graphique

N° 3559

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA SÛRETÉ DES INSTALLATIONS INDUSTRIELLES
ET DES CENTRES DE RECHERCHE ET SUR LA PROTECTION DES PERSONNES
ET DE L'ENVIRONNEMENT EN CAS D'ACCIDENT INDUSTRIEL MAJEUR (1)

Président
M
. François LOOS,

Rapporteur
M
. Jean-Yves LE DÉAUT,

Députés.

--

TOME I

RAPPORT

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité publique.

La commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur est composée de : M. François Loos, Président ; M. Claude Billard et Mme Michèle Rivasi, Vice-Présidents ; MM. Paul Dhaille et Christian Estrosi, Secrétaires ; M. Jean-Yves Le Déaut, Rapporteur ; M. Christian Bataille, Mme Yvette Benayoun-Nakache, M. Jean-Yves Besselat, Mme Nicole Bricq, MM. Vincent Burroni, Pierre Carassus, Mme Odette Casanova, MM. Pierre Cohen, René Couanau, Lucien Degauchy, Albert Facon, Claude Gaillard, Claude Gatignol, Christian Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Didier Marie, Michel Meylan, Mme Hélène Mignon, MM. Jacques Pélissard, Pierre Petit, Jean Ueberschlag, André Vauchez, Michel Vaxès.

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : UNE PRIORITÉ, LA RÉDUCTION DES RISQUES À LA SOURCE 11

I.─ IL FAUT PERFECTIONNER LES ÉTUDES DE DANGERS 11

A.- La réglementation et les études de dangers relatives à l'usine Grande Paroisse de Toulouse 12

1.- Les études de dangers à Grande Paroisse Toulouse 12

2.- Les prescriptions des arrêtés préfectoraux pour le stockage de nitrates d'ammonium 13

3.- L'étude de dangers réalisée pour le silo I4 de stockage de nitrate d'ammonium 14

4.- Les réalités du bâtiment 221-222 15

5.- Une perte de mémoire conduisant à une banalisation du risque 16

B.- l'indispensable amélioration des connaissances sur les produits chimiques 18

1.- Des nitrates d'ammonium à mieux réglementer 18

2.- L'intérêt de promouvoir le récent Livre blanc européen sur la « stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques » 24

C.- rénover la méthode des études de dangers 25

1.- Une identification plus exhaustive des causes d'accident grâce à une pluralité d'intervenants 25

2.- Le complément potentiel des approches probabilistes 29

3.- L'élargissement indispensable du champ des études de dangers 31

4.- La nécessité d'une convergence des méthodes utilisées dans l'Union européenne pour les études de dangers 33

II.- REDÉFINIR LES PROCESSUS INDUSTRIELS ET LES CONCEPTS À GÉNÉRALISER 35

A.- les possibilités de redéfinition des procédés industriels 35

1.- Les changements de procédés de fabrication 35

2.- La réduction de la taille des installations 36

3.- Le fractionnement et l'enfouissement des stocks 37

4.- La fixation des seuils 38

b.- La défense en profondeur, un concept à généraliser 40

1.- L'approche systématique de certaines industries à risques 40

2.- Une multiplication des précautions dans la sûreté industrielle 43

C.- L'apport de la normalisation à la sûreté 44

III.- LE RETOUR D'EXPÉRIENCE, UN PROCESSUS D'APPRENTISSAGE À CONSOLIDER AUX PLAN NATIONAL ET EUROPÉEN 46

A.- Les conditions de base du retour d'expérience 46

B.- L'amélioration indispensable du retour d'expérience 47

1.- L'alourdissement des sanctions en cas de non-déclaration des incidents et accidents 47

2.- La diminution des délais du retour d'expérience 48

3.- La relance des travaux sur la fiabilité des équipements industriels 49

4.- Renforcer le BARPI en l'intégrant à l'INERIS 49

5.- Le contrôle et l'institutionnalisation au plan européen du retour d'expérience intra-branche 51

IV.- L'EXPERTISE, LA RECHERCHE ET LA FORMATION SUR LA SÛRETÉ INDUSTRIELLE, DES DOMAINES À DÉVELOPPER D'URGENCE 51

A.- Le nécessaire renforcement de l'expertise 51

1.- Le renforcement simultané des différents pôles publics ou associatif 51

2.- Les moyens du renforcement de l'INERIS et de l'INRS 52

3.- Un soutien accru aux associations professionnelles 54

4.- Le renouvellement indispensable du système de l'expertise judiciaire 54

B.- Un coup de fouet indispensable à la recherche 55

C.- La formation à la sûreté 56

V.- LE RENFORCEMENT DES MOYENS DE CONTRÔLE DE L'ÉTAT 57

A.- Le renforcement des inspections des installations classées et du travail 57

B.- Les autres modifications institutionnelles 59

1.- Le Conseil supérieur des installations classées 59

2.- La création souhaitable de groupes permanents d'experts auprès de la Direction de la prévention de la pollution et des risques 59

DEUXIÈME PARTIE : UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES FACTEURS HUMAINS DE DANGERS EST NÉCESSAIRE 61

I.- ÉCARTER LES SALARIÉS ET LEURS REPRÉSENTANTS DE LA GESTION DES RISQUES, CONDUIT TROP SOUVENT À UNE FORME DE LAXISME EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ 62

A.- Pour les exploitants comme pour l'administration, la securité industrielle est avant tout un problème de management. 62

B.- Bien que ses missions aient été élargies à la protection de l'environnement, le CHSCT est relativement impuissant face à ces situations et aux risques industriels 66

C.- Il faut réhabiliter le rôle des représentants du personnel dans la prévention et la définition des risques 68

1.- Intégrer le risque industriel en amont au niveau de la négociation collective de branche professionnelle et des accords professionnels et interprofessionnels 68

2.- Modifier en profondeur la légitimité et le fonctionnement des CHSCT 69

3.- Le CHSCT doit devenir acteur de la sécurité industrielle 74

4.- La création d'un comité de site 78

5.- Étendre le délit d'entrave à toutes les nouvelles prérogatives du CHSCT 79

II.- LA SOUS-TRAITANCE ET LA PRÉCARITÉ AGGRAVENT LES RISQUES ET DOIVENT ÊTRE LIMITÉES 79

A.- Le management à stricte logique financière s'oppose trop souvent à une démarche de prévention 79

B.- Dans les sites industriels classés SEVESO, la sous-traitance et les emplois précaires doivent être sous contrôle 81

1.- Interdire la sous-traitance en cascade 81

2.- Améliorer les conditions d'intervention des salariés des entreprises extérieures. 82

3.- Renforcer la protection des salariés précaires et des salariés extérieurs à l'entreprise 82

TROISIÈME PARTIE : LA TRANSPARENCE, L'ÉVALUATION PLURALISTE DES RISQUES INDUSTRIELS ET LA PRÉPARATION DE LA RÉPONSE AUX CRISES, ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE LA SÛRETÉ 86

I.- L'INDISPENSABLE TRANSPARENCE SUR LES RISQUES INDUSTRIELS 86

A.- La mise au point d'une échelle de risques 86

1.- L'échelle INES relative aux installations et aux transports nucléaires 87

2.- Clarifier et simplifier l'échelle de gravité utilisée pour les ICPE 87

B.- La mise en place de nouvelles instances d'information complétant les instances actuelles 89

1.- Les dispositions prévues dans l'avant-projet de loi 89

2.- La reconnaissance des instances actuelles et leur intégration dans un plan d'ensemble 90

II.- L'ÉVALUATION PLURALISTE DES RISQUES, UN IMPÉRATIF D'EFFICACITÉ 92

A.- Les modifications indispensables de la procédure d'enquête publique 92

B.- élargir l'accès à l'expertise de sûreté 93

III.─ LA RÉACTION AUX ACCIDENTS DOIT ÊTRE MIEUX PRÉPARÉE 93

A.- L'exploitant doit être prêt a réagir aux eventuels accidents 93

B.- améliorer la gestion des crises par l'état 96

1.- L'Etat doit pouvoir mieux gérer les crises 96

2.- Il faut tirer les conséquences des dysfonctionnements constatés à Toulouse en matière de communications 99

3.- Garantir l'efficacité des moyens d'alerte de la population 100

4.- Améliorer la préparation aux accidents susceptibles d'avoir des conséquences dans un Etat voisin 101

QUATRIÈME PARTIE: L'URBANISATION DANS LES ZONES EXPOSÉES AUX RISQUES : METTRE FIN AUX DÉRIVES ET RÉDUIRE LE DANGER 102

I.─ UN PRÉALABLE INDISPENSABLE A TOUTE ÉVOLUTION DES RÈGLES D'URBANISME : LA CONNAISSANCE DU RISQUE 107

II.─ L'ADAPTATION DES INSTRUMENTS JURIDIQUES EXISTANTS, QUI N'ONT PAS ÉTÉ EFFICACES, EST NÉCESSAIRE POUR LUTTER CONTRE LE DÉVELOPPEMENT DE L'URBANISATION DANS LES ZONES EXPOSÉES AUX RISQUES 108

A.- des instruments juridiques qui devraient permettre de maîtriser l'urbanisation existent 108

1.- Les instruments juridiques existants permettent d'empêcher la construction d'installations entraînant des risques dans des zones urbanisées 108

2.- Les instruments juridiques existants devraient également permettre d'empêcher l'urbanisation dans des zones exposées aux risques 109

B.- L'efficacité inégale dont ont fait preuve ces instruments appelle des ajustements 111

III.- RÉDUIRE LES PÉRIMÈTRES DE DANGERS ET CRÉER UN FONDS DE PRÉVENTION DES RISQUES INDUSTRIELS POUR RÉGLER LE PROBLÈME DE L'URBANISATION DES ZONES À RISQUES 117

A.- Un fonds de prevention des risques industriels au service des riverains des installations et aidant les exploitants 117

1.- Les limites du droit de préemption des collectivités 118

2.- Le fonds de prévention des risques industriels 118

B.- La réduction du risque à la source doit être une priorité absolue car elle permet la réduction des périmètres de dangers 121

1.- De nombreuses solutions techniques permettent une réduction des périmètres de dangers 121

2.- Il est nécessaire d'encourager les efforts en ce sens des exploitants 121

CINQUIÈME PARTIE : L'INDEMNISATION RAPIDE ET COMPLÈTE DES SINISTRÉS, UNE EXIGENCE MORALE 127

I.- IL FAUT ÉTABLIR DE MANIÈRE INCONTESTABLE LES RESPONSABILITES DES RETARDS DANS L'INDEMNISATION 127

II.- DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES APPELLENT DES PROCÉDURES D'INDEMNISATION D'EXCEPTION 128

III.- LA SOLVABILITÉ DE L'EXPLOITANT DOIT ÊTRE GARANTIE 132

SIXIÈME PARTIE : LE RÔLE DES JUGES DANS LA PRÉVENTION DES RISQUES INDUSTRIELS 135

I.- LE DISPOSITIF RÉPRESSIF EN MATIÈRE D'INSTALLATIONS CLASSÉES N'EST PAS NÉGLIGEABLE MAIS TROP FAIBLEMENT MIS EN OEUVRE 135

A.- Les dispositions existantes 135

1.- Le défaut d'autorisation ou de déclaration est constitutif d'un délit. 135

2.- Le non-respect des prescriptions administratives est passible de simples peines de police sauf en cas en cas de récidive. 136

B.- De faibles taux de poursuites et de sanctions 137

II.- RENDRE LES SANCTIONS PLUS DISSUASIVES ET LES JUGES PLUS EFFICACES 139

A.- Certaines infractions doivent être passibles de sanctions plus sévères et plus visibles. 139

B.- Constituer un corps de magistrats spécialisés 140

CONCLUSION 141

ANNEXES 145

 Annexe n° 1 : Liste des personnes rencontrées par la Commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur de l'Assemblée nationale 149

Annexe n° 2 : Étude de dangers relative au bâtiment I4 de l'usine Grande-Paroisse de Toulouse, en date du 7 juillet 1990, réalisée par l'exploitant 167

Annexe n° 3 : Accusé de réception et commentaires sur l'étude de dangers relative au bâtiment de stockage I4, du Directeur de la Direction régionale de l'industrie et de la recherche Midi-Pyrénées, en date du 29 octobre 1990: Étude de dangers relative au bâtiment I4 de l'usine Grande-Paroisse de Toulouse, en date du 7 juillet 1990, réalisée par l'exploitant 197

Annexe n° 4 : Arrêté préfectoral en date du 18 octobre 2000 d'autorisation d'exploiter les installations classées pour la protection de l'environnement de Grande-Paroisse à Toulouse 203

Annexe n° 5 : Lettre du chef de la subdivision environnement industriel de la Haute-Garonne Nord au directeur de la prévention des pollutions et des risques (ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement) en date du 3 décembre 2001 261

Annexe n° 6 : Nombre d'établissements soumis à la directive Seveso par département 265


Tome II - AUDITIONS 

Pour faciliter la consultation en ligne, ce tome a été divisé en trois volumes (le sommaire complet des auditions figure dans le volume 1) :
volume 1, volume 2, volume 3.


INTRODUCTION

« Plus jamais ça, ni ici ni ailleurs », le nom de ce collectif créé à Toulouse après la catastrophe du 21 septembre résume l'objectif que s'est fixé la Commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.

Conformément au principe de la séparation du pouvoir législatif et de l'autorité judiciaire et à la résolution par laquelle l'Assemblée nationale a décidé, à l'unanimité, la création de la Commission d'enquête, celle-ci n'a pas recherché les responsabilités du drame de Toulouse. Elle s'est attachée à formuler des propositions permettant de lutter plus efficacement contre le risque d'accident industriel et de mieux protéger les personnes en cas d'accident.

Constituée le 24 octobre 2001, la Commission d'enquête a achevé ses travaux le 29 janvier 2002 par l'adoption du présent rapport.

Durant ces trois mois, des délégations de la Commission se sont rendues en Haute-Normandie, à Toulouse, dans le Nord-Pas de Calais, à Lyon, à Bordeaux, à Marseille, en Ile-de-France, en Alsace et en Lorraine. Ces déplacements ont permis la visite de 17 sites industriels et d'un centre de recherche, le laboratoire P4 de Lyon. Dans le cadre des auditions réalisées à l'occasion de ces déplacements et à Paris, la Commission a entendu près de 400 personnes, presque toutes ayant été entendues dans le cadre de réunions ouvertes à la presse dans un souci de transparence.

Nous voulons remercier très chaleureusement pour leur disponibilité l'ensemble de ces personnes, avec lesquelles nous aurions bien souvent souhaité pouvoir prolonger le dialogue et leur dire que sans leur apport, ce travail n'aurait pas été possible. Nos remerciements vont également aux services de l'Etat pour leur aide précieuse dans l'organisation des déplacements des délégations de la Commission et aux exploitants des sites visités pour leur accueil.

En préalable à toute analyse, il convient de rappeler que la France est un grand pays industriel capable de concilier les exigences de la production, dans tous les secteurs, et un haut niveau de sûreté qui peut impliquer des contraintes fortes qui doivent être appliquées sans laxisme.

Le sentiment de la Commission aux termes de ses travaux est que la conscience des risques, d'une entreprise à l'autre, d'un secteur à un autre, semble très inégale, comme semblent l'être également les moyens consacrés à la politique de sûreté. La Commission a été très favorablement impressionnée par l'attention portée aux questions de sûreté dans de nombreux établissements qu'elle a visités. Elle a toutefois constaté que certains secteurs, en particulier le nucléaire et dans une moindre mesure la pétrochimie, paraissaient en avance sur d'autres en matière de culture de sûreté.

Un théorème de la protection contre le danger maximum semble avoir une réalité : plus il y a de dangers potentiels comme dans le nucléaire, plus les règles de sûreté sont respectées, alors que lorsque les risques ne sont pas perçus, comme cela peut être le cas dans les stockages en vrac, il y a une sorte de banalisation et de sous-estimation du risque.

Le plus souvent, un accident résulte d'un enchaînement de causes, et notamment de négligences et de coïncidences fâcheuses, dont la séquence est difficile à anticiper. D'où l'importance capitale du retour d'expérience c'est-à-dire de l'analyse des incidents et des accidents passés et de la transmission des enseignements pouvant en être tirés, au plus grand nombre possible d'acteurs.

La Commission a également été frappée par l'abondance des règles en vigueur pour prévenir les accidents industriels. La directive Seveso, paraît, pour l'essentiel, satisfaisante. La législation française sur les installations classées qui la transpose et la complète le cas échéant, n'a pas à être bouleversée. Il n'est donc pas à notre sens nécessaire de faire de la sédimentation juridique, en ajoutant de nouvelles strates réglementaires, sans chercher au préalable à appliquer les textes existants. Nous avons également cherché à comprendre pourquoi, dans certains cas, les règles n'étaient pas respectées, pourquoi dans d'autres les textes étaient inapplicables.

Elle s'est donc attachée à ne pas encourager un foisonnement normatif estimant avant tout nécessaire de garantir l'application des règles existantes.

Pour autant, dans un certain nombre de cas, elle a jugé indispensable de rendre plus contraignantes les dispositions s'imposant aux exploitants. En effet, la Commission a pu constater un certain décalage entre le discours des organisations professionnelles et de certaines entreprises présentant systématiquement la sécurité comme une priorité absolue et la réalité de pratiques encore trop souvent caractérisées par une pression croissante des impératifs de rentabilité et par la marginalisation des salariés.

La Commission a ainsi été choquée par le fait que l'Union des industries chimiques (UIC) ait demandé et obtenu en 1996 l'annulation pour des raisons de forme d'une circulaire enjoignant aux préfets de faire réaliser par l'exploitant et à ses frais au moins un exercice d'application du plan d'opération interne (POI) par an, disposition pourtant tout à fait justifiée. Trop souvent, les entreprises ne se sont engagées que par obligation dans l'amélioration de la sûreté, « le pied sur le frein ».

La Commission a noté qu'après la catastrophe de Toulouse et notamment en raison d'une pression amplifiée de l'administration, les efforts en matière de sûreté des exploitants dont le groupe TotalFinaElf se sont amplifiés. Elle juge nécessaire que la même priorité soit accordée à la sûreté en toutes circonstances.

En définitive, la Commission estime que des améliorations peuvent être apportées en matière de prévention des accidents et de réaction aux catastrophes industrielles.

C'est pourquoi le présent rapport formule quatre-vingt dix propositions.

Parallèlement aux travaux de la Commission d'enquête, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement a préparé un avant-projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques. Celui-ci, dans la version qui a été communiquée à la Commission, ouvre de nombreuses pistes de réflexion intéressantes, que la Commission a analysées rapidement lorsqu'elles rejoignaient ses propres recommandations.

La Commission estime toutefois que le champ couvert par cet avant-projet de loi est trop restreint. Celui-ci concerne en effet presque exclusivement les questions liées à l'urbanisme, à l'information du public et aux modalités d'association des représentants des salariés à la prévention des risques.

Ces thèmes sont bien évidemment d'une grande importance mais d'autres ne le sont pas moins et doivent être traités en détail.

En tout état de cause, il ne serait pas supportable qu'une Commission d'enquête parlementaire puisse traiter froidement des questions d'amélioration de la sûreté industrielle sans aborder les dramatiques questions de l'indemnisation des victimes d'accident et de la réparation des dégâts. La méthodologie de réalisation des études de danger est également un point que nous avons voulu analyser.

C'est pourquoi les propositions de la Commission concernent six grands domaines :

- la réduction du risque à la source,

- le rôle du facteur humain et notamment des salariés dans la prévention des accidents,

- la mise en oeuvre d'une plus grande transparence et d'une expertise pluraliste des risques,

- les questions d'urbanisme,

- l'indemnisation des victimes de catastrophes industrielles dont les dysfonctionnements à Toulouse apparaissent scandaleux,

- l'adaptation des procédures judiciaires.

Dans tous ces domaines, la mise en oeuvre des recommandations de la Commission appellera des efforts considérables tant pour l'Etat que pour les exploitants.

La Commission attend d'abord, de l'Etat, un renforcement massif des moyens de contrôle et d'expertise et, des industriels, un effort exceptionnel en faveur d'une culture du risque.

Tout accident peut être évité. Tout doit être fait en ce sens. C'est là le rôle même de l'Etat, garant de la sécurité des personnes. C'est pour l'industrie un impératif de responsabilité sociale mais également un impératif économique.

Dans la quasi-totalité des cas, l'approche coût-avantages montre, en intégrant la totalité des coûts, directs et indirects, des accidents, que les investissements de sûreté ont, dans les pays développés, un coût d'opportunité inférieur à celui de tout autre investissement. Ces investissements doivent donc être réalisés.

Enfin, la Commission a travaillé, conformément à la résolution de l'Assemblée nationale qui a décidé sa création, sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche. Le temps qui lui était imparti ne rendait pas possible la réalisation d'une étude sérieuse couvrant un champ plus large.

Pour autant, il est apparu de manière très forte à l'ensemble des membres de la Commission que les questions liées aux transports de matières dangereuses et à la sûreté des infrastructures de transport et notamment des ports, des gares et des aéroports, méritaient également la plus grande attention.

C'est pourquoi la Commission juge absolument nécessaire de créer, dès le début de la prochaine législature, une commission d'enquête sur les questions liées aux transports de matières dangereuses et à la sûreté des infrastructures de transport et notamment des ports, des aéroports et des gares.

PREMIÈRE PARTIE : UNE PRIORITÉ, LA RÉDUCTION DES RISQUES À LA SOURCE

I.─ IL FAUT PERFECTIONNER LES ÉTUDES DE DANGERS

Toute personne se proposant de mettre en service une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) soumise à autorisation, doit produire dans la demande adressée au préfet du département une étude de dangers, ainsi que le stipule le décret n°  77-1133 du 21 septembre 1977.

Les études de dangers décrivent, notamment, « les mesures d'ordre technique propres à réduire la probabilité et les effets des accidents majeurs ainsi que les mesures d'organisation et de gestion pertinentes pour la prévention de ces accidents et la réduction de leurs effets », ainsi que l'indique l'arrêté du 10 mai 2000 relatif à la prévention des accidents majeurs impliquant des substances ou des préparations dangereuses présentes dans certaines catégories d'ICPE soumises à autorisation.

La réalisation de l'étude des dangers constitue au premier chef une obligation de réflexion de l'entreprise sur les risques liés à son activité, avant le lancement de celle-ci ou son développement, puisqu'en cas d'extension d'activité, une nouvelle étude est exigée. L'étude de dangers est réalisée en interne dans les grandes entreprises, avec éventuellement l'aide d'un bureau d'études extérieur. La sous-traitance complète de l'étude est fréquente dans le cas de PMI/PME.

C'est l'étude de dangers qui conduit à la détermination des zones Z1 (distance à laquelle un accident aurait des conséquences mortelles pour au moins 1 % des personnes présentes) et Z2 (distance d'apparition d'effets irréversibles pour la santé ou de blessures sérieuses).

L'enveloppe des zones de dangers définies sur la base des scénarios accidentels développés dans l'étude des dangers constitue la zone de concertation. Cette zone, d'une part, correspond généralement à la zone dans laquelle il est de la responsabilité du Préfet de mettre en place le plan particulier d'intervention ou PPI pour les installations pour lesquelles ce plan est établi, et d'autre part, est utilisée pour arrêter les zones de protection intégrées dans les documents d'urbanisme.

Les études de dangers sont donc au c_ur de la sûreté des installations industrielles.

Bien que son efficacité soit difficilement mesurable, la démarche des études de dangers représente un progrès incontestable dans la prévention des risques, tant pour les populations qui sont soumises à ceux-ci que pour les industriels incités à réduire l'éventualité de sinistres coûteux en termes de destruction d'équipement de production, de pertes d'exploitation, d'indemnisations et de dégradation de l'image de leur entreprise.

La Commission d'enquête s'est attachée à analyser le cas précis des études de dangers relatives à l'usine AZF de Toulouse, qui illustrent malheureusement l'intérêt et les limites, d'une part, des techniques utilisées pour les réaliser et, d'autre part, des procédures qui les concernent.

Les enseignements que l'on peut tirer de cette analyse et des observations effectuées par la Commission sur différents sites industriels permettent d'indiquer des voies de progrès multiples.

A.- LA RÉGLEMENTATION ET LES ÉTUDES DE DANGERS RELATIVES À L'USINE GRANDE PAROISSE DE TOULOUSE

L'usine de Grande Paroisse à Toulouse, lieu de la catastrophe du 21 septembre 2001, était soumise à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement sous le régime de l'autorisation, et réglementée par l'arrêté préfectoral du 18 octobre 2000.

La prévention des risques liés au stockage des nitrates d'ammonium sur ce site ressort d'une part des études de dangers réalisées par l'exploitant et d'autre part des prescriptions des arrêtés préfectoraux.

1.- Les études de dangers à Grande Paroisse Toulouse

Le nombre des études de dangers concernant l'usine Grande Paroisse de Toulouse s'élève à 9, correspondant aux différents types de fabrications : synthèse, mise en oeuvre et stockage cryogénique d'ammoniac, dépotage confiné de chlore, stockage en vrac d'ammonitrates, stockage de méthanol, stockage et fabrication de formol, stockage de phénol, stockage de produits chlorés.

Les ammonitrates1 produits et stockés dans cette usine ont fait l'objet d'une étude de dangers réalisée en 1990 et complétée en 1995 pour le seul bâtiment I4 pouvant contenir jusqu'à 15 000 t en vrac de ces produits à usage d'engrais à 33,5 % d'azote.

Le bâtiment 221-222, siège de l'explosion, qui contenait entre 300 et 400 t de nitrates d'ammonium au moment de celle-ci, n'avait pas fait l'objet d'une étude de dangers.

Par ailleurs, au moment de l'accident, sept wagons citernes de chlore étaient présents sur le site, dont deux dans le bâtiment de dépotage et cinq sur une voie perpendiculaire à l'axe du bâtiment 221-222. Ainsi que le note le rapport de l'Inspection générale de l'environnement (IGE) du 24 octobre 2001 intitulé « Usine de la société Grande Paroisse à Toulouse - Accident du 21 septembre 2001 », les risques liés à la présence des wagons citernes n'ont pas non plus été considérés dans les études de dangers. Par ailleurs, la quantité de chlore sur le site était réglementée, à l'exception de celle des wagons stationnés temporairement sur celui-ci.

On doit noter que selon l'avis d'expert en date de novembre 2001 remis par l'INERIS à la DRIRE, c'est la rupture instantanée d'un wagon de chlore qui est considéré comme l'accident majorant.

Les études de dangers sont un élément de sûreté essentiel depuis 1977, à condition bien évidemment qu'elles soient effectivement réalisées avec rigueur pour chacun des risques.

S'agissant des nitrates d'ammonium, il faut noter par ailleurs que les arrêtés préfectoraux ont également énoncé avec précision des principes à respecter pour le stockage des nitrates d'ammonium, et ceci dès 1969.

2.- Les prescriptions des arrêtés préfectoraux pour le stockage de nitrates d'ammonium

De fait, les conditions de stockage des ammonitrates avaient été précisées en détail dès le 31 décembre 1969, date du premier arrêté préfectoral autorisant l'exploitation d'un stockage de 15 000 tonnes d'ammonitrates commerciaux à 33,5 % d'azote.

Cet arrêté stipule que « des précautions seront prises pour qu'aucun déversement de liquides inflammables ou de substances combustibles liquides ou solides accidentellement fondues ne puisse accéder jusqu'au dépôt ».

Le même arrêté précise en outre que « si le local n'est pas affecté uniquement au stockage de nitrates d'ammonium, les autres matières entreposées dans le local devront être éloignées des tas de nitrates [..]. En particulier, les amas de corps réducteurs ou de produits susceptibles de jouer le rôle d'accélérateur de décomposition devront être suffisamment éloignés afin qu'ils ne puissent pas être mélangés accidentellement aux nitrates ».

Ces conditions d'exploitation énoncées en 1969 ont ultérieurement été visées par l'arrêté préfectoral du 2 novembre 1987 qui porte sur l'ensemble des installations exploitées sur le site.

Cet arrêté traite dans son paragraphe 7.9. « des dépôts de nitrates d'ammonium », ce qui donne une portée générale à ses dispositions et non pas au seul silo I4.

L'arrêté préfectoral, après avoir fait référence à l'arrêté du 31 décembre 1969, traite explicitement en trois alinéas, successivement des matériaux de construction des hangars de stockage, des appareils mécaniques pour la manipulation et enfin du silo I4 s'agissant de sa ventilation, de capteurs de température à l'intérieur des tas et de dispositifs d'aspersion par eau si la température in situ dépasse 80 °C.

Un dernier arrêté préfectoral, en date du 18 octobre 2000, liste enfin dans son paragraphe 10.1, les conditions des stockages d'ammonitrates solides, ce qui vaut pour le hangar 221-222 en particulier.

En l'occurrence, il faut noter que dès 1969, les conditions de stockage avaient été formulées avec précision par l'administration, en l'espèce pour un autre bâtiment, puis étendues à l'ensemble des dépôts.

3.- L'étude de dangers réalisée pour le silo I4 de stockage de nitrate d'ammonium

L'étude de dangers, réalisée en 1990 sous la responsabilité de l'exploitant, pour le seul hangar I4 d'une capacité de 15 000 tonnes, recense et analyse brièvement 17 explosions accidentelles impliquant le nitrate d'ammonium, dont deux survenues en France en 1940 et en 1947.

L'explosion de Miramas en août 1940 a été occasionnée par un mélange d'ammonitrates avec du toluène enflammé. L'explosion du cargo Ocean Liberty, à Brest en 1947, est due, elle aussi, selon l'expert cité, à un mélange préalable de nitrates d'ammonium et de matières combustibles (voir tableau ci-après).

Tableau 1 : Accidents relatifs au nitrate d'ammonium

Date

Pays

Circonstances

1920

Brooklyn

incendie de barils de nitrate à bord d'un navire

1921

Kriewald (Silésie)

explosion suite à un tir d'explosif pour désagréger un tas de nitrates pris en masse

1940

Miramas

explosion suite au contact de toluène enflammé entré en contact avec du nitrate d'ammonium pur en vrac

1940

Rouen

stock de nitrate touché par une bombe et resté intact

1946

Toulouse

stock d'engrais à faible teneur en nitrate resté intact dans un bâtiment en feu

1947

Brest

explosion à bord du cargo Ocean Liberty d'un mélange de nitrates d'ammonium et de produits combustibles

1947

Texas City

explosion du cargo Grandcamp contenant matériels mécaniques, arachide, sisal et 2200 tonnes d'ammonitrates

1954

Mer rouge

explosion du cargo Tirrenia

1960

Trakswood (Arkansas)

explosion suite à la mise en contact lors d'un déraillement de train, de nitrate d'ammonium avec de l'acide nitrique concentré et des huiles de pétrole

1966

Etats-Unis

incendie dans un atelier contenant des ammonitrates et des produits chimiques, suivi d'une explosion

Source : étude de dangers nitrates d'ammonium - Grande Paroisse - 1990.

L'étude de dangers infère de l'analyse des accidents survenus dans le passé que « les circonstances des accidents décrits ci-dessus ne peuvent se présenter avec des ammonitrates CEE, dans un stockage exploité normalement ».

La même étude de dangers analyse les risques de décomposition et d'explosion. En tout état de cause, les températures de décomposition du nitrate d'ammonium sont abaissées de 50 à 80 °C avec une matière combustible ou un catalyseur de décomposition comme un chlorure. Par ailleurs, l'amorçage par détonation ne peut se faire, selon l'étude, que sous l'influence directe d'une amorce détonnante.

L'étude de dangers du silo I4 pouvant comprendre jusqu'à 15 000 tonnes d'ammonitrates note l'intention de l'exploitant de compléter le système de mesure de température par l'installation de capteurs spécifiques d'oxydes d'azote, produits de décomposition du nitrate d'ammonium.

Le risque d'explosion des nitrates d'ammonium est en définitive écarté. En conséquence, pour la définition des périmètres de protection, les scénarios majorants, qui au demeurant ont été définis pour l'ensemble du pôle chimique constitué de Grande Paroisse, SNPE et Tolochimie, correspondent à des émissions toxiques d'ammoniac, de chlore et de phosgène. Pour Grande Paroisse, les rayons des zones de dangers, qui correspondaient au risque ammoniac, s'établissaient à 900 m pour Z1 et 1600 m pour Z2.

4.- Les réalités du bâtiment 221-222

Ainsi que l'indique le rapport de M. François Barthélémy de l'inspection générale de l'environnement (IGE) du 24 octobre 2001, le bâtiment 221-222, siège de l'explosion, avait pour fonction le stockage de nitrates d'ammonium déclassés en raison d'anomalies de granulométrie, de composition ou de porosité.

Ce bâtiment n'était pas équipé de systèmes de détection incendie contrairement à l'arrêté préfectoral, ni de détecteurs d'oxydes d'azote.

L'exploitation de ce bâtiment était sous-traitée à des sociétés extérieures et supervisée par le service d'expédition de Grande Paroisse. Au cours des auditions, il a été indiqué à votre Commission d'enquête qu'aucun registre d'entrées-sorties des matières stockées dans le bâtiment 221-222 n'était tenu.

Selon le rapport de l'IGE, ont été transportés à l'intérieur du bâtiment 221-222, d'une part, la veille de l'explosion, quinze à vingt tonnes d'une fabrication avec un adjuvant en cours de qualification, d'autre part, le matin de l'explosion, des produits issus du conditionnement des ammonitrates et des ateliers de fabrication et enfin, moins d'une demi-heure avant l'explosion, une benne en provenance d'une autre zone de stockage.

A la suite d'une visite effectuée le 17 mai 2001, la DRIRE Midi Pyrénées avait rappelé dans une lettre adressée le 13 juin 2001 au Directeur de Grande Paroisse, l'engagement de ce dernier de communiquer fin 2001 l'étude de dangers « fabrication et stockage ammonitrates et autres engrais ».

5.- Une perte de mémoire conduisant à une banalisation du risque

Il n'entre pas dans la mission de votre Commission d'établir quelles sont les responsabilités en cause dans la catastrophe de Toulouse.

Il paraît toutefois indispensable de pointer un phénomène d'une portée majeure et générale, qui est sans aucun doute au c_ur de la tragédie toulousaine. Ce phénomène, contre lequel il convient de lutter sans relâche dans toutes les installations industrielles, c'est la banalisation du risque.

L'utilisation des ammonitrates et donc la fabrication de ces produits bénéficient de plusieurs dizaines d'années d'expérience. Compte tenu des accidents - incidents et explosions - dont on a conservé la mémoire depuis 1916, un règlement ministériel relatif aux transports des matières dangereuses a été élaboré en France en 1946.

Le règlement interministériel de 1946 accorde la plus grande attention aux impuretés qui peuvent éventuellement polluer les ammonitrates. En particulier, la teneur en chlore ne doit pas dépasser 0,02 % et celle des matières combustibles ne doivent pas dépasser 0,2 % s'il y a plus de 90 % de nitrate d'ammonium. Les matières mélangées au nitrate d'ammonium pour constituer l'ammonitrate, ne doivent pas altérer la stabilité du nitrate, de sorte que l'on utilise des minéraux comme l'argile, le calcaire, la marne ou la dolomie.

