SOMMAIRE
Présidence de Mme Laurence Dumont
1. Annulation de l’élection de deux députées
2. Nomination d’un député en mission temporaire
Discussion d'un projet de loi rejeté par le Sénat
et d'un projet de loi organique adopté par le Sénat
(discussion générale commune)
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur
Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire)
M. Pascal Popelin, rapporteur, M. Manuel Valls, ministre, M. François Sauvadet, M. Paul Molac, M. Alain Tourret, M. Marc Dolez, M. Carlos Da Silva, Mme Annie Genevard
Motion de rejet préalable (projet de loi organique)
M. Manuel Valls, ministre, Mme la présidente, M. Pascal Popelin, rapporteur, M. François Sauvadet, M. Paul Molac, M. Alain Tourret, Mme Christine Pires Beaune, M. Alain Chrétien
Motion de renvoi en commission (projet de loi ordinaire)
M. Manuel Valls, ministre, M. Pascal Popelin, rapporteur, M. François Sauvadet, M. Paul Molac, M. Alain Tourret, M. Marc Dolez, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Guillaume Larrivé, M. Manuel Valls, ministre
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
Mme la présidente. En application de l’article L.O. 185 du code électoral, M. le président a reçu du Conseil constitutionnel communication de deux décisions portant annulation des élections législatives des 10 et 17 juin 2012 dans les première et huitième circonscriptions des Français établis hors de France, à la suite desquelles Mme Corinne Narassiguin et Mme Daphna Poznanski-Benhamou avaient été proclamées élues.
Mme la présidente. Le Président a reçu du Premier ministre une lettre l’informant de sa décision de charger M. Thierry Mandon, député de l’Essonne, d’une mission temporaire auprès du ministre de l’économie et des finances, de la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique et de la ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique.
Discussion d’un projet de loi rejeté par le Sénat
et d’un projet de loi organique adopté par le Sénat
(discussion générale commune)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par le Sénat, relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (nos 631, 701) et du projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (nos 630, 700).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la commission des lois, madame la présidente et madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs, en novembre dernier, l’Assemblée nationale avait adopté un texte dont le caractère symbolique n’échappe à personne, l’abrogation du conseiller territorial. Il faut désormais confirmer et prolonger ce vote.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’important travail déjà accompli par votre commission, monsieur le président de la commission des lois, sous l’impulsion du rapporteur, Pascal Popelin, qui, pour son premier rapport dans cette assemblée, a fait preuve d’un investissement et d’une précision remarquables,…
M. Jean-Louis Dumont. C’est vrai !
M. Manuel Valls, ministre. …qui ne vous échapperont pas tout au long de ces débats. Quant à vous, vous avez encore une fois démontré votre capacité à concilier autorité et sens de l’écoute.
Lors des débats sur l’abrogation du conseiller territorial, certains avaient regretté que le nouveau mode de scrutin ne soit pas présenté en même temps. J’avais alors voulu les rassurer et largement annoncé les principes qui guident le texte dont nous discutons aujourd’hui.
Je l’avais annoncé, l’on ne peut se contenter d’un statu quo insatisfaisant. L’alternative au conseiller territorial doit s’inscrire dans un projet plus large de réforme, de modernisation, d’approfondissement de notre démocratie locale. Le moment est donc venu. Il s’agit d’un rendez-vous important pour la vie politique dans nos territoires.
J’entends ceux qui, avant même le débat, refusent la nouveauté, s’arc-boutent sur le système passé, même s’ils savent qu’il est devenu obsolète. Notre démocratie, notre démocratie locale ne sont pas des modèles figés. Sans cesse, sans relâche, elles doivent s’adapter, se moderniser.
Ce projet de loi est ambitieux, abouti, mais il marque aussi un commencement, celui d’une démarche longue et exigeante de rénovation de notre démocratie territoriale. Dans cette démarche, nous ne devons avoir qu’un objectif, renforcer le lien essentiel qui unit les citoyens à leurs représentants, lien qui, reconnaissons-le, a eu tendance à s’effriter – le mot est sans doute faible. Ce lien, c’est ce qui fait de la France une démocratie et garantit notre cohésion et l’efficacité de nos politiques publiques.
Cette démarche a été initiée par le Sénat, qui, le premier, a décidé d’abroger le conseiller territorial. Cette impulsion, c’est aussi celle qu’a donnée François Hollande lors de son discours de Dijon pendant la campagne présidentielle d’abord, puis qu’il a réaffirmée, en tant que chef de l’État, lors de son intervention devant les états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en octobre dernier.
Il a fixé des orientations, des priorités, autour de quatre principes : confiance, clarté, cohérence et démocratie. Ce sont ces priorités que le Gouvernement décline, notamment à travers le texte que je vous présente aujourd’hui.
Nous devons répondre d’abord à la nécessité d’approfondir encore notre démocratie locale.
Cette démocratie est constitutive de l’histoire de la République. Ses avancées sont autant de progrès pour la République. Nous évoquerons longuement le département durant ces débats et je ne doute pas qu’un grand nombre d’entre vous le défendront. Je n’oublie pas la place qu’il occupe dans cette conquête de la démocratie territoriale. La conception moderne, rationnelle et déjà républicaine de l’administration de notre pays naît avec le découpage départemental de 1790. J’ai déjà cité la loi de 1871 parmi les conquêtes de la IIIe République naissante. En 1982, la fin de la tutelle est l’un des actes forts des lois de décentralisation, que chacun approuve aujourd’hui alors qu’elles avaient suscité des oppositions à l’époque.
Depuis trois décennies, au rythme des lois de décentralisation et des transferts de compétences, une véritable culture démocratique locale s’est affirmée. Chaque majorité y a joué son rôle, et je pourrais citer les textes portés par Jean-Pierre Chevènement ou Dominique Voynet ou ceux portés par Jean-Pierre Raffarin. Elle est faite de dialogue, de concertation, de proximité. Les Français sont attachés à cette démocratie, qui les a rapprochés de la décision publique.
Cet héritage, nous ne devons pas le brader. Nous devons au contraire lui redonner sa vigueur. Je note d’ailleurs l’ironie : ceux qui refusent aujourd’hui la nouveauté sont souvent les mêmes qui, hier, avaient voulu imposer le conseiller territorial.
Cette réforme territoriale de 2010 allait largement à l’encontre de cet héritage de la démocratie locale. À la fois conseiller régional et général, le conseiller territorial affaiblissait et le département et la région. Ces échelons n’ont ni les mêmes logiques de fonctionnement, ni les mêmes perspectives d’action.
Le conseiller territorial était emblématique d’une conception étriquée, purement comptable de la démocratie locale. Il s’agissait de réaliser des synergies.
M. François Sauvadet. Cela commence fort !
M. Manuel Valls, ministre. Je suis sûr, monsieur Sauvadet, que vous êtes d’ores et déjà convaincu !
Tant pis si les élus étaient contraints à des allers-retours permanents entre leur territoire, le chef-lieu du département et celui de la région. Je parle de façon théorique puisque, fort heureusement, ce projet n’a pas été mis en œuvre. Tant pis si la proximité entre les élus et les électeurs était sacrifiée au nom d’économies jamais évaluées, jamais démontrées. Quand on veut défendre la démocratie locale, critiquer le texte que nous présentons, encore faut-il être quelque peu cohérent avec ce que l’on a défendu il y a peu. Le conseiller territorial mettait précisément en cause le département et la région.
Éloigné géographiquement, il avait aussi toutes les chances d’être éloigné de la société française. Ce mode de scrutin était particulièrement défavorable à la parité et représentait une régression par rapport au scrutin régional.
Enfin, la démocratie, pour être légitime et efficace, exige de la lisibilité et de la transparence. Elle impose aux élus de rendre compte, régulièrement, fidèlement, de leur action aux électeurs – ce que vous faites tous évidemment. Ces derniers doivent donc savoir clairement qui fait quoi, qui décide de quoi. Ce n’était pas le cas avec le conseiller territorial. Affichée comme une simplification, cette réforme était en réalité source d’inefficacité et de confusion.
La seule abrogation du conseiller territorial ne peut être satisfaisante. Il est impossible de se contenter du statu quo. En matière de démocratie locale, nous ne sommes pas allés jusqu’au bout. Dans les départements, les communes, dans l’intercommunalité, des progrès peuvent, et doivent, encore être réalisés.
Je l’ai dit, la démocratie locale ne peut se concevoir comme un modèle figé. Elle doit accompagner les évolutions des territoires.
Le Président de la République l’a clairement réaffirmé, et je fais mienne sa conviction : renforcer l’efficacité de notre démocratie territoriale ne passe pas par la suppression d’un échelon. Aujourd’hui, chaque niveau local a sa légitimité, ses logiques propres. Certes des expériences peuvent être menées, notamment au niveau des métropoles, mais nous avons besoin de ces différents niveaux. C’est justement cette légitimité et ces moyens d’action qu’il faut renforcer.
Le département est un échelon de proximité, un échelon républicain, mais, pour qu’il conserve toute sa pertinence, il doit être rénové, d’abord dans son action, bien sûr. Ce sera l’un des aspects du futur projet de loi de décentralisation que portera Mme Lebranchu.
Cependant, cette rénovation ne serait rien sans la légitimité qu’accorde un mode de scrutin plus démocratique et plus représentatif. Les lacunes du mode d’élection actuel des conseillers généraux, chacun ici les connaît. Je reviendrai longuement sur le problème de la représentation démographique.
L’autre enjeu majeur, c’est évidemment la sous-représentation des femmes dans les assemblées départementales.
D’année en année, difficilement, la parité a progressé dans toutes les assemblées sur le plan local comme sur le plan national. Ce n’est pas le cas dans les départements. Les chiffres sont connus. Après le renouvellement partiel de 2011, les femmes ne représentaient toujours que 13,5 % de l’ensemble des élus départementaux. Cette année-là, il y a seulement deux ans, dans quatorze de nos départements, aucune femme n’a été élue. Les mesures incitatives sont restées inefficaces. En l’état du droit, candidat et suppléant doivent être de sexe différent. Cela n’a pas d’effet, et seuls 23 % des candidats sont des femmes.
Cette situation n’admet aucune justification raisonnable, aucune tolérance de notre part. En matière de démocratie, il ne doit pas exister d’exception. Il ne doit donc plus subsister d’exception départementale dans notre pays.
Sans réforme, c’est l’institution départementale elle-même qui risque de s’essouffler. C’est cette crainte qui doit nous pousser à réagir aujourd’hui, et c’est l’un des objets de ce texte.
Revivifier la démocratie départementale, c’est d’abord essayer de garantir une participation satisfaisante aux élections. Il en va de même pour les élections régionales et municipales.
La réforme territoriale de 2010 avait profondément modifié le calendrier électoral – certains semblent l’avoir oublié. Par ailleurs, les mandats des conseillers régionaux et généraux étaient considérablement écourtés. Rien ne le justifie plus, et il serait souhaitable que leur durée s’approche de celle d’un mandat normal.
Il était prévu que quatre scrutins soient organisés en 2014, pour les élections municipales, territoriales, européennes et enfin sénatoriales. L’abrogation du conseiller territorial en ajoute un cinquième. Il faut être lucide : ce calendrier saturé n’est pas tenable et se traduirait par une désaffection accrue des électeurs. C’est pourquoi je vous propose de reporter à 2015 l’organisation des élections départementales et régionales.
L’objectif d’une meilleure participation est également à l’origine d’une autre disposition de ce texte, l’inscription dans la loi de la concomitance entre les élections régionales et départementales. Cet effet a été démontré par l’expérience, notamment en 1992. Lors de l’abandon de la concomitance en 1994, la participation avait chuté de près de dix points.
Bien sûr, la réforme de la démocratie départementale ne se résumera pas à une modification du calendrier. Le département a une identité forte, il ne s’agit pas de la nier, encore moins de la combattre. Démocratiser, moderniser, ce n’est pas dénaturer.
Respecter l’identité du département, c’est d’abord réaffirmer son nom, sa place dans l’édifice territorial. Les termes « conseil général » et « conseiller général » sont peu explicites pour les électeurs. Il vous est donc proposé de les remplacer par « conseil départemental » et « conseiller départemental ».
Autre gage d’une meilleure lisibilité de cette élection, peut-être plus important pour vous, les conseils généraux seront renouvelés dans leur totalité. Le renouvellement par moitié est une survivance historique qui a perdu toute signification. Une majorité de gauche avait d’ailleurs déjà adopté un tel projet, qui avait été ensuite défait par le ministre de l’intérieur de l’époque, Charles Pasqua. Il faut au contraire doter les assemblées départementales d’une majorité claire, pour toute la durée du mandat.
Respecter l’identité du département, c’est également conserver ce qui fait sa force : le lien de proximité entre les électeurs et leur représentant, entre l’élu et son territoire.
M. François Sauvadet. C’est mal parti !
M. Manuel Valls, ministre. C’est sans doute une source de la stabilité du département dans l’histoire.
La modernisation tient principalement à une autre priorité affirmée par le Président de la République, l’impératif de parité– j’y reviens. Proximité et parité : tels ont été les principes qui ont inspiré le scrutin binominal majoritaire.
J’entends ceux qui raillent ce mode de scrutin nouveau, mais il n’est pas né ex nihilo : il est issu du terrain, il provient des réflexions de conseillers généraux qui voulaient justement conserver la proximité du scrutin cantonal tout en le féminisant. Il vient même d’ailleurs du Sénat, puisque c’est Mme Michèle André, ancienne secrétaire d’État, sénatrice, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui avait formulé cette proposition.
M. François Sauvadet. Le Sénat ne l’a pas adoptée !
M. Manuel Valls, ministre. Ne dites pas de mal du Sénat, monsieur Sauvadet, car vous y arriverez peut-être un jour ! (Sourires.)
Pour l’élaboration de ce projet de loi, j’ai consulté, écouté. J’ai examiné attentivement, sans préjugé, tous les projets. Toutes les forces politiques disposant d’un groupe au Parlement ont été reçues au ministère de l’intérieur, ainsi que les grandes associations d’élus concernées.
Parmi les options – il faut en effet planter le décor –, j’ai écouté la présentation de projets visant à appliquer au niveau départemental un scrutin de liste calqué sur celui des élections régionales. La parité aurait évidemment été respectée, mais c’eût été renoncer à la proximité. J’ai également entendu ceux qui souhaitaient un scrutin dans un cadre infradépartemental, au niveau de l’arrondissement ou de l’intercommunalité. L’arrondissement – nous pouvons tous en convenir rapidement – est un échelon purement administratif, sans signification pour les citoyens. Il peut d’ailleurs être conduit à évoluer, tant aujourd’hui il ne correspond plus à la réalité de nos départements. Quant à l’intercommunalité, sa carte reste inachevée et elle doit, pour l’heure, demeurer un espace de projet, de compromis, de consensus ; elle ne pourrait devenir un espace de compétition politique.
Nos cantons actuels ne permettent plus d’organiser des élections réellement démocratiques : il faut le reconnaître. L’égalité devant le suffrage est un fondement, une condition nécessaire de la démocratie ; c’est aussi un principe constitutionnel auquel le législateur doit se conformer. Ce principe n’est pas une abstraction dégagée par la jurisprudence. L’article 3 de notre Constitution est là pour nous le rappeler : le suffrage doit être « universel » et « secret », bien sûr, mais aussi « égal ».
Je ne remets pas en cause la démocratie ou l’élection de tel ou tel conseiller général, bien évidemment, mais quelle égalité y a-t-il lorsque l’écart de population, lorsque le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé d’un même département, par exemple l’Hérault – j’ai puisé dans vos réflexions, monsieur le rapporteur – peut atteindre 1 pour 47 ? Certains électeurs vaudraient-ils 47 fois moins que d’autres ? L’égalité est-elle respectée dans les 88 départements où ce ratio dépasse 1 pour 5 ou encore dans les 18 départements où il est supérieur à 1 pour 20 ? Non ! Nous ne pouvons pas accepter de telles inégalités.
La représentation des territoires – nous en débattrons bien évidemment –, est une nécessité, notamment dans les départements à fort caractère rural, mais elle ne peut primer sur la représentation des électeurs. Les limites territoriales de trois-cinquièmes des cantons n’ont pas été modifiées depuis 1801. Nous sommes tous attachés à Bonaparte et au Consulat, mais reconnaissons que, sur un certain nombre de sujets, nous pouvons peut-être moderniser l’œuvre de ce dernier. Ces cantons ne reflètent plus la France d’aujourd’hui, ses réalités démographiques, ses bassins de vie et d’activité.
Démocratiser le département, c’est d’abord lui redonner une représentativité. Il faut donc procéder à un redécoupage global de la carte cantonale. Pour cela, nous avons fait le choix d’une règle simple : l’écart entre la population d’un canton donné et la moyenne départementale ne pourra excéder 20 %. Cette règle est stricte, mais simple et lisible. Une règle est d’autant mieux comprise qu’elle s’applique largement : le chiffre de 20 % est déjà celui que retient le Conseil constitutionnel pour le découpage des circonscriptions législatives.
M. François Sauvadet. Ce n’est pas la même chose !
M. Manuel Valls, ministre. C’est pourquoi le Conseil d’État l’a préconisée dans l’avis qu’il m’a rendu parallèlement à l’élaboration de ce projet de loi.
Le projet relatif au conseiller territorial – je m’adresse notamment à l’ancienne majorité, désormais opposition – prévoyait aussi un découpage, lequel aurait été établi sur les mêmes bases,…
M. François Sauvadet. Non !
M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Bien sûr que si !
M. Manuel Valls, ministre. …car il aurait été également placé sous le contrôle du Conseil d’État.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Absolument !
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Tout à fait !
M. Manuel Valls, ministre. Il aurait été établi sur les mêmes bases, c’est-à-dire les préconisations du Conseil d’État et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
J’ai affirmé l’attention que nous portions à l’égalité du suffrage. L’objectif de représentation des territoires reste pour autant essentiel. J’avais ainsi proposé au Sénat que le nombre de nouveaux cantons soit égal à la moitié du nombre de cantons actuels, arrondi au nombre impair supérieur. Il s’agissait également de faciliter la gouvernance des assemblées départementales. Cette disposition a été reprise – et je m’en réjouis – par votre rapporteur.
Je sais que beaucoup, soucieux notamment des territoires ruraux ou isolés, seront tentés de revenir sur la règle des 20 %. Nous avons eu ce débat au Sénat et, évidemment, au sein de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Le texte initial prévoit déjà des exceptions à la règle des 20 %, fondées sur des motifs géographiques ou des considérations d’intérêt général. Il faut poursuivre dans cette voie. Là encore, monsieur le rapporteur, les travaux de votre commission des lois ont été fructueux. Je suis ouvert à de nouvelles discussions sur cette question.
M. Alain Tourret. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. Dans ce cadre cantonal renouvelé, la parité sera strictement respectée.
Dans chaque canton seront élus, solidairement, deux candidats de sexe différent.
M. François Sauvadet. Ça va être gérable !
M. Manuel Valls, ministre. La parité est un impératif démocratique ; elle est aussi le gage d’une nouvelle légitimité, d’un profond renouvellement, d’un nouveau souffle pour l’institution départementale dans son ensemble. Afin que cette parité puisse être garantie tout au long du mandat, il est logique qu’elle s’applique aussi aux remplaçants.
La parité des assemblées ne se traduit pas nécessairement dans leur exécutif, nous le savons bien. Près de 95 % des présidents et 85 % des vice-présidents des actuels conseils généraux sont des hommes. Ce texte propose donc d’étendre l’obligation de parité à l’exécutif départemental.
Mme Sandrine Mazetier. Et c’est bien !
M. Manuel Valls, ministre. Je vous remercie, madame Mazetier. La meilleure réponse que nous puissions apporter à une telle sous-représentation des femmes, c’est l’élection des membres de la commission permanente du conseil départemental et des vice-présidents au scrutin de liste paritaire, une règle qui s’applique déjà dans les régions et les communes.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. Il s’agit d’étendre aux départements des mesures déjà appliquées avec succès dans les régions depuis 2007.
Pour résumer, la proposition qui vous est faite dans ce domaine vise à ne pas accepter le statu quo qui, de toute façon, aurait conduit à un redécoupage des cantons. Je rappelle à ceux qui refusent à la fois le nouveau mode de scrutin et cette proposition fondée sur le scrutin de liste que, de toute façon, même si le texte créant le conseiller territorial n’avait pas été abrogé ou si l’on était revenu au mode de scrutin antérieur, il aurait fallu procéder à un redécoupage, lequel aurait évidemment tenu compte des évolutions démographiques de notre pays, mais sans permettre la parité. Par conséquent, quand on veut promouvoir à la fois la proximité et la parité tout en refusant le scrutin de liste, il n’y a qu’une seule solution, une seule possibilité : c’est le scrutin binominal que je vous propose, un scrutin qui est d’ailleurs aussi facteur de démocratie et de modernisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Démocratiser pour renforcer la légitimité de l’institution : ce principe simple que nous avons souhaité suivre pour le scrutin départemental, je vous propose de l’adopter également pour la démocratie communale et intercommunale.
L’intercommunalité a acquis une véritable légitimité dans notre pays : la légitimité de l’action. Aujourd’hui, chacun en France connaît les réalisations de son intercommunalité. Nos concitoyens savent désormais – ou commencent à savoir – que telle voie est rénovée par leur communauté de commune ou qu’ils doivent leur tramway à la communauté urbaine.
Ils savent également que l’échelon intercommunal est l’échelon pertinent de l’action publique dans de nombreux domaines : aujourd’hui la voirie, les infrastructures, les transports ; demain, plus encore, le développement économique. Ils connaissent déjà aujourd’hui ce qui se fait dans les communautés de communes dans le domaine de la petite enfance, par exemple.
Cette réalité des politiques publiques doit devenir une réalité démocratique. Cette volonté a, là encore, été clairement exprimée par le Président de la République lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat : les élus intercommunaux doivent être désignés en même temps que les élus municipaux, c’est-à-dire le même jour, par un même vote.
C’est l’objectif du système de fléchage que je vous soumets aujourd’hui. Il s’agit d’identifier, sur la même liste que celle de l’élection municipale, celles et ceux qui seront appelés à siéger au conseil de l’intercommunalité.
Ce mode de scrutin est là aussi un gage de lisibilité pour les électeurs : les élus des établissements publics de coopération intercommunale seront, pour la première fois, clairement identifiés. Il répond aussi à un autre objectif auquel vous tous, mesdames, messieurs les députés, êtes attachés : préserver la légitimité communale. En cette période de crise, de perte de repères, de doute, les Français sont attachés à l’échelon municipal, à la figure du maire. L’identité communale reste une réalité qu’il faut prendre en compte.
Je sais que sur ces bancs certains auraient souhaité aller plus loin. C’est le cas notamment des élus des grandes zones urbaines, où l’intercommunalité est déjà très intégrée. Je veux les rassurer. Le fléchage est sans doute une étape – une étape importante – de la démocratisation à l’échelle locale. Comme je le disais, la carte intercommunale n’est pas encore achevée ; les compétences évolueront donc encore. Il faudra plus de temps pour que l’intercommunalité s’impose partout comme un acteur incontournable. En forçant les choses, nous courrions le risque de déstabiliser la démocratie locale.
J’entends certaines critiques qui peuvent être faites au système de fléchage tel qu’il était prévu par le texte initial. Je pense notamment au souci exprimé par de nombreux élus de disposer d’une certaine liberté dans l’établissement des listes. J’ai déjà dit devant le Sénat que j’étais ouvert à des évolutions, mais une contrainte doit s’imposer à nous et je veux la rappeler : celle de la lisibilité de la loi, de la bonne compréhension du mode de scrutin par les électeurs. Je crois que votre rapporteur est parvenu à un bon équilibre et je vous proposerai de ne pas le bouleverser.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il est excellent !
M. Manuel Valls, ministre. Pour renforcer la légitimité des élus intercommunaux, il faut également mieux les identifier. C’est pourquoi j’approuve pleinement l’initiative de votre rapporteur – pardonnez-moi de le souligner à nouveau, monsieur le président de la commission – de généraliser l’appellation de « conseiller intercommunal ». Il est vrai que les termes « délégué communautaire » ou « conseiller communautaire » étaient peu clairs.
Cet effort de démocratisation, il fallait l’étendre à la plus grande partie du bloc communal. Pour donner une véritable légitimité démocratique à l’intercommunalité, l’élection au suffrage universel des conseillers intercommunaux doit toucher le plus grand nombre possible de communes, et pas seulement des villes.
Pour cela, il est nécessaire d’abaisser le seuil à partir duquel les élections municipales sont organisées au scrutin de liste proportionnel. Le texte initial prévoyait d’abaisser ce seuil à 1 000 habitants, un chiffre issu du compromis entre différentes institutions représentant des élus.
M. François Sauvadet. C’est vrai.
M. Manuel Valls, ministre. Votre commission des lois a opté pour un seuil de 500 habitants. Je suis favorable à cette évolution, qui concerne près de cinq millions d’électeurs.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. Je rappelle d’ailleurs que ce seuil de 500 habitants était déjà inscrit dans les propositions du gouvernement et de la majorité précédents.
