore trop ténus 9

II - LES CONVENTIONS EXAMINÉES S'INSCRIVENT DANS UN CONTEXTE DE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE INTERNATIONALE 11

A - L'IMAGE D'UNE AMÉRIQUE LATINE, TERRE D'IMPUNITÉ
CORRESPOND DE MOINS EN MOINS À LA RÉALITÉ
11

B - LA COOPÉRATION JUDICIAIRE SE DÉVELOPPE 12

III- LES STIPULATIONS DES DEUX CONVENTIONS D'ENTRAIDE
JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE ET D'EXTRADITION ENTRE
LA FRANCE ET L'URUGUAY
13

A - LA CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE
EST DE FACTURE CLASSIQUE
13

1) L'étendue de l'entraide 13

2) La nature de l'entraide 13

3) La procédure d'entraide 14

B - LA CONVENTION D'EXTRADITION MÉRITE UNE ATTENTION PARTICULIÈRE 14

1) Les stipulations classiques de la convention 15

2) Le problème de la non extradition des nationaux par l'Etat requis 16

CONCLUSION 18

EXAMEN EN COMMISSION 20

ANNEXE : lettre de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères 25

Mesdames, Messieurs,

L'affaire Pinochet ou les débats relatifs à la création de la Cour pénale internationale ont révélé une prise en compte croissante de la responsabilité pénale internationale des individus, principe qui peut s'opposer au primat traditionnel, en droit international, de la souveraineté des Etats. Pourtant, il existe depuis longtemps des moyens juridiques visant à concilier le primat de la souveraineté et la nécessité de lutter contre l'impunité : les conventions d'entraide judiciaire en matière pénale et d'extradition en font partie.

La France a conclu de telles conventions avec ses principaux partenaires, parfois depuis très longtemps. Mais, dans cette matière il est décisif de disposer d'un réseau conventionnel le plus étendu possible afin d'éviter que certains individus ne se soustraient à la justice française. Ainsi, la diplomatie française cherche à conclure de tels accords avec un nombre croissant de pays, et tout particulièrement en Amérique latine.

Les deux conventions que nous examinons aujourd'hui visent donc à organiser la coopération judiciaire en matière pénale et les possibilités d'extradition entre ce pays et la France. Elles peuvent également être un moyen de resserrer les liens entre la France et l'Uruguay.

I - LA NÉCESSITÉ DE RESSERRER LES LIENS ENTRE
LA FRANCE ET L'URUGUAY

A - Une situation politique et économique stabilisée

1) Une démocratie bien ancrée

Longtemps considéré comme un modèle en Amérique latine, du fait de la stabilité de ses institutions démocratiques depuis son indépendance en 1825, l'Uruguay n'a pas échappé à la vague de régimes militaires qui se sont imposés sur le sous-continent dans les années 1970. Ainsi, le pays a connu une dictature entre 1973 et 1985 qui s'est achevée par la remise volontaire du pouvoir détenu par les militaires à des civils démocratiquement élus lors d'élections libres organisées fin 1984.

Aujourd'hui, la démocratie est de nouveau solidement ancrée en Uruguay, d'autant que la gauche a été réellement intégrée à la scène politique et parlementaire. En effet, le pouvoir était traditionnellement monopolisé par deux formations de centre-droit, le parti « blanco », de tendance conservatrice, et le parti « colorado », marqué par l'anticléricalisme. Or, lors des élections de 1994, le parti de gauche « encuentro progressista » est arrivé au même niveau que les deux partis de centre-droit. Cette évolution du paysage politique fut en partie à l'origine d'une modification du mode de scrutin de l'élection présidentielle (passage de un à deux tours), réforme qui a contribué à réorganiser la vie politique sur une base classique droite-gauche. En effet, aux élections présidentielles des 31 octobre et 28 novembre 1999, le candidat de gauche Tabaré Vasquez est arrivé en tête avec 38,5 % des voix, devant Jorge Battle (parti Colorado), 31,3 % et Luis Alberto Lacalle (parti Blanco), 21,3 %. Pourtant c'est M. Battle qui a été élu, ayant pu compter sur un excellent report de voix des électeurs de M. Lacalle. De même au Parlement, la seule majorité possible est une coalition entre les deux partis traditionnels.

