ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION SPÉCIALE

chargée d'examiner la proposition de loi organique
relative aux lois de finances

COMPTE RENDU N° 8

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 7 décembre 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Raymond Forni, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

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M. le Président : Je suis très heureux d'accueillir M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui suit de très près la réforme que nous avons initiée. Chacun aura pu prendre connaissance de son point de vue, exprimé il y a peu dans un grand quotidien du soir.

Vous souhaitez comme nous améliorer le service rendu au public. Pour aboutir à ce résultat, il faut sans doute donner plus de liberté aux gestionnaires des crédits alloués annuellement par le Parlement. Tel est, je crois, l'objectif commun que nous poursuivons.

M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat : Il n'y a plus grand-chose à dire !

M. le Président : Je suis certain que vous aurez beaucoup à ajouter.

Dès lors que l'on est animé par un tel objectif, sans doute faut-il donner plus de responsabilités à ceux qui ont la mission de gérer les crédits publics et mettre en _uvre un système de contrôle, non plus tatillon, mais permettant de vérifier a posteriori si les objectifs fixés ont été atteints. Responsabilité et transparence sont les deux principes qui nous guident dans la réforme de l'Etat telle qu'elle a été initiée.

Monsieur le ministre, je propose que vous nous fassiez part de votre point de vue par un exposé liminaire, suivi de l'exercice des questions-réponses.

M. Michel Sapin : Je suis très heureux d'être ici. Ancien parlementaire, j'ai souvent mesuré la difficulté, parfois la vanité, des débats budgétaires. Je mesure encore aujourd'hui ces difficultés en tant que ministre. L'initiative parlementaire, de l'Assemblée nationale comme celle du Sénat, est particulièrement bienvenue. Il est important que les deux assemblées puissent travailler parallèlement pour, in fine, se rejoindre sur un texte comme celui-ci.

Cette initiative est principalement portée par un discours totalement justifié sur le rôle du Parlement, la réhabilitation du débat budgétaire au Parlement, une meilleure transparence du débat démocratique, sur la loi de finances comme sur les autres lois à caractère financier, qui constitue un élément fondamental de la démocratie représentative. Pourtant, ce ne sont pas ces considérations qui m'amènent devant vous, même si, je le répète, mon expérience parlementaire et ministérielle me fait penser que cette réforme, de ce point de vue, est particulièrement nécessaire. L'autre aspect des choses qui m'amène devant vous, c'est que la manière dont vous votez une de loi de finances implique nécessairement celle dont l'Etat dépense les crédits ouverts. Il y a l'avant-adoption du texte, vous souhaitez réhabiliter le débat parlementaire, il y a l'après-adoption du texte : c'est le fonctionnement propre de l'administration. Ce dernier sujet m'amène devant vous et m'a poussé à prendre position publiquement pour appuyer votre initiative, à la fois en qualité de membre du Gouvernement et à titre personnel.

La réforme des procédures budgétaires internes à l'administration - l'acte de dépense, la manière dont on dépense - est certes une préoccupation ancienne en France, mais elle est aussi, quand on regarde le continent européen, étudié de façon très remarquable par M. Henri Guillaume, une préoccupation très largement partagée, notamment au sein de l'Union européenne, et, si je puis me permettre, depuis plus longtemps dans certains pays : la quasi-totalité des pays de l'Union a engagé une réforme budgétaire et beaucoup d'entre eux ont abouti. De ce point de vue, peut-être est-il dommage que la France, avec la Grèce, soit le seul pays qui n'ait pas encore réformé sa procédure de dépenses budgétaires.

Les conversations que j'ai pu avoir récemment, à Strasbourg, avec mes homologues, eux aussi intéressés par ces sujets, démontrent, qu'en matière de mise en _uvre, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Certains pays qui mettent en avant des réformes fondamentales en ce domaine ne les ont pas encore mises en application concrètement et n'en ont pas recueilli l'ensemble des bénéfices.

Une réforme aussi importante que celle qui est envisagée doit obéir à plusieurs principes.

Dans la mesure où la réforme est très importante, fondatrice, il faut savoir prendre son temps pour élaborer les meilleures dispositions possibles afin de ne pas être obligé ensuite, pour les modifier, de courir le risque d'attendre encore une quarantaine d'années, comme on l'a constaté pour l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.

Toutefois, il ne faut pas non plus prendre prétexte de cette importance de la réforme envisagée pour ne rien faire, d'où la nécessité d'avancer.

Sans attendre que le texte même soit voté et applicable, il est nécessaire que l'administration se prépare à de profondes modifications, car si nous nous contentions d'attendre le vote du Parlement ou l'application du texte, l'administration pourrait être victime d'un « bogue » généralisé qui risquerait de tout remettre en cause, y compris le fond de la réforme.

En tant que ministre de la réforme de l'Etat, j'attache de l'importance à cette réforme.

La modernisation de la gestion publique me semble reposer sur deux piliers : l'autonomie et son corollaire, la responsabilité du gestionnaire de crédits publics. L'autonomie de gestion n'a pas pour objectif d'échapper pendant les phases d'exécution du budget aux missions régulatrices de l'Etat, notamment exercées par le ministre chargé des finances. L'autonomie est indissociable du contrôle à mettre en _uvre sur les modalités d'exécution. L'autonomie vise à modifier, dans les administrations, les procédures de décision qui déterminent l'acte de la dépense. Dans mon esprit, l'autonomie repose sur la globalisation des crédits et sur de grandes facilités pour modifier en cours d'exécution la nature ou la destination de la dépense, grâce à la délégation d'enveloppes budgétaires globales. Cette autonomie nécessite ainsi une fongibilité des crédits, largement prévue dans la proposition de loi organique qui constitue le support de mon analyse devant vous.

Je suis persuadé que nous détenons là une des clés pour, à terme, rendre plus attractifs les métiers de cadre dans la fonction publique et pour faire face aux besoins de recrutement prévisibles dans les années à venir. Je ne reviens pas sur le constat démographique aux effets considérables que nous connaissons. Au-delà de la carrière et du traitement, la modernisation de l'exercice des responsabilités me semble essentielle pour faire valoir, en particulier auprès des jeunes diplômés, l'attrait des fonctions d'encadrement dans la fonction publique. Nous ne nous situons pas uniquement sur le terrain des règles de procédure, dans l'administration, mais aussi dans le domaine de la psychologie et dans une manière de présenter et de transformer, de façon dynamique, la fonction publique.

Évidemment, qui dit « autonomie » ne dit pas « indépendance ». Chaque gestionnaire doit disposer d'objectifs précis, doit connaître le mode d'évaluation de sa gestion et doit être en situation d'en rendre compte. Il faut parvenir à décliner de façon opérationnelle l'obligation constitutionnelle qu'a chaque agent public ou chaque service public de rendre compte de son administration. Pour moi, la responsabilité du gestionnaire repose sur la généralisation de la contractualisation au sein des ministères, entre les ministères gestionnaires et le ministère des finances, entre les administrations centrales et les services déconcentrés, entre l'Etat et ses établissements publics. Cette contractualisation doit comporter trois éléments :

- une définition des objectifs à remplir pendant la période couverte par le contrat. Cette définition peut être formalisée par une lettre de mission au gestionnaire ;

- une garantie sur les moyens budgétaires alloués au service pendant la durée du contrat ;

- la définition d'indicateurs de suivi et de compte rendu de l'exécution du contrat.

La contractualisation de la gestion budgétaire ne peut, dans les faits, que s'inscrire dans un cadre pluriannuel. Il faut donc que la loi organique permette un mode de gestion pluriannuelle des crédits votés par le Parlement.

Pour atteindre ces objectifs, le comité interministériel pour la réforme de l'Etat, le CIRE, du 12 octobre dernier, a décidé d'amplifier les pratiques de contractualisation déjà en vigueur afin de progressivement les généraliser dans le cadre de la réforme à venir. Notre idée est d'en accroître l'expérimentation, comme le fait le ministère de l'intérieur pour les crédits des préfectures, d'évaluer les expériences, ensuite de les diffuser et de les généraliser. Quatre préfectures bénéficient depuis le début de l'année d'une enveloppe globale et fongible de leurs crédits. Un travail d'évaluation de cette expérimentation est actuellement conduit par la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur. Je vous renvoie à cette expertise, sorte de préfiguration de ce que pourrait être l'application au niveau le plus bas, le plus déconcentré, d'une réforme.

M. le Rapporteur : Nous nous y sommes déjà attachés.

M. Michel Sapin : Cela ne m'étonne pas de vous, monsieur le Rapporteur.

Le CIRE a décidé d'étendre en 2001 l'expérience à dix nouveaux départements, donc quatorze préfectures seraient concernées, au total, au cours de l'année 2001.

L'expérience menée dans ces préfectures doit servir d'exemple aux ministères pour, comme l'a également décidé le CIRE, qu'ils engagent une démarche de contractualisation assortie d'une globalisation des moyens de fonctionnement et des rémunérations avec leurs services déconcentrés.