M. François Sauvadet. C’est vrai !
M. Manuel Valls, ministre. Ainsi que nous en sommes convenus à l’occasion de nos débats au sein de la commission des lois, la question du seuil peut se poser pour chacun d’entre nous, en tout cas à l’intérieur des différents groupes du Parlement, à tout le moins de l’Assemblée nationale.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. C’est vrai !
M. Manuel Valls, ministre. Étendre le scrutin municipal proportionnel au plus grand nombre de communes, ce n’est pas seulement renforcer l’intercommunalité. Cela contribuera également, madame la présidente, à renforcer la parité dans nos communes. La rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes le redira sans doute et mieux que moi : la parité est quasiment atteinte dans les communes de plus de 3 500 habitants, c’est-à-dire là où s’applique le scrutin proportionnel. En revanche, les femmes ne représentent que 32 % des élus des communes plus petites.
Nous ne pouvions nous satisfaire de cette situation. L’abaissement du seuil d’application du scrutin proportionnel de 1 000 à 500 habitants est là encore positif, puisque près de 20 % de communes supplémentaires auront accès à un scrutin paritaire.
Je suis ouvert au nom du Gouvernement à poursuivre les discussions sur la question du seuil, mais j’y poserai deux limites, monsieur le président du groupe socialiste. Le seuil de 1 000 habitants avait été considéré comme un bon compromis par le Gouvernement, notamment dans une volonté d’ouverture vis-à-vis du Sénat. Il ne sera en tout cas pas question de le relever à nouveau. L’élargissement du scrutin proportionnel doit être significatif. Avec un seuil fixé à 500 habitants, 93 % de la population de notre pays serait concernée par un scrutin paritaire.
Pour autant, je m’opposerai, avec les faibles moyens qui sont les miens (Sourires),…
M. Alain Chrétien. Quel aveu !
M. Manuel Valls, ministre. …à la suppression de ce seuil.
Nous devons en effet respecter une autre exigence démocratique, tout aussi fondamentale : celle du pluralisme. Vous le savez, il est parfois difficile, dans les plus petites communes, de constituer des listes complètes.
M. Alain Tourret. C’est vrai !
M. Manuel Valls, ministre. Ce problème touche plus de la moitié de nos communes, pour lesquelles le scrutin majoritaire avec panachage, en dépit de ses défauts, sur lesquels plusieurs d’entre vous reviendront, reste le mieux adapté.
Cette exigence de pluralisme, nous y répondons aussi à travers l’amendement, présenté par votre rapporteur, qui vise à abaisser le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes. Cette exigence était formulée sur de nombreux bancs de cette assemblée – notamment par vous, monsieur Sauvadet, que je trouve en pleine forme !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission. Toujours ! (Sourires.)
M. Manuel Valls, ministre. L’une de ces carences du panachage résidait dans la possibilité d’être élu sans avoir été candidat. Je salue, là encore, le travail de la commission, qui a choisi d’étendre à toutes les communes l’obligation de candidature.
Mesdames, messieurs les députés, je vous ai présenté les objectifs de ce texte, ses grandes orientations. Je connais votre intérêt pour ces questions, que démontre – s’il en était besoin, et à supposer que ce soit là un miroir fiable – le nombre d’amendements déposés.
Réformer un mode de scrutin n’est jamais facile. Tout projet fait naître des critiques, parfois des suspicions ; c’est bien normal. Dans le domaine des réformes électorales, la facilité, la vaine polémique nous engageraient collectivement et ne manqueraient pas d’alimenter la défiance que de trop nombreux électeurs nourrissent déjà envers la démocratie.
Je souhaite vivement et très sincèrement que nous abordions tous ce débat dans la sérénité, en gardant à l’esprit une volonté commune que traduit ce texte : servir l’intérêt général et renforcer notre démocratie locale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente et madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, il est des textes qui prennent davantage la lumière que d’autres – nous avons pu le mesurer au cours de ces dernières semaines. Pour autant, le projet de loi dont nous abordons aujourd’hui l’examen en séance constitue lui aussi une évolution majeure, un progrès pour notre démocratie, une modernisation de la vie territoriale de notre pays.
En supprimant le conseiller territorial, imaginé puis créé dans la douleur par la précédente majorité (Murmures sur les bancs du groupe UMP), nous voulons conserver aux régions et aux départements leur indépendance et consacrer la spécificité que ces deux collectivités se sont chacune forgée au cours des dernières décennies. Nous évitons également un recul inédit dans la mise en œuvre du principe constitutionnel de parité.
En dénommant pour l’avenir « conseils départementaux » les actuels conseils généraux et en prévoyant leur renouvellement en une seule fois plutôt que par moitié, nous proposons une meilleure lisibilité des assemblées départementales pour les électrices et les électeurs. Combien de fois, en effet, n’avons-nous pas été interpellés par des citoyens qui s’étonnaient de ne pas être appelés aux urnes pour les élections cantonales alors que ceux du village voisin – de la rue d’à côté, parfois, en zone urbaine – étaient invités à s’exprimer ?
En instaurant un mode de scrutin novateur, majoritaire et binominal pour l’élection des conseillers départementaux, nous maintenons l’ancrage territorial qui sied à ces élus de proximité, tout en permettant à la parité de gagner les dernières assemblées où elle n’a pas progressé depuis le grand mouvement lancé en 2000 sur l’initiative de la gauche.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Très bien !
M. Pascal Popelin, rapporteur. En fixant un cadre strict au pouvoir exécutif, qui dispose de la prérogative de procéder à l’indispensable redécoupage cantonal, nous créons les conditions pour que cet exercice, toujours regardé avec suspicion, toujours considéré comme sensible, soit irréprochable.
Nous prenons en compte le principe constitutionnel d’égalité du suffrage, que l’absence de refonte générale de la carte cantonale depuis plus de deux siècles a méconnu. Nous nous efforçons, au-delà du critère démographique prédominant, de tenir compte de la diversité des territoires de notre grand et beau pays.
M. François Sauvadet. Cela, il va falloir nous l’expliquer !
M. Pascal Popelin, rapporteur. En abaissant le seuil d’habitants à compter duquel les élections municipales auront lieu désormais au scrutin de liste majoritaire avec prime proportionnelle, nous étendons à 13 360 communes un mode de scrutin moderne, qui a fait ses preuves, qui permet l’émergence de majorités solides et la représentation des oppositions, qui garantit la parité dans les conseils municipaux comme dans les exécutifs.
En prévoyant l’élection au suffrage universel direct des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale, par voie de fléchage lors des élections municipales, nous consacrons un échelon décisionnel en voie de généralisation sur l’ensemble du territoire de la République. Dans la mesure où ils disposent d’une fiscalité propre et de compétences transférées de plus en plus importantes, il était légitime que les EPCI se voient dotés d’instances directement choisies par les citoyens.
En reportant à mars 2015 l’organisation des élections départementales et régionales, nous évitons la tenue de cinq élections l’année prochaine, dont trois le même jour. Outre la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité matérielle à assumer une telle organisation dans de bonnes conditions, il me semble cohérent, pour les électeurs, de faire en sorte que, à l’avenir, l’élection des conseillers départementaux et celle des conseillers régionaux ait toujours lieu au même moment et que l’élection des conseillers municipaux et celle des conseillers intercommunaux ait lieu elle aussi à une date unique, mais différente.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Très bien !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Chacun peut donc en juger : ce texte est ambitieux et novateur à bien des égards. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’a pas manqué de susciter l’intérêt, à tout le moins à ce stade, du concentré d’experts électoraux que forment les membres de nos assemblées parlementaires.
Le Sénat ne l’a pas adopté, pour des motifs qui ont permis une majorité de rejet et d’abstention, mais qui n’auraient pas rendu possible la constitution d’une majorité de contre-projet. Il n’en a pas moins longuement débattu et votre rapporteur a fait le plus grand cas des travaux toujours précieux de la Haute assemblée pour enrichir sa propre réflexion et nourrir quelques amendements dont M. le ministre a bien voulu rappeler qu’ils ont été adoptés par notre commission.
La commission des lois de notre assemblée a beaucoup travaillé, puisque, après la discussion générale, à laquelle nous avons consacré une réunion spécifique, il nous a fallu pas moins de cinq heures et demie pour examiner les vingt-six articles du projet de loi ordinaire et les trois articles du projet de loi organique qui en découle ; sur ces articles, plus de 400 amendements avaient été déposés, dont environ un quart a été adopté et donc intégré au texte qui vient en discussion en séance aujourd’hui.
Je ne doute pas que nous puissions approfondir nos échanges si j’en juge d’après le nombre de motions de procédure et d’amendements déposés sur ces textes. Comme c’est de la discussion que jaillit la lumière, je suis confiant quant à l’issue de nos travaux, pour le plus grand avantage de cette belle cause, à laquelle je nous sais tous attachés, au-delà des différences qui peuvent nous séparer : l’amélioration du fonctionnement de notre démocratie.
Ce texte comporte de nombreuses entrées qui touchent à de nombreux sujets. Une telle richesse a stimulé les esprits – et les amendements. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission. Ça, c’est sûr !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Nombre d’entre eux visent à supprimer des articles du texte. De fait, leurs auteurs ne veulent pas de ce texte.
M. Guillaume Larrivé. C’est bien vu !
M. Manuel Valls, ministre. Vous vous êtes enfin découverts ! (Sourires.)
M. Pascal Popelin, rapporteur. La discussion de ces amendements permettra de confronter nos arguments sur le bien-fondé des changements proposés, si péniblement que le mot changement sonne à l’oreille de certains de nos collègues. D’autres amendements s’éloignent de l’objet du texte ou anticipent sur des textes à venir – je pense à l’acte III de la décentralisation, à la limitation du cumul des mandats,…
M. François Sauvadet. Qui interviendra seulement après les prochaines élections !
M. Pascal Popelin, rapporteur. …ou à une refonte générale de certains principes de notre droit électoral. Pour l’efficacité de nos travaux et sans me prononcer sur le fond, cher collègue Sauvadet, vous comprendrez qu’en tant que rapporteur je n’exprime pas d’avis favorable lors de leur discussion. Nombre de ces amendements pourraient d’ailleurs être considérés comme des cavaliers d’un point de vue constitutionnel.
Avant de revenir sur les principales évolutions du texte adoptées par la commission des lois, je voudrais dire ma conviction sur quelques-uns des points qui ne manqueront pas de nourrir nos débats.
Ma première conviction est qu’il n’existe pas de mode de scrutin conjuguant toutes les qualités que nous pourrions appeler tous ensemble de nos vœux.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ça, c’est sûr !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Il est légitime de vouloir que le mode de désignation de nos représentants soit le reflet le plus fidèle possible de la diversité des opinions. Il ne l’est pas moins d’avoir pour ambition que les élus aient un lien direct avec les électeurs qui les choisissent et une forme de proximité avec les territoires qu’ils représentent.
Le législateur doit aussi se préoccuper du caractère gouvernable des assemblées délibérantes issues du suffrage. Chacun peut convenir que ces impératifs, tout aussi importants les uns que les autres, ne peuvent se conjuguer avec la même force selon le mode de scrutin choisi.
Ma deuxième conviction est qu’une majorité ne doit jamais faire le choix d’un mode de scrutin en fonction du résultat supposé favorable que celui-ci serait censé lui permettre d’obtenir. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Guillaume Larrivé. Votez contre le texte, alors !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Beaucoup, mes chers collègues, s’y sont essayés. Cet artifice a toujours déçu, parce que les électrices et les électeurs, quel que soit le mode de scrutin en vigueur, savent se l’approprier pour faire leur choix.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Ma troisième conviction est qu’il convient, en conséquence, de se fonder, pour déterminer la caractéristique que l’on souhaite privilégier, sur la fonction de l’assemblée qui doit être élue et sur la nature des missions qui sont celles de ses membres.
Ainsi, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer à cette tribune lorsque nous avons examiné la proposition de loi tendant à abroger le conseiller territorial, dans la mesure où la vocation première des régions consiste à exercer un rôle de programmation des projets structurants des territoires, qu’il s’agisse de grands aménagements d’équipements, des infrastructures de transport, des politiques de développement économique et de formation professionnelle, ou encore de création d’activités et d’emplois, un scrutin à dominante proportionnelle corrigé d’une prime majoritaire – tel que celui adopté en 2003 et appliqué en 2004 et 2010 – me semble adapté.
Les départements, pour leur part, exercent des missions de proximité. Principaux opérateurs de la solidarité, ils sont les collectivités d’accompagnement des Français, à toutes les étapes de la vie et pour les aider à faire face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Ils sont les partenaires privilégiés du bloc communal, auquel ils apportent un soutien logistique, matériel et financier bien souvent indispensable. Les élus départementaux doivent donc disposer de l’ancrage territorial que confère le scrutin majoritaire. Les départements ne peuvent néanmoins demeurer les seules enceintes démocratiques de notre République laissant la parité à leur porte. C’est de ce raisonnement qu’est née la proposition de scrutin majoritaire binominal qu’il nous est proposé d’instaurer pour les élections départementales.
Un temps important de nos débats a été consacré, en commission, à la question du redécoupage cantonal. J’avoue avoir été surpris des arguments employés par certains de nos collègues. Il y avait là une manière de nier la réalité, avec tant que force et d’aplomb que cette posture m’est apparue comme une volonté de parer le mode de scrutin proposé de maux qui lui sont étrangers, afin de mieux le récuser.
Car enfin, mes chers collègues – et même si je sais bien que vous y reviendrez, parce que je commence à connaître la méthode – ce n’est pas l’instauration du scrutin majoritaire binominal qui génère l’obligation d’un découpage cantonal ; c’est notre constitution.
Si le conseiller territorial avait vécu, il aurait bien fallu découper les nouveaux cantons d’élection de ces élus.
M. Guillaume Larrivé. Mais non !
M. Olivier Marleix. En tout cas, pas sous cette forme !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Si nous avions fait le choix d’en revenir au mode de scrutin antérieur des élus départementaux, supprimé par la droite lors de la création du conseiller territorial, qui peut croire qu’il aurait été possible d’en revenir aux cantons actuels, dont la délimitation date pour les deux tiers d’entre eux – M. le ministre l’a rappelé – du Consulat, en 1801 ?
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission. Eh oui !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Je sais bien que le propre des conservateurs est de vouloir conserver ; nous en avons la démonstration chaque jour dans cet hémicycle.
M. François Sauvadet. C’est un peu court !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Cependant, dans le cas qui nous occupe, ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État n’auraient laissé faire, tout simplement parce que l’ancien, le bien trop ancien découpage cantonal violait de manière bien trop grave le principe constitutionnel d’égalité du suffrage.
La littérature juridique est généreuse en écrits sur ce principe, lequel peut être résumé par un adage simple : un citoyen, une voix, et qui pose comme une exigence que l’influence qu’un électeur exerce sur la composition d’une assemblée délibérante soit d’un poids égal à celle exercée par tous les autres électeurs.
Pour tenter d’entamer l’ardeur des dénégations qui ne manqueront pas, c’est d’ailleurs déjà le cas, d’être opposées à mes propos, mais aussi pour dénoncer un faux procès qui commence à être repris par les commentateurs – une publication portant le nom de l’endroit dans lequel nous nous trouvons n’hésitait pas à titrer la semaine dernière : « Un redécoupage qui maltraite les territoires ruraux » –,…
M. François Sauvadet. Eh oui !
Mme Annie Genevard. C’est juste !
M. Pascal Popelin, rapporteur. …je voudrais rappeler certains propos de Philippe Richert, alors ministre, tenus le 7 juin 2011 alors qu’il défendait au Sénat la loi portant création du conseiller territorial : « […] nous n’avions jamais eu, dans toute l’histoire de notre pays, à faire face à une réforme aussi généralisée de la délimitation des cantons. De ce fait, au-delà du principe posé par le Conseil d’État, il n’existe pas aujourd’hui de règle générale qui s’impose de façon définitive. Nous devons donc veiller à ce que ce remodelage soit effectué sur des bases essentiellement démographiques, sous réserve des dérogations que le Conseil d’État admet lorsqu’elles sont motivées par des impératifs d’intérêt général. »
Ce qui était une vérité hier demeure une vérité aujourd’hui. La loi que nous examinons ne prévoit rien d’autre.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Je voudrais enfin dire quelques mots des principales améliorations que la commission des lois a apportées au texte. En lien avec le sujet que je viens d’évoquer, j’ai proposé d’introduire quelques marges de manœuvre afin de déroger à l’application de critères strictement démographiques pour le redécoupage des cantons. Le dernier alinéa de l’article 23 dispose que « des considérations géographiques » et d’autres « impératifs d’intérêt général » pouvaient exceptionnellement autoriser à s’en affranchir.
Nous y avons ajouté la notion de « répartition de la population sur le territoire » et « d’aménagement du territoire ». Afin d’assouplir encore le dispositif et de favoriser l’émergence de majorités, nous avons aussi prévu un nombre de nouveaux cantons arrondi à l’entier supérieur impair.
La commission, après en avoir longuement débattu et sans que le choix opéré n’ait recoupé les clivages politiques habituels, a décidé d’étendre aux communes d’au moins 500 habitants le mode de scrutin que le texte du Gouvernement prévoyait pour les communes d’au moins 1 000 habitants. Nous avons aussi diminué le nombre de membres des conseils municipaux des communes de moins de 3 500 habitants, répondant à une demande largement exprimée par toutes les associations d’élus. De manière consensuelle, nous avons généralisé dans toutes les communes l’obligation de déposer les candidatures pour les élections municipales, par souci de clarté et de transparence.
S’agissant de l’élection des conseillers intercommunaux, dont nous avons introduit cette nouvelle appellation par amendement, nous avons aussi voulu préciser le lien organique qui lie le mandat municipal et le mandat intercommunal. Nous avons enfin assoupli la règle du fléchage par le haut de la liste, afin qu’il ne soit pas de facto obligatoire que les mêmes élus cumulent les principales responsabilités municipales et intercommunales.
Enfin, nous avons souhaité mettre fin à la possibilité de reversement de l’écrêtement des indemnités des élus. Désormais, les sommes dépassant le montant du plafond, dans les sept catégories de collectivités et d’établissements publics de coopération intercommunale concernés, seront reversées au budget de la collectivité.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à suivre l’avis de la commission des lois, qui a adopté ces deux projets de loi ainsi amendés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Quelle remarquable sagesse, il sera difficile de faire mieux !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant réforme des scrutins locaux fait consensus sur les deux objectifs que le Président de la République a fixés, la proximité et la parité, même si nous divergeons parfois sur les moyens, chacun connaissant ici les réserves que j’ai exprimées sur le scrutin binominal.
La délégation aux droits des femmes a approuvé un rapport que présentera Pascale Crozon. Les amendements que nous avons proposés pour assurer la parité au sein de tous les exécutifs ont été acceptés, ce dont je vous remercie, monsieur le rapporteur.
Pourquoi la France doit-elle encore légiférer en faveur de la parité en 2013 ?
M. Pascal Popelin, rapporteur. Eh oui !
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Les débats récents témoignent encore de propos sur la place des femmes en politique ou dans le couple que l’on n’imaginait plus entendre en 2013. Le sénateur Béchu tient la palme en parlant « d’obsession sexuelle » à propos de la parité.
De nombreux conseillers généraux viennent de réaliser qu’introduire la parité au sein de ces bastions masculins qui ne comptent que 14 % de femmes fera perdre à certains leur place. Ils auraient bien aimé que les « femmes puissent faire encore leurs preuves pendant six ans », comme l’a exprimé le sénateur Sido.
En tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je voudrais dire à cette tribune combien la France a accumulé de retard en la matière.
Les Françaises ne sont devenues « électrices et éligibles » qu’en 1944 et cette citoyenneté s’est essentiellement limitée au droit de vote. Le monde politique est longtemps resté une « chasse gardée masculine ».
M. François Sauvadet. C’est vrai.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Le partage des rôles fut le principal argument opposé à l’émancipation politique des femmes.
Émile Morlot, député de l’Aisne jusqu’en 1907, disait : « Destinée à la maternité, faite pour la vie de famille, la femme oublierait fatalement ses devoirs de mère et ses devoirs d’épouse, si elle abandonnait le foyer pour courir à la tribune. [...] On a donc parfaitement raison d’exclure de la vie politique les femmes qui, par leur peu de maturité d’esprit, ne peuvent prendre une part intelligente à la conduite des affaires publiques ».
Mme Annie Genevard. Le propos date un peu.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il y a trois mois, Gérard Longuet n’a pas dit autre chose, lors du débat de ce texte au Sénat : « Nous savons, en province, que ce sont les femmes qui gèrent les maisons et les budgets ».
La France se distingue ainsi par ses idées arriérées. L’Histoire l’explique, de l’héritage franc et la loi « salique » qui interdisait le pouvoir aux femmes à la Révolution Française où les femmes deviennent citoyennes sur le plan civil mais sans droit politique. « Elles avaient le droit de monter à l’échafaud mais pas celui de monter à la tribune », disait Olympe de Gouges.
La Révolution a même sans doute contribué à éloigner durablement les femmes du pouvoir en imposant le partage entre la sphère publique qui appartient aux hommes et la sphère privée de la famille, déléguée aux femmes. Je le déplore car j’apprécie cette période de la Révolution.
C’est cette vision conservatrice et bourgeoise de la place de la femme que le code Napoléon traduira.
Au XXe siècle, dans cette longue lutte vers l’égalité, c’est à la gauche que l’on doit d’avoir porté les progrès et permis d’aboutir enfin à la révision constitutionnelle de 1999 selon laquelle la loi « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
M. Laurent Furst. Bien évidemment !
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. En appliquant ce principe de parité en l’an 2000, la France fut la première à l’adopter.
En 2003, la loi relative à l’élection des conseillers régionaux, a établi le scrutin par listes paritaires avec alternance stricte entre femmes et hommes, ce qui a imposé la parité dans les vingt-deux régions.
Cette solution est efficace et simple pour les électeurs. J’avais proposé de la faire appliquer dans toutes les communes, monsieur le ministre, mais vous venez de dire qu’elle s’appliquerait dans les communes d’au moins 500 habitants. Elle aurait pu également s’appliquer au scrutin départemental.
C’est aussi grâce à la gauche que notre assemblée compte aujourd’hui plus de femmes que la précédente même si leur nombre est encore insuffisant. Enfin, notre République a vu pour la première fois de son histoire émerger un Gouvernement paritaire !
La gauche joue un rôle déterminant et nous poursuivons ce combat !
Nous continuons à légiférer pour la parité, pour le non-cumul des mandats, pour le statut de l’élu, pour le partage du pouvoir politique car, malgré des avancées, les femmes restent sous-représentées dans les lieux de pouvoir, en particulier exécutifs.
Pour sortir d’une démocratie « exclusive et excluante », il faut renforcer l’arsenal législatif. Proclamer la parité sans la réaliser menace la solidité de la cohésion sociale et entame la confiance des citoyens. Le dire sans le faire, c’est dangereux. Nous ne pouvons nous cacher derrière des déclarations d’intention ou des bricolages électoraux.
L’expérience l’a montré, l’incitation ne suffit pas. Il faut donc passer à des mesures contraignantes. Une révision de la Constitution pourra conduire, dans les prochains mois, à ce que la loi « garantisse » et non « favorise » l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
L’idéal républicain qui nous mobilise, c’est l’égalité. La parité, c’est lorsque les femmes cessent d’être considérées comme un handicap pour devenir une ressource politique. La parité permet de renouveler les assemblées, de diversifier les profils et les parcours, mais elle n’est qu’un moyen d’aboutir à l’égalité. Elle n’est ni différentialiste ni communautariste.
Les femmes doivent accéder aux mêmes droits, mais non pas en raison de leur complémentarité ou de leur altérité. Non, les femmes en politique n’incarnent pas la différence, la diversité. Non, les femmes ne sont pas là pour faire de la politique « autrement ». Non, les femmes ne sont pas élues pour apporter une plus-value féminine. Non, elles ne sont pas là pour représenter les femmes. Elles représentent, comme les hommes, l’ensemble des citoyens et citoyennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)
La parité, c’est un enjeu démocratique, c’est le socle de notre République, un socle que nous devons moderniser, réaffirmer, renforcer.
Stendhal le disait, « L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La République », disait Léon Gambetta, « se gagne dans les mairies et dans les cantons ». Alors que 86 % des premières et 87 % des seconds sont toujours détenus par des hommes,…
M. Laurent Furst. Élus !
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. …force est de constater que notre République est encore bien loin des espoirs de parité soulevés par la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999.
Il s’est écoulé plus de six ans, monsieur le ministre, depuis la dernière loi favorisant l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. La délégation aux droits des femmes s’est toujours attachée à en défendre le principe au-delà des clivages partisans. Elle se réjouit aujourd’hui que la parité soit à nouveau l’une des priorités du Gouvernement. C’est une absolue nécessité.
