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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 16 janvier 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

1. Déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces francaises au Mali et débat sur cette déclaration

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

M. Jean-François Copé

M. Bruno Le Roux

M. Hervé Morin

M. François de Rugy

M. François Asensi

M. Gérard Charasse

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces francaises au Mali
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces armées en réponse à la demande d’intervention militaire formulée par le président du Mali, et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, depuis plusieurs années la montée du terrorisme au Sahel est une source croissante de préoccupation. La dégradation de la situation au Mali en 2012 a hélas confirmé que les pires scénarios étaient possibles.

L’assaut des groupes terroristes qui ont conquis une partie du territoire de ce pays a provoqué une profonde déstabilisation de l’État malien, une atteinte inacceptable à sa souveraineté et la constitution d’un sanctuaire terroriste à près de 2 500 kilomètres du territoire national. C’est donc toute une région, déjà vulnérable, dont la sécurité et la stabilité sont mises en danger. C’est aussi une menace qui pèse sur l’Europe et sur la France.

À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre dernier, le Président de la République avait averti que la situation créée par l’occupation d’un territoire au nord du Mali par des groupes terroristes était insupportable, inadmissible et inacceptable, non seulement pour le Mali, mais également pour tous les pays de la région et, au-delà, pour tous les États qui font preuve de détermination dans leur lutte contre le terrorisme.

La France a donc agi pour mobiliser la communauté internationale, et nous pouvons affirmer que nos initiatives diplomatiques ont porté leurs fruits.

Après deux premières résolutions, le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé, le 20 décembre dernier, le déploiement d’une force africaine de stabilisation, la MISMA.

L’Union européenne a, quant à elle, décidé d’une opération de soutien, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune.

C’est probablement pour y faire obstacle que, pour la première fois, les groupes terroristes…

M. Guy Teissier. Islamistes !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …présents au nord du Mali, AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine, ont regroupé leurs forces afin de lancer l’offensive contre les villes commandant l’accès à Mopti à l’Est, et à Ségou à l’Ouest, en direction de Bamako.

Dès le 9 janvier, le président du Mali a lancé à la France une demande d’assistance militaire. La prise de Konna, le 10, a achevé de nous convaincre que nous étions bien devant une agression caractérisée qui mettait en jeu l’existence même de l’État malien et que les forces armées maliennes n’avaient pas les moyens d’y résister seules.

Le Conseil de sécurité a confirmé dès le 10 janvier cette menace directe pour la paix et la sécurité internationales. Le Président de la République a donc décidé le vendredi 11 que la France devait intervenir militairement, sans attendre, en appui aux forces armées maliennes.

Face à des adversaires dangereux, bien équipés et déterminés, la France poursuit des objectifs parfaitement clairs. Je souhaite les rappeler devant vous.

Le premier objectif est d’arrêter l’avancée des groupes terroristes vers Bamako. Le deuxième consiste à préserver l’existence de l’État malien et à lui permettre de recouvrer son intégrité territoriale. Le troisième est de favoriser l’application des résolutions internationales à travers le déploiement de la force africaine de stabilisation et l’appui aux forces armées maliennes dans leur reconquête du Nord.

Le Président de la République l’a affirmé avec détermination : notre intervention durera le temps nécessaire pour atteindre ces trois objectifs. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Les moyens engagés y répondront strictement. Aujourd’hui, 1 700 militaires français sont engagés dans l’opération Serval, dont 800 sur le territoire malien. Notre dispositif aérien est composé de douze avions de chasse et de cinq ravitailleurs. Notre dispositif terrestre comprend actuellement un état-major tactique, deux compagnies de combat et un escadron blindé. L’ensemble de nos moyens continue à monter en puissance.

Les efforts se concentrent, d’une part, sur l’aide aux forces armées maliennes, pour arrêter la progression des groupes terroristes, en combinant une action aéroterrestre des forces spéciales, engagées dès les premières heures, des frappes aériennes et un appui par des unités terrestres. Les premiers éléments des compagnies françaises arrivées à Bamako ont commencé leur progression vers la zone de combat.

Les efforts portent, d’autre part, sur les actions aériennes mobilisant nos avions de chasse basés à N’Djamena ou en métropole. Elles visent, dans la profondeur, les bases arrière des groupes terroristes, pour leur infliger les pertes les plus importantes possibles et neutraliser leur capacité offensive sur l’ensemble du territoire malien.

À cet égard, il ne saurait être question de figer l’actuelle ligne de front, laquelle n’est rien d’autre que le résultat d’une division artificielle du Mali et d’un rapport de forces que nous avons précisément la volonté de modifier.

La France agit, je le rappelle, à la demande des autorités légitimes du Mali qui, à deux reprises, lui ont lancé un appel à l’aide. Elle s’inscrit dans le respect de la charte des Nations unies et de son article 51, en parfaite cohérence politique avec les résolutions du Conseil de sécurité.

Le secrétaire général des Nations unies a d’ailleurs salué notre réponse à la demande souveraine du Mali. Au Conseil de sécurité, une grande majorité d’États membres a rendu hommage à la rapidité de notre intervention, dont l’opportunité et la légalité sont incontestées.

De fait, la France n’est pas seule. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Notre décision bénéficie d’une large approbation internationale. Elle a été accueillie, je dois le rappeler, avec soulagement par les États africains unanimes, lesquels sont d’ailleurs prêts à se mobiliser. L’Algérie nous a accordé les autorisations de survol nécessaires. À cet égard, je me suis entretenu il y a quelques instants avec le premier ministre algérien, qui a confirmé la fermeture de la frontière avec le Mali pour ne laisser pénétrer aucune des forces terroristes qui seraient amenées à s’échapper à la suite de notre intervention. (Nouveaux murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Nos partenaires européens sont eux aussi au rendez-vous, mettant à notre disposition des moyens logistiques de transport ou de ravitaillement en vol. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et le Danemark devraient très rapidement être rejoints par d’autres.

Nous pouvons aussi compter sur le soutien des États-Unis et du Canada, sans compter les propositions que nous recevons d’autres pays.

Nous sommes intervenus en urgence pour éviter un effondrement du Mali, qui aurait rendu vaine toute initiative internationale. Nous avions donc le devoir d’agir vite. C’est ce que le Président de la République a décidé après le conseil de défense réuni vendredi dernier.

La priorité consiste à accélérer le déploiement de l’opération africaine, qui doit aider les autorités maliennes à reprendre le contrôle de leur pays.

D’ores et déjà, un échelon précurseur de l’état-major de la force africaine est arrivé à Bamako. De nombreux pays susceptibles d’envoyer des troupes ont exprimé leur volonté de participer à cette opération. Je pense au Nigeria, au Sénégal, mais aussi au Bénin, au Burkina Faso, à la Côte d’Ivoire, au Niger, au Tchad et au Togo, sans compter d’autres pays qui vont suivre. En conséquence, les premières troupes africaines devraient être en mesure d’arriver à Bamako d’ici la fin de la semaine.

Une réunion des chefs d’état-major de la CEDEAO se poursuit actuellement dans la capitale malienne et un sommet de l’organisation aura lieu à Abidjan le 19 janvier ; la France y sera représentée comme observateur par le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius. Il s’agit d’autant d’occasions de poursuivre la mobilisation africaine et de préparer le déploiement opérationnel de la MISMA.

La France se mobilise également, avec ses partenaires, pour accélérer la mise en place de l’opération européenne EUTM-Mali, qui apportera les indispensables soutiens en matière de logistique et de formation.

Catherine Ashton, dont je salue la contribution, a convoqué demain à Bruxelles une session extraordinaire du Conseil des ministres des affaires étrangères. La France souhaite que cette réunion permette de créer l’EUTM-Mali, d’en désigner le commandement et d’envoyer dans les prochains jours une équipe de précurseurs sur le terrain. Lors de cette réunion seront également examinées les réponses à apporter à la situation humanitaire, qui se dégrade sur le terrain et dans les pays voisins du Mali.

J’ai évoqué hier les mesures adoptées par le Gouvernement dans le cadre du plan Vigipirate. Elles ont pour but de renforcer la sécurité du territoire national, notamment dans les transports et dans les bâtiments publics, ainsi que dans les lieux de culte.

La même attention est portée à la situation de nos quelque 6 000 compatriotes qui résident au Mali et que nous avons encouragés, pour ceux dont la présence n’est pas indispensable, à quitter ce pays, sans pour autant procéder à leur évacuation. La présence de nos forces offre naturellement une protection à notre communauté, principalement installée à Bamako.

Enfin, comme je l’ai fait ces derniers jours, je souhaite évoquer la situation de nos otages et l’angoisse de leurs familles. Nous sommes évidemment totalement solidaires, mais, une fois encore, n’oublions pas que ceux qui détiennent nos otages sont ceux-là mêmes qui voulaient s’emparer de la totalité du Mali. Ne rien faire n’aurait en aucun cas contribué à la libération de nos otages.

Dans ces circonstances, je sais pouvoir compter sur l’unité de l’ensemble des forces politiques de notre pays pour soutenir l’action qui a été engagée par la France après la décision du Président de la République et du Gouvernement. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Et les Verts ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Cet engagement et ce soutien, nous les devons à nos soldats qui, au péril de leur vie, sont engagés sur un terrain difficile aux côtés de l’armée malienne.

À nouveau, je veux saluer leur courage et leur professionnalisme. Ils forcent l’admiration de nos compatriotes. J’ai présidé hier l’hommage solennel rendu par la nation au chef de bataillon Boiteux et je renouvelle ici, comme vous l’avez vous-mêmes fait hier, toute ma solidarité à sa famille, de même que la solidarité de la nation.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, pour toute démocratie l’engagement des forces armées est une décision grave. Mais, nous pouvons aujourd’hui le constater, notre intervention a manifestement changé la donne.

Sur le terrain, nous sommes parvenus à arrêter l’offensive des groupes terroristes, dès le premier jour, le 11 janvier, à l’est et, depuis mardi, à l’ouest.

À Bamako, les institutions de transition, qu’il s’agisse du Président ou du Premier ministre, sont ainsi confortées.

C’est un élément là aussi essentiel. Car, nous en avons la conviction et la volonté, une paix durable au Mali passe bien sûr par une solution politique, c’est-à-dire l’adoption d’une feuille de route de la transition ouvrant la perspective d’élections démocratiques organisées sur tout le territoire malien.

D’après les indications recueillies à Bamako, le Premier ministre Cissoko souhaite aller vite : il a déjà consulté les partis politiques sur la feuille de route qui sera prochainement présentée au conseil des ministres puis au parlement malien. Une cellule de suivi sera créée pour en assurer la mise en œuvre.

La donne devrait également changer entre le sud et le nord du Mali. Le retour à l’intégrité territoriale devra s’accompagner d’une négociation destinée à établir les modalités d’une paix durable entre toutes les composantes du Mali et sur tout son territoire, à l’exception bien sûr des groupes terroristes.

Notre ambition est également de donner une nouvelle perspective de développement au Mali et à toute cette région de l’Afrique. Car il n’y aura pas de stabilisation du Mali sans perspective d’avenir pour sa population.

D’ores et déjà, je salue l’intention de la Commission européenne de relancer son aide budgétaire au Mali, qui représente un apport de 92 millions d’euros. La France reprendra elle aussi son aide bilatérale, une fois la feuille de route de la transition adoptée.

En décidant de répondre à l’appel au secours du Mali, la France a montré sa détermination à lutter contre le terrorisme.

