Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Troisième séance du jeudi 28 mars 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Denis Baupin

1. Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

Suite de la discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (suite)

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Richard Ferrand

Rappels au règlement

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

M. le président

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

M. Jean Leonetti

M. Jean-Louis Touraine

M. François de Rugy

Suspension et reprise de la séance

Rappels au règlement

M. Paul Giacobbi

M. Jean Leonetti

M. François de Rugy

M. le président

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

M. Marc Le Fur

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Suspension et reprise de la séance

Rappel au règlement

M. Richard Ferrand

Discussion générale (suite)

Mme Anne-Yvonne Le Dain

Mme Marie-Christine Dalloz

Rappels au règlement

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Mme Véronique Massonneau

M. Jean-Christophe Fromantin

M. Jean Leonetti

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

M. Bernard Debré

M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Suspension et reprise de la séance

Discussion générale (suite)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Suspension et reprise de la séance

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures quarante.)

1

Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

Suite de la discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (nos 473, 825).

Pour la clarté de nos débats, je vous indique d’ores et déjà que la Conférence des présidents a décidé, lors de sa réunion du mardi 26 mars 2013, que la séance de ce soir serait levée au plus tard à une heure du matin. Il ne sera donc pas dérogé à cet horaire, prévu par l’article 50 de notre règlement.

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée nationale a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, madame la rapporteure, mes chers – et nombreux (Sourires) – collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui pose, de mon point de vue, plusieurs problèmes. Ces problèmes relèvent de trois catégories, que j’aborderai successivement. Ce texte soulève des enjeux d’ordre juridique, d’abord, d’ordre scientifique, ensuite, et enfin d’ordre philosophique. Cette dernière dimension a déjà été abordée ; j’y reviendrai plus en détail par la suite.

Premièrement, sur le plan du droit, permettez-moi de rappeler que l’article 46 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, qui a été codifié à l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, est ainsi libellé : « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. »

Il est vrai que s’il y a bien une institution qui n’est pas soumise aux textes législatifs existants, c’est l’Assemblée nationale. Puisque nous faisons le droit, par principe, nous n’y sommes pas soumis. Cela étant, vous m’accorderez que cette disposition – qui a été adoptée à une très large majorité –, son importance, le fait qu’elle exige de consulter la population, tout cela lui confère une portée symboliquement plus importante que celle d’une simple loi ordinaire. C’était du moins ce que nous souhaitions, et c’est conforme à son esprit. À cet égard, ce texte aurait dû être traité autrement.

J’ai entendu parler, à propos de ce texte, de « toilettage » des lois de bioéthique. Comme nous le montrerons au cours du débat sur les amendements, nous sommes bien au-delà d’un simple toilettage !

Deuxièmement, sur le plan scientifique, j’ai entendu un certain nombre d’orateurs qui soutiennent ce texte – notamment Mme la rapporteure – faire preuve d’une certaine forme d’optimisme quant aux progrès que permettrait la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Vous-même, madame la ministre, n’en avez pas manqué. L’attente et l’impatience des malades ont également été évoquées.

Au cours des débats, dans un souci d’équilibre, je porterai à votre connaissance, tout au long de la soirée, l’avis d’un certain nombre de savants, spécialistes reconnus des cellules souches pluripotentes induites – ou cellules IPS – et des cellules embryonnaires. Ils ne partagent pas, c’est le moins qu’on puisse dire, ni vos hésitations quant à la capacité des cellules IPS à répondre aux besoins de la médecine et de la science, ni votre enthousiasme à propos des cellules souches embryonnaires. Dois-je rappeler ici que, sur les dizaines de protocoles de recherche sur les cellules embryonnaires enregistrés par l’Agence de biomédecine, aucun n’a donné de résultats satisfaisants sur le plan thérapeutique ? On ne peut donc pas dire que les cellules souches embryonnaires permettraient d’élaborer des solutions d’avenir plus sûrement que les cellules IPS. C’est même plutôt le contraire !

Il est vrai que vous êtes, d’une manière générale, très enthousiastes et très confiants dans les progrès de la science. Cela a provoqué quelques réactions à droite de cet hémicycle. À cet égard, nous aurons l’occasion de répéter deux arguments au cours de cette soirée. Premièrement, si vous accordiez aux scientifiques une confiance illimitée, vous auriez supprimé toutes les règles encadrant les protocoles de recherche. Or vous ne l’avez pas fait : c’est bien la preuve qu’il y a une nécessité d’ordre éthique et juridique d’encadrer les protocoles de recherche. Ce n’est pas faire injure aux scientifiques que d’encadrer les recherches sur les cellules embryonnaires. Personne ici ne doute de la bonne volonté des savants ; simplement, nous constatons tous que ces disciplines si sensibles, qui touchent à du matériau humain – pour ne pas dire davantage – doivent être encadrées.

En second lieu, il est un argument que nous n’avons pas encore entendu, et que nous développerons à nouveau au cours de cette soirée. Il est vrai que les recherches sur les cellules IPS coûtent beaucoup plus cher que la recherche à partir de cellules souches embryonnaires. Nous ne devons pas écarter cette question du prix des recherches, parce qu’elle explique pour beaucoup le choix que vous faites, au mépris d’un certain nombre de considérations éthiques que je vais maintenant développer.

Il est vrai que le système actuel est ambigu. Les lois de bioéthique de juillet 1994 et la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, selon laquelle l’embryon n’est ni tout à fait une personne, ni tout à fait une chose, n’aident pas à réfléchir de manière sereine et précise. La loi française a une difficulté de principe avec la question de la personnalité de l’embryon : dans sa décision de 1994 que je viens de mentionner, le Conseil constitutionnel a en effet tranché sans trancher cette question. On ne peut pas dire non plus que l’avis du Conseil consultatif national d’éthique de 1986, portant au débat public la notion inédite de « personne potentielle », nous soit d’un grand secours ! C’est une notion qui est plus floue que n’importe quelle autre.

Ce texte contient deux éléments plus que problématiques, qui sont des obstacles purs et simples à son adoption.

D’abord, il consacre la différence que certains philosophes ont l’habitude de faire entre les êtres humains qui sont des personnes et les êtres humains qui n’en sont pas. Une telle distinction, on le sait, vient des philosophes utilitaristes anglo-saxons, et on en retrouve l’esprit dans votre proposition de loi. L’embryon n’étant pas un être humain considéré comme personnel, il ne peut pas être considéré comme un sujet de droit et, à partir de là, on a le droit d’en faire à peu près ce qu’on veut.

M. le président. Je vous remercie.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’ai encore une phrase de conclusion, monsieur le président.

S’y ajoute la volonté de penser prioritairement à la place de la France dans la compétition internationale, au mépris de l’exigence éthique,…

M. le président. C’est une longue phrase !

M. Jean-Frédéric Poisson. Effectivement, mais nous avons commencé la séance un peu en retard !

…et le fait que nous ayons un rang à défendre, paraît-il, alors que ni l’Allemagne ni l’Italie n’ont ce problème.

La question est mal posée, nous aurons l’occasion d’y revenir, et c’est la raison pour laquelle nous nous opposerons à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand.

M. Richard Ferrand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi à l’ordre du jour se propose de fixer des limites à la recherche scientifique sur les cellules souches embryonnaires, sans en entraver le mouvement. Tel est l’esprit de l’autorisation encadrée, qui succède à l’interdiction avec dérogations, et rend donc nécessaire la nouvelle rédaction de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique.

Une meilleure connaissance des cellules embryonnaires ouvrira à la recherche médicale des horizons nouveaux, dans un cadre législatif qui doit concilier éthique et progrès humain. Les chercheurs ont beaucoup à apprendre de ces cellules, dont le potentiel de différenciation est incomparable et spontané, puisqu’elles sont en pleine vigueur juvénile et recèlent de nombreux secrets. On mesure d’ores et déjà combien les cellules du cordon ombilical ont, entre autres, apporté une contribution majeure au progrès des greffes de moelle.

Au commencement, chacun de nous n’est que ce minuscule zygote qui a scellé la rencontre de l’ovule et du spermatozoïde. Cette cellule unique, apparemment fragile, n’est frêle qu’en apparence, puisqu’elle a reçu toute l’information génétique de notre espèce. Le zygote peut devenir un embryon, un fœtus, un nouveau-né, un enfant, un adulte, et dans le meilleur des cas, un vieillard. Un jour, qui n’aura pas été choisi, chacun d’entre nous rendra d’ailleurs cette vie qui lui a été donnée.

L’enjeu est bien de faire évoluer notre législation pour libérer les possibilités de recherche en France, comme cela est d’ores et déjà le cas dans de nombreux pays étrangers.

Cette liberté nouvelle ne peut s’entendre que dans un cadre garantissant les exigences éthiques. C’est pourquoi les quatre conditions cumulatives permettant le protocole de recherche conduit sur un embryon humain apportent la sécurité requise. Ainsi, outre que la pertinence scientifique de la recherche aura été établie, celle-ci devra s’inscrire dans une finalité médicale. La nécessité de recourir aux embryons ou cellules souches embryonnaires aura dû être démontrée et devra respecter les principes éthiques.

Liberté scientifique, sécurité juridique et responsabilité éthique constituent le trépied de l’avancée progressiste de cette proposition de loi. Cette avancée permet d’espérer des progrès sur les maladies de l’immunité, les cancers, mais aussi des découvertes qui ne sont pas nécessairement programmées à l’avance, mais que le cheminement scientifique trouve régulièrement sur sa route.

Plus concrètement, cette évolution législative va permettre à nos chercheurs d’avancer autant que leurs collègues étrangers, là où le cadre national actuel bride bien des programmes et des protocoles de recherche. Or, dans la recherche médicale, la France peut s’enorgueillir d’avoir compté et de compter d’éminentes personnalités ayant fait bénéficier l’humanité tout entière de leur travail et ayant conforté ainsi nos universités, nos laboratoires, et même nos filières pharmaceutiques.

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi comprenant un article unique illustre qu’il n’est pas toujours nécessaire d’être long pour être pertinent. Ce texte est un petit pas législatif, mais un grand pas pour le progrès scientifique.

Comme vous tous, mes chers collègues, j’ai reçu de nombreux courriers et lu quelques articles et déclarations stigmatisant cette proposition de loi comme attentatoire à la dignité et au respect de la vie.

Très simplement, je n’arrive pas à comprendre en quoi la conservation ad æternam d’embryons ou leur destruction après un certain délai serait plus respectueuse que leur utilisation à des fins de recherche. Que la vie, comprise dans ses toutes premières origines, soit mise au service de la santé humaine, dans un cadre strictement fixé, me paraît au contraire relever d’un impératif moral.

Au nom de quelle considération éthique devrait-on empêcher l’esprit humain de progresser, la recherche médicale de sauver des malades ou d’alléger des souffrances ? L’interdit signe le plus souvent une défiance dans le sens commun des responsabilités, là où, au contraire, les libertés bien encadrées témoignent d’une confiance dans l’éthique de nos chercheurs.

Inutile à ce stade d’évoquer une nouvelle fois les cellules IPS, dont on connaît l’intérêt réel, mais limité, dans les enjeux qui nous préoccupent.

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur le député.

M. Richard Ferrand. Ce texte mériterait un large consensus œcuménique, républicain, mais notre débat vespéral ne suffira sans doute pas à le ressusciter, fût-ce à quelques jours de Pâques. Je mesure que le départ des cloches pour Rome n’empêchera personne de carillonner contre l’évidence : l’humanité exige le progrès. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour un rappel au règlement.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Vu la gravité de la situation, monsieur le président, je vous demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.

Vous avez annoncé en début de séance que la présidence de l’Assemblée n’envisageait pas d’aller au-delà d’une heure du matin, alors que rien ne le justifie puisqu’il n’y a plus de texte inscrit à l’ordre du jour vendredi matin, l’examen du projet relatif à l’élection des conseils départementaux ayant été terminé hier soir.

Mme Marie-Christine Dalloz. Bâclé !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Nous avons donc toute liberté d’aller au-delà d’une heure du matin.

M. Richard Ferrand. Très bien !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Certains ayant freiné le déroulement du débat et l’examen des propositions de loi de notre groupe, ce qui est grave pour le droit d’initiative des groupes parlementaires, je trouve inadmissible que l’on décide de s’arrêter ainsi à une heure du matin alors qu’il n’y a aucun motif particulier et que nous pourrions terminer sereinement l’examen de ce texte.

M. le président. J’entends vos arguments, monsieur le président, mais je vous précise, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que c’est non pas une décision personnelle ou une décision de la présidence, mais une décision de la Conférence des présidents lors de sa réunion du 26 mars. Je ne sais pas si vous étiez présent mais, en tout état de cause, cette décision a été prise justement pour répondre à ce type de situation.

La suspension de séance est de droit.

