ASSEMBLÉE NATIONALE


DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N°16

mercredi 24 janvier 2001
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Philippe Duron, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Dominique Maillard, directeur général de l'énergie et des matières premières au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, Mme Ariane Azéma, conseillère à la DATAR, M. Christophe Baulinet, adjoint au directeur général de la direction générale de l'énergie et des matières premières et M. Fabrice Dambrine à la direction générale de l'énergie et des matières premières au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, sur le schéma de services collectifs de l'énergie.

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La délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Dominique Maillard, directeur général de l'énergie et des matières premières au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, Mme Ariane Azéma, conseillère à la DATAR, M. Christophe Baulinet, adjoint au directeur général de la direction générale de l'énergie et des matières premières et M. Fabrice Dambrine à la direction générale de l'énergie et des matières premières au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, sur le schéma de services collectifs de l'énergie.

M. le Président : Nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui pour parler du schéma de services collectifs de l'énergie. La délégation entame un exercice complètement nouveau. Ces schémas, documents de planification élaborés à l'horizon de vingt ans, couvrent l'ensemble des politiques sectorielles structurant le territoire.

Le champ traditionnel de la planification s'ouvre à des secteurs nouveaux tels que l'espace naturel européen. Etant donné leur importance pour les vingt ans à venir, il était fondamental que le Parlement soit informé de leur élaboration et qu'il puisse se prononcer sur leur contenu. La délégation va se consacrer à l'examen de ces schémas au cours de ces prochains mois ; elle devra rendre un avis avant le 1er juin 2001. Elle a désigné un rapporteur pour chacun des schémas ; M. Jean-Michel Marchand en est le rapporteur sur l'énergie.

Les questions énergétiques constituent un enjeu central. D'ailleurs, la commission de la production et des échanges a lancé un large débat à ce sujet depuis quelques semaines.

M. Dominique Maillard : Nous sommes très flattés d'être entendus sur ce document. M. Fabrice Dambrine a été la cheville ouvrière de travail et M. Christophe Baulinet m'a secondé sur ce dossier comme sur d'autres. Nous travaillons avec Mme Ariane Azéma. C'est la raison de cette délégation étoffée aujourd'hui.

Vous avez reçu un document consistant que je ne vous résumerai pas, mais je voudrais appeler votre attention sur un certain nombre de points relatifs à la politique énergétique dans son ensemble et au schéma de services collectifs de l'énergie en particulier.

Vous avez rappelé à juste titre l'importance d'un schéma de services collectifs de l'énergie. C'est un secteur qui se prête bien à cette démarche. Les décisions en matière énergétique engagent l'avenir sur le très long terme et leur mise en _uvre nécessite également des délais longs. Je ne pense pas uniquement aux grands équipements ou grandes infrastructures. On sait combien de temps il faut pour développer un gisement pétrolier, un gisement gazier ou construire une centrale nucléaire. Même pour la valorisation des énergies renouvelables, on aurait tort de penser que les choses peuvent se faire instantanément. Il faut développer des filières, même sur des secteurs aussi classiques que l'énergie éolienne. Elle est sans doute l'une des premières énergies mécaniques que l'homme a utilisées. Néanmoins, - on le voit bien avec l'évolution des techniques - il faut avoir une filière industrielle ce qui réclame du temps, des investissements, des travaux de recherche, des moyens humains et économiques.

L'approche du schéma de services collectifs est une démarche prévisionnelle à moyen - long terme. Sans paraphraser la LOADDT, je situerai en quelques mots ce qui est dans le champ de ce schéma et ce qui a contrario ne l'est pas explicitement.

La loi, dans son article 22, qui traite de l'énergie, précise : "Le schéma de services collectifs de l'énergie définit dans le cadre de la politique nationale de l'énergie les objectifs d'exploitation des ressources locales d'énergies renouvelables et de l'utilisation rationnelle de l'énergie concourant à l'indépendance énergétique nationale, à la sécurité de l'approvisionnement, à la lutte contre l'effet de serre".

Cette phrase est importante ; elle situe bien le contexte, à savoir la politique nationale de l'énergie et le champ spécifique sur lequel le schéma se doit d'apporter des contributions, celui de l'exploitation et de la valorisation des ressources locales -le terme est important - d'énergies renouvelables et de l'utilisation rationnelle de l'énergie.

Cela suppose en premier lieu que vous soyez informés de ce qu'est le cadre de la politique nationale de l'énergie et en second lieu, de voir quel peut être l'apport de ce schéma sur la question qui est posée.

Je vous rappellerai les invariants de la politique énergétique nationale et vous illustrerai le nouveau contexte.

La politique énergétique se traduit par des éléments stables liés aux caractéristiques de notre pays. Nous n'avons jamais eu sur notre territoire la chance de tirer de très bons numéros à la loterie des ressources. Nous n'avons pas la chance de nos voisins britanniques avec le charbon au 19e siècle et plus récemment le pétrole et le gaz en mer du Nord, ni même les ressources charbonnières de nos voisins allemands ou gazières des Pays-Bas.

La France a toujours eu une pratique de valorisation de ses ressources quand elle en avait au début du siècle et dans les années soixante avec l'exploitation du charbon. Elle a cherché du pétrole et du gaz, a trouvé un peu de gaz. Le gisement de Lacq a permis l'essor et le développement de l'industrie gazière en France qui, malheureusement, n'a pas trouvé de relais. Comme pour le pétrole, nous sommes importateurs de gaz pour 95 % de nos besoins. Nous importons notre charbon parce que les conditions d'exploitation de nos gisements, exploités pour certains depuis le milieu des années 1700, ne sont plus satisfaisantes, à la fois pour des raisons physiques et économiques. Nous sommes donc contraints d'importer les énergies qu'il est convenu d'appeler classiques ou fossiles.

Cette situation se retrouve assez couramment dans l'économie et justifie les échanges entre les divers pays, mais c'est une situation préjudiciable et difficile lorsque les ressources en question deviennent chères, rares ou font l'objet d'enjeux politiques ou géopolitiques. Sans revenir sur les chocs pétroliers, nous en avons connu un petit épisode sur le plan économique et financier au cours de l'année 2000. Cela avait conduit très tôt, et même avant le premier choc pétrolier, à une volonté de développer des filières nationales de production et de valorisation des ressources.

Dans l'immédiat après-guerre, le grand programme hydraulique a permis d'assurer la fourniture et le développement de l'énergie électrique dont le pays avait besoin pour se développer.

A partir de 1974, après le premier choc pétrolier, la réflexion s'est portée sur deux voies nouvelles. La première est une voie de production, la voie nucléaire, et la seconde est une voie de maîtrise de la demande. Pour réduire notre dépendance à l'égard de l'extérieur, il convenait de consommer moins ou de freiner la croissance de la consommation. Une politique d'économies d'énergie a été alors lancée. "Maîtrise de l'énergie, utilisation rationnelle de l'énergie" sont pour moi des synonymes. L'objectif n'est plus d'agir sur le numérateur du ratio d'indépendance énergétique, mais sur le dénominateur. Il ne s'agit pas de chercher à faire croître les ressources nationales qui sont limitées, mais de faire en sorte que la demande nationale ne progresse pas trop vite.

Ces politiques ont été mises en _uvre. De grand débats ont lieu pour savoir si les moyens consacrés à l'un ou l'autre de ces volets ont été équilibrés. Je pense qu'ils l'ont été au regard des moyens dont on pouvait disposer alors. Une politique d'économies d'énergie s'inscrit dans le long terme. Elle nécessite également la mobilisation de nombreux acteurs. En 1974, la France a voulu réagir rapidement aux contraintes et à la menace que constituait un renchérissement considérable des prix du pétrole. Ces derniers, qui ont été atteints après le choc pétrolier, seraient supérieurs à cent dollars le baril aujourd'hui.

Le programme nucléaire a été la réaction qui a permis à notre pays de desserrer cette contrainte pétrolière majeure. Alors que le pétrole représentait les deux tiers -en quasi totalité importés - de notre approvisionnement énergétique, nous sommes passés à 50 % de nos approvisionnements dans des quantités qui restent toujours liées à l'importation, mais avec une politique de diversification de nos ressources. Le programme nucléaire apporte en termes de substitution et en supposant que nous continuions à consommer la même quantité d'électricité, l'équivalent annuel de cent millions de tonnes équivalent pétrole (TEP), soit la production d'un gisement comme celui du Koweït. Ce volet nucléaire important, faisant l'objet de controverses, ne doit pas faire oublier que le volet "économies d'énergie et valorisation des autres ressources nationales" a été aussi développé.

La contribution des économies d'énergie réclame une évaluation théorique car il faut comparer ce que l'on consomme aujourd'hui à ce que l'on aurait consommé si l'on n'avait pas renforcé les normes et changé les habitudes. Plus on s'éloigne de la période de référence, plus ce genre de calcul est délicat. Avec les diverses évaluations faites tant par l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) que par nous-mêmes, on arrive à des chiffrages de l'ordre de 40 à 50 millions de tonnes équivalent pétrole. Au total, cette politique a donc apporté au total l'équivalent de la moitié de la contribution du programme nucléaire.

Sans qu'il faille non plus se polariser sur ce chiffre, nous avons en termes de taux d'indépendance énergétique, c'est-à-dire le ratio entre notre production nationale toutes formes d'énergie confondues et notre consommation totale, une valeur proche de 50 %. Par différence, nous importons 50 % de l'énergie que nous consommons. Ce chiffre est tributaire des conventions retenues pour convertir les différentes énergies entre elles et n'a pas de valeur intrinsèque. Il traduit une tendance qui a été de passer de 23 % en 1973 à 50 % aujourd'hui. Ce chiffre n'a pas de valeur magique. Ce qui est fort préoccupant, c'est que dans certains domaines, - je pense au secteur des transports -nous restons tributaires à 90 % des produits pétroliers qui eux-mêmes sont importés à 98 %. Le chiffre agrégé de la dépendance ou de l'indépendance énergétique a sa valeur, sa signification, mais il ne saurait résumer à lui seul ni la politique énergétique ni son contenu.

Vingt-cinq ans après la réaction à ce qui a été un véritable choc à la fois pour l'économie française et pour l'économie énergétique, quel peut-être le bilan ? Le contexte est-il le même ? Jusqu'à il y a un an, on pouvait entendre dire que la sécurité de l'approvisionnement est un concept dépassé, que nous sommes maintenant dans un marché ouvert, que l'on peut trouver de l'énergie partout, plus ou moins chère.

Les événements de l'année dernière nous incitent à plus de modestie. Nous nous apercevons que le pétrole continue à être utilisé par certains pays -qui ne s'en cachent pas et qui sont organisés explicitement en cartel - comme un instrument de pression, économique d'abord, mais aussi indirectement politique. La situation n'est pas un contexte calme dans lequel, comme le voudraient les économistes anglo-saxons, les lois du marché s'exercent parfaitement librement. Je ne sais pas s'il y a une main invisible, mais elle a bien besoin d'une canne blanche.

Le marché du gaz qui pourrait paraître plus rassurant à certains égards, n'a pas de cartel, bien que j'ai entendu, il y a peu, un grand dirigeant russe indiquer qu'il verrait d'un bon _il la constitution d'un tel cartel. Etait-il sérieux ? Je ne suis pas suffisamment averti sur le sujet. Il est certain que les approvisionnements de l'Europe et de la France en particulier restent tributaires d'un petit nombre de sources qui sont la Russie, l'Afrique du Nord et la Mer du Nord qui est une ressource en partie locale avec un producteur comme la Norvège qui n'est pas dans l'Union européenne, même s'il en est très proche géographiquement et politiquement. Pour les approvisionnements gaziers surtout depuis que cette énergie, compte tenu de ses caractéristiques, apparaît séduisante, notamment en termes de rejet de CO2, les risques de tension, sans être majeurs, ne sont pas à ignorer.

La leçon que nous tirons des événements de 2000 est que nous aurions tort de considérer que toute menace sur les approvisionnements énergétiques a disparu. C'est le sens du Livre vert sur la sécurité d'approvisionnement, un excellent rapport de la commission européenne qui montre que l'Europe dans son tout, risque de voir sa dépendance énergétique s'accroître dans les 10 à 20 ans qui viennent.

Les risques doivent s'apprécier, non seulement en termes de risques géopolitiques, mais de risques financiers, même dans une situation géopolitique calme. Les yo-yo des prix du pétrole se sont situés l'an dernier dans une toile de fond politique au Moyen-Orient qui est toujours agitée, mais sans événement majeur. On voit des phénomènes spéculatifs qui sont liés à l'amplification que les marchés peuvent provoquer. Nous avons donc des risques géopolitiques, des risques financiers.