Le Gouvernement a par ailleurs décidé de généraliser progressivement l'usage du contrôle de gestion dans l'administration. Une telle décision n'est pas simple à mettre en _uvre. Notre objectif est donc de préparer dès maintenant les outils de contrôle rendus nécessaires par la réforme de l'ordonnance pour évaluer les gestionnaires et rendre compte au Parlement de l'usage de l'autorisation budgétaire accordée au Gouvernement. Pour aider les ministères dans cette voie et remplir cet objectif de généralisation du contrôle de gestion en trois ans, la direction du budget et la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat, placées sous mon autorité, poursuivront leur travail en commun de conseil et de coordination sur les projets ministériels de développement et de généralisation du contrôle de gestion. A ce jour, un état des lieux a été réalisé avec précision. Il nous reste - et c'est évidemment l'essentiel du travail - à mutualiser les expériences pour définir des références et des pratiques communes à l'ensemble de l'administration, afin de permettre une agrégation des résultats, cette agrégation servant ensuite à nourrir le projet de loi de règlement, dont le statut serait modifié du tout au tout par la mise en _uvre d'une réforme de cette nature.

Plus généralement, le CIRE du 12 octobre a mis en place des structures de pilotage interministérielles, conduites sous la responsabilité de la direction du budget et de la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat, pour préparer très minutieusement les conséquences sur la gestion publique de la réforme de l'ordonnance organique. Huit thèmes seront plus particulièrement abordés. Le travail interministériel est actuellement en cours sur ces points. Il s'agit :

- de la gestion des emplois et du personnel ;

- de la définition des programmes ;

- de la déconcentration, de la délégation de gestion des crédits ;

- des contrôles a priori et a posteriori ;

- de l'organisation des services et des métiers ;

- de la mutation des systèmes d'information budgétaire, comptable et financière ;

- de la pluriannualité des autorisations budgétaires ;

- de la conduite du changement et du suivi des expérimentations, pour que le personnel y soit préparé.

Ces structures ont été installées ; chaque groupe a reçu un mandat précis et les travaux devraient s'achever à la fin du premier semestre 2001. Nous avons mis en place ce calendrier en référence à ce qui semble être le calendrier prévisionnel de discussion de la réforme de l'ordonnance. Je le répète : je ne veux pas que, d'un côté, vous adoptiez une réforme sans que, de l'autre, l'Etat ne soit prêt à son application.

La constitution financière nouvelle de l'Etat doit permettre d'aller dans les deux directions essentielles que je viens de tracer : autonomie et responsabilité. S'agissant de la proposition de loi elle-même, je suis évidemment plus attentif à certains sujets qu'à d'autres. J'y reviens rapidement : les notions de programme, de fongibilité des crédits, de gestion pluriannuelle de l'autorisation budgétaire, de conduite des programmes interministériels, de possibilité de réformer en menant des expérimentations, sont des thèmes d'une grande importance et je souhaite les développer l'un après l'autre.

La fongibilité des crédits est l'élément essentiel permettant aux gestionnaires d'être autonomes. Le principe de spécialité budgétaire, qui fonde l'organisation actuelle des débats et des modalités de la dépense, était au début du XIXème siècle, conçu comme un outil de contrôle du Parlement. Il s'est transformé progressivement pour revêtir désormais les caractéristiques d'un outil qui permet d'éviter que le Parlement n'exerce un contrôle trop précis. Par la fongibilité des crédits, il faut que nous réintroduisions une manière différente d'autoriser et de contrôler, plus conforme aux possibilités actuelles et à l'esprit d'aujourd'hui.

Il reste à définir l'étendue de la fongibilité des crédits. Celle qui est contenue dans la proposition de loi du Rapporteur est large, puisqu'elle inclut les crédits de fonctionnement, les crédits de transfert et les crédits d'investissement. Se pose évidemment la question des crédits de personnel. Faut-il les exclure, et donc exclure de cette réforme près de la moitié des crédits de l'Etat votés chaque année ? Faut-il au contraire les inclure, au risque de voir l'emploi public croître sans limite ou au risque, à l'inverse, de voir les gestionnaires préférer de façon trop systématique l'externalisation de la gestion et donc le financement de prestations extérieures, au détriment de l'emploi public ?

Soyons clairs : l'équilibre n'est guère aisé à trouver, car il nous faut à la fois assurer un contrôle efficace des emplois et ne pas limiter l'autonomie des gestionnaires, qui doit également porter sur les questions d'emploi. C'est cet équilibre qu'il convient de trouver. Je lancerai quelques idées. Vous me pardonnerez d'user du conditionnel, mais un travail interministériel très important est conduit pour définir, au moment de la présentation de la proposition de loi, la position gouvernementale.

Peut-être pourrait-on envisager d'inclure les crédits de personnel dans le champ de la fongibilité. Dans ce cas, celle-ci devrait être encadrée et le Parlement autoriserait un stock d'emplois défini par catégories - A, B, C - et non plus, comme aujourd'hui, par corps et par grade. L'autorisation du Parlement sur ces crédits pourrait ainsi porter, au sein de chaque programme, sur une masse salariale qu'il conviendrait de définir dans un des décrets d'application de la nouvelle loi organique et, parallèlement, sur ce stock d'emplois. On retrouverait alors, en annexe au projet de loi de finances, une répartition indicative des emplois relatifs à chaque programme.

Je considère comme beaucoup d'entre vous que le mode d'approbation actuel du nombre d'emplois ne garantit pas - c'est le moins que l'on puisse dire - la transparence en exécution : d'abord, parce que la distinction entre services votés et mesures nouvelles ne permet pas d'approuver le niveau global de la ressource humaine affectée à chaque ministère ; ensuite, parce que la connaissance, en exécution, du niveau de l'emploi, reste très parcellaire.

Il faut éviter de recréer une discussion parlementaire qui porterait sur les créations et les suppressions d'emplois. L'esprit d'une gestion par programme doit, en effet, permettre au Parlement de discuter de l'ensemble des moyens humains alloués à tel ou à tel programme ministériel. C'est pourquoi, à ce stade de mes réflexions, je ne suis pas favorable à une autorisation qui porterait sur les flux de recrutement, car elle pourrait conduire à la résurrection, pour les crédits de personnel, d'une distinction entre services votés et mesures nouvelles. Elle ferait échec, me semble-t-il, à un des objectifs majeurs de la réforme proposée. Il serait possible de ne pas retenir une fongibilité totale dans les deux sens : les crédits de personnel avec les autres types de crédits, dans la mesure où subsisterait un verrou qui serait matérialisé par un nombre d'emplois affecté à un programme donné. Une telle mécanique permettrait de respecter l'autonomie nécessaire tout en maintenant à la fois une autorisation et un contrôle budgétaire et gouvernemental sur l'évolution de l'emploi public.

Une plus grande souplesse dans les règles de transformation des emplois en cours d'exécution doit évidemment s'appuyer sur la qualité de l'information accompagnant le projet de loi de finances et celle fournie à l'appui du projet de loi de règlement. Pour nourrir cette transparence, il faut, à l'évidence, être en mesure de compter les emplois financés par le budget de l'Etat.

Compter l'emploi public à partir des verts budgétaires, ce que chacun d'entre vous doit faire avec beaucoup d'attention, demeure un exercice particulièrement difficile et plutôt incertain. Au cours des débats - il en va ainsi chaque année, mais cette année c'est moi qui les ai portés à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la résorption de l'emploi précaire et la modernisation du recrutement dans la fonction publique - j'indiquais que les effectifs réels évoluent d'une manière « relativement » autonome par rapport aux décisions budgétaires.

L'analyse comparée des verts budgétaires, traduction de l'autorisation parlementaire, et des fichiers de paie des ministères civils, traduction de la réalité de l'exécution, est édifiante : des emplois sont supprimés là où l'on devrait s'attendre à une augmentation ; des emplois sont créés là où le Parlement a voté des suppressions. Il me semble indispensable que le débat sur le nombre de fonctionnaires ou, plus généralement, sur le nombre d'emplois financés par l'Etat, ait lieu sur des bases saines. Le Parlement doit être conscient de la réalité de l'exécution pour déterminer combien d'emplois il juge nécessaire à la mise en _uvre de tel ou tel programme.

Pour ce faire, j'ai mis en place l'observatoire de l'emploi public, créé par le décret du 13 Juillet 2000. Il a pour objectif :

- de renforcer la transparence sur les données existantes en matière d'effectifs tout en assurant progressivement leur cohérence. Il faut dresser un état des lieux des systèmes statistiques utilisés dans les différents départements ministériels en capitalisant leurs résultats, en harmonisant les nomenclatures et les concepts utilisés pour favoriser leur agrégation ;

- d'améliorer la qualité de la gestion des ressources humaines au sein de chaque ministère avec la mise en place systématique d'une gestion prévisionnelle ;

- de mettre en place, en cohérence avec les outils de gestion prévisionnelle de chaque ministère et de chaque fonction publique, des méthodes plus globales de prospective de l'emploi public et des qualifications.

L'observatoire, dont un député et un sénateur sont membres, est un outil à la disposition du Parlement pour une meilleure connaissance de l'emploi public et de l'application des décisions que vous prenez.

Le deuxième grand sujet concerne la pluriannualité de l'exécution budgétaire, qui est également une condition très importante et nécessaire de l'autonomie et de la responsabilité.