A ces spécifications de composition, s'ajoutent les exigences de la directive européenne 80/876/CEE du 15 juillet 1980 sur les engrais simples à base de nitrate d'ammonium et à forte teneur en azote (supérieure à 28 %). Conformément à celle-ci, les ammonitrates doivent respecter différentes normes supplémentaires en ce qui concerne la granulométrie et la porosité des grains.

Sur la base des connaissances acquises, rappelées en détail dans l'étude de dangers de Grande Paroisse de 1990 relative aux ammonitrates, et en application de la réglementation, une grande attention est logiquement donnée aux ammonitrates dont les tonnages sont les plus importants et dont la fabrication répond aux normes. Une étude de dangers est réalisée pour le stockage qui les concerne. Les prescriptions réglementaires sont respectées.

Mais toute fabrication présente ses marges d'erreur, notamment lors du test de nouveaux procédés ou de nouveaux additifs.

Il est à cet égard deux paramètres particulièrement importants du point de vue des possibilités de détonation. Ce sont la granulométrie et la porosité. La granulométrie est un paramètre clé de la stabilité des ammonitrates. On sait par ailleurs depuis des décennies que les grains d'ammonitrates à usage d'engrais doivent avoir une porosité la plus faible possible, afin, d'une part, que la dissolution de l'ammonitrate et le passage de l'azote dans les sols soient les plus progressifs possibles et d'autre part que les propriétés des granulés soient réduites vis-à-vis de la détonation. On notera qu'au contraire, les nitrates utilisés comme explosifs en mélange avec du fioul sont préparés sous la forme de grains de faible grosseur et de porosité maximale.

Pour toutes ces raisons, les ammonitrates hors normes au regard des critères de qualité, en particulier les produits trop poreux, les produits obtenus sous forme de grains trop petits, les produits pollués par des composés organiques ou des produits chlorés sont éliminés ou recyclés dans d'autres fabrications. Ainsi, les fines sont mises au rebut.

S'il y avait eu une conscience permanente des risques qu'ils présentent et qui sont connus de longue date, une attention particulière aurait été donnée aux rebuts de fabrication des ammonitrates.

Certes, la réglementation les distingue soigneusement des ammonitrates aux normes et confère au stockage des contraintes intervenant pour des valeurs de seuils réduites. Mais les contraintes de surveillance par capteurs des stocks de rebuts sont moins fortes que pour les ammonitrates correspondant aux normes, de même que les contraintes de gestion de stock pour ces produits qui sont pourtant d'une dangerosité beaucoup plus grande.

En définitive comme dans de nombreux autres cas, une banalisation du risque s'est opérée dans le temps, banalisation d'autant plus explicable que les tonnages de rebuts de fabrication sont considérablement plus réduits que ceux des produits commercialisés.

Pertes de mémoire, erreurs de perspectives dans la perception des risques et banalisation des dangers sont des phénomènes fréquents dans les industries à risques. Ils doivent être combattus sans relâche.

B.- L'INDISPENSABLE AMÉLIORATION DES CONNAISSANCES SUR LES PRODUITS CHIMIQUES

Les études de dangers concernent les installations soumises à autorisation, celles-ci étant répertoriées dans la réglementation par une nomenclature par types d'activité.

C'est donc la connaissance de la dangerosité des produits qui fonde toute la pertinence de la démarche.

La catastrophe de Toulouse survenue le 21 septembre 2001 trouve son origine dans l'explosion de nitrates d'ammonium, un produit réputé stable.

Cette catastrophe souligne, mais il n'en était pas besoin, que le danger d'un produit est fonction des multiples paramètres : conditions de température, de pression, de granulométrie ou de mélange éventuel avec d'autres substances, par exemple. Un produit réputé stable dans certaines conditions peut être explosible voire explosif dans d'autres.

Là encore, la catastrophe de Toulouse entraîne une double obligation, d'une part la réalisation de nouveaux travaux scientifiques et réglementaires sur les nitrates d'ammonium et d'autre part, une accélération du processus global initié au plan européen par le Livre blanc sur les produits chimiques.

1.- Des nitrates d'ammonium à mieux réglementer

Les controverses sur les propriétés du nitrate d'ammonium ont été nombreuses après la catastrophe de Toulouse. Ce qui semble toutefois à peu près établi, c'est que le nitrate d'ammonium voit ses propriétés radicalement changer en présence d'impuretés. Celles-ci peuvent déclencher des processus très divers, allant de la décomposition lente à l'explosion.

La nomenclature distingue bien deux classes de produits. La rubrique 1331 correspond aux nitrates conformes à la norme NFU 42-1001. La rubrique 1330 correspond aux autres, en particulier aux rebuts de fabrication. Les obligations réglementaires sont différentes.

Tableau 2 : Réglementation s'appliquant

aux ammonitrates et au nitrate d'ammonium

Rubrique

Produits

Quantité

Régime

1331

stockage d'engrais simples à base de nitrates (ammonitrates, sulfonitrates...) correspondant aux spécifications de la norme NFU 42-001 (ou à la norme européenne équivalente) ou engrais composés à base de nitrate

_ 5000 tonnes

Autorisation avec servitude d'utilité publique

1250 tonnes < < 5000 tonnes

Autorisation

1330

- nitrate d'ammonium, y compris sous forme d'engrais simples ne correspondant pas aux spécifications de la norme NFU 42-001 (ou la norme européenne équivalente)

- solutions chaudes de nitrate d'ammonium dont la concentration en nitrate d'ammonium est supérieure à 90 % en poids

_ 2500 tonnes

Autorisation avec Servitude d'utilité publique

350 tonnes < < 2500 tonnes

Autorisation

100 tonnes < _ 350 tonnes

Déclaration

Source : arrêté du 10 mai 2000

Les nitrates d'ammonium constituent un des engrais azotés les plus utilisés au monde, avec une production mondiale et donc le transport et la manutention de plusieurs millions de tonnes.

Il faut dans ces conditions que les propriétés d'explosibilité d'un tel produit soient parfaitement connues dans des conditions physiques particulières ou lorsqu'il est mélangé à d'autres composés.

Proposition n° 1 : Lancer un programme de recherche européen sur les conditions d'explosibilité du nitrate d'ammonium et de ses mélanges.

Cet effort de recherche particulier pourra être lancé au niveau communautaire dans le cadre du Centre commun de recherche ou dans celui du 6ème PCRD (Programme commun de recherche et de développement)

La question de la teneur maximale en nitrate d'ammonium des engrais azotés à base de ce produit est également une question importante.

L'explosion de Toulouse concerne selon toute probabilité des mélanges de rebuts de fabrication de nitrates d'ammonium à 33,5 % de teneur en azote avec d'autres produits inflammables ou chlorés. La directive CEE 87/216 a étendu les règles de la directive CEE 82/591, dite directive « Seveso I », aux mélanges de nitrate d'ammonium dont la teneur en azote due au nitrate d'ammonium est supérieure à 28 % en poids.

On trouvera au tableau suivant les teneurs en azote de différents types de produits en nitrate d'ammonium.

Tableau 3 : Composition de différents produits à base de nitrate d'ammonium

 

Utilisation

teneur en azote

part du nitrate d'ammonium dans le produit

nitrate d'ammonium chimiquement pur

produit intermédiaire

35 %

100 %

nitrate d'ammonium industriel

Fabrication du nitrate fioul (explosif)

34,6 %

99 %

nitrate d'ammonium engrais

engrais simple

33,5 %

> 95 %

nitrate d'ammonium visé par les directives CEE 80/876, 82/501 et 87/216

Engrais

> 28 %

 

La réglementation française des engrais azotés fixe une teneur maximale en azote de 31,5 %, soit 90 % de nitrate d'ammonium. Le rapport de l'IGE du 24 octobre 2001 demande que la teneur maximale des engrais à base de nitrates d'ammonium soit fixée entre 28 et 31,5 %. Dans l'état actuel des connaissances, il convient de conduire un programme de recherche spécifique pour évaluer la portée de cette recommandation.

Par ailleurs, le rapport précité propose que les rebuts de fabrication des nitrates d'ammonium ainsi que tous les nitrates d'ammonium ou les engrais à base de ce composé qui pourraient avoir subi une pollution soient classés comme explosifs et ressortir en conséquence à la nomenclature des poudres et explosifs.

Cette recommandation sera prise en considération par le programme de recherche engagé selon la proposition n°  1. S'il apparaissait nécessaire au terme de ce programme de recherche d'appliquer les mesures citées, il serait souhaitable de disposer au moment de la publication des résultats d'un ensemble de mesures permettant une entrée en vigueur rapide du changement de réglementation, dans la mesure où la réglementation poudres et explosifs est particulièrement contraignante.

Il convient également d'étudier l'application de cette mesure au cas général de tous les intermédiaires de réaction correspondant à tous les processus de fabrication.

Proposition n° 2 : Évaluer une éventuelle application de la réglementation sur les poudres et explosifs aux produits explosifs intervenant dans des processus de fabrication et visés comme tels dans les études de dangers.

Simultanément, il convient que la France prenne l'initiative d'une révision de la directive 80/876/CEE relative aux engrais simples à base de nitrate d'ammonium.

Proposition n° 3 : Réviser la directive européenne relative aux engrais à base de nitrates d'ammonium.

Des normes spécifiques et précises devront être fixées en termes de porosité et de granulation, de teneurs en impuretés combustibles, de non-susceptibilité à la détonation, de règles de conduite de fabrication, de stockage et de contrôle.

En tout état de cause, on notera que les dispositions réglementaires en vigueur en Allemagne sont plus contraignantes que les dispositions françaises (voir encadré pages suivantes).

La réglementation allemande des engrais comporte quatre groupes, dont le groupe A pour les engrais au nitrate d'ammonium et ses préparations, qui peuvent détoner et ont une teneur élevée en azote. Les conditions de stockage des engrais du groupe A sont précises. Le stockage doit être sous forme emballée sauf pour les sites de fabrication d'engrais et de nitrates industriels où le stockage en vrac est autorisé. Pour une quantité supérieure à 1 tonne, des distances de sécurité sont à déterminer. La quantité maximale d'une cellule est de 25 tonnes. Les cellules sont séparées entre elles par un mur d'une épaisseur définie en fonction de la masse stockée. Pour un stockage supérieur ou égal à 25 tonnes, une déclaration et une autorisation officielle sont obligatoires. Les nitrates d'ammonium industriels et les mélanges de nitrates d'ammonium utilisés comme explosifs sont réglementés par la loi sur les explosifs.

graphique

graphique
source : INERIS.

2.- L'intérêt de promouvoir le récent Livre blanc européen sur la « stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques »

La Commission européenne a présenté le 27 février 2001 un Livre blanc proposant une stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques2.

Toutes les substances chimiques commercialisées et déclarées depuis septembre 1981 doivent faire l'objet d'essais et d'une évaluation des risques pour la santé humaine et l'environnement selon la directive CEE 67/548. En revanche, les substances existantes (à la date de septembre 1981), soit aujourd'hui 99 % du marché, ne sont pas soumises aux mêmes exigences d'essai. Le nombre de substances existantes déclaré en 1981 était de 100 106 et s'établit à 30 000 environ, en 2000.

L'objectif du Libre blanc est, d'une part, de faire en sorte qu'à l'avenir les substances existantes et les substances nouvelles fassent l'objet des mêmes procédures, et d'autre part qu'il soit procédé à un rattrapage par étape de l'existant par leur mise à l'essai et leur évaluation.

Le calendrier de rattrapage fixe l'horizon de la fin 2005 pour les substances existantes dont la production excède 1000 tonnes, l'horizon de la fin 2008 pour celles dont la production excède 100 tonnes, et l'horizon de la fin 2012 pour les productions excédant 1 tonne.

Les auditions pratiquées par votre Commission démontrent que l'accueil fait par la France à ce Livre blanc est très contrasté selon les interlocuteurs.

Les industries chimiques sont, selon les entreprises ou selon le niveau des organisations professionnelles, soit clairement opposées au Livre blanc soit demanderesses de délais supplémentaires. Les syndicats et les associations sont favorables au Livre blanc.

En réalité, votre Commission estime que le Livre blanc sur la stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques constitue un pas en avant pour le développement durable et une obligation positive pour l'avenir à long terme des industries chimiques françaises.

La France doit donc jouer un rôle moteur dans l'Union européenne pour la formulation et la traduction concrète de la politique proposée dans le domaine des substances chimiques.

Proposition n° 4 : Soutenir le Livre blanc européen sur la future politique dans le domaine des substances chimiques.

C.- RÉNOVER LA MÉTHODE DES ÉTUDES DE DANGERS

La France a opté pour une approche dite « déterministe » de l'étude des dangers relatifs à une installation industrielle. En conséquence, l'étude des dangers doit identifier et analyser tous les accidents envisageables, en ne rejetant pas les plus improbables.

Dans la pratique, la Commission d'enquête n'a pu que constater combien est fragile la frontière qui sépare l'improbable du probable en matière de risques industriels.

En tout état de cause, il semble indispensable de progresser rapidement dans la méthodologie des études de dangers. Différentes voies de progrès doivent être empruntées simultanément. Parmi les principales, on peut citer l'amélioration du recensement des scénarios notamment grâce une pluralité d'intervenants dans la conduite de l'étude. Une autre voie, étroitement liée à la précédente, correspond au complément que la méthode probabiliste peut apporter sous certaines conditions à la méthode déterministe. Une troisième voie de progrès consiste à élargir le champ des études de dangers.

1.- Une identification plus exhaustive des causes d'accident grâce à une pluralité d'intervenants

L'analyse succincte des études de dangers réalisées pour l'usine Grande Paroisse révèle une importante catégorie de limites relatives à la méthodologie actuelle. Pour améliorer la situation, il est en tout état de cause indispensable de diversifier les intervenants participant à la réalisation de l'étude, le pluralisme étant non seulement souhaitable au plan du droit à l'information des personnes soumises au risque mais étant également un gage de qualité de l'étude.

a) Les principaux résultats des études de dangers réalisées pour l'usine Grande Paroisse de Toulouse

Ainsi qu'il a été vu plus haut, aucune étude de dangers n'avait été réalisée pour le bâtiment 221-222 où s'est produite l'explosion générant la catastrophe du 21 septembre 2001.

Quant à l'étude de dangers relative au silo I4 de stockage de nitrate d'ammonium de Grande Paroisse à Toulouse, réalisée en 1990 et actualisée en 1995, elle retient l'hypothèse que la détonation du nitrate d'ammonium ne peut être provoquée que par l'influence d'un détonateur pyrotechnique assez puissant et donc ne la prend pas en compte.

S'agissant de Grande Paroisse, sur la base des études de dangers réalisées par l'exploitant, la scénario majorant cité dans le « projet de création d'une zone de protection autour du complexe chimique sud de Toulouse » de la DRIRE Midi Pyrénées en date du 20 juin 1989, est constitué par la rupture du plus gros collecteurs en phase liquide d'ammoniac

On notera que pour la détermination de la zone de protection autour du pôle chimique sud de Toulouse, deux autres scénarios majorants ont été retenus pour Tolochimie et SNPE, dont les établissements sont contigus.

Sur la base des résultats ci-dessus, le périmètre de protection mis en oeuvre par un PIG (projet d'intérêt général) atteint une superficie de 550 hectares. Au demeurant, les conséquences de la catastrophe du 21 septembre 2001 se sont fait sentir sur une zone de 3000 hectares.

En novembre 2001, l'INERIS a publié ses propres évaluations des distances de dangers relatives au pôle chimique. Cette étude a été réalisée à la demande de la DRIRE qui souhaitait disposer d'une tierce expertise pour évaluer les scénarios d'accidents remis en 1999 par les exploitants, dans le cadre d'une démarche réactualisant la maîtrise de l'urbanisation autour des sites industriels à risque.

On trouvera ci-après un tableau comparant les distances retenues en 1989 et celles issues des travaux de l'INERIS de 2001.

Tableau 4 : Distances de dangers relatives au pôle chimique de Toulouse Sud

 

date de l'étude

scénario majorant

distance au seuil des effets létaux (m) -

rayon de la zone Z1

distance au seuil des effets irréversibles (m) -

rayon de la zone Z2

Grande Paroisse

1989

rupture guillotine d'un piquage d'ammoniac liquide sur les réservoirs moyenne pression à l'extérieur

894 mètres

(zone PIG)

1600 mètres

(zone PPI)

2001

Rupture d'une canalisation d'ammoniac liquide

650 mètres

2550 mètres

2001

ruine instantanée d'un wagon de chlore

2625 mètres

5375 mètres

SNPE

1989 -

rupture d'une canalisation de phosgène gazeux à l'extérieur (en sortie de l'évaporateur)

600 mètres

(zone PIG)

1175 mètres

(zone PPI)

2001

rupture guillotine d'une canalisation de phosgène gazeux vers l'extérieur

3350 mètres

5550 mètres

Tolochimie

1989

fuite du plus gros en cours de phosgène

990 mètres

(zone PIG)

2150 mètres

(zone PPI)

2001

fuite au niveau d'un réacteur de l'atelier de phosgénation (seuils de toxicité en vigueur en 1998)

1150 mètres

3450 mètres

2001

fuite au niveau d'un réacteur de l'atelier de phosgénation (seuils de toxicité en vigueur en 2001)

3450 mètres

> 10 km

Source : Avis d'expert sur la détermination des zones de sécurité pour la maîtrise de l'urbanisation autour de 5 établissements à risque dans la région Midi Pyrénées, INERIS, Direction des risques accidentels, novembre 2001.

Il apparaît clairement à la lumière du tableau ci-dessus une variabilité considérable des résultats, selon que l'on considère les chiffres retenus en 1989 pour la détermination des zones PIG (Projet d'intérêt général) et PPI (Plan particulier d'intervention) ou ceux calculés en 2001 par l'INERIS.

Parmi les causes des très importants écarts enregistrés, on doit citer en premier lieu les différences entre les scénarios retenus. Les ruptures de canalisation sont généralement réputées durer 10 minutes. La ruine instantanée d'un wagon de chlore concerne une quantité de 65 tonnes. Le changement d'hypothèse sur la nature de l'accident produit, comme on peut s'y attendre, des conséquences très différentes. Une autre cause d'écart peut provenir des seuils létaux ou d'atteintes irréversibles qui peuvent avoir été réévalués entre 1989 et 2001, ainsi en ce qui concerne le phosgène. Les conditions atmosphériques retenues sont également une cause de variations. Enfin, les modèles de diffusion et d'absorption reposent sur des hypothèses et mettent en jeu des mécanismes variables.

En tout état de cause, une confrontation directe de résultats provenant des méthodes différentes est la seule garantie d'obtenir les meilleurs résultats en fonction de l'état de l'art du moment.

b) Le pluralisme, garantie de qualité des études de dangers

Une étude de dangers réalisée en 1990 par un exploitant a été communiquée à la Commission le 8 décembre 2001. La lecture de ce document montre qu'une partie importante de celle-ci correspond à une compilation de références bibliographiques et de textes législatifs ou réglementaires. La valeur ajoutée de cette étude, condensée en trois pages de propositions d'amélioration de l'installation correspondant à un élémentaire bon sens, semble faible.

Une plus large publicité donnée à cette étude et surtout un nombre plus important de participants associés à sa réalisation auraient contraint l'exploitant à produire une étude d'une meilleure qualité.

Au demeurant, au cours des visites de différents sites industriels qu'ils ont effectuées au cours de la préparation du rapport, les membres de la Commission ont pu à plusieurs reprises faire le constat que des éventualités d'accidents ont été écartées par les exploitants au moyen de justifications techniques contraires à un élémentaire bon sens. Ainsi, dans un des sites visités où une installation de dépotage de wagons de chlore jouxte une voie ferrée fréquentée par des TGV, le scénario d'un accident causé par le déraillement d'un train est écarté sous le prétexte que le rayon de courbure des rails éloignerait la rame en cas d'accident.

En outre, une étude de danger n'a de valeur que si elle a prévu toutes les conditions pouvant survenir aux produits considérés, ce qui suppose aussi que, dans la pratique, on ne sorte pas du domaine de fonctionnement initialement défini.

La réalisation des études de dangers doit donc impérativement se faire dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire, avec des équipes associant des spécialistes de différents domaines ainsi que des non-spécialistes apportant un regard neuf, voire candide, sur les paramètres à prendre en compte.

Il est également indispensable d'intégrer, au cours du processus de réalisation de l'étude de dangers, l'expérience pratique accumulée par les salariés.

L'impératif d'imagination concernant les causes d'accidents vaut encore plus pour l'analyse des effets dominos, visés par l'article 8 de la directive 96/82/CE du 9 décembre 1996 et l'article 5 de l'arrêté du 10 mai 2000 de transposition, qui introduit une obligation d'échange d'informations entre les exploitants concernés.

En vérité, actuellement, le nombre réduit d'intervenants dans la réalisation de l'étude de dangers en réduit la fiabilité. L'étude est en effet réalisée par l'exploitant, avec l'aide éventuelle d'un bureau d'études extérieure, le CHSCT étant seulement informé de ses résultats. Quant à la DRIRE, elle peut recourir à une tierce expertise mais n'en a pas l'obligation. Les conditions d'entrée en vigueur d'un réel pluralisme de l'expertise sont détaillées dans la suite.

La qualité de l'étude des dangers repose au demeurant sur le recours à une approche pluridisciplinaire.

Proposition n° 5 : Préciser, dans les études de dangers, la liste des personnes impliquées dans leur réalisation et décrire les méthodes utilisées.

2.- Le complément potentiel des approches probabilistes

Les études de dangers sont fondées sur une approche déterministe, selon laquelle il revient à l'exploitant au cours de l'étude de dangers, de recenser et d'analyser les causes de tous les accidents possibles, quelle que soit leur probabilité d'occurrence.

Une telle approche conduit à la définition d'accidents majorants, qui entraîne la mise en place, au moins au plan théorique, de zones de protection autour des installations en cause.

Dans une industrie particulière, l'industrie nucléaire, l'approche déterministe a été complétée par l'approche probabiliste. Dans quelle mesure cette technique complémentaire pourrait-elle être transposée aux industries chimiques ?

a) Les différents concepts d'études probabilistes

Différents pays européens, comme les Pays-Bas en particulier, recourent à la méthode probabiliste. Mais nombreux sont les observateurs qui redoutent, suite à l'adoption précipitée et sans nuance de cette méthode, un relâchement des efforts de sûreté des installations, une diminution des distances de danger et un encouragement au laxisme dans les permis de construire accordés aux riverains.

La méthode déterministe consiste en théorie à n'écarter aucun scénario d'accident, aussi improbable soit-il. En réalité, on l'a constaté pour l'usine Grande Paroisse, les scénarios considérés comme très peu probables, par exemple l'explosion du nitrate d'ammonium, sont écartés. Au final, dans le meilleur de cas, on considère que toute activité industrielle ne peut s'assortir d'une probabilité d'accident inférieure à 10-6. En conséquence, les scénarios dont la probabilité est inférieure à cette barre mythique sont éliminés, ce qui peut conduire à restreindre la taille des zones de protection. Comment remédier à cet état de fait, dont la catastrophe de Toulouse montre combien il est porteur de drames ?

L'approche probabiliste, dans sa première acception, pourrait peut-être apporter une solution.

Certains événements susceptibles de déclencher un accident à conséquences graves ont, à l'évidence, des probabilités d'occurrence très faibles. Dans ces conditions, il devient extrêmement difficile de définir une marche à suivre pour la prévention, dans la mesure où les « espérances mathématiques » des scénarios calculées comme le produit des dommages par leur probabilité d'occurrence sont des chiffres entachés d'une grande incertitude. Une première voie de recherche pourrait être de progresser dans la comparaison des scénarios en comparant leurs dommages probabilisés.

Mais l'approche probabiliste ne se résume pas à la pondération des risques. Une autre version de l'approche probabiliste est celle de l'industrie nucléaire, qui la met en oeuvre au niveau de la prévention.

Il s'agit alors « d'études probabilistes de sûreté » permettant d'évaluer l'apport des dispositifs de sûreté sur la sûreté globale de l'installation. De fait, les études probabilistes de sûreté tiennent compte non seulement de la fréquence d'apparition d'événements initiateurs d'incidents ou d'accidents mais aussi de la probabilité de succès ou d'échec des fonctions de sûreté prévues pour limiter les conséquences de ces événements.

Au reste la probabilité de succès ou d'échec des fonctions de sûreté dépend d'une part de la fiabilité des systèmes telle qu'on peut la déduire de l'expérience acquise en exploitation et d'autre part de la réaction des opérateurs.

Au final, il semble qu'il faille parler plutôt de méthodes probabilistes plutôt que d'une approche probabiliste.

b) La nécessité d'un approfondissement des méthodes probabilistes

La difficulté d'une approche probabiliste des études de dangers est réelle dans les industries beaucoup moins standardisées que l'industrie nucléaire que sont les industries chimiques.

Le recours à l'approche probabiliste dans les industries chimiques suppose en définitive qu'au moins deux conditions soient remplies.

La première condition est la mise en place systématique de lignes de défense successives.

La deuxième condition est que, compte tenu de la diversité des installations chimiques, un partage des connaissances aussi large que possible, au moins au niveau européen, soit réalisé, afin de pouvoir évaluer sur des bases statistiques suffisamment larges la fiabilité des lignes de défense successives ainsi que les conséquences des réactions des opérateurs.

3.- L'élargissement indispensable du champ des études de dangers

Il est deux autres limites essentielles des études de dangers, soulignées à juste titre et à de nombreuses reprises par les organisations syndicales ou les associations. Il s'agit d'une prise en compte insuffisante dans les études de dangers, d'une part de l'organisation du travail et des conditions de travail, et d'autre part, des impacts sanitaires sur les salariés et les populations environnantes.

a) L'organisation et les conditions de travail, paramètres essentiels de la sûreté

L'article 8 de l'arrêté du 10 mai 2000 précise certes que les études de dangers décrivent « les mesures d'organisation et de gestion pertinentes pour la prévention des accidents et la réduction de leurs effets ».

De fait, la valeur d'une étude de dangers repose sur des hypothèses précises en matière d'organisation et de conditions de travail. Il s'agit là de conditions particulièrement importantes, puisque, selon l'INERIS, les accidents industriels majeurs proviennent à hauteur de 29 % de défaillances des matériels seulement mais à hauteur de 53 % de dysfonctionnements de l'organisation.

L'article 1 du décret n°  2000-258 du 20 mars 2000 prévoit que l'étude de dangers des établissements Seveso est « réexaminée et, si nécessaire, mise à jour au moins tous les 5 ans ». Or la fréquence des changements organisationnels est inférieure dans de nombreux cas, ce qui modifie en profondeur les conditions de validité de l'étude de dangers.

L'article 18 du décret n°  77-1133 du 21 septembre 1977, modifié par l'article 5 du décret n°  96-18 du 5 janvier 1996, prévoit par ailleurs que « des arrêtés complémentaires peuvent être pris sur proposition de l'inspection des installations classées et avis du conseil départemental d'hygiène. Ils peuvent fixer toutes les prescriptions additionnelles que la protection des intérêts mentionnés à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976 rend nécessaires ou atténuer celles des prescriptions primitives dont le maintien n'est plus justifié ».

Afin d'assurer une meilleure prise en compte de l'organisation du travail dans le niveau de sûreté d'une installation, il convient d'expliciter dans la réglementation l'obligation d'actualiser l'étude de dangers en cas de modification de l'organisation du travail ayant un impact sur la sûreté.

Proposition n° 6 : Actualiser l'étude de dangers en cas de modification de l'organisation du travail.

b) L'impact sanitaire des installations classées

La loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées vise explicitement dans son article 1er les installations qui « peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques ».

Les études de dangers ont pour objet la prévention des accidents et la réduction de leurs conséquences. La question de la santé publique est traitée par d'autres moyens.

Mais, comme l'ont montré les visites d'installations industrielles réalisées par votre Commission, d'importantes usines ne parviennent pas en 2001 à faire tendre vers zéro leurs émissions de produits dangereux comme les composés organiques volatils à l'usine Sollac de Dunkerque, ou comme le benzène à l'usine Atofina de Saint Menet ou sur la plate-forme de Carling.

Une avancée dans le domaine de la sûreté industrielle comme l'exige la catastrophe de Toulouse, doit nécessairement inclure un développement rapide des études épidémiologiques et la mise en place d'un suivi dans ce domaine autour des sites les plus sensibles.

Proposition n° 7 : Prévoir la possibilité d'un suivi épidémiologique des salariés et des riverains dans le cadre du PPI.

En tout état de cause, la nouvelle stratégie des pouvoirs publics doit prendre en compte la demande exprimée fortement à votre Commission par des élus et des représentants d'associations, à l'occasion des visites de sites effectuées à Saint-Menet et à Carling.

4.- La nécessité d'une convergence des méthodes utilisées dans l'Union européenne pour les études de dangers

Au demeurant une comparaison puis un rapprochement des méthodes utilisées dans les études de dangers dans les différents pays européens semble inéluctable et souhaitable pour élargir le retour d'expérience.

Ainsi que cela a été indiqué à votre Commission, une étude de dangers sur deux cas de figure communs, un stockage d'ammoniac ou de gaz de pétrole liquéfié, a été réalisée par les représentants de neuf pays membres de l'Union européenne figurant dans un groupe de travail réuni par la Commission européenne.

Deux cas de figure ont été étudiés avec 9 méthodes nationales différentes. Le premier cas correspond à un stockage cryogénique d'ammoniac. Les distances de dangers Z1 varient de 100 à 1000 mètres selon les pays.

Figure 1 : Distances de dangers calculées sur un même cas pratique
avec les méthodologies de différents pays membres de l'Union européenne

graphique

Le second cas correspond à une sphère aérienne de stockage de GPL. Les distances de dangers varient de 100 à 1500 mètres, selon les méthodes en vigueur dans les différents Etats membres.

Figure 2 : Distances de dangers calculées sur un même cas
pratique avec les méthodologies de différents pays membres de l'Union européenne

graphique

Même si l'approche probabiliste ne peut être que complémentaire de l'approche de base nécessairement déterministe pour le moment, il semble toutefois indispensable de dynamiser les réflexions dans ce domaine et déboucher rapidement sur une méthode européenne harmonisée.

Les groupes permanents d'experts dont la Commission souhaite la création (voir plus loin) pourrait en particulier jouer un rôle clé dans ce domaine.

L'attention des pouvoirs publics est attirée sur l'importance de proposer à l'Union européenne, préférentiellement dans le cadre du 6ème PCRD, la création d'un programme spécifique de recherche associant industriels et universitaires sur la mise au point d'une part d'approches harmonisées, déterministe ou probabiliste des études de dangers, et d'autre part, d'une méthodologie européenne unique des études de dangers.

Proposition n° 8 : Mettre au point une méthode déterministe européenne harmonisée des études de dangers.

Proposition n° 9 : Mettre au point une méthode probabiliste européenne harmonisée des études de dangers

Proposition n° 10 : Conduire et achever rapidement un programme de recherche sur la complémentarité des méthodes déterministes et probabilistes en vue de la définition d'une méthode européenne unique des études de dangers.

L'apport de la réglementation Seveso II est sans aucun doute considérable dans l'ensemble de l'Union européenne, encore qu'il soit difficile de le mesurer.

Il reste à faire des progrès déterminants sur les études de dangers, un domaine où la France doit retrouver le rôle de précurseur qu'elle a joué dans le passé.

II.- REDÉFINIR LES PROCESSUS INDUSTRIELS ET GÉNÉRALISER LA DÉFENSE EN PROFONDEUR

A.- LES POSSIBILITÉS DE REDÉFINITION DES PROCÉDÉS INDUSTRIELS

La prévention des dangers causés par une installation industrielle ne se réduit heureusement pas à la fermeture de celle-ci ou à son déménagement dans des lieux inhabités.

Différentes solutions sont envisageables, touchant tous les paramètres du processus de fabrication. Si la chimie ne peut se passer de produits de base dont certains peuvent être dangereux, il lui est possible dans certains cas et à des coûts économiques acceptables, de modifier ses procédés de manière à éviter de recourir à des produits dangereux, en tant que matières premières ou produits intermédiaires.

De même, la conception et les dimensionnements des réacteurs ou des stockages peuvent apporter des solutions.

En tout état de cause, il convient de s'interroger sur la faisabilité technique et économique de telles orientations et de vérifier leur contribution réelle à la réduction des dangers.

1.- Les changements de procédés de fabrication

Le changement de procédés de fabrication ou même de fabrication afin de réduire les risques industriels est une option dont l'opportunité dépend étroitement de facteurs économiques et qui, de ce fait, semble plus à la portée de grands groupes que de PMI/PME.

Un grand groupe comme le groupe Rhodia a ainsi décidé l'abandon de la fabrication de nitranilines dans son usine de Mulhouse située dans une zone urbanisée, ce qui a permis de faire passer le rayon du PPI de 1000 mètres à 500 mètres. Cette fabrication a pu être redéployée dans un autre des 150 sites du groupe.

La délocalisation, une possibilité réelle pour un grand groupe, n'est pas le plus souvent possible pour une PMI/PME.

Pour certaines fabrications, il est toutefois possible d'envisager une modification de l'architecture du procédé et d'éviter le passage par des intermédiaires de réaction dangereux. A ce sujet, l'expérience montre que ces produits intermédiaires sont souvent les plus dangereux dans le procédé même s'ils sont souvent présents pendant une durée réduite dans l'installation et dans des quantités limitées, lorsqu'il s'agit de procédés en continu.

Au-delà de ces modifications, il est inévitable que l'opportunité de fabriquer certains produits incompatibles avec un développement durable soit remise en cause. La question pourrait, par exemple, être un jour posée pour des produits comme les ammonitrates, dont les dangers sont en définitive mal connus lorsqu'ils sont mélangés et dont les inconvénients sont certains dans le domaine de la pollution des sols et des nappes phréatiques.

Dans la mesure où les changements éventuels de procédés ou de localisation des fabrications présentent un coût non négligeable, l'entreprise doit y être incitée par différents mécanismes (voir plus loin).

2.- La réduction de la taille des installations

Une première piste de progrès pour la prévention des risques industriels pourrait être représentée par le changement de dimensions des unités de production, changement qui permettrait de diminuer les quantités utilisées et donc les conséquences d'éventuels accidents ou incidents. De fait les plates-formes chimiques comme celle d'AtoFina à Carling en Moselle ou les raffineries, comme celle de TotalFinaElf à La Mède, que votre Commission a visitées, se caractérisent par une taille et une complexité stupéfiantes au premier abord.

Pour répondre au défi d'une sûreté accrue, de nombreux spécialistes présentent l'usine chimique du futur comme un ensemble de réacteurs de taille limitée, pilotés à distance par un personnel peu nombreux et produisant les composés demandés à flux tendus et dans des quantités réduites.

Cette vue séduisante ne semble toutefois pas adaptée à l'ensemble des industries chimiques.

En tout état de cause, les industries chimiques ne sont homogènes qu'en apparence. Hormis le principe de base de ces industries, à savoir la synthèse par réactions chimiques de différents composés à partir de matières premières minérales ou organiques, la chimie est diverse. La synthèse de produits intermédiaires utilisés en grandes quantités nécessite des productions en volume pour être compétitive.

