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Première séance du lundi 11 mars 2013

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Décès du président de la République bolivarienne
du Venezuela

Mme la présidente. Nous avons appris avec tristesse le décès, la semaine dernière, d’Hugo Chavez, président de la République bolivarienne du Venezuela. J’adresse les condoléances de l’Assemblée nationale au peuple vénézuélien.

2

Nomination de députés en mission temporaire

Mme la présidente. M. le président a reçu de M. le Premier ministre deux lettres l’informant de sa décision de charger M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, d’une mission temporaire auprès de lui-même, et Mme Nathalie Nieson, députée de la Drôme, d’une mission temporaire auprès de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

3

Refondation de l’école de la République

Discussion d’un projet de loi d’orientation
et de programmation

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (nos 653, 767).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Madame la présidente, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui devant vous, au nom du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, le projet de loi d’orientation et de programmation portant refondation de l’école de la République.

Avant toute chose, permettez-moi de saluer Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne, chargée des affaires culturelles dans le cadre du Traité de l’Élysée sur la coopération franco-allemande. Après l’avoir reçue ce matin, je veux la remercier chaleureusement d’avoir répondu favorablement à mon invitation à assister à l’ouverture de ce débat. C’est l’occasion pour moi de saluer la réussite d’un pays qui, après le choc provoqué par des résultats décevants au fameux test international PISA mené par l’OCDE, a réussi, au début de la décennie, à mettre en place des réformes ambitieuses qui lui ont permis d’améliorer les résultats de ses élèves. C’est ce que nous devons faire, c’est ce que nous allons faire.

Mesdames et messieurs les députés, à l’évidence, notre pays vit aujourd’hui des moments difficiles. Depuis plusieurs années, nous ne connaissons pratiquement plus la croissance – cela fait cinq ans que la croissance est à zéro –, notre endettement, qui pèse sur les épaules des plus jeunes et obère leur avenir, s’est accru dans des proportions que nous jugeons tous inacceptables, et le chômage n’a cessé de progresser – 25 % des jeunes sont aujourd’hui au chômage dans notre pays. Le redressement de la France doit être, pour nous tous, une volonté commune et sans faille.

Malheureusement, et contrairement à des discours tenus avec une certaine frivolité, nos difficultés ne sont pas seulement conjoncturelles. Elles ne sont pas non plus le seul effet mécanique de causes extérieures indépendantes de notre volonté – une forme moderne de la « providence » des marchés –, elles sont le résultat de nos choix, de nos faiblesses et souvent de nos manquements.

La France est touchée, beaucoup plus fortement que d’autres pays, y compris européens, par une crise de l’avenir. Cette crise, ce pessimisme collectif dans lesquels nous sommes plongés, cette incapacité de renouer avec l’optimisme et la confiance, est aussi, pour la France, une crise de son identité, une vive inquiétude quant à son destin, qui a d’ailleurs donné lieu, ces dernières années, à des débats dont nous nous serions bien passés. Certains se sont inquiétés, récemment, de voir les populismes renaître en Europe. Effectivement, nous n’en sommes pas préservés.

Parce que l’école est la France de demain, si nous voulons être en capacité de surmonter cette crise de l’avenir, il faut redonner à l’école de la République la priorité qui lui a fait tant défaut ces dernières années. Si l’on n’ignore pas ce bien commun qu’est l’histoire de notre République et si l’on se souvient que l’école et la France républicaine ont toujours, depuis la Révolution française, eu partie liée, alors c’est de l’école, de notre rapport au savoir, à la connaissance, à la transmission de valeurs, que nous devons attendre la capacité de surmonter cette crise d’avenir, cette crise d’identité.

Vous pouvez voir derrière moi, installée là par les républicains en 1879, une tapisserie inspirée du célèbre tableau L’École d’Athènes, de Raphaël. Nous nous inscrivons dans cette continuité. Nous avons remplacé Louis-Philippe par l’école d’Athènes, parce que la démocratie et la raison ont partie liée au sein même de cette assemblée. Lorsqu’on regarde l’histoire si tragique du xxe siècle, on se rend compte que, dans les moments les plus difficiles de cette histoire, de l’affaire Dreyfus au Conseil National de la Résistance, dont nous célébrerons les soixante-dix ans cette année, c’est toujours grâce à l’école, à une certaine exigence intellectuelle, morale et politique, que la France a été capable de donner son cœur et de construire son redressement.

Les mêmes défis sont devant nous depuis des années : le défi de la croissance, celui de la compétitivité, celui de l’emploi, celui de la cohésion sociale et territoriale de notre pays, et celui de la justice. Aucun de ces défis ne pourra être relevé avec succès si nous ne sommes pas capables de redonner à notre école la fierté et l’efficacité qui furent les siennes au cours de notre histoire, lorsqu’elle a assuré les plus belles réussites de notre nation.

C’est pourquoi notre projet est bien de refonder l’école de la République et de refonder la République par l’école. C’est pourquoi notre ambition collective doit être de passer un nouveau contrat entre l’école et la nation.

Mesdames et messieurs les députés, je veux tout d’abord vous dire que, contrairement à ce que j’entends, l’exercice auquel nous sommes collectivement conviés est d’abord un exercice d’humilité et de reconnaissance. L’histoire nous a appris que ceux qui prétendent construire à partir de rien, faire fi des enseignements du passé, que ce soit pour créer des sociétés nouvelles ou des hommes nouveaux, provoquent en réalité de grandes tragédies. Notre démarche, que nous assumons pleinement, consiste, à l’inverse, dans la connaissance de notre tradition, l’inscription dans cette tradition et la reconnaissance à son égard.

C’est une certaine idée de la France, s’inspirant non pas d’une conception ethnographique, mais d’une conception qui a su faire de la France, « soldat du droit et de la liberté », la nation des droits de l’homme, le seul catéchisme républicain, portant dans le monde une certaine idée de l’universalité du genre humain, que nous retrouvons en chacun de nos enfants, chacun de nos élèves, dans l’école de la République.

C’est une certaine idée de la France, et c’est une certaine idée de la République, qui fait de la liberté individuelle le fondement et le but imprescriptible de toute association politique, ne séparant jamais l’exigence intellectuelle, qui doit permettre à chacun de construire son jugement, de l’exigence morale, qui doit permettre de se donner à soi-même la règle et d’accéder à la démocratie politique, ce moment où le souverain se rassemble pour dépasser les intérêts particuliers et construire l’intérêt général. De tous les régimes politiques, la République est celui qui s’enorgueillit de s’appuyer sur la raison et sur les Lumières. C’est pourquoi la République, qui a besoin de républicains, a toujours confié à l’école la tâche essentielle de pérenniser son modèle démocratique et social.

C’est aussi, bien entendu, une certaine idée de l’école, qui doit produire un citoyen actif, éclairé, membre du souverain, une école qui doit aussi et surtout, aujourd’hui, produire un professionnel compétent, mais aussi permettre à chacun de conquérir la liberté de son jugement, de s’arracher à toutes les servitudes, de s’affranchir de toutes les oppressions, d’avoir accès au meilleur des œuvres de la culture, quel que soit son milieu d’origine, une idée de l’école de la République qui fait vivre un idéal de dignité pour chaque personne, à égalité de droits et de devoirs.

Notre école, l’école de la République, porte une très grande tradition. Vouloir la refonder, c’est la connaître et c’est la reconnaître. En ce sens, c’est d’abord pour nous un exercice d’humilité. Nous devons de la reconnaissance, bien sûr, à toutes les grandes figures héroïques et célèbres de notre histoire – le long cortège des hommes fiers, comme disait Régis Debray – qui nous ont précédés dans notre histoire séculaire, mais aussi aux millions de héros anonymes et modestes qui ont su maintenir, à travers les vicissitudes souvent tragiques de notre histoire, à la fois l’inspiration, l’exigence et l’idéal.

En rendant cet hommage, je rends également hommage à l’ensemble des enseignants qui, au quotidien, depuis maintenant un siècle et demi, font vivre l’idéal de l’école républicaine, démocratique, laïque, et font en sorte que chaque enfant de France puisse avoir accès au meilleur de notre culture.

C’est à cette source-là qu’il nous faut puiser à nouveau, non pas pour nous complaire dans je ne sais quelle nostalgie, non pas pour répéter une histoire qui, nous le savons, ne se répète jamais à l’identique, mais pour être à la hauteur de notre tâche, dont l’école de la République a dit sans cesse qu’elle était une tâche infinie, parce qu’elle récuse à la fois le dogmatisme de ceux qui prétendent posséder la vérité, mais aussi le scepticisme de ceux qui renoncent à la chercher.

Cette tradition n’appartient à personne parce qu’elle appartient à tous, sur l’ensemble des bancs de cette assemblée. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’être capable, autour de notre école, à la fois de nous dépasser – c’est bien l’idée de la refondation républicaine – et de nous rassembler. L’école peut, et elle doit, rassembler les Français. C’est son enseignement premier de respecter le point de vue de l’autre, de s’en enrichir et de construire, alors que l’erreur et le mensonge divisent, une vérité qui puisse rassembler toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté. Les professeurs de nos écoles enseignent aux enfants ces principes issus de la grande tradition de la psychologie française. Le petit enfant est d’abord égocentrique, il se croit le centre du monde – un peu comme le croyait le chien de M. Bergeret chez Anatole France. Tout le processus de développement de l’enfant est un processus de décentration. C’est d’ailleurs ce qui fait la vertu du débat démocratique.

Bien entendu, je n’ignore pas que ce n’est pas la même chose de supprimer 80 000 postes ou d’en créer 60 000, de supprimer la formation des professeurs ou de la rétablir (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC), de passer brutalement à la semaine de quatre jours ou de chercher à redonner du temps aux élèves pour apprendre. Mais, malgré cela, de la loi Jospin à la loi Fillon, il y a dans notre République une inspiration qui se poursuit et se reprend. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Et chacun sait, moi le premier, que les difficultés de nos élèves ne datent pas seulement de ces dernières années – le grand historien Antoine Prost le rappelait récemment. C’est pourquoi, contrairement à d’autres, quand une orientation est bonne, j’ai la capacité de la saluer et de la poursuivre.

M. Xavier Breton. Nous aussi !

M. Vincent Peillon, ministre. C’est vrai pour les décrocheurs, les langues étrangères, les équipes mobiles de sécurité et le socle commun de connaissances et de compétences. Nous devons être capables, dans ce débat, si vous le souhaitez, de dépasser les postures partisanes…

M. Xavier Breton. À condition d’être d’accord avec vous !

M. Vincent Peillon, ministre. …qui nous font toujours perdre trop de temps, et nous en avons déjà perdu beaucoup.

M. Patrick Ollier. Ce n’est pas le chemin que vous prenez, monsieur le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre. La méthode que je vous propose est une méthode de rassemblement. Nous sommes ici non pas pour faire œuvre singulière, mais pour faire œuvre patriotique. Nous sommes ici non pas pour faire œuvre d’originalité – certains voudraient soudain rebâtir de la cave au plafond ce qu’ils ont eux-mêmes détruit – mais pour faire œuvre collective.

Qu’y a-t-il de partisan – je vous le demande, cher Rudy Salles – à vouloir enfin dans ce pays accorder la priorité au primaire, alors que nous savons bien que tous les destins scolaires et sociaux se jouent dès les premières années ?

M. Patrick Ollier. C’est votre attitude qui est partisane !

M. Vincent Peillon, ministre. Qu’y a-t-il de polémique, de diviseur ou de partisan à vouloir faire en sorte qu’on accueille les enfants de moins de trois ans, un objectif que la Suède souhaite également poursuivre ? Qu’y a-t-il de partisan à vouloir consacrer à l’apprentissage des fondamentaux et au traitement des difficultés scolaires des moyens qui n’ont pas été accordés jusque-là ? Qu’y a-t-il de polémique, de diviseur ou de partisan à vouloir construire à nouveau dans ce pays une formation des enseignants, alors même que, chacun le sait, la qualité de celle-ci constitue un facteur essentiel de réussite pour les élèves ? Qu’y a-t-il de polémique, de diviseur ou de partisan, si on avance avec bonne volonté et bonne foi, à vouloir redonner à nos élèves le temps d’apprendre et à nos professeurs le temps d’enseigner ?

Je veux que nous soyons capables de nous inscrire dans une tradition, de nous rassembler et d’agir avec méthode et simplicité. Descartes écrivait qu’il convient de diviser les difficultés en autant de parcelles qu’il faut pour les résoudre. Notre système éducatif en a bien besoin. Et il ajoutait que pour rechercher la vérité, il est utile de procéder méthodiquement en commençant par le commencement. C’est un précepte que je veux suivre.

C’est pourquoi la refondation de l’école de la République, qui s’inscrit dans la tradition et vise à rassembler, s’attache pour commencer aux fondements mêmes de notre système éducatif. Une erreur fréquente et ancienne a été de vouloir commencer par le point d’arrivée pour privilégier – c’est arrivé souvent dans l’histoire de notre pays – les enfants des classes les plus favorisées.

Nous devons être capables – c’est le sens même de la refondation – de poser des fondements solides. Le premier de ces fondements, c’est bien entendu la priorité au primaire. Le second fondement, c’est la possibilité de former à nouveau les enseignants et de leur apprendre un métier exigeant et difficile qui mérite la reconnaissance et l’estime de la nation. Le troisième, c’est d’être capable de donner du temps à ceux qui en ont besoin pour enseigner ou pour apprendre.

Voilà des principes simples, dont j’entends toutefois ici ou là qu’ils seraient insuffisants pour proposer une grande loi.

