ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION SPÉCIALE

chargée d'examiner la proposition de loi organique
relative aux lois de finances

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 23 novembre 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Raymond Forni, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. François Monier, Secrétaire général de la Commission des comptes de la sécurité sociale

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M. le Président : Nous procédons aujourd'hui à l'audition de M. François Monier, secrétaire général de la Commission de comptes de la sécurité sociale.

Bien que la sphère d'intervention de la commission spéciale ne corresponde pas tout à fait à celle de la Commission des comptes de la sécurité sociale, nous avons souhaité obtenir de votre part un éclairage sur les finances de la sécurité sociale, sur l'articulation du projet de loi de financement de la sécurité sociale avec le projet de loi de finances - sujet qui nous intéresse -. L'équilibre financier de la sécurité sociale met en jeu des masses qui dépassent celles du budget de l'Etat. Vous comprendrez donc que nous nous intéressions, sans doute de manière parallèle, mais avec une grande attention aux comptes dont vous avez la responsabilité.

Pendant longtemps, nous n'avions aucune possibilité d'intervenir dans le domaine de la sécurité sociale. Grâce aux dispositions constitutionnelles et organiques de 1996, le Parlement est désormais saisi du budget de la sécurité sociale. Bien entendu, cette possibilité qui nous a été donnée en 1996 montre la nécessité d'assurer, à un niveau ou à un autre, une coordination entre budget de l'Etat et budget de la sécurité sociale.

Nous aimerions connaître votre sentiment sur les conditions dans lesquelles pourrait être assurée une meilleure articulation entre le budget de l'Etat et le financement de la sécurité sociale.

M. François Monier : Monsieur le Président, monsieur le Rapporteur, mesdames, messieurs les députés, j'ai conscience d'être quelque peu à la périphérie du sujet qui vous occupe, à savoir la révision de l'ordonnance organique. Je procéderai à un bref exposé tant il est vrai que je ne suis pas certain de me placer au c_ur de la cible de vos préoccupations, pour répondre ensuite à vos questions.

Je suis donc secrétaire de la Commission des comptes de la sécurité sociale depuis un peu plus d'un an, entre autres activités. Il ne s'agit pas d'une activité à plein temps. Je demeure, en effet, à la Cour des comptes.

Je reviendrai ultérieurement sur les conditions de travail de cette commission, laquelle est un organisme assez particulier.

Pour relier mon propos au thème de la réforme de l'ordonnance, je dirai, tout d'abord, quelques mots sur la manière d'améliorer l'articulation entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, entre leur préparation et les documents qui peuvent y être associés. Je rappelle que la loi de finances et la loi de financement sont de nature très différente. Les caractéristiques des lois de financement sont les suivantes : grande pluralité des acteurs et des organismes concernés, caractère systématiquement évaluatif des objectifs de dépenses, absence d'article d'équilibre général, et principe d'affectation des recettes à des branches ou à des régimes.

Les relations réciproques entre loi de finances et loi de financement sont nombreuses. Elles pourraient être clarifiées par une meilleure définition des frontières entre les deux textes, une description la plus transparente possible des flux financiers qui existent entre eux et, question plus technique, mais pas uniquement, une articulation des calendriers d'élaboration.

En ce qui concerne ce que l'on a coutume d'appeler « les relations financières » entre le budget de l'Etat et la sécurité sociale, un besoin de clarification est, en effet, nécessaire, ne serait-ce que dans les concepts. Il convient d'avoir les idées relativement claires.

Je vous livre ma vision des choses.

J'évoquerai tout d'abord une première catégorie de flux : les impôts et taxes affectés à la sécurité sociale. De mon point de vue, il ne s'agit pas vraiment de relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, dans la mesure où ces impôts et taxes sont directement affectés à la sécurité sociale. Leur montant est, comme chacun sait, rapidement croissant. Il a été surtout croissant au moment de la substitution de la CSG à des cotisations sociales et compte tenu de la tendance que l'on observe depuis quelques années et plus spécialement tout récemment à affecter directement des ressources fiscales à la sécurité sociale, notamment pour compenser des exonérations de cotisations sociales. C'est le cas dans le projet de loi de financement pour 2001 avec la taxe sur les conventions d'assurance. On affecte donc de plus en plus d'impôts et taxes à la sécurité sociale. Ces impôts et taxes représentent aujourd'hui plus de 300 milliards de francs. Dans la sécurité sociale, j'exclus ici l'assurance chômage. C'est la sécurité sociale au sens traditionnel. Ces ressources fiscales représentent environ le quart des ressources de la sécurité sociale alors qu'elles ne représentaient que 10% il y a dix ans, voire cinq ans. La croissance est rapide. Je m'en réjouis d'ailleurs, en tant qu'économiste, dans la mesure où je considère que les cotisations ne sont pas un bon prélèvement, notamment les cotisations employeurs. Il est bon de leur voir progressivement substituer d'autres ressources, ressources fiscales en l'occurrence.

S'agissant de ces impôts et taxes directement affectés à la sécurité sociale, l'idée est, d'après la proposition de loi, d'en laisser l'autorisation de perception en la loi de finances. Mais certains aspects concernant ces impôts et taxes relèvent, au premier chef, de la loi de financement. Si j'ai bien compris, ceux-ci se trouveraient récapitulés dans le cadre de la loi de finances. Ce me semble un bon système. Il convient que ces éléments figurent, à titre principal, du côté des lois de financement de la sécurité sociale, mais je comprends que leur autorisation de perception doive rester, en ce qui concerne les impositions de toute nature, du côté de la loi de finances.

On peut distinguer deux types d'impôts et taxes affectés à la sécurité sociale. Il y a ceux qui sont intégralement affectés à la sécurité sociale. C'est le cas de la CSG, mais c'est aussi le cas d'autres impôts et taxes. Et puis il y a ceux qui sont partagés entre le budget de l'Etat et le budget de la sécurité sociale. Ce sont ceux qui posent le plus de problèmes. Il s'agit de taxes sur l'alcool et le tabac et maintenant de la taxe sur les conventions d'assurances. Je ne sais si ce sont des situations transitoires ou définitives, mais je ne verrai que des avantages à ce que les impôts et taxes, quand ils sont affectés à la sécurité sociale, le soient intégralement. Ce principe pourrait cependant être difficile à respecter parfaitement.

La deuxième catégorie de flux rassemble ceux qui, entre le budget de l'Etat et la sécurité sociale, figurent dans les deux textes, dans la mesure où il s'agit de dépenses de l'Etat et de recettes de la sécurité sociale. Un besoin de clarification s'impose pour les distinguer, car si l'on réalise un recensement exhaustif de ces transferts, on constate que certains sont liés à l'Etat employeur. L'Etat emploie, et il verse des cotisations sociales, essentiellement d'assurance « maladie », au régime général. Ce sont là des flux comme ceux qu'un employeur verse, l'Etat étant à ce titre un employeur comme beaucoup d'autres. Cette catégorie se rapproche des rémunérations.