Dans ces moments difficiles et alors que nos troupes sont engagées à l’étranger, l’unité de la nation est un atout irremplaçable. Je salue l’esprit de responsabilité dont toutes les forces politiques ont témoigné depuis le 11 janvier. (« Et les Verts ? » sur quelques bancs du groupe UMP.)

Face à la menace des groupes terroristes, la détermination du Gouvernement ne faiblira pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP, UDI et UMP)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé.

M. Jean-François Copé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues, voilà six jours maintenant que nos forces armées sont engagées au Mali contre les forces terroristes islamistes.

Par la décision du Président de la République, la France, chacun l’a compris, est engagée dans un conflit difficile. François Hollande a parlé de jours, puis de semaines. La vérité est que personne ne peut en préjuger. Il ne sert à rien de se le masquer : ce conflit sera probablement de longue durée. Il vous appartiendra donc, monsieur le Premier ministre, de nous en rendre compte régulièrement.

Pour beaucoup de Français, ce conflit rappelle l’engagement de la France en Afghanistan.

M. François Loncle. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-François Copé. Il est d’une intensité réelle puisqu’à terme, nous avez-vous dit, 2 500 soldats au moins seront déployés. Il s’agit d’une action militaire majeure, qui ne se limite pas à des raids aériens et comprend le déploiement de troupes au sol.

Conformément à la Constitution, le Parlement doit pouvoir s’exprimer sur cette décision grave. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, d’avoir permis ce débat.

Cet après-midi, je veux à nouveau apporter le soutien de l’UMP à cette intervention. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Oui, en cette circonstance exceptionnelle, la principale force d’opposition républicaine de notre pays soutient la décision du Président de la République de venir en aide au gouvernement malien dans sa lutte contre le terrorisme. Je vous le dis ici : nous souhaitons ardemment le succès de l’opération en cours. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, UDI, SRC et RRDP.)

Comme je l’ai toujours dit, monsieur le Premier ministre, vous avez face à vous une opposition tonique, implacable à chaque fois que cela est nécessaire. Mais elle est toujours constructive et responsable. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cette opposition n’a qu’un seul guide, une seule boussole : l’intérêt supérieur de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Alors que nos soldats sont engagés, que nos ressortissants sont exposés, que des otages sont menacés, l’esprit d’union nationale doit s’imposer à tous et prévaloir sur les querelles subalternes.

Ce qui m’amène d’ailleurs, monsieur le Premier ministre, à vous confier mon étonnement de voir cette union nationale remise en cause au sein de votre majorité. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Jean Glavany. Politicien toujours !

M. Jean-François Copé. Je veux le dire très simplement : nous sommes troublés par les propos déplacés de certains de vos alliés électoraux verts. Ceux-ci ont utilisé des termes que nous avons trouvés, pour notre part, choquants. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Je vous le dis avec courtoisie et sincérité : vous commettriez à nos yeux une faute politique en les laissant passer sans réagir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

Je veux dire cet après-midi notre soutien sans faille aux soldats engagés sur les théâtres d’opérations extérieures, particulièrement au Mali. Je veux leur dire la reconnaissance des Françaises et des Français. Notre peuple est fier de ces femmes et de ces hommes qui se battent au péril de leur vie pour défendre nos valeurs et nos intérêts. Leurs familles doivent savoir notre admiration et notre soutien.

Hier, lors de l’hommage national rendu au chef de bataillon Damien Boiteux, c’est le peuple tout entier qui a exprimé son respect et sa gratitude envers ce soldat exemplaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Au nom de l’UMP, je veux également dire que nos pensées vont vers les otages détenus par ces mêmes terroristes que nous combattons et vers leurs familles, tous si durement éprouvés. Cette opération en Somalie, dont l’issue fut si malheureuse, renforce encore davantage leurs inquiétudes. Qu’ils soient assurés de notre pleine solidarité.

Monsieur le Premier ministre, nous soutenons l’intervention au Mali car elle est juste et nécessaire. C’est la sécurité de la France qui est en jeu. C’est la sécurité de l’ensemble des Français sur le territoire national comme dans le monde entier qui est directement concernée.

Comment d’ailleurs pourrions-nous laisser un État narcoterroriste s’établir par la force dans la zone sahélienne, c’est-à-dire à nos portes ? À quoi aurait servi le combat en Afghanistan, contre les Talibans, si nous acceptions qu’un régime menaçant la paix et la sécurité internationales s’établisse au Mali avec un risque évident de contagion pour la région ?

Dans les deux cas, ce sont les mêmes forces qui sont à l’œuvre, tout aussi rétrogrades et menaçantes. Voilà pourquoi nous devons les combattre sans états d’âmes.

Nous soutenons cette intervention militaire car la France a agi, nous avez-vous dit, dans le plein respect de la légalité internationale. Je vous en donne acte. Nous la soutenons à ce jour et dans l’état actuel de nos informations, mais il est légitime qu’au nom du peuple français, le Parlement puisse poser des questions au chef de l’État et au Gouvernement sur ses modalités et ses objectifs.

Ce sont des questions que la majorité n’est sans doute pas à l’aise pour formuler et que l’opposition se doit de porter, comme l’ont fait par exemple et à plusieurs reprises mes amis Christian Jacob, Pierre Lellouche ou Bruno Le Maire, dans l’intérêt de la nation. Des questions, disons les choses, que des millions de Français se posent aujourd’hui.

Premièrement, nous devons vous interroger sur le délai de réaction de cette opération. Je vous ai écouté attentivement, mais je crois que les choses doivent être précisées. Pourquoi avoir tant tardé à agir ? Pourquoi cette opération survient-elle ces jours-ci, après tant d’attente ? Nous avons simplement besoin de comprendre, sans esprit polémique. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La crise malienne a débuté au mois de mars 2012. Depuis cette date, les groupes islamistes ont largement eu le temps de s’organiser et de se renforcer. Je veux croire que cette période a été mise à profit pour planifier cette opération, pour évaluer correctement les moyens nécessaires. Monsieur le Premier ministre, je veux croire que nous n’aurons pas de mauvaises surprises.

Nous nous interrogeons ensuite sur les objectifs précis de cette opération. Le Président de la République en a évoqué plusieurs, sans vraiment les hiérarchiser.

S’agit-il de prévenir en priorité une menace terroriste directe contre notre territoire ? S’agit-il de lutter contre le terrorisme international ? S’agit-il d’aider à la reconstitution de l’État malien ? Nous ne pouvons pas nous disperser. Il nous faut tirer, là encore, les leçons de l’Afghanistan.

Oui, une action militaire permet de déstructurer des organisations terroristes et de désanctuariser le territoire sur lequel elles ont trouvé refuge. Mais une action armée ne saurait se substituer à l’indispensable dialogue politique entre les autorités de transition maliennes, les groupes rebelles qui rejettent le terrorisme et les représentants de la population locale.

M. Jean-Marie Le Guen. À qui le dites-vous !

M. Jean-François Copé. Parallèlement à l’intervention militaire, ce dialogue doit s’intensifier, et aboutir, afin de préserver l’unité et l’intégrité du Mali.

La troisième question est, en réalité, dans tous les esprits, et c’est sans doute la plus importante. Elle concerne l’action diplomatique du Président de la République sur la scène internationale. Disons-le clairement, monsieur le Premier ministre : en dépit de vos dénégations, nous sommes extrêmement préoccupés de voir que la France est aussi isolée. (« Eh oui ! » sur des bancs du groupe UMP.)

Tout se passe comme si le monde entier avait donné un feu vert à la France mais préférait la regarder agir toute seule !

Au niveau international, pourquoi n’êtes-vous pas parvenus à ce jour à mettre en place une véritable coalition, comme cela avait été le cas pour l’opération en Libye ? Pourquoi François Hollande n’a-t-il pas été convaincre personnellement les autres grandes puissances, à travers une tournée internationale ou un sommet à Paris ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La France a certes contribué à sensibiliser ses partenaires au danger terroriste et à faire adopter des résolutions par le Conseil de sécurité. Mais en dépit de quelques soutiens logistiques, respectables mais ponctuels,…

Un député du groupe UMP. Et payants !

M. Jean-François Copé. …notre pays est pour l’instant seul au front.

Évidemment, le soutien diplomatique est important mais c’est l’engagement opérationnel qui est déterminant en matière de lutte antiterroriste.

Même inquiétude au niveau européen. Quel constat devons-nous tirer de l’isolement préoccupant de la France ? Alors que l’élargissement se poursuit sans véritable débat avec l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne le 1er juillet, la politique européenne de sécurité semble au point mort.

Je me désole de voir que nous ne sommes accompagnés ni par l’Allemagne, ni par le Royaume-Uni, ni par l’Italie, ni par l’Espagne. Cette situation ne peut nous satisfaire. Avez-vous obtenu des assurances d’engagement militaire de nos partenaires européens, ou bien allons-nous continuer de faire tout, seuls, en prenant tous les risques et en assumant seuls les conséquences politiques, militaires et budgétaires de cette intervention ?

Qu’en est-il de l’entrée en action des troupes africaines des États membres de la CEDEAO ? Celle-ci doit intervenir au plus vite pour renforcer la légitimité de cette opération et, surtout, faire taire les critiques malintentionnées de ceux qui, tels vos alliés électoraux verts, présentent cette action comme une simple résurgence de la Françafrique.

Comprenez, monsieur le Premier ministre, que ces interrogations n’enlèvent rien au soutien que nous apportons à cette intervention. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Mais elles doivent permettre aux Français de mieux en cerner les contours.

Il me faut enfin dire notre très vive préoccupation au sujet de la sécurité de nos ressortissants, non seulement au Mali mais dans l’ensemble de la zone sahélienne, en Afrique de l’Ouest et au Maghreb. La protection de nos intérêts immédiats doit être prioritaire. La communauté nationale a été suffisamment éprouvée ces derniers jours.

Je veux, pour conclure, tirer la sonnette d’alarme. Que cette actualité soit une nouvelle mise en garde, monsieur le Premier ministre, pour celles et ceux qui dans votre camp veulent faire du budget de la défense nationale une variable d’ajustement budgétaire à la baisse. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La France ne doit pas baisser la garde ! De grâce, monsieur le Premier ministre, puisque les campagnes électorales sont derrière nous, ne cédez pas à cette tentation qui se manifeste dans vos choix budgétaires et dans le cadre de la préparation du livre blanc sur la défense. Regardez comme l’idéologie est contredite par l’exigence de lucidité sur les dangers du monde d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, si je devais résumer l’esprit qui nous anime, j’utiliserais ces mots : soutien mais vigilance, union nationale mais questionnement.

M. Jean-Marie Le Guen. Ce sont les armes que vous avez laissées en Libye qu’ils utilisent !

M. Jean-François Copé. Il me semble que la gauche de cet hémicycle pourrait être un peu plus respectueuse de ce qu’il convient d’appeler la position d’union nationale que nous vous proposons aujourd’hui, monsieur le Premier ministre.

Parce que l’intérêt supérieur de notre pays est en jeu, la nation se mobilise contre le terrorisme, le djihadisme et la haine. Nous voulons défendre les valeurs de la République et c’est pour cela que nous sommes aux côtés du Président de la République et du Gouvernement. (Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur de nombreux bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui est issu d’une disposition constitutionnelle, inscrite à l’article 35 de notre Constitution. Mais ce débat est surtout une nécessité politique, pour permettre à notre démocratie d’affronter avec toute la force nécessaire cette épreuve qu’est une intervention militaire.