Nécessaire, votre projet de loi l’était devenu du fait de l’abrogation du conseiller territorial. Notre délégation et l’Observatoire de la parité avaient émis des avis défavorables à ce nouveau mandat. Nous avons été nombreux, à gauche comme à droite d’ailleurs, à nous inquiéter des menaces qu’il faisait peser sur la représentation des femmes au niveau régional, et quant à une institutionnalisation, de fait, du cumul des mandats. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP.) Il n’était pas envisageable de simplement revenir à la situation antérieure. Déjà, en 2007, un ticket paritaire avait été créé pour que les femmes soient mieux représentées dans les assemblées régionales. D’autres hypothèses avaient alors été soulevées, comme l’introduction d’une part de proportionnelle, ou des scrutins binominaux, sous diverses formes. La sénatrice Muguette Dini avait proposé un scrutin binominal avec panachage pour laisser l’électeur libre de choisir l’ordre entre titulaire et suppléant. D’autres propositions prévoyaient que les deux membres du ticket siègent indifféremment en remplacement l’un de l’autre, ou par rotation dans le temps. Au final, la solution retenue fut véritablement humiliante pour les femmes, cantonnées au rôle de suppléante pour huit bulletins de vote sur dix.
L’échec de la loi du 31 janvier 2007, tout comme celui des incitations financières mises en œuvre pour les législatives, nous rappelle qu’il n’y a pas d’effet d’entraînement, pas d’évolution naturelle des femmes vers les mandats lorsqu’ils sont attribués au scrutin uninominal. Ce ne sont ni les lois, ni les électeurs, qui tiennent les femmes à l’écart de la vie politique. Ce sont, comme l’a dit Elisabeth Guigou, « les règles du jeu non écrites de la bataille électorale », celles qui se déroulent au sein même des partis politiques.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument !
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Ce projet de loi prévoit d’élire les assemblées départementales au scrutin binominal paritaire, chacun des deux membres du binôme exerçant son mandat indépendamment l’un de l’autre. Comme les lois sur la parité en leur temps, ce mode de scrutin fait aujourd’hui débat, y compris chez les féministes les plus convaincues.
Nous nous sommes interrogées, pendant nos auditions, sur les stéréotypes sexués que pouvait véhiculer un ticket suggérant moins l’égalité entre les candidats que leur complémentarité. Allons-nous échapper à la logique électorale selon laquelle la légitimité politique continuerait d’être portée par le notable local, le plus souvent masculin, tandis que la femme lui apporterait des qualités telles que la jeunesse, la diversité de ses origines ou de son parcours dans la société civile ?
M. Laurent Furst. C’est un commentaire sexiste !
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Ce risque existe pour les élections de 2015, où l’essentiel des candidats qui pourront se prévaloir du statut de sortant seront des hommes. Nous serons attentifs, monsieur le ministre, aux dispositions réglementaires que vous prendrez pour garantir la stricte égalité de traitement entre les candidats d’un même binôme, notamment en matière de propagande officielle.
Je crois pourtant qu’en garantissant la parité, non plus seulement au niveau des candidats, mais au niveau des élus, le scrutin binominal contraindra enfin les partis à faire confiance aux femmes : confiance dans leur capacité à exercer leur mandat en toute indépendance, confiance dans les responsabilités exécutives qu’elles exerceront à parité, confiance enfin dans la conquête de leur légitimité politique propre.
Je tiens par ailleurs à saluer le choix de la commission des lois d’abaisser le seuil du scrutin de liste à 500 habitants : 92 % de la population française élira ainsi ses conseillers municipaux à parité. C’est une avancée importante.
L’abaissement de ce seuil permettra également une représentation effective des femmes dans les intercommunalités. L’absence de statistiques sur la place des femmes dans les EPCI, que les études portant sur quelques régions seulement évaluent entre 20 et 25 %, en dit long sur le décalage qui existe aujourd’hui entre l’importance croissante de ces enceintes dans la vie quotidienne de nos concitoyens et l’opacité qui préside toujours à leur organisation.
Si nous nous félicitons des progrès de la parité dans les communes et les départements, nous pouvions craindre que les transferts de leurs compétences vers des intercommunalités destinées à devenir des collectivités à part entière, ne vident ces progrès de leur substance. Compte tenu du nombre de communes et de listes à représenter, le fléchage seul ne garantit pas la parité dans les EPCI. C’est combiné à l’abaissement du seuil que le fléchage permettra la parité dans les communautés urbaines ou d’agglomération comme Lyon ou Marseille, qui ne comptent aucune commune de moins de 500 habitants.
Le projet de loi constitue un progrès incontestable vers une vie politique renouvelée, modernisée et féminisée. Je veux saluer ici l’adoption de plusieurs de nos amendements en commission des lois, qui y contribueront.
J’interviendrai par la suite dans ce débat pour évoquer deux propositions qui me semblent importantes : l’élection des adjoints avec une alternance homme-femme, et la parité du bureau et des vice-présidences dans les intercommunalités. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis bientôt dix mois, M. François Hollande préside la République. Chaque semaine, à l’Assemblée nationale, l’ordre du jour qui nous est imposé met en scène les priorités du nouveau pouvoir.
Le premier acte a vu le ministre du budget faire subir aux entreprises, aux familles, aux salariés, un choc fiscal sans précédent, qui affaiblit l’économie nationale, appauvrit les Français, détruit des emplois, crée plus de mille chômeurs chaque jour et précipite notre pays dans la récession.
M. Patrice Verchère. Et ce n’est pas fini !
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Quel est le rapport avec notre texte ?
M. Guillaume Larrivé. Le deuxième acte a été joué par la garde des sceaux, ministre de la justice, conduisant une vaste opération de diversion et de division, en focalisant pendant des semaines tout le débat public sur les questions de mariage, comme s’il n’y avait rien de plus urgent.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est vous qui avez divisé !
M. Guillaume Larrivé. Et c’est vous, monsieur le ministre de l’intérieur, qui ouvrez aujourd’hui le troisième acte, avec ces projets de loi qui n’ont, en réalité, qu’un seul et unique objet : tenter de préparer les prochaines élections locales au seul service des intérêts du parti socialiste.
M. François Sauvadet. Très bien !
M. Guillaume Larrivé. Nous allons le démontrer, simplement et sereinement.
Permettez-moi d’abord de souligner ce que cette réforme n’est pas : il ne s’agit aucunement d’une réponse aux enjeux de l’organisation des collectivités locales. Voilà quelques mois, dans un discours prononcé à la Sorbonne, le Président de la République avait annoncé que le Parlement serait saisi, au début de l’année 2013, d’une réforme territoriale tendant notamment à clarifier les compétences de chaque collectivité. Il n’en est rien.
Pas moins de quatre ministres sont en charge, directement ou indirectement, des collectivités territoriales : vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, mais aussi la ministre de la réforme de l’État et de la décentralisation, Mme Lebranchu, la ministre déléguée à la décentralisation, Mme Escoffier, et la ministre de l’égalité des territoires, Mme Duflot.
Il est curieux qu’un attelage aussi éminent n’ait pas réussi pour l’heure à faire avancer les avant-projets du Gouvernement sur l’organisation des collectivités locales. Il est bizarre que, après dix années d’une réflexion sans doute féconde dans l’opposition, les équipes gouvernementales ne soient toujours pas en mesure, aujourd’hui, d’indiquer clairement, devant la représentation nationale, quels seront les contours de l’organisation territoriale dans les années à venir.
Quel est votre cap ? Nous voulons comprendre si vous souhaitez, oui ou non, renforcer les libertés locales. Nous voulons savoir si vous allez, oui ou non, desserrer l’étau des contraintes qui multiplient les coûts, découragent les projets et affaiblissent les collectivités, asphyxiées par les normes impératives, les réglementations bureaucratiques et les injonctions de toutes sortes. Nous voulons débattre avec vous de la meilleure manière d’organiser les différents échelons de collectivités territoriales et leurs relations avec les services de l’État et les instances européennes, pour améliorer les services rendus à la population. Nous voulons comprendre comment les collectivités pourront mieux répondre au défi de l’allongement de la vie et de l’accompagnement de nos aînés. Nous voulons savoir comment vous entendez améliorer la compétitivité des territoires, en facilitant l’émergence de métropoles, mais aussi en encourageant les acteurs qui se battent pour faire vivre la ruralité.
M. Serge Janquin et M. Rémi Pauvros. Que ne l’avez-vous fait !
M. Guillaume Larrivé. Pour toute réponse à ces questions légitimes, urgentes, préoccupantes, vous vous contentez de rayer d’un trait de plume le conseiller territorial, dont l’instauration avait été votée, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, par la précédente majorité.
Les conseillers territoriaux n’avaient sans doute pas que des avantages…
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Sur la parité, sûrement pas !
M. Guillaume Larrivé. …mais ils n’avaient certes pas tous les inconvénients dont vous les parez. Moins nombreux mais plus puissants que les actuels conseillers régionaux et conseillers généraux, les conseillers territoriaux avaient pour première ambition de rapprocher les régions et les départements. Ils auraient permis aux maires, aux entreprises, aux associations, de travailler avec un responsable unique sur le territoire, capable de porter leurs projets.
Mort-né, tué par un antisarkozysme mécanique, le conseiller territorial n’aura jamais pu faire ses preuves. Et le Gouvernement ne le remplace par rien d’autre que la vague promesse d’une loi sur la décentralisation, dont le Parlement n’est toujours pas saisi.
Vous seriez bien avisés, mesdames et messieurs les députés de la majorité, de vous méfier des promesses du Président de la République, car vous êtes devenus les complices de ses reniements. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Rappelez-vous très simplement l’engagement n° 54 que M. François Hollande avait pris au printemps devant les Français : « Un pacte de confiance […] sera conclu entre l’État et les collectivités locales garantissant le niveau des dotations à leur niveau actuel. »
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Pourquoi avez-vous laissé tant de dettes ?
M. Guillaume Larrivé. C’était une promesse de campagne du Président, c’était un argument répété par chacun des candidats du parti socialiste lors des élections législatives, c’était écrit en toutes lettres, et c’est très précisément le contraire qu’effectue le Gouvernement, puisqu’il a annoncé mardi dernier, devant le comité des finances locales, que les dotations de l’État aux collectivités baisseront de 3 milliards d’euros en 2014 et en 2015.
M. Alain Chrétien. Qu’aurait-on dit si nous avions fait la même chose !
M. Guillaume Larrivé. Au moment même où le Gouvernement charge la barque des dépenses des départements et des communes en modifiant les rythmes scolaires en dépit du bon sens, il va pratiquer une saignée dans les ressources des collectivités locales.
M. François Sauvadet. C’est absolument vrai !
M. Guillaume Larrivé. C’est donc dans ce contexte extrêmement difficile pour les collectivités locales, monsieur le ministre de l’intérieur, que vous venez à l’Assemblée nationale nous présenter vos projets de loi de convenance électorale.
Vous avez traversé, au Palais du Luxembourg, une sorte de Vietnam parlementaire puisque nos collègues sénateurs – qui ont pour mission constitutionnelle de représenter les collectivités locales – ont fermement rejeté votre projet de loi. Cela traduit, à tout le moins, un malaise dans les rangs de votre propre majorité, que vous n’êtes pas parvenu à convaincre. Pour un gouvernement qui se prétend l’ami des territoires et l’apôtre de la concertation, ce n’est pas très réussi… Aussi invitons-nous les députés de la majorité à prendre exemple sur la sagesse sénatoriale et à adopter, dès aujourd’hui, la motion de rejet que nous vous présentons.
Le premier motif de rejet, c’est une question de principe : Est-il légitime de bouleverser un mode de scrutin dans l’année qui précède une élection ? C’est précisément ce que le Gouvernement propose pour les trois échéances électorales majeures qui, selon la loi actuelle, doivent se tenir en mars 2014 : les élections municipales, les élections cantonales, les élections régionales.
Je devine que le Gouvernement me répondra qu’aucun principe n’y fait directement obstacle, et j’admets bien volontiers que, par le passé, d’autres gouvernements, d’autres majorités, ont eux aussi pratiqué de cette manière – je pense, par exemple, à la loi d’avril 2003, modifiant le mode de scrutin des élections régionales de mars 2004 : ce ne fut un succès majeur, ni pour le parti alors au pouvoir, ni pour la démocratie.
Je crois précisément que de telles pratiques, de tels arrangements devraient appartenir au passé. Dans une démocratie moderne, apaisée, respectueuse des citoyens, il est choquant de modifier les règles du jeu à quelques mois d’une élection.
À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à prendre attentivement connaissance du « baromètre de la confiance politique » publié par le CEVIPOF, le mois dernier. On y lit une très forte défiance envers les institutions : 54 % des personnes interrogées pensent que notre démocratie ne fonctionne pas bien ; surtout, 28 % des Français seulement disent avoir confiance dans l’Assemblée nationale, et 26 % dans le Gouvernement.
Cette défiance se lit aussi, bien sûr, dans les taux d’abstention et le niveau élevé des suffrages qui se portent sur les candidats n’appartenant pas aux partis de gouvernement.
Je regrette que, en modifiant les règles du jeu électoral à quelques mois des échéances normalement prévues,…
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Deux ans !
M. Guillaume Larrivé. …le Gouvernement ne fasse qu’alimenter la défiance à l’égard des institutions de notre République. Cette manipulation est d’autant plus coupable qu’elle consiste à tenter de préserver les positions du parti au pouvoir.
Pour cela, vous faites feu de tout bois. Vous nous proposez ainsi de modifier le calendrier des élections, en reportant à 2015 les élections régionales et les élections départementales, qui doivent se tenir, en principe, en même temps que les élections municipales, en mars 2014.
Il n’y a strictement aucun motif d’intérêt général qui puisse justifier ce découplage, bien au contraire : les taux de participation aux élections sont plus forts lorsqu’on vote le jour où nos concitoyens sont appelés à élire leur maire, puisque les élections municipales suscitent habituellement une forte mobilisation. La vérité, c’est que vous avez à l’esprit les élections sénatoriales de septembre 2014.
M. Alain Chrétien. Eh oui, on l’a bien compris !
M. Guillaume Larrivé. Vous cherchez ni plus ni moins à geler une partie du collège des grands électeurs appelés à élire les sénateurs. Les conseillers régionaux représentent, au total, 1,2 % du collège électoral sénatorial et les conseillers généraux en représentent 2,6 % – proportion d’ailleurs plus forte dans certains départements. Or une telle fraction du collège électoral peut, à elle seule, inverser, dans un sens ou dans l’autre, la majorité du Sénat.
Mme Annie Genevard. Ça compte !
M. Alain Chrétien. Ils font feu de tout bois !
M. Guillaume Larrivé. Le report des élections régionales et départementales porte donc atteinte à la sincérité des élections sénatoriales.
M. Patrice Verchère. Tripatouillage !
M. Guillaume Larrivé. Cette manipulation sera encore plus grave demain si le Gouvernement suit les recommandations de la commission présidée par M. Lionel Jospin, qui propose que les voix exprimées par les conseillers régionaux et les conseillers généraux soient affectées d’une pondération renforçant leur poids dans l’élection des sénateurs, pour représenter au total 15 % du collège des grands électeurs.
Nous n’avons entendu ni le Président de la République, ni le Premier ministre, ni le ministre de l’intérieur rejeter cette proposition du rapport Jospin. Est-ce à dire qu’ils l’approuvent ? Si elle était adoptée, ce serait, après le report des élections régionales et départementales, une deuxième lame de rasoir sur le Sénat.
Vos propositions relatives aux élections municipales sont un peu moins inacceptables, mais le diable est dans les détails. Nous devons prendre garde à ne pas affaiblir les communes et à ne pas décourager la bonne volonté d’un demi-million de Français, pour la plupart bénévoles, qui se dévouent au quotidien au sein des municipalités et des intercommunalités.
Il existe, c’est vrai, un assez large accord sur le principe de l’abaissement du seuil des élections se tenant au scrutin de liste majoritaire avec représentation proportionnelle à deux tours, jusqu’alors réservé aux 2 918 communes de plus de 3 500 habitants. Ce mode de scrutin – simple, lisible, paritaire – présente des avantages indéniables. Mais faut-il l’étendre à toutes les communes de plus de 500 habitants, comme le propose la commission des lois ? Je ne le pense pas, car j’ai la conviction que, dans les plus petites communes, où chacun se connaît, nos concitoyens restent attachés au mode de scrutin actuel, qui permet un choix à la fois très ouvert et très précis, grâce notamment au panachage. Un seuil de 1 000, voire 1 500 habitants nous semble mieux adapté aux réalités locales.
De même, le « fléchage » des élus municipaux appelés à siéger au sein des conseils communautaires ne doit pas être trop rigide. Dans les communes où le scrutin de liste sera appliqué, il est légitime que les candidats appelés à siéger à la fois au conseil municipal et au conseil intercommunal soient bien identifiés au sein de la liste, pour que les électeurs se décident en connaissance de cause. Mais cela ne signifie pas que la loi doive prévoir, de manière absolument rigide, que seuls les candidats figurant en haut de la liste siégeront dans les deux conseils. Il faut laisser aux équipes municipales une certaine liberté d’organisation et donc une souplesse de répartition des fonctions d’adjoint et de conseiller intercommunal.
De même, dans les petites communes régies par le scrutin majoritaire, s’il est nécessaire que le maire soit assuré de représenter sa commune au sein du conseil intercommunal, pour les autres sièges de conseillers intercommunaux, il convient sans doute de laisser aux conseils municipaux la possibilité de déroger à l’ordre du tableau.
Prenons garde à ne pas tout réglementer ! Respectons les libertés locales. Une démocratie territoriale vivante, c’est une démocratie qui fait confiance aux élus et qui appelle nos concitoyens à continuer de s’impliquer dans la vie de leurs communes. C’est pourquoi je ne suis, pour ma part, pas favorable à la diminution du nombre des conseillers municipaux dans toutes les communes de moins de 3 500 habitants, comme le propose la commission en supprimant deux sièges dans les conseils municipaux de chacune des cinq strates de communes. L’engagement dans la vie publique de près de 500 000 conseillers municipaux est une richesse pour la démocratie locale, notamment dans nos territoires ruraux.
On voit bien, à l’inverse, la logique qui vous inspire : vous souhaitez, par tous les moyens, diminuer la représentation du monde rural, dans les communes mais plus encore au sein des départements.
J’en viens à la réforme du mode de scrutin des départements, qui constitue le plat principal de ce projet de loi. Je passe sur le changement d’appellation du conseiller général qui deviendrait conseiller départemental ; cette modification cosmétique n’a guère d’importance.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Conservez, conservez !
M. Guillaume Larrivé. La première caractéristique de cette réforme départementale, c’est la bizarrerie de votre mode de scrutin binominal. Vous proposez que, dans un même territoire, soient désormais élus deux conseillers départementaux, de sexe différent, se présentant en binôme, chaque suppléant devant être du même sexe que le titulaire.
Le binôme serait totalement solidaire au moment de l’élection, mais chaque conseiller départemental serait censé exercer ensuite son mandat de façon indépendante.
On peine à voir en quoi ce dédoublement facilitera le travail des élus au service de la population. Au sein d’un même territoire, censés travailler avec les mêmes habitants, les mêmes maires, les mêmes entreprises, les mêmes associations, ces deux conseillers départementaux seront soit des doublons soit des concurrents.
Au demeurant, on se pince à envisager que vous souhaitiez un jour étendre cette trouvaille à d’autres élections. Puisque l’imagination vous guide, vous pourriez sans doute créer aussi deux maires par commune, deux présidents de conseils généraux par département, deux députés par circonscription…
M. Laurent Furst. Dont Ségolène…
M. Guillaume Larrivé. …ou même deux présidents…
M. Vincent Feltesse. De l’UMP !
M. Guillaume Larrivé. …de la République.
M. Rémi Pauvros. Ce n’est pas une si mauvaise idée !
M. Guillaume Larrivé. Tout cela est absurde !
M. Guillaume Larrivé. J’ajoute que ce scrutin baroque, qui n’est pratiqué nulle part au monde, oblige à diverses contorsions. Il conduit à diviser globalement par deux le nombre de cantons, mais les savantes règles d’arrondis que vous retenez conduiraient à augmenter significativement le nombre d’élus dans les départements. Il y a aujourd’hui 3 971 conseillers généraux ; il y aurait demain 4 128 conseillers départementaux, soit 157 de plus. Et lorsque l’on ajoute ces conseillers départementaux aux conseillers régionaux, on obtient 2 650 élus de plus que le nombre des conseillers territoriaux qui auraient dû être élus l’année prochaine.
Mme Michèle Bonneton. Et alors ?
M. Guillaume Larrivé. Le plus étrange est que cette augmentation importante du nombre de conseillers départementaux, entraînée par le mode de scrutin binominal, n’a aucune justification solide.
Vous nous dites, monsieur le ministre, que vous entendez favoriser l’élection de femmes au sein des assemblées départementales. C’est un objectif que, bien sûr, nous partageons. Les partis politiques doivent faciliter, de manière volontariste, l’émergence de nouveaux talents, et la parité est un élément majeur de ce nécessaire renouvellement.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Guillaume Larrivé. Mais la méthode que vous nous soumettez, monsieur le ministre, est dénoncée par la présidente de la délégation aux droits des femmes, Mme Catherine Coutelle, qui déclarait à ce propos dans La Nouvelle République du 10 décembre : « c’est une solution qui me choque énormément et qui me heurte profondément. Le message que je reçois en tant que femme politique, c’est ‘vous n’êtes pas capable d’y arriver toute seule donc il faut des couples ! C’est stupéfiant ! Je trouve même cela humiliant et je le vis comme un mépris. (…) C’est un dévoiement de la parité. » On ne saurait mieux dire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP)
M. François Sauvadet. Elle a raison !
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Merci de me citer.
M. Guillaume Larrivé. La deuxième caractéristique de cette réforme départementale, c’est bien sûr de vous permettre un redécoupage total de l’ensemble des cantons, dans tous les départements de France, par décret, c’est-à-dire par simple décision du Premier ministre.
Un redécoupage d’une telle ampleur n’a jamais eu lieu : aucun gouvernement ne l’avait osé. Vous souhaitez y procéder alors qu’en réalité, rien ne vous y oblige. Dès lors que vous supprimiez le conseiller territorial, vous pouviez faire revivre le conseiller général et la carte cantonale actuelle, moyennant quelques corrections ponctuelles pour réduire les écarts de population dans certains départements, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État.
Un redécoupage de la totalité de la carte cantonale ne découle d’aucun impératif juridique mais de votre seule volonté politique. Vos intentions sont évidentes : vous souhaitez manier les ciseaux en faisant table rase du passé, pour dessiner une carte supposée favoriser vos intérêts électoraux. Nous ne l’acceptons pas.
Si vous vous obstinez à souhaiter le redécoupage total des cantons, nous vous appelons à le conduire de manière aussi transparente que possible. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement qui propose qu’une commission pluraliste – dont le président serait un député de l’opposition et le rapporteur, un député de la majorité –, donne un avis, publié au Journal officiel, sur chaque projet de redécoupage départemental envisagé par le Gouvernement. Rien ne pourrait justifier que vous rejetiez cet amendement qui répond à une exigence démocratique évidente.
J’en viens à la troisième caractéristique de la réforme départementale : l’abaissement du seuil d’accès au second tour. Le ministre de l’intérieur n’en a pas parlé tout à l’heure, sans doute par discrétion. La loi actuelle prévoit que peuvent accéder au second tour les candidats ayant recueilli un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % des inscrits, comme c’est aujourd’hui le cas pour l’élection des députés. Vous souhaitez abaisser ce seuil à 10 %.
Vous y procédez de manière presque subreptice, car rien, dans l’étude d’impact, n’indique quel en serait l’effet. Cela fragilise d’ailleurs la constitutionnalité de ce texte.
Permettez-nous de pallier cette carence en indiquant haut et fort que cet abaissement du seuil d’accès au second tour a bien évidemment pour objectif de multiplier les triangulaires. En mars 2011, il y a eu 52 triangulaires.
M. Christophe Borgel. De quelle élection parlez-vous ?
M. Guillaume Larrivé. Avec un seuil de 10 %, il y aurait eu 259 triangulaires, neuf quadrangulaires et même deux « quinquangulaires », à supposer que ce mot existe. C’est manifestement ce désordre que vous appelez de vos vœux, pour des raisons obscures que vous tenterez sans doute de nous exposer.
La quatrième et dernière caractéristique de cette réforme départementale est la plus préoccupante : il s’agit d’une véritable attaque contre les territoires ruraux.
M. François Sauvadet. Eh oui !
M. Guillaume Larrivé. Vous fixez, en effet, une règle selon laquelle la population d’un canton ne devrait être ni supérieure ni inférieure de plus de 20 % à la population moyenne des cantons du même département.
M. François Sauvadet. C’est vrai !
M. Guillaume Larrivé. Cette règle d’airain aboutirait à fusionner de quatre à dix cantons dans les territoires ruraux de certains départements, qui compteront ainsi quelques méga-cantons ruraux et un grand nombre de micro-cantons urbains.
M. François Sauvadet. Absolument.
M. Guillaume Larrivé. Mécaniquement, les campagnes seront sous-représentées tandis que les villes seront surreprésentées. C’est tout le paradoxe de cette contre-réforme.
Le conseiller général va disparaître des campagnes, là où il était connu et utile, élu de proximité ancré dans les petites communes, exerçant une véritable mission de service public au contact de nos concitoyens.
Le conseiller départemental, au contraire, se multipliera dans les villes, là où précisément les habitants ne le connaissent pas vraiment, parce que – disons les choses ! – son rôle opérationnel est assez incertain, aux côtés des conseillers municipaux urbains, des conseillers intercommunaux et des conseillers régionaux.