Au cours des visites d'usines réalisées dans toute la France, votre Commission d'enquête a bien entendu noté qu'il n'y a pas grand chose de commun entre la fabrication en volume de produits intermédiaires à faible valeur ajoutée comme les engrais azotés, et la chimie de spécialité à haute valeur ajoutée.

De plus, au sein d'une même usine comme celle de Grande Paroisse à Grand Quevilly, on peut même trouver deux mondes différents. Ainsi, les unités de fabrication d'engrais de cette usine comprennent d'une part des installations de stockage d'ammoniac ou de fabrication proprement dite du nitrate d'ammonium, qui offrent des exemples de solutions techniques modernes et d'une bonne apparence, et, d'autre part, des dispositifs de stockage ou d'expédition, qui en revanche paraissent dater et souffrir d'un manque d'entretien relatif.

Au total, il paraît peu vraisemblable que les activités chimiques de volume et à faible valeur ajoutée puissent se plier aux techniques des minichaînes de fabrication travaillant en flux tendus, dans la mesure où celles-ci entraîneraient une augmentation sensible des coûts de production.

En définitive, une des questions posées aux industries chimiques de base est dès lors de faire en sorte que les grands groupes auxquelles elles appartiennent aujourd'hui, acceptent une légère diminution de leur rentabilité sur ces segments d'activité pour rehausser leur niveau de sûreté, sachant que d'autres filières chimiques compensent et au-delà leur rentabilité inférieure.

A cet égard, la Commission s'est réjouie des déclarations faites lors de son audition par M. Desmarest, Président de TotalFinaElf indiquant que la chimie constitue une activité stratégique pour son groupe.

3.- Le fractionnement et l'enfouissement des stocks

La question du stockage des produits dangereux est sans nul doute l'une des plus importantes en matière de sûreté industrielle. Il peut s'agir en tout état de cause de produits finaux mais aussi de produits initiaux. En revanche, les quantités de produits intermédiaires engagés dans un procédé sont, sauf exception, limitées, les procédés de fabrication étant pour la plupart des procédés en continu.

Le fractionnement des stocks de produits dangereux est une mesure de bon sens, en particulier lorsqu'il s'agit de produits explosifs ou explosibles.

Il est symptomatique à cet égard de constater qu'après la catastrophe de Toulouse, une des premières mesures prises dans des usines analogues, a été de réduire les stocks autorisés d'un maximum de 10000 tonnes à 4000 tonnes, par exemple en ce qui concerne l'usine de Grande Paroisse à Grand Quevilly.

Le fractionnement des stocks doit être à cet égard distingué de la réduction des stocks.

Une réduction des stocks fixes de produits finaux ou de produits entrant dans les fabrications présenterait toutefois des inconvénients qui ne sauraient être sous-estimés.

La contrepartie d'une réduction des stocks serait évidemment l'augmentation de la fréquence voire du volume des transports, ce qui n'apparaît pas souhaitable dans la plupart des cas.

Une autre approche d'un remarquable intérêt est celle développée à Port Jérôme, grâce aux efforts conjoints des industriels, des pouvoirs publics et des collectivités locales, réunis au sein d'un syndicat mixte.

Grâce à un investissement de 200 millions de francs, il a été possible d'éloigner les capacités de stockage de gaz combustibles liquéfiés (GCL) des zones d'habitation et de remplacer des sphères aériennes par des réservoirs sous talus.

A cet égard, la législation peut s'avérer incitative ou au contraire constituer un frein aux améliorations. C'est pourquoi, votre Commission propose des évolutions permettant de favoriser les investissements de sécurité (voir plus loin).

4.- La fixation des seuils

Les directives 82/501/CEE dite Seveso I et 96/82/CE ainsi que la réglementation française sur les ICPE prennent appui sur des seuils de quantités de produits dangereux présents sur l'installation industrielle considérée.

La fixation des seuils est d'une grande importance à deux égards. D'une part, il convient que les seuils quantitatifs permettent une sûreté maximale. D'autre part, la fixation de seuils génère, quels que soient les domaines considérés, mais en particulier dans le domaine des installations classées pour la protection de l'environnement, des effets pervers auxquels il convient d'être attentif.

a) La révision des seuils quantitatifs

La réglementation actuelle ne prévoit pas de limite supérieure pour les volumes stockés d'un grand nombre de produits dangereux ou potentiellement dangereux.

S'agissant du nitrate d'ammonium, la réglementation prévoit qu'un régime d'autorisation assorti de servitudes d'utilité publique s'applique aux installations contenant une quantité de nitrate d'ammonium supérieure ou égale à 5000 tonnes. De fait, le silo I4 de l'usine Grande Paroisse de Toulouse était autorisé pour une quantité pouvant aller jusqu'à 15 000 tonnes répartis en deux zones contiguës de volumes sensiblement équivalents. Même si lors de la catastrophe du 21 septembre 2001 qui est survenue dans le bâtiment 221-222, qui ne contenait lui que 300 à 400 tonnes de rebuts de fabrication, il n'y a pas eu d'effet domino, on peut se demander s'il ne conviendrait pas de lier les autorisations à des volumes plus réduits.

D'une manière générale, il est souhaitable que les seuils fixés par la nomenclature des installations classées correspondant aux régimes d'autorisation avec d'éventuelles servitudes d'utilité publique ou de déclaration soient réexaminés.

Un pays comme l'Allemagne a baissé, dans la moitié des cas environ, les seuils pris en application de la directive Seveso. Il est étonnant que la France ait eu au contraire eu une attitude figée sur cette question, en ne durcissant pas, à son usage propre, les contraintes européennes.

Proposition n° 11 : Réviser à la baisse les seuils de quantités de produits de la nomenclature des installations classées.

Étant admis qu'il convient de rendre plus fréquent voire obligatoire le fractionnement physique des stocks sur un même site, il s'agit aussi de veiller à ce que des effets dominos ne puissent supprimer les avantages de ces dispositions.

b) La nécessité de corriger les effets de seuils

Le nombre d'installations industrielles soumises à déclaration en France s'établit à environ 350 000. Le nombre d'installations autorisées est de l'ordre de 34 000, dont plus de 1200 établissements classés Seveso.

La catastrophe de Toulouse étant survenue dans une installation classée Seveso, il est naturel que l'attention soit focalisée sur l'amélioration de la sûreté de ces installations, en particulier celles ressortissant à la catégorie Seveso seuil haut.

Pour autant, l'attention de la Commission a été attirée à plusieurs reprises sur deux dérives potentiellement dangereuses d'une réglementation fondée sur des seuils. Ces dérives pourraient être d'une part d'accorder une attention trop focalisée sur les établissements Seveso au détriment des autres ICPE, et, d'autre part, les passages d'un cadre réglementaire contraignant à un cadre qui l'est moins, que les exploitants pourraient opérer à leur convenance grâce à une diminution à la marge des quantités de produits dangereuses présentes sur leur site.

L'attention de l'inspection des installations classées est appelée sur la nécessité d'affecter une part notable de ses moyens de contrôle des installations autorisées non classées Seveso.

En tout état de cause, il semble important qu'une réflexion s'engage au plan européen sur les moyens envisageables pour corriger les effets de seuil dans la réglementation européenne.

Proposition n° 12 : Corriger les effets de seuil dans la réglementation Seveso pour en garantir l'efficacité.

B.- LA DÉFENSE EN PROFONDEUR, UN CONCEPT À GÉNÉRALISER

L'industrie nucléaire fournit un exemple particulièrement intéressant d'une approche systématique et rigoureuse de la sûreté industrielle, tant en ce qui concerne la conception que l'exploitation.

L'ampleur des mesures de prévention dans le nucléaire répond certes à la spécificité du risque associé. Mais la méthodologie systématique et le déploiement particulier des moyens propres à cette industrie peuvent servir d'exemple à d'autres secteurs d'activité, au premier rang desquels figure la chimie.

1.- L'approche systématique de certaines industries à risques

La sûreté industrielle est très variable selon les secteurs. Le progrès en matière de sûreté est possible, même s'il ne peut s'obtenir qu'au prix d'efforts intenses et multidimensionnels.

Le facteur humain et l'organisation du travail jouent à cet égard un rôle fondamental traité plus loin.

On évoquera ici le cas particulier de l'approche technique de conception et d'exploitation de l'industrie nucléaire, dont certains concepts paraissent pouvoir être transposés à d'autres secteurs.

a) Le lien risque-sûreté

Les activités humaines peuvent être classés en trois catégories au regard du risque, selon une typologie exposée à votre Commission par le Professeur René Amalberti et présentée ci-après :

graphique

Source : Professeur René Amalberti - IMASSA.

Les systèmes amateurs correspondent aux systèmes dans lesquels il n'y a pas de limite ni au risque ni à la performance. L'industrie n'appartient évidemment pas à cette catégorie qui comprend principalement les pratiques d'artistes.

Les systèmes industriels pour leur part ressortissent à deux catégories.

La première catégorie de systèmes industriels est celle des systèmes qui sont freinés dans leur évolution vers une « super-sécurité » par plusieurs facteurs. Le premier facteur est que « moins le risque est grand du point de vue de la population, plus la tolérance tendra à laisser ces systèmes à un niveau moins sophistiqué que les systèmes les plus protégés ». Les autres freins à une augmentation du niveau de sécurité peuvent être une connaissance insuffisante des phénomènes physiques aux limites, une formation insuffisante des opérateurs ou une culture de sûreté insuffisamment approfondie et partagée.

La deuxième catégorie comprend les systèmes les plus sûrs, comme le nucléaire, l'aéronautique et le spatial, qui parviennent à la « barre mythique en termes de sûreté » d'une catastrophe pour un million voire dix millions de mises en oeuvre.

Cette typologie qui sert de support à des analyses organisationnelles traitées plus loin dans le rapport, souligne le fait que ce sont les industries où les conséquences d'une catastrophe sont les plus graves qui font les efforts les plus importants en matière de prévention.

On ne saurait évidemment regretter le très haut niveau de sûreté atteint par des activités comme celles mentionnées précédemment.

Mais le fait est qu'une certaine polarisation de l'opinion publique se produit sur les industries les plus risquées et sur leurs éventuels dysfonctionnements mineurs, au détriment d'une vision plus complète et plus équilibrée des différents risques liés aux activités productives.

En définitive, il ne paraît pas abusif de dire que, dans les années récentes et du fait de ce phénomène de polarisation, le risque chimique n'a pas été traité avec une rigueur suffisante, par la société dans son ensemble.

b) Le cas particulier de l'industrie nucléaire

Les trois lignes de défense successives prévues dans l'industrie nucléaire, si elles sont classiques dans leur nature, présentent toutefois l'originalité d'être mises en oeuvre d'une manière systématique.

Première ligne de défense, la prévention des incidents s'effectue par des dispositifs appropriés, comme par exemple l'interposition de barrières entre les produits radioactifs et l'environnement au moyen des trois barrières de confinement que sont la gaine du combustible, le circuit primaire et l'enceinte de confinement. D'autres dispositifs sont essentiels comme la redondance de certains matériels jugés critiques pour la sûreté. La connaissance précise des phénomènes physiques et chimiques permet par ailleurs une régulation du fonctionnement à l'intérieur d'un domaine étroitement défini. Il faut par ailleurs remarquer que cette industrie introduit des marges de sécurité importantes dans les études et les calculs.

Deuxième ligne de défense, la surveillance et la détection sont réalisées par une instrumentation très développée utilisée tant pour la surveillance des systèmes que pour le contrôle d'intégrité des barrières de confinement. Enfin, la conception intègre la surveillance rapprochée des matériels, avec des essais périodiques.

Troisième ligne de défense, les moyens d'action sont constitués de systèmes de protection dont le plus important est l'arrêt automatique du réacteur. Des systèmes de sauvegarde sont également prévus afin de prendre en charge des fonctions de sûreté essentielles en cas d'accident. Enfin, des procédures ultimes sont prévues en cas d'accident grave.

Cette méthodologie est mise en oeuvre d'une manière systématique. Elle présente en outre l'avantage d'être à la base de l'information sur les incidents ou les accidents survenant dans une installation, l'enfoncement d'une ou plusieurs lignes de la défense en profondeur servant à caractériser la gravité de l'événement.

On peut noter à cet égard que l'incident survenu à la centrale électronucléaire du Blayais en décembre 1999 n'aurait probablement pas été considéré aussi grave dans une autre industrie, dans la mesure où c'est l'enfoncement d'une ligne de défense qui a été jugé comme l'événement le plus significatif.

Même si l'industrie nucléaire se caractérise par un risque ultime d'une ampleur sans commune mesure avec celui de toutes les autres industries, il semble que la méthodologie qui lui est appliquée puisse servir de ligne conductrice à d'autres secteurs.

2.- Une multiplication des précautions dans la sûreté industrielle

L'un des enseignements des visites de sites industriels effectuées par la Commission d'enquête est que les industries chimiques mettent en oeuvre d'une manière très diverse et avec une intensité très variable les différents concepts de la défense en profondeur.

a) L'exemple de l'usine Grande Paroisse de Toulouse

Si l'on considère les seules installations de stockage de nitrates de l'usine de Grande Paroisse à Toulouse, on peut constater une mise en oeuvre très partielle du concept de défense en profondeur.

Le silo I4, objet de la seule étude de dangers réalisée sur les stockage d'ammonitrates, a fait l'objet d'amélioration de sûreté à la suite de l'étude de dangers de 1990. Ainsi, des capteurs de NOx ont été installés, en complément aux capteurs de température in situ. Il s'agit de travaux importants certes, mais qui ne constituent qu'un élément de la deuxième ligne de défense, à savoir le contrôle et la surveillance.

On remarquera par ailleurs que la DRIRE Midi Pyrénées a imposé le principe du double confinement pour prévenir les émanations toxiques et la pollution des eaux d'origine accidentelle. Les installations utilisant le phosgène et le chlore sous forme liquide ont été équipées de sécurités redondantes et ont subi une refonte afin d'étendre le principe du double confinement. On notera par ailleurs que les installations de dépotage de chlore liquide de Grande Paroisse ont été confinées en 1992 dans des bâtiments spécialement conçus pour éviter tout rejet vers l'extérieur, pour un investissement de 30 millions de francs. Si ces dispositions sont évidemment importantes au regard de la sûreté, leur réalisation pose inévitablement la question du confinement des wagons en attente de dépotage.

b) La nécessité d'une plus large utilisation des moyens de la défense en profondeur

La diffusion des méthodes de la sûreté nucléaire semble devoir s'imposer aux autres industries à risques. A ce titre le recours aux méthodes et moyens de la défense en profondeur pourrait être systématisé. L'octroi d'une valeur réglementaire à l'obligation pour les industriels de mettre en oeuvre les principes et les moyens de la défense en profondeur pour la prévention des risques causés par leur activité, devrait faire l'objet d'une étude de faisabilité.

Proposition n° 13 : Imposer la multiplication des précautions pour la sûreté industrielle en vue de la mise en oeuvre généralisée du concept de défense en profondeur.

Par ailleurs, la présence de l'inspection des installations classées au sein des DRIRE qui, par ailleurs, ont la responsabilité au niveau local de la surveillance des installations nucléaires de base est une situation vertueuse en ce qu'elle favorise les échanges entre responsables du contrôle de secteurs industriels variés.

La Commission a par ailleurs noté que nombre de responsables des DRIRE ont une expérience préalable à l'inspection des installations nucléaires de base (INB) ou à la Direction de la sûreté des installations nucléaires, dont les méthodes leur servent souvent de référence.

Par ailleurs, l'intérêt de l'organisation actuelle est de permettre une prise en compte de la faisabilité économique des mesures envisagées.

Il est donc souhaitable que le rattachement des DRIRE au secrétariat d'Etat à l'industrie soit maintenu.

C.- L'APPORT DE LA NORMALISATION À LA SÛRETÉ

Dans les débats sur la démarche de certification autour de normes telles que les normes ISO, des voix s'élèvent pour souligner que la normalisation, la fixation de seuils et la généralisation de procédures réduisent la compréhension des dangers. En réalité, il semble que le bilan des démarches de qualité et de respect de normes librement consenties soit positif au regard de la sûreté des installations industrielles.

Le concept de qualité totale mis en oeuvre par les entreprises depuis les années soixante dix s'est incontestablement révélé un outil puissant de réflexion sur le fonctionnement de l'entreprise et de mise en place d'instruments de contrôle de la maîtrise de sa propre activité.

Le développement de la certification au regard des normes ISO 9000 et ISO 14001 est un phénomène de grande ampleur dans l'industrie mondiale, qui emporte lui aussi des conséquences positives en ce qui concerne la sûreté.

La norme ISO 9000 constitue une norme d'organisation visant à s'assurer qu'une entreprise a mis en oeuvre les moyens nécessaires à la fourniture continue, et à un niveau de qualité égal ou supérieur à un certain seuil tout au long de l'année, des produits ou des services qu'elle commercialise. La norme ISO 9000 ne vise donc pas la qualité des produits et des services concernés.

La norme ISO 14001, qui est aussi une norme d'organisation, vise à donner la garantie que l'entreprise a mis en place l'organisation nécessaire pour évaluer, contrôler et diminuer l'impact de ses activités sur l'environnement.

Selon des indications données à votre Commission, la France se serait opposée en 1996 à la mise au point d'une norme concernant le management de la sécurité. Cette attitude frileuse a empêché une réflexion qui eût sans doute été positive. Votre Commission a considéré qu'une telle approche serait toutefois utile à l'accroissement de la sûreté industrielle.

En réalité des méthodes se mettent en place dans de nombreux pays dans ce domaine et sont même importées en France comme par Gaz de France avec un succès mitigé. Les inconvénients de tels systèmes ne sont pas à sous-estimer, dans la mesure où ils peuvent ne pas tenir compte des structures particulières de représentation du personnel dans les entreprises françaises.

Plutôt que de s'opposer au développement de ces modèles, il conviendrait au contraire de participer aux réflexions et à l'élaboration des normes en y intégrant l'expérience française.

Proposition n° 14 : Soutenir les travaux de normalisation des systèmes de management de la sûreté industrielle.

III.- LE RETOUR D'EXPÉRIENCE, UN PROCESSUS D'APPRENTISSAGE À CONSOLIDER AUX PLAN NATIONAL ET EUROPÉEN

Le retour d'expérience joue un rôle clé dans l'amélioration de la sûreté des installations industrielles. L'analyse des incidents ou accidents survenus sur une installation permet par exemple de remédier préventivement sur des installations identiques ou voisines à des erreurs de conception ou d'exploitation et de procéder au remplacement d'équipements défectueux.

Le retour d'expérience en matière de sûreté industrielle correspond à un apprentissage continu de la sûreté dont les enseignements doivent être partagés le plus largement possible, la prévention des risques étant un objectif commun à l'ensemble des entreprises.

A.- LES CONDITIONS DE BASE DU RETOUR D'EXPÉRIENCE

Pour autant, l'efficacité du retour d'expérience dépend de nombreuses conditions et s'avère difficile à assurer.

La difficulté de base provient du fait que la matière première du retour d'expérience consiste en des informations sur des dysfonctionnements dont la communication n'est valorisante ni pour les salariés qui en sont les auteurs ou les témoins, ni pour l'entreprise où ils se produisent.

Comment en conséquence favoriser la communication dans ce domaine ?

S'agissant des salariés, le facteur capital permettant le partage et la remontée de l'information, est évidemment la qualité du climat social.

Dès lors qu'il s'agit de sûreté et de sécurité industrielles, l'employeur doit s'interdire de sanctionner les erreurs humaines dans la mesure où les procédures doivent s'attacher à les éliminer dans un processus continu d'amélioration. L'importance du retour d'expérience est telle que, dans certaines industries, il peut être jugé important de prendre en considération les informations anonymes sur d'éventuels dysfonctionnements.

S'agissant des équipements, l'intérêt des entreprises est évidemment de porter toute l'attention requise à l'expérience acquise par ses salariés sur le comportement réels des matériels.

Une autre condition de base du retour d'expérience, qui semble souvent mal remplie, est celle de la conservation et d'une bonne accessibilité des plans des installations. Cette condition est tellement importante, pour le retour d'expérience mais aussi pour un ensemble de décisions que la valeur de ces plans est chiffrée à hauteur de 10 % de l'investissement initial.

Par ailleurs, la déclaration des incidents et accidents est une condition sine qua non d'un retour d'expérience élargi.

D'après l'article 5 du décret n°  89-1289 du 19 décembre 1986, modifiant l'article 38 du décret n°  77-1133 du 21 septembre 1997, les incidents et les accidents ayant un impact hors de l'installation, doivent être déclarés « dans les meilleurs délais » à l'inspection des installations classées. L'expérience montre que cette obligation est loin d'être toujours respectée.

B.- L'AMÉLIORATION INDISPENSABLE DU RETOUR D'EXPÉRIENCE

Plusieurs améliorations doivent à l'évidence être apportées au retour d'expérience dans de nombreux secteurs industriels et en particulier dans la chimie.

Ces améliorations concernent l'alourdissement des sanctions en cas de non-déclaration, la réduction des délais de transmission de l'information et l'accroissement des moyens du retour d'expérience.

1.- L'alourdissement des sanctions en cas de non-déclaration des incidents et accidents

L'obligation de retour d'expérience ne vaut, on l'a vu, que pour les incidents ou accidents ayant un impact sur l'extérieur de l'installation classée. Cette disposition a le mérite de la clarté. Elle constitue néanmoins une limitation considérable de la portée du retour d'expérience.

Dans les industries nucléaires, la déclaration de tout événement ayant affecté la sûreté des installations, est une obligation, la Direction de la sûreté des installations nucléaires ayant la responsabilité de classer l'incident sur l'échelle de gravité INES (International Nuclear Event Scale).

L'introduction d'une disposition équivalente pour les installations classées pour la protection de l'environnement peut être imaginée à terme, une fois effectué le renforcement de l'inspection des installations classées.

L'article 5 du décret du 19 décembre 1986 oblige l'exploitant d'une installation soumise à déclaration ou autorisation à déclarer tout incident ou accident ayant un impact sur l'extérieur d'une installation.

Il semble nécessaire de modifier le critère relatif à cette obligation. En effet des événements graves vis-à-vis de la sûreté de l'installation peuvent ne pas avoir d'impact sur son environnement.

La conséquence d'un tel changement de critère serait selon toute vraisemblance la multiplication des avis d'incidents. La mise en place de l'échelle de gravité que la Commission demande (voir plus loin) permettrait de mieux caractériser les incidents et accidents. Le secrétariat des groupes permanents auprès du directeur de la prévention des pollutions et des risques dont la Commission propose également la création, assurerait le traitement des avis qui lui seraient communiqués par l'intermédiaire de l'inspection des installations classées.

Proposition n° 15 : Instituer une obligation de transmission de tout événement touchant la sûreté d'une installation classée Seveso.

En tout état de cause, il convient de sanctionner lourdement le non-respect de l'obligation de déclaration.

Proposition n° 16 : Durcir fortement les sanctions prévues en cas de non-déclaration des événements touchant à la sûreté des installations Seveso.

2.- La diminution des délais du retour d'expérience

La notion de meilleurs délais souffre d'une imprécision certaine. La déclaration immédiate est capitale en situation de crise. L'accès à l'information de base et aux matériels ayant subi une avarie génératrice d'incident ou d'accident est également importante.

Le cas d'un accident survenu à l'usine Naphtachimie de Lavéra illustre une faille de la communication, celle de la rapidité indispensable lors d'un accident. Une fuite de butadiène est survenue le 14 décembre 2000 à 20 h 10 à la suite à une rupture de tuyauterie. Le plan d'opération interne a été immédiatement déclenché. Mais, selon les informations communiquées à sa demande à votre Rapporteur, la DRIRE n'a été avisée qu'à 21h de l'accident et la mairie de Martigues qu'à 22h10. Or c'est par miracle que la nappe de gaz qui s'était déplacée vers une route, n'a pas explosé, ayant été traversé par un véhicule automobile qui aurait dû déclencher l'explosion s'il n'avait calé tant la concentration de butadiène dans la nappe était forte et faible celle d'oxygène.

Un autre cas à résoudre est celui de l'accessibilité des pièces mises sous scellés à la suite d'un accident ayant entraîné l'ouverture d'une information judiciaire.

L'accident survenu le 9 novembre 1992 à la raffinerie Total de La Mède suite à l'explosion d'un nuage de gaz a entraîné la mort de 6 employés. En toute hypothèse, cette explosion a eu pour événement initiateur la rupture de pièces métalliques corrodées. Pendant les 5 années prises pour réaliser des expertises contradictoires, ces pièces n'ont pu être examinées que par les experts judiciaires et non pas par les ingénieurs de Total. On imagine les conséquences d'un tel immobilisme si le défaut avait été générique.

Afin de permettre un retour d'expérience rapide, des dispositions devraient être prises pour autoriser un accès contrôlé de l'exploitant et de l'administration aux matériels mis sous scellés suite à un accident intervenu dans une installation classée pour la protection de l'environnement.

Proposition n° 17 : Permettre l'accès contrôlé aux matériels sous scellés suite à un accident.

3.- La relance des travaux sur la fiabilité des équipements industriels

La collecte de données de fiabilité des équipements industriels est un impératif pour améliorer les études de dangers, dans une optique d'études probabilistes de sûreté.

Proposition n° 18 : Soutenir la constitution de bases de données de fiabilité des équipements industriels.

A cet égard, il est nécessaire que les pouvoirs publics apportent le soutien nécessaire à la relance des travaux engagés en 1983 par le secrétariat d'Etat à l'industrie sur la mise au point de modèles technologiques permettant la collecte de données de fiabilité et à la constitution de bases de données dans ce domaine.

4.- Renforcer le BARPI en l'intégrant à l'INERIS

Le BARPI (Bureau d'analyse des risques et des pollutions industrielles) du Service de l'environnement industriel joue en France, au sein de la Direction de la prévention des pollutions et des risques du Ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, un rôle potentiellement fondamental dans le retour d'expérience.

La mission du BARPI est en effet de collecter, d'analyser et d'enregistrer dans une base de données en vue de leur diffusion les comptes rendus d'incidents et d'accidents que lui communiquent l'inspection des installations classées.

Créé en 1992, localisé dans les locaux de la DRIRE à Lyon, le BARPI ne compte aujourd'hui que 4 ingénieurs et 1 technicien dans ses effectifs, qui enregistrent une moyenne de 2000 accidents et incidents par an. Ses informations proviennent de l'inspection des installations classées, des services de secours ainsi que des services des canalisations, des poudres et explosifs et de la police des eaux. Outre la mise à jour de sa base de données, le BARPI prend à sa charge un service de questions-réponses auxquels recourent des bureaux d'études, des organismes de secours ou de formation.

L'accroissement de l'efficacité du BARPI suppose un ensemble d'actions préalables comme l'obligation de déclaration imposée aux exploitants vue précédemment, ainsi que le renforcement des effectifs et des moyens de l'inspection des installations classées, traitée ci-après.

Mais seule une croissance très rapide des effectifs du BARPI, qui souffre d'une insuffisance cruelle de moyens, permettra une amélioration quantitative et qualitative de son travail et des services qu'il rend à un cercle heureusement croissant d'utilisateurs. En outre, dans les objectifs stratégiques de développement du BARPI, les pouvoirs publics devraient assigner une priorité au développement de ses liens avec les inspections du travail, les services de sécurité civile, les organisations professionnelles et les compagnies d'assurances, ainsi qu'à son internationalisation.

Au total, parmi toutes les solutions envisageables pour la montée en puissance du BARPI, il en est une qui semble présenter des avantages particuliers, c'est celle de l'intégration du BARPI à l'INERIS. En effet, le BARPI bénéficierait des moyens de l'INERIS et lui apporterait en échange ses sources d'information d'une importance capitale pour la prévention des risques industriels. Les informations relatives aux événements affectant la sûreté en provenance de l'inspection des installations classées via le secrétariat des groupes permanents auprès du DPPR, seraient ensuite traitées par le BARPI-INERIS.

Proposition n° 19 : Intégrer le BARPI à l'INERIS.

Par ailleurs, le marché des bases de données relatives à la sûreté des installations industrielles connaît une croissance de 15 % des demandes d'interrogations, une concurrence forte entre les pays et une généralisation des accès payants. Une internationalisation de la base de données du BARPI permettrait de disposer d'une monnaie d'échanges, de tirer parti de l'organisation française et de promouvoir l'expertise nationale. C'est pourquoi il semble opportun que la base de données du BARPI devienne bilingue français-anglais le plus rapidement possible. En outre, il convient de mettre en réseau dans l'Union européenne toutes les bases de données relatives aux incidents et accidents industriels, afin d'élargir le socle de connaissances de l'ensemble des pays membres.

Proposition n° 20 : Développer un réseau européen de bases de données sur les risques industriels.

5.- Le contrôle et l'institutionnalisation au plan européen du retour d'expérience intra-branche

D'après les informations fournies à votre Commission, le retour d'expérience en matière de sûreté industrielle ne fait pas l'objet d'une organisation formalisée au sein des organisations professionnelles françaises.

En revanche, des groupes « produits » travaillant sur la sûreté et la sécurité industrielles ont été constitués au niveau européen par les industriels concernés, à leur initiative.

Proposition n° 21 : Créer des groupes produits européens permanents sous l'égide de la Commission européenne.

Alors que l'application du Livre blanc sur une stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques se dessine à l'horizon des prochaines années, la France devrait prendre l'initiative de proposer aux Etats membres de l'Union européenne l'institutionnalisation et la généralisation à l'ensemble des branches des groupes européens de produits travaillant sur la sûreté industrielle.

Une approche européenne de la sûreté industrielle est à l'évidence indispensable, dans la mesure où elle permettrait de systématiser les coopérations de branches amorcées avec une efficacité variable selon les cas et de mettre en commun des expériences différenciées pouvant se révéler complémentaires.

IV.- L'EXPERTISE, LA RECHERCHE ET LA FORMATION SUR LA SÛRETÉ INDUSTRIELLE, DES DOMAINES À DÉVELOPPER D'URGENCE

A.- LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE L'EXPERTISE

Le domaine de la recherche et de l'expertise dans le domaine des risques industriels présente deux pôles d'ampleur et de nature très différentes.

1.- Le renforcement simultané des différents pôles publics ou associatif

L'industrie nucléaire bénéficie d'une expertise publique, forte et concentrée avec l'IPSN (Institut de protection et de sûreté nucléaire) et un faible nombre d'opérateurs privés ayant une compétence avérée. L'expertise pour les autres industries, notamment les industries chimiques, possède deux structures publiques, l'INERIS et l'INRS, d'un taille cumulée très inférieure à celle de l'IPSN, complétées par un grand nombre de bureaux d'études et d'expertise privés possédant des compétences propres de haut niveau.

L'IPSN dispose d'un budget d'environ 0,23 milliard d'euros (1,5 milliard de francs), dont 43% sont consacrés à la recherche. Les effectifs de l'IPSN atteignaient 1271 personnes en 2001. Ses travaux pour les industries non-nucléaires représentent moins de 5 % de son activité mais ils sont en plein développement. L'IPSN, après absorption de l'OPRI (Office de protection contre les rayonnements ionisants), deviendra l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Il devrait encore accroître ses compétences dans le domaine de la radioprotection, avec des effectifs augmentant de 1274 à 1500 personnes environ.

L'INERIS (Institut national de l'environnement et des risques industriels) disposait en 2000 d'un budget de 41,77 millions d'euros (274 millions de francs) et d'un effectif de 450 personnes dont 200 ingénieurs et chercheurs. Le développement de la recherche à l'INERIS constitue un objectif de la direction appuyé par les pouvoirs publics. La part de la recherche dans les activités de l'INERIS devrait ainsi passer à terme de 5-10 % à plus de 30 %.

L'INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles), pour sa part, dispose d'un budget de 60,98 millions d'euros (400 millions de francs) pour un effectif de 600 personnes. Cette institution est une association gérée par un conseil d'administration paritaire, composé de 18 membres représentant les employeurs et les organisations syndicales de salariés.

La Commission a estimé indispensable le renforcement de l'expertise en sûreté industrielle et en sécurité du travail.

Parmi les modalités envisageables, figure la fusion de l'INERIS et de l'INRS, qui peut présenter des avantages dans la mesure où un continuum existe entre la sûreté, la sécurité du travail et les maladies professionnelles.

Mais l'existence de plusieurs pôles d'expertise renforcés semble préférable de façon à garantir un réel pluralisme de l'expertise, objectif reconnu essentiel par la Commission (voir plus loin). Il conviendrait en tout état de cause de renforcer les liens entre l'INRS et le ministère de la recherche.

2.- Les moyens du renforcement de l'INERIS et de l'INRS

Le budget de l'IPSN provient à 60 % directement du budget de l'Etat, de 20 % de la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) et de 20 % de cofinancements internationaux et des exploitants de centrales.

Grâce aux prestations qu'il fournit aux entreprises, les ressources de l'INERIS, qui est un établissement public à caractère industriel et commercial, ne proviennent qu'à hauteur de 34 % de subventions publiques ou européennes. L'INERIS tire près de 100 millions de francs de recettes des travaux d'expertises qu'il réalise pour les entreprises et pour l'Etat ou différentes collectivités publiques.

L'INRS, pour sa part, est une association dont les ressources proviennent en presque totalité du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles de la CNAMTS. Ce fonds est alimenté par les cotisations accidents du travail-maladies professionnelles payées par les entreprises.

Différentes remarques peuvent être faites sur cette situation.

Situation dissymétrique, les installations nucléaires - publiques en quasi-totalité - sont assujetties au financement de l'appareil de contrôle de la sûreté, ce qui n'est pas le cas des installations classées pour la protection de l'environnement.

Ceci milite en faveur de la création d'une taxe sur les installations classées, dont l'assiette pourrait être dégressive en fonction des améliorations apportées à la sûreté.

Par ailleurs, l'INRS est financé par un fonds national lui-même alimenté par les cotisations accidents du travail-maladies professionnelles payées par les entreprises. Il n'est que de constater que les deux tiers des victimes de la catastrophe de Toulouse ont été des salariés, pour souhaiter que les cotisations accidents du travail financent non seulement les recherches sur la sécurité mais aussi celles sur la sûreté industrielle réalisées par l'INERIS.

Une solution à cet égard pourrait être de prévoir un accroissement du taux de cotisation sauf à ce que l'entreprise justifie de travaux de sûreté.

Votre Commission n'a pas eu le temps nécessaire pour étudier en détail une solution de financement par la fiscalité du contrôle de la sûreté industrielle qui fasse droit à la demande sociale d'une sûreté accrue. Un tel système en tout état de cause devrait ne pas obérer la compétitivité des industries françaises et distinguer le cas des entreprises vertueuses de celles dont l'approche de la sûreté est approximative ou à usage cosmétique.

Il est évidemment important de rappeler que les exploitants d'installations nucléaires de base (INB) sont assujettis à une taxe dont le produit annuel a représenté, en 2001, 133 millions d'euros et devrait s'élever à 150 millions d'euros en 2002. On peut aussi relever que la taxe sur les INB est calculée de manière forfaitaire par application d'un barème déterminé en fonction de la catégorie dans laquelle l'INB a été classée et d'un coefficient déterminé en fonction des capacités de production de l'INB dans sa catégorie.

En l'état actuel de l'analyse, on ne peut déterminer si une taxe sur les installations Seveso peut s'inspirer de la taxe sur les INB mais il s'agit d'une piste qui mérite d'être considérée.

