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le 4 février 2002

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N° 3567

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 janvier 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour relatif à la coopération de défense et au statut de leurs forces,

PAR MME BERNADETTE ISAAC-SIBILLE,

Députée

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 238 (2000-2001), 59 et T.A. 43 (2001-2002)

Assemblée nationale : 3515

Traités et conventions

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Philippe Briand, M. Bernard Brochand, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Jean-Claude Decagny, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Georges Frêche, M. Michel Fromet, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. Michel Grégoire, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. Pierre Lequiller, M. Alain Le Vern, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Daniel Marcovitch, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, M. Dominique Strauss-Kahn, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui vise à approuver un accord entre la France et Singapour, relatif à la coopération de défense et au statut de leurs forces, signé à Paris le 21 octobre 1998.

On connaît habituellement Singapour comme plaque tournante du commerce en Asie ou comme première place financière de la région du sud-est asiatique, mais on le connaît moins comme un des principaux acteurs géopolitiques de cette région et comme un des partenaires importants de la France en matière de coopération militaire.

Après un quart de siècle de forte croissance ininterrompue, Singapour est aujourd'hui un pays développé dont le produit intérieur brut par habitant est supérieur à celui de l'Espagne. Faisant figure d'enclave chinoise dans un monde malais -sa population est composée de 77% de chinois, 14% de malais et 7% d'indiens-, Singapour est un partenaire privilégié à la fois pour la Chine et les Etats-Unis et mène une politique étrangère active qui ne se limite pas à l'espace régional. Il joue un rôle très actif tant au sein de l'Association des nations du sud-est asiatique (ANSEA) que de la Coopération économique en Asie-Pacifique (APEC).

La Cité-Etat a su également développer des liens très étroits avec l'Europe : elle est à l'origine des Rencontres Asie/Europe dont l'idée avait été lancée à Paris en 1994 par le Premier ministre singapourien, M. Goh Chok Tong : ce forum réunit régulièrement les Quinze de l'Union européenne et dix pays asiatiques. Singapour accueille également le siège de la Fondation Europe-Asie. Enfin, rappelons que Singapour a été élu pour la première fois au Conseil de sécurité de l'ONU pour les années 2001/2002.

La coopération militaire entre la France et Singapour était encore très limitée il y a peu : elle comprenait pour l'essentiel quelques actions de formation et escales navales. Cette relation s'est considérablement enrichie depuis quatre ans par le biais d'échanges à caractère opérationnel, la présence permanente depuis 1999 d'un escadron singapourien de 18 avions de chasse sur la base aérienne de Cazaux et des relations soutenues entre les différents états-majors. La présence du détachement singapourien à Cazaux est très positive à la fois pour l'économie locale -350 Singapouriens civils et militaires, conjoints et enfants compris, vivent en permanence en Gironde- et pour l'industrie aéronautique, à travers notamment la vente directe des matériels de pointe utilisés (simulation de scénario,...). Le solde budgétaire global des actions bilatérales de coopération militaire avec Singapour est considéré comme positif.

Cette accélération de la coopération s'explique principalement par le fait que Singapour représente le seul pays de la zone sud-est asiatique capable actuellement de mettre en _uvre une force interarmées d'envergure. Le renforcement du partenariat opérationnel entre les armées française et singapourienne constitue de surcroît l'une des clefs d'une présence constructive durable de la France dans cette zone. Les récentes opérations à Timor au sein de la force internationale constituent un bon exemple de coopération commune.

Il était dès lors devenu nécessaire de couvrir l'ensemble des activités bilatérales de coopération militaire et de défense entre la France et Singapour par un texte global, assurant une couverture juridique satisfaisante des militaires français et singapouriens en mission, plutôt que de continuer à recourir à la conclusion d'arrangements ponctuels.

Il est à noter qu'aux deux raisons déjà évoquées -la recherche d'interopérabilité et la recherche d'influence- s'ajoute à l'évidence une troisième raison à la signature de cet accord, même si elle n'est pas présentée comme prioritaire : la promotion des exportations militaires françaises. Les matériels de l'armée singapourienne sont en grande majorité d'origine américaine mais la France a réussi à devenir le deuxième fournisseur d'équipements de défense pour Singapour, très loin cependant derrière les Etats-Unis. Des perspectives intéressantes existent notamment pour le Rafale dont Singapour pourrait se porter acquéreur.