Dès lors que le Gouvernement fait le choix de maintenir l’échelon des départements, il faut conserver le lien, organique, presque charnel, entre les départements et la ruralité. Une méthode moins brutale et plus équitable que le tunnel des 20 % doit donc être recherchée, pour un meilleur équilibre de la représentation des territoires, tenant compte de la démographie mais aussi de la géographie et de l’histoire. Les cantons doivent respecter les limites des circonscriptions législatives, comme la loi actuelle le prévoit. De même, il nous semble impératif de tenir compte, autant que possible, des périmètres des cantons actuels et des intercommunalités qui se sont constituées. Nous présenterons des amendements en ce sens, car le redécoupage des cantons ne peut et ne doit pas être un exercice de pure arithmétique.
Cette règle à calcul que vous comptez appliquer rigoureusement dans les départements est allègrement oubliée à Paris ! Là encore, M. le ministre de l’intérieur est resté discret et n’a pas évoqué le conseil de Paris dans son discours. Sans doute parce que la modification de la répartition des conseillers de Paris entre les différents arrondissements constitue une manipulation électorale dont le caractère manifestement partisan est très visible.
Vous osez tout, puisque vous supprimez trois conseillers de Paris dans des arrondissements dont les maires appartiennent à l’actuelle opposition – 7e, 16e et 17e –, pour créer trois conseillers de Paris dans des arrondissements acquis à la majorité – 10e, 19e et 20e.
Mme Sandrine Mazetier. Avez-vous déjà renoncé à remporter ces élections ? Quel aveu !
M. Guillaume Larrivé. La démographie ne guide en rien ce redécoupage parisien : d’un arrondissement à l’autre, le nombre d’habitants représentés par un conseiller de Paris pourra aller du simple au triple, l’écart maximal par rapport à la moyenne étant de 57 % ! On est, dans votre système parisien, bien loin du tunnel de 20 % que vous nous présentez comme une règle sacro-sainte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La réalité est qu’à Paris, comme ailleurs, vous choisissez des règles de convenance pour consolider vos bastions et tenter d’en conquérir de nouveaux.
Le général de Gaulle avait averti les Français contre les politiciens qui font cuire « leur petite soupe, dans leur petite cuisine, sur leur petit réchaud ». Le président François Hollande, hélas, est un adepte de cette tradition culinaire.
M. Carlos Da Silva. Ce n’est pas respectueux, monsieur Larrivé !
M. Guillaume Larrivé. Il ne soumet pas à l’Assemblée nationale une réforme qui prépare l’avenir des collectivités territoriales dans la République ; mais il veut faire voter un texte favorisant les positions électorales du parti socialiste. Il ne travaille pas au service de l’intérêt général ; mais il essaie de préserver l’intérêt des siens. Il ne se comporte pas comme le chef de l’État ; mais il reste le chef d’un parti.
M. Alain Chrétien. Très bien résumé !
M. Guillaume Larrivé. Nous, les députés de l’opposition, dénonçons cette imposture. Et nous avons la conviction que les Français sauront s’en souvenir lorsqu’ils seront appelés à voter.
Mesdames et messieurs les députés de la majorité, vous ne gagnerez rien à tenter d’esquiver le verdict des urnes qui, tôt ou tard, viendra sanctionner vos faiblesses. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Monsieur Larrivé, j’ai écouté avec intérêt vos interpellations sur l’urgence qu’il y avait à mettre en œuvre des réformes que vous n’avez pas trouvé le temps de faire en dix ans. Avec une impatience que nous ne manquerons pas de satisfaire prochainement, vous nous sommez de les réaliser dans la minute.
Je croyais avoir compris qu’une motion de rejet préalable a pour objet de démontrer qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur le texte ou que celui-ci n’est pas conforme à la Constitution. Mais je n’ai entendu aucun argument en ce sens, simplement des propos anticipant de façon détournée la discussion générale.
Il y a là d’ailleurs un certain paradoxe : vous êtes censé critiquer la constitutionnalité du texte mais vous proposez vous-même de créer des motifs d’inconstitutionnalité, puisque vous méconnaissez le principe constitutionnel d’égalité du suffrage. Je sais que vous en ferez un thème de pilonnage tout au long du débat,…
M. Alain Chrétien. Ce n’est qu’un début ! C’est de la pédagogie !
M. Pascal Popelin. Mais ce qui est inexact ne devient pas une vérité à force d’être répété ! Nous avons l’habitude de vous entendre vous répéter. Nous nous ferons une raison.
Vous nous accusez d’agir pour des motifs qui ne seraient pas républicains, mais je m’étonne que vous n’ayez pas trouvé le temps de procéder à un tel découpage dans la foulée de l’adoption du texte sur le conseiller territorial, auquel vous sembliez tant croire. Vous l’avez dit, on ne change pas juste avant les élections un découpage – c’est pour cela que nous avons proposé de reporter la réforme d’un an –, mais que ferions-nous aujourd’hui, puisque vous n’êtes pas allés au bout de la réforme que vous avez vous-même initiée ?
M. Olivier Marleix. Votre projet est un texte fait à la va-vite, avant les élections !
M. Pascal Popelin. Peut-être ne souhaitiez-vous pas vous soumettre aux contraintes auxquelles est précisément confronté le Gouvernement aujourd’hui, comme nous tous, s’agissant d’un principe constitutionnel. J’appelle l’Assemblée nationale à ne pas adopter cette motion de rejet.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je prendrai un peu de temps pour répondre à M. Larrivé, anticipant sans doute par-là même le propos de M. Marleix.
Monsieur Larrivé, je passerai sur les considérations politiques que vous avez émises sur l’action du Président de la République, du Gouvernement et de la majorité depuis le mois de mai. Elles vous appartiennent. Je rappelle simplement que le quinquennat précédent a débuté avec une politique particulièrement injuste sur le plan fiscal et que la majorité s’est montrée incapable de faire face à la crise économique et financière.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. Ni ce Gouvernement ni cette majorité n’ont de leçons à recevoir dans ce domaine, vu le bilan que vous nous avez laissé, notamment l’état des comptes publics. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Alain Chrétien. Le vôtre n’est pas fameux.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Vous avez eu dix ans !
M. Manuel Valls, ministre. Ensuite, monsieur Larrivé, quand on cite de Gaulle, il faut se mettre au niveau ; les propos que vous avez tenus sur le chef de l’État sont tout à fait inacceptables dans cette enceinte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Alain Chrétien. Mais tellement justes ! On vous retournera le compliment dans dix ans !
M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison de prévoir dix ans, car c’est précisément de ce temps d’action dont nous avons besoin pour changer en profondeur la situation de notre pays due à votre politique économique et sociale et à la manière dont vous et les vôtres avez divisé en permanence les Français sur des sujets aussi importants que la sécurité et l’immigration ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Pour le jeune parlementaire que vous êtes, monsieur Larrivé, je vous invite encore une fois à oublier le Président de la République car vos propos étaient, je le répète, inacceptables.
Plusieurs députés du groupe SRC. Absolument !
M. Alain Chrétien. Qu’est-ce que c’est que cette censure ?
M. Laurent Furst. C’est vrai ! On a tout de même le droit de dire ce que l’on veut !
M. Manuel Valls, ministre. J’en viens au fond.
Vous avez évoqué, à l’appui de votre motion, des arguments d’ordre juridique et politique qui appellent quelques observations.
Vous avez cité la tradition républicaine – ou cela va être cité, car c’est un argument que l’on va entendre – qui voudrait que l’on ne modifie pas le mode de scrutin d’une élection au moins un an avant une campagne électorale.
Je voudrais sur ce point rappeler les termes très clairs de la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 juillet 1988, par laquelle ce dernier rappelle qu’il n’existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant la modification des règles électorales dans l’année précédant un scrutin. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé que ce principe ne résultait d’aucune disposition législative antérieure à la Constitution de 1946. Il a par ailleurs souligné que « diverses lois antérieures ont, au contraire, modifié les règles électorales dans l’année précédant le scrutin ; qu’ainsi, la prohibition de telles modifications ne saurait être regardée comme constituant un principe fondamental reconnu par les lois de la République ».
Par ailleurs, en saisissant le Parlement des deux projets de loi dès le mois de novembre 2012, le Gouvernement s’est employé à ce que le mode de scrutin proposé pour les élections municipales puisse être connu et discuté plus d’un an et cinq mois avant les prochaines échéances électorales. Le reproche que vous formulez ne peut enfin pas s’étendre aux élections départementales et régionales qui n’auront lieu qu’en mars 2015, soit dans plus de deux ans.
Vous énoncez ensuite que le report des élections départementales et régionales à 2015 ne serait justifié par aucun motif d’intérêt général et camouflerait une tentative de manipulation électorale.
Je ne saurais que vous conseiller la lecture de l’étude d’impact que le Gouvernement a pris la peine de rédiger pour justifier l’ensemble des dispositions du projet de loi qui vous est présenté. Vous y lirez ainsi que la seule raison pour laquelle le Gouvernement a reporté les élections cantonales qui devaient se tenir en 2014 était de soulager un calendrier électoral déjà chargé. En effet, en 2014, du fait de l’abrogation du conseiller territorial, devaient se succéder, sur sept mois, les élections municipales, cantonales, européennes et sénatoriales. Puis, en 2016, devaient se tenir les élections régionales et en 2017, à nouveau, les élections cantonales pour une série.
La réforme proposée par le Gouvernement vise à favoriser la participation électorale, en allégeant le calendrier de 2014 et en regroupant les scrutins de 2016 et 2017. Ainsi, en 2010, les élections régionales, organisées seules, ont connu un taux de participation de 46,3 %, soit seize points de moins qu’en 2004 lorsqu’elles ont été organisées en même temps que les élections cantonales.
Ce faisant, la réforme proposée par le Gouvernement répond pleinement aux exigences du Conseil constitutionnel. Ainsi, le Conseil, dans sa décision du 6 décembre 1990, a admis la prolongation d’un mandat local en cours, car celle-ci s’inscrivait dans le cadre d’une réforme visant à déboucher sur la concomitance du renouvellement intégral tant des conseils régionaux que des conseils généraux. Il avait ainsi jugé, dans son considérant 17, que la modification du calendrier électoral apparaissait « comme la conséquence d’une réforme qui répond à la volonté du législateur d’assurer une participation accrue du corps électoral aux élections tant des conseils généraux que des conseils régionaux ; que les différences de traitement qui en résultent [...] trouvent ainsi une justification dans des considérations d’intérêt général». Vous auriez dû vous en souvenir.
Le Conseil constitutionnel avait par ailleurs admis que les modifications apportées à la durée des mandats en cours revêtaient un caractère exceptionnel et transitoire et que, dans cette mesure, elles n’apparaissaient contraires ni au droit de suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution ni au principe de la libre administration des collectivités territoriales.
De même, saisi de la loi du 16 février 2010 qui modifiait également la durée des mandats des conseillers régionaux et généraux, le Conseil a une nouvelle fois confirmé que la concomitance des scrutins pouvait également trouver une justification dans l’objectif de favoriser une plus forte participation du corps électoral à chacune de ces consultations.
La réforme proposée par le Gouvernement, monsieur Larrivé, s’appuie donc sur une jurisprudence constante.
Par ailleurs, en prolongeant d’une durée mesurée – un an – le mandat des conseillers généraux élus en 2008 et des conseillers généraux élus en 2011, le Gouvernement n’a pas porté une atteinte au droit de suffrage.
J’ajouterai qu’en portant de trois à quatre ans le mandat des conseillers généraux élus en 2011 et de quatre à cinq ans le mandat des conseillers régionaux élus en 2010, le projet de loi se rapproche de la durée normale des mandats pour les conseillers régionaux et les conseillers généraux élus en 2011, qui avaient vu leur durée réduite de six à trois ans.
Ainsi, si le Gouvernement a reporté ces deux élections, c’est pour assurer que la participation électorale ne soit pas découragée par la multiplication des scrutins en 2014 et que les assemblées locales représentent le plus fidèlement le suffrage des Français. La jurisprudence constitutionnelle que je viens de rappeler sur ce point est indiscutable.
J’espère que vous serez rassuré sur les motivations du Gouvernement. D’autant que, comme cela a été rappelé, les conseillers départementaux et les conseillers régionaux ne représentent qu’une part très mineure au sein du collège sénatorial – respectivement 2,6 % et 1,2 % des électeurs. Il ne semble donc pas, contrairement à ce qui est avancé, que le calendrier électoral sera l’élément déterminant dans les résultats du scrutin de septembre 2014.
Le Gouvernement ne compte pas introduire de pondération pour majorer la place des conseillers régionaux ou généraux. Le projet de loi qui passera en Conseil des ministres ce mercredi sur le scrutin sénatorial ne fait en aucun cas référence à ce point. Par conséquent, monsieur Larrivé, vous vous êtes trompé ou vous avez menti (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) puisque j’avais déjà eu l’occasion de vous répondre sur ce point.
M. Alain Marc. C’est inadmissible !
M. Alain Chrétien. Qu’est-ce que c’est que cette insulte ?
M. Manuel Valls, ministre. Enfin, vous prêtez au Gouvernement une autre volonté de manœuvre, s’agissant de la répartition des conseillers de Paris qui figure en annexe du projet de loi.
M. Alain Marc. Respectez l’opposition !
Mme la présidente. Monsieur Marc, vous qui venez d’arriver, laissez parler le ministre, je vous prie !
M. Manuel Valls, ministre. En matière de respect, monsieur le député, vous n’avez pas, surtout en référence aux propos de M. Larrivé concernant le Président de la République, de leçons à nous donner ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Alain Chrétien. Et la démocratie ? Ce n’est pas à sens unique !
Mme la présidente. Seul M. le ministre a la parole.
M. Manuel Valls, ministre. Le Gouvernement a souhaité réviser la répartition des sièges entre les vingt arrondissements parisiens au Conseil de Paris. Cette répartition n’a pas été modifiée depuis la loi du 31 décembre 1982 relative à l’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille. Or en trente ans, les écarts de population se sont creusés entre les différents arrondissements.
M. Olivier Marleix. À Lyon et Marseille aussi !
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Marleix, il y a déjà eu un changement à Marseille. Cela étant, je vous parle de Paris puisque M. Larrivé qui, sur ce point, connaissait, lui, le texte, m’a interpellé sur Paris.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel quant au respect du principe d’égalité est très claire : depuis sa décision du 7 juillet 1987 sur la loi modifiant l’organisation administrative et le régime électoral de la ville de Marseille, le Conseil constitutionnel réaffirme régulièrement que l’organe délibérant d’une commune de la République doit être élu sur des bases essentiellement démographiques résultant d’un recensement récent.
C’est ce principe que le Gouvernement s’emploie à respecter en procédant à une nouvelle répartition des sièges entre les arrondissements parisiens.
Le tableau qui est annexé au projet de loi que vous allez examiner a ainsi tenu compte du dernier recensement de la population parisienne disponible lors de l’élaboration du projet de loi, comme l’exige le Conseil constitutionnel dans la décision que je viens de citer.
Ainsi, les 7e, 16e et 17e arrondissements, qui ont respectivement perdu 14,9 %, 5,6 % et 0,6 % de leur population entre 1982 et 2012, perdent un siège. À l’inverse, les 10e, 19e et 20e arrondissements, qui ont respectivement connu une augmentation de leur population de 10,3 %, 13,6 % et 14,6 %, se voient attribuer un siège de plus.
Ainsi, dans les arrondissements comptant plus de trois sièges de conseillers de Paris, le Gouvernement a amélioré les écarts de représentativité entre les sièges. Par exemple, avec les chiffres du dernier recensement – publiés au 1er janvier 2013 par l’INSEE –, dans les arrondissements comptant plus de trois sièges de conseillers de Paris, le Gouvernement a amélioré les écarts de représentativité entre les sièges. Par exemple, dans le 7e arrondissement, l’écart à la moyenne passe de - 16 % à +5 %. Il passe de + 15 % à - 1 % dans le 10e arrondissement, de - 4 % à + 4 % dans le 16e arrondissement, - 5 % à + 3 % dans le 17e arrondissement, de 13 % à 4 % dans le 19e arrondissement, enfin de 10 % à 2 %, dans le 20e arrondissement.
Or c’est notamment l’amélioration des écarts de représentativité que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État prennent en compte dans l’appréciation des redécoupages législatifs ou cantonaux. Ils acceptent par ailleurs des exceptions au principe d’égalité démographique si elles sont justifiées par un principe d’intérêt général.
Certes, il demeure des écarts de représentativité puisque le Gouvernement a souhaité reprendre la méthode de répartition qui avait été retenue par le législateur en 1982. Mécaniquement, les arrondissements disposant du nombre plancher de conseillers de Paris – c’est-à-dire trois sièges de conseillers – présentent un écart de représentativité plus important.
Conscient de ces écarts, le Gouvernement a toutefois estimé qu’il était nécessaire de conserver cette méthode qui est la seule à même de maintenir un mode de scrutin uniforme au sein du Conseil de Paris. Une répartition proportionnelle sur deux sièges n’aurait aucun sens. Sur ce point, le Gouvernement a noté que, dans sa décision du 7 juillet 1987 sur la répartition des sièges à Marseille, monsieur Marleix, le Conseil constitutionnel avait indiqué qu’il validait la répartition marseillaise, entre autres, puisque demeurait applicable à l’élection des conseillers municipaux un même mode de scrutin.
Par ailleurs, l’attribution d’un plancher de deux sièges ne permettrait pas non plus de respecter les limites de plus ou moins 20 % dans les arrondissements parisiens, sauf à fusionner des arrondissements entre eux, ce que le Gouvernement s’est refusé à faire, d’autant qu’il est tenu par la loi du 7 décembre 1990 qui interdit de redécouper des circonscriptions électorales moins d’un an avant une élection.
Au total, le Gouvernement a donc préservé l’unité du mode de scrutin parisien, tout en améliorant, dans l’ensemble des arrondissements concernés, les écarts de représentativité entre les conseillers de Paris. Le seul débat qu’il pourrait y avoir entre nous, mesdames et messieurs de l’opposition, c’est pourquoi vous ne l’avez pas fait.
Le redécoupage de la carte cantonale, « à la main du Gouvernement », pour reprendre l’expression employée à l’occasion du projet de loi, semble inquiéter profondément la droite.
L’opposition semblait pourtant plus sereine, en s’apprêtant, à l’issue du vote de la loi de réforme des collectivités territoriales le 16 décembre 2010, à refondre également la carte cantonale. Il ne me semble d’ailleurs pas que le gouvernement de l’époque ait jugé utile de s’entourer de la commission indépendante aujourd’hui réclamée.
Alors que vous réclamez une « commission indépendante composée de personnalités éminentes» – votre référence étant la commission indépendante présidée par M. Guéna au moment du découpage législatif –, vous mettez en doute, avec le recours du Gouvernement au Conseil d’État, l’indépendance et l’impartialité d’une institution qui n’a jamais fait défaut. Venant de vous, cela peut paraître étrange. Le Conseil d’État a été conduit à donner son avis sur les critères qui devaient guider le redécoupage et il sera amené à examiner chacun des projets de décrets pour chaque département remodelé. Il pourra enfin être amené à les examiner au contentieux. Son rôle dans le découpage est donc très significatif.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris la peine, dans le projet de loi qui vous est soumis, de préciser les critères selon lesquels les opérations de redécoupage seront conduites. Ces critères découlent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, confirmée par l’avis que le Gouvernement a demandé au Conseil d’État.
Ces critères ne sont donc ni surprenants, ni « brutaux » comme l’a écrit M. Larrivé dans son intervention. Ils résultent des principes constitutionnels d’égalité devant la loi posés par l’article 1er de la Constitution et d’égalité devant le suffrage qui figure à l’article 3 de notre texte fondamental et qui ont conduit de façon constante le Conseil constitutionnel à juger que les organes délibérants des collectivités territoriales devaient être élus sur des bases essentiellement démographiques, selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l’égalité devant le suffrage.
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler en 2011 lorsqu’il a examiné la loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Exactement !
M. Manuel Valls, ministre. Cette règle est en effet exigeante, mais le travail parlementaire a contribué à l’assouplir quelque peu. Elle est nécessaire. Les décrets de redécoupage seront soumis au Conseil d’État, en formation administrative et au contentieux. Il appliquera ces critères à l’examen des projets de décret et vérifiera que l’égalité démographique est respectée. La précédente majorité n’aurait d’ailleurs pas pu conduire la refonte de la carte cantonale qu’exigeait la mise en œuvre du conseiller territorial sur des bases autres que démographiques. La cohérence vous oblige, mesdames et messieurs de l’opposition, à nous dire à quel redécoupage de la carte cantonale vous auriez procédé dans le cadre de l’instauration du conseiller territorial, que vous auriez menée à bien si le Président Sarkozy avait été réélu !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Tout à fait !
M. Olivier Marleix. Vous verrez bien !
M. Christophe Borgel. Nous attendons avec impatience, monsieur Marleix !
M. Manuel Valls, ministre. Les principes du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État en matière démographique se seraient pareillement appliqués, avec deux différences de taille : vous auriez plongé et les départements et les régions dans la confusion, d’une part, et mis à mal la parité pourtant inscrite dans la Constitution, d’autre part ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le principe d’égalité démographique est toutefois entouré d’exceptions qui doivent être justifiées par des considérations géographiques ou d’intérêt général. Son application ne sera évidemment pas aveugle.
Par ailleurs, je le martèlerai tout au long de ces débats, le statu quo n’est plus tenable. Sur ce sujet aussi, l’opposition doit être claire devant la représentation nationale et les Français. Dites-nous quel mode de scrutin vous souhaitez pour les élections cantonales ! Un scrutin de liste ? Vous n’en voulez pas par souci de proximité et vous avez raison. En rester au statu quo, c’est nier la parité et ne pas tenir compte des évolutions démographiques.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Ils n’aiment pas la parité !
M. Manuel Valls, ministre. La vérité, c’est que vous n’avez aucun projet sinon celui de critiquer pour critiquer, faute d’avoir sur ce point le sens de l’intérêt général dont nous faisons preuve ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Dans certains départements, le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé atteint 1 pour 47. Dans près de la moitié des départements, ce ratio est supérieur à 1 pour 10 et il est supérieur à 1 pour 20 dans 18 départements.
M. Olivier Marleix. Un pour deux, ce serait très bien !
M. Manuel Valls, ministre. Malgré les changements démographiques intervenus depuis la création des cantons en 1790, la carte cantonale est restée figée. Elle a donc ignoré les grands mouvements de population qui ont marqué la France en deux siècles. Aucune majorité au pouvoir ne s’en est jamais préoccupée, nous pouvons au moins être d’accord sur ce point. De tels écarts ne sont plus acceptables au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage.
Vous vous inquiétez du pouvoir exorbitant que le redécoupage confie au Gouvernement. Le précédent gouvernement s’apprêtait pourtant à en faire usage sans trembler. Vous-même, monsieur Larrivé, auriez pu jouer un rôle déterminant dans ce redécoupage. Il en aurait d’ailleurs fait usage à bon droit, puisqu’il s’agissait uniquement, pour lui comme pour le gouvernement dont je suis membre, d’appliquer l’article 21 de la Constitution qui commande au Premier ministre « d’assurer l’exécution des lois et d’exercer le pouvoir réglementaire ».
Par ailleurs, le redécoupage de l’ensemble des cantons n’a pas non plus à s’inscrire dans le cadre d’une procédure législative. Si l’article 34 de la Constitution prévoit que le régime électoral des assemblées locales relève du domaine législatif, la détermination des circonscriptions électorales relève bien du pouvoir réglementaire qui, comme le précise le projet de loi, détermine l’effectif des conseils départementaux comme des autres assemblées délibérantes, notamment à l’article L. 337 du code électoral pour les conseils régionaux et à l’article L. 125 pour les députés.
M. Olivier Marleix. C’est vrai !
M. Manuel Valls, ministre. En outre, le Conseil d’État, auquel le Gouvernement a demandé son avis sur les conditions d’un remodelage, n’a jamais mis en avant une telle obligation juridique.
Je veux aussi répondre à la question du seuil de maintien. Les lois de 1969 et 1976 l’ont fixé à 10 %. Seule la loi du 16 décembre 2010 l’a remonté à 12,5 %. Nous pouvons certes, sur ce point, nous retrouver sur des positions de compromis. Le débat a déjà longuement eu lieu au Sénat. Mais c’est bien nous qui sommes fidèles à la tradition et vous qui vous en êtes écartés en 2010.
Le mode de scrutin que nous proposons et qui a été qualifié de « curieux » permettra d’assurer enfin la parité au sein des assemblées départementales. J’insiste sur ce point, et la présidente et la rapporteure de la délégation aux droits des femmes ont eu raison de rappeler certains propos inacceptables que j’ai en effet entendus lors des débats au Sénat.
Les critiques portent notamment sur la prétendue nouveauté consistant à faire représenter un territoire par plusieurs élus. C’est oublier que nombre de scrutins se déroulent au scrutin de liste et que plusieurs élus sont issus de la même circonscription électorale. Tel est notamment le cas des conseillers régionaux élus au sein d’une section départementale. À titre d’exemple, les quatre conseillers régionaux représentant du département des Hautes Alpes représentent chacun leur département. C’est également ignorer que plusieurs conseillers municipaux peuvent représenter au sein du conseil municipal d’une commune la même commune associée.
