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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 25 avril 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Renforcement des droits des patients en fin de vie

Discussion d'une proposition de loi

Présentation

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

M. Christian Hutin, vice-président de la commission des affaires sociales

Discussion générale

M. Luc Chatel

Mme Sonia Lagarde

M. Éric Alauzet

Mme Jeanine Dubié

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Marie-Odile Bouillé

Mme Barbara Pompili

M. Michel Liebgott

M. Gilbert Collard

M. Philippe Gosselin

M. Gérard Sebaoun

M. Christophe Léonard

M. Alain Fauré

M. Jean Leonetti, rapporteur

Mme Marisol Touraine, ministre

Motion de rejet préalable

M. François de Rugy

M. Jean Leonetti, rapporteur, M. Luc Chatel, Mme Barbara Pompili, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Bernadette Laclais, Mme Jeanine Dubié

Motion de renvoi en commission

Mme Bernadette Laclais

M. Jean Leonetti, rapporteur, M. Luc Chatel, Mme Michèle Bonneton, Mme Jeanine Dubié, Mme Jacqueline Fraysse, M. Gérard Sebaoun

Suspension et reprise de la séance

2. Égalité des droits et intégration des personnes en situation de handicap

Discussion d'une proposition de loi

Présentation

M. Damien Abad, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

M. Christian Hutin, vice-président de la commission des affaires sociales

Discussion générale

Mme Isabelle Le Callennec

Mme Sonia Lagarde

M. Gabriel Serville

M. Jérôme Guedj

M. Gérald Darmanin

Mme Fanélie Carrey-Conte

Mme Barbara Pompili

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Renforcement des droits des patients en fin de vie

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean Leonetti, visant à renforcer les droits des patients en fin de vie (nos 754, 970).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, mes chers collègues, la mort c’est l’autre, c’est toujours l’autre.

Je ne peux tirer aucune expérience personnelle de ma propre mort et donc aucun enseignement. Je suis marqué par la mort de l’autre, celui de l’être aimé que j’ai accompagné et qui me manque. Cette expérience structure ma pensée sur la mort, et quelquefois m’y enferme.

La mort est désormais totalement, presque excessivement, médicalisée. On demande logiquement à la médecine d’adoucir la mort comme elle a adouci la vie, redoutant bien sûr l’acharnement thérapeutique et refusant que cette médecine trop technique vole ces derniers instants, à nous-mêmes ou à ceux que nous aimons.

La mort est encore taboue et le vaste problème de la fin de vie, de la vulnérabilité des personnes en cette partie finissante de leur existence, est souvent abordé de manière binaire, sous le seul angle de l’euthanasie ou du « droit à la mort », de sorte que sont niées à la fois sa complexité et la diversité des situations humaines rencontrées.

La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, votée à l’unanimité il y a huit ans, presque jour pour jour, est une loi imparfaite. Mais faut-il espérer qu’une loi parfaite règle de manière parfaite nos existences et nos fins de vie ? Cette loi a été modifiée en 2008 et en 2010.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans un contexte particulier. Le candidat François Hollande a en effet proposé, de manière quelque peu ambiguë, « l’assistance médicalisée pour finir sa vie dans la dignité ». Certains ont pu y voir une incitation à la légalisation de l’euthanasie, d’autres un appel à l’intensification des soins palliatifs. En réalité, le candidat avait exprimé son opposition à l’euthanasie, ce qui a contribué à clarifier la situation.

Une fois élu, François Hollande a chargé Didier Sicard de présider une mission et d’aller à la rencontre des Français. Après avoir rencontré entre 4 000 et 5 000 personnes, la mission a rendu son rapport. Elle y souligne avec force « l’exigence d’appliquer résolument les lois actuelles plutôt que d’en imaginer sans cesse de nouvelles » et réaffirme « le danger de franchir la barrière de l’interdit. »

Par ailleurs, elle relève que la parole du malade est peu entendue dans cette période de grande fragilité, confirmant le rapport Ferrand, qui soulignait que 30 % des Français meurent encore dans les hôpitaux dans des souffrances physiques et morales ressenties comme atroces.

Le rapport Sicard propose deux améliorations à la loi actuelle concernant les directives anticipées et la sédation terminale. Elles font l’objet de la proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui.

Les directives anticipées doivent pouvoir devenir opposables, dans un pacte solidaire de confiance entre le corps médical, qui s’engage à faire ce que le malade a souhaité, et le malade lui-même, qui les a écrites et signées. Il s’agit de faire simplement respecter la parole du malade lorsqu’il ne peut plus exprimer sa volonté.

La sédation en phase terminale permet, dans le cadre de la définition donnée par la société française d’accompagnement et de soins palliatifs et par la Haute autorité de santé, d’éviter les souffrances réfractaires en fin de vie. Désormais, elle doit pouvoir être demandée et exigée par les patients qui se trouvent dans ces conditions. Il s’agit de pouvoir dormir pour ne pas souffrir avant de mourir. Homère ne rappelait-il pas que « le sommeil et la mort sont des frères jumeaux » ?

Sur cette initiative, j’entends un certain nombre de critiques – modérées, et le plus souvent amicales. Pourquoi pas l’euthanasie ? Je pourrais, par facilité, répondre que le Président de la République s’y est déclaré hostile et que le rapport Sicard la rejette. Mais je vous propose de lire l’étude conjointe de l’Institut national des études démographiques et de l’Observatoire de la fin de vie, où il est rappelé que la légalisation de l’euthanasie augmente paradoxalement les pratiques clandestines.

Enfin, comme le souligne le rapport Sicard, tous les pays qui ont légiféré en la matière ces dernières années ont copié la loi française plutôt que les lois belge ou hollandaise. De l’Argentine à la Suède, de l’Espagne au Royaume-Uni, c’est le modèle français qui prédomine.

Quant au suicide assisté, madame la ministre, je pense qu’il s’agit d’une belle idée, difficile toutefois à mettre en œuvre. Si l’on n’y prend garde, elle peut ouvrir la voie à des dérives, comme en Suisse, où 30 % des personnes qui en bénéficient ne sont pas atteintes de maladie grave et incurable.

M. Philippe Gosselin. Des personnes dépressives !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Doit-on remplacer le droit-liberté qu’est le suicide par un droit-créance ? La société peut-elle organiser un « droit à la mort » ?

Pourquoi débattre si tôt ? Pourquoi se précipiter et ne pas attendre le projet du Gouvernement ? D’abord, parce que le projet de loi, qui devait nous être présenté dans les semaines qui viennent, a été repoussé. Ensuite, parce que la mise en œuvre d’un projet de loi, lorsqu’il porte sur les sujets de société, est toujours délicate.

Le Comité consultatif national d’éthique n’a pas rendu son avis, mais le professeur Régis Aubry, lors de son audition par la commission des affaires sociales, a exprimé une position relativement proche de celle de Didier Sicard. Si nous sommes d’accord sur ces propositions, pourquoi attendre, alors que ces deux dispositifs permettraient de soulager un grand nombre de malades, actuellement en fin de vie ?

Enfin, pourquoi l’opposition prend-elle cette initiative ?

M. Philippe Gosselin. Et pourquoi pas ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Simplement dans le but de rappeler à la majorité – qui, j’en suis convaincu, sera sensible à cet argument – que sur ces sujets, nous ne sommes pas figés dans une posture idéologique.

Je sais par expérience que le consensus ne peut surgir que du dialogue entre majorité et opposition. Je l’ai vécu ici, en 2005, alors que j’étais dans la majorité : l’opposition a voté le texte que nous lui proposions, après de longues semaines de travail collectif et une évolution des positions des uns et des autres, sur un sujet difficile.

Une expérience récente nous a aussi montré qu’il n’est pas bon pour un peuple de s’affronter sur les sujets de société. Après le mariage pour tous, évitons le « droit à la mort pour tous » qui fracturerait la société sur un sujet sensible et douloureux.

M. Philippe Gosselin. On a déjà donné !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Comme en 2005, préférons le doute collectif aux certitudes individuelles et méfions-nous de celui qui dit : « Je sais ; je détiens la vérité » ; sur ces sujets, c’est celui qui se trompe probablement le plus.

Posons ensemble, tranquillement, un regard objectif sur notre société. Un sociologue auditionné par notre commission avançait que les sociétés ont la mort qu’elles méritent, et que nous traduisons dans la mort les angoisses et les difficultés que nous rencontrons dans la vie.

Comme Ulysse sur l’île de Calypso, soyons capables de refuser le rêve prométhéen de l’immortalité toute-puissante et de la maîtrise de la mort ; comme l’écrivait Albert Camus, acceptons notre humanité sans oublier « la fierté de l’homme qui est fidélité à ses limites ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilbert Collard. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le vice-président de la commission, mesdames et messieurs les députés, la fin de vie, les conditions dans lesquelles elle survient ou est susceptible de survenir nous concernent tous.

Le débat sur la fin de vie est difficile, car il renvoie à la finitude de l’homme. Il porte sur un moment où la vie s’achève, tout en étant encore la vie. Ce moment souvent redouté, parfois espéré ou attendu, est aussi celui de la solidarité, de la proximité et de l’amour. Il est celui où la solitude est absolue et où, paradoxalement, peuvent s’exprimer les sentiments qui ont dominé une vie tout entière.

La fin de vie nous concerne tous, parce qu’elle concerne chacun de nous, et ceux que nous aimons.

Cependant, il ne s’agit pas seulement d’un rendez-vous, fût-il ultime, avec son propre destin ou avec ses proches. Notre société, comme toute autre, porte un regard sur la mort, elle pose – c’est nécessaire – des interdits, des limites. Elle sait prononcer des mots d’apaisement, proposer les voies de l’apaisement, mais elle peut aussi ignorer la souffrance. Par son rapport aux malades et aux souffrants, la société se définit elle-même, construit un cadre dans lequel les destins individuels et l’aspiration à l’autonomie doivent s’inscrire.

Les débats sur la fin de vie renvoient donc à deux questionnements différents : celui de la dignité, d’abord, qui porte sur le degré de souffrance, de douleur, d’angoisse que l’on peut tolérer pour soi-même ou pour celui qui affronte ses derniers moments ; celui de l’autonomie, ensuite, qui renvoie à la liberté de la personne comme sujet, à la maîtrise de sa vie, au moment même où celle-ci semble échapper.

Je parle bien de la maîtrise de sa propre vie, car des sociétés ont fait de l’effacement des plus âgés ou des malades une norme collective. Ce n’est pas la nôtre, nous ne pouvons le souhaiter. Il s’agit bien ici de se demander comment répondre à l’aspiration individuelle à l’autonomie et à la maîtrise de soi lorsqu’elle renvoie à l’intimité de la personne et à sa liberté.

Comment concilier cette aspiration avec les règles que fixe la société ?

Comment accompagner avec humanité, jusque dans les derniers instants de l’existence ? Comment préserver la dignité de la personne humaine, dont chacun est le dépositaire ? Comment enfin permettre l’expression de la liberté, lorsque la vie semble s’éteindre ?

Les progrès de la médecine ont permis, comme jamais dans l’histoire de l’humanité, d’allonger la vie. Le rapport de nos concitoyens avec la mort s’est donc profondément modifié.

J’ai eu l’occasion, au cours des derniers mois, de rencontrer beaucoup de professionnels de santé et d’évoquer avec eux la relation qui les lie à leurs patients ou à d’autres malades, au moment où, précisément, ils sont confrontés à la fin de la vie.

Les associations sont, elles aussi, impliquées, tout comme les patients, et de nombreuses enquêtes montrent que, quels que soient leur sensibilité politique, leur appartenance sociale ou leur âge, 85 % de nos concitoyens sont favorables à une aide active à mourir, sans que les termes en soient davantage précisés.

Les Français veulent exercer leur liberté et pouvoir choisir. Choisir si leur vie peut encore être vécue avec dignité. Choisir, lorsque la maladie condamne, si chaque jour a encore une valeur ou si chaque geste est devenu trop douloureux. Choisir s’il faut abréger les souffrances, parce que l’on est confronté à la dégradation inexorable du corps.

Choisir les conditions de sa fin de vie, c’est là peut-être notre ultime liberté. Chaque cas est singulier et porte le poids d’un destin, d’une expérience, d’une aspiration.

Dans ce domaine, la loi de 2005, qui porte votre nom, monsieur le rapporteur, a incontestablement constitué une avancée importante, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Elle a été une étape décisive pour les droits des patients. En ce sens, elle s’est inscrite dans le prolongement du mouvement engagé par la loi de 2002 sur les droits des malades. Ce texte a permis de marquer une avancée considérable dans la reconnaissance des droits des patients par les pouvoirs publics : droit de disposer d’une information transparente, droit au consentement, droit d’accès au dossier, droit au traitement de la douleur. C’est toute la relation entre le soignant et le soigné qui s’en est trouvée transformée, grâce à la consécration du libre-arbitre de chacun. Les médecins n’ont plus, seuls, le monopole des soins. Les patients, leur famille, leurs proches sont étroitement associés – doivent l’être, en tout cas – à la prise en charge de la maladie.

Votre loi, monsieur Leonetti, devenue loi de la République, s’est inscrite dans ce mouvement. En proscrivant l’acharnement thérapeutique, elle a conféré à toute personne le droit de refuser un traitement dont elle estime qu’il est déraisonnable. Elle permet aussi au médecin d’interrompre ou de ne pas initier les traitements qu’il juge inutiles. Enfin, elle a encouragé le développement d’unités de soins palliatifs : le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans.

De réels progrès ont donc été réalisés pour la dignité des personnes en phase terminale ou avancée d’une affection médicale grave et incurable. Ces progrès ne sont d’ailleurs nullement contestés.

Mais sur une question aussi sensible, nous devions disposer d’un état des lieux le plus exhaustif possible, huit ans après l’adoption de cette loi. Pour ce faire, il fallait entendre l’ensemble des points de vue : celui de personnalités du monde médical comme celui des associations de patients. Ce fut le cas dans le cadre des auditions qu’a conduites la commission animée par le professeur Sicard.

Reste qu’il faut aller plus loin sur ce sujet douloureux et difficile, et je veux ici saluer la méthode suivie par le professeur Sicard pendant les trois mois de sa mission. Elle a permis en effet de garantir la libre expression de nos concitoyens dans un cadre dépassionné. Dix débats publics ont été organisés partout sur le territoire national, pour donner simplement la parole aux Français, en les confrontant à des cas concrets et à des situations réelles, car là est bien l’enjeu : passer des principes à la réalité, aux souffrances réelles et aux demandes concrètes.

Le rapport Sicard, intitulé « Penser solidairement la fin de vie », est le fruit de cette consultation sans précédent. Il a été remis au Président de la République en décembre dernier, et je souhaiterais revenir ici brièvement sur trois aspects qu’il met en lumière.

Le premier, formulé en des termes assez durs par le professeur Sicard lui-même et qui constitue une réalité difficile à entendre, c’est que l’on meurt mal en France. Deux tiers des Français qui meurent aujourd’hui de maladie auraient besoin de soins palliatifs. Or, nous n’offrons à ce jour que cinq mille lits pour ce type de prise en charge et, surtout, la grande majorité de ceux qui décèdent à l’hôpital auraient aimé terminer leur vie chez eux. Notre système ne répond donc pas aux attentes exprimées par nos concitoyens.

Dans le même temps, il apparaît que la relation entre le soignant et le soigné, y compris au moment où le soin n’est plus dispensé pour une amélioration médicale, reste trop exclusivement dominée par les professionnels de santé, trop exclusivement médicale.

Ce constat transparaît dans la formation des professionnels de santé. En 2008, sur un panel de cent cinquante cancérologues d’Île-de-France, seuls trois étaient formés aux soins palliatifs – même si nous pouvons faire l’hypothèse que, depuis, ce chiffre a progressé. Près de deux tiers des médecins déclarent n’avoir jamais reçu de formation sur les limitations de traitement. La prise en charge de la fin de vie ne s’improvise pas et le maniement concret des traitements contre la douleur est peu enseigné.

À ces défauts de formation s’ajoute une réglementation parfois inadaptée aux situations particulières. Ainsi, les soignants infirmiers n’ont pas le droit de prescrire eux-mêmes, en urgence, des médications antalgiques pour soulager la souffrance d’un patient.

Enfin, il arrive que, dans certains cas, les aspirations des malades soient en contradiction avec les convictions personnelles des soignants. Ces situations conduisent à ce que, dans certains services, le traitement adéquat ne puisse être prodigué au bon moment. La médecine elle-même est parfois désarmée : elle ne parvient pas toujours à soulager la douleur physique et à prendre en charge la souffrance psychique des malades en fin de vie.

Le deuxième point mis en lumière par le rapport Sicard, c’est que la législation en vigueur est mal connue. Près de la moitié des Français ignorent ainsi que la loi de 2005 autorise les patients à demander aux médecins l’arrêt des traitements qui les maintiennent en vie, et seuls 2,5 % d’entre eux ont rédigé des directives anticipées, ce qui n’est d’ailleurs pas une chose facile à faire. Au-delà même de l’ignorance de la loi, celle-ci est mal comprise par nos concitoyens. Elle est perçue comme un texte qui prend le parti des médecins et les protège.

Cette méconnaissance des droits montre que la prise en charge de la fin de vie reste un sujet difficile à aborder dans notre pays. Il se heurte à la prégnance de la culture curative autour de laquelle s’est construite notre médecine. Ce constat est d’autant plus alarmant que la première volonté qu’expriment les Français face à la mort, c’est de pouvoir rester maîtres de leur choix. Il ressort ainsi très nettement des débats conduits par la commission Sicard que nos concitoyens refusent que l’on puisse décider à leur place et que des médecins décident à la place des malades.

Dans le même temps, j’entends les réticences des soignants, formés à sauver des vies. Faut-il d’ailleurs chercher à dépasser ces réticences ? Est-ce aux soignants de décider et d’agir ?

Mal connue, peu appliquée, la législation en vigueur – et c’est le troisième élément qui ressort de ce rapport – ne permet pas de répondre à toutes les situations auxquelles sont confrontés les malades et leur famille. Je pense, par exemple, aux personnes dont les traitements ne parviennent pas à apaiser la souffrance physique.

Mais, comme je l’indiquais au début de mon propos, la question de la fin de vie ne se limite pas aux derniers jours, aux dernières semaines, ni au seul degré de douleur du patient. Elle est intimement liée à celle de l’autonomie et de la dimension existentielle de la maladie.

C’est le cas pour les patients qui luttent contre une maladie qu’ils savent incurable : ils ne souhaitent pas bénéficier, jusqu’au dernier jour, d’une prise en charge en soins palliatifs et expriment le souhait de mourir. C’est encore le cas pour une personne qui perd ses capacités cognitives et qui, alors même qu’elle est encore en pleine possession de ses moyens, souhaite s’éteindre plus rapidement.

Mesdames et messieurs les députés, le cadre actuel n’est pas suffisant. Il ne permet pas d’apporter de réponse aux souhaits de certains patients. Le silence de la loi les livre à eux-mêmes et à la conscience des médecins qui les accompagnent jusqu’au bout. Ce silence, aucun responsable politique ne peut s’en satisfaire.

M. Christian Paul. Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Président de la République a donc décidé de saisir le Comité consultatif national d’éthique. Celui-ci devra se prononcer sur trois points, qui nous permettront de faire évoluer la législation pour répondre aux préoccupations des Français.

Le premier d’entre eux concerne les conditions dans lesquelles doivent être recueillies et appliquées des directives anticipées sur la fin de vie émises par une personne bien portante, ou à qui l’on vient d’annoncer qu’elle était atteinte d’une maladie grave.

Je veux le dire, la rédaction de directives anticipées, si elle fait consensus, ne va pas de soi. Ce n’est pas un geste anodin. On peut en effet écrire une directive anticipée, puis, le temps passant, ne plus se reconnaître dans ses termes. C’est donc aussi à cela qu’il nous faut réfléchir, et nous devons faire en sorte que chacun puisse exprimer sa volonté, même s’il n’est pas encore malade.

Le deuxième point sur lequel se prononcera le Comité consultatif national d’éthique portera sur les modalités et les conditions strictes qui peuvent permettre à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie. Vous avez vous-même, monsieur le rapporteur, utilisé la formule de « suicide assisté » : elle mérite que la discussion s’engage.

Enfin, le Comité consultatif aura à s’exprimer sur les moyens de rendre plus dignes les derniers instants d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à sa demande, à celle de sa famille ou à celle des soignants.

C’est sur la base de ces avis, que le Gouvernement avancera dans sa réflexion.

Mesdames et messieurs les députés, vous l’avez compris, le Gouvernement attache une grande importance à ce sujet sensible, et donc à la méthode suivie, qui consiste à s’appuyer sur une réflexion large, ouverte et apaisée. C’est tout le sens de la consultation qui a été conduite et se poursuit. La proposition de loi que vous portez, monsieur Leonetti, viendrait donc perturber le processus en cours, alors même que l’avis du Comité consultatif national d’éthique n’a pas été rendu.

M. Luc Chatel. C’est un peu tiré par les cheveux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne vous rappellerai pas les propos que vous avez tenus, monsieur le rapporteur, lorsque a été présentée la proposition de loi sur les cellules souches, et combien vous vous étiez offusqué du fait que l’on débatte d’une question de cette importance dans le cadre d’une niche parlementaire, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi : je ne peux, au fond, que vous rejoindre sur ce point.

Je veux saluer en tout cas la mesure des propos que vous avez tenus. Le débat peut et doit s’ouvrir, dans un contexte d’apaisement, autant que faire se peut. Nous devons le mener en ayant bien présentes à l’esprit les deux questions que j’évoquais en introduction : celle, d’une part, de la dignité, qui implique de soulager la souffrance de celui qui arrive à l’extrême fin de sa vie ; celle, d’autre part, de l’autonomie et de la liberté, qui ne se pose pas uniquement dans les derniers instants de la vie.

Mesdames et messieurs les députés, nous traitons d’un sujet qui appelle un beau et grand débat : ne le gâchons pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Hutin, suppléant Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales.

M. Christian Hutin, vice-président de la commission des affaires sociales. Il n’est pas obligatoire que la présidence des affaires sociales prenne la parole aujourd’hui, mais, par respect et par courtoisie pour Mme la ministre, M. le rapporteur et l’ensemble de nos collègues, j’ai souhaité dire un petit mot. Je vais également en profiter pour vous transmettre les vœux de bon courage de Mme Lemorton, qui poursuit sereinement sa convalescence.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est gentil !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. Je profite également de cette occasion qui m’est donnée de passer de l’autre côté du rideau, et qui ne se renouvellera pas souvent, pour remercier l’administration de la commission des affaires sociales, qui accomplit un travail remarquable. Lorsque l’on est un simple député qui n’est pas responsable de tout, on prend conscience de la qualité du travail réalisé par les services administratifs.

M. François de Rugy. Très juste !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. Je tenais à les en remercier vivement. (Applaudissements.)

Monsieur le rapporteur, personne ne pourra vous reprocher la constance, la cohérence,…

M. François Rochebloine. Le respect et l’honnêteté !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. …la compétence, l’esprit de nuance et d’équilibre dont vous avez fait preuve sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

M. François Rochebloine. Absolument. Il a su rassembler !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. Ce sujet revêt un caractère particulier. Nous avons tous ici été confrontés à la fin de vie, dans notre famille ou parmi nos proches. Cette situation est compliquée pour tout le monde, encore plus sans doute pour les médecins qui ont à affronter dans leur vie personnelle cette situation. Nous la connaîtrons tous un jour et il faut y réfléchir, quel que soit notre âge. C’est essentiel.

Le groupe UMP a déposé aujourd’hui trois propositions de loi, dont deux reprennent des engagements du Président de la République, ce qui est assez original. Celle-ci correspond à son engagement n° 21.

M. Philippe Gosselin. Les modalités ne sont pas tout à fait les mêmes !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. Sur ce sujet, un calendrier a été fixé et une méthode est suivie, depuis la remise du rapport Sicard en décembre. L’ensemble des interventions que comporte ce rapport de qualité – la mission a été décentralisée, ce qui n’est pas classique – est absolument remarquable. Il peut apparaître, d’une certaine manière, comme une photographie de la situation actuelle, mais pas seulement. Il est aussi une forme d’ouverture, sans cautionnement quelconque. Nous sommes en tout cas heureux de disposer de ce rapport important.

Cela étant, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, il n’y a pas que le rapport Sicard. Nous attendons aujourd’hui l’avis du comité national consultatif d’éthique. Toutes ces données sont nécessaires. La commission a rejeté votre proposition de loi. Même si nous pouvions déjà prendre connaissance des auditions, il serait irrespectueux à l’égard du Comité national d’éthique que nous légiférions aujourd’hui sans avoir pris connaissance de son avis.

Enfin, le Gouvernement devrait déposer un projet de loi sur le sujet dans le cadre de l’engagement n° 21 du Président de la République. Je pense que nous travaillerons tous sereinement sur ce texte, dans l’esprit qui a présidé à l’élaboration de la loi qui porte votre nom. Vous avez eu la modestie, en commission, de rappeler qu’elle était aussi l’œuvre des trente et un ou trente-deux députés qui y ont participé. En la matière, il est essentiel de sauvegarder une certaine harmonie.

Force est de constater aujourd’hui que la méthode, précipitée, n’est plus la même. Cela ne vous ressemble pas, mais vous vous en êtes quelque peu expliqué dans votre propos liminaire : vous ne vous attendiez pas à ce que la présentation du texte du Gouvernement soit retardée.

Madame la ministre, vous avez à juste titre évoqué l’examen du texte sur la recherche embryonnaire, lors duquel les échanges ont été un peu plus heurtés. Pour avoir suivi les débats en commission, je puis dire que l’état d’esprit n’était pas le même. Nos camarades radicaux ont déposé une proposition de loi, mais nous ne l’avons pas abordé comme nous abordons traditionnellement ce genre de discussion, et cela s’est d’ailleurs plutôt mal passé. Je le répète, il est essentiel que nous débattions des grandes questions de société dans la sérénité et avec intelligence. Tel n’a pas été le cas.

Enfin, monsieur le rapporteur, sans vous accuser de préempter le débat, ces deux articles sont-ils la dernière limite au-delà de laquelle vous ne pouvez accepter d’aller ? Est-ce le rapport Sicard ? Allons-nous aller jusque là ? Je ne le pense pas, mais il ne faut pas préempter le débat aujourd’hui.

Je terminerai sur une note d’actualité. Une dame, une égérie des dernières manifestations, a pu imaginer – c’est en tout cas ce qu’elle a déclaré sur une station de radio – qu’elle pourrait réorienter son mouvement vers des questions sociétales, et elle a clairement dit qu’elle pensait à celle de l’euthanasie. Je tiens à attirer l’attention de l’ensemble de la représentation nationale sur le fait qu’il serait particulièrement dramatique que nous rencontrions sur ce type de sujets les mêmes problèmes que ceux auxquels nous avons été confrontés à l’occasion du projet de loi relatif au mariage pour tous.

M. Philippe Gosselin. C’est pour inciter le Gouvernement à la prudence !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. J’invite l’ensemble des parlementaires à la prudence. Nous ne devons pas nous départir de notre sérénité, comme nous l’avons toujours fait ; nous devons garder à l’esprit qu’il serait dommage qu’un quelconque mouvement puisse orienter le débat d’une manière un peu trop intense. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Très bien !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Luc Chatel.

M. Luc Chatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, M. Leonetti l’a très bien rappelé, nous partageons une responsabilité devant cette assemblée, celle d’avoir à traiter, à gérer, la question si importante de la fin de vie. La mort est la seule certitude de la vie. Ce débat honore notre assemblée et fait la grandeur de notre mandat de parlementaire parce qu’il transcende les clivages. Il est essentiel que chacun suive ses convictions et les partage dans cette enceinte.

Le Président de la République – et Dieu sait si nous avons des différends avec lui – a souhaité légiférer sur la question de la fin de vie. C’est un bon sujet. Suite à la remise du rapport du professeur Sicard, Jean Leonetti l’a pris au mot. C’est pourquoi nous vous présentons cette proposition de loi visant à renforcer les droits des patients en fin de vie.

Le rapport Sicard nous donne une occasion propice pour réaffirmer les valeurs qui nous guident dans la définition de ce que doit être l’accompagnement de la fin de la vie et pour préciser ce qui doit l’être, huit ans après la première loi de notre collègue Jean Leonetti, qui avait admirablement posé les bases de notre doctrine sur ce sujet. Je crois que chacun le reconnaît.

Dans une société où, trop souvent, nos proches pouvaient mourir dans la douleur et l’incompréhension de leur mal-être, la loi Leonetti de 2005 a pour la première fois posé des principes clairs : l’interdiction de l’acharnement thérapeutique et l’obligation de traitements palliatifs. Elle a voulu mettre la personne au cœur de la fin de la vie, afin de ne plus traiter celle-ci dans sa seule dimension médicale, ce qui était trop souvent le cas, mais de l’envisager dans ses multiples dimensions : psychologique, relationnelle, affective, et même spirituelle.