Vous avez la parole.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La Conférence des présidents, à laquelle nous avons assisté l’un et l’autre, je crois, qui s’est tenue mardi comme d’habitude, avait prévu d’autres bases, puisqu’elle avait inscrit pour vendredi matin la fin de l’examen du texte sur l’élection des conseillers départementaux. Nous avions décidé d’interrompre la séance à une heure parce qu’il y avait une autre séance le lendemain matin. Aucun texte n’étant maintenant prévu demain matin, nous sommes libres d’aller au-delà de cette heure butoir qui avait été envisagée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

M. Olivier Falorni. La nuit est à nous !

M. le président. Nous allons nous procurer le compte rendu de la réunion de la Conférence des présidents : ainsi, il n’y aura pas d’ambiguïté.

La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Monsieur le président, vous avez répondu ce qu’il fallait répondre. Seule la Conférence des présidents peut revenir sur une de ses décisions. C’est la règle que nous avons tous admise depuis que nous sommes parlementaires.

Contrairement à ce que prétend M. Schwartzenberg, nous avons l’intention de débattre. Nous pensons même, d’ailleurs, que le débat doit s’enrichir. Il n’est donc pas question de bâcler un sujet que Mme la ministre a jugé de la plus haute importance.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous avez fait de l’obstruction tout l’après-midi !

M. Jean Leonetti. Très clairement, il y a une décision de la Conférence des présidents. Si vous voulez la modifier, réunissez une nouvelle Conférence des présidents, mais lisez plutôt le compte rendu, et vous verrez que la décision a été prise à l’unanimité.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Le groupe SRC soutient la proposition de M. Schwarzenberg. Effectivement, la décision a été prise dans le contexte très particulier de travaux prévus le vendredi matin. Dans la mesure où tel n’est plus le cas, il n’y a plus de raison de ne pas prolonger nos débats. Si nos amis de l’opposition veulent aller se confesser du péché d’obstruction parlementaire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Jean-Frédéric Poisson. Qu’est-ce que ça veut dire ?

M. Jean-Louis Touraine. …ils trouveront du temps d’ici à la fin de la semaine mais, pour l’instant, nous devons poursuivre nos délibérations puisque plus rien ne s’y oppose et, dans les minutes qui viennent, nous allons organiser nos travaux pour toute la nuit si c’est nécessaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Au nom du groupe écologiste, je voudrais également appuyer cette demande et, si nous sommes plusieurs groupes à le faire, il n’y a pas de raison de ne pas y répondre favorablement.

La Conférence des présidents avait pris cette décision dans la mesure où elle avait ouvert une séance vendredi pour le cas où l’examen du texte sur les conseillers départementaux et les élections municipales ou intercommunales n’aurait pas été terminé mercredi soir.

À partir du moment où il n’y a pas de séance vendredi, je ne vois pas pourquoi il y aurait un régime différent pour les séances d’initiative parlementaire des groupes et pour celles au cours desquelles est examiné un projet de loi du Gouvernement. Il est très fréquent que l’on prolonge les séances dans la nuit, parfois jusqu’à deux ou trois heures, parfois plus, souvent à la demande de députés qui veulent défendre des centaines d’amendements, même quand il n’y a qu’un seul article, ce qui, au passage, est particulièrement scandaleux ; parce que tout le monde a bien compris que c’était de l’obstruction ce que vous avez fait toute la matinée et tout l’après-midi, alors que vous n’en aviez rien à faire ni de l’Europe ni des élections européennes (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Dans ces conditions, il serait donc légitime que l’on puisse prolonger la séance et, si ce n’est pas le cas, je souhaite que l’on réunisse la Conférence des présidents. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et RRDP.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La décision de la Conférence des présidents de lever la séance à une heure est confirmée.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour un rappel au règlement.

M. Paul Giacobbi. En République, il y a des lois. La première de ces lois est la Constitution. La Constitution révisée a donné aux parlementaires, y compris de l’opposition et des petits groupes, un droit d’initiative, improprement appelé « niche » ; constitutionnellement, il s’agit d’une initiative parlementaire.

Nous avons eu aujourd’hui – c’est la seconde fois que cela se produit – une illustration de la manière dont la pratique peut conduire à priver cette initiative parlementaire de réalité. Il ne peut plus y avoir de proposition parlementaire qui survive puisque le débat est organisé de telle manière qu’une obstruction – ce n’est pas une accusation : que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre – suffit à l’abattre. Nous l’avons pratiquée, nos collègues la pratiquent, personne ne portera de jugement moral à ce sujet.

Il n’en demeure pas moins que nous ne sommes pas dans une niche et que nous ne sommes pas des chiens : il y a des lois et des règles. Aussi, le règlement des assemblées étant par définition une matière constitutionnelle, soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, nous allons explorer les voies de droit. Dès lors que l’on nous prive, non seulement notre groupe mais l’ensemble des groupes, du droit constitutionnel de défendre une proposition de loi, il est légitime que l’on s’interroge, et que l’on interroge le Conseil constitutionnel par des voies de droit.

Qu’un texte dont chacun sait – il suffit d’avoir écouté le débat – qu’il aurait été voté par l’Assemblée s’il avait été d’origine gouvernementale, parce qu’il aurait alors bénéficié d’une organisation différente du débat et qu’il se serait trouvé une majorité pour le voter, ne puisse l’être du seul fait qu’il est d’initiative parlementaire, crée entre la proposition et le projet une inégalité, en violation de la Constitution. Cela me paraît extrêmement choquant et pose un problème politique, un problème qui va au-delà de la question des rapports d’un groupe avec la majorité à laquelle il appartient, un problème politique au sens large et au sens noble. La question mérite d’être posée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, pour un rappel au règlement.

M. Jean Leonetti. Je remercie M. Giacobbi des propos modérés qu’il a tenus vis-à-vis de l’opposition. Nous savons que les niches parlementaires sont encadrées par la Constitution dans le délai d’une journée, et que notre règlement dispose qu’elles ne dépassent pas une heure du matin. (« Non ! » sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.)

En Conférence des présidents – le compte rendu en fait foi –, chacun savait, compte tenu du nombre d’amendements déposés sur un texte important, que le débat allait être fourni et riche.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous avez aggravé les choses !

M. Jean Leonetti. Quand on prévoit plusieurs propositions de loi dans une même niche parlementaire – pardon d’utiliser ce terme –, on se trouve forcément dans une situation contrainte.

J’appelle cependant la majorité à réfléchir : si elle décide qu’une niche parlementaire peut constitutionnellement aller au-delà de vingt-quatre heures, cela s’appliquera bien sûr à l’opposition, et nous déposerons alors des textes beaucoup plus importants que ceux qui sont généralement réglés en une journée. Il faudra bien réfléchir aux modifications que vous envisagerez dans le règlement, parce que la règle s’appliquera à tous.

Enfin, sans minimiser aucun groupe parlementaire, ni l’initiative parlementaire, qui est un droit constitutionnel que la majorité précédente a tenu à ouvrir, je poserai une question. Comment imaginer qu’un sujet dont Mme la ministre dit qu’il est d’une grande importance, dont chacun comprend qu’il porte sur des éléments majeurs et ouvre un débat où doit s’exprimer la diversité, alors que le Président de la République vient de rappeler ce soir qu’il fallait accepter la diversité des opinions et la respecter, comment imaginer que le sujet de la recherche sur l’embryon, qui suscitera forcément des discussions passionnées, mais aussi approfondies, puisse se tenir dans un espace aussi étroit que l’examen d’une proposition de loi ? Si le Gouvernement a l’intention d’assumer les promesses du Président de la République, qu’il dépose un projet de loi ! (Exclamations sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.)

M. Philippe Gosselin. Qu’il ait ce courage !

M. Jean Leonetti. Permettez-moi également de rappeler que, si c’était un projet de loi, vous seriez probablement contraints de saisir le Comité consultatif national d’éthique,…

M. Alain Tourret. Mais non !

M. Philippe Gosselin. Ça vous gêne !

M. Jean Leonetti. …qui vous demanderait peut-être l’organisation d’un débat citoyen, comme nous l’avions décidé ensemble.

Ne vous étonnez donc pas de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je remercie à nouveau M. Giacobbi de ne pas avoir stigmatisé l’opposition. Tout cela était prévisible, et, si vous regardez le compte rendu de la Conférence des présidents, c’était même prévu par le président de l’Assemblée nationale lui-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour un rappel au règlement.

M. François de Rugy. Ce problème de « déroulé » de la séance se posait avec évidence depuis un moment.

M. Philippe Gosselin. Pourtant, vous n’avez pas réagi.

M. François de Rugy. Ce matin, vous étiez déjà à l’œuvre, mesdames et messieurs de l’opposition. Je voudrais toutefois faire deux remarques. Tout d’abord, c’est vous qui avez voulu et voté la réforme de la Constitution de 2008, qui prévoit des semaines de l’Assemblée. Nous sommes aujourd’hui dans le cadre d’une telle semaine ; or vous nous expliquez que nous ne pouvons pas examiner jusqu’au bout une proposition de loi inscrite à l’ordre du jour par un groupe parlementaire minoritaire. Il existe pourtant une façon simple de respecter les droits du Parlement, à moins de vouloir, comme M. Leonetti, se faire hara-kiri, en laissant les groupes ne présenter que des propositions de loi qui ne touchent à rien ou, pour le dire comme votre ancien président de groupe, M. Copé, qui s’occupent du dernier accident de tondeuse à gazon. Si vous voulez que nous fassions des propositions de loi d’un tel genre, il faut le dire.

Il s’agit ici d’une proposition de loi comportant un seul article. En temps normal, quelques heures suffisent pour examiner les arguments d’une proposition ou d’un projet de loi d’un article et passer au vote.

M. Jean Leonetti. Cela dépend des sujets !

M. Philippe Gosselin. Pas sur un tel sujet : il ne s’agit pas d’une tondeuse à gazon.

M. François de Rugy. Vous avez une chose simple à faire : retirez vos amendements. Prenez cet engagement et nous pourrons reprendre le débat. Sans quoi, je fais de nouveau la demande, comme précédemment avec le président Schwartzenberg, que la Conférence des présidents se réunisse, afin de prolonger la séance. Pourquoi permettrait-on de prolonger des séances pour des projets de loi et non pour des propositions, si ce n’est pour nous faire hara-kiri ?

M. Philippe Gosselin. Le règlement est le règlement.

M. le président. Les demandes de rappel au règlement sont nombreuses : nous pourrions poursuivre ainsi jusqu’à une heure du matin. Or les sujets abordés ce soir sont importants, et ils pourront faire l’objet d’un examen lors de la prochaine Conférence des présidents. Nous pourrons également étudier l’éventualité d’une nouvelle procédure à l’avenir, dans le cadre du groupe de travail mis en place par le président de l’Assemblée nationale et dans lequel chacun des groupes est représenté ; mais n’abusez pas ce soir de votre recours aux rappels au règlement.

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, la situation ne remet pas en cause votre présidence, qui est d’une grande qualité. Toutefois, à la suite de M. Giacobbi, je rappelle qu’il existe deux règles, de valeur juridique très inégales, à prendre en compte.

La première est une règle purement coutumière,...

M. Jean Leonetti. Réglementaire.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. ...fixée par la Conférence des présidents : la dernière séance réservée aux niches parlementaires lèvera à une heure du matin.

M. Paul Giacobbi. Mais pourquoi une heure ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Cette décision a été prise dans un contexte particulier mardi dernier,...

M. Philippe Gosselin. Là, vous faites de l’exégèse.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. ...parce qu’il devait y avoir vendredi matin une séance consacrée à l’examen du texte sur l’élection des conseillers départementaux et qu’il aurait été difficile de prolonger au-delà d’une heure du matin notre séance de ce soir.

Ce fait particulier et contingent n’existe plus, puisque le texte en question a été voté hier soir : la matinée du vendredi s’est donc libérée et nous pourrions continuer à débattre au-delà d’une heure du matin. Cette règle fixée par la Conférence des présidents est de pure convenance. Nous aimerions d’ailleurs que la Conférence se réunisse maintenant.

L’autre règle, qui a une valeur bien supérieure dans l’ordre juridique, est relative aux niches parlementaires. Elle figure dans le règlement de notre assemblée depuis la dernière révision constitutionnelle et régit les droits d’initiative des différents groupes parlementaires. Nous touchons donc au droit constitutionnel, ce qui est bien différent d’une règle de pure commodité qui fixe la fin de nos séances à une heure du matin.

Par conséquent, il faut que la Conférence des présidents se réunisse afin de nous donner la confirmation qu’une règle d’essence constitutionnelle a une valeur supérieure à une règle strictement interne et fondée sur un principe de convenance : il y va des droits du Parlement. Si cela ne se faisait pas, il nous faudrait en tirer les conséquences relatives au fonctionnement de cette assemblée, au manque de respect du Parlement et, partant, de la Constitution. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.)