M. Benoist Apparu. Vous avez bien lu !

M. Vincent Peillon, ministre. Je pense exactement l’inverse. Et c’est précisément parce que personne n’a eu jusqu’ici le courage de proposer une telle loi, et qu’on a préféré ouvrir des débats subalternes ou lancer des attaques sur les moyens, que l’école de la République se trouve dans la situation où elle est aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Si vous vouliez construire du solide et aller jusqu’au bout des réformes, ce que je crois volontiers, il aurait fallu commencer par assurer des fondations solides à notre système éducatif. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Car la réalité est implacable : dans notre pays, près de 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification ni diplôme chaque année. La réalité, c’est que nous sommes un des pays de l’OCDE où les origines socio-économiques influencent le plus les destins scolaires et où les inégalités s’accroissent. La réalité, c’est que les performances scolaires de nos élèves se détériorent année après année ; près de 25 % des élèves ont aujourd’hui des acquis fragiles en fin de collège.

L’ensemble des spécialistes reconnaissent les causes de cet état de fait, qui sont simples : nous n’accordons pas la priorité au primaire, nous ne formons pas nos enseignants, nous ne donnons pas de temps aux enfants pour apprendre. Nous faisons même exactement l’inverse : vous avez supprimé la formation des enseignants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Patrick Hetzel. C’est ridicule !

M. Vincent Peillon, ministre. …vous avez limité le nombre de jours de classe et vous avez enlevé des moyens à l’école de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est pourquoi nous devons inverser ce mouvement et c’est pourquoi nous voulons reconstruire sur des bases solides.

M. Xavier Breton. Quelle volonté de rassemblement !

M. Vincent Peillon, ministre. Je ferai une deuxième observation. Certains considèrent que cette loi ne serait pas à la hauteur de son intention. Puis-je, en toute bonne foi, leur adresser quelques questions simples ? Est-ce peu de chose, après que vous avez supprimé 80 000 postes en cinq ans, d’en créer 60 000 en cinq ans dans le contexte budgétaire que vous nous avez laissé et que nous connaissons ? Est-ce si peu de chose, dans un pays qui n’a jamais accordé au primaire et aux premiers apprentissages la priorité nécessaire, de consacrer à ce moment de la scolarité deux tiers des nouveaux postes, dont plusieurs milliers visent à mettre en œuvre des pédagogies nouvelles et à traiter réellement la difficulté scolaire ? Est-ce si peu de chose, alors que l’on a supprimé la formation des enseignants et l’année de stage, de rétablir celle-ci et de créer les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, consacrant ainsi 27 000 postes à une entrée progressive des enseignants dans le métier ? Est-ce si peu de chose que de se doter d’un parcours d’orientation et d’information pour tous les élèves, alors même que beaucoup d’entre eux subissent aujourd’hui des orientations qui les conduisent jusqu’au décrochage ? Est-ce si peu de chose de proposer un conseil pédagogique commun à l’école et au collège, de créer un nouveau service public du numérique éducatif ? Est-ce si peu de chose, lorsqu’on voit les résultats des élèves français en langue étrangère, de rendre obligatoire l’apprentissage d’une langue étrangère dès le cours préparatoire ?

Soutenir que cela est peu de chose n’est pas sérieux et témoigne de beaucoup de mépris à l’égard de l’école. C’est ignorer profondément son histoire. C’est ne pas être capable de distinguer l’essentiel de l’accessoire. C’est vouloir détourner l’attention de nos concitoyens de la véritable révolution pédagogique que nous mettons en œuvre dans ce pays, nous qui voulons enfin accorder à l’école primaire la priorité qu’elle mérite, à la formation des enseignants la reconnaissance dont ces derniers ont besoin, et faire primer dans le choix du temps scolaire l’intérêt de l’élève sur tous les intérêts particuliers qui nous ont conduits à cette situation difficile.

La loi, bien entendu – et qui le penserait ? – ne va pas résoudre d’elle-même toutes les difficultés.

M. Benoist Apparu. Nous sommes bien d’accord !

M. Vincent Peillon, ministre. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons commencé à agir bien avant son élaboration. Aucun gouvernement n’a autant agi pour l’école en si peu de temps. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dès la rentrée 2012, alors que vous aviez programmé 14 000 suppressions de postes, monsieur Chatel, nous avons créé 1 000 emplois de professeurs des écoles, que vous n’avez d’ailleurs pas refusés dans vos circonscriptions. Près de 300 classes ont été rouvertes en zone rurale, ainsi que 100 postes de réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté, ou RASED. Nous avons mis en place 100 conseillers principaux d’éducation, 2 000 assistants d’éducation et 1 500 auxiliaires de vie scolaire individualisés pour accompagner les enfants en situation de handicap. Alors que vous expliquiez à la France entière que nous étions incapables de recruter des professeurs tant vous aviez dévalorisé ce métier, nous avons organisé deux concours, recruté dès cette année 40 000 professeurs et obtenu 50 % d’inscrits en plus aux concours de recrutement des professeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Parce qu’il fallait restaurer la promesse républicaine et permettre à des étudiants boursiers de se consacrer à leur vocation, nous avons fait voter le projet « emploi d’avenir professeur » ; plusieurs milliers d’étudiants se sont déjà inscrits dans ce parcours, qui leur permettra de réaliser leur vocation. Nous avons recruté dès la rentrée 500 assistants chargés de prévention et de sécurité, un métier qu’il a fallu créer et pour l’exercice duquel nous avons dû former du personnel. Et pour la première fois dans l’histoire de l’éducation nationale, nous avons installé une délégation de lutte contre les violences en milieu scolaire.

Nous avons développé et engagé une stratégie nationale pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique et dans le XXIe siècle. Nous avons lancé un dispositif « objectif formation-emploi » avec le concours du service civique et nous nous sommes fixé pour objectif de raccrocher 20 000 jeunes décrocheurs d’ici à la fin de l’année 2013. Cet engagement sera tenu.

Cette action ne se limitera pas non plus à une loi. Nous posons les bases d’une rénovation en profondeur de l’école de la République. Mais le véritable temps de l’action publique, ce n’est pas celui de l’émotion, ce n’est pas celui de la polémique ; c’est celui de la raison et de la constance. Il y a une loi de refondation, il y aura aussi un agenda de la refondation qui se déploiera durant tout le quinquennat de telle sorte que, après avoir donné la priorité au primaire, nous suivrons un ordre méthodique et continuerons par le collège puis par le lycée. Parce qu’il s’agit de refonder l’école de la République, nous avons à renouer avec le temps long de la véritable action publique, celle qui se juge à ses résultats et qui ne se soumet pas à la dictature de l’instant.

Cette loi que je vous présente aujourd’hui et dont nous allons débattre toute la semaine, je voudrais vous en présenter brièvement les principaux aspects.

Il s’agit tout d’abord d’une loi de programmation, la première du quinquennat. Le Président de la République a pris l’engagement de créer 60 000 postes sur cinq ans et cet engagement sera tenu : 5 000 postes seront consacrés à l’enseignement supérieur, piloté par ma collègue Geneviève Fioraso, que je salue ; 1 000 postes seront consacrés à l’enseignement agricole – nous y travaillons avec Stéphane Le Foll – et 54 000 postes à l’éducation nationale.

La moitié de ces postes permettra de reconstituer l’année de stage, soit 27 000 emplois. Deux tiers des postes seront affectés au primaire. Il s’agira à chaque fois de renforcer et de favoriser des pratiques pédagogiques innovantes, toujours en visant en priorité les zones les plus défavorisées. 7 000 postes sont ainsi prévus pour le dispositif « plus de maîtres que de classes », qui permet de traiter la difficulté scolaire dans la classe et de travailler différemment, tandis que 3 000 postes sont affectés à l’accueil des enfants de moins de trois ans, d’abord dans les territoires les plus en difficulté ; de récentes études viennent d’ailleurs de montrer à quel point cela peut être efficace. Et 4 000 postes sont prévus pour les établissements du secondaire les plus en difficulté, en particulier les collèges.

Pour faire face aux évolutions démographiques qui se profilent, 4 000 postes et 3 000 postes sont prévus respectivement dans le premier et le second degrés. Enfin, 6 000 postes sont programmés pour accueillir les élèves en situation de handicap – j’y veille aux côtés de Marie-Arlette Carlotti – ainsi que pour améliorer la vie des établissements et des services académiques.

J’entends certains qui s’interrogent pour savoir si ces moyens sont nécessaires.

M. Benoist Apparu. On peut poser la question !

M. Vincent Peillon, ministre. Il serait judicieux de s’interroger pour savoir s’ils sont suffisants. Mais nécessaires, ils le sont absolument.

Ces moyens sont nécessaires parce qu’ils permettent d’améliorer les taux d’encadrement, et le taux d’encadrement de la France dans le primaire est le plus bas de tous les pays de l’OCDE. Ces moyens sont nécessaires parce qu’ils permettent d’assurer les remplacements, et, après cinq années de saignées, nous ne sommes plus en mesure de mettre des remplaçants en face des élèves, que ce soit à l’école publique élémentaire ou au lycée. Ils sont nécessaires parce qu’ils permettent d’accueillir les enfants de moins de trois ans, et nous sommes passés entre 2002 et 2012 de 35 % à 11 % pour la proportion d’enfants de moins de trois ans accueillis à l’école. Ils sont nécessaires parce qu’ils rendent possible la formation initiale des enseignants, pour lesquels c’est une considérable revalorisation de permettre à nouveau l’année de stage ; celle-ci requiert en effet un montant de 800 millions d’euros. Ils sont nécessaires parce qu’ils permettent également d’accompagner les enfants en situation de handicap, parce qu’ils assurent la présence d’adultes dans les établissements, et donc la sécurité nécessaire à l’acte d’enseignement, parce qu’ils permettent enfin le traitement de la grande difficulté scolaire, alors que vous avez démantelé les réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté, un tiers de ces postes ayant été supprimés au cours des cinq dernières années.

M. Benoist Apparu. Pourquoi ne les recréez-vous pas tous ?

M. Vincent Peillon, ministre. Mais ces moyens ne sont pleinement utiles que s’ils servent aussi des objectifs pédagogiques et une exigence portée par toute la communauté éducative.

Il nous faut d’abord – et chacun doit mesurer l’importance de cette priorité – accorder au primaire l’essentiel des moyens. Cela ne s’est jamais produit dans notre pays. C’est une action qui suppose d’agir sur une multitude de facteurs : l’accueil des plus petits – je viens de le dire ; de nouveaux principes pédagogiques, plus de maîtres que de classes ; la redéfinition des cycles ; le respect retrouvé pour la spécificité de l’école maternelle française, que l’on nous envie partout dans le monde ; la redéfinition de nos programmes ; une meilleure articulation entre l’école et le collège ; sans oublier aussi, bien entendu, une formation initiale des professeurs qui soit à la hauteur de leur tâche et la reconnaissance par la nation de l’importance de leur mission.

Cela suppose aussi des rythmes scolaires adaptés, qui permettent aux enfants d’avoir le temps d’étudier et d’apprendre au cours de journées moins chargées tout en étant plus complètes et de semaines plus harmonieuses. Je le redis au cas où certains ne l’auraient toujours pas compris : la priorité au primaire est un projet de grande ampleur, qui marque une rupture et un temps nouveau pour l’école de la République. Ce sera la condition de la réussite de tous les élèves, tel est bien l’objectif que nous devons nous fixer en commun.

Il nous faudra progressivement, par le moyen des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, développer des pédagogies de la confiance qui valorisent les talents de chacun, mais aussi l’initiative et la coopération, qui exercent à l’apprentissage, qui encouragent plutôt qu’elles ne découragent, qui ouvrent sur les œuvres les plus riches de la culture et permettent l’épanouissement de soi.

Dans cette école, chaque élève, quel que soit son milieu d’origine, doit être appelé à donner le meilleur de lui-même. Il doit se préparer à respecter les autres et à se respecter soi-même – ce qui est une seule et même chose. Il doit, pour vivre dans un monde ouvert, maîtriser une langue étrangère. Il lui faut aussi apprendre à utiliser les technologies de l’information et de la communication dans des démarches actives, critiques et toujours riches pédagogiquement.

Dans ce projet, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, que nous mettons en place avec Geneviève Fioraso, ne marquent pas un retour vers le passé. Quand quelque chose de neuf se produit, il faut être capable de le saluer. Les ESPE ne sont ni les écoles normales, ni les IUFM. En effet, elles permettront de rassembler dans une même entrée progressive et professionnalisante dans le métier d’enseignant ceux qui se destinent à tous les niveaux de l’enseignement. Que l’on souhaite enseigner demain à l’école maternelle – car nous remettons en place une formation pour les écoles maternelles, qui a disparu – ou à l’université, on doit être capable de partager des valeurs et une vision communes.

Ces apprentissages professionnels ne se substituent en aucun cas à l’excellence disciplinaire. Tout au contraire, ils viennent la compléter. Ils doivent pouvoir être suivis dès les années de licence par celles et ceux qui ont la vocation de transmettre et d’enseigner, d’instruire et d’éduquer. Avec la didactique, la recherche, la sociologie, la psychologie cognitive, la psychologie du développement, les sciences de l’éducation, les usages du numérique, la lutte contre les stéréotypes, la morale laïque, les droits et les devoirs du fonctionnaire, les philosophies de l’éducation, l’étude des systèmes étrangers, la lutte contre la violence, chacune et chacun doit pouvoir trouver dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation de quoi construire sa compétence, sa légitimité et son autorité de professeur.

De même, les professeurs devront pouvoir y travailler avec tous les autres métiers de l’éducation, ainsi qu’avec les professionnels des autres ministères – ceux de la culture, de la jeunesse et des sports, de l’environnement, de la santé, de la police, de la justice et de la formation professionnelle – sans oublier les représentants des grandes associations avec lesquels ils auront à travailler tout au long de carrières dont nous aurons d’ailleurs à redéfinir les missions et le déroulement.