La pluriannualité se développe en effet aux deux extrémités de la chaîne budgétaire : au niveau européen avec le programme de stabilité et au niveau local avec la promotion, voulue par l'Etat ou les collectivités locales, de la contractualisation - verticale ou horizontale - qui est un choix explicite que j'ai retenu et que je promeus. On le note, par exemple, dans les programmations de contrats de plan et autres contractualisations plus sectorielles que l'on peut rencontrer sur notre territoire. A partir du moment où la gestion est contractualisée entre les administrations et que cette contractualisation repose sur des bases pluriannuelles, il serait logique qu'elle soit assise sur une autorisation budgétaire adoptée par le Parlement au lieu de se limiter comme aujourd'hui à la seule garantie, interne à l'administration, du ministère des Finances.

Asseoir les contrats de gestion sur une autorisation parlementaire me semble une exigence de transparence et de démocratie budgétaire. C'est aussi un moyen de résoudre les difficultés de gestion et les débats théoriques engendrés par la régulation budgétaire. Dans un programme budgétaire, le contrat d'objectifs et de moyens ne doit pas être seulement une façon de programmer la diminution des crédits : si le programme repose sur des crédits de paiement votés par le Parlement pour plusieurs exercices, c'est le Parlement qui devient le régulateur.

Dans ce cadre, on pourrait imaginer - j'utilise, là encore, des formes conditionnelles - que l'autorisation pluriannuelle soit la règle, l'autorisation budgétaire annuelle restant l'exception. L'existence des lois de programme et des lois de programmation pourrait être réaffirmée par la loi organique. On pourrait même envisager de prévoir que la loi de finances comporte des crédits de paiement pour chaque année couverte par les autorisations pluriannuelles. Si le Gouvernement souhaitait proposer au Parlement, pour tel ou tel programme, une autorisation portant sur un seul exercice, il lui suffirait de proposer un montant d'autorisations de programme égal au montant de crédits de paiement proposé pour l'exercice en question.

La déconcentration de la gestion budgétaire est également un axe essentiel de modernisation de la gestion publique. Au niveau territorial le plus pertinent pour la mise en _uvre des politiques publiques, le représentant de l'Etat pourrait, dans certains domaines, devenir une autorité budgétaire ayant compétence sur des programmes interministériels, dépassant en quelque sorte une gestion strictement verticale, sur le terrain, des crédits déconcentrés. Ces pistes nécessitent encore des réflexions approfondies, de la part du Gouvernement comme de la vôtre, sur le contenu précis que nous souhaitons donner à de nouvelles étapes de déconcentration administrative. Je crois qu'il est nécessaire de prévoir dans la loi organique l'existence de programmes interministériels, dont les crédits seraient ouverts au budget du Premier ministre ou d'un ministre chef de file et qui seraient destinés à être délégués aux préfets. Ainsi, ne limiterait-on pas la notion de programme à des crédits relevant uniquement d'un même ministère. La loi organique pourrait, en effet, laisser aux lois de finances la possibilité de déterminer le caractère ministériel ou interministériel des programmes budgétaires.

Enfin, les conditions de mise en _uvre de la réforme sont très importantes. Outre les structures de pilotage mises en place par le CIRE, la définition de la période transitoire est essentielle et un horizon de plusieurs exercices budgétaires paraît raisonnable, si ce n'est nécessaire. Au-delà de la définition de ce délai - dans combien de temps l'ensemble des dispositions sera-t-il applicable à l'ensemble des ministères ? - on peut imaginer une mise en place progressive, par la voie d'expérimentations qui pourraient concerner successivement tel ministère, puis tel autre ministère. On n'est pas obligé d'imaginer une mise en _uvre de la totalité de la réforme à une date fixe ; on peut, au contraire, entrevoir un basculement progressif dans le nouveau système, ce que devrait d'ailleurs prévoir la proposition de loi pour permettre à des ministères mieux préparés d'appliquer le nouveau système au bout d'un an ou deux et à d'autres, pour lesquels existent des difficultés, d'y être au terme fixé par votre proposition.

De telles expérimentations pourraient être d'abord mises en _uvre à l'échelon territorial avant d'être ensuite généralisées. La globalisation des crédits des préfectures nous éclaire très utilement sur ce point et pourrait nous servir d'exemple. Au titre d'expérimentation, je citerai également le contrat signé cette année entre la direction du budget et la direction des relations économiques extérieures (DREE). Ces expérimentations méritent d'être évaluées et examinées par vous.

Voilà les principales réflexions que je souhaitais exprimer devant vous en réaffirmant combien la réforme de l'ordonnance de 1959 est, selon moi, l'une des clés de la réforme de l'Etat. Elle modernise les institutions, la démocratie, rend plus transparent le débat démocratique ; elle l'oblige aussi à une modernisation profonde. Je ne sais quoi de la poule ou de l'_uf : doit-on commencer avant que la réforme soit réalisée ? Doit-on attendre que la réforme soit faite pour commencer ? Pour ma part, je suis persuadé, vous l'aurez compris, que c'est en avançant sur ces deux points, la détermination de la réforme qui constitue votre travail et la préparation de l'application de la réforme qui est celui de l'ensemble des ministres, que nous réussirons cette très belle réforme en profondeur de nos institutions et de notre société.

M. le Président : Merci, monsieur le ministre pour la clarté de votre exposé. Nous savions pouvoir compter sur le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat pour aller dans le même sens que le Parlement.

Je souhaiterais faire une observation sur la procédure : vous avez indiqué qu'il fallait, compte tenu de l'importance de la réforme, prendre son temps, pour essayer d'englober dans nos réflexions l'ensemble des problèmes. Bien entendu, nous devons prendre en considération l'ensemble des problèmes relatifs à cette réforme de l'ordonnance de 1959. Je me permets toutefois de souligner que le temps presse pour une raison extrêmement simple que chacun comprendra : le temps qui nous est imparti est rythmé par la vie politique. Si nous n'accélérons pas le pas au Parlement, je crains que nous ne laissions passer l'occasion. Il faut aller très vite en réalité, ce qui nécessite une adaptation au regard de l'ambition qui nous anime. Sans doute faudra-t-il décider d'une application étalée dans le temps ; quatre, cinq ou six ans se révéleront nécessaires pour la pleine et entière application de notre réforme. Il faudra également qu'au cours de cette période d'application progressive, nous adaptions un certain nombre de dispositions. Mais si nous donnons l'impulsion de départ, le reste sera relativement facile à mettre en _uvre. C'est l'impulsion qui compte, il faut la donner rapidement.

Notre démarche, parallèle à celle du Sénat, vous l'avez vous-même rappelé, nécessite de la part du Gouvernement une même volonté d'aller vite, car nous connaissons la lourdeur de nos systèmes. Ce n'est pas une donnée exclusive au Gouvernement, on la rencontre aussi chez nous. Il est des trains qu'il faut pousser pour qu'ils prennent un certain élan. Je souhaite que le Gouvernement s'adapte à la vitesse que nous souhaitons prendre pour mener à bien la réforme. La rapidité n'exclut pas la réflexion, l'ambition d'aller le plus loin possible. Mais si nous n'utilisons pas dès le début la « fenêtre de tir » qui nous est offerte, je crains que nous ne passions une nouvelle fois à côté de l'occasion qui nous est donnée de réformer l'ordonnance de 1959.

M. Michel Sapin : Je ne voudrais pas qu'il y ait d'ambiguïté. Je suis en total accord avec ce que vous venez de dire ; je crois d'ailleurs l'avoir laissé entendre. Lorsque j'indique qu'il faut prendre son temps, c'est une manière de dire combien cette réforme est importante ; elle ne s'improvise pas et elle n'est, du reste, pas improvisée. Le travail mené pour préparer la proposition de loi, le travail actuellement mené au sein du Parlement, le travail mené au sein de l'Etat le démontrent amplement.

Quand je dis « il faut prendre son temps », c'est aussi une référence - et vous y avez fait allusion - aux conditions d'application dans le temps de la réforme. Cela dit, je suis également persuadé qu'il ne faut pas perdre de temps, que la fenêtre d'opportunité que vous avez évoquée est courte ; je souhaite, pour ma part, qu'elle soit pleinement utilisée. J'espère avoir démontré dans mon intervention - je suis entré dans le détail de l'organisation actuelle du travail au sein de l'Etat - que nous ne souhaitons surtout pas attendre la fin de vos débats pour nous préparer à l'application de la réforme. De ce point de vue, le rythme que vous avez donné, ici, au Parlement est celui qui s'impose à l'Etat.

M. le Rapporteur : Après vous, M. le Président, je veux remercier le ministre de la qualité de ses propos. Nous savons depuis quelque temps qu'il est un allié de la réforme. A travers ses propos, il a montré combien il souhaitait être constructif pour que notre volonté de réforme se concrétise. Nous partageons tous le même objectif d'un Etat efficace, transparent et contrôlé. Souhaiter un Etat efficace, transparent et contrôlé pourrait revenir à dire que nous considérons que l'Etat, aujourd'hui, n'est pas efficace ni transparent ni bien contrôlé. Ce serait une caricature que de le penser, mais convenons ensemble que la marge de progression de l'Etat dans ces trois domaines est importante, malgré les progrès réalisés ces dernières années.