Nous avons aussi des risques psychologiques. S'agissant de l'énergie nucléaire, nous savons bien que la sensibilité de l'opinion publique est telle qu'un incident ou accident qui surviendrait sur une centrale en dehors de l'Europe aurait certainement des répercussions sur la perception que nos concitoyens peuvent avoir de cette énergie et pourrait conduire les gouvernements à prendre des décisions qui pourraient limiter le recours à cette forme d'énergie. Il y a donc aussi un risque psychologique sur certaines de nos filières d'énergie. Nous vivons dangereusement et nous devons prévoir des mesures pour pouvoir y faire face.

Le contexte a évolué. Par rapport à la politique développée il y a 25 ans, nous sommes dans un monde beaucoup plus ouvert et marqué par des tendances à l'ouverture des marchés. Ce sont deux choses un peu différentes. L'ouverture, la mondialisation, signifie que nous avons de moins en moins d'opérateurs nationaux. Nous avions un modèle dominant il y a 25 ans qui reposait sur des entreprises souvent publiques, en situation de monopole sur une forme d'énergie donnée et dans le périmètre d'un État donné. EDF-GDF en France, ENEL en Italie, British Gas en Grande-Bretagne. Certains pays avaient des modes d'organisation différents comme l'Allemagne où dès le départ, il y avait un grand nombre d'opérateurs. Mais le modèle dominant était celui que j'ai décrit.

Il n'y a plus de modèle dominant aujourd'hui. Il y a des modèles variés, mais on pourrait dire a contrario que le schéma de l'entreprise publique dotée de monopole, présente uniquement sur son territoire, est une image quasiment disparue. Nous avons au contraire des entreprises, c'est le cas d'EDF, beaucoup plus tournées vers l'international, qui sont pour certaines avec des capitaux privés ou capitaux publics et capitaux privés et qui se trouvent en situation de concurrence, c'est-à-dire ayant perdu pour la plupart d'entre elles, les monopoles et les droits exclusifs dont elles disposaient. Cela aboutit non pas à la disparition des préoccupations des marchés domestiques, mais à une conception nouvelle de ce rôle des entreprises attachant évidemment beaucoup d'importance à leur base historique - c'est la meilleure façon dans tous les secteurs industriels de préserver son activité -, mais ayant maintenant un regard très largement tourné vers d'autres marchés.

Le deuxième aspect que j'ai déjà évoqué, mais qui a poursuivi son propre cheminement, est celui de l'ouverture des marchés qui s'inscrit non seulement dans le cadre de directives européennes, mais dans un mouvement beaucoup plus large. Il cherche, au moyen de la recherche d'une plus grande concurrence à apporter au consommateur des prestations à moindre prix et à qualité maintenue. L'objet n'est pas aujourd'hui de traiter ce point-là, mais il faut savoir que cela a des conséquences sur la mise en _uvre de la politique énergétique car ce schéma qui était bien commode - électricité en France égale EDF - est en voie d'évolution. Cela a obligé les différents pays dont le nôtre, - c'est le cas dans la loi que vous avez adoptée le 10 février 2000 - à une nouvelle définition de ce qu'est le service public, les conditions de l'exercer dans lequel il apparaît que certes, l'opérateur dominant historique a des responsabilités, mais qu'il doit les assumer de manière partagée avec les autres opérateurs. Les autres opérateurs doivent aussi prendre leurs charges, si charges il y a, dans l'accomplissement du service public.

Par ailleurs, ce mouvement de mondialisation et d'ouverture des marchés amène aussi des recompositions du paysage. Il y a de plus en plus de partenariats, des participations financières dans les secteurs qui sont ouverts. Il y a aussi des restructurations. L'an dernier, des décisions importantes ont été prises concernant le secteur nucléaire. Partout en Europe, il y a de grandes manoeuvres de rapprochement entre des opérateurs énergétiques, spécialement dans le secteur électrique, les opérateurs français n'étant pas extérieurs à ce grand mouvement.

EDF a pris des positions importantes, d'abord dans la distribution, et maintenant dans la production en Grande-Bretagne ; elle est, je pense, sur le point de conclure avec l'accord de la commission européenne un rapprochement avec une grande société régionale allemande EnBW. Gaz de France a mené une politique similaire de manière plus discrète. Pour l'anecdote, l'électricité est distribuée à Londres ainsi qu'à Berlin par la filiale d'une entreprise française. Cela montre le dynamisme des entreprises françaises. Cela montre aussi que le statut d'entreprise publique n'a pas été un handicap définitif, mais cela ne préjuge pas non plus des nouveaux enjeux qui obligeront peut-être, et à commencer par Gaz de France, à réfléchir sur la meilleure structure d'entreprise permettant d'affronter une concurrence qui, elle, se trouve, pour des raisons historiques, beaucoup plus présente sur l'ensemble des maillons du secteur. J'entends par là l'amont, la production, le transport, la distribution. Alors que pour des raisons historiques et liées aussi à l'absence de ressources importantes au-delà du gisement de Lacq, Gaz de France est aujourd'hui un opérateur essentiellement centré sur les maillons en aval, transport inclus.

Pardon de vous avoir infligé un retour sur des sujets que vous connaissiez et qui vous paraissent peut-être connexes, mais je voulais rappeler le cadre dans lequel s'inscrivait la réflexion du schéma, c'est-à-dire en tenant compte de la politique nationale de l'énergie.

Quant au schéma de services collectifs, on peut dire qu'il s'intègre à la politique nationale, même s'il n'a pas à en traiter directement. Que reste-t-il ? Il reste l'essentiel, c'est-à-dire que les acteurs, et notamment les acteurs locaux, peuvent l'utiliser comme levier pour compléter cette politique qui, comme vous l'avez vu, se situe dans un cadre national, mais aussi européen voire international pour beaucoup d'entre elles.

Une préoccupation que je n'ai fait qu'effleurer, mais sur laquelle je veux insister et qui n'a fait que croître et embellir au cours des dernières années : la préoccupation de l'évolution de notre climat et de l'environnement global. Je ne vous rappelle pas non plus dans les détails les engagements de Kyoto ni les péripéties de ces négociations internationales, particulièrement difficiles. Il faut savoir que, dans le cadre d'un engagement de l'Union européenne de diminuer les gaz à effet de serre de 8 %, la France, en tenant compte de sa situation de départ, s'est vu assigner un objectif de stabilisation à l'horizon de 2008 - 2012 des émissions au niveau de 1990. Cela représente un chiffre de 144 millions de tonnes équivalent carbone. Parmi les gaz à effet de serre, il y a non seulement le gaz carbonique, et le méthane, mais encore les composés fluoro-organiques.

L'objectif est-il simple à atteindre ? Non ! Pourquoi ? Et pourquoi particulièrement en France, alors que d'autres pays affichent un optimisme de bon aloi ? Pourquoi sommes-nous pessimistes en France ?

De notre point de vue, nous avons fait une grande partie du chemin. Si nous regardons les chiffres en valeur absolue et non plus en valeur relative, en consommation par tête d'habitant, nous sommes de loin parmi les moins consommateurs de l'Union. Notre consommation par tête d'habitant est la moitié de celle de nos voisins allemands. Je ne sais pas si nous sommes intrinsèquement plus vertueux que nos voisins allemands, mais les choix que nous avons pu faire, notamment le choix nucléaire, ont des conséquences positives. Je ne dis pas, personne ne peut le dire, que l'on a fait en 1975 le choix du programme nucléaire pour éviter les émissions de CO2. A l'époque, ce n'était pas une préoccupation majeure. Mais on aurait tort aussi de bouder sinon notre plaisir, du moins la satisfaction que nous pouvons avoir aujourd'hui compte tenu de l'option choisie, d'avoir un chiffre parmi les plus bas.

Je ne rentre pas dans le débat de savoir si l'on a payé un bon prix ou pas et si en contrepartie, on a levé d'autres problèmes comme celui du traitement des déchets. Pour autant que les émissions de C02 soient concernées, il faut reconnaître que la filière nucléaire n'y contribue pas, pas davantage que l'hydraulique qui était un choix historique fait en France dans les années 50 et 60. Il se trouve que ces choix de politique énergétique qui ont été pris pour d'autres motivations que la lutte contre l'effet de serre ont néanmoins des retombées positives sur notre situation. Mais cela veut dire aussi que nous avons mangé notre pain blanc. Personne ne songe raisonnablement à relancer une politique de grands barrages en France parce que l'on manquerait sans doute de sites et que les conditions d'acceptation qui ont déjà été difficiles - souvenez-vous des difficultés du barrage de Tignes dans les années 50 -60 - serait multipliées au carré. On serait obligé de noyer quelques grands sites. Il y avait des projets pharaoniques de bouclage de la baie du Mont Saint-Michel. Personne aujourd'hui n'y songerait.

Un certain nombre d'installations de micro-centrales hydrauliques sont encore concevables, en respectant le régime des eaux et en tenant compte des conflits d'intérêts qu'il peut y avoir entre les différents usages de l'eau. Mais on n'a aucune grande perspective.

Sur le nucléaire, nous sommes aussi dans un état proche de la saturation du parc. Aujourd'hui, pratiquement 75 % de l'électricité sont produits par le nucléaire. Nous sommes premiers exportateurs d'Europe occidentale et même dans le monde ; le principal concurrent est le Canada vers les États-Unis. Nous sommes dans les mêmes eaux, soit 70 milliards de kilowatt/heure exportés, 12 % de la production nationale. Construire des centrales nucléaires pour lutter contre l'effet de serre n'aurait pas de sens immédiat puisque nous avons déjà un parc de production électrique qui, avec le nucléaire et l'hydraulique, est parmi les plus importants s'agissant du ratio tonnes de carbones émises par kilowattheure produit. Les seuls pays qui fassent mieux sont les pays comme la Norvège qui ont un parc cent pour cent hydraulique. C'est imbattable. Nous sommes dans le peloton de tête de ce point de vue.

L'état même de saturation du parc fait qu'à court et moyen terme -dans les dix ans qui viennent - l'objectif est plutôt de préserver cette situation que de l'améliorer. Par ailleurs, nous avons déjà très largement depuis les années 1975 et plus tôt que d'autres pays, opéré une conversion de notre industrie consistant à un certain désengagement du charbon et des produits pétroliers au profit du gaz. Il reste quelques marges de man_uvres mais moins qu'en Allemagne qui a gardé notamment dans les Länder de l'est, une prédilection pour une énergie locale mais très polluante et émissive en CO2 qui est la lignite ou le charbon dans la Ruhr. Les Allemands engagent dans la Ruhr, avec une dizaine d'années de retard, le programme que nous avons engagé en France sur la fermeture des mines, ce qui soulève des difficultés économiques et sociales importantes.

Pour résumer, et c'est en cela que je voulais illustrer le fait que nous avons mangé notre pain blanc, nous n'avons pas - comme l'Allemagne ou l'Angleterre qui a gardé aussi une structure de bilan énergétique tournée vers les énergies fossiles - le gisement que constitue pour ces pays la possibilité de convertir un certain nombre de leurs grands secteurs consommateurs, essentiellement l'industrie, d'énergies fossiles fortement émissives de CO2 vers des énergies fossiles qui le sont moins comme le gaz.

Que nous reste-t-il ? Il nous reste deux voies : la voie des économies d'énergie, c'est-à-dire améliorer encore l'efficacité de notre consommation, et la voie de la valorisation d'autres formes d'énergies non émissives de CO2, ce qu'il est convenu d'appeler les énergies renouvelables.

Sur les économies d'énergie, le gisement reste encore très important. Nous avons été parmi les premiers pays à prendre sous forme de normes et de réglementations des dispositions sur la construction des logements neufs. Ces normes sont à peu près respectées ; elles ont changé un peu les pratiques des constructeurs. Nous avons encore des étapes à franchir avant de transformer nos appartements en bouteilles thermos. Une nouvelle étape est en cours puisque le ministère a édité de nouvelles normes. Bien entendu, les effets seront progressifs car ils se font au fur et à mesure des constructions neuves. Dans l'habitat existant, il est difficile de normaliser les choses a priori ; les décisions sont plus individuelles et elles doivent le rester en grande partie. Pas question de soumettre les propriétaires ou les locataires qui feraient des travaux à des contrôles draconiens. Il faut trouver le bon équilibre entre une réglementation suffisamment incitative pour être suivie d'effet et quelque chose qui deviendrait un contrôle policier trop tâtillon de tous travaux à l'intérieur des logements.