M. François Sauvadet. Cela n’a rien à voir !
M. Manuel Valls, ministre. Il s’agit ici de droit et notamment des arrêts du Conseil Constitutionnel. Le Gouvernement s’emploie à respecter l’objectif constitutionnel de parité inscrit à l’article 1er de la Constitution qui dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».
Plusieurs députés du groupe UMP. Favorise !
M. Manuel Valls, ministre. En érigeant en objectif constitutionnel l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités électives et en instituant une obligation pour les partis politiques de contribuer à sa mise en œuvre, la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a ainsi permis l’élaboration d’un édifice législatif qui favorise la parité. Vous nous dites, à droite, que vous êtes favorables à la parité mais non à un scrutin de liste. Il faut alors nous dire comment parvenir à la parité avec un scrutin majoritaire pour les élections cantonales. Là non plus, vous n’avez pas de solution ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. On ne compte qu’une seule femme cet après-midi dans leurs rangs !
M. Manuel Valls, ministre. Malgré les dispositions successives adoptées par le législateur depuis 1999, la parité n’est certes pas encore atteinte dans l’ensemble des assemblées politiques. Elle est ainsi notoirement faible au sein des conseils généraux et au sein des conseils municipaux élus au scrutin majoritaire. Nous avons tous rappelé les chiffres. Dans ces conditions, le Gouvernement propose de parachever l’édifice législatif afin que la parité soit une réalité dans la plus grande part des assemblées élues. C’est l’objectif du mode de scrutin que nous vous proposons pour les élections départementales, qui permettra d’élire une femme et un homme dans chaque canton et ainsi d’atteindre la parité dans les conseils départementaux. Nous procédons, monsieur Sauvadet, à un profond renouvellement de notre vie politique. C’est ainsi et c’est nécessaire !
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. C’est également l’objectif visé par l’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil au-delà duquel les conseils municipaux sont élus au scrutin de liste, voire même 500 habitants si l’Assemblée nationale adopte les dispositions prévues par la commission des lois sur ce point.
Proximité, parité, respect des textes fondamentaux : tel est le sens de ce texte et telle est ma réponse à M. Larrivé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Patrice Verchère. La parité peut-être, la proximité pas du tout !
Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. François Sauvadet. Si j’avais eu une hésitation avant de voter la motion de rejet, je suis déterminé à le faire après vous avoir entendu, monsieur le ministre.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Vous n’aviez pas d’hésitation !
M. François Sauvadet. Je vous ai d’ailleurs trouvé très embarrassé pour défendre ce texte, au point d’en faire des tonnes !
M. Pascal Popelin, rapporteur. Des tonnes, vous en avez fait avant !
M. François Sauvadet. C’était flamboyant ! À commencer par vous entendre justifier votre scrutin de liste uninominal à deux sur un grand territoire en vous prévalant des élections régionales qui sont comme chacun sait un exemple d’ancrage territorial ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)
En tout cas, une chose est sûre : rien aujourd’hui ne vous obligeait constitutionnellement à procéder à ce vaste redécoupage et à nous proposer un hybride entre deux élus, rien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe SRC. C’est faux !
M. François Sauvadet. J’ai regardé les textes et consulté quelques constitutionnalistes, mes chers collègues. Il est faux de dire que la suppression du conseiller territorial conduisait à un vide juridique : il n’y avait pas de vide juridique puisqu’on revenait à la situation antérieure ! Tournez et retournez les choses tant que vous voulez, c’est la réalité. Vous entendez procéder à un vaste redécoupage électoral qui d’ailleurs ne fait que commencer, dès lors que vous envisagez d’introduire une dose de proportionnelle à hauteur de 10 % pour les élections législatives. On voit bien qu’un redécoupage des circonscriptions suivra, hors de tout contrôle, si ce n’est la volonté affichée d’imposer la règle des 20 %.
M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est ce que proposent vos amendements pour les élections cantonales !
M. François Sauvadet. Là encore, monsieur le ministre, rien ne vous impose de graver cette règle dans le marbre de la loi ! Il vous suffit simplement de préciser les conditions dans lesquelles vous entendez procéder à la définition des nouveaux cantons, mais rien ne vous oblige à recourir à la loi.
Enfin, quand vous nous parlez de parité, nous avons aussi fait des propositions. Arrêtez donc de dire que nous nous contentons de nous opposer !
Mme la présidente. Il vous faut conclure.
M. François Sauvadet. J’ai proposé une dose de proportionnelle à hauteur de 10 ou 20 %, ce qui permettait de garantir à la fois la représentation des femmes et une juste représentation des courants de pensée.
Mme Catherine Coutelle. La parité, c’est 50/50 !
M. François Sauvadet. Vous nous mettez en accusation, mais je voudrais simplement vous rappeler, monsieur le ministre, que si demain vous êtes obligé…
Mme la présidente. Merci, monsieur Sauvadet.
(Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.
M. Paul Molac. Je note bien que notre collègue se préoccupe de la représentation des territoires ruraux, mais comme l’a expliqué M. le ministre et comme nous l’avons déploré en commission, nous sommes tenus par la règle des 20 % et l’interprétation du Conseil Constitutionnel. Cela étant, le découpage des cantons est complètement obsolète ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
J’ai dans ma circonscription un canton divisé entre trois EPCI, dont trois communes relèvent chacune d’un département et d’une région différents. Le redécoupage des cantons me paraît donc nécessaire pour coller à la réalité des bassins de vie.
On nous a parlé de « tambouille » et de « cuisine », mais nous avons bien connu quelques artistes en la matière ! Ce ne sont d’ailleurs pas des cuisiniers mais plutôt des tailleurs, car ils maniaient bien mieux le ciseau à découper des circonscriptions électorales que la cuiller !
M. Alain Chrétien. Là, c’est le hachoir !
M. Paul Molac. Quoi qu’il en soit, le projet de loi favorise la parité, confirme le scrutin de liste pour les régionales et paraît plus démocratique avec l’abaissement du seuil de maintien à 10 %. Si voter cette motion consiste à revenir à ce qu’il y avait avant, c’est-à-dire aux cantons découpés sous le Consulat et aux EPCI dont on ne sait même pas dans les communes qui les y représente, voire à un retour au conseiller territorial, alors nous ne la voterons pas !
Mme Michèle Bonneton. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe RRDP.
M. Alain Tourret. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt, comme toujours, ce qu’a dit M. Guillaume Larrivé, homme distingué tout droit sorti de l’une de nos bonnes écoles sise rue Saint-Guillaume. Mais alors que je m’attendais à entendre une argumentation juridique, je suis tombé sur une regrettable vacuité intellectuelle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Après avoir entendu M. le ministre de l’intérieur, le souvenir d’un vieux film m’est revenu quand j’ai eu le sentiment que M. Larrivé avait été dynamité, atomisé, éparpillé !
M. Alain Chrétien. Vous êtes bien le seul à vous comprendre !
M. Vincent Feltesse. Relisez Audiard !
M. Alain Tourret. Exactement !
Reprenons deux arguments.
Au sujet de la procédure, vous pouviez pousser votre argument à son terme en disant qu’il est trop tard pour légiférer, mais rien dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel ne permet de s’y arrêter, d’autant moins que vous êtes face à un paradoxe. En effet, vous voulez repousser la date d’application des élections tout en nous reprochant de légiférer trop tard. C’est assez contradictoire, il faut bien l’admettre. Quant à la règle de la parité, contre laquelle vous ne trouvez aucun argument, elle aura tôt ou tard valeur constitutionnelle, car tel est mon sentiment profond.
Mme Catherine Coutelle. Elle l’a déjà !
M. Alain Tourret. Reste le problème de la règle des 20 % et des aménagements pour considération d’intérêt général. Jusqu’où peut-on aller ? C’est la seule question qui aurait pu être posée devant le Conseil Constitutionnel. On prévoit en effet un seuil de 20 % pouvant être éventuellement modifié. Pour ma part, monsieur le rapporteur, il me semblerait bon de le limiter à 30 %.
Le groupe RRDP s’opposera à la motion de procédure de M. Larrivé.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe GDR.
M. Marc Dolez. L’adoption de cette motion de procédure aurait pour effet d’empêcher le débat. Nous voulons, nous, débattre avec le Gouvernement – avec lequel nous avons des points de désaccord majeurs mais aussi des points d’accord que j’expliquerai lors de la discussion générale – de ce texte important qui se propose de transformer notre démocratie locale et qui dessine les contours de la réforme territoriale annoncée dans l’acte III de la décentralisation.
Cet acte III de la décentralisation, pour ce que nous en savons, suscite beaucoup d’inquiétudes dans nos rangs et chez de nombreux élus locaux.
Nous voulons débattre dans un esprit constructif, monsieur le ministre, afin d’infléchir, si possible, les propositions que comporte ce texte et que comportera, demain, l’acte III de la décentralisation. Si nous partageons avec vous le constat qu’une nouvelle étape de la décentralisation est indispensable, nous souhaitons une réforme territoriale qui permette de répondre véritablement aux défis qui sont posés actuellement et de mettre le citoyen au cœur de toutes les décisions. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Carlos Da Silva, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Carlos Da Silva. Monsieur Larrivé, nous rejetterons votre motion de rejet préalable : en vous opposant au redécoupage, vous méconnaissez le principe de l’égalité devant le suffrage, principe que nous soutenons, ainsi que l’ont rappelé le ministre et le rapporteur.
Nous la rejetterons parce qu’elle est incohérente. En effet, vous fustigez à la fois la baisse du nombre des conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants et le maintien du nombre des conseillers départementaux et régionaux.
Nous la rejetterons parce que vous feignez d’ignorer notre volonté de respecter et de prendre en compte les spécificités des différents territoires, notamment ruraux, telle qu’elle se manifeste dans l’amendement que le rapporteur a fait adopter par la commission des lois et dans les amendements que nous défendrons lors de la discussion des articles.
Enfin, nous la rejetterons parce que nous luttons quotidiennement, depuis fort longtemps, pour imposer la parité à chaque échelon territorial et que ce texte représente une avancée à cet égard, puisqu’elle sera garantie immédiatement au niveau départemental.
Cela dit, nous comprenons le problème que vous pose cette réforme : le report d’une année du scrutin risque de compliquer fortement la politique de recrutement par petites annonces de l’UMP. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Laurent Furst. Vous, ce sont bientôt vos électeurs que vous devrez recruter par petites annonces !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Annie Genevard. Mme Coutelle a rappelé les deux objectifs de ces textes : la parité et la proximité.
S’agissant de la parité, je trouve, moi aussi, anormal que les conseillers généraux ne comptent que 14 % de femmes…
M. Christophe Borgel. Et le groupe UMP 22 % !
Mme Annie Genevard. Nous partageons ce constat, je tenais à le dire. Le scrutin majoritaire binominal paritaire que vous proposez est-il pour autant la bonne réponse ? Je n’en suis pas certaine, et j’aurais souhaité que vous exprimiez les réserves qui vous sont venues spontanément à l’esprit lorsque cette proposition a été annoncée. Il me semble que la délégation aux droits des femmes aurait pu faire des propositions sur ce point. Ainsi, Mme Crozon a évoqué le fait que, dans la configuration actuelle, on aurait pu imaginer que siège indifféremment l’un ou l’autre membre du ticket. Ce mariage contraint des territoires et des élus est peut-être plus périlleux que vous ne l’imaginez et peut être un facteur qui entrave la dynamique des territoires.
M. Jean-Pierre Dufau. Encore ? Décidément, vous êtes obsédée par le mariage !
Certes, des progrès sont nécessaires en matière de parité ; mais, et vous le savez comme moi, à côté des lois écrites, les lois non écrites, les conservatismes locaux et les pesanteurs locales comptent – chez vous aussi, reconnaissez-le.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Chez nous moins que chez vous !
Mme Annie Genevard. S’agissant de la proximité, je rappelle que, dans son rapport, M. Popelin indique, à propos de l’article 1er, que « malgré son ancienneté le “conseil général” reste trop souvent mal identifié […], faute d’offrir la même évidence que celle de “conseil régional”, qui désigne l’organe délibérant de la région. »
Mme la présidente. Merci de conclure, madame la députée.
Mme Annie Genevard. Je ne sais pas où vous êtes élus, mais je puis vous dire que, dans les territoires – et vous l’avez vous-même rappelé, madame la rapporteure –, le maire et le conseiller général sont les élus les mieux identifiés.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ce n’est pas le cas dans les zones urbaines !
Mme Annie Genevard. Ce texte bouleverse considérablement l’aménagement du territoire, au détriment de la ruralité ; j’aurai l’occasion d’y revenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux.
La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Monsieur le ministre, permettez-moi, tout d’abord, de vous rappeler que l’opposition d’hier a suffisamment cité Nicolas Sarkozy dans cet hémicycle pour que nous puissions à notre tour évoquer François Hollande sans être accusés de crime de lèse-majesté. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Après avoir supprimé en urgence, il y a quelques semaines, le conseiller territorial – texte tombé depuis aux oubliettes –, vous vous empressez désormais de nous présenter un projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers départementaux et municipaux. Pourquoi ne pas attendre le fameux « acte III » de la décentralisation promis par François Hollande pendant sa campagne pour envisager une réforme territoriale d’ensemble, qui traiterait des différents aspects, qu’il s’agisse des élections – pourquoi pas –, des compétences des collectivités locales, de la liberté dont elles jouissent pour les exercer ou des finances dont elles disposent pour les assumer ? Avec 4,5 milliards de dotations en moins d’ici à 2015, le sujet devient plutôt préoccupant…
En somme, ce texte révèle une certaine précipitation. Pourtant, y a-t-il une véritable urgence à recréer 1 800 conseillers régionaux et à changer le nom du conseiller général en conseiller départemental, alors que notre pays, en pleine crise, compte chaque jour 1 000 chômeurs supplémentaires ? Évidemment non. La véritable raison de cet empressement est la gestion plus ou moins tactique d’un calendrier électoral et d’élections locales dont la perspective commence, sans doute, à inquiéter le Gouvernement.
Je reviendrai sur vos motivations, mais je voudrais au préalable, afin que le rapporteur puisse en prendre bonne note, soulever l’irrecevabilité constitutionnelle de plusieurs dispositions de ces projets.
Tout d’abord, contrairement à ce que vous soutenez, monsieur le ministre, le report des élections cantonales et régionales à 2015 ne répond à aucun motif d’intérêt général. Votre majorité a remporté la majorité au Sénat, en 2011, au prix d’une fabuleuse mystification : n’est-ce pas vous qui répétiez que le Gouvernement allait « étrangler financièrement les collectivités territoriales » – alors que nous ne faisions que geler les dotations quand vous allez les baisser de près de 5 milliards en deux ans – et « porter atteinte à la ruralité » en créant le conseiller territorial ?
En 2014, comme sans doute, en 2015, les électeurs ne s’y tromperont pas : il sera évidemment difficile aux hérauts des collectivités territoriales que vous prétendiez être hier (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), d’expliquer que le changement promis et attendu s’est finalement traduit par une baisse de 5 milliards d’euros des dotations aux collectivités locales et par la disparition de près de 3 000 cantons ruraux. Quel bilan !
Il vaudrait donc mieux pour votre majorité que les élections locales aient lieu après les élections sénatoriales, pour que le corps des grands électeurs sénatoriaux ne soit pas trop modifié. L’idéal aurait été sans conteste, de votre point de vue, de reporter les élections municipales ; je crois que l’on peut dire que cette idée vous a traversé l’esprit, mais la manœuvre aurait été un peu grossière et aurait été censurée par le Conseil constitutionnel. Avec la finesse que nous vous reconnaissons bien volontiers, monsieur le ministre, vous proposez donc, plus subtilement, de reporter seulement les élections régionales et cantonales.
Il n’en reste pas moins que ces reports ne répondent à aucun motif d’intérêt général et qu’ils sont même contraires à plusieurs impératifs d’intérêt général reconnus par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Ainsi le report à 2015 des élections des conseillers départementaux et régionaux entraînera la désignation d’une partie des sénateurs par des élus en fin de mandat. Or, comme l’a rappelé fort justement notre collègue Portelli au Sénat, dans les commentaires des Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision du Conseil du 15 décembre 2005 portant sur la loi modifiant les dates des sénatoriales, il est précisé que la loi « assure durablement que les sénateurs ne seront pas élus par des grands électeurs en fin de mandat. Ils le seront soit par des élus en début de mandat, soit par des élus locaux à mi-mandat Au regard du principe constitutionnel selon lequel le Sénat représente les collectivités territoriales, il est préférable de rapprocher à l’avenir l’élection des sénateurs de la désignation par les citoyens de la majeure partie du corps électoral sénatorial ».
Vous, pour des raisons que l’on comprend bien, vous faites le contraire, préférant garder de bons vieux grands électeurs qui ont déjà fait leurs preuves ! Vous procédez ainsi à la prorogation de 4 % seulement des membres du collège électoral, nous dites-vous – prenant bien soin de séparer 2,1 % d’un côté, 1,9 % de l’autre. Cela peut paraître peu, mais, dans de nombreux départements, c’est suffisant, et vous le savez, pour porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Dans certains départements, la part d’élus prorogés dépassera même les 10 % du collège sénatorial. C’est le cas notamment en Corse – je parle sous le contrôle de M. de Rocca-Serra – puisqu’elle s’élèvera à 11,2 % en Corse-du-Sud et à 10,2 % en Haute-Corse. En Guyane, la part d’élus prorogés atteindra même 11,6 % et – c’est un comble ! – il reviendra à des conseillers régionaux et généraux prorogés d’élire des sénateurs, alors que les Guyanais se sont prononcés par référendum en faveur de la suppression de ces collectivités au bénéfice de la création d’une assemblée unique en 2014.
Au-delà du calendrier électoral, le cœur de votre texte, qui consiste dans l’invention d’un « binôme » électif, fait planer un fort doute sur la constitutionnalité de votre projet de loi. Au nom de la parité, vous inventez en effet un système inédit, un binôme paritaire, qui est en apparence inoffensif – je dirais même très franchement : plutôt sympathique à mes yeux –, mais qui remet en cause des principes fondamentaux de notre démocratie.
Deux élus, élus conjointement, solidairement, pour représenter et administrer un même territoire, cela n’existe nulle part au monde ! Le seul précédent est celui offert par les consuls de la Rome antique : affaire, qui, vous le savez, s’est assez mal terminée… Le sénateur Portelli a cependant identifié un scrutin qui se rapproche du vôtre : le scrutin binominal chilien. Certes, chaque circonscription y est représentée par deux élus, mais les électeurs votent pour deux personnes différentes, en utilisant deux bulletins et non un bulletin unique pour désigner un « ticket ».
Vous avez fait le choix, quant à vous, de lier les deux membres du binôme devant l’électeur, qui les choisit ensemble, sous forme d’un « ticket ». Ce « binôme » est clairement une novation juridique. Ce scrutin ne correspond à aucun des deux types de scrutin existant dans notre pays ou dans la plupart des systèmes démocratiques : le scrutin uninominal et le scrutin de liste.
La solidarité que vous inventez entre les membres du binôme n’a aucun sens. Vous allez jusqu’à instaurer une solidarité en matière financière, y compris pour les dépenses engagées avant même la constitution du binôme, et en matière d’inéligibilité. C’est une aberration juridique – une de plus ! – que de tenir responsable et de punir quelqu’un pour une infraction commise par une personne sur laquelle il n’a aucune responsabilité.
En revanche, vous prétendez qu’une fois élus, les deux membres du binôme retrouveront leur pleine indépendance et pourront, au sein de l’assemblée départementale, faire des choix différents. Cela pose clairement la question de la sincérité du scrutin : le citoyen va voter pour une sorte de binôme schizophrène.
Au-delà, que se passera-t-il si le couple divorce et sollicite le renouvellement de son mandat dans le cadre d’un autre binôme ? Ce serait une véritable atteinte à ce principe fondateur de toute démocratie qu’est la responsabilité de l’élu devant le suffrage.
En démocratie, c’est par l’élection qu’on exerce une responsabilité, un mandat, et on n’est responsable que devant ses mandants, entre les mains desquels on remet son sort au terme de son mandat, en sollicitant ou pas un nouveau mandat.
Le constitutionnaliste Jean Gicquel considère que « cette possibilité pour l’opposition d’éliminer pacifiquement ou légalement les gouvernants en place qui assure le caractère disputé des élections, c’est elle qui caractérise la démocratie ».
Je pourrais également citer le professeur Olivier Duhamel, pour qui « l’un des défauts dont souffre la démocratie ici ou là, c’est que ceux qui exercent le pouvoir ne rendent plus compte de leurs actes. Certes, à l’échéance effective de la mandature, les électeurs jugent. Insistons sur l’excellence de cette responsabilité fondamentale, propre à la démocratie majoritaire. »
Cette règle de la responsabilité de l’élu devant ses électeurs est absolue depuis qu’il y a des élections dans notre pays. Sa seule exception – l’interdiction pour le suppléant d’un ministre de se présenter aux élections législatives contre le ministre qu’il a remplacé – est faite justement pour respecter ce principe de la responsabilité unique de l’élu devant les électeurs.
Dans le système que vous inventez, ce principe de responsabilité devient totalement inopérant, dès lors que le binôme, solidaire lors d’une élection, peut se séparer pour se reconstituer en deux binômes rivaux lors du scrutin suivant, de telle sorte que l’électeur est incapable de manifester sa réprobation ou son approbation au candidat qui achève son mandat. Il y aura là, à n’en pas douter, matière à réflexion pour le Conseil constitutionnel.
Avec le binôme vous faites en outre le choix, à l’article 3 du projet de loi, de réduire par deux le nombre des cantons. Ce choix délibéré intervient au terme d’un raisonnement d’ailleurs assez étrange. En fait, vous aviez le choix entre deux solutions : la première aurait consisté à considérer simplement que vous remplaciez le conseiller général actuel élu dans le cadre des cantons par un binôme, mais sans inscrire dans la loi l’effectif des cantons, puisque le législateur, depuis des temps immémoriaux, a confié au Gouvernement la tâche de créer ou de supprimer les cantons par décret en Conseil d’État. Moyennant des précisions sur les règles de redécoupage, du type de celles que vous apportez à l’article 23, je pense que vous auriez pu retenir cette solution. J’ai cru d’ailleurs comprendre dans votre réponse à mon collègue Larrivé que le Conseil d’État ne vous avait pas contraint à y renoncer. La loi n’a jamais, depuis 1801, défini elle-même l’effectif des assemblées départementales. Elle l’a fait pour le conseiller territorial, uniquement parce que nous remplacions l’effectif des conseillers régionaux, qui, lui, était inscrit dans la loi.
La seconde solution, en revanche, consistait à redéfinir complètement par la loi le régime électoral des conseillers généraux : à la fois le mode de scrutin et l’effectif. C’est le choix que vous faites, que vous semblez faire en déterminant à l’article 3 le nombre des cantons. Mais vous le faites de la manière la plus étrange qui soit, en faisant preuve d’une sorte de paresse législative et en disposant que l’effectif des cantons tel que constaté au 1er janvier 2013 sera désormais divisé par deux.
La référence à cette date en dit long sur la relativité du raisonnement que vous voulez faire endosser au législateur ! Nous le savons tous : ces effectifs au 1er janvier 2013 n’ont aucune espèce de logique, aucune sorte de légitimité : ils sont le fruit de l’histoire, de la volonté de tel ou tel gouvernement d’améliorer – généralement de son point de vue – la situation dans tel ou tel département.
En tout cas, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, depuis 1801, il n’y a jamais eu d’exercice général de redéfinition des effectifs cantonaux qui donnerait à cet effectif constaté au 1er janvier 2013 une valeur incontestable.
Vous connaissez les écarts actuels, je n’ai pas besoin de multiplier les exemples : deux départements ayant la même population peuvent se retrouver avec des effectifs de conseillers généraux sans aucun rapport. Comment ne pas y voir une atteinte au principe d’égalité devant le suffrage, qui consiste aussi dans le fait pour le citoyen d’avoir le même poids électoral quel que soit le département dans lequel il vit ? Au nom de quelle conception de l’égalité un conseiller général des Hauts-de-Seine représenterait-il 68 000 personnes quand un conseiller général du Cantal n’en représenterait que 10 000 ?
Si véritablement vous voulez faire ce travail d’inscrire dans la loi l’effectif des assemblées départementales – démarche dont je considère qu’elle ne répond à aucune nécessité réelle, mais qu’elle relève seulement d’un choix de votre Gouvernement, qui n’a d’autre but que de porter un coup sévère à la représentation de la ruralité –, allez jusqu’au bout, en fondant correctement, sur des critères intelligibles, ce qui doit désormais déterminer les effectifs de ces assemblées. Faute de quoi, vous porterez nécessairement atteinte au principe d’égalité devant le suffrage.
Enfin, vous procédez aussi dans ce projet de loi à une modification de la répartition des conseillers généraux parisiens.
Sur la méthode tout d’abord, vous avez répondu sur Marseille, j’ai bien entendu. Mais pourquoi ne procédez-vous pas aux mêmes modifications à Lyon ?