Il faut prendre son temps, mais nous le prenons depuis quarante et un ans : depuis 1959 ! Cet objectif est donc déjà pleinement satisfait ! J'ai parfaitement compris le sens de l'intervention de M. le ministre Michel Sapin. Il faut soigneusement étudier les délais d'application de la réforme que nous allons engager. Rarement un texte n'aura autant été préparé en amont par le Parlement. L'Assemblée y travaille depuis près de deux ans et le Sénat lui-même, depuis quelque temps. Le Gouvernement a peut-être mis un peu plus de temps avant d'y travailler, mais vous lui avez apporté un dynamisme certain depuis votre prise de fonctions de ministre chargé de la réforme de l'Etat. Nous avons donc possibilité d'aboutir.

Je formulerai quelques demandes de précision portant sur des points que vous avez soulevés, même si, à travers vos propos introductifs, vous avez déjà répondu par avance à des questions que nous soulevons régulièrement dans le cadre de nos auditions ou de réunions de travail avec tel ou tel haut fonctionnaire.

Tout d'abord, s'agissant des programmes, pouvez-vous nous préciser de quelle façon vous les envisagez ? Pour vous, la présentation des programmes se fait-elle par acteur, par mission ? Peut-il y avoir plusieurs missions dans un programme ? Comment cela peut-il se passer dans le cadre de l'activité déconcentrée de l'Etat ? Nous avons rencontré la directrice du budget. Nous avons pris l'exemple de la direction départementale de l'équipement.

M. Michel Sapin : De l'Isère ?

M. le Rapporteur : Non, de ce service en général !

Comment envisagez-vous la définition de programmes applicables à une direction déconcentrée, notamment pour ce qui concerne les personnels ? Doivent-ils être affectés précisément à telle ou telle mission et à quel niveau de détail devons-nous descendre ? En allant trop loin dans le détail, la fongibilité que nous prévoyons risquerait d'être remise en cause par d'autres rigidités que nous mettrions en place. Comment allier la souplesse, par la fongibilité, avec la nécessité que le Parlement puisse exercer un contrôle rigoureux qui ne soit pas obéré par cette souplesse ? Comment concevez-vous cette articulation ?

Sur les dépenses de personnel, je suis heureux de voir que nos réflexions sont pratiquement communes et que les solutions que vous esquissez sont celles auxquelles nous pensons également. Je pense, en effet, que ces dépenses doivent être fongibles, mais qu'un encadrement est nécessaire. La référence à la masse salariale et à l'autorisation de création d'emplois me semble bienvenue avec la possibilité de se référer aux grandes catégories, excluant toutes rigidités excessives. Certains sont inquiets quant à la compatibilité de ce type de mesures avec le statut de la fonction publique. Quel est votre sentiment ? Nous pensons, en très grande majorité, qu'il n'y a pas d'incompatibilité, mais nous souhaiterions, sur ce point, que vous nous apportiez le fruit de vos réflexions.

La proposition de loi prévoit la suppression, du moins la remise à plat des budgets annexes ou des comptes d'affectation spéciale. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur cette orientation ? Nous serions plutôt favorables à une solution assez radicale au sujet des budgets annexes ou des comptes d'affectation spéciale, à partir du moment où nous entendons mettre en _uvre une présentation par programme. Nous pensons qu'ils peuvent parfaitement trouver leur place dans la nomenclature des programmes.

Au sujet du caractère limitatif ou évaluatif des crédits, dès l'instant où nous prévoyons une fongibilité des crédits, nous pensons extrêmement important que cette fongibilité s'inscrive dans le cadre de crédits limitatifs. Voyez-vous des exceptions possibles à la règle, qui pourrait être établie, de crédits limitatifs et pensez-vous opportun - nous avons engagé une réflexion avec la direction du budget - que des crédits de fonctionnement votés au titre d'une année puissent être reportés sur l'année suivante ?

Ma dernière question a trait à la sincérité des comptes publics, sincérité qui rejoint les problèmes de transparence. Vous avez reconnu honnêtement - il est difficile d'ailleurs de ne pas avoir cette attitude - que nous avons quelque difficulté à percevoir la réalité de la situation, s'agissant des crédits affectés aux charges de personnel, ou au nombre de fonctionnaires. Peut-être d'ailleurs pourrez-vous nous dire si vous avez une connaissance précise de leur nombre en France.

Selon vous, quelle est la définition de la sincérité de la présentation des lois de finances et une réflexion est-elle engagée au sein de votre ministère sur le problème d'une possible certification des comptes a posteriori ?

M. Michel Sapin : La question des programmes est très délicate. Elle est à la fois décisive, puisque les programmes nous permettent de passer du système actuel où le Parlement vote sur pas grand-chose à un système où il vote sur l'ensemble des crédits. « Pas grand chose », c'est la différence entre les crédits nouveaux de l'année et les services votés. Le nouveau système permettrait donc le vote sur l'ensemble. Je voudrais vous faire part d'une réflexion qui n'est pas celle du ministre chargé du budget, qui peut avoir ses propres préoccupations dans ce domaine. Comme ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, j'entends, à partir des personnes, arriver à la définition du programme. Pour moi, le bon programme est celui qui permet, au bout du compte, de bien identifier le responsable. Un programme qui aboutirait à ce que l'on ignore quel ministre ou quel autre responsable de l'administration française en est le responsable, serait un programme mal ciblé en termes d'efficacité pour la mise en _uvre de la dépense, comme pour le contrôle. Si l'on n'arrive pas à identifier le responsable, on aura du mal à contrôler la dépense elle-même, la qualité de la dépense et sa conformité aux objectifs fixés par le Parlement. Il convient d'identifier celui qui va exécuter la mission et celui qui, à ce titre, sera contrôlé administrativement, hiérarchiquement et par le Parlement. C'est en fonction de cela qu'il faut essayer de définir les programmes. Ce n'est pas là une réponse de technique budgétaire, mais une réponse tendant au bon fonctionnement interne de l'administration. Ma préoccupation fondamentale est celle-là.

La question des dépenses de personnel est également délicate. J'ai essayé d'être clair, même si j'ai utilisé le conditionnel. Le Gouvernement travaille par ailleurs à définir sa position, afin d'émettre une opinion sur votre proposition de loi et préparer des amendements, émettre une opinion sur le texte, compte tenu des aménagements que vous pourriez lui apporter. J'ai dit mon souhait de voir des crédits de personnel inclus dans le périmètre de la fongibilité. Nous avons précisé ensemble, qu'à cela, il y avait une limite : la non-remise en cause du statut de la fonction publique. Cependant, le statut de la fonction publique ne constitue pas un facteur de rigidité collective ; il recouvre des droits individuels. Si, d'un côté, vous ne reteniez la définition que d'une masse salariale, le statut de la fonction publique serait remis en cause, puisque l'on pourrait, à l'intérieur de cette masse salariale, décider, non seulement du nombre et du niveau des emplois, mais aussi, pourquoi pas, de leur rémunération. Dès lors, le statut de la fonction publique, correspondant à une fonction publique de carrière, serait ou pourrait être remis en cause. Le vote sur la masse salariale est, selon moi, un élément indispensable, à condition de l'accompagner d'autorisations d'emplois dans des conditions moins précises que celles qui prévalent actuellement. La précision de vote du Parlement sur les emplois est aujourd'hui un peu un alibi car on ne la retrouve pas en exécution. Nous le savons malheureusement tous. Si vous le souhaitez, je puis vous livrer les meilleurs exemples de déformation entre le vote et l'exécution, s'agissant des emplois de personnels.

M. François Goulard : On le constate tous les jours !

M. Michel Sapin : Année après année, on peut regarder les faits et s'apercevoir que les déformations les plus fortes ne sont pas forcément celles que l'on croit.

M. François Goulard : C'est une constante !

M. Michel Sapin : C'est une constante et, comme pour toutes les constantes, l'écart est plus ou moins grand entre les discours et les réalités. Mais je suis prêt à vous livrer des chiffres sur les autorisations budgétaires pour l'année 1994 et l'exécution de l'année 1994 ; les autorisations pour 1995 et l'exécution de l'année 1995 et, comme je veux être totalement honnête, les mêmes données pour l'année 1997. Au palmarès de la contradiction entre l'autorisation budgétaire et son exécution, il y en a de très bons !

Il faut donc définir une masse salariale et des possibilités de fongibilité ainsi que des votes sur les stocks et non les flux, car si l'on se limite aux flux, on en revient à des mécanismes de création et de suppression d'emplois et non plus à une appréhension globale des postes mis à la disposition d'un programme. On peut d'ailleurs imaginer qu'un programme ait besoin de davantage de postes une année et moins une autre année. Je ne vois pas de contradiction entre cette réforme et le statut de la fonction publique dès lors que l'on pose des verrous qui permettent qu'un des piliers du fonctionnement de notre République, c'est-à-dire une fonction publique de carrière, puisse être maintenu dans des conditions compatibles avec les textes actuels.