Comme c'est le cas en Argentine et au Chili, le retour de la démocratie en Uruguay s'est fait au prix de la renonciation à faire toute la vérité sur les crimes de la dictature. En 1986, une « loi de caducité » a été adoptée permettant au pouvoir civil de ne pas poursuivre, ni de punir les responsables de violation des droits de l'Homme sous la dictature. Cette loi a été confirmée par l'échec du référendum d'abrogation organisé sur ce thème en avril 1989. A ce propos, il est utile de préciser que l'entrée en vigueur des conventions que nous examinons aujourd'hui, et notamment de la convention d'extradition, ne rendront pas plus facile l'aboutissement des plaintes qui ont été formées en France à l'encontre de membres de la Junte au pouvoir entre 1973 et 1985 ayant participé au « plan Condor »1. En effet, l'extradition ne peut être prononcée que pour des infractions pénales poursuivies dans les deux pays signataires.

2) Une économie fragile

Les atouts traditionnels de la situation économique et sociale de l'Uruguay ont été ces dernières années plutôt des handicaps. Le système économique uruguayen était fondé sur un modèle social avancé, une place prépondérante du secteur public. Ainsi, les réformes structurelles nécessaires à l'entrée dans le Mercosur ont été difficiles et sont intervenues avec retard. Certains résultats ont pu être observés, comme la mise en route d'un programme de privatisation, le ralentissement de l'inflation (passée de 50 % en 1993 à 8,6 % aujourd'hui) ou la stabilisation du déficit public. En revanche, le chômage reste élevé, il concerne plus de 11 % de la population active, et l'indispensable réforme du secteur financier reste à faire.

L'intégration dans le Mercosur peut être un atout, dans la mesure où l'interdépendance économique entre l'Uruguay et ses voisins est forte ; or, du fait de sa petite taille par rapport à l'Argentine et au Brésil, l'Uruguay ne peut dissocier son développement de celui de ses puissants voisins. Ainsi, ces deux pays représentent 46 % des exportations et 43 % des importations de l'Uruguay. En revanche, l'intégration régionale a pénalisé certains secteurs de l'économie uruguayenne, moins compétitifs que leurs équivalents au Brésil ou en Argentine. De plus, l'Uruguay est ainsi encore plus dépendant de la conjoncture de ses voisins et a par exemple connu une récession (contraction du PIB de 1 %), suite à la crise brésilienne de l'été 1998 ayant entraîné la dévaluation du réal brésilien.

B - Une relation avec la France ancienne mais déclinante

1) Une sympathie traditionnelle à l'égard de la France

La France a eu traditionnellement en Uruguay une influence intellectuelle certaine. Les idéaux de la révolution française ont influencé les textes fondateurs de la démocratie uruguayenne : les « instructions » édictées par le général Artigas en 1813 et la Constitution de 1830. Par la suite, les Uruguayens d'origine française jouèrent un rôle important dans la défense de Montevideo lors de la guerre civile de 1839 à 1851, alors qu'à l'inverse de nombreux Uruguayens se sont engagés dans les forces françaises libres pendant la deuxième guerre mondiale.

Du fait d'un réel capital de sympathie, la France a eu une influence culturelle et intellectuelle importante, mais celle-ci est en fort recul, notamment la place de la langue française, qui n'est plus guère parlée que par certaines élites. Notons néanmoins que l'influence passée de la France reste perceptible dans certains domaines, et notamment dans le système judiciaire et juridique de l'Uruguay. Ainsi, le droit pénal de ce pays notamment est inspiré de la tradition juridique latine et plus particulièrement du droit français. Cette situation devait être soulignée car elle constitue un atout dans le cadre d'une plus grande coopération judiciaire.

2) Des liens économiques encore trop ténus

Comme dans presque tous les pays d'Amérique latine, la place commerciale de la France est très réduite. Cependant, en Uruguay la part de marché des exportations de la France est certes réduite (3,5 %), mais elle est bien supérieure à la part de la France dans les importations (1,3 %), révélant ainsi un excédent très important de 853 millions de francs en 1998. La France est en effet seulement le 12ème client mais le 4ème fournisseur de l'Uruguay. Pour autant, les bonnes relations commerciales entre les deux pays sont ternies par l'existence d'un désaccord sur les perspectives de libération du commerce international dans le domaine agricole. En effet, l'Uruguay fait partie du « groupe de Cairns », lequel demande une libéralisation totale des échanges agricoles et dénonce la politique agricole commune.

