ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N°9

Mercredi 25 octobre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M.  Félix Leyzour, vice- président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Claude Brévan, Déléguée interministérielle à la ville et au développement social urbain

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu Mme Claude Brévan, Déléguée interministérielle à la ville et au développement social urbain.

M. le Président : Nous recevons aujourd'hui Mme Claude Brévan, déléguée interministérielle à la ville et au développement social urbain. En vous souhaitant la bienvenue, je vous remercie, madame, de venir nous parler, en liaison bien sûr avec la mise en œuvre de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT), des services publics qui posent problème, non seulement en milieu rural mais également en milieu urbain.

Nos collègues présents ce soir sont venus pour vous écouter et entamer avec vous un dialogue sur un sujet qui leur tient à c_ur.

Mme Claude Brévan : Ainsi que vous l'avez dit, la question des services publics pose certainement problème en milieu rural, mais tout n'est pas réglé en milieu urbain, loin s'en faut !

La politique de la ville admet une acception de l'aire urbaine qui est bien particulière puisque, par vocation, son appellation est un peu plus restrictive qu'il n'y paraît. En effet, ce n'est pas de toute la ville qu'elle traite traditionnellement, mais bien des sites en difficulté, qui connaissent des handicaps de toute nature, et qui se caractérisent par une dérive, une sorte de décrochage des dynamiques globales d'agglomération. Même s'il faut, effectivement, constamment se référer au cadre général dans lequel se situent ces quartiers, notre action reste cependant très focalisée sur les problématiques des sites en grande difficulté.

Le fait de se préoccuper des services publics dans le cadre d'une politique qui vise à les réinsérer dans une dynamique urbaine plus vertueuse, plus positive, n'est pas nouveau.

En effet, il y a plus d'une dizaine années, le ministre, M. Michel Delebarre, avait demandé à M. Paul Picard de lui remettre un rapport sur la place des services publics, qui avait déjà souligné leur inadaptation aux besoins de ces quartiers.

Pour autant, la problématique relative au service public a mis du temps à émerger comme un des enjeux majeurs de la politique de la ville. Longtemps, on s'est beaucoup plus préoccupé de régler les problèmes d'habitat, les problèmes de politique sectorielle, d'envisager les difficultés politique par politique, que d'étudier globalement la place des services publics.

Je crois que ce sujet apparaît, aujourd'hui, comme un des axes majeurs de la politique de la ville et d'ailleurs deux comités interministériels des villes et du développement social urbain (CIV), l'un en 1998, l'autre plus récemment, ont réaffirmé la nécessité de se saisir de cet aspect du problème à bras-le-corps et de mettre l'accent sur son importance.

Pourquoi un tel enjeu ? Pour des raisons essentielles. D'abord, parce que la présence et la qualité du service public dans ces quartiers en grande difficulté constituent un moyen de garantir l'égalité des citoyens et le respect du pacte républicain sur l'ensemble du territoire, y compris en milieu rural, par un égal accès au service public.

Ensuite, parce qu'elles constituent un moyen de renforcer la cohésion sociale, souvent menacée, non seulement entre ces quartiers mais aussi avec le reste de l'agglomération, dans la mesure où les services publics ont en quelque sorte une fonction intégratrice et égalitaire.

En résumé, elles ont en fait deux grandes fonctions : d'abord, une fonction sociale et économique, puisqu'elles garantissent par l'accès aux services publics la répartition des aides et des prestations publiques, ensuite, une fonction symbolique puisqu'elles représentent un bien collectif qui est le même pour les habitants de ces quartiers défavorisés que pour l'ensemble de la population.

Si nous mettons l'accent sur ce caractère symbolique, c'est parce que le traitement rigoureusement identique de l'ensemble des habitants, qu'ils habitent ces quartiers ou ailleurs, ressort très fortement de la demande des populations.

Il s'agit avant tout de promouvoir l'accès au droit qui est l'un des enjeux forts de la présence de ce service public. A cette fin, on peut s'interroger d'abord en termes quantitatifs pour savoir s'il existe autant de services publics dans ces quartiers en difficulté que sur le reste du territoire : on parle très facilement de "discrimination positive" mais encore convient-il de savoir s'il y a égalité. La réponse est nettement négative et le rapport de M. Jean-Pierre Sueur montrait assez clairement qu'il existait un déficit très net de services publics parmi ces populations qui en sont pourtant plus consommatrices que les autres.

Il faut toujours manipuler les chiffres avec précaution et savoir à quoi ils se réfèrent, mais ce rapport précisait, par exemple, que 40 % des zones urbaines sensibles, qui correspondent très largement aux territoires de la politique de la ville, sont dépourvues de bureaux de poste. Cela ne signifie pas que la situation soit partout catastrophique, car il peut s'en trouver à proximité immédiate, mais il est néanmoins permis de s'interroger, sachant que beaucoup de territoires sont très vastes et que les bureaux de poste n'y desservent manifestement pas le même nombre d'habitants que dans d'autres communes plus petites.

Toute une série de chiffres extraits de ce rapport indiquait ainsi très clairement qu'il fallait procéder à une remise à niveau de cette offre de services publics sur le plan territorial.

Pour y parvenir, il convient de régler des problèmes quantitatifs, mais aussi qualitatifs, car on peut avoir une présence physique pour un niveau de service parfois insatisfaisant, voire inadapté à la réalité de la vie locale.

À ce propos, nous avons demandé aux préfets, en 1999, de nous faire parvenir un diagnostic sur les services publics. Nous avons obtenu environ 70 réponses extrêmement hétérogènes quant à leur niveau de détail et d'approfondissement. Il en ressort surtout que les préfets nous ont répondu sur la présence des services, c'est-à-dire sur l'aspect quantitatif et non pas sur l'aspect qualitatif : nous ignorons comment ces services fonctionnent, quand ils fonctionnent, selon quels horaires, avec combien de personnes, s'ils sont ou non regroupés, de sorte que nous ne disposons que d'une mesure de l'existence des services publics. Ce n'est évidemment pas pleinement satisfaisant, et il faudra pousser beaucoup plus loin cette étude.