Avant d'examiner plus avant le contenu même de l'accord, nous insisterons sur son originalité géographique. La France est liée par un accord bilatéral de défense ou de coopération militaire avec 44 pays ; 27 d'entre eux sont africains. L'Asie orientale n'est représentée que par trois pays : le Cambodge, Singapour et la Thaïlande. Or on assiste aujourd'hui à une émergence de l'Asie sur le plan géostratégique mondial. Outre sa richesse économique et démographique, l'Asie est le siège de nombreuses rivalités et tensions, susceptibles éventuellement de dégénérer en conflits  : l'antagonisme des deux Corée, le statut de Taïwan, la rivalité entre l'Inde et le Pakistan (tous deux possesseurs de l'arme nucléaire), la concurrence entre l'Inde et la Chine... L'objectif de sécurité et de défense de la stabilité de la zone est donc un objectif particulièrement important.

En ce qui concerne son contenu, cet accord est un accord de coopération s'appuyant sur des programmes comprenant éventuellement des exercices de troupes, des échanges de personnels civils et militaires ou encore des stationnements de détachement de forces armées (article 3) mais en aucun cas une Partie ne s'engage à porter secours à l'autre Partie en cas d'agression (article 5).

L'accord prévoit les conditions d'entrée des personnels civils et militaires sur le territoire de chacun des deux Etats (article 4), le régime douanier (article 11), le règlement des dommages (article 13), l'accès aux installations (article 20) et les modalités de dénonciation éventuelle de l'accord, qui est conclu pour une durée de vingt ans et renouvelable par tacite reconduction (article 25).

Votre Rapporteur insistera plus particulièrement sur deux points de cet accord.

En dépit de certaines évolutions positives - apparition de nouveaux journaux à grands tirages, création sur le modèle de Hyde Park d'un « Speaker's Corner » au parc Hong Lim, près de Chinatown où tout sujet peut être abordé sauf les questions de religion et de race -, le régime singapourien conserve un certain nombre de traits autoritaires : liberté de la presse étroitement encadrée, système judiciaire répressif... Le Parti de l'action du peuple est le parti dominant qui contrôle l'ensemble de la vie politique. L'actuel Premier ministre, M. Goh Chok Tong, qui a succédé depuis 1990 au fondateur de l'Etat singapourien, M. Lee Kwan Yew, en est naturellement issu.

Dans ce contexte, il est donc important de souligner que l'article 5 empêche que les personnels de coopération militaire puissent «être associés (...) à des actions de maintien ou de rétablissement de l'ordre, de la sécurité publique ou de la souveraineté nationale, ni intervenir dans ces opérations ».

Par ailleurs, la peine de mort est applicable à Singapour dans quatre cas : meurtre, haute trahison, trafic d'armes aggravé et surtout trafic de drogue. Sa mise en _uvre est loin d'être exceptionnelle : 91 exécutions par pendaison ont eu lieu en 2000. Cet état du droit singapourien était susceptible d'entraîner une contradiction entre, d'un côté, la priorité de juridiction de la Partie d'envoi sur ses ressortissants en cas d'infractions commises sur le territoire de la Partie d'accueil, prévue à l'article 8 de l'accord, et de l'autre, les engagements pris par la France au titre de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui prohibe l'application de châtiments pouvant être qualifiés d'inhumains ou de dégradants. Cette opposition a été résolue en limitant d'une part cette priorité de juridiction aux infractions portant atteinte à la sécurité, aux biens, à la personne d'un autre membre du personnel civil ou militaire de la Partie d'envoi et à celles commises dans l'exécution du service (paragraphe 2 de l'article 8) et d'autre part en précisant, dans l'exposé des motifs, l'interprétation que «ces stipulations (relatives à l'exercice du droit de priorité de juridiction) ne sauraient faire obstacle à l'application du principe d'ordre public, que la France est tenue de respecter en vertu d'autres engagements internationaux auxquels elle est partie, selon lequel les autorités françaises ne remettent pas une personne poursuivie pour une infraction passible de la peine capitale aux autorités d'un Etat étranger, à moins que ces dernières ne donnent l'assurance que cette sanction ne sera pas infligée ou, si elle est prononcée, qu'elle ne sera pas exécutée ». Cette interprétation de l'article 8 a été signifiée en mars 2001 à la partie singapourienne qui n'a soulevé aucune objection.

En conclusion, cet accord qui prend la place de trois arrangements techniques s'inscrit dans une relation de coopération globale de défense, liée à une volonté de diversifier nos partenaires et nos marchés dans le domaine militaire. Il tend à instaurer des relations opérationnelles avec un partenaire fiable et stable au sein d'une région marquée par des risques importants d'instabilité. Il s'inscrit dans une nouvelle problématique de la coopération militaire fondée sur un encadrement juridique clair des actions envisagées. C'est la raison pour laquelle votre Rapporteure vous invite à approuver ce projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 30 janvier 2002, sur le rapport de M. Marc Reymann, suppléant votre Rapporteure, empêchée.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 3515).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 3515).

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