Les universités se sont engagées avec détermination, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans la construction de ces écoles. Ce n’était pas chose aisée. Là encore, nous avons hérité d’un passif important, à savoir le divorce de nos deux ministères, lequel avait conduit à la suppression de la formation des enseignants.

Les meilleurs de nos universitaires et de nos praticiens devront travailler ensemble dans une culture partagée et respectueuse pour former les centaines de milliers de professeurs dont la France aura besoin dans les années à venir.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Bien entendu, il faudra du temps, des efforts et de la persévérance pour que ces écoles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Mais chacun doit garder présent à l’esprit que le levier le plus efficace pour la réussite des élèves, c’est la formation initiale et continue des professeurs. Lundi prochain, l’OCDE tiendra d’ailleurs à Paris un grand colloque international pour soutenir cette démarche et rappeler que c’est bien là le facteur essentiel d’une grande ambition éducative.

Le numérique, on le sait, modifie profondément l’accès à l’information et la transmission des connaissances ; il bouleverse notre relation au savoir. L’école ne peut pas l’ignorer. Elle ne peut pas non plus se contenter de subir passivement cette mutation décisive. C’est pourquoi nous formerons les jeunes au numérique, pour qu’ils maîtrisent ces outils indispensables à tous les aspects de leur vie. Nous les formerons aussi par le numérique, car c’est un puissant levier de rénovation des pratiques pédagogiques, pour une plus grande réussite scolaire. Le numérique sera là pour aider le maître et l’élève ; il sera un moyen, mais jamais une fin.

C’est pourquoi je tiens à souligner devant vous l’importance de la création du service public du numérique éducatif. Ce n’est pas tous les jours que l’on crée un nouveau service public dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Ce sera, de surcroît, un vrai service public, c’est-à-dire gratuit et respectant les principes fondamentaux des services publics à la française : égalité d’accès de tous au service, continuité et qualité du service. Ce sera aussi un important vecteur de réduction des inégalités scolaires. Nous ne voulons pas que la seule réponse à l’échec scolaire et à la dette éducative soit le recours aux instituts privés qui proposent du bachotage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

De la même façon, même si elle ne relève pas de la loi, la modification des rythmes scolaires devra être conduite dans la durée. Elle doit bien entendu concerner l’école élémentaire. Chacun convient en effet que la semaine de quatre jours n’a pas été une bonne chose.

M. Régis Juanico. Eh oui !

M. Vincent Peillon, ministre. Mais il faudra aussi penser aux collégiens et aux lycéens, pour lesquels les journées sont souvent inutilement lourdes et l’année trop déséquilibrée. Nous ne pouvons pas nous plaindre à longueur de temps de la détérioration de nos performances scolaires, de l’accroissement des inégalités entre les jeunes Français et du trop grand nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans diplômes ou qualifications et ne rien vouloir changer, alors même que les causes de ce déclin sont clairement identifiées par tous, très au-delà des polémiques et des clivages partisans qu’il est déshonorant de vouloir reconstituer une nouvelle fois sur ces sujets, au détriment de notre jeunesse, voire de l’intérêt général. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Benoist Apparu et M. Luc Chatel. Et vous, que faites-vous ?

M. Vincent Peillon, ministre. De nouveaux chantiers sont ouverts : ceux du collège, de l’éducation prioritaire et des lycées professionnels. Aucun sujet ne saurait être tabou – et certainement pas celui du métier d’enseignant, de ses missions et de sa valorisation.

M. Benoist Apparu. Il n’y a rien dans le texte !

M. Pascal Popelin. Un peu de modestie, monsieur Apparu !

M. Vincent Peillon, ministre. En rénovant les instruments démocratiques qui permettent que la nation dans son ensemble décide de l’instruction et de l’éducation qu’elle veut pour ses enfants ; en remettant en place un conseil supérieur des programmes ; en associant mieux les collectivités locales ; en composant un nouveau conseil de l’évaluation réellement indépendant et non prescripteur ; en veillant à associer davantage et pour la première fois la représentation nationale à ces grands choix de société, nous ouvrons une porte sur l’avenir et nous permettons le rassemblement nécessaire.

C’est le même esprit de responsabilité qui nous guide lorsque nous souhaitons mieux associer État et régions à la définition des cartes de formation professionnelle, lorsque nous nous soucions que chaque enfant de la République ait droit à un parcours d’orientation et d’information sur les formations et les métiers lui permettant de construire son projet ou lorsque nous voulons, avec ma collègue Aurélie Filipetti, offrir à chacun un parcours d’éducation artistique et culturelle.

M. Benoist Apparu. Il n’y a aucun budget !

M. Vincent Peillon, ministre. Là encore, nous sommes fidèles à cette grande tradition de la République enseignante qui veut une éducation libérale, c’est-à-dire que chaque enfant puisse avoir accès au meilleur de la culture et aux arts libéraux et qui, en même temps, défend l’enseignement professionnel en soutenant, comme le faisait Jules Ferry dans son discours de Vierzon, que « relever l’atelier, c’est relever la patrie ».

Mesdames et messieurs les députés, refonder l’école de la République est une tâche pour tous les républicains, qui suppose de la rigueur, de la patience, des convictions et un idéal vivant et généreux. Comme la République, elle est un acte de confiance. C’est le choix de ceux qui nous ont précédés : faire confiance à la liberté de chacun et considérer que tout homme, toute femme, tout enfant peut être instruit et doit être éduqué. La vertu des pédagogues est la même que celle des politiques ; chez les uns comme chez les autres elle est rare. Il faut être attentif à ce qui permet à chacun de progresser et de donner le meilleur de lui-même, de façon à ce qu’il témoigne en lui-même de toute l’humanité.

La France d’aujourd’hui, nous le savons, se complaît beaucoup trop dans la morosité ; Elle a du mal à discerner son avenir, à mobiliser son courage et à trouver son espérance. Certains peuvent encore croire, qui demandent davantage d’efforts de rigueur et de compétitivité, que toutes ces exigences sont d’abord des nécessités matérielles imposées par je ne sais quelle fatalité, des contraintes physiques ; c’est une vision réductrice.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est vrai !

M. Vincent Peillon, ministre. Ce qui fait la grandeur d’un peuple, c’est son idéal, mais aussi ses vertus intellectuelles et morales. L’effort, le mérite, le courage et l’honnêteté ne seront jamais des chiffres de l’INSEE ou de la Commission européenne ; ce sont des vertus de caractère et d’esprit.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Ces vertus, dont nous avons grand besoin pour répondre aux défis qui sont les nôtres, c’est à l’école qu’il faut les apprendre ; c’est donc à l’école qu’il revient de les enseigner. La France ne peut pas se permettre de voir ses performances scolaires décliner, les inégalités entre ses enfants s’accroître, trop de jeunes sortir chaque année du système scolaire sans diplôme ou qualification, tant d’élèves français – 25 % – en difficulté à l’entrée au collège.

Être rigoureux et juste dans nos raisonnements, précis dans nos argumentations, respectueux dans nos comportements, dévoués dans nos engagements et constants dans notre action, tout cela relève des vertus que l’école de la République doit enseigner. La refondation de notre école n’est pas une réforme à côté d’autres ; c’est la condition même de la réussite de toutes les autres réformes et du redressement de la nation.

C’est pourquoi, si nous voulons surmonter la crise de l’avenir et la crise de l’identité nationale que nous traversons depuis plusieurs décennies, nous devons faire de l’école notre premier investissement et notre bien commun. Encore une fois, la refondation de notre école sera la condition de ce redressement.

Mesdames et messieurs les députés, notre débat va commencer. Vous avez déjà, lors des travaux de la commission, enrichi fortement notre texte sur de nombreux points ; je vous en remercie.

Si je n’ai pas souhaité être présent lors de l’examen en commission, ce n’est pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre, par manque de respect ou d’intérêt, mais très exactement pour la raison inverse : c’est l’esprit des institutions réformées en 2008 qui me commandait de laisser aux débats des parlementaires leur pleine liberté. Il y a le temps de la commission et il y a le temps de la séance.

Permettez-moi de saluer le président Patrick Bloche, qui a conduit en commission des débats précis et fructueux. Plus de 600 amendements ont été déposés et – combien de textes ont-ils permis cela ? – 200, venant de tous les groupes, ont d’ores et déjà été adoptés. Je salue le travail du rapporteur, Yves Durand, qui est, comme nous, au début d’une longue semaine.

Vos travaux ont permis de promouvoir le concept d’inclusion scolaire. C’est la définition d’une nouvelle approche de la scolarisation des enfants en situation de handicap. C’est une bonne chose. Nous allons intégrer ces amendements dans le texte de loi et faire en sorte qu’ils ne figurent pas seulement dans le rapport annexé.

Vos travaux ont également permis, grâce à des propositions venant de l’ensemble des bancs, d’importantes avancées en matière de langues régionales. Le rapport annexé reconnaît le bénéfice qu’il y a pour un entant à apprendre très tôt une langue régionale, au même titre qu’une langue étrangère.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Enfin, je tiens à saluer votre commission pour son travail sur les valeurs et les symboles de la République. Vous avez proposé, dans le rapport annexé, que la devise de la République et le drapeau tricolore soient apposés sur la façade de tout établissement scolaire et que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 soit affichée dans tous les établissements.

Ces dispositions vont tout à fait dans le sens de ce que je souhaite. Elles augurent d’un débat riche et constructif autour de l’enseignement des valeurs de la République et de la morale laïque, que j’attends avec gourmandise.

Nous poursuivons, avec la nation tout entière, le même but : la réussite de tous les élèves. Cette réussite sera la réussite de la France. Si certains cherchent encore une cause qui les dépasse et qui est à même de nous rassembler, qu’ils ne cherchent pas davantage : c’est l’école, toujours l’école, encore l’école !

Vous voulez une France capable de vaincre le chômage : l’école doit mieux former la jeunesse et la préparer aux métiers de demain. Vous voulez une France capable de renouer avec la prospérité, la confiance, la compétitivité : il nous faut élever le niveau d’instruction, de qualification de la jeunesse, lui donner force et confiance, parce qu’elle est notre meilleur atout. Vous voulez une France où chacun pourra avoir sa chance et où la justice ne sera pas une hypocrisie : alors nous devons transmettre nos valeurs, qui sont généreuses, nobles et fortes. Nous devons instruire, éduquer et faire grandir.

Si nous faisons l’économie de cette tâche, si la paresse, le cynisme ou l’esprit partisan reprennent le dessus, on pourra toujours chanter la même chanson : la France ne se redressera pas, elle continuera son lent déclin, les forces d’inertie et d’abaissement l’auront emporté. Si, à l’inverse, nous engageons ensemble cette refondation, dans le sérieux et le respect de chacun, nous donnerons une chance à l’espoir.

Je compte sur vous tous, afin que ce débat permette de redonner à la promesse républicaine toute sa force et à notre pays l’espérance dont il a tant besoin ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Durand, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Yves Durand, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en présentant le rapport au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je me fais l’écho des vingt heures de débat au sein de notre commission, mais aussi des 120 auditions auxquelles nous avons procédé et de la grande concertation nationale qui a réuni, l’été durant, des centaines d’acteurs de l’éducation et de partenaires de l’école.

Cette loi d’orientation et de programmation en est le fruit. Tout ce travail est le signe d’une volonté partagée de faire de l’école de la République un véritable projet collectif.

Comme la tonalité des débats en commission l’a démontré, la loi que nous examinons aujourd’hui est la traduction du désir d’école, désir qui devrait nous rassembler.

En effet, au-delà de la recherche quelque peu stérile des responsabilités historiques des uns et des autres, nous partageons le même constat. L’école échoue dans sa mission : les résultats du système éducatif français se dégradent, les inégalités se creusent à l’école, et, pire encore, par l’école. Personne ne peut contester les conséquences économiques et les conséquences humaines de cet échec.

Ce constat doit nous amener à nous mobiliser autour des grandes orientations du projet de loi, comme le laissent à penser les débats en commission, très constructifs. Parmi ces grandes orientations, trois nous ont semblé particulièrement refondatrices.

La première consiste à définir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. C’est une idée qui n’est pas neuve, puisqu’elle répond aux enjeux de la massification née dans les années 1970 – chacun se rappelle la réforme Haby sur le collège unique, que certains voudraient d’ailleurs remettre en cause aujourd’hui. Ce socle commun, inscrit dans la loi de 2005, n’a jamais été réellement mis en œuvre. Il ne peut en effet se réduire à une table de connaissances et de compétences. Il doit faire sens pour chaque élève et, au titre d’une culture commune à tous, ouvrir des perspectives à chacun d’entre eux. D’où le triptyque : socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

M. Frédéric Reiss. Mais quel en sera le contenu ?

M. Yves Durand, rapporteur. Certains d’entre nous, notamment dans l’opposition – nous en avons débattu longuement en commission –, ont contesté l’introduction de la culture dans ce que doit maîtriser chaque élève à la sortie de l’enseignement obligatoire. Au contraire, c’est avec et par la culture que chacun pourra donner un sens aux savoirs qu’il aura acquis. L’ajout du mot « culture » au socle commun de connaissances et de compétences, au-delà du débat sémantique, procède d’une ambition : que chaque jeune maîtrise enfin ce dont il aura besoin pour affronter le monde contemporain.

La deuxième orientation, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, consiste à donner la priorité au primaire. Elle vise aussi à réaffirmer le rôle de l’école maternelle, qui doit devenir une école à part entière. Dans cette optique, en faire un cycle particulier est fondamental.

Il faut enfin commencer par le commencement. C’est dans le primaire que tout commence, et, hélas, que tout finit parfois, car c’est là que les inégalités sociales et scolaires se creusent.