La présence des investisseurs français en Uruguay n'est pas négligeable, puisque le stock d'investissements français s'élève à 125 millions de dollars, ce qui fait de la France le troisième investisseur étranger, loin cependant derrière le Brésil et les Etats-Unis. La présence française peut se constater dans des secteurs divers, la banque (BNP, Crédit Lyonnais, Crédit Agricole), l'automobile (Citroën, Renault), la Chimie... Il faut souligner que c'est à un consortium organisé autour de Gaz de France qu'a été concédée la Compagnie du gaz de Montevideo, l'une des deux seules opérations achevées de privatisation. On peut ainsi estimer que les entreprises françaises seraient en bonne place dans l'hypothèse d'une accélération du programme de privatisation.

II - LES CONVENTIONS EXAMINÉES S'INSCRIVENT DANS UN CONTEXTE DE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE INTERNATIONALE

A - L'image d'une Amérique latine, terre d'impunité correspond de moins en moins à la réalité

Notre Assemblée est de plus en plus souvent saisie de projets de loi visant à autoriser l'approbation de conventions d'extradition ou d'entraide judiciaire entre la France et des pays d'Amérique latine. L'an dernier, le Parlement a autorisé l'approbation de telles conventions avec le Brésil et la Colombie. Le Gouvernement a par ailleurs déposé en février dernier sur le bureau du Sénat des projets de loi concernant de telles conventions avec le Paraguay.

Ce phénomène s'explique par deux séries de raisons. Tout d'abord, la France peut conclure des conventions dans le domaine judiciaire avec de nombreux pays d'Amérique latine dans la mesure où il n'existait pratiquement aucun accord de ce type entre l'un de ces pays et la France. Avant 1994, aucun pays d'Amérique latine n'avait ainsi conclu de convention de coopération en matière pénale avec la France, et seuls trois (le Pérou, l'Equateur et Cuba) disposaient d'une convention d'extradition avec la France, datant du 19ème siècle ou du début du 20ème.

En outre, la volonté des gouvernements latino-américains de conclure enfin de telles conventions est liée au retour de l'Etat de droit dans la majeure partie des pays d'Amérique latine, après des décennies politiques troublées et marquées par des coups d'état. Ainsi, ces pays en voie de modernisation ont voulu en finir avec une réputation de terre d'asile pour les criminels et délinquants du monde entier, réputation née après la deuxième guerre mondiale et justifiée par la très grande difficulté pour les pays européens ou Israël d'obtenir de pouvoir juger d'anciens dignitaires nazis réfugiés en Amérique latine.

Le Mexique a été le premier pays du sous-continent à chercher à resserrer sa coopération judiciaire avec la France, ce qui a débouché sur la signature en 1994 de deux conventions d'entraide judiciaire en matière pénale et d'extradition. Ces deux conventions ont par la suite servi de modèle dans les négociations entamées avec de nombreux pays. Ces négociations ont donc abouti avec le Brésil, la Colombie, l'Uruguay et le Paraguay, et plus récemment avec la République dominicaine, qui a signé une convention d'extradition avec la France le 7 mars 2000. Par ailleurs, des négociations sont en cours avec la Bolivie, concernant l'extradition, et avec l'Argentine, concernant la coopération judiciaire en matière pénale. Cependant, des négociations entamées en 1998 avec le Chili ont été interrompues suite à l'affaire Pinochet, illustrant ainsi que le poids du passé continue de peser en Amérique latine dans le domaine judiciaire.

B - La coopération judiciaire se développe

L'entrée en vigueur de conventions d'entraide judiciaire en matière pénale et d'extradition permet incontestablement d'améliorer la coopération entre les justices des deux pays, en la fondant davantage sur des considérations de droit que sur des considérations politiques.