Pour ce qui est de la présence territoriale des services publics, il faut souligner que nous avons la volonté d'implanter dans ces quartiers des services publics destinés non seulement aux habitants des quartiers en question, mais aussi à d'autres personnes comme dans n'importe quelle partie de la ville.

En outre, notre approche de la présence territoriale intègre la notion de proximité, qui vise le rapprochement de l'usager du service public, sans que ce critère soit uniquement géographique. Il peut s'agir de l'accessibilité aussi bien par les transports que par tout autre moyen qui ne concerne pas uniquement l'accessibilité physique : un service très proche sur le plan physique peut s'avérer tout à fait inaccessible...

Des relais sont également envisageables sous forme de médiation ou de délégation de service public : nous savons tous que, dans la politique de la ville, de très nombreuses associations fonctionnent de facto avec des formules de délégation de service public.

L'adaptation de l'offre de services, qui est indispensable, porte sur plusieurs aspects.

Je citerai d'abord le problème de l'accueil. C'est peut-être le point qui a été le plus approfondi, puisque l'on voit que l'on a affaire à des populations qui sont plus consommatrices que d'autres, en quelque sorte plus dépendantes que d'autres des services publics et qui, cependant, ont généralement plus de difficulté à se repérer dans leur maquis. Elles comprennent mal, par exemple, que les ASSEDIC et l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) ne fonctionnent pas ensemble, ce qui n'est d'ailleurs pas évident, que la caisse d'action sociale et la caisse d'allocations familiales (CAF) ne sont pas une même entité, que le centre social relève parfois, mais pas toujours, de la caisse d'allocations familiales et ainsi de suite. En conséquence, il existe un réel besoin de plaques tournantes pour conseiller, orienter, et accompagner les usagers dans leurs démarches.

J'évoquerai, ensuite, les heures d'ouverture sur lesquelles j'ai déjà dit quelques mots, tant il est évident qu'elles sont inadaptées au fonctionnement de cette société qui est souvent très captive. Il convient, par conséquent, de s'interroger véritablement sur cette inadéquation, étant entendu qu'il faut réfléchir également à l'adaptation du traitement.

Les réponses qui nous parviennent des services publics sont souvent très normées et le sont d'autant plus que des gains de productivité sont réclamés. Or, quand nous avons affaire à des populations en situation de grande exclusion, ces réponses sont insuffisantes et nous avons besoin, pour traiter ce problème au fond, d'un soutien particulier, quitte à donner parfois des marges de liberté par rapport à l'application de la norme, notamment en ce qui concerne les rémunérations des agents de service public.

Je mentionnerai enfin le décloisonnement et le partenariat car l'usager ne peut pas forcément comprendre qu'il a affaire à une multiplicité d'intervenants qui ne se parlent pas. S'il parvient parfois à jouer assez habilement de ces nombreux interlocuteurs, ne nous faisons cependant pas d'illusions : dans la plupart des cas, c'est une très large incompréhension qui domine. Nous avons donc besoin de vrais échanges et de systèmes de mise en réseau pour que les services puissent travailler ensemble et se compléter, chacun accomplissant, bien évidemment, sa tâche, mais en s'intégrant dans un projet collectif avec des réunions d'échanges.

Pour travailler sur tous ces aspects et surtout sur celui qui concerne la proximité et l'adaptation, nous attachons beaucoup d'importance à la formation des agents : nous consentons un effort important au niveau interministériel pour travailler à la formation partagée inter-partenariale de l'ensemble des agents intervenant sur un site, ce qui concerne non seulement les agents de l'État mais aussi les agents de La Poste et des collectivités territoriales. A cet effet, nous élaborons des programmes avec le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et toute une série d'autres organismes de formation.

En outre, pour permettre le décloisonnement et le partage des cultures, nous avons recours à la création de plates-formes de services publics, de maisons de services publics qui commencent à bien fonctionner.

On dénombre aujourd'hui environ 250 maisons de services publics dont l'activité, bien que très variable selon les sites, est satisfaisante, ainsi qu'une centaine de plates-formes de services publics, qui représentent de véritables têtes de pont du service public dans ces quartiers. Ces plates-formes fonctionnent en réseau et de manière tout à fait efficace.

Notre travail s'articule autour d'un second axe qui se fonde sur l'idée qu'il ne peut y avoir d'amélioration du service public au niveau local si la réflexion est centrée sur le service public lui-même. En effet, c'est d'abord le consommateur, l'usager du service public qui doit effectivement pouvoir s'exprimer : il faut admettre que nous avons quand même eu des exemples de réorganisations de services publics beaucoup plus centrées sur les agents que sur la qualité du service rendu. Je force peut-être un peu le trait, mais il n'en reste pas moins que, pour nous, il est essentiel que l'usager soit au centre de la refonte, de la réorganisation du service public au niveau local, que ce soit à travers les comités consultatifs de quartier ou toutes les structures participatives qui peuvent exister.

Il faut qu'il existe des systèmes d'évaluation par les usagers eux-mêmes.

Que dégage-t-il de tout cela ? Il émane des revendications des associations d'usagers qui ont été recueillies et des évaluations auxquelles il a été procédé, une très forte volonté des populations locales d'être traitées comme celles de l'ensemble de la ville. Les besoins de services publics qu'elles mettent en avant ne sont pas extraordinaires, puisqu'il s'agit du maintien de La Poste, de la distribution du courrier, de la présence de la police, de la propreté du quartier, de l'entretien de la voirie, donc de services de base qui sont réclamés exactement de la même façon dans le reste de la ville.

Ces populations ont très souvent le sentiment qu'elles sont moins bien traitées que celles des autres agglomérations, ce qui parfois n'est d'ailleurs pas dénué de fondement.

En outre, elles émettent le souhait de disposer de services plus adaptés qui relèvent davantage des prestations individuelles dans le domaine de l'action sociale.