Donner la priorité au primaire ne consiste pas uniquement à rééquilibrer les moyens en sa faveur, mais surtout à permettre d’y enseigner autrement. C’est « mieux » d’école, tout autant que « plus » d’école.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Très bien !

M. Yves Durand, rapporteur. Cette orientation permettra d’appliquer enfin les cycles d’apprentissage inscrits dans la loi Jospin de 1989, largement oubliés dans la réalité. Réaffirmer leur nécessité, c’est marquer là aussi une ambition pour le primaire.

Cette orientation permettra de suivre individuellement les élèves et de répondre à leurs difficultés dès qu’elles apparaissent, et même avant qu’elles n’apparaissent. La mesure du « plus de maîtres que de classes » montre qu’il ne peut y avoir opposition entre les moyens et les résultats, entre le technique et le politique, entre ce que certains appellent le « quantitatif », et le « qualitatif ». Six maîtres pour cinq classes, ce n’est pas uniquement un maître de plus dans une école, c’est un véritable levier de transformation pédagogique, le moyen de travailler autrement.

Les travaux en commission ont dégagé semble-t-il un accord sur cette orientation, alors qu’elle représente une rupture avec les réformes précédentes, qui commençaient par les perspectives avant de s’attaquer aux fondements : on a réformé l’université puis le lycée, avant de penser à la base qu’est l’école primaire et sa nécessaire continuité dans le collège, concrétisée par un cycle commun CM2/sixième et par la création d’un conseil école/collège.

Vous avez insisté particulièrement sur la troisième orientation refondatrice, monsieur le ministre : repenser la formation des maîtres, sans laquelle rien n’est possible. Seule la maîtrise du métier d’enseignant permet de réaliser l’acte éducatif. Les pratiques pédagogiques et leur évolution, dont celle intégrant le numérique – nous en discuterons – sont au cœur de ce projet. Pour la première fois depuis longtemps, une loi aborde, outre les structures de l’école, les pratiques pédagogiques.

La refondation ne peut être que pédagogique. La réforme de la formation initiale des enseignants sera donc fondée sur une entrée progressive dans le métier avec une professionnalisation – enfin ! – dès la licence et l’acquisition d’un master professionnel, le premier marqueur d’une identité professionnelle étant la qualité de la formation qui conduit au métier. Jusqu’ici, la France présentait cette extraordinaire particularité, monsieur Chatel, d’être un pays où l’enseignement était le seul métier qui ne s’apprenne pas.

Pour organiser cette formation, le projet de loi prévoit la création d’une école supérieure du professorat et de l’éducation, qui formera les enseignants de l’école maternelle à l’université ainsi que les personnels d’éducation, au sens large du terme.

Remplaçant les instituts universitaires de formation des maîtres sans les recréer, ces structures auront, madame la ministre, le statut d’écoles internes aux universités et fonctionneront sur un budget de projets. Fortement encadrées par l’État, elles s’inscriront dans un cadre national des formations, afin de créer un véritable esprit d’école.

C’est sans doute sur la formation des enseignants, sujet majeur, que la démarche de concertation s’est montrée particulièrement efficace cet été. Source de bien des divergences et de bien des clivages au départ, la nécessité de la professionnalisation du métier d’enseignant est aujourd’hui admise par tous. Les dispositions du projet de loi ne peuvent cependant fermer la porte à une réflexion concertée sur le métier d’enseignant au XXIe siècle.

Mes chers collègues, en votant cette loi, nous jetterons les fondations de l’école dont notre démocratie a besoin : celle qui transmet les savoirs, les connaissances et les savoir-faire, mais aussi les valeurs de la République dans le cadre d’un enseignement civique et moral.

Certains nous ont reproché d’inscrire une morale laïque dans le cadre de l’école. Pourquoi interdirions-nous à l’école de la République d’inculquer, de transmettre, de mettre en évidence ce qui rassemble les êtres humains au sein d’une même collectivité ? Ne laissons pas à d’autres ce soin.

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas le rôle de l’école !

M. Yves Durand, rapporteur. Je ne doute pas, monsieur Apparu, que nous aurons sur ce sujet un débat riche et franc.

Il s’agit bien d’une loi de refondation, qui ouvre une dynamique, qui met en perspective. Elle invite à poursuivre en permanence la construction de l’école, jusqu’à l’université, comme le suggère le rapport annexé.

Ce n’est pas une loi « clé en mains » ; elle permet au contraire de continuer à construire l’école de demain. D’ores et déjà, elle donne des outils pour le futur : le conseil national des programmes – supprimé par la loi de 2005, son absence a été mise en évidence –, le conseil supérieur de l’évaluation et le comité de suivi, proposé par votre rapporteur et accepté par la commission.

Mes chers collègues, le vote positif que votre commission a émis à la majorité ne clôt pas le débat sur l’école. Il est un appel à poursuivre, dans le même esprit de concertation, la construction d’une école juste et efficace pour le XXIe siècle.

Eu égard aux travaux de notre commission, je suis intimement persuadé que cet appel pour une école refondée doit pouvoir nous rassembler, parce que l’école appartient à la nation tout entière.

M. Benoist Apparu. Cet amendement-là aussi !

M. Yves Durand, rapporteur. Je ne voudrais pas conclure sans remercier tout particulièrement l’ensemble de nos collègues qui, pendant de longues heures, ont participé à des travaux riches. S’ils ont mis en évidence un certain nombre de divergences bien légitimes, je ne doute pas qu’elles seront, grâce à la richesse et la profondeur des débats, surmontées pour l’avenir de l’école et donc de la République.(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, monsieur, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vous cache pas que c’est avec un sentiment particulier que j’interviens aujourd’hui à cette tribune. Ce sentiment, c’est celui d’être partie prenante d’une belle et grande aventure, d’être au cœur d’une forte ambition et de contribuer à faire vivre la belle promesse républicaine d’égalité.

Le texte que nous présente le Gouvernement vise en effet, et les mots ont un sens, à refonder l’école de la République. Dès lors, il s’agit non de légiférer pour porter une énième réforme de l’éducation nationale au temps court, mais de proposer une réelle vision pour son avenir, au-delà même du temps d’une législature, du temps d’un ministre, et, a fortiori, du temps d’un débat.

Le Président de la République l’avait annoncé durant sa campagne et le réaffirme avec force et constance depuis son élection : il compte imprimer à son quinquennat la marque de la priorité à la jeunesse. En présentant ses vœux à Grenoble, le 23 janvier dernier, François Hollande a d’ailleurs rappelé qu’« aider la jeunesse, c’est donner un horizon à toute la France, à toute la société ». C’est en ce sens que la nouvelle politique intitulée « Priorité jeunesse » et adoptée dans le cadre d’un conseil interministériel, il y a quelques jours, révèle toute son importance. Cette nouvelle approche se doit d’être transversale tant changer l’action publique destinée aux jeunes amène à s’attacher à leur accès aux droits sociaux tout autant qu’à favoriser leur autonomie, à lutter contre les inégalités et les discriminations qui les touchent comme à encourager leur participation au débat public.

Mais donner la priorité à la jeunesse, au-delà de ces mesures fortes, c’est aussi et tout autant porter une grande ambition pour l’école que le Président de la République a rappelée avec force, le jour même de son investiture, lors de l’hommage qu’il a voulu rendre à Jules Ferry.

Dans son discours, François Hollande a rappelé, ce jour-là, en célébrant deux lois dues à l’obstination, à la volonté et au courage de Jules Ferry – celle du 16 juin 1881 relative à la gratuité de l’enseignement primaire et celle du 28 mars 1882 relative au caractère laïque et obligatoire de l’école – : « Dans l’histoire de la République, les grandes dates, les vraies étapes, les plus sûrs repères dans la marche du temps, ce sont les lois ».

Penser l’école a toujours été en France un acte fondateur pour lequel ont été sollicités de grands serviteurs de la République comme Condorcet et Jules Ferry, ou encore Paul Langevin et Henri Wallon.

C’est, je le crois profondément, le sens et l’ambition du projet de loi dont nous commençons à débattre aujourd’hui.

Je ne vais pas en détailler les dispositions après vous, monsieur le ministre, et après notre excellent rapporteur. Je crois néanmoins nécessaire d’insister sur le choix volontaire que vous avez fait de donner la priorité au primaire. Il est de notre responsabilité de miser et de porter nos efforts sur les niveaux où s’acquièrent les savoirs fondamentaux. C’est vraiment essentiel. Éviter que les inégalités ne se créent dès le début du parcours scolaire doit être un objectif majeur tant il est difficile voire impossible, par la suite, de rattraper le retard pris ou accumulé. C’est d’ailleurs le sens du « plus de maîtres que de classes », qui permettra un renouveau pédagogique dans les classes qui en ont le plus besoin, grâce à un réel changement du travail des enseignants avec leurs élèves. C’est le même objectif qui est poursuivi par la perspective de porter à 30 % la scolarisation des enfants de deux et trois ans, dans les secteurs défavorisés, d’ici trois ans.

Mais pour les plus grands, il s’agit aussi, par la définition des cycles d’enseignement, de permettre à chacun d’apprendre et de progresser à son rythme, c’est-à-dire selon un temps qui n’est pas forcément celui de l’année scolaire. Rendre exceptionnels les redoublements, le plus souvent inutiles, participera aussi au changement attendu. Enfin, et c’est primordial, la restauration de la formation des maîtres, par la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, est évidemment une mesure essentielle du dispositif.

On le voit bien, il s’agit de mettre en place un tout cohérent, avec un objectif commun : la réussite scolaire pour tous.

Notre commission travaille depuis déjà plusieurs semaines à l’examen de ce texte. Je veux saluer tous les collègues qui ont pris une part active aux travaux préparatoires et je tiens à rendre hommage en votre nom, si vous me le permettez, au rôle majeur joué par notre rapporteur Yves Durand, dont les compétences reconnues sur tous les bancs vont de pair avec un bel esprit d’ouverture.

Le dépôt et la discussion en commission de plus de 660 amendements a montré, s’il le fallait, tout l’intérêt qui est porté à ce projet de loi. Notre commission, si elle reste naturellement celle des affaires culturelles, est plus que jamais celle de l’éducation.

De ce point de vue, les frontières doivent être parfois utilement poreuses et, parce que ma conviction est forte en ce domaine, je tenais tout particulièrement à saluer l’encouragement donné par le projet de loi à l’accès à la culture. La mise en place du parcours d’éducation artistique et culturelle est primordiale tant l’éducation et la culture sont intimement liées.

Accès à la culture, instruction, orientation scolaire, les grands enjeux d’aujourd'hui étaient déjà portés par vos illustres prédécesseurs, monsieur le ministre. J’ai pour ma part, comme vous, un attachement particulier pour Jean Zay, si lumineux et si anticipateur dans sa conviction que la société avait tout à gagner à donner sa chance à tous et à former au mieux le plus grand nombre. Je n’oublie pas non plus la vision si actuelle qu’il avait des synergies à créer entre instruction, culture et loisirs.

Cette approche, me semble-t-il, nous la retrouvons dans la réforme des rythmes éducatifs. Écoles, collectivités territoriales, associations culturelles et sportives, mouvements d’éducation populaire ont ainsi l’opportunité, ensemble, de construire un cadre nouveau dans l’intérêt même des enfants, en organisant de manière globale leur temps de vie scolaire et leur accès à tout ce qui peut contribuer à les éduquer, à cultiver leurs corps comme leurs esprits, à en faire pleinement des citoyens. En ce sens, la réforme des rythmes éducatifs, si possible, si souhaitable, dès la prochaine rentrée scolaire, à Paris comme je l’espère, et dans tant d’autres cités, est une contribution décisive à la lutte contre les inégalités scolaires qui ne font que reproduire les inégalités socio-culturelles.

M. Benoist Apparu. Il y a peu de chances !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Nous le savons bien, le processus de refondation de l’école de la République est inévitablement un processus de longue haleine dont la loi constitue le socle.

Il faut des moyens, notamment budgétaires, pour servir cette ambition. Et nous n’avons de cesse de saluer l’effort exceptionnel du Gouvernement, dans un contexte de réduction impitoyable des déficits publics, qu’il s'agisse des mesures d’urgence pour la rentrée scolaire 2012, de la création de 16 000 « emplois d’avenir professeur » ou des milliers de recrutements inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013.

La loi est naturellement une étape essentielle mais, une fois qu’elle sera votée, il restera beaucoup à accomplir. Faire entrer l’école dans l’ère numérique, faire évoluer le contenu des enseignements, leur organisation, tout cela nécessitera énergie et conviction.

Vous n’en manquez pas, monsieur le ministre, tout comme vous, mesdames les ministres, et nous connaissons votre volonté et votre capacité à vouloir aller toujours plus loin, à porter toujours plus haut un grand dessein pour l’école de la République.

Vous définissez les vrais enjeux, faites preuve de pédagogie et emmenez avec vous ceux qui attendent depuis si longtemps une politique d’élévation de l’éducation nationale en redonnant à l’école la foi – inévitablement laïque – en ses capacités et, aux enfants et aux enseignants, l’envie d'apprendre et d’enseigner.

La très belle progression des inscriptions aux concours 2014 de recrutement des enseignants en est le meilleur témoignage. C’est un signe important de la reconnaissance du travail de revalorisation du métier d’enseignant qui est à l’œuvre.

Plus que jamais, l’école est le lieu où l’on doit donner le goût d’apprendre, de chercher, de savoir. Il faut pour cela que chacun ait la même chance d’accéder à cette découverte et la même chance de réussir. Aussi, permettre l’égalité de tous, c’est savoir donner plus de moyens à ceux qui en ont le plus besoin.