Il existe une catégorie un peu hybride : les montants que l'Etat verse au titre des compensations « vieillesse », au titre de gérant d'un système de retraite. Les pensions des fonctionnaires font l'objet de versements élevés - une vingtaine de milliards par an - de l'Etat à la sécurité sociale.

La troisième catégorie de flux est la plus représentative. C'est celle que l'on pourrait appeler « transferts », voire contributions, de l'Etat à la sécurité sociale alors qu'il ne s'agissait pas, pour les catégories précédentes, de véritables contributions, mais de versements normaux d'employeurs.

Ces contributions sont de plusieurs types : les subventions accordées à des organismes sociaux et les remboursements de « prestations sociales », le RMI, l'allocation adulte handicapé. Ceux-ci appellent d'ailleurs une clarification, car certaines de ces prestations ne revêtent pas le même statut que les autres. Le RMI a un statut différent de celui de « l'allocation adulte handicapé ». Le RMI est une prestation de l'Etat versée par les caisses d'allocations familiales mais n'entre pas dans les comptes de la sécurité sociale. Il n'est pas considéré comme une prestation sociale alors que « l'allocation adulte handicapé » est considérée comme une prestation sociale remboursée. Ce sont là des détails, mais si l'on veut se lancer dans des clarifications, peut-être y a-t-il là quelque chose à faire.

Un élément connaît une montée en puissance depuis quelques années. Il s'agit des remboursements d'exonérations diverses, notamment celles liées à la politique de l'emploi.

Une plus grande transparence des flux que je viens de décrire est nécessaire. Je plaide donc pour des annexes communes aux deux projets de loi. Elles permettraient de procéder à une description la plus claire et la plus transparente possible de ces éléments qui doivent nécessairement figurer dans les deux projets de loi, puisque ce sont des dépenses pour l'une, des recettes pour l'autre. Techniquement, se pose une difficulté. En effet, à partir de maintenant, les comptes de la sécurité sociale sont établis en droits constatés ou vont l'être, alors que ce n'est pas encore le cas du budget de l'Etat. C'est là aussi que se posent le plus fortement les problèmes d'articulation entre la préparation des deux textes, puisqu'il faut veiller, à chaque étape, à l'identité des chiffres des deux côtés.

Un élément est également intervenu récemment. Il s'agit de la création des fonds, principalement le Fonds solidarité vieillesse et le FOREC, le Fonds de réforme des cotisations sociales. Ces fonds posent plusieurs questions. Néanmoins, je trouve que leur création participe de la transparence, car ils permettent d'identifier et d'isoler des crédits qui, auparavant, étaient répartis en un grand nombre de ministères.

Ils soulèvent les deux problèmes suivants.

Tout d'abord, la création de ces fonds implique, en cours d'année, un changement du périmètre du budget de l'Etat. La solution consisterait dans le maintien de son périmètre ou une consolidation, mais j'ignore sous quelle forme. L'année de création des fonds ou les deux années qui suivent, il conviendrait de présenter le budget dans le nouveau périmètre, mais aussi reconstituer ce qu'il aurait été avec l'ancien périmètre. Par exemple, dans le cas du FOREC, nous devrions pouvoir disposer d'une description de ce qui ce serait passé si l'ensemble des taxes affecté au FOREC ne l'avait pas été, et si, inversement, l'Etat avait continué à verser des subventions, les remboursements d'exonération, qui relèvent maintenant du FOREC.

Se pose également la question de la place des fonds. Ils doivent être, selon moi, du côté de la sécurité sociale. Peut-être est-ce assez conventionnel, mais je me rallie assez à la pratique de la comptabilité nationale qui a classé le Fonds de solidarité vieillesse et le FOREC parmi les organismes concourant au financement de la sécurité sociale. Ils doivent être dans la sphère sociale. Ce point peut être discuté, puisque, en pratique, c'est une forme de démembrement du budget. Ces recettes et ces dépenses sont retirées au budget. On pourrait les considérer proches du budget, mais pour ma part, pour la clarté, je préfère les porter du côté de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les relations financières entre l'Etat et la Sécurité sociale, je plaide donc pour des annexes communes. Le problème de changement de périmètre doit être traité par des consolidations.

Ces consolidations font aujourd'hui défaut. Il existe, sans doute, la comptabilité nationale, laquelle présente les résultats, les comptes, de l'ensemble des administrations publiques où sont rassemblés le budget de l'Etat et les comptes de la sécurité sociale, de même que ceux des collectivités locales. C'est dans ce cadre que sont calculés les éléments transmis à la Commission européenne pour juger du respect des indicateurs, des critères, du traité de Maastricht. A priori, la comptabilité nationale fournit, un cadre de consolidation. Elle souffre toutefois de quelques contraintes notamment celle d'une cohérence entre tous les secteurs de l'économie, laquelle oblige à certains choix qui font que les comptes nationaux dans le domaine de la sécurité sociale et du budget peuvent s'écarter quelque peu des comptes de l'Etat et des organismes de sécurité sociale. Par ailleurs, il faut respecter certaines cohérences avec d'autres secteurs, faire des arbitrages lorsque les données d'autres secteurs ne sont pas cohérentes a priori. Les difficultés sont, pour partie, de nature statistique. Les comptes n'ont pas été construits de façon suffisamment détaillée pour répondre aux questions que l'on peut se poser, en tout cas pour un suivi budgétaire. En ce domaine, des éléments sont utiles, tels les comptes satellites, principalement le compte de la protection sociale, qui sont établis par le ministère de la solidarité. Ce dernier compte est cohérent avec les comptes de la Nation, mais il est beaucoup plus développé. Il est très utile, dès lors que l'on veut procéder à des comparaisons internationales. L'un des avantages de la comptabilité nationale réside, en effet, dans le fait que ses règles sont reconnues au plan international ; c'est même le seul système qui autorise de vraies comparaisons internationales. Néanmoins, ces comptes ne sont pas susceptibles de répondre aux besoins de consolidation que j'évoquais tout à l'heure. Il faudrait sans doute bâtir autre chose en complément. Ces comptes ont donc leur utilité, mais, à mon avis, ils restent insuffisants.

Un dernier mot sur les travaux de la commission des comptes qui travaille à l'heure actuelle principalement sur les questions comptables. L'essentiel de son énergie est aujourd'hui consacré au passage à la comptabilité en droits constatés. Les caisses de sécurité sociale ont l'obligation de présenter leurs comptes en droits constatés depuis 1996 pour le régime général, et depuis 1997 pour l'ensemble des autres régimes. Les régimes ont respecté leurs obligations, mais, pour l'heure, les comptes agrégés, les comptes présentés à la Commission des comptes de la sécurité sociale et les agrégats de la loi de financement ne sont pas encore exprimés en droits constatés et continuent d'obéir à l'ancien système « encaissement/décaissement » où les dépenses sont comptabilisées au moment du décaissement et les recettes au moment de l'encaissement.