Pour renforcer la présence et la qualité des services publics, le comité interministériel des villes a arrêté, le 14 décembre 1999, toute une série de dispositions, dont certaines sont déjà mises en application, et nous avons créé des délégués du médiateur de la République qui ont pour vocation de traiter dans les quartiers ces questions de rapport entre les usagers et le service public.

Ils sont actuellement une petite centaine et rencontrent beaucoup de succès. Ce sont généralement des personnes qui ont un profil assez différent de celui des délégués du médiateur traditionnels : nous avons moins recours à des retraités et plus à des personnes diplômées ayant une connaissance du droit. L'expérience est satisfaisante car la formule répond, je crois, à une vraie préoccupation.

Par ailleurs, pour tenter d'animer la fonction publique, les services de l'État mettent en place, d'une part, ce que l'on appelle "des délégués de l'État", fonctionnaires plus proches des quartiers et des services publics, et d'autre part, toute une série d'actions destinées à former ensemble les agents appelés à travailler sur le terrain à différents niveaux, qu'il s'agisse des niveaux d'exécution, d'encadrement ou d'encadrement supérieur.

Un certain nombre de mesures ont également été prises afin de tenir compte des difficultés particulières, souvent plus importantes qu'ailleurs, auxquelles sont confrontés les agents publics travaillant dans ces quartiers. La formation est, bien sûr, un moyen de les préparer à les affronter, mais il faut aussi prévoir des compléments financiers, des aides au logement et diverses indemnisations.

Plus structurellement, il a été demandé que, dans les contrats de ville, soient élaborés des projets de services de quartier comportant clairement des engagements sur la présence des services publics.

Nous avons passé des conventions nationales avec plusieurs grands services publics, notamment avec La Poste qui installe des bureaux de poste dans les quartiers, qui embauche des personnels de quartier et garantit un certain nombre de services. Nous avons procédé de même dans la région Ile-de-France avec la RATP et le Syndicat des transports parisiens.

Chaque fois qu'il est possible de structurer au niveau global des accords-cadres pouvant être déclinés au niveau local, nous le faisons, de manière à ce que l'encadrement supérieur des entreprises de service public manifeste très fortement son intérêt et son soutien aux agents sur le terrain, afin pour qu'ils ne se sentent pas seuls face à leurs difficultés et incapables de faire connaître une expérience enrichissante pour l'ensemble du service public.

En effet, nous sommes convaincus que ce qui fonctionne au niveau des quartiers en difficulté peut a fortiori être très aisément reproduit dans les quartiers moins difficiles et que c'est une occasion tout à fait exceptionnelle de moderniser le service public que de travailler ainsi.

M. le Président :Vos propos me laissent penser que les secteurs ruraux souffrent plutôt de la disparition des services publics existants, alors que les quartiers difficiles souffrent d'un manque de création de services publics.

Les problèmes y sont évidemment d'une autre nature, puisqu'ils tiennent au fait que l'on ne crée pas, parallèlement au développement et au peuplement des quartiers, de nouveaux services permettant de faire naître une vie de quartier et un sentiment d'appartenance à une entité vivante.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont : Pour faire écho aux propos de notre Président, je dirai que j'ai le sentiment qu'en appréhendant séparément le problème des services publics en zone urbaine et celui des services publics en zone rurale, on fait fausse route.

Il faut poser la problématique du service public de façon globale car, ainsi que le disait notre collègue Félix Leyzour, le besoin que nous ressentons dans les parties rurales de nos circonscriptions est transposable dans les parties urbaines sous d'autres formes. Sans négliger le problème quantitatif qui est réel et important au point que les restructurations en cours nous inquiètent tous, il ne faut pas oublier le problème qualitatif qui se pose de façon identique puisque l'on trouve également des publics en difficulté en milieu rural. On observe maintenant des déplacements de population liés au fait qu'il est un peu moins difficile d'être en difficulté en milieu rural qu'en milieu urbain.

J'ai le sentiment que nous gagnerions à poser le problème de façon globale en considérant le service public, comme vous le disiez, madame, comme un vecteur d'égalité et un facteur très fort de lien social.

J'ajoute, que, nous, les élus, perdons un peu de crédibilité en parlant d'aménagement du territoire et d'équité quand, parallèlement, se poursuivent des restructurations un peu brutales du service public.

Les services publics sont, à mon sens, l'une des pierres angulaires de l'aménagement du territoire et, en tout cas, de notre crédibilité d'élus. J'estime donc que c'est un sujet très important qu'il convient d'aborder dans sa globalité.

M. Pierre Cohen, rapporteur : Je ne peux que souscrire à ces remarques. Il est évident que l'on ne peut pas traiter de la même manière les deux dysfonctionnements de l'accès au service public, à savoir l'évolution assez préoccupante que l'on constate en milieu rural et les manques dont souffrent les quartiers urbains. Pourtant, même si les solutions ne sont pas identiques, je suis, moi aussi, convaincu qu'il faut mener une réflexion globale.

Le service public, en effet, est généralement très cloisonné. Or, mon expérience de la politique de la ville m'a appris que le discours qui consiste à dire qu'il convient de s'appuyer sur l'existant et la redynamisation de l'existant, se heurte à quelques limites.

Je citerai notamment, du fait du cloisonnement qui existe entre les ministères qui ont fait de la politique de la ville une priorité, la faible capacité de réaction et de mise en place des décisions.

Cela illustre bien la nécessité, dont nous sommes, je crois, tous convaincus, d'inciter les services publics à une démarche transversale. Au niveau de la réflexion globale, il faut éviter de retomber dans des pièges existants : la modernisation des services publics est restée cloisonnée selon des critères territoriaux ou locaux. En effet, souvent - j'en veux pour exemple l'éducation nationale qui s'engage très fortement pour lutter contre l'exclusion et tente de pallier les difficultés que rencontrent un grand nombre de jeunes, en particulier dans les quartiers -, on parvient mal à traduire cette très forte mobilisation par une action globale, d'où une perte en ligne par rapport au travail accompli.