C’est une évidence de le dire, cela l’est moins quand il faut traduire dans les faits cet objectif d’égalité alors même que l’éducation nationale a été durablement affaiblie au long de ces dix dernières années et que le doute a pu saisir nombre d’acteurs éducatifs jusqu’à laisser percevoir parfois un véritable mal-être.

Mais pour un pays, faire le pari de la jeunesse et miser sur l’éducation, c'est tout simplement écrire son avenir. C’est en cela que la mobilisation ne peut être que l’affaire de tous, car c’est un enjeu pour la République tout entière.

C’est aussi pourquoi, monsieur le ministre, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui à la fois heureux et enthousiastes d’apporter notre contribution active et notre soutien déterminé à ce projet de loi qui, en recréant les conditions de la réussite éducative pour tous, refonde l’école de la République, cette école que nous aimons comme nous aimons la République, indivisible, laïque, démocratique et sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Benoist Apparu.

M. Benoist Apparu. Nous sommes déçus, monsieur le ministre, par votre projet de loi,…

M. Patrick Hetzel. Il est vide!

M. Benoist Apparu. ..parce que vous êtes arrivé à une période particulièrement intéressante pour notre système éducatif. Vous aviez, je crois, entre les mains, la possibilité de proposer une réforme qui aurait opéré une véritable refondation de notre système éducatif.

M. Jean-Pierre Blazy. Qu’espériez-vous ? Vous aviez tout cassé !

M. Benoist Apparu. Pourquoi aviez-vous cette chance historique entre les mains ? Tout d’abord parce que la majorité précédente, soyons réalistes, à tort ou à raison, n’a pas laissé un souvenir impérissable dans les milieux éducatifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Blazy. Voilà une vérité !

M. Benoist Apparu. Assumons cette réalité, à tort ou à raison.

Par ailleurs, vous arrivez avec ce qui représente le rêve de tout ministre de l’éducation nationale : des postes.

Vous-même, monsieur le ministre, votre passé d’enseignant vous permet de disposer de la reconnaissance du milieu scolaire quant à votre capacité et à votre volonté à réformer l’école.

Grâce à tous ces éléments, vous pourriez, me semble-t-il, proposer une réforme de grande ampleur, une véritable refondation de notre système éducatif.

M. Jean-Pierre Blazy. Eh bien oui !

M. Benoist Apparu. Malheureusement, quand je lis le texte de loi et le rapport annexé, je ne retrouve ni les éléments de cette ambition ni la refondation que vous évoquez.

On peut le comprendre dans le texte de loi lui-même puisque, nous le savons tous, la matière éducative n’est pas une matière législative. Il n’est donc pas tout à fait illogique que, dans le corps même de la loi, il n’y ait pas d’ambition réelle en tant que telle. Simplement, on s’attendrait, dans une loi de programmation, a fortiori dans une loi d’orientation, à ce que figure, dans le rapport annexé, la vision de la majorité et du Gouvernement, la vision que vous avez du système éducatif pour les dix ou quinze années à venir. C’est le sens de toutes les lois d’orientation, qui portent toutes sur des temps longs, dix ou quinze ans.

Dans le rapport annexé, qui est censé résumer l’ensemble de votre politique, nous ne retrouvons pas l’ambition que vous affirmez. Pour quelle raison ? Peut-être pourriez-vous nous l’indiquer un jour ? Avez-vous perdu l’ensemble des arbitrages ? Ou bien avez-vous été effrayé par l’ampleur de la tâche et par le risque syndical qu’entraînait une véritable refondation ?

Je vais m’arrêter un instant sur ce que vous appelez « refondation ».

Vous nous avez expliqué il y a quelques jours ici même qu’il ne fallait pas confondre les piliers de l’école avec ses fenêtres ou sa toiture. Vous nous dites – vous l’avez de nouveau répété tout à l’heure – que la refondation de l’école, pour vous, repose sur trois piliers : les rythmes scolaires – nous y reviendrons –, la priorité donnée au primaire et la réforme de la formation professionnelle des enseignants via les ESPE – les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Ce sont trois éléments importants de notre système éducatif, mais ils n’en sont en rien les fondations. Les fondations de notre système éducatif sont, nous semble-t-il, composées de trois autres éléments : l’architecture globale du système, le statut des établissements et le statut des enseignants. Voilà les trois véritables piliers !

Vous avez évoqué dans votre discours liminaire la nécessité de ne pas confondre l’essentiel et l’accessoire. Malheureusement, il me semble que, dans votre tête, vous confondez l’essentiel et l’accessoire, car vous traitez, mal – nous le verrons dans quelques instants – de choses qui ne sont pas tout à fait insignifiantes, mais vous ne traitez pas de l’essentiel, c’est-à-dire, je le répète, l’architecture globale du système éducatif, le statut des établissements et le statut des enseignants.

J’entends déjà le rapporteur me dire que la volonté de ce texte est d’avoir une entrée pédagogique, non une entrée par les statuts.

M. Yves Durand, rapporteur. Vous avez bien compris !

M. Benoist Apparu. J’ai bien compris la leçon et j’ai retenu l’argumentaire du rapporteur qui défendait admirablement, de ce point de vue, les positions du Gouvernement, mais c’est son rôle.

Cela étant, entendons-nous bien : dès lors que vous touchez au statut des enseignants et à celui des établissements, vous permettez aux établissements d’adapter la pédagogie à la réalité sociologique des élèves et à chaque enseignant d’adapter sa pédagogie à la sociologie de sa classe. C’est pour cette raison que nous voulons une modification profonde du statut des enseignants et du statut des établissements. Il n’y a pas là de contradiction avec l’entrée pédagogique que vous évoquez.

Je reviens sur les trois points que vous avez énumérés : formation des enseignants, réforme des rythmes scolaires, priorité au primaire.

S’agissant d’abord de la réforme des rythmes scolaires, nous n’allons pas refaire le débat. Il a lieu en ce moment même dans l’ensemble des conseils municipaux et chacun mesure la réussite de votre réforme. Le président de la commission, il y a quelques instants, se félicitait que la ville de Paris s’engage dès 2013 et il avait l’ambition qu’une grande majorité des communes françaises suive Paris pour cette date.

Malheureusement, il me semble que quand on regardera la réalité des chiffres, la plupart des collectivités locales feront ce choix en 2014, pas en 2013.

Plusieurs députés du groupe SRC. Et alors ?

M. Benoist Apparu. La plupart des collectivités locales récusent la réalité même de cette réforme et sa pertinence.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est faux !

M. Benoist Apparu. On va me dire, là encore, que ce n’est pas dans le texte. C’est faux, mes chers collègues, car cela figure dans le rapport annexé, lequel reprend l’ensemble de la politique du Gouvernement, y compris les rythmes scolaires puisque, dans le rapport annexé, une série d’alinéas expose les motifs de cette réforme.

L’erreur majeure de cette réforme ne réside pas dans l’absence de concertation. Celle-ci est bien réelle, mais nous savons tous qu’il est particulièrement difficile d’organiser ce type de concertation. Le problème, monsieur le ministre, c’est que vous avez découpé, saucissonné la réforme.

Nous sommes tous convaincus qu’il est nécessaire de définir une réforme des rythmes scolaires en France.

M. Luc Belot. Que ne l’avez-vous fait !

M. Benoist Apparu. Et ce pour trois raisons. Nous connaissons tous les statistiques. Notre système scolaire, dans son ensemble, compte plus d’heures – 12 % en moyenne – que l’ensemble des autres systèmes scolaires. La journée est plus longue et l’année plus courte. Ce constat, nous le connaissons bien.

Simplement, monsieur le ministre, vous avez saucissonné la réforme. Vous traitez la journée scolaire et la semaine scolaire dans un premier temps, et vous traitez dans un second temps l’année scolaire. Vous nous avez dit récemment que, dans quelques semaines, vous engageriez une concertation pour aboutir en 2015 à une réforme de l’année scolaire. Vous allez avoir un gros problème. En réduisant les vacances scolaires, vous allez mécaniquement allonger le temps de travail des enseignants de deux semaines…

M. Luc Belot. Pas forcément !

M. Benoist Apparu. …soit cinquante-quatre heures de travail, ce qui équivaut à 18 000 ETP, autrement dit à 18 000 postes. Cela coûtera 750 millions d’euros. Je doute que Bercy vous donne 750 millions d’euros pour pouvoir financer l’allongement du temps de travail des enseignants !

Vous allez donc, en 2015, reporter ces cinquante-quatre heures de temps de travail en plus sur l’ensemble de l’année scolaire, pour diminuer, sur le reste de l’année scolaire, de cinquante-quatre heures le temps de travail des enseignants.

M. Vincent Peillon, ministre. Je vois que vous avez envie de la faire, cette réforme !

M. Benoist Apparu. Elle est intéressante mais, quand on la prend dans le mauvais sens, monsieur le ministre, on court forcément à l’échec ! Lorsque vous allez répercuter ces cinquante-quatre heures sur l’ensemble de l’année scolaire, vous allez diminuer la journée scolaire, autrement dit remettre totalement à plat la réforme que vous êtes en train de conduire. C’est là, me semble-t-il, l’erreur fondamentale de votre texte : vous pouviez travailler sur une réforme des rythmes scolaires à condition de l’appliquer en même temps à l’année, à la semaine et à la journée, ou en commençant par l’année scolaire pour pouvoir répercuter les cinquante-quatre heures en question sur l’ensemble de la semaine et de la journée. Voilà une réforme des rythmes scolaires qui pouvait avoir un sens !

Le deuxième pilier de votre réforme vise à donner la priorité au primaire.

Sur ce point, nous partageons votre constat et votre analyse : nous devons donner la priorité au primaire. Nous le savons tous, c’est parce que nous n’avons pas su anticiper l’échec scolaire dans le primaire que nous n’arrivons pas à résoudre les problèmes au collège, puis au lycée. Jusque-là, nous sommes d’accord. Le problème, c’est qu’au-delà de l’incantation « priorité au primaire », je ne vois pas dans votre texte de loi de contenu réel permettant de donner la priorité au primaire.

Vous parlez de postes – nous y reviendrons – et, si j’ai bien compris, le nouvel élément pédagogique que vous voulez mettre en place, ce sera plus de maîtres que de classes. Vous comptez pour ce dispositif 3 000 postes, si j’ai bien lu la loi de programmation.

M. Régis Juanico. Non, 7 000 !

M. Benoist Apparu. Si je comprends bien, avec 7 000 postes en cinq ans, vous allez faire une révolution pédagogique pour 255 000 classes en France. Il y a une vraie différence entre l’incantation « priorité au primaire » et la réalité. Nous pouvons trouver une solution et aller au-delà de ce que vous proposez. Les moyens que la France consacre à son système scolaire représentent 6,3 points de PIB, contre 6,2 pour la moyenne de l’OCDE. Mais il y a, à l’intérieur de notre système, une répartition inégale entre ce que nous accordons d’un côté au lycée, de l’autre au primaire. Nous dépensons beaucoup plus d’argent pour le lycée que pour le primaire.

M. Patrick Hetzel. Eh oui !

M. Benoist Apparu. À l’heure où tous les pays occidentaux connaissent des difficultés en matière de maîtrise des déficits publics, et notamment la France, et tant que nous ne prendrons pas en compte cette réalité pour assumer des choix politiques complexes, liés au statut des enseignants, nous ne pourrons pas trouver de solution au problème que vous soulignez, à savoir donner une véritable priorité au primaire.

Le troisième pilier de votre réforme concerne les ESPE.

Vous affirmez qu’avec ce troisième pilier vous allez révolutionner le système éducatif.

M. Régis Juanico. Non, le refonder !

M. Benoist Apparu. Les ESPE, c’est un peu la politique du rétroviseur, dans le sens où l’on crée quelque chose qui a déjà existé. Vous me direz à juste titre que ce ne seront pas des écoles normales ni des IUFM, que ce sera très différent. Cela reste à démontrer car, en la matière, il n’y a pas beaucoup de contenu dans la loi. Pour l’instant, il n’y a qu’une coquille quasiment vide. Nous verrons comment évoluera le contenu. Si du temps des IUFM, qui, je le rappelle, ont été supprimés en 2010, l’école française se portait à merveille, on pourrait comprendre que la création des ESPE change fondamentalement le système éducatif. Malheureusement, je crains que vos désirs en la matière ne se soldent par un échec.

Voilà les trois piliers sur lesquels repose votre texte. Nous ne partageons pas votre vision des choses. Certes, ces trois piliers constituent des avancées qui ne sont pas insignifiantes, mais il ne s’agit pas d’une véritable refondation. Ce sont plutôt les portes et les fenêtres du système éducatif que vous dessinez, bien plus que les fondations de notre école. Pour notre part, nous proposons une vision alternative pour refonder véritablement l’école, qui a besoin de cette refondation.

Nous partageons le constat que vous formulez dans l’exposé des motifs de votre texte. Notre école souffre de trois maux principaux, que vous avez évoqués tout à l’heure. Aujourd’hui, l’école ne sait pas suffisamment gérer les inégalités de naissance. Elle les reproduit plus massivement qu’ailleurs, contrairement à l’ambition première de l’école de Jules Ferry, que nous acceptons tous. L’école ne sait pas former une élite suffisamment nombreuse pour produire les têtes chercheuses dont nous avons besoin pour bâtir une compétitivité française dans l’innovation et la recherche. Ensuite, notre système scolaire ne sait pas répondre aux objectifs fixés à Lisbonne : 50 % d’une classe d’âge doit parvenir au niveau licence. Enfin, notre système ne sait pas former l’encadrement intermédiaire dont le pays a besoin. Nous partageons ces trois constats, mais je suis intimement convaincu que votre texte de loi ne permettra pas d’apporter une réponse.

Avant de vous proposer une vision différente, alternative, d’une véritable refondation de notre système scolaire, je voudrais m’arrêter quelques instants sur la question des moyens.