En effet, l'absence de conventions d'extradition entre deux pays n'empêche pas une certaine forme de coopération judiciaire, notamment que soient livrés certains individus recherchés par la justice de l'autre pays. Mais, l'inconvénient est que cette coopération n'est pas automatique et repose largement sur des décisions discrétionnaires des autorités politiques, surtout quand une procédure extra-judiciaire comme l'expulsion est utilisée, comme ce fut le cas par exemple par la Colombie en 1983 dans le cas de Klaus Barbie. Certes, l'absence de convention d'extradition n'empêche pas d'utiliser cette procédure. La justice uruguayenne avait ainsi extradé M. Jacques Médecin, qui s'était réfugié en Uruguay en 1990, le 16 novembre 1994. Mais, qui plus est dans le cas d'un homme politique, l'absence de procédure automatique peut faire naître des soupçons sur son impartialité. L'existence d'une convention d'extradition n'enlève pas toute influence aux autorités politiques dans la prise de décision mais elle réduit néanmoins la part de décision discrétionnaire.

Même s'il y a actuellement très peu de cas de ressortissants français ou uruguayens recherchés sur le territoire de l'autre partie2, la ratification par la France de ces deux conventions permettra donc de resserrer les liens et la coopération entre les deux pays en matière judiciaire, d'autant que c'est l'Uruguay qui était à l'origine de l'ouverture de négociations sur ces sujets. D'ailleurs, l'Uruguay a d'ores et déjà ratifié la convention d'extradition à la fin de l'année 1999. S'agissant de la convention d'entraide en matière pénale, la procédure de ratification est en cours d'approbation parlementaire.

III- LES STIPULATIONS DES DEUX CONVENTIONS D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE ET D'EXTRADITION ENTRE LA FRANCE ET L'URUGUAY

A - La convention d'entraide judiciaire en matière pénale est de facture classique

Les stipulations de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale de 1996 entre la France et l'Uruguay s'inspirent très largement de celles de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, ratifiée par la France le 23 mai 1967, laquelle avait déjà inspiré l'accord conclu en la matière entre la France et le Mexique du 27 janvier 1994.

1)L'étendue de l'entraide

Les deux Etats s'engagent à s'accorder mutuellement l'aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions dont la répression est de la compétence des autorités judiciaires de la partie requérante (article premier).

Le principe d'entraide est assorti d'exceptions. Les exceptions au principe de l'entraide judiciaire concernent l'exécution des décisions d'arrestation et les infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun.

Les principales possibilités de refus sont classiques (article 4), elles s'inspirent de la convention européenne et se rapportent aux infractions politiques et aux demandes d'entraide de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de l'Etat requis.

Cependant, si la convention s'applique lorsque les faits visés ne constituent pas une infraction pour la partie requise, sur le fondement des principes de la convention européenne, l'entraide, dans ce cas, peut néanmoins être refusée pour les perquisitions, saisie et mise sous séquestre, et elle doit l'être pour les mesures de confiscation.

2) La nature de l'entraide

L'Etat requis fait exécuter, dans les formes prévues par sa législation, les demandes d'entraide qui ont pour objet d'accomplir des actes d'enquête ou d'instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents (article 5). Les commissions rogatoires, qui n'existent pas dans le système judiciaire uruguayen ne font pas partie du domaine de l'entraide judiciaire.

La Convention prévoit les formalités relatives à la remise des actes judiciaires et les conditions de comparution des témoins, experts et personnes poursuivies, assorties des restrictions et des garanties habituelles. Une particularité peut néanmoins être relevée : le délai d'envoi d'une citation à comparaître à l'Etat requis avant la date fixée pour la comparution passe de 50 jours, dans la convention européenne, à 40 jours dans la convention franco-uruguayenne, soit un délai plus exigeant.

La Convention organise également la communication des extraits de casier judiciaire (article 15).

3) La procédure d'entraide

Les demandes d'entraide sont généralement adressées de ministère de la justice à ministère de la justice. Or il n'existe pas de ministère de la justice en Uruguay, les demandes seront donc adressées au ministère de l'éducation et de la culture, lequel comprend une Direction de la justice et des registres.

La Convention fixe les règles concernant le contenu de ces demandes ainsi que la traduction des demandes et des pièces les accompagnant.

L'exécution des demandes d'entraide ne donne lieu au remboursement d'aucuns frais, à l'exception de ceux résultant d'expertises et de transfèrement des personnes détenues.