Depuis 1982 en effet, le Conseil constitutionnel considère que ces trois collectivités doivent être régies par des dispositions parallèles et il a enregistré cette spécificité. Pourtant, ici, vous ne touchez qu’à Paris, et seulement à moitié. J’ai entendu votre réponse : selon vos calculs, ce sont seulement trois arrondissements de droite qui verront ainsi leur représentation amoindrie. On peut croire que c’est le fruit du hasard, mais, là encore je persiste à considérer que s’il fallait réellement tenir compte des évolutions démographiques, la règle aurait dû être entièrement revue.
En tout cas, vous auriez dû revoir aussi celle du maintien du minimum de trois conseillers de Paris par arrondissement, devenue manifestement contraire au principe d’égalité devant le suffrage. Elle ne représente plus rien et constitue une atteinte très forte à l’égalité : elle ne se justifie plus par le pluralisme, puisque certains arrondissements comme le 2e ou le 3e élisent trois conseillers de Paris sur la même liste.
Au-delà de ces motifs d’inconstitutionnalité, vous ne nous trompez pas, monsieur le ministre : cette première réforme, en apparence inoffensive, est à considérer plus largement, dans le cadre d’un plan électoral global qui vise à maximiser l’intérêt du parti socialiste.
M. Guillaume Larrivé. Eh oui !
M. Olivier Marleix. Tentation bien humaine ! D’autres s’y sont peut-être essayés avant vous, me direz-vous… Mais ce qui me gêne dans votre réforme, c’est que ce sont les territoires ruraux qui vont la payer au prix fort ; car entre l’intérêt des territoires ruraux et celui du Parti socialiste, vous choisissez toujours et sans équivoque celui du Parti socialiste.
Vous n’allez pas vous contenter de supprimer un canton sur deux avec votre article 3 : avec la règle que vous fixez à l’article 23, et notamment celle de l’écart maximum de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne de population, vous allez impacter en réalité 90 % des cantons dans notre pays ! Ce sont deux mille cantons ruraux sur quatre mille qui seront purement et simplement dissous dans de nouveaux ensembles qui feront au moins le double de leur taille.
Vous faites, monsieur le ministre, le choix délibéré de la brutalité. Il est vrai que les écarts, dans l’Hérault notamment, ont pris des proportions insupportables – ils peuvent aller de 1 à 45 – et que cela appelle un redécoupage. Mais vous auriez proposé de ramener cet écart de 1 à 2 que nous aurions pu nous retrouver sur cette ambition. Un à deux, cela revient à plus ou moins 50 %, monsieur le rapporteur : je vous invite donc à anticiper les amendements que nous vous soumettrons à ce sujet.
J’ai fait l’effort, monsieur le ministre, d’imaginer « le jour d’après » votre réforme et de regarder attentivement ce que sera la carte de France, notamment dans ces départements où il y a à la fois une grande ville et des zones rurales. Étonnamment, ce travail ne figure pas dans votre étude d’impact. Il ne figure pas non plus dans le rapport de M. Popelin et je comprends, parce que le résultat de ce travail est assez effroyable.
Je vais me permettre, puisque j’en ai le temps, de vous donner quelques exemples des conséquences de votre texte. Dans la quatrième circonscription de la Côte-d’Or, chez notre collègue Sauvadet, avec une population moyenne par canton de 22 798 habitants, vous n’êtes assuré de faire que quatre cantons, au maximum cinq, là où il y en a aujourd’hui dix-sept. On passe de dix-sept à quatre ou cinq !
Dans la huitième circonscription de la Haute-Garonne, chez Mme Delga, avec des cantons qui devront faire 46 061 habitants en moyenne, vous n’êtes assurés de faire que deux cantons, trois au maximum – et encore, aux dépens d’une circonscription voisine –, là où l’on en compte aujourd’hui quatorze !
Dans la cinquième circonscription du Puy-de-Dôme, chez notre collègue André Chassaigne, avec une population moyenne de 20 397 habitants par cantons, vous n’en ferez plus que six – sept au maximum – là où il y en a aujourd’hui dix-huit.
Dans la troisième circonscription de la Dordogne, chez Mme Langlade, avec des cantons qui feront en moyenne 16 566 habitants, vous n’en aurez plus que quatre – cinq éventuellement, au détriment des circonscriptions voisines –là où il y en a quinze actuellement.
Dans la cinquième circonscription de l’Hérault, chez notre collègue Kléber Mesquida, avec des cantons moyens de 41 782 habitants, vous n’êtes assurés de faire que deux cantons, trois au maximum, là ou il y en a aujourd’hui treize.
Dans la troisième circonscription des Landes, chez notre collègue le président Emmanuelli – je ne sais pas s’il a eu les chiffres, je vais les lui communiquer –, avec des cantons moyens de 25 621 habitants, vous ne ferez plus que quatre cantons, peut-être cinq, là où il y en a aujourd’hui quatorze.
J’arrête là, mais le jeu de massacre, vous le voyez, est assez effroyable. Monsieur le ministre, la mise œuvre de ce projet de loi en l’état, tel que le Sénat dans sa sagesse l’a rejeté, entraînerait non pas un redécoupage électoral, même pas ce qu’on appelle un « charcutage » pour reprendre l’expression généralement utilisée de manière malveillante, mais une véritable boucherie pour les territoires ruraux, dont trois cantons sur quatre, voire quatre sur cinq vont disparaître au profit de grands ensembles sans cohérence géographique ni historique. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. François Sauvadet. C’est incroyable !
M. Olivier Marleix. Avec votre réforme, monsieur le ministre, ce sont plus de trois mille conseillers généraux, trois mille élus locaux, les plus éloignés de la politique politicienne, souvent les plus éloignés des partis politiques, des gens qui se consacrent avec bonne volonté à leur territoire,…
M. Denys Robiliard. Et qui votent à droite !
M. Olivier Marleix. …qui vont perdre leur mandat. Je voulais tout de même que cela leur soit annoncé aujourd’hui, parce que je ne sais si mes collègues de la majorité ont pensé à les en informer. Je donne rendez-vous au terme de votre réforme : ce sont trois mille conseillers généraux actuels qui ne retrouveront pas leur mandat.
Vous êtes en train de préparer en quelque sorte le plus vaste plan social jamais imaginé en matière électorale.
M. Christophe Borgel. Il faudrait savoir : soit ils sont trop nombreux, soit ils ne sont pas assez !
M. Olivier Marleix. Vous ne faites que ce qui vous arrange !
Je l’ai déjà dit, mais il est de ma responsabilité de le répéter : le canton n’est pas un vieux machin démodé dont on peut se débarrasser comme cela. Dans les territoires ruraux, il assure la structuration de nos services publics : la poste, la gendarmerie, le collège, la maison de retraite… C’est l’assurance d’un regard fin, attentif, proche, sur nos territoires. Nos territoires, monsieur le ministre, ne sont pas un handicap, une plaie dont il faudrait se débarrasser, ils sont au contraire une chance formidable pour notre pays.
M. Christophe Borgel. Quel plaidoyer contre les conseillers territoriaux !
M. Olivier Marleix. Vous qui n’avez que le mot « égalité » à la bouche, vous proclamez, par votre projet, la victoire du tout urbain au détriment des territoires ruraux. Entre l’intérêt des territoires ruraux et celui du Parti socialiste, votre choix est fait : ce sont les territoires ruraux qui sont sacrifiés.
En conclusion…
M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois. Ah !
M. Olivier Marleix. …je ne peux qu’observer avec étonnement l’énergie, la créativité débordante de votre gouvernement en matière électorale, avec des projets qui semblent fleurir de toutes parts : abaissement annoncé du seuil de la proportionnelle au Sénat, réduction annoncée – en tout cas dans la presse, qui semble mieux informée que nous – du nombre de députés à quatre cents, ce qui, ajouté à une dose de proportionnelle, aura un effet dévastateur sur la représentation des départements ruraux puisque la tranche de population ouvrant droit à un siège remonterait à 190 000 habitants. Si l’on y ajoute l’idée fabuleuse de M. Jospin de n’ouvrir le second siège qu’à la demi-tranche, ce qui figure dans son rapport, c’est une vingtaine de départements qui à l’avenir n’auront plus qu’un seul député pour les représenter à l’Assemblée nationale.
Et que dire de cette autre idée de M. Jospin – vous nous dites qu’elle ne figure pas dans le texte à ce stade, mais l’initiative parlementaire, ça existe et on sait qu’elle suscite débat dans votre majorité –, qui figure en tout cas dans son rapport, de donner une poignée de quinze bulletins de vote aux conseillers généraux et régionaux lorsqu’ils votent aux élections sénatoriales ?
On aurait presque envie de sourire, sauf que cette idée, digne de la gestion au tantième d’une copropriété à l’île de Ré (Protestations sur les bancs du groupe SRC),…
M. Denys Robiliard. Qu’avez-vous décidément contre les territoires ruraux ?
M. Olivier Marleix. …n’a jamais eu sa place dans notre démocratie, en tout cas pas dans la République française depuis 1789.
Quelle créativité, monsieur le ministre ! Nous ne pouvons que déplorer qu’une telle énergie, une telle inventivité, ne trouve à s’occuper qu’en matière électorale, alors qu’il y a tant de préoccupations plus graves dans notre pays…
Mme Pascale Crozon. rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Avec le mauvais bilan que vous avez laissé, ce n’est pas étonnant !
M. Olivier Marleix. Je pense à la situation économique, je pense aux mauvaises nouvelles industrielles qui s’amoncellent chaque jour, je pense aux mille chômeurs de plus que le Gouvernement voit arriver chaque jour.
On regrette, monsieur le ministre, que vous ne soyez pas aussi en charge de l’emploi, de l’industrie, de l’économie, de la protection sociale, de l’éducation. Votre ambition – on vous en prête beaucoup –, votre énergie, votre inventivité trouveraient mieux à s’employer et vous contribueriez mieux à résoudre les problèmes des Français qu’en imaginant de tels textes. Une chose est sûre : être ministre de la ruralité ne figure visiblement pas au rang de vos ambitions…
J’invite mes collègues sur tous les bancs à réfléchir, comme je l’ai déjà fait en prenant le cas de quelques circonscriptions. Qu’ils imaginent les conséquences de ce texte, proprement désastreux, je le répète, pour les territoires ruraux, et ce au terme de choix délibérés assumés de manière cynique par votre gouvernement, avec cette suppression d’un canton sur deux et ce « tunnel », d’une brutalité excessive, de plus ou moins 20 %.
Je vous appelle, mesdames, messieurs, à faire preuve de la même sagesse que vos collègues de la majorité sénatoriale, et à repousser ce texte en adoptant cette motion de rejet.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
Plusieurs députés du groupe UMP. Et le rapporteur ?
M. Manuel Valls, ministre. Je serai rapide.
M. François Sauvadet. C’est au rapporteur de répondre en premier, normalement !
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Sauvadet, j’obéis à la présidente…
Mme la présidente. Lorsqu’il s’agit de répondre aux motions, l’ordre des interventions est indifférent, monsieur Sauvadet. Laissons donc M. le ministre s’exprimer.
M. Manuel Valls, ministre. Merci, madame la présidente.
Je veux d’abord répondre à M. Olivier Marleix, même si je l’ai un peu fait par anticipation après que M. Larrivé a défendu la motion de rejet préalable du projet de loi ordinaire.
Premièrement, la situation économique et industrielle est évidemment difficile – je ne rappellerai pas ici les responsabilités des uns et les autres. Cela étant, sans ce projet de loi, nous aurions eu à accomplir une tâche extrêmement compliquée, quand bien même elle n’aurait pas été de nature législative : je veux parler de la mise en œuvre de la réforme créant le conseiller territorial et du redécoupage décidés par vous. Votre conseiller territorial et son suppléant formaient – le ministre de l’intérieur de l’époque et le secrétaire d’État en charge du redécoupage l’avaient dit devant la commission des lois – un binôme, mais un binôme caché. Le suppléant, cette invention qui n’aurait eu par ailleurs aucune légitimité, aurait exercé des responsabilités dans les collectivités ou les institutions à la place du conseiller territorial. Il avait même été dit qu’il percevrait une indemnité pour faciliter son travail ! Avec ce binôme, vous avez donc déjà fait vos preuves, mais en toute opacité, dans le domaine de l’inventivité !
Deuxièmement, non seulement le conseiller territorial mélangeait les compétences du conseil régional et du conseil général, mettant ainsi à mal ces deux institutions, mais il aurait été une négation de la représentation des territoires ruraux.
M. Olivier Marleix. C’est faux !
M. Manuel Valls, ministre. Par qui le territoire rural est-il le mieux défendu ? Par le département. Or, par le choix qui était fait, par cette instauration du conseiller territorial, vous mettiez à mal la capacité du département, et pas seulement celle du canton : si, du fait de son mode d’élection, un conseiller général représente certains territoires, c’est le conseil général qui porte une politique publique. Le conseiller territorial mettait à mal l’avenir même du département et ne permettait pas cette défense des territoires ruraux.
M. Olivier Marleix. Si !
M. Manuel Valls, ministre. Je me permets d’ailleurs de renvoyer, monsieur Marleix, à deux interventions, hier et ce matin, de Mmes Pécresse et Kosciusko-Morizet, qui expliquaient que le conseiller territorial était le début de la fin d’un échelon, en l’occurrence l’échelon départemental. Si des élus nient le département et particulièrement la représentation rurale, ce sont ceux de votre parti, ceux de l’opposition, ceux de l’ancienne majorité, qui avaient décidé la négation des territoires ruraux avec la disparition programmée du département au nom d’une vision comptable de ce que sont les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !
M. Manuel Valls, ministre. C’est la réalité, je l’ai encore entendu aujourd’hui même sur une radio matinale.
Pour ce qui concerne le report, les élections régionales auraient dû avoir lieu en 2016 et les élections cantonales en 2017, si vous n’aviez pas changé le calendrier ni les règles, en réduisant la durée des mandats, pour l’instauration des conseillers territoriaux. Nous rétablissons donc un calendrier dans lequel ces scrutins se retrouvent naturellement postérieurs aux élections sénatoriales de 2014, mais 95 % des membres du collège électoral qui élit les sénateurs auront été renouvelés lors des élections municipales qui précéderont, au printemps 2014.
D’ailleurs, très honnêtement, mettons-nous au moins d’accord sur ce point : ceux qui croient, ici ou là, qu’un mode de scrutin change la nature même des élections et le choix des électeurs ou des grands électeurs se trompent. Les élections, vous le savez parfaitement, obéissent à certaines règles que vous avez d’ailleurs rappelées en revenant sur le débat politique qui s’est tenu lors des élections sénatoriales de 2011. Notre choix de reporter les élections régionales et les élections cantonales ne change donc en rien la nature du scrutin sénatorial de 2014.
Au demeurant, vous avez d’une certaine manière eu vous-même l’occasion de l’éprouver : dans le domaine de la boucherie ou du charcutage, on ne peut s’empêcher de songer à ces belles enseignes que l’on trouve encore dans nos campagnes, monsieur Marleix : « père et fils » ! (Rires sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Alain Chrétien. Ah, c’est facile !
M. Manuel Valls, ministre. Oui, c’est facile, mais cela fait aussi du bien de le dire dans ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) En toute amabilité, s’entend, et je ne le redirai plus car cela a déjà été suffisamment fait.
En matière de découpage des circonscriptions, y compris législatives, et même avec une commission prétendument indépendante, monsieur Larrivé, force est de reconnaître qu’il existe un certain nombre d’injustices criantes. Le choix que nous avons fait de nous appuyer sur le Conseil d’État nous permettra de bien travailler. D’ailleurs, monsieur Marleix, l’inscription du nombre des conseillers départementaux dans la loi répond à une demande du Conseil d’État à laquelle le Gouvernement a choisi de faire suite. Vous-même le savez bien, les parlementaires le savent bien : sur des bases nationales, changer la nature de la représentation aurait fait exploser le nombre des conseillers dans nombre de départements.
Enfin, j’ai lu dans la presse qu’une personnalité de la majorité réputée pour sa sagesse, que je citais tout à l’heure, disait que la fusion des cantons n’est pas un problème majeur ; c’est Jean-Pierre Raffarin.
Plusieurs députés du groupe UMP. M. Raffarin est une personnalité de l’opposition !
M. Dominique Bussereau. Mais bientôt de la majorité ! (Sourires.)
M. Manuel Valls, ministre. De la majorité ? Si c’est vous qui annoncez cette nouvelle, monsieur Bussereau, c’est un événement politique ! (Sourires.) M. Raffarin siège évidemment dans les rangs de l’opposition au Sénat, vous avez raison de le rappeler.
Enfin, vous nous accusez de suivre une logique partisane alors que ce texte vise précisément à redonner de la lisibilité et de la clarté ; ce que nous choisissons, monsieur Marleix, c’est la démocratie et tout simplement, et c’est un principe constitutionnel, l’égalité des citoyens devant le suffrage universel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Avant de donner la parole au rapporteur, je veux préciser à M. le président Sauvadet que, pour répondre à une motion de procédure, la tradition et l’usage veulent, contrairement à ce qu’il a prétendu, que l’on donne d’abord la parole au Gouvernement et ensuite seulement au rapporteur. C’est une tradition constante dans cette assemblée, particulièrement pour les motions de procédures ; et, si vous tenez à vous appuyer sur le règlement, monsieur Sauvadet, je vous invite à vous reporter à son article 91, alinéa 5, qui prévoit la réponse du Gouvernement et du rapporteur.
La parole est donc maintenant à M. le rapporteur.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Je reconnais tout d’abord à M. Olivier Marleix une forme de talent. On a déjà parlé de ses mérites dans les domaines de la boucherie ou la charcuterie, je n’y reviens pas ; mais parler si longtemps sur les trois articles du projet de loi organique dont il était censé proposer le rejet relevait de la gageure. Et vous avez relevé le défi, monsieur Marleix en n’en parlant pas !
Je ne reprendrai pas les éléments de réponse donnés à M. Larrivé, même si vous avez utilisé à peu près les mêmes arguments. Permettez-moi cependant un petit point d’arithmétique.
En fait, plus ou moins 20 % dans la représentation démographique, cela correspond à un écart de 1 à 1,8. Vous avez demandé un écart de 1 à 2 ; nous n’en sommes donc pas tellement loin, d’autant que certaines exceptions permettront sans doute d’en rester à 1 à 2 dans certains cantons. Nous sommes donc loin de cette abominable destruction des territoires ruraux dont vous abreuvez la presse ; finalement, ce que vous demandez correspond à peu près à ce qui est prévu par le texte.
Vous semblez par ailleurs avoir fait de la nouveauté du scrutin majoritaire binominal un argument – le seul, d’ailleurs que vous ajoutiez à ceux que votre prédécesseur à la tribune a développés. Mais ce n’est pas parce que quelque chose est inédit que c’est anticonstitutionnel… Cette deuxième motion de rejet ne recueillera donc pas davantage mon assentiment. J’appelle l’Assemblée nationale à ne pas l’adopter.
Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, tout à l’heure, vous sembliez laisser croire que vous vous aventuriez sur le terrain politique, comme si vous n’y étiez pas déjà depuis le début de votre intervention ! Vous avez ainsi rappelé que vous étiez, en matière d’emploi, les victimes d’un héritage, mais vous ne pourrez tenir durablement cette posture. Il vous faudra bien un jour assumer clairement la responsabilité que vous ont confiée les Français, à la suite de toute une série de malentendus.
En ce qui concerne le projet de loi qui nous occupe aujourd’hui, si, pendant la campagne électorale, au moment où François Hollande parlait, à Dijon, d’un véritable pacte de confiance, d’une juste représentation, vous aviez évoqué la perspective de la création d’un nouvel hybride territorial – un homme et une femme élus ensemble et exerçant séparément leurs mandats, indépendamment l’un de l’autre, sur de grands territoires ruraux –, je ne suis pas sûr que vous auriez rencontré le succès que vous aviez escompté, et parfois rencontré dans la bataille que vous avez menée contre le conseiller territorial.
Je vous trouve vraiment d’une ambiguïté totale. C’est vraiment le grand écart ! Que disiez-vous, il n’y a pas si longtemps, à propos du conseiller territorial ? Ce n’était pas tant le fait qu’ils siégeraient à la fois au conseil régional et au conseil général que vous dénonciez, mais une injuste représentation du territoire rural que l’on allait, à vous entendre mettre à mort. « Mise à mort des territoires ruraux », écrivait Arnaud Montebourg à la une de la lettre du conseil général de Saône-et-Loire !
Ce que vous imaginez aujourd’hui est bien pire : c’est un redécoupage total, et il faudra bien que vous vous en expliquiez. Vous souteniez que c’était la même chose avec le conseiller territorial : c’est faux. Le calcul des plus ou moins 20 %, que nous n’avions pas mis dans la loi, reprenait une recommandation du Conseil d’État, se rapportant à des départements par rapport à une moyenne régionale. Mais vous, vous allez procéder à une répartition canton par canton, ce qui conduira à d’immenses territoires sur lesquels seront élus les binômes que vous proposez.
Je pense que vous avancez masqué, et je préférerais vous voir avancer à visage découvert. Pour toutes ces raisons, auxquelles on peut ajouter le manque de concertation qui explique le vote du Sénat, je pense qu’il faut adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.
M. Paul Molac. J’ai un peu l’impression que l’on idéalise quelque peu le conseiller général, voire les territoires ruraux… Je veux bien croire que le conseiller général est très connu en Moselle ; mais, chez nous, en Bretagne, les conseillers régionaux sont également très connus : ils sont territorialisés, ils s’occupent des lycées et ils s’y rendent.
Il arrive même que le député soit plus connu le conseiller général !
Mme chose pour cette idée selon laquelle les campagnes seraient plus favorables à certains partis politiques qu’à d’autres : je peux vous dire qu’il existe des campagnes rouges et des villes bleues, y compris en Bretagne.
Quant à celle qui voudrait que le conseiller général ne serait pas un politique… Je me souviens que lorsque j’ai présenté, à de nombreuses reprises, mes vœux dans ma circonscription, mes conseillers généraux – j’en ai à peu près une dizaine…
M. Alain Chrétien. Ils ne sont pas à vous !
M. Paul Molac. …ont à peu près tous prononcé le même discours, avec la même architecture : j’ai bien cru que le président du conseil général le leur avait écrit et qu’ils n’avaient plus qu’à lire. Moi, j’ai modestement écrit le mien, sans attendre que François Hollande ou personne d’autre ne vienne le faire pour moi.
Pour terminer, vous me pardonnerez de revenir sur une petite question d’érudition : le dernier roi étrusque a été détrôné en 509 avant Jésus-Christ, et c’est Octave qui, en 17 après Jésus-Christ, a fondé l’Empire. Le système des deux consuls a donc duré plus de cinq siècles ; peut-être pas n’était-il finalement pas si mauvais… Je ne suis pas certain que notre Ve République aura la même longévité !
Nous ne voterons évidemment pas cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)
M. Alain Tourret. Au Sénat, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen n’a pas pris part au vote. Je voudrais vous expliquer pourquoi, en reprenant l’essentiel de l’excellente intervention de mon collègue Jacques Mézard.
« Mes chers collègues, a-t-il déclaré, permettez-moi de relever que, au sein des deux partis dominants, il existe des esprits suffisamment tortueux pour inventer, d’un côté, le conseiller territorial et, de l’autre, le scrutin binominal. C’est dire notre manque d’enthousiasme, à nous, la volaille radicale, qu’on ne veut que plumer. (Sourires)
« En effet, si nous avons compris la volonté du Gouvernement, le seul choix que vous concevez doit s’effectuer entre un scrutin départemental proportionnel et ce scrutin binominal. Autrement dit, pour des élus qui, comme nous, sont essentiellement issus d’un contrat personnel de confiance avec les électeurs de nos territoires, vous nous laissez le choix entre la guillotine et la corde.
« Cela étant dit, partons de ce qui est une réalité : la représentation cantonale actuelle est le plus souvent totalement déséquilibrée. Dans ces conditions, il y a urgence à rétablir les équilibres démographiques : nous sommes totalement d’accord avec vous. Néanmoins, dans la perspective du vote de ce texte, il serait opportun que vous puissiez dès à présent répondre à des interrogations d’ordre constitutionnel.
« Qu’en est-il exactement, monsieur le ministre, de la constitutionnalité d’un scrutin binominal ? Est-il possible de considérer que la notion de représentativité puisse être partagée de manière binominale pour exercer des fonctions par essence confondues ? Est-il possible de se soustraire au principe de l’individualisation de l’égalité de représentation liant, selon les principes de notre droit constitutionnel, l’électeur à son représentant ? Peut-on donc concevoir une individualisation binominale ? »
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Pires Beaune, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Christine Pires Beaune. Nous avons abrogé le conseiller territorial, ce surhomme, ou cette surfemme, qui aurait assumé en même temps les compétences du département et de la région. Dès lors, il fallait fixer un nouveau calendrier électoral ; plusieurs options étaient possibles.
Nous avons choisi le report en 2015, car cela nous laisse le temps de procéder au nouveau découpage cantonal…
M. Olivier Marleix. Au tripatouillage, oui !
Mme Christine Pires Beaune. …tout en permettant de lier les scrutins régionaux et départementaux, ce qui devrait favoriser le taux de participation tout en allégeant le calendrier de 2014. Il est bon de rappeler une nouvelle fois que ce découpage cantonal devait se faire, quel que soit le choix opéré par le Gouvernement.