Le sujet des budgets annexes et des comptes d'affectation spéciale est particulièrement délicat, car ce sont les deux notions qui se rapprochent le plus des programmes. Il y aurait une sorte de contradiction à supprimer ce qui aujourd'hui ressemble le plus à ce que l'on veut promouvoir demain. La seule différence, c'est que ces structures ne recouvrent pas uniquement des dépenses, mais aussi des recettes. Rendre responsable quelqu'un, non seulement des dépenses, mais aussi des recettes, ne me paraît pas une mauvaise chose. Je ne serais pas opposé à l'idée - je vous livre un avis personnel - de conserver un mécanisme budgétaire permettant d'identifier un responsable - un ministre et un administratif - de la dépense comme de la recette lorsqu'une recette est affectée. Sur ce point, une réflexion est à approfondir. Je pense tout particulièrement au financement de l'aviation civile.

La sincérité des emplois n'est pas un thème nouveau, autrement cela se saurait, même si parfois l'actualité réactive ce sujet. Ce n'est pas un thème nouveau, c'est un thème récurrent. Les dispositifs en vigueur avaient été conçus en 1959 pour permettre la sincérité et renforcer la capacité de contrôle du Parlement sur tel ou tel aspect et non par volonté de brider, d'empêcher ou de violer les droits du Parlement. Cela étant, parfois de mauvaises habitudes se prennent ; en outre, les techniques, les organisations administratives, les motivations humaines évoluent, rendant nécessaires des adaptations, sans quoi de bonnes mesures à un moment donné de notre histoire peuvent porter le germe de la non-sincérité budgétaire.

Sur les emplois, le système actuel qui consiste à traiter d'un côté des autorisations d'emplois, de création ou de suppression qui ne concernent que les « fonctionnaires », à voter par ailleurs une masse complètement opaque de crédits pour payer d'autres agents, aboutit à cette contradiction qui fait que l'on débat du nombre des fonctionnaires alors que l'on devrait débattre du nombre des personnes qui travaillent pour l'Etat. C'est là que réside la contradiction : tel budget dans le passé a présenté une baisse du nombre des fonctionnaires alors que son exécution s'est traduite par une hausse du nombre des personnes travaillant pour l'Etat. On peut dire, y compris en exécution, que le nombre des fonctionnaires a baissé et on peut soutenir à l'extérieur : « Voyez, j'ai fait baisser le nombre des fonctionnaires ! », alors que les effectifs globaux ont augmenté. A l'inverse et si telle était la vertu dominante du moment, on pourrait se targuer d'avoir augmenté le nombre des fonctionnaires alors que le nombre des personnes travaillant pour l'Etat aurait diminué, car on aurait pris des mesures par ailleurs pour éviter que cette augmentation affichée du nombre des fonctionnaires ne se traduise par une augmentation des crédits et des dépenses de l'Etat. On voit bien que l'insincérité sur les emplois peut se manifester dans un sens comme dans l'autre. Je crois indispensable que le vote du Parlement prévoit un nombre d'emplois, quels qu'ils soient, et que votre contrôle porte ensuite sur l'exécution et le nombre d'emplois effectivement utilisés et non dans un cadre permettant de petites habiletés budgétaires ou politiques.

M. le Président : La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger : Je ferai une remarque d'ordre général qui vaut pour l'audition du ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat comme pour les autres travaux de la commission.

Notre travail consiste à étudier la façon d'améliorer les dispositifs de vote du budget et de contrôle du Parlement sur l'exécution du budget, il convient d'aménager les pouvoirs, les informations, la circulation des données pour que ces deux actes fondamentaux, mais distincts - on a beaucoup parlé aujourd'hui du second, beaucoup moins du premier - gagnent en transparence et en efficacité. Les règles relatives au vote du budget sont plus essentielles. C'est notre travail dans le cadre de la réforme de l'ordonnance de 1959. Or, l'on a quelque peu tendance à dévier sur la réforme de l'Etat, sur l'exécution des tâches au sein de l'Etat, qui est avant tout le problème du Gouvernement, des ministres et de l'administration, plutôt qu'il ne relève des rapports entre le Gouvernement et le Parlement. Je crois donc nécessaire de distinguer les deux problèmes. Les préoccupations, les objectifs, le degré de détail auquel nous souhaitons parvenir ne sont pas les mêmes que ceux voulus par l'administration. Notre objectif est beaucoup plus synthétique et global que l'action administrative courante.

Je reviens sur trois points importants.

Sur les problèmes de personnel, de la fongibilité des crédits de personnel, de la façon de les prévoir, je pense que ce qui est proposé n'est pas tout à fait adapté. En plus de la détermination de la masse budgétaire, il convient d'obtenir quelques indications sur les profils des fonctionnaires. Mais il n'est pas bon de vouloir figer les catégories, car l'expérience montre que la modernisation des administrations nécessite des redéploiements des catégories d'exécution vers des catégories plus nobles. Prenons l'exemple du ministère des finances. L'informatisation plus large des tâches demande des spécialistes en programmation, en analyse informatique ; elle appelle également davantage d'agents aux guichets pour répondre aux demandes d'information et beaucoup moins pour les tâches d'exécution. C'est dire que le profil des agents doit évoluer. En le figeant dans le cadre du budget, on perdrait des marges de man_uvre pour la modernisation, et pour une plus grande efficacité, l'amélioration de la productivité, cette dernière question étant au c_ur du débat, notamment avec les syndicats.

Je n'ai pas été étonné lorsque la directrice du budget a déclaré que le nombre des personnels recrutés chaque année et leur profil de recrutement n'étaient pas vraiment son problème. Mais, pour le ministre chargé de la fonction publique, c'est là une donnée essentielle. C'est la donnée retenue dans toutes les entreprises. Dans toutes les activités en dehors de l'administration, on budgète chaque année les recrutements auxquels on procédera ou, au contraire, les emplois qui ne seront pas remplacés. Il faut pouvoir correctement utiliser l'appareil de formation extrêmement important dont dispose la fonction publique. Je ne vois pas comment on peut, notamment lorsqu'un même profil de formation va servir à différents programmes, faire l'économie chaque année d'une discussion sur le nombre de personnes recrutées et le niveau de leur recrutement. C'est indispensable à une bonne politique globale et synthétique de la fonction publique.

Le deuxième problème est celui de la pluriannualité. Cela fait très longtemps que l'on discute de la pluriannualité, des lois de programme. Je m'étonne que l'on n'ait pas vraiment tiré la leçon de deux expériences dans ce domaine. Tout d'abord, celle des lois de programmation militaire, dont on s'aperçoit qu'elles ne sont jamais exécutées comme elles ont été votées et que le dérapage est important. La seconde expérience réside dans les contrats de plan Etat-Régions. Il suffit de se reporter aux derniers. Prévus sur cinq ans, on les a tirés sur sept ans et encore ils n'ont même pas été exécutés sur les sept années ! On donne l'impression d'être plus modernes, alors que l'on introduit des rigidités à seule fin d'annonce. On affiche très haut des objectifs que l'on n'arrive pas à réaliser et on manque de souplesse. Ces programmes manquent de flexibilité, faute de prendre en compte la notion d'action conjoncturelle. Selon moi, la pluriannualité ne peut s'envisager que si l'on inscrit dans la loi oganique l'existence de fonds d'action conjoncturelle et un certain nombre de crédits dans ces fonds. Sinon, on risque de maintenir trop de rigidités, ce qui n'est pas une bonne chose, car la réalité ne correspond pas à ce qui avait été envisagé.

En dernier lieu, je suis bien sûr d'accord pour développer la déconcentration, notamment dans le cadre des programmes interministériels. Mais un verrou est actuellement posé : le contrôle financier local. A l'heure actuelle, le contrôle financier local n'est pas adapté à la notion de programme. On le voit bien dans nos différents départements : comment l'inspecteur du Trésor qui s'occupe de cela à la trésorerie générale pourra-t-il juger si telle ou telle dépense entre bien dans tel ou tel programme ? Il faut revoir le problème du contrôle financier local et envisager des procédures de rapport annuel sur chacun des programmes et d'un contrôle a posteriori, car maintenir un contrôle a priori, comme actuellement, serait totalement déphasé par rapport à ce qui est fait par ailleurs.

M. le Président : Pour revenir à votre remarque préalable, je rappelle que M. Michel Sapin est ministre de la réforme de l'Etat. Il est normal qu'il nous entretienne des conséquences de la réforme de l'ordonnance de 1959 pour les administrations et le Gouvernement. Au début du mois de janvier, nous aurons l'occasion d'entendre M. Laurent Fabius. Nous entrerons davantage, au regard de notre propre travail, dans le c_ur du sujet, même si nous ne sommes pas au dehors lorsque M. Michel Sapin évoque les sujets qu'il développe. La réforme que nous proposons ne servirait à rien si elle ne se traduisait pas dans l'administration et au sein des ministères par des effets, non seulement nécessaires, mais indispensables. Si elle n'était pas accompagnée par la réforme de l'Etat, une loi organique nouvelle nous ferait plaisir, mais ne servirait à rien. C'est pourquoi votre critique, encore que ce n'est pas ainsi que je l'ai ressentie, porte sur l'un des aspects que nous sommes en train d'examiner ; il y en a d'autres - je suis d'accord avec vous - mais chaque chose en son temps : en tous cas, chaque audition doit nous réserver son lot de propositions dans le domaine de compétences de la personnalité auditionnée.