Ceci, c’est notre famille politique qui l’a voulu, mais elle l’a défendu après la loi Kouchner de 2002 qui esquissait le principe de la dignité de la personne malade, sans aller plus loin. Rappelons-nous l’intensité des débats qui ont eu lieu dans notre hémicycle en 2004, tant ceci n’avait alors rien d’évident. Aujourd’hui, plus personne ne penserait contester ce qui est devenu le fondement de notre réflexion pour l’accompagnement de la fin de vie.

C’est le rapport Sicard lui-même qui demande une meilleure application de la législation existante – suivi en cela par l’Ordre des médecins, dans son avis rendu en février – et qui préconise de promouvoir la connaissance et l’application de la loi Leonetti, en soulignant qu’elle répond au plus grand nombre de situations de fin de vie.

Mais surtout, si nous proposons une nouvelle loi aujourd’hui, c’est que nous partageons votre avis, madame la ministre : le temps est venu d’aller plus loin.

La question de la fin de vie, ô combien sensible, n’est l’apanage ni du Président de la République, ni de la majorité, ni même du Parlement. C’est l’apanage de tous nos concitoyens, qu’ils soient confrontés eux-mêmes ou à travers l’un de leurs proches à l’approche de la mort.

Il faut le reconnaître, aujourd’hui, la loi Leonetti est souvent mal connue ou mal appliquée ; nos équipes soignantes manquent de formation, et, lors de ses consultations, la mission Sicard a pu recueillir le témoignage de Français révoltés qui avaient vu un proche mourir dans la souffrance, peu ou pas accompagné, parce que les principes qu’impose la loi n’avaient pas été mis en œuvre pour assister le mourant dans ses dernières heures.

Cela, nous devons l’améliorer. Nous ne devons plus permettre que des situations semblables puissent se produire.

Nous avons entendu les objections que vous avez déjà formulées en commission, madame la ministre.

Pourquoi, ainsi, légiférer sous forme de proposition de loi, alors que nous vous avons reproché très récemment de vouloir passer en catimini pour autoriser la recherche sur l’embryon ? Je vous réponds : dès lors que ce sujet transcende les clivages, la proposition de loi reste notre seule arme législative, notre seule possibilité de contribuer au débat parlementaire. C’est ce que Jean Leonetti a souhaité faire dans la continuité du travail qu’il avait mené en 2004 et 2005.

Vous nous avez également objecté le fait que le calendrier n’était pas le bon, qu’il aurait fallu attendre que la réflexion soit plus avancée. Je vous l’ai dit, cet argument est un peu tiré par les cheveux. Certes, nous attendons l’avis du Comité national consultatif d’éthique. Je regrette que la publication de cet avis, initialement prévue mi-avril, ait été repoussée, mais nous ne pouvions prévoir ce contretemps lorsque l’ordre du jour du Parlement a été fixé.

Nous considérons pour notre part que la question de la fin de vie n’attend pas. À nous de nous en saisir de nouveau pour qu’à l’avenir, ce désir qui habite chacun de pouvoir mourir dans la dignité prenne tout son sens dans des actes.

Jean Leonetti a voulu situer sa démarche sur le terrain de l’humanisme. Cette proposition de loi pose un principe nouveau : tout malade conscient, atteint d’une affection grave et incurable en phase terminale et d’une souffrance physique et morale qu’il juge insupportable, peut demander une sédation qui soulagera sa souffrance.

Dans le même esprit, et afin d’améliorer la pratique des directives anticipées, peu utilisée aujourd’hui, elle propose que, dans les directives anticipées de toute personne, puisse être mentionné le désir de bénéficier d’une sédation qui atténuera ses souffrances en phase terminale de la fin de vie.

Ce faisant, nous répondons à deux impératifs : celui du respect de la parole du malade et de son autonomie, qui a été souligné par le rapport Sicard, et celui de la dignité du malade jusque dans ses derniers instants. Si nous voulons tous mourir dans la dignité, encore faut-il savoir de quelle dignité il s’agit.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. C’est à chacun de le dire !

M. Luc Chatel. Nous devons à la fois garantir plus d’écoute et de liberté à la personne qui envisage ses derniers instants avec une légitime inquiétude ou angoisse, mais aussi plus de protection de la personne en fin de vie, qui souffre, qui est fragilisée moralement et psychiquement.

Le fond de notre message, c’est : « Penser solidairement la fin de vie ». C’est, du reste, le titre du rapport Sicard. Ces quelques mots contiennent tout. Penser solidairement la fin de vie, c’est ne pas détourner le regard de celui qui souffre, ne pas l’abandonner à la souffrance, ne pas céder à la tentation d’en finir plus vite pour ne pas avoir à affronter l’approche de la mort et toutes les interrogations et les peurs qu’elle soulève.

Penser solidairement la fin de vie, c’est permettre au malade ou à la personne âgée de vivre ses dernières heures dans la paix. À la fin de la vie, ce n’est plus tant la durée qui compte que la qualité des derniers instants. C’est pourquoi nous avons refusé l’acharnement thérapeutique, qui souvent, au motif de prolonger la vie, ne faisait que rajouter de la douleur à la douleur, en prolongeant interminablement des souffrances inutiles.

Au lieu de cela, nous avons mis les soins palliatifs au cœur du message médical. Ces soins palliatifs permettent d’envisager chaque fin de vie comme un cas unique, et de prendre en compte la spécificité de chaque patient. Les professionnels de santé doivent réfléchir ensemble afin d’agir dans le meilleur intérêt du patient et de son entourage, et en respectant sa volonté. Ils sont invités à entourer la personne souffrante, à entendre ses souhaits, et à répondre à sa douleur et à son mal-être.

Le professeur Régis Aubry, lors de son audition, a montré avec force qu’une personne ayant été écoutée et accompagnée selon ses besoins ne demande presque plus jamais à mourir, même si elle l’a fait avant que sa souffrance soit soulagée. Jean Leonetti a rappelé cela. Nous réaffirmons donc, par cette proposition de loi, que la qualité de la fin de vie importe plus que tout.

Pour autant, nous refusons l’euthanasie. Je serai clair sur cette question si importante que nous avons évoquée à plusieurs reprises.

Si nous présentons cette proposition de loi, ce n’est en aucun cas pour ouvrir la porte à l’euthanasie, que nous considérons comme une dérive grave de notre société. C’est au contraire pour réaffirmer les valeurs que nous défendons sur la question difficile et pourtant primordiale de la fin de la vie. En 2005, nous avons donné au corps médical le support d’un texte de loi, pour que les médecins puissent agir avec intelligence, humanité et en s’attachant à chaque personne. Aujourd’hui, nous voulons aller au-delà, dans le même état d’esprit : il s’agit de garantir la dignité de nos proches jusque dans leurs derniers instants, sans jamais les abandonner.

Jean Leonetti rappelait tout à l’heure que beaucoup de pays ont pris la France comme exemple et développé les soins palliatifs. Ces pays sont attentifs à nos décisions en la matière. À nous, mes chers collègues, de montrer que la France place toujours la dignité de l’homme au rang de ses principes fondateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il vient parfois un moment où l’instinct de survie cède le pas au besoin d’apaisement. Au-delà de la sensibilité de chacun, des choix moraux, éthiques ou spirituels, la fin de vie est un moment particulier. Ce n’est pas le moment de la fin du combat, de la mort, mais ce n’est plus tout à fait celui de l’espoir et de la vie. Il s’agit simplement d’accorder une ultime attention au malade, de lui témoigner une ultime compassion, alors que l’on ne peut plus repousser la perspective de la mort.

Au-delà des grands principes de solidarité et d’égalité républicaine, ce sujet nous renvoie simplement à notre devoir d’humanité. Il nous renvoie d’abord à notre humaine condition. Dès l’instant de notre premier cri, elle nous assure d’une seule certitude : le moment de notre dernier souffle viendra, dont on ne sait ni le lieu, ni le jour.

Ce sujet reflète aussi les évolutions de notre société, le vieillissement, les longues maladies et les morts lentes : 70 % des décès ont lieu à l’hôpital, loin du domicile. Même les définitions classiques de la fin de la vie, telles que l’absence de battement de cœur ou l’absence de souffle, ne sont plus opératoires : elles ne constituent plus un cadre aux contours absolument définis. Même la définition biologique de la mort se perd dans une sorte de pénombre. Il n’est donc pas question ici d’opposer, comme dans La Rose et le Réséda, « celui qui croyait au ciel » et « celui qui n’y croyait pas » : il est question de respecter la vie.

Respecter la vie, c’est aussi respecter le fait que nous mourons au temps fixé par la vie elle-même. C’est protéger les patients de l’éventuel arbitraire du médecin en leur permettant, quand plus rien ne parvient à apaiser la douleur, de prévoir et de recourir à la sédation.

Plus profondément encore, ce qui se joue au cœur de ce débat, c’est notre idée de la dignité. La définition de la dignité n’est à la disposition de personne : nul ne peut se prévaloir d’en fixer les critères. Je suis convaincue qu’elle ne tient ni à une position sociale, ni à un état de conscience, ni à un état physique ou de santé : je la crois consubstantielle à l’être humain, à l’humanité. Quel que soit l’état d’une personne, de son corps auquel s’attache cette dignité, et quelle que soit par ailleurs l’image qu’elle a d’elle-même, elle doit être pleinement respectée, jusqu’au bout. Nous avons besoin d’une médecine qui s’attache autant au malade qu’à la maladie, qui ne se dérobe pas quand elle devient impuissante.

Nous avons tous en mémoire ce jeune homme, Vincent Humbert, bloqué sur son lit de douleur pendant trois ans, qui demanda à sa mère de lui ôter la vie. Cet acte – impensable pour une mère – devait ébranler les certitudes et aboutir à la loi de 2005, qui fit l’unanimité. À la suite du rapport Sicard, il s’agit aujourd’hui de préciser cette loi. La tragédie de ce jeune homme, c’est celle de la douleur extrême, de la souffrance insupportable. Il est significatif que la douleur extrême soit encore, ici ou là, inhumainement utilisée pour casser les plus nobles résistances.

Rien n’est donc plus important que de combattre la douleur extrême tout au long de la vie, jusqu’au bout de la vie, y compris lorsque les actes qui tendent à l’apaiser peuvent avoir pour conséquence de précipiter la fin d’une vie qui s’en va. Cette vie est souvent déjà partie, parce qu’elle a perdu tout son sens, parce que ce qui fait l’essence même de son humanité, le rapport à l’autre, ce seul lien qui permet encore le partage, s’est délité.

Quand l’on est prisonnier, enfermé dans la douleur, dans la souffrance, dans l’isolement ou dans une inconscience définitive, on ne peut plus rien partager, ou l’on ne peut partager qu’insuffisamment. Il faut alors entendre ceux qui, directement ou indirectement, demandent d’apaiser cette vie qui a perdu, dans le gouffre sans fond de la douleur, l’essentiel de sa dimension humaine.

Oui, il faut préciser la loi de 2005, parce que 30 % de nos concitoyens continuent à mourir dans la souffrance, sans traitement sédatif ou antalgique visant à la calmer. Oui, il faut préciser cette loi : si certains médecins appliquent les directives anticipées ou la sédation terminale telle qu’elle est prévue par cette proposition de loi, d’autres ne le font pas. Ils s’abstiennent d’y recourir par manque d’information ou de formation, et sans doute aussi, parfois, par conviction. On comprend bien la difficulté dans laquelle se retrouvent certains médecins qui utilisent des doses jugées suffisantes, parce qu’à la limite de la toxicité théorique, et des malades qui continuent à souffrir.

Nous comprenons bien, comme l’a dit le rapporteur, qu’il ne suffit plus, pour supprimer la douleur ou l’atténuer, de fixer la dose de morphine nécessaire en fonction des prescriptions du dictionnaire Vidal. Il s’agit en réalité de remédier à la souffrance morale et de faire disparaître l’angoisse, même si c’est au prix d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à l’endormissement ou l’anesthésie générale. Nous comprenons bien que la vocation d’un médecin est de sauver des vies, mais quand il n’y arrive plus, son devoir est de faire en sorte qu’elles se terminent sans souffrance et dans la dignité. Nous comprenons bien qu’au fond, une nouvelle relation se noue entre le praticien et le patient, une relation qui n’est plus mécanique, mais subjective.

Pour toutes ces raisons, et d’autres encore sans doute, la loi de 2005 relative aux droits des patients en fin de vie a été insuffisamment appliquée. Le mérite de cette proposition de loi est de faire en sorte qu’elle le soit autant que possible. Son mérite est aussi d’avoir conservé l’esprit de la loi de 2005, qui avait su ménager un écart entre l’éthique et le droit. C’est enfin d’avoir choisi une voie médiane, où la mort n’est plus une ennemie que l’on fuit par tous les moyens. Nous sommes entrés dans une culture nouvelle, celle des soins palliatifs. Il faut maintenant tracer un chemin, et préciser les contours de cette nouvelle culture. Ce travail se poursuivra sans doute encore longtemps.

En 2005, il fallait légiférer pour combler le vide juridique. De même, aujourd’hui, il faut légiférer pour préciser la loi. Cette précision sera à la fois libératrice et protectrice. En effet, la diversité des situations renvoie nos concitoyens à des interrogations sur la frontière, parfois incertaine, entre la légitimité et la légalité.

Cette proposition de loi compte deux articles. Le premier porte sur la sédation terminale, le second sur les directives anticipées. Ils sont importants : ils doivent permettre aux malades d’être effectivement accompagnés dignement jusqu’au bout de leur vie, de pouvoir choisir de terminer leur chemin chez eux s’ils le désirent, soignés et soulagés aussi bien qu’à l’hôpital, entourés de ceux qui les aiment et leur apportent affection et réconfort.

Cette évolution ouvre des possibilités profondément apaisantes pour ceux qui vivent des situations difficiles dans le domaine de l’intime. Elle est aussi un élément éthique et fédérateur dans le domaine sociétal, comme pour la vie politique. Dans ce même esprit d’apaisement et de liberté de conscience, et parce que nous touchons là à l’intime, le groupe UDI a souhaité laisser à chacun de ses membres leur liberté de vote. Pour ma part, je voterai pour ce texte.

M. Jean Leonetti, rapporteur, et Mme Isabelle Le Callennec. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, je salue pour commencer mon confrère Jean Leonetti, notre rapporteur, pour la loi relative aux droits des patients en fin de vie de 2005 à laquelle il a laissé son nom.

C’est une loi importante, qui aura permis de regarder en face la souffrance des patients en fin de vie. Grâce à elle, les jugements de valeur portés sur les patients demandant à mourir, qu’ils soient de nature éthique, morale, philosophique ou religieuse, ont commencé à s’effacer. L’acharnement thérapeutique a été remis en cause, et il est devenu plus facile de prodiguer les soins appropriés pour lutter contre la douleur.

Mais cette loi peine à produire pleinement des effets, tant elle reste méconnue et mal appliquée, en particulier par le corps médical. Même si le nombre de lit en soins palliatifs a doublé, 30 % des patients n’en bénéficient pas au moment de la fin de leur vie.

À l’heure actuelle, quelle est la situation ? Des personnes atteintes de maladies graves, évolutives et incurables, dont l’issue est certaine, sont touchées par une souffrance terrible et irréductible que la médecine ne sait pas encore prendre en charge. Ces malades souhaitent être libérés, et ne supportent pas que le pouvoir politique ou médical leur réponde que l’on n’a pas le droit d’enlever la vie. Comme le dit l’Ordre des médecins, face à l’agonie prolongée de certains patients, c’est d’une cruauté absolue.

Des patients se sentent otage du pouvoir médical qui seul peut juger, apprécier, décider si la demande du patient est raisonnable, et le cas échéant, administrer la mort en cachette. La clandestinité ou la violence, c’est cela, c’est laisser des personnes qui souffrent dans une solitude absolue. Quels que soient les moyens mis en œuvre, en effet, dans ces situations de souffrance extrême, on est seul.

De plus, cette situation expose gravement les professionnels, comme ce fut le cas en 2007. Monsieur Leonetti, vous affirmiez que le juge ne poursuivrait pas celui qui a fait raisonnablement un acte exceptionnel dans une situation exceptionnelle. Pourtant, le docteur Laurence Tramois-Gaillard fut condamné en 2007 à un an de prison avec sursis, alors même que le code pénal ne reconnaît en aucune manière ce délit.

Monsieur Leonetti, vous nous présentez aujourd’hui une nouvelle proposition de loi qui risque d’escamoter le débat, alors qu’il nous faut du temps pour examiner ces sujets. Vous le savez : nous en avons discuté ces derniers jours. Il faut beaucoup de temps pour examiner correctement ce genre de questions : on ne peut les régler en quelques heures. Ce débat mérite mieux qu’une course de vitesse. Je juge cette initiative intempestive : vous savez parfaitement qu’un grand débat va être organisé à l’occasion du dépôt d’un projet de loi sur la fin de vie par le Gouvernement.

Limiter le débat à cette proposition de loi n’est pas raisonnable. J’ai moi-même beaucoup de choses à dire à ce sujet, bien plus que les cinq minutes qui me sont attribuées aujourd’hui ne me le permettent.

M. Gilles Lurton. Il faut les dire !

M. Éric Alauzet. Bien sûr, monsieur Leonetti, vous proposez des évolutions notables, notamment sur la question importante de la sédation en phase terminale, alors que seules des sédations courtes étaient régulièrement admises, d’abord pour protéger le corps médical. Mais n’ayons pas peur des mots : c’est bien la possibilité de sédation profonde et terminale qui doit être posée. Nous devons en débattre tranquillement, sereinement. Le conseil de l’Ordre des médecins le suggère dans un avis récent ; 60 % des médecins y sont favorables.

Le rapport Sicard ne l’exclut pas. Il aborde ce débat avec beaucoup de précautions : c’est ainsi qu’il faut le faire.

Dans les situations de souffrance irréductible éprouvées par les patients, personne ne peut décider à leur place. Nous devons développer une approche beaucoup plus responsable et profondément respectueuse assurant la sécurisation juridique des professionnels. Quel soulagement pour tous nos concitoyens de savoir qu’en cas de souffrance irrépressible, ils pourront garder la maîtrise de leur destin et accéder à un geste ultime ! Même si la plupart d’entre eux n’en arriveront heureusement pas là, quel soulagement de savoir que cela est possible !

Personne ne doit décider à la place du patient. C’est un possible que nous pouvons et devons ouvrir à chacun de nos concitoyens. Ce débat, nous devons le mener dans un esprit de tolérance mutuelle, de profond respect, de retenue et d’écoute, des patients en particulier. Je rappellerai pour terminer les propos de Pasteur : « Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours. » (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les radicaux de gauche sont attachés à la défense des libertés individuelles et considèrent que le droit de vivre sa mort et de finir sa vie dans la dignité relève d’un choix individuel qu’il convient de respecter. La volonté de la personne doit prévaloir et sa capacité à évaluer ce qui est digne et indigne doit être reconnue. Si les progrès de la médecine et des traitements ont contribué à allonger l’espérance de vie, c’est parfois au détriment de la qualité de vie et de la dignité. Et qui est le mieux à même d’apprécier celle-ci sinon l’individu lui-même ? Comment comprendre que la liberté, valeur fondamentale orientant la vie de chacun, soit si difficile à accepter en matière de fin de vie ?

Choisir sa mort devrait être l’ultime liberté. Ainsi est respectée l’autonomie, entendue comme ce qui permet aux êtres humains de mener et accomplir un projet de vie selon leurs convictions dans les limites imposées par les droits et libertés d’autrui. Pourtant, le droit de choisir reste souvent refusé aux patients en phase avancée ou terminale d’une affection grave, invalidante et incurable génératrice de souffrances insupportables. Il y a là une atteinte à la liberté de décision du malade en fin de vie incompatible avec le respect de la volonté de chacun et avec le droit de mourir dans la dignité.

Dès 1978, un tel droit est revendiqué dans une proposition de loi déposée par le sénateur radical de gauche Henri Caillavet. Déjà, obligation d’information, consentement du malade par acte authentique et responsabilité médicale faisaient l’objet de propositions, finalement rejetées par le Sénat au motif que le problème posé relevait de l’éthique individuelle et médicale. En réalité, il s’agissait alors d’abstention thérapeutique.

En 2005, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui porte votre nom, monsieur le rapporteur, proscrit l’obstination déraisonnable, c’est-à-dire l’acharnement thérapeutique, et consacre le droit de tout patient de refuser ou interrompre un traitement, même si cela met sa vie en danger, et l’obligation faite au médecin de respecter la volonté de celui-ci. Grâce à cette loi, de réels progrès ont été accomplis en une dizaine d’années, grâce en particulier au développement, hélas ! trop limité des soins palliatifs, auxquels il importe de consacrer plus de moyens pour en permettre l’accès à bien davantage de patients, d’autant plus qu’il existe de fortes inégalités territoriales dans notre pays, certains départements étant nettement sous-dotés en réseaux de soins palliatifs, voire n’en possédant aucun.

Le groupe UMP a décidé de déposer une nouvelle proposition de loi visant à renforcer les droits des patients en fin de vie, qui relèvent pour beaucoup de la souffrance et de la détresse marquant la fin de vie. Pour nous, cette nouvelle proposition de loi ne fait que réécrire la loi du 22 avril 2005. Il s’agit d’une « loi Leonetti bis » qui, en ouvrant le droit à la sédation terminale, ne répond pas aux attentes des Français. Celle-ci n’est pas satisfaisante, car la combinaison de traitements sédatifs et de la privation d’alimentation et d’hydratation conduit certes à la mort, mais à quel prix ? Si le patient finit par mourir, c’est souvent au terme de souffrances pour lui-même mais aussi pour sa famille et ses proches, qui regardent partir un être cher dans la douleur.

Ainsi, selon un sondage IFOP réalisé pour Pèlerin Magazine en septembre 2012, 68 % des Français estiment que la loi actuelle sur la fin de vie ne permet pas suffisamment de respecter la volonté du malade en fin de vie. Toujours selon la même étude, 86 % d’entre eux sont favorables à l’aide médicale à mourir. Les chiffres varient quelque peu d’une étude à l’autre, mais globalement, environ 90 % des Français souhaitent bénéficier d’une assistance médicalisée au décès. Ce qu’attendent les Français aujourd’hui, c’est la reconnaissance d’un droit à l’aide active à mourir et de la liberté fondamentale de rester maître de sa destinée, de choisir pour soi et de ne pas franchir un certain seuil de souffrance physique et d’inéluctable déchéance. Voilà ce que veulent les Français !

La proposition de loi dont nous avons à débattre aujourd’hui ne nous paraît donc pas à la hauteur des enjeux. Si elle constitue une avancée dans le « laisser mourir », nous reconnaissons, elle ne répond pas à la demande d’aide à mourir souhaitée par la très grande majorité des Français. En effet, outre le cas des patients en phase terminale, il convient de reconnaître aussi le droit à une assistance médicalisée aux malades atteints d’une affection incurable ou invalidante qui, sans menacer immédiatement leur vie, leur inflige de très fortes souffrances sans espoir de guérison.

En outre, les directives anticipées s’imposant au médecin une fois validées par le patient, le médecin et éventuellement la personne de confiance évoquée à l’article 2, elles n’ont pas lieu d’être revisitées collégialement, ce qui présente de plus le risque de prolonger les souffrances du patient et d’accroître la probabilité qu’il n’obtienne pas satisfaction. Une nouvelle option visant à légaliser l’aide médicale à mourir doit être introduite dans le parcours de soins en fin de vie, car les soins palliatifs et la sédation terminale ne peuvent soulager toutes les souffrances physiques ou psychologiques.

C’est d’ailleurs une des soixante propositions de campagne du Président de la République, qui déclarait : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Le Président de la République a constitué une commission de réflexion sur la fin de vie. Après cinq mois de réflexion et une dizaine de débats citoyens, le professeur Didier Sicard a rendu son rapport à François Hollande en décembre dernier.

Face au constat que la législation en vigueur ne répond pas à l’ensemble des préoccupations légitimes exprimées par les personnes atteintes de maladies graves, invalidantes et incurables, il a décidé de saisir le Comité consultatif national d’éthique afin qu’il se prononce sur les trois pistes d’évolution de la législation ouvertes par le rapport, que vous avez rappelées, madame la ministre : comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées ? Selon quelles modalités et conditions strictes accompagner à un malade conscient et autonome atteint d’une maladie grave et incurable ? Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à sa demande, par sa famille ou par les soignants ?

Dès lors, pourquoi aller plus vite que la musique ? Nous nous étonnons en effet de la précipitation à présenter ce texte. Cette question mérite à nos yeux une place bien plus importante dans le débat public. Pour le groupe RRDP, il est nécessaire d’adopter des mesures pour un droit à une mort digne. Il est nécessaire de reconnaître au patient en phase avancée ou terminale d’une affection grave, invalidante et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qu’il juge insupportable et qui ne peut être apaisée le droit d’obtenir une assistance médicalisée pour terminer sa vie. Ce droit est d’ailleurs déjà reconnu, de façon strictement encadrée, aux Pays-Bas depuis 2001, en Belgique depuis 2002 et au Luxembourg depuis 2009.

L’étude de l’INED intitulée Les décisions médicales en fin de vie en France et publiée en décembre 2012 montre qu’un décès sur cent fait l’objet de décisions médicales en fin de vie. Le droit pénal actuel assimile l’aide active à mourir à un assassinat ou un meurtre. Même si des sanctions pénales sont rarement prononcées, le législateur ne peut se défaire de ses responsabilités et s’en remettre aux juridictions statuant au cas par cas. Il ne peut laisser les praticiens, saisis d’une demande légitime pour terminer sa vie dans la dignité, exposés aux sanctions pénales ou disciplinaires. L’exercice du droit à mourir doit bien sûr être très strictement encadré par des règles et procédures extrêmement précises. Mais l’impératif doit bien être le respect de la volonté exprimée par le malade, le libre choix par chacun de son destin personnel, bref le droit des patients à disposer d’eux-mêmes.

Poser la question du droit à mourir dans la dignité suppose que le débat s’engage de façon ouverte, sans contrainte dogmatique ni religieuse. Une telle approche est conforme au principe de laïcité, qui est une valeur intrinsèque au radicalisme et une éthique basée sur la liberté de conscience visant à l’épanouissement de l’homme en tant qu’individu et citoyen. Je conclurai en citant Sénèque, qui écrit, dans les Lettres à Lucilius : « Pour sa vie, on a des comptes à rendre aux autres, pour la mort, à soi-même. La meilleure mort ? Celle que l’on choisit. »

Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, mes chers collègues, le groupe RRDP ne soutient pas le texte et votera en faveur de la motion de renvoi en commission déposée par le groupe SRC et de la motion de rejet préalable déposée par le groupe écologiste. Le groupe RRDP souhaite qu’une véritable législation nouvelle, analogue à la proposition de loi déposée en octobre 2012 et reconnaissant le droit à une assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité, soit adoptée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’adoption en 2005 de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie a constitué une véritable avancée pour notre société. Elle était devenue indispensable en raison des progrès de la médecine et de ses exigences éthiques ainsi que de la volonté croissante et légitime de nos concitoyens de maîtriser les décisions qui les concernent. Si l’on peut regretter qu’il ait fallu le drame du jeune paraplégique Vincent Humbert pour qu’un travail de fond soit engagé, on ne peut que se féliciter du débat passionné mené au sein de notre société et du Parlement, enfin saisi de cette question si douloureuse et si complexe qu’est la fin de vie.

Cette loi a permis de donner à toute personne, à sa famille et à son entourage le droit de se déterminer et d’exprimer son souhait sur les conditions de la fin de sa vie. Il s’agissait tout à la fois de dénoncer d’éventuels acharnements thérapeutiques, inconcevables au regard de l’issue connue et attendue, de soulager les souffrances et de prendre en compte la volonté des personnes concernées. C’est un vrai progrès de civilisation respectant l’intime et singulière conviction de chacun sur la mort et la conception que nous avons ou croyons avoir de notre propre fin. Il me plaît de rappeler ici, après d’autres, que ce texte a été adopté par notre assemblée à l’unanimité moins trois abstentions.

Certains voulaient aller plus loin en inscrivant dans la loi l’euthanasie, c’est-à-dire l’autorisation pour un tiers de donner la mort, de manière bien sûr très encadrée. Nous l’avions alors refusée et conservons pour notre part cette conviction. À cet égard, je me permets de rappeler les propos de M. Badinter, que j’avais appréciés : « Il ne saurait être question de pénaliser le suicide, mais le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain et le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort. Je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. »

Nous pensons en effet qu’une société démocratique ne peut autoriser quiconque à provoquer délibérément la mort en toute légalité, fût-ce dans des conditions rigoureusement encadrées et pour des raisons louables, qu’une telle autorisation ouvrirait la porte à des dérives dangereuses, particulièrement dans un moment où la santé est, hélas ! de plus en plus envisagée sous l’angle de son coût pour la société, et que les dispositions législatives actuelles qui peuvent et doivent être encore améliorées permettent de répondre à la quasi-totalité des situations. Seules quelques très rares exceptions, comme le cas douloureux du jeune Vincent Humbert, ne rentrent pas entièrement dans le cadre législatif actuel.