En conséquence, tout ce qui vient d'être dit me paraît aller dans le bon sens. La nouvelle génération des contrats de ville a d'ailleurs nettement mis l'accent sur cette notion de transversalité et sur ce besoin de mettre en avant des coordonnateurs, puisqu'il est même question, au sein de chaque ministère, de détacher des personnes dans les agglomérations, afin de les affecter à une cellule pour qu'elles jouent le rôle de levier dans la mise en œuvre de la politique sectorielle dont elles auraient la charge.

J'ai, moi aussi, le sentiment que, si on parle de proximité, il reste à en préciser la définition. Globalement, le terme renvoie à la nécessité d'une présence physique pour permettre aux usagers d'assouvir leur besoin de parler, de s'exprimer, de savoir, mais il ne faut pas se bercer d'illusions : 80 %, voire 90 % des Français sont incapables de distinguer les fonctions de nombre de nos administrations. Quiconque n'aura pas eu à prendre contact avec un centre communal d'action sociale, ne saura pas faire la différence entre cette structure et une caisse d'allocations familiales et, par voie de conséquence, entre une assistante sociale et les personnels communaux compétents en matière d'aides facultatives. C'est là une observation qui peut se vérifier en n'importe quel point du territoire.

Une réflexion globale s'impose pour améliorer la lisibilité du service public : c'est là un pari et un enjeu extrêmement importants auxquels il faudra faire face. Ce problème de la proximité renvoie en effet à celui de la formation, de la connaissance, mais aussi à celui des nouvelles technologies qui permettront à chacun d'avoir accès à l'information sans avoir besoin d'être confronté directement aux services qui l'intéressent.

M. Jean-Michel Marchand : Je voudrais, madame, revenir sur un point que vous avez évoqué, à savoir les maisons, les plates-formes ou les points de services publics qui sont en train de se mettre en place.

Y compris dans le milieu plutôt rural qui est le mien, les circonscriptions comportent souvent, notamment dans les chefs-lieux de canton, des quartiers en situation difficile : évidemment, ce ne sont pas obligatoirement ceux qui font la une des médias, mais leurs habitants y vivent des désarrois tout aussi importants...

J'estime que la réflexion qui tourne autour des maisons de services publics et les propositions qu'elle fait naître peuvent s'appliquer à la fois en milieu urbain et en milieu rural puisqu'elles relèvent des deux concepts que vous avez évoqués : le décloisonnement et le partenariat, la difficulté étant tout de même qu'il ne faudrait pas en arriver à une centralisation - certes déconcentrée, mais demeurant néanmoins une centralisation - ni, pour l'ensemble des communes, à une perte de leur potentiel de services publics.

Si je dis cela - je pense à La Poste qui est le grand sujet de préoccupation de toutes les communes de France - c'est parce que j'estime qu'il nous faut une présence évidente et certaine et que je m'interroge tout particulièrement sur cette notion de qualité.

Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'il n'est sans doute pas besoin d'avoir une plage horaire aussi grande qu'elle l'était il y a quelques années, mais qu'il est essentiel de disposer d'agents à des moments précis. Pour une zone d'activités économiques et industrielles en milieu rural, avoir un service ouvert entre midi et quatorze heures n'a pas grand sens. En revanche, qu'il soit fermé à seize heures est catastrophique ! Ce sont là des difficultés importantes qu'il convient de surmonter.

Il est donc nécessaire d'avoir des maisons de services publics et des points de services publics pour quadriller le territoire, car il n'est pas sérieux de parler d'aménagement du territoire en procédant parallèlement au déménagement des services publics.

Ma seconde réflexion portera sur l'éducation nationale. J'ai le sentiment, à tort ou à raison, qu'il n'y a pas en ce domaine une réelle réflexion sur l'aménagement du territoire. J'en veux pour preuve les collèges, car je ne parle évidemment pas des écoles primaires et maternelles qui sont plutôt bien réparties et pour lesquelles des mesures sont prises en cas de grandes difficultés liées aux effectifs. Lorsque l'on n'a pas installé un collège par canton, on observe des blocages impossibles à surmonter et je ne m'étendrai pas sur le cas des lycées dont - permettez-moi de le dire - l'implantation n'obéit pas toujours à des facteurs d'aménagement du territoire.

Des conflits d'influence président à l'installation des formations : lorsqu'un établissement préparant au brevet de technicien supérieur (BTS) s'installe dans la région, ce n'est pas obligatoirement là où le besoin s'en fait le plus sentir. Par conséquent, la question que je pose est celle de savoir s'il existe, au sein du ministère de l'éducation nationale, une réflexion et des axes prioritaires définis pour l'aménagement du territoire.

M. Gérard Hamel : Je voudrais, quant à moi, faire état de deux types de difficultés rencontrées à l'occasion des déplacements de services publics dans les quartiers.

Les premières sont liées aux locaux. Il faut absolument, me semble-t-il, que le service public de proximité dispose d'un lieu unique d'accueil, ce qui n'est pas évident si j'en juge par les complications que j'ai rencontrées pour faire travailler ensemble, et dans les mêmes locaux, divers services publics. Comment concevoir, par exemple, de faire cohabiter une mairie annexe de quartier avec un service postal, sachant que, si les locaux sont séparés, y compris s'ils se trouvent dans le même quartier, La Poste refusera d'ouvrir, au motif que, pour des raisons de sécurité, elle doit disposer au minimum de deux ou trois personnes en permanence, ce qui lui est difficile ?

Ce n'est qu'au bout de nombreuses années que nous sommes parvenus à mener à bien cette cohabitation de plusieurs services qui peuvent aujourd'hui fonctionner, puisqu'un employé municipal de permanence dans la mairie annexe peut parfaitement travailler avec les agents de La Poste qui effectuent les opérations postales tout à côté.

Il n'en demeure pas moins qu'avant de pouvoir réunir des services de proximité sur une seule et même plate-forme, la question de la cohabitation a été pendant longtemps, pour nous, une réelle difficulté.