M. Jean-Pierre Blazy. Vous avez été dix ans au pouvoir ! Qu’avez-vous fait ?

M. Benoist Apparu. Mon petit doigt me dit que, pendant ces quelques jours de débat, on va nous rabâcher, amendement après amendement, que nous avons détruit des postes, voire l’école, etc. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Donc, je vais m’arrêter sur cette question qui, chacun en conviendra, est malheureusement la question centrale des débats sur l’éducation en France depuis trente ans.

Depuis trente ans, quand on parle école, on parle essentiellement boutique, moyens, chiffres et non réussite des élèves.

M. Jean-Pierre Blazy. Comment ça, « boutique » ? C’est scandaleux !

M. Benoist Apparu. Or toutes les études internationales montrent hélas l’absence de corrélation directe entre les moyens affectés à l’école et la réussite scolaire.

M. Jean-Pierre Blazy. Voilà qui vous arrange !

M. Benoist Apparu. Les moyennes de l’OCDE montrent que des pays dépensant beaucoup plus que nous, les États-Unis par exemple, ont de moins bons résultats, alors que la Finlande, qui dépense un point de PIB de moins que nous, a des résultats scolaires bien meilleurs que les nôtres. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Finlande n’a pas à traiter la difficulté scolaire que nous connaissons. Cette différence de sociologie des élèves montre bien qu’il ne faut pas s’arrêter à la seule question des moyens.

M. Luc Belot. C’est le serpent qui se mord la queue ! C’est laborieux !

M. Benoist Apparu. Je voudrais rappeler quelques réalités chiffrées sur les moyens. Tout d’abord, nous avons en effet supprimé 80 000 postes en cinq ans.

M. Jean-Pierre Blazy. C’est un aveu !

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas un aveu, soyez assurés que nous l’assumons totalement. Ou alors, qu’on m’explique comment parvenir à réduire le déficit public, comme nous le souhaitons tous, sans toucher au ministère qui occupe un fonctionnaire sur deux avec le premier budget de la nation !

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Mais c’est une priorité !

M. Benoist Apparu. Vous aller exercer sur tous les autres ministères une pression considérable. Nous remplacions un fonctionnaire sur deux, vous n’en remplacerez qu’un sur trois. Vous avez passé des mois à nous expliquer que nous menions une politique absolument catastrophique mais vous allez faire deux fois plus dans tous les ministères autres que l’éducation nationale.

M. Sylvain Berrios. C’est la RGGP plus !

M. Jean Jacques Vlody. On verra !

M. Benoist Apparu. L’argument corrélant moyens et qualité du système éducatif serait recevable si les moyennes de l’OCDE n’étaient pas ce qu’elles sont et si les effectifs n’avaient pas diminué. Celui-ci a perdu en vingt ans 500 000 élèves tout en gagnant 30 000 enseignants. 500 000 élèves de moins, 30 000 enseignants de plus : je ne vois nulle dégradation fondamentale du taux d’encadrement !

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n’est pas une question d’arithmétique !

M. Benoist Apparu. On en discutera bien évidemment au cours de nos débats. Les moyennes de l’OCDE montrent aussi que les douze ans de scolarité dite obligatoire du système éducatif français coûtent par élève autant que les dépenses des pays de l’OCDE les plus performants.

M. Régis Juanico. Hors école primaire !

M. Benoist Apparu. Essayons donc aujourd’hui, si vous le voulez bien, de sortir de ce débat un peu stérile exclusivement centré sur la question des moyens.

M. Yves Durand, rapporteur. Commencez par en sortir vous-même !

M. Benoist Apparu. Nous avons probablement une différence d’appréciation en la matière, je l’assume totalement. Je voudrais simplement éviter que le débat ne soit monopolisé exclusivement par cette question au détriment de la réalité du problème, qui est l’organisation de notre système éducatif. Établissements et enseignants me semblent des objectifs de réforme bien plus importants que la seule question des moyens !

M. Pascal Popelin. Parlez donc des élèves !

M. Régis Juanico. Il faut bien meubler !

M. Benoist Apparu. J’en viens maintenant à la vision de l’école qui est la nôtre et aux piliers que nous voudrions voir apparaître dans cette réforme. En ce qui nous concerne, deux objectifs nous semblent primordiaux.

Le premier, c’est la nécessité dans laquelle se trouve notre pays d’élever le niveau de connaissances et de compétences des générations en repensant l’architecture globale du système éducatif. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, la France ne construira la croissance dont elle a besoin qu’à partir de son école. Nous devons former bien mieux que nous le faisons aujourd’hui en élevant le niveau de compétences et de connaissances globales de l’ensemble de nos générations. C’est à cette condition que nous serons compétitifs et aussi que nous lutterons le plus efficacement contre le chômage durable des jeunes. Nous savons que le taux de chômage des jeunes est directement lié à leur niveau de qualification. Il nous faut donc l’élever. Voilà à nos yeux la première ambition à nourrir.

La deuxième objectif, c’est évidemment la lutte contre les inégalités de naissance, terribles en France. Notre promesse républicaine de méritocratie à la française, nous ne savons plus la tenir. Notre système a même plutôt tendance à reproduire les inégalités de naissance. Les enquêtes Pisa se suivent et se ressemblent pour constater l’aggravation plutôt que l’amélioration de la situation en la matière.

Nous proposons donc deux orientations principales. La première, visant à atteindre le premier objectif – élever le niveau de connaissances et de compétences – consiste à revoir l’architecture globale de notre système éducatif. Il est basé, comme vous le savez, sur trois cycles.

M. Jean-Pierre Blazy. « Fondé sur », c’est plus académique !

M. Benoist Apparu. Certes. Il est donc fondé sur trois cycles, primaire, secondaire et supérieur. Ces trois cycles tels qu’ils sont organisés aujourd’hui nous semblent dépassés. Nous devons revoir l’architecture globale de notre système éducatif. Pourquoi ? Tout simplement parce que les attentes de la nation sont bien différentes de celles qui en sont à l’origine. Cette architecture a été créée à l’époque de Jules Ferry et confirmée au sortir de la Seconde guerre mondiale, notamment en 1950 lors de la rédaction du décret sur le statut des enseignants. Elle reposait sur le souhait que l’ensemble des membres d’une génération sache lire, écrire et compter, en particulier les enfants d’ouvriers et de salariés agricoles. Mais notre ambition se limitait alors à cela. Je vous rappelle qu’en 1950, 50 % d’une classe d’âge atteignait le collège, et à peine 15 % le lycée.

Notre ambition en la matière a profondément évolué avec le collège unique, la scolarité obligatoire et le socle commun de connaissances, de compétences, et demain de culture. Autrement dit, nous devons réorganiser notre cycle primaire afin que l’attente de la société, c’est-à-dire 100 % d’une génération au socle commun de connaissances et de compétences, soit inscrite dans l’organisation même du système scolaire. C’est la raison pour laquelle nous promouvons une réforme du socle commun de connaissances, de compétences et de culture réunissant le primaire et le collège. Voilà la première étape.

M. Yves Durand, rapporteur. C’est ce que nous faisons !

M. Benoist Apparu. La deuxième étape doit permettre à notre pays d’atteindre les objectifs de Lisbonne, c’est-à-dire 50 % d’une génération diplômée de l’enseignement supérieur défini à l’échelle européenne. Nous sommes à 35 % et non à 42 %, chiffre répandu mais trompeur puisqu’il intègre les diplômés à bac + 2 alors que les objectifs de Lisbonne commencent à bac + 3. Nous sommes à 35 %, c’est-à-dire bien loin des objectifs que nous nous sommes fixés. Nous devons donc amener 100 % des diplômés du baccalauréat général et technologique vers l’enseignement supérieur. Nous devons également amener une génération complète au bac professionnel, seule arme aujourd’hui pour trouver un emploi. Le taux d’insertion professionnelle des BEP et des CAP n’est pas inintéressant mais nous conservons 40 % de chômage à ce niveau de diplôme, alors qu’il est proche de 20 % au niveau du bac professionnel.

Notre ambition est donc de conduire 100 % d’une génération à un bac professionnel ou plus afin d’élever le niveau de connaissances et de compétences dans notre pays. Nous devons donc rapprocher et mettre en cohérence les niveaux bac – 3 et bac + 3 afin d’atteindre l’objectif de 50 % d’une génération diplômée du supérieur. Enfin, nous devons bien évidemment pousser les feux de l’enseignement supérieur long dans notre pays. Afin de délivrer à une grande partie de chaque génération un diplôme de l’enseignement supérieur, il nous faudra revenir sur les parcours d’orientation, notamment ceux des bacheliers technologiques et professionnels, auxquels il faut réserver des quotas de places en IUT et en STS, qui sont pour eux des débouchés naturels. Une telle réforme me semble indispensable et je crois, madame la ministre, que c’est votre ambition.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous sommes d’accord !

M. Benoist Apparu. Enfin, deux points me semblent incontournables pour une véritable refondation, le statut des établissements et celui des enseignants. Nous ne pouvons pas continuer à fonctionner avec une définition du statut de l’enseignant qui date de 1950, à une époque où 50 % d’une classe d’âge atteignaient le collège et 15 % le lycée. La définition du statut de l’enseignant, nous le savons tous, est en France exclusivement disciplinaire et repose sur la transmission de connaissances, alors que tous nos discours répètent qu’un enseignant a aujourd’hui, évidemment, une autre fonction que la simple transmission d’un savoir disciplinaire. Tant que nous ne reconnaîtrons pas cette réalité, non pas simplement dans les discours mais dans le statut même des enseignants, nous ne pourrons pas prendre en charge l’hétérogénéité des élèves.

M. Jean-Pierre Blazy. Quel rapport ?

M. Benoist Apparu. Si nous souhaitons accompagner des sociologies très différentes dans nos classes, nous devons mener une véritable réforme du statut des enseignants et inclure dans leur temps de travail autre chose que la seule transmission des savoirs disciplinaires. Malheureusement, votre texte de loi, monsieur le ministre, n’en pipe mot. Le rapporteur nous a dit en commission que vous le feriez à un autre moment et que vous alliez y réfléchir. Dont acte ! Mais puisque vous faites une loi d’orientation, pourquoi ne pas y insérer cette ambition ? Ce n’est malheureusement pas le cas, il n’y a rien en la matière dans votre texte !

M. Patrick Hetzel. Eh oui !

M. Jean-Pierre Blazy. Vous êtes mal placés pour parler d’ambition !

M. Benoist Apparu. Quant au statut des établissements scolaires, c’est un élément tout aussi fondamental et d’ailleurs lié au précédent. Là encore, pour prendre en charge l’hétérogénéité grandissante de nos établissements scolaires, nous devons leur confier la gestion d’une dotation horaire véritablement globale, c’est-à-dire non disciplinaire, non maquettée au plan national et véritablement annualisée, afin de ne plus traiter un lycée de centre ville comme un lycée de banlieue et une école primaire rurale comme une école primaire de centre ville. Cet élément ne figure pas davantage dans votre texte. On y trouve, je crois, une fois le mot « autonomie », dans le rapport annexé, mais d’orientation, point.

Je trouve dommage et décevant que manquent à ce texte de loi les vrais piliers de la refondation, c’est-à-dire une nouvelle architecture scolaire et une véritable ambition de réforme du statut de l’enseignant et de l’établissement. Pour ces raisons, nous nous opposerons à ce texte car nous avons une ambition bien différente pour notre école. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Durand, rapporteur. J’ai écouté très attentivement notre collègue Apparu et je le remercie chaleureusement de son intervention. Elle montre une fois de plus, s’il en était besoin, l’intérêt enthousiaste qu’il porte à l’école et constitue par ailleurs un remarquable plaidoyer pour la loi. (Sourires)

M. Benoist Apparu. Vous m’avez mal entendu, monsieur le rapporteur !

M. Yves Durand, rapporteur. M. Apparu a magnifiquement condamné le bilan de la politique précédente, qu’il a pourtant soutenue comme député et comme ministre, marquée par une véritable obsession des postes qui n’est pas la nôtre.

M. Yann Capet. Bravo !

M. Régis Juanico. C’est le droit d’inventaire !

M. Yves Durand, rapporteur. M. le ministre en a bien entendu parlé en expliquant la programmation de la loi, mais moi-même très peu. Nous n’avons pas, mon cher collègue Apparu, l’obsession des moyens. Vous l’avez, notamment pour les supprimer, mais nous ne l’avons pas et nous n’opposons pas le quantitatif au qualitatif. Regardez bien la loi, elle est avant tout qualitative.

Considérez toutes les mesures que M. le ministre et moi-même avons détaillées : ce sont bien des mesures qualitatives.

Enfin, et surtout, tout ce que vous nous avez proposé, avec justesse, s’inscrit très exactement dans la philosophie de la loi.

M. Benoist Apparu. Pas dans son texte !

M. Yves Durand, rapporteur. Le problème de la réforme du collège, le problème du lycée, notamment de la voie professionnelle, le problème du supérieur – avec, il y est explicitement fait référence, le bac-3 et le bac+3 –, la réorganisation qui fera forcément, presque mécaniquement, suite à la réforme du primaire, en lui donnant la priorité, c’est dans le texte.

M. Benoist Apparu. Non !

M. Yves Durand, rapporteur. Ce que je ne comprends pas, monsieur Apparu, c’est que vous nous invitiez, après ce brillant plaidoyer pour la refondation que nous vous proposons, à voter une motion de procédure dont l’objet devrait normalement être de démontrer l’inconstitutionnalité de la loi. Or je n’ai pas entendu dans votre argumentation le moindre motif d’inconstitutionnalité.

M. Benoist Apparu. Je n’ai pas eu le temps ! (Sourires.) Mme la présidente m’a discrètement rappelé à l’ordre.

Mme la présidente. C’est le respect de la règle, monsieur Apparu.