Pourquoi ce décalage ? Pourquoi ne pas avoir agi plus tôt ? Tout d'abord, pour des raisons qui tiennent à des choix ministériels. Le Gouvernement a décidé d'attendre quelque peu avant de faire passer la loi de financement au système des droits constatés. Dans ce système, je le rappelle, on comptabilise les recettes et les dépenses au moment de leur fait générateur. Par exemple, les dépenses de santé, de soin, au lieu d'être comptabilisées aux moments où la CNAM rembourse les ordonnances, sont comptabilisées au jour du soin, de la visite du médecin, de l'achat du médicament, ce qui suppose d'ailleurs une large information, laquelle se fera. La comptabilité en droits constatés peut comporter des conséquences non négligeables lorsque intervient une variation des délais de remboursement, ce qui s'est produit récemment, entre 1999 et 2000. En 1999, on avait pris du retard dans la liquidation de feuilles de soins ; les remboursements par la CNAM des soins de santé furent donc plus faibles cette année-là, et les soins pratiqués en 1999 ont été remboursés en 2000 dans une proportion anormalement élevée.

L'étape suivante est donc le passage des comptes agrégés et des agrégats de la loi de financement au nouveau système des droits constatés. Elle doit intervenir pour le prochain projet de loi de financement pour 2002. La commission des comptes détermine son allure compte tenu de cette perspective, et nous avons l'ambition de l'accélérer et de travailler principalement en droits constatés au début de 2001. Nous abandonnerons, non pas totalement, mais assez largement, l'ancien système à ce moment-là.

Voilà les quelques éléments que je suis en mesure de vous présenter en introduction.

M. le Président : Je vous remercie.

Plus que quelques indications, vous avez fait un tour d'horizon complet.

Vous avez indiqué que vous étiez secrétaire général de la commission des comptes et que vous n'exerciez pas cette fonction à temps plein. De quels moyens disposez-vous alors ? Pour un budget 2000 de 1800 milliards de francs, un secrétaire général à temps partiel et une commission composée de parlementaires et de quelques autres, qui ne sont pas disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre sont-ils suffisants ? De quels moyens disposez-vous ?

M. Jacques Barrot : C'est une excellente question !

M. François Monier : C'est un point que je souligne toujours et qui souvent étonne. Peut-être ai-je tort dans la mesure où cela peut sembler nuire à l'autorité de la commission.

La commission est une institution relativement originale. Elle date de 1979, et a été consacrée par la loi de 1994. Son secrétaire général s'appuie sur la direction de la sécurité sociale, plus particulièrement la sixième sous-direction, la « sous-direction des prévisions économiques et financières », qui établit les comptes. En effet, comme cela est prévu par les textes, les comptes présentés à la commission sont établis par l'administration. Le secrétaire général commente ces comptes, et est responsable du rapport qu'il dresse en collaboration avec la direction de la sécurité sociale, mais c'est celle-ci qui établit les comptes. J'en prends livraison ; je commente les évolutions, et indique que telle ou telle évaluation me paraît ou non un peu excessive. C'est ce qui est fait régulièrement. Cela a été le cas, par exemple, en mai dernier, pour les dépenses de santé. En général, il s'agit de doutes sur la possibilité de tenir tel ou tel objectif. Voilà pour le rôle, un peu original, du secrétaire général.

Trois ou quatre secrétaires, membres de la Cour des comptes - ce qui n'est nullement une obligation - se sont succédé depuis la création de la commission.

La commission se réunit deux fois par an, en mai et septembre, ce qui occupe le secrétaire général que je suis, à temps plein, un mois ou un mois et demi avant chacune des réunions. Le reste de l'année, il effectue un suivi plus léger. On peut réfléchir au dispositif. Néanmoins, l'un de ses avantages réside dans le fait que c'est un bureau des comptes de la sixième sous-direction de la sécurité sociale qui établit l'ensemble des comptes. Les comptes du passé, les prévisions, les agrégats de la loi de financement, les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes de la loi de financement sont établis par les mêmes personnes, sur les mêmes bases. La parenté entre les comptes, justifiant que ce soit les mêmes personnes qui les établissent, est sans doute quelque chose de relativement souhaitable.

M. le Président : Vous avez à commenter les comptes qui vous sont transmis par une structure interne aux organismes de sécurité sociale. Je me répète : de quels moyens disposez-vous ? Analyser, commenter des comptes est une fonction à laquelle les membres de la Cour des comptes peuvent se livrer sans problème aucun, mais de quels pouvoirs disposez-vous pour vérifier la sincérité des comptes qui vous sont présentés, puisque aucune structure ne vous accompagne dans cette démarche ? J'ai noté que le texte qui a créé la commission prévoit l'analyse des comptes, mais, pour analyser, encore faut-il avoir les moyens de vérifier si les chiffres sont conformes à la réalité. Or, d'après l'explication que vous nous fournissez, vous êtes totalement prisonnier de ce qui vous est présenté. Vous exercez à temps partiel vos fonctions, trois mois dans l'année - il ne s'agit nullement d'un reproche mais d'un simple constat - et le reste du temps, ce sont les organismes de sécurité sociale qui concoctent le budget et la présentation des comptes, et qui élaborent le rapport qui vous est ensuite adressé. Vous analysez et commentez, mais l'importance de tout cela est telle qu'un seul homme paraît peu... quelles que soient ses qualités.

M. François Monier : Les comptes sont établis par la sixième sous-direction, mais c'est bien le secrétaire général qui, pour une large part, rédige le rapport. Il est vrai qu'il en fait rédiger des parties par l'administration, notamment les plus descriptifs, le secrétaire général se contentant souvent de la synthèse ou des passages justifiant un commentaire particulier. Les comptes sont établis par les organismes et sont centralisés par la direction de la sécurité sociale. Ce ne sont pas alors les comptes des organismes, ce sont des comptes quelque peu retraités qui sont analysés.

Le secrétaire dispose de moyens d'investigation. L'année dernière, je ne comprenais pas bien ce qui se passait du côté des recettes de l'ACOSS, notamment le passage entre l'année 1999 et l'année 2000. Du fait du passage à l'an 2000, était survenu un arrêt des ordinateurs vingt-quatre heures, ou quarante-huit heures, avant le 31 décembre. L'on craignait alors le bogue de l'an 2000. Se posaient également des questions de report, de remboursement de la CNAM, que je souhaitais comprendre. J'ai pu convoquer des réunions, et mener mes propres investigations pour bien comprendre comment avaient été réalisées les évaluations. L'administration m'a répondu. Si, parfois, nous ne poussons pas les investigations, c'est en raison du calendrier.