Personne aujourd’hui ne peut prédire quel sera le climat politique en 2014 ou en 2015…
M. Patrice Verchère. Oh si !
M. Alain Chrétien. Nous, nous pouvons vous le dire !
Mme Christine Pires Beaune. …c’est donc nous faire un faux procès que de nous accuser de cuisine électorale. Et puisque nous parlons charcutage et cuisine électorale, permettez-moi de vous rappeler qu’il arrive que certains cuisiniers en chef, désireux de préparer un lièvre à la royale…
Plusieurs députés du groupe UMP. Bravo !
Mme Christine Pires Beaune. …serve finalement un vulgaire lapin, insipide, que les sages du palais du Conseil constitutionnel n’apprécient guère. M. Alain Marleix en sait quelque chose !
M. Alain Chrétien. Un lapin à la Royal ? Cela mérite un fait personnel !
Mme Christine Pires Beaune. M. Olivier Marleix soulève la question de l’irrecevabilité constitutionnelle, car aucun motif ne justifierait, à l’entendre, le report des élections régionales et départementales. M. le ministre, dans son intervention, a détaillé les bienfaits attendus du report de ces élections et je n’y reviens pas. Ce ne sera pas la première fois, d’ailleurs, qu’un mandat de conseiller général sera prorogé d’une année.
M. Jean-Pierre Dufau. Très juste !
Mme Christine Pires Beaune. En vérité, le redécoupage se fera, comme toujours, sous la haute surveillance du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, et c’est une bonne chose.
J’ajoute que les communes représentent 96,1 % du corps électoral, contre 2,6 % pour les conseils généraux et 2,1 % pour les régions. Prétendre, monsieur Marleix, que ce texte a été élaboré dans la perspective des élections sénatoriales, c’est nous faire un faux procès, et vous le savez.
Quant au binôme, il est effectivement novateur, mais ce seul qualificatif ne suffira pas pour déclarer cette proposition anticonstitutionnelle. Et non, monsieur Marleix, ce n’est pas un plan social que nous préparons, mais le renouvellement et la féminisation de nos assemblées départementales. Qui s’en plaindra ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Olivier Marleix. Comme vous voulez…
Mme Christine Pires Beaune. Le projet de loi organique propose donc les adaptations de niveau organique rendues nécessaires par le projet de loi. Ce projet de loi organique a d’ailleurs été adopté à l’unanimité par le Sénat le 18 janvier. Vous comprendrez, à la lumière de ces quelques explications, que le groupe SRC appelle à rejeter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Pierre Dufau. Marleix, sed lex !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Chrétien, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Alain Chrétien. On l’a bien compris, c’est au démantèlement de la loi du 16 décembre 2010 que vous êtes en train de vous livrer.
M. Bruno Le Roux. Exactement !
M. Carlos Da Silva. C’est bien cela !
M. Jean-Pierre Dufau. Si vous le dites !
M. Alain Chrétien. Une loi courageuse et globale, née d’une réflexion sur les compétences des différents niveaux de collectivités et sur les modes d’élection ; une loi qui visait une plus grande simplicité et une plus grande efficacité, dans le but de faire une vraie révolution territoriale.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Sur la parité, ce n’était pas terrible ! Même Marie-Jo Zimmerman n’y était pas favorable !
M. Alain Chrétien. Que proposez-vous à la place ? Un certain nombre de lois : après celle que nous sommes en train d’examiner, ce sera, dans quelques semaines, le texte sur l’acte III de la décentralisation, que suivront d’autres dispositions. Bref, vous n’avez aucune vision globale de l’action territoriale.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il faudrait savoir !
M. Alain Chrétien. Vous ne regardez le problème que par le petit bout de la lorgnette. Les représentants de l’extrême gauche l’ont noté aussi : il n’y a pas de projet global, on attend de voir ce que vous voulez faire avec les compétences, avant de revoir le scrutin territorial.
Vous n’avez aucune vision globale : nous vous l’avons dit et nous le redirons, monsieur le ministre. Vous allez sans doute trouver nos discours répétitifs, mais nous allons, à chaque fois, vous dire nos vérités.
Par ailleurs, nous sommes tout à fait choqués que la parité ne soit pour vous qu’un prétexte, voire une obsession…
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Une « obsession sexuelle », comme a dit un sénateur !
M. Alain Chrétien. …une obsession dogmatique. Il y aurait tellement d’autres choses à faire que de promouvoir cette femme-objet, qui sera une élue-objet… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Mais oui ! Vous créez l’élue-objet !
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Cela vous va bien ! Où sont-elles, vos femmes-objets ? Vous n’en avez même pas !
M. Marc Dolez. C’est lamentable !
M. Alain Chrétien. Elle sera femme, parce qu’elle sera élue ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Il est bien dommage de voir à quel point votre conception de la parité est différente de la nôtre.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Et voilà ! Le débat dérape, comme au Sénat ! C’est lamentable !
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Madame Genevard, êtes-vous une femme-objet ? Comment acceptez-vous cela ?
M. Michel Pouzol. Il y en a assez de leurs stéréotypes !
M. Alain Chrétien. Pour ce qui est des stéréotypes, vous êtes très bien placés, comme en matière de dogmatisme !
Vous l’aurez compris, nous souhaitons que vous votiez cette motion de rejet, pour que nous ayons le temps de préparer une vraie réforme territoriale, à travers une vraie loi, globale et intelligente.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modifiant le calendrier électoral.
La parole est à M. Dominique Bussereau.
M. Dominique Bussereau. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame et monsieur le rapporteur, les arguments juridiques ont déjà été largement abordés, aussi bien par Guillaume Larrivé et Olivier Marleix que dans les réponses du ministre et du rapporteur ; aussi me limiterai-je à quelques arguments un peu plus politiques sur le contexte de cette réforme et, si vous le permettez, sur le contexte de la décentralisation.
Si notre groupe a déposé cette motion de renvoi en commission, c’est qu’il eût mieux valu régler les questions de fond de la décentralisation, avant de régler les modes d’élection.
M. Jean-Pierre Dufau. On pouvait dire la même chose des conseillers territoriaux !
M. Dominique Bussereau. Le calendrier n’étant pas respecté, dans la forme et sur le fond, il est nécessaire, monsieur le président de la commission des lois, que ce texte revienne dans votre commission, ne serait-ce que pour laisser le temps aux très nombreux ministres qui s’occupent de la décentralisation de nous fournir enfin, non pas l’énième pré-projet ou avant-projet, mais le projet définitif de la loi de décentralisation.
Si l’on parcourt l’histoire des élections intermédiaires depuis le président Giscard d’Estaing, en 1974, on s’aperçoit qu’elles ont toutes été perdues par la majorité, vous le savez bien. Cela a commencé avec Giscard, aux cantonales de 1976, puis aux municipales de 1977 ; il en fut de même sous la présidence de François Mitterrand et de Jacques Chirac puis, sous Nicolas Sarkozy, avec les municipales de 2008 et les régionales de 2010.
C’est une constante : les élections locales sont, sinon une boucherie, pour reprendre le terme d’Olivier Marleix, du moins un moment délicat à passer pour les majorités et les gouvernements en place. Vous avez donc le réflexe politique, tout à fait compréhensible, même s’il n’est pas fabuleux au regard de l’esthétique politique, d’amortir la spirale des échecs annoncés. Pour ce faire, vous vous lancez dans une course effrénée de modification des modes de scrutin.
Commençons par le mode de scrutin municipal, puisqu’il fait l’objet de ce texte. Des avis divergents se sont exprimés, s’agissant du seuil à partir duquel il fallait adopter le scrutin de liste : fallait-il fixer ce seuil à 500 ou à 1 000 habitants ? Je pense que le second seuil est plus raisonnable et que le Sénat avait raison : il serait extrêmement difficile d’appliquer ce système dans certaines communes de 500 habitants, à moins d’adopter la liste unique, telle qu’elle existe dans certains pays, car il serait pour ainsi dire impossible de constituer une deuxième liste, à plus forte raison paritaire.
Le fléchage des conseillers intercommunaux est une bonne idée. D’ailleurs, pour ne rien vous cacher, bon nombre de maires présents dans cet hémicycle, ou qui pourraient être présents ce soir, procédaient ainsi depuis longtemps, en indiquant à leurs électeurs, sur leur profession de foi, le nom des élus qu’ils enverraient siéger dans l’intercommunalité en cas de victoire. Ainsi, les maires vraiment républicains, en charge d’une commune importante, avaient pour habitude de désigner à l’intercommunalité des membres de leur majorité, mais aussi de leur opposition. Du coup, une même commune était représentée, au sein de l’intercommunalité, par des élus de sensibilités diverses.
Avec votre système, cela ne fonctionnera plus – ou alors il faudra m’expliquer comment, monsieur le rapporteur. Ce qui me gêne, dans votre dispositif, et aussi dans le fait que l’on flèche les élus intercommunaux à partir de 1 000 ou de 500 habitants, c’est que l’on va politiser considérablement les intercommunalités.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Parce qu’en les cachant…
M. Dominique Bussereau. Madame, je ne vous ai pas interrompue tout à l’heure. Veuillez respecter cette règle, si cela ne vous ennuie pas. C’est comme cela aussi que la parité se respecte.
Nous avons toujours veillé à ce que nos intercommunalités soient complètement apolitiques. Nous choisissions le vice-président d’une commune en fonction de son importance, et pas de son étiquette politique. En introduisant ce fléchage de manière systématique, vous allez très fortement politiser les assemblées intercommunales et certainement remettre en cause leur logique de progrès qui faisait que, dans mon département par exemple, une communauté de communes de plus de 140 communes était capable, avec un président UMP et un vice-président socialiste, de porter depuis vingt ans des projets très importants, dans une complète neutralité politique. Cela m’inquiète, et je serais heureux d’avoir des éléments de réponse sur ce point.
Dois-je vous rappeler que le gouvernement précédent a mené une réforme très importante de l’intercommunalité et qu’au 1er janvier, sous l’égide de vos préfets, monsieur le ministre, la carte de l’intercommunalité dans notre pays a beaucoup changé ? Des progrès considérables ont été réalisés : de grandes communautés de communes ont vu le jour, des communautés de communes sont devenues des communautés d’agglomérations. J’ai peur qu’avec ce système plus politique, vous cassiez la dynamique de l’intercommunalité, qui est très forte dans nos territoires, et qui porte de nombreux projets.
Voilà ce que je voulais dire des élections municipales. Je partage l’avis de Guillaume Larrivé : le coup qui consiste à supprimer deux conseillers municipaux dans les communes de moins de 3 500 habitants, ça sent la bonne vieille modification du corps électoral sénatorial… Vous pourrez nous expliquer que c’est pour faciliter la confection de listes, mais obliger les plus petites communes à faire des listes et supprimer des conseillers dans les communes de moins de 3 500 habitants, c’est de la mécanique pré-sénatoriale : c’est votre responsabilité, mais c’est la nôtre d’en informer nos concitoyens.
Je ne vais pas m’attarder sur les élections européennes, mais il faudra que vous nous disiez très vite ce que vous voulez faire à ce sujet. On pouvait contester la réforme des gouvernements précédents, qui a territorialisé les députés européens, mais elle avait au moins l’énorme avantage de donner un visage à ces élus qui présentent la même caractéristique qu’un certain nombre de conseillers régionaux : même leurs voisins de palier ne savent pas qu’ils sont élus, à cause du mode de scrutin.
Depuis la réforme, au moins, certains députés européens, de gauche comme de droite, organisaient des réunions de compte rendu de mandat, diffusaient des lettres dans leur grande circonscription et allaient rendre compte devant les universitaires, les chambres de commerce ou les syndicats agricoles, de ce qui se passait au Parlement européen.
Il est déjà suffisamment difficile de faire vivre l’Europe sur tous nos bancs politiques, de donner envie à nos concitoyens de voter aux élections européennes et d’être européens ! Si vous cassez, dans les scrutins postérieurs à 2014, ce lien avec les territoires, vous ferez régresser, me semble-t-il, l’idée européenne.
S’agissant du Sénat, vous semblez avoir renoncé aux modifications proposées par Lionel Jospin – dont je m’honore qu’il séjourne sur l’Île de Ré – et la seule modification que vous prévoyez, à moins de nouvelles surprises, est la réduction du corps électoral des communes de moins de 3 500 habitants.
J’en viens aux élections de 2015. Je ne vous en veux pas de les reporter d’un an, nous-mêmes l’avons fait. Lorsqu’il y a plusieurs scrutins le même jour, la participation est toujours meilleure. Reste que cela posera tout de même un problème de constitutionnalité s’agissant des élections sénatoriales, Guillaume Larrivé a eu raison de le rappeler. Je ne suis pas sûr que le Conseil constitutionnel ne considère pas que le corps réel devant élire les sénateurs ne sera pas réuni en septembre 2014. Même si 95 % du corps électoral sera connu, 95 % n’est pas 100 % et les élections se jouent parfois à quelques voix près.
Restons en 2015 et voyons la question des binômes. Permettez-moi une confidence qui n’en est pas une et que j’ai déjà faite devant la commission des lois : je n’étais pas favorable, à titre personnel, au conseiller territorial. Je l’avais exprimé au sein de cénacles dont il n’est pas d’usage de rapporter les échanges à l’Assemblée nationale. Étant redevenu parlementaire, je l’ai déclaré à la commission des lois. J’y voyais, à terme, une volonté très parisienne de tuer les conseillers généraux et les départements.
M. Jean-Pierre Dufau. C’est sûr !
M. Marc Dolez. C’est clair !
M. Dominique Bussereau. D’autres de mes collègues avaient un avis différent, mais c’est la joie de nos formations politiques que d’être d’accord sur le fond et de différer parfois sur des éléments de réflexion.
Ce que vous allez faire est néanmoins baroque ! Mme Coutelle est ma voisine dans la Vienne, je comprends très bien ses réflexions, qu’elles soient spontanées ou qu’elle soit obligée de les dire. Mais cette idée de désigner deux représentants pour chaque canton, je le répète, est pour le moins baroque, pour utiliser un terme qui ne soit pas désagréable. Il sera extrêmement difficile de faire fonctionner ce système.
En tant que président de conseil général, j’observe aussi bien chez mes collègues de la majorité que dans l’opposition que les relations entre les suppléants et les candidats se sont souvent fortement détériorées depuis l’élection de 2011. J’imagine ce que pourra être ce binôme. Quand un président d’association présentera un projet et qu’il recevra l’avis favorable du membre A et l’avis défavorable du membre B, comment leurs collègues au sein de l’assemblée départementale nouvelle seront-ils capables de réagir et de comprendre ce que veut ce territoire ? Veut-il ce festival, cette usine, ce collège, veut-il rénover cette gendarmerie ? Les choses seront très compliquées.
Notre rapporteur a rappelé que, dans le cas d’un conseil municipal, le territoire est représenté par une liste. Mais une liste est hiérarchisée : il y a un maire, des adjoints, des conseillers municipaux, des conseillers délégués, des commissions. Dans notre cas, deux personnes seront à égalité, sur un petit territoire.
Actuellement, les conseillers régionaux sont sur des tapis volants. Je pose la question à chacun de vous : connaissez-vous tous les conseillers régionaux, de droite et de gauche, élus dans votre propre département ? Je n’en suis pas sûr, et il est d’ailleurs probable que certains ne vous ont jamais fait l’honneur d’une apparition à une quelconque manifestation publique à laquelle vous participiez.
M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est vrai !
M. Dominique Bussereau. Je ne crois donc pas à ce système de fonctionnement à deux. Il pose un problème de constitutionnalité comme l’ont dit Guillaume Larrivé et Olivier Marleix, et il faudra avoir l’avis du Conseil constitutionnel sur ce point.
S’agissant de la méthode du découpage, on la devine, on l’a connue à d’autres époques : un membre sympathique du cabinet du ministre de l’intérieur, que l’on appellera bientôt « le préfet ciseaux », va discuter dans chaque département avec le préfet, qui discutera lui-même, sur instruction de votre excellent collègue Christophe Borgel, avec la fédération locale du Parti socialiste. Et une fois que le Parti socialiste et le préfet auront fait la carte, ils iront voir la droite en lui proposant de changer une commune. C’est comme cela que les choses vont se passer, et nous savons par les échos qui nous remontent des départements que le processus a déjà commencé. C’est la règle de la vie politique ; je préfère quant à moi l’idée proposée par Guillaume Larrivé d’une commission indépendante travaillant sous le contrôle du Conseil d’État.
Vous le savez : ces redécoupages se retournent toujours contre celui qui tient les ciseaux. Vous parliez tout à l’heure de 1801 ; pour ma part mes souvenirs sont plus récents, je n’étais pas encore tout à fait né en à l’époque. (Sourires.) Mais en 1982, après le découpage réalisé par le gouvernement de Pierre Mauroy, la plupart des départements qui étaient à gauche sont passés à droite. Ce fut le grand charivari des départements suite au découpage socialiste de 1982. À votre place, je serais donc d’une extraordinaire prudence.
M. Alain Chrétien. Laissez-les faire ! Laissez-les faire !
M. Dominique Bussereau. Celui qui tient les ciseaux est en général du mauvais côté des urnes !
S’agissant des élections régionales, il faudra que le ministre nous indique quand il souhaitera vraiment les faire. On entend de-ci de-là que vous seriez en train de changer d’avis. C’est la bonne presse qui l’écrit, y compris celle qui est très proche du Gouvernement ; et finalement, afin d’éviter tout problème avec le Conseil constitutionnel en 2014, peut-être mettrait-on d’un côté les régionales et de l’autre les municipales et les cantonales. Il faudrait que vous nous le disiez, car il est important que la représentation nationale soit informée.
Je ne vous encourage pas à modifier le mode de scrutin des élections régionales, car les listes départementales étaient un bon système. Le système majoritaire, comme l’a rappelé fort élégamment notre rapporteur, a bien fonctionné. Si vous en reveniez au système ancien de la proportionnelle intégrale, vous tuerez complètement la légitimité territoriale des conseillers régionaux, et ce serait une très mauvaise chose.
J’en viens aux élections législatives. M. Marleix a rappelé que vous aviez le projet – c’est en tout cas ce qui se dit dans le Landerneau parisien – de modifier le mode d’élection des députés en supprimant une centaine de députés de terrain, remplacés par une liste à la proportionnelle : c’est le système allemand de la Zweitstimme, qui n’est d’ailleurs pas inintéressant. Le parti libéral allemand, le FDP, n’a jamais eu un élu dans une circonscription depuis 1946. C’est toujours la « deuxième voix » qui a permis à ce parti d’exister, mais c’est un système parlementaire, ce n’est pas la Ve République, ni le système présidentiel. Il faut bien être attentif au fait que le système qui fonctionne en Allemagne ne fonctionnera pas nécessairement en France.
Ces différents éléments poseront problème par rapport à la décentralisation et la gestion de nos territoires, ce qui m’amène à la deuxième partie de mon propos. En réalité, au-delà des reproches politiques que je vous fais et des manœuvres auxquelles vous procédez, ce qui m’ennuie, c’est que vous allez casser la dynamique des territoires.
Depuis le 1er janvier, la carte intercommunale a été profondément modifiée et améliorée dans la plupart des départements. Comment vont s’articuler ces nouvelles intercommunalités, parfois très fortes – dans mon département ce sont parfois plus de 120 ou 140 communes qui s’unissent afin de porter d’énormes projets – avec les nouveaux cantons ? Allez-vous faire en sorte que les nouveaux cantons coïncident avec les territoires de ces intercommunalités ? Si vous ne le faites pas, vous allez casser l’état d’esprit de ces nouvelles intercommunalités, et des conseillers départementaux se situeront de chaque côté de ces frontières.
Comme l’a très bien dit Olivier Marleix, s’il est vrai que le canton est d’une autre époque, il est de l’époque du service public, celui que vous nous accusiez de mettre à mal lorsque nous étions au Gouvernement.
Le canton, c’est la gendarmerie – parfois au sein d’un regroupement de brigades à l’échelle de plusieurs cantons –, et c’est toujours un collège : dans mon département, pour cinquante et un cantons, il y a cinquante et un collèges. Comment allons-nous nous organiser désormais ? En sortant de cette carte, nous aurons des demandes de gestion des systèmes de collège tout à fait différentes.
M. Manuel Valls, ministre. Ce n’est pas vrai !
M. Dominique Bussereau. Le canton, ce sont aussi parfois quelques services publics, parfois la douane, parfois les services fiscaux qui sont très importants dans les régions viticoles, les régions frontalières, ou celles où il y a risque de trafics. Comment tout cela va-t-il fonctionner, et comment allez-vous articuler les intercommunalités et les cantons ? Et si vous réussissez à le faire, comment allez-vous articuler cela avec les circonscriptions législatives ? Car si vous faites un nouveau système pour les législatives, il sera décidé après. Le ferez-vous coïncider avec la carte des cantons que vous allez nous proposer ? Et cette dernière coïncidera-t-elle avec la carte des intercommunalités actuelles ?
Il ne faudrait pas qu’au nom d’une modification du système électoral, vous cassiez la dynamique des territoires, les habitudes de travail des élus, et la manière de porter ensemble des projets. Cela m’apparaît terriblement dangereux.
Au demeurant, le problème des départements et des régions, que nous avions voulu régler en créant le conseiller territorial, vient uniquement du problème de la trop petite taille des régions dans notre pays. Mon département a un budget supérieur d’environ 300 millions d’euros à la région à laquelle il appartient. Des régions composées de quatre ou cinq départements n’ont plus aucune justification à l’échelle européenne, et un gouvernement rénovateur, moderne et réformateur devrait nous proposer de grandes régions. La région Poitou-Charentes devrait fusionner avec l’Aquitaine : notre capitale, c’est Bordeaux. Les deux Normandie devraient être unifiées, ainsi que les Pays-de-la-Loire et la Bretagne. Il nous faudrait dix régions à l’échelle européenne, celle des Länder ou des régions espagnoles ou italiennes, pour que disparaisse le problème des départements et des régions. Ces régions auraient la taille critique européenne pour porter les projets d’aménagement du territoire, et les départements pourraient gérer la proximité, l’aménagement, le tissu social, le lien social. En touchant au mode de scrutin sans toucher au fond, c’est-à-dire à la loi de décentralisation, vous vous mettez en grande difficulté.
Enfin, puisque vous êtes notre ministre de tutelle, celui des collectivités territoriales, je voulais vous faire part de notre grande misère, qui s’accroît. La Cour des comptes l’a parfaitement indiqué : les charges sociales ont doublé entre 2003 et 2011. Dans un département comme le mien, APAH, RMI et RSA ont multiplié les dépenses sociales par 2,64 sur cette période.
Pourtant vous nous annoncez la perte de trois milliards, non pas de subventions, mais bien de compensations de politiques dont les gouvernements ont chargé les collectivités au fil des années. Ce n’est pas comme s’il s’agissait de subventions de fonctionnement normales.
On nous annonce aujourd’hui la réforme des rythmes scolaires, et même si ce n’est pas le débat de ce soir, M. Peillon en parle souvent dans cet hémicycle. En dehors de la charge pour les communes, la charge des transports scolaires sera énorme pour les départements.
M. François Sauvadet. C’est vrai !
M. Dominique Bussereau. Pour un département comme le mien, ce sont deux points de fiscalité obligatoire en année pleine, sans aucune compensation alors que le Gouvernement va diminuer les ressources des collectivités.
D’autres textes en préparation prévoient un alourdissement du fardeau des collectivités. Ainsi celui de Mme Batho concernant l’agence sur la biodiversité prévoit un prélèvement sur la taxe d’aménagement ; le projet de loi sur la refondation de l’école mettra à la charge des départements la maintenance des équipements informatiques et d’acquisition des logiciels ; le projet éducatif territorial propose de mettre à la charge des départements les activités périscolaires liées au tourisme et à la culture.
Vous n’êtes pas au point sur la décentralisation, et c’est dommage. Monsieur le ministre, vous aviez raison de rappeler que nous avions combattu l’idée de la décentralisation au départ. En 1982, nous avions tort, mais nous nous en sommes emparés avec tous les citoyens. Vous avez commis la même erreur en combattant les lois de décentralisation de M. Raffarin. Mais allez donc demander aujourd’hui aux TOS s’ils ne sont pas plus heureux sous l’autorité du président de conseil général dans leur collège, plutôt que lorsque chaque nomination était gérée depuis le ministère rue de grenelle. Prenez l’ensemble des personnels de l’équipement, vous aurez la même réponse.
Nous avons commis cette erreur en 1982, vous l’avez commise en 2003, nous sommes à égalité. Maintenant, nous sommes tous, à gauche comme à droite, des décentralisateurs. Les jacobins, les non-Girondins sont des exceptions chez nous, peut-être en reste-t-il encore dans le groupe de notre cher collègue Marc Dolez, mais ce n’est plus d’actualité et cela ne répond plus aux problèmes qui se posent.
Ce que je reproche au Gouvernement, c’est de mettre la charrue avant les bœufs. Vous eussiez dû faire voter une grande loi de décentralisation, et nous présenter des projets que nous aurions pu voter, parce qu’il peut y avoir consensus sur la décentralisation.