En tout état de cause, il ne semble pas possible d'éluder indéfiniment la question d'un financement spécifique de l'accroissement du niveau de sûreté industrielle des industries autres que nucléaires. Il semble nécessaire que les pouvoirs publics engagent la mise à l'étude d'un système de financement par la fiscalité de l'appareil de contrôle et d'expertise des risques industriels.

3.- Un soutien accru aux associations professionnelles

Votre Commission a eu soin de rencontrer les représentants d'un nombre important d'associations professionnelles jouant un rôle clé d'information, de formation et de représentation, dans des domaines importants comme la qualité, la maintenance, la normalisation ou le « management » des risques.

Nombreuses sont les associations de ce type qui jouent un rôle important dans la mise au point de méthodes d'évaluation de la sûreté. Ainsi l'association pour le management des risques et des assurances a élaboré en direction des PMI une méthode dite TQSE (technicité, qualité, sécurité, environnement) d'identification des risques.

Il s'agit d'un exemple de rôle pivot joué par des associations professionnelles dans la diffusion de progrès méthodologiques et dans le retour d'expérience. Il est donc opportun d'envisager un soutien public à de telles initiatives.

Proposition n° 22 : Renforcer le rôle des associations professionnelles dans le domaine de la sûreté industrielle.

A cet effet, les pouvoirs publics pourraient développer les contrats d'étude, de diffusion ou de formation continue dans le domaine de la sûreté industrielle, contrats passés avec des associations professionnelles dans le cas de cahiers des charges précis.

4.- Le renouvellement indispensable du système de l'expertise judiciaire

A plusieurs reprises, l'imperfection du système actuel de l'expertise judiciaire a été soulignée par les interlocuteurs de votre Commission.

La détermination des causes d'un accident survenu dans une installation industrielle est le plus souvent une tâche complexe qui n'est pas à la portée d'une seule personne aussi qualifiée soit elle.

La possibilité pour un expert désigné de se faire assister par des spécialistes n'est pas une solution satisfaisante en soi, dans la mesure où elle génère des délais supplémentaires, l'expert désigné cherchant d'abord, comme on peut le comprendre, à mener à bien sa mission par ses propres moyens. En réalité, l'expertise de sûreté industrielle doit être conduite par une équipe pluridisciplinaire.

Un autre paradoxe doit aussi être levé, à savoir l'indépendance de l'expert par rapport à l'exploitant, ce qui peut dans certains cas conduire à privilégier l'indépendance sur la compétence.

Proposition n° 23 : Élargir la liste des experts judiciaires.

Il convient en définitive, afin d'améliorer la qualité de l'expertise judiciaire, d'élargir la liste des experts judiciaires, en particulier en direction des experts étrangers et des bureaux d'étude spécialisés.

B.- UN COUP DE FOUET INDISPENSABLE À LA RECHERCHE

Le renforcement de l'expertise dans le domaine de la sûreté industrielle est conditionné par une série de conditions institutionnelles mais aussi par un accroissement de la production scientifique.

Or l'organisation actuelle de la recherche ne reconnaît pas une valeur suffisante aux travaux portant sur la sûreté et la sécurité. La recherche dans ces domaines a nécessairement une dimension transversale qui est mal prise en compte par le Conseil national des universités structuré par disciplines verticales.

Proposition n° 24 : Développer la recherche transversale sur la sûreté industrielle.

Les travaux de recherche sur la sûreté industrielle doivent être pris en compte à l'égal de ceux réalisés dans des disciplines verticales, dans le déroulement de la carrière des chercheurs.

Un soutien spécifique devrait par ailleurs être apporté aux rares centres de recherche spécialisés dans la sûreté industrielle. Ainsi, dans le cadre d'une politique de développement de la recherche sur la sûreté industrielle, l'Institut de sécurité industrielle de Nancy devrait se voir accorder le statut d'institut national qui lui permettrait d'élargir son assise et son rayonnement.

C.- LA FORMATION À LA SÛRETÉ

La formation à la sûreté industrielle fait l'objet d'initiatives réelles mais souvent dispersées dans les cursus universitaires et les écoles d'ingénieurs.

Certaines écoles comme l'Ecole nationale supérieure de chimie, physique et électronique de Villeurbanne ont, non seulement des enseignements spécifiques à la sûreté des procédés, mais aussi, sont membres d'une association, la Fédération Gay-Lussac, d'échanges universitaires qui permet de répartir et de partager les enseignements sur la sûreté mis au point dans chacune des écoles membres du réseau. Mais il importe que ces initiatives soient systématisées.

Proposition n°25 : Développer l'enseignement de la sûreté dans les formations d'ingénieurs et les cursus universitaires.

Ainsi, en particulier, le CNESER (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche) ainsi que la Commission des titres des ingénieurs devront vérifier la présence de modules de formation à la sûreté dans tous les cursus scientifiques et techniques sous leur supervision.

En dépit de l'automatisation d'un nombre croissant de processus de fabrication, l'organisation du travail et la culture de sûreté jouent un rôle déterminant dans la sûreté globale des installations industrielles.

En réalité, comme cela apparaît à la lumière de l'analyse fonctionnelle de la catastrophe de Toulouse, et comme cela a été confirmé à plusieurs reprises à votre Commission, la fiabilité et la sûreté sont le produit de l'organisation.

La catastrophe de Toulouse résulte probablement d'une accumulation de négligences résultant d'une banalisation du risque, qui sont autant d'écarts à des normes dont l'application et même l'explicitation se sont affaiblies au cours du temps.

La seule garantie réelle que peut s'offrir une organisation pour éviter les dérives génératrices d'un accroissement des risques, est la définition et le partage d'une culture de sûreté, qui apparaisse comme un principe fondateur de l'entreprise et qui soit impulsée par des actes concrets de la part de ses plus hauts responsables.

V.- LE RENFORCEMENT DES MOYENS DE CONTRÔLE DE L'ÉTAT

L'une des premières mesures annoncées par le Premier ministre dans les jours qui ont suivi la catastrophe de Toulouse a été le renforcement des moyens de l'inspection des installations classées et de l'INERIS.

L'analyse de la catastrophe de Toulouse telle qu'elle a pu être conduite par votre Commission montre bien que les procédures de réalisation et de contrôle des études des dangers doivent aussi faire l'objet d'améliorations rapides.

Mais un préalable existe à toutes autres améliorations : c'est celui de l'augmentation des effectifs de l'inspection des installations classées. D'autres changements organisationnels sont également nécessaires.

A.- LE RENFORCEMENT DES INSPECTIONS DES INSTALLATIONS CLASSÉES ET DU TRAVAIL

La situation actuelle de sous effectifs de l'inspection des installations classées a été dénoncée de longue date, en particulier par un rapport de 1996 de la Cour des Comptes, comme l'a rappelé à la Commission M. François Colpart, secrétaire général du Syndicat national des ingénieurs de l'industrie et des mines.

Cette situation est cruellement mise en lumière par un exemple concret relevé lors de la mission d'une délégation de la Commission d'enquête à la raffinerie Total de La Mède, le 10 janvier 2002.

Un seul et même inspecteur à temps partiel est en charge de cette raffinerie d'une importance majeure qui se caractérise à elle seule par 24 études de dangers. Le même inspecteur a également la responsabilité du contrôle de 13 autres installations Seveso et des sous-traitants correspondants.

Cette situation, loin d'être une exception, est en réalité la règle : une charge de travail écrasante et des responsabilités accablantes pèsent sur chacun des inspecteur des installations classées.

Le Gouvernement a résolu de faire passer le nombre d'inspecteurs de 870 équivalents temps plein en 2001 à 1020 en 2002. Cette mesure, qui va dans le bon sens, ne saurait solder le problème des effectifs de cette administration.

La Commission estime qu'il est indispensable de doubler les effectifs à l'horizon 2005, comme le souhaite le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. En outre, il faut en effet veiller à ne pas augmenter simultanément les tâches assumées par l'inspection.

Proposition n° 26 : Doubler, à missions constantes, les effectifs de l'inspection des installations classées.

Par ailleurs, un plan pluriannuel de recrutement devrait être mis en place par les pouvoirs publics afin de garantir la réalisation de l'objectif du ministre. Ce plan devra intégrer la nécessité de constituer des équipes pluridisciplinaires comportant notamment des spécialistes de l'organisation du travail.

Toutefois, le renforcement des DRIRE doit également s'accompagner d'un renforcement des effectifs de l'Inspection du travail. Les inspections du travail sont en effet elles-mêmes surchargées.

Le renforcement simultané de ces deux administrations rendra possible leur coopération directe au travers d'inspections conjointes, ce qui devrait améliorer les relations avec les CHSCT.

Par ailleurs, une des tâches prioritaires des deux inspections ainsi renforcées devrait être une surveillance accrue apportée aux opérations de contrôle réglementaires et aux opérations de maintenance.

La maintenance constitue en effet une préoccupation essentielle en matière de sûreté, tant en ce qui concerne le niveau de dépenses qu'en ce qui concerne son organisation.

Selon les chiffres donnés à votre Commission, le niveau global des dépenses de maintenance de l'industrie française aurait, entre 1994 et 2000, diminué de 15 milliards de francs alors que le chiffre d'affaires de cette dernière a cru de 1000 milliards de francs. Si cette diminution s'explique par l'amélioration de la fiabilité, il semble toutefois important de développer un contrôle plus rigoureux de la qualité de ce type de prestations.

Par ailleurs, le niveau des contrôles réglementaires sur les appareils électriques ou les appareils à pression aurait baissé dans des proportions alarmantes, selon des informations communiquées à votre Commission.

Il est en conséquence indispensable que l'inspection des installations classées accorde une attention particulière au contrôle qualité des opérations de maintenance et au respect des obligations de contrôle réglementaire de certains types d'appareils ou équipements.

B.- LES AUTRES MODIFICATIONS INSTITUTIONNELLES

Parmi les modifications possibles du paysage de la prévention des risques industriels, deux semblent devoir être prioritaires, d'une part l'accroissement de l'audience du Conseil supérieur des installations classées, et, d'autre part, le renforcement de la capacité d'élaboration et d'analyse technique de la Direction de la prévention des pollutions et des risques du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

1.- Le Conseil supérieur des installations classées

L'activité principale du Conseil supérieur des installations classées est l'examen de tous les textes portant sur les installations classées. Ses autres fonctions sont de donner un avis sur la nomenclature des installations classées, ainsi que sur les dérogations à la réglementation et les fermetures autoritaires d'installations.

Le Conseil des installations classées, en tant qu'instance d'alerte et de conseil, a formulé des avis d'une importance capitale pour l'amélioration de la sûreté industrielle, comme par exemple sur les liens entre les inspections du travail et des installations classées, la sûreté des plates-formes gérées par des entités juridiques distinctes ou l'amélioration des études de dangers.

En conséquence, il est nécessaire que le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement prenne les dispositions nécessaires pour que la plus grande attention soit accordée aux travaux du Conseil supérieur des installations classées.

2.- La création souhaitable de groupes permanents d'experts auprès de la Direction de la prévention de la pollution et des risques

La complexité des installations industrielles modernes et la rapidité de leur évolution technique ou organisationnelle constituent un défi d'une difficulté considérable pour le contrôle de la sûreté.

L'organisation du contrôle de la sûreté des installations nucléaires a apporté à ce défi une réponse d'une grand intérêt qui pourrait être reprise pour les installations classées pour la protection de l'environnement.

Les quatre groupes permanents de la Direction de la sûreté des installations nucléaires ont chacun un domaine de compétence - réacteurs nucléaires, installations de stockage à long terme des déchets, autres installations nucléaires, transport -. Créés par décision ministérielle, les groupes permanents comprennent des experts nationaux et internationaux. Ces groupes examinent les problèmes techniques que posent, en matière de sûreté, la création, la mise en service, le fonctionnement et l'arrêt des installations nucléaires. Le bilan de l'activité des groupes permanents est incontestablement positif, leur apport principal étant de permettre la libre confrontation de points de vue exprimés par des spécialistes nommés pour une durée déterminée par les opérateurs ou choisis en raison de leurs compétences.

Proposition n° 27 : Créer des groupes permanents d'experts auprès des responsables du contrôle de la sûreté industrielle.

Afin de l'assister dans sa tâche de réglementation et de contrôle de la sûreté des installations classées, il paraît indispensable que des groupes permanents d'experts soient constitués auprès de la direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR) du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Ces groupes permanents seront constitués d'experts nationaux et étrangers qui, à l'initiative du DPPR, pourront notamment procéder à l'analyse des incidents et accidents survenus dans l'industrie, proposer des axes de recherche dans le domaine de la sûreté, préparer la réglementation dans ce domaine et évaluer son efficacité.

DEUXIÈME PARTIE : UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES FACTEURS HUMAINS DE DANGERS EST NÉCESSAIRE

Selon nombre des interlocuteurs de la Commission d'enquête, 80% des accidents industriels majeurs dans le monde seraient dus à un facteur humain. Cela rejoint le rapport d'enquête de 1979 sur l'accident nucléaire de Three Mile Island selon lequel également, 80% des facteurs d'accidents sont de nature non technique.

Il est donc urgent de réhabiliter la place de la dimension sociale et humaine dans l'analyse des risques face à l'approche purement technique souvent privilégiée dans des secteurs caractérisés par la complexité des procédés et le haut niveau technologique des installations.

Seuls les hommes présents sur place, ont la capacité de pouvoir interrompre les enchaînements logiques qui relient l'existence des risques à l'accident. L'unanimité s'est faite devant la Commission pour dire que la sécurité des personnes et de l'environnement à l'extérieur, dépend avant tout de la vigilance, de la rigueur et de la compétence à l'intérieur de l'établissement. Selon une expression d'un salarié entendu à Toulouse, il faut instituer des « guetteurs de dérives ».

Cette prise en compte nécessite de s'attaquer à trois problèmes, une relative impuissance des représentants du personnel sur la sûreté des sites, la fragilisation des installations résultant de l'externalisation de certains travaux et le développement de l'emploi précaire.

En particulier, les problèmes liés à la sous-traitance ont été maintes fois dénoncés, notamment par M. Michel Decayeux, Secrétaire général de la Fédération CGT-FO des industries chimiques, selon lequel « dans les entreprises à risques, la maintenance en amont des productions, voire certains services en aval de la production, doivent être sous le contrôle intégral de l'entreprise et ne pas être sous-traités. ».

La Commission a également relevé la nécessité d'assurer une action plus cohérente des services de l'Etat afin de réduire les risques pour la sécurité des travailleurs et pour l'environnement. Il s'agit d'impulser une synergie aujourd'hui absente entre l'inspection du travail, la DRIRE et les représentants du personnel. On mentionnera sur ce thème une petite perfidie d'un interlocuteur de la Commission, M. Jean Moulin, conseiller confédéral CGT , parlant de la non-coordination des interventions : « Ce ne sont pas les mêmes personnes ni la même tutelle qui sont en charge des installations SEVESO et des installations classées. Il paraît même que l'on ne se parle pas d'un étage à l'autre. ».

La Commission s'interroge également sur le lien entre les effectifs présents sur un site et la sécurité. M. Thierry Desmarest, Président-directeur général de TotalFinaElf, s'est exprimé sur ce point, lors de son audition du 6 décembre, dans ces termes : « Notre conviction profonde est que ces réductions d'effectifs ont en fait amélioré la sécurité et d'abord parce qu'en conséquence, il y a moins de personnels exposés sur les sites. J'indiquais que TotalFinaElf employait dix-huit mille personnes sur des sites Seveso, mais dans certaines installations, il y avait, dans le passé, quatre fois plus de personnels, soit quatre fois plus de personnes exposées aux risques. En ayant des lignes de production regroupées, automatisées, moins de personnels près des unités dangereuses, il y a objectivement pour le personnel qui travaille sur ces sites moins de risques et, en outre, -et là je ne suis pas d'accord avec vous- il y a eu une tendance de fond d'amélioration de la sécurité des opérations industrielles qui résulte naturellement du progrès technique ».

La DRIRE doit prendre en compte la dimension humaine et sociale et les problèmes posés par l'organisation du travail et la formation des salariés dans les installations qu'elle contrôle et dans les recommandations qu'elle formule. Par exemple la baisse constante des effectifs organiques, ramenés à un niveau minimum suffisant pour un fonctionnement normal mais inadapté pour faire face à une situation de crise ou pour permettre le déroulement de plans de formation satisfaisants, devrait être mentionnée comme un facteur aggravant du risque.

En résumé, il faut rompre le tête-à-tête actuel pouvoirs publics/directions d'entreprises.

I.- ÉCARTER LES SALARIÉS ET LEURS REPRÉSENTANTS DE LA GESTION DES RISQUES, CONDUIT TROP SOUVENT À UNE FORME DE LAXISME EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ

A.- POUR LES EXPLOITANTS COMME POUR L'ADMINISTRATION, LA SECURITÉ INDUSTRIELLE EST AVANT TOUT UN PROBLÈME DE MANAGEMENT.

Tout en affirmant devant la Commission que « dans l'usine de Grande Paroisse comme probablement dans toutes les usines chimiques, la sécurité est considérée comme le problème prioritaire », M. Serge Biechelin directeur de l'usine Grande Paroisse de Toulouse, n'a pas convaincu sur l'efficacité des moyens mis en oeuvre en matière de sûreté.

S'agissant par exemple du problème essentiel de la formation, le plan de formation pour les salariés de l'usine représente en principe 4 % de la masse salariale, mais il semble bien qu'il soit totalement déconnecté des problèmes de sécurité. En effet, selon le directeur « En ce qui concerne les problèmes de sécurité, toute personne qui rentre pour faire un travail dans l'usine subit une mini-formation d'une heure au cours de laquelle elle reçoit toutes les informations essentielles qui doivent lui permettre de connaître le fonctionnement et les règles de sécurité internes à l'usine. »... Il est permis d'en douter, d'autant qu'un peu plus loin, le directeur reconnaît qu'il est très difficile de contrôler le fonctionnement des sous-traitants vis à vis de leurs salariés. Juste après M. Serge Biechelin précise « en ce qui concerne notre propre personnel, des connaissances en matière de sécurité lui sont dispensées chaque fois que c'est indispensable... ». A l'évidence aucune approche globale rigoureuse et négociée des besoins de formation en matière de sécurité, notamment pour les membres du CHSCT, n'existe. On retrouve un peu la même discrétion et la même absence de concertation concernant les entreprises intervenantes auxquelles il est imposé « un certain nombre de choses ».

Les représentants des salariés de l'usine Grande Paroisse ont tous regretté l'absence de concertation sur les problèmes de risques et les lacunes graves en matière de formation. M. Jacques Mignard, membre du CHSCT de Grande Paroisse a apporté cette précision : « compte tenu du nombre légal de délégués prévus au CHSCT nous n'avons pas forcément une bonne couverture de l'ensemble du site ».

Sur une question à propos d'une fuite d'ammoniac dans la Garonne lors d'une opération de démantèlement à l'usine Grande Paroisse on trouvera ci-dessous les réponses de deux représentants du personnel qui illustrent de façon pathétique l'impuissance des salariés face aux problèmes de risques, en l'espèce pour l'environnement.

M. Michel Gaubert décrit ainsi l'évènement : « Nous avons reçu des consignes de la part des autorités de vider tous nos produits. Nous avons un stockage d'ammoniac de 5 000 tonnes qui n'avait pratiquement jamais été vidé. Nous avons vidé ces produits sans avoir les moyens normaux et techniques de dépotage et de transfert. Nous avons vidé les stockages d'ammoniac en remplissant des wagons. Dans un premier temps, en remplissant ces wagons, pour une raison technique incontrôlable, on ne peut s'empêcher de faire un petit dégazage à l'air. Ce dégazage a été fait et maîtrisé, mais néanmoins nous avons reçu des plaintes des riverains qui sentaient l'ammoniac. Nous avons décidé de mettre en place un autre procédé qui consistait à abattre, avec des rideaux d'eau, ces vapeurs d'ammoniac. Malheureusement, pour une mauvaise appréciation soit du débit de dégazage ou du débit d'eau, il s'en est suivi un rejet qui a été supérieur à notre autorisation. Mais nous étions dans des circonstances complètement dégradées où nous n'avions pas notre matériel. Voulant éviter les émissions atmosphériques, il y a eu malheureusement une petite pollution. ».

M. Henri Moncassin précise : « Pour compléter, les contraintes de la DRIRE étaient telles qu'il n'était plus possible d'expédier l'ammoniac liquide dans des conditions acceptables. Quand la DRIRE interdit la reliquéfaction de l'ammoniac alors qu'on n'est pas sûr de la fiabilité de l'installation que l'on peut utiliser pour reliquéfier, quand on nous interdit l'utilisation d'une torche, il est évident que, partant de là, on est soumis à des contraintes physiques auxquelles personne ne peut échapper, y compris le personnel le plus compétent ».

S'agissant des études de dangers, à Grande Paroisse comme ailleurs, elles font l'objet de négociations avec les organismes publics mais jamais avec les représentants du personnel. Ces derniers ont d'ailleurs partout fait observer qu'en l'état de leur disponibilité et de leur formation ils ne sont pas à égalité avec la direction ni avec la DRIRE pour les examiner.

On citera à nouveau M. Jean Moulin sur cette carence : « Dans les études de risques, les salariés ne sont jamais sollicités. Lorsque l'on interpelle les DRIRE, on ne reçoit aucune réponse. Les DRIRE ne tiennent pas compte des évolutions qui interviennent dans l'entreprise, non seulement par rapport aux nouvelles unités ou modifications d'unité, mais par rapport aux évolutions sociales, c'est-à-dire en termes d'organisation du travail et d'emploi. Une entreprise peut avoir été, il y a vingt ans, en excellente situation du point de vue de la sécurité, puis pratiquer une politique de sous-traitance et de réduction des effectifs sans remettre à niveau les plans d'analyse des risques et de prévention. Or la situation est devenue très différente ».

Un paradoxe a été relevé par un autre interlocuteur de la Commission. Certains groupes industriels investissent des sommes très importantes dans l'amélioration des procédés et des techniques en vue de la maîtrise des risques, mais ces efforts sont en partie neutralisés par des normes de gestion et d'organisation du travail qui vont à l'opposé.

La Commission se rallie aux propos tenus devant elle, le 21 novembre 2001, par M. Jean Moulin : « La responsabilité de la décision, en matière de conduite des installations, doit rester à l'employeur. Il y a là un problème de responsabilité juridique qui est tout à fait essentiel. Il faut faire très attention à ne pas atténuer cette responsabilité. En revanche, il faut faire en sorte que l'ensemble des acteurs - salariés, élus et population - aient de vrais outils qui leur permettent d'intervenir, de façon qu'il n'y ait pas de décision unilatérale qui entraînerait un manque de transparence. C'est un des problèmes centraux de la prévention ».

M. Jacques Kheliff, secrétaire général de la fédération CFDT de la chimie et de l'énergie, a indiqué pour sa part, au cours de la même audition « ...il y a une accoutumance des acteurs du travail aux risques qu'ils côtoient régulièrement. C'est sans doute cette accoutumance qui est la plus difficile à briser. »

Les industriels doivent rompre avec l'attitude qui consiste à regarder la participation des salariés et de leurs représentants dans la prévention des risques, comme une concession faite à la loi et à la démocratie sociale, alors qu'ils peuvent être un maillon déterminant du suivi des risques.

On citera un exemple assez significatif de l'absence quasi totale de prise en compte de la dimension humaine dans l'analyse des facteurs de risques par les exploitants. La direction de la raffinerie TotalFinaElf de la Mède, où s'est rendue une délégation de la Commission, a fait état des enseignements tirés à la suite du sinistre du 9 novembre 1992 qui a fait six morts et un blessé grave. Les améliorations décrites portent exclusivement sur les méthodes de gestion et d'inspection et les moyens matériels tels que la construction de salles de contrôle résistant à l'explosion ou le renforcement de rideaux d'eau ou de vapeur. L'accident a été provoqué par la rupture d'une canalisation due à la corrosion, ce qui évoque nécessairement une faille dans les capacités de contrôle et d'alerte dont disposent les personnes travaillant sur le site. Or il ne semble pas que des remèdes à ce dysfonctionnement dans l'organisation du travail aient été recherchés. D'ailleurs en 1998, une nouvelle corrosion et de nouvelles fuites ont eu lieu. Le CHSCT de cette raffinerie a confirmé que ses avis sur le vieillissement des installations n'avaient pas été pris en compte.

Enfin la pratique des exploitants d'installations à hauts risques qui consiste à maintenir le plus à l'écart possible les représentants élus des salariés dans les décisions et les stratégies relatives à la sécurité a été illustrée de façon presque caricaturale par les constatations de votre Commission sur le site de stockage de Gaz de France à Cerville le 16 janvier. Les membres du CHSCT ayant vivement protesté contre les multiples difficultés auxquelles ils se heurtent pour remplir leur mission, considérant qu'ils sont systématiquement « court-circuités » en matière de risques et de sécurité, le directeur des installations, comme d'ailleurs le directeur général délégué de GDF également présent, n'ont pas véritablement démenti. Ils ont indiqué que la gestion de la sécurité s'effectue, selon une procédure d'audit s'appuyant sur des réunions d'équipes de salariés, les membres du CHSCT étant considérés au même titre que tous les autres salariés, sans que l'instance représentative ne joue un rôle en tant que telle. La conception de la sûreté comme compétence managériale sans partage ne saurait recueillir l'assentiment de la Commission.

La Commission a donc été surprise par le climat social constaté dans cette grande entreprise publique au sein de laquelle les instances représentatives du personnel ne constituent manifestement pas des partenaires de la politique de sûreté. Or, lorsque le climat social est délétère, les risques s'aggravent.

La Commission considère que l'un des premiers objectifs à atteindre, pour évoluer vers des situations de risques socialement acceptables, est de faire reculer la culture du secret si fortement implantée dans les entreprises, tant vis à vis des salariés que des populations extérieures.

B.- BIEN QUE SES MISSIONS AIENT ÉTÉ ÉLARGIES À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT, LE CHSCT EST RELATIVEMENT IMPUISSANT FACE À CES SITUATIONS ET AUX RISQUES INDUSTRIELS

Confirmant ce qui a été maintes fois répété devant la Commission, un représentant des salariés de l'usine SNPE de Toulouse, M. Stéphane Mirailles a déclaré : « Les salariés étant les premiers à être concernés (...) ils doivent être beaucoup plus associés aux problèmes d'environnement. C'est un chapitre qui peut poser des problèmes puisque parfois on se heurte à des logiques ou des politiques d'entreprise qui ne sont pas forcément réfléchies au niveau de l'intérêt général. On peut donc avoir parfois des problèmes à ce niveau pour se faire entendre » Un peu plus loin il a ajouté « Dans les textes, il est précisé que l'information de l'employeur au CHSCT doit être réelle et large. Ce n'est pas toujours le cas. Là où cela pose un problème dans le fonctionnement, c'est que nous dépensons une énergie considérable, dans le cadre de nos missions, à déjà faire respecter les textes fondamentaux qui sont dans la réglementation ».

Depuis la loi Auroux du 23 décembre 1982, la liste des missions et des tâches des CHSCT n'a cessé de s'étendre, sans que les moyens initialement accordés n'évoluent dans les mêmes proportions et sans que la réalité de ses droits soit toujours effective.

L'élargissement de ses missions à la protection de l'environnement, introduit par la loi du 31 décembre 1991 (art. L 236-2 alinéa 9 du Code du travail) est peu opérant du fait, notamment, du manque de moyens comme cela a été signalé à la Commission par tous les membres de CHSCT auditionnés.

La loi prévoit, en effet dans les établissements comportant une ou plusieurs installations classées, la consultation du CHSCT sur les documents établis par l'entreprise à l'attention du préfet. Il doit ensuite être tenu informé des prescriptions contenues dans l'arrêté préfectoral d'autorisation. En réalité, cette nouvelle compétence dans le domaine de l'environnement, lui permet uniquement d'intégrer cette dimension dans ses autres missions en raison du lien entre les risques professionnels et ceux de l'environnement.

La Commission a acquis la conviction que cette disposition n'est pas à la hauteur des enjeux et qu'elle n'est pas de nature à susciter, chez les salariés des entreprises à hauts risques, la prise de conscience, indispensable, de la primauté du facteur humain dans la lutte contre un risque majeur.

Il apparaît en effet à travers les nombreuses auditions que la Commission a consacrées aux membres de CHSCT de divers établissements classés Seveso, un profond sentiment d'impuissance sur les questions de sûreté qui pourrait engendrer une certaine indifférence.

Les responsables patronaux et les cadres dirigeants semblent très peu désireux de faire vivre réellement ces instances en matière de risque industriel si l'on en juge, par les déclarations faites devant la commission.

Par exemple, les propos de M. René Deleuze, président de l'Union des industries chimiques (UIC), paraissaient bien déconnectés de la réalité des relations sociales dans la chimie lorsqu'il déclarait le 13 novembre 2001 « sur l'implication des salariés, nous avons en 1992 passé un accord avec les organisations syndicales, accord signé par quatre des cinq organisations et étendu par le ministère du travail. Cet accord a trait aux conditions de travail et de sécurité, dont la formation à la sécurité, aussi bien pour les salariés - la chimie investit de 4 à 5 % de la masse salariale pour la formation- que pour les entreprises sous-traitantes. Cet accord a d'ailleurs fait l'objet d'un état des lieux. On a regardé en 1996 comment cela avait fonctionné avec les organisations syndicales. Tout cela s'appliquant bien, nous avons décidé en septembre d'actualiser cet accord avec les organisations syndicales et de revoir en particulier les implications des CHSCT dans les évaluations des risques et dans l'engagement de progrès ».

Le directeur de l'usine ATOFINA de Carling, M. Pierre Vincent, auditionné sur le site le 17 janvier 2002, a été plus direct en reconnaissant les profondes divergences qui opposent direction et CHSCT, ce dernier, selon lui, proposant des solutions économiquement irréalistes. Les représentants des salariés sont donc, autant que possible, tenus à l'écart du circuit d'information et de décision en matière de risques industriels. Ils ne bénéficient d'aucune formation spécifique aux études de dangers, ils ne sont pas destinataires des rapports d'incidents survenus au sein du groupe, ils n'obtiennent jamais de réponse de la DRIRE lorsqu'ils l'interrogent. Sur ce dernier point il a été signalé à la Commission qu'un membre du CHSCT d'Atofina de Carling s'était vu reprocher vivement par la direction le fait d'avoir contacté directement le DRIRE à propos d'un projet d'installation d'une salle de contrôle unique sur le site. Certains ont parlé, notamment dans les filiales du groupe TotalFinaElf, de culture du mépris et de l'ignorance.

Il s'agit donc d'inverser cette tendance et de faire pénétrer la culture de sûreté et de transparence dans les entreprises, en donnant les moyens juridiques et techniques aux salariés, par l'intermédiaire de leurs institutions représentatives, de devenir acteurs de la prévention et de la réduction des risques industriels.

C.- IL FAUT RÉHABILITER LE RÔLE DES REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL DANS LA PRÉVENTION ET LA DÉFINITION DES RISQUES

1.- Intégrer le risque industriel en amont au niveau de la négociation collective de branche professionnelle et des accords professionnels et interprofessionnels

Actuellement les problèmes de risques industriel et environnemental et la spécificité de l'organisation du travail dans les entreprises à risques, ne sont l'objet d'aucune concertation et encore moins de négociation au niveau national, régional ou local.

Le champ d'application des conventions et accords collectifs du travail tel qu'il est défini par l'article L. 131-1 du Code du travail, porte sur les conditions d'emploi et de travail et les garanties sociales des salariés.

La Commission considère qu'il serait fructueux, dans les secteurs industriels concernés par des activités présentant de graves dangers pour la santé et la sécurité des personnes et pour l'environnement, d'inciter les partenaires sociaux à prendre en compte cette dimension dans la détermination des conditions de travail et l'évolution de l'emploi.

Proposition n° 28 : Étendre la négociation collective aux contraintes spécifiques qui résultent des activités présentant de graves dangers pour la sécurité.

2.- Modifier en profondeur la légitimité et le fonctionnement des CHSCT

Il ressort de toutes les auditions réalisées par la Commission lors de ses déplacements sur différents sites industriels, mais aussi du rapport du Conseil économique et social sur les CHSCT (3), que ces derniers éprouvent, faute de temps et de moyens, des difficultés sérieuses pour remplir, au mieux de l'intérêt des salariés, les très nombreuses missions qui leur ont été confiées au fil des années. Il en résulte un manque de disponibilité et d'une certaine façon, de vigilance pour les problèmes liés à la sécurité industrielle et notamment pour les risques générés par l'entreprise sur son environnement.

Or, comme en matière de sécurité individuelle et d'amélioration des conditions de travail, la mobilisation des salariés et l'utilisation de leur expérience sont de nature à enrichir considérablement la connaissance du risque propre à une installation. Mais surtout, le danger venant de l'accoutumance au risque et des comportements routiniers, l'existence d'une structure exerçant une sorte de veille permanente, d'action pédagogique et de relais de l'information sur les incidents enregistrés, devraient largement contribuer à consolider l'édifice de prévention.

Par ailleurs la Commission a acquis la certitude que les sites classés Seveso ne sont pas forcément les plus dangereux dans la mesure où ils respectent les prescriptions de la directive européenne. Il convient donc de porter aussi l'attention sur l'ensemble des installations soumises à autorisation qui utilisent souvent les mêmes produits dangereux mais en moindre quantité.

Il est donc proposé de refonder l'organisation des CHSCT en s'inspirant, sur certains points, du fonctionnement des comités d'entreprises.

a) Modifier la désignation des membres des CHSCT

Actuellement, le CHSCT comprend le chef d'établissement ou son représentant et une délégation du personnel dont les membres sont désignés, pour deux ans, par un collège constitué par les membres élus du comité d'entreprise ou d'établissement et les délégués du personnel.

Afin de valoriser la mission du CHSCT, de le responsabiliser devant l'ensemble des salariés, et de renforcer sa crédibilité face à l'employeur, il faut rompre avec cette procédure de désignation indirecte.

Proposition n° 29 : Organiser l'élection directe des membres des CHSCT sur listes syndicales, par l'ensemble des salariés d'un établissement.

b) Augmenter le nombre de membres du CHSCT dans les établissements soumis aux dispositions de la directive Seveso

Dans les nombreux sites classés Seveso sur lesquels elle s'est rendue, la Commission a constaté, que les membres des CHSCT, très mobilisés par leurs missions traditionnelles, n'étaient pas en nombre suffisant pour faire face aux problèmes liés à la sûreté des installations. Cette situation ne fera que s'aggraver si leur rôle dans ce domaine est renforcé.

Le nombre actuel de membres du CHSCT est fonction de l'effectif de l'entreprise :

Jusqu'à 199 salariés
De 200 à 499 salariés
De 500 à 1 499 salariés
A partir de 1 500 salariés

3 membres
4 membres
6 membres
9 membres

Ce nombre doit pouvoir être augmenté dans les entreprises de plus de 1 500 salariés, lorsque les risques sont d'une particulière gravité.

Il convient de rappeler que dans les entreprises qui comptent plus de 2000 salariés, le nombre d'élus au comité d'entreprise s'échelonne entre 9 et 15.