En effet, un élément a profondément changé le travail du secrétaire général de la commission : la loi de financement et son calendrier. Auparavant, l'exercice était à peu près le même, simplement, à partir des comptes établis par l'administration, le secrétaire général avait du temps. A l'automne, il pouvait prendre un mois, un mois et demi, pour peigner, questionner et formuler un avis très circonstancié et réfléchi. Je ne dis pas que je n'ai plus le temps de le faire, mais le calendrier est devenu extrêmement tendu. Chaque mois de septembre, je ne dispose que de quelques jours disponibles, d'une fenêtre extrêmement étroite, pour la tenue de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale qui se tient toujours aux alentours du 20 septembre. Or, compte tenu de contraintes imposées par la préparation du projet de loi de financement, les comptes des organismes ne sont pas toujours parfaitement disponibles. On ne peut guère les avoir avant ; on ne peut les établir après, à cause des délais fixés par la loi organique. La fenêtre est étroite et le temps est bref entre le moment où les comptes sont établis et celui où l'on est obligé de rendre le rapport. C'est une petite difficulté. Le dispositif actuel prévoit les travaux de la commission dans le calendrier de préparation de la loi de financement, c'est un avantage. En revanche, le temps laissé au secrétaire général est très court. Ce n'est pas absolument dirimant. Simplement, si le secrétaire général pouvait un peu anticiper, sans doute pourrait-il mieux s'affranchir de sa tâche.

M. le Président : Rassurez-moi : avez-vous une secrétaire ?

M. François Monier : Oui, j'ai une secrétaire. Je ne me plains nullement.

M. Jean-Pierre Delalande : Mais vous avez le droit de vous plaindre !

M. François Monier : Je ne fais que décrire le dispositif tel qu'il existe. Un texte de loi et un décret précisent tout cela.

M. le Président : La parole est à M. le Rapporteur de la proposition de loi organique.

M. le Rapporteur : La question que vous posez, monsieur le Président, mérite d'être prolongée et d'être creusée. N'y a-t-il pas un petit problème d'articulation entre vos fonctions de secrétaire général de la commission des comptes et de membre de la sixième chambre de la Cour des comptes qui contrôle les comptes de la sécurité sociale.

M. François Monier : J'ai été nommé secrétaire, il y a environ un an. J'étais à l'époque membre de la sixième chambre, mais la cour a considéré qu'il fallait rapidement régulariser la situation. C'est pourquoi je ne suis plus membre de la sixième chambre, et je siège dans la septième, qui s'occupe de tout autre chose.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de vos propos introductifs. Ils répondent pour partie aux questions qui sont les nôtres. Je ne crois pas du tout que vous soyez à la périphérie de nos préoccupations. Au contraire. Vous avez utilisé l'expression « c_ur de la cible ». Je ne sais si vous êtes au « c_ur de la cible », mais vos propos relèvent totalement de nos préoccupations, car nous souhaitons plus de transparence, plus de lisibilité, plus d'efficacité sur l'ensemble des comptes publics, dont font évidemment partie les comptes de la sécurité sociale. A ce titre, le fait que la France soit dans la Communauté européenne nous impose une vision intégrée des finances publiques. Même si nous n'étions pas dans l'Europe, il faudrait l'avoir. Mais c'est là une obligation de l'Europe, puisqu'un programme de stabilité porte sur l'ensemble des finances des administrations publiques et pas seulement celles de l'Etat.

Des réformes très importantes sont intervenues en 1996. Je pense que Jean-Pierre Delalande les évoquera plus avant, puisqu'il était le rapporteur du texte organique de l'époque. Les finances sociales sont entrées dans le champ de compétences du Parlement. Depuis 1996, il y a, en effet, une distinction entre le budget de l'Etat et les finances de la sécurité sociale. Vous paraît-il souhaitable, possible, d'instaurer, à terme, un cadre unique où le Parlement puisse discuter de la situation de l'ensemble des finances publiques et prendre les décisions afférentes ?

A cette question, je lierai celle touchant au calendrier, au sujet duquel Jean-Pierre Delalande a présenté des propositions qui n'ont pas été obligatoirement le résultat des arbitrages intervenus. Le calendrier retenu est-il le bon ? Vous-même avez formulé des observations sur la nécessité de faire preuve d'une grande souplesse. Vous avez souligné le caractère particulièrement acrobatique lié au calendrier de préparation, de la quasi-concomitance de la présentation des projets de loi de finances et de loi de financement. Quelle est votre opinion sur la question ? Faut-il une présentation simultanée des deux textes, ce qui permettrait de discuter plus clairement des mesures législatives qui forment un ensemble de plus en plus imbriqué, surtout en matière de recettes, ou alors faut-il une intervention complètement décalée par rapport au projet de loi de finances ? Les points de vue des parlementaires, sur ce point, semblent partagés. Pourriez-vous nous livrer votre appréciation ?

Quels sont les aménagements de périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale qu'il vous paraît possible d'effectuer ? Avez-vous des orientations à nous proposer ?

Nous vous avons adressé la rédaction actuelle de la proposition de loi organique. Selon vous, des dispositions organiques du code de la sécurité sociale devraient-elles être modifiées en conséquence ?

Au travers de l'article 1er de la loi de finances, nous autorisons l'Etat à percevoir l'ensemble des impôts. Il convient donc que le Parlement soit éclairé, lorsqu'il vote cet article, sur la portée de son vote. Or, ce n'est pas totalement le cas pour les recettes affectées à la sécurité sociale. Quelles propositions pourriez-vous avancer pour que le vote du Parlement soit mieux éclairé ?

Vous avez décrit le mouvement vers la comptabilité en droits constatés. On ne peut que s'en réjouir, dans la mesure où c'est ce que nous souhaitons pour le budget de l'Etat. Vous utilisez même cette comptabilité pour les comptes prévisionnels alors même que l'on pourrait différencier selon l'approche budgétaire et l'approche comptable. Pourriez-vous nous dire un mot sur les raisons qui vous ont amené à faire ce choix pour les comptes prévisionnels ?

M. le Président : La parole est à M. François Monier.

M. François Monier : Convient-il de caler ou de décaler les calendriers ? Décaler complètement les calendriers engendrerait une grande difficulté relative aux éléments communs aux deux textes. Peut-être y avez-vous déjà réfléchi. Il est vrai que les éléments communs aux deux textes sont nombreux. Comment faire si l'on enregistre quelques mois de décalage entre les deux débats et les deux présentations de textes ? Je penche a priori pour un calendrier assez proche voire simultané des discussions et des présentations des deux projets, dans la mesure où les flux entre les deux sont nombreux.