Or, cette expérience des services de proximité des quartiers est facilement transposable à l'extérieur des villes, dans le milieu rural, où se pose également ce problème du regroupement dans des locaux uniques.

La seconde difficulté concerne la permanence des services : comment demander aux différents services de proximité, qu'ils soient nationaux ou communaux, d'être toujours sur le terrain ? Pour régler cette question, il nous a fallu organiser l'accueil.

Vous avez évoqué ce problème dans votre exposé ; je considère qu'il convient, d'abord et surtout, de prendre en charge, quelle qu'en soit la nature, le problème de l'habitant du quartier. Ce dernier admet en effet facilement de prendre rendez-vous et de revenir rencontrer la personne qui l'intéresse : l'expérience prouve que cela ne pose pas de difficulté car il n'exige pas une réponse immédiate au problème qu'il vient soumettre.

On peut donc parvenir à réunir différentes personnes en même temps dans un secteur pour répondre aux besoins d'une population, en créant un service d'accueil qui centralise les demandes et qui, moyennant une gestion des permanences au sein de ces locaux de proximité, peut permettre d'organiser des rencontres directes avec les résidants. Une telle formule peut fonctionner pour un coût acceptable.

Il est impératif de résoudre le problème du regroupement des locaux et de l'accueil, ainsi que celui des permanences, car on ne peut pas exiger que des services, qu'ils relèvent de l'État ou des collectivités locales, se tiennent sans discontinuer à la disposition des différents quartiers.

Ma ville, qui est relativement petite, puisqu'elle ne comporte que 35 000 habitants, compte néanmoins sept quartiers différents, donc sept mairies annexes. Comme il était impensable de doter chacune d'elles de tous les services nécessaires, d'autant que tous les quartiers sont au moins classés en zone urbaine sensible (ZUS), la ville a fait l'effort de mettre à disposition des locaux. Ce n'est qu'en regroupant ces locaux et en planifiant les permanences des différents services que le problème s'est trouvé réglé et les conditions économiques de fonctionnement réunies mais tout cela a pris beaucoup de temps.

J'ajoute que l'on peut faire cohabiter La Poste, la police municipale qui peut travailler dans le quartier dans le cadre de l'îlotage, ou telle permanence d'un service, qu'il relève de l'État ou de la commune : c'est un objectif parfaitement réalisable, mais qui soulève de grosses difficultés quand on s'y attelle.

M. René Mangin : Vous avez souhaité, madame, voir l'usager au centre des services publics, et mon intervention va venir prolonger celle de mes collègues.

Les Français, comme l'ensemble des populations occidentales, consomment de plus en plus, y compris en matière de services publics. Ils ont, notamment dans les quartiers les plus sensibles, des problèmes tantôt d'adaptation, tantôt d'emploi du temps, ce qui les conduit à solliciter lesdits services à n'importe quelle heure du jour, voire de la nuit. Cette évolution pose, comme vient de le dire à l'instant M. Gérard Hamel, un problème de disponibilité.

Dans ces conditions, quelles que soient les réponses des différentes collectivités, notamment des mairies, il n'est pas toujours simple de trouver le personnel idoine au bon moment.

Autrement dit, il faudrait pouvoir disposer, en un point public, de personnels " multiservices " non seulement capables de répondre sur des problèmes d'ASSEDIC, d'emploi, de caisse centrale d'activités sociales ou de n'importe quelle autre nature, mais également disponibles presque 24 heures sur 24. Or, nous sommes face à des personnels du service public qui peuvent difficilement en faire plus qu'ils ne font, compte tenu du fait qu'ils ont aussi une vie familiale et un temps personnel à gérer.

Dans ces conditions, les municipalités ont bien souvent la volonté d'offrir un large service public, mais elles se heurtent à des problèmes d'emploi, d'emploi du temps, bref de gestion collective des différents personnels. Aussi, j'aimerais savoir si les études réalisées comportent des exemples de collectivités mettant en place des dispositifs très opérants sur une grande partie des 24 heures disponibles.

M. le Président : En vous écoutant, une remarque m'est venue à l'esprit : est-ce que, lorsque l'on parle de " services publics de proximité ", la proximité ne recouvre-t-elle pas deux notions : la proximité dans sa dimension physique - proximité géographique des bâtiments, des locaux et des institutions - mais aussi dans sa dimension humaine ? On peut, en effet, être très près des gens sans en être proche. Ces deux notions doivent être prises en compte.

Mme Claude Brévan : Monsieur Pierre Cohen a évoqué la difficulté qu'éprouve l'éducation nationale à inscrire son action dans la globalité. La vraie difficulté tient au fait que chaque service public a sa culture professionnelle qui est très prégnante et qu'il doit accepter de bâtir un projet collectif dans lequel il risque de se sentir amputé de ses responsabilités. Pour y parvenir, il reste un énorme travail d'apprivoisement à accomplir, mais on peut en dire autant des travailleurs sociaux. Ces derniers ont, en effet, exactement les mêmes réticences à travailler avec d'autres, dans la mesure où ils ont l'impression qu'ils vont être dépossédés de leur mission. On se heurte ainsi à la très forte frilosité professionnelle des responsables des différents services publics qui ont leur " culture maison ", leur culture professionnelle et qui refusent le partage.

Pour ce qui nous concerne, nous comptons beaucoup sur la formation et le dialogue communs pour parvenir à construire de nouveaux rapports. Pour autant, nous sommes convaincus que chacun doit faire son travail et non pas celui du service public voisin : le pire serait d'obtenir un melting pot où chacun toucherait un peu à tout ! Il est clair que nous ne ferons pas des enseignants des éducateurs sociaux et vice-versa.

J'ai eu l'occasion, à la demande du ministre, de travailler sur les métiers. Or j'ai été extrêmement frappée, dans les groupes que j'ai pu réunir, de leur crainte de perdre leurs compétences et leurs spécificités : il existe de très forts réflexes de valorisation personnelle.

M. le Président : Peut-on imaginer d'organiser des rencontres entre tous les acteurs d'un quartier, d'abord pour qu'ils se connaissent, ensuite pour qu'ils apprécient ensemble la nature des problèmes ?