M. le président. Quelle que soit la légitimité de vos arguments, je vous rappelle que nous venons de suspendre la séance : nous avons à cette occasion pu constater que les conditions n’étaient pas réunies pour changer la décision prise par la Conférence des présidents. De deux choses l’une : soit nous reprenons la discussion, soit nous enchaînons les rappels au règlement.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je comprends parfaitement l’aigreur de mes collègues du groupe RRDP. (Protestations sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.) Je sais en effet que les niches ne reviennent que très occasionnellement : aujourd’hui, le parti radical a pu avancer un certain nombre d’idées, mais sans avoir le temps de les faire prospérer. Je comprends aussi que vous posez un problème de fond quant au fonctionnement de ces journées réservées aux niches. Je suis prêt à examiner cette question, avec mes collègues et vous-mêmes, dans le cadre des groupes de travail organisés par le président Bartolone.

S’agissant des circonstances du débat d’aujourd’hui, il existe un article de la Constitution résultant d’une modification que nous avons adoptée en 2008, avec le concours de certains d’entre vous, l’article 48, alinéa 5 : « Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l’initiative des groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’à celle des groupes minoritaires. » Il s’agit bien de cela ce soir. Cet alinéa n’a pas de rapport avec celui qui précède et qui concerne la semaine du Parlement, qui est une semaine de contrôle, monsieur de Rugy, ce qui est différent d’une niche.

M. François de Rugy. L’ordre du jour est partagé.

M. Marc Le Fur. Certes, mais il ne s’agit pas d’une niche : ce sont deux choses distinctes. L’article de la Constitution est bien clair : il est question d’« une journée ». Cette journée est définie par l’article 50 de notre règlement. Il existe trois périodes dans la journée : le matin, l’après-midi et le soir, dont le terme est une heure du matin.

M. Olivier Falorni. Où cela figure-t-il ?

M. Marc Le Fur. À l’alinéa 5 de l’article 50 de notre règlement. Écoutez : « L’Assemblée se réunit l’après-midi de 15 heures à 20 heures et en soirée de 21 h 30 à 1 heure le lendemain. » (Protestations sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.) Ce schéma est celui de la journée type. Nous avons organisé, à l’initiative du président Bartolone, une Conférence des présidents, et vous y étiez, monsieur Schwartzenberg ! Cette Conférence a pris une décision en toute connaissance de cause.

M. Philippe Gosselin. Bien sûr !

M. Marc Le Fur. Nous savions que le risque de ne pas achever le débat existait. La Conférence dit ainsi au sujet de la journée réservée du jeudi 28 mars : « En raison du nombre important d’amendements déposés »...

M. le président. Il faut conclure.

M. Marc Le Fur. …« sur la proposition de loi relative à la recherche sur l’embryon, l’ordre du jour de cette journée réservée à un ordre du jour proposé par le groupe RRDP est susceptible de ne pas être achevé. » La décision a donc été prise en parfaite connaissance de cause. « La troisième séance sera levée au plus tard à une heure du matin, heure réglementaire. » La réunion des présidents de mardi a donc précisé que la fin de la journée interviendrait à une heure du matin, en sachant que nous risquions, du fait de l’importance de votre sujet, de ne pas terminer.

M. le président. Monsieur Le Fur, vous rappelez le règlement mais, précisément, les rappels au règlement ne doivent pas dépasser deux minutes.

M. Marc Le Fur. Il me semblait important de clarifier la situation. Je suis d’accord pour constater qu’il y a un problème au sujet de ces niches et je suis prêt à poser ce type de question avec d’autres collègues.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je ne peux qu’aller dans le sens de M. Le Fur et faire appel aux mêmes articles que lui : l’article 48, alinéa 5 de la Constitution et l’article 50, alinéa 4 de notre règlement, qui définit les horaires d’ouverture des débats. Seule une Conférence des présidents pourrait modifier exceptionnellement les horaires.

M. Olivier Falorni. Qu’elle se réunisse donc !

Mme Catherine Lemorton. C’est au président de décider si les conditions sont réunies ; il me semble toutefois qu’elle aurait beau se réunir, cela ne modifierait en rien la situation. Certes, je m’engage un peu. Toujours est-il que j’ai participé à la même Conférence des présidents que vous et que j’ai entendu la même chose que le groupe de l’opposition.

M. Philippe Gosselin. C’est tout à fait à votre honneur de le dire, madame la présidente.

M. Olivier Falorni. La Conférence des présidents est au-dessus de tout !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-trois heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, pour un rappel au règlement.

M. Richard Ferrand. Le règlement est le règlement, nous avons bien entendu l’argumentation, mais il nous faut tout de même constater l’alliance de l’obstruction et du règlement. Ce matin, nous avons assisté à un travail systématique d’instrumentalisation de l’enjeu européen de la part de l’UMP pour faire durer la discussion, y compris au niveau le plus dérisoire, au point de présenter des motions que nos collègues n’ont même pas suivi jusqu’au bout, dans le seul but de faire avorter le débat de ce soir. Devant une telle attitude et lorsque j’entends mon cher compatriote de Bretagne Le Fur dire, avec des larmes de crocodile, qu’il faut revoir le dispositif des niches, que ce serait mieux si elles duraient plus longtemps – il pourrait ainsi obstruer plus longtemps –, j’ai beaucoup de peine pour les chercheurs, pour toutes celles et tous ceux qui attendent de nous, de la représentation nationale, que ce qui était aujourd’hui à l’ordre du jour aboutisse ! Quand je constate que l’on fait uniquement du droit au lieu de faire de la politique, je me dis qu’on n’est pas loin du Bas-Empire romain ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Le droit, c’est notre travail ! On n’est pas ici au café du commerce !

M. Richard Ferrand. C’est de l’usurpation pour mieux affaiblir le débat démocratique, et messieurs, je ne vous en félicite pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Discussion générale (suite)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, que je prie de bien vouloir m’excuser pour ces longues interruptions.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Monsieur le président, après ce délicieux moment de démocratie réglementaire, nous allons pouvoir nous attaquer à la démocratie parlementaire. Mais je dois avouer que pour moi c’est un baptême du feu étrange, à cette heure-ci de la nuit, sachant que nous ne pourrons finir l’examen du texte. Madame la ministre, c’est donc avec beaucoup de désolation que je vais m’exprimer, et avec beaucoup de respect pour votre courage.

« Cellules souches embryonnaires », formulation désormais courante, vernaculaire, mais grave, qui évoque des cellules totipotentes, celles qui peuvent tout faire, tout devenir : des tissus, des organes, du sang, de la peau, des poumons, du muscle, de l’os, du cerveau, en un mot tout ce qui constitue la chair dont nous sommes façonnés ; et c’est cette totipotence qui est congelée dans l’attente d’un projet parental, celle du tout début du processus vital qui permet de passer naturellement de l’oeuf a la morula – huit cellules –, puis au blastomère – trente-deux, voire soixante-quatre cellules. C’est ce pouvoir, ce potentiel, qui interroge les scientifiques au bénéfice des vivants que nous sommes, tous potentiellement malades, et au bénéfice des couples qui connaissent des stérilités aujourd’hui encore non soignables. C’est cette totipotence qui ouvre de nouvelles perspectives scientifiques avec, derrière, des progrès médicaux. Ces cellules sont la base, le socle de tout, la souche de toute la différenciation cellulaire qui aboutira, au terme du processus biologique complet à un être vivant… si le projet parental va à son terme. Or nous parlons ici de cellules souches embryonnaires sur lesquelles il n’y a pas ou plus de projet parental.

Mme la ministre, Mme la rapporteure et M. le président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques l’ont clairement dit : la science française, la médecine française ne peuvent plus se passer de ces recherches, et il est désormais avéré qu’aucun matériau biologique de substitution ne permet de remplacer les cellules souches embryonnaires. En effet, nous avons désormais la preuve, cela a été dit tout à l’heure, que les cellules souches induites, dites IPS, qui ont longtemps semblé pouvoir remplacer les cellules souches embryonnaires, ne le peuvent pas. Les cellules souches de tissu – la moelle épinière par exemple – n’ont pas les mêmes compétences, les mêmes potentiels, que les cellules souches embryonnaires, tout simplement parce qu’elles ont vécu et sont entrées dans un processus épigénétique inévitable, celui qui lie un être vivant aux conditions de sa vie. Non, vraiment, les cellules IPS ne peuvent remplacer les cellules souches embryonnaires, ni donc être un refuge politique pour ceux qui ne veulent pas avancer les yeux ouverts

Oui, trois fois oui, nous parlons ici de cellules souches embryonnaires, sur lesquelles il n’y a pas, il n’y a plus de projet parental, nous parlons ici d’un matériau (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas un vulgaire matériau !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. …qui ne peut en rien devenir un être vivant s’il reste ce qu’il est : un amas cellulaire au congélateur ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas un amas cellulaire à mettre seulement au congélateur !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Faut-il le conserver ?

M. Philippe Gosselin. Pensez-vous à Mme Courjault ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Faut-il le détruire alors qu’il a une valeur scientifique et donc un avenir ?

Le texte prévoit bien un double contrôle : un projet de recherche, qui sera analysé, évalué et soumis à la controverse scientifique, la seule qui vaille, pour accord ou pas selon sa nature, ses motifs, et sa qualité, c’est-à-dire son aptitude à aboutir ; un accord explicite du couple parents, ce qui n’ira évidemment pas pour celui-ci sans questionnements éthiques et moraux, et qui nécessitera un dialogue délicat, subtil, attentif entre ce couple et l’équipe médicale et scientifique, avec des règles et des délais explicites et encadrés, et un droit de rétractation. Ces dispositions étaient nécessaires et ce texte les précise. Les équipes médicales qui en auront la charge comprennent et connaissent, elles sauront dialoguer avec les couples et accepter évidemment un refus de toute recherche au terme des cinq années légales de conservation, comme c’est déjà le cas quand est proposé le transfert des embryons surnuméraires au bénéfice d’un couple infertile.

Je souligne aussi que, dans bien d’autres pays scientifiques, il règne parfois une grande confusion quant à ce qui est autorisé ou interdit, et dans quelles conditions. Pourtant, ailleurs, les recherches avancent.

Alors oui, je témoigne que c’est l’honneur de notre pays de clarifier enfin le débat que notre assemblée assume, et, au-delà de cette enceinte, les conditions d’application du texte par l’Agence de la biomédecine et par nos équipes scientifiques. Donnons leur enfin le signal que nous avons confiance, en leurs objectifs scientifiques bien sûr mais aussi en leur morale et en leur éthique. Car enfin, il s’agit bien de faire confiance aux nôtres, de ne pas les laisser partir à l’étranger pour faire ailleurs ce qu’ils ne peuvent faire chez nous ; donnons-leur en France la possibilité de travailler, de témoigner ainsi de leur vitalité intellectuelle et morale et de leur conscience. Il n’y a pas en France de métier plus contrôlé, plus évalué, plus soumis au contrôle social que celui de notre communauté scientifique, trop souvent avec défiance et toujours dans la compétition. Alors oui, faisons-lui confiance, enfin.

C’est bien en effet à un débat sur le rôle et la place des scientifiques dans nos sociétés modernes que nous sommes convoqués ce soir. Les sociétés humaines avancent à grande vitesse partout dans le monde, et la représentation nationale se doit aujourd’hui de dire à la communauté scientifique de notre pays qu’enfin, à nouveau, elle lui fait confiance, et ce au bénéfice de la santé future de notre population et de la place de notre pays dans l’avenir et dans le monde.

Oui, les mots clefs sont confiance et humanisme, et ce pour le progrès de l’humanité, pas un concept général désincarné mais une humanité vivante, faite d’hommes et de femmes de chair et d’esprit. Science et conscience impliquent confiance. À nous ici, ce soir, de l’assumer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collèges, avant tout, je voudrais faire une remarque de méthode. En effet, l’actuel régime de la recherche sur l’embryon est issu d’un processus de révision des lois bioéthiques conforme à l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique qui dispose : « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. »

M. Jean-Louis Touraine. C’est vrai. Nous l’avons déjà fait il y a trois ans.

Mme Marie-Christine Dalloz. « Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. » Sans un tel débat, sans ces concertations, c’est donc sous le manteau que nous discutons aujourd’hui d’un texte qui anéantit la protection due à l’être humain dès le commencement de sa vie. La proposition de loi a en effet pour dessein de faire passer la recherche sur l’embryon d’un régime d’interdiction de principe assorti de dérogations à un régime d’autorisation conditionnée. Cela signifie, ni plus ni moins, que, pour la première fois en droit français, le principe du respect de l’être humain va devenir une exception. Rien ne justifie ce traitement incongru.

M. Philippe Meunier. Très juste !

Mme Marie-Christine Dalloz. Tout au contraire, cela conduit à exclure le raisonnement qui nous est aujourd’hui proposé !