M. Michel Sapin : Votre intervention, M. le Président, m'évite de répondre sur ce point. J'ai été parlementaire suffisamment longtemps pour savoir que ce qui anime un parlementaire n'est pas tant les pouvoirs qu'il exerce que les résultats que ces pouvoirs permettent d'obtenir et la façon dont ils s'appliquent à la société, à l'économie française. Nous ne sommes jamais dans un débat nombriliste sur le thème : « qui sommes-nous et pour quoi faire ? », mais sur le débat : « quelles seront conséquences de la réforme ? ». Je réponds ainsi de manière optimiste à la réaction de M. Auberger.

Je crois vraiment beaucoup à ma déclaration liminaire : la manière dont vous votez le budget induit la manière dont l'Etat dépense. Nous souhaitons une dépense publique plus efficace, plus transparente, plus démocratique. J'ai essayé de porter votre attention, non pas seulement sur les conséquences, monsieur le Président, d'un vote qui prescrirait que l'administration, honorant le respect qu'elle doit au Parlement, agisse d'une manière plutôt qu'une autre. La réforme de la procédure budgétaire est décisive en termes de modification, de réussite et d'adaptation de notre administration aux besoins des usagers et des entreprises.

Sur les questions touchant aux personnels, M. Auberger indique que le maintien de votes par catégorie - A, B, C - constitue encore une trop grande rigidité. C'est un encadrement que je crois absolument indispensable, sinon nous basculerions dans un autre mécanisme, celui d'une masse salariale totalement fongible assortie de conséquences importantes, position que certains d'entre vous peut-être défendent sur le fond et que je respecte, mais qui n'est pas celle du Gouvernement ni ma position personnelle, elle ne correspond pas à ma vision de l'Etat et ne permet pas la neutralité de la fonction publique à laquelle nous sommes les uns et les autres attachés.

Vous m'accorderez, Monsieur Auberger, que passer d'un vote sur les créations et les suppressions, c'est-à-dire pas grand-chose par rapport à l'ensemble de l'emploi public - un vote sur 1.500 corps de fonctionnaires - à un vote qui porterait sur l'ensemble de l'emploi pour les trois catégories d'agents, augmenterait considérablement la capacité de contrôle du Parlement et son pouvoir tout en augmentant considérablement la souplesse dans l'exécution. J'ajoute que, dans la mesure où votre vote est, en ce cas, annuel, sur le stock, rien n'empêche de faire évoluer d'année en année les catégories d'emplois nécessaires à la mise en _uvre de tel ou tel programme, car, sur le fond, vous avez raison : des programmes ou des administrations ont des besoins évolutifs en termes de qualification et, au bout du compte, en termes de catégories d'emploi de leurs fonctionnaires. Mais votant chaque année sur l'ensemble, vous ferez évoluer, d'année en année, les besoins des uns et des autres. Si vous raisonnez uniquement, comme aujourd'hui, en termes de création et de suppression d'emploi, l'influence est faible ; en revanche, si vous raisonnez sur la totalité du stock, votre influence est forte.

De la pluriannualité, on connaît les avantages comme les difficultés. Je crois indispensable que la proposition de loi organique prenne en compte une pluriannualité qui n'est plus seulement celle des lois de programme ou des lois de programmation. C'en est une autre, beaucoup plus proche de ce que nous faisons déjà dans nos collectivités locales. Nous sommes nombreux à avoir exercé ou à encore exercer des responsabilités d'élus locaux. Il est frappant de constater que nos comptabilités publiques locales et notre pratique sont plus modernes, plus souples et plus transparentes que celles de l'Etat. On peut essayer de progresser. La fameuse M14 est une comptabilité moderne, que l'Etat ne s'applique pas à lui-même.

Sur la déconcentration ou, pour le dire autrement, sur le rôle du contrôle financier local, Monsieur Auberger, je partage totalement votre opinion. Penser à l'application de la réforme en ayant l'image du contrôle actuel fait apparaître un hiatus. Il faut donc faire évoluer, à l'avenir, le contrôle financier local, ce à quoi nous nous préparons déjà ; il restera à vérifier la régularité et la bonne imputation de la dépense, mais la part du contrôle de gestion ou du contrôle de l'exécution grandira. Il existe aujourd'hui des missions de conseil auprès de la trésorerie générale de région sur certains gros dossiers d'investissement. Elles jouent un rôle à la fois de conseil et de contrôle de la gestion. De même, les chambres régionales des comptes pourraient jouer un rôle, non plus seulement de contrôle, avec le côté gendarme que cela peut revêtir, mais aussi un rôle de conseil et de contrôle de gestion sur des crédits de l'Etat, et pas simplement sur ceux des collectivités territoriales. On peut donc penser à une évolution des outils existant en ce domaine afin de privilégier le contrôle de gestion, vérifier que les objectifs sont atteints, par rapport à un contrôle a priori, le seul aujourd'hui véritablement efficace et parfois un peu contraignant.

M. François Goulard : Je vais dans le sens du ministre.

Notre seul souci est celui de l'efficacité de l'Etat. Le contrôle parlementaire est un outil ; ce n'est pas une fin. L'objectif de la réforme de l'ordonnance de 1959 est là. Je fais d'ailleurs observer que l'ordonnance de 1959 n'a pas été inspirée par le souci que le Parlement exerce un bon contrôle ; il s'agissait, au contraire, de limiter les pouvoirs du Parlement et surtout - c'est peut-être le plus important - d'asseoir le pouvoir du ministère des finances, en tout cas de le conforter, sur les autres administrations. Cela me semble un point central de la réforme. Nous travaillons au moins autant sur les perspectives des réformes internes à l'Etat que sur le contrôle parlementaire, parce que l'ordonnance de 1959 est un outil de pouvoir du ministère des finances.

En ce sens, je suis préoccupé par l'article que votre collègue Secrétaire d'Etat au budget a fait paraître dans un grand quotidien du soir, il y a quelques jours, pour approuver les orientations de la proposition de loi organique qui fait l'objet de nos travaux. D'expérience, nous savons que le ministère des finances a deux tactiques vis-à-vis des réformes, et deux seulement : soit il s'y oppose, soit il les vide de leur contenu. En l'occurrence, la tactique choisie n'est pas celle de s'opposer frontalement.

M. Michel Sapin : Je ne saurais le croire !

M. François Goulard : La question fondamentale est de savoir si le ministère des finances acceptera cette réforme. Je dis à dessein « ministère des finances », car ce n'est pas seulement le ministre.

Concrètement - ce serait, selon moi, extrêmement important ; on l'a évoqué à l'instant avec le contrôle financier local - la réforme pose le problème de l'existence du contrôle financier central. Quel va être l'action du contrôleur financier si nous allons jusqu'au bout de la réforme amorcée actuellement ? Quel est le sens de la présence du fonctionnaire du ministère des Finances délégué dans chacun des ministères et qui a un pouvoir absolument total sur la dépense budgétaire de chacun des ministres ? La logique des programmes consiste à laisser les ministres, les directeurs, les responsables, comme vous l'avez fort bien formulé, agir, dépenser en toute autonomie et responsabilité ; ensuite, on examine ce qu'ils en ont fait ; éventuellement, on en tire les conséquences. Ma première question porte donc sur l'avenir du contrôle financier.

J'ai relevé, par ailleurs, comme extrêmement intéressante l'idée de la fongibilité des crédits et le fait que le contrôle parlementaire doive s'exercer sur le « stock » des fonctionnaires et non sur le « flux ». J'y souscris tout à fait. Vous dites que ce ne doit pas remettre en cause le statut de la fonction publique. Je me permets toutefois d'émettre quelques doutes. Il n'y aura pas de bouleversements, mais je crois tout de même que des évolutions devraient en découler. Les éléments du statut, par exemple, le fait qu'un corps soit un corps d'administration centrale et non un corps de services extérieurs, ont des conséquences. Si vous recherchez l'efficacité et si, dans le ministère dont vous êtes en charge, transparaissent un excès de personnel dans l'administration centrale et un manque en services extérieurs, il faudra bien faire évoluer les statuts pour transférer d'autorité des emplois de l'administration centrale vers les services extérieurs. Si l'on recherche une gestion efficace, il faudra davantage de souplesse dans le statut pour permettre aux gestionnaires d'adapter les moyens aux objectifs.

La sincérité budgétaire, qui est l'une de nos préoccupations, a été évoquée à propos des emplois publics. Il se pose en l'occurrence une question de pratique gouvernementale. Je ne fustige pas la vôtre en particulier, mais c'est vraiment une question de culture politique dans notre pays. Nous tenons des discours extrêmement intéressants et louables, mais la pratique au jour le jour va à l'encontre de ce que nous disons aujourd'hui. Nous avons lu dans le journal hier qu'un éminent membre de cabinet ministériel allait être nommé au tour extérieur à la Cour des comptes comme conseiller maître. Savez-vous que pour réaliser cette opération intéressant l'ensemble des Français, on est en train d'enfreindre les règles, puisque l'on nommera quatre ou cinq personnes conseillers maîtres à la Cour des comptes, en surnombre par rapport aux autorisations budgétaires ? Aujourd'hui même, on est en train de violer les autorisations parlementaires, certes sur une question subalterne, mais qui traduit vraiment une pratique gouvernementale, une pratique politique à l'égard des décisions parlementaires. On peut élaborer les plus belles règles du monde, si l'on continue à tricher, cela ne marchera pas.