De plus, afin d'éviter les difficultés de fonctionnement du CHSCT liés aux départs en congé ou en formation, il convient de faire élire un suppléant auprès de chaque titulaire. Le suppléant n'est autorisé à participer aux activités du CHSCT qu'en cas d'indisponibilité du titulaire.

Proposition n° 30 : Dans les établissements classés Seveso, prévoir l'élection d'un suppléant aux côtés de chaque titulaire du CHSCT.

Proposition n° 31 : Dans les établissements classés Seveso de plus de 1 500 salariés, permettre à un accord d'entreprise de fixer un nombre d'élus du CHSCT supérieur à 9.

c) Augmenter et annualiser les crédits d'heures

De nombreux interlocuteurs ont contesté le fait que, dans les installations à risques, le quota d'heures dont disposent les membres du CHSCT soit déterminé par le nombre de salariés de l'établissement. On peut, en effet, constater des réductions d'effectifs et la persistance de dangers inhérents à l'activité.

M. Jacques Mignard de l'usine Grande Paroisse de Toulouse l'a exprimé en ces termes : « Je voudrais souligner une aberration de la réglementation actuellement en vigueur. Le nombre d'heures de délégation accordé au personnel des CHSCT n'est pas fonction de la dangerosité du site dans lequel il se trouve, mais du nombre de salariés sur le site. C'est aberrant. Nous avons des sites, même dans notre groupe, où il y a un gros effort à faire en matière de CHSCT, mais les membres du CHSCT ne disposent que de quelques heures par mois pour l'effectuer. Par conséquent, ils ne sont pas en mesure de remplir leur tâche ».

Le régime actuel applicable aux membres des CHSCT prévoit un quota mensuel d'heures allant de 2 heures dans les établissements occupant jusqu'à 99 salariés, jusqu'à 20 heures pour ceux comptant 1500 salariés et plus. Le système ne tient donc aucun compte de l'importance des tâches à accomplir en fonction des réalités de l'entreprise.

Il faut permettre l'introduction d'un facteur de correction en fonction de la nature de l'activité, de la gravité des dangers auxquels sont exposés les salariés et les populations environnantes, et, des prescriptions de sécurité contenues dans l'arrêté d'autorisation.

De plus les fonctions confiées au CHSCT ne sont pas compatibles avec l'utilisation linéaire, uniformément répartie dans le temps d'un contingent d'heures mensuel. Le quota d'heures doit donc être réparti sur l'année et reportable d'une année sur l'autre lorsqu'il n'a pas été entièrement utilisé.

Proposition n° 32 : Dans les établissements classés Seveso, prévoir pour les membres du CHSCT, un crédit d'heures annuel déterminé par voie de convention ou d'accord en fonction des risques et ne pouvant être inférieur à 150 heures par an.

d) La constitution d'une commission obligatoire de sûreté industrielle au sein des CHSCT et l'amélioration de leurs moyens matériels.

La Commission propose de s'inspirer du fonctionnement des comités d'entreprise pour lesquels le code du travail prévoit la mise en place, à l'initiative du comité, de diverses commissions pour la préparation de ses travaux. Les commissions obligatoires sont présidées par un membre titulaire du comité d'entreprise. Il existe ainsi une commission obligatoire de la formation professionnelle, de l'information et de l'aide au logement et une commission économique.

Proposition n° 33 : Dans les établissements classés Seveso, autoriser le CHSCT à créer une commission de la sûreté industrielle.

Cette commission de la sûreté industrielle, présidée par un membre élu du CHSCT, serait composée de membres du CHSCT que celui-ci désignerait librement. Le temps passé par les membres de la commission ne s'imputerait pas sur le quota d'heures de membre du CHSCT dans la limite de 20 heures par an. Cette commission serait particulièrement chargée de préparer les délibérations et les avis du CHSCT et d'étudier les moyens propres à améliorer l'information et la connaissance des salariés et des populations en matière de risque industriel.

Avec l'accord du chef d'entreprise, la commission pourrait s'adjoindre, à titre consultatif, un ou plusieurs conseillers en matière de sûreté, délégués par des organisations professionnelles ou des cabinets d'experts, rémunérés, le cas échéant, par l'entreprise.

La Commission d'enquête suggère également d'améliorer les moyens matériels de fonctionnement des CHSCT qui devraient disposer d'une salle permanente et des moyens nécessaires à la préparation et à l'organisation des réunions ainsi qu'aux déplacements imposés par les enquêtes et les contrôles .

Ces moyens doivent inclure l'accès à Internet et aux bases de données sur les produits dangereux et le recensement des incidents et des accidents dans le monde, ainsi qu'à toute forme de documentation utile.

Enfin, votre Commission relève que l'article L.236-3 du Code du travail relatif aux moyens d'information et de fonctionnement qui doivent être fournis par l'employeur, soumet les membres du CHSCT à une obligation de discrétion à l'égard des informations considérées comme confidentielles par le chef d'établissement.

Votre Commission souhaiterait que dans des circonstances graves, mettant en jeu la sécurité interne ou la protection de l'environnement, cette obligation de discrétion et de confidentialité ne soit pas opposable aux membres du CHSCT et que ces derniers puissent faire état de certaines informations, notamment en direction de l'instance locale d'information et de prévention des risques, sans encourir de sanctions.

e) Renforcer la sécurité dans les établissements de moins de cinquante salariés

La constitution d'un CHSCT n'est obligatoire que dans les entreprises de plus de cinquante salariés.

Certains établissements de moins de cinquante salariés sont néanmoins concernés par les problèmes de risques majeurs et peuvent être soumis aux dispositions de la directive Seveso.

Votre Commission a même constaté que parfois les facteurs de risques peuvent être suivis avec moins de rigueur dans les petites entreprises, par exemple les établissements de stockage à faible valeur ajoutée.

Les stockages de céréales peuvent être dans ce cas. Une délégation de votre Commission a pris la mesure du problème en se rendant le 20 décembre 2001, sur les installations de la société SEMABLA à Blaye en Gironde où un accident avait fait 11 victimes, dont dix salariés, le 20 août 1997 et où il n'existe pas de CHSCT (l'établissement comptait 21 salariés au moment de l'accident).

La Commission rappelle que conformément à l'article L.236-1 du Code du travail, dans les établissements de moins de 50 salariés, l'inspecteur du travail peut imposer la création d'un CHSCT lorsque cette mesure est nécessaire en raison notamment de la nature des travaux, de l'agencement ou de l'équipement des locaux. Cette disposition pourrait être plus souvent appliquée dans les installations à risques en concertation avec la DRIRE.

Par ailleurs, à défaut de CHSCT, ce sont les délégués du personnel, élus obligatoirement à partir d'un effectif de 11 salariés, qui exercent les attributions du CHSCT dans le cadre de leurs moyens propres. Ils ne bénéficient pas d'un crédit d'heures supplémentaire pour les questions relatives à la sécurité et aux conditions de travail.

Afin d'améliorer les moyens d'intervention des délégués du personnel dans les entreprises à risques dépourvues de CHSCT, la Commission propose dans ce cas l'élection d'un délégué du personnel supplémentaire chargé des questions de sûreté industrielle.

Proposition n° 34 : En l'absence de CHSCT dans les établissements Seveso de moins de cinquante salariés, prévoir l'élection d'un délégué du personnel supplémentaire.

3.- Le CHSCT doit devenir acteur de la sécurité industrielle

a) Le suivi des études de dangers

La Commission d'enquête a acquis la conviction que l'étude de dangers, pour remplir son rôle, ne doit pas être réalisée discrètement et unilatéralement par l'exploitant.

Elle doit au contraire, dans l'intérêt de tous, salariés, chef d'entreprise et riverains, être l'occasion d'une réflexion pluraliste et contradictoire sur l'identification des dangers, les moyens de les réduire et d'en atténuer les conséquences s'ils se réalisent malgré tout.

On s'appuiera sur un exemple qui s'est hélas avéré significatif et qui a trait à l'explosion de l'usine AZF à Toulouse. Lors de l'audition du 21 novembre 2001, M. Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT, a révélé qu'en 1990, un rapport de la DRIRE, qui a été fourni à la Commission, envisageait le scénario de l'explosion du nitrate d'ammonium, mais qu'il a ensuite été abandonné. On peut émettre l'hypothèse qu'une instance représentative du personnel, spécialisée dans les problèmes de sûreté industrielle et exerçant une veille constante n'aurait pas laissé disparaître sans réagir la suppression de ce scénario d'accident, du plan de prévention des risques.

La Commission propose donc d'introduire le CHSCT comme acteur de l'examen des risques. La responsabilité de la réalisation de l'étude de dangers incombe totalement à l'exploitant mais le CHSCT doit être investi d'une mission de suivi et d'observation.

Dans cette perspective, votre Commission propose d'aller plus loin que l'article 9 de l'avant projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques qui améliore trop timidement les conditions actuelles de la consultation du CHSCT sur les études de danger. La proposition ci-dessous est cependant à rapprocher de l'article 7 de l'avant projet, qui rend obligatoire, dans les établissements comprenant au moins une installation classée, des services permanents de prévention, d'incendie et de secours.

Proposition n° 35 : Informer et réunir obligatoirement le CHSCT dès le lancement d'une étude de dangers ou d'une révision d'étude de dangers, ainsi que pour la préparation des plans d'organisation interne et à l'occasion de la mise en place des services permanents de secours.

Il a, à de nombreuses reprises, été souligné devant la Commission, l'extrême complexité des études de dangers et les difficultés auxquelles se heurtent les membres des CHSCT pour en apprécier le contenu et le cas échéant formuler des observations.

La Commission considère qu'il est nécessaire de leur donner la possibilité de se faire assister par un expert.

Cette possibilité existe pour les CHSCT (article L.136-9 du Code du travail) lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement, ou en cas de projet important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité. Il suffit donc d'étendre l'application de cet article à la réalisation d'une étude de dangers.

L'expert devra être agréé par le ministre chargé du travail dans des conditions fixées par décret. Les frais d'expertise sont à la charge de l'entreprise. La décision de recourir à un expert est prise à la majorité, l'employeur vote mais ne peut s'opposer à la décision. L'expertise doit être réalisée dans le délai d'un mois.

Proposition n° 36 : Permettre au CHSCT de se faire assister par un expert lors de la réalisation des études de dangers.

L'étude de dangers devra être communiquée au CHSCT dans un délai suffisant pour lui permettre de rendre un avis motivé. Il est souhaitable que l'inspecteur des installations classées soit convoqué à la réunion au cours de laquelle le CHSCT rend son avis.

Proposition n° 37 : Instituer un avis motivé obligatoire du CHSCT sur l'étude de dangers et sur sa révision périodique.

Proposition n° 38 : Prévoir que l'absence d'avis motivé du CHSCT sur l'étude de dangers, entache d'illégalité la décision d'autorisation des autorités publiques.

Afin d'attirer l'attention des autorités publiques chargées de la protection de l'environnement, il est souhaitable que le CHSCT se prononce dans son avis motivé, sur le nombre d'emplois précaires maximum qui pourraient être autorisés sur un site dangereux. Ces emplois précaires correspondent aux contrats à durée déterminés ou aux contrats d'intérim conclus par l'établissement ou ses sous-traitants.

La Commission a en effet constaté que si une limitation est souvent intégrée dans les contrats de sous-traitance, sous forme de pourcentage maximum d'intérimaires par rapport aux effectifs fixes, elle est très peu respectée.

b) Le renforcement de la capacité de contrôle et de la formation

On rappellera tout d'abord que l'article L.236-2-1 du Code du travail trop souvent ignoré, prévoit que le chef d'établissement doit réunir le CHSCT au moins tous les trimestres et plus fréquemment en cas de besoin, notamment dans les branches d'activité à haut risque. Le CHSCT doit également se réunir à la suite de tout accident ayant entraîné ou qui aurait pu entraîner des conséquences graves ou enfin à la demande motivée de deux de ses membres.

La jurisprudence de la Cour de cassation considère que le chef d'entreprise, lorsqu'il est saisi d'une telle demande motivée n'a pas à se faire juge de son bien fondé et a l'obligation de réunir le CHSCT sous peine de se voir reprocher le délit d'entrave.

Il convient néanmoins d'améliorer l'information du CHSCT et de donner davantage d'impact à ses décisions.

La Commission propose de rapprocher les fonctionnements du CHSCT et du comité d'entreprise.

Le code du travail prévoit que, dans les entreprises d'au moins 300 salariés, l'employeur doit fournir annuellement au comité d'entreprise un bilan social.

La Commission propose que dans les établissements auxquels s'appliquent la directive Seveso, le bilan social relate obligatoirement les incidents ou accidents industriels survenus au cours de l'année en mentionnant leurs causes et les mesures prises. Le CHSCT doit être destinataire de ce bilan social.

Proposition n° 39 : Inclure dans le bilan social les incidents et quasi-accidents dans les établissements classés Seveso et rendre le CHSCT destinataire de ce document.

Proposition n° 40 : Imposer la transmission par le chef d'établissement des procès-verbaux des réunions du CHSCT relatifs aux risques industriels et aux mesures de sûreté, à l'inspecteur du travail, à l'inspecteur des installations classées et au président de l'instance locale d'information et de prévention.

La Commission a maintes fois constaté que l'impuissance voire la résignation des représentants des salariés face aux études de dangers et à la sécurité des processus industriels, étaient liées au manque de formation et à l'impossibilité d'être considérés comme des interlocuteurs acceptables.

M. Thierry Desmarest, président directeur général de TotalFinaElf, a lui-même reconnu devant la commission, qu'une « meilleure formation des partenaires sociaux à la maîtrise des risques industriels est une évolution souhaitable et naturelle ».

La médiocrité générale de la formation professionnelle pour l'ensemble des salariés a été également très souvent dénoncée comme facteur de risques. L'élévation globale du niveau de connaissances dans les entreprises à risques devrait relever du simple principe de précaution.

Votre Commission considère que les membres du CHSCT doivent être investis de la mission de mieux « faire vivre la sécurité ». Ils doivent, outre les apprentissages techniques théoriques et pratiques, recevoir une formation axée sur le développement de la culture du risque au sein de l'entreprise, formation incluant une pédagogie à développer en direction des salariés.

Cette formation, doit être d'une durée minimum de cinq jours par an et se dérouler dans les conditions du congé formation. Elle doit être financée par l'entreprise, organisée sur la base d'un programme et dispensée par un organisme agréé.

Une branche d'activité de recherche et de formation spécialisée dans les risques industriels et technologiques pourrait être constituée au sein de l'INRS pour contribuer à ce type de formation.

La Commission propose également que dans les établissements comportant une ou plusieurs installations classées soumises à autorisation, le plan de formation du personnel soumis tous les ans pour avis au comité d'entreprise, comporte obligatoirement un volet consacré à l'amélioration des connaissances, de l'ensemble du personnel, sur les substances et les préparations dangereuses et leurs procédés de fabrication propres à l'entreprise. Ce volet doit faire l'objet d'un avis favorable spécifique.

Proposition n° 41 : Prévoir une formation annuelle aux risques majeurs et à la prévention des risques pour les membres du CHSCT.

c) Faciliter et étendre le droit d'alerte

Il faut donner aux élus du CHSCT, dans les entreprises à haut risque, une possibilité d'intervention efficace en cas d'existence d'un risque ou d'une menace graves.

L'article L. 231-9 du Code du travail prévoit que si un membre du CHSCT constate une cause de danger grave et imminent, il en avise immédiatement l'employeur et consigne cet avis par écrit. L'employeur ou son représentant est tenu de procéder sur le champ à une enquête avec le membre du CHSCT qui lui a signalé le danger. En cas de divergence sur la réalité du danger, le CHSCT est réuni d'urgence. En outre, l'employeur est tenu d'informer immédiatement l'inspecteur du travail et l'agent du service de prévention de la caisse régionale d'assurance maladie qui peuvent assister à la réunion du CHSCT.

La commission propose d'étendre ce droit d'alerte aux situations de risques d'accidents majeurs.

Proposition n° 42 : Dans les établissements classés Seveso, rendre obligatoire la réunion du CHSCT par le chef d'établissement lorsqu'un membre de celui-ci signale l'existence d'un risque d'accident majeur.

4.- La création d'un comité de site

La Commission a été frappée, sur certaines plates-formes chimiques en particulier, par la proximité des établissements dangereux et l'interpénétration des risques lourdement aggravés par l'effet domino.

C'est pourquoi il est indispensable de permettre le rapprochement des CHSCT de ces différents établissements et de permettre la constitution de CHSCT de site dans ces zones à entreprises multiples.

Proposition n° 43 : Créer sur les sites à entreprises multiples, un CHSCT de site habilité à intervenir dans toutes les entreprises participantes.

5.- Étendre le délit d'entrave à toutes les nouvelles prérogatives du CHSCT

Votre Commission rappelle que conformément à l'article L. 263-2-2 du Code du travail, le délit d'entrave à la mise en place, à la libre désignation ou au fonctionnement régulier du CHSCT est passible d'une peine d'emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 300 € à 3000 €. En cas de récidive, l'amende peut être portée à 6000 € et la peine d'emprisonnement à deux ans.

Il convient d'étendre ces dispositions aux nouvelles missions et aux nouveaux moyens de fonctionnement des CHSCT.

II.- LA SOUS-TRAITANCE ET LA PRÉCARITÉ AGGRAVENT LES RISQUES ET DOIVENT ÊTRE LIMITÉES

A.- LE MANAGEMENT À STRICTE LOGIQUE FINANCIÈRE S'OPPOSE TROP SOUVENT À UNE DÉMARCHE DE PRÉVENTION

À Toulouse, 13 des 23 employés qui ont trouvé la mort sur le site d'AZF le 21 septembre étaient salariés d'entreprises sous-traitantes.

Un représentant des salariés de l'usine Grande Paroisse, M. Henri Moncassin a déclaré à ce sujet à la Commission : « au niveau de la sous-traitance, il faudrait en limiter l'utilisation dans la mesure où quelque part, c'est une remise en cause de la sécurité. Quand les impératifs économiques prévalent sur la sécurité, c'est inacceptable. Il faut que la réglementation oblige l'industriel à respecter un certain nombre de choses. Il y a donc une obligation à ce niveau-là. Au niveau des effectifs, il faut que les organisations représentant les salariés soient plus entendues. Si la loi sur les 35 heures avait été plus contraignante au niveau des embauches, il est probable que nous aurions eu un effectif supérieur ».

Dans sa conclusion, M. François Barthélémy, auteur du rapport précité de l'inspection générale de l'environnement sur l'accident du 21 septembre 2001, fait observer, à propos des moyens de prévention mis en oeuvre par l'exploitant, que « les stockages de nitrate d'ammonium n'étaient pas directement gérés par la société Grande Paroisse mais par un sous-traitant ». Tout en précisant qu'aucun élément ne permet de dire que ce fait a pu jouer un rôle dans les causes de l'accident, il souligne que « le recours de plus en plus large à la sous-traitance dans les installations industrielles les plus dangereuses pose des problèmes de connaissance des produits et de transmission des informations entre l'exploitant de l'installation et ses sous-traitants ». On s'étonne alors, que dans ses propositions visant à l'amélioration de la connaissance des risques, l'auteur du rapport ne mentionne à aucun moment la nécessité d'intégrer les connaissances, les savoir-faire et le regard critique des salariés de l'exploitant.

Or, tout, statistiques et témoignages, converge pour faire apparaître que les points de fragilité d'un site, ceux où il y a, notamment, le plus d'accidents du travail, sont ceux où il y a le plus de salariés en situation précaire (intérimaires, contrats à durée déterminée) et autres salariés extérieurs à l'entreprise. Quand une unité de production n'est pas homogène, quand les salariés n'ont pas les mêmes savoir-faire ni les mêmes règles de protection, quand il y a multiplicité de personnels de niveaux et de statuts différents, les risques augmentent.

Le constat est unanime, la sous-traitance en cascade, et qui plus est la sous-traitance à base d'emplois précaires aggrave considérablement les risques. Parmi d'autres, M. Max Nicolaïdes, inspecteur du travail, auditionné lors du déplacement d'une délégation de votre Commission en région PACA le 10 janvier, a cité l'exemple d'une direction d'installation classée à haut risque qui pour l'entretien périodique de son installation, « empile » mille deux cents personnes, provenant d'entreprises extérieures, pendant cinq semaines pour tout démonter, tout nettoyer, tout vérifier, puis fait remonter le tout en cinq semaines avec des durées de travail « délirantes » et un taux d'intérimaires de 40% sur le chantier. L'explication est évidemment d'ordre économique, l'installation doit redémarrer à l'heure H, au jour J, le coût doit être comprimé au maximum, tout le reste passant au second plan.

Le législateur a déjà pris en compte l'aggravation des risques professionnels liés à l'intervention de travailleurs de différentes entreprises sur un même site, en fixant une obligation de coopération des employeurs concernés pour la mise en oeuvre des dispositions réglementaires sur la sécurité, l'hygiène et la santé. La loi du 31 décembre 1991 et le décret du 20 février 1992 (article R. 237-1 et suivants du Code du travail) réglementent les interventions des entreprises extérieures au sein des entreprises utilisatrices. De même la loi interdit de placer les intérimaires dans des situations particulièrement dangereuses et prévoit que les intérimaires doivent être spécifiquement formés aux risques du chantier où on les envoie. En pratique, la prise de travail est immédiate et la durée de formation lorsqu'elle existe est de l'ordre de trois quarts d'heures selon les témoignages recueillis. La seule règle qui vaille en matière de sous-traitance, y compris dans les installations classées, est celle de la rapidité d'exécution des interventions et de la recherche des coûts minimums au détriment du respect des règles de sécurité.

De surcroît la politique de prévention des risques industriels se heurte en permanence au partage des responsabilités et à la tentative des entreprises industrielles de reporter ces responsabilités sur leurs sous-traitants.

Votre Commission entend clairement s'opposer à ces dérives en posant le principe que celui qui crée le risque doit le prévenir et reste en toute circonstance responsable de sa réalisation.

L'objectif est donc de rendre plus opérante la coopération entre le donneur d'ordre et l'entreprise extérieure, d'améliorer la prévention des risques résultant de l'interférence entre les activités de plusieurs entreprises et d'inciter les entreprises utilisatrices à se monter plus exigeantes sur la qualité du travail fourni par leurs prestataires.

La Commission recommande l'élaboration entre le plus grand nombre de partenaires, et la diffusion, d'une charte de bonne conduite en matière de sous-traitance.

De plus, en l'état des règles de la responsabilité civile, chaque employeur est responsable du fait des dommages causés par ses subordonnés. C'est pourquoi votre Commission s'interroge sur la possibilité d'instituer une co-responsabilité juridique automatique entre l'entreprise utilisatrice et les entreprises sous-traitantes. Il pourrait aussi être envisagé de désigner obligatoirement dans les contrats de sous-traitance, le donneur d'ordres comme unique responsable des dommages consécutifs aux interventions dans le cadre de son établissement.

B.- DANS LES SITES INDUSTRIELS CLASSÉS SEVESO, LA SOUS-TRAITANCE ET LES EMPLOIS PRÉCAIRES DOIVENT ÊTRE SOUS CONTRÔLE

1.- Interdire la sous-traitance en cascade

La Commission a constaté que, sur des sites à hauts risques, des entreprises acceptent des marchés de sous-traitance alors qu'elles n'ont pas la capacité technique ou ne disposent pas d'un nombre de salariés suffisant pour exécuter la prestation. Elles ont alors recours à leur tour à la sous-traitance et l'entreprise utilisatrice est de moins en moins en mesure de vérifier les conditions d'intervention dans son établissement.

Il faut interdire dans les établissements à hauts risques cette dilution des responsabilités et des contrôles.

Proposition n° 44 : Dans les établissements classés Seveso, interdire aux entreprises prestataires le recours à la sous-traitance.

Afin d'identifier les typologies de sous-traitance actuelle dans les secteurs industriels à hauts risques et d'éclairer les décisions des autorités publiques, la Commission propose qu'une étude soit confiée à l'ANACT (4) sur ce problème.

2.- Améliorer les conditions d'intervention des salariés des entreprises extérieures.

Il convient là aussi de réaffirmer de façon claire que celui qui crée le risque doit le prévenir, pour l'ensemble des personnes qui peuvent y être exposées quels que soient leur statut ou leur situation contractuelle vis à vis de l'exploitant.

Le Code du travail, et notamment les articles R. 237-5 et suivants, prévoient des mesures de prévention préalables à l'exécution d'une opération par une entreprise extérieure et des mesures de prévention pour la sécurité des salariés pendant l'exécution des opérations sous-traitées. En fait, les plans de prévention préalables à l'intervention de l'entreprise extérieure et les inspections et les contrôles en cours d'exécution, outre qu'ils sont rarement appliqués, ne concernent que le chef de l'entreprise utilisatrice et les chefs des entreprises extérieures, les membres des CHSCT ou les délégués du personnel n'y étant pas associés.

L'avant projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques prévoit à l'article 6, des dispositions plutôt redondantes avec la réglementation existante qui vient d'être rappelée, se bornant à les étendre explicitement aux sites classés sans les adapter ni en durcir le dispositif.

La Commission estime, que dans les établissements à risques, le CHSCT de l'entreprise utilisatrice doit être associé aux mesures préalables à l'intervention d'entreprises extérieures et que la formation aux risques industriels doit être améliorée.

Proposition n° 45 : Dans les établissements classés Seveso, imposer la délivrance d'une formation adaptée aux salariés d'entreprises extérieures intervenant sur les installations à risques.

Proposition n° 46 : Aviser obligatoirement le CHSCT d'un établissement classé Seveso des interventions d'entreprises extérieures.

Proposition n° 47 : Dans les établissements classés Seveso, permettre à un membre élu du CHSCT d'assister à la formation dispensée aux salariés d'entreprises sous-traitantes.

3.- Renforcer la protection des salariés précaires et des salariés extérieurs à l'entreprise

Le suivi médical des salariés des entreprises extérieures doit également être amélioré.

Dans la pétrochimie, notamment, les salariés chargés des travaux d'entretien et de maintenance, qui sont le plus souvent extérieurs à l'installation, sont particulièrement exposés aux risques liés aux produits dangereux tel que le benzène.

Il convient de renforcer la surveillance médicale de ces salariés en avertissant le médecin du travail et le contrôleur de la CRAM de leur présence sur le site.

Par ailleurs, l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que, lorsqu'un accident est dû à la faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire. Cette majoration est versée par la caisse d'assurance maladie qui la récupère sous la forme d'une cotisation supplémentaire exigible à l'encontre de l'employeur. La faute inexcusable est constituée, notamment, lorsque les règles de sécurité n'ont pas été respectées.

La Commission considère que la faute inexcusable doit être présumée à l'encontre du chef de l'entreprise utilisatrice en cas d'accident, lorsque les salariés extérieurs interviennent sur une installation classée, sans avoir reçu une formation suffisante.

Une politique efficace de prévention des risques industriels majeurs ne saurait plus longtemps ignorer toute contribution syndicale et sociale et se réfugier derrière une formule souvent évoquée devant la Commission celle du « pas su, pas dit, pas pris ».

l'Union des industries chimiques, indispensable partenaire
de l'amélioration de la sûreté

L'Union des industries chimiques (UIC) est une organisation professionnelle regroupant des entreprises de la chimie. A plusieurs reprises, dans le passé, cette organisation a pu sembler adopter une attitude défensive vis-à-vis des obligations qui lui sont imposées de l'extérieur, privilégiant les actions réelles en faveur de la sûreté entreprises à l'initiative de ses membres.

Il serait souhaitable qu'à l'avenir, tout en prolongeant les démarches engagées sur la base du volontariat, l'UIC adopte une attitude plus ouverte notamment envers l'évolution des règles, nationales et européennes.

Les actions juridiques passées

L'Union des industries chimiques a engagé par la passé des actions juridiques contre des textes imposant des règles nouvelles en matière de sûreté. Les contentieux décrits ci-dessous montrent qu'elle a souvent obtenu gain de cause pour des raisons de forme. Si ces actions ont contribué à mettre en lumière certaines faiblesses dans l'édiction des normes et à préciser le droit, ces règles étaient toutefois, sur le fond, légitimes.

Conseil d'Etat, 15 avril 1996

L'Union des industries chimiques (UIC) a demandé l'annulation d'une circulaire des ministres de l'intérieur et de l'environnement du 30 décembre 1991 définissant l'articulation entre le plan d'opération interne et les plans d'urgence. L'UIC soutenait que cette circulaire édictait des règles nouvelles ce qui nécessite un décret.

Le juge n'a pas estimé recevable la plupart des demandes de l'UIC car il a considéré que sur de nombreux points la circulaire attaquée se bornait à commenter des dispositions édictées par décret. L'UIC a toutefois obtenu l'annulation d'une prescription de la directive enjoignant aux préfets de faire réaliser par l'exploitant et à ses frais au moins un exercice d'application du POI par an alors que les dispositions en vigueur n'impose la réalisation de cet exercice que tous les trois ans.

Conseil d'Etat, 26 mai 1995

L'UIC, le Comité français du butane et du propane et l'Union française des industries pétrolières ont demandé l'annulation d'un arrêté du ministre de l'environnement du 28 janvier 1993 fixant les règles d'information préventive des populations susceptibles d'être affectées par un accident survenant dans une installation classée.

L'article 21 de la loi du 22 juillet 1987 disposant que les conditions d'exercice du droit des citoyens à l'information sur les risques majeurs sont définies par décret en Conseil d'Etat, le juge a annulé pour excès de pouvoir, conformément à la demande des requérants, l'arrêté du 28 janvier 1993.

Conseil d'Etat, 25 septembre 1992

L'UIC a demandé l'annulation d'une circulaire du ministre de l'environnement du 4 février 1987 relatives aux règles techniques de sécurité applicables dans les entrepôts constituant des installations classées pour la protection de l'environnement.

Conformément à cette demande, le juge a annulé des prescriptions de la circulaire imposant à l'exploitant de garantir au cours de l'exploitation le maintien des distances d'isolement autour de son installation par tous moyens et notamment par l'acquisition de terrains ou l'obtention de leurs propriétaires de l'établissement de servitudes de non-constructibilité et édictant des consignes de sécurité destinées à prévenir les incendies ou les accidents ou à en limiter les effets.

Conseil d'Etat, 24 mai 1993.

L'UIC, le Comité français du butane et du propane et l'Union française des industries pétrolières ont demandé l'annulation d'un arrêté du secrétaire d'Etat chargé de l'environnement du 9 novembre 1989 relatif aux conditions d'éloignement auxquelles est subordonnée la délivrance de l'autorisation des nouveaux réservoirs de gaz combustibles liquéfiés.

Cet arrêté fixe des distances minimales entre les nouveaux réservoirs de gaz combustibles liquéfiés et les constructions et voies de circulation extérieures. Il s'applique aux réservoirs existants lorsqu'une modification substantielle de leurs caractéristiques ou de leur contenu est de nature à augmenter les risques potentiels liés à leur exploitation. Enfin, il interdit la construction de nouveaux réservoirs aériens de plus de 500 m3 et celle de nouveaux réservoirs sous talus de plus de 10 000 m3.

Le juge a rejeté la requête en estimant l'arrêté légal mais en précisant que le préfet, qui édicte l'arrêté d'autorisation, conserve la possibilité d'augmenter la distance d'éloignement, notamment au vu des résultats de l'étude de dangers.

Une ouverture aux regards extérieurs à amplifier

M. André Laurent, Professeur de génie chimique à l'ENSIC de Nancy, entendue par une délégation de la Commission, s'est étonné devant elle du refus de l'UIC de laisser les universitaires participer à ces groupes de travail assurant le retour d'expérience en notant qu'à l'inverse, la fédération professionnelle de la chimie allemande ouvrait les mêmes instances aux universitaires y compris aux universitaires étrangers puisque lui-même y participait.

Adopter une attitude plus dynamique face au Livre blanc
de la Commission européenne

M. Roland Arnold, représentant l'Union régionale interprofessionnelle CFDT d'Alsace, entendu par une délégation de la Commission, a indiqué à celle-ci que l'UIC s'opposait à la mise en oeuvre des orientations du Livre blanc proposant une stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques de la Commission européenne. Il a précisé que le patronat s'y opposait également dans d'autres Etats de l'Union.

Lors de la même réunion, M. Francis Gissinger, président de l'Union des industries chimiques du Haut-Rhin, a toutefois nuancé cette affirmation en soulignant la volonté des industriels de disposer des délais nécessaires à la conduite d'études.

TROISIÈME PARTIE : LA TRANSPARENCE, L'ÉVALUATION PLURALISTE DES RISQUES INDUSTRIELS ET LA PRÉPARATION DE LA RÉPONSE AUX CRISES, ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE LA SÛRETÉ

La transparence de l'information sur les risques industriels répond à un double objectif de responsabilité sociale et d'efficacité de la prévention.

En tout état de cause, il ne s'agit pas de développer une démocratie des risques mais au contraire une démocratie de la prévention des risques.

L'instauration d'une démocratie exigeante dans la prévention des risques permettra de réaliser des progrès significatifs dans la sûreté industrielle.

Selon l'expression utilisée par un membre de CHSCT auditionné par votre Commission, « il faut écouter tout le monde dans le domaine de la sûreté industrielle, car même les petites idées font grandir le niveau de prévention et de sécurité ».

Mais la difficulté de mise en place d'une démocratie de la prévention des risques ne doit pas être sous-estimée. Elle suppose des efforts dans de nombreuses directions, comme la mise au point d'une technique d'information, la création d'instances de concertation et la mobilisation de moyens afin de parvenir à rendre possible une autre condition essentielle d'une véritable démocratie de la prévention, à savoir le pluralisme de l'expertise.

I.- L'INDISPENSABLE TRANSPARENCE SUR LES RISQUES INDUSTRIELS

A.- LA MISE AU POINT D'UNE ÉCHELLE DE RISQUES

L'expérience acquise dans le domaine de phénomènes naturels comme les séismes, le vent ou les avalanches, a montré le rôle irremplaçable des échelles de gravité pour l'information du public.

Les autorités de contrôle des installations nucléaires ont tiré parti de cette expérience pour caractériser les événements survenant dans celles-ci avec un outil de ce type, qui a rapidement acquis un rôle central dans l'amélioration de la transparence.

Compte tenu de l'expérience acquise dans cette industrie, il paraît essentiel de mettre en place une échelle de gravité analogue à l'échelle INES.

1.- L'échelle INES relative aux installations et aux transports nucléaires

L'échelle de gravité INES (International Nuclear Event Scale) constitue un progrès considérable dans deux domaines, d'une part celui des relations entre l'exploitant d'une installation nucléaire de base et l'autorité de sûreté et d'autre part celui de l'information du public.

L'intérêt de l'échelle INES, mise au point au plan international en 1991 sur la base de l'échelle mise en place dès 1987, et adoptée en France en 1994 dans sa forme standardisée au plan international, repose d'une part sur une déclaration obligatoire de tout événement mettant en cause la sûreté de l'installation, et, d'autre part, sur le classement de l'événement par l'autorité de sûreté en liaison avec l'opérateur.

Les événements sans importance pour la sûreté sont classés au niveau 0 et qualifiés d'« écarts ». Les incidents correspondent aux niveaux 1 à 3 (anomalie, incident et incident grave). Les accidents correspondent aux niveaux 4 à 7 (deux niveaux d'accident, accident grave, accident majeur). Les critères de classement sont les conséquences à l'intérieur du site, les conséquences à l'extérieur du site et la dégradation de la défense en profondeur.