Mme Claude Brévan : C'est exactement la démarche que nous prônons mais elle pose des problèmes de disponibilité et il va nous falloir travailler avec l'éducation nationale pour que les enseignants soient partiellement déchargés de cours pour assumer cette tâche. Il serait en effet très délicat de leur demander de l'accomplir en plus de leur activité scolaire : on ne peut pas toujours compter sur le militantisme.

M. Pierre Cohen, rapporteur : J'ai l'impression qu'il faut, non seulement parvenir à travailler avec l'ensemble des services publics sur le plan local, mais aussi faire en sorte que les logiques changent au niveau national, faute de quoi nous courrons toujours à l'échec ! Nous n'obtiendrons pas de résultats à la base si les logiques restent cloisonnées sur toute l'échelle à partir du ministère.

Mme Claude Brévan : De ce point de vue, je peux vous rapporter un événement récent, même s'il peut paraître curieux de le considérer comme tel : pour la première fois, une réunion a été organisée entre les inspecteurs d'académie et les sous-préfets, sous l'égide des deux ministres, MM. Jack Lang et Claude Bartolone. On peut dire que c'était un événement, au point que nous nourrissions même quelques inquiétudes sur son déroulement. Cela s'est très bien passé, puisque les participants ont même décidé de continuer à travailler ensemble sur plusieurs sujets.

Cet épisode, qui peut paraître tout à fait dérisoire, illustre cependant bien le chemin qu'il reste à parcourir !

M. Henri Nayrou, rapporteur : Je serai bref parce que volontairement hors sujet. Ma collègue Marie-Françoise Pérol-Dumont a dit que, si l'on traitait séparément les services publics urbains et les services publics ruraux, on ferait fausse route, mais je pense que c'est plutôt elle qui fait fausse route.

En effet, les services publics sont universels, mais chacun a sa spécificité, la première des différences étant que la ville dispose d'un département ministériel. Le fait que des difficultés persistent pour y décloisonner toutes les administrations laisse à penser quelle peut être la situation en milieu rural, où il n'y a guère que le préfet qui puisse agir à travers des commissions départementales d'organisation et de modernisation... Souhaitez donc, madame, bonne chance aux préfets qui s'attaquent à cette forteresse !

La seconde différence, c'est qu'en ville, les besoins varient en fonction du flux démographique, alors qu'à la campagne, le problème principal qui se pose est celui de la présence des services publics et de l'aménagement du territoire.

Cette situation nous conduit à nous interroger et, dans le cadre de cette délégation, nous nous sommes d'ailleurs posé la question avec M. Pierre Cohen, de savoir s'il convenait d'émettre un seul rapport. Dans un premier temps nous avons penché pour cette solution, dans un deuxième temps nous sommes convenus d'élaborer deux rapports séparés, peut-être, dans un troisième temps, la délégation, sensible aux arguments de Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont et insensible aux miens, décidera-t-elle de revenir à la première proposition...

Mme Claude Brévan :Je voudrais revenir sur un point qui a été abordé de manière implicite : celui de la qualité des réponses apportées à l'usager. Il est vrai qu'il s'avère extrêmement difficile, ainsi que l'a souligné tout à l'heure le Président, de traduire systématiquement la qualité en simples termes de proximité. On se rend compte que ce que l'usager attend avant tout, c'est l'efficacité, autrement dit, la qualité de la réponse. Il est certain qu'il attend de l'humanité, de la chaleur , mais une des dérives du service public trop local serait de tellement entrer dans la problématique des gens que l'on finirait par s'y perdre sans apporter une réponse réellement précise. En d'autres termes, le service deviendrait tellement hors normes qu'il n'aurait plus de sens.

C'est un risque auquel il faut prêter attention : il convient probablement d'assouplir le système, de lui donner plus d'humanité, ce qui correspond à une démarche valable partout, d'améliorer l'écoute, de donner du temps pour comprendre les problèmes, sans toutefois perdre de vue que la finalité recherchée demeure l'efficacité, et non pas forcément la réponse " sur mesure ". Ce n'est pas là le plus facile à faire comprendre.

Je ne suis pas à même de répondre complètement à la question concernant l'éducation nationale. Je crois que ce ministère conduit des politiques d'aménagement qui sont des politiques concertées au niveau local. La plupart de nos sites étant situés en zones d'éducation prioritaire, nous portons une attention particulière au problème de la fermeture des classes. Nous menons avec le ministère de l'éducation nationale un travail sur la réhabilitation des écoles dans les communes en difficulté financière, sur l'ouverture des écoles aux parents, sur l'équipement des collèges, toutes questions qui sont très territorialisées. C'est le seul point sur lequel je peux vous répondre.

Pour ce qui est des difficultés liées aux locaux, il serait probablement intéressant de faire mieux connaître - et je m'adresse notamment à vous, Monsieur Gérard Hamel - les différentes solutions retenues à travers les maisons et les plates-formes de services publics dans la mesure où, chacun ayant inventé une formule, des progrès finissent par être réalisés.

M. Gérard Hamel : C'est difficile, mais cela finit par fonctionner !

Mme Claude Brévan : Pour autant, nul n'est obligé de refaire tout le parcours et c'est pourquoi je propose que l'on diffuse toutes les solutions inventées au niveau local avec une grande intelligence.

Il est certain que le système de la permanence commence à s'appliquer un peu partout et que les usagers, à partir du moment où ils sont assurés d'obtenir une réponse dans un délai fixé, ne l'exigent pas sur le champ : ils préfèrent obtenir une réponse précise, à une date précise, qu'une réponse vague ou une espèce de " service au rabais " qui est à proscrire absolument.

Pour ce qui a trait au besoin de service continu des consommateurs, aussi bien de nuit que de jour, il a évidemment des limites. Néanmoins, il est évident que certains services exigent de reposer complètement la question des horaires. Qu'est-ce, par exemple, qu'une antenne de police qui ferme à dix-huit heures dans les quartiers sensibles ?