B - La convention d'extradition mérite une attention particulière

La Convention signée le 28 mai 1996 est conforme aux principes généraux du droit français de l'extradition tels qu'ils résultent de la loi du 10 mars 1927 relative à l'extradition des étrangers, de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 et des conventions récemment conclues par la France, notamment avec le Mexique en 1994. Cependant, une incertitude résulte de l'article 6, lequel ne prévoit que comme une faculté la non extradition de ses nationaux par l'Etat requis.

1) Les stipulations classiques de la convention

· L'étendue de l'extradition

Les deux Etats s'engagent à se livrer réciproquement toute personne poursuivie pour une infraction pénale, reconnue comme telle dans les deux Etats, ou recherchée aux fins d'exécution d'une peine.

L'infraction doit revêtir un certain caractère de gravité : Ne peuvent donner lieu à extradition que les infractions passibles d'une peine privative de liberté d'au moins deux ans. Si l'extradition est demandée en vue de l'exécution d'un jugement, la partie de la peine restant à exécuter doit être d'au moins six mois. Ce quantum est destiné à éviter d'engager des procédures d'extradition pour des faits sanctionnés par des peines déjà pratiquement exécutées. On observera que la Convention inclut les infractions à caractère fiscal et douanier, alors que la convention européenne n'assure qu'une possibilité d'extradition dans ce domaine.

Les cas de refus d'extradition prévus par la Convention peuvent être de nature différente.

L'extradition doit être refusée si la demande se rapporte à des infractions politiques ou à des infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun (article 5.1). Elle doit être également refusée lorsque la personne réclamée a fait l'objet d'un jugement définitif pour infraction en raison de laquelle l'extradition est demandée (article 7) ou lorsque l'infraction est prescrite (article 8). Ces motifs de refus s'inspirent des stipulations de la convention européenne d'extradition.

Les autres cas de refus de droit s'inspirent des conventions d'extradition récemment conclues par la France. L'Etat requis doit refuser l'extradition s'il a de sérieuses raisons de croire que la demande d'extradition est inspirée par des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques (article 5.2). La même obligation s'impose lorsque la personne réclamée serait jugée par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure ou de protection des droits de la défense (article 5.3).

La convention énumère les cas dans lesquels l'extradition peut être refusée. L'extradition peut être tout d'abord refusée si l'infraction peut être poursuivie par les autorités judiciaires de l'Etat requis (article 9).

L'extradition peut être refusée si l'infraction est punie de la peine de mort par la législation de l'Etat requérant, à moins que l'Etat requérant ne donne des assurances jugées suffisantes par l'Etat requis, que cette peine ne sera pas exécutée. Cette clause est traditionnelle dans les conventions signées par la France, bien que la peine capitale ne soit prévue ni par la législation française, ni par la législation uruguayenne (article 11).

L'extradition peut être aussi refusée lorsque l'infraction a été commise hors du territoire de l'Etat requérant et que la législation de l'Etat requis n'autorise pas la poursuite d'une infraction de même nature commise hors de son territoire ; ou lorsque la personne réclamée fait l'objet dans l'Etat requis, pour les mêmes faits, de poursuites ou d'un jugement définitif de condamnation ou d'acquittement (article 10).

Elle peut être enfin refusée pour des considérations humanitaires, si la remise de la personne réclamée est susceptible d'avoir pour elle des conséquences d'une gravité exceptionnelle, notamment en raison de son âge ou de son état de santé (article 12).

· La procédure d'extradition

Un certain nombre de garanties entourent la procédure et la personne extradée. La Convention réaffirme le principe de la spécialité de l'extradition. L'Etat requérant ne saurait tirer profit de la présence de l'extradé sur son territoire pour le poursuivre, le juger ou le détenir pour des faits différents de ceux ayant motivé l'extradition ou antérieurs à la remise de la personne réclamée, sauf exceptions limitativement énumérées à l'article 17.

La Convention fixe les conditions et la durée de la détention provisoire qui ne doit, en aucun cas, excéder quarante-cinq jours. Ce délai est différent de celui de la convention européenne d'extradition qui n'est que de quarante jours (article 19).

La convention énumère enfin des stipulations d'ordre pratique. Elle prévoit que les frais de l'extradition sont à la charge de la partie requise, sauf ceux relatifs au transport de la personne réclamée qui sont à la charge de l'Etat requérant (article 25), que les demandes d'extradition sont transmises par la seule voie diplomatique (article 24).