Je crois cependant que ces cas exceptionnels, emblématiques de par leur unicité, ne peuvent être traités seulement par la législation.

Sur un sujet qui suscite en chacune et chacun de nous de nombreuses réflexions et implique un positionnement individuel inhérent à la condition humaine, notre rôle de législateur n’est pas de projeter une vision personnelle ou passionnelle, mais précisément de définir la règle générale. Or, cette règle générale ne peut répondre rigoureusement à toutes les situations, particulièrement dans le domaine qui nous occupe, tant il est complexe, douloureux et différent pour chacun.

Nous considérons qu’il appartient aux juges, au terme d’un débat contradictoire et approfondi, de se prononcer sur l’exception. De ce point de vue, je me permets de rappeler que la mère de Vincent Humbert et le docteur Chaussoy, tous deux mis en examen, ont obtenu une ordonnance de non-lieu de la part du juge d’instruction – et c’est heureux.

Pourtant, aujourd’hui, près de huit ans après l’adoption de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, d’importants problèmes demeurent. J’ai, pour ma part, reçu récemment le témoignage émouvant d’une personne qui, ayant accompagné le décès de son père, n’a pas bénéficié de l’application de ce texte et en a souffert, ce dont il s’est, à juste titre indigné auprès de moi. C’est, de toute évidence, le problème majeur auquel nous sommes aujourd’hui confrontés – ce que confirment aussi bien les travaux de l’Observatoire national de la fin de vie que le rapport récemment rendu par le professeur Sicard à l’issue de la mission que lui avait confiée le Président de la République.

Vous-même, madame la ministre, avez souligné les progrès accomplis, notamment en nombre de lits de soins palliatifs, mais aussi les manques, car nous sommes loin de répondre aux besoins dans ce domaine, à tel point que le professeur Sicard considère que l’on meurt mal en France. Je regrette que le texte présenté par M. Leonetti au nom du groupe UMP ne dise pas un mot sur ce point essentiel. Chacun sait combien il y a eu, au cours des dix dernières années, de postes supprimés, de personnels compressés, de services hospitaliers désorganisés, voire fermés, pour imposer une politique ultralibérale où tout est marchandise, tout est mis à prix et vendu dans le cadre de la libre concurrence, même si c’est au détriment des malades et de leurs familles.

M. Luc Chatel. La libre concurrence ? Si seulement !

Mme Jacqueline Fraysse. Quelles propositions, quels moyens pour informer les citoyens, les malades et leurs familles, ainsi que les soignants eux-mêmes, trop souvent ignorants – cela a déjà été dit, mais on ne le répétera jamais assez – des dispositions en vigueur sur l’arrêt éventuel des traitements et la mise en œuvre de soins palliatifs adaptés à chaque cas ?

Quelles propositions et quels moyens pour enseigner aux étudiants en médecine et à tous les professionnels de santé en formation le contenu de la loi adoptée en 2005, ainsi que l’esprit dans lequel elle a été élaborée pour respecter la dignité de la personne humaine ?

Quelles propositions et quels moyens pour permettre aux services hospitaliers de gérer ce dispositif, alors qu’ils travaillent à flux tendu, dans un contexte de restriction de personnel ? Quels moyens, enfin, pour développer les soins palliatifs à l’hôpital comme à domicile, alors que plus de 80 % de nos concitoyens souhaitent finir leur vie à leur domicile et que, selon un rapport publié en mars dernier par l’Observatoire national de la fin de vie, l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie, disponible depuis 2011, n’a été demandée que par 1 000 personnes ?

Force est de constater que la droite, qui était au pouvoir depuis 2005, n’a pris aucune disposition pour répondre à ces questions et permettre l’application d’une loi certes indispensable, mais qu’il ne suffit pas d’avoir votée. Aujourd’hui, M. Leonetti et son groupe nous présentent ce texte destiné à préciser et améliorer la législation actuelle. Pourquoi pas ? Je dois dire, d’ailleurs, que nous approuvons le contenu des deux articles visant à renforcer le droit à la sédation « y compris si ce traitement peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie » et à mieux utiliser les directives anticipées pour les personnes inconscientes – même si, faute de moyens nouveaux, ces dispositions risquent d’en rester, comme les précédentes, au stade du vœu pieux.

J’ajouterai en conclusion que l’on peut s’étonner de la survenue de ce texte alors qu’à la suite de la mission confiée par le Président de la République au professeur Sicard, qui a remis son rapport en décembre dernier, le Gouvernement a annoncé la mise en discussion d’un projet de loi dans les prochains mois, après avoir recueilli l’avis du Comité consultatif national d’éthique. Est-ce un hasard, ou est-ce parce que M. Leonetti tient à conserver une paternité sur un sujet qu’il a, j’en conviens, beaucoup travaillé ? Voudrait-il, par hasard, damer le pion au Président de la République ?

M. Philippe Gosselin. Oh non !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je ne me le permettrais pas !

M. Philippe Gosselin. Vous prêtez de bien mauvaises pensées à notre rapporteur !

Mme Jacqueline Fraysse. J’espère, mes chers collègues, que ces considérations, au demeurant bien dérisoires, ne sont pas de mise aujourd’hui, surtout quand il est question d’un sujet aussi sensible.

Réfléchir et travailler encore pour améliorer la législation actuelle, nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette idée. Mais combien de fois nous avez-vous dit et répété, monsieur Leonetti, que cela devait se faire dans la sérénité, sans précipitation, en respectant les points de vue de chacun ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je l’ai dit, en effet !

Mme Jacqueline Fraysse. Je partage cette façon de voir les choses, c’est pourquoi il me paraît raisonnable de poursuivre la réflexion afin de promouvoir un texte le moment venu, après avoir pris les différents avis dont nous avons impérativement besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Odile Bouillé.

Mme Marie-Odile Bouillé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre collègue Jean Leonetti soumet à notre examen une proposition de loi visant « à renforcer les droits des patients en fin de vie ». Voilà un titre qui aurait pu augurer une très bonne nouvelle pour les 86 % de Français favorables à l’euthanasie. Hélas, la lecture du texte nous apprend qu’il s’agit en fait de renforcer la protection du corps médical quand il est confronté à ce type d’événements, tout en nous faisant croire que l’on renforce les droits des malades.

Les citoyens, les patients et leurs familles veulent un nouveau droit, acquis dans d’autres pays en Europe : celui de choisir comment abréger ses souffrances et comment un malade entend rester digne jusqu’à la mort. Ils ne veulent pas de la sédation proposée dans le texte, car elle prendra un temps plus ou moins long selon les capacités du malade à résister. Ils demandent une aide active à mourir vite. Il s’agit là d’un droit individuel qui reste à conquérir.

Le droit de finir sa vie dans la dignité est l’une des dernières libertés fondamentales que nous ayons à conquérir. Il ne sert à rien d’honorer la vie si nous sommes incapables de donner à l’être humain les moyens de maîtriser la sienne jusqu’au bout. Pourtant, le texte qui nous est soumis continue à refuser ce droit. Il rend même obligatoire la validation par le médecin des directives anticipées du patient. Quelle contradiction ! Alors que la société reconnaît à chaque individu le droit de décider par lui-même de la conduite de ses actions et du sens qu’il donne à sa vie, au moment de mourir, de faire ce saut intime dans la mort, on lui retire le droit de décider pour lui – d’autres le feront à sa place.

L’idée d’instaurer un collège de quatre médecins – au lieu de deux, comme dans certains pays – rendra impossible tout accord unanime car, comme le reconnaît lui-même M. Leonetti, en phase terminale, il existe souvent des conflits de positionnement entre les médecins, ce qui est bien normal.

Les patients et leurs familles ne sont aujourd’hui que les spectateurs impuissants de la maladie et du corps médical. Cela doit cesser. Il ne s’agit pas de se réfugier derrière les soins palliatifs pour ne pas avoir à répondre à la vraie question. Il ne faut surtout pas opposer euthanasie et soins palliatifs, car les pays qui ont légalisé l’euthanasie ont vu augmenter le nombre de lits et de demandes d’admission en soins palliatifs. Les capacités dans ce domaine doivent être renforcées.

Nous sortirions grandis de ce débat si nous acceptions enfin d’affronter la vraie question, plutôt que de vouloir aménager la loi de 2005 dans la précipitation, histoire de donner l’impression de faire un pas en avant. Car en fait de pas en avant, il s’agit d’un pas de côté. Rappelez-vous qu’à l’occasion de l’évaluation en 2008 de la loi de 2005, la conclusion du rapport de notre collègue Leonetti était qu’il ne fallait rien changer.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Gosselin. De toute façon, c’était il y a cinq ans !

Mme Marie-Odile Bouillé. Je me félicite de constater que vous avez changé d’avis, et que nous puissions évoluer, faire avancer les choses – peut-être pas aussi vite qu’on le souhaiterait, mais c’est un début.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous, en revanche, vous n’évoluez pas beaucoup !

Mme Marie-Odile Bouillé. Heureusement, le Président de la République, François Hollande, a entendu cette demande de plus en plus forte de disposer d’un nouveau droit. C’est le sens de sa vingt et unième proposition.

Il a d’ailleurs saisi le Comité national consultatif d’éthique sur trois pistes d’évolution ouvertes par le rapport Sicard. Comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer les directives anticipées ? Selon quelles modalités et conditions strictes peut-on permettre à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même – lui-même ! – un terme à sa vie ? Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise par ce dernier, sa famille ou le corps médical ?

La proposition de loi qui nous est soumise ne répond pas à ces trois questions. Il faut un texte qui vise à donner un cadre légal à des pratiques que de nombreux soignants avouent connaître et que les tribunaux jugent parfois, et même souvent, avec bienveillance. Ainsi, on estime qu’il se pratique 3 000 euthanasies par an en France – des euthanasies qui ne disent pas leur nom, mais témoignent de la souffrance de ceux qui n’ont bénéficié d’aucun accompagnement. C’est à cela que nous devons mettre fin par une grande loi républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité, afin qu’à l’inverse d’une mort solitaire, cette loi puisse faciliter l’accompagnement et les derniers échanges, dans le respect de la vie qui s’en va. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, parmi ses amis, ses proches, sa famille, qui, dans cet hémicycle, n’a pas déjà été confronté aux interrogations et angoisses profondes suscitées par la fin de vie ? Question sociétale, débat scientifique ou éthique : les enjeux entourant la fin de vie méritent un vrai débat, quelles que soient nos convictions personnelles.

Il est nécessaire de dépassionner ce débat, sans avoir peur de le mener jusqu’au bout pour permettre de réelles avancées. Or, aujourd’hui, monsieur Leonetti, que nous proposez-vous, sinon une prétendue nouvelle loi qui, finalement, n’apporte rien de nouveau à la loi de 2005 que vous aviez portée à l’époque ?

C’est à se demander si le but de votre démarche n’est pas, en fait, d’éviter ce débat de fond que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux. Et loin de moi l’envie de remettre en question les avancées réelles de cette première loi ! En permettant le développement des soins palliatifs, ce texte a en effet renforcé le droit des patients en fin de vie et en a ouvert de nouveaux.

Il s’agissait d’une véritable avancée, qui faisait consensus et qui a été votée à l’unanimité.

Mais, huit ans plus tard, quel bilan peut-on en tirer ?

Au-delà de la fin de l’acharnement thérapeutique, d’aucuns ont constaté que les principes de cette loi étaient méconnus, y compris par le corps médical.

Le rapport rendu par la mission Sicard en décembre dernier corrobore ce constat. C’est pourquoi il préconise une meilleure application de la loi. Les écologistes, bien sûr, partagent cet objectif.

Pour renforcer, comme l’indique le titre de cette proposition de loi, les droits des patients en fin de vie, une meilleure maîtrise et une plus grande connaissance des soins palliatifs s’impose en effet. Mais, pour ce faire, il ne suffit pas de reformuler un article du code de la santé publique. Non, paraphraser son propre texte ne permettra pas une meilleure application de la loi, pas plus que cela ne renforcera les droits des patients en fin de vie.

Si vous souhaitiez, monsieur le rapporteur, vous inspirer réellement du rapport Sicard, vous auriez pu retenir certaines des orientations innovantes et intéressantes qui y étaient développées, parmi lesquelles on peut noter l’ouverture des soins palliatifs dans les EHPAD, le renforcement de la formation du corps médical aux soins palliatifs, une simplification des directives anticipées ou encore un meilleur encadrement de la procédure relative à la personne de confiance. Mais cela n’a pas été le cas. Vous avez préféré vous limiter à réécrire une loi existante, la vôtre qui plus est.

Si nous voulons renforcer les droits des patients en fin de vie, il faut aller plus loin.

Le droit fondamental de nos concitoyens en fin de vie, ce doit être celui de la liberté de choix. Chacun doit être en mesure de s’assurer une mort en toute dignité. Pour cela, il ne suffit pas de se contenter des soins palliatifs, d’autant que leur application peut soulever de grandes interrogations. Ainsi, la déshydratation consécutive à l’arrêt de l’alimentation du patient met en question la réalité de la dignité de cette fin de vie.

Toutefois, ne vous méprenez pas sur mes propos : je ne veux aucunement remettre en cause les soins palliatifs et leur développement, bien au contraire.

M. Philippe Gosselin. Il est bon de le préciser !

Mme Barbara Pompili. Je considère simplement que l’assurance d’une fin de vie dans la dignité implique un choix, et qui dit choix dit plusieurs solutions. Pourtant, à l’heure actuelle, on semble assez éloignés d’un dilemme cornélien.

La majorité des députés écologistes prône la légalisation de l’aide active à mourir et du suicide assisté.

Ma collègue Véronique Massonneau – et j’en profite pour excuser son absence puisque je sais qu’elle aurait aimé participer à ce débat – le rappelait lors de l’examen du texte en commission : l’euthanasie active, le suicide assisté et les soins palliatifs ne doivent pas être perçus comme contradictoires. Chacun de ses actes, à sa manière, apporte une réponse à un patient en fin de vie.

Nous sommes tous différents ; notre vision de la dignité, notre vision de la mort et nos aspirations le sont tout autant. Aussi faut-il pouvoir répondre à chacun, en l’accompagnant de la manière la plus adéquate.

Je sais que l’expression « suicide assisté » n’est pas très poétique et que l’euthanasie est un mot particulièrement tabou en France. Toutefois, il ne faut pas se voiler la face : l’euthanasie est une pratique qui est légalisée chez plusieurs de nos voisins européens.

M. Philippe Gosselin. Toujours les mêmes arguments !

Mme Barbara Pompili. En Belgique, par exemple,…

M. Philippe Gosselin. Ah, en Belgique !

Mme Barbara Pompili. …la légalisation de l’euthanasie a été accueillie comme un véritable soulagement et, loin des débordements craints par certains, elle a même contribué au développement des soins palliatifs. Loin d’être opposées, ces pratiques sont donc plutôt complémentaires.

En outre, continuer à dénigrer l’aide active à mourir revient à faire montre d’une hypocrisie totale. L’euthanasie active est déjà pratiquée dans notre pays, mais d’une manière camouflée, dissimulée, et lorsque cette pratique est réalisée dans l’illégalité, le risque est avéré, tant pour les patients que pour les médecins.

Nous pensons donc qu’il convient d’encadrer cette pratique pour offrir un cadre juridique aux patients, aux familles et au corps médical.

Vous l’aurez compris, monsieur le rapporteur, pour l’ensemble de ces raisons, je ne soutiendrai pas votre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat nous permet de rappeler que la gauche est avant tout avant-gardiste sur le plan sociétal. Je ne rappellerai pas, puisque certains l’ont évoqué, la position de M. Badinter et l’abolition de la peine de mort, le PACS, plus récemment le mariage pour tous. Aujourd’hui, vous nous invitez à débattre d’un sujet qui nous est tout aussi cher, celui de la recherche de la liberté, fût-elle celle de mourir.

Le groupe SRC a déposé par le passé un certain nombre de propositions de loi, qui affirmaient explicitement le droit de vivre sa mort, le droit de finir sa vie dans la dignité. Le Président de la République, alors candidat, dans son engagement n° 21, dit très clairement qu’il faut pouvoir bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité.

Je n’oublie pas non plus que, dans les années 1980, la circulaire que l’on a appelée la circulaire Laroque, fruit d’une initiative de Michèle Barzach, avait pour objet de développer les soins palliatifs – que personne ici ne conteste –, mais aussi de combattre, déjà, à l’époque, les propositions de l’association pour le droit de mourir dans la dignité.

De ce point de vue, une fois de plus, je suis obligé, comme beaucoup, de constater que la France est loin d’être avant-gardiste. Beaucoup de pays scandinaves, de pays voisins – on a cité les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, tous États évolués, dans lesquels la liberté et l’égalité ont un sens fort et où la laïcité est affirmée – ont osé aller beaucoup plus loin que nous, sans doute à juste titre, sans jamais porter atteinte à la liberté de qui que ce soit. Chacun est libre de faire usage de cette liberté, qui est une liberté totale.

Il est vrai que, dans le texte que vous nous proposez, vous élargissez le champ des soins palliatifs, ce dont on peut se féliciter : il me semble d’ailleurs que ce sont plus les moyens que les principes qui sont ici en débat, puisque nous sommes tous peu ou prou conscients que les soins palliatifs sont actuellement souhaités par une très large majorité de la population. Néanmoins, 61 % des personnes bénéficiant de ces soins considèrent qu’il faudrait pouvoir aller plus loin ; ils seraient prêts à s’engager, s’ils le pouvaient, dans la voie de l’euthanasie, qui n’est malheureusement pas possible en France.

Cette interdiction induit nécessairement des inégalités, car ceux qui peuvent aujourd’hui y recourir le font dans des États voisins. Or, pour ce faire, il faut avoir un réseau relationnel, savoir comment s’y prendre, être accompagné, prendre des dispositions particulières : ceci ne me paraît pas conforme à la façon dont nous devons mettre en œuvre aujourd’hui le droit pour chacun de choisir sa propre mort.

Monsieur Leonetti, vous avez sans doute été l’un des parlementaires les plus courageux sur ce sujet – je ne peux que vous en féliciter –, de même que vous avez pris le temps, dans le passé, de bien écouter les uns et les autres. La loi portant votre nom, du 22 avril 2005, est d’ailleurs issue d’une mission d’information et d’une succession de rapports parlementaires.

Ceci me conduit, quant à la forme, à vous inviter – à nous inviter, en quelque sorte –, au moment où vous lancez un nouveau débat, qui n’est pas destiné, je le suppose, à régresser, à reculer, mais à aller plus avant, à progresser, à prendre le temps d’écouter, d’échanger, afin, s’il est possible, de nous rapprocher d’une vision encore plus consensuelle.

On le voit bien, en effet, à travers l’expression des uns et des autres, nous ne sommes encore pas tous d’accord. Il serait important pour la société française que ne se répète pas le triste spectacle de ces derniers jours, où la rue a voulu, en quelque sorte, contester ce que la représentation nationale avait construit, non dans l’improvisation, mais dans l’écoute, après plus de 170 heures de débat et 120 auditions. Ces débats se sont poursuivis hors même de l’enceinte parlementaire, dans les médias – il n’est pas une télé, pas une radio qui n’ait pas organisé de multiples débats. On ne peut donc absolument pas considérer que le débat n’a pas eu lieu, sur le plan parlementaire comme sur le plan médiatique.

J’espère simplement que, s’agissant du texte que vous nous proposez, nous parviendrons au même résultat : je souhaite, à titre personnel, que l’on aille au-delà, non en deçà (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis prêt à voter sans réserve la proposition de loi qui est en débat.

Je pense qu’elle constitue une avancée humaniste dans le traitement de l’extrême souffrance. Je sais que, lorsque je parle de la mort, je parle de moi. J’ignore son visage, comme vous l’ignorez tous, mais j’ai suffisamment vu souffrir autour de moi pour savoir que, à ces instants, on est désemparé et on cherche des solutions.

Il faut avoir, me semble-t-il, la bonne volonté de dire que les solutions proposées de part et d’autre, même si l’on peut les contester, demeurent audibles. En tout état de cause, aussi grand que l’on se considère, on ne sera jamais plus grand que son cercueil et ce type de débats doit nous ramener à la modestie.

À quoi bon alors ces petites querelles ? Pourquoi dire que l’on veut réécrire une loi existante, que l’on attend une grande loi républicaine, de liberté, d’égalité et de fraternité ? Cette proposition de loi est à mes yeux un texte républicain, d’égalité, de liberté et, essentiellement de fraternité car, si nous ne sommes frères en rien, nous sommes frères en mort, c’est là chose certaine.

Cette loi ne serait pas une grande loi parce qu’elle n’autoriserait pas le suicide assisté et l’euthanasie. Elle va pourtant loin, d’ores et déjà, et ce dans le respect de la dignité.

Devrait-on accepter le suicide assisté et l’euthanasie parce que d’autres pays les pratiquent ? Il fut un temps où on lançait à la face du monde notre idée de révolution et où les peuples nous suivaient. Pourquoi faudrait-il, aujourd’hui, qu’on les suive à petits pas, tels des imitateurs ?

Choisir sa vie : qui peut en être certain ? Choisir sa fin de vie : qui le sait ? Quelle prétention de penser qu’on pourra choisir sa fin de vie, ne pas souffrir, ou du moins ne pas trop souffrir et bénéficier le plus vite possible des aides humaines et médicales qui le permettent.

Je ne veux pas polémiquer ni vous priver d’un débat sociétal, mais ce type de débats, qui nous conduit à intervenir dans les médias et provoque des échanges d’idées, fait un peu oublier, parfois, l’essentiel. Force est de constater que cela nous fait perdre du temps ; or, le temps que l’on perd, à l’horloge de l’humain, est de la souffrance qu’on engrange.

Voilà pourquoi je pense que nous n’avons pas le temps d’attendre car celui qui souffre, au moment où je parle, ne dispose pas du même temps que nous, qui allons bien : il vous dit, s’il est en état de le faire : « Dépêchez-vous, je souffre ».

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis en ce 25 avril pour débattre d’un sujet grave – la fin de vie –, pratiquement huit ans, jour pour jour, après l’adoption de la loi du 22 avril 2005.

Si vous me permettez une boutade sur un sujet dont la gravité relève de l’évidence, je dirai qu’Éros est, forcément, plus sexy que Thanatos.

L’actualité avait placé sous les feux des projecteurs Chantal Sébire, Vincent Humbert et tant d’autres. En octobre 2009, un président de groupe parlementaire, alors député de Nantes, devenu depuis lors Premier ministre – c’est évidemment de Jean-Marc Ayrault que je parle – a déposé une proposition de loi, qui avait été examinée le mois suivant. Début 2011, le sénateur Jean-Pierre Godefroy avait déposé une proposition de loi sur le même sujet.

Les initiatives ont été nombreuses, dont il est important de retracer l’historique. Notre histoire est en effet jalonnée d’interventions et de propositions, la dernière en date étant évidemment la proposition n° 21 de François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, qui était, nous dit-on, un engagement à part entière de son programme de campagne.

La fin de vie intéresse évidemment chacun d’entre nous. Nul ne peut y être indifférent puisque, par définition, nous serons tous concernés. Il importe donc de débattre sereinement, avec calme, tact et respect. Nul ne détient la solution, la bonne réponse absolue, au savant mélange d’aspects juridiques et éthiques, et faisant appel aux convictions et aux valeurs. Soyons à l’écoute des souffrances et des plaintes, ayons de l’empathie, soyons attentifs à l’autre, ne manquons pas d’humanité sur un tel sujet.

Ce débat appelle en effet une forme de modestie, d’apaisement.

Alors que le dossier du mariage homosexuel est encore chaud, qu’il a profondément divisé la société et continue de le faire, il me semblerait sage et prudent, de ne pas vouloir ouvrir un nouveau front, une nouvelle fracture sociétale – car il s’agit bien là d’une question de société, qui doit dépasser, mes chers collègues, les clivages politiques.

Parce que la fin de vie dans la dignité pose aussi la question de la dépendance, du rôle de la famille, bien sûr, et des équipes médicales, de la volonté personnelle ou non de ceux que nous aimons, il faut prendre le temps de la réflexion et agir avec prudence.

Une fois n’est pas coutume : je voudrais saluer la démarche du Président de la République qui, le 17 juillet dernier, a confié au professeur Sicard une mission dont les travaux ont abouti au mois de décembre à la remise d’un rapport. Je tiens à saluer également la saisine, enfin, du Comité consultatif national d’éthique sur un tel sujet, alors que d’autres ont été beaucoup plus dubitatifs. La réponse du Comité était attendue ces prochaines semaines, nous ne l’aurons finalement qu’à la fin du mois de juin. Le projet de loi qui devait être présenté prochainement sera donc reporté au second semestre. Il est néanmoins important de disposer de temps.

Permettez-moi de revenir brièvement sur le rapport Sicard. Je note l’attachement à la loi Leonetti de 2005, votée à l’unanimité – il faut le rappeler – à l’Assemblée nationale et dont la mission recommande à juste titre l’appropriation par tous. À cet égard, l’amélioration de la formation médicale et l’introduction d’un stage obligatoire en soins palliatifs durant l’internat et d’un enseignement sur l’obstination déraisonnable me semblent des mesures très intéressantes qui faciliteraient cette appropriation.

La loi Leonetti permet de prendre en compte l’ensemble des situations de fin de vie en proscrivant l’obstination déraisonnable. Elle autorise l’arrêt des traitements, même lorsqu’une telle interruption risque d’abréger la vie du patient, et prévoit également une sédation d’accompagnement encadrée. C’est une bonne loi – je le dis de nouveau devant son auteur – qui doit être appliquée avant qu’il soit envisagé de la modifier, ou alors retouchée dans le cadre des éclaircissements proposés par le rapporteur.

Il faut bien sûr renforcer les moyens des services de soins palliatifs, les créer dans les territoires qui en sont peu ou pas pourvus. Je n’ignore pas le coût d’une telle mesure, un coût qui peut paraître encore plus lourd en période de disette budgétaire, mais il s’agit là de choisir la société dans laquelle nous voulons vivre. L’équilibre de la société dépend aussi de la place que l’on accorde aux plus faibles. Voulons-nous une société solidaire, y compris à la fin de la vie, ou une société qui abandonne celui qui souffre ?

Je reste bien sûr fermement opposé au suicide assisté,…

M. François de Rugy. Qui vous parle de « suicide assisté » ?

M. Philippe Gosselin. …auquel le rapport Sicard semble ouvrir la porte en complément des soins palliatifs. Je crois qu’il faut être catégorique : nous devons bien sûr être attentifs à la souffrance, mais le suicide assisté, qui lève aussi un grave interdit, celui de tuer, est une démarche qui refuse de faire le choix de la solidarité.

Regardons autour de nous : les rares pays européens qui ont autorisé l’euthanasie sont aujourd’hui confrontés à des dérives préoccupantes – extension du champ des malades, développement de pratiques mercantiles – qui les incitent, du reste, à s’interroger, contrairement peut-être à ce qui a été dit tout à l’heure, sur l’opportunité parfois de faire marche arrière.

Je rappelle qu’en juillet 2009 le Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies a condamné les pratiques d’euthanasie aux Pays-Bas. Les Suisses envisagent quant à eux de restreindre la tolérance accordée au suicide assisté depuis que 30 % des suicides concerneraient des dépressifs, selon une étude de l’Université de Zurich. La Belgique semble également s’interroger sur certains points, même si une proposition de loi socialiste aurait pour objet d’étendre le champ de l’euthanasie aux enfants et aux malades d’Alzheimer ; nous y reviendrons.

En conclusion, le sujet de la fin de vie ne peut évidemment pas se résumer à quelques invectives. Il doit nous unir, nous réunir. N’enfourchons pas un nouveau cheval de bataille susceptible de creuser les divisions sur cette question de société importante. Si le texte de la loi Leonetti doit être modifié, faisons confiance à son auteur principal, à son initiateur pour proposer quelques élargissements et éclaircissements. Débattons d’abord de ses propositions avant d’ouvrir d’autres portes. Gardons toujours à l’esprit qu’il faut avoir la main tremblante sur ces questions et que, décidément, pour citer Jean Bodin, « il n’est de richesse que d’hommes ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi de notre collègue Jean Leonetti, tous l’ont dit avant moi, a le mérite de nous permettre de poursuivre le débat sur la fin de vie.

Elle vise à renforcer les droits des patients dans le droit fil de la loi du 22 avril 2005 du nom du rapporteur, une loi qui est insuffisamment appliquée aujourd’hui parce que largement méconnue.

Dans l’attente de l’avis du Comité consultatif national d’éthique, je ne crois pas que cette proposition de loi réponde à la seule question qui vaille et qui interroge notre intimité autant que la société : la place de la mort, qui nourrit bien des doutes et bien des peurs.