Pour faire face à cette épreuve, il importe que le consensus le plus large se forme au sein de la nation et que chacun sache conserver la hauteur qui permet l’expression de ce soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) La protection de nos objectifs d’intervention, la stabilité de notre stratégie et le soutien à l’engagement de nos troupes sont à ce prix.

Amener le débat au Parlement, comme vous le faites aujourd’hui, contribue à renforcer l’unité nationale qui s’est formée depuis le déclenchement de l’opération Serval. Je souhaite que cette association de la représentation nationale à l’action gouvernementale se prolonge tout au long de ce conflit, au-delà des dispositions constitutionnelles, pour assurer un contrôle parlementaire régulier des opérations conduites au nom de la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

La nouvelle offensive des mouvements criminels qui terrorisent le Nord-Mali depuis avril 2012 et s’apprêtaient à étendre leur joug sur le sud lançait un défi à la communauté internationale. Sourde à l’avertissement adressé par le Conseil de sécurité des Nations unies à travers la résolution 2085, la nébuleuse terroriste et criminelle qui prétendait asservir le Mali a voulu tester la volonté des nations.

Le Président de la République, chef des armées, a pris la décision de répondre à l’appel de Diacounda Traoré, président de la transition malienne, à l’appel de son pays et de son peuple. L’opération Serval a été engagée pour répondre à l’urgence, préserver l’existence de l’État malien et préparer le déploiement de la MISMA, la force internationale à majorité africaine, autorisée par le Conseil de sécurité.

La décision du Président de la République repose donc sur une double légitimité : légitimité du droit international et légitimité conférée par le soutien du peuple malien. Nul ne peut ignorer qu’elle est l’aboutissement d’un long processus au cours duquel la France, le Président de la République, le ministre des affaires étrangères et notre diplomatie ont tout mis en œuvre pour favoriser le dialogue entre les composantes de la société malienne, pour décourager les velléités belliqueuses des forces terroristes, pour rechercher une solution à la crise et pour mobiliser nos partenaires internationaux.

M. Guy Teissier. Échec !

M. Bruno Le Roux. La France a ainsi été depuis plusieurs mois à l’initiative, au Conseil de sécurité des Nations unies, pour initier des résolutions – la 2071 avant la 2085 – plaçant la crise malienne au cœur de l’agenda international. C’est la raison pour laquelle la représentation nationale et les autorités civiles doivent être aujourd’hui à la hauteur de la responsabilité qui leur incombe.

Elles doivent fixer le cadre permettant à nos troupes de mener à bien leur difficile mission. À cet égard, les députés de la majorité veulent, après l’opposition, rendre hommage aux combattants qui, depuis vendredi, s’efforcent de repousser ceux qui menacent la survie du Mali.

Nos pensées se dirigent vers le chef de bataillon Damien Boiteux, du 4e régiment d’hélicoptères des Forces spéciales de Pau, décédé en opérations. L’hommage rendu hier aux Invalides accompagne la tristesse de sa famille, de ses compagnons d’armes et de ses proches.

L’initiative de la France suscite un large soutien au sein de la communauté nationale et internationale. En France, il est tellement évident que cette intervention correspond à ce que nous sommes, à ce que nous croyons, que l’opération Serval, malgré les difficultés et les doutes exprimés par certains, rassemble très largement les Français et leurs élus.

Oui, il est légitime d’intervenir pour défendre un pays ami. Oui, il est légitime de répondre à l’appel d’un peuple menacé dans sa chair et son identité. Non, nous ne pouvions pas laisser AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine transformer le Mali en champs de ruines, en terrain d’expérimentations pour leurs funestes desseins.

Il faut donner un nom à ceux que nous combattons. Nous ne devons pas avoir peur de la vérité : les criminels qui veulent s’emparer du Mali sont des terroristes qui prennent des otages, qui asservissent les femmes, qui mutilent des enfants, qui assassinent tous ceux qui ne leur ressemblent pas, qui veulent plonger le Mali dans une ère de barbarie et de violence. Leur intolérance va jusqu’à abîmer les traditions maliennes ancestrales avec la destruction des mausolées des saints musulmans, des édifices relevant du soufisme, de la riche culture mandingue magnifiée par l’épopée de Soundiata Keïta.

Ce qu’ils veulent, c’est imposer leur vision archaïque et intolérante, c’est prospérer sur l’idée folle que le monde est inéluctablement voué à des conflits de civilisation, ces conflits que les peuples ont raison de refuser obstinément. C’est pour préserver la pluralité des cultures et des croyances, c’est pour défendre la liberté des peuples que la France s’est dressée, vendredi dernier, sur leur chemin.

Dans ce contexte, la communauté internationale a naturellement soutenu la prise de responsabilités de la France. Les autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, la CEDEAO, l’Union africaine et l’Union européenne soutiennent la France dans cette opération Serval.

M. Antoine Herth. Comment ?

M. Bruno Le Roux. Pourtant, certains, ravis de se complaire dans des postures confortables et dans un prêt-à-penser commode, veulent voir dans l’opération Serval une résurgence de la Françafrique. Ils se trompent lourdement !

M. Céleste Lett. C’est vrai !

M. Bruno Le Roux. Ils devraient s’interroger sur les raisons qui valent à l’initiative française un soutien aussi large de la communauté internationale. Je le dis avec force, cette intervention n’est aucunement le retour de la Françafrique et de son cortège d’abus. Nous ne combattons pas pour la sujétion de l’Afrique mais pour sa liberté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

L’opération Serval symbolise un nouveau départ pour les relations franco-africaines. Dans cette relation, la France a le sens des responsabilités, elle traite d’égal à égal avec ses partenaires, pour ouvrir des perspectives politiques, économiques et sociales.

Si nous devons nous réjouir du soutien large dont bénéficie la France, nous savons aussi que nous ne pouvons pas nous contenter de mots. La France va, et doit, rechercher dans les prochains jours, les prochaines semaines et les prochains mois à élargir la coalition intervenant au Mali.

Élargissement régional d’abord, avec le déploiement prochain des troupes des pays de la CEDEAO, qui devront naturellement se trouver en première ligne dans la résolution de la crise malienne. Élargissement international ensuite, avec l’implication notamment de nos partenaires européens. Une fois de plus, nous mesurons la nécessité de construire une Europe de la défense permettant de renforcer notre capacité de projection et de construire un bloc cohérent en mesure d’intervenir plus précocement dans la résolution des crises. Et je trouve étonnant que ce soit ceux qui demandent aujourd’hui le soutien de l’Europe qui mettent aussi en cause ce qui reste un projet qu’à l’évidence nos prédécesseurs n’ont pas réussi à faire avancer ces dernières années, à savoir l’Europe de la défense. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Sans cesse, inlassablement, nous devons rechercher l’élargissement de la coalition à d’autres nations, qui pourront apporter leur concours militaire, logistique, financier, humanitaire. La résolution de cette crise doit être l’affaire de toute la communauté internationale, c’est dans cette perspective que s’inscrit l’initiative de la France.

Je terminerai mon propos en évoquant nos objectifs d’intervention. Hier, aux Émirats arabes unis, le Président de la République a détaillé nos objectifs immédiats : arrêter l’agression terroriste, sécuriser Bamako, permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale.

En lien avec ses partenaires africains et internationaux, la France devra également favoriser un programme de reconstruction nationale pour doter le Mali des institutions et de l’environnement qui lui permettront d’enclencher un décollage économique sans lequel toute résolution militaire du conflit ne serait qu’un pis-aller.

M. Guy Teissier. C’est l’Afrique de papa !

M. Bruno Le Roux. Ce volet spécifique de la résolution de la crise malienne devra être enclenché rapidement. Nous invitons le Gouvernement à s’appuyer dans ce cadre sur l’apport de la coopération décentralisée et sur la vitalité des relations entre les collectivités territoriales françaises et maliennes.

Mais là aussi, nous avons besoin de plus d’Europe pour enclencher un véritable plan de développement du Sahel, via le FED ou via un instrument spécifique dédié au développement de la zone.

De l’Atlantique à la mer Rouge, le Sahel s’apprêtait à devenir le nouveau sanctuaire des djihadistes des quatre coins de la planète. Si, en langue arabe, Sahel signifie « frontière », cette frontière ne nous protégeait de rien. Au contraire, elle menaçait de servir de refuge à des forces obscurantistes et sanguinaires. La communauté internationale ne pouvait pas se permettre de les laisser prospérer sans se mettre en danger.

En prenant ses responsabilités, en mettant un coup d’arrêt aux visées terroristes sur cette étendue stratégique, la France a pris une décision qui l’honore. Monsieur le Premier ministre, dans ce moment grave, la France a besoin de se rassembler et de s’unir. Plus que jamais, il nous revient d’avoir le sens de l’État et le sens de l’Histoire. C’est la raison pour laquelle le groupe SRC à l’Assemblée nationale soutient votre démarche et l’accompagnera jusqu’à l’accomplissement de nos objectifs militaires et politiques pour libérer le Mali de la barbarie et de la violence. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin.

(Plusieurs députés du groupe SRC se lèvent pour quitter l’hémicycle sous les huées du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Vous parlez d’union nationale mais vous n’écoutez même pas les orateurs des autres groupes ! C’est lamentable ! Les Français vous regardent !

M. le président. Mes chers collègues, que ceux qui doivent quitter l’hémicycle le fassent rapidement afin que nous retrouvions le silence.

M. Hervé Morin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, notre pays s’est engagé vendredi dernier dans une importante opération militaire au Mali.

Permettez d’abord à l’ancien ministre de la défense d’avoir une pensée particulière pour les hommes et les femmes qui ont rejoint le théâtre d’opérations malien ou qui s’apprêtent à le faire. Je connais comme vous le professionnalisme et l’enthousiasme avec lesquels les militaires français servent leur pays. L’un d’eux, le lieutenant Boiteux, ne reviendra pas de cette mission, et nous saluons à notre tour sa mémoire, comme vous l’avez fait hier aux Invalides, monsieur le Premier ministre. Le sens du devoir, l’esprit d’équipe, l’abnégation jusqu’au sacrifice, le lieutenant Boiteux les a incarnés jusqu’à son dernier souffle.

Le Président de la République a donc décidé de répondre à l’appel au secours des autorités maliennes en engageant nos troupes sur le continent africain. Et il a eu raison. L’UDI approuve sans réserve sa décision.

Cette guerre n’est pas une guerre de choix, c’est une guerre de nécessité. Je veux m’en expliquer. Nous répondons à l’appel des autorités maliennes, mais nous répondons aussi et surtout à l’appel du peuple malien, victime depuis de longs mois du terrorisme djihadiste.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Hervé Morin. Nous ne pouvions pas laisser Bamako devenir un faubourg de Kaboul. C’est vrai, des soldats français vont risquer leur vie pour Bamako, mais notre devoir était d’être à côté des Maliens et de leur venir en aide.

Si certains ont encore un doute sur la légitimité de notre intervention, je les invite à lire le recensement du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies, qui dénombre déjà 250 000 personnes déplacées et 145 000 réfugiés : près de 400 000 Maliens du nord ont d’ores et déjà quitté leur pays ou leur village.

Ne nous trompons pas. Cette intervention ne ressemble pas à celles auxquelles nous étions habitués en Afrique. Si elle est géographiquement africaine, elle est géopolitiquement moyen-orientale.

Il ne s’agit pas, comme au temps de la Françafrique, de protéger un régime, même si celui-ci est issu d’un putsch…

M. François Loncle. Il a succédé à un putsch !

M. Hervé Morin. …et n’a aucune légitimité sinon celle de remplacer un capitaine, aujourd’hui chef d’état-major.

Il ne s’agit pas non plus d’une opération de stabilisation ou de maintien de la paix face à des rebelles ou à une ethnie plus ou moins armés par les voisins dans une perspective de déstabilisation.