M. Benoist Apparu. C’est pour cela que je n’ai pas parlé plus de trente minutes !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre. Tout d’abord, monsieur le député, au cours de l’élaboration de ce projet de loi, ni le secrétariat général du Gouvernement ni le Conseil d’État n’ont, à aucun moment, soulevé des problèmes d’inconstitutionnalité. Vous aurez d’ailleurs noté qu’aucun argument de cette nature n’a, de même, été soulevé au cours des quinze heures qu’a duré l’examen de ce texte en commission. Vous-même n’avez pas non plus soulevé de tels problèmes au cours de votre intervention.

M. Benoist Apparu. J’ai dû oublier de le faire !

M. Vincent Peillon, ministre. Sans doute aviez-vous été instruit, comme nous, par le sort funeste de la loi d’orientation présentée par M. Fillon. Nous nous en sommes tenus en permanence, avec la plus grande vigilance, au respect des principes constitutionnels. Ainsi avons-nous respecté le domaine de la loi, et renvoyé à un rapport annexé pour les éléments d’orientation.

Le respect des procédures de consultation a d’ailleurs permis que le Conseil économique, social et environnemental rende, à l’unanimité, un avis positif.

Votre intervention m’a beaucoup intéressé, et, sur le fond, nous partageons ces deux objectifs majeurs : premièrement, élever le niveau de qualification de l’ensemble de notre population scolaire, ce qui est d’ailleurs contradictoire avec le dispositif Cherpion,…

M. Benoist Apparu. Ah non !

M. Vincent Peillon, ministre. …mais nous allons l’abroger ; deuxièmement, lutter contre les inégalités scolaires qui sont aussi des inégalités de destin.

Il faut cependant que vous mesuriez à quel point, parfois, à vouloir aller trop vite, on provoque un certain nombre de blocages.

M. Benoist Apparu. Parlez-vous de la réforme des rythmes scolaires ?

M. Vincent Peillon, ministre. Vous avez défendu – pourquoi pas ? – le socle commun de compétences et de connaissances. Vous vous souvenez qu’il date de l’année 2005, et vous savez ce qu’il en est aujourd’hui de son application. C’est bien parce que l’on a voulu légiférer – on s’est d’ailleurs rendu compte que les compétences devaient être modifiées immédiatement – et aller très vite, faire cette école du socle qui reste quand même très théorique, que nous avons perdu beaucoup d’années et que nous sommes aujourd’hui obligés, à la fois, de remettre en place un conseil des programmes, de repenser le socle et de repenser les évaluations qui accompagnent ce socle et les programmes.

Enfin, il y a un peu de bonheur, pour un ministre, alors que s’ouvre la discussion d’un projet de loi, à voir un parlementaire se mettre dans la position qui est la vôtre : vous allez être le « Monsieur Plus » de notre refondation. La réforme du primaire, ce n’est pas grand-chose, dites-vous, mais, au fond, vous y êtes quand même favorable. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, vous prétendez que ce sont les IUFM, mais on vous a dit que ce n’était pas le cas. Ce que vous souhaitez, c’est toujours faire davantage encore.

Or l’ensemble de ce que vous demandez – pour le collège, la réflexion sur le métier ou l’enseignement professionnel – est inscrit dans le rapport d’orientation et figure dans l’agenda de la refondation.

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas vrai !

M. Vincent Peillon, ministre. On verra alors si vos actes sont le moins du monde cohérents avec vos discours.

Vous évoquiez à l’instant les rythmes scolaires. Il faudrait tout faire d’un coup ! Mais vous n’avez, vous, rien fait, hors la semaine de quatre jours. Surtout pas quatre jours et demi, surtout pas s’intéresser au mois, à l’année ! Et voici que, tout d’un coup, vous devenez l’illustration du proverbe : « Qui trop embrasse mal étreint. » Il faudrait faire la réforme de A à Z, en quelques semaines, et vous pensez que c’est de bonne méthode !

La méthode est nécessaire à la recherche de la vérité. Si vous voulez refonder l’école de la République, assurez d’abord les fondations, et cheminez avec nous. Ce sera un long chemin, mais, si vos objectifs sont bien ceux que vous avez annoncés – élever le niveau de qualification et lutter contre les injustices –, eh bien, vous serez utile à ce débat,…

M. Benoist Apparu. Comme tout parlementaire !

M. Vincent Peillon, ministre. …et nous essaierons de tirer profit de tout ce que vous y apporterez. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.

Mme Barbara Pompili. Monsieur Apparu, vous avez vous-même reconnu que, pour les questions d’éducation, la précédente majorité n’avait pas laissé un souvenir impérissable.

M. Benoist Apparu. Dans le système éducatif !

Mme Barbara Pompili. Tout à fait ! Nous sommes d’accord.

On peut s’en féliciter, maintenant que vous êtes dans l’opposition, vous avez plein d’idées, et nous sommes très heureux de constater que vous contribuerez à ce débat de manière constructive. Évidemment, nous écouterons très attentivement vos propositions.

Cela dit, nous sommes vraiment en désaccord quant aux fondations de l’école. Il ne s’agit pas d’examiner les statuts des établissements ou des enseignants. Bien sûr, c’est important, mais, à notre sens, ce qui fonde l’école, son cœur, c’est l’élève, et je pense que nous n’en avons pas assez parlé. Il faudra donc qu’on en parle un peu plus. Les élèves doivent avoir les mêmes droits, d’où qu’ils viennent, quel que soit leur milieu social, qu’ils aient un handicap – petit ou gros – ou pas. Tous ces enfants doivent être au cœur de notre pensée, au cœur de notre vision de l’école.

Ce que vous dites est peut-être intéressant, mais l’objet de la motion que vous avez défendu n’est pas seulement de contester la constitutionnalité du texte, il est de décider qu’il n’y a pas lieu de débattre. Or vous nous avez, au contraire, prouvé, pendant une demi-heure, qu’il y a lieu de débattre, et que le débat risque même d’être passionnant !

Les députés du groupe écologiste voteront donc contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Noël Carpentier. Quel dommage, monsieur Apparu, que vous n’ayez pas été le ministre de l’éducation du précédent gouvernement !

Effectivement, vous avez développé des idées qui ne sont pas les nôtres, c’est clair. En tout cas, nous avons, nous, une ambition, que nous avons affirmée dès le début de la législature. Vous, vous n’avez pas marqué d’ambition : vous avez détricoté, pendant cinq ans, notre éducation nationale, en la dépouillant de ses moyens. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

C’est là le fond de notre divergence. Nous souhaitons mettre les moyens au cœur de l’éducation. Oui, c’est l’objectif de la législature : un effort de la société en faveur de la jeunesse, en faveur de l’éducation. Nous l’avons annoncé dès le départ.

Telle est la différence majeure entre notre vision de l’avenir, notre vision de la jeunesse, notre vision du redressement du pays, et la vôtre.

Effectivement, si l’on suivait vos prescriptions, monsieur Apparu, nous assisterions à une véritable déstructuration de l’éducation nationale. Vous prônez une modification du statut des enseignants qui élude la question de la transmission du savoir disciplinaire. Vous prônez également la déstructuration de l’école pour tous, dans toute la République, avec une déstructuration des établissements et leur adaptation à leur situation en centre-ville ou en banlieue. Bref, c’est une autre vision, ce n’est pas celle d’une éducation nationale, celle d’un vrai service public de l’éducation nationale.

Voilà pourquoi nous ne voterons pas cette motion que vous avez présentée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.)

M. Patrick Hetzel. C’est dommage !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur Apparu, vous avez présenté une motion de rejet préalable, supposée porter sur le respect des principes constitutionnels, en nous confiant votre déception. Vous êtes déçu que l’on crée 60 000 postes. Il est vrai que votre logique comptable en a fait perdre 80 000 à l’éducation nationale, mais l’école de la République a besoin de moyens. Il faut des moyens pour qu’il y ait un maître devant chaque classe, et que l’on puisse remplacer les maîtres absents, des moyens pour qu’il y ait un maître supplémentaire qui anime l’équipe pédagogique, des moyens pour que les enseignants puissent poursuivre leur formation de façon continue. Oui, nous avons besoin de créer des postes pour assurer une école de qualité !

Mais la création de postes s’accompagne d’un besoin de formation. Et la formation professionnelle que vous avez cassée, nous la faisons réapparaître avec les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Cette qualité de l’enseignement retrouvé nous permettra d’assurer un avenir meilleur à la nation. En effet, on élèvera le niveau de compétences et de connaissances, et, en parlant de cela, contrairement à ce que vous prétendez, on parle des enfants, on parle des enseignants.

Très certainement, ce n’est pas de droit constitutionnel que vous avez voulu nous parler. Vous nous avez en fait expliqué que vous n’aviez pas tout à fait la même vision de la refondation de l’école. Pour vous, l’école doit s’adapter à différents publics. Pour vous, l’école se conjugue avec l’autonomie, alors que nous pensons, nous, l’école de la République pour la réussite de toutes et tous.

C’est pourquoi le groupe GDR votera contre votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Patrick Hetzel. Cela ne vous surprendra pas : nous soutenons cette motion de rejet préalable. Pourquoi ?

Tout d’abord, je veux indiquer qu’il existe une réalité en matière éducative : entre le moment où l’on examine une loi et celui où elle est susceptible de produire ses effets à l’intérieur du système éducatif, un certain nombre d’années s’écoulent, la dernière loi en date étant la loi Fillon de 2005. Il faut compter en général une quinzaine d’années pour qu’une loi puisse pleinement produire ses effets. Alors que la précédente majorité, notez-le, avait laissé la loi Jospin produire ses effets avant de légiférer, vous ne laissez pas à la loi Fillon le temps de produire pleinement les siens. Ce premier fait nous amène déjà à considérer qu’un nouveau texte est prématuré.

En outre, après six mois de discussion, ce qui nous est présenté n’est évidemment pas à la hauteur des enjeux. M. Apparu a fort magistralement montré combien ce texte est vide, combien il est bavard. Nous aurons l’occasion de le rappeler au cours des débats, et il est clair que le rapport annexé est en réalité un exposé des motifs. Cela pourra d’ailleurs, puisque vous avez évoqué la question de la constitutionnalité du texte, poser un problème de sécurité juridique. Si le Conseil d’État ne l’a pas mentionnée, cette question de constitutionnalité n’est pas forcément tout à fait tranchée.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cette loi ne modifie pas l’architecture du système éducatif. Surtout, comme l’a indiqué mon collègue Apparu, ce texte ne dit rien du statut des enseignants ni de celui des établissements. Il est, en somme, très superficiel. C’est pourquoi il doit être retravaillé.

Nous soutenons donc cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Rudy Salles. Je tiens d’abord à saluer la performance de Benoist Apparu, son talent et sa force de conviction, malgré ce que j’en ai entendu par ailleurs.

Je suis d’accord avec Mme Pompili : il faut débattre (Exclamations sur les bancs des groupes écologiste et SRC), mais, en l’occurrence, ce n’est pas un vrai débat qui se tient. Nous l’avons constaté en commission, nous le constatons maintenant dans l’hémicycle : une fois de plus, on prétend que nous passons de l’ombre à la lumière, il y a ceux qui aiment l’école et ceux qui ne l’aiment pas, ceux qui construisent l’école et ceux qui la détruisent. Ce n’est pas un vrai débat, je suis navré d’être obligé de vous le rappeler une fois de plus.

L’école de la République devrait au moins arriver à faire en sorte que l’on s’écoute. Or, en commission, depuis le début de l’examen du texte, les amendements de l’opposition ont été systématiquement rejetés ! Là où il faudrait du consensus, vous voulez un affrontement bloc contre bloc, mais l’école ne vous appartient pas : c’est l’école de la République ! C’est pourquoi la manière dont commence aujourd’hui l’examen de ce texte dans l’hémicycle me navre profondément.

Quant à vous, monsieur le rapporteur, le talent de M. Apparu n’a d’égal que votre mauvaise foi ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Hetzel. Excellent!

M. Rudy Salles. Franchement, prétendre que nous allons vers le qualitatif, que le quantitatif n’a aucune importance, alors que les 60 000 postes, on le sait, ne sont pas financés, ce n’est pas sérieux !

C’est la raison pour laquelle le groupe UDI votera bien entendu la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Jacques Vlody, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean Jacques Vlody. Monsieur Apparu, mes chers collègues de l’UMP, sur votre copie, je mettrais « mauvaise foi, jeu politicien stérile et hors sujet. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez essayé, pendant trente minutes, de nous expliquer que ce texte était inconstitutionnel, mais vous n’avez à aucun moment présenté une motion de rejet. Vous avez simplement profité de l’occasion pour faire un discours de politique générale et pour nous donner votre conception de l’éducation, laquelle n’est pas à l’ordre du jour. Je vous rappelle que le texte qui est à l’ordre du jour, c’est celui du ministre et du Gouvernement.

M. Benoist Apparu. Et l’opposition ne peut plus rien proposer ?

M. Jean Jacques Vlody. Je crains que vos efforts aient été vains, pour une simple et bonne raison : il n’y a pas le début d’un argument recevable, visible et convaincant, prouvant que l’on devrait ne pas parler d’école dans cette assemblée. Aucun discours, fût-il prononcé avec éloquence, ne pourra renverser cette évidence.

M. Benoist Apparu. On n’a plus le droit de parler, c’est cela ?

M. André Schneider. Eh bien, ça fait froid dans le dos !

M. Jean Jacques Vlody. Les Français ont élu François Hollande à la Présidence de la République, avec une priorité inédite et forte : la jeunesse et l’école.