M. François Sauvadet. Il a raison !
M. Dominique Bussereau. Au lieu de cela, nous sommes dans une soupe électorale. Vous y mettrez tous les ingrédients que votre talent vous permettra d’y mettre, mais ce n’est pas ce que nous attendions, et croyez-moi, ce n’est pas ce qu’attendent les Français, et vous serez jugés là-dessus dès l’année prochaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Bussereau, laissez-moi vous dire combien j’ai apprécié votre ton : vous connaissez bien notre pays et les grands défis de la décentralisation.
Les grandes réformes : celle de 1982, celle de l’intercommunalité, celle de Jean-Pierre Raffarin, avaient un sens : le but était d’approfondir la décentralisation. Sans ouvrir de polémique inutile, vous savez que ce que nous avons reproché à la réforme territoriale portée par le président Sarkozy tient au fait qu’elle apparaissait plutôt comme une régression, comme une recentralisation.
Ces critiques étaient d’ailleurs partagées sur tous les bancs.
Il est bon de s’interroger et de faire le point sur la décentralisation. Sans doute a-t-elle perdu une part de sa force aux yeux de nos compatriotes, pour des raisons liées à l’empilement des échelons, aux problèmes posés par les finances des collectivités territoriales et à une crise de la représentation politique. Ce sera évidemment un rendez-vous que le Gouvernement vous proposera.
Certes, je peux considérer que votre analyse selon laquelle il aurait fallu examiner d’abord le texte relatif à la décentralisation et aborder ensuite la question des scrutins est pertinente. Cependant, je le dis en toute transparence : nous sommes confrontés à un dilemme. Outre les élections municipales de 2014, des rendez-vous étaient prévus par la loi relative au conseiller territorial ; si nous laissons passer trop de temps, nous dépasserons la date prévue, y compris pour changer les modes de scrutin qui concernent, à travers l’intercommunalité, les élections municipales. Vous nous reprocheriez alors, à juste titre, de ne pas respecter l’esprit ni la lettre de la décision du Conseil constitutionnel sur ce sujet, d’où le texte que je vous présente.
Cependant, nous aurons l’occasion de discuter d’un projet de loi sur cette nouvelle phase de la décentralisation, ainsi que du report des élections cantonales et régionales en 2015 – j’y reviendrai. Nous devrons débattre de l’organisation de l’État – cette question est de ma responsabilité – et des collectivités territoriales – celle-là relève de celle de ma collègue Marylise Lebranchu. Ce débat se tiendra évidemment devant le Parlement. La Constitution prévoit que le texte sera d’abord débattu au Sénat, mais je ne doute pas qu’il trouvera à l’Assemblée nationale un prolongement particulièrement utile.
Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention sur le sujet de l’intercommunalité. Le Gouvernement a repris la réforme de la carte et la rationalisation initiées par le gouvernement précédent, avec des modifications qui visaient plutôt à répondre à certaines attentes, demandes ou suggestions des élus locaux. L’achèvement de cette carte a d’ailleurs fait l’objet d’une communication très précise de Mme Escoffier en conseil des ministres la semaine dernière.
Chacun le reconnaît, et vous l’avez dit : l’intercommunalité assume de plus en plus de responsabilités. L’élection directe des représentants intercommunaux est une exigence démocratique. Par le mécanisme du fléchage, nous avons veillé à ne pas politiser outre mesure l’intercommunalité à ce stade, et surtout à ne pas mettre à mal la commune, même si, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous savons tous qu’il faudra sans doute aller plus loin en 2020, notamment pour les grandes intercommunalités. Je vous fais seulement part de mes réflexions, je n’annonce rien : cela n’aurait aucun sens. Reste qu’au vu des budgets et des responsabilités qu’assument les intercommunalités, le suffrage universel devra sans doute être progressivement instauré. Cependant, comme je l’ai dit dans mon propos initial, chacun d’entre nous est très attentif à préserver la commune, puisque les références à la commune et au maire font partie de celles que nos concitoyens veulent protéger, en tout cas à ce stade.
Le fléchage était déjà prévu par la loi de réforme des collectivités territoriales promulguée en décembre 2010 à l’initiative de la précédente majorité. Le Gouvernement ne fait donc que mettre ce principe en application, selon des modalités opportunément complétées par la commission des lois et garantissant à la fois le pluralisme, la parité et la représentation de chacune des communes membres de la communauté de communes ou d’un autre type d’établissement de coopération intercommunale.
Contrairement à ce qui a été affirmé tout à l’heure par l’un des orateurs de l’opposition, je suis convaincu – mais je n’oserai peut-être pas m’aventurer sur ce terrain – que la parité ne posera pas de difficulté dans les petites communes, et donc dans l’intercommunalité.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Aucun !
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il n’y aura pas de problème !
M. Manuel Valls, ministre. Je vous l’assure ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.)
Vous verrez : à chaque fois, c’est toujours le même argument qui est opposé. On nous l’avait opposé en 1997, quand le choix de la parité a été fait par Lionel Jospin. À l’époque, Daniel Vaillant – qui assistait à nos débats il y a quelques instants – était chargé des élections au sein de ma formation politique : on nous prévenait que présenter autant de femmes aux élections législatives de 1997 – nous pensions en l’occurrence à 1998, puisque la dissolution a cueilli tout le monde à froid – était risqué,…
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est toujours un risque !
M. Manuel Valls, ministre. …puisque nous n’avions qu’une cinquantaine de députés sortants.
M. Bernard Roman. Et on a gagné !
M. Manuel Valls, ministre. Cela ne nous a pourtant pas empêchés de gagner– je pense même que cela a été un atout pour notre victoire. Le même phénomène s’est répété en 2012. En dépit des difficultés, la présentation paritaire de deux candidats constituera forcément un changement, y compris vis-à-vis d’un certain nombre de pratiques.
J’en arrive au redécoupage cantonal et à la carte intercommunale. Les cantons sont des circonscriptions électorales, tandis que les intercommunalités sont des structures administratives et de gestion, aujourd’hui encore de simples établissements publics même si elles sont amenées à évoluer. Leur nature est donc fondamentalement différente. Cela étant, il est bien entendu que le Gouvernement tiendra compte, autant que faire se peut, de la carte intercommunale dans le respect des critères essentiellement démographiques qui doivent guider les opérations de redécoupage cantonal. Dans nos opérations de redécoupage, nous devrons évidemment tenir compte de la carte de l’intercommunalité et intégrer la nature des territoires – certains amendements vont dans ce sens –, qu’il s’agisse de territoires littoraux, de montagnes, de vallées…
M. Dominique Bussereau. Ou d’îles !
M. Manuel Valls, ministre. Ou d’îles ! Vous avez tout à fait raison : c’est prévu. Un certain nombre d’exceptions seront intégrées dans le redécoupage cantonal.
Monsieur Bussereau, vous étiez opposé au conseiller territorial, ce qui vous honore. De toute façon, comme je le rappelais tout à l’heure, le statu quo était impossible, car il aurait fallu procéder à un redécoupage massif,…
M. François Sauvadet. Non !
M. Manuel Valls, ministre. …et non à un simple redécoupage partiel comme cela a été le cas à d’autres occasions. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a plus de cantons aujourd’hui, car la loi qui s’applique est celle qui met en place le conseiller territorial.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Absolument !
M. Manuel Valls, ministre. Si nous ne votions pas le présent projet de loi, c’est la loi précédente relative au conseiller territorial qui s’appliquerait.
M. Alain Chrétien. Mais non ! Vous l’avez abrogée !
M. Manuel Valls, ministre. Nous aurions pu revenir au conseiller général simple, mais nous aurions alors dû appliquer les principes dégagés par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, ce qui aurait impliqué un redécoupage pratiquement total, tellement les inégalités sont lourdes et criantes dans nombre de départements. Le maintien du conseiller territorial nous aurait aussi amenés à un redécoupage massif.
Nous nous entourons d’un certain nombre de précautions. Monsieur Bussereau, vous raillez avec beaucoup d’humour le redécoupage – c’est l’homme d’expérience qui parle ! –, mais c’est justement tout le problème. Remarque que, dans d’autres pays, le redécoupage est autrement plus sauvage, pour ne pas reprendre les termes employés tout à l’heure. En Grande-Bretagne, il ne fait pas l’objet d’une loi : il est effectué directement par le pouvoir exécutif. Il en est de même aux États-Unis. Pour notre part, nous avons adopté un certain nombre de principes et décidé de préparer un décret par département, qui serait examiné par le Conseil d’État. Comme nous l’avons prévu depuis longtemps, tous les conseils généraux pourront donner leur avis ; tous les présidents de conseils généraux et les élus des départements seront évidemment consultés, pour que ce redécoupage soit le plus proche de l’intérêt général. Cela n’a jamais été fait par le passé, et c’est d’ailleurs la première fois qu’une majorité de gauche est confrontée à un tel découpage – cela n’a jamais été le cas pour les élections législatives, ni pour les élections cantonales…
M. Dominique Bussereau. Vous oubliez 1982 !
M. Manuel Valls, ministre. Il n’avait pas eu ce caractère massif…
M. Alain Marc. Il était lourd, quand même !
M. Manuel Valls, ministre. Il s’agissait seulement d’ajustements de populations : le redécoupage n’avait absolument rien à voir, je vous l’assure.
Cela dit, vous avez entièrement raison : ce n’est pas un mode de scrutin qui change l’avis ou le sentiment du peuple quand il s’exprime. Je le crois profondément.
Enfin, je ferai quelques observations sur les autres modes de scrutin que vous avez évoqués. Je ne sais pas d’où vient votre inquiétude concernant les élections régionales : aucune modification du mode de scrutin n’est prévue.
M. Bernard Roman. On ne modifie que la date !
M. Manuel Valls, ministre. Je me suis expliqué du changement de date tout à l’heure, comme je l’avais déjà fait devant la commission des lois. Ce changement est logique et cohérent : nous couplons les élections régionales aux élections départementales, ce qui devrait permettre une meilleure participation, sans aucun changement du mode de scrutin.
S’agissant de l’élection européenne, le débat est ouvert. S’il y a une volonté de changement, le Président de la République, le Premier ministre ou le ministre de l’intérieur sera amené à en discuter avec les différentes formations politiques. Nous connaissons les avantages et les inconvénients des deux systèmes. Le mode de scrutin actuel a été défendu il y a quelques jours par le président de la commission des lois qui, en bon Breton, s’est exprimé en, avec beaucoup de sagesse. Effectivement, faisons attention à ne pas changer régulièrement ce mode de scrutin, mais le débat est ouvert au sein de la majorité : j’imagine que nous aurons l’occasion d’en reparler si cela s’impose.
Quant au mode de scrutin des élections législatives, le Président de la République a pris un engagement, qu’il a encore rappelé il y a quelques semaines, sur l’introduction d’une dose de proportionnelle. Quand cette décision sera prise, elle fera aussi l’objet d’un vaste débat. Mais, monsieur Bussereau, même si vous n’avez pas toujours été d’accord avec lui – je l’ai compris au sujet du conseiller territorial –, je vous renvoie à la déclaration de Nicolas Sarkozy le 19 février 2012, à l’occasion de son premier grand meeting à Marseille : le précédent président de la République se prononçait pour l’introduction d’une part de proportionnelle aux élections législatives.
M. Bernard Roman. Faites attention : s’il revient, il va le faire !
M. Manuel Valls, ministre. Si nous devions proposer une telle modification, je ne doute pas que cette déclaration devrait nous permettre de trouver un large consensus sur ce sujet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Alain Marc. Moi, je n’étais pas d’accord !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Comme M. le ministre de l’intérieur, je veux à mon tour remercier M. Bussereau pour la modération de la dissertation étayée sur l’avenir de la décentralisation qu’il nous a proposée. Elle tranche avec la tonalité des deux précédents orateurs, mais il est vrai que M. Bussereau ne demandait pas le rejet du texte, mais simplement son renvoi en commission.
Quelques points spécifiques méritent d’être précisés. S’agissant de l’intercommunalité et de la représentation des minorités dans les assemblées délibérantes des EPCI, l’alinéa 18 de l’article 20 du projet de loi rend nécessaire et obligatoire cette pratique progressiste et recommandée d’un certain nombre de maires qui ouvrent à leur opposition municipale une place dans les conseils des intercommunalités.
De même – je fais cette précision puisque même un grand journal du soir s’y est trompé la semaine dernière –, aucune des dispositions de ce texte relatives à la réduction du nombre de conseillers municipaux ne comporte une modification du corps électoral du Sénat : l’article 18 bis, dans ses alinéas 3 à 7, rétablit exactement le même nombre de représentants dans les communes d’une même strate de population. Une bizarrerie du code électoral faisait que le nombre de grands électeurs était lié au nombre de sièges du conseil municipal et non à la strate démographique de la commune…
Le texte ayant fait l’objet d’un long travail en commission, il ne me semble pas nécessaire de l’y renvoyer : j’appelle donc au rejet de cette motion.
Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. François Sauvadet. Au vu des questions posées aujourd’hui dans cette assemblée, il est nécessaire de renvoyer ce texte en commission.
En premier lieu, je souhaite saluer le travail du président de la commission qui, dans un laps de temps très restreint, a permis que le débat se déroule y compris à l’heure du déjeuner et se termine à quatorze heures trente, nous laissant juste le temps de participer aux questions au Gouvernement. Toutefois, malgré la bonne volonté du président de notre commission, nous n’avons pas eu le temps d’aborder notamment le chapitre des propositions.
Je m’étonne d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous ayez dit tout à l’heure qu’il n’y avait pas eu de propositions : nous en avons fait, et je regrette qu’elles n’aient pas été suffisamment discutées et abouties pour opposer des arguments à ce que vous présentez comme un grand progrès, et qui va d’abord se traduire, à notre sens, par la mort de la représentation des territoires ruraux…
M. Yannick Favennec. C’est vrai !
M. François Sauvadet. …– je crois qu’il faut le dire aussi clairement – et par des modes de fonctionnement que vous qualifiez d’avancées et qui introduiront indiscutablement des comportements nouveaux. Quand deux personnes élues en même temps sur ce que vous appelez un début de liste – il faudra que vous nous précisiez votre pensée – exerceront leur mandat indépendamment l’une de l’autre sur un territoire vaste,…
M. Pascal Popelin, rapporteur. Exactement comme les sénateurs !
M. François Sauvadet. …je ne vois pas comment les choses se passeront concrètement. Je ne vous décris pas le vaste chantier pour faire émerger des majorités dans un tel contexte… Ce mode d’élection va peser gravement sur l’avenir du pays.
Monsieur le ministre, nous avons la chance d’avoir un grand pays, plus grand que l’Allemagne et le Portugal réunis. Nous avons la chance d’avoir un immense territoire rural. Partir de ce principe que c’est le fait démographique qui doit l’emporter sur toute autre considération n’est pas la meilleure des réponses s’agissant de collectivités territoriales. Au moment où vous envisagez de réviser notre Constitution, pourquoi ne pas réaffirmer, à l’occasion de l’examen de ces textes, qu’une collectivité territoriale a en charge de représenter les populations qui vivent sur les territoires et ne pas imposer le seul fait démographique dont vous venez de dire qu’il était prioritaire ?
Mme la présidente. Merci.
M. François Sauvadet. Il y a urgence à retourner en commission afin de pouvoir approfondir un sujet d’une telle importance.
M. Yannick Favennec. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. J’ai bien entendu les propos de notre collègue Bussereau.
Les EPCI jouent un rôle important dans l’économie, et pour cause : il s’agit d’une compétence obligatoire. Mais ils vont bien au-delà en s’occupant également de la petite enfance, du sport, de la voirie, des déchets, parfois même directement de l’école. Or c’est là que se prennent les décisions et que se font les investissements. Il paraît donc assez normal que les citoyens sachent qui les représente au sein des EPCI. Si l’on poussait la logique jusqu’au bout, les EPCI seraient directement élus au suffrage universel. Vous me direz : quid de la représentation communale ? En effet, il faudra trouver une solution. Mais comme l’on remarque souvent qu’il y a trop de communes en France, ce serait peut-être une façon d’avancer vers une fusion de communes.
La suppression du département serait, avez-vous dit, une vision parisienne. Je ne vois pas en quoi les départements peuvent concurrencer Paris. Leur création en 1790 devait favoriser la centralisation et empêcher toute décentralisation. En Bretagne, on doit alors être un peu parisiens…parce qu’on n’est pas toujours très favorables aux départements. Les véritables lois de décentralisation sont les lois Defferre. Chez nous, la dynamique des territoires se fait plus par le biais de la région, mais cela tient peut-être à notre histoire.
S’agissant du découpage régional dont vous avez parlé, je ne comprends pas pourquoi, en 1973, on a eu la très mauvaise idée d’enlever le département de Loire-atlantique à la Bretagne.
M. Dominique Bussereau. Ça, c’est vrai.
M. Paul Molac. Cette région formait un tout et n’avait pas besoin de se retrouver avec un département en moins. C’est la raison pour laquelle nous plaidons pour le retour de la Loire-atlantique dans la région Bretagne.
Si l’échelon régional se limite à un échelon administratif, cela ne marchera pas. Cela reviendrait à une région sans cœur, sans odeur, oserais-je dire, sans dynamique. Si cela marche en Bretagne, c’est parce que les citoyens s’y reconnaissent.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Le renvoi en commission ne se justifierait que s’il y avait eu une démonstration d’une insuffisance de l’étude d’impact. Aucune argumentation dans ce sens n’ayant étayé la demande de notre excellent collègue Bussereau, nous voterons contre.
Cela dit, je poserai deux questions à M. le ministre. Eu égard au nombre de départements et de régions, je pense qu’il faudra, dans l’avenir, les fusionner. Première question : en ce cas de fusion de deux départements, quelles règles s’appliqueront en raison de la nouvelle majorité départementale des deux nouveaux départements ? Question technique, mais qui n’est pas si simple à résoudre.
M. Bernard Gérard. Voilà pourquoi il faut renvoyer le texte en commission !
M. Alain Tourret. Seconde question : à supposer que le Conseil constitutionnel soit saisi par nos collègues de l’opposition et rejette leur recours au motif que la parité a une valeur quasi constitutionnelle, cela s’appliquera-t-il dans le cadre des nouvelles recompositions des élections législatives ? Autrement dit, faudra-t-il diviser par deux, pour arriver à la parité législative, l’ensemble des circonscriptions législatives et proposer le binôme au niveau de toutes les élections législatives ?
Mme Marie-Jo Zimmermann. Ce ne serait pas mal !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. J’ai indiqué tout à l’heure les raisons pour lesquelles notre groupe ne votait pas les motions de procédure. Mais je profite de l’occasion de l’intéressante intervention de notre collègue Dominique Bussereau pour préciser un point en ce qui nous concerne.
Pour nous, la décentralisation ne peut se concevoir sans le rôle de l’État. L’État ne doit pas se défausser de ses missions sur les collectivités territoriales ni se replier sur ses seules compétences régaliennes : l’État doit être le garant de l’égalité des citoyens, le garant de la non-mise en concurrence des territoires tant les fractures sont aujourd’hui criantes. Enfin, il doit être le garant de l’accès de tous aux services publics, et partout.
Cette précision est aussi un souhait que je formule à l’intention du Gouvernement et de M. le ministre pour que l’État ne soit pas le grand absent de l’acte III de la décentralisation.
M. Jean-Pierre Dufau. Très juste !
M. Jean-Luc Laurent. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. En réponse à l’analyse très profonde et solide de M. Bussereau, je dirai : oui, nous innovons ; oui, nous changeons les règles des intercommunalités qui géraient jusqu’à présent de manière bon enfant des compétences obligatoires, lesquelles exigeaient des outils techniques, performants et complexes que chaque commune ne pouvait gérer seule. On passe à des intercommunalités de projets et d’investissements, à de la puissance dans une complexité administrative, juridique, financière et technique, évidente aujourd’hui car la plupart des collectivités ont des appels d’offre à l’échelle au moins européenne.
Ce nouveau mode de gestion nous impose d’aller clairement vers un caractère politique des intercommunalités et d’imposer le fléchage pour être clair vis-à-vis de nos concitoyens. Il est important de rappeler que les intercommunalités ont, maintenant, de la puissance, de la technicité. Il faut donc qu’elles soient claires sur le plan politique.
Nous changeons la nature même de la représentation avec la parité. C’est une grande nouveauté. Je rappelle également que les conseillers généraux ne gèrent pas leur territoire, ils le représentent.
M. Patrice Verchère. Les deux en même temps.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Ce sont des facilitateurs et c’est bien le conseil départemental qui tranche, son président ou sa présidente. Il y a actuellement très peu de femmes conseillères générales et, par conséquent, encore moins de présidentes. Avec l’introduction de la parité, on parviendra peut-être à une parité dans la présidence des exécutifs départementaux.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Peut-être en effet !
M. Patrice Verchère. À quand la coprésidence ?
Mme Anne-Yvonne Le Dain. À force de vouloir représenter les territoires, et donc une géographie, on oublie quelque chose d’essentiel : les élus doivent représenter les citoyens, leur histoire, leur vie.
M. Bernard Roman. Très bien !
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nous ne sommes plus à l’époque où il fallait pouvoir atteindre le chef-lieu en moins d’une journée de cheval.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nous sommes à l’heure d’internet, chers collègues. Deux personnes, un homme, une femme, internet et un nombre de citoyens : ça, c’est républicain ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Merci de conclure, madame la députée.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nous changeons la nature même de la représentation. Nous changeons les règles. Nous avançons. Sachons faire confiance aux territoires, aux nouvelles intercommunalités, aux conseillers communautaires d’agglomération, de départements, de régions.
Mme la présidente. Merci, madame la députée.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Faites confiance à ceux qui vont rester et à tous les nouveaux et les nouvelles qui vont arriver ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Le groupe UMP votera l’excellente motion de renvoi en commission présentée par notre collègue Dominique Bussereau.
Vos réponses nous rassurent en rien, monsieur le ministre de l’intérieur. S’il y a bien une chose que vous confirmez, c’est que la créativité électorale du Gouvernement est en marche. Pour la première fois, vous venez d’annoncer dans cet hémicycle que le Gouvernement prépare, ainsi que la presse le disait, une modification du mode de scrutin des élections européennes.
M. Manuel Valls, ministre. Pas du tout.
M. Guillaume Larrivé. La majorité sera consultée, avez-vous dit. Il serait intéressant que l’opposition le soit également.
Vous avez confirmé que vous préparez une modification du mode de scrutin des élections législatives et vous vous lancez dans une opération de redécoupage total des cantons. Nous en discuterons au moment de l’examen de chaque article. Nous soutenons avec force que, contrairement à ce que vous indiquez, un redécoupage total n’est pas rendu nécessaire même par la création de votre binôme.
En réalité, dès lors que vous choisissez de supprimer le conseiller territorial, vous pourriez revenir au conseiller général et vous seriez alors amenés à corriger dans certains départements, ponctuellement, les contours des cantons.
M. Bernard Roman. Et la parité ?
M. Jean-Pierre Dufau. Cela ne les intéresse pas !
M. Guillaume Larrivé. Vous pourriez procéder à ces ajustements ponctuels ; vous préférez procéder à un redécoupage total dans des conditions qui n’ont rien à voir avec la transparence. Preuve en est, monsieur le ministre, votre refus de la commission pluraliste que nous appelons de nos vœux.
M. Marc Le Fur. La preuve est faite !
M. Guillaume Larrivé. Si vous étiez totalement honnête dans vos propos, vous accepteriez qu’une commission présidée par un député de l’opposition donne son avis sur chacun des redécoupages que vous envisagez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Je prie la représentation nationale de bien vouloir excuser mon absence à la reprise des débats à vingt et une heures trente. Pris par une réunion, je serais absent pendant environ trois quarts d’heure ou une heure, mais le Gouvernement sera bien sûr représenté. J’en ai informé l’orateur qui défendra la motion de renvoi en commission du projet de loi organique.
Monsieur Larrivé, le gouvernement précédent avait prévu une modification substantielle de la loi électorale avec le conseiller territorial. Devant les Français, le candidat François Hollande aujourd’hui Président de la République s’est engagé à abroger le conseiller territorial.
M. Bernard Roman. Et il le fait.
M. Manuel Valls, ministre. Nous le faisons et c’est l’objet de ce texte de loi. Nous pouvons être en désaccord, mais personne ne peut soutenir qu’il n’était pas au courant, même si je suis convaincu que ce n’était pas le sujet principal du choix des Français – encore que – à l’occasion des élections présidentielles.
Deuxièmement, le Président de la République s’est engagé – il l’a réaffirmé il y a quelques semaines – à une introduction d’une dose de proportionnelle au sein du scrutin législatif. De toute façon, je vous le rappelle, nous aurions eu ce rendez-vous si le Président de la République sortant avait été réélu puisqu’il s’y était lui-même également engagé lors de son premier meeting de campagne à Marseille.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Il a dit la même chose en effet.
M. Manuel Valls, ministre. Troisièmement, je vous ai indiqué qu’il n’y aurait pas de modification du scrutin régional et que nous étions en train de vous proposer – c’est le sens de ce texte – le report des élections régionales à 2015. Je ne sais à quelle rumeur vous faisiez allusion.
Enfin, pour que les choses soient claires – et je mets les points sur les i –, je ne vous confirme en rien la modification du scrutin des élections européennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseilleurs municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral, et du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (discussion générale commune).
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale,
Nicolas Véron