Le niveau de classement dans l'échelle de gravité d'un événement spécifique devient un élément important du dialogue entre l'exploitant et la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) et constitue un élément de progrès de la sûreté, l'exploitant redoutant l'impact sur l'opinion d'une information claire et rationnelle sinon totalement objective.

L'importance prise par l'échelle de gravité dans la communication relative aux incidents ou accidents nucléaires est considérable.

2.- Clarifier et simplifier l'échelle de gravité utilisée pour les ICPE

Une échelle de gravité des accidents industriels a été mise au point au niveau de la Communauté européenne et de l'OCDE. Cette échelle comporte 8 degrés de 0 à 7 (non significatif, anomalie ; incident, accident notable, accident important, accident grave, accident très grave, catastrophe).

Les critères de classement sont divers et correspondent notamment aux quantités de substances rejetées, au nombre de victimes, de tiers sans abris, de riverains évacués, à l'ampleur des dommages matériels et aux atteintes à l'environnement.

Echelle de gravité des accidents utilisée par le barpi
et certaines directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement

 

Niveau de gravité

Critères de description des conséquences

1

2

3

4

5

6

Quantité Q de substance effectivement perdue ou rejetée par rapport au seuil « Seveso » (1)

Q<0,1 %

0,1 %_Q

<1 %

1 %_Q

<10 %

10 %_Q

<100 %

De 1 à 10

fois le seuil

_ 10 fois

le seuil

Quantité Q de substance explosive ayant effectivement participé à l'explosion (en équivalent TNT)

Q<0,1 t

0,1 t_Q

<1t

1t_Q

<5t

5t_Q

<50t

50t_Q<

500 t

Q_500t

Nombre total de morts dont :

- employés

- sauveteurs extérieurs

- personnes du public

-

-

-

-

1

1

-

-

2-5

2-5

1

-

6-19

6-19

2-5

1

20-49

20-49

6-19

2-5

_50

_50

_20

_6

Nombre total de blessés avec hospitalisation de durée _ 24h

- employés

- sauveteurs extérieurs

- personnes du public

1

1

1

-

2-5

2-5

2-5

-

6-19

6-19

6-19

1-5

20-49

20-49

20-49

6-19

50-199

50-199

50-199

20-49

_200

_200

_200

_50

Nombre total de blessés légers soignés sur place ou avec hospitalisation de durée _ 24 h

- employés

- sauveteurs extérieurs

- personnes du public

1-5

1-5

1-5

-

6-19

6-19

6-19

1-5

20-49

20-49

20-49

6-19

50-199

50-199

50-199

20-49

200-999

200-999

200-999

50-199

_1000

_1000

_1000

_200

Nombre de tiers sans abris ou dans l'incapacité de travailler en raison de dommages matériels à des bâtiments hors établissement

-

1-5

6-19

20-99

100-499

_500

Nombre N de riverains évacués ou confinés chez eux pendant plus de 2 heures x nbre d'heures (personnes x heures)

______________

Nombre N de personnes privées d'eau potable, électricité, gaz, téléphone, transports publics pendant plus de 2 heures x nombre d'heures (personne x heure)

-

-

N<500

N<1000

500_N<5000

1000_N

<10 000

5000_N

< 50 000

10 000_N

<100 000

50 000_N

<500 000

100 000_N

<1 million

N_500 000

N_

1 million

Quantité d'animaux sauvages tués, blessés ou rendus impropres à la consommation humaine (en tonnes)

Q<0,1t

0,1t_Q<1t

1t_Q <10t

10t_Q<50 t

50t_Q <200 t

Q_200t

Proportion P d'espèces animales ou végétales rares ou protégées détruites (ou éliminées par dommage au biotope) dans la zone affectée par l'accident

P<0,1 %

0,1%_P

<0,5 %

0,5 %_P

<2 %

2 %_P

<10 %

10 %_P<

50 %

P_50 %

Dommages matériels dans l'établissement (exprimés en valeur C de référence 1993)

0,1M_C<0,5 Mécus

0,5M_C

<2 Mécus

2M_C

<10 Mécus

10M_C

<50 Mécus

50M_C

<200 Mécus

C_200 Mécus

Pertes de production (exprimées en valeur C de référence 1993)

0,1M_C

<0,5 Mécus

0,5M_C

<2Mécus

2M_C<

10 Mécus

10M_C<

50Mécus

50M_C<

200 Mécus

C_200 Mécus

Dommages aux propriétés ou pertes de production à l'extérieur de l'établissement (exprimés en valeur C de référence 1993)

-

0,05 M < C

< 0,1 Mécus

0,1 M _ C

< 0,5 Mécus

0,5 M _ C

< 2 mécus

2M _C <

10 Mécus

C _ 10 Mécus

Volume V d'eau polluée

V<1000 m3

1000 m3 _ V

10 000 m3 _V

0,1 Mm3_ V

1 Mm3 _ V

V _ 10 Mm3

Surface S de sol ou de nappe d'eau souterraine nécessitant un nettoyage ou une décontamination spécifique

0,1_S

< 0,5 ha

0,5_S

<2ha

2_S

<10 ha

10_S

<50 ha

50_S

<200 ha

S_200 ha

Longueur L de berge ou de voie d'eau nécessitant un nettoyage ou une décontamination spécifique

0,1_L<0,5 km

0,5_L<2 km

2_L<10 km

10_L<50 km

50_L<200 km

L_200 km

Coût des mesures de nettoyage, décontamination, ou réhabilitation de l'environnement (exprimé en valeur C de référence 1993)

0,01M _C

<0,05Mécu

0,05M _C

<0,2 Mécu

0,2M_C

<1 Mécu

1 M_C

<5 Mécus

5 M_C

<20 Mécus

C_ 20 Mécus

Nombre N de personnes devant faire l'objet d'une surveillance médicale prolongée (_ 3 mois après l'accident)

 

N<10

10_N< 50

50_N<200

200_N

<1000

N_1000

Cette échelle est utilisée à des degrés divers par les DRIRE. La DRIRE Nord-Pas-de-Calais l'utilise avec constance depuis 1992. La DRIRE PACA préfère mettre l'accent sur une échelle mixte combinant la gravité de l'accident et son impact psychologique.

Il convient toutefois d'en simplifier la mise en oeuvre et l'interprétation.

Proposition n° 48 : Utiliser une échelle de gravité, simplifiée et harmonisée, pour les incidents et accidents industriels.

Compte tenu de l'expérience acquise dans la communication en situation de crise industrielle, il semble opportun que la Direction de la prévention de la pollution et des risques impose une échelle de gravité unique, en matière d'incidents et d'accidents industriels, dont le principe et les modalités de compréhension soient le plus proche possible de l'échelle INES utilisée pour l'industrie nucléaire.

B.- LA MISE EN PLACE DE NOUVELLES INSTANCES D'INFORMATION COMPLÉTANT LES INSTANCES ACTUELLES

La mise en place d'une commission locale d'information est prévue autour des usines d'incinération d'ordures ménagères, ainsi qu'autour des installations nucléaires de base. Elle ne l'est pas autour des installations classées Seveso, ce qui est un paradoxe auquel le Gouvernement a logiquement décidé de remédier dans l'avant-projet de loi relatif à la maîtrise des risques technologiques communiqué à la Commission.

Si la décision de principe va dans le bon sens, en revanche, comme le montre l'expérience acquise avec les commissions locales d'information relatives aux installations nucléaires, l'apport réel de ce type de structures dépend à la fois de l'organisation retenue et des moyens qui leur sont octroyés.

1.- Les dispositions prévues dans l'avant-projet de loi

L'avant-projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques prévoit la création par le préfet d'un comité local d'information et de prévention sur les risques technologiques sur tout site comprenant une ou plusieurs installations classées pour la protection de l'environnement autour desquelles l'institution de servitudes d'utilité publique est possible.

La création de comités locaux d'information et de prévention autour des installations Seveso représente un projet d'une ampleur considérable, compte tenu du nombre d'installations.

La faisabilité de cette disposition qui figure dans l'avant-projet de loi sur la prévention des risques industriels semble problématique, notamment au regard du nombre de comités à créer, des moyens à dégager pour leur fonctionnement et de la diversité des sites industriels susceptibles d'être concernés dont certains sont très isolés ou comptent très peu de salariés.

2.- La reconnaissance des instances actuelles et leur intégration dans un plan d'ensemble

Votre Commission estime néanmoins indispensable la création d'instances locales d'information et de surveillance et il lui semble nécessaire de tirer parti des instances existantes, en corrigeant, le cas échéant certains de leurs défauts, et de l'expérience accumulée. Comme M. Claude Aury, représentant le Mouvement national de lutte pour l'environnement, elle juge nécessaire de ne pas « accumuler les dispositifs ».

Par ailleurs, il convient de rechercher une mise en commun des moyens des comités locaux relatifs à des installations Seveso proches les unes des autres ainsi qu'une articulation précise de ces comités locaux avec les 11 secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI).

C'est pourquoi votre Commission propose une architecture différente de celle qui est proposée dans l'avant-projet de loi sur les risques industriels. Selon celle-ci, il serait créé, au niveau départemental, au moins une structure d'information disposant de moyens et pouvant solliciter des expertises. Cette structure pourrait mettre en place autour d'un ou plusieurs sites industriels une commission locale d'information qu'elle assisterait et avec laquelle un dialogue régulier assurera une remontée régulière des préoccupations du terrain.

Proposition n° 49 : Créer au moins un S3PRI (secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques industriels) dans chaque département.

Il conviendra de veiller à l'articulation des S3PRI avec les comités départementaux d'hygiène en prévoyant que les S3PRI soient représentées au sein du CDH lorsque celui-ci examine des questions ressortissant à leur compétence.

Proposition n° 50 : Prévoir que chaque S3PRI est constitué de cinq collèges (exploitants, salariés, administrations, élus, associations).

Il est souhaitable que la composition des S3PRI reflète la totalité des points de vue en présence. C'est pourquoi la participation des associations paraît nécessaire, les associations représentées devant être des associations de protection de l'environnement mais aussi, comme l'a rappelé Mme Liliane Elsen, représentant France Nature Environnement, des associations de défense des consommateurs.

Proposition n° 51 : Prévoir l'élection du président du S3PRI par l'ensemble des membres.

Pour renforcer le caractère démocratique de leur fonctionnement, la Commission juge nécessaire que le président du S3PRI soit élu par l'ensemble des membres de celui-ci. Cela accroît en effet sa représentativité.

Proposition n° 52 : Organiser, en tant que de besoin, des commissions locales de sites au sein du S3PRI.

Le S3PRI peut décider en son sein la création d'une commission pour suivre l'activité d'une installation Seveso. Ces commissions seront composées, à l'image du S3PRI, de cinq collèges. Elles pourront saisir le S3PRI pour solliciter des moyens d'agir et notamment la réalisation d'expertises.

Proposition n° 53 : Assurer le financement des S3PRI par les industriels, l'Etat et les collectivités territoriales.

Les S3PRI doivent avoir des ressources suffisantes pour organiser des réunions et faire réaliser des expertises à l'occasion des demandes d'autorisation ou d'extension d'installations classées, comme le demande l'ensemble des associations.

II.- L'ÉVALUATION PLURALISTE DES RISQUES, UN IMPÉRATIF D'EFFICACITÉ

A.- LES MODIFICATIONS INDISPENSABLES DE LA PROCÉDURE D'ENQUÊTE PUBLIQUE

La mise en service ou l'exploitation d'une installation soumise à autorisation suppose, par définition, l'obtention préalable d'une autorisation que le futur exploitant sollicite de la préfecture. La procédure d'autorisation comprend une enquête publique. Après examen par l'inspection des installations classées, le dossier est transmis au président du tribunal administratif, à qui il revient de désigner le ou les commissaires enquêteurs.

Les faiblesses du dispositif actuel ont été soulignées à plusieurs reprises par les interlocuteurs de votre Commission.

Il importe en premier lieu que le public soit pleinement informé, ce qui implique que le dossier communiqué à la population comprenne les analyses de l'administration.

Les listes d'aptitude sur lesquelles le président du tribunal administratif choisit le commissaire enquêteur sont trop restreintes.

D'autre part, la matière d'une autorisation relative à une installation classée est complexe et n'est pas nécessairement à la portée d'une seule personne. Enfin, la réunion publique n'est pas obligatoire. Ces dispositions doivent être modifiées, dans le cadre ou non de l'examen du projet de loi sur la démocratie de proximité.

Proposition n° 54 : Transformer le fonctionnement des enquêtes publiques.

Il paraît en tout état de cause souhaitable que la liste d'aptitude à partir de laquelle le président du tribunal administratif désigne le ou les commissaires enquêteurs soit une liste nationale et non pas départementale et que trois commissaires enquêteurs au moins soient impérativement désignés

Il est indispensable qu'il soit fait obligation aux commissaires enquêteurs d'organiser une réunion publique et contradictoire.

Les conditions de rémunération des commissaires enquêteurs sont par ailleurs entièrement à revoir. Afin de contribuer à la qualité de l'enquête publique, la rémunération du ou des commissaires enquêteurs devrait être revue à la hausse, en modifiant le tarif de la vacation ou le plafond du nombre de vacations versées à ces derniers.

B.- ÉLARGIR L'ACCÈS À L'EXPERTISE DE SÛRETÉ

Les difficultés méthodologiques de l'expertise de sûreté sont considérables, ainsi que cela a été détaillé dans la première partie du présent rapport. Dans ces conditions, le pluralisme de l'expertise est d'une importance décisive.

Il est indispensable que l'inspection des installations classées puisse davantage recourir à des tierces expertises afin de confronter les résultats de l'étude de dangers réalisée par l'exploitant avec d'autres approches.

L'augmentation des effectifs de l'inspection des installations classées devrait permettre ce progrès, à condition qu'il s'accompagne de ressources accrues.

L'accès à l'expertise offert aux structures locales d'information ainsi qu'aux CHSCT dans l'avant projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques est une disposition qui va dans le bon sens.

Comme on l'a vu précédemment, l'accès à l'expertise devrait en réalité revenir aux CHSCT et aux S3PRI dont la création est proposée par votre Commission.

Un problème essentiel doit être résolu, celui de la définition du type d'experts, personnes physiques ou morales, auxquels les comités locaux et les CHSCT peuvent recourir. A ce titre, la procédure d'agrément devra offrir toutes garanties de transparence et de pluralisme.

III.─ LA RÉACTION AUX ACCIDENTS DOIT ÊTRE MIEUX PRÉPARÉE

Tout accident peut être évité. Pour autant, des accidents peuvent se produire. Il faut donc que l'exploitant comme les pouvoirs publics soient prêts à réagir d'une manière adaptée.

A.- L'EXPLOITANT DOIT ÊTRE PRÊT A RÉAGIR AUX EVENTUELS ACCIDENTS

1.- Des équipes d'intervention suffisantes doivent être disponibles

Beaucoup d'établissements industriels à risques disposent de moyens de réaction importants et d'équipes bien entraînées. La rapidité de l'intervention de ces équipes en cas d'incident ou d'accident est souvent déterminante pour en limiter les conséquences.

Cette rapidité ne peut, de manière générale, être assurée que par les équipes propres de l'exploitant. La plupart des établissements de grande taille comptent des équipes de pompiers professionnels souvent remarquablement équipés et disposent en complément de salariés formés comme pompiers auxiliaires en tant que de besoin.

L'efficacité de l'intervention des équipes spécialisées paraissant supérieure à celle des pompiers auxiliaires, les équipes spécialisées doivent être maintenues à un niveau suffisant. Cette proposition figure également dans l'avant-projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques (article 7).

La Commission a, à cet égard, été particulièrement surprise par les informations qui lui ont communiquées sur l'évolution des équipes de secours affectées aux terminaux méthaniers.

Sur de tels sites, et plus généralement sur les établissements industriels particulièrement dangereux, la disponibilité d'effectifs suffisants de pompiers professionnels et auxiliaires est nécessaire.

Proposition n° 55 : Imposer sur les sites particulièrement dangereux la présence d'équipes de pompiers professionnels et auxiliaires salariés de l'entreprise, avec des effectifs suffisants, définis en association avec le CHSCT.

2.- Le cas particulier des réseaux de transport de gaz

La rapidité de l'intervention en cas d'accident ou d'incident pose un problème particulier lorsque l'installation présentant un risque n'est pas située à l'intérieur d'un établissement industriel mais court sous la voie publique comme c'est notamment le cas des canalisations de transport de gaz.

Celles-ci présentent des risques importants, surtout lorsqu'il s'agit de canalisations à très haute pression. La Commission a donc été vivement surprise de constater que le délai maximal d'arrivée sur les lieux d'un incident ou d'un accident d'équipes d'intervention disposant de moyens suffisants n'était encadré par aucune obligation. Elle estime anormal que des préoccupations de gestion puisse conduire les concessionnaires ou les propriétaires de réseaux de transport de gaz à redéployer librement leurs effectifs sur leur territoire sans contrainte relative à la sécurité de ces réseaux.

Proposition n° 56 : Imposer aux concessionnaires et propriétaires de réseaux de transport de gaz un objectif de délai maximal d'arrivée des équipes d'intervention en cas d'incident ou d'accident.

Des accidents se produisent régulièrement sur ces canalisations à l'occasion d'opérations de génie civil réalisées en ignorant leur présence. Cela s'explique souvent par la négligence des intervenants mais aussi par les imperfections de la cartographie du réseau qui, aux dires même de M. Bernard Leblanc, directeur général délégué de Gaz de France, n'est pas parfaite et ne semble pas en outre d'un accès aisé. Sur ces deux points, la Commission juge que des améliorations sont nécessaires.

Proposition n° 57 : Améliorer la cartographie des réseaux de transport de gaz et mieux en organiser la publicité.

3.- Augmenter la fréquence des exercices de mise en oeuvre du plan d'opération interne

Conformément à l'article 11 de la directive du 9 décembre 1996 dite directive « Seveso II », l'article 17 du décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977, modifié par le décret n° 2000-258 du 20 mars 2000, prévoit que l'arrêté d'autorisation d'une exploitation peut prévoir l'obligation pour l'exploitant d'établir un plan d'opération interne.

Ce plan définit les mesures d'organisation, les méthodes d'intervention et les moyens que l'exploitant doit mettre en oeuvre en cas de sinistre pour protéger le personnel, les populations et l'environnement.

L'établissement de ce plan est obligatoire pour les installations dites Seveso. Pour celles-ci, le même décret impose, conformément aux prescriptions de la directive, que le POI soit mis à jour et testé à des intervalles n'excédant pas trois ans.

Ce rythme de mise à jour n'appelle pas de remarques particulières de la Commission. Celle-ci estime en revanche nécessaire que les exercices de mise en oeuvre de ce plan soient plus fréquents.

Un exercice annuel parait le rythme minimal acceptable. La Commission souhaite donc que le décret du 21 septembre 1977 soit modifié sur ce point pour aller plus loin que ce qu'impose la directive.

Elle estime également souhaitable que les élus concernés ainsi que des représentants des instances locales d'information du public soient conviés à ces exercices.

Proposition n° 58 : Imposer la réalisation d'au moins un exercice annuel de mise en oeuvre du POI en modifiant le décret du 21 septembre 1977.

B.- AMÉLIORER LA GESTION DES CRISES PAR L'ÉTAT

1.- L'Etat doit pouvoir mieux gérer les crises

L'instrument de réaction principal en cas d'accident industriel majeur est le plan particulier d'intervention (PPI). Ces PPI doivent être révisés régulièrement et mis à oeuvre à l'occasion d'exercices en vraie grandeur, associant autant que cela est possible les populations riveraines.

Ceci nécessite un renforcement significatif des moyens de la sécurité civile dans chaque département. En complément de ceux-ci, une cellule nationale de crise pourrait capitaliser l'expérience acquise et renforcer, en tant que de besoin, les équipes locales.

a) Réviser et tester plus régulièrement les PPI

Le PPI prévoit les mesures à prendre et les moyens de secours à mettre en oeuvre en cas de sinistre affectant l'extérieur de l'établissement. Conformément à l'article 6 du décret n° 88-622 du 6 mai 1988, font obligatoirement l'objet d'un PPI :

- des installations nucléaires civiles et militaires,

- les aménagements hydrauliques de grande taille,

- les stockages souterrains de gaz toxiques ou de gaz comprimés ou liquéfiés,

- les établissements dits Seveso,

- les lieux de transit ou d'activités présentant des dangers ou des inconvénients graves pour l'un des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement dont font partie la santé, la sécurité et la salubrité publiques.

Cette dernière rubrique permet au préfet de décider l'élaboration d'un PPI pour une installation classée ne figurant pas parmi les établissements dits Seveso.

La directive du 9 décembre 1996 dite directive « Seveso II » prévoit que les plans d'urgence externes, que constituent les PPI, doivent être testés, réexaminés et, si nécessaire, révisés et mis à jour au moins tous les trois ans.

L'article 4 du décret du 6 mai 1988, toujours en vigueur, dispose pour sa part que les plans d'urgence, donc notamment les PPI, sont réactualisés tous les cinq ans.

La transposition de la directive dans notre droit n'a donc pas été réalisée sur ce point. La Commission souhaite qu'elle soit effectuée dans les plus brefs délais.

Proposition n° 59 : Prévoir, conformément à la directive Seveso II, un réexamen et un exercice de mise en oeuvre du PPI au moins tous les trois ans en modifiant le décret du 6 mai 1988 .

b) Des exercices en vraie grandeur sont indispensables

Le manque de moyens semble souvent constituer un obstacle à l'organisation fréquente d'exercices en vraie grandeur, que la directive n'impose pas. De fait, de tels exercices sont très rares, les PPI étant dans la plupart des cas testés à l'occasion d'exercices d'état-major, sur table.

Pour autant, la Commission estime que la réalisation de tels exercices en vraie grandeur est nécessaire. C'est en effet en se plaçant en conditions réelles que la pertinence des plans (par exemple pour ce qui concerne le délai d'intervention sur le site des équipes extérieures) peut être jugée. Ces exercices permettent en outre d'améliorer très sensiblement l'efficacité des interventions réelles et la Commission juge que de nombreux enseignements peuvent en être tirés, tant localement qu'au plan national.

Proposition n° 60 : Réaliser à un rythme régulier des exercices de PPI en vraie grandeur.

c) Associer les populations aux exercices

La Commission estime en outre opportun d'associer autant que faire se peut les populations riveraines à ces exercices et recommande la réalisation d'exercices inopinés. Elle note en particulier l'intérêt de ce type d'exercice pour évaluer les conditions réelles d'accès aux sites en cas d'évacuation des riverains ainsi que pour sensibiliser les populations aux risques et permettre ainsi une diffusion plus efficace des consignes de sécurité.

Proposition n° 61 : Associer les populations aux exercices.

d) Renforcer les moyens de la sécurité civile

La Commission a entendu, à Paris, le directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'intérieur ainsi que le sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques. Les délégations de la Commission qui se sont rendus dans plusieurs départements ont rencontré de nombreux préfets, sous-préfets et chefs de services interministériels régionaux des affaires civiles et économiques de défense et de protection civiles (SIRACEDPC).

La faiblesse des moyens dont disposent ces fonctionnaires lui est apparue particulièrement préoccupante. Il a ainsi été indiqué à la Commission que l'administration centrale comptait deux personnes affectées spécifiquement aux questions liées aux risques technologiques. A l'échelon régional, la situation n'est pas meilleure puisque plusieurs des chefs de SIRACEDPC ont estimé ne pas être en mesurer d'élaborer convenablement et de réviser régulièrement les plans particuliers d'intervention (PPI).

La Commission a en outre été surprise d'apprendre que des préfectures de départements comptant pourtant de nombreuses installations industrielles à risques ne disposaient pas d'une salle opérationnelle adaptée à la gestion de crise. La Commission estime nécessaire de remédier rapidement à cette lacune.

Proposition n° 62 : Renforcer très sensiblement les moyens de conception et de gestion en matière de sécurité civile de chaque préfecture.

e) Une cellule de crise nationale pour mieux réagir aux catastrophes

A Toulouse, l'efficacité et le dévouement des fonctionnaires concernés ont permis de surmonter l'insuffisance des moyens de gestion de crise. Celle-ci paraît avérée dans toutes les préfectures qui peinent à faire face dans des conditions satisfaisantes à des catastrophes de très grande ampleur.

Il n'est, au demeurant, pas surprenant que ces moyens, dimensionnés pour des conditions normales, se révèlent insuffisants dans des circonstances exceptionnelles.

La Commission souhaite donc qu'une cellule nationale de gestion de crise susceptible de renforcer en cas de catastrophe exceptionnelle les moyens de la préfecture du ou des départements concernés, soit mise en place. Cette cellule sera placée sous l'autorité du ministre de l'Intérieur.

Cette cellule pourrait également organiser, au plan national, un retour d'expérience sur les exercices de crise réalisés en vraie grandeur et être associée aux formations sur ce thème délivrées aux responsables compétents. Elle pourrait enfin apporter des moyens spécifiques en ce qui concerne l'aide aux victimes.

Proposition n° 63 : Mettre en place une cellule nationale de gestion de crise susceptible de renforcer en cas de catastrophe exceptionnelle les moyens de la préfecture ou des préfectures concernées.

2.- Il faut tirer les conséquences des dysfonctionnements constatés à Toulouse en matière de communications

Si l'organisation des secours et l'efficacité de l'ensemble des intervenants ont été, à Toulouse, remarquables et méritent d'être saluées, un dysfonctionnement majeur a néanmoins été constaté en matière de communications.

Les dégâts physiques causés aux réseaux ainsi que leur saturation après la catastrophe ont rendu indisponibles pendant de longues heures les moyens de communication publics. Les services de secours ont pu continuer à communiquer par voie hertzienne et le contact a pu être maintenu avec Paris grâce à un réseau sécurisé.

La défaillance des réseaux publics est toutefois préoccupante parce qu'elle a naturellement tendance à amplifier l'inquiétude des populations et qu'elle aurait pu avoir des conséquences graves.

La Commission estime donc nécessaire qu'il soit tiré les conséquences de ces dysfonctionnements pour garantir la disponibilité de moyens de communication de secours. Cela peut justifier la mise en place d'obligations nouvelles imposées aux opérateurs de télécommunications et la mise à la disposition de responsables publics de moyens de communication fiables (par exemple de téléphonie par satellite).

Proposition n° 64 : Développer des réseaux de communication de secours en cas de catastrophe.

La Commission a également constaté que les moyens de communication des différents services publics intervenant dans les opérations de secours (sapeurs-pompiers, police, gendarmerie, SAMU) n'étaient pas interopérables. Cela signifie qu'une ambulance du SAMU et un véhicule de pompiers intervenant conjointement sur un même lieu ne peuvent communiquer directement et doivent passer par leurs centres de commandement respectifs pour entrer en contact.

Cette situation n'est pas satisfaisante. La Commission rappelle en outre que la mise en place, décidée au niveau européen, d'un numéro unique d'appel d'urgence appelle en tout état de cause une révision en profondeur de l'organisation des moyens de communication des services publics de secours.

Il paraît donc nécessaire à la Commission de profiter de cette remise en place de l'organisation des moyens de communication des services publics de secours pour assurer leur interopérabilité.

Proposition n° 65 : Organiser l'interopérabilité des moyens de communication des services publics de secours.

3.- Garantir l'efficacité des moyens d'alerte de la population

L'instrument de base pour permettre l'information des populations en cas de menace grave, et notamment d'accident industriel majeur, est, en principe, le réseau de sirènes électromécaniques du réseau national d'alerte qui trouve son origine dans les équipements de défense civile de l'immédiat après-guerre. Des sirènes d'alerte complétant ce réseau doivent être mises en place dans le cadre des plans d'opération internes des installations qui en sont dotés.

L'efficacité de ce dispositif, géré à l'heure actuelle par France Télécom, suscite de nombreuses interrogations. Le fonctionnement de l'ensemble des sirènes n'est pas garanti, de nombreuses zones urbanisées postérieurement à la mise en place du réseau national ne sont pas couvertes et son utilisation manque de souplesse (il a été indiqué à la Commission qu'un déclenchement sélectif de certaines sirènes était souvent impossible).

Ce dispositif présente pourtant une utilité certaine. S'il n'a pas été nécessaire à Toulouse, où la violence de l'explosion a immédiatement alerté les populations, il peut être utile, par exemple en cas de risque toxique, pour conduire les personnes exposées à rechercher une information complémentaire ou à appliquer directement les consignes du PPI.

La Commission estime donc nécessaire de moderniser et de compléter ce réseau.

Proposition n° 66: Moderniser et compléter le réseau national d'alerte.

En complément au réseau national d'alerte, les médias radiophoniques jouent un rôle essentiel pour informer la population. En cas de crise, le premier réflexe de la population est, comme on l'a constaté à Toulouse, de se mettre à l'écoute de la radio.

Les stations de radio jouent donc un rôle déterminant dans ces situations. Ce fait n'est pas méconnu par le code national d'alerte qui prévoit le passage de conventions entre l'Etat et Radio France pour organiser la diffusion d'informations.

La Commission estime que ce mécanisme devrait être étendu aux stations de radio privées ainsi qu'en tant que besoin, aux télévisions. Elle juge en outre souhaitable que les journalistes soient associés autant que possible aux exercices de mise en oeuvre des PPI.

Proposition n° 67 : Les conventions organisant le rôle des médias audiovisuels pour l'information des populations en cas de crise doivent être étendues.

4.- Améliorer la préparation aux accidents susceptibles d'avoir des conséquences dans un Etat voisin

Les sites industriels proches des frontières posent, en cas de crise, des problèmes spécifiques comme une délégation de la Commission a eu l'occasion de le constater lors de sa visite d'un site industriel à Lauterbourg et lors d'auditions réalisées à Strasbourg.

Il est en effet nécessaire, en cas d'accident, d'associer les autorités publiques de l'Etat voisin dont le territoire est susceptible d'être affecté. Des problèmes de coordination nombreux en découlent.

Seuls des exercices réguliers peuvent permettre d'aplanir ces difficultés. Alors que ces exercices internationaux sont rares et ont, à la connaissance de la Commission, concerné essentiellement des scénarios d'accidents dans des centrales nucléaires, ils devraient être, au contraire, plus fréquents que les exercices exclusivement français. De nombreux enseignements en seront certainement tirés.

Proposition n° 68 : Consacrer une attention particulière à la préparation d'opérations de gestion de crise internationales en réalisant en particulier des exercices fréquents.

QUATRIÈME PARTIE: L'URBANISATION DANS LES ZONES EXPOSÉES AUX RISQUES : METTRE FIN AUX DÉRIVES ET RÉDUIRE LE DANGER

Le rapporteur a demandé à tous les préfets de France de lui transmettre, pour chaque installation classée sous la rubrique « S » de la nomenclature qui regroupe les installations dites « Seveso », une carte indiquant le recouvrement des zones de dangers de ces installations et des zones urbanisées.

Les réponses qui ont été apportées par l'ensemble des préfectures font ressortir le constat d'ensemble d'un très large recouvrement de l'urbanisation et des zones de dangers comme l'illustrent les quatre cartes présentées ci-après :

- carte indiquant les périmètres de dangers des établissements du pôle chimique Sud de Toulouse,

- carte indiquant les périmètres de dangers de l'établissement Titanite de Briey (Meurthe-et-Moselle), établissement pyrotechnique relevant donc de la législation applicable aux poudres et explosifs qui est largement autonome et prévoit 5 zones de dangers successives,

- carte indiquant les périmètres de dangers de l'établissement Total de La Mède à Chateauneuf-Les-Martigues (Bouches-du-Rhône),

- carte indiquant les périmètres de dangers de l'établissement Atofina de Carling-Saint Avold (Moselle).

graphique

graphique

graphique

graphique

Cette situation a conduit la Commission à s'interroger sur l'efficacité des dispositifs existants pour assurer la maîtrise de l'urbanisation dans les zones exposées aux risques et sur les solutions susceptibles d'être apportées aux problèmes posés par le recouvrement malheureusement trop fréquent des zones habitées et des zones de danger.

Elle estime que des évolutions importantes de notre droit sont nécessaires tant afin de prévenir l'urbanisation que pour faire face aux conséquences de l'urbanisation existante. Il va toutefois de soi que toute action en la matière nécessite d'abord que le risque soit connu avec précision, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.

I.─ UN PRÉALABLE INDISPENSABLE A TOUTE ÉVOLUTION DES RÈGLES D'URBANISME : LA CONNAISSANCE DU RISQUE

L'efficacité de tout le dispositif de maîtrise de l'urbanisation repose sur une évaluation pertinente du risque. La clef de voûte du système est donc l'étude de dangers.

L'étude de dangers doit prendre en compte tous les risques. Or, on a bien vu à Toulouse que tel n'était pas toujours le cas en pratique puisque le scénario qui s'est produit le 21 septembre n'avait pas été retenu dans les études de danger de l'établissement.

L'étude de dangers doit en outre aboutir à une évaluation exacte des zones exposées aux risques et, là encore, des marges de progrès semblent possibles afin d'aboutir à une hiérarchisation géographique précise des zones exposées.

Il convient donc, comme on l'a dit, de travailler à améliorer la méthodologie des études de dangers, travail qui devra être notamment conduit par les groupes permanents d'experts dont la Commission souhaite la mise en place.

C'est pourquoi les recommandations de modifications lourdes que propose la Commission en matière d'urbanisme ne pourront entrer en vigueur sur le champ. Elles n'ont pas vocation à être mises en oeuvre sur la base des résultats des études de dangers actuelles mais seulement lorsque le risque aura été identifié d'une manière incontestable.

II.─ L'ADAPTATION DES INSTRUMENTS JURIDIQUES EXISTANTS, QUI N'ONT PAS ÉTÉ EFFICACES, EST NÉCESSAIRE POUR LUTTER CONTRE LE DÉVELOPPEMENT DE L'URBANISATION DANS LES ZONES EXPOSÉES AUX RISQUES

Il existe de nombreux instruments juridiques pour maîtriser l'urbanisation dans les zones de danger. Il n'est donc pas contestable que les normes en vigueur permettent, en principe, d'ores et déjà d'empêcher l'urbanisation nouvelle dans les zones à risques.

Sur le papier, le dispositif en vigueur est donc pleinement satisfaisant. Pour autant, il est manifeste qu'il n'en a pas été pleinement tiré parti. De fait, l'urbanisation s'est développée dans des zones exposées à des risques industriels à des époques où les règles actuellement en vigueur n'existaient pas encore mais également postérieurement à leur édiction. C'est donc que le cadre législatif et réglementaire n'a pas été efficace.

Un instrument juridique, l'institution de servitudes d'utilité publique, paraît susceptible de contribuer à une maîtrise effective de l'urbanisation et permet en outre de responsabiliser l'exploitant pour le risque que son activité fait courir aux riverains. Ses conditions d'emploi apparaissent aujourd'hui beaucoup trop restrictives et doivent donc être modifiées.