Je vous invite à réfléchir à un curieux constat : en 2010, 3,5 millions de Français avaient rédigé un testament afin de régler leur succession patrimoniale ; ces mêmes personnes évitent ou occultent la question fondamentale que nous nous posons. Le testament est-il finalement pour chacun une manière détournée d’aborder la question de sa propre mort sans la provoquer, en d’autres termes sans la défier, peut-être parce que ce défi est de ceux qui sont perdus d’avance ?

Une réponse législative – de type notarial, si j’ose dire – a été introduite avec la notion de directives anticipées, auxquelles notre rapporteur propose de donner une valeur contraignante alors qu’on sait qu’aujourd’hui elles ne sont mises en pratique qu’exceptionnellement.

Peut-on parler de la mort de façon apaisée au-delà de l’utilisation de « subterfuges sémantiques » tels que « fin de vie » ? Et si nous parlons d’une mort, d’une fin de vie « dans la dignité », cela implique de réfléchir à ce que serait la fin de vie ou la mort dans des conditions indignes.

Nous ne pourrons pas non plus nous cantonner à un débat simpliste qui poserait une question unique : pour ou contre l’euthanasie.

J’ai parcouru comme vous les différents sondages commandés par le magazine Pèlerin ou par l’ADMD, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui tous deux concluent à l’adhésion majoritaire des Français à la légalisation de l’euthanasie. Jusqu’à l’âge de soixante-quatre ans, les personnes interrogées donnent des réponses indifférenciées quels que soient leur sexe, leur profession ou leur région d’origine – j’exclus volontairement les réponses liées à l’appartenance politique ou religieuse. En outre, d’après le sondage réalisé pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, 60 % des médecins interrogés seraient plutôt favorables ou tout à fait favorables à l’euthanasie dite « active ».

Les questions que nous nous poserons seront à n’en pas douter plus complexes. Comment trouver l’équilibre entre la volonté de libre choix du malade, le désir individuel et légitime de liberté et les exigences des proches, de l’entourage ou de la société ? Comment traiter le cas des patients inconscients ? Comment assurer la formation des personnels soignants sur ce sujet, qui pose de très nombreuses questions éthiques ?

Le texte de la proposition de loi reprend la terminologie de la loi de 2005, à savoir l’administration d’un traitement sédatif qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie. À mes yeux, la mort ne peut être considérée comme un effet secondaire particulier – je l’ai dit en commission – et le législateur a le devoir d’apporter une réponse claire au couple formé par un soigné et son soignant.

La proposition de loi ne répond pas davantage à la situation du patient incurable victime d’un cancer ou d’une maladie neurodégénérative ou vasculaire invalidante et grave. Ce dernier a-t-il le droit d’exiger d’être médicalement assisté pour mettre un terme à une vie devenue insupportable ? À cette question essentielle, à laquelle personnellement je réponds oui, il nous faudra répondre.

Toutes ces questions nous obligent à prolonger notre réflexion et nous invitent à ne pas donner de réponse trop millimétrée alors que le champ est immense.

Je conclurai mon propos par trois citations. Les deux premières sont empruntées à deux immenses écrivains du XVIe siècle que chacun connaît, qui sont presque contemporains, et qui dépeignent simplement la mort : Shakespeare parle de la mort comme du « pays inconnu d’où nul voyageur ne revient », tandis que Michel de Montaigne nous rappelle que « tous les jours vont à la mort, le dernier y arrive. » La troisième, plus proche de nous, nous la devons à Michel Lee Landa, fondateur de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité, qui a publié un article retentissant dans Le Monde du 19 novembre 1979 : « À qui veut bien réfléchir, la liberté – et donc le droit – de mourir dignement, à son heure, selon son style, apparaîtra évident et en parfait accord avec notre sensibilité moderne. Un jour, une telle liberté sera reconnue comme une exigence morale imprescriptible et aussi impérieuse que la liberté de parler et de s’informer. […] Le droit de mourir s’accompagnera d’une modification profonde et bénéfique des mœurs et des valeurs. »

Mes chers collègues, il convient de poursuivre les réformes socio-économiques et les réformes sociétales de concert. Ces dernières ne sont jamais les plus simples et ne sont pas toujours consensuelles ; nous venons d’en faire l’expérience avec un débat qui a été tendu. Sur le sujet fondamental abordé aujourd’hui, chacun, j’en suis sûr, aspire à un débat digne et respectueux et je ne doute pas que nous l’aurons très vite. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Léonard.

M. Christophe Léonard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il n’est pas de sujet plus empreint d’humanité ou devant lequel les hommes, dans leur grande diversité, sont plus égaux entre eux que celui qui nous réunit ici et maintenant.

Qui, en effet, au cours de sa vie, ne se pose pas la question de sa propre fin et des conditions dans lesquelles cet ultime événement doit prendre sa place ?

Cette préoccupation devient même existentielle quand la maladie frappe avec son lot de souffrances inacceptables, de déchéance du corps et de l’esprit et d’insupportables angoisses devant l’inéluctable.

Subir cette agonie malgré l’aide apportée par la médecine palliative – il faut reconnaître que le nombre de lits qui y sont dédiés est dérisoire au regard des besoins exprimés – et la bienveillance reconnue des praticiens et de leurs équipes ou y mettre fin par un départ anticipé, volontaire et accompagné : tel est le choix auquel chaque patient, et lui seul, devrait pouvoir accéder.

Or, paradoxalement, avoir le choix de sa fin de vie est une liberté élémentaire qui reste à conquérir aujourd’hui en France.

Ce choix d’homme libre – la possibilité de mourir dans la dignité par une interruption volontaire de vie – reste en effet un horizon que le législateur, dans sa plus grande responsabilité et avec une profonde humilité face aux drames de la fin de vie, n’a pas encore pu inscrire dans le droit de notre pays.

Des avancées sur ce chemin ont toutefois déjà été permises.

Ainsi, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé renforce le droit du patient de ne pas subir un traitement contre son gré, puisque celui-ci peut s’opposer à un traitement même lorsque ce refus est susceptible d’abréger sa vie.

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est venue ensuite compléter la législation en ouvrant au malade la possibilité de demander au médecin de suspendre ou de ne pas entreprendre des traitements jugés comme une obstination déraisonnable.

Cependant, il reste encore, au nom du droit de tout individu à disposer de son corps et à considérer que la vie symbolique est différente de la vie biologique et que la mort commence quand la vie symbolique s’arrête, au nom du respect de la liberté de conscience et du libre arbitre de tout être humain, à permettre à chaque patient d’être maître de son destin jusqu’au bout sans qu’aucune considération philosophique, religieuse ni médicale ne puisse s’opposer à cette liberté fondamentale.

Il reste encore à apporter un droit nouveau en réponse à la demande de la société française d’une aide active à la fin de vie.

Une nouvelle étape législative doit par conséquent être franchie.

Or, force est de constater que la proposition de loi visant à renforcer les droits des patients en fin de vie, que nous examinons aujourd’hui, ne répond malheureusement pas à cette attente.

En effet, la sédation terminale, proposée par le Conseil national de l’Ordre des médecins dans sa communication du 14 février 2013, qui figure dans l’article 1er de cette proposition de loi, ne vise de fait qu’à détourner l’attention de la représentation nationale du sujet qu’elle doit traiter.

Parce qu’il dispose que des directives anticipées peuvent être validées par le patient et par le médecin sans prévoir que celles-ci soient contraignantes à l’égard du médecin en cas d’urgence vitale immédiate, l’article 2 marque un recul évident de la liberté du patient.

Cette proposition de loi ne peut donc qu’être renvoyée à un nouvel examen plus abouti et dont l’esprit serait conforme à l’engagement n° 21 pris par le Président de la République au printemps 2012 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

Le Gouvernement a d’ores et déjà saisi en ce sens le Comité consultatif national d’éthique des orientations qu’il souhaite inscrire dans son futur projet de loi sur ces questions.

À ce stade du processus de réflexion, je considère comme impératif le respect des directives anticipées émises par le patient et formulées au terme d’un cheminement personnel éclairé et juridiquement encadré. En d’autres termes, il me paraît absolument nécessaire de permettre au patient qui en fait le choix en conscience d’accéder à une interruption volontaire de vie.

Formulée préalablement de manière lucide, éclairée et réitérée, l’interruption volontaire de vie sera pour chaque patient le droit à un dernier acte de vie avant la mort, l’ultime respect de son humanité.

Je conclurai mon propos par ces mots : on n’a qu’une vie pour être un homme, mais il faut toute une vie pour être un homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fauré.

M. Alain Fauré. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons su, en France, donner du temps au temps pour aborder le droit de choisir ou de fixer les conditions de notre mort.

Les vivants ont une relation difficile avec leur propre mort, mais plus encore avec celle des autres, qu’ils leur soient proches ou éloignés. Nous fuyons tous, ou presque, cette relation qui nous conduit à des situations intolérables et souvent inhumaines. Nous devons pourtant trouver, sans passion, mais avec lucidité et empathie, des solutions qui permettront à ceux qui le souhaitent de gérer jusqu’au bout leur vie.

La relation ambiguë que nous entretenons avec notre propre mort nous conduit à vouloir idéaliser notre fin de vie. Nous l’idéalisons, au sens où nous espérons ne pas souffrir, pouvoir dire sereinement adieu à ceux que nous aimons et partir dans la sérénité. Hélas, la mort n’a souvent rien à voir avec tout cela : elle peut intervenir à tout moment et à tout âge, brutalement, ou au contraire lentement, au terme d’une agonie interminable et douloureuse. Cette douleur n’est plus tolérable pour celui qui lutte sur son lit, perdu et désemparé, habité par la peur de quitter ceux qu’il aime, ce qui lui est familier et ce qu’il connaît le mieux, c’est-à-dire la vie.

Comme nous l’avons tous observé, mourir n’est pas une affaire simple, car les chemins qui mènent à la mort sont aussi nombreux que les hommes qui vivent sur cette terre. Il faut donc offrir à ceux qui souhaitent l’anticiper la possibilité d’éviter de mourir indignement, dans des souffrances physiques ou psychiques insupportables. Nous devons y parvenir sans chercher à nous opposer et à adopter des postures clivantes.

Mourir ne serait rien, si cela consistait à s’endormir sans se réveiller, dès lors qu’au plus profond de soi on l’aurait décidé. Mais les choses se compliquent, car il faudra légiférer et solliciter celle ou celui qui a prêté le serment d’Hippocrate. Il paraît insensé de demander à ceux qui ont été formés pour guérir et sauver des vies d’aider à mourir. Peut-être pourrait-on leur enseigner qu’aider à mourir, c’est assurément empêcher de souffrir, mais aussi aider à conserver sa dignité jusqu’au bout de la vie. La mort peut être une solution, certes radicale, pour stopper la douleur et l’angoisse, lorsqu’on n’en finit pas de partir, et cela peut être un acte d’amour.

Soixante-cinq millions de Français, ce sont 65 millions de morts différentes, d’angoisses particulières et de situations personnelles. Il est rare de faire preuve de sagesse face à la mort ; le plus souvent, il y a de la détresse, de l’incompréhension, de la culpabilité, de la compassion, du soulagement, et à coup sûr de l’anxiété, ce qui ne facilite pas les positions raisonnables et tolérantes.

Alors soyons tolérants, mais surtout courageux. Préparons un texte de loi pour ceux qui émettent le souhait de préparer leur mort, et ceux qui ne le veulent pas, laissons-les disposer de la loi Leonetti, que je vous remercie d’avoir portée, monsieur le rapporteur.

La mort est une affaire compliquée, car elle n’est pas qu’une question de sentiments ; elle est aussi une affaire d’argent, avec la succession à traiter, le business pour tout régler, et les coûts liés au soin pour la retarder ou la faciliter. Tout cela complique la tâche du législateur, qui devra rédiger son texte en tenant compte de tout ce que j’ai pu évoquer.

Oui ou non, légiférera-t-on sur l’euthanasie et le suicide assisté ? Je crois que la sagesse doit l’emporter. Une première étape a été franchie avec le vote de la loi Leonetti, le 22 avril 2005, à l’unanimité des députés. En interdisant l’obstination déraisonnable, qui conduit à une prolongation artificielle de la vie, et en autorisant la limitation ou l’arrêt des traitements, elle a reconnu le droit au laisser mourir.

Il est temps de passer à une autre étape et de permettre à ceux qui sont confrontés à des douleurs insupportables, tant au niveau physique que psychique, de préparer leur mort, en cas de maladie incurable, et peut-être de situation inhumaine, qui reste à définir.

Je souhaite qu’il soit mis fin à une forme d’hypocrisie plus répandue qu’on ne le croit, qui conduit certains à la mort sans leur consentement, tout en exposant aux sanctions pénales ceux qui facilitent ce départ, tant souhaité de tous, mais que tous refusent d’assumer. Il faut donc proposer de rendre effectives les directives anticipées, qui permettront à ceux qui le souhaitent de fixer les conditions de leur fin de vie. Chacun doit avoir le droit de choisir.

La mort est taboue en ce XXIe siècle, éloignée et cachée de tous, souvent même au sein des familles alors qu’elle sera assurément vécue par tous.

La proposition de loi qui nous est soumise n’apporte pas, selon moi, les réponses adaptées, car elle n’aborde pas toutes les facettes de la problématique. Je partage donc la position du groupe SRC de ne pas légiférer sur la fin de vie, tant que le Comité consultatif national d’éthique n’aura pas donné son avis. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certains pouvaient se demander à quoi servirait ce débat. Eh bien, nous avons eu un beau débat, au cours duquel chacun a exprimé ses convictions, et surtout ses interrogations.

Je vous remercie, madame la ministre, de vous être souvent interrogée publiquement. Bien sûr, certains d’entre nous savent déjà ce qu’il faut faire et projettent de copier telle ou telle loi, mais la plupart d’entre nous, sur tous ces bancs, se posent des questions car ils savent, comme vous l’avez dit, monsieur Fauré, qu’il s’agit d’un problème complexe, qui ne se résume pas à une opposition binaire entre deux visions de la société.

Si je devais m’excuser d’avoir présenté aujourd’hui cette proposition de loi de manière anticipée, je rappellerais, comme l’a fait Luc Chatel – et du reste vous le savez tous – que pour inscrire une proposition de loi dans une niche parlementaire, il faut s’y prendre longtemps à l’avance. Or je pensais que, à l’heure où nous parlons, le Comité national d’éthique aurait déjà remis son avis – il devait le donner avant la mi-avril – et que nous disposerions peut-être même d’un projet du Gouvernement. Je me réjouis que ni l’un ni l’autre ne soit finalement arrivé, puisque cela nous a permis de franchir une première étape, au cours de laquelle chacun a pu formuler les questions qu’il se pose.

Le premier élément à noter, c’est que Luc Chatel a repris à son compte le titre du rapport Sicard, « Penser solidairement la fin de vie », qui avait été commandé par le Président de la République, un président qui n’avait pas bénéficié de notre soutien : c’est peut-être le premier pas dans le sens d’une tentative de travail commun.

Mme Sonia Lagarde a parlé de devoir d’humanité et de dignité. Vous savez tous qu’il y a deux manières de concevoir la dignité : la dignité qui est inhérente à l’humain, et dont parlent nos textes, et la dignité qui relève davantage de l’appréciation de soi, et de l’appréciation du vulnérable par la société. Sur ce point, il faut être vigilant. Sartre disait que l’on n’a jamais honte tout seul, et que la dignité que nous ressentons, elle est dans le regard de l’autre. C’est parce que l’on nous regarde avec dignité que nous sommes dignes.

Je voudrais dire à mon confrère Éric Alauzet qu’il n’y a pas de cas, dans la jurisprudence, où la loi actuelle aurait été appliquée et des médecins condamnés. En revanche, donner la mort par téléphone, sans que le malade l’ait lui-même demandé, c’est s’exposer à des sanctions pénales. Mais aucun pays au monde n’a accepté l’idée qu’un médecin puisse donner la mort à un malade, sans que celui-ci l’ait demandé.

Ainsi, quelle que soit la loi qui sera votée en France, elle ne laissera pas à la seule appréciation d’un médecin le droit de donner ou non la mort à un malade qui ne l’aura pas réclamé, et c’est uniquement dans de tels cas de figure que des médecins ont été sanctionnés. Tout cela pour dire que les médecins ne sont pas aujourd’hui confrontés à de graves difficultés, lorsqu’il s’agit de soulager les malades.

Jeanine Dubié a rappelé qu’il existe une inégalité de traitement sur le territoire. Au-delà du problème de la répartition des soins palliatifs, c’est, à mes yeux, la différence entre les pratiques médicales des uns et des autres qui est la plus scandaleuse. Le fait que certains refusent d’appliquer la loi, parce qu’il n’y a pas de sanctions lorsqu’on n’applique pas les lois de 2002 et de 2005, est vraiment problématique. C’est la raison pour laquelle, dans la lignée de ce qu’a suggéré le professeur Sicard, je veux vous proposer de rendre opposables les directives anticipées, et de rendre contraignante la demande de la sédation terminale formulée par le malade, pour ne pas la laisser à la seule appréciation du corps médicale.

Jacqueline Fraysse a rappelé à juste titre les mots de Robert Badinter, et je ne l’aurais pas fait moi-même, car je sais que ces mots peuvent choquer. Robert Badinter a toujours dit que la raison pour laquelle il s’opposait à l’exception d’euthanasie était la même – et vous pouvez retrouver son texte – qui l’avait poussé à se battre contre la peine de mort. Il rappelait aussi que ce sont les pays totalitaires, et non les pays démocratiques, qui ont des lois d’exception. Nous avançons ensemble, à tâtons et tremblants, pour faire des lois générales et universelles, et non pour créer des exceptions en fonction des cas, si tant est que les cas puissent être définis dans le cadre de la loi.

Sachez aussi que je n’ai pas d’arrière-pensées. Si quelqu’un souhaite, un jour, détacher mon nom de ce sujet, qu’il le fasse en toute liberté ! S’il est très plaisant d’avoir une certaine notoriété, il est quelquefois déplaisant de constater que notre action de député est toujours associée à la question de la mort. Si quelqu’un veut prendre le relais, en essayant, comme nous l’avons fait à l’époque, d’agir de manière consensuelle, ou au moins en associant largement tous les bancs de cet hémicycle, qu’il en prenne la responsabilité. Car je n’ai pas vocation à inscrire mon nom sur le marbre des pierres tombales, ni sur le marbre des lois ineffaçables de la République.

Au fond, madame la ministre, c’est peut-être parce qu’il y a eu une mission parlementaire que nous avons débattu depuis un an, et c’est peut-être pour cela aussi que le débat d’aujourd’hui, apaisé et tranquille dans sa diversité, a fini par aboutir. Puisque vous demandez du temps, madame la ministre, demandez la création d’une mission parlementaire, avec des députés de droite et de gauche, et nous verrons. Pourquoi penser, a priori, que nous n’arriverons pas à un accord ? J’ai eu l’impression, par instants, que certains étaient prêts à faire un pas pour se rapprocher : c’est peut-être ainsi que nous avancerons à l’avenir.

Je voudrais également remercier Philippe Gosselin, pour avoir dit que le problème est plus large, et qu’il s’agit d’un problème de société. Notre société, comme nous-mêmes, est traversée par deux éthiques qui peuvent paraître contradictoires et qui se sont affrontées tout au long de ce débat : une éthique de la vulnérabilité, qui consiste à se demander comment protéger le plus faible, le plus vulnérable, parfois même contre lui-même ; et une éthique de l’autonomie, qui vise à faire respirer l’autonomie et la liberté des personnes, justement quand elles sont vulnérables et qu’on a l’impression qu’on peut décider à leur place. Cette éthique de la vulnérabilité et cette éthique de l’autonomie ne resteront pas nécessairement en conflit l’une avec l’autre : nous devons essayer de les faire vivre ensemble, même si c’est difficile.

Par ailleurs, il ne me semble pas juste de dire qu’on a le droit de disposer de son corps. (Murmures sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Si on avait le droit de disposer de son corps, on pourrait vendre son rein à quelqu’un qui nous proposerait de l’acheter.

M. Luc Chatel. Très juste !

M. Jean Leonetti. Il y a une limite à l’autonomie de la personne : cette limite, c’est la dignité qui nous relie et qui nous rassemble. Je n’ai pas le droit de disposer absolument de mon corps ; admettre cela – je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point, des deux côtés de l’hémicycle –, c’est considérer que les mères porteuses ne posent pas de problème, pourvu qu’il y ait un contrat entre deux personnes responsables ; c’est considérer que nous avons le droit de vendre notre rein, puisqu’il nous appartient ; C’est là une conception très individualiste de la société, et peut-être marchande. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. Vous dérapez !

M. Jean Leonetti. Je voudrais enfin attirer l’attention de chacun sur les dangers d’une société qui prône toujours plus d’individualisme, de performance, de rentabilité, et quelquefois, en médecine, d’efficacité ou d’efficience, aux dépens de la qualité.

Comme l’a dit M. Fauré, autour des lits, en fin de vie, planent le sublime et le sordide. La loi que nous allons élaborer doit faire émerger le sublime et ne pas favoriser le sordide.

Il est des vies que l’on voudrait voir partir. Et chacun d’entre nous, au chevet du lit de celui qu’il aimait et qui était en train de mourir, a été partagé, comme le mourant lui-même, entre ses désirs de mort et ses désirs de vie. Ces désirs fluctuent, et cette fluctuation tient parfois à peu de chose : une douleur mal assumée, une visite qui ne s’est pas produite, un mépris ou une distance du corps médical envers ceux qu’il ne peut pas sauver et qui apparaissent comme un échec de sa médecine.

Il faudra donc que nous soyons extrêmement prudents, à l’avenir, pour ne pas considérer qu’en fin de vie l’autonomie de la personne est le seul critère. Il faut que nous ayons cette double vision, car l’éthique n’est pas l’opposition du bien et du mal, de la morale et de la science, de la religion et des laïcs ; c’est simplement un bien face à un autre bien. L’autonomie de la personne est un bien. La vulnérabilité de la personne protégée est également un bien. Acceptons d’être obligés de prendre en compte, non pas cette ambiguïté, mais cette ambivalence dans la façon que nous aurons d’avancer.

Les deux mesures qui figurent dans la proposition de loi proviennent du rapport Sicard. Ce sont les deux seules qui y soient clairement préconisées. Bien sûr, le rapport ouvre des perspectives sur le suicide assisté en expliquant que si le législateur en prenait la responsabilité, il faudrait alors être extrêmement prudent. Donc, des trois propositions dont le Comité d’éthique a été saisi, les deux premières sont dans ce texte. Elles ne sont pas parfaites et peuvent être modifiées, mais peut-être quelqu’un voudra-t-il bien les reprendre et se poser la question de l’opposabilité des directives anticipées et de l’obligation de la sédation terminale lorsqu’elle est réclamée par le malade qui ne veut pas souffrir, qui ne veut pas agoniser dans la souffrance, et qui impose sa volonté de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir.

Enfin, prenez garde à distinguer deux situations très particulières et très différentes. Celui à qui il reste dix ans à vivre et qui ne supporte pas la situation dans laquelle il est plongé et dont on peut comprendre la souffrance irréductible demande souvent un suicide assisté, alors que celui qui se trouve à quelques heures de la mort ne la réclame qu’exceptionnellement. Le paradoxe est qu’en extrême fin de vie, nous devons faire preuve d’une forte solidarité, et ne nous poser la question de l’autonomie que lorsque la personne est autonome. Lorsque l’autonomie est affaiblie par une forme de vulnérabilité telle que la personne est juste dans une vie finissante et l’exercice de son autonomie peut n’être qu’un appel au secours pour que l’on apaise ses souffrances, sans nécessairement abréger sa vie.

Voilà quelles sont mes réflexions. Non, je n’ai pas d’arrière-pensées. Je me suis trompé de timing, madame la ministre, et je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Mais, grâce à cette erreur, j’ai vu la possibilité de ne pas reproduire les affrontements un peu brutaux que nous avons connus, et que je regrette à titre personnel. Nous ne sommes pas toujours obligés de faire des lois consensuelles, mais il est possible de trouver des voies qui permettent de se parler et de se respecter. C’est peut-être cela une démocratie moderne et apaisée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de saluer à mon tour la qualité des débats qui viennent de se tenir. Ils montrent qu’il s’agit d’un sujet majeur sur lequel les attentes de la population sont importantes, et qu’il faut aborder avec sérieux et considération. Ils ont aussi montré, parfois en filigrane et parfois de façon de façon plus explicite, qu’il y a différentes façons d’appréhender les enjeux.

Je me réjouis d’abord de la référence qui a été faite à plusieurs reprises à l’engagement pris par le Président de la République au cours de la campagne électorale, parce que j’ai le souvenir de certains débats moins apaisés à cette époque. Le temps passant, on s’aperçoit que ce qui était impensable hier devient aujourd’hui éminemment souhaitable, au point de faire l’objet de propositions de loi.

Il me semble également que le débat a été très bien posé par les interventions des uns et des autres. Au fond, il y a eu unanimité pour considérer que la loi de 2005 qui porte votre nom, monsieur le rapporteur, a constitué une avancée considérable.

Comme l’ont souligné divers intervenants, notamment Jeanine Dubié et Marie-Odile Bouillé et M. Chatel, cette loi se heurte aujourd’hui à des difficultés pour être appliquée dans sa lettre et dans son esprit, et qu’il nous fallait donc faire en sorte que les soins palliatifs trouvent pleinement leur place et soient pleinement maîtrisés et connus. Cela suppose une amélioration de la formation des étudiants et des médecins et une plus grande diffusion de ces soins palliatifs, non seulement en milieu hospitalier mais aussi à domicile. C’est un point sur lequel insiste beaucoup, par exemple, le professeur Aubry. Il y a donc un consensus sur ce point, même si l’on peut discuter de la meilleure manière de procéder.

La question qui se pose est celle de savoir s’il faut aller au-delà. Vous-même, monsieur le rapporteur, vous avez très bien posé les termes de ce débat en expliquant que lorsque l’on arrive à l’extrême fin de la vie, la question n’est pas celle de savoir comment s’exerce l’autonomie, mais de savoir comment soulager la souffrance, comment l’accompagner, comment garantir la dignité. Il existe donc une première interrogation sur l’ultime moment. S’agit-il de quelques heures ou de quelques jours, cela peut-être discuté, mais cette interrogation de l’ultime moment porte sur la dignité.

À ce questionnement s’ajoute celui de l’autonomie, qui a été posé par d’autres intervenants. Le rapporteur a bien indiqué que cette question de l’autonomie se pose à un moment où l’on est encore autonome. C’est bien ce débat qui a été ouvert. J’ai entendu les interventions de Gérard Sebaoun, Christophe Léonard et Alain Fauré, ainsi que celle de Mme Fraysse, qui exprimait des réserves sur certaines perspectives qui pourraient être ouvertes à l’avenir, bien qu’à ce stade, aucune ne le soit. À l’inverse, Mme Barbara Pompili a appelé de ses vœux une démarche plus volontariste. Dans tous les cas, il apparaît clairement que la question ne se résume pas, aujourd’hui, à l’extrême fin de la vie.

De ce point de vue, monsieur le rapporteur, votre proposition de loi, parce qu’elle en reste là, n’épuise pas le débat tel qu’il est posé et qu’il a été porté dans le cadre de la commission Sicard, et tel qu’il doit être porté par le Comité consultatif national d’éthique. Ce dernier a été saisi de trois questions précises par le Président de la République, qui ne se limitent pas à l’enjeu de la dignité au moment où la fin est assurée dans un délai extrêmement rapproché.

C’est pourquoi nous avons besoin de continuer à réfléchir et à travailler. Mais je crois qu’aujourd’hui, la discussion a permis d’identifier clairement que nous sommes confrontés à des questionnements de nature différente. Au fond, la proposition de loi que vous présentez, monsieur le rapporteur, constitue une étape supplémentaire, après celle qui a donné naissance à la loi de 2005. Aujourd’hui, la question posée est celle de savoir s’il nous faut ouvrir un cadre nouveau à côté de celui qui existe, avec – et j’en resterai là, aujourd’hui – différentes perspectives possibles et différents questionnements possibles. Il a été fait référence à des modèles étrangers de nature différente : la Belgique n’est pas la Suisse, qui n’est pas l’Oregon. Des législations et des pratiques différentes existent, et nous voyons bien que ce débat-là doit également être ouvert aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de Mme Barbara Pompili et des membres du groupe écologiste une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à de M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la niche parlementaire de l’UMP me semble avoir un air de déjà-vu.

Monsieur Leonetti, vous revenez souvent à la charge sur ce sujet délicat et souvent douloureux de la fin de vie. Vous avez été rapporteur – et en partie l’auteur – de la loi de 2005. Ensuite, vous avez présidé une commission d’évaluation de cette loi en 2008. Puis vous avez été rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique en 2011, à propos duquel nous avions à nouveau évoqué le sujet, bien que vous ayez plutôt cherché à l’écarter. Désormais, vous défendez cette proposition de loi.