En premier lieu, tout l’exclut au regard des textes. Ainsi, l’article 16 du code civil dispose : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »

L’article 18 de la convention d’Oviedo de 1997, ratifiée en décembre 2011 par la France, notamment par l’excellent ministre des affaires européennes de l’époque, Jean Leonetti, indique : « Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon. »

La directive européenne de 2010 fixe aux États l’objectif du remplacement total, par des méthodes alternatives, de la recherche sur l’animal, y compris sur les formes « embryonnaires et fœtales ».

Il en va de même de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. L’arrêt Thomson a confirmé en 2008 que l’embryon humain doit bénéficier d’une protection au nom du principe de la dignité humaine.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme Marie-Christine Dalloz. L’arrêt Greenpeace, en 2011, précise qu’une « invention ne peut pas être brevetable lorsque la mise en œuvre du procédé requiert, au préalable, soit la destruction d’embryons humains, soit leur utilisation comme matériau de départ » – ce que j’ai entendu tout à l’heure – « même si, lors de la demande de brevet, la description de ce procédé ne fait pas de référence explicite à l’utilisation d’embryons humains. »

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

Mme Marie-Christine Dalloz. Enfin – et c’est la pierre angulaire du débat –, autoriser la recherche sur l’embryon n’a jamais été aussi inutile au regard des progrès de la science. Le prix Nobel de médecine 2012 a récompensé la découverte des cellules souches adultes reprogrammées en cellules pluripotentes, dites cellules induites, ou IPS. Or ces cellules sont pertinentes pour le criblage des molécules comme pour la modélisation des pathologies, sans poser le moindre problème éthique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Parfaitement !

Mme Marie-Christine Dalloz. Indépendamment de cette découverte, les solutions alternatives pour la recherche existent, avec notamment l’utilisation des cellules souches du cordon ombilical, qui ne posent aucun problème éthique au niveau de la collecte non autologue.

Rappelons tout de même qu’en vingt ans de recherches sur l’embryon la Grande-Bretagne n’est parvenue à aucun résultat concluant.

M. Jean-Louis Touraine et M. Jean-Yves Le Déaut. C’est faux !

Mme Marie-Christine Dalloz. La majorité nous parle de frein à la recherche, de perte de chances d’avancées thérapeutiques majeures. Mensonges !

M. Denys Robiliard. C’est vous qui mentez !

Mme Marie-Christine Dalloz. Frein à la recherche ? Les protocoles de recherche sur l’embryon sont déjà largement délivrés par l’Agence de biomédecine : depuis 2004, l’ABM a délivré 173 autorisations relatives à la recherche sur l’embryon, pour seulement neuf refus. Malgré le principe d’interdiction, les dérogations actuelles sont largement interprétées, voire non respectées, comme l’a estimé la cour d’appel de Paris le 10 mai 2010. Qu’en sera-t-il avec un principe d’autorisation ?

Perte de chances d’avancées thérapeutiques majeures, dites-vous. Mais pourquoi s’acharner à rater le coche des cellules IPS ? Est-ce parce qu’elles sont moins disponibles que les embryons humains ?

M. Jean-Louis Touraine. Non, c’est parce qu’elles n’ont rien à voir avec tout cela !

Mme Marie-Christine Dalloz. Si c’est la logique de la majorité, c’est consternant.

En définitive, ce texte réifie l’embryon humain et lui donne même un statut inférieur à celui de l’embryon animal, désormais protégé par la directive européenne précitée ; il pose de graves problèmes éthiques, n’est justifié par aucun impératif de recherche fondamentale, pharmaceutique ou clinique et contrevient à la procédure établie par la loi de 2011 concernant les textes touchant à la bioéthique.

Qu’ajouter de plus ? Il est évident qu’il faut impérativement rejeter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour un rappel au règlement.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Nous vivons des moments qui sont d’une importance particulière. Je rappelle en effet qu’il s’agit d’un texte adopté par le Sénat avec une majorité importante, ce qui témoigne d’un certain consensus, dépassant d’ailleurs les frontières habituelles des partis politiques.

Ce n’est pas une initiative farfelue, spontanée, surgie de nulle part. Ce texte, je le répète, a été adopté par la Haute assemblée,…

M. Philippe Gosselin. Le Sénat fait ce qu’il veut !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …dont on connaît les qualités juridiques,…

M. Jean Leonetti. Et les nôtres ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …sans même parler de ses qualités politiques.

M. Philippe Gosselin. En effet : il rejette les textes du Gouvernement !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Un travail parlementaire très sérieux a été accompli.

Quand on écoute les uns et les autres au sein de notre assemblée – ce qui, après tout, est l’essentiel –, on constate qu’une large majorité serait prête à voter ce texte et qu’elle attend d’ailleurs depuis des années que le principe d’autorisation remplace celui d’interdiction avec dérogation. Une large majorité, disais-je, serait prête à le faire, non pas pour des raisons politiques, mais parce que c’est un problème qui concerne beaucoup de patients qui attendent le développement de thérapeutiques nouvelles à partir des thérapies cellulaires, c’est-à-dire de ces recherches qui, pour l’instant, se trouvent contraintes.

Ce sujet est donc grave. Or à cette gravité s’opposent des initiatives que je n’ai pas bien comprises, qui consistent à nous empêcher de débattre. Qu’y a-t-il de plus terrible, finalement, pour un Parlement, que d’être empêché de débattre ? Vous avez déposé un grand nombre d’amendements et utilisé d’autres artifices de procédure, dans le texte qui précédait comme dans celui-ci.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela s’appelle la procédure parlementaire !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Cela pose un problème considérable, non que nous vous demandions d’être nécessairement d’accord avec nous, mais parce qu’il s’agit – je le répète – d’un droit constitutionnel. Je vous renvoie à l’article 51-1, relatif aux droits des groupes minoritaires et d’opposition. C’est donc entraver et mettre à mal l’exercice par un groupe minoritaire de son droit d’initiative législative (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Jean Leonetti. Vous dites cela à un groupe d’opposition qui n’a aucun droit !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …pourtant garanti par la Constitution. Cela revient à empêcher l’exercice d’un droit constitutionnel.

Étant donné la gravité de la situation, nous avons réclamé, François de Rugy et moi, la réunion d’une Conférence des présidents exceptionnelle. On nous dit qu’il ne serait pas possible, à cette heure-ci, de le faire dans les formes usuelles. Je suis pour ma part persuadé du contraire. Quoi qu’il en soit, je suis également persuadé de la nécessité pour une assemblée comme la nôtre de pouvoir réunir sa Conférence des présidents à chaque instant.

Considérant que nous sommes empêchés d’exercer notre droit à légiférer – notre groupe n’est pas seul concerné, car beaucoup d’autres députés sont dans la même situation –, nous estimons que nous devons en tirer les conséquences. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas continuer à siéger dans ces conditions parfaitement artificielles, illégitimes et inconstitutionnelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour un rappel au règlement.

Mme Véronique Massonneau. Pour les mêmes raisons que celles que vient d’exposer M. Schwartzenberg, notre groupe s’associe au groupe RRDP. Nous ne participerons donc pas plus longtemps à ce simulacre de démocratie parlementaire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas un simulacre ; nous respectons le règlement.

M. Paul Giacobbi. Vous violez la Constitution ! Nous reparlerons de cette affaire !

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Christophe Fromantin. Je suis assez surpris par cette attitude. Il me semble que le règlement est clair : quand on dispose d’une niche, on fixe soi-même l’ordre du jour, en toute connaissance des limites posées par le règlement. C’est au groupe de construire un programme pour cette journée, en cohérence avec les limites posées par le règlement. (Mmes et MM. les membres des groupes RRDP et écologiste se lèvent et quittent l’hémicycle.)

M. Paul Giacobbi. Et la Constitution, vous vous en foutez ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Je vois que je parle dans le désert ! Vous apportez la preuve de votre incapacité à organiser votre journée en respectant les limites du règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, pour un rappel au règlement.

M. Jean Leonetti. Je suis consterné que vous considériez que, puisque l’on ne peut pas voter, on ne peut pas débattre. Nous pensions pour notre part qu’il était important de débattre sur ce sujet.

Certes, quand on débat d’un sujet touchant à l’éthique, il est un peu difficile de le faire en quelques heures. Ainsi, l’élaboration des lois de bioéthique nous a pris plusieurs semaines.

Personne ne conteste que le sujet abordé est important. Personne ne conteste non plus que le texte qui nous est soumis aujourd’hui propose un changement important. Pourquoi prétendre que l’opposition obstrue le débat, alors que nous demandons justement de débattre ?

Il y a d’autres possibilités que celle que vous proposez. Je dirai même que, sur ce sujet, le doute est utile et fertile. Nous pourrions éventuellement réfléchir ensemble. Le Conseil national d’éthique pourrait être saisi et donner son avis.

M. Denys Robiliard. Il l’a déjà fait !

M. Jean Leonetti. Il l’a déjà donné, mais il pourrait en changer. Peut-être serait-il intéressant de lui soumettre de nouveau la situation. Cela pourrait être un élément d’apaisement.

Enfin, madame la ministre, je vous rappelle que, si vous inscrivez le contenu de ce texte dans un projet de loi, vous aurez une majorité pour le voter. Il est vrai toutefois que vous serez alors contrainte de le faire inscrire à l’ordre du jour d’une semaine du Gouvernement, plutôt que d’utiliser une petite demi-journée, dans le cadre d’une semaine de l’Assemblée. Vous ne pourrez pas déléguer à un groupe le soin de concrétiser une promesse du Président de la République, lequel dispose, sous la Ve République, de la maîtrise de l’ordre du jour par l’intermédiaire du Gouvernement.

M. Philippe Gosselin. Eh oui ! Le Gouvernement doit assumer ! Voilà ce qui se passe quand il ne le fait pas !

M. Jean Leonetti. Je regrette donc qu’un certain nombre de députés considèrent que, puisque l’on ne peut pas décider ce soir, le débat est clos.

Au contraire, le débat aurait pu apporter, outre quelques affrontements – bien sûr –, un certain apaisement. Peut-être même, grâce au doute résultant de la réflexion collective, aurions-nous pu sortir des insultes, des caricatures et des positions tranchées – je parle en particulier de la majorité – de manière à comprendre qu’il y existe dans ce pays une diversité d’opinions, qui doit être respectée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je ne retire rien de ce que j’ai dit tout à l’heure sur l’application de notre règlement et sur la Conférence des présidents. On peut quand même s’interroger, car c’est vous, chers collègues de l’opposition, qui avez redonné du pouvoir aux commissions à l’occasion de la révision de la Constitution et de la refonte du règlement de l’Assemblée nationale. Or, sur ce texte, vous avez déposé deux amendements en commission contre 304 dans l’hémicycle.

M. Jean Leonetti. Souvenez-vous de ce que vous faisiez vous aussi il y a encore quelques mois !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je fais simplement un constat.

Par ailleurs – et je vous le dis sans agressivité –, tous ceux qui ont été réélus en juin dernier savent que, sous la précédente législature, lors des journées réservées, c’était l’opposition qui se mobilisait. Il n’y avait alors personne en face, puisque les votes étaient réservés jusqu’au mardi suivant.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Eh oui !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, a décidé de respecter la démocratie parlementaire en faisant en sorte que les votes aient lieu au fur et à mesure de la discussion des textes, ce qui est le cas depuis le début de la législature – vous ne pouvez pas le nier.

M. Jean Leonetti. Là n’est pas le problème !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. C’est un mode de fonctionnement que nous n’avons pas connu sous la précédente majorité ; il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître.

M. Jean Leonetti. Je peux vous citer au moins deux textes qui n’ont pas été votés avec cette méthode.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je me contente de constater que vous déposez deux amendements en commission et 304 en séance. Ce faisant, vous ne respectez pas, d’une certaine manière, le temps parlementaire, alors même que nous entendons jouer le jeu du débat en faisant en sorte qu’il y ait un vote sur chaque amendement et sur chaque article.

M. Jean Leonetti. Vous ne pouviez pas imaginer qu’il n’y ait pas d’amendements sur un texte comme celui-ci !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Souvenez-vous, mes chers collègues : naguère, chaque jeudi réservé aux parlementaires de l’opposition, la réserve était décrétée en début de journée sur tous les votes, à la suite de quoi vous partiez, laissant deux d’entre vous assurer une permanence, qui, tout au long de la journée, ne répondaient rien. Voilà comment les choses se passaient. Je ne trouve donc pas très loyal que vous agissiez de cette manière aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. Bernard Debré, pour un rappel au règlement.

M. Bernard Debré. Je veux faire part de mon incompréhension. J’ai entendu tout à l’heure le Président de la République dire qu’en ce qui concerne la PMA, un sujet pas si éloigné de celui qui nous occupe ce soir, il allait attendre l’avis du comité consultatif national d’éthique, le CCNE.