Faut-il aller jusqu'à la fusion des deux textes ? Je ne le pense pas, car ils sont de nature extrêmement différente. Les crédits ou les dépenses qui y figurent sont tantôt évaluatifs, tantôt limitatifs. Mon sentiment premier se porte donc en faveur de deux textes séparés, mais présentés de façon assez concomitante, c'est-à-dire en faveur du maintien de la situation actuelle mais moyennant des améliorations. Je pense à une préparation mieux articulée par les services des documents associés, et des annexes plus claires et plus transparentes. Il faudrait, par exemple, clarifier les « jaunes ». Celui sur les « relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale », mentionne les pensions des fonctionnaires. Il ne s'agit pas vraiment pour moi de relations financières, en tout cas, ce ne sont pas des flux financiers entre l'Etat et la sécurité sociale. Il s'agit du versement des pensions. Le « jaune » comporte une vision extrêmement large, trop large, susceptible même de prêter à confusion. C'est une bonne chose de présenter tous ces chiffres, mais il conviendrait de les regrouper de sorte à éviter toute confusion, en séparant les rubriques.

En ce qui concerne le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale, un point m'a toujours un peu étonné : l'exclusion des régimes de moins de 20.000 cotisants ou retraités de droit direct, par la loi organique. Cela se justifie-t-il ?

Peut-être peut-on également discuter des agrégats de la loi de financement, c'est-à-dire des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses. Les prévisions de recettes sont réparties entre des rubriques calquées sur celles retenues par la Commission des comptes de la sécurité sociale, mais qui peuvent sans doute être discutées. Ce sont là des points à la marge. Par exemple, jusqu'à présent, les remboursements d'exonérations de cotisations de l'Etat étaient considérés comme des cotisations. On peut plutôt considérer qu'il s'agit de contributions. Pour moi, ce ne sont pas exactement des cotisations et il est souhaitable de faire la distinction entre les cotisations réellement encaissées auprès des entreprises, des employeurs, et les cotisations remboursées par l'Etat ou maintenant par le FOREC.

Telles sont les modifications qui pourraient intervenir lors du réexamen du cadre des lois de financement.

Des clarifications s'imposent pour des éléments présents des deux côtés, telles les pensions des fonctionnaires ou le BAPSA. Le BAPSA trouve plus sa place, selon moi, dans la loi de financement qu'en loi de finances.

Enfin, je serais assez favorable à ce que la loi de finances autorise tous les impôts. Cela dit, certains suggèrent une autorisation spécifique dans le projet de loi de financement. Dès lors, la sécurité sociale connaîtrait deux types de recettes : celles autorisées par la loi de financement et les cotisations fixées par voie réglementaire. Mais je préfère me rallier à l'idée selon laquelle c'est à la loi de finances fixant le budget de l'Etat d'autoriser les impositions de toute nature. L'ensemble doit être récapitulé dans la loi de finances. On les affecte ensuite. En revanche, l'évaluation me semble relever de la loi de financement.

M. Le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Delalande.

M. Jean-Pierre Delalande : Comme le Rapporteur, je suis convaincu que nous nous situons au c_ur du débat ; j'en suis encore plus convaincu après avoir entendu les réponses que vous avez apportées aux questions initiales de notre Président.

Nous sommes en plein leurre démocratique ! La loi de finances initiale ne laisse que très peu de place au Parlement. L'exécutif a quasiment tous les pouvoirs : services votés, article 40. Nous intervenons à la marge et nous mettons trois mois... pour intervenir à la marge !

Vous avez confirmé par votre intervention, M. le secrétaire général, que c'était presque la même chose, voire pire, en ce qui concerne les dépenses de sécurité sociale. Vous nous dites que, finalement, tous les éléments de base qui vous sont donnés le sont par l'administration. Il n'y a pas de différence de ce point de vue entre la loi de finances initiale et la loi de financement de la sécurité sociale. Vous en prenez livraison, vous les commentez dans le peu de temps que l'on vous laisse. Vous ne pouvez donc articuler le projet de loi de financement de la sécurité sociale avec le projet de loi de finances initiale qu'au dernier moment. La marge de man_uvre des parlementaires est encore plus réduite. S'ils n'ont quasiment aucun pouvoir sur le projet de loi de finances initiale, ils n'ont aucun pouvoir sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale car ils ne disposent pas de suffisamment de temps pour l'examiner. Au fond, on ne peut rien remettre en cause. On nous explique d'ailleurs que les interactions entre les deux textes sont telles qu'il est impossible de toucher à quoi que ce soit. Il faut donc tout accepter d'emblée. Nous sommes en plein leurre démocratique ! On appelle cela des lois. En réalité, le pouvoir administratif est total, et le pouvoir législatif ne peut qu'enregistrer, reprendre à son compte, valider ce qu'a préparé le pouvoir administratif. Nous sommes en plein leurre démocratique !

C'est pour essayer de sortir de cette situation que nous avons créé cette commission. Nous allons travailler pour tenter de redonner une marge de manoeuvre au Parlement dans l'examen de la loi de finances initiale. Dès 1995, c'est-à-dire dès la conception même de la loi de financement sur la sécurité sociale, j'avais essayé de renforcer le pouvoir du Parlement vis-à-vis de l'exécutif. A l'époque, je m'étais retrouvé minoritaire. Ma conception d'alors était assez différente de ce qui a été finalement retenu.

Vous avez évoqué d'emblée les différences entre loi de finances initiale et loi de financement de la sécurité sociale, celle-ci présentant un caractère évaluatif, d'où la difficulté de trouver un équilibre général, et ne connaissant pas un principe clair d'affectation des ressources. Dans le dispositif que je préconisais en 1996, j'avais imaginé - la conception était différente, mais elle était ô combien plus éclairante - un véritable caractère évaluatif. L'idée était celle-ci : le Parlement se prononçait sur les montants qu'il estimait convenable d'affecter essentiellement aux dépenses maladie, à ajuster en fonction des éléments de la branche « retraite », ces montants étant déterminés par rapport au PIB. La mise en _uvre devait être le fait des professionnels - à ce moment-là, le problème se posait différemment - c'est-à-dire des médecins. Toute « l'huilerie » aurait été mise en _uvre par les professionnels, alors que celle-ci est déterminée actuellement quasiment sans eux et avec des procédures de sanctions collectives qui n'ont pas de sens et qui sont ressenties comme insupportables par les professionnels, et à mon avis, à juste titre. Si on avait demandé aux professionnels d'assurer la responsabilité des évolutions, ils auraient été partenaires de l'évolution des budgets de la sécurité sociale, tout particulièrement de la branche « maladie ».