Les mesures sont classiques. Elles consistent à adopter des dispositions fiscales qui sont un attrait pour les décideurs et à renforcer l'information, ce qui passe forcément par des relais déconcentrés. Comme vous le savez, c'est une des composantes fortes du plan national d'amélioration de l'efficacité énergétique présenté au nom du gouvernement par Mme Dominique Voynet à la fin de l'année dernière. Cet effort est utile parce qu'il reste un potentiel important. En poursuivant une image qui peut être excessive, toute l'énergie de chauffage que nous utilisons, est finalement une énergie qui se trouve à l'extérieur. Nous ne faisons que compenser des pertes. En poursuivant les choses jusqu'au paradoxe, on pourrait dire que l'idéal serait, dans des logements convenablement isolés, d'évacuer la chaleur qui résulterait du fonctionnement des appareils, de la vie humaine ou animale. Nous n'en sommes pas là et je ne pense pas qu'il faille y arriver. Mais le gisement d'économie d'énergie sur le chauffage est égal à la consommation de chauffage. Est-il accessible à des conditions économiques et dans quels délais ? C'est une question importante qui ne peut pas être réglée instantanément.

Si l'on regarde certains process industriels, l'industrie est grosse consommatrice pour la satisfaction de nos besoins. Les industriels ne consomment pas de l'énergie pour le plaisir, mais pour produire des biens et des services qu'ils ont intérêt à vendre au meilleur coût. Ils ont donc intérêt à optimiser cela. Dans certains cas, je pense à des process industriels de base, les industriels utilisent au vu de l'état de l'art et de l'état des connaissances techniques et physiques des processus physiques. Depuis Carnot au 19e siècle, on sait que transformer de l'énergie thermique en énergie mécanique se fait avec un rendement maximal, le fameux rendement de Carnot, qui est lié aux différences de températures entre les source chaudes et les sources froides. Dans des conditions normales de fonctionnement - c'est le cas des moteurs -, ce rendement est en général limité à 20 ou 30 %. Il ne servirait à rien de décréter que les rendements des moteurs doivent être égaux à cent pour cent parce que les limites de la loi physique font que dans des conditions normales, cela ne peut pas dépasser 30 %. En ceci, je veux simplement appeler votre attention sur le fait que les gisements d'économie d'énergie sont finalement très différents selon les secteurs. Il ne faut pas uniquement raisonner sur les valeurs absolues et dire que tel secteur consommant tant de millions de TEP et tel autre tant de millions de TEP, les efforts doivent être proportionnels. Il y a des secteurs où pour des raisons physiques, le potentiel est très différent. De mon point de vue, le potentiel d'économie d'énergie dans le secteur de l'habitat est très important et très significatif. Pour des raisons que vous connaissez tout aussi bien que moi, il a été moins exploité -parce que c'est plus difficile - que dans le secteur industriel.

Pour le secteur des transports, je disais tout à l'heure qu'il y a des limites au rendement de Carnot. C'est vrai, mais il n'y a pas nécessairement de limites à la mauvaise organisation. Si nous consommons beaucoup d'énergie sur les transports, cela résulte de choix qui peuvent être aménagés autrement.

Vous me pardonnerez d'évoquer quelques poncifs, mais en matière de transports, un certain nombre de choix qui aboutissent à privilégier les transports routiers ont aussi des conséquences négatives sur la consommation d'énergie, sans compter les inconvénients qu'ils peuvent avoir sur d'autres secteurs, comme la sécurité des biens et des personnes. Il ne suffit pas de se lamenter en disant que la tonne kilomètre routière consomme plus d'énergie que la tonne kilomètre rail et que c'est tout à fait inadmissible. C'est vrai, mais le mode d'organisation des secteurs routiers a sans doute été plus attractif et a amené des décideurs individuels ou collectifs à se porter plutôt sur la route que sur le rail ou la voie fluviale. En effet, la route rendait des services que le rail ou la voie fluviale ne pouvaient pas rendre.

La solution n'est pas uniquement de culpabiliser ceux qui utilisent la route, que ce soit vous et moi quand nous prenons notre voiture ou des industriels quand ils prennent un affréteur routier. Cela consiste à être en état d'offrir des solutions permettant d'obtenir des qualités de services analogues ou proches et accessibles à des conditions économiques voulues. C'est aussi un des objectifs du plan national d'amélioration de l'efficacité énergétique en ce qui concerne le fret ferroviaire qui est sans doute le domaine où l'on peut s'approcher le plus facilement de prestations assez comparables à terme entre le rail et la route.

Ce volet maîtrise de l'énergie dont on parle et sur lequel on fait des choses depuis plus de vingt-cinq ans reste ouvert. Il y a encore des choses importantes à réaliser en termes physiques. La difficulté - je l'aborderai aussi à propos des énergies renouvelables - est bien entendu que ceci passe souvent par un ensemble de décisions individuelles, ce qui suppose préalablement un effort d'information, de sensibilisation, la mise en place des outils de toute nature, y compris financiers permettant aux opérateurs de faire leurs choix et de réaliser ces investissements en ayant le sentiment ni de réduire la qualité des prestations ni de mettre en péril par rapport à des concurrents qui, eux, ne feraient pas les mêmes choix, les conditions d'exercice de leur activité.

Un mot sur les énergies renouvelables, vocable que je préfère à celui d'énergies nouvelles. Les énergies renouvelables sont sans doute celles que l'homme maîtrise depuis le plus longtemps, que ce soit le bois, l'eau des rivières ou le vent. Le terme "énergies renouvelables" me paraît mieux approprié et a pour vertu de donner une définition physique. Cela évite des débats que j'ai trouvé très byzantins à certaines époques à Bruxelles. Pour l'hydraulique, il y avait le petit hydraulique qui était considéré comme une énergie nouvelle renouvelable alors que le grand hydraulique ne l'était pas. Il est vrai que cela n'a pas les mêmes incidences, mais il est préférable d'avoir une définition physique, quitte à être conscient des conséquences, y compris environnementales, ce qui peut être le cas d'un grand hydraulique qui n'a pas les mêmes conséquences que le petit hydraulique. Cette définition physique est préférable à des définitions qui mélangent des aspects de différentes natures.

Si l'on raisonne en matière d'énergie renouvelable, j'ai dit tout à l'heure sur l'hydraulique qu'il fallait plutôt penser aux petits aménagements si l'on voulait développer ce gisement. C'est l'intention partagée entre le ministère de l'environnement et nous-mêmes. La difficulté est que, pendant de longues années, l'hydraulique a été marquée négativement sur le thème : cela modifie le régime des eaux, cela perturbe la vie dans les rivières (problème des poissons migrateurs qui, compte tenu des barrages, ne pouvaient plus remonter). Certains schémas ont été mis en place : des ascenseurs, des escaliers à poissons, des passes à poissons. Dans certains cas, on arrive peut-être à des solutions qui sont très limites en termes de rentabilité économique. Cela fait très cher le kilo de saumon, mais cela relève d'un choix de société.

Il y a d'autres usages de l'eau. Certains sont plutôt cohérents avec l'aménagement. Je pense à l'aménagement de parcours de canoë-kayak qui peuvent être compatibles avec des petits aménagement hydroélectriques dès lors que l'on peut faire cela dans le lit majeur de la rivière. Il y a parfois des aménagements conjoints, avec des buts hydroélectriques agricoles ou navigables. Mais en matière de navigation, l'essentiel a été fait sur l'aménagement du Rhin et du Rhône. Je crois qu'il reste un potentiel sur les microcentrales que l'on chiffre parfois à mille mégawatts, c'est-à-dire un peu moins qu'une centrale nucléaire. Cela se ferait sans doute par un grand nombre de petites installations, la taille unitaire étant plutôt comprise entre un mégawatt et cinq mégawatts. Cela veut dire plusieurs centaines de petits ouvrages qui, pour chacun d'entre eux, nécessiteront des concertations avec tous ceux qui peuvent s'intéresser à la rivière. Ce sera peut-être long et difficile, mais ceci serait justifié ne serait-ce que pour faire percevoir aux différents utilisateurs de l'eau qu'ils ne sont pas les seuls.

Je n'ai aucun intérêt dans aucun secteur particulier, mais il est bon que les pêcheurs, les agriculteurs, les énergéticiens, les défenseurs du paysage soient aussi conscients qu'ils ont chacun leur regard à l'égard du même objet et qu'il faut faire des choix et faire en sorte que les différents intérêts soient légitimement pris en compte. Il ne serait pas légitime d'exclure ou de privilégier certaines solutions nouvelles. C'est une équation complexe. Toujours est-il que depuis plusieurs années, le nombre de projets nouveaux est quasiment proche de l'ensemble vide. Si l'on souhaite que les choses évoluent, il faudra sans doute un gros effort collectif de la part de tous ceux qui portent intérêt à l'eau et à ses différents usages

Les deux secteurs sur lesquels les gisements et le potentiel sont le plus important sont la biomasse, mais parlons aussi du bois et de la forêt et de l'énergie éolienne.

Un mot sur les autres sources d'énergie. La géothermie que, par définition, on ne peut utiliser que là où l'on a la ressource. Il faut avoir à la fois la ressource et la consommation. L'eau chaude ne se transporte pas sur de très grandes distances. Les endroits où cette conjonction se trouve sont le Bassin parisien car c'est une structure sédimentaire bien régulière, à un moindre degré le Bassin aquitain qui est plus fracturé et la plaine d'Alsace avec des températures plus élevées. Pour des raisons géologiques, seul le bassin parisien est exploité depuis un certain nombre d'années, et l'on y compte à peu près une vingtaine d'exploitations en géothermie. On est à peu près à la saturation là aussi, sachant que pour des raisons physiques, l'eau qui est exploitée dans la nappe du Dogger en région parisienne étant très acide, il a fallu prendre beaucoup de précautions en matière de matériel. Nous avons des échangeurs au titane, ce qui est très coûteux pour une installation assez "grand public".

Les conditions générales des prix de l'énergie ont été défavorables à la géothermie. Il y a donc plutôt une connotation négative sur la géothermie, sans doute excessive, mais il sera difficile d'engager dans les prochaines années de nouveaux maîtres d'ouvrage sur ce projet, à moins que nous soyons dans un contexte de prix très élevés de l'énergie de manière durable. Le potentiel de la géothermie est donc assez réduit en France. On a des espérances avec la géothermie très haute température, c'est-à-dire dans laquelle on a directement de la vapeur qui permet de faire de l'électricité. C'est le cas à Bouillante dans les Antilles. Un projet similaire pourrait voir le jour en Alsace, dans une phase pilote, l'année prochaine. Mais on est encore loin d'une industrialisation et d'un développement important.

Le solaire a deux composantes différentes : le solaire thermique et le solaire photovoltaïque. Le solaire thermique est une application tout à fait adaptée aux régions climatiques les plus favorables. Je pense aux départements d'outremer. Plusieurs programmes de chauffe-eau solaires ont été lancés avec l'appui d'EDF qui voyait le moyen de réduire le déficit dans les départements d'outremer qui est lié à la péréquation. Dans ces départements, l'électricité est vendue très sensiblement en dessous de son coût de revient compte tenu de l'obligation légale. Pour EDF, soutenir des opérations de chauffe-eau solaires est rentable parce que cela permet de limiter des consommations d'électricité qui engendreraient des déficits d'exploitation supplémentaires.

En métropole, les domaines d'application sont plus limités, mais ils existent. Le potentiel me paraît assez lié à la fois aux zones géographiques sud et aux consommations d'eau chaude sanitaire en milieux résidentiel ou tertiaire comme les hôpitaux même s'il faut avoir des moyens de secours dans ce cas.

Le solaire photovoltaïque est une technique qui a encore besoin de progresser sensiblement puisque que, de l'observation des coûts que nous faisons en France et à l'étranger, on est encore dans des zones de production qui aboutissent à un kilowattheure à 3 francs. Il y a un facteur 10 entre le photovoltaïque et l'éolien. Ce qui signifie que le photovoltaïque a plutôt un domaine d'application privilégié qui sont les installations isolées, non raccordées ou non raccordables au réseau. Il faut alors comparer non seulement les coûts de production, mais aussi les coûts de transport et de distribution. Cela peut être justifié. Pour ma part, je pense que le photovoltaïque raccordé au réseau est une opération concevable qui relève beaucoup plus d'une volonté d'affichage que d'une réelle contribution énergétique. Il est exact qu'il faut néanmoins faire en sorte que les progrès constatés ces dernières années sur l'abaissement des coûts se poursuivent, sachant que la route est encore longue.

Il reste les deux secteurs que j'ai cités tout à l'heure.