Il s’agit d’une opération menée contre des forces djihadistes souvent financées par le narcotrafic, construisant leurs opérations avec la même dialectique et les mêmes méthodes que celles utilisées en Afghanistan, en Syrie pour partie ou en Libye hier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Philippe Vigier. Excellent !

M. Hervé Morin. Il y avait d’autant plus urgence à intervenir que nous nous sommes hâtés un peu trop lentement. Rappelons qu’une opération militaire était envisagée depuis plusieurs mois – près d’un an. J’ai en souvenir les déclarations du ministre de la défense en août 2012 annonçant une intervention dans quelques semaines. J’ai surtout en souvenir le discours du Président de la République le 25 septembre à la tribune des Nations unies, où il évoquait un soutien aérien et logistique à une initiative africaine.

Cette déclaration aurait dû être un puissant accélérateur pour engager une action préventive rapide et éviter ainsi cette lourde intervention en haut du spectre militaire. Or, la France n’a pas présenté de plan précis aux Nations unies pour construire l’initiative. Rien de concret non plus pendant tout ce temps-là au sein de la CEDEAO. Rien non plus chez les Européens qui, pour le seul plan de formation, je vous le concède, que leur a confié l’ONU, ont rechigné et mégoté à fournir quelques dizaines de soldats.

Nous avons perdu un temps précieux en espérant un hypothétique dialogue politique alors que nous savions depuis des mois que les djihadistes ne s’arrêteraient pas dans leur marche et que les négociations avec les Touaregs n’aboutiraient pas. C’est maintenant de l’histoire ancienne mais il est bon de le rappeler pour en tirer des leçons pour le futur.

D’autres enseignements pour l’avenir me semblent évidents.

Tout d’abord, les États-Unis ne veulent plus être systématiquement les gendarmes du monde. Ils étaient en première ligne en Somalie il y a vingt ans. Ils nous laissent en première ligne au Mali même s’ils ont, comme à chaque fois, apporté un soutien militaire discret mais ô combien précieux.

Ensuite, et c’est un Européen convaincu qui le dit, l’ambition politique et diplomatique de l’Europe n’existe malheureusement toujours pas et l’Europe de la défense encore moins.

M. Alain Marsaud. C’est vrai !

M. Hervé Morin. Mme Ashton est absente – j’allais dire comme toujours. L’Allemagne rechigne à intervenir en dehors du cadre de l’OTAN et plus encore en Afrique, j’allais dire comme toujours. Et les autres ? Quelques soutiens, mais aucun élan européen pour aborder une crise qui pourtant concerne au premier chef l’ensemble de notre continent – j’allais dire, comme toujours ! À quoi bon, monsieur le ministre de la défense, continuer à construire des forces européennes diverses et variées et les annoncer à grand renfort de communication pour in fine ne jamais s’en servir ? Cette question, il faut la poser aux vingt-sept pays de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Hervé Morin. Les battlegroups ou les GT1500 seraient parfaitement adaptés pour des interventions de ce genre. Encore faut-il qu’il y ait une volonté – je vous accorde que ce n’est pas le cas – et des moyens de planification européens. Jean-Louis Borloo l’a dit hier. Il est temps que la France mette l’Europe face à ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Dernier enseignement : l’Afrique change, elle bouge, elle progresse. Son économie s’éveille mais elle n’existe pas encore quand il s’agit de s’organiser pour gérer une crise aiguë.

En résumé, les États-Unis ne sont plus l’hyperpuissance régentant les cinq continents, l’Europe est de façon consternante toujours impuissante et l’Afrique n’est pas encore assez présente.

Comme toujours, et Jean-François Copé l’a évoqué, ce type d’opérations éclaire aussi les questions qui se posent à notre défense, comme le caractère stratégique de nos forces prépositionnées, qui sont un atout formidable pour réagir rapidement. J’ai encore le souvenir de la crise tchadienne, en 2008, où nous avons, assuré la sécurité des ressortissants de soixante pays, Américains compris.

Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, sachant qu’il manquera au budget de la défense 30 à 40 milliards d’euros pour atteindre en 2020 le format des armées tel qu’il a été défini par le livre blanc en 2008, nous serions bien inspirés de ne pas en faire une variable d’ajustement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur les bancs du groupe UMP) et de considérer que l’aéromobilité et les forces conventionnelles sont au moins aussi importantes que le nucléaire.

Je reviens à ce que doivent être nos priorités immédiates.

La première est de sortir de cette impression d’isolement que nous avons tous.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas une impression !

M. Hervé Morin. Certes, nous sommes soutenus par tout le monde, une belle unanimité règne au sein du Conseil de sécurité. Mais nous sommes seuls sur le terrain. On nous approuve, on nous soutient… mais on nous dit « débrouillez-vous » ! Or, cette crise nous concerne tous : au premier chef, bien sûr, les Africains, en second lieu les Européens, et enfin la communauté internationale qui doit lutter contre l’islamisme radical, facteur de déstabilisation dans cet arc de crise qui va de l’océan indien à l’océan atlantique. J’invite d’ailleurs le Gouvernement, monsieur le Premier ministre, à appeler un chat un chat : ce ne sont pas seulement des terroristes ou des rebelles, ce sont pour l’essentiel des islamistes fanatiques (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP) et vous ne ferez de peine à aucun Français musulman en le disant !

Dès lors, la diplomatie française doit concentrer tous ses efforts pour constituer une force africaine soutenue, en termes de formation, logistique, renseignement, moyens aériens, par les puissances militaires de premier rang, dont évidemment notre pays.

Les troupes africaines, nous dit-on, rejoindront dans quelques jours le théâtre d’opérations malien. C’est une bonne chose, militairement et aussi politiquement. L’Union africaine et la CEDEAO doivent assumer leurs responsabilités dans le temps – car cette opération va durer, c’est une certitude.

Nous devons venir en soutien d’une opération africaine, et non l’inverse. Du coup, et même si ce n’est pas politiquement correct, la question de la crédibilité des forces militaires africaines engagées se pose. Il faut le dire. J’ai encore en souvenir l’échec de la MINUAD au Darfour. Disons-le tout net, deux ou trois pays seulement dans la région peuvent fournir des forces crédibles : le Nigeria, le Sénégal et le Tchad. Leur engagement est donc capital pour donner du contenu et du poids à la force africaine en constitution.

L’intervention française doit dès lors être vue comme l’occasion de lancer une dynamique africaine pour engager une vraie politique régionale de lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical de la Somalie jusqu’à l’océan atlantique.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Morin.

M. Hervé Morin. Permettez-moi de rattraper les deux ou trois minutes que j’ai perdues lors du départ des députés socialistes.

M. le président. Elles vous ont été données. Veuillez conclure à présent.

M. Hervé Morin. Le deuxième sujet de réflexion, pour les prochaines semaines, portera sur la manière de redresser un État failli, en l’occurrence le Mali. Si les intégristes sont intervenus là, ce n’est pas par hasard mais parce que, dans l’ouest africain, le Mali apparaissait comme le maillon faible, le ventre mou. L’instabilité politique, la quasi vacance de l’État et l’absence de solutions à la question touareg ont favorisé depuis des années l’instauration d’un islamisme radical.

En conclusion, monsieur le Premier ministre, pour résumer en une phrase la position de l’UDI : oui la France devait intervenir, non nous n’avons pas vocation à être en première ligne au-delà de quelques semaines, au pire quelques mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Jean-Marie Le Guen. Ha ! C’est la retraite à soixante jours !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. C’est un débat emprunt d’une gravité exceptionnelle que nous avons aujourd’hui. M’exprimant au nom des députés écologistes, je souhaite avant tout dire nos pensées pour les militaires engagés sur le terrain et pour leurs familles, à commencer par celle du lieutenant Boiteux, ainsi que pour nos otages détenus au Sahel et leurs proches. Leur inquiétude et leur angoisse sont les nôtres, comme je sais qu’elles sont au cœur des préoccupations du Gouvernement et de l’ensemble de la représentation nationale.

Nous saluons aussi la volonté du Gouvernement de limiter autant que possible, avec cette intervention, les victimes parmi les civils maliens.

Nous tentons aujourd’hui, par ce débat, de concilier l’inconciliable. Comment répondre en effet à la nécessité d’agir dans l’urgence – et il y a une nécessité incontestable qui a marqué la journée de vendredi et entraîné l’engagement de nos troupes – tout en garantissant l’impérative association du Parlement aux décisions prises au nom de la France ?

Le Gouvernement a décidé de répondre à cette contradiction, conformément aux dispositions de notre Constitution, par la réunion que vous avez organisée, monsieur le Premier ministre, avec l’ensemble des responsables des groupes parlementaires – nous vous en remercions – et par le présent débat, non suivi d’un vote.

Nous aurions souhaité un vote…

M. Bernard Deflesselles. Et qu’auriez-vous fait ?

M. François de Rugy. …qui aurait permis de fixer la position de chacun d’entre nous sur le principe même de l’intervention militaire tout en adossant à cette approbation une analyse plus subtile sans que le soupçon pèse sur les intervenants quant à la clarté de leur position.

Dans un tel débat, une première question s’impose : dans les responsabilités qui sont celles du Président de la République, aurions-nous pris la même décision ? La réponse est oui. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mais exprimer un soutien à l’intervention militaire, ce que nous faisons, ne doit pas nous empêcher de poser toutes les questions. J’en profite pour dire, avec une certaine solennité, à quel point l’attitude de l’opposition hier, ici même, pendant l’intervention de notre collègue Danielle Auroi, ou les polémiques tout à l’heure de M. Copé sont indignes de ce débat. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Ma collègue Barbara Pompili et moi nous sommes exprimés dès vendredi soir en tant que co-présidents du groupe écologiste, tout comme Pascal Durand, le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts. Daniel Cohn-Bendit l’a fait hier au nom du groupe des Verts au Parlement européen. Et puisque certains parlent de l’Europe, sachez que nos collègues Verts allemands invitent le gouvernement allemand dirigé par votre amie Mme Merkel à soutenir l’intervention française. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Pour les écologistes, l’union sacrée n’est pas une sorte de réflexe pavlovien. Elle est le fruit d’une analyse partagée de la situation, comme des solutions politiques qui permettront de faire de cette intervention militaire un pas vers une résolution durable et juste du conflit malien.

Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à pareille situation. Cela avait déjà été le cas lors de l’intervention française en Libye, et beaucoup d’entre nous dans l’opposition d’alors – en tout cas les deux députés écologistes qui siégeaient déjà dans la précédente législature – avaient voté pour cet engagement, malgré les réserves exprimées sur la forme et les craintes sur les conséquences de l’intervention. Même si cela n’enlève rien à la justification de l’intervention en Libye, on voit bien aujourd’hui à quel point ces réserves étaient fondées.

Ayant dit notre compréhension et notre soutien face à une opération qui a pour but de stopper la progression des forces djihadistes islamistes vers le sud du Mali, de sauvegarder la capitale Bamako et sa population et de rétablir la souveraineté territoriale du Mali indispensable à la stabilité géopolitique dans cette région, concentrons-nous sur l’essentiel.

Notre but commun doit être de prolonger le consensus national d’aujourd’hui sur la question militaire par une position partagée sur l’avenir de la relation entre la France et le Mali et, plus largement, car c’est aussi de cela qu’il s’agit, de la relation entre la France, l’Europe et l’Afrique.