2) Le problème de la non extradition des nationaux par l'Etat requis

La doctrine française de l'extradition, telle qu'elle résulte de la loi de 1927, comme d'une pratique constante, interdit toute extradition de nationaux français par la France. En conséquence, les conventions d'extradition conclues par la France avec de nombreux pays, et notamment toutes celles avec l'Amérique latine, excluent expressément une éventuelle extradition de ses nationaux par l'Etat requis.

Cependant une évolution doctrinale est à l'_uvre qui tend à revenir sur ce principe fondamental, tant pour la souveraineté nationale que pour la définition de la citoyenneté. Ainsi, dans les conventions d'extradition conclues avec des pays dont les systèmes judiciaires et pénaux respectent traditionnellement les règles de l'Etat de droit (les pays de l'OCDE), la non extradition des nationaux n'est qu'une faculté. Pour autant, la France s'oppose à une éventuelle évolution supplémentaire : votre Rapporteur s'est ainsi assuré auprès du ministère des affaires étrangères que la France continuait de bloquer l'adoption de la nouvelle convention d'extradition entre les pays de l'Union européenne, qui dans son article 5 interdit de refuser l'extradition « au motif que la personne réclamée est un national de l'Etat requis ».

En dehors de l'Union européenne, dans des Etats qui n'ont que récemment retrouvé la démocratie, il est encore plus nécessaire de s'assurer que la France n'y extradera jamais l'un de ses nationaux, ce qui explique que les conventions conclues par la France avec ces pays excluent toujours toute extradition des nationaux de l'Etat requis. Or, l'article 6 de la convention que nous examinons aujourd'hui ne semble pas assez clair à votre Rapporteur sur cette question, dans la mesure où il ne prévoit qu'une faculté de ne pas extrader ses nationaux, car l'Uruguay n'a pas pour tradition d'appliquer ce principe. Or, une fois entrée en vigueur, cette convention d'extradition aura une autorité supérieure à celle de la loi de 1927.

Votre Rapporteur a donc voulu s'assurer que la France n'utiliserait jamais l'article 6 de cette convention pour extrader un citoyen français vers l'Uruguay, en saisissant le ministre des Affaires étrangères sur cette question. La réponse de M. Hubert Védrine, jointe en annexe, explique les raisons de la rédaction choisie pour l'article 6 de la convention. Celui-ci serait le fruit d'un compromis suite à la volonté exprimée par la Partie uruguayenne d'exclure tout refus d'extradition fondée sur une raison de nationalité. Mais le Ministre a assuré que cette convention ne signifiait en aucun cas un changement dans la doctrine traditionnelle de la France. Même si ces explications ne sont pas très convaincantes d'un point de vue juridique, il faut reconnaître les efforts faits par le Ministre pour apporter toutes les assurances possibles à notre Commission.

CONCLUSION

La signature de conventions de coopération dans le domaine judiciaire constitue toujours un élément très positif. Dans le cas présent, est concerné un pays avec lequel la France a des liens anciens. La relation de confiance entre la France et l'Uruguay bénéficiera d'une entrée en vigueur rapide de ces conventions.

Pour toutes ces raisons et au regard des assurances apportées par le gouvernement sur le maintien de la doctrine française en matière d'extradition, votre Rapporteur vous propose d'adopter les deux projets de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 22 mars 2000.

Après l'exposé du Rapporteur, qui a conclu au report de toute décision en attendant des éclaircissements sur la position du gouvernement concernant l'extradition des nationaux, M. Pierre Brana a fait part de son complet accord avec sa position. Il s'est demandé pourquoi cette convention avait été signée en l'état alors qu'elle diverge de la position traditionnelle de la France.

M. François Loncle a également approuvé la démarche de Mme Martine Aurillac. Même si, sur le fond, il est possible de s'interroger sur la doctrine traditionnelle de la France en la matière, la Commission a besoin de connaître l'interprétation exacte de la stipulation en cause. Une éventuelle évolution de la position de la France devrait se faire au grand jour.

Mme Martine Aurillac a indiqué qu'une telle évolution était à l'_uvre avec les pays de l'Union européenne et avec d'autres pays aux systèmes juridiques comparables. En tout état de cause, tout infléchissement devrait se faire publiquement. En l'occurrence, le ministère des Affaires étrangères l'a assurée qu'aucune évolution de la position française n'était envisagée ; il est donc nécessaire de préciser que la France n'extradera jamais aucun de ses ressortissants vers l'Uruguay sur la base de cette convention.