M. Jacques Barrot : C'est irréaliste !

M. Jean-Pierre Delalande : Non, c'est parfaitement réaliste à partir du moment où les chiffres sont exprimés en droits constatés. D'ailleurs, dès lors que l'ensemble des chiffres sera en droits constatés, nous gagnerons du temps, puisque nous en disposerons au 31 décembre. Nous aurons des droits constatés au 31 décembre, comme dans une entreprise classique. Disposant des chiffres, nous serons en mesure de formuler des propositions sur les évolutions beaucoup plus tôt dans l'année. Cela ouvre des perspectives nouvelles. Celles-ci, d'ailleurs, étaient déjà entrevues en 1995.

Dès lors où on l'on travaille en droits constatés, la loi de financement de la sécurité sociale peut suivre des principes différents. On peut autoriser telle évolution pour l'année à venir, tel pourcentage, en principe à ne pas dépasser, sauf extraordinaire et en se gardant donc la possibilité d'un ajustement dans le cadre d'une loi de financement rectificative. On peut disposer du projet de loi avant le 31 juin. C'est en train de devenir possible et cela laisse du temps pour la négociation avec les partenaires sociaux et du temps pour bien préparer la loi de financement de la sécurité sociale. L'affectation des ressources devient possible. Elle permet de distinguer entre ce qui doit aller au budget de l'Etat et ce qui doit aller aux budgets sociaux. Mon collègue Cahuzac, du groupe socialiste, partage mon sentiment. Je suis content de voir que je ne suis plus isolé et que ce n'est pas une question qui oppose majorité et opposition - en tout cas, qui ne l'oppose plus.

S'agissant de l'affectation des ressources, notre collègue Alfred Recours, dans son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2633, tome 1, page 62), dresse un remarquable tableau du financement des différents fonds : fonds de préretraite des victimes de l'amiante, FOREC, FSV, Fonds de réserve, CADES, le CRDS ne faisant par partie du périmètre de la loi sociale, ce qui est quand même assez extraordinaire. Le tableau est tout à fait amusant ! Combien de spécialistes sont-ils capables de le suivre ? Soyons gentils, dix dans tout le Parlement français - je parle de ceux qui suivent de très près les choses ! C'est dire que l'on complexifie, l'on opacifie encore le dispositif actuel comme si l'administration actuelle n'avait pas encore assez de pouvoir pour nous empêcher d'y voir clair. Je pense qu'il faut des affectations précises de financement aux différents fonds. Cela clarifierait les choses et serait beaucoup plus démocratique. Je refuse l'idée selon laquelle, la complexité administrative actuelle, qui n'est qu'un alibi, doive nous empêcher de regarder les choses de près. Et si seulement une quinzaine de parlementaires, sur près d'un millier, comprennent à peu près, que peuvent comprendre nos concitoyens à ces questions ?

Pour finir, je soulèverai plusieurs questions.

Premièrement, vous avez indiqué que l'Etat versait des cotisations en tant qu'employeur. Comment les détermine-t-il ? Il se trouve que je suis membre du conseil de surveillance de l'ACOSS. Gentiment, nous remercions l'Etat de nous verser quelques milliards de francs, ce qui, en principe, correspond aux cotisations de l'Etat pour les fonctionnaires. On le remercie gentiment, car l'on est incapable de dire si le montant qu'il verse est juste, d'autant qu'il ignore lui-même le nombre de ses fonctionnaires. C'est d'ailleurs pour nous un combat récurrent, mais devenu d'actualité, pour connaître le nombre de fonctionnaires dans l'administration. C'est pourquoi nous sommes quelques-uns à dire qu'il faudrait, dans un premier temps, une caisse spéciale pour les fonctionnaires, pour mettre un peu d'ordre dans tout cela, pour savoir combien il y a de fonctionnaires, combien il doit y avoir de cotisations pour chacun des fonctionnaires, quel pourcentage cela représente, quel est le périmètre.

J'admire beaucoup votre capacité à porter une appréciation sur le montant des cotisations versées par l'Etat en tant qu'employeur. Nous serions très intéressés si vous pouviez nous livrer des précisions sur les éléments de jugement qui sont les vôtres.

Deuxièmement, au cours des années précédentes, beaucoup d'efforts ont été fournis pour distinguer le contributif du non-contributif. Or, cette année, tout a été à nouveau mélangé pour recompliquer le tout ! On a réintroduit du non-contributif payé par les caisses de sécurité sociale et non par l'Etat.

Troisièmement, le système est à ce point dépassé que, cette année aussi, on a retenu pour la fixation de l'ONDAM les dépenses constatées en cours d'année. C'est comme s'il n'avait servi à rien de voter l'année passée un montant de progression, puisque l'on n'en a pas tenu compte. On vote maintenant un taux de progression par rapport au dépassement de la progression du montant précédent. Tout cela ne sert plus à rien. Si nous ne remettons pas un peu de clarté et de sérieux dans ces affaires, nous trompons nos concitoyens en leur donnant le sentiment que nous faisons progresser les choses alors que ce n'est pas le cas. Il n'y a maîtrise de rien. Tout est un leurre, la loi est un leurre.

Je ferai enfin une dernière observation. Je ne suis pas sûr - mais je reconnais que cela se discute - que l'on puisse considérer le FOREC comme un organisme de la sécurité sociale. Mais c'est un autre problème.

M. Jacques Barrot : Et le FSV ?

M. Jean-Pierre Delalande : Le FSV, oui, incontestablement. Pour le FOREC, cela se discute. Mais nous ne nous battrons pas sur ce sujet aujourd'hui ; les autres questions sont plus sérieuses.

M. le Président : La parole est à M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot : Je suis, maintenant, paradoxalement, assez d'accord avec l'approche de Jean-Pierre Delalande. Lorsque nous avons inventé la loi de financement de la sécurité sociale, nous avons beaucoup tâtonné. En réalité, il me semble évident que la loi de sécurité sociale est fondamentalement une loi de dépenses, non une loi de recettes. Je suis assez proche des propos de Jean-Pierre Delalande car ce qui fait la différence entre le budget de l'Etat et la loi de financement de la sécurité sociale réside dans le fait que, dans le budget de l'Etat, on doit d'abord arrêter les impôts et les prélèvements - c'est fondamental - alors que, dans la loi de financement de la sécurité sociale, la dépense précède. Il faut savoir à peu près ce que l'on dépense. Je me suis permis de juger certaines propositions irréalistes, car je n'avais pas pensé aux droits constatés. Nous nous sommes heurtés en 1996 à une difficulté. M. Marmot, votre prédécesseur, nous faisait observer que si nous préparions l'enveloppe évaluative des dépenses au printemps, nous ne disposerions pas suffisamment de chiffres. Et je rebondis là sur le propos de Jean-Pierre Delalande : le changement de comptabilité en droits constatés permet, en effet, l'établissement de l'enveloppe de dépenses prévisionnelles au printemps. Ceci présenterait énormément d'avantages, car lors de la préparation de la loi de finances, dans laquelle on décide des prélèvements, on pourrait apprécier s'il y a lieu de prévoir des prélèvements supplémentaires pour l'enveloppe de sécurité sociale. Cela permettrait sans doute - ce que disait très bien Jean-Pierre Delalande - une meilleure articulation.