La loi de 2005, à laquelle on accole souvent votre nom, avait été saluée et votée par l’ensemble de l’Assemblée, tous bords politiques confondus. Il est vrai qu’à l’époque, cette loi marquait un tournant dans les débats relatifs à la fin de vie. À la suite de l’affaire Vincent Humbert, un débat important s’était instauré en France, non seulement dans les médias mais dans la société entière, au sujet de l’euthanasie. Je n’aime pas beaucoup ce terme, ayant un peu étudié le grec ancien de par le passé ; l’idée d’une « mort heureuse » me semble un concept très délicat, à manier avec beaucoup de précautions. On emploie également l’expression de « suicide médicalement assisté », qui n’est pas non plus très heureuse, ou de l’aide active à mourir.

À défaut de légaliser ces pratiques, une première étape a été franchie à l’époque. La loi de 2005 permet d’éviter ce que l’on appelle l’acharnement thérapeutique et a essayé de promouvoir les soins palliatifs. On pourrait d’ailleurs discuter de la réalité des résultats sur l’acharnement thérapeutique, mais une étape avait été franchie. Toutefois, cela n’a pas répondu au problème, grave, soulevé par le cas de Vincent Humbert, à qui les soins palliatifs n’auraient rien apporté.

Mais, pour beaucoup d’autres patients, cela a pu constituer une avancée. Pour autant, doit-on se dire que maintenant que l’on a une législation qui a – un petit peu – évolué, il ne faudrait plus rien y changer ? C’est un peu le sentiment que donnent vos initiatives législatives, monsieur Leonetti.

La loi de 2005 n’aurait pas dû devenir un horizon indépassable. Or, c’est ce que l’on pourrait croire en entendant plusieurs de vos collègues de l’UMP affirmer souvent qu’elle apporte la réponse à la question. En définitive, vous donnez l’impression de prendre aujourd’hui cette initiative législative pour bloquer les débats de fond sur les autres questions liées à la fin de vie.

Cela fait huit ans que la loi qui porte votre nom a été promulguée, et il est logique d’en faire aujourd’hui un bilan et d’étudier les pistes d’évolution.

C’est dans cette optique que le Président de la République a confié une mission sur la fin de vie au professeur Didier Sicard. Évidemment, cette mission ne doit pas empêcher le législateur de prendre des initiatives et d’être force de proposition. Le texte que vous avez déposé est donc tout à fait légitime. On pouvait penser que votre proposition de loi comporterait des idées innovantes ou, du moins, une avancée notable dans le renforcement des droits des patients en fin de vie ; mais elle ne présente finalement, à notre sentiment, qu’un intérêt limité. J’avoue d’ailleurs mal mesurer le progrès qu’elle représente.

Le rapport remis par la commission Sicard en décembre dernier précise que la loi actuelle a besoin d’être plus connue, tant par les patients que par le corps médical, et mieux appliquée. Très bien : prenons-en acte et agissons en ce sens ! Mais cela ne suffira évidemment pas. Le rapport développe d’ailleurs de nombreuses autres pistes. Ainsi, il est expliqué qu’il est impératif que la parole du malade et son autonomie soient respectées. Concrètement, cela devrait se traduire tout d’abord par le développement et la facilitation des directives anticipées, une meilleure information sur elles et une application réelle. Or les implications de ces directives et le cadre juridique strict dans lequel elles doivent s’inscrire sont, aujourd’hui encore, trop méconnus. Votre proposition de loi agit-elle en ce sens ? Non. Met-elle en œuvre de véritables mesures facilitant cette pratique ? Non plus.

Certes, on peut considérer qu’une proposition de loi ne doit pas forcément être exhaustive, et la vôtre comporte certainement d’autres approches présentes dans le rapport Sicard. En annexe de ce dernier, l’Inspection générale des affaires sociales expose la problématique de la personne de confiance. Censée être l’interlocuteur privilégié du corps médical, la personne de confiance est celle dont la parole a le plus d’importance si le patient n’est pas lui-même en état de s’exprimer. Une fois encore, si ce concept est très intelligent dans la théorie, il n’est pas opératoire dans les faits. Compte tenu de l’impossibilité pour les médecins de déterminer qui est la personne de confiance, du doute quant à la capacité pour cette personne d’agir avec justesse et d’assumer le rôle primordial qui lui incombe, et de la distance qui peut la séparer du patient, ce dispositif peine à exister. Votre proposition de loi apporte-t-elle un élément de réponse à ce problème ? Non. Fait-elle seulement mention de la personne de confiance ? Non.

Je continue d’évoquer les pistes suggérées par le rapport Sicard. Il y est clairement recommandé d’instaurer, pour le corps médical, une formation aux problématiques de la fin de vie. Trop souvent, les patients se trouvent confrontés à des praticiens ne maîtrisant que trop peu cette situation forcément compliquée – d’autant qu’elle n’est jamais la même d’un patient à l’autre. S’il est une piste que nous devrions suivre, c’est donc bien celle-ci. Or votre proposition de loi ne propose rien en la matière. Il n’y est pas même fait allusion.

Dans une autre partie du rapport, il est question de l’ouverture des soins palliatifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il s’agit d’un véritable chantier à ouvrir, car les soins palliatifs en EHPAD sont actuellement organisés par des équipes mobiles rattachées à des établissements hospitaliers ou par le dispositif d’hospitalisation à domicile. La proposition de loi que vous défendez apporte-t-elle une solution à ce problème ? Non. Elle n’y fait même pas allusion non plus. Certes, toute solution qui serait proposée créerait des charges nouvelles, et l’on sait combien il est compliqué d’insérer dans une proposition de loi des articles susceptibles de créer de nouvelles charges publiques. Cela démontre aussi le caractère inopportun de ce véhicule législatif : la procédure que vous avez choisie est inadaptée à un tel sujet.

On ne peut répondre qu’il suffit d’appliquer toutes les bonnes idées du rapport Sicard – on peut d’ailleurs juger que les propositions du rapport ne sont pas toutes bonnes, mais j’y reviendrai. Pourtant, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, il est écrit : « souhaitant qu’une nouvelle étape à la législation en vigueur soit franchie tout en faisant preuve de continuité, la présente proposition de loi, qui s’inscrit dans les orientations du rapport de la commission Sicard, vise à renforcer les droits des malades et à garantir le respect de leur dignité ». Apparemment, monsieur le rapporteur, vous avez fait de ce rapport votre bible, si vous me permettez l’expression.

M. Jean Leonetti, rapporteur. L’expression n’est pas appropriée !

M. François de Rugy. Mais toute bible donne lieu à différentes lectures et à des interprétations pour le moins distinctes. Vous ne dérogez pas à cette règle. Loin de vous inscrire dans une quelconque orientation du rapport, loin de renforcer les droits des malades, vous ne faites que réécrire votre propre loi de 2005. Finalement, on comprend bien pourquoi : il faut donner l’impression d’agir, pour défendre en réalité le statu quo. Cette attitude est respectable mais, dans ce cas, pourquoi déposer une nouvelle proposition de loi qui n’apporte pas de réelle innovation ? Cette seule raison justifierait l’adoption de la motion de rejet préalable.

Par ailleurs, on peut contester votre décision d’inscrire cette proposition à l’ordre du jour dans la période actuelle. Vous avez vous-même parlé du problème de timing – normalement, nous ne sommes pas censés employer des mots anglais lors de nos interventions à l’Assemblée nationale (Sourires). La question du moment est, en tout cas, une vraie question.

Lorsque le Président de la République a confié la mission sur la fin de vie au professeur Sicard, il n’a jamais caché qu’il en découlerait un projet de loi relatif au droit de mourir dans la dignité – c’est une autre expression que l’on emploie souvent –, en accord avec l’engagement n° 21 du programme sur lequel il a été élu. Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé lorsque le rapport lui a été remis : il a pris publiquement un engagement très clair, que nous avons salué. Vous vous souvenez sans doute, madame la ministre, que notre collègue Véronique Massonneau vous avait interrogée sur ce sujet ici même, lors d’une séance de questions au Gouvernement : vous aviez alors rappelé cet engagement.

Les conclusions du rapport ont été transmises au Comité consultatif national d’éthique, qui doit rendre son avis mi-juin, soit dans un mois et demi ou deux mois. Un projet de loi devrait ensuite être présenté en conseil des ministres. Il me paraît donc un peu étrange de vouloir, en quelque sorte, couper l’herbe sous les pieds du Gouvernement et du Président de la République en présentant cette proposition de loi maintenant.

Monsieur le rapporteur, nous avons également été un peu surpris par la façon dont vous avez conduit le travail préparatoire. Les députés du groupe écologiste, notamment Véronique Massonneau – elle ne peut pas être présente aujourd’hui, mais elle suit beaucoup cette question au sein de la commission des affaires sociales, dont elle est membre –, nous ont fait part de vos méthodes. Il est un peu surprenant d’envoyer des convocations par SMS et d’organiser une seule réunion, un mercredi matin, pour auditionner des personnes qui partagent toutes le même avis. C’est dommage, sur un sujet comme celui-là.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Auditionner le professeur Sicard, ce n’est pas bien ?

M. François de Rugy. Cela ne suffit pas !

M. Jean Leonetti, rapporteur. C’est quand même normal !

M. François de Rugy. Oui, mais il convient d’avoir une démarche aussi pluraliste que possible, puisqu’il existe une diversité de points de vue. Déjà, sous la précédente législature – j’étais moi-même député –, vous aviez conduit une mission rassemblant des députés de plusieurs groupes, mais vous aviez choisi au sein de ces groupes des députés qui partageaient votre avis.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Trente-deux députés de mon avis ? Comment aurais-je fait ?

M. François de Rugy. Encore une fois, c’était dommage, car cela ne contribuait pas à une approche pluraliste du sujet.

J’ajoute un autre élément pour étayer cette motion de rejet préalable. Lorsque nos collègues du groupe RRDP ont inscrit à l’ordre du jour qui leur était réservé une proposition de loi visant à autoriser la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires, le groupe UMP s’est livré à une opération d’obstruction systématique pour empêcher l’examen de ce texte et, a fortiori, son adoption. Les orateurs de l’UMP – je ne sais pas s’ils sont présents aujourd’hui – avaient avancé l’argument selon lequel on ne pouvait discuter d’une telle proposition de loi, qui ne comportait pourtant qu’un seul article, dans le cadre d’une niche parlementaire.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il s’agissait d’une loi bioéthique !

M. François de Rugy. J’ai envie de vous renvoyer cet argument : nous touchons aujourd’hui à un sujet beaucoup plus complexe…

M. Jean Leonetti, rapporteur. Mais il n’est pas bioéthique !

M. François de Rugy. …et qui ne peut, de surcroît, se résumer à un ou deux articles. Ce manque de cohérence est un peu regrettable : le groupe UMP aurait pu y penser…

M. Luc Chatel. Vous n’avez pas de leçons à nous donner !

M. François de Rugy. …ou éviter de faire de l’obstruction lors de l’examen de la proposition de loi relative aux cellules souches.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce texte relevait des lois de bioéthique !

M. François de Rugy. Vous le savez très bien, monsieur Leonetti ! Vous dites que la proposition de loi du groupe RRDP concernait des questions de bioéthique. La vôtre aussi !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Non ! Il ne s’agit pas du même contexte de référence !

M. François de Rugy. Lors d’un précédent débat, en 2011, nous avions longuement abordé ce sujet avec des députés de différentes tendances, y compris de l’UMP – je pense à Henriette Martinez, par exemple. Ces questions sont complexes, mais on sait très bien que l’écrasante majorité du groupe UMP veut empêcher l’adoption de mesures sur ce sujet. Il n’est pas cohérent d’affirmer que l’on peut traiter – ou plutôt évacuer – le sujet de la fin de vie à la va-vite, à l’occasion de la discussion de cette proposition de loi.

Contrairement au groupe UMP, je pense que les initiatives parlementaires ne devraient pas être restreintes par un temps déterminé – une journée, en l’occurrence ; mais, pour l’instant, il s’agit d’une règle à laquelle tous les groupes politiques se réfèrent, à l’exception du groupe écologiste. Quand on connaît et accepte cette règle, on ne propose pas de discuter, dans ce cadre, d’un texte qui appelle en réalité un débat beaucoup plus long que deux ou trois heures.

Pourquoi ne pas avoir voulu attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique ? Je ne vous ai pas entendu répondre à cette question. L’avis de ce comité – je tiens d’ailleurs à souligner l’adjectif « consultatif », y compris en référence à d’autres sujets – aurait pourtant nourri le débat, même s’il n’aurait pas forcément fallu suivre automatiquement cet avis qui n’enlève rien à nos prérogatives de législateur. Je déplore donc votre façon de faire.

Je me souviens aussi du débat du 19 novembre 2009 sur la fin de vie, qui avait été lancé par le groupe socialiste – à l’époque dans l’opposition – au moyen d’une proposition de loi dont Manuel Valls était le rapporteur. A l’époque, monsieur Leonetti, vous étiez évidemment intervenu : c’est normal ! (Sourires.) Vous aviez commencé par en appeler à un débat serein – vous l’avez fait à nouveau tout à l’heure.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur de Rugy.

M. François de Rugy. Votre intervention s’était terminée par des propos qui m’avaient choqué, avec des amalgames très éloignés du sujet. Je vous les rappelle, parce qu’ils sont importants : « Il y a une autre société, celle que nous appelons probablement tous de nos vœux, une société affirmant que la personne humaine ne se décline pas en fonction de sa force, que le nouveau-né, le mourant, le mendiant, l’homme mort dans les camps de concentration ne sont pas moins dignes que les autres. »

M. Jean Leonetti, rapporteur, et M. Luc Chatel. Et alors ?

M. François de Rugy. Que faisait, dans ce débat, une telle référence à l’homme mort dans les camps de concentration, à l’une des périodes les plus sombres de notre histoire ?

M. Luc Chatel. Vous êtes médiocre !

M. François de Rugy. Monsieur le rapporteur, j’avais pensé retirer cette partie de mon intervention,…

M. Jean Leonetti, rapporteur. C’est très bien que vous ayez rappelé mes propos ! Je vous les expliquerai !

M. François de Rugy. …mais je vous ai entendu tout à l’heure faire de nouveaux amalgames – très calmement, je le reconnais, mais ils ne m’en ont pas moins choqué.

Vous avez dit : « Je ne veux pas inscrire mon nom dans le marbre des pierres tombales. » Étrange formule ! Auriez-vous été gagné par la grandiloquence ? Vous avez ensuite remis en cause le droit de disposer de son corps, qui avait été rappelé par plusieurs collègues du groupe SRC et dont tout le monde sait très bien qu’il est au fondement de la loi de 1974 sur l’interruption volontaire de grossesse. Vous n’avez pas tenu ces propos par hasard !

Ensuite, vous avez déclaré : « Je n’accepte pas les lois d’exception », et vous avez glissé dans votre propos l’idée que quelqu’un avait dit : « Je suis contre les changements de législation sur la fin de vie, car j’ai toujours été contre la peine de mort. »

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je citais Robert Badinter !

M. François de Rugy. Quel est donc cet amalgame insidieux ? Il est particulièrement choquant de laisser entendre dans ce débat,…

M. Jean Leonetti, rapporteur. Badinter vous a choqué ?

M. François de Rugy. …je vous le dis calmement car cela m’a même attristé, que légiférer sur le droit de choisir sa fin de vie – pour moi, cette question constitue l’essentiel du débat – équivaut à appliquer la peine de mort. J’ai déjà entendu de tels propos à l’extérieur de cet hémicycle. Franchement, ce n’est pas acceptable !

M. Chatel a dit que M. Leonetti était toujours très prudent et très mesuré dans ses propos. Dans ce cas, on ne prononce pas de telles paroles…

M. Luc Chatel. Vous n’avez pas de leçons à nous donner !

M. François de Rugy. …et on ne fait pas de tels amalgames !

Mme la présidente. Merci, monsieur de Rugy : il faut vraiment conclure.

M. Luc Chatel. Oui, passons à autre chose !

M. François de Rugy. Il me reste encore un peu de temps, madame la présidente : je dispose de trente minutes.

Mme la présidente. Non, votre intervention ne peut pas dépasser quinze minutes.

M. Luc Chatel. Au revoir, monsieur de Rugy !

M. François de Rugy. Je vais conclure, madame la présidente, car je ne cherche pas à retarder les débats. Je tenais à revenir sur ces propos qui m’ont profondément choqué.

En outre, je m’étonne de l’attitude qui consiste à institutionnaliser une forme de surplace législatif en présentant des propositions nouvelles dans le but de ne rien changer !

M. Copé, lorsqu’il présidait le groupe UMP, avait dénoncé le syndrome « un fait divers, une loi ». Sur ce point, il avait raison. Notre majorité n’a d’ailleurs pas cédé à cette façon de procéder. On lui a même reproché de ne pas vouloir agir sous la pression de l’émotion médiatique.

M. Luc Chatel. Avec Cahuzac, sur la transparence, vous n’avez pas cédé ?

M. François de Rugy. Nous prendrons le temps d’agir, monsieur Chatel.

Mais avec cette proposition de loi, nous sommes exactement dans la situation inverse. À chaque cas individuel médiatisé – je pense au médecin de Bayonne –, le débat s’emballe un peu dans la société, mais vous répondez invariablement qu’il faut faire mieux connaître la loi de 2005.

M. Jean Leonetti, rapporteur. On ne dit pas que cela !

M. François de Rugy. La ministre de la santé du précédent gouvernement ne disait pas autre chose, comme vous du reste, monsieur Chatel, dans votre intervention au nom du groupe UMP.

Si, au bout de huit ans, une loi demeure méconnue ainsi que vous le prétendez, c’est qu’il y a un problème. En fait, ce n’est pas qu’elle soit méconnue : c’est qu’elle ne répond pas aux problèmes. En tout état de cause, on ne peut refermer le débat, décider de ne toucher à rien ou de ne faire évoluer la loi de 2005 qu’à la marge.

Notre responsabilité de parlementaires consiste à répondre aux nombreuses questions concernant la fin de vie.

Mme la présidente. Je vous interromps, monsieur de Rugy, pour vous confirmer que, dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire, le temps imparti pour défendre une motion de procédure est de quinze minutes.

Mme Jacqueline Fraysse. Cela a été rappelé ce matin !

M. François de Rugy. Ce matin, il s’agissait d’une deuxième lecture.

M. Luc Chatel. On a compris que vous n’étiez pas d’accord !

M. François de Rugy. De tels sujets méritent que l’on s’y attarde. Apparemment, les points de vue divergents ne vous intéressent pas, mais, selon moi, tous doivent pouvoir être défendus.

Mme la présidente. Monsieur de Rugy, l’application du règlement n’est pas une forme de censure. Il s’applique quel que soit l’orateur.

M. Luc Chatel. Très bien !

M. François de Rugy. Vous pouvez applaudir, monsieur Chatel, mais ce n’est pas à la hauteur du sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je conclus car la présidence est souveraine.

Il faut, mes chers collègues, sortir de l’hypocrisie car, et c’est un fait, des euthanasies sont pratiquées dans notre pays. Il faut sortir de l’hypocrisie en regardant sereinement ce qui se pratique dans d’autres pays et en tirer les leçons, sans vouloir copier un modèle. Parler de sédation profonde, comme vous le faites dans ce texte, est une nouvelle forme d’hypocrisie, vous le savez fort bien. Faire croire que la loi de 2005 a réglé tous les problèmes relève tout autant de l’hypocrisie. C’est pourquoi je propose que nous adoptions cette motion de rejet préalable, afin d’entamer un vrai travail sur le sujet. J’invite naturellement le Gouvernement à tenir son engagement de présenter un projet de loi dès que le Comité consultatif national d’éthique aura rendu son avis. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ayant été mis en cause sur le fond et sur la forme par M. de Rugy, j’observe que, pour lui, le seul qui soit à la hauteur du débat, c’est lui-même !

Ce n’est pas moi, mais le Président de la République qui affirme être contre l’euthanasie.

M. Luc Chatel. Exactement !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce n’est pas moi qui affirme que la loi de 2005 est mal connue et mal appliquée, mais le rapport Sicard, commandé par le Président de la République. C’est le rapport Sicard qui préconise de ne pas modifier la législation actuelle et de ne pas en proposer de nouvelle. Je précise que les deux propositions que nous faisons émanent directement du rapport Sicard. Le Conseil consultatif national d’éthique a été saisi sur trois sujets. Nous en traitons deux, la solidarité en fin de vie et en phase terminale – vous avez raison, madame la ministre. Reste la question de l’autonomie. Je n’ai pas de réponse, mais je suis sûr que le Gouvernement s’en saisira et avancera.

J’ai auditionné M. Sicard, ancien président du Conseil consultatif national d’éthique, ainsi que M. Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie. Il me paraissait normal que l’on écoute leurs avis, d’autant que le professeur Sicard a été chargé par le Président de la République d’une mission de réflexion sur la fin de vie. Je n’ai fait que mentionner les avis de M. Sicard et de M. Aubry. Cessez dès lors de faire des procès d’intention, monsieur de Rugy, au motif que vous êtes en désaccord.

Je rappelle que les lois de bioéthique n’englobent pas la question de la fin de vie. J’avoue très sincèrement que je le regrette, car ce débat y avait sa place. Si nous avons consulté le Comité consultatif national d’éthique pour la législation sur l’embryon, c’est parce que nous avions, sur ma proposition, voté à l’unanimité une loi aux termes de laquelle, à chaque fois que l’on change un aspect de la législation bioéthique, il faut saisir le Comité consultatif national d’éthique et organiser des états généraux sur le sujet concerné.

Pendant la campagne électorale, nous nous sommes interrogés sur cette question et je me suis penché sur la formulation du Président de la République : assistance médicalisée à mourir dans la dignité. Faisait-il allusion aux soins palliatifs, ou pensait-il à un droit à mourir ? J’avais alors considéré qu’il y avait une certaine ambiguïté dans la formulation, ambiguïté que le Président de la République, alors candidat, a levée en se déclarant contre l’euthanasie.

S’il y a hypocrisie, monsieur de Rugy, elle est donc plutôt de votre côté lorsque vous prétendez que le Président de la République s’était engagé à proposer une loi sur l’euthanasie, alors qu’il a dit très clairement et à deux reprises qu’il y était opposé.

Ma démarche ne répond à aucune stratégie particulière et ne manque pas de cohérence. Si vous dites que cela ressemble aux lois de 1999, 2002 et 2005, vous avez raison : c’est dans cette continuité que je m’inscris. Vous affirmez que la loi est mal appliquée…

M. François de Rugy. Non, elle est inadaptée.

M. Jean Leonetti, rapporteur. …et qu’il faut aller vers une obligation d’application parce que, dans 30 % des cas, on continue à mourir dans la souffrance. Le professeur Sicard ne dit pas autre chose, et c’est que j’essaie modestement de traduire dans cette proposition de loi.

Veuillez me pardonner d’avoir dit que mon nom ne devait pas être gravé dans le marbre de la pierre tombale. Ce n’était pas de l’humour noir : je parlais de ma propre pierre tombale. Je ne suis pas attaché à ce que mon nom soit accolé à une loi. Et, contrairement à ce que vous dites, je n’ai pas choisi les trente-deux députés membres de la mission : chaque groupe a choisi ses représentants. Si nous avons fini par déposer un texte commun, c’est parce que nous avons progressé ensemble et fait des pas les uns vers les autres. La loi de 2005 n’est pas un système clos, monsieur de Rugy, elle est une étape qui mérite en effet d’être révisée. Elle l’a déjà été et elle le sera encore. Je rappelle qu’elle n’aborde que le problème de la fin de la vie, pas celui de l’autonomie.

Vous avez par ailleurs été choqué par mon évocation de la peine de mort. J’ai tout simplement rappelé les paroles de Robert Badinter. Si vous aviez bien écouté, vous auriez entendu que je ne les avais pas prononcées moi-même, Mme Fraysse l’a rappelé.

Mme Jacqueline Fraysse. Absolument !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce qui m’a étonné dans ces propos, c’est que Robert Badinter considère que cela revient à donner la mort dans une société démocratique. Et son avis est respectable.

M. François de Rugy. Vous l’avez cité !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous le dénoncez, mais ne m’attribuez pas, monsieur de Rugy, les phrases que je cite entre guillemets.

Quant au problème de la dignité, je persiste à penser qu’il n’y a pas, comme le dit le docteur Jean-Marie Gomas, de « dignitomètre ». Un tétraplégique n’est pas mois digne qu’un paraplégique. Le mendiant, le mourant sont aussi dignes que celui qui gagne les Jeux olympiques. Nous devrions partager cette vision.

M. Gérald Darmanin. Bien sûr !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Et si j’ai parlé des camps de concentration, c’est parce que les nazis voulaient attenter à la dignité de la personne humaine en dégradant les corps.

M. François de Rugy. Quel rapport avec notre sujet ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Cela signifie, monsieur de Rugy, qu’un homme est digne en lui-même. La dignité n’est pas à géométrie variable, elle est consubstantielle à l’humanité. Prétendre qu’il y a des variations dans la dignité, c’est porter atteinte à nos textes fondamentaux, c’est ce que rappelle Robert Badinter. Vous estimez sans doute qu’il est indigne de parler de ces sujets…

M. François de Rugy. Il est indigne de faire des amalgames avec les nazis !

M. Jean Leonetti, rapporteur. …et que la dignité est contingente. Selon nous, une telle vision est difficilement admissible dans une démocratie, et elle est incompatible avec nos valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité. Dans notre conception des choses, la dignité, j’en suis persuadé, tient à l’homme en lui-même, non à l’estime de soi. Notre société ne dit pas de quelqu’un qu’il est moins utile parce qu’il n’est pas rentable, parce qu’il est malade ou handicapé. Si l’on disait cela, la dignité de la personne en serait altérée.

M. François de Rugy. Qui dit cela ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Si vous n’avez pas compris cela, monsieur de Rugy, j’en suis désolé pour vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Au titre des explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Luc Chatel pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Luc Chatel. Monsieur de Rugy, je regrette que vos propos inutilement caricaturaux et polémiques…

M. Gérald Darmanin. Comme ce matin !

M. Luc Chatel. …aient rompu un consensus, non sur le fond car, contrairement à ce que vous prétendez, il n’y a pas de consensus sur le fond, mais sur la méthode, et nui à un débat de qualité, comme l’indiquait Mme la ministre tout à l’heure.

M. François de Rugy. Il n’y a pas de consensus, et en tout cas cela n’a rien à voir avec les camps de concentration !

M. Luc Chatel. Vous faites semblant de ne pas comprendre la position du rapporteur Jean Leonetti.

Cette proposition de loi aurait un air de déjà-vu, dites-vous. Au contraire, Jean Leonetti place sa démarche sous le signe de la progressivité. À plusieurs reprises, nous avons dit que la loi de 2005, qui avait fait l’objet de nombreux débats, était aujourd’hui dépassée et nécessitait un travail complémentaire. Nous proposons une démarche progressive, le contraire de ce que vous avez qualifié de réponse figée.

La grande différence entre nous, monsieur de Rugy, c’est que vous, vous avez des certitudes…

M. François de Rugy. Non !

M. Luc Chatel. …tandis que nous, nous avons en permanence des doutes, et nous le revendiquons, sur ces sujets. Nous admettons de ne pas être d’accord entre nous, mais nous voulons débattre en nous respectant.

M. François de Rugy. Vous appelez cela du respect ?

M. Luc Chatel. Le Parlement se grandirait d’aborder ces questions dans l’état d’esprit qui a prévalu en début d’après-midi.

Selon vous, la proposition de loi n’apporte aucune réponse aux problèmes d’aujourd’hui. Nos réponses sont celles du professeur Sicard. Les deux avancées proposées par Jean Leonetti sont celles du rapport Sicard. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne votera pas la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.

Mme Barbara Pompili. Je serai brève. Monsieur le rapporteur, les amalgames avec les camps de concentration sont une insulte, et je pèse mes mots (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Luc Chatel. Ça suffit !

Mme Barbara Pompili. …à tous ceux qui s’occupent de mémoire et à tous ceux qui osent penser autrement que vous, notamment sur la question de la fin de vie.

Comme ce texte prend bien soin d’éviter le débat et que vous reprenez certaines mesures du rapport Sicard tout en en excluant d’autres, nous voterons la motion de rejet préalable.

M. François de Rugy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Ce texte se propose d’améliorer la législation actuelle. Comme je l’ai dit, rien dans ce qu’il avance ne nous heurte, il nous semble au contraire plutôt aller dans le bon sens, même si certains peuvent considérer qu’il ne va pas assez loin ou qu’il ne change rien. En tout état de cause, je n’ai pas de raison de fond de m’opposer à ce texte. C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Bernadette Laclais. Quelques mots pour exposer la position du groupe socialiste sur la motion de rejet préalable.

Tout d’abord, nous avons des interrogations à propos du calendrier – le rapporteur a eu l’occasion de fournir des explications à ce sujet et je l’en remercie.