Les écologistes se sont toujours opposés à la vision héritée du passé colonial qui faisait de la France le gendarme de l’Afrique. La nouvelle majorité a clairement affiché sa volonté de mettre fin à cette relation malsaine.

M. Alain Marsaud. Comme les autres !

M. François de Rugy. Mais il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir sortir de décennies de Françafrique. Il faut que toutes les conditions soient réunies pour que les instances internationales – je pense, bien sûr, à l’ONU –, l’Union européenne et les pays africains eux-mêmes jouent pleinement le rôle qui doit être le leur, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

C’est de cela que je veux vous dire quelques mots au nom des député-e-s du groupe écologiste.

Aux sources de cette crise malienne, il y a d’abord une problématique malheureusement banale où le non-respect des minorités ethniques se mêle à un développement injuste et inefficace du nord du Mali.

Depuis son accession à l’indépendance en 1960, le Mali n’a jamais été confronté à une crise aussi grave. N’oublions jamais que celle-ci a débuté avec la reprise de la rébellion touarègue et l’attaque de Ménaka par le MNLA – le mouvement national pour la libération de l’Azawad –, créé en octobre 2011 avec pour projet de fédérer les mouvements touaregs autour de l’indépendance des trois régions nord du Mali. Cette zone historique de transit n’a jamais réellement été sous le contrôle d’un État malien qui, faute de moyens régaliens, a abandonné ses marges aux narcotrafiquants, au terrorisme d’AQMI et au trafic d’armes… C’est en grande partie parce que les conditions environnementales et économiques faites aux populations du Nord-Mali ne leur permettent pas de vivre décemment que cette rébellion a pris une forme militaire et que des groupes dont les objectifs sont fondamentalement différents ont pu, un temps, converger.

La remise en cause de l’intégrité du territoire malien a engendré, par un effet domino dramatique, la désintégration politique du Mali.

C’est à une partition de fait que le pays a dû se résoudre, avec l’occupation éclair, par les rebelles armés, des trois grandes villes du Nord, Kidal le 29 mars, Gao le 30 et Tombouctou le 1er avril.

Le résultat, c’est que l’ensemble du Mali vit aujourd’hui une situation effrayante : à la privation des libertés civiques au Sud, répondent, au Nord, la fermeture des écoles, le pillage de bâtiments publics, le saccage d’un patrimoine culturel et cultuel exceptionnel, l’imposition du voile islamique, la destruction de bibliothèques, les viols, les meurtres, les flagellations et le recrutement d’enfants soldats. Cette imposition forcée de la charia à des populations traumatisées est intolérable et justifie l’intervention.

Conjuguée aux conséquences matérielles de la guerre, elle conduit à l’afflux de 300 000 réfugiés vers les pays voisins et à un exode de plus de 150 000 personnes vers le sud du pays.

Cette situation est le fruit d’une crise du modèle de développement qui prévaut en Afrique, d’une crise démocratique, mais aussi d’une crise de la gouvernance internationale.

Si la France est intervenue, c’est qu’elle y a été contrainte par l’évolution préoccupante du conflit et par les risques immédiats que faisait courir tant au Mali qu’à l’ensemble de la région la progression des forces terroristes.

Comprendre et reconnaître cette contrainte ne peut signifier s’y résoudre, et surtout la voir perdurer au risque de voir la situation se reproduire ailleurs.

Il faut, à nos yeux, rétablir dans cette affaire le droit international. Une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU permettrait de traduire concrètement l’approbation générale exprimée par les gouvernements occidentaux et africains vis-à-vis de l’intervention militaire française. Cela engagerait également nos partenaires dans un soutien encore plus effectif. Ce partage de l’effort militaire est nécessaire à tous points de vue.

Engager plus encore l’ONU, c’est également préparer la paix sur le plan politique, en engageant la communauté internationale dans un soutien à une reconstruction institutionnelle malienne qui prendra en compte les droits et revendications des minorités.

Nous faisons confiance, monsieur le Premier ministre, au Gouvernement et à la diplomatie française pour aboutir à ces solutions. De même que nous soutenons sans réserve la démarche qui vise à replacer la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest, et la force militaire interafricaine, la MISMA, au cœur du dispositif sur le terrain et au plus vite. On peut d’ailleurs noter que l’intervention militaire de la France a pour conséquence de hâter ce processus.

Voilà, mes chers collègues, le sens de la position que j’exprime aujourd’hui au nom des député-e-s écologistes : soutien à l’action militaire d’urgence en cours, soutien à la diplomatie française pour inscrire les solutions pour le Mali dans le cadre du droit international, exigence vis-à-vis de l’Europe et soutien à une politique de développement nouvelle. Nous savons que le Président de la République a décidé d’agir en ce sens.

J’ajoute que le groupe écologiste demande au Gouvernement de chercher les voies les plus appropriées pour assurer l’association la plus étroite possible du Parlement au processus d’information et de décision lié à cette intervention de la France. Ce sera la meilleure façon d’assurer la pérennité du consensus qui existe aujourd’hui dans l’opinion française tout au long d’une intervention que nous espérons la plus courte possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, la situation malienne, aussi urgente soit-elle, n’est pas un fait nouveau. Depuis un an maintenant, l’avancée des sécessionnistes de l’Azawad et l’instabilité liée au coup d’État menacent l’intégrité du pays.

J’ai une pensée forte pour le peuple malien, ce peuple ami, otage de la terreur imposée depuis des mois par les fondamentalistes islamistes.

Les ressortissants maliens, nombreux en France, sont inquiets et réclament une intervention internationale pour rétablir la paix et la démocratie. Nous sommes à leurs côtés.

J’ai également une pensée très forte pour nos soldats, engagés sur un terrain périlleux. Je pense à la douleur et à l’angoisse des familles des otages.

Que devait faire la France face à l’offensive des troupes djihadistes lancée jeudi dernier ?

La position des députés du Front de gauche, communistes et républicains est claire : abandonner le peuple malien à la barbarie des fanatiques serait une erreur politique et une faute morale. La non-intervention serait la pire des lâchetés.

Une action militaire internationale était nécessaire pour éviter l’installation d’un État terroriste. Les djihadistes du Nord-Mali et leurs affidés d’Al-Qaïda n’ont qu’un but : imposer à l’échelle de la planète des régimes despotiques, sanguinaires et moyenâgeux.

Leur fondamentalisme constitue une forme nouvelle de fascisme. Ils n’ont qu’une méthode : instrumentaliser l’islam, religion de paix pour l’immense majorité des musulmans, afin de justifier leurs combats contre la démocratie et les droits des femmes. Ils masquent ainsi le caractère mafieux de leurs organisations, basées sur le trafic d’armes et de drogues, comme au Sahel.

Les démocraties ne peuvent baisser les bras. Elles doivent soutenir les efforts des progressistes qui en expriment le souhait, comme aujourd’hui au Mali.

Pour autant, nous émettons des réserves sur l’opération militaire déclenchée, sur sa forme, ses conditions et ses objectifs.

Soyons lucides : cette intervention n’apportera pas à l’État malien la stabilité, pas plus que la démocratie, elle n’en est qu’un préalable. La guerre est toujours la pire des solutions, la plus incertaine. Rien ne nous assure que cette intervention ne se termine pas par un échec, de lourdes pertes humaines et des déflagrations en cascade dans l’ensemble du monde musulman. Ne nous laissons pas bercer d’illusions par un consensus rassurant, et par l’enthousiasme des va-t-en-guerre !

Je parlais de réserves sur la forme.

Notre Parlement n’a pas été consulté au préalable, nous le déplorons. L’urgence existait, certes, mais le scénario d’une offensive vers le sud malien était prévisible. Comment croire que cette colonne armée se soit constituée en seulement quarante-huit heures ?

Nous avons également des interrogations sur nos objectifs.

Monsieur le Premier ministre, il est impératif de clarifier les buts de cette guerre pour éviter un enlisement, comme peut le laisser présager l’engagement de nos troupes au sol. Ces objectifs sont, pour l’heure, confus. Assurer la sécurité de nos ressortissants ? Lutter contre le terrorisme ? Assurer l’intégrité du Mali ?

Le Président de la République a déclaré que l’intervention durerait « le temps nécessaire », avant de concéder qu’elle serait limitée dans le temps.

Quand considérera-t-on que la mission de la France est terminée ?

Gardons à l’esprit les enseignements de la guerre contre le terrorisme, lancée après les attentats terrifiants du 11 septembre. Nos troupes reviennent à peine d’Afghanistan, tirant les leçons de cette impasse. La lutte sans faille des nations libres contre le terrorisme est vitale. Mais si cette lutte devient une guerre armée, où et quand s’arrêtera-t-elle ? Saurons-nous y mettre un terme avant qu’elle ne devienne contre-productive, en nourrissant l’idée funeste du choc des civilisations et en renforçant les ferments d’union de groupes très divers sous la bannière d’Al-Qaïda ? Saurons-nous prendre le dessus sur les troupes djihadistes sans provoquer leur repli au Niger, en Mauritanie, en Algérie, avec une potentielle déstabilisation de ces pays ?

L’acheminement de troupes françaises au sol et de blindés ces derniers jours modifie en profondeur notre engagement. Au risque d’utilisation de boucliers humains sous les frappes aériennes, s’ajoute la crainte de nouveaux déplacements de populations sur un territoire démesuré. Tout doit être mis en œuvre pour éviter une catastrophe humanitaire et protéger les civils.

Si nous partageons, dans son esprit, l’orientation de notre diplomatie, nous nous interrogeons sur quelques incohérences.

La France a soutenu les printemps arabes, bien que tardivement, et apporté son concours à l’épanouissement des droits et des libertés, notamment pour les femmes. Dans le même temps, notre pays entretient des relations troublantes avec certaines composantes du monde arabe.

Faut-il montrer tant d’indulgence envers les pétromonarchies du Moyen-Orient, au premier rang desquelles le Qatar ? Ce pays, adversaire des droits de l’homme, joue un double jeu infernal, en attisant les divisions du monde islamique. Il n’hésite pas à déstabiliser des régions entières pour appuyer des régimes obscurantistes.

Oui, il faut rétablir la liberté en Syrie. Mais faut-il pour cela livrer des armes aux mouvances fanatiques de ce pays ? L’Occident a trop souvent joué aux apprentis sorciers dans ce domaine.

J’en viens aux réserves sur les conditions de déclenchement de l’opération et à la position de la communauté internationale.

L’option militaire n’avait rien d’inéluctable : elle n’est due qu’aux faiblesses et aux lenteurs de la communauté internationale et du pouvoir malien lui-même. « En aucun cas, la France n’interviendra elle-même au Mali », affirmait en novembre le Président de la République.

Il y a deux semaines encore, la voie diplomatique de la négociation était privilégiée. La résolution 2085 du 22 décembre, selon la lecture même de notre ambassadeur à l’ONU, «n’était pas une déclaration de guerre ». Elle posait de nombreux préalables avant tout recours à la force. D’une part, un effort du pouvoir malien pour répondre à la question touarègue et organiser de nouvelles élections ; d’autre part, une préparation militaire conséquente de l’armée malienne et des partenaires africains.

Malheureusement, aucune de ces conditions n’est réunie. Nous sommes donc en guerre dans la plus mauvaise des configurations, dans l’impréparation, avec les immenses périls que cela comporte.

La résolution onusienne autorisait le déploiement d’une «mission internationale sous conduite africaine ». Or l’opération Serval s’avère être d’abord une opération franco-française. Cette intervention doit retrouver au plus vite le cadre onusien. Les troupes des pays africains doivent prendre le relais.