Selon moi, il ne faut pas transformer la loi de financement de sécurité sociale en une deuxième première partie de la loi de finances. Il est vrai que la sécurité sociale peut avoir besoin de prélèvements supplémentaires. Mais le vote des prélèvements doit être opéré dans la clarté avec une vision globale. Je donne donc raison à Jean-Pierre Delalande. Cela dit, la réforme suppose qu'au sein de l'exécutif la logistique suive, car se profilent derrière les problèmes complexes du rapport entre ministère des finances et ministère des affaires sociales. Il faudra un jour y voir clair entre eux, car comment cela se passe-t-il actuellement ? Le ministère du budget établit son budget ; ensuite, le ministre des affaires sociales indique que des crédits supplémentaires sont nécessaires ; Bercy répond alors qu'il n'inscrira que quelques recettes dans la première partie de loi de finances, le reste devant figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale. Au bout du compte, il n'y a pas meilleur moyen de brouiller les pistes et de rendre très difficile la lecture des recettes.

Un point reste essentiel. Les problèmes des rapport entre le budget de l'Etat et la sécurité sociale rappellent ceux qui existent entre le budget de l'Etat et les collectivités locales : il faut que nous ayons un évaluatif des compensations. Quand une décision est prise sur la CSG, sur une baisse de cotisation patronale, des règles sont nécessaires, sans quoi on arrive - Jean-Pierre Delalande l'a très bien expliqué - à des systèmes de compensation d'une extrême complexité. Pour le FSV qui était à peu près financé correctement - je ne parle pas du FOREC qui bénéficie de six ressources -, il eût mieux valu être clair, garder ses ressources affectées et les voir évoluer. Le mélange des ressources actuel rend illisibles les prélèvements que nous devons autoriser.

Je dois dire que M. Jean-Pierre Delalande avait eu une intuition prémonitoire. A l'époque, nous nous étions heurtés essentiellement sur la branche « maladie ». On n'était pas assuré, au printemps, de savoir comme elle évoluerait tant qu'en recettes et en dépenses pour examiner une loi de financement à cette période de l'année. Ce handicap est peut-être levé.

M. Le Président : Je ne fais pas partie de la quinzaine de spécialistes évoqués par M. Jean-Pierre Delalande mais si je comprends bien, vous proposez, dans votre calendrier de disposer des chiffres dès le 31 décembre au moment de la clôture de l'exercice, et d'examiner la loi de financement au printemps. Cela semble exclure l'idée de rapprocher la discussion budgétaire de l'examen du financement de la sécurité sociale, puisque les contraintes constitutionnelles nous obligent à débattre du budget de la Nation à une période déterminée de l'année, à l'automne. Vous semblez donc privilégier des discussions séparées, même si le fait d'avoir des comptes dressés au 31 décembre après la discussion budgétaire permet sans doute une lisibilité plus grande de l'un et de l'autre des budgets, budget de la Nation d'un côté, budget de la sécurité sociale de l'autre.

M. Jacques Barrot : En vérité, un grand débat sur l'enveloppe de dépenses de la sécurité sociale, qui pourrait se tenir en mai-juin, n'empêcherait pas, après le vote de la première partie de loi de finances de l'Etat, de reprendre le sujet pour boucler définitivement la loi de financement de sécurité sociale. Vous avez parfaitement raison : on ne peut complètement boucler au printemps, période durant laquelle on ne peut évaluer les enveloppes complètement. L'ajustement définitif interviendrait ultérieurement. Une première lecture aurait lieu au printemps, et une lecture définitive, plus courte, car l'essentiel aurait été dit et fait, après. C'est ainsi que je conçois les choses.

M. le Président : La parole est à M. Jean-Pierre Delalande.

M. Jean-Pierre Delalande : Il existe deux possibilités : celle qu'évoque Jacques Barrot et celle qui consiste à ce que la loi de financement de la sécurité sociale ait sa logique propre et que les deux textes soient ajustés l'année n + 1. Les deux approches se discutent, mais, en tout état de cause, on doit désormais pouvoir examiner la loi de financement de sécurité sociale en mai ou juin.

M. le Président : M. Monier, quel est votre sentiment sur l'ensemble de ces intéressantes réflexions ?

M. François Monier : La difficulté de lire les affectations fiscales est réelle. Le tableau établi par M. Recours le prouve. La difficulté est même chaque année plus importante. C'est pourquoi je conçois la commission des comptes comme l'une des enceintes qui doit contribuer à expliquer et à rendre les choses plus lisibles. La tâche est ardue d'autant que nos rapports ne sont pas lus par un très grand nombre de personnes.

M. Le Président : Imprimez-les à quinze exemplaires, cela suffira !

M. François Monier : Nous en imprimons quand même beaucoup plus !

On distingue les lignes directrices des mouvements, dont certains ont pour objet d'alimenter le fonds de réserve et de consommer les excédents de la branche « famille ». Le réglage actuel de la sécurité sociale est tel que toutes les branches du régime général ont des recettes qui augmentent à peu près au même rythme. En revanche, leurs dépenses ne progressent pas au même rythme, puisque les dépenses maladie et même les retraites progressent nettement plus vite que les prestations familiales, essentiellement pour des raisons démographiques. Spontanément, donc, certains excédents gonflent et des déficits persistent. Cela conduit à prévoir des branchements compliqués afin de stabiliser les soldes. Je le regrette le premier, et j'espère que ces mouvements trouveront un terme, et que l'on arrivera à une période de plus grande stabilité. La commission, à laquelle participent des parlementaires, doit contribuer à améliorer la lisibilité des systèmes de financement. Il faut élaborer des schémas, tel celui que M. Jean-Pierre Delalande a évoqué, et sans doute plus simplifiés.

J'ai omis d'indiquer tout à l'heure que dans le cadre du processus d'élaboration de la loi de financement, la commission des comptes, au mois de septembre, intervient en amont. La commission des comptes doit présenter des comptes avant loi de financement que l'on baptise de « tendanciels ». En d'autres termes, nous précisons ce que seraient les comptes de la sécurité sociale s'il n'y avait pas de loi de financement. Ensuite, on prend en compte les mesures proposées par le projet de loi de financement. Cette étape a lieu le plus souvent au mois de mai de l'année suivante. Elle intervient sous forme interne à la fin de la discussion de loi de financement, c'est-à-dire à la fin de l'année, et dans des documents que nous publions mais ce n'est qu'au mois de mai suivant que l'on obtient l'intégration de la loi de financement de l'année dans les comptes prévisionnels.