Ensuite, nous considérons que cette proposition de loi n’aborde pas toutes les facettes de la problématique, tant le sujet est difficile, complexe et douloureux. En l’occurrence, il ne répond pas à la question que nos concitoyens nous posent très régulièrement. Quelles que soient les positions exprimées par les uns et par les autres, le débat doit avoir lieu de manière sereine. Pour notre part, nous estimons qu’il doit intervenir après que le Comité consultatif national d’éthique aura rendu son avis, sur la base du projet de loi annoncé par le Président de la République et par le Gouvernement. Les deux points évoqués dans la proposition de loi constituent seulement une partie de ce débat.

Pour toutes ces raisons, nous avons déposé une motion de renvoi en commission qu’il me revient de défendre. Nous ne voterons donc pas la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Le groupe RRDP votera la motion de rejet préalable. Pour nous, il est essentiel d’évoluer vers une législation nouvelle, conforme à la proposition de loi que nous avions déposée en octobre 2012. Nous souhaitons que soit reconnu le droit à une assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à Mme Bernadette Laclais.

Mme Bernadette Laclais. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les échanges que nous avons eus aujourd’hui confirment, s’il en était besoin, l’existence de quelques points qui peuvent nous rassembler, quelles que soient nos opinions politiques, nos convictions religieuses ou nos dispositions dans ce débat.

Premièrement, nous avons conscience d’être face à un enjeu particulier, aux dimensions complexes, douloureuses, parfois confuses, un enjeu qui commande de nous départir de postures simplistes ou dogmatiques. Les différents groupes politiques l’ont du reste compris depuis longtemps, puisqu’ils évitent généralement d’imposer des consignes de vote sur de tels sujets.

Deuxièmement, peu de sujets doivent composer à ce point avec une double dimension : d’une part le droit de la personne elle-même, en tant qu’individu, de garder la maîtrise de son destin et à voir respectés au mieux ses souhaits ; d’autre part, le devoir de la société de garantir la protection des plus fragiles, des plus vulnérables et de prévenir les excès. Et, en la matière, la frontière entre certitude et questionnement se révèle bien fragile.

Troisièmement, il y a dans notre pays une insupportable distorsion entre les textes et la réalité, phénomène que son ampleur rend très concret. Les textes, qu’ils soient législatifs ou réglementaires, ont permis au fil des années une avancée indiscutable. Mais la réalité quotidienne renvoie à un chiffre tout simplement dramatique : aujourd’hui, dans notre pays, une personne sur trois connaît une fin de vie dans la souffrance et ne bénéficie d’aucun traitement sédatif ou antalgique. Vous avez vous-même admis cette réalité, monsieur Leonetti, dans l’évaluation de votre loi, en 2008, laquelle vous a amené à constater que ces textes sont mal connus et mal appliqués. Je ne dirai pas qu’ils ont été mal conçus.

Cette évaluation a conduit à de nouvelles préconisations : mise en place de l’Observatoire national de la fin de vie et des pratiques d’accompagnement, création de l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie, élargissement des possibilités de déclencher les procédures pour limiter ou arrêter les traitements. Citons enfin l’introduction de la sédation dans le code de déontologie médicale et son corollaire, le fait d’admettre, sous condition de l’accord explicite de la personne, que le traitement antidouleur efficace administré en fin de vie puisse, par un double effet, provoquer aussi une mort plus rapide.

De 2005 à 2013, le délai peut sembler long mais que de chemin parcouru, si l’on veut bien admettre que notre société n’a pas été préparée à de telles évolutions. Toutefois, un même constat demeure, repris par le rapport Sicard rendu public en décembre dernier : la loi Leonetti est « un chemin mal connu et mal pratiqué, et qui répond pourtant à la majorité des situations ».

Vous avez sans doute été nombreux, chers collègues, à mesurer comme moi cette réalité sur le terrain dans les centres hospitaliers que vous connaissez bien. Vous savez comme il est difficile d’obtenir des réponses claires, voire de simples éléments d’informations sur ces dispositions.

Ce contexte, mais aussi les situations individuelles dramatiques dont la presse se fait régulièrement l’écho, et qui frappent à juste titre l’opinion, ont alimenté le débat sur la fin de vie et plus précisément sur l’opportunité d’aller plus loin dans l’aide active à mourir. Sous la précédente législature, plusieurs propositions de loi ont été déposées à ce propos par des parlementaires de toutes sensibilités politiques, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

Il était dès lors bien légitime que ce sujet soit abordé lors de la campagne pour l’élection présidentielle, et heureux que François Hollande, alors candidat, témoigne de l’attention qu’il lui portait. Une fois élu, il a tenu à donner très vite une suite à sa proposition n° 21, qui prévoyait que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

Soulignons le caractère ramassé du calendrier. Dès le mois de juillet, le président Hollande rendait publique la mission de réflexion sur la fin de vie confiée à Didier Sicard, dont les travaux devaient être expressément menés « en prêtant une attention pour tous les points de vue, dans un souci d’écoute et de respect mutuels ». Rendu public le 18 décembre, le rapport Sicard, dont la qualité et la profondeur d’analyse ont été unanimement salués, confirmait l’aspiration de nos concitoyens à une meilleure prise en compte de leurs espérances à l’égard de la fin de vie. Il prenait aussi acte d’un sondage réalisé pour le compte de la mission, d’après lequel 56 % des Français déclarent souhaiter être aidés médicalement pour mourir.

Partant de ces résultats, le rapport propose notamment la possibilité d’administrer aux patients qui l’auraient demandé de façon réitérée une sédation terminale entraînant le coma puis la mort. Il ouvre, sans le recommander explicitement, la réflexion sur le suicide assisté, c’est-à-dire la possibilité pour un malade incurable d’absorber un produit létal, sous la responsabilité de l’État. Dans le même temps, il rejette toute hypothèse d’euthanasie.

Sur la base de ces réflexions, le Président de la République a saisi le Comité consultatif national d’éthique. À cet égard, j’aimerais revenir sur un point que cette instance a soulevé, mais qui n’a pas été beaucoup évoqué cet après-midi, exception faite de Mme Pompili. Je veux parler des conditions dans lesquelles, une fois les traitements interrompus, la prise en charge d’un patient pourrait être améliorée.

Dans le même temps, Mme la ministre Marisol Touraine confirmait ici même, en réponse à l’une de nos collègues, Véronique Massonneau, qu’un projet de loi serait présenté au Parlement, ce qu’elle nous a reconfirmé aujourd’hui.

Quelques semaines plus tard – je tiens à le souligner –, l’Ordre national des médecins faisait connaître une évolution de sa doctrine : il envisageait pour la première fois qu’un collège médical puisse permettre une sédation terminale « dans des cas exceptionnels », au nom d’un « devoir d’humanité ».

Voilà, monsieur le rapporteur, le contexte dans lequel intervient votre proposition la proposition de loi. Vous avez rappelé les deux dispositions qui la composent, je ne les développerai pas ici.

Vous ne serez pas étonné par le fait que notre motion se fonde avant tout sur un critère d’opportunité.

Comme vous l’avez reconnu vous-même en commission et en séance, vous pensiez, au moment où vous rédigiez cette proposition de loi, que le CCNE aurait rendu son avis. Or celui-ci ne sera pas connu avant le mois de juin. Je vous remercie de l’avoir indiqué aussi clairement tout à l’heure.

Par ailleurs, toute personne – a fortiori une personne comme vous, qui maîtrise et saisit toute la dimension de ce sujet – admettra facilement que discuter aujourd’hui de ces deux dispositions ponctuelles ne permet pas d’aborder le débat et les réponses que nos concitoyens attendent tous. Ce texte de loi qui tient en une seule page n’est pas le véhicule législatif le plus approprié.

Si votre objectif est d’améliorer la loi de 2005, il me paraît louable, mais votre initiative me semble un peu précipitée, même si vous vous êtes défendu en commission d’avoir voulu faire un putsch. (Sourires.)

Si votre texte vise à amorcer le débat à venir, on peut se demander s’il ne manque pas d’ambition. Tout se passe comme s’il se contentait d’ajouter une pierre à un mur qui doit être entièrement consolidé. Vouloir en rester à ce qui a été proposé par Didier Sicard parce que cela semble faire consensus me paraît respectable, mais il vous faut accepter que ce ne soit pas forcément ce qu’attendent nos concitoyens.

Pour renforcer un mur, il faut des matériaux solides. À ce titre, nous avons beaucoup de pierres à apporter. Je pense à l’application de la loi existante et à l’information de nos concitoyens qu’elle suppose. Je pense encore à l’évolution à mettre en œuvre dans les études médicales en faveur d’une meilleure prise en compte de la fin de vie, laquelle implique plus qu’une modification technique, un changement de culture de la part des membres du personnel médical, pour qui la fin d’un traitement reste perçue comme un échec, comme un inadmissible renoncement, et qui trouvent trop souvent dans le surinvestissement technique une réponse à l’impuissance qu’ils éprouvent sur le plan relationnel face à des mourants. Je pense aussi aux modalités de mise en œuvre, dans un cadre strict, d’une sédation en phase terminale, et plus encore à l’éventuelle évolution vers un suicide assisté. Citons également les spécificités liées aux situations de fin de vie en néonatalogie ou dans les services d’urgence, la diffusion des soins palliatifs au-delà des unités spécialisées et l’abolition des frontières entre les deux approches, la collégialité indispensable à toute décision de sédation terminale.

Pardonnez-moi de ne pas poursuivre cette énumération, elle serait beaucoup trop longue.

Sur toutes ces questions et sur les réponses qu’elles impliquent, il importe que nous prenions le temps d’un débat serein, où chacun a le droit de défendre des points de vue qui ne relèvent plus de clivages politiques traditionnels et où la dialectique se porte sur le champ de la liberté individuelle, du respect de la personne et de la responsabilité collective.

Nous ressentons tous l’aspiration de nos concitoyens à un tel débat, à un débat profond, ouvert, de nature à apporter sinon un apaisement à leurs inquiétudes, du moins des éléments pour y voir clair et des perspectives d’évolution et d’amélioration. Et je crois que, cet après-midi, nous avons été à la hauteur de cet enjeu.

Les sondages d’opinion révèlent qu’une immense majorité des personnes interrogées se dit favorable à une légalisation de l’euthanasie. C’est un élément à prendre en considération, bien entendu, mais, à l’épreuve des faits, nous avons tous constaté combien une opinion établie lorsqu’une personne est en pleine santé est susceptible d’évoluer lorsqu’elle est confrontée à la réalité de la maladie, combien aussi tel refus ou telle détermination tranchée ne sont plus soutenus par la même assurance face à un proche dont on ne supporte plus les souffrances, ou face à une décision à prendre dans un contexte d’émotion extrême, de fatigue, de vulnérabilité, décision qui pourtant nous accompagnera le reste de notre vie.

Nous avons tous conscience de ce qu’un parti pris trop clairement assumé, dans un sens ou dans l’autre, devra s’appliquer à la réalité du moment et à la singularité de chaque situation ; nous devrons en assumer les apports, mais aussi les limites.

Nous savons qu’en la matière les mots, les expressions, les attentes peuvent avoir un sens ambigu et que, quand bien même la douleur serait vaincue, la frontière est ténue entre l’acte provoqué et la conséquence attendue. Tout est question de nuances ; mais ces nuances en disent long sur l’idée que l’on se fait de l’homme, de sa liberté, de sa vie.

Je souhaite que ce futur débat contribue à nous éclairer également sur l’image que notre société véhicule de la mort, le plus souvent en la fuyant, en la cachant.

Si notre société accepte de voir la mort comme un aboutissement naturel, dans une vision plus apaisée et plus sereine, parce que chacun saura qu’il sera accompagné, aidé, respecté dans ses choix d’adultes quels qu’ils soient, aimé – combien nous disent qu’ils souffrent par manque de tendresse dans ces moments ? – ; si nous acceptons tout cela, alors notre société aura franchi un nouveau pas.

Pour toutes ces raisons, nous demandons le renvoi en commission ; je vous invite donc, chers collègues, à voter la motion présentée en ce sens par notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Madame Laclais, vous me mettez en grande difficulté parce que je n’aurais presque pas changé un mot de ce que vous avez dit ; et si j’avais été à votre place, j’aurais probablement défendu la même position.

Cependant, je vous propose aujourd’hui d’adopter une avancée sur un point qui me paraît consensuel, en évitant la difficulté d’une réflexion sur l’autonomie de la personne, le suicide assisté, l’assistance au suicide, voire l’euthanasie – même si ce sujet a été écarté par le Président de la République et par le rapport Sicard.

Si nous abordons le sujet avec une démarche de doute collectif et de respect de l’autre, évoquée tout à l’heure par Luc Chatel, alors il n’est pas impossible de nous entendre sur un texte qui ne suscite pas d’affrontement.

Madame la ministre, nous avons entendu cet après-midi des propos dont je n’oserais dire qu’ils nous réconcilient avec la représentation nationale, car nous n’avons jamais été brouillés avec elle, mais qui démontrent que les mots excessifs ou les dénonciations peuvent, sur des sujets de cette difficulté et de cette complexité, céder le pas à une démarche de collaboration ou, pour utiliser un terme moins péjoratif, de coopération efficace.

Je m’adresse au Gouvernement car certaines dispositions ne relèvent pas du pouvoir législatif et pourraient donc être mises en place assez rapidement. Certes, et vous l’avez souligné, des efforts ont été accomplis : le nombre de lits en soins palliatifs a ainsi été multiplié par vingt – ce n’est pas rien ! Cela étant, nous voyons bien tout ce qu’il reste à accomplir, et nous vous apporterons notre soutien le cas échéant si nous devons y travailler ensemble.

Concernant les sujets que nous évoquons aujourd’hui, je regrette naturellement, madame Laclais, que vous proposiez d’interrompre le débat.

Je retiens toutefois deux éléments qui me semblent positifs. Premier point : nous attendons l’avis du Comité consultatif national d’éthique. J’ai bien compris qu’il ne rendait qu’un avis ; mais celui-ci pèsera lourd dans les décisions que nous devrons prendre demain pour continuer à avancer.

Deuxième point : nous avons admis que nous avions à travailler ensemble, dans une situation qui ne soit pas figée. Je regrette à ce propos d’avoir parlé tout à l’heure de « loi Leonetti », car je ne me bats pas pour un mot ni pour un nom, mais pour des convictions d’équilibre. Je pense ainsi que toute solution législative qui serait déséquilibrée ou qui romprait brutalement avec la situation actuelle serait néfaste, tant pour notre pays que pour la cohésion nationale.

Je prendrai enfin un dernier exemple. En Europe, deux pays ont adopté des législations à peu près semblables, qui légalisent l’euthanasie : il s’agit des Pays Bas et de la Belgique.

La loi néerlandaise s’est construite par petites touches, sur une quinzaine d’années : ce sont les mœurs qui ont fait la loi, et non l’inverse. Peut-être avons-nous eu tort de penser en 2005 que, parce que la loi était consensuelle, elle s’appliquerait dans les faits et que les réticences constatées ici ou là seraient vaincues ; tel ne fut pas le cas. Nous devons continuer le combat pour appliquer la loi, étendre l’obligation de solidarité envers les plus vulnérables et faire émerger l’autonomie des personnes en difficulté.

Quant à la loi belge, elle s’est constituée sur une fracture assez classique, tant entre Flamands et Wallons qu’entre droite et gauche.

Je ne crois pas pouvoir être accusé de complaisance envers ce gouvernement, que je combats suffisamment sur d’autres questions. Mais, sur ce sujet, l’opposition est prête à travailler avec la majorité pour tenter de faire avancer la législation actuelle, quel que soit le nom qu’on lui donne ultérieurement.

Nos concitoyens doivent en effet pouvoir aborder leur fin de vie, non pas avec la peur de la souffrance et le désir d’abréger leur agonie, mais avec le sentiment que la solidarité nationale, au travers du corps médical, est pleinement assumée, dans le respect des valeurs républicaines. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Au titre des explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Luc Chatel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Luc Chatel. Avant que nous ne passions au vote de cette motion, je tiens à rendre hommage à notre collègue Jean Leonetti, qui poursuit depuis plusieurs années sa démarche humaniste visant à apporter des réponses à la question si difficile de la fin de vie.

Nous devons non seulement nous interroger sur cette question, mais également nous réunir sur la méthode qui doit être la nôtre au sein de cette assemblée. Je me réjouis qu’à quelques exceptions près, le débat ait été de qualité cet après-midi.

Madame la ministre, vous avez dit tout à l’heure que la fin de vie était un sujet compliqué, et que la proposition de loi que nous défendons aujourd’hui n’épuisait pas le débat. Elle n’y prétendait pas ! Nous cherchons au contraire à adopter une démarche progressive et itérative, et à cheminer ensemble pour apporter des réponses à la hauteur de l’enjeu.

Cette démarche s’inscrit d’ailleurs totalement dans la méthode du rapport Sicard. J’indiquais tout à l’heure me reconnaître pleinement dans le titre même de ce rapport. Jean Leonetti propose aujourd’hui des avancées sérieuses, soulignées par le rapport Sicard ; ces avancées, tant sur la question de la dignité du malade que sur celle du respect de sa parole, sont extrêmement concrètes. Notre proposition de loi prolonge ainsi la démarche lancée en 2005, dans le même esprit, et en respectant le cadre de la mission Sicard.

Jean Leonetti a eu la grande honnêteté de reconnaître que le calendrier qui est le nôtre aujourd’hui n’est pas forcément celui du Comité consultatif national d’éthique, ni celui du Gouvernement.

Madame la ministre, je vous prends au mot : Jean Leonetti vous a proposé, compte tenu de l’état d’esprit régnant au Parlement sur ces questions, de créer une mission d’information, qui serait sans doute la bienvenue. Nous aurions en effet intérêt, pour avancer collectivement sur ces questions, à travailler ensemble – sans forcément rechercher le consensus – sur ces questions si difficiles.

Le Parlement ferait œuvre utile en adoptant une telle démarche ; c’est pourquoi je pense qu’il convient de réserver un écho favorable à la proposition de Jean Leonetti, afin de trouver une bonne sortie pour cette proposition de loi.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour le groupe écologiste.

Mme Michèle Bonneton. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, le sujet dont nous débattons est extrêmement sérieux, car il est au cœur de la tragédie humaine. La grande douleur, l’approche de la mort, pour nous-mêmes ou pour un proche, nous touchent au plus intime.

Notre responsabilité consiste, par la loi, à aider au mieux nos concitoyens dans ces moments extrêmes qui marqueront définitivement ceux qui restent en vie.

Cela nécessite de prendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique et de mener, en prise avec la société et au sein de la représentation nationale, des débats suffisamment longs et sereins pour aboutir à une position de sagesse. Afin de disposer du temps nécessaire, nous voterons la motion de renvoi en commission.

M. François de Rugy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Sans surprise, le groupe RRDP votera le renvoi en commission. En effet, même si nous reconnaissons que la proposition de loi examinée cet après-midi s’inscrit dans le prolongement de la loi de 2005 et l’améliore, elle n’est pas, selon nous, à la hauteur de l’enjeu qui attend les Français, car elle ne répond pas à la demande d’aide à mourir ou d’assistance médicalisée au décès.

De plus, sur la forme, nous préférons attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique.

Ce sujet a été traité de façon très apaisée dans cet hémicycle aujourd’hui, et je souhaite à ce propos remercier l’ensemble de nos collègues, car ce sujet difficile nous renvoie au plus profond de nous-mêmes et touche à notre intimité. J’espère que la mort de chacun d’entre nous sera aussi apaisée et sereine que l’étaient nos débats cet après-midi. (Sourires. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Si nous pouvons saluer la volonté manifestée de réfléchir et de travailler à nouveau sur notre législation concernant la fin de vie, il me paraît nécessaire de le faire dans un cadre plus large que celui du texte qui nous est proposé.

Cette nécessaire réflexion doit être menée au regard de la situation concrète de notre pays, après évaluation de la législation actuelle, et en tenant compte des attentes de nos concitoyens dans toute leur diversité. En effet, notre société vit et bouge, et les mentalités évoluent : il convient donc de revisiter tout cela.

Un regard nouveau doit être porté sur le cadre législatif actuel afin de l’améliorer : il nous faut ainsi adopter des dispositions matérielles et même financières pour développer les soins palliatifs dans les services hospitaliers, voire à domicile si les malades et les familles le souhaitent. Nous devons également développer tant la formation des soignants que l’information de nos concitoyens et des équipes soignantes, car l’on sait qu’il reste beaucoup à faire dans ce domaine.

Compte tenu de l’ampleur et de la complexité du sujet, compte tenu des travaux en cours et des avis en attente – notamment celui du Comité consultatif national d’éthique –, compte tenu enfin de l’engagement du Gouvernement de déposer un projet de loi dans le courant de l’année, je crois raisonnable de laisser se dérouler le processus en cours. Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons la motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.

M. Gérard Sebaoun. J’indiquerai très rapidement que nous soutenons la position de Mme Laclais, qui demande le renvoi en commission.

Nous avons en effet longuement débattu de ce texte, en posant de nombreuses questions qui, aujourd’hui, ne sont toujours pas résolues. Je remercie Jean Leonetti d’avoir ouvert ce débat et de nous avoir permis de réaliser cette première étape ; mais nous devons poursuivre notre réflexion.

Pour reprendre les arguments de Mme Fraysse, le travail qui vient nous occupera tous, d’une façon que j’espère sereine. Nous voterons donc le renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, est adoptée.)

Mme la présidente. S’agissant d’un texte inscrit à l’ordre du jour fixé par l’Assemblée, il appartiendra à la Conférence des présidents de proposer les conditions de la suite de sa discussion.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Égalité des droits et intégration des personnes en situation de handicap

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Damien Abad relative à l’égalité des droits et à l’intégration des personnes en situation de handicap (nos 516, 972).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Abad, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Damien Abad, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, mes chers collègues, comme le rappelle le professeur Charles Gardou dans son ouvrage La société inclusive, parlons-en !, une personne passe en moyenne huit années de son existence en situation de handicap. Avec le vieillissement de la population, ce chiffre est amené à augmenter, et la question du handicap occupe une place croissante dans la définition même des politiques publiques.

Valide ou non, handicapé de naissance ou victime d’un accident de la vie, parent ou enfant d’une personne handicapée, la probabilité pour chacun d’entre nous d’être confronté au handicap au cours de sa vie augmente inexorablement.

Le handicap n’est donc pas le combat des personnes handicapées contre tous, mais le combat de tous pour les personnes handicapées.

Or, la France accuse un retard en matière d’insertion sociale des personnes handicapées. Si la loi du 30 juin 1975 en a fait une obligation nationale et si la loi du 11 février 2005 a fixé des objectifs ambitieux, reposant sur un principe d’accessibilité universelle et sur un droit à compensation des conséquences du handicap, ces textes n’ont pas toujours contribué à changer notre façon de considérer le handicap ni à en faire un axe des décisions publiques.

Là où nous devrions en permanence avoir un « réflexe handicap » pour nous interroger sur le bien-fondé de nos actions et de nos décisions, nous n’avons aujourd’hui que des initiatives ponctuelles et isolées.

C’est pourquoi cette proposition de loi vise à inverser la logique, en présentant une approche globale, transversale, inclusive et continue de la question du handicap. C’est ainsi que nous ferons de notre société une société réellement inclusive, c’est-à-dire non plus une société où la personne n’a plus à s’adapter à son environnement à l’aide de dispositifs spécifiques, mais bel et bien une société qui s’adapte elle-même à la diversité des situations.

Cette vision de la société repose sur une conception dans laquelle le handicap n’est pas regardé comme une caractéristique inhérente à une personne, l’empêchant de s’intégrer dans la société au même titre que les autres citoyens, mais comme ce qui caractérise l’interaction entre une personne et son environnement. Par conséquent, il appartient à la société toute entière de s’organiser pour garantir à la personne handicapée la possibilité de participer pleinement à la vie de la cité.

Dans cette perspective, la proposition vise à faire en sorte que, dans chaque texte de loi, des dispositions soient prévues afin d’en adapter le contenu à la situation des personnes handicapées. Ce que je vous propose, mes chers collègues, c’est tout simplement de respecter l’engagement présidentiel n° 32 de François Hollande, qui disait vouloir instaurer un volet « handicap » dans chaque loi qui le nécessitera.

Il est vrai que la rédaction première de la proposition de loi ne permettait pas d’atteindre cet objectif. C’est pourquoi nous avons proposé à la commission des affaires sociales une nouvelle rédaction du texte, afin de le rendre à la fois conforme à la Constitution et opérationnel.

S’inspirant des articles L 1 à L 3 du code du travail, issus de la loi Larcher du 31 janvier 2007 qui rend obligatoire la consultation des partenaires sociaux avant tout projet de réforme sur des matières entrant dans le champ de la négociation collective, cette rédaction recherche deux objectifs.

D’une part, faire en sorte que tout projet de réforme fasse l’objet d’une réflexion, d’une concertation préalable, en vue de son adaptation à la situation des personnes handicapées, et prévoie autant que de besoin les dispositions législatives ou réglementaires nécessaires à cette adaptation.

D’autre part, faire en sorte que le Gouvernement communique au Parlement un rapport faisant état de cette réflexion et présentant les éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et, le cas échéant, les dispositions législatives ou réglementaires prévues pour tenir compte de la situation des personnes handicapées.

Comme la loi Larcher, ce texte aura donc une force symbolique, mais aussi une force juridique bien plus importante qu’une simple circulaire.

Il s’agit, à travers cette proposition de loi, de formaliser une véritable méthode de travail préalable à l’élaboration de toute réforme et de définir un principe d’action du Gouvernement en matière de handicap.

L’objectif est de déclencher et d’enclencher une dynamique favorable à la société inclusive, ce que la circulaire du 4 septembre 2012 a en partie échoué à susciter.

Lors de l’examen du texte en commission, j’ai pu constater que nous partagions, sur tous les bancs de cette assemblée, le même objectif. J’ai pu constater que cet objectif était conforme à l’engagement n° 32 du Président Hollande. Avec l’amendement n° 1 que je vous proposerai, nous lèverons tous les obstacles juridiques pour rendre cette proposition de loi applicable.

Mes chers collègues, et je voudrais m’adresser plus particulièrement aux peu nombreux députés du groupe SRC qui ont rejeté ce texte en commission, vous ne pouvez nous faire le coup du problème technique ou juridique qui empêcherait de voter un tel texte, alors que, dans vos propos, vous dites partager l’objectif de cette proposition de loi.

M. Christian Paul. C’est un argument peu convaincant !

M. Damien Abad, rapporteur. D’ailleurs, les arguments que vous avanciez en commission, chers collègues, et que vous allez, je n’en doute pas, reprendre dans la discussion générale, sont pour le moins contradictoires. Ils témoignent en fait de votre véritable embarras à rejeter un texte de bon sens.

D’un côté, vous dites que vous votez contre cette proposition de loi en commission parce qu’elle est inapplicable. De l’autre, vous affirmez qu’elle est déjà satisfaite par la circulaire.

De deux choses l’une : soit cette proposition n’est pas applicable, et c’est alors l’engagement de François Hollande lui-même qui ne l’est pas, soit elle est déjà satisfaite, et vous considérez alors que la loi est au même niveau qu’une circulaire.

Ces critiques sont en réalité infondées, car ce texte que vous prétendez inapplicable s’inspire de la loi Larcher : un dispositif qui existe et qui fonctionne, en matière de dialogue social et de négociation collective.

D’ailleurs, ce même objectif de consultation préalable a été fixé dans les lois bioéthiques. Nous avons donc deux précédents législatifs qui nous montrent que ce dispositif de consultation préalable n’est ni une injonction au Gouvernement, ni un texte inconstitutionnel : au contraire, il est de bonne pratique et améliore la concertation entre les différents acteurs du secteur concerné.

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jean-Marc Sauvé, le vice-président du Conseil d’État, madame la ministre, qui parle lui-même de « mécanisme pré-constitutionnel ».

Le deuxième argument que j’ai entendu en commission des affaires sociales consiste à dire que nous aurions satisfaction par la circulaire. Je veux rappeler d’abord que la circulaire ne s’applique pas aux textes réglementaires et qu’il n’y aura pas de contrôle parlementaire de l’application par le Gouvernement d’une circulaire, contrairement à ce qui se passe s’agissant d’une loi.

Surtout, regardons d’un peu plus près les résultats de cette circulaire. J’estime qu’elle ne suffit pas à changer la donne et à enclencher une dynamique positive. Je suis prêt à vous accorder qu’elle représente un progrès, mais ses six premiers mois de mise en œuvre ne sont guère convaincants. Ses instructions ont été très peu appliquées : moins de la moitié des études d’impact annexées aux projets de loi examinés par l’Assemblée nationale font effectivement mention de cette réflexion préalable et, dans ce cas, c’est en général pour conclure en une phrase à l’absence de nécessité de mesures spécifiques.

Si l’on regarde d’un peu plus près les résultats de cette circulaire, on se rend compte que les justifications apportées sont généralement inexistantes ou extrêmement sommaires.

Il ne faut en outre pas oublier, comme je l’ai dit, qu’aucune procédure similaire n’existe pour les textes réglementaires.

Vous voyez que vos arguments juridiques sont faibles. Si nous sommes d’accord sur l’objectif et que nous pouvons modifier, améliorer, les modalités pratiques, pour atteindre cet objectif, ma question est simple : comment peut-on voter contre une proposition de loi dont on dit approuver l’objectif ?