M. Denys Robiliard. Il a déjà été rendu !

M. Philippe Gosselin. Il est défavorable.

M. Bernard Debré. Le CCNE, dont je faisais partie encore récemment, a rendu un avis défavorable. Je pense qu’il aurait été beaucoup plus simple d’interroger le CCNE sur la présente proposition. Nous aurions pu ensuite en discuter librement, puisque l’avis n’est que consultatif – bien que le Président de la République ait dit qu’il le suivrait, s’agissant de la PMA.

Par ailleurs, je regrette que cette niche parlementaire ne nous ait pas donné l’occasion de mener une discussion sur le fond, même si nous n’étions pas forcés de la sanctionner par un vote, la Conférence des présidents l’ayant limitée à 1 heure du matin. Je suis sûr que nous aurions pu sortir, les uns comme les autres, de la discussion générale avec une idée peut-être différente de celle que nous avions en entrant dans l’hémicycle.

De fait, je suis assez surpris que certains soient partis, refusant la discussion alors qu’ils étaient à l’origine de cette niche parlementaire. Cette proposition de loi, extrêmement importante, aurait mérité un débat.

Enfin, madame Lemorton, vous avez critiqué le fait que deux amendements seulement aient été déposés en commission. Il faut bien voir que les députés qui ne sont pas membres de la commission saisie au fond ont le droit constitutionnel de déposer des amendements en séance, car ils ne peuvent le faire en commission. Supprimer ce droit nuirait gravement à la discussion.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Rien ne les empêche de déposer leurs amendements en commission ! Ils ne peuvent les voter, voilà tout.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Comme nos collègues l’ont dit tout à l’heure, on ne peut pas prétendre vouloir calmer les choses lorsque l’on a fait, deux heures durant, de la procédure !

M. Jean-Frédéric Poisson. Qui fait de la procédure ?

M. Jean Leonetti. Nous respectons le règlement, ce qui est bien la moindre des choses à l’Assemblée nationale !

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons assisté à une journée entière d’obstruction. Les députés de l’opposition nous disaient en privé, sourire aux lèvres, qu’ils avaient une double compétence, à la fois sur l’Europe et sur les cellules souches embryonnaires…

Ce n’est pas risible, car nos concitoyens pensent que le Parlement devrait débattre de sujets essentiels. La manière dont a été traitée cette niche parlementaire, consacrée à l’un des groupes minoritaires, n’est pas correcte.

M. Jean Leonetti. Qui en est responsable ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur Debré, nous sommes un certain nombre ici à avoir connu toutes les lois de bioéthique depuis 1994. Le CCNE a été saisi de la question de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais pas de la question de la PMA dans sa totalité.

M. Jean Leonetti. Il s’est quand même exprimé.

M. Jean-Yves Le Déaut. Sur ce sujet, le président du CCNE a écrit une lettre à la présidente de la commission des affaires sociales, avec copie à l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST.

Par ailleurs, il était prévu que l’OPECST évalue les lois de bioéthique dans un délai de cinq ans. La loi de 1994 a été évaluée au bout de huit ans et celle de 2004, sept ans après son entrée en vigueur. Nous étions alors en désaccord avec vous sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires. On ne peut pas dire, un peu plus d’un an après le vote de la loi de 2011, que cela ne peut pas être fait.

Avec l’accord de mon collègue Jean-Louis Touraine, je vous demande une suspension de séance afin de réunir notre groupe.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures trente-cinq, est reprise le vendredi 29 mars 2013 à zéro heure.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, je vais, en tant que présidente de la commission des affaires sociales, tenter de répondre aux questions qui ont été posées lors de la discussion générale.

On m’a interpellée sur le fait que la commission avait été saisie par le Comité consultatif national d’éthique. Je vais donc vous dire exactement ce qui m’a été demandé par M. Ameisen, dans sa lettre en date du 14 mars 2013, à l’attention de Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

« Madame la présidente, chère madame,

« Comme vous le savez, les missions du Comité consultatif national d’éthique ont été étendues par le législateur, dans les dispositions de la loi du 7 juillet 2011, relative à la bioéthique. »

« Plus précisément, l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique demande au CCNE d’être à l’initiative de l’organisation d’un débat public sous forme d’états généraux avant “tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance, dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé”. »

« Actuellement, la loi restreint l’accès de l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, à des couples constitués d’un homme et d’une femme, vivant ensemble depuis au moins deux ans, et qui, pour des raisons médicales, ne peuvent concevoir un enfant. Mais il y a aujourd’hui beaucoup d’autres demandes. Il y a une demande d’AMP par des couples de femmes, par des femmes célibataires, par des couples d’hommes avec demande d’accès à la gestation pour autrui. »

J’ai d’ailleurs, à ce sujet, entendu, comme vous, le Président de la République affirmer tout à l’heure qu’il n’y aurait pas, tant qu’il serait président de la République de gestation pour autrui.

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Il y a aussi des demandes d’autoconservation des ovocytes, qui sont liées aux avancées des techniques de congélation des ovocytes : la possibilité pour les femmes de faire prélever et conserver leurs ovocytes, afin de pouvoir envisager de recourir à l’AMP des années plus tard, à un âge où leur fertilité serait compromise. »

M. Bernard Debré. On ne se trompe pas de débat ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Mais c’est mieux que l’Europe !

M. Philippe Gosselin. C’est sujet libre, si je comprends bien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. « Le projet de loi sur la famille envisage d’élargir les indications de l’AMP à certaines de ces indications sociétales. Plutôt que de traiter ces questions au cas par cas, le CCNE a décidé de se saisir de l’ensemble des questions éthiques posées par ces indications sociétales de l’AMP, et ce d’autant que ces questions dépassent le cadre de l’AMP et concernent le rôle général de la médecine. La médecine doit-elle se limiter à prévenir et à traiter des maladies ou devrait-elle aussi répondre à des demandes sociétales ? »

« En ce qui concerne spécifiquement l’AMP, l’élargissement éventuel de ses indications repose également sur la question de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, qui ressurgit régulièrement, et qui, dans le cas des femmes célibataires et des couples de femmes, répondrait au souci que l’enfant puisse avoir une référence au donneur au titre de père biologique. Une autre question est celle du remboursement ou non par l’assurance maladie : est-ce que des indications sociétales de l’AMP, si elles étaient autorisées, devraient être prises en charge par la collectivité ou est-ce qu’on devrait considérer, comme c’est le cas actuellement en Grande-Bretagne, qu’il ne s’agit pas d’un problème majeur de santé publique ? Cette question se pose particulièrement en cette période de crise économique, où la question essentielle est de pouvoir consacrer les dépenses de santé à la préservation de la santé de tous. Mais si des indications sociétales de l’AMP étaient autorisées sans être prises en charge par la collectivité, une discrimination par l’argent serait alors instituée. »

« Pour toutes ces raisons, le CCNE considère que ces questions justifient la tenue d’états généraux qui permettraient une réflexion de fond sur ce sujet de la part de la société. »

« L’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique prévoit que les états généraux “sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques”. »

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous sommes d’accord !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. « C’est la raison de la démarche que nous faisons aujourd’hui auprès de vous » – ceci s’adresse à moi –, « et je serais heureux si vous pouviez me faire part des remarques et suggestions qu’appelle de votre part notre initiative. »

« En vous remerciant par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à notre demande, je vous prie de croire, madame la présidente, chère madame, à l’expression de mes meilleurs sentiments. »

« Jean Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique »

Cela vous montre bien que le Comité consultatif national d’éthique nous a bien saisis, mais pas sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Ça ne nous avait pas totalement échappé !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je continue de répondre à tous les sujets sur lesquels j’ai été interpellée…

M. Philippe Meunier. Qu’on apporte une carafe d’eau à Mme Lemorton !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. J’ai senti votre angoisse, monsieur Gosselin, devant le fait que les auditions avaient eu lieu pendant la fermeture de l’Assemblée nationale…

M. Philippe Gosselin. J’ai parlé de la suspension des travaux !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Pendant la suspension des travaux, il n’est pas interdit de venir de sa circonscription pour assister à des auditions, dont j’avais annoncé la tenue huit jours auparavant.

Voici donc, par ordre chronologique, la liste des personnes que la rapporteure a auditionné :

Pour l’Agence de la biomédecine, Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale ;

M. Philippe Menasché, professeur de chirurgie cardio-vasculaire, directeur d’une unité de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale dédiée à la thérapie cellulaire en pathologie cardio-vasculaire à l’hôpital européen Georges Pompidou ;

M. Alain Privat, biologiste, professeur en neurobiologie à l’Université de Bilbao ;

Pour le Comité consultatif national d’éthique, M. Jean-Claude Ameisen, président, dont je peux vous relire la lettre, si vous n’avez pas tout saisi…

Les députés du groupe UMP. Mais oui ! Avec plaisir !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. À la demande de l’opposition, je vais donc relire la lettre de M. Ameisen.

« Paris, le 14 mars 2013,

« Madame la présidente, chère madame,

« Comme vous le savez, les missions du Comité consultatif national d’éthique ont été étendues par le législateur, dans les dispositions de la loi du 7 juillet 2011, relative à la bioéthique. » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Lemorton.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Plus précisément, l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique demande au CCNE d’être à l’initiative de l’organisation d’un débat public sous forme d’états généraux avant “tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance, dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé”. »

Sur la biologie, je peux d’ailleurs vous retracer le débat que nous avons eu lundi après-midi sur la réforme de la biologie médicale… (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP.) Non ? D’accord. Je poursuis.

« Actuellement, la loi restreint l’accès de l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, à des couples constitués d’un homme et d’une femme, vivant ensemble depuis au moins deux ans, et qui, pour des raisons médicales, ne peuvent concevoir un enfant. Mais il y a aujourd’hui beaucoup d’autres demandes. Il y a une demande d’AMP par des couples de femmes, par des femmes célibataires, par des couples d’hommes, avec demande d’accès à la gestation pour autrui. »

M. Philippe Meunier. Il va falloir tenir encore quarante-neuf minutes !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Il y a aussi des demandes d’autoconservation des ovocytes – on appelle cela la vitrification, j’ai oublié de le préciser tout à l’heure – qui sont liées aux avancées des techniques de congélation des ovocytes : la possibilité pour les femmes de faire prélever et conserver leurs ovocytes, afin de pouvoir envisager de recourir à l’AMP des années plus tard, à un âge où leur fertilité serait compromise. »

M. Philippe Gosselin. Avec ces précisions supplémentaires, il va nous falloir une troisième lecture !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. « Le projet de loi sur la famille envisage d’élargir les indications de l’AMP à certaines de ces indications sociétales. Plutôt que de traiter ces questions au cas par cas, le CCNE a décidé de se saisir de l’ensemble des questions éthiques posées par ces indications sociétales de l’AMP, et ce d’autant que ces questions dépassent le cadre de l’AMP et concernent le rôle général de la médecine. La médecine doit-elle se limiter à prévenir et à traiter des maladies ou devrait-elle aussi répondre à des demandes sociétales ? »

M. Philippe Gosselin. Heureusement que Hollande a une boîte à outils !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « En ce qui concerne spécifiquement l’AMP, l’élargissement éventuel de ses indications repose également sur la question de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, qui ressurgit régulièrement, et qui, dans le cas des femmes célibataires et des couples de femmes, répondrait au souci que l’enfant puisse avoir une référence au donneur au titre de père biologique. Une autre question est celle du remboursement ou non par l’assurance maladie : est-ce que des indications sociétales de l’AMP, si elles étaient autorisées devraient être prises en charge par la collectivité ou est-ce qu’on devrait considérer, comme c’est le cas actuellement en Grande-Bretagne, qu’il ne s’agit pas d’un problème majeur de santé publique ? Cette question se pose particulièrement en cette période de crise économique, où la question essentielle est de pouvoir consacrer les dépenses de santé à la préservation de la santé de tous. Mais si des indications sociétales de l’AMP étaient autorisées sans être prises en charge par la collectivité, une discrimination par l’argent serait alors instituée. »

M. Philippe Meunier. La majorité est un canard sans tête !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. « Pour toutes ces raisons, le CCNE considère que ces questions justifient la tenue d’états généraux qui permettraient une réflexion de fond sur ce sujet de la part de la société. »

M. Philippe Gosselin. On vient de le toucher, le fond !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. « L’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique prévoit que les états généraux “sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques”. »

M. Jean Leonetti. Cela s’appelle ajouter le ridicule à l’humiliation!

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. « C’est la raison de la démarche que nous faisons aujourd’hui auprès de vous » – poursuit M. Ameisen en s’adressant à moi –, « et je serais heureux si vous pouviez me faire part des remarques et suggestions qu’appelle de votre part notre initiative. »

J’avais d’ailleurs transmis cette demande à la commission, mais les commissaires présents ce jour-là n’ont émis aucune remarque particulière et ont semblé approuver la démarche.