M. Jean-Pierre Delalande, vous avez posé des questions précises sur les cotisations « employeur » de l'Etat. Selon les textes, la Cour des comptes est chargée du contrôle des versements des contributions de l'Etat employeur. Tous les ans, la Cour des comptes, dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances, consacre un chapitre à la façon dont l'Etat employeur s'est acquitté de ses obligations vis-à-vis de la sécurité sociale. Y sont traitées la question des cotisations d'assurance maladie qui sont maintenant calculées à un niveau décentralisé alors qu'il s'agissait auparavant d'un versement global pour tous les employés de l'Etat et la question du solde des prestations familiales. La Cour des comptes procède à quelques contrôles. Elle en a engagé récemment dans certains services de l'Etat décentralisés et elle a examiné l'articulation entre la trésorerie locale et l'URSSAF locale. L'ACOSS se plaint souvent de ne pouvoir intervenir.

M. Jean-Jacques Jégou : Nous sommes un certain nombre à nous inquiéter de la question depuis quelque temps. Les cotisations « maladie » sont calculées de façon décentralisée, ce qui n'appelle pas d'observations sévères de la Cour, mais hormis pour les contractuels de l'Etat, il n'y a pas de cotisations « vieillesse », n'est-ce pas ?

M. François Monier : Effectivement.

M. Jean-Jacques Jégou : Il convient de le dire, car cela n'a jamais été dit. Il n'y a pas de cotisations « vieillesse » des agents titulaires de l'Etat. On devient retraité le jour où on liquide sa retraite mais il n'y a pas de cotisations.

M. François Monier : Cependant, dans nos comptes, figurent des cotisations fictives, la part implicite correspondant au montant des prestations versées et que l'on peut rapporter aux rémunérations, ce qui permet de calculer un taux, du reste très élevé.

Je parlais tout à l'heure uniquement des cotisations « maladie », qui entraînent des flux financiers entre l'Etat et le régime général comme la CSG.

Je demande à réfléchir davantage aux questions de calendrier. Après l'intervention de M. Jacques Barrot, j'estime aussi qu'il convient de revenir sur la loi de financement en même temps que l'examen de la loi de finances. Ma principale préoccupation est qu'il y ait un point de contact avec les deux lois, le cadrage macro-économique devant être le même pour les deux textes et leurs éléments devant être parfaitement articulés. Je vois beaucoup d'avantages à cette cohérence, qu'il faut maintenir. Quant à un grand débat au printemps, il serait certainement utile.

M. Jacques Barrot : Seriez-vous prêt à alimenter un débat au printemps ?

M. François Monier : Pas cette année.

M. Jacques Barrot : Non, mais à l'avenir ?

M. François Monier : S'agissant des comptes des régimes sociaux, un décret d'application de la loi de financement pour 2001, devrait prévoir qu'à partir de 2002, ils devront être rendus avant le 31 mars de chaque année. La date du 28 février est même envisagée dans une phase ultérieure. Au cours d'une phase transitoire, ce serait cependant le 31 mars. Certains régimes indiquent qu'ils ne parviendront pas à respecter cette date butoir, mais nous espérons les convaincre. Cela paraît très simple, mais certaines branches - je pense à la branche famille - ont besoin d'éléments qui viennent, par exemple, de l'Etat. Ils sont dépendants d'autres fournisseurs de comptes pour publier leurs propres comptes. En tout cas, nous visons la date du 31 mars pour 2002, et il est certain que l'on disposera à l'avenir des comptes de l'année précédente de plus en plus tôt. Néanmoins, pour un débat au printemps, il convient de bénéficier du maximum d'éléments sur l'année en cours. C'est pourquoi je considère le calendrier actuel plutôt meilleur. En effet, on ne peut juger très bien de l'évolution des dépenses d'assurance maladie de l'année en cours, en mai-juin.

M. Le Président : Je vous propose, sur ces questions qui nécessitent plus ample réflexion, de nous transmettre vos analyses par écrit. Nous les communiquerons aux membres de la commission.

Quelle fiabilité, quelle crédibilité peut-on accorder aux déclarations d'un gouvernement, de gauche comme de droite, lorsqu'il annonce que le budget de la sécurité sociale est en équilibre, ou en déficit de tant de milliards ? Une base permet-elle véritablement de l'affirmer alors que l'on se rend compte que les flux financiers - les entrées, les sorties -, et les différents fonds sont si complexes que les manipulations paraissent aisées que la lisibilité est quasiment impossible.

M. François Monier : Il y a plusieurs questions : celle qui concerne la lisibilité du projet de loi et celle de la fiabilité des prévisions. Il y a quelques années, la Cour des comptes a réalisé une étude montrant que l'erreur moyenne sur le solde du régime général avoisinait une dizaine de milliards de francs. Lorsque l'on prévoit un chiffre, par exemple, + 5 milliards de francs l'on a donc a priori des chances de se situer entre
- 5 et + 15. La fourchette est très large. L'expérience montre que la cause des incertitudes n'est pas propre à la sécurité sociale, mais est due à des données macro-économiques, à l'évolution de l'assiette des impôts et des contributions sociales, essentiellement la masse salariale. Du côté des dépenses, les dépenses « vieillesse » et les dépenses « famille » sont prévues avec une très faible marge d'erreur. On peut en prévoir à un milliard près la réalisation. Ce n'est évidemment pas le cas des dépenses maladie. Les deux causes d'erreur sont donc principalement l'évolution des recettes et celle des dépenses « maladie ». Pour celles-ci, on peut déraper de dix milliards par an - peut-être moins en 2001 - par rapport aux objectifs.

M. le Rapporteur : Sachant que dix milliards de francs représentent moins de 1% de l'ensemble, il faut considérer que les prévisions sont relativement fiables. Il faut restituer tout cela dans son contexte.

M. François Monier : Dans mes présentations, je mets fortement l'accent sur la petitesse des soldes dégagés. Lorsque l'on parle d'un excédent de trois ou quatre milliards de francs, certains pensent souvent que c'est beaucoup. Or, rapporté à l'ensemble des dépenses de la sécurité sociale, c'est fort peu.

M. Le Président : Merci pour cette présentation. Nous avons été très heureux de vous entendre sur un sujet parallèle à celui de la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, mais dont on s'aperçoit qu'il n'est pas aussi étranger que cela à la réflexion engagée par la commission spéciale. Le cercle des initiés n'a pas forcément été élargi, mais merci d'avoir informé un peu plus ceux qui n'en font pas partie !


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