La concertation nationale relative à la refondation de l’école a confirmé l’importance de faire vivre un nouveau projet éducatif français, qui doit être aussi un projet de société. Vous avez, monsieur Apparu, participé vous-même aux débats en commission. Vous avez déposé des amendements, vous avez même proposé un texte alternatif au rapport annexé, et, à présent vous venez nous dire que ce rapport annexé n’a pas lieu d’être ! Vous avez proposé de remplacer tous les articles par une série d’articles que vous avez soumise au vote de la commission et que nous avons bien évidemment rejetée.

Mes chers collègues de l’UMP, M. le ministre vous invite à l’union nationale autour de notre école.

M. André Schneider. Nous l’avons fait avant vous pendant des années !

M. Jean Jacques Vlody. Je crains fort que vous n’ayez pas saisi l’urgence de la situation et que vous n’ayez pas perçu la sincérité de notre projet : il s’agit d’offrir à nos enfants la meilleure préparation possible pour leur avenir professionnel, pour leur construction en tant que femmes et en tant qu’hommes, et par là pour l’avenir de notre pays.

Mes chers collègues de l’UMP, l’heure n’est plus à de vaines manœuvres juridico-politiciennes : elles ne servent même pas à ceux qui les fomentent. L’heure est à l’unité et au débat constructif, à l’unité autour des valeurs et de la raison du progrès : progrès de l’école, progrès par l’école et progrès pour l’école.

Vous avez réussi, pendant presque dix ans, à escamoter le débat sur l’école que les Français attendaient.

M. André Schneider. Et vous, pendant les quinze années précédentes ?

M. Jean Jacques Vlody. Aujourd’hui encore, une nouvelle fois, vous avez réussi à l’éviter. C’est pourquoi nous autres, députés du groupe SRC, nous voterons contre cette motion de rejet, qui n’élève pas le débat sur l’éducation et l’avenir de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écolgiste, DR et RRDP.)

M. Patrick Hetzel. Quel suspense !

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Xavier Breton.

M. Luc Belot. Avec des arguments différents, bien sûr !

M. Xavier Breton. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, nous avons débattu de ce projet sur l’école en commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission pour son efficacité et son ouverture dans la conduite de nos débats, ainsi que le rapporteur, pour le sérieux de son travail et la cohérence de ses convictions, deux qualités que nous lui connaissons. Soyez assurés, mes chers collègues, que la motion de renvoi en commission que je vais présenter ne vous met absolument pas en cause personnellement.

M. Benoist Apparu. Ils doivent être rassurés ! (Sourires)

M. Xavier Breton. La seule raison d’être de cette motion, c’est le texte même de ce projet de loi et l’évolution qu’il a connue au cours du processus législatif.

Lors du débat en commission qui a précédé l’examen des amendements, je suis intervenu au nom du groupe UMP et j’ai indiqué que notre manière d’aborder le débat sur l’école s’appuyait sur le constat suivant : depuis de nombreuses années, notre système éducatif remplit de moins en moins bien ses missions, ce qui provoque un échec scolaire devenu aujourd’hui insoutenable.

Ce constat est largement partagé, comme le montrent les nombreux rapports publiés à ce sujet par la Cour des comptes, le Haut conseil de l’éducation ou encore l’Institut Montaigne. Pour nous, il est primordial de s’interroger sur les raisons profondes qui ont conduit à ces résultats, sans s’abriter derrières des idées toutes faites.

Non, monsieur le ministre, ces résultats ne sont pas dus à l’évolution des effectifs enseignants au cours des cinq dernières années.

M. Luc Belot. Personne n’a dit ça !

M. Xavier Breton. Non, monsieur le ministre, ces résultats ne sont pas dus à l’évolution de la formation des enseignants au cours des cinq dernières années. Vous pouvez exprimer, c’est naturel, une appréciation sur les politiques éducatives menées au cours des cinq dernières années, mais vous ne pouvez pas, objectivement et honnêtement, faire porter l’échec de notre système éducatif sur ces seules années.

Sinon, comment expliquez-vous que le Premier ministre vienne de faire de l’illettrisme la grande cause nationale pour 2013 ? Les centaines de milliers de personnes qui souffrent aujourd’hui de ce fléau et qui rencontrent des difficultés insurmontables pour s’intégrer socialement et professionnellement, ces personnes qui ont vingt, trente, quarante ans, et parfois plus, étaient-elles des élèves lorsque Xavier Darcos ou Luc Chatel étaient ministres ? Non, et vous le savez bien.

Vous savez également que les 150 000 jeunes qui, chaque année, sortent sans qualification du système éducatif ne sont pas apparus au cours des cinq dernières années.

M. André Schneider. Cela fait trente ans !

M. Xavier Breton. Sinon, comment expliquez-vous que la profession de foi de Nicolas Sarkozy, pour la campagne présidentielle de 2007, ait indiqué que « 20 % de nos jeunes quittent l’école sans qualification, c’est-à-dire sans aucune perspective professionnelle et avec un avenir personnel très limité » ?

M. Régis Juanico. Ce n’était pas gentil pour Chirac !

M. Xavier Breton. Pour que ce débat sur l’école soit vraiment productif et constructif, ne nous perdons pas, comme vous venez de le faire, monsieur le ministre, et comme l’ont fait certains de mes collègues, dans des polémiques inutiles.

Regardons plutôt les tendances qui peuvent expliquer l’état actuel de notre système éducatif. Regardons les évolutions qui ne sont pas allées dans le bon sens. Selon nous, trois grandes tendances – nous pouvons même parler de dérives – doivent être analysées et prises en considération, si nous voulons vraiment refonder l’école.

La première dérive tient au fait que notre société a beaucoup demandé à l’école. Elle lui a même trop demandé. Elle l’a fait notamment pour masquer ou pour pallier ses propres insuffisances. Parce qu’on en a demandé toujours plus à l’école, les missions premières de celle-ci ont été peu à peu noyées au milieu d’autres tâches. Pour chacune de ces nouvelles tâches, il y avait sans aucun doute de bonnes raisons de solliciter l’école, mais, en la chargeant de plus en plus, on a rendu cette école de moins en moins capable d’assurer sa vocation première.

Les résultats se sont donc progressivement dégradés ; le nombre de jeunes sortant du système éducatif sans maîtriser les savoirs fondamentaux a augmenté, ainsi que le nombre de jeunes sortant sans qualification. Loin des discours revendiquant l’égalité, notre système éducatif est devenu de plus en plus inégalitaire, les écarts se creusant de plus en plus, au détriment des catégories sociales les plus défavorisées.

Qui trop embrasse, mal étreint : l’école ne peut plus pallier toutes les insuffisances de la société, comme elle ne peut plus répondre à toutes ses attentes. Il faut recentrer l’école autour de certaines priorités : c’est la première exigence qui guide notre position dans ce débat sur l’école, j’y reviendrai un peu plus tard.

La seconde dérive tient à la trop grande rigidité de notre système éducatif : il souffre depuis des décennies d’un excès de centralisation qui étouffe les initiatives. Notre système scolaire se révèle incapable de prendre en compte la diversité des élèves, alors que l’enjeu, aujourd’hui, n’est plus la massification de l’enseignement, mais bien la personnalisation de celui-ci.

Notre système scolaire est incapable d’accorder une autonomie suffisante aux établissements, alors qu’on sait que la diversité des réalités territoriales et sociales doit être prise en compte, notamment au travers d’expérimentations évaluées. Notre système scolaire est incapable de faire vraiment confiance aux enseignants, alors que les comparaisons internationales montrent bien que l’effet-maître est primordial dans la réussite scolaire.

Notre système éducatif, on le voit, doit laisser davantage de liberté à la communauté éducative : c’est la deuxième exigence à laquelle nous devons nous soumettre. Il doit valoriser beaucoup plus la diversité des élèves et prendre mieux en compte les différences sociales et territoriales.

La troisième dérive, enfin, tient au fait que notre école n’est plus, depuis des décennies, portée par une véritable ambition nationale. Sans doute n’avons-nous pas su, ni les uns, ni les autres, renouveler cette ambition. Dans tous les cas, le résultat est là : l’éducation est devenue un sujet de clivages, plus que de rassemblement. Ces clivages sont devenus si profonds et sont si durablement installés qu’ils freinent et paralysent toute velléité de réforme. Vous en savez quelque chose, monsieur le ministre, vous qui rencontrez actuellement des difficultés dans la réforme des rythmes scolaires. Il serait donc indispensable, et c’est la troisième exigence, que nous cherchions à retrouver une ambition partagée pour notre école, une ambition qui dépasse enfin les polémiques stériles.

Recentrer l’école sur ses priorités, la libérer de son carcan et partager une ambition nationale pour elle : ce sont les trois exigences essentielles, aux yeux du groupe UMP, avec lesquelles nous devons entamer l’examen du texte que vous nous proposez.

Et vous, que nous proposez-vous avec ce projet de loi ?

Le recentrage que nous appelons de nos vœux est malheureusement absent. Je pourrais bien entendu évoquer les 253 alinéas du rapport annexé, dont le nombre est d’ailleurs monté à 264 à l’issue des travaux de notre commission.

M. Régis Juanico. Tant mieux !

M. Xavier Breton. Loin d’établir clairement des priorités, ce rapport annexé cherche surtout à ne rien oublier. Mais, comme l’indiquait, il y a déjà plus de vingt ans le Conseil d’État dans son rapport public sur la sécurité juridique : « quand la loi bavarde, le citoyen ne l’écoute plus que d’une oreille distraite ». Quelle oreille les citoyens vont-ils prêter à cette succession d’alinéas, dont chacun, pris séparément, a peut-être sa justification, mais dont la superposition rend peu lisible ce que pourrait être la volonté nationale pour notre école ?

Chacun trouvera peut-être son compte au détour de l’un ou l’autre de ces alinéas, sauf peut-être la première concernée, l’école, qui ne saura toujours pas, avec cette loi, quelles sont vraiment ses priorités.

Cette insuffisance de recentrage apparaît également au travers de mesures qui ont peut-être un intérêt en elles-mêmes, mais dont on peut douter de l’opportunité et de la pertinence, face au constat des 150 000 jeunes qui sortent chaque année sans qualification de notre système éducatif. J’aurais pu, à ce propos, évoquer l’apprentissage d’une langue étrangère dès le cours préparatoire, qui fera certainement l’objet d’un débat entre nous, mais j’évoquerai plutôt la scolarisation des enfants de moins de trois ans.

Oui, la scolarisation des enfants avant trois ans peut être une chance pour certains enfants, mais sa généralisation, dont vous faites un objectif, est-elle souhaitable ?

M. Régis Juanico. On n’a pas parlé de généralisation !

M. Xavier Breton. Les experts, nous le savons, sont divisés à ce sujet. Cette généralisation est-elle seulement possible, à l’heure où nous devons faire des choix budgétaires draconiens ?

Ce manque de priorité, nous le retrouvons également dans le message que ce texte adresse aux enseignants et aux élèves : un message qui appelle à moins d’exigence.

En effet, quel message adressez-vous quand vous dites vouloir supprimer les notations, les redoublements et les devoirs à la maison, sans rien proposer à la place ? Je le répète : si certaines mesures peuvent s’entendre et être débattues, nous ne devons pas les prendre isolément, mais par rapport à l’ensemble du texte que vous nous proposez. Force est de constater que ce texte ne recentre pas l’école sur ses priorités.

Ce texte présente un autre motif d’inquiétude : au lieu de chercher à libérer les initiatives, à accorder plus d’autonomie aux établissements et à faire davantage confiance aux enseignants, ce texte risque, tout au contraire, de renforcer les blocages existants et de créer de nouvelles rigidités.

N’y a-t-il pas, par exemple, une contradiction à vouloir faciliter la transition entre l’école et le collège en créant un cycle à cheval entre les deux et à supprimer, dans le même temps, le cycle qui existe aujourd’hui entre la grande section de maternelle et le cours préparatoire ? N’allez-vous pas inciter l’école maternelle à se refermer sur elle-même, avec ce cycle à part ?

Pourquoi, par ailleurs, réaffirmer le principe du collège unique et supprimer les dispositifs de préapprentissage institués notamment par la loi Cherpion ? Pourquoi adopter une approche purement quantitative des effectifs enseignants, alors qu’on sait que le véritable enjeu est l’attractivité du métier d’enseignant ? Ce texte ne dit rien, ou presque, des conditions de travail des enseignants. Pourquoi, enfin, créer un nouveau service public, celui de l’éducation numérique ? Comment, surtout, va-t-il pouvoir se développer sans freiner les initiatives dans ce secteur prometteur ?

S’agissant de la formation des enseignants, quelles mesures vont empêcher concrètement que ne réapparaissent les inégalités et les rigidités que nous avons constatées dans les IUFM ? Comment va se faire l’articulation entre les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation, d’une part, et l’université d’autre part ? Le texte actuel ne fixe pas le cadre qui permettrait d’éviter à l’avenir des blocages entre ces écoles et les universités.

J’aurais également pu évoquer les projets éducatifs territoriaux, dont la consécration législative pourrait bien signifier l’instauration d’une tutelle, venue du haut, sur les initiatives des établissements. Voilà autant de questions que nous avons posées en commission, au travers de nos amendements, et auxquelles nous n’avons pas obtenu de réponse.

Alors que de nouveaux blocages se profilent et que de nouvelles rigidités apparaissent, ce texte ne prévoit rien qui aille dans le sens d’une plus grande autonomie des établissements, rien qui annonce un véritable statut des directeurs d’école, rien qui introduise davantage d’initiative et de souplesse.

Alors que d’autres pays fixent des objectifs clairs à leur école, tout en laissant une grande souplesse dans les moyens de les atteindre, nous continuerons, de notre côté, à encadrer à l’excès notre système éducatif, sans avoir pour autant fixé l’objectif à atteindre.