A.- DES INSTRUMENTS JURIDIQUES QUI DEVRAIENT PERMETTRE DE MAÎTRISER L'URBANISATION EXISTENT

1.- Les instruments juridiques existants permettent d'empêcher la construction d'installations entraînant des risques dans des zones urbanisées

L'indépendance des législations d'urbanisme et de contrôle des installations classées est un des principes de notre droit. Il n'est pas contestable que l'une comme l'autre de ces législations permettent d'empêcher la construction d'installations entraînant des risques dans des zones urbanisées.

a) La législation des installations classées pour la protection de l'environnement

Du point de vue de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, l'exploitation d'une installation présentant des risques significatifs est soumise à une autorisation administrative préalable. L'article L. 512-1 du Code de l'environnement dispose en effet que « l'autorisation ne peut être accordée que si [les dangers ou inconvénients présentés par l'installation] peuvent être prévenus par les mesures que spécifie l'arrêté préfectoral [autorisant l'exploitation] ».

b) La législation d'urbanisme

En matière d'urbanisme, des garanties similaires existent. L'article R.111-2 du Code de l'urbanisme dispose en effet que « le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Il en est de même si les constructions projetées, par leur implantation à proximité d'autres installations, leurs caractéristiques ou leur situation, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. ».

2.- Les instruments juridiques existants devraient également permettre d'empêcher l'urbanisation dans des zones exposées aux risques

a) Plusieurs dispositions d'urbanisme permettent à l'autorité compétente pour délivrer les permis de construire de s'opposer à l'urbanisation dans des zones exposées à un risque issu d'une activité industrielle

· les dispositions de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme

L'article R.111-2 du Code de l'urbanisme, évoqué plus haut, peut également être utilisé pour empêcher l'urbanisation dans des zones exposées aux risques. De même que cette disposition permet d'interdire la construction d'un établissement dangereux au voisinage de zones urbanisées, il permet symétriquement d'interdire la construction d'immeubles à proximité d'une installation à risques comme l'a précisé clairement le Conseil d'Etat (C.E, 19 mars 1980, Peyrusque). Il permet également d'imposer des sujétions particulières conditionnant l'autorisation de nouvelles constructions.

· la maîtrise de l'urbanisation dans les zones exposées aux risques est également possible grâce aux documents d'urbanisme

Le plan local d'urbanisme (PLU) ou le plan d'occupation des sols (POS), lorsqu'ils existent, ou la carte communale, lorsqu'elle existe, doivent, aux termes de l'article L. 121-1 du Code de l'urbanisme, déterminer les conditions permettant notamment d'assurer la prévention des risques technologiques. Ces documents peuvent dans ce but interdire, dans certaines zones, les constructions nouvelles.

Le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent dispose donc des instruments juridiques lui permettant de maîtriser l'urbanisation. Leur efficacité est néanmoins subordonnée au fait qu'il connaisse suffisamment les risques auxquels le territoire communal est exposé.

C'est en principe le cas puisque l'article L.121-2 du Code de l'urbanisme dispose que « le préfet porte à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents les informations nécessaires à l'exercice de leurs compétences en matière d'urbanisme ». Le même article précise que « le préfet fournit notamment les études techniques dont dispose l'Etat en matière de prévention des risques et de protection de l'environnement ».

b) Le préfet dispose en outre d'instruments juridiques lui permettant de veiller à la maîtrise de l'urbanisme dans les zones exposées à des risques

· Le projet d'intérêt général

S'il estime que le plan d'occupation des sols ou le plan local d'urbanisme n'assure pas de manière satisfaisante la prévention d'un risque, le préfet peut imposer leur modification ou leur révision par la procédure du projet d'intérêt général (PIG).

Cette procédure constitue l'un des instruments dont dispose l'Etat pour imposer à une commune la prise en compte d'un intérêt général qu'elle a négligé. Elle concerne des projets d'ouvrage, de travaux ou de protection. Il s'agit donc en principe plutôt de permettre la réalisation d'opérations impliquant une modification de l'état des lieux. Cette procédure a toutefois été utilisée pour instituer des zones de protection réglementant les activités dans un périmètre et le juge a admis cette acception de la notion de protection (CE, 3 février 1992, Commune de Soulom). Elle permet donc d'interdire l'urbanisation d'une zone exposée à un risque industriel.

· La procédure de l'article L. 421-8 du code de l'urbanisme

Dans les zones qui ne sont pas couvertes par un POS ou par un PLU, le préfet peut, en application de l'article L. 421-8 du Code de l'urbanisme, délimiter un périmètre à l'intérieur duquel l'exécution de travaux est soumise à des règles particulières.

Cette disposition constitue un instrument très puissant de maîtrise de l'urbanisme qui présente toutefois deux limites. En premier lieu, son champ d'application est limité aux zones qui ne sont pas couvertes par un PLU ou par un POS. En second lieu, la portée exacte des sujétions pouvant être imposées dans le cadre de cette procédure n'a pas été précisée. La possibilité d'interdire ainsi purement et simplement des constructions fait l'objet d'un débat de doctrine et semble contestable. Un renforcement de cet instrument est donc envisageable.

Cette solution n'apparaît toutefois pas comme la plus pertinente, des résultats similaires pouvant être obtenus par l'institution de servitudes d'utilité publique sous réserve que celles-ci puissent concerner d'autres installations que les seules installations classées Seveso implantées sur un site nouveau.

B.- L'EFFICACITÉ INÉGALE DONT ONT FAIT PREUVE CES INSTRUMENTS APPELLE DES AJUSTEMENTS

Dans un certain nombre de cas, l'urbanisation au voisinage des usines présentant des risques s'est développée avant celles-ci ou en même temps qu'elles, comme cela a été typiquement le cas avec les constructions de cités ouvrières. Il est également des lieux où l'urbanisation est ancienne et précède la prise de conscience sociale du risque et sa traduction juridique. Pour autant, on l'a dit, il existe incontestablement des zones où l'urbanisation s'est développée parce que la réglementation n'a pas été appliquée.

Cela veut dire qu'à différentes étapes, des choix ont été faits en faveur, pour l'essentiel, du développement économique et au détriment d'une maîtrise de l'urbanisation visant la protection des populations.

Ces choix s'expliquent, en premier lieu, en raison d'une prise de conscience insuffisante des risques. La Commission ne peut que le regretter et espérer que la catastrophe de Toulouse permettra cette prise de conscience.

Ils s'expliquent également par la rigidité des instruments de maîtrise de l'urbanisation disponibles et par leurs conséquences pour les populations concernées, privées dans la plupart de contreparties aux contraintes qui leur sont imposées. Cette rigidité a, sans doute, conduit à privilégier de manière trop fréquente le développement économique. La Commission estime donc souhaitable de mettre en place des instruments juridiques de maîtrise de l'urbanisation plus souples.

a) La nécessité d'instruments juridiques plus souples

· des adaptations sont nécessaires pour permettre une maîtrise de l'urbanisation intelligente

Différentes personnes entendues par la Commission et notamment M. Pierre-Marie Duhamel, président de l'association nationale des communes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs et M. François Bouchard, directeur régional et départemental de l'équipement d'Alsace et du Bas-Rhin, ont souligné la rigidité des instruments de maîtrise de l'urbanisation existants.

Leur stricte application conduit en effet à « geler » d'une manière radicale toute construction dans les zones exposées aux risques sans tenir compte des conséquences que pourrait avoir l'édification de celle-ci.

Or, il est évident que certains travaux n'auront pas de conséquences directes sur l'exposition aux risques (pose d'un velux, aménagement d'une salle de bains) ou permettront au contraire une réduction de celui-ci (déplacement d'un établissement recevant du public à l'intérieur du périmètre de protection mais l'éloignant de l'installation industrielle, substitution d'un bâtiment nouveau permettant le confinement à un bâtiment ancien ne le permettant pas). Il est souhaitable de permettre la réalisation de tels travaux ou aménagements.

Si l'on devait lui trouver une logique, on pourrait dire que le dispositif actuel s'inscrit dans la perspective d'une servitude de reculement. Toute intervention nouvelle améliorant le confort est ainsi implicitement considérée comme favorisant à long terme le maintien des populations dans la zone exposée aux risques.

Cette approche est en réalité contre-productive car elle conduit les populations et parfois leur élus à craindre l'extension des contraintes d'urbanisme voire à s'y opposer.

Cette situation est d'autant plus regrettable qu'on peut penser qu'elle a pu peser sur la définition de certains périmètres de protection ou sur leur mise en oeuvre.

La Commission estime donc nécessaire d'adapter les règles en vigueur, ce qui permettrait d'apaiser certaines craintes et de mettre fin à des situations absurdes. Elle juge pour cela envisageable d'autoriser, à titre dérogatoire, dans des zones inconstructibles des périmètres de protection, les travaux et les aménagements qui réduisent l'exposition des personnes aux risques.

L'objectif doit être par ce biais de contribuer à définir une véritable hiérarchisation des zones exposées aux risques, susceptibles de permettre des degrés de contrainte variables. Là encore toutefois, tout progrès est conditionné par l'amélioration de la fiabilité des études de dangers.

Une telle mesure pourrait toutefois entraîner certaines dérives. C'est pourquoi il est souhaitable dans un premier temps de la mettre en oeuvre à titre expérimental ce qui permettra d'en analyser la pertinence.

Proposition n° 69 : Autoriser à titre expérimental, dans les zones menacées, les travaux et les aménagements qui n'augmentent pas l'exposition effective des personnes au risque.

· La nécessité de faciliter l'institution de servitudes d'utilité publique

 un instrument bien adapté à la maîtrise de l'urbanisation dans les zones exposées aux risques industriels et permettant de responsabiliser l'exploitant

Les articles L. 515-8 et suivants du Code de l'environnement prévoient l'institution de servitudes d'utilité publique à l'initiative du demandeur de l'autorisation d'exploitation, du maire de la commune d'implantation ou du préfet.

Ces servitudes peuvent porter sur l'utilisation du sol ainsi que sur l'exécution de travaux soumis au permis de construire et comporter à l'intérieur d'un périmètre arrêté, après enquête publique, par l'autorité compétente pour la délivrance de l'autorisation de l'installation classée :

« 1° La limitation ou l'interdiction du droit d'implanter des constructions ou des ouvrages et d'aménager des terrains de camping ou de stationnement de caravanes ;

2° La subordination des autorisations de construire au respect de prescriptions techniques tendant à limiter le danger d'exposition aux explosions ou concernant l'isolation des bâtiments au regard des émanations toxiques ;

3° La limitation des effectifs employés dans les installations industrielles et commerciales qui seraient créées ultérieurement. »

L'institution de ces servitudes permet donc de maîtriser l'urbanisation d'une manière plus souple que les autres dispositifs existants. Il convient toutefois de noter qu'elles ne pourront en revanche pas conduire à l'abandon ou à la démolition de bâtiments légalement édifiés, ce qui relève de la procédure de l'expropriation.

Ces servitudes peuvent donner lieu à une indemnisation des riverains auxquels elles sont imposées à la condition qu'elles entraînent un préjudice « direct, matériel et certain ». Cette indemnisation est à la charge de l'exploitant.

Ce point constitue la différence essentielle entre les servitudes d'utilité publique instituées sur le fondement du Code de l'environnement et les servitudes imposées au titre de la législation d'urbanisme.

Les sujétions imposées dans le cadre d'un projet d'intérêt général ou par le biais de la procédure de l'article L.421-8 du Code de l'urbanisme constituent en effet des servitudes d'urbanisme. A ce titre, conformément à l'article L. 160-5 du même Code, elles n'ouvrent droit à indemnité que s'il en résulte « une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ».

Comme on le constate, à la différence des servitudes d'urbanisme, une indemnisation des servitudes d'utilité publique est donc possible en l'absence d'une modification de l'état antérieur des lieux.

Il ne fait pas de doute que cette perspective d'indemnisation rendra les propriétaires concernés moins réticents à l'institution de contraintes nouvelles, celle-ci, devenant ainsi politiquement plus facile, pourra être plus rapide, plus fréquente et concerner plus aisément un périmètre plus large. Cette procédure paraît donc susceptible de permettre une meilleure protection des populations.

Il faut rappeler que c'est le rapport, publié en 1987, du groupe de travail sur les problèmes de l'urbanisation autour des établissements industriels dangereux présidé par M. Paul Gardent, conseiller d'Etat, qui préconisa l'institution de servitudes d'utilité publique au voisinage des installations présentant des risques particuliers.

Le constat dressé par ce rapport reste d'une parfaite actualité : « le code de l'urbanisme offre une palette de moyens d'intervention qui couvrent en principe de façon complète le champ du problème posé » mais « la création de servitudes foncières qui, dans le cadre du Code de l'urbanisme, ne sont normalement pas indemnisées, suscite des résistances, des hésitations politiques, et à la limite l'absence de mise en oeuvre des moyens juridiques disponibles ».

L'indemnisation étant à la charge des exploitants, on conçoit une certaine réticence de leur part à l'extension de cette procédure. Si l'intérêt général commande d'indemniser les servitudes instituées, l'équité n'impose-t-elle pas de mettre cette indemnisation à la charge de la collectivité nationale ? Deux raisons principales conduisent votre Commission à conclure par la négative.

En premier lieu, l'exploitant est responsable du risque créé par son installation. Cela signifie d'une part, que ce risque n'existerait pas sans son activité dont il tire profit et dont il lui appartient d'assumer les conséquences et d'autre part, qu'il lui est possible de réduire ce risque, et donc le périmètre dans lequel l'indemnisation est possible, par les investissements adaptés. Il s'agit donc d'un mécanisme responsabilisant l'exploitant et l'incitant à la réduction du risque à la source.

En second lieu, l'indemnisation des servitudes liées à la présence d'une installation à risques apparaît comme une solution plus protectrice des intérêts de l'exploitant que ne l'est la réglementation régissant, par exemple, les établissements pyrotechniques qui ne présentent pourtant pas nécessairement des risques supérieurs à ceux entraînés par d'autres activités.

Bref, les servitudes d'utilité publique apparaissent comme un instrument efficace pour maîtriser l'urbanisation et permettre en outre de responsabiliser l'exploitant pour le risque que son activité fait peser sur les riverains.

 l'élargissement du champ d'utilisation de ces servitudes apparaît comme l'amélioration la plus efficace susceptible d'être apportée aux instruments de maîtrise de l'urbanisation dans les zones à risques

En l'état du droit, l'institution de ces servitudes d'utilité publique n'est possible qu'à l'occasion de l'autorisation d'une installation « à implanter sur un site nouveau » et classée sous la rubrique « AS » de la nomenclature.

L'avant-projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques communiqué à la Commission, propose de permettre l'institution de ces servitudes à l'occasion de la création d'installations nouvelles sur un site existant ou de la modification notable nécessitant une autorisation d'une installation existante.

Or, le rapport Gardent qui a proposé ce mécanisme recommandait également son application aux installations existantes en précisant que celle-ci ne présenterait pas « d'obstacle juridique ».

L'avant-projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques communiqué à la Commission propose également la mise en oeuvre de plans de prévention des risques technologiques. Ces plans pourront notamment délimiter des zones soumises à des contraintes similaires à celles pouvant être instituées par les servitudes d'utilité publique prévues par l'article L. 515-8 du Code de l'environnement et prescrire des obligations de faire.

Il s'agit à n'en pas douter d'une idée intéressante. Cet instrument peut être d'une réelle utilité notamment en permettant l'organisation, à l'occasion de sa définition, d'une large concertation locale sur les risques.

Pour autant, la définition précise de ce dispositif appelle un travail parlementaire approfondi. Il s'inspire en effet largement des plans de prévention des risques naturels prévisibles dont il est en réalité assez difficile de transposer les dispositions en matière de risques industriels. Ceux-ci sont en effet divers. Ils évoluent au fil des modifications des installations. Il est également difficile de se prémunir contre leurs conséquences lorsqu'un accident survient. La faisabilité technique, à un coût acceptable, d'une protection des bâtiments contre les risques toxiques et les risques d'explosion et la nécessité d'une base légale pour garantir la mise en place effective des mesures simples effectivement envisageables (essentiellement pour prévenir les bris de verre), mériterait ainsi d'être solidement démontrée.

Cette solution aboutirait en outre à une solution d'une grande complexité. Viendraient se juxtaposer aux dispositifs existants, deux nouveaux instruments. Votre rapporteur n'a eu de cesse dans toute son action parlementaire de combattre cette tendance à la géologie juridique qui aboutit à l'empilement de strates normatives successives.

Coexisteraient en conséquence des servitudes de nature diverses dont les modalités d'indemnisation ne seraient pas identiques. Bref, les riverains seraient traités différemment selon la nature de l'installation susceptible de les mettre en danger.

On ne peut en outre sous-estimer les difficultés de mise en oeuvre d'un tel instrument. Définir un tel plan aboutirait en effet à réunir l'ensemble des servitudes liées aux diverses installations couvertes par le plan dans un même document, dont la révision nécessitant une enquête publique, sera nécessaire à chaque modification d'une étude de dangers d'une des installations couvertes. Ce document risque dès lors de se trouver en perpétuelle révision. Il va également de soi qu'une solution constituant de fait à mettre toutes les servitudes d'installations variées dans un même « panier » n'est pas la meilleure garantie de sécurité juridique en cas de contentieux.

Sans rejeter l'idée de plans de prévention de risques technologiques, votre Commission estime donc qu'il pourrait être plus efficace et plus simple d'étendre le champ actuellement couvert par l'article L. 515-8 du Code de l'environnement aux installations existantes, qu'elles soient ou non classées Seveso dès lors qu'elles présentent un danger significatif ce qui permettra en outre d'éviter d'accroître les effets de seuil et les risques de contournement.

Afin de mettre fin à la sédimentation juridique, source de complexité et de contentieux, la Commission estime qu'il pourrait être parallèlement envisageable d'abroger l'article L. 421-8 du code de l'urbanisme qui, dans certaines zones, permet au préfet de soumettre à des prescriptions l'exécution de travaux, dont le champ serait désormais couvert par l'article L.515-8 du Code de l'environnement ainsi modifié.

Cette évolution juridique reposant sur l'extension des possibilités d'institution de servitudes d'utilité publique permettrait de garantir l'égalité de traitement des riverains, de leur assurer une indemnisation plus aisée pour les contraintes qui leur serait imposées et, en outre, de responsabiliser l'industriel sur lequel reposerait la charge de cette indemnisation. Elle devra être étudiée avec attention mais reste, comme l'ensemble des dispositions envisageables en matière d'urbanisme, conditionnée à une meilleure connaissance préalable des risques.

Proposition n° 70 : Etudier la généralisation de l'institution de servitudes indemnisables pour traiter de manière équivalente tous les propriétaires concernés.

III.- RÉDUIRE LES PÉRIMÈTRES DE DANGERS ET CRÉER UN FONDS DE PRÉVENTION DES RISQUES INDUSTRIELS POUR RÉGLER LE PROBLÈME DE L'URBANISATION DES ZONES À RISQUES

Lorsque des constructions existantes sont situées dans le périmètre de dangers d'une installation classée, une alternative unique est souvent présentée : exproprier les riverains ou fermer l'usine.

L'une comme l'autre branche de cette alternative peuvent être justifiées selon les conditions locales ; dans les deux hypothèses, les instruments juridiques nécessaires existent.

Aucune de ces deux solutions n'est toutefois pleinement satisfaisante. La Commission estime donc nécessaire de sortir de cette fausse alternative. Cela est possible car il existe une troisième possibilité : diminuer le périmètre de dangers pour faire cesser l'exposition des riverains au risque. Il n'y aucune fatalité imposant un périmètre de dangers donné autour d'une installation industrielle. Ces périmètres peuvent et doivent être réduits.

La Commission juge pour cela nécessaire d'instituer un fonds de prévention des risques industriels, établissement public foncier financé par l'Etat et par les industriels, aidant sous conditions ceux-ci dans leurs efforts de réduction des risques et chargé d'acquérir les biens menacés dont leurs propriétaires souhaitent se séparer.

La Commission estime en tout état de cause que l'objectif doit être de ramener, chaque fois que cela est possible, les périmètres de dangers des installations industrielles présentant des risques à l'intérieur des établissements industriels concernés. Il est clair pour la Commission que la priorité absolue est la réduction des périmètres de dangers par les entreprises.

A.- UN FONDS DE PREVENTION DES RISQUES INDUSTRIELS AU SERVICE DES RIVERAINS DES INSTALLATIONS ET AIDANT LES EXPLOITANTS

Il n'existe pas de solution simple et pleinement satisfaisante au problème de l'urbanisation des zones exposées aux risques.

Si la priorité doit être avant tout la réduction des zones de dangers, il peut être nécessaire de conduire ponctuellement en complément une action qui permette de réduire la population se trouvant dans ces zones. A cet égard, le mécanisme de la préemption ne paraît pas nécessairement le plus adapté dès lors que ce droit est réservé aux collectivités locales. La Commission estime en revanche que l'institution d'un établissement public foncier pourrait être efficace.

1.- Les limites du droit de préemption des collectivités

L'avant-projet de loi sur la maîtrise des risques technologiques communiqué à votre Commission propose de permettre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale compétents d'exercer un droit de préemption dans les périmètres délimités par les plans de prévention des risques technologiques qu'il vise à mettre en place. Il n'est pas certain que ce mécanisme rencontre un très grand succès pour différentes raisons.

Ce mécanisme repose sur l'initiative des collectivités locales et est à leur charge. Il n'est donc pas certain qu'il rencontre un immense enthousiasme d'autant que ces biens étant, par définition, exposés aux risques, il est difficile de concevoir l'usage qui pourrait en être fait par la collectivité les ayant acquis.

On mesure également les difficultés politiques que poseraient aux élus des collectivités concernées les décisions à prendre quant au prix auquel acquérir le bien préempté. Il faut à nouveau rappeler que ce bien ne sera, a priori, d'aucun usage pour la collectivité de sorte que les élus concernés devront soit acheter chers, des biens inutiles, soit mécontenter leurs concitoyens en contestant la valeur de leurs biens au motif des risques auxquels ceux-ci sont exposés.

C'est donc parce que le titulaire en serait une collectivité locale ou un établissement public de coopération intercommunale que le droit de préemption risquerait de manquer d'efficacité. La Commission est donc plutôt favorable à un autre système et estime que la situation justifie donc d'envisager l'intervention d'un établissement public foncier national.

2.- Le fonds de prévention des risques industriels

a) Deux missions initiales pour le fonds : exercer le droit de préemption et aider les investissements de sûreté

La Commission propose donc la création d'un tel établissement public foncier national. On sait en effet que des structures de ce type ont conduit une action très efficace dans plusieurs régions et notamment en Lorraine.

C'est pourquoi la Commission souhaite la mise en place d'un fonds de prévention des risques industriels. Celui-ci sera financé par l'Etat et par les industriels selon les modalités les plus susceptibles de les inciter à la réduction du risque. Comme il a été indiqué plus haut, ces modalités ne peuvent être arrêtées de manière précise à ce stade.

Le fonds aura dans un premier temps deux missions principales : exercer un droit de préemption dans les zones exposées aux risques et accorder des aides aux industriels conduisant des opérations de réduction du risque.

Proposition n° 76 : Créer un fonds de prévention des risques industriels, financé par l'Etat et les exploitants, exerçant un droit de préemption dans les zones à risque et aidant les investissements de sûreté.

b) L'institution d'un droit de délaissement permettrait d'amplifier l'action de restructuration foncière du fonds

Dans un second temps, dès lors que la méthodologie des études de dangers aura été consolidée et que leurs résultats seront donc plus fiables, il est envisageable d'accorder en outre aux propriétaires des biens exposés aux risques, le droit de les céder au fonds qui sera contraint de les acquérir.

Un tel mécanisme constituerait une extension du droit de délaissement qui existe déjà dans certaines hypothèses et qui s'inscrit en outre dans la continuité du mécanisme de préemption.

· Un droit qui existe dans d'autres hypothèses et qui s'inscrit dans la continuité de la procédure de préemption

Le droit de délaissement est en effet aujourd'hui reconnu à des propriétaires dont le bien est grevé d'une servitude d'urbanisme qui affecte leur droit de propriété. Il leur permet d'exiger l'acquisition de ce bien par la collectivité ou le service public bénéficiaire de cette servitude c'est à dire au bénéfice duquel le terrain a été réservé pour permettre par exemple la construction ou l'installation future d'un ouvrage public, d'une voie publique, d'une installation d'intérêt général ou d'un espace vert.

Dans la perspective de la création du nouvel aéroport en Picardie, le Sénat a adopté lors de la première lecture du projet de loi relatif à la démocratie de proximité un amendement du Gouvernement, permettant l'exercice de ce droit aux propriétaires de biens situés dans un périmètre délimité par décret.

Ce mécanisme s'inscrit, en outre, dans la continuité de la procédure de préemption. En effet, celle-ci repose sur le dépôt, par le propriétaire d'un bien soumis à ce droit, d'une déclaration manifestant son intention de l'aliéner. Il n'est nullement nécessaire qu'il dispose d'un acquéreur ferme. Un propriétaire peut donc utiliser cette procédure dans le but d'obtenir l'acquisition de son bien par le titulaire du droit de préemption, qui a toutefois la possibilité de refuser d'exercer celui-ci.

· Un dispositif protecteur des intérêts des propriétaires concernés

Régi par les articles L. 230-1 et suivants du Code de l'urbanisme, le droit de délaissement s'exerce à l'initiative du propriétaire qui met en demeure la collectivité ou le service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé d'acquérir son bien.

La collectivité ou le service public qui fait l'objet de la mise en demeure doit se prononcer dans le délai d'un an à compter de la réception en mairie de la demande du propriétaire.

A défaut d'accord amiable sur le prix à l'expiration du délai d'un an mentionné au premier alinéa, le juge de l'expropriation, saisi, soit par le propriétaire, soit par la collectivité ou le service public qui a fait l'objet de la mise en demeure, prononce le transfert de propriété et fixe le prix de l'immeuble.

Ce prix, y compris l'indemnité de réemploi, est fixé et payé comme en matière d'expropriation, sans qu'il soit tenu compte des dispositions qui ont justifié le droit de délaissement.

Il s'agit donc d'un dispositif protecteur des intérêts des propriétaires concernés et qui repose sur leur initiative.

La Commission propose de reconnaître ce droit aux propriétaires des biens situés dans le périmètre de dangers d'une installation industrielle dès lors que ces périmètres seront suffisamment fiables. C'est le fonds de prévention des risques industriels dont la Commission souhaite la mise en place qui sera chargé d'acquérir ces biens. Il ne pourra refuser de le faire.

Il conviendra de préciser l'articulation de ce dispositif avec l'extension des cas d'institution de servitudes d'utilité publique indemnisables pour veiller à empêcher tout enrichissement sans cause des propriétaires concernés.

Proposition n° 77 : Dès que les périmètres de dangers seront fiables, donner à tout propriétaire d'un bien menacé le droit d'imposer l'acquisition de celui-ci par le fonds de prévention des risques industriels

B.- LA RÉDUCTION DU RISQUE À LA SOURCE DOIT ÊTRE UNE PRIORITÉ ABSOLUE CAR ELLE PERMET LA RÉDUCTION DES PÉRIMÈTRES DE DANGERS

La meilleure solution pour régler le problème de l'urbanisation à l'intérieur des périmètres de dangers est de faire reculer ceux-ci. Cela est très souvent techniquement possible mais nécessite des efforts financiers des exploitants qui doivent être encouragés.

1.- De nombreuses solutions techniques permettent une réduction des périmètres de dangers

La Commission a acquis la conviction que les périmètres de dangers de la plupart des installations industrielles pouvaient être significativement réduits par des actions appropriées.

Parmi les solutions techniques envisageables figurent par exemple :

- la mise en place de sécurités passives (merlon, jupes en béton, enfouissement) particulièrement efficaces contre les risques d'explosion,

- le déplacement des installations à risques à l'intérieur du périmètre de l'établissement,

- la réduction des volumes stockés sur le site,

- la modification des process de production permettant d'éliminer le recours à des produits intermédiaires dangereux.

Ces possibilités ont été attestées par deux cas concrets sur des sites visités par une délégation de la Commission. Ainsi, à Port-Jérôme, une opération tout à fait exemplaire de déplacement et d'enfouissement de cuves de stockage de gaz liquéfié, à l'origine aériennes, sur le site de la raffinerie Esso, a permis une réduction considérable des zones de dangers liées à ces installations.

De même, à l'usine Grande-Paroisse de Grand-Quevilly, diverses mesures, notamment des diminutions des quantités stockées sur le site et la protection d'une cuve de stockage d'ammoniaque, intervenues après une mise en demeure du préfet, ont permis une réduction significative du risque.

2.- Il est nécessaire d'encourager les efforts en ce sens des exploitants

Des marges de progression significatives existent donc pour réduire les périmètres de dangers. Elles doivent être exploitées, indépendamment même d'ailleurs de l'urbanisation au voisinage des usines puisqu'elles contribuent à la protection des salariés et de l'environnement.

De telles opérations sont toutefois coûteuses. Le déplacement et l'enfouissement des cuves de stockage de gaz liquéfiés de la raffinerie Esso de Port-Jérôme ont ainsi constitué un investissement de 200 millions de francs, la protection par une jupe de béton d'un stockage d'ammoniaque au Grand-Quevilly ayant pour sa part nécessité environ 7 millions de francs.

On comprend donc que les exploitants hésitent à les engager spontanément. L'administration, qui a, dans une large mesure, la possibilité de les y contraindre, n'est pas toujours bien armée pour formuler des exigences dont elle mesure mal les conséquences sur l'équilibre économique de l'activité. En conséquence, ces marges de progrès ne sont pas systématiquement exploitées.

La Commission juge cette situation anormale et souhaite que les exploitants conduisent une politique plus dynamique de réduction des risques. Elle souhaite donc les y inciter et les y aider.

a) Pousser les exploitants à investir dans la réduction du risque en les responsabilisant financièrement

La Commission propose de responsabiliser financièrement les exploitants en fonction du risque auquel leur activité expose les populations.

Le premier instrument en ce sens est le mécanisme de constitution obligatoire de garanties financières que la Commission propose (voir plus bas). Les montants de ces garanties étant adaptés aux conséquences prévisibles de la réalisation du risque et la constitution de ces garanties étant coûteuse pour l'exploitant, celui-ci aura intérêt à réduire le périmètre de dangers.

La Commission propose également que les exploitants contribuent au financement du fonds de prévention des risques industriels, dont elle recommande la mise en place.

Deux modalités sont envisageables pour cela.

La plus simple en apparence serait l'institution d'une taxe assise sur les personnes et les biens exposés au risque. Celle-ci devrait prendre en compte les habitations, les locaux industriels et commerciaux, les établissements recevant du public et les voies de communication situés dans les périmètres de dangers. Elle présuppose évidemment une définition fiable de ces périmètres et une souplesse suffisante permettant qu'elle soit revue à la baisse au fur et à mesure des efforts de l'exploitant pour réduire le risque.

Une solution alternative qui aurait des conséquences similaires s'appuierait sur l'obligation de garanties financières en utilisant soit les intérêts des sommes consignées, soit, lorsque cette garantie provient d'un contrat d'assurance ou d'une cotisation à une mutuelle, une prime ou une cotisation additionnelles comme cela existe en matière de catastrophes naturelles.

Enfin, l'extension aux installations existantes de la possibilité d'instituer des servitudes d'utilité publique souhaitée à terme aura le même effet. En effet, l'indemnisation de ces servitudes sera à la charge de l'exploitant. Celui-ci aura donc un intérêt direct à réduire le périmètre à l'intérieur duquel elles pourront être instituées.

b) Encourager les exploitants à investir dans la réduction du risque

La Commission estime qu'il est nécessaire de mettre en place en parallèle des instruments permettant d'encourager les exploitants à réaliser les investissements nécessaires pour réduire le risque.

· Etudier l'institution d'un crédit d'impôt sûreté

Il existe depuis 1983 un crédit d'impôt recherche permettant aux entreprises de réduire l'impôt sur les sociétés ou l'impôt sur le revenu d'un montant représentant 50 % de l'accroissement en volume de leur effort de recherche et développement d'une année par rapport à la moyenne des deux années précédentes.

Diverses dépenses ouvrent droit au crédit d'impôt recherche dont les dépenses de personnel concernant les chercheurs et techniciens directement affectés aux travaux de recherche et de développement, les dotations aux amortissements des immobilisations affectées à la recherche et au développement c'est-à-dire les investissements physiques mais aussi certaines dépenses de normalisation et les frais de dépôts et de maintenance des brevets.

La Commission estime qu'un tel mécanisme pourrait être transposable dans une certaine mesure à des dépenses liées à la sécurité. Il pourrait, en particulier, concerner les dépenses liées aux personnels spécifiquement affectés à l'amélioration de la sûreté, les dépenses d'expertise engagées, par exemple, pour la réalisation des études de dangers, et les investissements directement liés à la sûreté.

La définition précise de ce dispositif devra toutefois être étudiée plus avant, en particulier pour tenir compte de la difficulté d'identifier ce qui relève spécifiquement de l'amélioration par un investissement nouveau et pour analyser sa compatibilité avec les règles communautaires régissant les aides publiques.

Proposition n° 71 : Étudier l'institution d'un crédit d'impôt sûreté.

· Accorder une aide publique à des investissements de prévention des risques industriels

La Commission estime qu'un intérêt général est attaché à la prévention des risques industriels. Elle juge donc souhaitable que des opérations permettant de réduire significativement les périmètres de dangers des installations industrielles puissent, au coup par coup, bénéficier d'aides.

Ces aides seraient attribuées par le fonds de prévention des risques industriels.

Proposition n° 72 : Aider les exploitants à financer certaines opérations permettant une réduction sensible des périmètres de dangers.

· Faciliter l'intervention des collectivités locales pour aider l'exploitant

Les collectivités locales peuvent être désireuses d'apporter leur concours aux efforts de réduction du risque entrepris par l'exploitant. De telles opérations leur permettent en effet de diminuer les risques pesant sur leurs habitants et de développer l'urbanisation de zones inconstructibles lorsqu'elles sont exposées aux risques.

Or, les collectivités locales n'ont pas, en l'état, compétence pour ce type d'intervention. Des montages juridiques complexes nécessitant une grande ingéniosité sont donc nécessaires pour réaliser de telles opérations comme la Commission l'a constaté à Notre-Dame de Gravenchon. Il convient donc d'ouvrir plus largement cette possibilité.

L'intervention des collectivités locales ne pourra concerner que les opérations d'investissement allant au-delà de ce qui est imposé par la réglementation. Ces aides ne doivent pas pouvoir concerner des opérations visant à respecter les prescriptions imposées aux industriels. Elles devront également être limitées aux opérations volontaires des entreprises dont la collectivité tirera un avantage direct sous la forme de possibilités d'urbanisation nouvelles.

Proposition n° 73 : Autoriser, quand un enjeu d'urbanisme ou de développement économique le justifie, les collectivités territoriales à aider financièrement les exploitants à réduire à la source les risques, plus fortement que la réglementation ne leur impose de le faire.

· Adapter la fiscalité

Des obstacles fiscaux peuvent rendre plus difficile la réalisation d'une opération permettant de réduire significativement les périmètres de dangers. Il apparaît en particulier que le déplacement d'une installation conduit à la réactualisation de la base sur laquelle sont calculés les impôts locaux dus au titre de l'installation. L'exploitant peut ainsi se trouver pénalisé par son effort de réduction du risque.