Mon dernier point porte sur la déconcentration. Sur ce sujet, je ne partage pas du tout votre point de vue. Si vous donnez à l'administration locale le pouvoir de jouer sur l'affectation des programmes, vous les viderez de leur sens. Un programme se conçoit s'il présente une réelle cohérence. Il ne faudrait pas qu'il soit remis en cause au niveau local. La question est à revoir en suivant une logique de décentralisation. Il faut se mettre dans l'esprit que l'adaptation locale des mesures et l'appréciation de sa nécessité relèvent des élus et non de l'administration d'Etat. Il y a une contradiction entre la déconcentration et la réforme que nous essayons de mettre en place.

M. le Président : La volonté de coopération entre les ministères et le Parlement pour aboutir à une réforme est évidente. Il demeure un élément d'incertitude, en tous cas de dialogue, qui sans doute fait encore défaut : ce dialogue concerne les organisations syndicales. Lorsque l'on évoque les problèmes de personnel, l'on sait de quel poids pèsent les organisations syndicales dans la fonction publique. Ce dialogue devra s'engager à l'initiative des ministères, des administrations et sans doute faut-il que, de notre côté, nous fassions un effort pour nouer davantage de contacts. Il serait bon d'ailleurs, si nous en avions le temps, de recueillir le point de vue des organisations syndicales sur la gestion du personnel, sur les questions des corps ou celles des catégories de fonctionnaires, toutes choses qui les intéressent de très près. Pour connaître leurs réactions, je pense que nous aurions tout intérêt à les rencontrer.

M. Michel Sapin : Le dernier comité interministériel pour la réforme de l'Etat s'est tenu il y a quelques semaines sur ma proposition. Parmi les grandes options, figurait la préparation de la réforme de l'ordonnance de 1959. La description que j'ai faite de l'organisation interne de l'Etat pour qu'il se prépare à la réforme de l'ordonnance de 1959 a constitué un élément fort du dernier CIRE. J'ai souhaité réunir la commission dite « de modernisation », créée il y a quelques années, qui réunit l'administration et les organisations syndicales. Devant elle, avant même que la proposition en devienne officielle, j'ai décrit quels seraient les grands enjeux du prochain CIRE et donc évoqué l'ordonnance de 1959, ce qui m'a permis de nouer un premier dialogue avec les organisations syndicales. Vous avez tout intérêt à les rencontrer. Leurs réactions sont extrêmement contrastées. Certaines sont très intéressées par la pluriannualité, notamment dans l'éducation nationale. D'autres organisations syndicales sont très attachées à tout ce qui touche au renouvellement, à la réforme de l'Etat, au meilleur fonctionnement administratif, à la promotion individuelle. Vous verrez qu'elles ont sur ces sujets des idées, parfois plus avancées que celles que nous souhaitons mettre en _uvre. Une autre organisation syndicale voit dans la mise en _uvre de cette réforme un grand danger pour les principes républicains. Un dialogue approfondi avec cette organisation syndicale, celle dont la composition interne est la plus diverse - je suis certain qu'elle compte autant d'amis de M. Goulard, que d'amis de M. Auberger -, qui compte énormément dans la fonction publique, est indispensable ; il s'agit d'un interlocuteur très important pour moi. Elle mérite que vous y attachiez de l'importance, ne serait-ce que pour faciliter l'évolution de sa position sur ce point. Vous verrez qu'elle est particulièrement attentive à la question des emplois, l'un des points les plus délicats. Oui, la réforme aura des conséquences sur les emplois. Le tout est de savoir jusqu'où on les pousse. Il faut des mesures concrètes, sinon on maintiendra des mécanismes rigides, qui sont incompatibles avec le développement de l'autonomie et des responsabilités ; car, lorsque l'on exerce une responsabilité, il faut des moyens financiers et en personnel. Ces deux éléments fondamentaux de l'exercice de la responsabilité, indépendamment des moyens en investissements, doivent permettre la mise en _uvre d'une gestion autonome. Par ailleurs, il faut des limites à la réforme pour les raisons déjà évoquées, afin d'éviter de remettre en cause les principes fondamentaux de la fonction publique française.

La déconcentration est un sujet délicat. Je ne dirai pas que l'on peut trouver une solution à cette question dont vous débattez, mais vous n'aurez pas forcément à en fixer les modalités dans la future loi organique. De notre côté, nous nous posons dès à présent la question du décret d'application et de la manière de mettre en _uvre la déconcentration. Les programmes interministériels permettraient une déconcentration relativement aisée ; en effet, par définition, le programme interministériel est mis en _uvre par une personne bien connue dans le département - le préfet - même si les outils de la mise en _uvre peuvent tendre vers l'une ou l'autre direction déconcentrée. D'autres programmes ne présentent pas de caractère interministériel et donc la mise en _uvre de la déconcentration de ces programmes ne dépendra pas du représentant de l'Etat, tous ministères confondus, dans le département. On perçoit là qu'une mise en _uvre fine est indispensable pour permettre l'efficacité de la dépense.

On a parlé du contrôle financier local. Le raisonnement que nous menons ensemble sur l'évolution nécessaire du contrôle financier local est transposable au niveau central. Le rôle du contrôleur financier ne sera pas de même nature demain qu'aujourd'hui. La part de contrôle de gestion, en cours de route de la dépense, devra considérablement grandir. C'est dire que la responsabilité décisive du ministère des finances, du ministère du budget, sur ce point, rendra nécessaire des programmes d'adaptation, de formation, y compris de renouvellement des hommes et des femmes dans ces postes : ils doivent être parfaitement adaptés à un rôle nouveau qui demande un sens avéré du dialogue, lequel fait parfois défaut aujourd'hui dans la mise en _uvre du contrôle a priori.

Je considère que le Gouvernement est un, que la question du ministère des finances comme celle du ministère de la réforme de l'Etat ne se pose pas. La seule que vous nous posez porte sur la position du Gouvernement sur la réforme de l'ordonnance de 1959. Je crois pouvoir dire qu'elle sera très offensive et que sa volonté n'est pas de remplacer une prééminence par une autre.

M. Le Président : Sans doute au niveau du Gouvernement, des résistances devront être opposées à quelques administrations.

M. Jérôme Cahuzac : Je souscris aux propos liminaires de notre collègue dans leur partie finale : l'amélioration de l'efficacité de l'Etat et de ses moyens, le contrôle parlementaire. Je partage les réserves du ministre sur la solution radicale de suppression des comptes d'affectation spéciale, dans la mesure où ce qui s'y trouve ne peut être redéployé ou détourné de son objectif que sur autorisation expresse du Parlement. Je ne vois pas quels risques il y aurait à maintenir la structure des comptes d'affectation spéciale.

Ma question est relative à un secteur dont vous avez la charge. Elle conduira à une réponse, probablement comparable dans l'esprit à celle que vous avez déjà faite en évoquant les organisations syndicales, notamment l'une d'entre elles. Vous paraît-il possible d'envisager un programme qui permettrait de savoir exactement ce que l'Etat doit au titre des pensions, programme qui s'appellerait - ce serait le fait du hasard - « caisse de retraite des fonctionnaires » ?

Je terminerai par une interrogation. Je n'ai pas bien compris en quoi le fait de respecter une règle de vote distinct pour chaque catégorie A, B et C serait indispensable à la préservation de la neutralité de l'Etat ; autrement dit, je ne vois pas en quoi l'institution d'une fongibilité à l'étage supérieur entacherait cette neutralité.

M. Michel Sapin : Vous avez tout intérêt à étudier la question des pensions avec les organisations syndicales.

Aujourd'hui déjà, l'Etat a souhaité plus de transparence. De temps en temps, ce n'est pas tous les ans, la question des pensions fait l'objet d'une présentation autonome : on évalue leur coût, de même que la part reconstituée du versement par les personnels et la part reconstituée du versement par l'employeur. Passer de ce système actuel, qui insuffle une certaine transparence dans un tout globalisé au départ, à un programme individualisé, à ce qui apparaîtrait comme une caisse pour reprendre vos termes, serait une révolution considérable. Peut-être est-elle souhaitable. Mais c'est une révolution considérable avec des conséquences très fortes, non parce que cela mettrait des gens à la rue, mais par ce qu'elle impliquerait d'abandonner un système auquel certains sont très attachés, où l'on considère que les pensions ne sont pas une retraite, mais la continuité de l'activité jusqu'à la fin de la vie. Quand on entre dans l'administration, on acquiert à la fois des obligations - servir l'Etat - et des droits, dont le droit à une rémunération et à une pension, qui est la suite de l'activité. C'est un élément très fort de la culture, qui vaut pour la fonction publique de l'Etat, qui ne vaut pas pour les fonctions publiques des collectivités locales, qui ont leur caisse, qui ne vaut pas pour la fonction publique hospitalière, qui ne vaut pas pour les contractuels de l'Etat ou des collectivités locales, mais qui, pour le c_ur central de la fonction publique de l'Etat, est un élément très fort. Il y a là un attachement de principe et un attachement sentimental considérable. La réforme que vous évoquez constitue une sorte de révolution ; elle est peut-être souhaitable, mais elle est, en tout état de cause, complexe à faire partager.