Notre pays a pris ses responsabilités, mais le cavalier seul de la France est préoccupant. En effet, il nous isole sur la scène diplomatique, nous expose en termes de sécurité et nuit à la crédibilité même de l’intervention.

La communauté internationale, nos alliés, font assaut de déclarations pour saluer notre engagement, sans traduire leur solidarité en actes. Le soutien unanime masque une indifférence générale. C’est attristant et même consternant.

Où est l’Union européenne, monsieur le Premier ministre ? Son inertie illustre l’impasse actuelle de sa construction.

Notre intervention militaire dans une ancienne colonie française recueille le soutien de l’opinion africaine et de ses représentants. L’Algérie a ainsi ouvert son espace aérien et fermé ses frontières. Cette coopération relative n’était pas courue d’avance ; elle est à mettre au crédit du dégel de nos relations et de l’action qu’a menée récemment le Président de la République en Algérie.

Elle suscite néanmoins un certain malaise, probablement en raison du deuil inachevé de la Françafrique. Comment ne pas percevoir le poids de la colonisation dans le conflit actuel et l’héritage de frontières tracées artificiellement ? Au Mali comme sur l’ensemble du continent, les impérialismes ont déchiré des régions, aggloméré des peuples rivaux, afin de préserver leur influence sur leurs richesses.

Ce temps doit être véritablement révolu, en Centrafrique, au Gabon, au Niger, au Burkina Faso. Des engagements ont été pris, nous attendons des gestes forts au plus vite. L’Afrique est la chance de notre planète. Je dirais même qu’elle est son avenir. L’objectif de la communauté internationale doit être de parvenir rapidement à la paix. La solution au chaos et à la déstabilisation du continent africain n’est pas militaire mais politique, sociale et économique.

Les pays du Nord doivent enfin promouvoir un développement partagé de la planète. Les matières premières de l’Afrique doivent bénéficier avant tout à ses peuples et non être pillées ! Ses richesses humaines et intellectuelles doivent elles aussi être en mesure de rester dans leur pays et participer au progrès de ces sociétés et non être contraintes à l’exil dans les pays dits « riches ».

Il a beaucoup été question de 1’« homme africain ». Cet homme africain, ainsi que la femme africaine, sont pleinement dans l’Histoire de notre temps. Ils sont les acteurs du monde de demain. Respectons-les, marchons à leurs côtés ! Nos amis africains attendent de la France cette relation d’égal à égal, soucieuse de leur devenir et de leur dignité, sans ingérence ni domination ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense nationale et des forces armées, chers collègues députés, c’est au nom des députés du groupe RRDP que j’interviens cet après-midi, après notre président Roger-Gérard Schwartzenberg hier, pour sire notre accord avec les objectifs fixés par le Président de la République à notre intervention militaire au Mali. On ne peut en effet que partager les trois motivations mises en avant par le Président de la République et le Premier Ministre.

Tout d’abord, nous assistons dans cette région de l’Afrique, sous couvert de motifs politiques ou religieux de façade, au développement d’un foyer de piraterie internationale. Nous ne pouvons pas continuer à le laisser s’armer, grandir et se développer à partir des débris de la guerre de Libye et de l’argent des rançons et de la drogue. Nous ne pouvons laisser faire cela sans réagir.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Très bien !

M. Gérard Charasse. Attendre, comme on l’a suggéré avec un vocabulaire de guerre froide, que nos intérêts internes soient en jeu, cela signifiait dépasser le stade préventif pour entamer une guerre défensive dont l’Histoire nous enseigne que l’issue est d’emblée incertaine et le sera de plus en plus.

Ensuite, l’installation de ce foyer de piraterie va de pair avec des exactions inhumaines que nous ne pouvons pas laisser s’étendre à Bamako. Enfin, l’intégrité de cet État, qui a des accords avec la France, devait être recouvrée et préservée.

Les prétendus atermoiements de la majorité présidentielle sont balayés par cette intervention. Chacun peut comprendre comment, du retrait d’Afghanistan à la récente visite du Président en Algérie, cette décision a été mûrie.

On pourrait s’étonner d’un débat sur la légalité de l’opération. Dès lors qu’il s’agit de guerre, la Constitution de la Cinquième République consacre la primauté de l’exécutif, notamment celle du Président de la République. Nous sommes certes habilités par l’article 35 à délivrer l’autorisation de la déclaration de guerre. Mais il ne s’agit en fait que d’un appui des forces françaises à l’armée malienne contre le terrorisme, fût-il déterminant. Je rappelle en outre que le Parlement n’a jamais eu recours à l’article 35.

Quelles sont les questions sur lesquelles il faut se pencher aujourd’hui ? Le développement et la fin de ce conflit.

À propos de son développement, nous devons éviter de nous figer dans un taylorisme de l’opération extérieure. La France agit, les autres approuvent. Le déploiement d’une force ouest-africaine, la MISMA, conforme à la résolution 2085, qui peut s’appuyer sur l’article 51 de la charte des Nations unies, doit devenir une priorité stratégique pour nous comme pour l’Europe et toute la communauté internationale. Si celle-ci, à l’instar de l’Algérie notamment mais aussi d’autres grands pays, pouvait avoir quelques réticences à s’engager aux côtés de la France, elle devrait aussi soutenir directement les efforts engagés par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Je rappelle que les forces militaires engagées par la CEDEAO sont placées sous la direction du général nigérian Abdulkadir, qui parle français.

Quant à la fin du conflit, nous devons aujourd’hui travailler avec nos amis maliens à l’émergence d’un nouveau projet pour ce pays et tracer, au-delà de la ligne de front, une ligne d’espoir. C’est bien sûr dans notre force diplomatique mais aussi dans la coopération, universitaire par exemple, que nous trouverons une capacité d’innovation politique et économique propre à faire émerger un nouveau modèle qui pourrait solder définitivement ce que nous avons appelé la Françafrique et tracer une ligne nouvelle, celle que déjà traçait avec beaucoup d’avance la gauche rassemblée dans les années quatre-vingt et qui fut, hélas, interrompue depuis lors.

En saluant à nouveau l’engagement de nos militaires, le sacrifice du lieutenant Damien Boiteux dont le nom a été donné hier à deux garçons dans le nord du Mali, les victimes d’attentats odieux, en pensant aussi à mes amis du cercle de Niafunké qui ont une coopération décentralisée avec mon département de l’Allier et dont nous n’avons actuellement que peu de nouvelles, je confirme le soutien du groupe RRDP au Gouvernement et au Président de la République.

Personne n’ignore rien des sacrifices demandés mais affronter ce risque, c’est faire preuve de courage et rendre à la France et à ses armes ses attributs au service du droit des gens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, la décision du Président de la République de répondre favorablement à la demande d’assistance militaire du Mali, confronté à une agression terroriste caractérisée, est une décision légale et légitime.

La légalité de cette intervention est fondée. Le droit de légitime défense est reconnu par l’article 51 de la charte de l’ONU qui permet à un État confronté à une agression de demander l’assistance militaire d’un autre État. Sa légitimité, concept plus subjectif il est vrai, est également établie. Il fallait en effet absolument arrêter une agression qui menaçait Mopti et au-delà Bamako et qui pouvait aboutir à la création d’un État dirigé par des narcoterroristes. Sa légitimité est également établie par le soutien quasi-unanime dont notre pays bénéficie de la part de la communauté internationale comme de la population du Mali, qui se réconcilie pour acclamer nos forces.

Hier, le ministre des affaires étrangères du Mali, M. Coulibaly, entendu par la commission des affaires étrangères, a remercié notre pays de façon émouvante et a récusé avec force les accusations de néocolonialisme, donnant pour preuve de la gratitude du peuple malien à l’égard de notre pays le fait que deux bébés nés dans le nord du Mali ont été baptisés Damien Boiteux.

La décision du Président de la République comporte bien sûr des risques, en particulier pour nos otages, mais elle veut conjurer le risque plus grand encore que le Mali devienne un État sanctuaire du terrorisme à partir duquel AQMI aurait été en mesure de prendre encore plus d’otages et de lancer des attentats partout en Afrique ainsi que contre notre pays et d’autres pays européens. La rapidité de la décision du Président de la République était à la hauteur de l’urgence et du risque que le Mali et notre pays encouraient. Elle n’a nullement affecté les droits de notre Parlement. Notre Constitution reconnaît au chef de l’État le droit de prendre des décisions exceptionnelles lorsque les circonstances l’exigent et le Parlement a été informé dans les délais requis par cette même Constitution.

Je ne doute pas non plus que cette opération soit à la portée de notre armée dont le dévouement et l’efficacité font notre admiration. Nous ne sous-estimons pas, monsieur le ministre, le risque de l’enlisement. Mais comme le Président de la République l’a affirmé avec force, nous n’avons pas vocation à maintenir au Mali un dispositif militaire permanent.

Le Premier ministre nous a indiqué hier que la France poursuivait trois objectifs : mettre en échec l’agression et dissuader ses auteurs de la répéter, préserver l’existence de l’État malien et lui permettre de retrouver son intégrité territoriale et préparer le déploiement d’une force d’intervention africaine. Pour atteindre ces objectifs politiques, quelles sont, monsieur le ministre, les instructions stratégiques données à notre armée ? Quelles sont les missions de nos forces armées avant qu’elles puissent passer le relais à d’autres forces, celles de la MISMA, qui doivent restaurer l’intégrité territoriale du Mali ?

Il est probable que les forces terroristes coalisées ont entrepris cet assaut afin de devancer la restauration de l’armée malienne et le déploiement de la MISMA prévu par la résolution 2085. Mais l’on peut penser, et en tout cas souhaiter, que cette nouvelle agression provoque un sursaut salutaire et lève les freins qui ralentissaient la mise en œuvre des décisions de l’ONU.

Je veux saluer la réaction de l’Algérie, qui a su dominer sa prévention de principe à l’égard des interventions occidentales au profit du principe de la solidarité interafricaine. Le voyage du Président de la République a sans doute permis de créer un nouveau climat dans nos relations. Que nos amis algériens soient assurés que nous ne nourrissons aucun projet néo-colonialiste et que notre vœu le plus cher est que les Africains soient en mesure de prendre en mains complètement leurs propres difficultés !

Je me félicite également que ces événements aient provoqué en Afrique une prise de conscience et que s’accélère la mise en œuvre de la MISMA. Je me réjouis que la Commission européenne ait pris la décision de débloquer l’aide budgétaire dont le Mali a un besoin absolu. L’Union, j’en suis sûre, saura mettre en œuvre rapidement ses engagements relatifs à la formation de l’armée malienne et à sa contribution au financement de la MISMA.

Mais nous devons aussi entreprendre un travail de persuasion auprès de nos alliés européens. Un conseil des affaires étrangères extraordinaire se réunit demain afin de mobiliser l’Union européenne pour cette cause. Nous attendons de chaque État membre de l’Union qu’il manifeste sa solidarité…

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères…. et que les quelques États qui se sont engagés récemment en faveur du renforcement de l’Europe de la défense comprennent que cette crise a valeur de test.

Les célébrations du cinquantenaire du traité de l’Élysée doivent être également l’occasion d’obtenir des précisions de notre partenaire allemand. Je note que l’Allemagne vient d’annoncer qu’elle met à disposition deux avions de transport de troupes et un million d’euros pour les réfugiés.