Revenons à la liste des personnes auditionnées. Nous nous étions arrêtés à M. Jean-Claude Ameisen. La commission a ensuite entendu M. Axel Kahn, généticien, médecin, président honoraire de l’université Paris V Descartes ; M. José-Alain Sahel, directeur de l’Institut de la vision ; M. Claude Huriet, président de l’Institut Curie ; M. Pierre Jouannet, professeur de médecine biologique de la reproduction, membre de l’Académie nationale de médecine ;…

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bon !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. …M. René Frydman, que tout le monde connaît,…

M. Philippe Gosselin. Bien sûr !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. …professeur des universités, consultant au service de gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction à l’hôpital Foch, membre de la commission nationale de la naissance ; M. Marc Peschanski, docteur en neurosciences, directeur de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM – ; Mme Cécile Martinat, chercheur à l’INSERM.

J’ai senti par ailleurs un manque de débat. Au fond, je cherche une explication : pourquoi seulement deux amendements de suppression ont-ils été déposés en commission et 304 en hémicycle ?

M. Philippe Gosselin. Nous avons des éléments pour vous répondre !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Comme je ne suis pas quelqu’un de fermé,…

M. Philippe Gosselin. Nous non plus.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. …je me dis qu’il y a forcément une explication à cette avalanche d’amendements de votre part.

M. Philippe Gosselin. Forcément !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je ne peux pas croire qu’il s’agisse là d’une forme d’obstruction.

M. Jean Leonetti. D’ailleurs, vous n’en faites pas non plus.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Nous sommes bien d’accord.

M. Jean Leonetti. Vous pourriez d’ailleurs relire cette lettre pour la troisième fois.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Non, Monsieur Leonetti, vous exagérez, je ne relirai pas cette lettre, cela suffit. (Sourires)

M. Philippe Gosselin. Cela s’appelle du comique de répétition !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. M. Debré a dit que les collègues qui n’avaient pas assisté aux séances de la commission étaient en droit de déposer des amendements ensuite. Je suis bien d’accord mais pour gagner du temps, et éviter peut-être d’en passer par la motion de rejet, je vais vous lire le compte rendu des auditions. Une fois que vous saurez tout ce qui s’y est dit, j’ose espérer que vous retirerez tous vos amendements, ou du moins une partie.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Très bien.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Voilà ce qu’a dit la rapporteure, Mme Dominique Orliac.

« La présente proposition de loi, déposée au Sénat le 1er juin 2012 par M. Jacques Mézard, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, a été adoptée en décembre 2012. Un texte identique fut déposé à l’Assemblée nationale le 23 janvier 2013 par M. Roger-Gérard Schwartzenberg, président du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste. Il vise à soumettre la recherche sur les cellules souches embryonnaires à un régime d’autorisation encadrée. »

M. Philippe Meunier. Courage, courage !

M. Jean Leonetti. Plus que trois quarts d’heure.

Mme Marie-Christine Dalloz. Et les socialistes n’arrivent toujours pas pour voter !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « La recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires qui en sont dérivées constitue l’un des problèmes les plus sensibles de la bioéthique car il touche aux origines de la vie. »

Mme Marie-Christine Dalloz. On n’a jamais osé faire cela !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. « Sujet récurrent depuis 1994, il figurait parmi les plus discutés lors de la révision de la loi de bioéthique en 2011. En 1994, la loi avait posé le principe d’une interdiction absolue de la recherche sur l’embryon. En 2004, ce principe avait été maintenu, mais assorti de dérogations pour une période de cinq ans. »

M. Philippe Meunier. Buvez un peu, il vous reste encore trois quarts d’heure !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je vais juste vous donner un conseil : faites quinze ans de théâtre et vous tiendrez longtemps.

« En 1994, la loi avait posé le principe d’une interdiction absolue de la recherche sur l’embryon. En 2004, ce principe avait été maintenu mais assorti de dérogations pour une période de cinq ans. »

M. Jean Leonetti. Mais sauvez-la, madame la ministre, voyons!

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Comme l’a souligné M. Axel Kahn, directeur de recherche à l’INSERM, ancien membre du comité consultatif national d’éthique, lorsque nous l’avons auditionné à la fin de ce moratoire, le législateur avait alors le choix entre deux solutions : maintenir l’interdiction des recherches ou les autoriser de manière encadrée. Il a opté pour une solution hybride ».

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous êtes huit, nous sommes neuf, on ne peut pas voter.

M. Philippe Gosselin. Tout le monde aura noté qu’il n’y a plus de rapporteur au banc.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je suis en train de citer la rapporteure !

« Le régime actuel, prévu par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique tel que modifié par la loi de 2011, repose sur une interdiction de principe de la recherche sur les embryons, assortie de dérogations. L’affichage d’un interdit symbolique, dont on peut comprendre l’intention, recouvre en réalité une autorisation qui ne dit pas son nom. »

M. Philippe Gosselin. Dites à vos collègues d’apporter la boîte à outils de M. Hollande, il y a un problème avec la mécanique !

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est mieux que les débats sur le Pacs tout de même !

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est de l’inédit ce soir !

M. Jean Leonetti. L’obstruction est faite par la majorité!

M. Philippe Meunier. La majorité empêche l’opposition de s’exprimer !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je ne vous trouve pas très respectueux envers M. Debré qui, absent aux commissions, attend aujourd’hui que je lui explique ce qu’il s’y est passé pour, éventuellement, retirer des amendements.

« Dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique du 6 août 2004, de nombreuses instances se sont prononcées sur la question de la recherche sur l’embryon. » 

M. Philippe Gosselin. On va finir par regretter que ça s’arrête à 1’heure !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « La commission des affaires sociales du Sénat avait adopté un texte en ce sens lors de la discussion de la loi de bioéthique de 2011, tout comme notre Assemblée l’avait fait en première lecture de la loi de bioéthique de 2004. »

M. Philippe Gosselin. Pour ceux qui nous écoutent : non, ce n’est pas un gag.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Le Comité national consultatif d’éthique, l’Académie de médecine, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le Conseil d’État, une partie des députés membres de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, enfin les citoyens ayant participé aux états généraux de la bioéthique, ont tous préconisé la mise en place d’un régime d’autorisation encadrée de la recherche. »

M. Philippe Gosselin. Vous êtes admirable, imperturbable.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Pourquoi ne pas les avoir entendus ? Plusieurs arguments ont été à l’époque invoqués en faveur de la pérennisation du régime d’interdiction avec dérogations. »

M. Jean-Frédéric Poisson. Peut-on aller au-delà d’une heure, monsieur le président ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Il s’agissait tout d’abord d’affirmer un interdit symbolique fort, et de refuser de considérer l’embryon comme un matériau de recherche. Nous approuvons cet objectif, mais le régime mis en place en 2011, non seulement ne s’avère pas plus protecteur qu’un régime d’autorisation encadrée, mais paraît en outre de nature à stigmatiser la recherche. » C’est vrai que l’on a entendu des soupçons, des choses pas très jolies sur nos chercheurs. Des doutes ont été émis. Je crois que nos chercheurs ont une éthique, une déontologie, dans le public voire dans le privé.

« Ainsi, comme l’a clairement souligné le Conseil d’État dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, j’ouvre les guillemets car je pense que cela n’a pas été dit : “ afficher le principe d’une interdiction là où les projets sont autorisés en quasi-totalité revient à créer un paradoxe peu souhaitable ”. »

M. Philippe Gosselin. Vous avez l’air de sous-entendre qu’on ne comprend pas bien. Attention, nous pourrions faire un rappel au règlement pour fait personnel !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Cela a peut-être été dit, mais différemment.

« Ainsi, au 1er mars 2013, 198 autorisations avaient été délivrées par l’Agence de la biomédecine, soixante-dix-neuf concernant des protocoles de recherche dont cinquante-quatre portant sur des cellules souches embryonnaires…

M. Philippe Gosselin. Non !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. … douze sur des embryons, vingt-neuf concernant la conservation de cellules souches embryonnaires et cinquante leur importation. » Si c’est trop rapide pour noter, je peux lire plus lentement.

M. Philippe Gosselin. Ah oui !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Surtout, le régime actuel n’est pas plus protecteur pour les embryons. En effet, si l’on considère que l’embryon doit être respecté en tant qu’être humain dès sa conception, il faut non seulement interdire toute recherche mais interdire aussi la production d’embryons surnuméraires dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. »

M. Jean-Yves Le Déaut. Eh oui.

M. Philippe Meunier. Exact.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous sommes bien d’accord.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Car, comme nous l’a rappelé M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité national consultatif d’éthique », qui décidément aura été beaucoup cité ce soir…

M. Philippe Gosselin et M. Jean-Frédéric Poisson. La lettre ! La lettre ! La lettre !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. … « “On ne protège pas l’embryon humain de la destruction en interdisant la recherche. La question éthique première est celle de la destruction de l’embryon humain ” ne faisant plus l’objet d’un projet parental. C’est peut-être même en raison de la faiblesse de notre législation concernant la destruction de l’embryon in vitro, paradoxalement autorisée sous conditions, que le législateur a été “ conduit à faire peser, par une forme de compensation, une charge symbolique supplémentaire ailleurs, en l’occurrence sur la recherche ”, poursuivait M. Ameisen. » Cela signifie qu’il s’était déjà exprimé, ce qui explique pourquoi dans la lettre, que je ne vous ferai pas l’injure de relire…

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas gentil de nous frustrer ! Une opposition frustrée n’est pas une bonne opposition !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. …il ne parle pas de la recherche sur les embryons.

M. Philippe Meunier. Mais à qui répondez-vous ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Eh bien, à vous !

M. Philippe Meunier. Mais je n’ai pas participé à la discussion générale !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « On a estimé, en 2011, que le système dérogatoire ne portait pas préjudice à la recherche et pouvait être assimilé de fait à une autorisation encadrée. Et en effet, les statistiques de l’Agence de la biomédecine traduisent un grand dynamisme de la recherche française en la matière. » Notez cette phrase car elle est importante.

M. Philippe Gosselin. On souligne en rouge ou en vert ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Vous dites qu’on n’ira pas plus loin en autorisant la recherche sur l’embryon, mais bien sûr que si ! L’Agence le dit. Je ne vais pas répéter car vous avez entendu, tout de même.

M. Philippe Gosselin. Tout le monde n’est pas attentif dans l’opposition, madame la présidente !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « En vérité, le texte actuel stigmatise nos chercheurs et tend à les isoler sur la scène internationale, tant le système mis en place en France est incompréhensible. »

Vous me permettrez de sauter ici un paragraphe parce qu’on en vient aux noms des personnes auditionnées que j’ai déjà citées.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ne sautez pas trop de paragraphes, il vous reste encore trente-cinq minutes.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je vais passer aux cellules IPS puisqu’elles ont été évoquées.

« Même si d’autres techniques se révèlent prometteuses, la recherche sur les cellules souches embryonnaires conserve toute sa pertinence thérapeutique. L’année 2011 a ainsi été marquée par les premiers essais cliniques utilisant des dérivés de cellules souches embryonnaires humaines. »

M. Jean Leonetti. Eh bien, elle est belle cette majorité.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous n’êtes pas mal non plus.

M. Jean Leonetti. On n’aurait jamais osé faire cela!Les journaux se feront l’écho de la façon dont vous avez traité les radicaux de gauche et l’Assemblée nationale.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Ensuite, certaines recherches ne peuvent être menées que sur l’embryon, notamment celles concernant son développement précoce. Enfin, l’efficacité et les effets des autres méthodes, notamment des cellules IPS – cellules souches pluripotentes induites – ne sont pas encore suffisamment connus et leur utilisation pose, elle aussi, des problèmes éthiques. Il faut envisager la possibilité que des hommes demandent une “ reprogrammation ” de leurs cellules, pouvant éventuellement conduire, un jour, à la naissance d’un bébé possédant l’entièreté de leur génome. »

« Il existe un véritable consensus pour reconnaître que les recherches sur les cellules souches adultes et les cellules reprogrammées n’ont pas vocation à se substituer, » – c’est important car toute la justification de cette proposition de loi repose, en quelque sorte, sur ce paragraphe – « en l’état actuel des connaissances scientifiques, à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais qu’elles en sont le complément nécessaire. » Honnêtement, monsieur Debré, vous qui êtes un scientifique, vous le savez, tout cela.

M. Bernard Debré. C’est pour cela qu’il fallait donner de l’argent à la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « La plupart des chercheurs que nous avons entendus ont déclaré mener ces différents types de recherche en parallèle », l’une n’excluant pas l’autre. Cette semaine, vous étiez tous invités à revenir de vos circonscriptions pour assister aux auditions.