M. Jean-Bernard Raimond, président, a estimé qu'en l'absence de certitude sur la portée exacte de l'article 6 de la convention d'extradition, la seule solution satisfaisante était un report de l'examen du projet de loi jusqu'à ce que certaines clarifications soient obtenues.

M. Pierre Brana a estimé que la Commission ne pouvait se satisfaire d'une explication orale donnée par le Ministre à l'occasion de la séance publique. Il a jugé qu'une lettre interprétative était pour le moins nécessaire, même s'il a émis des doutes sur la valeur juridique de cette lettre par rapport au texte de la convention.

Mme Martine Aurillac a estimé que le report de l'examen de cette convention, dans ces conditions, pouvait se justifier.

M. Jean-Bernard Raimond a lui aussi estimé le report nécessaire.

En conséquence, la Commission a décidé de reporter sa décision sur le présent projet de loi en attendant notamment les explications du Gouvernement sur les motifs qui ont conduit les négociateurs à accepter la rédaction de l'article 6 de la convention.

*

*       *

La Commission a poursuivi à l'examen du présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 10 mai 2000.

M. Roland Blum a souligné que ces problèmes relatifs à l'extradition prennent une dimension particulière dans le cadre européen, comme le montre l'affaire Rezala. Il serait souhaitable d'engager une réflexion sur ce sujet au niveau européen ; la Commission des Affaires étrangères devrait être présente dans ce débat.

Le Président François Loncle a considéré qu'une telle réflexion était nécessaire et qu'elle allait dans le sens de ce qui avait été annoncé à l'Assemblée nationale mardi 9 mai par le Premier ministre et par la Ministre de la justice, à propos des priorités de la présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2000.

Mme Bernadette Isaac-Sibille s'est inquiétée de l'apparition de nouveaux problèmes dans des conventions d'extradition signées avec des pays comme l'Uruguay, alors même que les pays de l'Union européenne ne sont pas encore en mesure de résoudre tous les problèmes existant entre eux sur ce sujet.

Mme Martine Aurillac a répondu que cela expliquait les réserves émises par la Commission le 22 mars dernier. Elle a précisé qu'une nouvelle convention européenne d'extradition était en cours de négociation. Celle-ci prévoit l'impossibilité de refuser l'extradition de ses propres ressortissants. Or, il faut souligner que la France refuse cette disposition et bloque en conséquence la conclusion de ces négociations.

M. Guy Lengagne s'est félicité du travail accompli par le Rapporteur et a relevé, comme elle, l'existence d'une brèche sur les modalités de l'extradition des nationaux avec l'Uruguay. Il s'est demandé pourquoi le choix s'était porté sur un pays qui n'avait pas toujours été démocratique pour modifier ces modalités. Il a suggéré qu'une question soit posée sur ce point au Ministre des Affaires étrangères lors d'une prochaine audition afin de clarifier ce problème.

Mme Martine Aurillac a reconnu que la convention ouvre une brèche qui mérite un débat plus large, les explications du ministère des Affaires étrangères ne sont pas tout à fait satisfaisantes. Il a été difficile de retrouver les négociateurs de la convention qui auraient vu un avantage à ce que la France puisse juger des Uruguayens extradés par l'Uruguay.

Le Président François Loncle a fait valoir que l'interruption en commission du débat sur cette convention a été positive. Il a retenu la suggestion de M. Guy Lengagne de questionner le Ministre des Affaires étrangères sur les questions d'extradition et plus généralement a souhaité que la Commission s'informe davantage sur les problèmes qui se posent au sein de l'espace européen et avec les Etats tiers.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 2171 et 2172).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, les présents projets de loi.

ANNEXE :
LETTRE DE M. HUBERT VÉDRINE,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

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NB : Le texte des conventions figure en annexe aux projets de loi (n° 2171 et 2172).

1 Le plan Condor visait à coordonner la répression par diverses dictatures latino-américaines de militants de gauche pendant les périodes de dictature des années 1970.

2 D'après le ministère de la justice français, seule une personne est actuellement recherchée en Uruguay par les autorités judiciaires françaises pour soustraction d'enfants.


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