M. Arnaud Richard. Très juste !

M. Damien Abad, rapporteur. Pire : comment pouvez-vous déposer un amendement de suppression, qui consiste à balayer d’un revers de main une proposition de loi et l’enjeu du handicap, alors même que vous dites partager notre objectif ?

Est-ce que pour vous, les modalités pratiques l’emportent sur l’objectif ? Peut-être, mais moi, en tant que député de la nation, je considère qu’en général l’objectif l’emporte sur les modalités pratiques.

M. Gérald Darmanin. Tout à fait !

M. Damien Abad, rapporteur. Pour ma part, madame la ministre, je n’ai pas hésité à voter pour certains textes présentés par le Gouvernement, ou bien à m’abstenir quand j’en approuvais l’objectif.

M. Christian Hutin, vice-président de la commission des affaires sociales. Pas souvent !

M. Damien Abad, rapporteur. Ce fut le cas sur la loi bancaire, ce fut le cas sur les emplois d’avenir.

Mme Isabelle Le Callennec. Eh oui !

M. Damien Abad, rapporteur. Ce que je vous propose aujourd’hui, c’est de dépasser ce sectarisme partisan. Disons-le puisque nous sommes entre nous : s’il y a désaccord, il est plus politique que juridique. À défaut de cohérence intellectuelle, il faut avoir au moins l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître.

Pour conclure, c’est dans un esprit constructif que j’ai travaillé à cette proposition de loi et que je continue à croire qu’en dépit du refus initial de la commission nous pouvons trouver les voies d’un consensus.

La proposition de loi, telle qu’elle résulterait des amendements que je vous propose, reprend un engagement clair du Président de la République. Elle a reçu le net soutien, franc, massif, de tous les représentants associatifs que nous avons auditionnés. La rejeter serait un très mauvais signal adressé au monde du handicap, au moment même où l’on risque de reporter les délais en matière d’accessibilité.

Mes chers collègues, les Français, valides ou handicapés, ne comprendraient pas que nous nous divisions sur une telle question. Ils ne comprendraient pas que nous ne puissions pas trouver un large consensus, ils ne comprendraient pas que le handicap soit l’otage d’une simple logique partisane. En vous soumettant cette proposition de loi, je crois en notre capacité de nous rassembler, afin de faire évoluer ensemble notre société et d’adopter enfin, dans notre pays, le « réflexe handicap ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi qui vous est présentée a de quoi dérouter à bien des égards.

Certes, son exposé des motifs dresse un état de fait incontestable. Les difficultés auxquelles se heurtent les personnes en situation de handicap dans notre société sont immenses et ne peuvent en aucun cas se résumer au champ médical : sur cette question nous sommes tous d’accord. Il faut donc une approche globale, transversale et continue du handicap : ce principe se trouve d’ailleurs dans la loi du 11 février 2005.

Jusqu’ici, nous sommes tous d’accord et, nous l’avons compris, monsieur le député, vous rendez un hommage presque explicite à l’engagement n° 32 de François Hollande d’abord, puis à l’action du Premier ministre qui, dans la circulaire du 4 septembre 2012, réaffirme le caractère interministériel de la politique du handicap et demande à chaque ministre d’inclure un volet « handicap » dans tout projet de loi : à défaut, il faudrait justifier son absence.

Le problème est qu’après cet exposé des motifs, auquel nous pourrions souscrire, la montagne accouche d’une souris : plus précisément, d’un article écrit à la va-vite, vague et totalement inopérant. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur Abad, vous voulez « insérer dans chaque loi de portée générale examinée par le Parlement un article », comme si toute loi n’était pas de portée générale, comme s’il existait des lois de portée particulière. De plus, une loi ne peut prévoir l’inscription d’un article dans les lois futures, par le simple fait que le législateur présent ne peut adresser d’injonction au législateur futur. Même la Constitution ne peut définir au mot près une partie des lois futures.

M. Damien Abad, rapporteur. Nous sommes d’accord !

M. Gérald Darmanin. On le fait pour l’outre-mer !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Tout cela, vous le savez très bien, puisque vous l’avez dit vous-même en commission. Nous sommes donc d’accord également sur ce point. Le législateur présent ne peut non plus espérer que la formule que vous aviez initialement choisie – « Les dispositions de la présente loi doivent s’adapter à la situation des personnes handicapées » – ait un quelconque effet :

Comment définissez-vous les modalités de cette adaptation ? Quelle procédure adopter ? C’est également très vague.

Je n’imagine pas une seule seconde que vous ne sachiez pas, monsieur le député, qu’au premier coup d’œil le Conseil constitutionnel aurait jugé ce texte parfaitement inopérant. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sylvain Berrios. Vous n’êtes pas juge constitutionnel, que je sache !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Ce n’est pas sérieux, ce n’est pas ce que nous devons à nos concitoyens et, à plus forte raison, à nos concitoyens en situation de handicap, pour lesquels, chaque jour, ici, ensemble, nous devons nous battre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Paul. Écoutez plutôt, et vous aurez la réponse !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Cette proposition de loi n’est qu’affichage, et rappelle une époque révolue, celle du sarkozysme qui cachait son impuissance derrière le « droit bavard ». (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérald Darmanin. Avez-vous vu les chiffres du chômage tombés aujourd’hui ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement souhaite faire voter des textes qui lui permettent de tenir concrètement ses engagements. Et notre engagement auprès des personnes en situation de handicap est immense. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2013, nous avons prévu une hausse de 6,3 % des moyens pour les personnes en situation de handicap, dans un contexte budgétaire pourtant des plus contraints. De même, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, nous avons prévu une augmentation de 4 %de l’ONDAM médico-social. Or les signataires de la présente proposition de loi ont voté contre ces deux textes !

Le taux de chômage des personnes handicapées atteint le double de la moyenne de la population – vous le soulignez dans votre exposé des motifs et, comme vous, nous en sommes très inquiets. Qu’avez-vous fait, le 9 octobre 2012, lorsque le projet de loi sur les emplois d’avenir a été voté ici même ?

M. Jérôme Guedj. Eh oui !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Qu’avez-vous fait, le 21 janvier 2013, lorsque le projet de loi portant création du contrat de génération a été voté, ici même, en première lecture ? Eh bien, vous avez voté contre !

M. Damien Abad, rapporteur. Non !

M. Gérald Darmanin. Vous vous trompez !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Plus précisément, vous, monsieur le député, vous êtes abstenu sur le premier des deux textes quand vos amis de l’UMP votaient contre, toujours contre,…

M. Sylvain Berrios. Et avec ça, vous n’êtes pas partisane ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. …alors même que l’un et l’autre prévoyaient des dispositions spécifiques pour les personnes en situation de handicap.

Certes, la problématique de l’emploi ne se limite pas à ces deux textes, c’est pourquoi nous devons aller plus loin et tout faire pour faire respecter l’emploi de 6 % de personnes en situation de handicap dans le secteur public comme dans le secteur privé. Pour cela, une négociation interprofessionnelle se tiendra d’ici à la fin de l’année et j’espère qu’à ce moment-là, enfin, les signataires de la présente proposition de loi sauront accorder leurs actes politiques avec leurs déclarations d’intentions et soutenir la politique du Gouvernement.

M. Sylvain Berrios. Comme vous allez soutenir le texte de M. Abad !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Ces débats sont assez représentatifs de ce qui nous sépare de l’ancienne législature. La loi n’a pas vocation à servir un plan de communication,…

M. Gérald Darmanin. C’est honteux, ce que vous dites !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. …mais à servir nos concitoyens.

Ainsi, le Comité interministériel du handicap – qui n’a jamais été convoqué depuis sa création en 2009 – se réunira en juin prochain.

M. Gérald Darmanin. Et tout va changer !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Par décision du Premier ministre, il rassemblera l’ensemble des ministres concernés…

M. Gérald Darmanin. Et il rédigera un rapport ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. …et abordera des thèmes comme l’accessibilité.

M. Sylvain Berrios. Tiens, c’est nouveau, ça !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. C’est un thème que vous avez laissé « filer » car j’ai trouvé, quand j’ai été nommée ministre, un rapport de l’IGAS commandé par vous et qui montrait que jamais l’on n’atteindrait en 2015 les objectifs fixés ! Vous avez préféré cacher ce rapport. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Paul. Un peu de respect, chers collègues de l’opposition !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Eh bien, moi je l’ai sorti, et là aussi, nous jouons la transparence.

Le Comité interministériel du handicap abordera donc des thèmes comme l’accessibilité, l’accès aux soins, l’accompagnement médico-social, la jeunesse et l’emploi des personnes handicapées. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Paul. Développez donc vos capacités d’écoute !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. J’entends également, monsieur Abad, votre volonté de récrire cette loi par voie d’amendements en commission. En vous inspirant, et vous l’avez dit, de la loi Larcher, de l’article 1er du code du travail et de la circulaire Ayrault.

M. Gérald Darmanin. Comment dites-vous ? La circulaire zéro ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Tout ce que vous proposez est déjà inclus dans les textes en vigueur, y compris dans la circulaire Ayrault. Ajouter un texte aux textes, quand bien même celui-ci serait de nature législative, n’est pas la bonne solution.

Pour ma part, je pense que l’inclusion systématique et fournie de volets handicap dans les projets de loi est en très bonne voie. Naturellement, il nous faudra rester vigilants, mais j’ai confiance dans le parlementaire que vous êtes pour cela. D’ailleurs, je remercie la majorité pour sa vigilance, en particulier le groupe socialiste (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) qui a fait progresser le texte sur les emplois d’avenir en introduisant un amendement sur le handicap. Merci, donc.

Mesdames et messieurs les députés, la prise en compte du handicap doit s’ancrer dans les esprits. Les associations font en la matière un travail formidable, notamment au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées dont je tiens à saluer la présidente, Mme Martine Carrillon-Couvreur. Mais la prise en compte du handicap dépend également de vous tous. C’est pourquoi je souhaite terminer cette intervention en vous lançant un appel.

Certes, vous soutiendrez le Gouvernement en vous interrogeant, en commission, dans l’hémicycle, sur la prise en compte du handicap par nos projets de loi. Certes, nous avons besoin de votre vigilance, mais vous servirez aussi nos concitoyens handicapés en intégrant vous-mêmes une réflexion sur le handicap aux propositions de loi, aux propositions de résolution que vous présenterez.

C’est ensemble que nous allons faire grandir cette culture d’une société inclusive, tolérante qui ne se résume pas à des textes mais qui doit bel et bien s’ancrer maintenant dans les faits. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires sociales.

M. Christian Hutin, vice-président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à excuser l’absence de Mme Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. J’ai déjà donné de ses nouvelles et je pense que, depuis quinze heures, son état s’est déjà amélioré.

Sur tous ces bancs, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, madame la ministre, nous ne pouvons qu’approuver l’objectif poursuivi par la proposition de loi, ainsi que son titre. L’égalité et l’intégration des personnes handicapées au sein de la société sont pour nous tous une cause nationale. Depuis la loi fondatrice de 1975, tous les gouvernements ont progressé assez vite,…

M. Gérald Darmanin. Sauf celui-ci !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. …à leur rythme, en fonction du calendrier parlementaire.

La commission a cependant rejeté votre texte, même si elle considère que l’intégration des personnes handicapées doit concerner tous les champs législatifs. Nous sommes tous d’accord, j’imagine, sur cette idée de transversalité. Si désaccord il y a, c’est essentiellement sur la méthode et sur le calendrier.

Vous l’avez dit, l’engagement n° 32 du candidat Hollande a commencé à être tenu rapidement puisque, dès septembre, le Premier ministre, par une circulaire, a commencé le travail. Même si vous vous êtes abstenus, vous avez constaté que nous pouvons déjà, grâce à l’étude d’impact, mesurer les effets du texte concernant les emplois d’avenir et celui sur le contrat de génération. Ces effets ne se font peut-être pas sentir partout mais l’évolution est tout de même assez rapide, le Gouvernement n’étant alors installé que depuis trois mois.

Le Comité interministériel du handicap se réunira dès le mois de juin, pour la première fois depuis sa création 2009. Il préparera la Conférence nationale du handicap qui doit se tenir en 2014, ainsi qu’un projet de loi. Autrement dit, il préparera l’avenir.

L’inconvénient d’une proposition de loi est presque toujours le même. J’aperçois notre collègue Martine Carrillon-Couvreur dont on ne peut pas dire qu’elle ne s’occupe pas du handicap. Nous avons tous les deux déposé une proposition de loi qui traîne depuis deux ou trois ans sur l’aide aux victimes. Elle sera un jour examinée, le jour où le programme de travail de l’Assemblée le permettra, le jour où nous trouverons la bonne ouverture et où ce texte ne tombera pas comme un cheveu sur la soupe. C’est le problème des propositions de loi.

Je ne doute pas de votre engagement, mon cher collègue, ni de votre passion : vous avez été jusqu’à envoyer une lettre à chaque membre de la commission, nous expliquant vos motivations,...

Mme Isabelle Le Callennec. Il a bien fait !

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. …mais présenter ce texte maintenant n’est pas le bon timing. Il y a un engagement du Président de la République, il y a un calendrier politique, le Gouvernement va déposer un projet de loi constitutionnelle – ce qui n’est pas rien – tendant à intégrer dans la Constitution des dispositions directement inspirées de la loi Larcher qui, pour le moment, n’a pas, si je puis dire, de véritable valeur législative, pas de substance réelle.

Je nous invite à travailler tous ensemble sur ce projet, monsieur le rapporteur. Il y a un vrai travail à faire, un travail d’importance. Vous avez d’ailleurs bien vu la difficulté : le premier jet de votre proposition de loi n’était pas satisfaisant ; un amendement a été repoussé parce qu’il contenait une forme d’injonction au Gouvernement. Votre texte est généreux, indubitablement sincère, mais il reste un peu flou. Nous ne considérons pas pour autant qu’il y a un « loup » (Sourires), mais faites donc avec nous la réforme constitutionnelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, s’il est un sujet qui devrait nous rassembler sur tous ces bancs, c’est celui d’une meilleure reconnaissance des personnes en situation de handicap dans notre société.

L’INSEE estime à près de 10 millions le nombre de personnes, enfants et adultes, souffrant d’un handicap dans notre pays. Avec le vieillissement de la population, cette réalité risque de s’accentuer. En effet, plus d’un tiers des personnes âgées de plus de 75 ans souffrent de handicaps partiels et plus de 20 % sont atteintes de handicaps lourds.

L’accès à l’éducation, à la formation, aux loisirs, au travail reste encore trop souvent une épreuve par comparaison avec certains de nos voisins européens en pointe depuis de longues années.

Alors quel est le sens de cette proposition de loi de notre collègue Damien Abad ? Il veut à bon droit s’assurer que la promesse de campagne du Président de la République sera réellement tenue. Chaque projet de loi présentée au Parlement devra comprendre un volet handicap, annonçait le candidat. Notre collègue propose une traduction concrète de cette annonce, en précisant que dans chaque texte de portée générale examinée par le Parlement, soit inséré un article additionnel : « Les dispositions de la présente loi doivent s’adapter à la situation des personnes handicapées. »

Notre collègue a raison d’insister, car force est de constater qu’il existe parfois un décalage entre les déclarations et les actes, chers collègues de la majorité. J’en veux pour preuve le texte – que vous avez évoqué, madame la ministre – présenté par le Gouvernement à l’automne dernier sur les emplois d’avenir. Dans sa première version, il ne contenait aucune allusion au handicap ; il aura fallu un amendement de nos collègues socialistes pour préciser que le dispositif était étendu aux jeunes de moins de 30 ans en situation de handicap.

Avec la vigilance qui le caractérise, le rapporteur souhaite donc que lorsqu’un projet de loi est déposé sur le bureau des assemblées, le Gouvernement communique au Parlement un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et, le cas échéant, les dispositions législatives ou réglementaires prévues pour tenir compte de la situation des personnes handicapées.

Il s’agit de donner un nouveau souffle à la loi de 2005, sur le modèle de la loi Larcher relative au dialogue social, en favorisant une vraie démarche transversale, démarche que prévoyait la loi de 2005, dont on m’a rapporté que vos prédécesseurs socialistes – mais certainement pas vous-mêmes – ne l’avaient pas votée.

Cette loi a instauré un droit à compensation qui permet la prise en charge par la collectivité des dépenses liées au handicap. À ce titre, il est à noter que la prestation de compensation du handicap a été multipliée par deux entre 2005 et 2010. Ce n’est d’ailleurs pas sans poser de difficultés financières aux conseils généraux, qui réclament à l’État une juste compensation de leurs dépenses exponentielles, mais c’est un autre débat, dont je précise tout de même qu’il n’est pas près de se refermer puisque le projet d’acte III de la décentralisation n’y apporte pour le moment aucune réponse satisfaisante.

M. Gérald Darmanin. Très juste !

Mme Isabelle Le Callennec. Comme ce n’est pas vous qui êtes en cause, madame la ministre, je poursuis sur les avancées de ces dernières années. Le précédent gouvernement a augmenté de 25 % l’allocation d’adulte handicapé, ce qui représente 150 euros de plus par mois pour les allocataires. En matière d’emploi, les règles de cumul entre l’AAH et un revenu professionnel ont été améliorées : désormais, le cumul est possible jusqu’à 1,3 fois le SMIC contre 1,1 fois auparavant. Je ne résiste pas à l’envie de vous le rappeler, car nous examinerons tout à l’heure une proposition de loi qui autorise le cumul entre le minimum vieillesse et un revenu d’activités. J’espère que la majorité, qui a voté contre en commission des affaires sociales, aura eu le temps de retrouver ses esprits et ne s’opposera pas à ce texte qui devrait faire consensus – un de plus.

M. Arnaud Richard. Espérons-le !

Mme Isabelle Le Callennec. La loi de 2005 a également permis de renforcer l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Elle prévoit en effet un système d’incitations et de sanctions alourdies, pour faire respecter – vous l’avez évoqué, madame la ministre – l’obligation d’emploi d’au moins 6 % de personnes handicapées dans le secteur public et dans les entreprises privées de plus de 20 salariés. Les progrès sont réels, mais – je vous rejoins sur ce point – il faut aller plus loin dans le rapprochement de l’offre et la demande, dans chacun de nos territoires. Paradoxalement, une part non négligeable des offres ouvertes aux travailleurs handicapés restent non pourvues.

Enfin, la loi a renforcé l’accessibilité des personnes handicapées aux espaces publics, aux systèmes de transport et au logement. Les collectivités locales et les bailleurs, sociaux et privés, poursuivent leurs efforts de mise en accessibilité – fort coûteuse –, même si cela ne va pas assez vite.

Toutes les améliorations que je viens d’évoquer étaient nécessaires et bien légitimes. Elles se sont inscrites dans une politique extrêmement volontariste de la précédente majorité. C’était aussi cela, le sarkozysme, madame la ministre !

M. Gérald Darmanin. Eh oui !

Mme Isabelle Le Callennec. Les dépenses consacrées aux politiques du handicap ont en effet progressé de 25 % au cours du quinquennat précédent, malgré la violence de la crise économique et la nécessité de maîtriser la dépense publique.

M. Gérald Darmanin. Tout à fait !

Mme Isabelle Le Callennec. La proposition de loi de Damien Abad, présentée dans le cadre de la niche parlementaire du groupe UMP, vise à faire de la question du handicap une problématique incontournable de chaque politique publique, et non un sujet à part, traité ponctuellement et sans cohérence d’ensemble.

Notre collègue souhaite donc rendre obligatoire la saisine du Conseil national consultatif des personnes handicapées, préalablement à toute réforme susceptible de les concerner. Elle aurait le mérite de concilier les exigences légitimes des représentants des personnes handicapées avec la réalité des difficultés de mise en œuvre de certaines dispositions.

Je prendrai un seul exemple, celui de l’accessibilité au logement. Les bailleurs, y compris sociaux, le disent : l’application stricto sensu de la loi de 2005 engendre des surcoûts réels. D’où la proposition de Gérald Darmanin qui vise à destiner en priorité les appartements sociaux situés en rez-de-chaussée aux personnes handicapées ou à mobilité réduite.

En matière de handicap, le souci du législateur doit être de conjuguer les attentes légitimes des personnes handicapées avec l’application effective d’une loi, dans la concertation, avec discernement et pragmatisme.

Sans surprise, et parce qu’il s’agit de justice, le groupe UMP votera bien évidemment cette proposition de loi. J’ose encore espérer que nous serons rejoints par nos collègues de la majorité, car le handicap n’est ni de droite, ni de gauche, ni du centre. (Sourires.) Il est une réalité vécue par des millions de familles, que la représentation nationale a le devoir de considérer et d’accompagner dans les faits, de façon transpartisane et dès maintenant. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, comme l’a écrit Emmanuel Levinas, « chaque humain, sans exception, est un membre indispensable ainsi qu’une chance pour l’humanité ».

Ce qui conditionne le lien démocratique dans notre société si technicienne, si follement engagée dans la course à la performance, si attachée aux plus forts, mais aussi si profondément affectée aujourd’hui par l’inquiétude et la peur du lendemain, ce n’est pas l’excellence d’autrui mais bien la connaissance et la reconnaissance de sa fragilité.

Au fond, le handicap n’est jamais qu’un aspect de la diversité dans laquelle doit s’enraciner la démocratie. Dans notre conception de la démocratie, la société se doit de reconnaître la diversité des êtres humains qui la composent et s’en nourrir.

Le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 se fait l’écho de cette nécessité de protéger les diversités lorsqu’il affirme que « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi », que « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », que « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » et que : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».

C’est bien l’État qui doit rester le garant de l’égalité des citoyens, notamment au bénéfice de ceux qui sont handicapés, quels que soient leur lieu et leur cadre de vie.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui s’inscrit pleinement dans cette logique républicaine et démocratique. Elle est le prolongement de la loi fondatrice du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, qui a permis de reconnaître les besoins spécifiques liés au handicap et de favoriser l’intégration sociale des personnes. Il fallait, à un moment, l’adapter aux évolutions des sciences et des techniques, mais aussi à celles des mentalités, ce à quoi s’est appliquée la grande loi du 11 février 2005.

Cette loi a défini pour la première fois le handicap, en tentant notamment de couvrir toute sa diversité. Elle a créé une prestation de compensation qui tient compte des conséquences des situations de handicap et qui représente 1,4 milliard d’euros dans les budgets des conseils généraux. Elle a imposé une meilleure intégration des personnes souffrant de handicap dans le monde du travail, sous peine de sanction. Elle a également créé des guichets uniques et les maisons départementales des personnes handicapées.

Enfin, elle a posé l’idée fondamentale que le droit du vivre ensemble, c’est à la fois le droit de la personne à la compensation fonctionnelle de son handicap et le devoir pour la Cité de devenir accessible, accueillante, ouverte à tous, quelles que soient les différences.

Mais après le temps des classements par pathologies, par situations et par thématiques, qui, en évoluant sans cesse, oblige à une course incessante de rattrapage, le temps d’une démarche holistique n’est-il pas venu ? C’est, monsieur le rapporteur, la nouvelle pierre que vous proposez d’apporter à l’édifice.

La démarche, en apparence modeste, est en réalité fondamentale. D’abord, la notion de handicap ne saurait être réduite à la seule déficience ou aux incapacités qui en résultent. À côté du modèle médical traditionnel qui voit dans le handicap le résultat d’une imperfection physique ou mentale de l’individu, est apparu un modèle social qui voit dans le handicap le résultat de la confrontation entre les capacités d’un être humain et les exigences de son environnement. D’un côté, la lésion ou la déficience rend les personnes handicapées ; de l’autre, la société crée les situations de handicap.

Ensuite, il n’y a pas un sujet relatif à notre collectivité nationale qui ne concerne tous les citoyens, y compris ceux frappés de handicap. Les personnes handicapées grandissent, vieillissent, accèdent à la prévention, à l’éducation, aux soins, à l’orientation professionnelle, à l’emploi, à la garantie d’un minimum de ressources, au logement. Elles ont la faculté de se déplacer, d’accéder à une protection juridique, aux activités physiques et sportives, aux loisirs, au tourisme, à la culture, à l’information et aux technologies de l’information. Bref, rien de ce qui concerne la Cité ne leur est étranger. Vivre comme les autres, parmi les autres : tel est évidemment leur vœu le plus cher. C’est aussi le plus naturel.

Or 20 000 enfants handicapés sont aujourd’hui sans solution de scolarisation. Malgré des évolutions encourageantes, le taux d’emploi des personnes handicapées demeure en deçà de l’objectif des 6 % fixé par la loi de 2005 : il s’établit à 2,7 % dans le privé et à 4,2 % dans le public. Le taux d’emploi global des personnes handicapées est, quant à lui, nettement inférieur à celui de l’ensemble de la population active – 35 % contre 65 % – et le taux de chômage, de 20 %, est deux fois plus important.

Il y a quelques décennies encore, on craignait que l’esprit public ne soit pas prêt à ce type de démarche globale. Cela a sans doute conduit le législateur à construire « à la découpe ».

Mais aujourd’hui, le regard porté sur le handicap a profondément évolué. Je crois que notre société ne supporte plus les discriminations, quelles qu’elles soient. Nous le devons avant tout à notre jeunesse, accueillante et généreuse. Je n’ignore pas ce que peut encore avoir de cruel le regard parfois porté sur les personnes handicapées, mais j’ai le sentiment que le handicap devient progressivement familier.

En réalité, la conscience collective a conduit à porter une plus grande attention à tous ceux qui, handicapés ou non, paraissent exclus du mode de vie ordinaire de la société. Il est évident que notre société est assez mûre pour ne plus se contenter d’adapter les lois aux handicaps, et pour intégrer, par principe, la problématique du handicap à toute loi.

À cet égard, ce texte a le grand mérite de faire sauter les logiques institutionnelles. Voilà sans doute là la meilleure façon d’apporter aux personnes handicapées des réponses individualisées, qui leur permettront de maîtriser leur projet de vie.

Il ne s’agit pas seulement de régler des questions pratiques et financières, mais avant tout de faire en sorte que les handicapés participent à la vie d’une société qui est encore souvent pensée et fabriquée sans eux. Il s’agit de donner pleinement à la loi son caractère universel.

Le groupe UDI votera donc pour cette proposition de loi, qui dans les moments de fragilités collectives que nous traversons, exprime un appel à la solidarité et un message de plus grande fraternité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le vice-président de la commission, chers collègues, l’épanouissement des personnes les plus fragiles constitue souvent un indicateur du degré d’inclusion d’une société.

À la lecture du rapport, un chiffre a immédiatement retenu mon attention : 80 millions d’Européens – l’équivalent de la population allemande – sont en situation de handicap. C’est donc un sixième de la population de l’Union européenne qui est directement touché, légèrement ou lourdement, par le handicap.

À eux seuls, ces chiffres devraient éveiller nos consciences qui intériorisent trop souvent l’idée que les personnes en situation de handicap constituent une petite minorité.

Chacun d’entre nous peut être confronté au handicap, soit directement, soit au sein de sa famille. La question du handicap nous concerne donc tous, à la fois collectivement – dans les politiques que nous mettons en œuvre – mais aussi individuellement, à travers l’éventualité d’y être confronté soi-même.

La France a su faire preuve de volontarisme avec la loi d’orientation du 30 juin 1975 et, plus récemment, avec la loi du 11 février 2005. Incontestablement, des efforts importants ont été accomplis en faveur de la scolarisation des enfants, de la participation citoyenne, et de l’intégration dans l’emploi.

Mais nous sommes aujourd’hui en retard par rapport à d’autres pays. Une des raisons de ce retard tient certainement à l’échec d’une démarche trop souvent ponctuelle, particulariste, faite de mesures éparses souvent prises sous le coup de l’émotion.

Inscrire les politiques en faveur des personnes en situation de handicap dans toute la législation de portée générale procède bien plus d’une logique inclusive. Ce ne sont plus seulement des mesures que nous devons prendre, ce sont des synergies que nous devons bâtir. Les actions spécifiques ne suffisent plus ; ce sont les politiques publiques qui doivent intégrer systématiquement la question du handicap. La transversalité de ces politiques doit permettre la mise en mouvement de tous les acteurs, de manière pérenne.

L’exemple des pays scandinaves, souvent cité, peut nous inspirer : la transversalité des politiques publiques et l’action renouvelée de tous les ministères se justifient par une inversion de l’imputabilité du handicap. Celui-ci n’est plus inhérent à la personne, mais à l’inadaptation du milieu et des structures.

Le handicap nous concerne aussi individuellement. Le risque d’y être confronté doit nous inviter à changer les regards, en sensibilisant nos concitoyens à cette question. Pensons à l’expression « personnes handicapées », ou simplement au terme « handicapés », que l’on entend trop souvent. N’est-ce pas là un handicap de langage ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Tout à fait !

M. Gabriel Serville. La transversalité des politiques permettra de changer ce regard et d’éveiller durablement les décideurs publics et les citoyens.