L'article 1464 F du code général des impôts, inséré par la loi de finances pour 1992, apporte une réponse partielle à ce problème en permettant d'exonérer de taxe professionnelle « en totalité et pendant cinq ans, la valeur locative des installations de stockage de gaz liquéfié d'au moins 200 tonnes qui, pour un motif d'intérêt général, font l'objet d'un transfert à l'intérieur de la même commune ou dans une autre commune ».

Cette disposition a contribué à faciliter l'opération déjà évoquée conduite sur le site de la raffinerie Esso de Port-Jérôme. Elle ne couvre toutefois qu'un cas particulier et devrait donc être étendue à tous les cas de modifications substantielles d'installations présentant des risques permettant de réduire ceux-ci. Une modification pourrait être considérée comme substantielle en fonction du rapport entre l'investissement qu'elle aura nécessité et la valeur initiale de l'installation.

Comme on le sait, les collectivités compétentes peuvent d'ores et déjà accorder des exonérations de taxe professionnelle à des installations présentant un intérêt pour la protection de l'environnement, il est donc logique que la même faculté leur soit accordée en matière de risque industriel, lorsque un enjeu d'urbanisme ou de développement économique le justifie.

Proposition n° 74 : Étendre, quand un enjeu d'urbanisme ou de développement économique le justifie, la possibilité d'exonération de la taxe professionnelle à toutes les installations présentant des risques faisant l'objet de modifications substantielles permettant de réduire ceux-ci.

Une seconde difficulté apparue à la Commission réside dans la diversité des régimes fiscaux applicables à des installations substituables. Ainsi, par exemple, il a été indiqué à la Commission que les réservoirs enterrés constituaient des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties ce qui n'était pas le cas des sphères aériennes de stockage.

La Commission souhaite que les cas de traitement fiscal différent d'installations ayant le même usage soient recensés et que le régime fiscal de ces installations soit harmonisé.

Proposition n° 75 : Harmoniser le régime fiscal des installations industrielles présentant des risques ayant le même usage.

CINQUIÈME PARTIE : L'INDEMNISATION RAPIDE ET COMPLÈTE DES SINISTRÉS, UNE EXIGENCE MORALE

Une délégation de la Commission d'enquête s'est rendue à Toulouse les 28 et 29 novembre 2001 soit plus de trois mois après l'accident. A cette date, la remise en état de milliers de logements n'était pas encore achevée. Dans de très nombreux cas, les travaux définitifs n'avaient pas même commencé.

Cette situation apparaît profondément choquante à la Commission. Des explications de deux types ont été avancées par les différentes personnes entendues par la délégation de la Commission.

Il a été en premier lieu indiqué à la Commission que l'ampleur même du sinistre faisait obstacle pour différentes raisons indépendantes de la volonté des uns et des autres à la remise en état rapide des logements des sinistrés et à leur indemnisation. Cette analyse a sans nul doute une grande part de vérité et est développée ci-après car elle justifie d'apporter des adaptations importantes à notre droit.

Mais il a également été dit à la délégation de la Commission que des retards dans l'indemnisation étaient imputables à la mauvaise volonté manifeste de certains acteurs. Il convient de le vérifier et, le cas échéant, d'en tirer les conséquences.

I.- IL FAUT ÉTABLIR DE MANIÈRE INCONTESTABLE LES RESPONSABILITES DES RETARDS DANS L'INDEMNISATION

Les critiques entendues par la Commission ont particulièrement mis en cause Total Fina Elf, les sociétés d'assurance et leur fédération professionnelle, la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), et les services de l'Etat.

Certaines des personnes entendues par la Commission ont ainsi eu des mots très durs, tel M. Frédéric Arrou, président de l'association des sinistrés du 21 septembre qui estime que « la FFSA a joué avec les sinistrés » et leur a fait « un sale coup ».

Il n'appartient pas à la Commission de déterminer les responsables de cette situation mais de faire en sorte que des difficultés similaires ne puissent plus se reproduire.

La Commission ne peut que souscrire entièrement à l'opinion exprimée devant elle par M. Martin Malvy, président du conseil régional de Midi-Pyrénées à propos du rôle des compagnies d'assurance : « De deux choses l'une, ou ce qui court la ville(...) est inexact, et il faut le dire, ou si c'est exact, et il faudra le savoir aussi et en tirer les conséquences ».

La Commission n'est pas en mesure d'apporter une réponse à cette question qui nécessiterait une analyse approfondie de faits concernant des milliers de personnes. Comme le disait à la délégation de la Commission M. Philippe Douste-Blazy, maire de Toulouse, sur un sujet aussi important que la responsabilité des différents acteurs, il faut se garder de toute subjectivité et étudier précisément les faits.

C'est pourquoi la Commission recommande la réalisation d'une inspection approfondie du comportement des différents acteurs dans l'indemnisation des sinistrés de la catastrophe du 21 septembre 2001 qui devra être diligentée par le Ministère de l'économie des finances et, pour ce qui la concerne, par la Commission de contrôle des assurances.

Cette mission complétera utilement le dispositif de surveillance particulier mis en place par le Gouvernement le 22 octobre pour surveiller le marché des produits et services nécessaires à la réparation des dommages et rechercher toutes les infractions aux règles de protection des consommateurs. La Commission juge nécessaire que tous les faits établis soient rendus publics.

Proposition n° 78 : Diligenter une inspection approfondie des dysfonctionnements évoqués en matière d'indemnisation des sinistrés de la catastrophe du 21 septembre, dont les conclusions devront être rendues publiques.

II.- DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES APPELLENT DES PROCÉDURES D'INDEMNISATION D'EXCEPTION

Que l'incurie ou la mauvaise volonté de tel ou tel ait pu être évoquée manifeste que le mécanisme d'indemnisation n'était pas adapté. Il apparaît que les difficultés constatées ont une cause structurelle : l'indemnisation a été gérée dans les conditions de droit commun qui ne permettaient pas de répondre efficacement à une catastrophe d'une telle ampleur.

Bien que plus de 70 000 dossiers de sinistres aient été ouverts, la catastrophe a été juridiquement gérée comme l'est un accident de droit commun. Des adaptations ont progressivement été mises en place mais à l'origine, tout s'est passé de la même façon que s'organise l'indemnisation d'un sinistre ordinaire. Comme l'a notamment indiqué à la délégation de la Commission par M. Marcel Leroux, membre du collectif « Plus jamais ça ici ou ailleurs », la gestion de la crise a été, dans un premier temps, conduite dans des conditions de droit commun, « comme s'il s'agissait d'un simple dégât des eaux multiplié par 25 000 ».

Il est évident qu'un tel cadre juridique n'était absolument pas adapté à l'ampleur de la catastrophe, « sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale » pour M. Hubert Fournier, préfet de Haute-Garonne qui a précisé à la Commission qu'environ trente mille logements avaient été touchés dont onze mille ont été extrêmement endommagés.

La Commission estime, comme de nombreuses personnes qu'elle a entendues à Toulouse et à Paris, qu'un sinistre d'ampleur exceptionnelle doit permettre de déroger aux procédures d'indemnisation de droit commun. On sait qu'un mécanisme spécifique existe déjà pour ce qui concerne les catastrophes naturelles. Ce régime ne paraît pas transposable en l'état aux catastrophes exceptionnelles d'origine industrielle qui relèvent d'une problématique différente. On ne peut mettre en effet à la charge de la collectivité nationale ou de l'ensemble des victimes potentielles assurées, la réparation de sinistres qui relève, dans le cas d'une catastrophe industrielle, de la responsabilité de l'exploitant.

Un mécanisme sui generis d'indemnisation doit donc être défini. Comme c'est le cas pour les catastrophes naturelles, il devrait être mis en oeuvre après constatation par les pouvoirs publics de l'état de catastrophe industrielle.

Proposition n° 79 : Instituer une procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe industrielle.

L'exemple de Toulouse a montré que l'une des difficultés était la diversité des intervenants financiers participant au processus d'indemnisation, l'exploitant, et pour son compte ses assureurs, intervenant concurremment aux assureurs des victimes.

Il paraît donc souhaitable d'étudier la mise en place d'un guichet unique d'indemnisation. Celui-ci pourrait relever de la responsabilité de l'ensemble des acteurs de l'assurance, en s'inspirant des cellules de coordination départementales mises en place pour ce qui concerne les catastrophes naturelles. Il pourrait également être géré directement par les pouvoirs publics en faisant notamment appel en renfort aux ressources de la cellule nationale de crise, dont la Commission souhaite la création.

Il importe en tout état de cause que l'indemnisation soit rapide. Sur ce point, on l'a dit, des dysfonctionnements ont été constatés à Toulouse. On peut, là encore, s'inspirer du dispositif en vigueur en ce qui concerne les catastrophes naturelles qui impose une indemnisation dans un délai maximal de trois mois, à compter de la remise de l'état estimatif des biens endommagés ou des pertes subies ou de la date de publication de la décision administrative constatant la catastrophe lorsque celle-ci est postérieure.

Proposition n° 80 : Imposer en cas de catastrophe industrielle un délai maximal d'indemnisation de trois mois.

Il est apparu que les retards dans l'indemnisation avaient notamment résulté des désaccords entre les sinistrés et les assureurs sur le montant des sinistres. L'évolution des seuils en deçà desquels une expertise ou une expertise contradictoire n'a pas été sollicitée, a permis d'accélérer le processus d'indemnisation.

À l'exception de dégâts particuliers (dommages aux véhicules, dommages constitués exclusivement de vitrages brisés), l'indemnisation a, dans un premier temps, été possible sans expertise pour les sinistres d'un montant inférieur à 10 000 francs et avec une expertise unique, de l'assureur de la victime, pour les sinistres d'un montant inférieur à 100 000 francs. Au-delà de ce montant, une contre-expertise par les assureurs de Grande Paroisse était exigée.

A la fin du mois d'octobre, le montant des sinistres indemnisés sans contre-expertise a été relevé à 300 000 francs, ce qui a permis d'accélérer le processus.

Cette formule constitue une bonne solution. Il peut être argué qu'elle risque, surtout avec des montants de remboursement sans expertise élevés, de conduire à quelques abus. La Commission estime ce danger limité, notamment à la lumière de l'expérience de Toulouse qui a montré la solidarité et l'esprit civique dont nos concitoyens peuvent faire preuve face à un drame. En tout état de cause, la Commission estime en outre qu'il est nettement préférable de courir un tel risque plutôt que d'entraver excessivement le processus d'indemnisation.

Comme on le sait, rien n'imposait, en droit, la prise de l'ensemble des mesures simplifiant les procédures d'indemnisation, dont fait partie la fixation de montants de dommages indemnisés sans expertise, qui sont intervenus. Il aurait été en outre préférable qu'elles soient mises en oeuvre plus rapidement. M. Marcel Leroux, membre du collectif « Plus jamais ça ici ou ailleurs », estimait ainsi que de ce fait, plus de six semaines avaient été perdues pour le secours aux sinistrés.

La Commission estime donc nécessaire de définir une procédure d'indemnisation simplifiée qui devra notamment reposer sur une indemnisation automatique sans expertise des dommages les plus modestes et dispenser d'expertise contradictoire tous les sinistres à l'exception des plus importants. Des seuils, voire des barèmes d'indemnisation, pourraient être définis pour une catastrophe donnée, par arrêté interministériel, afin de prendre en compte le nombre de sinistres et leur gravité. La préoccupation centrale que doit être la rapidité de l'indemnisation peut en effet impliquer un seuil plus élevé lorsque les sinistrés sont plus nombreux à capacité d'expertise donnée.

Cette procédure simplifiée d'indemnisation devrait être mise en oeuvre sur le champ et de plein droit par le guichet unique d'indemnisation, ses conséquences financières s'imposant à l'ensemble des acteurs concernés.

Proposition n° 81 : Mettre en oeuvre dès la constatation de l'état de catastrophe industrielle une procédure d'indemnisation simplifiée.

Pour assurer cette indemnisation rapide, il est également souhaitable de mettre en place un fonds d'indemnisation des sinistrés. Ce fonds sera financé par l'Etat et avancera, si besoin est, les sommes nécessaires à l'indemnisation.

L'Etat n'assumera que l'avance des sommes et se retournera contre le ou les responsables de l'accident pour récupérer celles-ci augmentées le cas échéant des intérêts correspondants au taux légal.

Proposition n° 82 : Créer un fonds d'indemnisation des victimes d'accidents industriels

Enfin, il importe de garantir une indemnisation complète des préjudices subis.

Pour ce qui concerne les dommages aux meubles et immeubles, la Commission n'estime pas admissible que l'indemnisation prenne en compte l'éventuelle obsolescence sous une quelconque forme.

Pour les bâtiments, il convient de s'inspirer en partie du dispositif prévu pour les dommages liés à l'activité minière par l'article 75-3 du code minier issu de la loi du 30 mars 1999 en prévoyant la remise en l'état ou, à défaut, permettant « au propriétaire de l'immeuble sinistré de recouvrer dans les meilleurs délais la propriété d'un immeuble de consistance et de confort équivalents ».

Il faut toutefois noter que ce dispositif a également rencontré certaines limites, liées pour l'essentiel aux difficultés que rencontrent les services des domaines pour évaluer les biens sur une autre base que la valeur vénale.

La Commission estime donc qu'il serait nécessaire que l'évaluation des biens soit réalisée par une instance associant diverses parties, dont des représentants de l'Etat, des sinistrés et des assureurs et que soit en outre mise en place une instance de règlement des litiges éventuels.

Lorsque le relogement temporaire de personnes s'impose, elles doivent bénéficier, sans avance de fonds de leur part, d'une allocation journalière couvrant complètement les frais en résultant et compensant en outre l'inconfort subi.

Pour les entreprises, une indemnisation complète inclut évidemment la prise en compte des pertes d'exploitation réelles.

De même, le coût complet de la catastrophe pour l'Etat et les collectivités locales doit être supporté par celui ou ceux qui en sont responsables.

Proposition n° 83 : Garantir une indemnisation complète des sinistrés.

III.- LA SOLVABILITÉ DE L'EXPLOITANT DOIT ÊTRE GARANTIE

Le fait que des grands groupes soient leur propre assureur ou possèdent des sociétés captives sensées couvrir les risques de leurs activités, ne les conduit pas à mener une politique de prévention des risques efficace et transparente. La Commission juge donc nécessaire une réflexion globale sur le système d'assurance des risques industriels.

En tout état de cause, selon toutes les estimations communiquées à la Commission, le coût de l'accident de Toulouse devrait être compris entre 12 et 14 milliards de francs. Ce coût est parfaitement hors de proportions avec les ressources nécessaires à une entreprise pour exploiter une usine similaire à celle où l'explosion s'est produite.

L'article L. 516-1 du code de l'environnement prévoit que la délivrance d'une autorisation de mise en activité des installations présentant des risques importants de pollution ou d'accident, des carrières et des installations de stockage de déchets est subordonnée à la constitution de garanties financières par le demandeur. Toutefois, il précise explicitement que ces garanties « ne couvrent pas les indemnisations dues par l'exploitant aux tiers qui pourraient subir un préjudice par fait de pollution ou d'accident causé par l'installation ». On peut donc craindre que des sinistrés se trouvent un jour confrontés à l'insolvabilité du responsable d'un accident.

Ce problème a été identifié de longue date. Un dispositif précisément conçu pour répondre au risque d'insolvabilité mis en lumière par la catastrophe de Toulouse existe en effet dans notre droit depuis 1987 et est depuis resté lettre morte.

Il s'agit de l'article 53 de la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs, codifié sous l'article L. 552-1 du code de l'environnement, qui dispose que « pour les ouvrages ou installations présentant des risques dont les éventuelles conséquences financières sont manifestement disproportionnées par rapport à la valeur du capital immobilisé, l'autorité chargée de délivrer l'autorisation d'exploitation peut en subordonner la délivrance à la constitution de garanties financières ».

Cet article précise que « des décrets en Conseil d'Etat déterminent les catégories d'ouvrages concernés, les règles de fixation du montant de la garantie qui devra être adaptée aux conséquences prévisibles de la réalisation du risque, ainsi que les modalités de sa mise en oeuvre ». Ces décrets ne sont jamais parus.

La Commission regrette vivement cet état de fait d'autant que ce dispositif peut contribuer à inciter les exploitants à amplifier leurs efforts de réduction du risque à la source.

Il est en effet clair que les « conséquences prévisibles de la réalisation du risque » auxquelles les garanties devront être adaptées dépendent de ce risque. La Commission recommande donc que la garantie exigée soit calculée sur la base des personnes et des biens se trouvant dans le périmètre de danger de l'installation, conformément, par exemple, à un barème fixant un montant de garantie exigée par habitation, par local professionnel, par établissement recevant du public selon sa catégorie et par voie de communication suivant sa fréquentation moyenne. Le montant de garantie exigée devra être réévalué périodiquement et, en tout état de cause, à chaque évolution du périmètre de danger. L'administration devra donc exiger une moindre garantie au fur et à mesure des efforts de l'exploitant pour réduire le risque.

Ce mécanisme pourra en outre contribuer au financement du fonds de prévention des risques industriels. Comme on l'a dit, une des pistes envisagées en la matière repose sur l'utilisation des intérêts des sommes consignées et sur une prime additionnelle aux contrats d'assurance ou sur une cotisation additionnelle dans le cas d'un recours à une mutuelle, si l'exploitant fait appel à la garantie d'un tiers.

La constitution d'une garantie est coûteuse pour l'exploitant, qu'elle provienne de la caution d'un établissement de crédit ou d'une société d'assurance, d'un cautionnement mutuel des industriels ou de toute autre origine qu'il appartiendra aux décrets prévus de préciser. La Commission estime toutefois qu'il faut veiller à ce que la garantie exigée ne soit pas insupportable pour l'exploitant et note que la loi prévoit une garantie « adaptée » aux conséquences prévisibles de la réalisation du risque et non nécessairement égale à celui-ci.

Le coût pour l'exploitant étant lié aux conséquences prévisibles de l'éventuelle réalisation du risque, ce dispositif incitera donc fortement celui-ci à réduire le risque à la source. La prompte publication des décrets nécessaires à sa mise en oeuvre dans son champ d'intervention actuel paraît donc nécessaire à la Commission.

Celle-ci note toutefois que l'article L. 552-1 du code de l'environnement dans sa rédaction actuelle n'est pas pleinement satisfaisant. En effet, cet article n'est applicable que lorsqu'est présentée une demande d'autorisation d'exploitation. Or, il apparaît également nécessaire de le rendre applicable, progressivement, aux installations régulièrement autorisées.

Proposition n° 84 : Imposer la constitution par l'exploitant de garanties financières destinées à couvrir l'indemnisation des tiers et adaptée aux conséquences prévisibles du risque en étendant progressivement cette obligation aux installations existantes.

SIXIÈME PARTIE : LE RÔLE DES JUGES DANS LA PRÉVENTION DES RISQUES INDUSTRIELS

I.- LE DISPOSITIF RÉPRESSIF EN MATIÈRE D'INSTALLATIONS CLASSÉES N'EST PAS NÉGLIGEABLE MAIS TROP FAIBLEMENT MIS EN oeuvre

Comme l'a fait observer, devant la commission le 8 novembre 2001, Me Charles Vier, « il est paradoxal, a priori, d'évoquer une contribution du contentieux, et des juges, à la prévention des risques. Paradoxal parce que le contrôle juridictionnel qui présente un certain nombre d'imperfections ou d'insuffisances est par définition a posteriori. Il est de plus très souvent lent. De plus, les sanctions que prononce le juge sont parfois considérées comme platoniques, que ce soient des annulations pour excès de pouvoir prononcées par le juge administratif qui arrivent bien tard alors que le mal est fait et que de toute façon, une décision semblable sera prise pour remplacer celle qui a été annulée. Que ce soient encore les amendes infligées par le juge pénal, mais qui sont -paraît-il- des piqûres d'aiguilles pour certaines entreprises industrielles puissantes »

Le juge pénal est peut-être mieux armé que le juge civil ou le juge administratif pour faire reculer les comportements lourds de conséquences pour la vie ou la santé des personnes, à condition que les peines soient suffisamment dissuasives et qu'elles soient appliquées.

A.- LES DISPOSITIONS EXISTANTES

La caractéristique principale des dispositions pénales est qu'elles interviennent pour sanctionner le non-respect de décisions administratives, ce qui requiert un pont entre l'administratif et le judiciaire qui n'existe pas toujours, comme votre Commission a pu le constater.

1.- Le défaut d'autorisation ou de déclaration est constitutif d'un délit.

Le fonctionnement d'une installation dangereuse sans autorisation ou déclaration est passible, d'une part, de sanctions administratives et d'autre part, des sanctions pénales prévues à l'article L.514-9 du code de l'environnement.

Les tribunaux considèrent généralement que le délit de fonctionnement sans autorisation peut être constitué alors même que l'exploitation aurait bénéficié, postérieurement à la constatation de l'infraction, d'un arrêté préfectoral prorogeant le délai fixé par une mise en demeure initiale de régularisation, l'arrêté n'ayant « pas pour effet de faire disparaître l'infraction constatée antérieurement ».

Ce délit est passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 75 000 euros (500 000 francs).

Mais le tribunal correctionnel peut également prononcer les sanctions suivantes : d'une part, l'interdiction d'utiliser l'installation, jusqu'à l'obtention d'une autorisation administrative, avec possibilité d'exécution provisoire (l'appel ne suspend pas l'interdiction et si l'exploitant continue à exploiter en dépit de la mesure d'interdiction, il s'expose à de nouvelles peines) ; d'autre part, l'injonction de remise en état des lieux dans un délai déterminé, le cas échéant avec fixation d'une astreinte.

Lorsque l'injonction de remise en état des lieux a été respectée dans un délai fixé, le tribunal peut dispenser le prévenu de la peine.

Lorsque la remise en état des lieux n'a pas été exécutée, le tribunal liquide l'astreinte, prononce les peines et il peut en outre ordonner l'exécution d'office aux frais du condamné.

Le fait d'exploiter une installation en infraction à une mesure de fermeture, de suppression ou de suspension est un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 150 000 euros (1 000 000 francs) d'amende.

Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables des infractions correctionnelles visées ci-dessus.

2.- Le non-respect des prescriptions administratives est passible de simples peines de police sauf en cas en cas de récidive.

Le fonctionnement d'une installation en méconnaissance des prescriptions de fonctionnement, préfectorales ou ministérielles, qui lui ont été imposées, est passible de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe (décret du 21 septembre 1977 et article L. 514-10 du code de l'environnement).

Les contraventions de la 5ème classe, sont passibles de peines d'amendes allant de 1 500 euros (10 000 francs) à 3 000 euros (20 000 francs).

Le tribunal peut prononcer l'interdiction d'utiliser l'installation, jusqu'à ce que les dispositions auxquelles il a été contrevenu aient été respectées. Il peut ajourner le prononcé de la peine, en enjoignant au prévenu de respecter les prescriptions inobservées, dans un délai déterminé, le cas échéant, sous astreinte.

Comme les infractions de défaut d'autorisation ou de déclaration, celles ayant trait au fonctionnement de l'installation sont constatées par des procès-verbaux des inspecteurs des installations classées transmis au parquet.

Enfin, en vertu de l'article L. 514-14 du code de l'environnement, le tribunal peut ordonner l'affichage ou la diffusion intégrale ou partielle de la décision prononcée.

La Commission fait donc le constat que les outils législatifs, y compris en matière répressive, existent bien, encore faut-il trouver les bons textes qui sont souvent dispersés et avoir les moyens de les mettre en oeuvre.

La Commission considère toutefois que la qualification de contravention de 5ème classe, c'est à dire une peine de police, retenue pour les infractions aux arrêtés fixant les conditions de fonctionnement d'une installation dangereuse, n'est pas suffisamment dissuasive, et ne rend pas compte de la gravité de certaines situations.

De surcroît comme l'a fait observer un magistrat, ces contraventions ont vocation à être amnistiées un jour ou l'autre.

Enfin, en cas de délit, il est possible de poursuivre la personne morale responsable, ce qui est exclu pour les contraventions.

Proposition n° 85 : Qualifier de délit les infractions aux prescriptions préfectorales ou ministérielles en matière de fonctionnement des installations soumises à autorisation.

B.- DE FAIBLES TAUX DE POURSUITES ET DE SANCTIONS

Plusieurs témoins auditionnés ont abordé le problème de la difficile application des dispositions rappelées ci-dessus. C'est pourquoi la Commission a décidé d'auditionner à l'occasion de trois de ses déplacements, des membres du parquet plus particulièrement chargés des poursuites en matière d'infractions économiques et financières. Le premier constat est en effet de dire qu'il n'existe pas de section du parquet spécialisée dans les infractions liées à l'environnement, à la pollution et à l'urbanisme.

A Lyon, la section économique et financière du parquet ne compte que cinq magistrats. Le procureur adjoint qui était chargé des questions d'environnement est parti à la retraite l'été dernier et n'a pas été remplacé. Les juges du siège ne sont pas mieux lotis et la chambre spécialisée dans les affaires financières juge dans des délais extrêmement longs, parfois à la limite de la prescription. On peut facilement en déduire le sort qui est réservé aux poursuites en matière d'installations classées qui viennent loin dans l'ordre des priorités définies dans la politique pénale de la Chancellerie.

On rappellera, pour illustrer ces difficultés, même si les infractions sont d'une autre nature que celles visées ci-dessus, que l'instruction portant sur l'accident survenu à la raffinerie de la Mède a duré neuf ans et que l'affaire n'est pas encore jugée.

Il faut dire que les querelles d'experts et l'absence d'experts judiciaires spécialisés ne facilitent pas le travail des juges.

Le procureur du parquet de Lyon, M. André Pellet a, par ailleurs, fait observer que les procès-verbaux dressés par la DRIRE sont très peu nombreux, moins d'une dizaine au cours de l'an 2000 à Lyon. L'explication fournie est que la plupart du temps des moyens alternatifs aux poursuites sont mis en oeuvre. Souvent d'ailleurs, les procès-verbaux constatant une infraction sont assortis de commentaires du DRIRE atténuant la portée des faits et incitant au classement sans suite. Le magistrat n'a pas été en mesure d'indiquer à la Commission, sur les dix procès-verbaux, combien avaient abouti à des condamnations. Le DRIRE de la Région Rhône Alpes a, pour sa part, sur l'ensemble de la région, signalé cinquante-deux procès verbaux en 2000.

Un substitut du parquet d'Aix en Provence entendu au cours du déplacement de la Commission en région PACA, a évoqué des procès verbaux qui mystérieusement se volatilisent et a souhaité un rapprochement entre l'administration en charge de l'environnement et les parquets.

L'audition conjointe réalisée en région Aquitaine entre le substitut du procureur de la République de Bordeaux et le directeur de la DRIRE d'Aquitaine a fait apparaître des relations plus confiantes et plus efficaces entre les deux administrations. Lorsque le magistrat reçoit un procès verbal (une soixantaine ont été déposés uniquement sur les infractions dans les silos en 2001), il prend contact directement avec l'inspecteur qui a verbalisé afin de se faire une idée exacte de la situation et du trouble à l'ordre public.

A l'évidence il existe un certain flottement de la part des DRIRE dans leurs relations avec les juridictions répressives.

La Commission considère qu'il serait souhaitable que les pratiques des DRIRE concernant leur intervention auprès des parquets pour le suivi des procès-verbaux d'infractions soient harmonisées et que se développe un véritable partenariat avec les magistrats en charge de ces dossiers.

Proposition n° 86 : Harmoniser les pratiques des DRIRE concernant leur intervention auprès des parquets pour le suivi des procès-verbaux d'infractions

La Commission a appris également que c'est le plus souvent, à la suite d'un accident du travail que sont constatées et poursuivies les infractions à la législation sur les établissements classés. Dans le même ordre d'idées, si en matière de violation des prescriptions du droit du travail, l'infraction de mise en danger de la vie d'autrui est fréquemment établie et sanctionnée, ce n'est pas le cas lorsqu'il y a violation de la législation sur les installations classées, selon ce qui a été indiqué à la Commission.

Dans ces conditions on ne peut espérer voir jouer aucun rôle dissuasif efficace à la peine.

II.- RENDRE LES SANCTIONS PLUS DISSUASIVES ET LES JUGES PLUS EFFICACES

A.- CERTAINES INFRACTIONS DOIVENT ÊTRE PASSIBLES DE SANCTIONS PLUS SÉVÈRES ET PLUS VISIBLES.

L'objectif de la Commission n'est nullement de stigmatiser les industriels mais d'aider à la prise de conscience générale sur l'existence de risques inacceptables, dans un but de prévention. La Commission a constaté avec intérêt que le parquet de Lyon a commencé à agir dans cette direction en organisant des rencontres avec les industriels de la chimie pour les informer sur l'état du droit et notamment sur les infractions involontaires et la responsabilité pénale des personnes morales.

Il apparaît également souhaitable d'autoriser les S3PRI à intervenir en se constituant partie civile lorsque des poursuites ont lieu.

Proposition n° 87 : Admettre les S3PRI à se constituer partie civile.

L'article L. 514-14 du code de l'environnement prévoit que le tribunal peut ordonner l'affichage ou la diffusion intégrale ou partielle de la décision prononcée.

La Commission préconise que cette diffusion puisse se faire par les moyens audiovisuels.

Proposition n° 88 : Permettre la publicité d'un jugement de condamnation par diffusion télévisée.

Enfin la Commission s'étonne que les juridictions n'appliquent pas la sanction de placement sous surveillance judiciaire des personnes morales pour les entreprises en infraction.

B.- CONSTITUER UN CORPS DE MAGISTRATS SPÉCIALISÉS

Les magistrats auditionnés par la Commission ont été formels. Leur formation, initiale et continue, en matière de droit de l'environnement et de droit des installations classées est totalement insuffisante.

Proposition n° 89 : Renforcer de manière significative, au sein de l'Ecole de la magistrature l'enseignement, initial et professionnel, portant sur le droit de l'environnement et des installations classées.

Les magistrats chargés de ces dossiers sont en nombre insuffisant et leur tâche est encore compliquée par le fait que ces infractions ne sont pas regardées comme prioritaires par les objectifs de la politique pénale.

Enfin il n'existe pas de magistrats spécialisés dans les questions d'environnement comme il en existe en matière économique et financière.

Proposition n° 90 : Créer dans toutes les juridictions une section du parquet et une chambre, spécialisées dans les infractions relatives à l'environnement et aux installations classées.

CONCLUSION

La France est un grand pays industriel. Ses entreprises doivent être au meilleur niveau technologique et au meilleur niveau de sûreté. 1250 sites industriels sont classés Seveso. Il en résulte des risques qui sont, dans de nombreux cas, mal évalués, faute d'études de dangers suffisamment fiables, mais qu'il convient de réduire avec une efficacité sans cesse accrue.

Tout au long des auditions et des visites qu'elle a réalisées, votre Commission a pu mesurer combien l'évaluation des risques doit progresser au niveau national et européen.

Il convient encore de rappeler que la cause de la catastrophe de Toulouse, c'est-à-dire l'explosion du nitrate d'ammonium, avait été écartée dans l'étude de dangers réalisée par l'exploitant. S'agissant du même site, la Commission a acquis la conviction que d'autres facteurs de risques majeurs auraient du être pris en considération.

Le recouvrement de zones d'habitations avec les zones de dangers dans un nombre considérable de cas oblige à envisager différentes solutions.

Il peut ainsi être nécessaire de réduire l'urbanisation par une politique foncière ambitieuse. Dans certains cas, il faut également accepter d'arrêter, comme la loi le permet, l'exploitation d'unités de production présentant des dangers trop importants.

La priorité absolue doit toutefois être la réduction des risques à la source pour réduire les périmètres de dangers. Les pouvoirs publics doivent donc veiller au renforcement des mesures de sécurité, avec la multiplication des mesures de précaution dans le cadre d'une stratégie de défense en profondeur contre les risques industriels.

L'intérêt de l'industrie est sans aucun doute de se conformer aux prescriptions des pouvoirs publics et à la demande croissante de l'opinion. En tout état de cause, les pouvoirs publics doivent adopter une démarche offensive, impliquant des obligations précises.

Un travail important doit donc être accompli par tous les acteurs concernés par la maîtrise des risques industriels majeurs, afin de créer un approfondissement rapide de la culture de sûreté dans notre pays.

A travers ses 90 propositions, la Commission s'est efforcée de tirer les leçons de la catastrophe de Toulouse et de prendre en compte les difficultés et les besoins de chacun des acteurs concernés, exploitants, salariés, Etat, collectivités locales et habitants, afin de développer une confiance partagée. Déplorant la situation des sinistrés de la catastrophe de Toulouse, la Commission apporte des réponses à la légitime aspiration des victimes à obtenir une juste et rapide indemnisation.

Si le risque industriel est inhérent à toute société développée, il doit être évalué contradictoirement dans la plus grande transparence possible.

Le développement des pouvoirs conférés aux CHSCT et la généralisation des instances locales d'information et de concertation sont les conditions de l'évolution vers un risque socialement acceptable réduisant, au maximum des possibilités offertes par la technologie et par des organisations efficientes, les dangers pour la vie humaine et l'environnement.

Un prolongement du travail que la Commission a réalisé, est indispensable en direction de la sûreté des transports, des gares de triage, des ports et des aéroports.

*

* *

La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 29 janvier 2002 et l'a adopté à l'unanimité.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

*

* *


ANNEXES

Annexe n° 1 : Liste des personnes rencontrées par la Commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur de l'Assemblée nationale.

Annexe n° 2 : Étude de dangers relative au bâtiment I4 de l'usine Grande-Paroisse de Toulouse, en date du 7 juillet 1990, réalisée par l'exploitant.
Ce document est disponible au format PDF (871 Ko).

Annexe n° 3 : Accusé de réception et commentaires sur l'étude de dangers relative au bâtiment de stockage I4, du Directeur de la Direction régionale de l'industrie et de la recherche Midi-Pyrénées, en date du 29 octobre 1990.
Ce document est disponible au format PDF (119 Ko).

Annexe n° 4 : Arrêté préfectoral en date du 18 octobre 2000 d'autorisation d'exploiter les installations classées pour la protection de l'environnement de Grande-Paroisse à Toulouse.
Ce document est disponible en 4 fichiers au format PDF :

Arrêté (667 Ko)
 ;
Prescription techniques annexées (1ère partie) (381 Ko)
 ;
Prescription techniques annexées (2ème partie) (421 Ko)
 ;
Prescription techniques annexées (3ème partie) (8581 Ko)
.

Annexe n° 5 : Lettre du chef de la subdivision environnement industriel de la Haute-Garonne Nord au directeur de la prévention des pollutions et des risques (ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement) en date du 3 décembre 2001.
Ce document est disponible au format PDF (65 Ko).

Annexe n° 6 : Nombre d'établissements soumis à la directive Seveso par département.


N° 3559.- Rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, au nom de la commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur.

1 La dénomination ammonitrates désigne les mélanges de nitrate d'ammonium avec d'autres substances, en général en faible proportion.

2 COM(2001)88 final.

() Rapport de M. Gérard Filoche « Vingt ans après : où en sont les CHSCT » 15 novembre 2001

() Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail

5 Et/ou établissements soumis à autorisation avec servitudes d'utilité publique (AS).


© Assemblée nationale