Certains pourraient souhaiter que le vote intervienne en prévoyant des moyens affectés à chaque programme, dont l'emploi serait libre : par exemple, pour repeindre les halls d'accueil des préfectures avec en contrepartie la suppression d'emplois, ou bien pour embaucher davantage, les gestionnaires auraient une libre disposition de la totalité des crédits. D'autres plus raisonnables considèrent qu'il faut une masse pour les moyens (crédits de fonctionnement au sens strict du terme) et une masse pour les personnels (crédits de personnel) mais avec une capacité de passer, soit de l'une à l'autre ; soit à l'intérieur des crédits de personnel d'en faire ce que l'on veut. C'est là une position qui a sa force, mais qui a très clairement comme conséquence la fin d'une fonction publique de carrière, car, dès lors, on peut embaucher, débaucher, augmenter, diminuer les effectifs en fonction des situations, des possibilités, des besoins et des choix personnels retenus par le responsable administratif. Cela revient à transposer à la fonction publique de carrière une fonction publique comme celle qui peut exister aux Etats-Unis et qui est beaucoup plus évolutive, plus souple, mais parfois en adéquation avec telle ou telle orientation politique. Or, il me semble qu'il est un élément constitutif de nos principes républicains, à savoir le principe de neutralité de la fonction publique qui découle du fait que c'est une fonction publique de carrière. Elle a deux volants : on ne choisit pas le personnel qui entre dans la fonction publique selon sa couleur politique ; par ailleurs, quelle que soit la pensée politique de ceux qui sont entrés dans la fonction publique, ils servent ceux qui sont élus par l'ensemble du peuple, les gouvernants et le Parlement.

M. Jean-Jacques Jégou : Je reviendrai sur les trois points évoqués au début de son intervention par le ministre : il faut prendre son temps, ne pas prendre son temps pour ne rien faire, et il est nécessaire que l'administration se prépare à la réforme.

Tout au long de notre discussion, nous avons vu que les choses n'étaient pas si simples. Je suis plutôt d'un naturel optimiste, mais les auditions, singulièrement celle de la directrice du budget, ont révélé bien des difficultés. Mme la directrice du budget a volontiers admis que l'attitude des différents ministères était très diverse et que beaucoup restait à faire avant que les décisions du Gouvernement « redescendent » dans les ministères et fassent l'objet de mesures d'accompagnement. Comme vous l'avez parfaitement indiqué, il serait dramatique d'avoir voté la nouvelle loi organique dans les calendriers indiqués, sans que l'administration ne se soit préparée à sa mise en _uvre. Il faudrait établir également un calendrier pour celle-ci. Pour reprendre l'expression formulée par M. le ministre : quoi de l'_uf ou de la poule ? Un calendrier permettrait de prévoir où doivent en être les administrations. Les difficultés viennent, selon moi, du comportement des agents. Vous dites que l'inconvénient c'est de servir l'Etat.

M. Michel Sapin : Ce devrait être une passion !

M. Jean-Jacques Jégou : Elle est partagée par beaucoup, peut-être pas par la totalité. Entrer dans la fonction publique devient une sécurité, une protection, pour certains. Je ne voudrais pas pousser plus loin mon propos ni même avancer qu'il y a ceux qui aiment et ceux qui n'aimeraient pas les fonctionnaires.

Ma seconde question porte sur un propos de M. Didier Migaud. La transparence c'est bien, le contrôle c'est parfait, mais quid de l'efficacité ? Une fois que l'on aurait donné des moyens identifiés, que les choses seraient plus facilement contrôlables, que la transparence serait évidente, qu'adviendrait-il de l'efficacité ? Quelle est l'efficience de l'Etat ? Dans un débat que nous devrions ouvrir plus souvent, sans tenir compte des différences politiques, devrait être posée la question : l'Etat est-il efficace ? Ne le sera-t-il pas davantage une fois définis les programmes et les responsables ? Sans doute. Mais ne faudrait-il pas aller plus loin encore dans la recherche de l'efficacité ? C'est une question qui me hante. La modification de l'ordonnance de 1959 est une chose, mais je pense qu'aujourd'hui même, sans modification de l'ordonnance de 1959, le contrôle par les parlementaires pourrait se faire plus efficacement. Or, il ne se fait pas.

Petit clin d'_il pour terminer : n'y a-t-il pas une sorte de schizophrénie ou une sorte d'incompatibilité d'être ministre de la fonction publique et simultanément ministre de la réforme de l'Etat ?

M. Michel Sapin : Non, j'espère en apporter la preuve ; le temps permettra de juger.

Merci de votre intervention, qui comprenait peu de questions ; il s'agissait plutôt d'affirmations, au reste souvent justifiées.

La réforme de l'ordonnance de 1959 est un élément décisif d'une amélioration de l'efficacité de la dépense publique. J'en suis persuadé. En elle-même, elle permet l'efficacité. Ensuite, sa mise en _uvre nécessite des transformations, des modifications, y compris de comportements et de cultures, le passage d'une culture de moyens - de combien je dispose ? - à une culture d'objectifs - que dois-je faire et de quoi je rends compte ? - C'est un chamboulement considérable. Beaucoup de fonctionnaires responsables ont déjà intégré cette question de l'objectif à rechercher. C'est une question qui les passionne. Ensuite, ils butent sur les moyens. D'aucuns estiment qu'étant entré dans le cadre des moyens, ils ont bien fait leur travail. Or, ce n'est pas suffisant. C'est pourquoi la réforme de l'ordonnance est un élément décisif de l'efficacité de l'Etat, sans être le seul. Si l'on voulait réduire la réforme de l'Etat et la recherche de l'efficacité de l'Etat à la seule ordonnance de 1959, à sa réforme et à ses conséquences, je pense que l'on manquerait d'ambition. J'illustrerai mon propos par deux exemples.

La gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois, des compétences est un élément décisif d'efficacité de l'Etat. Or, 50% des fonctionnaires partent dans les douze ans qui viennent : comment les remplacer ? Quelle évolution faut-il prévoir ? Combien dans les catégories A, B, C ? Quelle sera leur formation ? Combien de temps convient-il de s'y prendre à l'avance ? Il faut sept ans pour former un « produit d'université ». Il est déjà un peu trop tard aujourd'hui, puisque dans sept ans, nombre de fonctionnaires seront partis à la retraite.

Il convient de mettre en _uvre cette gestion prévisionnelle dont tout le monde parle, il existe sur ce thème des rapports en quantité. C'est un élément d'efficacité et, par ailleurs, parce qu'elle paraît davantage comme un instrument aux effets considérables en termes de comportements et de culture, l'introduction massive des nouvelles techniques d'information et de communication dans l'administration implique aussi une révolution des comportements, pas seulement dans la relation à l'usager. Le jour où tout passera par des téléprocédures, il ne sera plus nécessaire de se déplacer pour rechercher une information ou obtenir un document, même si cela pose des difficultés en termes d'aménagement du territoire, car tout le monde ne possède pas un ordinateur : des agents de l'administration devront être capables de jouer le rôle d'intermédiaire. La seconde conséquence de cette révolution est interne à l'administration. L'utilisation des nouvelles techniques d'information et de communication au service des usagers repose sur le principe du travail en réseau. Là où le ministre reçoit la moindre lettre et y répond avec tout ce que cela suppose de « descente » et de « montée » hiérarchique, on devra passer à un mécanisme en réseau où l'on se parlera de l'un à l'autre, d'un fonctionnaire à un autre dans une direction départementale et on devra essayer de trouver la meilleure réponse. On devient responsable de la réponse donnée à un usager qui vous connaît, qui vous identifie et que vous identifiez. C'est une réforme considérable en termes de responsabilité ; c'est une vraie révolution. Voyez les réformes à venir : l'ordonnance de 1959 ; la gestion prévisionnelle des emplois ; introduction massive dans des conditions raisonnables, mais en même temps très ambitieuses, des nouvelles techniques d'information et de communication. C'est dire beaucoup de réformes concernant la fonction publique.

M. Le Président : Monsieur le ministre, vous êtes chaleureusement remercié pour la sincérité des explications que vous nous avez livrées. Vous appuyez la réforme, ce que je savais déjà. Dans la mesure où vous vous exprimez au nom du Gouvernement, nous avons toutes raisons d'être optimistes.

Je veux également remercier mes collègues qui, au travers de leurs questions, démontrent, comme vous, leur volonté d'aboutir, qu'ils soient de l'opposition ou de la majorité. C'est pour nous rassurant. Je vois une seule difficulté : le travail supplémentaire que nous allons imposer au Rapporteur. Il devra travailler dans un délai relativement rapide. Le calendrier est extrêmement serré pour notre Rapporteur général qui a d'autres occupations à assumer dans le même temps. Je vous remercie.


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