Ce nouveau paradigme favorisera, à n’en pas douter, une véritable prise de conscience collective. J’y vois une différence majeure avec les mesures d’ordinaire spécifiques à l’endroit des personnes en situation de handicap.

Reconnaître un droit dans la législation participe incontestablement à la progression de la condition du public visé. Mais l’application de ce droit dans la réalité, l’interprétation qu’en donnent les cours de justice, son effectivité, sa portée, son étendue sont en résonance avec la consécration que nous en faisons.

C’est pourquoi, plus que la forme, déjà mise en cause ici même, l’essence de cette proposition de loi recueille mon assentiment, car elle est conforme à l’engagement de François Hollande lors de sa campagne.

Mme Isabelle Le Callennec. Exactement !

M. Gérald Darmanin. Très bien !

M. Gabriel Serville. La logique partisane ne saurait prévaloir sur l’intérêt général, et c’est donc dans un esprit de responsabilité que l’ensemble du groupe GDR a décidé de soutenir l’idée défendue par ce texte.

Sur le plan juridique, il est indiscutable que ce texte ne résoudra pas tous les problèmes,…

M. Jérôme Guedj. Aucun !

M. Gabriel Serville. …dans la mesure où le législateur pourrait y déroger – je rejoins en cela les propos tenus par notre collègue Jean-Marc Germain en commission. Mais ayant indiqué, d’une part, l’importance que soient consacrés les droits des personnes en situation de handicap pour en assurer graduellement l’effectivité, et n’étant pas opposé, d’autre part, à l’idée de constitutionnaliser la norme qu’introduirait ce texte, le groupe GDR souhaiterait que nous l’adoptions.

Même si sa valeur n’est pas constitutionnelle, le texte permettra tout de même de faire progresser la sensibilisation à la question du handicap. Nous espérons aussi qu’il permettra d’assurer le respect de dispositions réglementaires similaires qui existent déjà. S’y opposer, sans donner la garantie qu’il sera, au moins dans son esprit, pris en compte lors de la prochaine révision de la Constitution, reviendrait à laisser le temps faire son œuvre. En mon âme et conscience, je pense que nous ne pouvons nous y résoudre.

C’est pourquoi le groupe GDR fait le choix de soutenir cette proposition de loi qui, comme l’a dit un orateur avant moi, n’est ni de gauche ni de droite. Le handicap n’a pas de couleur politique. C’est une question nationale, et j’espère que nous pourrons nous retrouver autour d’un axe commun pour défendre les idées qu’elle porte. En dépit de nos réserve sur la forme, je pense qu’il est impératif de creuser ces idées et d’apporter une réponse satisfaisante à toutes les personnes qui souffrent de handicap. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Guedj, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jérôme Guedj. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au moment de monter à cette tribune pour débattre de ce texte, je dois vous faire part de l’ambivalence de mes sentiments, au diapason de ce que fut ma réaction à sa lecture.

Je vous parlerai d’abord d’une forme de délectation. C’est en effet avec un peu de gourmandise que nous avons accueilli ce texte, tout comme les propos du rapporteur, qui nous indique vouloir résolument soutenir l’action et les engagements du candidat François Hollande, en l’occurrence l’engagement n° 32 !

M. Gérald Darmanin. Comme le traité européen !

M. Jérôme Guedj. Je dois d’ailleurs dire mon étonnement de trouver dans cette niche parlementaire du groupe UMP deux textes qui reprennent les engagements de François Hollande, puisque tel était déjà le cas du texte sur la fin de vie, qui reprenait son engagement n° 22.

M. Gérald Darmanin. Il le faut bien, puisque Mélenchon n’est plus là !

M. Jérôme Guedj. Monsieur Darmanin, vos réactions me font comprendre que je viens d’appuyer sur un point sensible, à savoir l’incapacité de l’UMP à faire des propositions distinctes de celles que fait la majorité, autour de François Hollande, depuis plusieurs mois. Tant mieux si vous voilà désormais éclairés sur l’efficacité de l’action que nous menons ! Je ne peux qu’appuyer votre souci de nous voir mettre en œuvre les soixante engagements de François Hollande. Beaucoup l’ont déjà été, et je me réjouis que vous nous rejoigniez dans cette démarche.

Voilà donc, en forme de boutade, ma première réaction, faite de délectation et de gourmandise. Elle a malheureusement été contrebalancée par un sentiment de déception. En effet, le rapporteur a eu, dans son propos liminaire, la relative inélégance de constater que les parlementaires du groupe SRC avaient peu participé aux travaux de la commission ; mais permettez-moi de m’étonner que, pour défendre ici cette proposition de loi signée par soixante-sept députés de l’UMP, vous ne soyez que trois, bien esseulés !

M. Gérald Darmanin. Si c’est pour vous écouter…

M. Jérôme Guedj. Mais le plus important n’est pas là. Le plus important, c’est d’aborder ce sujet au fond, avec sincérité. J’en entends en effet certains qui, ici ou là, des trémolos dans la voix, nous invitent à appréhender la question de la place que réserve le législateur aux personnes en situation de handicap dans la société française dans un esprit de rassemblement, de concorde et de convergence transpartisane dépassant les clivages, qui peuvent légitimement exister dans cette assemblée politique.

Mais, mes chers collègues, tout est politique ! Y compris la question du handicap. Ce n’est donc pas commettre un crime de lèse-majesté que de pointer les arrière-pensées évidentes de cette proposition de loi, qui m’apparaît surtout comme un outil de diversion ou un rideau de fumée, destiné à masquer des contradictions et des malaises sur lesquels je reviendrai dans un instant.

La ministre l’a fort bien dit, il y a quelque paradoxe à déposer une proposition de loi – dont on comprend certes qu’elle peut agir comme une caisse de résonance – au moment même où le Gouvernement innove, fidèle en cela à l’engagement pris par le Président de la République. Je parle ici d’une révolution culturelle pour nos administrations et les services ministériels !

M. Gérald Darmanin. Quel acteur !

M. Jérôme Guedj. C’est là toute la force de la circulaire du 4 septembre dernier, dont les effets sur le fonctionnement de l’appareil administratif de l’État et la prise de décision gouvernementale vont aller crescendo.

M. Gérald Darmanin. Il fallait faire une note de service !

M. Jérôme Guedj. En politique comme dans la vie, il y a les « diseux » et il y a les « faiseux ». Tandis que les « diseux » se bornent à des déclarations et à des rodomontades, les « faiseux », au Gouvernement, mettent en œuvre cet engagement et considèrent, à travers cette mesure comme à travers d’autres dispositions mises en œuvre depuis dix mois, que c’est dans l’action concrète, dans les réalisations opérationnelles et dans les choix politiques faits en direction des personnes en situation de handicap, que nous ferons progresser la situation.

M. Gérald Darmanin. Et les chiffres du chômage !

M. Jérôme Guedj. À titre d’exemple, c’est en application de la circulaire que nous avons amendé avec Martine Carrillon-Couvreur le texte sur les emplois d’avenir pour permettre aux jeunes en situation de handicap de bénéficier de la mesure jusqu’à 30 ans. Dans le même état d’esprit, le texte sur les contrats de génération, l’une des mesures importantes de ce quinquennat, comporte des dispositions similaires. Et je souhaite, car je suis lucide sur les marges de progression qu’il nous reste, que ce type de mesures s’intensifient.

J’ai aussi le souvenir, pour y avoir assisté, que lors de la grande conférence sociale de juillet 2012, la question de l’insertion professionnelle des personnes handicapées figurait sur la feuille de route ; elle innerve aujourd’hui l’ensemble de l’action gouvernementale.

J’ai bien compris tout à l’heure, à votre agressivité à l’endroit de la ministre lorsqu’elle a évoqué la mise en place, dans quelques semaines, du Comité interministériel du handicap, quels étaient le parti pris et la finalité de cette proposition de loi : je le disais, un écran de fumée, une mesure de diversion ! Car, au-delà des mots, il y a l’action. Le Comité interministériel du handicap a été créé sous le gouvernement de M. Fillon, en 2009. Il était destiné à regrouper l’ensemble des ministres concernés par la politique relative au handicap et à l’accessibilité. Or, non seulement nous avons maintenu ce comité interministériel, mais, surtout, nous le réunissons pour la première fois, nous le rendons opérationnel, ce que vous n’aviez pas souhaité faire !

Voyez-vous, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. On peut créer un Comité interministériel du handicap, on peut proclamer ici ou là que c’était une priorité de l’action du précédent gouvernement, mais, dans les faits, rien ne s’est passé, rien n’a été mis en œuvre au niveau interministériel, pour innerver l’ensemble des politiques publiques, l’éducation, les transports, le logement…

M. Gérald Darmanin. C’est vous qui vous énervez !

M. Jérôme Guedj. Vous avez évoqué, toujours avec des trémolos dans la voix, la loi du 11 février 2005,…

Mme Isabelle Le Callennec. Vous ne l’avez pas votée !

M. Jérôme Guedj. …loi dont chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’elle est un socle important des politiques publiques à destination des personnes en situation de handicap. Mais force est de constater que l’accessibilité, sujet qui me tient à cœur comme à beaucoup d’entre nous et sur lequel ma collègue conseillère générale de l’Essonne, Claire-Lise Campion, et Isabelle Debré ont récemment remis un rapport très stimulant, est une question que vous avez totalement laissé en jachère !

Pire : nous avons assisté, dans la période précédente, à plusieurs tentatives sournoises et insidieuses de détricotage des objectifs fixés en matière d’accessibilité. Je me rappelle par exemple d’un amendement voté dans la loi de finance rectificative de 2009 et qui prévoyait des dérogations pour l’accessibilité dans le bâti neuf, fort heureusement censuré par le Conseil constitutionnel. Je me souviens aussi que, lors du Grenelle de l’environnement, le Gouvernement avait de nouveau souhaité instaurer des dérogations, mais qu’il avait dû renoncer face au tollé des associations. Je me souviens enfin qu’au Sénat, dans une proposition de loi relative au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées, un amendement du rapporteur avait introduit un dispositif de dérogations pour le bâti neuf, également censuré par le Conseil constitutionnel qu’avait saisi le groupe socialiste.

Chers collègues, c’est votre mauvaise conscience que vous essayez d’apaiser avec un principe généreux !

M. Gérald Darmanin. Tout ça pour ça !

M. Jérôme Guedj. Nous sommes, bien sûr, d’accord avec l’esprit, voire avec la lettre de votre texte (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), mais nous devons rechercher l’efficacité, et nous mobiliser autour des dispositions prévues par le Gouvernement.

Je vous ai signalé la mise en place du Comité interministériel du handicap ; je vous ai mentionné les efforts faits en matière d’éducation…

M. Gérald Darmanin. Et l’amendement n° 214 ?

M. Jérôme Guedj. Grâce à ces efforts, nous tournons le dos à une époque que nous avons tous connue dans nos territoires, et je suis fier d’appartenir à une majorité qui, à la rentrée 2012, a permis de dégager 1 500 postes d’auxiliaire de vie scolaire individuel supplémentaires, pour permettre l’intégration des élèves en situation de handicap.

Il y a des chantiers sur lesquels il nous faut travailler. Mme la ministre s’est engagée résolument sur le terrain de l’autisme. Il nous faut, avec ce troisième plan interministériel, aller de l’avant. Des groupes de travail ont été mis en place sur l’accès aux soins des personnes en situation de handicap et sur les personnes handicapées vieillissantes. C’est de l’opérationnel !

Une loi qui proclame des droits et des obligations sans se donner les moyens de leur mise en œuvre et butte sur des principes juridiques risque de générer une frustration allant à l’encontre de l’objectif poursuivi. C’est pourquoi vous nous contraignez à rejeter votre proposition de loi, même si je vous remercie de nous avoir permis d’avoir ce débat sur les mesures à destination des personnes handicapées, qui mobilisent résolument le Gouvernement et la majorité. C’est vrai dans les collectivités locales, c’est vrai dans les ministères, c’est vrai au Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérald Darmanin.

M. Gérald Darmanin. Nous sommes tous un peu déçus, madame la ministre, du ton de votre intervention, et j’ai préféré, plus proches de l’esprit de concorde évoqué à l’instant par M. Guedj, les propos du vice-président de la commission des affaires sociales et de certains autres orateurs, y compris ceux de M. Guedj lui-même, plus modéré qu’il n’a l’habitude de l’être dans cet hémicycle et qui s’est exprimé avec le talent d’acteur qu’on lui connaît.

M. Jérôme Guedj. Je ne sais comment je dois le prendre…

M. Christian Hutin, vice-président de la commission. Ils ne sont pas tous en Belgique !

M. Gérald Darmanin. C’est un hommage sincère que je vous rends, monsieur Guedj : de la part de quelqu’un qui est contre le cumul des mandats mais qui en exerce deux, nous avons beaucoup à apprendre…

Nous voulons dire, madame la ministre, que cela aurait pu inspirer un peu de modestie au Gouvernement sur un sujet propice à la concorde que le rapporteur a très bien précisé. L’attention que nous portons aux personnes handicapées, qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes ou de personnes âgées, devrait nous rassembler. Or, les signaux négatifs venant de ce Gouvernement et des socialistes ne manquent pas. Tout d’abord, depuis quasiment un an que vous êtes ministre, madame, nous n’avons pas vu défendre un texte sur le handicap dans cet hémicycle. C’est grâce à M. Abad que vous pouvez proclamer pour la première fois aujourd’hui combien le handicap est une priorité pour ce gouvernement…

L’amendement n° 274 au projet de loi sur la refondation de l’école, qui empêche l’accueil des enfants autistes, a été voté.

M. Jérôme Guedj. Il a été retiré !

M. Gérald Darmanin. Il a été voté, et c’est une blessure pour ces enfants et leurs parents que vous n’ayez pas réussi, madame, à peser dans une réunion interministérielle pour imposer un avis défavorable à cet amendement.

Vous avez voté contre, mes chers amis socialistes, l’augmentation de 25 % de l’allocation d’adulte handicapé en loi de finances. Vous avez même voté contre la loi de 2005 qui visait à faciliter l’accès des bâtiments publics aux personnes handicapées. C’est vrai, cette mesure fut difficile et coûteuse à mettre en œuvre, mais rappelons que 125 millions d’euros ont été débloqués sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Rappelons encore que le taux de scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire a augmenté de 38 % et que le nombre d’auxiliaires de vie scolaire a progressé de 127 %.

M. Guedj a raison, il n’y pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Madame, je suis désolé de vous le dire, mais depuis que vous êtes ministre, les parlementaires, essentiellement les députés, vous ont posé 378 questions écrites : vous n’avez répondu qu’à 95 d’entre elles, c’est-à-dire moins de 20 %. Non seulement vous ne présentez pas de texte, non seulement vous ne gagnez pas vos arbitrages, mais vous ne répondez pas aux questions légitimes des parlementaires, alors que vous avez l’obligation de le faire dans les deux mois.

Alors bien sûr, vous pourriez nous donner une preuve d’amour en soutenant cette proposition de loi. C’est ce que fera le groupe UMP mais je me réjouis également du vote des collègues, que j’ai pu entendre, des groupes UDI et GDR – je n’ai pas encore entendu Mme Pompili…

J’ai déposé avec un certain nombre de mes collègues deux amendements dont je voudrais évoquer très rapidement le contenu. Le premier m’a été inspiré, comme il arrive souvent, et pas seulement aux élus de droite, par le cas très douloureux d’une petite fille de ma circonscription, devenue handicapée à la suite d’un accident de la vie, et dont les parents, avec fort peu de moyens financiers même s’ils travaillent, essaient d’aménager leur maison. Je les ai rencontrés et, ensemble, nous avons essayé de voir comment il leur serait possible d’engager des travaux avec très peu de moyens. Mon premier amendement reprend la disposition d’un prêt à taux zéro, qui fait l’objet d’une proposition de loi que nombreux de mes collègues, y compris le rapporteur, ont cosignée, visant à permettre aux personnes handicapées d’aménager leur habitat. Il suffit parfois de changer une porte, une baignoire, d’enlever une marche à l’entrée de la maison pour sortir de l’enfer une enfant aujourd’hui lourdement handicapée et dont les parents essaient d’avoir une vie meilleure.

Mon deuxième amendement vise à restaurer une promesse souvent faite par les bailleurs sociaux, mais pas toujours respectée : réserver en priorité aux personnes handicapées, au niveau des rez-de-chaussée, les appartements les plus accessibles.

Si Mme la présidente m’accorde les quinze secondes qui me restent, j’en profiterai pour remercier à l’avance la ministre, que je viens de voir consulter ses collaborateurs, pour la réponse qu’elle voudra bien apporter tout à l’heure à mes questions. Je tiens à sa disposition les questions écrites auxquelles elle n’a pas répondu. Je me suis inscrit sur l’article unique pour les lire tout à l’heure, mais je veux bien les lui donner pendant la pause que Mme la présidente accordera à la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Arnaud Richard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Je suis heureuse d’intervenir cet après-midi, dans cet hémicycle, pour aborder les questions liées au handicap et je remercie le rapporteur de nous avoir permis d’avoir ensemble ce débat. Je vous l’avoue cependant, je suis quelque peu peinée qu’il se tienne dans le cadre de cette proposition de loi qui, à mon sens, ne répond pas bien aux enjeux de l’inclusion et de la pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap. Elle est en effet inopérante et inefficace, comme l’ont démontré un certain nombre de mes collègues. J’y reviendrai.

Permettez-moi une remarque préliminaire. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, en commission des affaires sociales, avec un certain nombre de vos collègues, vouloir imposer grâce à cette proposition de loi un changement des modes de pensée en matière de handicap. Or l’histoire nous enseigne que, pour changer les modes de pensée, il faut certes des lois, mais aussi une volonté politique. Or, à maintes reprises, lorsque vous étiez au pouvoir, cette volonté politique vous a manqué,…

Mme Isabelle Le Callennec. Et la loi de 2005 ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. …comme l’ont démontré vos différentes tentatives pour contourner les obligations légales en matière d’accessibilité, et bien d’autres méthodes qui ont caractérisé les politiques que vous avez menées, et que vous avez manifestement oubliées. Je pense à la faiblesse du dialogue noué à ce moment-là avec les associations, à la baisse du nombre d’auxiliaires de vie scolaire et, malgré les échéances en matière d’accessibilité fixées pour 2015, …

M. Gérald Darmanin. Ce n’est pas vrai !

Mme Fanélie Carrey-Conte. …au fait que seulement 15 % des travaux en faveur de l’accessibilité aient été réalisés jusqu’à présent. Il me semblait important de le rappeler.

Vous dites par ailleurs faire appel au consensus, en vous référant à l’engagement n° 32 de François Hollande. S’il y a consensus sur les objectifs, il n’y en a pas sur les moyens, et encore moins sur votre proposition de loi qui, je le répète, est inopérante et inconstitutionnelle. Rappelons un certain nombre d’arguments en ce sens : le caractère vague des propositions formulées, leur redondance avec des dispositions en vigueur, l’impossibilité, que vous connaissez, pour le législateur d’aujourd’hui d’adresser une injonction au législateur de demain.

Aussi cette proposition de loi est-elle pour moi une occasion manquée d’aborder un certain nombre d’enjeux pourtant cruciaux autour des questions de handicap. Mme la ministre l’a rappelé tout à l’heure, le Gouvernement a d’ores et déjà pris des engagements majeurs en la matière : la circulaire du 4 septembre 2012, la hausse de 6,3 % des crédits du programme « Handicap et dépendance », la hausse de 4 % de l’ONDAM médico-social et la réunion prochaine du Comité interministériel du handicap, qui n’a pas été réuni depuis sa création en 2009, comme nous l’avons dit tout à l’heure.

Il est évident que les attentes sont encore fortes et que de nombreux enjeux sont devant nous. Nous devrons y apporter des réponses politiques et non pas nous contenter d’un droit bavard, comme l’est votre proposition de loi.

Je conclurai mon intervention en évoquant quelques-uns de ces enjeux, au premier rang desquels figure celui de l’emploi, absolument déterminant pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. Il nous faudra aller au-delà de ce qui a déjà été fait sur les emplois d’avenir et les contrats de génération. Une négociation entre les partenaires sociaux aura lieu sur ce sujet ; il nous faudra veiller à ce qu’elle se traduise par des progrès concrets. La fonction publique devra également être exemplaire. Je pense en particulier à l’éducation nationale, pour laquelle l’exception devra être progressivement levée afin que le quota des 6 % y soit appliqué. Ce sont autant de chantiers que nous avons trouvés en arrivant au pouvoir, et sur lesquels nous devrons nous pencher.

Je ne reviens pas sur la question de la scolarisation, dont nous avons suffisamment débattu, mais je voudrais aborder celle de l’accès aux soins, souvent évoquée mais déterminante et qui me tient particulièrement à cœur. Il est important d’agir sur la formation des soignants et des paramédicaux, sur l’organisation de l’accès à l’hôpital, sur le soutien aux innovations sociales développées dans le secteur médico-social, notamment par l’économie sociale et solidaire, et sur les réseaux associatifs qui impliquent des professionnels de santé. Je fais référence aux expériences intéressantes menées en matière de handicap mental et de soins dentaires, qui méritent d’être soutenues.

Je conclurai en abordant l’actualité récente. Le rapport « Réussir 2015 » sur l’accessibilité de la sénatrice Claire-Lise Campion, remis au Premier ministre le 1er mars, doit nous servir de base pour aller plus loin dans l’accessibilité et passer d’une logique d’intégration à une véritable logique d’inclusion : celle d’une société qui évolue pour que chacun y trouve sa place. C’est ce que nous appelons l’accessibilité universelle. Je tiens beaucoup à ce concept qui doit être notre horizon et notre objectif politique. Nous devons agir concrètement et ne pas nous contenter d’incantations, ou de ce droit bavard qui caractérise votre proposition de loi. Je suis d’accord pour que nous avancions ensemble, mais sur du concret, animés par la véritable volonté politique d’assurer aux personnes en situation de handicap leur pleine citoyenneté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. Si nous vivions aujourd’hui dans une société inclusive où chacun et chacune avait sa place et des perspectives d’avenir quels que soient ses moyens, ses origines, son lieu d’habitation, son apparence ou son handicap, un grand cap aurait été franchi et nous pourrions nous en féliciter.

Cette société inclusive, nous sommes nombreux ici, sur les bancs même de cette Assemblée, à en rêver. Et je suis convaincue que nous y parviendrons. Beaucoup trop lentement, c’est certain ; celles et ceux qui en souffrent ne me contrediront pas....

Je pense aux discriminations dont sont quotidiennement victimes certains de nos concitoyens, en raison de leur accent, de leur couleur, de leur apparence, de leurs différences visibles et invisibles qui suscitent regards insistants, railleries ou pire encore...

Les personnes porteuses d’un handicap subissent trop souvent ces humiliations, lorsqu’elles ne sont pas mises au banc de notre société ou privées d’une partie de leurs droits.

Certes, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a été une grande avancée. Elle a profondément modifié la politique en faveur des personnes handicapées. Son approche transversale a notamment permis de couvrir tous les aspects de leur vie.

Ambitieuse, cette loi a eu, et a encore aujourd’hui, des effets très importants pour améliorer le quotidien des personnes handicapées : création d’un guichet unique, les maisons départementales des personnes handicapées, afin de mettre fin au parcours du combattant des personnes en situation de handicap et de leurs proches ; reconnaissance d’un droit à la compensation, par la solidarité nationale, des conséquences du handicap ; affirmation comme norme de la scolarisation en milieu ordinaire ; renouvellement de la politique de formation et de l’emploi.

Mais cette loi ne suffit pas. Sa mise en application effective est, hélas, loin d’être parfaite.

Je pense ainsi à l’accessibilité des lieux publics. Le délai de dix ans sera bientôt atteint, mais force est de constater que nous sommes loin, très loin, des ambitions affichées par la loi de 2005. Seuls 15 % des établissements recevant du public seraient actuellement accessibles.

Le rapport d’information des sénatrices Claire-Lise Campion et Isabelle Debré sur l’application de cette loi met le doigt sur les nombreux obstacles à lever et les points à améliorer.

Tout d’abord, les écarts de prestations entre départements demeurent et les délais de traitement par les maisons départementales sont encore trop longs, avec un suivi parfois mal assuré.

Nous sommes également bien loin de l’autonomie financière des personnes handicapées ! La prestation de compensation du handicap demeure insuffisante, et certaines personnes en situation de handicap sont condamnées à survivre dans des conditions dramatiques et inacceptables.

Quant à l’objectif de scolarisation, le bilan n’est pas meilleur. Ce sont plus de 20 000 enfants handicapés qui ne seraient toujours pas scolarisés ; et je ne parle même pas de l’absence de formation des personnels de l’éducation nationale, ni de la nécessité de donner un véritable statut aux auxiliaires de vie scolaire.

Enfin, si se déplacer relève encore trop souvent du parcours du combattant, permettez-moi de vous citer un dernier exemple : le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois plus élevé que celui du reste de la population active.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est vrai.

Mme Barbara Pompili. Nous sommes donc loin, très loin, de cet idéal de société inclusive.

Beaucoup reste à faire et le volontarisme politique, d’où qu’il vienne, est de mise. Nous devons tout faire pour que l’égalité des droits devienne réalité. Tel est pour moi notre rôle de législateur.

Je me réjouis que certains de nos collègues de l’opposition, qui hier encore militaient hier encore pour un traitement différencié envers certains de nos concitoyens (Protestations sur les bancs du groupe UMP), aient parcouru bien du chemin en l’espace de quelques jours pour se faire aujourd’hui les défenseurs d’une société où chacun puisse disposer des mêmes droits, quelle que soit sa différence.

Oui, rappelons-le, notre République a le devoir de n’oublier personne, et le combat pour l’égalité des droits est une exigence qui requiert toutes les volontés, indépendamment de nos appartenances partisanes.

Le devoir d’égalité vis-à-vis de nos concitoyens ne saurait souffrir de stratégies partisanes.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce serait bien, en effet !

M. Gérald Darmanin. Il faut le rappeler aux socialistes !

Mme Barbara Pompili. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui contribue justement à cette ambition.

M. Gérald Darmanin. Vous vous rattrapez !

Mme Barbara Pompili. Il ne s’agit pas de voter ici une nouvelle loi ambitieuse et transversale, sur le modèle de celle de février 2005, mais de proposer une autre approche pour relever ce défi : s’assurer que toute loi votée à l’Assemble nationale prendra en considération les besoins spécifiques des personnes handicapées.

Le Gouvernement a déjà montré sa volonté d’agir en ce sens, ce que je salue. Dès le 4 septembre 2012, en effet, une circulaire était publiée au Journal officiel afin, justement, que le handicap soit pris en considération dans l’ensemble des politiques publiques menées et donc, aussi, dans les projets de loi.

Cependant, force est de constater que cette circulaire demeure insuffisante. J’en citerai deux exemples.

S’agissant de la loi sur la refondation de l’école, cette circulaire n’a pas empêché que le projet présenté en première lecture ne comporte aucune disposition digne de ce nom relative aux personnes handicapées.

Pour y remédier, j’ai défendu avec les membres du groupe d’études sur l’intégration des personnes handicapées, que je préside, de nombreux amendements relatifs à la scolarisation des élèves handicapés et à l’école inclusive. Nous avons, heureusement, été en partie entendus par le Gouvernement.

Mme Isabelle Le Callennec. En partie seulement !

Mme Barbara Pompili. Deuxième exemple : le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, dont nous discuterons prochainement, ne comporte pour le moment aucune disposition sur l’université inclusive, ni sur les personnes porteuses de handicap.

M. Gérald Darmanin. Encore une occasion perdue !

Mme Barbara Pompili. À partir de ce constat, la proposition de loi de nos collègues UMP changera-t-elle réellement quelque chose ? Je ne sais pas. Mais c’est en avançant peu à peu que nous parviendrons à mettre en place une société inclusive. Oui, faire de l’égalité des droits une exigence pour chacune des lois votées par notre assemblée ne peut qu’aller dans le bon sens. Ce changement d’approche doit être tenté.

Sans remettre en question la nécessité d’une grande loi transversale comme celle de février 2005, il s’agit d’adapter l’environnement, entendu dans un sens global, à toutes les formes de handicap, donc aux besoins spécifiques des personnes handicapées. Conformément à cette approche, tous les champs des politiques publiques sont concernés : urbanisme, logement, politique industrielle, emploi, éducation, santé, culture, etc. Toutes les politiques publiques doivent donc tenir compte des besoins spécifiques des personnes handicapées : voilà ce que demande cette proposition de loi.

Veiller à ce que chaque loi tienne compte des besoins des personnes handicapées ne pourra que contribuer à construire cette société inclusive que j’appelle de mes vœux. Je crois d’ailleurs que nous l’appelons tous de nos vœux. C’est pourquoi j’en appelle au soutien de l’ensemble des partis politiques. Face à l’ampleur des défis à relever et en vertu du principe d’égalité des droits, cette proposition de loi nécessite d’être soutenue par toutes et tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la proposition de loi relative à l’égalité des droits et à l’intégration des personnes en situation de handicap ;

Proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)