Sur ces sujets, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous exposiez dans votre réponse où en sont les diverses contributions européennes déjà annoncées, ainsi que celles que nous pouvons peut-être espérer. Je ne doute pas que notre diplomatie saura épauler l’action de notre armée en actionnant tous ses relais d’influence afin que le soutien très large dont nous bénéficions se conforte encore davantage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, je veux tout d’abord témoigner, au nom des membres de la commission de la défense et, plus largement, de l’ensemble des membres du Parlement français, de notre indignation à voir circuler, par le biais de certains médias français et européens, des images de militaires tués – je pense tout particulièrement à ceux tués en Somalie.

M. Philippe Folliot. Tout à fait !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense. Par respect pour leur mémoire et leurs familles, je demande à chacun de faire preuve de responsabilité. C’est aussi cela qui contribue à la résilience d’un pays, dans un moment difficile où l’ensemble des forces de la Nation doivent faire corps. (Applaudissements sur l’ensemble des bancs).

Depuis mai 2012, le Gouvernement a exercé, sur cette zone du Sahel, une vigilance accrue, ce dont le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères ont souvent fait écho devant nos deux commissions. À la suite des interventions de certains orateurs, il me paraît utile de préciser que, sans la demande du président malien, il ne nous était pas possible d’intervenir – que n’aurions-nous entendu, d’ailleurs, si nous étions intervenus !

Il s’agit, bien sûr, de garantir l’intégrité territoriale du Mali, menacé par des bandes armées dont l’objectif final est l’instauration d’un régime totalitaire. Évitons d’emblée les faux débats et le soupçon de néocolonialisme : ce qui ne serait pas admissible dans un pays d’Europe ne l’est pas non plus en Afrique et c’est l’honneur de la France de se préoccuper de ce qui affecte la vie des populations amies, y compris en Afrique.

Le livre blanc en cours de rédaction le rappellera et ce n’est pas trahir un secret que de le dire ici : l’Afrique est, pour la France comme pour l’Europe, un continent stratégique. En cela, le prochain livre blanc rompra avec les ambiguïtés, voire les erreurs du livre blanc de 2008, qui bornait son horizon à d’autres zones du monde, souvent plus riches. Quelle serait aujourd’hui la situation au Mali si certaines recommandations faites il y a cinq ans avaient été pleinement suivies d’effet ? Je pense notamment à la réduction drastique du dispositif français prépositionné. Seul ce dispositif permet aujourd’hui à notre pays de porter aide et assistance là où d’autres ne peuvent ou ne veulent aller. Il faut donc le préserver car, si la France a trop profité de l’Afrique, désormais l’Afrique attend beaucoup de la France. Nous le lui devons, ne serait-ce qu’en souvenir de ses contributions à la libération de notre pays il y a soixante-dix ans.

Je veux saluer ici le travail déjà accompli par nos forces, avec une pensée toute particulière pour le chef de bataillon Boiteux. Les dispositifs d’alerte Guépard et Rapace ont parfaitement fonctionné et la montée en puissance se passe remarquablement. Notre pays est en train de projeter un matériel qui revient tout juste d’Afghanistan, comme l’hélicoptère Tigre. Nos militaires sont aguerris et passent sans état d’âme d’un théâtre d’opérations à l’autre.

Pour autant, c’est bien une situation opérationnelle nouvelle. Elle nous met face à des responsabilités collectives parfois héritées de longue date. Nombre de matériels que nous mettons en ligne auraient mérité d’être remplacés il y a longtemps. Nous avons dû faire appel à des pays amis pour combler certaines lacunes capacitaires, et je les en remercie. En tant que présidente de la commission de la défense, je rappellerai donc un principe fondamental, qui a pu être oublié par le passé : pour exercer l’emploi de la force militaire, il faut des hommes et des matériels – la discussion sur la loi de programmation militaire nous permettra d’y revenir dans quelques mois. Je veux rappeler à M. Morin qu’il nous manquera cinq milliards d’euros pour mener à son terme, c’est-à-dire fin 2013, sa loi de programmation militaire : tel est l’héritage qui nous a été laissé. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC – Protestations sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Bernard Deflesselles. C’est une attaque personnelle !

M. Axel Poniatowski. En tout cas, ce n’est pas au niveau du débat !

M. le président. Allons, mes chers collègues !

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense. Je conclurai en vous livrant une appréciation partagée par tous les membres de la commission de la défense : encore une fois, nous sommes engagés loin de nos frontières dans des opérations militaires asymétriques. Toutefois, si la question de l’enlisement est légitime, je vois deux raisons de ne pas craindre ce danger. La première est que notre adversaire dispose d’une profondeur stratégique mais pas des moyens de se reconstruire, pour peu que tous les pays de la zone partagent le même objectif que nous – or, nous avons des assurances sur ce point, comme M. le ministre de la défense nous le confirmera certainement tout à l’heure. La seconde raison est que la France était engagée, dès avant le 11 janvier, dans une opération de formation d’une force militaire africaine. C’est le succès de cette mission qui est la meilleure garantie contre tout risque d’ensablement.

Monsieur le Premier ministre, nous comptons beaucoup sur l’aide de nos partenaires européens. Nous avons pris trop de retard pour l’avancée d’une défense européenne responsable et concertée. Je sais que vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre de la défense, comme l’ensemble du Gouvernement. Nous vous accompagnerons dans cette démarche, car les questions qui ont été posées relèvent bien de ce problème. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux seulement dire quelques mots avant que le Premier ministre ne conclue ce débat indispensable et souhaité.

En qualité de ministre de la défense, je voudrais d’abord exprimer la gratitude de la communauté militaire de notre pays pour les propos de soutien et de reconnaissance qui ont été exprimés par l’ensemble des intervenants au cours de ce débat. Vous avez, les uns et les autres, souligné le professionnalisme, le courage, la détermination de nos forces armées, durement éprouvées dès les premières heures de l’intervention par le sacrifice du chef de bataillon Damien Boiteux, mort pour la France dans des conditions héroïques.

Je veux aussi me réjouir du soutien unanime qui s’est manifesté cet après-midi. C’est la grandeur de la représentation nationale que de savoir se rassembler, par-delà les opinions politiques, lorsque la gravité de la situation l’exige. En retour, comme cela a également été dit, cela donne aux forces armées et au Gouvernement – en particulier au ministre de la défense –, dans la conduite de cette intervention, des devoirs, notamment de transparence, dans les seules limites de ce qui pourrait compromettre l’intervention de nos forces et la sécurité de nos soldats. C’est ce à quoi je m’emploierai, et je suis disposé, mesdames les présidentes, à venir devant vos commissions respectives, comme je l’ai déjà fait devant les commissions du Sénat.

Je ne reviendrai pas sur les raisons de notre intervention, sur l’obligation politique et morale dans laquelle nous étions de mobiliser nos forces comme le dernier rempart de l’État malien, sans parler des risques considérables que nous aurions courus si la volonté des groupes djihadistes de constituer un sanctuaire terroriste avait pu aboutir.

À la suite de plusieurs interventions, je veux dire à quel point j’ai été surpris, depuis que j’ai pris mes fonctions, par la sous-estimation, parmi mes nombreux interlocuteurs internationaux, mais aussi au sein de l’opinion publique française, de ce qui était en train de se préparer au Mali. Il a fallu que ce soit la France qui prenne l’initiative de la mobilisation de l’information sur ce sujet. Il a fallu que, fin septembre dernier, le Président de la République alerte, à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies, l’opinion publique sur les risques courus. Enfin, il a fallu que le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, prenne les initiatives nécessaires pour aboutir à la résolution 2085, sur laquelle nous nous appuyons, prise sur proposition de la France, à l’unanimité du Conseil de sécurité. Je rappelle que cette résolution initiée par la France a été validée le 20 décembre dernier : il a fallu trois mois pour convaincre de l’importance du danger qui se profilait ! Il a fallu que moi-même, je prenne l’initiative de mobiliser les ministres de la défense de l’Union européenne pour les sensibiliser au danger qui se présentait, alors qu’il était jusqu’à présent sous-estimé, ce qui a abouti, à la fin du mois de décembre, à la décision de l’Union européenne de mettre en place une mission de formation et d’assistance aux forces maliennes en difficulté.

Oui, il a fallu mobiliser pour faire avancer les choses et parvenir à la situation actuelle, parce que l’opinion internationale avait sous-estimé ce risque.

M. Jacques Myard. Pas nous !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je voudrais souligner la réactivité des forces armées françaises, qui ont lancé les premières attaques sur les positions des groupes terroristes au nord de Mopti, cinq heures seulement après la décision prise par le Président de la République. J’ai entendu un orateur affirmer que nous n’étions pas préparés. Mais si nous n’avions pas mis en place un dispositif d’alerte, si nous n’avions pas renforcé nos services de renseignements sur la zone, jamais nous n’aurions pu identifier la menace qui était en train de se profiler et qui allait aboutir à la transformation du Mali en État terroriste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous avons su anticiper et réagir en temps utile grâce à la qualité et à l’efficacité de nos forces.

Pour répondre à plusieurs intervenants, je veux préciser à nouveau quelles sont les missions de nos forces armées dans le cadre des trois objectifs affirmés par le Président de la République et répétés tout à l’heure par le Premier ministre. Dans le cadre de l’opération Serval, nos forces armées remplissent quatre missions. La première mission consiste à aider les forces armées maliennes encore présentes à arrêter la progression des groupes terroristes vers le sud du pays, en particulier au niveau de Diabali. Pour cela, nous effectuons des frappes aériennes précises au moyen d’hélicoptères ou de l’aviation de chasse et nous déployons – c’est le cas en ce moment – des éléments terrestres. La deuxième mission consiste à frapper, par des actions aériennes dans la profondeur, les bases arrière des terroristes, pour empêcher toute nouvelle offensive, comme nous l’avons fait ces derniers jours, notamment à Gao. La troisième mission consiste à envoyer un signe fort à Bamako, pour soutenir les institutions, rassurer la ville et sécuriser nos ressortissants. C’est la mission des unités d’infanterie qui ont été positionnées sur Bamako dès le début du combat. Enfin, la quatrième mission, essentielle, consiste à préparer les conditions nécessaires à l’organisation et l’intervention des forces armées africaines de la MISMA autour de l’état-major nigérian, ainsi qu’au déploiement de la mission de formation européenne pour les forces maliennes. Telles sont les missions confiées à nos forces, qu’elles assument aujourd’hui avec beaucoup de courage et de détermination.

Je veux également évoquer quelques autres points, à commencer par la prétendue solitude de la France. Il convient de rappeler que c’est à la suite de l’appel au secours adressé à la France par le président Traoré, sur la base de l’article 51 de la charte des Nations unies, que nous sommes intervenus. Il s’agissait en quelque sorte de décider, lors de la journée de vendredi de la semaine dernière, de décider si, oui ou non, nous portions assistance à pays en danger. Chacun conviendra que, compte tenu de l’urgence, ce n’était pas le moment d’ouvrir des négociations sur une nouvelle coalition qui devait faire l’objet de débats et de résolutions aux Nations unies. Il fallait agir dans la rapidité, en vertu de l’application de l’article 51 de la charte des Nations unies.