L'utilisation de la biomasse : nous avons en France la chance d'avoir la première forêt européenne. Je ne suis pas un spécialiste de la sylviculture, mais il semble que nous n'ayons pas la réputation d'être les premiers ou les meilleurs exploitants de cette ressource globalement puisqu'elle est souvent exploitée par des entreprises qui résident chez nos voisins. Nous pensons que la filière bois, notamment la valorisation des déchets de bois, pourrait être intensifiée sensiblement. La difficulté n'est pas tellement de détenir la ressource, mais de la concentrer, d'assurer la distribution. Les installations nécessitent une surveillance plus importante que des installations qui peuvent être automatisées avec les combustibles fossiles. Mais il y a un potentiel important. Là encore, c'est un héritage.

Il faut savoir qu'après l'hydraulique, l'utilisation de bois est la deuxième énergie nationale, très loin devant le charbon, le gaz, etc. On considère avec des difficultés de comptabilisation que nous consommons en France 7 millions de TEP de bois. Quelquefois, cela se fait dans des conditions très anciennes à la campagne ; dans les régions de l'Est, la pratique de l'affouage reste très vivace. Dans d'autres cas, cela relève d'installations plus modernes et industrielles dans des chaufferies collectives. Nous pensons qu'il y a là un gisement très important à la fois pour le chauffage et peut-être aussi pour la production d'électricité en liaison avec des besoins locaux ou des activités industrielles.

L'éolien : en France, nous avons un gisement important grâce à nos côtes ventées. Pas seulement la façade atlantique, mais aussi dans la région de l'Aude au bord du Golfe du Lion. Nous avons le potentiel, les sites. Par ailleurs, nous disposons aussi d'investisseurs, les grands opérateurs sont prêts à s'y intéresser et ils l'ont déjà fait, ou des initiatives d'opérateurs de plus petite taille qui sont prêts à s'y intéresser et qui l'ont déjà manifesté dans le cadre des appels d'offres lancés dans le cadre du plan Eole 2005. Le point d'actualité récente est que nous avons procédé longtemps par des formules d'appels d'offres. Nous persistons à dire que cela a été utile car cela permet de bien identifier les facteurs de coût. C'est à ce titre-là que nous avons pu identifier que dans des conditions de vente normales, on pouvait viser des prix de revient compris entre 30 et 40 centimes le kilowattheure, à comparer aux 3 francs pour le photovoltaïque et au 20 centimes des coûts de production des turbines à gaz modernes ou d'installations nucléaires.

30 à 40 centimes est un prix certes plus élevé qu'avec les moyens dont on pourrait disposer par ailleurs, mais si on cherche à internaliser les avantages environnementaux, ce prix est sans doute dans des limites économiques très satisfaisantes. Le gouvernement a souhaité aménager le dispositif puisque les appels d'offres, tout en étant fructueux, avaient abouti en France à ce que, en décisions, on en soit à 400 mégawatts, alors qu'en parc installé, on en est à 50 mégawatts.

Les pays voisins ont commencé plus tôt et avaient exclu d'autres options. Aux Pays-Bas, en Allemagne et en Espagne, les puissances aujourd'hui mises en service sont beaucoup plus importantes. En Allemagne, l'année 2001 se terminera avec un parc installé de 5000 mégawatts. En Espagne, le parc devrait approcher les 3000 mégawatts. En première analyse, nous avons donc un retard considérable. Il faut savoir que les Allemands ont commencé beaucoup plus tôt parce qu'ils avaient exclu d'autres options de filières énergétiques. Ils ont procédé avec une autre approche - celle à laquelle nous nous rallions - qui consiste à avoir des prix affichés et non plus des appels d'offres, volontairement bonifiés de façon à permettre aux investisseurs de pouvoir faire ex ante leurs calculs, et non pas de pétitionner avec la chance d'être retenu ou non et en essayant de tirer le plus bas possible.

Cela dit, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous n'avons pas à rougir de notre système d'appels d'offres car il nous a permis d'identifier les coûts. Avec une expérience de 3 ans, il nous a permis de montrer qu'au fil du temps, les coûts ont baissé, mais manifestement, il ne permet pas d'arriver à un effet de taille ou de masse contrairement à ce que nos voisins allemands ou espagnols ont réussi.

Quel est le potentiel français ? M. Yves Cochet a fait un rapport qui proposait 10 000 mégawatts d'éoliennes à l'horizon 2010. L'ambition gouvernementale était un peu plus modeste puisque dans le plan du lutte contre l'effet de serre, le chiffre de 3000 mégawatts avait été annoncé. M. Christian Pierret à la fin de l'année dernière, en même temps qu'il présentait le nouveau projet de barème des tarifs d'achat a évoqué un chiffre de 5000 mégawatts. Toujours au même horizon. Tout cela nous paraît possible au plan industriel. Tant l'industrie française que l'industrie européenne ont la capacité de répondre à cela.

La principale difficulté viendra du choix des sites et des procédures. Là encore, on rencontrera, pour l'éolienne, comme je l'évoquais à propos des microcentrales hydrauliques, des conflits d'intérêts entre des gens désireux de préserver un site, un certain environnement et ceux qui voudront l'exploiter pour des raisons énergétiques. On attend beaucoup de l'off-shore, mais il faut attendre quelques retours d'expériences. Les éoliennes sont construites à quelque distance du rivage, ce qui diminue fortement la présence visuelle. Cela peut poser d'autres problèmes si elles sont placées dans des zones trop fréquentées par la navigation. Cela pose aussi le problème des pêcheurs, de l'évacuation de l'énergie. Mais c'est quelque chose qui est étudié très sérieusement et qui peut permettre de résoudre en partie ce problème de choix des sites.

D'autre part, souvent les sites les plus ventés sont aussi en bord de mer, dans les zones touristiques. Le fait que nos voisins allemands soient assez proches en fin de cette année de 5000 mégawatts avec une conscience environnementale assez forte - on ne peut pas faire le grief à nos voisins allemands de ne pas se soucier de l'environnement - montre que c'est faisable, socialement et environnementalement. Il faut être conscient que ce sera difficile en France où la défense locale du paysage est assez fortement enracinée dans les esprits et traditions françaises.

En ce qui le concerne, le Gouvernement, pour les aspects économiques, va mettre en place un dispositif tarifaire proche du système allemand. Il consiste en un affichage de prix relativement élevés pour les cinq premières années, puis dégressifs, ce qui devrait permettre aux opérateurs d'avoir une grande lisibilité dans leurs revenus. Nous réfléchissons avec nos collègues du ministère de l'environnement à ce que les procédures d'enquête publique, tout en étant respectées, ne relèvent pas de la course d'obstacles qui empêche la moitié des concurrents d'aller jusqu'au bout.

Dans ce cadre, les schémas de services collectifs jouent un rôle très important. Pédagogiquement, cela peut être la bonne enceinte et la bonne occasion pour permettre aux uns et aux autres de prendre conscience des conflits d'intérêts qui peuvent exister sur l'utilisation des ressources. Deuxièmement, les collectivités locales peuvent - je ne sais pas s'il faut avoir un exercice de planification de plan d'occupation des sols - orienter les choix et affecter certaines zones à certaines destinations ou tout au moins, ne pas en exclure la possibilité. Par leur position à la charnière entre les acteurs économiques et les citoyens, elles ont un rôle majeur d'intermédiation.

Il est possible que certains mécanismes de soutien soient nécessaires. Il est indispensable que des formes d'information soient renforcées. Ce que nous attendons de ce processus itératif -il y a eu des propositions des régions, on a renvoyé le document que vous avez reçu aux régions - est de permettre la mise en place de mécanismes concrets.

Nous pensons que dans le cadre des schémas de services collectifs pourront être évoquées des questions qui parfois soulèvent des difficultés majeures par la perception que nos concitoyens ont de la nuisance locale sans percevoir l'intérêt général. En tant qu'élus, vous le savez mieux que moi. Quand on construit une ligne électrique, un réseau de gazoduc, un dépôt souterrain ou aérien, il est rare que cela ne se traduise pas par un impact sur le voisinage immédiat. La réaction de nos concitoyens face à ce genre de projet est une réaction de rejet par la perception directe immédiate des nuisances attachées et par une difficulté à appréhender les retombées individuelles ou collectives. Je ne découvre pas un sujet que vous connaissez mieux que moi.

Nous pensons que le schéma de services collectifs peut être un instrument utile pour essayer d'aller dans ce sens. Pour autant, cela ne doit pas être de nature à permettre aux opérateurs industriels d'invoquer le schéma collectif pour faire n'importe quoi. Le schéma de services collectifs en lui-même n'impliquera aucune conséquence obligatoire. Le fait que l'on ait dit que telle zone est une zone où l'on peut installer des éoliennes ne signifie pas qu'il n'y aura pas de procédure de permis de construire. Toutes les procédures de droit commun seront assurées. Le fait que cela puisse être évoqué dans les schéma de services collectifs et les schémas régionaux qui doivent être articulés avec le schéma national peut avoir un effet positif pour montrer que si l'on n'exploite pas à cet endroit cette ressource, on s'en prive collectivement. On peut peut-être faire ce choix, mais cela aura des conséquences.

M. le Président :Merci beaucoup pour cet exposé très complet. Vous avez resitué ce schéma de services collectifs dans la problématique de la politique énergétique nationale. Vous avez bien montré l'évolution de celle-ci, notamment du fait de la mondialisation, de la déréglementation du secteur énergétique et des contraintes environnementales qui s'imposent à nous en raison des accords internationaux que notre pays a signé à Kyoto, que nous avons évoqués difficilement à Buenos Aires et qui ont été repris plus récemment à La Haye.

Je vous poserai quelques questions et quelques demandes d'éclaircissement. Tout d'abord vous avez dit que le parc nucléaire était très largement suffisant. Nous avons eu un débat ces dernières années pour savoir s'il fallait rentrer dans une phase de remplacement et de modernisation des process nucléaires. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Vous avez évoqué les économies d'énergie. Le fait que nous soyons ici dans un schéma qui décline la loi d'orientation et d'aménagement durable du territoire nous montre qu'il y a des corrélations à mettre en _uvre entre la politique d'aménagement du territoire et la politique énergétique.

Ma troisième demande d'éclaircissement porte sur les problèmes de liaison entre la production, le transport et la consommation d'énergie. On sait qu'il y a une déperdition très forte quand on transporte l'énergie. N'est-il pas intéressant de mettre en évidence la production d'énergie renouvelable dans un cadre régional avec cet impératif d'économie de transport ?

Vous avez évoqué les problèmes d'intégration dans le paysage que posait l'énergie éolienne. Je m'interrogerai sur les problèmes du maintenance du parc d'éoliennes. Pour avoir vu en Californie notamment un parc d'éoliennes qui étaient en grande partie non opérationnelles, avec beaucoup d'engins qui semblaient difficiles à faire fonctionner de manière régulière, je voudrais savoir si c'est là quelque chose qui est maîtrisable, si les nouveaux générateurs tels que ceux que développent ENRON présentés au congrès de l'énergie à Houston il y a deux ans, sont de nature à nous donner des certitudes ou en tout cas à nous laisser penser que l'énergie éolienne peut aussi être techniquement fiable. Voilà quelques points que j'aimerais voir évoqués dans notre entretien.

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Je commencerai en reprenant une de vos expressions et en en interprétant une autre : nous vivons dangereusement. On peut traduire différemment cette dangerosité. Vous avez bien remarqué qu'il y a des comportements que l'on peut considérer comme un peu incohérents parce que le "penser globalement" et "agir localement" se heurtent rapidement à l'intérêt local.

Vous avez sans doute raison de dire que la réflexion globale qui est menée dans le cadre de ce schéma devrait permettre à terme de faire comprendre à certains de nos concitoyens que nous avons intérêt à utiliser les sites les plus propices pour pouvoir compenser des productions que nous souhaitons voir diminuer.

Je salue, monsieur le président, tout l'intérêt de ce schéma, la façon dont vous l'avez proposé, la façon dont il s'insère dans les préoccupations que sont effectivement la réduction des émissions des gaz à effet de serre, à la fois dans le cadre plus local, la planète étant maintenant un gros village, la France au sein de l'Europe étant simplement un point et dans le cadre d'une politique mondiale qu'il nous faut bien appréhender.

Sur la reconnaissance du volet territorial dans la politique énergétique préconisée, nous aurons aussi à vous interroger sur la place réelle que devront y prendre les collectivités territoriales. Je pense en particulier aux régions. De même sur nos engagements vis-à-vis du protocole de Kyoto et sans doute les retards pris par rapport à cette stabilité sur laquelle nous nous étions engagés. Et puis, sur ces fameuses énergies renouvelables et la nécessité de productions locales. Cela rejoindra la question posée par le président entre production, transport, consommation.