M. Henri Nayrou, rapporteur : C'est pourtant souvent le cas !

Mme Claude Brévan : Oui, mais c'est précisément à partir de cette heure-là que les problèmes commencent. Or, l'intérêt d'une antenne de police est de donner un sentiment de sécurité et l'impression qu'il existe une présence policière au moment où des méfaits peuvent se produire.

On peut faire les mêmes remarques concernant les travailleurs sociaux dont la tâche s'accommode assez mal des horaires de bureau et à qui l'on reproche - probablement, en partie, à juste titre - de ne pas être assez présents sur le terrain aux heures où ils pourraient y être utiles : c'est spécialement vrai des éducateurs de rue, comme de tous ceux qui s'occupent de la prévention spécialisée et qui doivent être dans la rue au même moment que les jeunes.

Ce n'est évidemment pas le cas partout, mais il est certain que le problème des horaires se pose pour certains services très particuliers. Les services d'action sociale se sont longtemps consacrés à l'instruction des dossiers pour distribuer des aides, ce qui est une tâche de bureau. Ce faisant, ils ont un peu perdu le contact direct avec la population. Cela pose des problèmes de fonctionnement depuis la montée de la crise urbaine liée à l'exclusion et cela explique que le relais soit pris par des structures associatives qui sont finalement plus souples, plus disponibles et donc plus aptes à travailler selon des horaires un peu anormaux. C'est un problème délicat.

Les réponses apportées concernant les agents de médiation et de correspondants de nuit comportent des prémisses de solutions pour répondre à ces besoins de présence nocturne. A la lecture de bilans dressés par des correspondants de nuit, j'ai été très frappée, alors que je pensais que les appels s'expliquaient par un grand sentiment d'insécurité ou par des désordres dans les immeubles, de découvrir que la moitié d'entre eux étaient liés à des situations de détresse et à l'isolement. Ces données renvoient à une nouvelle conception du service public et sont assez préoccupantes, car on en vient à recourir au service public pour des situations qui, autrefois, étaient complètement prises en charge par la société elle-même. C'est probablement, là, une évolution importante.

Il y a quand même un exemple d'adaptation des horaires qui est en train d'émerger très fortement et qui le fera de manière encore plus significative, l'application des 35 heures entraînant une beaucoup plus grande fluidité des heures ouvrables : celui des structures de garde d'enfants. Nous avons eu des informations très étonnantes quant à l'allongement des durées d'ouverture de crèches et de haltes-garderies qui assurent un service, sinon 24 heures sur 24, du moins 18 heures sur 24, de manière à permettre aux femmes qui travaillent comme caissières dans des supermarchés ou qui font des ménages dans les bureaux, par exemple, de faire garder leurs enfants le soir.

En la matière, nous allons également faire circuler une documentation sur toute une série d'expériences, car certaines adaptations sont possibles en termes de services au public.

Avant de terminer, je souhaiterais dire qu'il est clair que de nombreux services publics ont du mal à assumer le contact direct avec l'usager qui est parfois difficile, perdu, voire agressif. Cet obstacle les conduit à avoir recours à des relais, à des agents de médiation ou encore aux emplois-jeunes qui ont beaucoup servi d'interface entre les usagers et le service public. Cette formule peut se révéler, soit utile si on en tire des enseignements, soit très dangereuse et négative si elle sert d'écran entre le service public et la population. Ce serait, en effet, marginaliser encore plus les populations que de leur dire qu'on ne peut même pas travailler avec elles sans filtre pour amortir les chocs !

En conséquence, pour notre part, nous souhaitons que tous ces emplois soient bien consacrés à assurer la médiation entre les habitants eux-mêmes et à rétablir le lien social. Mais nous voulons aussi que ce soit le service public qui tire les enseignements de l'expérience acquise par tous ces jeunes en matière de relations avec l'usager afin de les intégrer à la formation des agents publics eux-mêmes. De la sorte, ces derniers deviendront aptes à assumer ce contact dans des relations normales, ce qui n'exclura pas d'avoir parfois recours à un soutien psychologique comme cela a été le cas dans un certain nombre de services : la RATP a mis en place un dispositif de médiation, mais La Poste renonce progressivement à ces " agents-relais " pour former progressivement ses propres agents à la gestion des conflits et de l'agressivité.

M. Pierre Cohen, rapporteur : Sur ce point, nous avons eu des discussions avec certaines personnes opposées à la création de postes de médiation. C'est une réaction que nous comprenions mal, tant il est vrai que les services communaux ont besoin de créer un lien avec la population afin de remettre en cause leur caractère extrêmement figé, de remédier à la difficulté qui est la leur d'être sur le terrain, et d'appliquer des horaires adaptés aux besoins. Le seul problème est de conférer à cette médiation une dimension d'appartenance et d'éviter qu'elle n'apparaisse comme un pouvoir abstrait ou, puisque vous avez vous-même parlé d`écran, comme une contre-réponse aux attentes. C'est là un point qui mérite réflexion.

J'ignore quelle est exactement la nature de la demande du milieu rural, mais, en ville, il est indéniable que la plus grosse difficulté tient à l'évolution des problèmes auxquels il faut remédier. La demande faite à nos éducateurs, lors de leur embauche, de travailler de vingt heures à vingt-trois heures est aujourd'hui dépassée puisqu'on aurait maintenant plutôt besoin de leurs services entre minuit et deux heures. Toute la difficulté est donc de demander une disponibilité 24 heures sur 24 en fonction de l'évolution de la situation ou de la diversité des publics. Cela peut se faire dans le cadre des associations, ou lorsqu'on mobilise du personnel pour répondre à un problème précis, mais c'est plus délicat sur la continuité d'une carrière.

A ce niveau, une disparité des difficultés se fait jour, sauf à dégager d'énormes moyens pour disposer d'agents soit formés, qualifiés, disponibles, ce qui suppose qu'ils soient bien payés, ou suffisamment nombreux pour répondre à toutes les demandes. C'est une situation très complexe.