M. Axel Poniatowski. Mais pas seuls !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Par ailleurs, il y a une coalition, formalisée par la résolution 2085 du Conseil de sécurité – car une coalition ne peut exister que sur une base juridique internationale. Comme l’a souligné Hervé Morin, cette résolution pose le principe selon lequel il revient aux forces africaines, mandatées par les Nations unies pour permettre au Mali de recouvrer son intégrité et sa souveraineté, de s’organiser. C’est le droit international, sur lequel on doit obligatoirement s’appuyer si l’on veut constituer une coalition. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Où en est-on ? Bien sûr, la MISMA mettrait un peu de temps à se mettre en œuvre, mais la résolution ne date que du 20 décembre dernier. L’initiative prise par la France permet certainement aujourd’hui de dynamiser la mobilisation d’une telle force et d’en accélérer le calendrier. Dès à présent, l’état-major de la MISMA est à Bamako et l’ensemble des pays suivants ont fait part de leur volonté d’intervenir et de faire participer leurs troupes : le Togo, le Nigeria, le Niger, le Burkina Faso, le Bénin, le Sénégal, la Guinée, le Ghana et le Tchad.

M. François Rochebloine. Combien d’hommes ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il s’agit de la mobilisation des Africains pour permettre au Mali de recouvrer sa souveraineté, parce que seules les forces africaines seront en mesure, à terme, et en intégrant bien sûr les forces maliennes, d’assurer la sécurité et la souveraineté de ce pays.

J’ajouterai que sur le plan logistique, depuis le déclenchement des combats, le soutien que nous avons reçu n’est pas uniquement politique – un tel soutien demeure tout de même indispensable s’agissant de la communauté internationale – mais aussi technique ; je pense en particulier aux Britanniques, aux Danois, aux Belges, aux Allemands, aux Canadiens, aux Américains,…

M. François Rochebloine. Vous êtes gentil !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … qui ont mis à notre disposition des capacités nous permettant de poursuivre notre effort et notre mission.

Enfin, cela a été dit tout à l’heure, le ministre des affaires étrangères se rendra demain à Bruxelles à une réunion des ministres des affaires étrangères pour activer la mise en place de la mission de formation de l’Union européenne afin de permettre à l’armée malienne de retrouver sa dignité et de faire en sorte qu’au terme du processus elle soit l’armée d’un État à la souveraineté recouvrée qui aura su éviter l’emprise des groupes terroristes sur son territoire.

Avant que le Premier ministre n’intervienne, je souhaiterais conclure mon propos par quelques remarques, chers collègues.

Il est clair que le règlement de cette crise se jouera à un niveau politique : le Président de la République a bien affirmé que la France n’avait pas vocation à rester au Mali, mais une intervention de nos forces armées était et demeure indispensable pour stabiliser une situation qui s’aggravait de façon incontrôlée. En ce moment même, les combats continuent. Nos forces armées sont plus que jamais mobilisées. Elles se sentent soutenues par l’unité nationale qui s’est manifestée cet après-midi. Elles sont là, je le rappelle, pour que les conditions d’une paix durable soient réunies dans un pays qui le souhaite avec beaucoup de force et reconnaît à la France de lui avoir permis à un moment donné de ne pas être un pays otage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, mon intervention sera brève.

Je tiens à remercier les orateurs de tous les groupes. Il est important que le Parlement soit informé régulièrement de l’évolution de cette intervention de la France, comme nous l’avons fait cet après-midi dans l’hémicycle ; nous réitérerons l’expérience autant de fois qu’il sera nécessaire devant les commissions de chacune des assemblées.

Le ministre de la défense, qui était au Sénat cet après-midi, n’a pas pu répondre à la demande des commissions de l’Assemblée nationale, mais il se tient bien entendu à votre entière disposition.

Je voudrais insister sur un point qu’il a évoqué à l’instant.

Plusieurs orateurs ont interrogé le Gouvernement pour savoir si la France était intervenue suffisamment rapidement, si elle avait réagi suffisamment rapidement. Certains ont même affirmé par ailleurs qu’elle était isolée.

M. Axel Poniatowski. Isolée, oui !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. M. Jean-Yves Le Drian a parfaitement eu raison de dire que, face à la situation très grave dans laquelle se trouve le Mali, la France a été en première ligne pour convaincre la communauté internationale de la présence d’un risque, d’un danger, pour l’intégrité du Mali, son unité, son avenir.

Ce travail politique au plus haut niveau a été conduit par le Président de la République et les membres du Gouvernement, moi-même, bien sûr, mais plus souvent encore le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense.

Nous avons en effet appelé l’attention de la communauté internationale et très vite, nous avons constaté une prise de conscience – elle était il est vrai nécessaire – qui a conduit à la décision très importante du Conseil de sécurité des Nations unies.

Je rappelle que, dès septembre, le Président de la République a fait solennellement une déclaration très grave devant l’Assemblée générale des Nations unies sur la situation au Mali et au Sahel et la nécessaire lutte contre les groupes terroristes, qui étaient en train de déstabiliser non seulement le Mali mais aussi toute une région, toute l’Afrique de l’Ouest.

Et je dois témoigner ici que depuis l’élection de François Hollande, pas un mois, pas une semaine ne s’est passé sans que le Président de la République, moi-même ou le ministre des affaires étrangères n’ayons été saisis par non seulement le président du Mali mais également par d’autres chefs d’État africains, très inquiets de ce qui était en train de se passer.

L’appel du Président de la République à la communauté internationale à l’Assemblée générale des Nations unies a conduit le Conseil de sécurité le 20 décembre – le 20 décembre, j’y insiste car c’est très récent – à décider que se constituerait une force internationale africaine.

Je suis surpris que l’on réclame une autre force internationale s’appuyant sur une base légale ; de quelle base légale s’agirait-il ? La base légale d’une organisation militaire pour intervenir en Afrique aujourd’hui c’est la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU. Celle-ci doit conduire à la mise en place de la MISMA, force à la constitution de laquelle la CEDEAO a donné un avis favorable et qui prend aujourd’hui forme : l’état-major est maintenant stationné à Bamako et une réunion aura lieu à ce sujet à Abidjan le 19 janvier.

Toutefois, avant que cette force n’ait pu s’organiser, la situation s’est rapidement dégradée. Voyant cette force africaine se constituer, les forces des trois groupes terroristes en cause – parmi eux AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique –, qui sont lourdement armés, ont décidé d’accélérer leur intervention, de sortir de leurs positions et de passer directement vers Mopti.

Ces événements se sont produits ces derniers jours, et ce sont ces derniers jours que le président du Mali a appelé la France à l’aide. C’est dans ce contexte précis que, très vite, dans les heures qui ont suivi cet appel, après la demande officielle écrite du président du Mali au Président de la République française et après que ce même président malien a également saisi le secrétaire général des Nations unies, le Conseil de défense, éclairé, a très rapidement pris la décision d’intervenir. Cela s’est produit, bien sûr, sur une base légale.

La seule base légale qui justifie notre intervention c’est l’article 51 de la charte des Nations unies. Il me semble très important de le rappeler, car j’ai entendu certains orateurs réclamer la constitution d’une force internationale d’une autre nature. Mais si nous avions pris un tel chemin, si nous avions en d’autres termes tourné la page de la résolution 2085 du 20 décembre dernier en essayant de partir sur une autre base, où en serions-nous aujourd’hui ? Nous aurions anéanti les efforts fournis jusqu’alors et récompensés par la décision du Conseil de sécurité et la MISMA ne pourrait plus se mettre en place.

Si nous avions cherché, pour répondre à la demande du président malien, une autre base que celle de l’article 51 de la charte des Nations unies, aucune intervention n’aurait eu lieu et aujourd’hui les troupes terroristes ne seraient pas seulement à Mopti, mais bien à Bamako ; tout ce que nous voulons entreprendre en ce moment n’aurait plus été possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Je réponds donc avec précision à ceux qui nous ont interpellés, La France a fait son devoir et je suis reconnaissant à tous les groupes parlementaires ici représentés d’avoir approuvé l’intervention de la France.

Je ne reprendrai pas les objectifs de l’intervention. Je les ai déjà indiqués et M. Jean-Yves Le Drian vient de les énoncer à l’instant : l’intervention de la France aujourd’hui aux côtés des troupes maliennes et demain avec la MISMA doit pouvoir se poursuivre dans les meilleures conditions possibles. Il faut en effet non seulement que la progression des terroristes soit arrêtée mais aussi que ces derniers disparaissent du Nord-Mali, afin que ce pays soit en capacité à la fois de retrouver sa souveraineté et de construire la nécessaire transition politique contenue dans la résolution 2085 et que la communauté internationale, et la France en particulier, appelle de ses vœux.

Ces conditions doivent donc être remplies.

Ainsi que je l’ai indiqué voilà quelques instants, la décision d’intervenir est une décision grave. Nous avons clairement exposé dans cet hémicycle avec le ministre de la défense les moyens aériens, militaires et humains que nous mettons en place. Évidemment, l’objectif est de réussir, mais aussi substituer aux forces françaises les forces militaires africaines, à commencer par l’armée malienne, qu’il faut en effet former.

À cet égard, l’Union européenne accélère son travail, mais il faut voir d’où nous partons ainsi que les conditions dans lesquelles ces différents pays ont les moyens d’agir. Ce sont des pays pauvres : il faut également avoir en tête la nécessaire politique de développement à mettre en œuvre.

Pour conclure, je tiens à vous dire, monsieur Copé, et d’autres orateurs sont intervenus dans le même sens que vous, que le budget de la défense n’est pas la variable d’ajustement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Philippe Vitel. Il n’y a pas de quoi applaudir !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Le budget de la défense participe au même titre que les autres budgets, ni plus ni moins, à l’effort nécessaire de redressement de nos comptes publics.

M. Hervé Morin. Rendez-vous dans quelques mois !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je suis obligée de vous le dire, mesdames, messieurs les députés, il est inutile de vous emballer, puisque…

M. Axel Poniatowski. On en reparlera !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. … justement, nous en reparlerons, ici, au Parlement.

En effet, je vous rappelle que nous sommes actuellement obligés de constater les différentes impasses de la loi de programmation militaire, loi nécessaire, mais loi d’affichage, peu financée, voire sous-financée ; telle est la réalité que nous avons trouvée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Aujourd’hui, nous sommes engagés dans une démarche qui vise à défendre les intérêts de la France et à protéger la France. Un travail approfondi est engagé auquel participent des représentants de tous les groupes parlementaires, de l’opposition comme de la majorité : l’élaboration du livre blanc. Cette démarche vise à la fois à conserver, parce que c’est nécessaire, la cohérence de notre outil de défense et à adapter ce dernier aux nouveaux défis et aux nouveaux risques qui se présentent devant nous, ce qui implique de ne pas affaiblir notre protection, mais de lui donner toute la dimension européenne nécessaire. Or, certains l’ont souligné, il est vrai que l’Europe de la défense a encore du chemin à faire. C’est une des priorités du Président de la République.

M. François Rochebloine. Bon courage !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Il prend le dossier au point où il en était, c’est-à-dire à un niveau, il faut bien le regretter, faible ; mais nous ne sommes pas ici pour parler du passé, nous sommes ici pour parler de l’avenir.

Le livre blanc donnera lieu à un débat et à une nouvelle loi de programmation militaire auxquels vous serez tous associés, mesdames, messieurs les députés.

Pour l’heure, la France est engagée.

Je tiens à remercier une fois encore l’Assemblée nationale de son soutien. Les Français attendent que l’on apporte des réponses à leurs nombreuses questions, mais dans leur immense majorité ils ont compris que le terrorisme ne pouvait pas s’installer, en particulier au cœur de l’Afrique, et que ce que nous faisons est dans l’intérêt du Mali, dans l’intérêt de l’Afrique, mais aussi dans l’intérêt de la sécurité de l’Europe et de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. Le débat est clos.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite du projet de loi portant création du contrat de génération.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures.)