J'aurai quelques questions plus précises en balayant rapidement ces 4 ou 5 points-là. Le rapport commence, en affirmant - je veux bien admettre ce postulat - que les économies d'énergies fossiles sont une contribution majeure au maintien d'une croissance forte et durable. Vous estimez la croissance à 2,8 % et la demande énergétique à 1,4 %. Pouvez-vous nous donner quelque explication sur le mode de calcul, l'estimation de ces chiffres ? Comment pourrait-on envisager que la demande énergétique soit plus faible ? Pourrait-on là aussi envisager une stabilité ?

Deuxième interrogation concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et donc le protocole de Kyoto auquel je faisais allusion à l'instant : revenir au niveau de 1990 est notre engagement. Il semblerait que les efforts nécessaires sont bien plus grands que ceux prévus à l'époque. Les "ratés" de La Haye en particulier nous mettent dans une situation plutôt détériorée.

Vous avez déjà répondu à ma seconde question en disant que la France avait mangé son pain blanc. Pourrions-nous tout de même avoir des projections à 20 ans plus ambitieuses que celle du maintien de nos émissions ?

Troisième volet, le gisement des énergies renouvelables et la maîtrise de l'énergie. J'apprécie cette expression et je veux bien la retenir et la reprendre à mon compte : où en sommes-nous des opérations de diagnostic sur les différentes énergies renouvelables que vous venez de détailler ? Qui peut faire ces diagnostics de façon très précise ? Comment ? Quand ? Les perspectives sont-elles aussi optimistes dans ce domaine que d'aucuns veulent bien le dire ?

Comme la filière bois, pour ne citer que celle-ci. Il est vrai que la forêt française est très importante, mais d'une exploitation très difficile parce que très morcelée. Je prendrai un exemple qui date un peu. Pour agrandir un terrain militaire dans ma circonscription, il a fallu adresser 3 à 4000 lettres à des propriétaires qui ont eu le grand plaisir de découvrir qu'ils étaient propriétaires de quelques mètres carrés de bois.

Vous faites allusion aussi - cela rentre dans les économies d'énergie - à l'innovation dans les équipements ménagers. C'est un domaine que vous n'avez pas abordé, mais qui présente quelques potentialités. Quels sont les soutiens aux entreprises ou les aides spécifiques qui pourraient être faites ?

Le secteur transports : j'entends non pas le transport d'énergie, mais le schéma transports. La partie dans le schéma énergie est plutôt mince. J'ai noté la modestie des propositions. Je veux bien croire qu'il y a sans doute une volonté, des négociations, des arbitrages qui ont été faits. Vous savez que le transfert de la route sur le rail devient à terme une obligation forte. Je crois savoir que les quatre ou cinq propositions dans le schéma des transports ne sont pas tout à fait en phase avec ce qui nous permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Je voudrais avoir votre sentiment sur ce sujet et savoir si l'on a véritablement une cohérence entre les propositions de schéma de transports et ce que nous disons ici.

Les réseaux de chaleur : dans le rapport, on préconisait la transformation des réseaux de chaleur en systèmes individualisés. Je suis préoccupé. Je comprends bien que les réseaux de chaleur sont plutôt à énergies fossiles, charbon, pétrole, fuel et qu'il y a là des progrès à faire. Si l'on supprime les réseaux de chaleur, on exclut la possibilité de les transformer et de leur faire utiliser une autre forme d'énergie comme le gaz ou demain une autre forme d'énergie renouvelable dont nous n'avons pas parlé, les déchets ménagers.

Vous avez parlé de l'habitat en disant que cela se ferait de façon très progressive. Je regrette que l'on n'utilise pas l'expression "haute qualité environnementale" dans le schéma et que ce ne soit pas une orientation forte.

La sécurisation et le développement des capacités de stockage et de transport d'énergie : vous y avez fait allusion et vous avez remarqué qu'il y a là un impact sur les espaces naturels et ruraux et donc des mobilisations fortes pour l'installation de lignes électriques et des zones de stockage. C'est peut-être moins vrai pour le gaz parce que l'on passe en souterrain. Quelle articulation y a-t-il entre ce schéma de services collectifs d'énergie et le schéma des espaces naturels et ruraux ?

Pour conclure, quelques questions qui ne sont pas rattachées directement aux différents axes du rapport. Vous l'avez dit, mais vous avez aussi abordé largement en préambule le problème de l'énergie nucléaire et des traitements des déchets, même si vous les avez dissociés par rapport aux émissions de CO2, on ne pourra pas passer à côté d'une réflexion du devenir de cette production énergétique. Il suffirait de peu de choses pour que l'impact psychologique soit tel que l'on se retrouve dans une situation de dépendance nouvelle si nous étions amenés à sécuriser des sites de production.

Il y a aussi, puisque nous avons travaillé sur ces textes-là, une question sur les articulations entre différentes lois, la loi solidarité et renouvellement urbains, la loi sur le littoral, la loi sur la montagne. Quelle articulation entre ces schémas, celui-ci et les schémas régionaux ?

Une grande interrogation nous remonte des élus locaux et des conseillers régionaux sur la nécessité des commissions régionales de suivi et d'évaluation. On sait bien que dans les contrats de plan, pour ne parler que de cela, il y aura une réactualisation de ces contrats de plan en 2003. C'est très court, mais il serait utile que ces schémas puissent être évalués et qu'il y ait un suivi très précis, au moins des propositions et des possibilités, qui remonteront des régions.

Derniers points : le rôle de la fiscalité et de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) même si elle est pour le moment repoussée. On peut avoir une réflexion théorique au moins sur ce sujet. Une autre question se pose sur la fiscalité locale. Lorsqu'une région voudrait privilégier tel type d'énergie, comment peut-on envisager qu'elle puisse détaxer l'une ou au contraire taxer l'autre ? Je pense à des régions où la valeur énergétique de la biomasse qui est très grande n'est pas valorisée parce que taxée autant. Je fais allusion aux réseaux de chaleur bois qui sont plus taxés que les autres réseaux de chaleur.

Nous aurons à mener une véritable grande interrogation, mais peut-être avez-vous déjà des idées ou des pistes dans le cadre de la décentralisation : quelles seront les articulations ou les transferts de compétences, de bloc de compétences ou de compétences partagées entre l'État et les collectivités territoriales ? Je fais notamment allusion aux régions.

M. Dominique Maillard : Toutes ces questions sont très pertinentes et témoignent déjà de votre grande connaissance de ce dossier. Sur certains points, je vais m'efforcer d'apporter les éléments. Sur d'autres, je crois que vous êtes au fait des enjeux et du caractère balancé des options qui peuvent se présenter.

Il est entendu que le champ principal de ce schéma n'est pas de traiter au détour d'une page une question aussi essentielle que les choix que la collectivité devra faire sur le parc nucléaire. Le parc nucléaire en France est relativement jeune. La première centrale est celle de Fessenheim mise en service en 1977 et les deux dernières sur les sites de Chooz et de Civeau ont été mise en service en 1999 et 2000. Notre parc fait partie des plus jeunes ; il est en tout cas beaucoup plus jeune que le parc américain qui est le premier parc mondial nucléaire en valeur absolue. Cela dit, les mises en service se sont étagées sur près de 22 ans. Nous avons un parc jeune qui a une douzaine d'années en moyenne, mais nous avons des centrales qui pour certaines d'entre elles vont bientôt atteindre les 25 ans, ce qui était la durée de vie initialement retenue dans les calculs.

On sait qu'il peut y avoir un écart entre les durées de vie physique et économique. Ce ne sera pas le calcul économique qui décidera principalement, mais plutôt les conditions de sûreté puisque la question se posera à un moment de savoir si l'autorité de sûreté remet en question le fonctionnement de certaines centrales. Les approches dans le monde sont très diverses. Aux États-Unis, c'est un système de licence avec une échéance. Les autorités de régulation américaines travaillent sur des prolongations de licence jusqu'à 40 ans. Au Japon, j'ai entendu parler de 60 ou 80 ans. Il est vrai qu'au bout de 80 ans, il ne reste plus grand-chose de la centrale initiale. Nous n'en sommes pas là en France, mais il est exact que des réflexions sont menées aussi bien chez EDF que chez les constructeurs, avec l'autorité de sûreté et avec nous sur les prolongations de durée de vie. Tant que nous n'aurons pas une réponse qui intégrera l'avis de l'autorité de sûreté, les aspects économiques et industriels qui concernent à la fois l'opérateur et le constructeur, nous n'aurons pas de réponse sur la date à laquelle il faut réellement se préoccuper du renouvellement du parc.

Si l'on considère que le parc en moyenne peut fonctionner 40 ans ou 45 ans, ce n'est pas la même chose que si la réponse est 30 ou 35 ans. On peut penser que, à un moment, le fait de ne pas prendre une décision revient à en prendre une qui est de ne pas décider. Nous situons cette échéance, où le fait de ne pas décider serait une décision, aux alentours des années 2004, 2005. Si là, on ne prend pas de décision, alors on est sûr que les centrales seront arrêtées avant que l'on ait matériellement le temps de les remplacer. Ce sera donc implicitement une décision.

Pour le reste du débat qui a de multiples composantes, le contexte international sera important. On ne peut pas savoir quelle sera la position des autorités américaines à cette échéance. Il se dit et il se lit parfois qu'il est possible qu'il y ait une décision américaine pour l'engagement de nouvelles centrales dans les prochaines années. Le nucléaire se poursuit toujours très largement en Asie. Les programmes chinois, japonais, coréens sont consistants. Il est vrai que les programmes européens sont inexistants aujourd'hui.

Voilà les éléments que je peux vous donner sur le calendrier.

Le sujet sur les économies d'énergie, la corrélation entre aménagement et économies d'énergie, sont tout à fait essentiels. Il est certain que certaines politiques d'urbanisme, d'aménagement du territoire ont des conséquences directes sur les consommations énergétiques. De même que la création d'infrastructures lourdes de transport, de type TGV, transports ferroviaires, RER, métro ou tramway ont un effet structurant majeur et ont des conséquences importantes sur la consommation d'énergie par les choix que cela induit sur les décisions individuelles ou les décisions d'implantation des industriels.

Une fois cela dit - c'est un point sur lequel tout le monde est assez d'accord - les difficultés majeures commencent quand on cherche à en tirer des conclusions. Je laisserai ce sujet à ma collègue de la DATAR qui a peut-être plus de légitimité que moi pour en traiter. Il est vrai que l'on peut rester sur sa faim quant aux conclusions opérationnelles. La loi SRU a été une volonté d'intégrer cela, mais elle traite de décisions qui portent sur l'infrastructure.

Les décisions de management au sens courant d'un industriel sont beaucoup plus difficiles à repérer. Pour prendre un exemple, il m'est arrivé dans ma carrière professionnelle de rester quelques années à la SNCF. L'existence ou non d'embranchements ferroviaires est souvent décisif sur l'orientation d'un industriel d'utiliser le rail ou non. Si l'industriel a un embranchement ferroviaire, la desserte terminale est assurée sans rupture de charge. Le rail s'intègre assez naturellement dans ces projets, mais s'il n'y a pas d'embranchement ferroviaire, il y a rupture de charge et il faut négocier avec plusieurs opérateurs. Cela devient, sinon insoluble du moins difficile. On voit les points qui apparaissent comme des points de détail.

Faut-il rendre obligatoire, dès lors qu'il existe une voie ferrée d'une certaine importance à proximité, un embranchement ferroviaire ? Cela aurait une conséquence majeure sur les choix modaux et donc sur les consommations énergétiques. Quel levier faut-il ? Faut-il avoir une approche normative et imposée ? Faut-il avoir une approche plus incitative, par exemple en faisant en sorte que l'investissement d'un embranchement ferroviaire soit réduit ? Je n'ai pas la recette miracle, mais vous avez parfaitement raison dans le sens où cet exercice global de schéma de services collectifs peut être une opportunité .

Nous avons eu dans nos réflexions des contacts avec nos homologues avec lesquels nous dialoguons régulièrement. Il manque à l'édifice - nos amis de la DATAR attendent d'avoir déjà un certain nombre de projets - la synthèse qui peut-être se fera devant le Conseil national. Pour l'instant, je ne vous ferai pas un grand numéro pour vous expliquer que tout cela est bien coordonné.

M. le Président :Ceci dit, il y a des pistes. On voit bien que la SNCF publie actuellement des statistiques tout à fait encourageantes sur les effets de l'augmentation de sa capacité avec une augmentation du fret de 6 %. On a bien conscience d'être ici sur des temporalités comparables entre les politiques énergétiques et les politiques de transport. Les choix que l'on pourrait faire aujourd'hui auront un impact à 10, 15 ou 20 ans. Il est peut-être intéressant de rapprocher les deux exercices car, si nous ratons des choix aujourd'hui, nous en paierons les conséquences sur la longue durée.