M. Gérard Hamel : Oui, mais j'ajouterai que, si nous avons besoin d'avoir du personnel sans interruption sur le terrain, nous n'avons pas besoin des mêmes personnes au même moment.

Je vais donner quelques exemples parce que, finalement, même si on a a priori des projets, ce ne sont que les expériences menées et les correctifs apportés peu à peu qui permettent de trouver un juste équilibre.

Personnellement, je suis, par exemple, de ceux qui pensent que les commissariats ou les postes de police de quartier ne sont pas nécessaires la nuit : la nuit, il faut que les policiers soient en patrouille sur le terrain et non pas dans leur bureau.

Puisque nous évoquions précédemment le cas des travailleurs sociaux de proximité, il faut dire que leur intervention est très différente selon qu'il s'agit d'aller à la rencontre d'une catégorie de jeunes, à un certain moment de la journée, ou à la rencontre d'une autre catégorie de jeunes, de nature bien différente, dans le courant de la nuit. Ce ne sont plus les mêmes contacts, ce ne sont plus les mêmes rapports ni les mêmes personnes qui sont en jeu.

Dans la journée, il est permis d'imaginer que les jeunes parlent aux jeunes et que l'on peut agir dans le cadre des emplois-jeunes, mais je ne suis pas convaincu que cette formule soit satisfaisante pour la nuit.

Nous sommes actuellement en train de mener des expériences avec des personnes qui se caractérisent par le fait qu'elles passent un peu pour être les "sages" du quartier. Parce qu'elles appartiennent à une communauté et qu'à ce titre elles exercent sur elle et ses enfants une certaine autorité, elles se font plus écouter que le jeune qui, lui, peut être amené, sans arrière-pensée, à jouer un jeu malsain pour tenter de remplir son rôle.

Je veux dire par là que, pour connaître tous les problèmes qui se posent au niveau d'un quartier et tenter de voir quelle solution y apporter, il faut disséquer la journée : cela ne me gêne pas que la permanence et l'accueil d'un service public d'un quartier ferment aux environs de dix-huit heures. Au-delà, il ne recevra pratiquement plus personne, parce que les usagers, à compter d'une certaine heure, ont d'autres soucis.

En revanche, il faut, dès que la permanence du service public ferme, que le service public de contact et de terrain, qui passe par le policier, le travailleur social et autres, entre en action, de manière à prendre en charge les éventuels problèmes dont la nature peut d'ailleurs varier en fonction du quartier.

Dans certains quartiers, ils peuvent être liés au travail clandestin, tandis que dans d'autres on sait pertinemment qu'ils seront occasionnés par le trafic de drogue ou les rodéos automobiles.

Les interventions doivent donc être très adaptées au terrain et remises régulièrement en cause car la délinquance évolue.

Actuellement, dans ma ville, je suis confronté à beaucoup plus de problèmes liés à la délinquance routière qu'au vol à l'arrachée ou à d'autres délits. Depuis un an, les jeunes empruntent les ronds-points en sens interdit, ne respectent pas les feux rouges, notamment la nuit et évidemment lorsque la police est absente, font crisser les pneus, circulent sur les boulevards à 120 kilomètres/heure. Il s'agit d'une délinquance routière provocatrice, puisqu'elle s'exerce également à la sortie des écoles. C'est une forme de délinquance nouvelle, extrêmement dangereuse et qui fait peur.

Des adaptations sont donc à prévoir sans arrêt pour se doter d'une souplesse d'action en fonction du moment, de l'époque et du quartier.

Mme Claude Brévan : Tout à fait, mais je crois que les informations que nous pouvons diffuser en matière d'expériences ne servent qu'à suggérer des idées car les expériences d'autrui ne sont jamais totalement reproductibles.

M. Gérard Hamel : Je pense que les maires des villes qui ont à gérer les difficultés de quartiers sensibles ne communiquent pas assez et, pour que les bonnes intentions soient suivies d'effets, j'émettrai une demande.

Il serait, à mon sens, utile - je suis demandeur à travers l'Association des maires de France, mais on peut l'être auprès des services de l'État - d'organiser des échanges d'expériences, ne serait-ce que par des procédés aussi simples que des notes. En effet, il y a toujours des idées à prendre et il est préférable, face à des phénomènes que l'on découvre, de s'inspirer de l'expérience des autres, que de réinventer tous les jours des solutions dont la recherche et l'adaptation demandent du temps.

Ne serait-il pas possible, au niveau de la politique de la ville ou à tout autre niveau, de demander de manière volontariste de collecter les expériences des villes les plus difficiles de France, que l'on connaît puisque les quartiers sont classés par catégories de difficultés, de façon à travailler dans une relation de soutien et d'échange avec elles ?

Mme Claude Brévan : Pour vous répondre, je dirai que, très modestement, nous avons ouvert un site Internet baptisé I-Villes sur lequel une base de données d'expériences classées par thème commence à se constituer. Si vous le désirez, nous pourrons vous indiquer comment il fonctionne. Il va de soi qu'il doit être alimenté, que constituer un stock prend du temps et qu'il nous faut donc connaître différentes expériences mais il s'agit de relations d'expériences très fluides avec des points de contact auxquels on peut toujours se reporter.

Par ailleurs, l'Institut des villes, donc la vocation est d'assurer des échanges sur de grands sujets, va se mettre en place et des réseaux sont en train de se former. J'ajoute qu'au printemps dernier, un colloque s'est tenu, à Montreuil, sur la territorialisation des services municipaux et qu'il sera suivi d'autres rencontres, organisées sur la base d'expériences locales, dont l'une se déroulera à Dunkerque.

S'il est un domaine qui donne lieu à surabondance de colloques, c'est bien celui de la politique de la ville et même si on peut déplorer qu'ils s'articulent parfois autour de thèmes trop généraux, cette interrogation sur la façon de procéder demeure extrêmement intéressante.

M. le Président : Au nom de la délégation, je tiens, madame, à vous remercier de votre participation.


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