« Il n’y a – poursuit Mme la rapporteure – aucune “ appétence ” particulière des scientifiques pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires : si, à l’avenir, d’autres méthodes s’avèrent plus efficaces, elles évinceront naturellement cette dernière. »

M. Bernard Debré. Eh bien oui !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « En 2004, notre manque de recul pouvait expliquer le choix d’un régime d’interdiction avec dérogation. En revanche, le texte de la loi de 2011 est allé plus loin : par le biais de dérogations pérennes, et non plus provisoires, il autorise de fait la recherche sur les embryons, tout en l’assortissant de conditions restrictives parfois impossibles à remplir, sources d’insécurité juridique et de confusion pour nos concitoyens. C’est pourquoi il est aujourd’hui proposé de modifier la loi sur ce point. » C’est tout de même simple à comprendre.

« Le régime d’autorisation encadrée est-il la voie ouverte à toutes les dérives ? Est-il moins respectueux du statut de l’embryon ? Non, car l’autorisation n’implique pas un droit systématique mais offre une simple faculté. »

M. Bernard Debré. Pourquoi changer alors ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « La plupart des comités éthiques considèrent le consentement parental comme nécessaire mais non suffisant pour la manipulation des embryons créés in vitro. S’y ajoutent des autorisations accordées par des commissions scientifiques et techniques, ce qui donne à ces embryons, sinon plus de droits qu’aux autres, du moins une meilleure protection, en instituant une sorte de tutorat de la collectivité. »

C’était aussi l’un de vos soucis.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous avons pris connaissance du rapport de la commission, vous savez.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « S’inscrivant dans cette logique – poursuit Mme Orliac –, la présente proposition de loi maintient le statut d’exception de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires, faisant ainsi droit au respect qui leur est dû. »

M. Jean-Frédéric Poisson. Et quand aurons-nous une réponse du Gouvernement ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Elle viendra en son temps.

« Ainsi, comme à l’heure actuelle, quatre conditions strictes encadreront toute autorisation de recherche et il reviendra à l’Agence de la biomédecine d’autoriser les protocoles de recherche… » Quand j’entendais tout à l’heure dire que l’Agence de biomédecine n’aura plus son mot à dire, ce sont des mensonges, des contrevérités. Bien sûr que si, elle aura son mot à dire, c’est écrit.

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne n’a jamais dit cela.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Ah si, cela a été dit et redit ! La différence c’est que nous écoutons, tandis que vous, vous ne lisez pas et vous n’écoutez pas. C’est un problème. Je me serais passée d’un tel exercice si vous aviez lu le rapport.

M. Philippe Gosselin. Si vous concluez dans quelques minutes, nous pourrons nous expliquer.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le débat est interdit.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « Ainsi – disais-je –, comme à l’heure actuelle, quatre conditions strictes encadreront, je répète, toute autorisation de recherche et il reviendra à l’Agence de la biomédecine d’autoriser les protocoles de recherche, après vérification du respect de toutes les conditions légales, comme elle l’a fait jusqu’ici avec la plus grande rigueur depuis 2006. Je rappelle à cette occasion, poursuit Mme la rapporteure, que l’agence ne se fonde pas uniquement sur des avis scientifiques pour prendre ses décisions : son comité d’orientation, réunissant des scientifiques et des représentants de la société civile, est appelé à se prononcer sur chaque dossier. » Les considérations éthiques sont donc présentes pendant l’instruction de celui-ci. » Vous avouerez qu’il ne s’agit pas d’accorder une autorisation comme cela, sans considération. On y associe même la société civile.

M. Bernard Debré. Donc, on n’avait pas besoin de changer la loi précédente !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Si, parce que désormais, on va faire du cas par cas, monsieur Debré. C’est plus important.

M. Bernard Debré. C’est pareil !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je reviens au rapport. « La première condition demeure inchangée, prévoyant que la pertinence scientifique de la recherche doit être établie. »

« Deuxièmement, la recherche fondamentale ou appliquée doit s’inscrire dans une finalité médicale. Nous reprenons ici la formulation proposée dans le rapport d’information de notre assemblée en vue de la dernière révision de la loi de bioéthique. »

M. Philippe Meunier. Qu’en pensent les radicaux de gauche ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je suis précisément en train de m’exprimer pour la rapporteure, monsieur Meunier.

Mme Marie-Christine Dalloz. On n’avait pas compris !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « La troisième condition porte sur le caractère subsidiaire des recherches sur l’embryon. » Et c’est la commission qui vous répond, puisque, pour la plupart d’entre vous, vous n’y étiez pas. Ce qui s’est passé doit donc vous intéresser ! « En l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou à ces cellules souches embryonnaires. »

Ce qui est curieux, c’est que nos collègues de l’opposition présents ce soir ne l’étaient pas en commission lorsque nous en avons discuté. Quand je me tourne vers la majorité…

M. Philippe Gosselin. Qui est minoritaire, ce soir !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission.…je vois les députés qui étaient en commission. Ce qui explique votre avalanche d’amendements, chers collègues de l’opposition !

Je le répète, car j’ai entendu un mensonge tout à l’heure…

M. Philippe Gosselin. Vous allez conclure ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je n’ai pas fini, monsieur Gosselin, j’en suis désolée !

M. Philippe Gosselin. Cela étant, c’est un tel plaisir de vous écouter ! Un plaisir dont on ne se lasse pas !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Je le sais. C’est pourquoi je ne vais pas me priver du plaisir de vous parler !

Je passe sur mon intervention qui ne vous intéresse pas. Mais ensuite, je vais citer M. Jean-Louis Touraine dont l’intervention est riche d’arguments.

M. Philippe Gosselin. Mme la ministre pourrait peut-être nous donner son point de vue ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Mme la ministre a encore le temps de parler.

Madame la ministre, peut-être allez-vous répondre, mais si vous me le permettez, j’aimerais évoquer deux autres points, car je n’ai pas tout à fait fini.

M. Philippe Gosselin. Quand le Gouvernement demande la parole, c’est de droit ! Et même les silences veulent dire quelque chose…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. « La recherche fondamentale appliquée doit s’inscrire dans une finalité médicale » – mais je vous l’ai déjà dit.

« La troisième condition porte sur le caractère subsidiaire des recherches sur l’embryon : “ En l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ”. Enfin, la quatrième condition », et je m’arrêterai là (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), « prévoit que “les projets de recherche et les conditions de mise en œuvre des protocoles doivent eux-mêmes respecter les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires”. Cet alinéa n’est pas modifié par la présente proposition de loi. »

Voilà ce que disait Mme la Rapporteure. Je laisse maintenant la parole à Mme la ministre. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Touraine.

M. Jean-Louis Touraine. Monsieur le président, au nom de mon groupe, je demande une suspension de séance de cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à zéro heure trente-cinq, est reprise à zéro heure quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais d’abord rappeler le contexte législatif.

Afin de vous éviter tout l’historique, je commencerai en 2002 et je rappellerai le vote consensuel qui a eu lieu en à cette époque en faveur du principe d’une autorisation encadrée pour la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires.

Après avoir recueilli les avis positifs du Comité national consultatif d’éthique et de l’Académie des sciences, il avait été prévu d’autoriser les recherches pour les cellules souches embryonnaires à partir d’embryons surnuméraires. Cela avait été voté à une large majorité – 325 voix pour, 21 voix contre – à l’Assemblée nationale, avec, à l’époque, le vote de cinquante et un députés RPR…

M. Xavier Breton. Vous l’avez déjà dit !

Mme Geneviève Fioraso, ministre.…dont Mmes Bachelot-Narquin et Alliot-Marie, MM. Fillon, Sarkozy, Borloo, Debré, Juppé et Accoyer.

M. Xavier Breton. Une ministre qui se répète ! Quelle image cela peut-il donner du Gouvernement…

M. Philippe Meunier. C’est un naufrage !

M. le président. S’il vous plaît, la parole est au Gouvernement.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. En 2004, le texte a été modifié, avec une interdiction assortie de dérogations et un moratoire annoncé de cinq ans. En 2011 l’interdiction avec dérogations fut maintenue avec disparition du moratoire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. S’il vous plaît, un peu de calme !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. La proposition de loi actuelle a pour objectif de sortir de l’hypocrisie – et, je l’espère, des invectives – en passant de l’interdiction avec dérogation à une autorisation encadrée.

M. Jean Leonetti. Ce n’est pas parce que vous êtes minoritaires ce soir qu’il faut être ridicules ! J’ai honte pour mon pays !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. La proposition actuelle permet d’améliorer la qualité juridique de cette législation.

M. Jean Leonetti. Elle répète ce qu’elle a dit tout à l’heure !

M. Xavier Breton. S’abaisser à ce niveau !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Cela n’a pas encore été dit. Cette proposition vise à faire une loi plus en phase avec la réalité de la recherche.

M. Philippe Gosselin. Pour une ministre de la République, c’est pitoyable !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Ce texte tend à clarifier la position de la France quant à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, à replacer la recherche française dans le peloton des grands pays qui font de la recherche dans le domaine de la biologie et de la médecine. Il veut placer les chercheurs dans une position juridique moins inconfortable, renforcer l’indépendance de l’Agence de la biomédecine pour redonner espoir aux patients et aux familles. (Exclamations et sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. S’il vous plaît, la parole est à Mme la ministre, qui répond aux interventions de la discussion générale. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Elle n’est pas capable d’improviser quelque chose ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je réponds à vos questionnements.

M. Philippe Meunier. Pendant cinq ans, vous nous avez fait la morale !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. La question des avis du Comité national consultatif d’éthique a été soulevée par quelques-uns d’entre vous. Tous les avis se sont prononcés en faveur d’un régime d’autorisation encadrée. Le dernier en 2010 ne dit pas autre chose pour sa majorité, même s’il comporte dans l’énoncé la présence d’une opinion minoritaire – la vôtre – favorable au maintien d’une interdiction avec dérogation.

M. Philippe Gosselin. Vous vous discréditez, madame la ministre ! C’est lamentable ! Vous ne répondez pas !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Si, je réponds. C’est le rôle d’un ministre que de répondre à des parlementaires qui se posent des questions.

M. le président. S’il vous plaît, la parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Le débat et la concertation que vous appelez à nouveau de vos vœux ont bien eu lieu. Le vote de 2002 et sa remise en cause en 2004 ont donné lieu à des débats tout comme la prise de position d’instances qualifiées.

M. Jean Leonetti. Une ministre qui répète ce qu’elle a déjà dit, ça démissionne le lendemain ! C’est honteux !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Le rapport favorable de l’Agence de biomédecine en 2008, l’avis favorable du Conseil d’État en mai 2009, l’avis favorable de l’Académie de médecine en 2010 et le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ont donné lieu à des débats d’un bon niveau. Certains parlementaires seraient d’ailleurs bien avisés de s’en inspirer.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous ne pourriez pas plutôt nous lire la lettre du président du Comité d’éthique ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Outre le rapport favorable de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, mentionnons un vote favorable du Sénat en décembre, à l’issue d’un débat tenu à deux reprises auquel j’ai participé.

M. Bernard Debré. Pas comme celui-ci, madame !

M. Philippe Meunier. Lisez-nous le journal du jour, c’est plus intéressant !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Vous avez évoqué, messieurs les députés de l’opposition, la nécessité de convoquer à nouveau des états généraux. Mais l’article L. 1412-1-1 ne s’applique pas.

M. Bernard Debré. On en aura entendu parler, de celui-là !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Mais taisez-vous ! Écoutez, un peu !

M. Philippe Gosselin. Écouter ce que nous avons déjà entendu ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. En effet, la réforme proposée ne découle pas de questionnements éthiques nouveaux mais vise autre chose, en l’espèce harmoniser le droit et l’état actuel des connaissances. Elle consiste à clarifier les dispositions en vigueur en autorisant la recherche sous conditions. Elle ne résulte d’aucune problématique scientifique nouvelle amenant de nouveaux questionnements éthiques. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Soyez donc un peu attentifs !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, la parole est à Mme la ministre.

M. Jean Leonetti. Il n’y a plus personne sur les bancs de la gauche !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Vous avez évoqué l’absence de résultats significatifs. Deux malades atteints de maladies rétiniennes graves les rendant aveugles ont été traités par des cellules souches embryonnaires.

M. Jean-Louis Touraine. Eh oui !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Les premiers résultats de leur traitement ont été rapportés en 2012 par une prestigieuse revue que je vous invite à lire, The Lancet.

M. Bernard Debré. Lisez-la !

M. Philippe Gosselin. Oui, lisez-en un extrait !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je ne peux pas vous en lire un extrait car elle est en anglais, or un ministre de la République ne peut pas s’exprimer en anglais.