M. Dominique Maillard : Il faut anticiper et ce sera le mérite de l'exercice d'avoir permis cela.

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Le non choix d'aujourd'hui est déjà un choix. Dans ce domaine là aussi.

M. Dominique Maillard : La troisième question portait sur les points transport, production, consommation. Je serais tenté dire que je suis à la fois en accord et en désaccord. Indiscutablement, pour certaines énergies qui ne se transportent pas, à l'exemple de la géothermie ou des gaz des déchetteries, on voit qu'il y a un intérêt certain pour une utilisation locale immédiate. L'installation de tuyaux induit des pertes. Inversement, il ne faut pas écarter la possibilité de l'utiliser. Nos parents et grands-parents ont construit une infrastructure maillée, liée aussi à la densité. Nous sommes un pays relativement dense. L'existence de ces réseaux, gaziers ou électriques permet d'imaginer des points de livraison distincts des points de consommation. Si l'on avait le choix entre construire une ferme éolienne pour alimenter la ville de Boulogne ou pour se raccorder au réseau, on ne va pas hésiter : il faut se raccorder au réseau. Peu importe que les électrons soient consommés localement.

Je suis partagé : énergie locale - gestion locale, c'est sûr. Inversement, profitons aussi de l'atout que constitue ce réseau maillé qui d'ailleurs a son utilité. Nous savons bien que là encore, pour des raisons historiques, il y a un déséquilibre structurel entre les moyens de production et les outils de consommation. L'Ouest ayant moins de production d'énergie électrique, on a mis des centrales thermiques là où il y avait du charbon, on a mis des barrages là où il y avait de l'eau et de grandes rivières. L'Ouest n'avait ni ressources de charbon, ni rivière, ni barrage. Le choix politique a été fait de ne pas y implanter de centrales nucléaires. Le fait est que l'on a cette structure que l'on peut essayer de corriger, quand on voit la fragilité que cela peut comporter en cas d'atteinte grave au réseau. Mais il faut aussi l'utiliser tel qu'il est. Il y a peut-être un optimum. Plus on rapproche les sites de production des points de consommation, mieux cela vaut parce que l'on réduit les pertes et la fragilité.

Inversement, on a peut-être un optimum de second rang qui consiste à en profiter une fois que le réseau est là. Pour l'éolienne en particulier, il faut essentiellement se raccorder au réseau là où il est, ce qui permet au réseau de jouer le rôle d'amortisseur. L'inconvénient des énergies éolienne et solaire est qu'elles ne sont produites que lorsque il y a du vent ou du soleil : si l'on a des stations locales, on est obligé d'avoir des stockages intermédiaires. Le réseau joue le rôle de volant d'inertie.

Quatrième point : sur le parc éolien, je ne suis pas le meilleur spécialiste technicien sur ces questions. Vous avez raison de soulever cette question car il n'y a rien de pire pour une filière que l'on développe que les contre références. Vous vous souvenez peut-être que dans les années 1975-80, on avait lancé beaucoup de choses sur les pompes à chaleur. Cela n'a pas marché parce que l'on avait oublié qu'il fallait former les installateurs. Certains plombiers ont monté des pompes à chaleur à l'envers car ils ne savaient pas comment cela fonctionnait. Il faut éviter les contre références avec les éoliennes où les gens du voisinage voient un parc d'une vingtaine d'éoliennes, dont la moitié est arrêtée en permanence. Il faut être vigilant. C'est l'intérêt de ceux qui souhaitent que cette énergie se développe de faire en sorte que dès le départ, elle ait une bonne image.

Je suis raisonnablement confiant car je constate qu'au cours des cinq dernières années, les progrès ont été considérables. La manie des ingénieurs en France est de dire que plus c'est gros, mieux c'est. En Europe, il y a trois à quatre ans, on disait qu'une grosse éolienne faisait 500 kilowatts. Aujourd'hui, les Danois envisagent d'installer dans le port de Copenhague des éoliennes de plus de 3 000 kilowatts. En l'espace de trois à quatre ans, la capacité et la taille des éoliennes ont été multipliées par cinq ou six. On en est à des constructions dont les mâts font plus de 60 mètres de haut avec une envergure à 80 mètres. C'est déjà très important relativement au problème de résistance des matériaux. Jeumont Industrie s'est intéressé aux alternateurs et pourrait travailler comme ensemblier. Je pense qu'on doit pouvoir résoudre ces problèmes de mécanique assez classiques.

Pour répondre à votre question sur la possibilité d'aller vers une éolienne techniquement fiable, cela ne va pas de soi. Mais à mon avis, c'est soluble et c'est même un bon défi pour l'industrie française.

Sur quoi nous fondons-nous pour dire que l'on peut envisager dans un contexte de croissance économique de 2,8 une croissance énergétique de 1,4 ? Aucun d'entre nous ne prétendra que ce chiffre est intangible. Le caractère un peu magique est que le rapport des deux, le coefficient d'élasticité, est d'un demi. Pour un point de croissance économique, au lieu de faire un point de croissance énergétique, - ce qui serait le cas si tout se développait de manière homothétique et proportionnelle, on doit pouvoir diviser par deux...

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Cette projection à un pour un avait été faite il y a une vingtaine d'années.

M. Dominique Maillard : On pense pouvoir le faire en se fondant en partie sur l'observation du passé. On a quand même une bonne vingtaine d'années d'expérience et l'on constate que sur cette période, ce fameux taux d'élasticité - le rapport entre le taux de croissance de la consommation d'énergie et le taux de croissance de l'économie mesuré par le PIB - était de l'ordre de 0,6 à 0,7. On considère que l'on peut donc mettre un coup de pouce et aller vers 0,5.

Comme le fait remarquer Fabrice Dambrine, il faut être conscient que cela résulte de deux éléments : des économies d'énergie stricto sensu, c'est-à-dire l'amélioration de l'efficacité (les voitures tout comme les réfrigérateurs consomment moins) et l'effet structurel, avec la diminution dans le PIB des industries lourdes fortement consommatrices d'énergie au profit des activités tertiaires ou de services qui, à valeurs ajoutées égales, consomment moins d'énergie. Ce ne sont pas de vraies économies d'énergie.

Tout l'enjeu que nous avons dans les dix à vingt prochaines années est de savoir si cet effet structurel se poursuivra. On a quelques raisons de le penser ; on va vers une activité économique avec plus de services, avec le développement du commerce. Malgré tout, il n'y aura pas que de l'économie virtuelle, il y aura aussi de l'économie industrielle. Ce n'est pas uniquement avec des effets de structure que l'on arrivera à stabiliser les consommations d'énergie.

Vous demandez si l'on peut aller au-delà. Sur le papier, on peut le faire. Néanmoins, les seules années où l'on ait observé une diminution de la consommation d'énergie d'une année à l'année précédente sont celles où la croissance économique a été nulle, voire négative et les années de choc pétrolier durant lesquelles il y a eu un impact considérable sur les comportements.

J'en tire la conclusion que si c'était un objectif politique, il faut être conscient que cela se fera avec des moyens qui ne seront pas ordinaires : soit il faudra avoir une politique ambitieuse de prix de l'énergie dans un contexte européen, qui consiste à afficher que durablement, l'énergie sera chère et que l'on ne fera pas du stop and go, soit il faudra avoir des contraintes plus fortes sur l'utilisation de certains modes de véhicules.

Il est difficile avec des projections au fil de l'eau d'arriver à cet objectif. J'en veux pour témoignage que dans les travaux menés par le commissariat au plan ayant trait aux prévisions 2000 -2020, dirigés par M. Boisson, trois scénarios avaient été étudiés dont un scénario ambitieux avec un renforcement et un durcissement des normes. Ce scénario permet d'arriver à la stabilisation des émissions de CO2 à terme, mais les experts n'avaient pas envisagé d'aller au-delà.

Les experts peuvent se tromper en matière de prévision d'énergie. C'est d'ailleurs souvent le cas. Néanmoins, nous avons derrière nous déjà 25 ans d'expérience. On sait ce qui s'est passé ; on a connu des chocs importants. Malgré tout, nous consommons à peu près 30 % de plus qu'il y a 25 ans. Je pense qu'il sera très difficile de freiner le mouvement. Impossible : non ; très difficile : oui.

Vous avez demandé si pour Kyoto, il ne faudrait pas faire des efforts plus grands que prévus. Je crois que oui. Si nous regardons où nous en sommes en termes d'émissions de CO2, nous sommes à 5 % au-dessus de ce qui était prévu sans avoir commis de dérapage excessif. La tendance dans les secteurs transport et résidentiel est supérieure à ce qu'il faudrait pour atteindre les objectifs de Kyoto. Dans notre malheur, nous ne sommes pas les seuls. Tous les échos de mes collègues étrangers laissent à penser que la situation française n'est pas exceptionnelle. Ce n'est pas une dérive française face à d'autres pays qui auraient été plus vertueux, mais le fait que Kyoto a été conclu dans l'enthousiasme collectif, en faisant certaines impasses sur des possibilités matérielles. Nous ne sommes encore qu'à mi-course, les objectifs étant posés pour 2010 par rapport à ceux de 1990. Une grande moitié du chemin a été faite. Il faudra donc remettre l'ouvrage sur le métier. Plus le temps passe, plus il faudra que cela soit durci pour être en ligne avec l'objectif.

Vous avez posé des questions plus précises sur les opérations de diagnostic. Elles sont suivies par l'ADEME (agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et partent de l'idée que ce qui est important pour les décideurs, maîtres d'ouvrage, gestionnaires de parcs de logements, industriels, est d'identifier ce qu'ils ont à faire. Ensuite, c'est évidemment leur métier de le faire.

On peut éventuellement envisager des mécanismes de financement, mais il faut déjà qu'ils aient l'idée de faire un bon diagnostic, ce qu'il fallait encourager. Le mécanisme est maintenant en place. Les aides au pré-diagnostic sont importantes puisqu'elles vont jusqu'à 90 % du coût des travaux qui sont limités pour ne pas couvrir les coûts d'ingénierie. Je n'ai pas eu de retour d'information. L'aspect décisif sera de voir en quoi ces pré-diagnostics seront suivis de décisions d'investissement.

Pour caricaturer un peu, le pari était que l'on allait rendre les gens plus intelligents en leur confiant des missions intelligentes. Nous allons plutôt les éclairer sur ce qui veulent faire et nous pensons qu'ils le feront. Je pense que là encore, il faut un contexte favorable.

Ce dont a souffert pendant de très longues années le secteur énergie jusqu'en 1999, c'était l'idée de cette abondance d'énergie dans l'esprit des industriels, même si certains se souvenaient de la chasse au Gaspi. Seul un très petit nombre d'entre eux, pour lesquels l'énergie était un facteur décisif de leur charges d'exploitation, continuaient à veiller à leurs consommations. Je pense que les événements de 2000 auront au moins cette retombée positive de montrer que le prix des carburants et le prix des produits pétroliers peuvent varier du simple au triple en l'espace de six mois et que donc, il faut prendre des dispositions.

Vous avez insisté sur les économies que l'on peut faire dans les équipements ménagers. J'ai été sidéré d'apprendre que la consommation de veille des appareils, magnétoscopes, cuisinières, réveils, comportant un affichage permanent, représentent au niveau européen l'équivalent annuel de 15 terawattheure, soit la production annuelle de deux centrales nucléaires ! C'est considérable ; d'autant plus que quelques mécanismes de temporisation, remplaçant l'affichage permanent des magnétoscopes et autres appareils de cuisines permettraient de faire des économies.

Que peut-on faire ? Une norme européenne existe déjà. On s'en moque parfois en disant que l'Union se mêle de tout. En l'occurrence, il s'agit d'un secteur utile ! Bruxelles a lancé un chantier qui doit aboutir à l'établissement de normes qui s'imposeront aux constructeurs et rendront obligatoires, sur certains équipements sur lesquels cela se justifie, des dispositifs de coupure automatique de l'affichage d'alimentation avec un délai variable. Il y a un potentiel considérable.

Dans le domaine ménager, certaines ampoules consomment trois fois moins, coûtent dix fois plus cher, et durent aussi dix fois plus longtemps ! Nous comptons relativement sur l'information du citoyen. Au même titre que la plupart de nos concitoyens, qu'ils soient automobilistes ou pas, savent qu'une voiture qui consomme 6 litres au 100/km est plutôt économe alors qu'une voiture qui consomme 12 litres au 100/km l'est moins. Nous voudrions que les gens acquièrent la même notion en matière d'appareils ménagers. Un réfrigérateur à 200 Kwh par an consomme-t-il beaucoup ? L'idée est que dans les décisions d'achat d'électroménager, l'énergie soit l'un des critères. Dans ce cas, vous avez des normes d'affichage par catégories qui sont relativement bien respectées. Cela nécessitera un effort d'accompagnement et de sensibilisation assez large.

Vous demandiez ce qu'il y avait au-delà des déclarations d'intention concernant le plan national d'amélioration des capacités énergétiques. Le fret ferroviaire sur lequel ce plan a mis l'accent est très important et très symbolique. Il a aussi le mérite de pouvoir représenter une certaine convergence d'intérêts. La sensibilisation de nos concitoyens sur la circulation routière, l'encombrement des routes et les risques va croissant. C'est la possibilité d'avoir un double soutien de l'opinion publique à la fois sur le thème environnemental, sur le thème économies d'énergie et sur le thème de la sécurité globale.

Tirant les enseignements de quelques précédents dans lesquels les déclarations n'ont pas toujours été suivies de décisions concrètes, notre opinion est qu'il vaudrait mieux faire en sorte que cette opération réussisse plutôt que de lancer trop d'initiatives. Nous pensons qu'il y a là un domaine sur lequel l'autorité publique et les décideurs industriels peuvent sortir des actions avec une palette d'échéances. La traversée des Alpes par un tunnel est une affaire de longue haleine. Cela peut s'inscrire si un marché s'est développé pour le transport combiné ou pour le transport par autoroute ferroviaire. La rentabilité du tunnel Lyon -Turin sera améliorée d'autant.

Quant aux réseaux de chaleur, vous avez relevé un point qui nous avait déjà été signalé : il y a, dans le schéma, une rédaction qui est mal comprise et qui doit, de ce fait, être aménagée. Nous voulions expliquer que les réseaux de chaleur, s'ils permettent de valoriser des formes d'énergie qui ne le seraient pas sans eux, doivent être conservés et développés. C'est le cas de la géothermie et de l'incinération des ordures ménagères. Le réseau de chaleur est le seul vecteur. On ne peut pas imaginer que chacun brûle ses propres ordures ménagères dans sa chaudière. Il vaut mieux que ce soit fait dans une station adaptée et que la chaleur soit ensuite distribuée.

Nous sommes sans état d'âme. Les chauffages urbains que nous critiquons et contestons sont ceux qui se trouveraient être exclusivement alimentés par des énergies fossiles. Souvent, compte tenu du rapport relatif des prix, c'est souvent du charbon, énergie peu chère mais polluante, alors qu'intrinsèquement, le système de chauffage urbain, étant souvent associé à des systèmes de distribution collective, n'est pas le plus efficace au plan du rendement énergétique, malgré les robinets thermostatiques et autres. Cela mériterait d'être précisé pour éviter toute interprétation ambiguë.

Nous ne sommes pas du tout des adversaires du chauffage urbain. Au contraire, nous le soutenons dès lors que c'est le moyen de valoriser l'énergie provenant de la géothermie ou de l'incinération. Nous sommes contre les chauffages urbains au gaz, ou pire, au charbon sauf s'il y a des appoints qui permettent de valoriser d'autres énergies ou si c'est une utilisation en cogénération. Nous visons un chauffage urbain performant. Il faut réécrire cette partie du rapport sur le chauffage urbain.

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Cela pose des contraintes énormes. Un certain nombre de chauffages urbains alimentent des immeubles qui ne sont pas du tout faits pour accepter un chauffage individuel. Les chaudières telles qu'elles existent ne peuvent pas, sauf transformations très lourdes, accepter d'autres types de combustible. Nous sommes dans un domaine un peu figé. Il est vrai que j'ai en référence des systèmes de villes très moyennes. Je suis élu d'une région où les grandes agglomérations n'existent pas. Faut-il lire que le chauffage urbain est voué à ne plus être une préconisation quand nous ferons de nouveaux bâtiments ?

M. Dominique Maillard : Dans les villes nouvelles de la région parisienne, à l'exception de Cergy-Pontoise, il n'y a pas eu de réseau de chaleur. C'est symptomatique. On a plutôt développé des chauffages individuels. Il y a l'existant comme les chauffages urbains que l'on ne va pas prohiber. Il s'agit plutôt de signaler que le recours au chauffage urbain est une bonne solution dès lors qu'à la production, on résout un problème. Mais nous voulons combattre l'idée de construire ex nihilo un chauffage urbain en disant que, faute de mieux, on va l'alimenter par une chaudière classique. J'ignore si dans la pratique, il y a quantité de projets de création de nouveaux réseaux de chaleur. Je retiens de ce que vous dites qu'il faut remanier assez fondamentalement le paragraphe qui traite du sujet pour qu'il soit plus précis et que les conséquences qui en soient tirées soient bien celles que l'on veut.

La référence au label HQE peut être corrigée. J'ignore pourquoi on ne l'a pas dit explicitement. Lors de la rédaction, on n'avait pas suffisamment pensé à ce point.

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Cela peut avoir des conséquences énormes. Si c'est simplement une référence ou une allusion, c'est sans grande conséquence, mais si c'est une orientation forte, on peut imaginer que les collectivités seraient amenées à construire uniquement sous ce label. Je pense aux régions et aux lycées par exemple.

M. Dominique Maillard : Il est important que les collectivités, par leur capacité aussi à investir ou à gérer les bâtiments publics, jouent un rôle de vitrine. Nous avons parlé à nos collègues des ministères de l'environnement, de l'intérieur et de l'équipement de l'idée d'un pourcentage X à titre de vitrine énergétique, à l'image du 1 % culturel. Il est certain que les bâtiments publics sont des lieux de passage importants, des lieux de rendez-vous. S'ils peuvent être l'objet de réalisations exemplaires en matière de démonstration, de pratique architecturale, de mode de consommation de l'énergie, cela contribuera d'autant à la diffusion de cette idée.

Je n'entendais pas uniquement faire une concession rédactionnelle, mais aller au bout de l'idée qui s'inscrit bien dans le schéma de services collectifs où les collectivités locales jouent un rôle de démonstration.

Vous m'avez questionné sur l'impact des milieux naturels et l'articulation du schéma avec celui des espaces naturels et ruraux. Je vous ai livré ce qui nous paraissait être une possibilité, c'est-à-dire faire en sorte que dans l'élaboration de tout document qui puisse avoir trait à l'utilisation des milieux, la dimension énergétique ne soit pas omise. Cela pourrait être effectivement une retombée de ce travail.

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Ma question était de savoir si dans le schéma des espaces naturels, cette dimension était prise en compte. On sait bien qu'il faudra passer des infrastructures quelles qu'elles soient.

M. Dominique Maillard : Je n'ai pas la réponse. Le fait de vous répondre de la sorte signifie bien que l'on n'a pas dès le départ, envisagé la conclusion.

M. le Président : Ce sera le rôle de la commission de faire des suggestions dans ce sens.

Mme Ariane Azéma : L'exercice de planification nationale repose sur des orientations gouvernementales fortes, irriguant l'ensemble des projets de schémas concernés. La lutte contre le changement climatique est l'une de celles-ci. Que l'on se pose la question de l'articulation opérationnelle, voire même de l'instrumentation entre schémas, sur des thématiques communes, le travail n'est pas aussi avancé qu'il devrait l'être. Mais, il faut distinguer ce qui relève clairement de décisions et de concertations locales. Cela ne relève pas de l'échelle du schéma d'arbitrer ou de trancher sur des conflits d'usage. C'est ce à quoi M. Dominique Maillard faisait allusion quand il préconisait de prendre en compte la dimension énergétique.

Certainement, il y a des points qui relèvent plus clairement du niveau national et qu'il serait nécessaire de préciser dans la version finale du document. Il y a par exemple le fret ferroviaire. On pourrait rapprocher le fait que les vallées fluviales sont un enjeu fondamental pour le schéma d'espace naturel ; elles font partie des 9 enjeux stratégiques identifiés. Cela pose une série de questions et d'enjeux par rapport au schéma de transport ou au schéma énergie puisque ces grandes vallées fluviales concentrent une partie des infrastructures.

M. Dominique Maillard : Je reviens sur la question de la filière nucléaire sous le même angle que M. Jean-Michel Marchand : pour le devenir de cette filière, on ne peut pas éluder la question du traitement des déchets. Je n'ai pas d'opinion contradictoire à émettre. La référence que je ferai, et vous la connaissez aussi, est ce rapport qui avait été demandé par le Premier ministre à MM. Charpin, Pelat et Dessus sur cette question du devenir de la filière nucléaire en France.

Il me semble très intéressant, tant du point de vue de la méthodologie que du fond, que les trois auteurs, dont on sait qu'ils peuvent avoir des convictions personnelles sensiblement différentes, ont adopté une méthode d'approche unique qui consiste à dire qu'il y a plusieurs dimensions au problème : la dimension économique, la dimension environnementale. Conscients de l'ambiguïté du terme dimension environnementale, ils ont proposé de comparer les différentes options du point de vue des émissions de CO2, mais aussi du point de vue des rejets nucléaires. Ils ont proposé de comptabiliser les tonnes équivalent plutonium qui seraient émises selon les options. Ils ont faits ces trois approches reprenant en gros les francs et les euros, les tonnes de CO2 et les tonnes de plutonium. Ensuite, ils se sont trouvés confrontés au problème classique qui consiste à nommer ces trois dimensions. Ils ont fait une tentative avec beaucoup de modestie dans l'approche ; ils ont essayé de valoriser, en donnant un coût à la tonne de CO2, un coût à la tonne de plutonium.  L'approche en elle-même consiste à dire qu'il faut être conscient qu'une question aussi complexe que le nucléaire a plusieurs dimensions, qu'il ne faut pas chercher à en occulter une et qu'il faut mettre cela à plat sur la table. On est alors confronté à un problème redoutable pour savoir comment les agréger. C'est à mon avis la bonne approche.

Quels que soient les résultats, pour des sujets de cette nature, c'est ainsi qu'il faut essayer de les traiter, ce qui nous permettra de sortir de débats caricaturaux dans lesquels certains privilégient, en se mettant des _illères uniquement, l'une de ces dimensions et même quelquefois en refusant de voir les autres. Si nous admettons collectivement qu'il y a plusieurs dimensions et même s'il est difficile de faire l'addition, nous aurons progressé.

Il me semble que le rapport que j'ai cité tout à l'heure est de ce point de vue une innovation très intéressante. Je ne veux pas esquiver votre question mais, dans le temps que nous avons, c'est la seule façon dont je pouvais vous donner les éléments. Ce rapport ayant été demandé par le Premier ministre, je pense que cela répond de ce point de vue à son attente.

Vous avez abordé aussi un problème plus particulier, celui du suivi régional. Je me suis aperçu que j'ai été trop sommaire sur ce point dans ma présentation. Il est clair que pour nous, cet exercice n'a pas d'intérêt si l'on considère que c'est une photo instantanée dont on ne parlera plus pendant cinq ou dix ans. Tout ce qui est relatif au suivi local est évidemment important. Je ne sais pas si c'est dans la loi ou dans le projet, mais on envisage qu'il y ait une commission locale de suivi rattachée à la CRADT de façon à ce qu'elle intervienne dans la phase actuelle d'élaboration du schéma régional, ce qui répond à votre question sur l'articulation puisque par nature ce sera la même commission qui devra élaborer le volet régional et donner un avis pour inspirer le schéma national. Mais elle sera aussi chargée de suivre les actions. Ce sera à la diligence de M. le préfet.

M. le Président : La CRADT est à la diligence conjointe du préfet et du président de région.

M. Dominique Maillard : Les réunions seront à leur discrétion. On envisage que la commission puisse disposer d'instruments de suivi. Il ne s'agit pas uniquement de faire un rapport qualitatif, mais qu'elle puisse s'appuyer sur des moyens d'analyse que nous nous employons à essayer de mettre en place dans le cadre de l'observatoire de l'énergie et en liaison avec les observatoires régionaux - cette fois-ci uniquement sous l'angle statistique - qui existent dans certaines régions. Il faut les distinguer des observatoires du service public de l'énergie que la loi du 10 février 2000 a créés et qui sont des organismes distincts.

Si je peux répondre sur l'esprit, il est clair que dans la démarche, l'important n'est pas de faire un beau rapport consensuel, mais d'amorcer une démarche qui devra donner un suivi essentiellement régional.

Il y avait deux questions sur la fiscalité et je les laisserai à M. Christophe Baulinet qui a suivi les avatars de toute nature de la TGAP Energie.