M. Philippe Gosselin. Car le français est la langue officielle de la République !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Mais je peux vous la traduire si vous voulez, car je comprends l’anglais, comme vous certainement. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Je la mets à votre disposition et vous en fournirai très volontiers un exemplaire. Il s’agit d’essais cliniques d’utilisation de cellules souches embryonnaires. Il est extrêmement rare, c’est même la première fois me semble-t-il, que The Lancet qualifie d’« extraordinaires » des résultats obtenus à partir du traitement de deux malades seulement.

M. Bernard Debré. Qui sont-ils ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Cela se passe aux États-Unis, monsieur.

M. Philippe Meunier. Ah, les États-Unis, pays du libéralisme !

M. Xavier Breton. Et du capitalisme financier !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Par ailleurs, aux États-Unis encore, qui sont en avance sur nous parce qu’ils ont autorisé sous conditions, eux, les recherches sur les cellules souches embryonnaires, douze patients sont en cours de traitement. Et les résultats ont également été jugés assez extraordinaires pour être publiés dans des revues scientifiques de haut niveau.

Où en est-on en France ? Deux essais de phase I vont démarrer. On mesure le retard entre deux essais concluants aux États-Unis et deux essais de phase I qui vont démarrer ici.

M. Philippe Meunier. Et qu’en est-il des OGM ? Les Américains sont-ils en retard ? Répondez, madame la ministre !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Mais écoutez donc !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Ils concernent le traitement de maladies cardiaques graves et sont conduits par le docteur Menasché. Ces essais vont démarrer après dix ans d’études pré-cliniques. Pourquoi a-t-il fallu dix ans d’études pré-cliniques ? Parce que le docteur Menasché n’a pas eu accès aux cellules souches embryonnaires et a dû mener ses recherches avec des cellules adultes, ce qui les a retardées. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, arrêtez de hurler et écoutez Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. L’échec de l’utilisation des cellules souches adultes dans le cadre de ses recherches doit être noté. Il montre bien le caractère indispensable à des recherches fructueuses du recours aux cellules souches embryonnaires.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Tout à fait !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Cette comparaison est tout à fait évidente. Il a donc fallu dix ans pour qu’un professeur français, scientifique émérite, parvienne au résultat que les Américains ont réussi à atteindre dix ans plus tôt grâce à l’accès aux recherches sur cellules souches embryonnaires. Cela concerne aussi le traitement en France des ulcères de peau graves.

M. Philippe Gosselin. Manifestement, c’est à l’estomac que certains ici vont développer un ulcère !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Il s’agit également d’un essai de phase I, toujours avec des cellules souches embryonnaires, qui fait partie des dérogations qui ont été accordées.

Tout cela démontre les progrès de l’utilisation des recherches menées sur les cellules souches embryonnaires, jusqu’à la clinique, contrairement à ce que vous avez déclaré. Le rythme de la recherche, de la recherche fondamentale à la recherche clinique, est un rythme lent. Ceux qui connaissent la recherche, qui l’ont vécue et ont mené des recherches, le savent bien. Et ne pas pouvoir disposer, par une procédure plus ouverte bien qu’encadrée, de cellules souches pour la recherche retarde celle de notre pays par rapport à celle d’autres pays.

M. Jean Leonetti. Ce n’est pas vrai !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Vous avez enfin évoqué des solutions alternatives, en particulier les IPS. Comme vous l’avez rappelé, la découverte des cellules IPS, qui a valu au professeur Shinya Yamanaka le prix Nobel en 2012, est porteuse d’un grand espoir.

M. Jean Leonetti. Vous ne répondez pas à la discussion générale !

M. Philippe Gosselin. Où est le bouton ON/OFF ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Un peu de respect !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Néanmoins, elles ne peuvent à ce jour être envisagées comme voie thérapeutique et peuvent encore moins se substituer aux cellules souches embryonnaires humaines. Pourquoi ? En théorie, les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules IPS présentent les mêmes capacités de pluripotence. Mais elles présentent de grandes différences génétiques. Les cellules IPS présentent même des altérations. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Lire deux fois le même discours ! C’est lamentable ! Pathétique !

M. Xavier Breton. C’est une mascarade !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Non, ce sont des réponses aux questions que vous avez continué à poser après mon discours, alors ne reniez pas ce que vous avez dit ! Ne soyez pas de mauvaise foi ! Ayez un peu de respect pour les élus de la République !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, la parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Les cellules IPS présentent même des altérations génétiques liées au processus même de re-programmation. Les médecins le savent, même s’ils ne le disent pas. Si vous êtes de bons médecins, vous le savez. Comme je l’ai mentionné précédemment, les études sur les cellules IPS sont encore trop récentes pour évaluer les risques qu’elles pourraient occasionner. Le professeur Yamanaka lui-même, que j’ai rencontré à deux reprises – curiosité et opportunité que vous n’avez peut-être pas eues – reste prudent sur le sujet et poursuit les recherches sur les cellules souches embryonnaires dans son laboratoire au Japon et en Californie où il a deux laboratoires car elles y sont autorisées.

M. Xavier Breton. On s’en souviendra !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Enfin, je me réfèrerai à trois études récentes publiées dans des revues scientifiques de renom, Cell, Nature et Stem cells, qui concluent que les cellules IPS ne remplacent pas les cellules souches embryonnaires. Elles sont en revanche complémentaires, comme le mentionnent ces articles, et représentent des outils de recherche interdépendants. Cela a d’ailleurs été confirmé par de nombreux scientifiques. Je ne reprendrai pas la citation du professeur Yamanaka, puisque je l’ai déjà dit et que j’évite les redites. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Enfin, vous avez mentionné, monsieur le député Poisson, le coût élevé des recherches sur les cellules IPS et en avez implicitement fait la motivation de notre défense de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Il est inexact, monsieur le député Poisson, de dire que les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont moins coûteuses que celles sur les IPS. Le coût de la dérivation est similaire et le coût du travail sur les lignées est le même, notamment en termes de temps technicien. Les coûts sont donc parfaitement similaires. Dans le cas de la recherche académique, les lignées sont mises à la disposition pour des sommes modestes dans un cas comme dans un autre. Comme pour toute recherche de type exploratoire, ce qui coûte cher, c’est l’expertise acquise, les échanges, le temps des hommes, des médecins, professeurs, chercheurs, doctorants, et post-docs. Et comme notre pays fonctionne sur le régime de l’interdiction, cela dissuade les partenaires européens et internationaux de coopérer avec nos équipes.

M. Bernard Debré. Ce n’est pas vrai !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Nous devons dès lors nous appuyer sur nos seules ressources, alors que partout dans le monde ou presque les chercheurs peuvent travailler ensemble au sein d’équipes interdisciplinaires à même d’échanger, de s’apporter mutuellement leurs contributions respectives et donc d’avancer plus vite.

M. Bernard Debré. Nous pouvons très bien le faire !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Non, nous ne pouvons pas le faire. Nous n’avons répondu à aucun appel d’offres lancé à l’échelle de l’Europe depuis 2002.

Pourquoi ? Parce qu’un pays qui au lieu d’autoriser interdit et soumet des chercheurs éminents à un régime de dérogation qui induit suspicion et défiance inspire la méfiance. Jamais les équipes étrangères ne prendront le risque de travailler avec des partenaires à qui sont opposés sans cesse une interdiction ou des procès comme ceux qu’intente une association qui se permet en outre d’envoyer des cartes postales représentant des fœtus, ce qui est parfaitement infâmant et mensonger. Voilà pourquoi.

M. Jean Leonetti. Et Sanofi ? Roche ? Glaxo ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je m’étonne que des scientifiques et des élus de la République puissent soutenir ce type de démarche ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Gérard Sebaoun. Par obscurantisme !

M. Jean Leonetti. Et une ministre qui lit le soir ce qu’elle a dit dans l’après-midi, ce n’est pas étonnant ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je ne lis pas, monsieur, mais des notes peuvent être utiles pour se rappeler des erreurs et inexactitudes qui ont été énoncées afin d’y répondre correctement. Il est certes plus facile de se souvenir des énoncés du professeur Yamanaka, lauréat du prix Nobel, et des scientifiques que nous rencontrons, que des inexactitudes voire des amalgames ou des grands discours généraux sans lien avec le sujet particulier qui ont été énoncés dans cet hémicycle depuis que je suis là.

M. Jean Leonetti. En train de tenir un discours général, justement ! Où est l’éthique ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Voilà, messieurs les députés de l’opposition, ce que je voulais vous dire ce soir. Je voudrais surtout adresser un message d’espoir aux scientifiques, qui en ont besoin.

M. Philippe Meunier. Vous parlez de la fiscalité ?

M. Jean Leonetti. Avec un gouvernement comme celui-là, il y a de quoi être inquiet !

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est pathétique !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. En effet, à force d’accumuler les défiances, les interdictions et les dérogations, à force de diaboliser les chercheurs, nous allons décourager les jeunes de s’engager aujourd’hui dans des carrières scientifiques. Or nous manquons terriblement de vocations pour les carrières scientifiques. C’est un très mauvais signe envoyé à notre jeunesse, vous le savez. Vous n’avez cessé, au cours du précédent quinquennat, de casser la recherche fondamentale.

M. Philippe Meunier. Et vous, qu’allez-vous faire ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Vous l’avez soumise à des appels d’offres et à des courses permanentes aux crédits, où on demandait aux chercheurs, sur le modèle de votre régime de dérogation, d’inventer des livrables qu’ils sont incapables d’inventer parce que la recherche fondamentale ne se décrète pas, elle est exploratoire et ne peut préjuger à l’avance des applications qu’elle trouvera, parfois vingt ans plus tard.

M. Jean-Yves Le Déaut. Bravo !

M. Philippe Meunier. Vous parlez des OGM ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Elle a raison !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Demander aux chercheurs, comme le fait votre régime de dérogation, de décrire à l’Agence de biomédecine, et à des couples fragilisés par la situation psychologique particulière dans laquelle ils se trouvent, des livrables, c’est-à-dire l’aboutissement de recherches pourtant non prédictibles, voilà qui révèle une profonde méconnaissance de ce qu’est la recherche fondamentale.

M. Philippe Meunier. Vous parlez du gaz de schiste ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous n’y connaissez rien, monsieur Meunier !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Vous découragez ainsi un certain nombre de chercheurs, vous appauvrissez la recherche française et, ce faisant, vous nous privez d’innovations de rupture.

M. Jean-Yves Le Déaut. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. Et l’éthique ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Cela nous prive ensuite, non pas de partenariats avec des laboratoires privés pour de l’argent, comme vous l’avez honteusement sous-entendu et même formulé ce soir, mais d’emplois, de créations de nouvelles filières, de croissance, de rebond et d’optimisme ! Vous êtes coupables de jeter l’opprobre sur notre pays et d’empêcher l’enthousiasme, la recherche et l’innovation en stigmatisant la recherche ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Philippe Meunier. Vous êtes à la ramasse ! Vous n’avez plus la confiance des Français ! Vivement la prochaine manifestation !

M. Richard Ferrand. Des manifestations, c’est votre seule réponse !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. C’est un acte anti-scientifique et anti-patriotique ! J’assume ce mot et vous devriez y réfléchir.

Je n’évoque pas les patients ni les familles, qui visiblement ne sont pas votre problème ce soir ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Denys Robiliard. Vous ne pensez qu’à bloquer le débat !

Mme Marie-Christine Dalloz. Ah bon, c’est nous qui bloquons le débat ?

M. Jean Leonetti. Voilà une heure que vous parlez, si on nous laissait participer au débat ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Votre problème, c’est de faire l’amalgame entre certains projets de loi sociétaux, qui ont été votés après avoir été longuement discutés, et cette proposition de loi qui concerne un dispositif extrêmement précis connu de tous, médecins, chercheurs et scientifiques, depuis vingt ans.

L’honnêteté intellectuelle, la prise en compte des patients, l’envie de se dépasser pour son pays pour assurer un avenir à sa recherche, ce n’est pas de l’éthique, monsieur le député Poisson ? Si ce n’est pas de l’éthique, alors je ne sais pas ce qui l’est ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Je suis une ministre rationnelle, je regarde les faits, je regarde ce que font les pays du monde entier, je regarde l’état de notre science. Je constate que nous occupons la cinquième place au classement mondial des publications scientifiques, et la quinzième seulement dans ce domaine…

M. Xavier Breton. Plus que quinze secondes !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. …en raison du retard dramatique que vous faites prendre à notre recherche scientifique. J’en appelle à votre responsabilité de citoyens, de scientifiques pour certains d’entre vous, de médecins parfois, et je vous demande de bien réfléchir jusqu’au prochain débat sur cette proposition de loi qui conditionne une partie de l’avenir de la science, de la santé et du bien-être de nos concitoyens.

Je ne vous remercie pas pour votre attention. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP - Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 2 avril 2013 à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Vote solennel sur les projets de loi ordinaire et organique relatifs à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires ;

Projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

La séance est levée.

(La séance est levée, le vendredi 29 mars 2013, à une heure.)