Je dirai aussi un mot sur votre dernière question, question très lourde sur la décentralisation, sur les équilibres entre les compétences de l'État et des collectivités territoriales. On ne part pas de zéro sur le sujet. Il y a un rôle historique des collectivités locales considéré comme conséquent depuis l'origine de ces énergies, en matière d'électricité ou de gaz. La loi sur le gaz et celle sur l'électricité ne vont pas modifier le système et vont même plutôt le consolider.

Les collectivités locales restent les autorités concédantes des distributions publiques de gaz et d'électricité. On leur a aussi confié une autorité à peu près analogue sur les réseaux de chaleur. C'est la fameuse loi de 1980 sur les réseaux de chaleur classés. Elle devrait commencer à avoir un début d'application en France. Je sais qu'un réseau était en commencement de classement. Le rôle des collectivités locales - j'entends les communes - est assez bien défini, sans être figé pour autant.

Sur les régions, c'est un peu moins précis. Certaines régions ont déjà créé des structures régionales, des agences régionales qui ont des statuts divers, mais qui témoignent de leur implication sur le sujet et qui, de manière privilégiée, souvent en étroite articulation avec les délégations régionales, ont focalisé leur action sur la valorisation des énergies renouvelables et sur les économies d'énergie, ce qui a permis d'élaborer dans de bonnes conditions les contrats de plan État-région qui comportent systématiquement un volet croissant dans ce domaine.

Faut-il maintenant consolider ou fixer les choses par des transferts qui seraient explicitement législatifs ? Je n'ai pas d'opinion définitive. On fait parfois à l'administration la réputation d'être contre la déconcentration. Ce n'est pas notre position. Sur les procédures anciennes comme sur les lignes électriques, il y a déjà une large part déconcentrée. Il reste des aspects nationaux parce que, sur les dossiers que je citais, on arrive parfois à des impasses. Quand les dossiers ne bougent pas, il est normal d'imaginer un système dans lequel il y a une sorte de procédure de recours administratif, sans préjudice des recours judiciaires.

J'introduirai peut-être un troisième niveau, le niveau européen. Je pense aux directives sur l'ouverture des marchés. C'est très clairement du niveau européen. La disposition s'impose, mais on peut la faire avec quelque marge. De plus, il y a les niveaux des régions et des autres collectivités locales. Les choses ne sont pas encore totalement stabilisées, mais je crois au caractère indispensable de l'existence des quatre. Je ne vois pas comment on pourrait prétendre que l'énergie relève maintenant du plan européen. Plus personne n'est tenté de dire que c'est un problème national.

Ce n'est pas faire injure à un élu local de dire que les collectivités locales prises individuellement ne peuvent pas traiter tous les problèmes d'énergie. Je ne dis pas que la ligne d'équilibre est bien tracée, mais chacun de ces acteurs a un rôle à jouer, différent selon les filières. C'est ce que consacre le schéma de services collectifs qui met l'accent sur la partie concernant les collectivités territoriales pour les aspects relatifs aux énergies renouvelables et à la gestion rationnelle de l'énergie. L'État n'a pas à s'en désintéresser ; il a son rôle sur les dispositifs fiscaux, sur les tarifs, sur le cadre réglementaire, mais les collectivités locales ont leur rôle sur l'information, les décisions individuelles, le soutien à certains projets et sur l'action d'intermédiation avec les citoyens qui sont eux-mêmes décideurs et acteurs.

M. Christophe Baulinet - Vous avez posé deux questions, d'une part d'ordre fiscal, d'autre part sur le plan local en vous plaçant sur un plan plutôt théorique. Je vais essayer de répondre sur ce terrain. Le choix de la TGAP a pris comme idée de base que l'on allait faire une taxe antipollution. Elle s'est positionnée ainsi. C'était dès le départ un objectif clair de la loi fiscale qui a des conséquences sur tout ce qui s'est passé ensuite.

Le deuxième élément fondamental qui a donné le résultat que l'on connaît maintenant, sans essayer de reconstruire l'histoire après coup, c'est qu'il y avait deux logiques possibles. Une première logique aurait consisté à taxer ce qui pouvait l'être de la même manière partout dans tous les domaines économiques. La deuxième logique était de traiter de manière particulière les situations particulières.

Je souligne à cet égard, dans la problématique qui est la nôtre, que l'instrument fiscal n'est pas le seul instrument économique que l'on peut utiliser pour inciter les agents économiques comme les entreprises à réduire leur consommation ou à rationaliser leur système énergétique.

La deuxième logique, et c'est celle que le Gouvernement avait retenu dans son projet de loi de finances rectificative, consiste à dire que l'on taxe tout le monde de la même manière dans des conditions prédéfinies, mais que, économiquement, on doit tenir compte de spécificités notamment dans le cas d'entreprises intensives, pour des raisons de compétitivité économique qui se situent à un niveau international au-delà même de l'Europe.

Il y a aussi le cas des petits consommateurs qu'il était proposé d'exonérer, même si ce sont des entreprises. Dans ce cadre, on entre dans une logique taxation / abattement ou taxation / avantages fiscaux. Or, ces avantages fiscaux, pour satisfaire aux obligations économiques que je viens de signaler, sont considérables. Le résultat est celui que l'on sait.

Au regard du principe de l'égalité devant l'impôt, cette approche a posé des problèmes d'une part parce que, ayant pris en compte dans le texte le contenu carbone, on n'est pas allé jusqu'au bout parce que, pour l'électricité, on a fait abstraction du contenu carbone. Au regard de l'égalité, c'était contestable.

D'autre part, du fait d'abattements importants, on arrivait à des situations difficilement justifiables au regard de la logique fiscale pure, mais pas au regard des problématiques et des objectifs du Gouvernement. Sur la TGAP, au stade où nous en sommes - parce que les discussions se réouvrent -, on peut en tirer deux conclusions. La première est qu'il faudra tenir compte de ce qui a été dit par le Conseil constitutionnel.

L'objectif de la loi, si elle se traduit par une taxe de type TGAP qui vise à réduire la pollution, a une conséquence sur le dispositif et sur la prise en compte des avantages qui peuvent être intégrés : la prise en compte du contenu carbone des diverses sources d'énergie, la problématique des abattements et des avantages fiscaux. C'est apparemment une logique qui a été sur le plan fiscal condamnée. Il faut donc remettre sur pied le dispositif en tenant compte de cela, ce qui a été assez largement perdu de vue.

J'ajoute un deuxième élément : ces travaux législatifs avaient été précédés de travaux de concertation assez actifs. Sans doute faudra-t-il aussi intégrer cela dans la démarche. Les entreprises ont fait un énorme chemin sur ce terrain. Ce ne sont pas des ennemis des problématiques environnementales. Dans certains cas, l'élément environnemental - y compris en ce qui concerne la consommation énergétique - est devenu un élément stratégique. Il faudra être capable de l'intégrer dans la problématique. Voilà ce que l'on peut dire à ce stade.

Par ailleurs, la fiscalité n'est pas le seul instrument économique. Il faut pouvoir, quand la situation est complexe, utiliser un dispositif plus complexe. Le tort collectif a été de vouloir régler, dans un seul dispositif tous les problèmes environnementaux, de compétitivité économique, etc.

La seconde question posée sur la fiscalité locale demandait s'il était possible de privilégier ou au contraire de surtaxer telle ou telle énergie. Dans la question, il y a l'idée que cela pouvait être fait localement à l'initiative d'une collectivité ou d'une autre. Cette démarche rencontre très rapidement sa limite au regard des principes constitutionnels applicables à l'impôt, et pas des questions environnementales ou énergétiques. Je veux dire par là qu'il est peut-être imaginable d'avoir des dispositifs qui permettent, sur la base de critères à définir, d'avoir des fourchettes de taxations différenciées si on le veut, mais il faudra rendre compatible une telle approche avec le principe d'égalité devant l'impôt qui est d'une très grande exigence comme on l'a vu sur la TGAP. Il faut pouvoir montrer des situations, au regard de l'objectif de la taxation, nettement différentes pour aller vers des taxations nettement différentes. Il y a là un champ de réflexion sur le plan de la législation fiscale qui me semble loin d'être débroussaillé. C'est clairement un sujet d'une très grande complexité.

On a vu que la fiscalité était un instrument qui ne se manipule pas facilement si l'on veut faire du découpage fin. C'est précisément l'une des grandes leçons que l'on peut retirer de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Lorsqu'on veut faire de la fiscalité un instrument économique fin, on rencontre rapidement des difficultés surtout si l'objectif de la loi a été aussi clairement défini.

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Je vous ferai part d'un étonnement et d'une question. Mon étonnement est qu'il y a déjà des différenciations fiscales. La taxe professionnelle n'est pas la même d'une commune à l'autre, même si l'on va vers la taxe professionnelle unique (TPU) à terme. Deuxièmement, la redevance transports est prélevée par certaines collectivités et pas par d'autres. Il y a là aussi des possibilités à étudier. C'est dans ce sens que j'émettais l'idée que l'on pourrait avoir des possibilités localement.

Vous nous dites que l'instrument fiscal n'est pas le seul. Pouvez-vous nous expliquer quels sont les autres ?

M. Christophe Baulinet : Quand on a voulu traiter la situation des entreprises, on avait posé sur la table un certain nombre de choses. J'ai évoqué la logique que le Gouvernement a retenue finalement en montrant que la logique était une taxation selon certaines modalités et puis certaines dérogations qui aboutissaient à des pans entiers de différenciations très fortes entre les acteurs. L'autre logique aurait pu consister à essayer de taxer de la manière la plus uniforme possible. L'un des schémas imaginés était de dire que l'on aurait pu le faire sur la base de certains usages identiques partout. Cela ne se différencie pas selon que l'on est une entreprise de services, un agriculteur, un commerçant, une entreprise industrielle. Ce sont des usages tertiaires, les plus communs à toutes les entreprises.

Au-delà, si l'on veut faire quelque chose de plus sur certaines entreprises parce qu'elles ont des consommations importantes, mais que l'on veut en même temps ne pas distordre leurs situations au regard de leur marché qui est souvent international et non pas seulement européen, alors on pouvait les inciter par d'autres instruments de types engagements, qui doivent être rendus crédibles d'une manière ou d'une autre. C'est faisable et je note que des entreprises le font sans qu'on le leur demande aux termes ni d'une loi ni d'un décret et le font dans une démarche complètement coordonnée avec celle de Kyoto, au niveau mondial. Ce sont des entreprises dont les marchés sont mondiaux, dont les sources de production sont éparpillées dans le monde.

Ce type d'approche peut être complété, pour rendre fluide l'ensemble du dispositif éventuellement par des instruments de marché. Ce sont des éléments qui permettent d'avancer. Ce que l'on peut traiter de manière globale c'est-à-dire des grandes masses avec des instruments qui sont faits pour cela, comme la fiscalité, est utile potentiellement. Ce que l'on ne sait pas faire autrement que finement, il faut le faire avec d'autres instruments.

M. Dominique Maillard : On connaît les outils depuis longtemps. On a la réglementation, les normes sur les rendements, sur l'équipement des fours, les chaudières etc.. On a l'aspect fiscal au sens large, soit dans l'aspect positif de déduction, soit dans l'aspect négatif de taxation. On a l'aspect engagement volontaire qui est une démarche plus moderne et aussi l'aspect poussé au plan international par les Américains, à savoir essayer d'utiliser les lois du marché sous forme de création d'un marché de certificats verts. Tout cela forme un ensemble.

Il y a toutes sortes d'instruments, chacun ayant son domaine d'excellence et quelquefois son domaine d'impuissance. La fiscalité est un instrument de masse qui n'a pas tellement de pouvoir séparateur. Elle a son efficacité. En revanche, les engagements volontaires sont un instrument plus fin par nature car ils sont négociés avec les industriels. En revanche, il y a tout un aspect de négociation difficile. Les industriels qui auront les meilleures équipes, les meilleurs avocats n'auront-ils pas les meilleurs engagements ? Le mécanisme de certificats verts pose de nombreux problèmes comme la période de référence, où se fera la compensation, etc.

Notre approche n'est pas de dire : la fiscalité, surtout pas. Utilisons-la dans son domaine d'excellence qui est de donner un signal global assez fruste. Si l'on cherche rétrospectivement à analyser les causes des difficultés que nous avons connues, c'est que l'on avait voulu marier des préoccupations très diverses. On a utilisé un marteau là où il fallait un tournevis.

M. Jean-Michel Marchand, rapporteur : Nous vous remercions de vos exposés.

M. Dominique Maillard : Si vous avez des éléments documentaires à demander, nous sommes à votre disposition pour vous fournir les renseignements que vous souhaitez.


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